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8/10/2019 Du roi magique au roi divin
1/32
Laura Makarius
Du roi magique au roi divin In: Annales. conomies, Socits, Civilisations. 25e anne, N. 3, 1970. pp. 668-698.
Citer ce document / Cite this document :
Makarius Laura. Du roi magique au roi divin . In: Annales. conomies, Socits, Civilisations. 25e anne, N. 3, 1970. pp.
668-698.
doi : 10.3406/ahess.1970.422250
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ahess_0395-2649_1970_num_25_3_422250
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/author/auteur_ahess_12656http://dx.doi.org/10.3406/ahess.1970.422250http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ahess_0395-2649_1970_num_25_3_422250http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ahess_0395-2649_1970_num_25_3_422250http://dx.doi.org/10.3406/ahess.1970.422250http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/author/auteur_ahess_126568/10/2019 Du roi magique au roi divin
2/32
ANTHROPOLOGIE
ET HISTOIRE
Du roi magique au
roi divin
Depuis que
Frazer
a
rapproch les premiers
rois de Rome
des
potentats bar
bares
d'Afrique et d'Asie1,
le problme
pos par la nature
du
roi divin
n'a
gure
avanc vers sa solution, malgr
l'accumulation
de
donnes
ethnologiques
nouvelles. En
tudiant
l'ensemble des tabous qui rglementent
le
comportement
des
chefs,
des
rois et
des
prtres
des
socits tribales, ainsi que
celui
de leurs sujets
leur gard,
l'auteur
du
Rameau
Or
avait
envisag
le
phnomne
sous l'angle
permettant d'en apercevoir
les
aspects
les
mieux dfinis et
donc les
plus aptes en
livrer l'explication. Paradoxalement, toutefois, une telle approche, fconde en elle-
mme,
a contribu bloquer
le problme
: les
comportements
observs par les
membres de la socit l'gard
des
souverains, qu'ils
n'osent
ni
toucher
ni
regar
der, omme si de leur prsence
manait un inexprimable danger
indiqueraient,
selon les conceptions ethnologiques courantes, que ces personnages
appartiennent
la sphre distante et spare du sacr . On se contente alors
de
justifier les tabous
par le caractre surnaturel
des tres
qu'ils investissent. Irstam, par exemple,
auteur d'un
ouvrage
relativement rcent
sur le roi
sacr
en Afrique,
explique
les
interdits qui l'entourent par la nature divine ou sacre qui serait la
sienne
2.
Or
si
c'est
le
tabou
qui
fait
considrer
le
roi
comme
sacr
,
son
caractre
sacr
ne saurait
tre
invoqu pour expliquer le
tabou
:
on
s'enferme
ainsi
dans un cercle
vicieux, le tabou vient participer du caractre mystrieux du sacr et le pro
blme
demeure entier.
L'tude
des tabous entourant
les rois
des socits
tribales, par contre,
est
apte
1.
Frazer,
V.
The
Golden
Bough,
vol. I et
II
et
en particulier,
vol. ,
pp. 1-6
et
376-387. L'ex
pression roi divin est employe, dans
notre
texte, dans son acception
purement
conventionn
elle,
our indiquer un
type dtermin de souverain ou de
chef.
Le prsent
article fait partie
d'une
srie
de publications (1968-1970) dans lesquelles l'auteur reprend les
tudes,
ddies aux diverses
catgories
de violateurs d'interdit (jumeaux,
forgerons,
rois, tricksters et clowns
rituels),
cons
tituant cinq
chapitres
d'un livre
paratre
prochainement.
2.
Irstam
p. 78.
668
8/10/2019 Du roi magique au roi divin
3/32
DU
ROI MAGIQUE
AU
ROI DIVIN L. MAKARIUS
clairer le
problme
de la royaut primitive,
parce
qu'elle offre un
point
de
dpart
extrieur
celle-ci
et plus
gnral.
Ces tabous, en
effet,
ne
sont
pas
particuliers aux
rois. Ils s'appliquent
galement
des
individus
qui
n'appartiennent pas la cat
gorie
des
souverains
et
qui,
de
plus,
n'ont
rien
de
divin
ou
de
sacr
.
Bien
que
redimensionns la mesure de la royaut,
les
interdits
qui frappent les
rois sont,
ainsi
que Frazer l'avait
remarqu,
de mme nature que ceux
frappant
les personnes
qui
saignent
ou qui ont
vers le sang
x
: femmes menstruantes
ou accouches,
jeunes
filles
la pubert, blesss portant des
plaies
ouvertes,
meurtriers,
etc.
