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Denys Lombard Voyageurs français dans l'Archipel insulindien, XVIIe, XVIIIe, XIXe siècles In: Archipel. Volume 1, 1971. pp. 141-168. Citer ce document / Cite this document : Lombard Denys. Voyageurs français dans l'Archipel insulindien, XVIIe, XVIIIe, XIXe siècles. In: Archipel. Volume 1, 1971. pp. 141-168. doi : 10.3406/arch.1971.929 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/arch_0044-8613_1971_num_1_1_929

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Denys Lombard

Voyageurs français dans l'Archipel insulindien, XVIIe, XVIIIe,XIXe sièclesIn: Archipel. Volume 1, 1971. pp. 141-168.

Citer ce document / Cite this document :

Lombard Denys. Voyageurs français dans l'Archipel insulindien, XVIIe, XVIIIe, XIXe siècles. In: Archipel. Volume 1, 1971. pp.141-168.

doi : 10.3406/arch.1971.929

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/arch_0044-8613_1971_num_1_1_929

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ringkasan3) Karena begitu pentingnja sumber2 dalam bahasa Belanda dan Inggris, kita sering melupakan bahwaada djuga tjatatan2 perdja- lanan, ditulis oleh pengelana Perantjis dan dapat dipergunakan oleh paraachli sedjarah Nusantara. Denys Lombard mentjatat perdjalanan2 jang paling menarik dengan memberireferensi2 biblio- grapik; Lombard menghidupkan kembali tokoh2 pemuka, kakak beradik Parmentier,Sieur Vincent Leblanc (abad ke 16), kemudian ekspedisi2 jang dilakukan oleh Laksamana de Beaulieu,tjerita2 dari Ta vernier dan Gervaise (abad ke 17). Abad ke 18 melihat lewat- nja terutama Poivre,kemudian Sonnerat, serta terdjemahan bebe- rapa karja penting ("Kehidupan para Gubernur DjenderalHin- dia Timur" oleh Dubois, Den Haag 1763). Pada awal abad ke 19 tidak dapat disangkal lagi ditandaioleh datangnja Daendels, tetapi djuga kedatangannja beberapa perwira Perantjis, setelah bebas tugaspada achir perang Napoleon dan ditarik kedalam tentara Hindia Belanda. Penjatuan Negeri Belandadan Belgia (1815-1830) menjebabkan pula terbitnja koleksi dalam Bahasa Perantjis tentang Nusantara.Tjerita dari Comte de Beauvoir jang muda, jang datang dipulau Djawa pada tahun 1866, ditjetak ulangbeberapa kali. Dengan dibukanja terusan Suez (1869) ,,mendjadi dekatlah" ne- gara2 Hindia dan makinmeningkatlah djumlah perdjalanan ke Timur (antara lain X. Brau de Saint-Pol Lias); pada tahun 1878,Pameran Internasional di Paris mempunjai satu bagian chusus tentang kepulauan Nusantara dan padatahun berikutnja suatu kelompok kerdja ketjil jang terdiri dari achli2 negara Timur diba- wah pimpinanCte Meyners d'Estrey menerbitkan "Les Annales d'Extrême-Orient" jang memberikan tempat jang besarbagi "Monde Malais" (dunia Melaju). Mendjelang achir abad ke 19, kita melihat adanja kemundurandalam bidang pengetahuan ini: "Les Annales" terhenti setelah terbit selama delapan tahun, penje-lidikan ilmiah tentang ,,hukum" (perbandingan sistim kolonial) dan eksotisme timbul dengan datangnjapara wisatawan jang pertama.

Abstract3)The importance of sources in Dutch and English has often caused people to forget that there alsoexist important accounts written by French travellers, useful to the historians of the Archipelago. DenysLombard here passes in review the most important of these Voyages, giving for each the bibliographicalreferences. He evokes the figures of the great precursors, the brothers Parmentier, and Vincent Leblanc(XVIth century), then the expeditions of Admiral Beaulieu, the accounts of Tavernier and Gervaise (XVIIth century). The XVIII th. century sees the passage notably of Poivre, then Sonnerat, as well as thetranslation of several important works (Vies des gouverneurs généraux des Indes orientales, by Dubois,La Haye, 1763). The beginning of the XIXth century is marked, of course, by the passage of Daendels,but also by the arrival of several French officers out of work following the end of the Napoleonic warsand later employed in the Army of the Indies. The uniting of the Netherlands to Belgium (1815-1830)also provoked a series of publications in French on the Archipelago. The account of the young Count ofBeauvoir who passed through Java in 1866, know numerous re-editions, and marked a certainincreased awareness of Indonesia in French consciousness. The opening of the Suez canal (1869)"brought together" the Indies and multiplied the voyages (X. Brau de Saint-Pol Lias). In 1878 theUniversal Exposition in Paris contained a section on the "Iles de la Sonde", and the following year asmall team of orientalists lead by Count Meyners d'Estrey started the Annales d'Extrême-Orient whichgave a considerable attention to the "Malay world". Towards the end of the century, one witnesses acertain regression in knowledge : the Annales cease appearing after eight years, the "juridical" studies(comparison of colonial systems) appear and exoticism is awakened with the coming of the first"tourists".

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VOYAGEURS FRANÇAIS DANS L'ARCHIPEL INSULINDIEN

XVIIème, XVfflème et XIXème s.

par Denys LOMBARD

Le rôle joué par les Hollandais et, à un moindre titre, par les Britanniques dans l'histoire moderne de l'Archipel insulindien a fait que l'immense majorité des sources étrangères dont nous disposons pour étudier cette histoire se trouvent aujourd'hui rédigées en néerlandais ou en anglais. On en vient naturellement à considérer comme quantité négligeable les documents rédigés en une autre langue. Nous voudrions attirer ici l'attention sur quelques récits de voyageurs français, non pas inédits ou inconnus, mais souvent oubliés et qui mériteraient néanmoins d'être mieux exploités. Une des raisons de ce relatif "oubli" est que la plupart d'entie ces récits n'ont jamais fait l'objet d'une réédition, faute peut-être d'une société savante, qui telle la Hakluyt Society de Londres ou la Linschoten Vereeniging de La Haye (*), eût entrepris en France de les mettre à la disposition d'un plus large public. En ce qui concerne certains de ces Voyages, ceux du XVIIème s. notamment, les quelques rares exemplaires qui sont parvenus jusqu'à nous, ont depuis longtemps rejoint les rayons des bibliothèques spécialisées, lorsque ce n'est pas la réserve de ces bibliothèques, et seul le bibliophile aux aguets peut avoir la chance de les voir parfois paraître dans quelque catalogue de Brill ou de Nabrink. Nous évoquerons ici ceux qui nous paraissent les plus intéressants, ce qui nous conduira, chemin faisant, à préciser quelques étapes dans la longue histoire des relations entre la France et l'Archipel (2).

1529. Les frères Parmentier

Dès les premières années du XVIème s. plusieurs expéditions françaises mirent à la voile en direction des "Indes", mais la première à avoir atteint l'Archipel et à en être revenue, est sans doute celle des frères Jehan et Raoul

*) Fondée vers 1840, la Hakluyt Society (du nom du géographe Richard Hakluyt, -1533 1616, qui publia en 1589 les Principales navigations et principaux voyages de la Nation anglaise) a réédité un grand nombre de Voyages anglais et quelques Voyages étrangers, avec traductions anglaises. Conçue sur le même modèle, la Linschoten Vereeniging (ou "Société Linschoten", du nom du grand pionnier J.H. van Linschoten, 1563-1611, auteur d'un précieux Itinerario, ou "Itinéraire" à travers l'Océan indien) a été fondée en 1908 et avait réédité LX volumes en 1957 (tous récits de voyageurs néerlandais).

*) On trouvera un exposé succinct de ces relations dans l'article intitulé Franschen in den Maleischen Archipel (de), "Les Français dans l'Archipel malais", paru dans i'Encyclopaedie van Nederlandsch-Indiê, 1917, t.I, p. 723.

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Parmentier, de Dieppe; c'est en tout cas la première dont le souvenir nous soit resté et dont nous ayons conservé un récit, rédigé par un des membres de l'expédition, Pierre Crignon (3). Partis au printemps de 1529 avec deux vaisseaux, la Pensée et le Sacre, équipés par le fameux armateur Ango, les Dieppois s'arrêtèrent un temps à Madagascar et parvinrent le 2 octobre en vue des îles qui bordent la côte occidentale de Sumatra ; ils reconnurent le groupe des îles Batu et baptisèrent deux d'entre elles, île Louise et île Marguerite, en l'honneur de Louise de Savoie et de Marguerite d'Angoulême mère et soeur de François 1er; quant à l'île Pini — où l'on est en train de mener des recherches pétrolières — elle fut nommée "île Parmentière".

On aborda bientôt à Tiku (au nord de Tact. Padang), avec l'espoir de se procurer le précieux poivre, mais les tractations avec le radja et le sjahbandar n'aboutirent pas et l'on dut mettre à la voile après une sanglante collision. Peu de jours après et tandis que les vaisseaux faisaient route vers Indrapura (plus au sud), Jehan Parmentier "commença la danse", selon l'expression de P. Crignon, et "trépassa de ce siècle, la vigile Sainte Barbe, troisième jour de décembre"; son frère Raoul mourut aussi peu après. Privés de leurs chefs, les équipages quittèrent Indrapura le 30 juin 1530 et purent regagner Dieppe; ils n'avaient point obtenu le succès que Ango et ses "parsonniers" avaient escompté, mais ils avaient inquiété au plus haut point les Portugais, qui soucieux de maintenir leur monopole, firent tout ce qui était en leur pouvoir pour décourager les Français (4).

Outre le récit fort intéressant de Crignon, nous avons conservé le Traictê en forme d'exhortation, que Jehan Parmentier composa en vers, peu de temps avant sa mort, pour redresser le moral de ses hommes, quelque peu affaibli par les fièvres; le capitaine y chante "les merveilles de Dieu et la dignité de l'homme", avec la ferveur d'un pionnier et son poème mériterait de figurer dans nos "anthologies du XVIème s.", afin de faire contrepoids aux sonnets un peu mièvres de la Pléiade. Nous ne citerons ici qu'un pasage:

"Quand ce vouloir t'esprit De te donner tant curieuse peine, Cela tu feis afin qu'honneur te prit Comme François qui premier entreprit

•) Edité par Ch. Schefer , Le discours de la navigation de Jean tt Raoul Parmenlier de Dieppe, Paris, Leroux, 1883.

*) C'est ainsi que le roi Jean III de Portugal fit circonvenii à prix d'or le pilote Leone Pancaldo qui avait accompagné Magellan et que les Français essayaient de piendre à leur service.