Or,
ce
qui
explique
la
condition
tabou de ces
personnes
peut expliquer
aussi
la
condition
tabou
de ces
rois.
Le
sang tant porteur du
plus
grand des dangers
(quand
il n'est
pas investi d'une
signification
particulire
tendant carter
prcisment
ce caractre dangereux),
il est
couvert
par
un
tabou
rigoureux qui
en dfend le contact et parfois la
vue
2.
Les
personnes
qui
constituent une source de
contagion
sanglante soit qu'elles
saignent elles-mmes, soit
qu'elles
soient
venues en contact
avec
le
sang,
soit
encore
qu'elles
aient
enfreint,
volontairement
ou
non,
le
tabou
du
sang
sont
soumises
au mme ensemble d'interdits de contact et d'interdits sexuels et alimentaires,
qui
reprsentent autant de mesures de protection contre le danger sanglant.
Le
roi ne saignant
pas
et ne se caractrisant
pas
en tant
que
meurtrier, il
faut
prsumer
qu'il se
trouve
sous
le tabou du
sang parce qu'il a
enfreint
de quelque
manire ce
tabou,
et a
donc
ralis
un
contact
avec
le sang
qui
le
rend aussi
dange
reux ue les femmes
menstruantes
et les meurtriers
3. A la
question de savoir
quelle
est la violation
qu'il
commet, la
rponse
se prsente immdiatement, car elle fait
partie
des
donnes du
problme
: c'est la violation du
tabou
de l'inceste.
Il
est
notoire, en
effet, que
les chefs et les
rois des socits
barbares ou archaques, que
Frazer
a
appels
rois divins , descendent de familles incestueuses et commettent
rituellement
l'inceste
4.
1. Entre ce que l'on appelle l'impuret des filles pubres et la saintet des hommes sacrs, il
n'y
a pas
de
diffrence
matrielle
dans
l'esprit de l'homme
primitif.
1911-1915, vol. X,
p.
97
;
vol.
1,
p. 224.
2. Durkheim, p. 50 ; Makarius, 1961, p. 52 sq.
3. L. Makarius, 1968, p. 29 sq. Pour le propos prcdent v. L. Makarius 1969 A, p. 19 n.2.
4. Ainsi que nous le constaterons
en
nous
livrant
une
analyse des matriaux concernant
l'inceste
royal
en Afrique,
ceux-ci nous prsentent
un mlange
de
donnes
prcises, de rfrences
mythiques, de
faits
substitutifs, de manifestations symboliques et de situations exigeant un effort
d'interprtation. Nous devons Luc de Heusch l'tude des expressions symboliques
qui permettent
la
tradition de
l'inceste
royal de survivre
sans heurter
de front
la
prohibition de
l'inceste.
Les
analyses
de
De
Heusch
dclent
un
symbolisme incestueux
dans
des
cas
o la pratique
de
l'inceste
n'a
plus lieu,
ou
n'est pas
vidente.
Il fait apparatre avec beaucoup de finesse la tradition de
l in
ceste
maternel du
roi,
rvle par l'loignement dfinitif de la mre,
comme
chez
les Nyoro,
ou
par
sa mise mort lors de l'intronisation de son fils, comme chez les
Yoruba.
Dans
ce dernier cas, le
roi est
nanti
d'une mre officielle, la lya
Oba, dont
la
prsence,
lors
d'un rite
annuel, serait un
rappel
de
l'inceste
maternel
des
anctres mythiques
(p.
124 sq.). Chez les
Nyoro,
deux femmes, choisies
dans le clan maternel du souverain, sont nommes ses
petites mres
,
charges de prendre
soin
de sa
couronne
et de garder son cordon ombilical et d'autres dchets organiques. Elles sont ainsi
en quelque sorte
identifies
la mre, et
comme
elle ont accs la couche du souverain,
elles
ralisent
manifestement
au nom de la mre
loigne,
interdite, un inceste maternel substitutif
(p.
73 sq.).
Ainsi
s'claire la rgle, fondamentale, de
l'loignement
de la mre relle : elle
est
loi
gne parce que
rapproche
;
rapproche
intimement sur le plan symbolique o
l'inceste
apparat
ncessaire ; loigne en ralit parce que
cet
inceste
est
en mme temps monstrueux
(pp.
74-75).
Si la
dmarche
de
De
Heusch
est
particulirement efficace pour dbusquer
l'inceste
maternel,
considr
comme
plus
choquant
que
l'inceste avec la
sur,
et
donc
plus
apte
se
rduire
des
669
8/10/2019 Du roi magique au roi divin
4/32
ANTHROPOLOGIE ET HISTOIRE
L'inceste
fait
partie des coutumes
royales.