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De parvenir à terre si lointaine. Et pour te donner conclusion certaine, Tu l'entrepris à la gloire du Roy Pour faire honneur au pays et à toi "

Les pérégrinations d'an Marseillais

D'autres voyageurs isolés durent parvenir jusque dans l'Archipel, au cours du XVIème s. ; l'un d'entre eux fut sans doute le Sieur Vincent Leblanc, natif de Marseille, qui, parti à quatorze ans (en 1567) voyagea "jusqu'à l'âge de soixante" à travers les "quatre parties du monde". Ses notes de voyage recueillies par le célèbre érudit Peiresc, furent publiées, avec des compléments, par P. Bergeron en 1649 (5). Il est moins célèbre que Mendes Pinto, et pourtant sa verve méridionale, et son imagination, ne le cèdent guère à celles du fameux Portugais. Il se rendit aux Royaumes de Fez, de Maroc et de Guinée "et dans toute l'Afrique intérieure, depuis le Cap de Bonne Espérance jus- ques en Alexandrie, par les terres de Monomotapa, du prestre Jean et de l'Egypte"; il alla en Amérique et "aux Indes orientales, en Perse et Pegu".

Deux chapitres de sa première partie (pp. 135-153) concernent "les isles de FArchipelague de Sainct Laurens" et traitent, l'un "de l'isle de Sumatra, des elefans et autres partcularitez", l'autre "de l'isle de lave, des moeurs des habitans et des richesses du pais". Son récit se fait l'écho de nombreuses légendes et invraisemblances et il est clair qu'il ne visita pas ces îles en détail mais il fit au moins escale à Pedir (act. Sigh', en pays Atjéh, au nord de Sumatra) et à Banten (dans l'ouest de Java), qu'il orthographie correctement: "Bantan" et non "Bantam", comme beaucoup le feront après lui. A Pedir, régnait alors le roi "Ayoufar"; notre marseillais décrit la monnaie qui y avait cours ainsi que la façon dont on capturait les éléphants dans l'arrière-pays; chose curieuse, il raconte à propos de ce comptoir, l'histoire" d'un simple pêcheur qui était parvenu à se faire accepter pour roi", tradition que d'autres voyageurs rapporteront après lui à propos d' Atjéh. Puis il nous décrit Banten, en quelques lignes et nous dit que la ville était "grande comme Rouen". Il nous parle aussi du royaume de "Demaa" (Demak) et de la malheureuse expédition de son roi (Trenggana) contre Balambangan (un événement que les sources portugaises permettent de situer en 1546).

8) Les Voyages Jameux du Sieur Vincent Leblanc marseillois qu'il a faits .... aux quatre parties du monde, rédigez sur ses Mémoires, tirez de la bibliothèque de Mr de Peiresc, par P. Bergeron, A Paris, chez Gervais Clousier, au Palais, sur les degrez de la Saincte Chappelle, MDCXLIX, avec privilège du Roy.

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XVIIème s. A la recherche du poivre

II fallut néanmoins attendre la fin des guerres de religion et l'avènement de Henri IV, pour qu'on songe à nouveau à envoyer vers l'Archipel des flottes chargées de se procurer du poivre. La première partit de Saint-Malo, le 18 mai 1601; elle comprenait deux vaisseaux, le Croissant (400 tonneaux), commandé parle Sieur Frottet de La Bardeliere, et le Corbin, commandé par François Grou du Closneuf. Le Corbin se perdit aux Maldives et seul le Croissant put atteindre la pointe nord de Sumatra. Le capitaine fut reçu en audience par le Sultan d'Atjéh, qui était alors Ala ud-Din Riajat Sjah et obtint l'autorisation d'acheter du poivre. Mais les Poitugais, toujours inquiets, usèrent de leur infuence auprès des Atjihais; les choses se gâtèrent et les Français durent bientôt îembaiquer. La Bardeliere mourut pendant le retour et son vaisseau fut capturé par des Hollandais, alors qu'il avait déjà regagné l'Atlantique.

De cette expéditon malheureuse, nous avons conservé deux récits. Le premier fut rédigé par François Martin, de Vitré, un rescapé du Croissant, et parut en 1604 sous le titre de Description du premier voyage que les marchands français de Saint-Malo, de Vitré et de Laval ont fait aux Indes orientales. (6) II comporte une intéressante description de la cour et du commerce d'Atjéh ainsi qu'un premier petit lexique "du langage malaique", qui, quoique beaucoup moins riche que celui de Frederick de Houtman (7), mériterait l'attention des linguistes; on y trouve aussi des indications sur le scorbut, dédiées "à M. de Laurens, chancelier de l'Université de Montpellier".

Le deuxième fut rédigé par François Pyrard, de Laval, un rescapé du Corbin, et parut en 1615 sous le titre de Discours du Voyage des Français aux Indes orientales (8). Naufragé aux Maldives, Pyrard fut fait esclave du roi de Malé; cinq ans plus tard, une flotte bengalaise débarquait aux Maldives, triomphait de la résistance locale et capturait le roi (7 février 1607); rendu

•) L'ouvrage se trouve à la Bibliothèque nationale de Paris; cote: Rés. 02 K 23. *) Frederick de Houtman, natif de Gouda, profita de son séjour forcé à Atjéh, où il

avait été fait prisonnier en 1599, pour rédiger une série de douze conversations en malais et un gros lexique néerlandais-malais d'environ deux mille mots; il le publia après son îetour en Hollande, à Amsterdam, en 1603. Voir la réédition que nous en avons faite récemment, avec la collaboration de Mmes W. Arifin et M. Wibi- sono: Le "Spraeck- ende Woord-boek" de Frederick de Houtman, Première méthode de malais parlé (fin de XVIème s.), Publ. de l'EFEO, vol. LXXIV, Paris, 1970.

8) II existe une réédition de 1679.

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à la liberté par ces sauveteurs inattendus, le Français gagna les Indes, où il visita Cananor et Calicut (1608); puis il tomba entre les mains des Portugais alors qu'il faisait route vers Cochin; emmené à Goa et incorporé de force dans les troupes portugaises, il participa à plusieurs expéditions dans l'Archipel insulindien et fit ainsi escale à Malaka, à Sumatra et à Java. Rendu enfin à la liberté en janvier 1610, il décida de rentrer en Europe et parvint à Laval un an plus tard. Son récit, qui ne concerne que partiellement l'Insulinde, passe pour un des plus précis et des mieux documentés de cette époque. Il l'a fait suivre d'un très intéiessant Traité et description des animaux, arbres et fruits des Indes orientales.

Les "Mémoires" du Général de Beaulieu

Nous ne reprendrons pas ici dans le détail l'histoire des tentatives avortées et des voyages qui suivirent (9). Mieux vaut insister sur le singulier récit d'un capitaine normand qui se rendit dans l'Archipel à deux reprises et séjourna notamment à Atjéh en 1619-1620. Il s'agit de la Relation de Vestat présent du commerce des Hollandais et des Portugais dans les Indes Orientales ; Mémoires du voyage aux Indes Orientales du Général de Beaulieu, texte qui fut publié au XVIIème s. par Melchisedech Thévenot, éditeur de nombreux Voyages et lui même voyageur célèbre (10).

Né à Rouen en 1589, Augustin de Beaulieu s'était embarqué une première fois pour l'Afrique, afin d'y fonder une colonie "en la rivière Gambie" ; puis en 1616, il était parti pour Banten, sur l'un des deux vaisseaux de la "Flotte de Montmorency"; il s'y était chargé en poivre et y avait acquis" une des belles, voire des plus belles maisons" de la ville afin d'y installer une loge. Cette loge française parviendra à se maintenir, en dépit des nombreuses difficultés que lui feront les Hollandais jusqu'en 1682. Revenu en France, "avec pleine charge", Beaulieu se vit confier en 1619 le commandement d'une nouvelle flotte. Celle-ci comprenait trois navires: le Montmorency (450 t, 162 hommes et 22 canons), Y Espérance (400 t., 117 hommes et 26 canons) et la "patache" Y Hermitage (75t. et 30 hommes).

•; Voir O. Collet, L'île de Java sous la domination française, Bruxelles, 1910, Livre I, chap I. et T. Barassin, Compagnies de navigation et expéditions françaises dans l'Océan indien au Xi/Ilème s., in Océan indien et Méiiterranée (6ème colloque intern. d'Hist. marit.) SEVPEN, 1964, pp. 373-389.

10) Les Mémoires de Beaulieu se trouvent au tome II des Relations de divers voyages curieux Paris, 2 vol., 1664-1666.

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Parvenu au Cap de Bonne espérance, Beaulieu se sépara de V Espérance dont il chargea le commandant, Robert Gravé, de gagner Banten; lui-même se proposait d'aller à Atjéh; c'était une sage façon de diviser les risques et de se protéger d'un éventuel coup de main hollandais. L'événement lui donna raison. Gravé gagna "Jacatra" sans encombre et parvint à réunir une cargaison, mais "comme il estoit sur le point de son retour avec sa charge, les Hollandois mirent le feu à son navire "; à Atjéh cependant, Beaulieu put acheter son poivre. Il rentra au Havre, le 1er décembre 1622, avec 75 hommes d'équipage seulement, mais "avec de quoy payer les frais du voyage, qui aurait esté de grand proffit, si l'autre vaisseau fut revenu".

Le récit publié par Thévenot, extrêmement détaillé, compte 123 pages in folio et compend trois parties: 1°) le voyage jusqu'à Atjéh (pp. 1 à 45); 2°) le séjour à Atjéh (pp. 45 à 96); 3°) une "description de l'isle de Sumatra", c'est-à-dire surtout de sa moitié septentrionale, qui se trouvait alors sous la suzeraineté du Sultan d'Atjéh, Iskandar Muda (pp. 96 à 123). "Entre un grand nombre de différentes relations de voyages aux Indes orientales, qui m'ont passé par les mains, commente l'éditeur, je n'en ay point vu de meilleure que celle de Beaulieu"; on ne peut que soucrire à ce jugement et ces Mémoires constituent de nos jours la meilleure source pour qui veut étudier l'histoire sociale et culturelle du grand Sultanat (u).

Pilote, Carme et martyr

C'est ici le lieu d'évoquer une figure peu banale de ce premier XVIIème s., celle de l'aventurier français Pierre Berthelot; d'origine normande, il était devenu pilote et cartographe au service du Portugal, puis après avoir bourlingué sur toutes les mers des Indes, était entré dans l'ordre des Carmes déchaux, sous le nom de Père Denis de la Nativité. Cette tardive conversion ne le détourna point du siècle et lorsque, en 1638, les Portugais de Goa pensèrent à envoyer une ambassade à Atjéh afin de rétablir des relations plus cordiales avec le Sultanat, le vice-roi Dom Pedro de Silva demanda au Père Denis de se joindre à l'expédition. Lorsque la petite flotte arriva en vue de 1' "île des exilés" (c'est-à-dire l'île de Sabang), elle fut reçue à coups de canon par des vaisseaux hollandais, qui tâchèrent de lui interdire l'accès de la baie d'Atjéh. Après un furieux combat, au cours duquel l'ambassadeur Soza de Castro fut

u) Nous en avons fait abondamment usage dans notre Sultanat a" Atjeh au temps d'Is- kandar Muda, 1607-1636, Publ. de l'EFEO, vol. LXI, Paris, 1967.

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grièvement blessé, les Portugais parvinrent à forcer le barrage, mais dès qu'ils eurent touché terre, ils furent conduits au palais du Sultan et capturés. Plusieurs d'entre eux, dont Pierre Berthelot, furent mis à mort, pour avoir refusé de se convertir à l'Islam, et dans des conditions qui leur firent obtenir par la suite la palme du martyre. Nous n'avons pas conservé de récit rédigé par Berthelot lui-même mais plusieurs documents relatifs à sa vie, à sa mort et à sa béatification (12).

Compagnies et "grand projet'9.

La création d'une "Compagnie générale du commerce" par Richelieu, en 1629, puis celle d'une "Compagnie royale" par Colbert, en 1664, faillirent amener certains marchands et armateurs français à s'intéresser sérieusement à l'Océan indien. Aux entreprises individuelles viennent s'ajouter pour un temps les projets collectifs. La loge de Banten se maintint non sans succès jusqu'en 1682 et quelques marchands français parvinrent même à s'établir à Batavia. François Caron, un Hollandais d'origine française, qui après avoir commercé au Japon, était passé au service de Colbert, envisagea même un temps d'ouvrir des "loges" françaises à Djambi, à Palembang ou "dans le détroit de Banka", voire même à Makasar. En 1670, on envoya une forte escadre, commandée par de la Haye, pour appuyer sur place cette politique (13). Pourtant rien ne se réalisa de ces beaux projets d'installation; accusé de malversations par des collègues jaloux et soupçonné par Colbert, Caron mourut accidentellement en 1674, dans le port de Lisbonne; quant à la loge de Banten, elle finit par tomber en 1682, entre les mains des Bataves, qui y envoyèrent un détachement commandé par Isaac de Saint-Martin, un gentilhomme béarnais qui était entré au service de la Compagnie hollandaise. Les visées fiançaises se reportèrent sur le Siam (célèbre ambassade siamoise à Versailles) et les Hollandais eurent le champ libre dans l'Archipel.

Plusieurs récits nous sont parvenus, rédigés par certains des Français qui participèrent à cette âpre concurrence. Nous signalerons d'abord les Voyages de Jean-Baptiste Tavernier, "écuyer baron d'Aubonne" (u), surtout cités pour ce qu'ils nous apprennent sur l'Inde des Mogols et l'empire du Grand

12) Notamment un Voyage d'Orient, par le R.P. Philippe de la Très Sainte Trinité (Lyon, Juilleron, 1652). Consulter surtout la biographie du P. Denis par Ch. Bréard, Histoire de Pierre Berthelol, Paris, 1889.

l8) Voir notamment: Collet, op. cit., p. 81 sqq. 14) Les six Voyages de Jean Baptiste Tavernier, Ecuyer Baron d'Aubonne, en Turquie, en Perse

et aux Indes, pendant l'espace de quarante ans <& par toutes les routes que Von peut tenir, 3 vol. Paris, 1679.

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Turc, mais dont plusieurs chapitres (tome II, livre 3, chap. XXI à XXIX, et tome III, livre 5, intitulé: "Histoire de la conduite des Hollandais en Asie") concernent particulièrement l'Insulinde. Tavernier fut à Batavia et à Banten (qu'il orthographie "Bantam", selon l'habitude de l'époque) en 1648-49; son frère cadet l'y avait précédé dès 1638 et avait appris parfaitement le malais; il avait su si bien gagner les bonnes grâces du "Général Vandime" (le Gouverneur Van Diemen) qu'il en avait obtenu l'autorisation d'acquérir un gros vaisseau de 14 canons et de se livrer au commerce, au Siam, au Tonkin et jusqu'à Makasar.

Les doléances de J.B. Tavernier

Ce frère mcurut à Batavia, "d'un flux de sang qui provenoit des débauches qu'il avoit eu la complaisance de faire avec le roy de Bantam", alors que Jean-Baptiste se trouvait de passage dans la ville, et celui-ci nous raconte, non sans amertume, tout ce que les funérailles lui coûtèrent : "Pour le faire enterrer il me fallut suivre d'assez étranges coutumes que les Hollandois ont inventé pour faire dépenser de l'argent aux héritiers des deffunts. . .". D'une façon générale, Tavernier est fort mal disposé à l'endroit des Hollandais et il ne manque jamais une occasion d'en dire du mal; il suffira de citer ici les titres de quelques uns des chapitres du tome III: "Du peu de scrupule que font les Hollandois de ne pas tenir leur parole dans leurs capitulations et de plusieurs autres injustices," "Du peu de zèle des Hollandois pour l'avancement du christianisme aux Indes, du mauvais ordre de leurs Hospitaux et de leur défaut de charité", "De l'orgueil des femmes de Batavia, de leur crédit et de .leurs amourettes", etc ....

En dépit de cette partialité haineuse à l'égard des Bataves, le récit reste néanmoins précieux, par la pertinence des remarques et par la finesse des analyses. Ici, Tavernier signale l'importance du malais, comme langue parlée: "Depuis qu'on a passé les terres de l'obéissance du grand Mogol, la langue que l'on appelle malaye est parmi les Orientaux, ce que la langue latine est dans notre Europe" (t. II, p. 525); là, il indique les directions des principaux flux de métal blanc et nous apprend que les Chinois "aimant mieux l'argent que l'or, transportent en la Chine autant qu'ils peuvent de la monnoye d'argent qui se battoit à Batavia" (t. II, p. 541); ailleurs, il signale le préjudice porté à la Compagnie batave par le Sultan de Makasar, qui autorise le commerce de la girofle dans son port, "les Hollandois avec toute leur adresse ne pouvant empescher que le peuple de cette Isle ne trafique aux autres Isles où croissent les épiceries ".

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Une "Description du Royaume de Macaçar"

Plus intéressant peut-être encore pour l'historien, quoique également marqué du même parti-pris anti-batave, le récit paru sous le titre de Description du Royaume de Macaçar (Paris, 1688, rééd. Ratisbonne, 1700). L'auteur, Nicolas Gervaise, né à Paris en 1662, fut attaché pendant quatre ans à la mission de Siam et l'on a de lui une Histoire naturelle et politique du Royaume de Siam (1688), bien connue des orientalistes; parti en 1724 pour la mission de la Guinée espagnole, il fut massacré en 1729 sur les bords de l'Orénoque. On ne dispose pour l'instant d'aucun document prouvant de façon irréfutable qu'il ait séjourné à Celebes et en 1918, un critique hollandais a pu prétendre qu'il n'y avait jamais mis les pieds (15). La Description n'en est pas moins un chef-d'oeuvie et si Gervaise n'est pas allé lui-même à Makasar, c'est qu'il a publié sous son nom le récit d'un témoin oculaire; ce qui pour nous revient au même.

Outre une excellente analyse des ressources du pays, du système politique et social et des rapports (plutôt hostiles !) avec les "Toraja", réfractaires à l'Islam et redoutés "pour leurs subtils poisons", on trouve de pertinentes remarques sur la religion musulmane et la façon dont elle s'adapte à ce que les ethnologues appellent aujourd'hui le "substrat". La dernière partie est une longue description des principaux rituels observés au cours de la vie d'un homme, depuis sa naissance jusqu'à sa mort: purification, circoncision, mariage, funérailles. On y trouve notamment mention de la coutume, qui est d'ailleurs toujours en usage, de ne pas poser "les enfants de qualité" à terre avant qu'ils aient atteint huit ou neuf mois; "c'est pourquoi leurs nourrices ou leur gouvernantes les portent toujours entre leur bras ou sur leur épaules".

Très précise aussi la description de la cérémonie de la circoncision, au cours de laquelle on fait asseoir le jeune garçon sur une tête de buffle fraîchement tranchée: "L'enfant s'assied dessus entre ses deux cornes et s'y tient modestement pendant l'exhortation que le grand Agguy (Gervaise traduit un peu plus haut par "grand prêtre") luy fait. L'exhortation finie, il teint son front du sang qui coule de la tête sur laquelle il est assis et luy prenant la main droite, il fait pour luy la profession de foy ... ". On ne saurait

H.T. Damsté, dans un article intitulé Een Franschman over Celebes in 1688, "Ecrit d'un Français sur Celebes en 1688", in Koloniaal Tijdscbrift, 7, 1918, pp. 1383- 1398.

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trop insister sur la richesse de ce texte, dont la réédition s'imposerait en priorité (16).

A noter que dans plusieurs des Voyages à Siam, rédigés par des missionnaires ou des diplomates français entre 1684 et 1688 (notamment dans celui de l'Abbé de Choisy et dans celui du Père Tachard), on trouve généralement plusieurs pages consacrées à l'escale à Batavia (l7).

XVIlIème s. — Relative rareté des contacts

Au cours des premières décennies du XVIlIème s., les intérêts commerciaux français se trouvent concentrés surtout dans l'Inde propre (Pondichéry) et l'attention des autorités et des marchands ne se porte qu'accidentellement sur l'Archipel. François Martin envisage bien en 1700 d'enlever Batavia à la Hollande ("L'on serait les maistres après, de ce qu'elle a de meilleur dans les Indes . . . "), mais à aucun moment il ne lui est possible d'exécuter ce projet.

La communauté française, toute huguenote, de Batavia ne compte en 1721 que trente-deux personnes Ç*) et c'est surtout un hasard si Abraham

16) Une réédition de la traduction anglaise (Nicholas Gervaise, An historical description of the kingdom of Macasar in the East Indies London, 1701) est annoncée comme "in preparation" dans le Subject Catalogue 1969/70 de Gregg International Publishers

Limited (p. 12). Ajoutons que le petit traité de Gervaise présente encore un autre intérêt; dans la dédicace adressée au R.P. de La Chaise, il est fait mention de deux jeunes princes makasarais envoyés en France pour y faire leurs études sous la surveillance des Jésuites. Exilé de Makasar, leur père se serait réfugié d'abord à Java, puis au Siam, et c'est à Ayuthia qu'il aurait trouvé la mort au coûts d'une révolte; ses deux, fils devenus orphelins auraient été recueillis par les missionnaires français, convertis au christianisme et expédiés à Paris. On a d'autre part des lettres, en français, adressées par le célèbre aventurier Constantin Phaulkon, favori du roi de Siam, Narai, à des étudiants faisant leurs études en France. Il est à penser qu'une étude plus poussée permettra de retrouver la trace du passage de ces deux jeunes princes à Paris.