Il
est souvent pratiqu,
ouvertement
ou sous quelque forme dguise, lors des crmonies d'investiture, et
trouve
des
rfrences
dans les mythes d'origine
des
dynasties. Alors
que
les magiciens, certains
expressions symboliques,
il
est
toujours
ncessaire
de
tenir
compte d'une
vritable
volont
de
di
ssimul tion
(p.
89) du
phnomne incestueux. Dans l'examen des donnes
africaines,
sans faire
ntres les positions psychologiques et mthodologiques de
De
Heusch,
nous
constaterons que des
processus divers de symbolisation sont l'uvre, en mme temps pour maintenir et rduire, rvler
et cacher, la tradition de
l'inceste
royal
sous ses deux
formes
d'inceste maternel et
fraternel.
Le
roi des Shilluk
du Soudan Nilotique (le Reth)
est
considr
comme
l'incarnation du hros
mythique Nyikang et de son fils Dak ; Dak aurait pous sa
demi-sur,
Nyikang ayant impos
cette
rgle ses successeurs. Le Reth
est
pri d'pouser une de ses demi-surs
non utrines
(ou
autoris
le
faire). (Hofmayr cit par De Heusch, p.
107).
Selon Irstam, la coutume de l'inceste
royal
serait galement en vigueur
au
Darfour, au
Wadai, au Baguirmi et
chez les
Jukun
(p.
174).
Luc de Heusch rapproche,
sans
doute avec
raison,
des deux petites
mres
du roi des Nyoro,
deux personnages fminins
qui
se trouvent la cour
du
roi des Jukun, la Wakuku
et
la Angwu Tsi.
La premire raliserait avec le roi une hirogamie incestueuse au moment de l'intronisation ;
la seconde,
considre
comme
le
double
femelle
du
roi,
incarnerait
le
symbole
maternel,
la
propre
mre
du
roi,
et
est
considre comme
son pouse,
tout en
devant
rester
chaste
(pp.
128-130).
Chez les
Yoruba,
le roi (Alafin) est considr
comme
le descendant du
dieu Schango,
n de
l'union
incestueuse de
l'anctre
mythique Ourangan avec sa mre Jemaja, elle-mme issue d'un
inceste. D'aprs
Frobenius,
la srie
des
pouses du
roi
s'ouvrait
par
une premire femme
recon
nueomme telle par le protocole, qui partageait probablement la couche
du souverain, et qui
tait
toujours
sa
sur, issue
du mme pre et de
la mme
mre (Frobenius,
1949, p. 174 ; 1936, p.
32).
Le Hriss affirme que les unions entre frres et demi-surs taient autorises dans la famille royale
Yoruba, mais ne donnaient pas le jour
l'hritier du
trne
(pp. 214-215). T
Angbalin, premier
roi du Dahomey (1688-1729), commettait l'inceste avec sa sur
(Akindele
et Aguessy, p. 26).
Chez les
Ashanti,
la reine mre choisissait
son frre ou son
fils comme
roi
pour reprsenter le dieu
de l'tat. Au
cours
d'un rite, le roi excutait un mariage sacr ; s'il tait le fils de la reine,
on
substi
tuait celle-ci une
autre
femme, si,
par
contre, il tait son frre,
originairement le
mariage
pouvait
tre
consomm.
Le
roi
serait vu comme
l'incarnation
de
Bosommuru,
personnage
mythique
qui
pousa
la
desse
du
mme
nom,
sa
sur
jumelle.
Cette hirogamie
est
consomme
chaque
anne,
au
cours d'une crmonie
solennelle (Meyerowitz,
1960, p.
30,
n.
3,
196, n.l. 185, 63.) D'aprs
les traditions des Mossi de la Haute-Volta,
le
fondateur de la
dynastie
de Ouagadougou, Naba-
Oubri, eut
des
rapports sexuels avec
une
de ses filles.
De
cet inceste naquit Gning'mendo
(Chair
de la
Chair),
qui
monta
plus tard sur le trne
comme
Mogho-Naba. Cet
illustre
prcdent sert,
dit-on,
excuser les conduites des jeunes nobles et fils de Naba, qui sont les amants de leurs surs
(Delob-
son,
pp.
88-89, n. 2).
De
la naissance de
Gning'mendo,
Pageard donne
une
autre version qui
en
accentue encore le caractre impur.
Gning'mendo
serait issu des rapports
d'un
lpreux avec
sa
sur
(pp.
22-23).
Le fondateur du clan Vungara, au sein
duquel
est
choisi
le
roi des Zand, aurait t incestueux.