17) A signaler aussi le séjour à Batavia en 1696-7, de François Léguât, huguenot réfugié aux Pays-Bas en 1689, parti poui l'Océan indien, naufragé en "l'isle Diego Rodrigo" de 1691 à 1693, transféré à l'île Maurice puis à Java; son lécit, publié à Amsterdam en 1708, s'intitule : Voyage et avantures de François Léguât et de ses com

pagnons en deux isles désertes des Indes Orientales, avec h Relation des choses les plus remarquables qu'ils ont observées dans Visle Maurice, à Batavia, au Cap de Bonne Espérance, le tout enrichi de cartes et de figures (2 tomes) ; le passage concernant Batavia est au tome II, pp. 79 à 137, et comporte une bonne description de la société hollandaise et chinoise et pour finir des Javanais, "qui pourroient se plaindre de n'avoir pas été nommez les premiers si l'usage ne vouloit pas que les riches allassent devant . . . .".

18) Cf. Nederlandsch-indisch Plakaatboek, éd. J.A. van der Chijs tome IV, 1887; en date du 2 septembie 1721 (p. 153): "Aanstelïing van een voorlezer bij de Fransche ge- meente te Batavia; die gemeente was weder tot 32 koppen engegroeid". (Nomination d'un "lecteur" dans la communauté française; cette communauté s'est de nouveau augmentée et se monte à 32 personnes).

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Patras, natif de Grenoble mais émigré aux Pays-Bas lors de la Révocation de l'Edit de Nantes, se trouve occuper de 1735 à 1737 le poste suprême de Gouverneur général des Indes. De Voyage, nous ne voyons guère à signaler alors, que celui du Portugais d'origine française, Innigo de Biervillas (son père se nommait Bierville !), paru à Paris en 1736 (19).

La Guerre de sept ans est à l'origine d'un exploit isolé et sans lendemain : l'apparition en 1760, au large de Sumatra de la frégate de la Compagnie des Indes, la Boullogne; l'équipage, commandé par le Comte d'Estaing, se rend maître des comptoirs anglais de la côte occidentale (dont Fort Marlborough, c'est-à-dire Bengkulu); mais les "Forts et Etablissements français à la Côte de Sumatra" seront bientôt rétrocédés à la Compagnie de Batavia, faute de garnisons pour pouvoir en assurer la défense. Séjour bref également et sans conséquence que celui de la flotte du Bailli de Suffren dans la rade d'Atjéh en 1782 (2°).

La deuxième moitié du XVIIIème s. voit la réalisation de plusieurs voyages de circumnavigation entrepris dans un but surtout scientifique. Louis Antoine de Bougainville, envoyé par Choiseul en 1766, atteint les Moluques par le Grand Océan, longe la côte nord-ouest de la Nouvelle Guinée, fait voile vers Ceram et relâche à Batavia en 1768 (21); d'Entrecasteaux, parti en 1791 à la recherche de Lapérouse, passe par les Moluques, mais meurt au large de Java; son second, d'Auribeau, vient mouiller à Surabaja (19 octobre 1793) («).

Pierre Poivre et Pierre Sonnerat

Deux voyageurs, lyonnais l'un et l'autre, méritent plus spécialement de retenir ici notre attention. L'un d'eux est Pierre Poivre (1719-1786), resté célèbre pour avoir introduit aux Mascareignes la culture de la muscade et de la girofle, jusqu'alors "monopolisée" par la Compagnie hollandaise. Sa bio-

19) Voyage d' Innigo de Biervillas, portugais, à la côte de Malabar, Goa, Batavia et autres lieux des Indes Orientales, Paris, 1736.

20) Cf. Morls, Journal de bord du Bailli de Suffren dans l'Inde 1781-1784, Paris, 1888.

al) Voir son célèbre Voyage autour du monde par la frégate du Roi "la Boudeuse" et la flûte "l'Etoile", 1766-1769, 2 vol., 1771-1772.

Sï) C'est pour y apprendre que Louis XVI a été exécuté ; d'Auribeau fait hisser le drapeau blanc en dépit de l'opposition des officiers républicains ; sur ces événements et les troubles qui s'ensuivirent, voir La Billardière, Relation du voyage à la recherche de La Pirouse fait par ordre de Assemblée constituante, Paris, an VII,

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graphie comporte encore plusieurs incertitudes (23). En 1741, il était à Macao et en 1745 se rembarquait pour l'Inde. Parvenu dans le détroit de Malaka, le vaisseau qui le portait fut attaqué par une escadre anglaise et il perdit l'avant-bras droit au cours du combat qui suivit. Fait prisonnier par les Anglais, Poivre fut transféré à Batavia où on le soigna; trois mois plus tard, il pouvait continuer son voyage vers Pondichery. Entré par la suite au service de la Compagnie française des Indes, il fit ouvrir un comptoir à Fai-fo (près de l'actuelle ville de Hué au Vietnam). Devenu Gouverneur de Bourbon en 1767, il y introduisit les précieuses épices. Rentré dans la vie privée en 1773, il s'installa à la Fréta, une propriété qu'il avait près de Lyon, et passa le reste de sa vie à dicter ses mémoires.

De ses écrits, seule une petite partie parut de son vivant sous le titre de Voyages d'un philosophe (Yverdun, 1768, in 12). On y trouve des réflexions très générales sur les sociétés asiatiques et notamment ce passage curieux sur le "système féodal des malais" (rééd. 1797, pp. 118-119): "Les malais sont gouvernés par les lois féodales; par ces lois bizarres imaginées pour défendre contre le pouvoir d'un seul la liberté de quelques uns en livrant la multitude à l'esclavage Une petite partie de la nation vit indépendante sous le titre d'orang-caïo (= orang kaja) ou noble et vend ses services à celui qui les paye le mieux le corps de la nation est composé de serfs et vit dans l'esclavage".

Plus utiles pour notre connaissance de l'Insulinde au XVIIIème s., les pages qu'il rédige après son séjour forcé à Batavia (24). On y trouve d'intéressants développements sur l'état de la Compagnie (plutôt mauvais, à la suite des "troubles" de 1740!) et sur la personne de son Gouverneur général, "M. le Baron Dimenoff", c'est-à-dire le Baron van Imhoff, dont il nous trace ce portrait nuancé: "II feroit en sa personne le modèle d'un parfait gouvernement s'il sçavoit se faire aimer comme il a sçut se faire craindre soit des hol- landois qui dépendent de lui, soit des nations voisines de Batavia". Il nous parle de la tentative avortée du Gouverneur pour entreprendre un commerce direct transpacifique avec les colonies espagnoles d'Amérique du sud, ainsi

iZ) Une première biographie de Pierre Poivre a été rédigée par Dupont de Nemours et éditée en tête des "Oeuvres complettes", parues à Paris, chez Fuchs, en 1797. Ce nom d' "Oeuvres complettes" ne doit pas faire illusion; il subsiste en fait un ttès grand nombre d'inédits.

2*) Ce texte resté longtemps inédit, a été récemment publié par Louis Mallei et: Un manuscrit inédit de Pierre Poivre; les mémoires d""un voyageur, texte reconstitué et annoté, Publ. de l'EFEO, vol. LXV, Paris, 1968. Sur Poivre, on peut également consulter: Madeleine Ly-Tio-Fane, Pierre Poivre et l'expansion française dans r Indo-Pacifique, in BF.FEO, tome LUI, 2, Paris 1967, pp. 453-511, avec XIV planches.

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que des "bénéfices excessifs" procurés à la Compagnie par le commerce du Japon : "Ce qu'il y a de surprenant c'est que les autres Européens abandonnent ainsi un commerce aussi lucratif; on devroit tenter d'en partager les profits. . . ". Ailleurs, il signale la triste condition de quelques malheureux Français déserteurs qui avaient pris du service à Java : "Au lieu des thresors qu'ils espe- roient, ils n'ont trouvé dans le service de ces Républicains que la plus grande misère et des coups de bâtons...". Enfin, toujours très intéressé par les règnes animal et végétal, Poivre donne une description de plusieurs plantes et animaux d'Insulinde; il note en particulier que "les raisins y sont assez bons" et qu'ils "ont formé dans tous les environs de Batavia des jardins magnifiques dont le coup d'oeil surprend agréablement l'étranger".

Pierre Sonnerat (1745-1814) était également lyonnais et cousin de Poivre qui le fit venir à Bouibon. A partir de 1768, il explora plusieurs régions d'Extrême-orient et y recueillit de précieuses collections dont il enrichit le cabinet d'histoire naturelle de Paris. Il ne revint en France qu'en 1805. Il nous a laissé un Voyage à la Nouvelle Guinée, concernant en fait surtout les Moluques du Nord-est (1776, in 4°, 120 fig.), et un Voyage aux Indes orientales et à la Chine de 1774 à 1781 (1782, 2 vol. in 4° et 1806, 4 vol. in 8° avec un atlas).

Un prince de Timor à Lorient

Citons encore ici un texte curieux, attestant le passage en France d'un jeune noble originaire de l'île de Timor. Il s'agit d'un pamphlet de 31 pages, adressé "au Roy" en 1768 et rédigé par un avocat de Paris, Me Lethinois; le titre en est: Requête au Roy pour Balthazar Pascal Celse , fils aîné du Roy et héritier présomptif des royaumes de Timor et de Solor dans les Moluques. Converti au catholicisme par un Dominicain portugais, le malheureux Balthazar a été emmené à Macao et réduit en esclavage; après une longue odyssée, il vient d'échouer à Lorient et demande par l'intermédiaire de l'avocat que le roi de France lui donne les moyens de s'en retourner dans son pays et de récupérer son royaume: "SIRE, le prince de Timor met dans la grandeur & dans la bienveillance de VOTRE MAJESTE tout l'espoii qui lui reste après tant d'infortunes; il ose croire, il ose s'assurer que son attente ne sera point trompée, il se flatte que sa reconnaissance suivra de près sa prière.. .". Il ne semble pas que les services de M. de Choiseul aient donné suite.

L'Insulinde "philosophique"

A côté de ces voyages individuels, relativement peu nombreux, il convient de signaler la parution d'un certain nombre de publications relatives à l'Insulinde, traductions pour la plupart. En France, comme ailleurs en Europe,

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les "lumières" se passionnaient pour "les Indes" et cet intérêt était à l'origine de plusieurs ouvrages d'envergure. Dès le début du siècle, René Auguste de Renneville, un "réformé" réfugié en Hollande puis en Angleterre, publiait un Recueil des voyages qui ont servi à rétablissement et aux progrés de la Compagnie des Indes Orientales (Amsterdam, 1702-1705, 5 vol. in 12). En 1706, paiaissait à Amsterdam une traduction française du traité d'Argensola intitulé: Histoire de la conquête des Moluques par les Espagnols, par les Portugais et par les Hollandais, source importante pour l'histoire des Moluques aux XVIème et XVIIème s. Signalons aussi que le Grand Dictionnaire géographique, historique et critique de Bruzen de la Martinière comporte un excellent article "Batavia" (éd. de 1748, 1. 1, p. 106), dont la matière a été puisée dans des sources hollandaises.

En 1763, J.P.J. Dubois, secrétaire de l'ambassadeur de Pologne en Hollande, publiait une importante compilation destinée au public francophone : Vies des gouverneurs généraux des Indes orientales avec Vabrégé de l'histoire des établissements hollandais (La Haye, in 4°); la matière y est présentée chronologiquement, selon les "règnes" successifs; on y trouve plusieurs cartes et plans et, à la fin, une traduction des Réflexions du Gouverneur van Imhoff. Citons encore les travaux cartographiques de Danville (sa carte de l'Archipel de 1752 aura les éloges de Bougainville) et surtout la célèbre Histoire philosophique et politique de l'Abbé de Raynal (1 ère éd. La Haye, 1774), dont le livre second (tome, I, p. 141-258) consacré aux "Etablissemens, guerres, politique et commerce des Hollandais dans les Indes Orientales", fit sans doute plus que tout autre ouvrage pour informer le grand public sur ces questions.

Cet intérêt se maintient jusqu'à l'extrême fin du siècle. En 1796 ("An IV"), parait à Paris une traduction des Voyages du botaniste suédois C.P. Thunberg, "au Japon, par le Cap et les Isles de la Sonde", avec des commentaires dus aux citoyens L. Langlés et J.B. Lamarck. L'ouvrage comporte un gros chapitre sur Java que Langlés avait enrichi de compléments, empruntés aux premières publications de la "Société Batave" (fondée en 1778) ainsi que de lexiques malais et javanais. En 1798 ("An 6 ème"), H.J. Jansen publiait, à Paris également, la traduction qu'il avait faite du Voyage de J.S. Stavori- nus, chef d'escadre de la République batave, "à Batavia, à Bantam et au Bengale, en 1768, 69, 70 et 71"; dans sa préface, il envisageait déjà le moment où, la paix étant revenue en Europe, il serait possible de s'intéresser à nouveau à ces lointaines contrées: "A cette heureuse époque, les vues se porteront sans doute vers les grandes spéculations commerciales dans les deux Indes, les seules qui soient propres à ramener promptement l'abondance et la pros-

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périté " Formule prophétique dont la vérité se vérifiera tout au long du XIXème s.

Un "Jacobin" Gouverneur de Java

Le rêve, successivement caressé par Caron, par Martin, puis par Poivre, de voir la France s'installer de façon durable en lnsulinde, faillit devenir réalité lorsque les guerres "de la Révolution et de l'Empire" eurent remis en question, en Asie comme en Europe, l'équilibre incertain qui s'y était jusqu' alors maintenu. Ce n'est pas le lieu de reprendre ici dans le détail l'histoire des quelque quinze années qui vont de l'expiration du privilège de la Compagnie des Indes Orientales (1799) à la rétrocession de la colonie à la couronne des Pays-Bas (traité de Vienne, 1815), ni celle des "activités françaises" dans l'Archipel à cette époque. On trouvera dans la monographie de O. Collet, Ulle de Java sous la domination française (Bruxelles, 1910, 558 p.), grande abondance de détails sur la personne et le "règne" du célèbre Daendels, né en Gueldre mais acquis aux "idées françaises" et nommé Gouverneur général par Louis Bonaparte, lorsque celui-ci eut été promu Roi de Hollande. Parvenu à Java au début de 1808, il y prit toute une série de mesures pour défendre l'île contre le blocus anglais et n'hésita pas à faire hisser le drapeau français lorsque la nouvelle lui fut parvenue du rattachement des Pays-Bas à l'Empire (février 1811) (»).

Durant les quelques années que dura cet "intermède", un grand nombre de Français fut amené à passer par Java, ingénieurs, officiers, marins ou soldats, venus pour défendre l'île contre les Anglais. L'un d'entre eux, le capitaine du génie Charles François Tombe nous a laissé un intéressant Voyage aux Indes Orientales pendant les années 1802-1806 (Paris, Bertrand, 1811, 2 vol. avec atlas); naufragé en 1805 dans le détroit de Bali, il nous décrit notamment le pénible voyage qu'il dut accomplir par terre "de Bagnouwangui à Gressec", à un moment où la fameuse route de Daendels n'était pas encore construite. Le tome II comporte (pp. 241 à 348) un "Abrégé des principes de la langue malaise", suivi d'un petit vocabulaire. A signaler encore le Journal des opérations militaires qui ont eu lieu à Java jusqu'au jour où la colonie capitula, rédigé par le brigadier général Jauffret (26), ainsi que le Précis de la campagne de Java en 1811 , rédigé en français par Bernard, duc de Saxe Weimar Einsenbach (La Haye, 1834).

28) Signalons ici la récente thèse de J. Eymeret, Herman Willem Daendels général napoléonien gouverneur à Java, Paris, 1968, exempl. dactyl.

*•) Publié dans la Repue militaire indonéerlandaise, 1879, p. 502.

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1815-1869. Multiplication des contacts

Lorsque le Congrès de Vienne eut rétabli l'ordre néerlandais dans les Indes, la situation se trouva sensiblement changée. Devenue colonie de la couronne, l'Insulinde devint l'objet d'investigations de plus en plus poussées; d'autre part, le rattachement des Pays-Bas à la Belgique francophone eut pour effet immédiat de multiplier pendant quinze ans au moins (de 1815 à 1830) les publications en langue française sur l'Archipel. Nombreuses les traductions qui paraissent alors, afin d'éveiller en pays wallon un certain intérêt pour ces îles lointaines, nombreux aussi les textes originaux directement écrits en français, tel le célèbre Coup d'oeil sur l'île de Java, publié en 1830 par le Comte de Hogendorp, qui s'explique ainsi dans sa préface: "Mes concitoyens, dans les provinces septentrionales, du moins ceux auxquels cet ouvrage peut offrir quelque intérêt, possèdent la langue française, tandis que dans quelques unes de nos provinces méridionales, il en est auxquels la langue néerlandaise n'est point familière et cependant ce sont ceux-ci qui, ayant eu jusqu'à présent des relations moins anciennes et moins intimes avec nos colonies orientales, sont par là moins à même d'apprécier ces belles possessions à leur juste valeur".

Cette tendance se maintiendra après la partition de 1830, et c'est encore en français que le grand naturaliste CJ. Temminck (1770-1858) écrira son Coup d'oeil général sur les possessions néerlandaises dans l'Inde Archipélagique (Leyde, 1846-1849, 3 vol.), afin, nous dit-il, "d'être mieux compris du monde savant". En français aussi, que le Baron P. Melvill de Carnbée, excellent géographe et auteur de cartes marines, éditera de 1847 à 1849, à La Haye, son Moniteur des Indes Orientales et Occidentales, qui fourmille de renseignements tant ethnographiques qu'économiques. Non seulement les Belges, mais aussi les Français vont donc être susceptibles d'en savoir davantage sur l'Insulinde.

La curiosité pour les autres mondes est d'ailleurs en train de faire des progrès à Paris. La Société de Géographie y est fondée en 1821 et la Société Asiatique en 1822; plusieurs voyageurs, comme Freycinet et Domeny de Rien- zi, qui sont passés par l'Archipel au cours de leurs pérégrinations, y font des communications. Au cours d'un voyage en Angleterre, l'orientaliste Edouard Dulaurier s'intéresse aux manuscrits malais et javanais conservés à Londres; il ouvrira en 1841 un cours de malais et de javanais à l'Ecole des Langues Orientales. Nous savons d'autre part que le grand peintre javanais Radén Saleh se rendit en France, au cours du long séjour d'étude qu'il fit en Hollande; il obtint un certain succès dans les salons parisiens en 1848, puis suivi

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Horace Vernet en Algérie (27). Il n'est pas jusqu'à Victor Hugo qui passe pour avoir alors traduit quelques pantun (28).

Mais un fait surtout va multiplier pendant plusieurs décennies les départs de Français pour l'Insulinde. La guerre qui pendant vingt cinq années a fait rage en Europe, cesse, juste au moment ou le gouvernement de Batavia

*7j Sur Radén Saleh, voit notamment la petite étude de Dr. Soekanto, Dua Raden Sa/eh, dua nasionalis dalam àbad ke-19, Djakarta, 1951. Dans son Voyage autour du monde, dont nous reparlerons un peu plus loin le Comte de Beauvoir raconte ainsi l'entrevue qu'il eut à Batavia, le 13 décembre 1866, avec le grand peintre, revenu à Java: "Nos petits poneys galopeurs nous firent de nouveau parcourir les longues avenues qui mènent aux glacis de la citadelle, et nous descendîmes au chalet historié et enluminé du peintre Raden-Saleh, qui a passé nombre d'années dans les cours de l'Europe, courant d'aventure en aventure. N'est-ce point pour lui qu'une miss anglaise s'est empoisonnée? N'est-ce point lui qui a servi de type à Eugène Sue dans les Mystères de Paris ? Il est l'original architecte de sa demeute qu'il a peinte en rose tendre; elle est ombragée de tamariniers et de flamboyants et donne sur les enclos du jardin botanique où gambadent les panthères noires et les tigres royaux : ce sont les modèles qui lui servent pour ses tableaux, dans lesquels il excelle à rendre les brillants effets de la nature des tropiques .11 parle un peu français et très bien allemand: "Ah 1 nous disait-il dans cette dernière langue, je ne rêve plus qu"à l'Europe; car là on est si ébloui qu'on n'a pas temps de penser à la mort ! "Singulier contraste que celui d'entendre cet homme de couleur, en veste verte et en tuban rouge, armé d'un kriss et d'une palette, parler dans la langue de Goethe de l'art français, des beautés anglaises, des souvenirs curieux de sa vie européenne "

2a) Dans un ouvrage dont nous reparlerons p. 159, Quinze ans de iéjour à Java (Tours, 1863), on trouve, aux pp. 144-5, le passage que voici: "Voici la traduction presque littérale que M. Victor Hugo a faite d'un pantou (sic) malais fort connu, et auquel on ne saurait refuser de la grâce et un certain mouvement poétique:

Les papillons voltigent vers la mer, Qui du corail baigne la longue chaîne. Depuis longtemps mon coeur sent de la peine, Depuis longtemps j'ai le coeur bien amer Les papillons voltigent vers la mer,

î Et vers Bandan un vautour tend ses ailes; Depuis longtemps, belle parmi les belles, Plus d'un jeune homme à mon regard fut cher. Et vers Bandan un vautour tend ses ailes; Ses plumes, là, tombent sur Patani Plus d'un jeune homme à mon coeur fut uni. Mais tout le cède à mes amours nouvelles. ..."

Dans le recueil de Pantun Melaju, publié par Balai Pustaka, on trouve, p. 104, no. 552, le texte malais d'un pantun dont une variante aurait pu servir de modèle au troisième des quatrains reproduits ci-dessus:

Bu rung nuri terbang ke Padang bulunja djatuh ke Patani. Banjak muda sudah kupandang, tiada sama mudaku ini.

Après V. Hugo, Leconte de Lisle, Baudelaire, R. Ghil s'essayèrent tour à tour à composer des "pantoun" (ou des "pantou m" 1).

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éprouve le besoin d'augmenter les effectifs de son Armée coloniale. De plus les changements politiques se succèdent en France (1815, 1830, 1848), con

traignant à l'exil bon nombre de familles compromises; beaucoup de ces "chômeurs" gagnent les Pays-Bas et se laissent séduire, lorsqu'ils sont assez

jeunes, par les promesses des recruteurs : "Là, continua mon interlocuteur — c'est un exilé français qui nous rapporte la conversation — s'ouvre pour vous une carrière brillante; vous pouvez comme militaire, y obtenir un avancement rapide, et en même temps prendre part à des spéculations commerciales qui vous conduiront à la fortune; car dans nos colonies, l'état militaire n'est pas incompatible avec ces sortes d'opérations "

L'armée des Indes néerlandaises était au fond une sorte de "légion étrangère" et nombreux les Européens de tous grades qui cherchèrent à s'y engager, tout au long du XIXème s. On sait qu'en 1876, Arthur Rimbaud y prit du service et fut envoyé à Java; il déserta moins d'un mois après son arrivée à Batavia (29) et parvint à regagner l'Europe dans des conditions encore assez mal connues; il ne nous a laissé aucun récit de cette aventure, mais certains autres engagés n'ont pas observé le même silence (30).

Un légitimiste dans l'Armée des Indes

Un certain J.J.E. Roy a recueilli et publié les souvenirs de l'un d'entre eux, "ancien officier de la garde royale de Charles X", chassé par la Révolu-

29; Sur cette "aventure" de l'auteur du Bateau ivre, voir L.C. Damais, A. Rimbaud à Java in Bul. Soc. Et. Indoch., XLII, no. 4, 1967, pp. 339-349.

8o) Nous sommes loins de connaître les noms et les aventures de tous les officiers français engagés dans l'armée des Indes et il n'est pas impossible que certains de leurs récits dorment encore inédits dans quelque bibliothèque privée. Certains d'ailleurs, plus aventureux encore, n'avaient pas hésité à prendre du service auprès des souverains "malais" indépendants; à preuve ce colonel Delorme, qui avait construit les fortifications de la ville de Boné, à Celebes sud, et dont le Général Baron Lahure (aide de camp du roi Leopold et belge de naissance) nous conte brièvement l'histoire dans son récit intitulé Utle de Celebes, (Bruxelles, Rotterdam, 1880 p. 110): "Depuis la restitution des colonies à la Hollande (1815), cette souveraine (la reine de Boné) n'avait pas cessé un seul instant de se tenir en communication avec les émissaires britanniques. Elle avait reçu des armes, de l'artillerie et des munitions nombreuses par cette voie; un colonel français exilé, M. Delorme, avait même fortifié à l'européenne la ville de Boni, ainsi que son port de Badjoua (Badjo-é), avec une perfection si grande que les Boughinais considéraient leurs positions militaires comme capables de défier indéfiniment les moyen? d'attaque et les ressources dont peut disposer un corps expéditionnaire dans ces régions lointaines . . Une fois ces travaux importants terminés, elle (la reine) avait trouvé tout naturel de se débarrasser de l'infortuné colonel par des moyens sommaires; elle donna une fête nautique en son honneur; la pirogue qu'il montait était conduite par quatre habiles nageurs qui coulèrent l'embarcation et se sauvèrent à la côte tandis que Delorme perdait la vie dans les flots .. .." (Nous devons cette intéressante référence à Christian Pelras).

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tion de 1830 et resté anonyme; le texte s'intitule Quinze ans de séjour à Java et dans les principales îles de la Sonde (Tours, Marne, 1863). Engagé comme capitaine, le jeune homme arrive à Batavia, avec son régiment. La ville n'a guère que 60 000 habitants et se remet comme elle peut de la chute démographique provoquée par la terrible épidémie de choléra de 1822. Après quelques mois passés dans la capitale des Indes, dont il nous décrit avec admiration les quartiers alors nouveaux de Weltevreden et de Meester Cornelis, il est envoyé en garnison à Java centrale, où l'"ordre" vient d'être rétabli. A Surakarta, il est l'hôte d'un certain Tsmaêl Kayam, "lourah de la garde du sousounan", qui le reçoit "avec une hospitalité des plus affectueuses", tout heureux de voir un Français, c'est-à-dire un compatriote du "grand Napoléon". "Est-ce que vous avez été un guerrier de ce grand conquérant ?" lui demande avec intérêt le lurah. "Non, lui répond notre légitimiste, j'étais trop jeune alors". Et d'ajouter à notre seule intention: "Je ne jugeai pas à propos de lui expliquer les autres motifs qui m'auraient empêché, même quand j'aurais eu l'âge, de servir sous Napoléon. .."

Il utilise les loisirs assez nombreux que lui laisse son métier militaire, pour se mettre à l'étude du malais et du javanais et au bout de deux à trois ans de séjour, est à même "non seulement de converser avec les indigènes de Java et les autres Malais, mais de lire et de comprendre les ouvrages écrits en djawi et en kawi". Dans son chapitre VII, il nous fait un exposé assez exact sur les littératures malaise et javanaise, en y joignant un résumé du sjair Bi- dasari. Il visite aussi les principaux sites archéologiques de Java, y compris le fameux temple du Sukuh (sur le flanc du Mont Lawu) qu'il nous décrit en ces termes: "Une des constructions principales consiste en une pyramide tronquée qui s'élève sur le sommet de trois terrasses superposées les unes au dessus des autres. Près de la pyramide sont des sculptures, deux obélisques et des tougou ou bornes et des piliers en partie renversés .... On distingue parmi ces ruines une statue humaine d'une taille gigantesque ayant des bras ailés comme les chauves souris (très vraisemblablement une allusion à une des effigies de Garuda) Toutes ces sculptures qui semblent appartenir à une autre époque que celle de Boro-Bodo (Borobudur), de Malang ou de Brambanan (Prambanan), sont exécutées avec moins d'art, moins travaillées . .

Par un reste de leurs anciennes superstitions quand les naturels du pays veulent se préserver de quelque malheur, ils ont coutume de faire du feu et de brûler des parfums dans ce temple". On pourrait citer parallèlement de bonnes descriptions concernant les "compositions dramatiques des Javans", leurs danses masquées et leurs "scènes ombrées".

Après ce séjour à Java central, l'officier revient à Batavia et part avec

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son régiment "contre les pirates de la côte de Billiton". Après quoi il sillonne l'Archipel en tous sens, se rendant à Palembang, à "Benkoulen", à "Sambass" (et dans la petite colonie chinoise de "Matrado"), à Pontianak, puis à Celebes, à Amboine et pour finir, à Bali, lorsque, en 1844, les Hollandais interviennent sur la côte nord de l'île, contre le "radjah de Bliling".

Le Récit du Comte de Beauvoir

Dans son Voyage autour du monde, qui connut à l'époque un singulier succès (31), le Comte de Beauvoir (dont Mme Simone de Beauvoir nous dit dans La Longue Marche qu'il était son grand-oncle) ne consacre pas moins de 213 pages à Java. Il ne resta guère plus d'un mois dans l'île (du 10 novembre au 15 décembre 1866) mais eut néanmoins le temps de visiter les principautés du centre. Les sept chapitres concernant cette partie de son itinéraire se trouvent en tête du tome sur Java, Siam et Canton et s'intitulent comme suit: I. — Une semaine à Batavia; IL — Chasse aux crocodiles et aux rhinocéros; IL — Volcans et marais; IV. — Un Sultan; V. — Djokjokarta et Boroboudor; VI. — Le système colonial; VIL — Souvenirs et récits. Son style désinvolte est souvent méprisant à l'endroit de l'"indigène", voire même irrespectueux à l'égard du colon hollandais. Bien que trahissant un goût certain pour l'exotisme, le récit ne manque pourtant jamais d'esprit, ni de bon sens. Certains des "thèmes", qui seront repris comme des leitmotiv par les voyageurs ultérieurs, figurent déjà ici.

Beauvoir s'étonne par exemple longuement devant le "rite" du rijstafel auquel il est convié le premier soir dans la salle à manger de l'Hôtel "der Nederlanden" : "Quarante huit espèces différentes de piments, une montagne de riz qui cache un microscopique pilon de poulet-pigeon ....". Même sur- pi ise devant l'usage du guling: "un long boudin de deux mètres, fait en nattes, gros comme un traversin ordinaire on a eu la complaisance de m'expli- quer qu'aucun habitant de Java ne dormait sans ce produit végétal qu'il faut garder entre les jambes pour rafraîchir tout le corps ".Sa visite au Musée de la Société Batave (qui n'était pas encore aménagé dans le bâtiment où se trouve aujourd'hui le Museum) ne témoigne pas non plus d'un esprit très objectif: "Le musée est si curieux que le voyageur qui n'est point versé dans le sanskrit n'y comprend rien, mais c'est magnifique! Divinités javanaises, sundanaises, baliennes, hindoues, à gros ventre, yeux en coulisse, bosses, double face, demi-douzaine de bras et de pieds en l'air, poulets à cinq pattes

8l) Nous avons consulté l'édition de 1878, qui est la douzième (Paris, chez Pion).

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"La rade de Bantan" — Voyage du P. Tachard, 1689 (Cf. p. 150)

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Voyage du Comte de Beauvoir, 1866 (Cf. p. 161)

L'Hôtel français de Bogor. Voyage de X. Brau de Saint-Pol Lias, 1880 (Cf. p. 164)

&» fils aîné dtt stilfan <îe SonmknrUi,

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Les établissem

ents "Cger frères" (près du

carrefour Harm

oni), illustr. du Tour du

monde,

1864. (Cf. p.

162, rote 34 et

p. 163)

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Hadji Andi' Bau' Muddaria et sa mère Hadji Andi' Ninnong (les deux premières à gauche au deuxième rang; avec leur suite. Selon l'usage ancien, tout and1 sengngeng devait se faire accompagner de suivants portant son aiguière, son crachoir, ses services à bétel, ainsi que, pour les hommes ou pour les femmes revêtues d'un pouvoir politique, par un porteur de lance.

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en argent, lampes anciennes et tams-tams sur lesquels nous produisons des bruits étourdissants (32), que sais-je ? on en rêverait !" Tout ceci annonce bien la condescendance des touristes futurs

Mais il y a pourtant intérêt à suivre Beauvoir au coeur des "Preanger" (-— Priangan) où il se prépare à pénétrer; sa plume va nous faire découvrir une Java assez différente de celle que nous pouvons connaître. Partis en chaise de poste, attelée de quatre poneys, les voyageurs arrivent à Buitenzorg où on leur montre bien sûr le jardin botanique mais aussi le "bois sacré de Battou- toulis" (33). Le lendemain l'équipage arrive "au pied de la grande montagne de Megamendung" et les poneys essoufflés ne peuvent continuer la route. "Dix buffles viennent alors les remplacer et ce changement à vue fait de notre rapide carrosse de tout à l'heure, un coche lent et attardé: nous gravissons sous un soleil de plomb les quatre mille sept cent quatre vingt pieds du Megamendung, en nous enfonçant dans la forêt vierge " Beauvoir nous décrit ensuite son séjour à Bandung, la chasse au rhinocéros qu'organise spécialement le Régent (car on chasse encore le monstre à six lieues de la ville), l'ascension du "Tangkoubanprahou", qui s'effectue à dos de poney, puis la réception à la cour de Surakarta, puis à celle de Djogdjakarta (spectacles, visite de la ménagerie), et pour finir une séance de "kedebous" à laquelle il assiste à Batavia (transe au cours de laquelle les fervents se piquent avec des pointes de fer).

Mais à côté de cette "Java des mille et une nuits" qu'il nous décrit com- plaisamment avec l'intention manifeste de nous étonner, Beauvoir sait aussi saisir les problèmes de fond. Il nous parle de la première ligne de chemin de fer que l'on est en train de construire entre Semarang et Surakarta et qui supprimera le portage à dos d'homme sur ce tronçon. Il consacre tout un chapitre à analyser le système colonial et plus spécialement le fameux "système des cultures" que son libéralisme réprouve: "Ce que je souhaiterais pour Java, c'est que l'Etat cessât d'y être cultivateur et marchand". Il définit enfin avec perspicacité les motivations de la petite société hollandaise des Indes: "Comment, après les délices si bien méritées dans une pareille oasis, revenir habiter une rue boueuse et brumeuse de Hollande et y vivre sans vingt chevaux et sans quatre-vingts serviteurs ? La Hollande n'est plus qu'un drapeau aimé

82) Probablement quelques uns des fameux tambours de bronze d'époque proio- historique qui ornent aujourd'hui la salle de préhistoire!

83) II s'agit bien tûr du site de Batu tulis cù se trouve encore aujourd'hui une des plus anciennes inscriptions en soundanais. Beauvoir ajoute les détails que voici: ,,Une déesse est censée avoir tracé des caractères hiéroglyphiques sur une pierre plate placée verticalement ; l'empreinte de ses pieds est restée gravée dans le roc puis la terre s'entr'ouvrant (la crevasse existe) l'aurait avalée comme une pilule . ..",

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passionnément de ces coeurs patriotes; il leur faut de temps à autre l'aller revoir mais l'espace, la richesse et le soleil, le commandement y font défaut pour les heureux de Java que le monopole a faits ici pachas et rois et qui ne sont point tentés de redevenir chez eux contribuables, administrés et locataires " (34).

1869-1900. Hommes d'affaires et "experts"

Le récit de Beauvoir, ses réflexions sur le "système colonial" surtout, laisse entrevoir l'avènement d'un monde nouveau. L'ouverture du canal de Suez, en 1869, entraîne la mise en chantier d'un nouveau port, à Tan- djung Priok (1877), "rapproche" les Indes de l'Europe et tourne une page dans l'histoire de l'Archipel. On abandonne peu à peu le système des cultures et le principe du monopole d'état le cède enfin à l'investissement privé; on pense non seulement à ouvrir de nouvelles plantations, sur la Oostkust de Sumatra par exemple, mais encore à exploiter les richesses du sous-sol. A cette mise en valeur ne participent plus seulement des Hollandais, mais aussi d'autres Européens et même des Américains (35).

Le nombre des Français à se rendre dans l'Archipel augmente sensiblement, beaucoup écrivent à leur retour l'inévitable "récit" qui souvent retrace les mêmes itinéraires et dont les gravures, "d'après les photographies prises par l'auteur", reproduisent déjà les mêmes paysages et les mêmes scènes "typiques" Certains, comme le Vicomte de Lenthiolle, le Comte de Pina ou Jules Leclercq (36), voyagent encore "pour leur plaisir", mais de plus en plus nombreux sont les hommes d'affaires ou les ingénieurs qui se trouvent chargés d'une mission d'enquête bien précise, par le gouvernement ou par quelque entreprise privée. Une mission "en pays Atchin" (= Atjéh) dirigée par l'ingénieur civil Louis Wallon se termine mal, en 1880; deux des trois explorateurs français sont mis à mort par les gens d'un panglima "insoumis", alors qu'ils essaient de gagner la région du lac de "Poutchout laout", c'est-à-dire du Laut Tawar, au coeur du pays Gajo. Achille Raffray puis Désiré Charnay sont l'un et l'autre chargés d'une "mission scientifique par le ministère de l'Instruction publique" respectivement en 1876-77 et en

•*) Parmi les autres récits de voyageurs français datant de cette époque, citons encore celui du peintre de Molins, Voyage à Java, 1858-1861, paru dans le Tour du Monde, 1864, II, pp. 231-289.

w) Cf. James W. Gould, Americans in Sumatra, La Haye, Nijhoff, 1961.

*•) Lenthiolle, Relation d'un voyage aux Iles de la Sonde, Rotterdam, 1876, 104 p.; Pina, Deux ans dans le pays des épices, Paris ,1880, 323 p.; Leclercq, Un séjour dans l'île de Java, Paris, 1898.

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1878-79 (3r). En 1876, le Dr Gauthier mène des recherches zoologiques dans le Nord-ouest de Bornéo et en 1880, le Dr Montano des recherches "anthropologiques et ethnographiques" sur l'ensemble de l'île.

La Mission de M. Xavier Brau de Saint-Pol Lias (1880)

Intéressant par ce qu'il nous apprend sur l'Insulinde, mais aussi par ce qu'il nous révèle sur la mentalité de ces voyageurs d'un genre nouveau, le récit de X. Brau de Saint-Pol Lias, chargé en 1880 d'une mission d'enquête sur la possibilité d'ouvrir des plantations françaises, en pays Atjéh ou .... en Nouvelle-Guinée. Ses impressions parurent en 1884 sous le titre: De France à Sumatra (Paris, Oudin, 388 p., 19 gravures, carte) et sont dédiées à Ferdinand de Lesseps: "A vous qui ouvrez aux navigateurs les grandes portes du monde ! Je dédie ce modeste volume de propagande des idées d'expansion française "

L'auteur est un homme d'affaire et il n'aime pas perdre son temps; ce n'est pas lui qui irait faire un tour au Musée de la Société batave ! A peine débarqué, il court voir le Consul de France," un arabisant distingué" (qui vient d'apprendre qu'il est muté en Chine). Puis il s'intéresse à la petite colonie française de Batavia qui se trouve en partie regroupée dans une grande bâtisse "près du club Harmoni"; c'est là que se trouvent "les beaux magasins europé- Augé frères et autres, qui appartiennent à une petite colonie française de chapeliers, tailleurs, horlogers, modistes, coiffeurs, bottiers très estimés à Batavia où ils représentent les modes parisiennes et où ils sont connus pour leur vie rangée, honnête, de bons pères de famille, intelligents, sobres et laborieux, faisant bien leurs petites affaires. En dehors d'eux, une seule maison française de haut commerce, la maison Platon (importation de vins) dont le fondateur est retourné en Europe, mais qui continue à porter son nom". (38).

Ayant appris que le Gouverneur général se trouvait dans sa résidence de Buitenzorg, Brau de Saint-Pol Lias se hâte de faire ses malles afin de l'y

7) A. Raffray, Voyage en Nouvelle-Guinée, in Le Tour du monde XXXVII, 1878 ; D. Char- nay, Six semaines à Java, in Le Tour du monde XLI, 1880.

8) Les établissements "Oger frères" (et non Auge) se sont maintenus jusqu'en 1959 (au moins) — date â laquelle ils faisaient encore de la publicité dans la revue Star Weekly. Cf. cet autre témoignage sur la présence de la culture française dans les Indes néerlandaises {Annales Extr. Or., 1880, p. 186): "On ne croirait pas qu'on importe aux Indes Orientales néerlandaises annuellement pour une somme d'environ cinq cent mille francs d'ouvrages français. Après la langue hollandaise, le français est la langue la plus répandue Nos compatriotes sont agréablement surpris en débarquant à Batavia d'entendre parler leur langue et de voir les dames et les jeunes filles hollandaises auxquelles on les présente dans les salons, leur répondre avec la plus grande facilité".

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aller trouver. Plus n'est question de chaise de poste et de poneys, comme au temps de Beauvoir; il prend le train à quatre heures et arrive à destination à cinq heures cinquante. Autre nouveauté: il y a à Buitenzorg un "Hotel du Chemin de fer", tenu par un Français Reçu par le Gouverneur, notre auteur expose le motif de sa mission; Son Excellence "ne pense rien de bon de la Nouvelle Guinée" et souhaite plutôt voir les capitaux français s'investir à Sumatra; pour finir, Elle promet "des lettres de recommandation pour le Gouverneur d'Atché".

Sur la deuxième partie de son séjour, en pays Atjéh, à Penang et à Deli, Brau, de Saint-Pol Lias nous donne encore d'intéressantes précisions, telle cette description de la forêt vierge qui est en train de reculer devant la hache des défricheurs, à deux pas de "Médann", une petite bourgade qui est tout juste en train de naître: "Parfois le soir en pleine nuit on entend un bruit formidable, la terre tremble sous des chocs répétés, les craquements et les sifflements se succèdent. C'est toute une série de grands arbres que les indigènes ont préparés, les entaillant à point et du bon côté pour l'heure où se lèvera la brise et qui s'abattent l'un sur l'autre comme des capucins de cartes..."

L'Exposition universelle de Paris (1878)

Symbole de toute une "reprise" économique, l'Exposition universelle de Paris réunit au Champ de Mars en 1878 des productions venues de toutes Jes parties du monde. Fait significatif, les Indes néerlandaises sont représentées, preuve de l'intérêt nouveau que leur portent les hommes d'affaires français. Une revue de l'époque (39) nous décrit le "stand" en ces termes: "L'Exposition, organisée par les soins du gouvernement hollandais, occupe le pavillon d'angle de la grande galerie étrangère. On a formé là un immense trophée composé de peaux, d'armes, de bois, d'étoffes provenant de Sumatra, de Java, de la Malaisie en général. Autour de ce trophée on se proposait de faire une exposition horticole exotique; mais les arbres dont l'envoi avait coûté plusieurs centaines de mille francs n'ont pu résister au voyage .... On y voit, reproduits dans tous leurs détails de construction et d'aménagement, des pagodes et habitations indiennes, des costumes de toutes les peuplades des colonies hollandaises, des poteries, tous les ustensiles de pêche et de chasse. .. La librairie des Indes Néerlandaises est aussi dignement représentée à l'Exposition. On y voit les collections complètes des oeuvres de la Société des Arts et des Sciences de Batavia, ... le bel atlas photographique du temple

89) Annales de l'Extrême-Orient, 1, 1879, p. 38; sur cette revue, voir page suivante.

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de Boro-Boudur à Java, ... des spécimens des journaux publiés aux Indes ... la collection de livres en langues orientales et épreuve typographique des caractères utilisés pour ces publications de M.E.-J. Brill, éditeur de Leyde". A signaler encore une collection d'échantillons géologiques, notamment des minerais d'étain en provenance de l'île de "Billiton".

Lors de l'Exposition universelle de 1889, le gouvernement indonéerlandais fit mieux encore et envoya à Paris une troupe de danseuses javanaises. On sait que Debussy assista au spectacle et qu'il s'intéressa vivement aux rythmes du gameian i40).

Nul doute que ce "trophée" et ces danses, observés et admirés par des foules entières, jouèrent un rôle déterminant dans la lente élaboration de l'image collective qui, au niveau des mentalités populaires, correspondit longtemps — et dans une certaine mesure, corespond encore bien — au concept de "Monde malais".

L'Orientalisme engagé et les "Annales de l'Extrême-Orient" (1878-1886)

A signaler parallèlement, la foimation d'un petit groupe de "malayolo- gues", généralement disciples de Ed. Dulaurier (qui lui-même avait délaissé les études malaises pour s'intéresser à l'arménien). L.M. Devic et A. Marre s'occupèrent à traduire en français certains textes "classiques" (La couronne des Rois, le début des Annales malaises), tandis que A. Tugault et l'Abbé Favre se spécialisèrent surtout dans des travaux de lexicographie. L'un et l'autre publièrent une Grammaire de la langue malaise et un Dictionnaire malais-français, ce qui les amena tout naturellement à s'opposer et à s'affronter S'il est permis de sourire de leur querelle, et des pamphlets que, selon la mode du temps, la colère leur fit échanger, on ne doit point oublier qu'après eux, aucune tentative tant soit peu sérieuse de lexicographie malaise ne fut entreprise et menée à bien par les Français. Le seul Dictionnaire malais- français à peu prés digne de ce nom reste encore aujourd'hui celui que l'Abbé P. Favre publia à Vienne (Autriche) en 1875 (en deux volumes avec caractères arabes).

A noter que ces orientalistes ne se désintéressaient pas de l'actualité, comme certains de leurs successeurs ont eu parfois tendance à le faire, et l'on retrouve le nom de trois d'entre eux, ceux de Dulaurier, de Marre et du Père Favre, dans la liste des "collaborateurs" d'une revue, lancée en 1879

40; Cf. G.J. Resink, Debussy en de Mustek van de Mangkunegaran, in BKI, 125, II, 1969, pp. 267-268.

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et dont une part importante était consacrée à des "informations" qu'on qualifierait à présent de "journalistiques". Les Annales de V Extrême-Orient, dirigées par le Docteur Cte Meyners d'Estrey, se proposaient de s'intéresser à "l'Archipel Indien et à la Malaisie en général", ainsi qu'à 1' "Inde transgangétique" et à l'Indochine, c'est-à-dire, en somme, à ce que nous appelons aujourd'hui P"Asie du Sud-est". Leur approche était, si l'on peut dire "totale"; aux articles d'archéologie (notes d'Aymonier sur Angkor, étude de Léon Feer sur Borobudur), d'ethnographie, de géologie ou de zoologie, s'ajoutaient des récits de voyages, des rapports d'expéditions, de très nombreuses notes bibliographiques, des informations et communications diverses sur la situation politique et économique, ainsi qu'une précieuse "chronique orientale "qui résumait mois par mois les principaux événements survenus en Asie, tels du moins qu'on avait pu les centraliser à Paris. En ce qui concernait l'Insulinde, une bonne part des informations était empruntée, sous forme d'extraits traduits, aux publications néerlandaises. (41).

La revue se maintint pendant huit années, au cours desquelles la liste des collaborateurs évolua sensiblement, mais les livraisons (annuelles) gardèrent à peu près le même aspect : 500 pages in 8°, avec de très abondantes i

llustrations. Cette publication, oeuvre collective, doit être considérée comme le signe d'un intérêt tout particulier du monde cultivé français pour les choses de l'Archipel (42).

Les études sur le "système colonial"

D'un tout autre "esprit" — et d'un esprit combien moins fécond ! — les études de "science coloniale" qui se multiplient vers la fin du siècle, après la création en 1893 d'un Institut Colonial International (fondé par Léon Say). La méthode, toute juridique, consiste à dégager les "systèmes" et à les "comparer". En 1900, J. Chailley-Bert publie son célèbre traité: Java et ses habitants (Paris, Colin, 375 p.) et s'explique nettement dans sa préface des motifs qui l'ont poussé à entreprendre cette recherche: "Cette étude sur Java et

41) L'intérêt des Français pour la Nouvelle-Guinée semble avoir été alors tout particulier, car Meyners d'Estrey compila à partir de sources hollandaises une monographie qu'il publia à part sous le titre de La Papouasie ou Nouvel le- Guinée Occidentale Paris, CAallamel, 1881. Meyners d'Estrey publia également en 1891 une "traduction libre", intitulée A. travers Bornéo, aventures de quatre déserteurs de Parmée indonéerlandaise par le Colonel M.T.H. Perelaer (Paris, Hachette).

*a) Autre preuve de la très bonne connaissance que l'on pouvait avoir alors de l'Archipel en France : l'excellent chapitre sur l'Insulinde compilé par Elisée Reclus au tome XIV de sa fameuse Géographie Universelle (Paris, 1889).

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la colonisation hollandaise est la suite naturelle de mes études sur la colonisation anglaise. Après Les Anglais à Hong Kong, après Les Anglais en Birmanie, Java et ses habitants. Toutes ces études partent d'une même idée: les nouveaux venus de la colonisation (et c'est bien ce qu'est la France dont la rentrée dans la politique coloniale ne date que de moins de vingt ans) ont intérêt à se mettre à l'école de leurs devanciers Anglais et Hollandais".

C'est du même esprit, mais avec moins de talent, que s'est inspiré P. Gonnaud, dans son ouvrage sur La Colonisation hollandaise à Java, ses antécédents, ses caractères distinctifs (Paris, Challamel, 1905, 606 p.). Tout comme Chailley-Bert, Gonnaud s'est rendu à Java; et il joint même en "appendices" le texte des permis de séjour et de voyage qui lui ont été accordés. Il n'a vu pourtant qu'une toute petite partie de ce qui lui a été donné d'observer et si son analyse des diverses strates de la société "blanche" est assez juste, ce qu'il écrit sur la "société indigène" manque de la "sympathie" la plus élémentaire.

Poursuivre plus avant, jusqu'à la première guerre mondiale et plus près de nous encore, ce serait rappeler les noms de "voyageurs" sans doute mieux connus: A. Cabaton, G. Angoulvant, Ch. Robequain, J. Cuisinier, L.-C. Damais (^); ce serait aussi évoquer, en marge de cette tendance "noble" et proprement scientifique (géographique, ethnographique ou philologique), le développement abusif d'un "exotisme" délétère, déjà latent au XIXème s. (44), mais désormais nourri d'une imagerie facile, et que contribuent à divulguer l'essor du tourisme et le succès des expositions coloniales, telle celle de 1931 où les Indes Néerlandaises se trouvent "splendidement" représentées. Ce serait dresser un bilan difficile et nuancé et nous réservons la chose pour une autre étude.

8) Louis-Charles Damais avait établi, vers I960, une bibliographie des études concernant l'Indonésie rédigées en français, et l'avait un temps destinée à l'ouvrage collectif édité par Soedjatmoko, Indonesian Historiograùhy; cf. Madjalah Ilmu% Sastra Indonesia, 1968,p-135-86.

A) Le XIXème s. a déjà vu paraître un certain nombre de romans fantaisistes qui prennent pour cadre une Insulinde de pacotille. Nul doute que ces romans ont largement contribué à déformer l'esprit des honnêtes gens ; certains voyageurs arrivent même, sur place avec une idée complètement fausse dont ils ont beaucoup de mal à se départir. Mieux valait l'ignorance des siècles piécédents ! Ecoutons par exemple ce que nous dit Leclercq, au début de son Séjour à Java (189S) : "Henri Conscience, ce grand conteur (écrivain flamand, né en 1812), a écrit un livre dont le titre, Batavia, me fascinait dans mon enfance, à cet âge où les noms d'outre-mer éveillent dans l'imagination une idée de prodigieux éloignement. Batavia, la Babylone des tropiques ( 1) me semblait à une si infranchissable distance que je croyais ne pouvoir jamais en fouler le sol et en respirer l'air parfumé. Lorsque je songeais aux belles nuits étoilées de Batavia je murmurais ce vers de Louis Tieck, le doux poète allemand : Petites étoiles d'or, vous êtes si loin 1"

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APPENDICE

Nous reproduisons, ci-dessous, l'éditorial du premier numéro des Annales de V Extrême-Orient, lancé en 1879 par le Docteur Cte Meyners d'Estrey (voir ci-dessus p. 165-6).

A NOS LECTEURS

Nous avons l'honneur d'informer nos lecteurs, que le Directeur des Annales de l'Extrême-Orient, membre du conseil et de la commission de publication de la Société Académique Indo-Chinoise, s'est entendu avec ses collègues du Conseil de ladite Société, pour réunir en une seule publication les Annales de l'Extrême-Orient et le Bulletin de la Société Académique Indo-Chinoise. Cette Société travaillant au développement de nos connaissances des pays de l'Inde transgangéti- que, la Malaisie, etc., but identique poursuivi par la direction des Annales, il a été jugé préférable, plutôt que de diviser les forces par la création de deux publications distinctes, de réunir les travaux respectifs en une seule revue mensuelle. Le Directeur des Annales continuera donc à s'occuper, comme par le passé, de l'Archipel Indien et de la Malaisie en général, tandis que les Membres de la Société Académique Indo-Chinoise enrichiront les Annales de leurs intéressantes communications concernant les pays de l'Extrême-Orient.