Les
membres
de ce clan
aristocratique pousent
leurs surs (presque
toujours
des demi-surs).
Le mariage entre
pres
et filles tait admis (Seligman, 1932, p. 515). Calonne-Beaufaict crivait
que seule la famille
des
Avungura...
n'admet pas
la rgle
exogamique,
et l'endogamie y
est pra
tique
frquemment,
sans qu'aucun degr de consanguinit semble entraner la notion de l'inceste.
Il
est
rare
qu'un
Avungura
n'ait
pas comme
femme
quelqu'une de
ses
propres
filles...
(pp.
185-
186).
Chez
les
Dogon
du Niger,
qui n'ont
pas
de royaut, le
chef
religieux, le Hogon, reprsentant
le peuple entier, est cens s'unir
sa
mre, l'instar
du
hros mythique Yourougou. Aussi, crit
Griaule, est-il,
ds son
intronisation,
spar d'elle. Il reste
en
relation avec elle, la
nourrit,
mais
par l'intermdiaire de ses surs
lui,
lesquelles sont la fois ses
filles,
puisqu'il
est
le pseudo
mari
e leur mre, et ses pouses, car elles sont
comme des
jumelles auxquelles
il
devrait tre uni
selon le
mythe.
Le mme
interdit
pse sur l'an
des
fils du Hogon :
rplique
de son pre, il
est
aussi le
pseudo-mari
de sa mre,
c'est--dire
de l'pouse du
Hogon.
(Griaule,
1954,
pp.
44-45.
Cf. db
Heusch, p. 124.) Dans ce cas, on attribue au
chef
un inceste
qui
a
dj
une
forme symbolique dans
le mythe.
En
Ouganda,
immdiatement aprs son lection, le roi doit
pouser une
demi-sur du mme
pre, la
Lubuga
(Roscoe, 1911, p. 84).
Celle-ci
reprsente en mme temps la reine et la sur inces
tueuse, bien
qu'elle
semble
devoir rester chaste. Lors de l'intronisation du
roi
de Buganda, en
1942, sa sur ane, fille
d'une autre
mre, fut dsigne pour tre Nalynia,
une
pouse spciale
du
Kabaka
(roi)
.
Quand
elle
mourut,
en
1953,
en
apprenant
que
le roi avait
t
exil
par
les
Anglais,
670
8/10/2019 Du roi magique au roi divin
5/32
DU
ROI MAGIQUE
AU
ROI DIVIN
L. MAKARIUS
chasseurs
et
certains
artisans s'adonnent
des
actes
incestueux
sporadiquement
et
la drobe,
les chefs et les rois
commettent
l'inceste comme s'ils
y taient
pouss
s
ar
une obligation
institutionnelle,
en tant qu'acte ncessaire
tablir
leur
une
autre
sur fut nomme Nalynia (Mutesa, pp. 86 et 145). Chez les Banyankole, la sur offi
cielle
du
roi,
qui doit
se
tenir
toujours
prs de
lui
et est magiquement
responsable
de son bien-
tre,
peut
se
marier un autre homme et avoir des
enfants,
et le roi s'unit d'autres surs, qui
resteront
toujours
ses
concubines (Roscoe, 1925
(B), pp.
56, 58,
60.
Au Nyoro, la
reine
ne
pouvait tre qu'une demi-sur du roi ;
ce
mariage, qui tait
consomm,
tait le seul mariage du
roi comporter une
crmonie
(Roscoe, 1923
(A),
p 136). Au Ruanda, o les membres
du
clan
dynastique
des
Basindi ont
l'autorisation
de
se
marier
l'intrieur de ce
clan
(Kagame, pp.
96
et
115), on trouve un grand mythe sur l'origine de
l'inceste
royal
(Lootias, pp. 1-13). Des indications
rituelles et
lgendaires d'inceste se
notent
aussi propos
du
Mugwe,
chef
de
petites
tribus
Meru
du Kenya central (Bernardi, pp. 120-123
;
93 et n. 1
;
94
; 139 ;79).
Chez les Bushong du Kasa (Congo),
le
roi doit commettre un
inceste. Peu
aprs son couron
nement,
il
doit
avoir des
relations sexuelles avec sa
sur
ou sa demi-sur et
par la
suite
il se mariera
une
des petites-filles de ses surs... . Le roi vit en inceste avec sa cousine parallle... Il reprsente
Woot,
le
premier anctre,
hros
civilisateur,
dispensateur
de
la
fertilit,
qui
commit
l'inceste avecsa
sur
et
dont
les
neuf
fils,
ns
de l'inceste,
ont
cr le monde
(Vansina,
1964,
p. 110
;
1954,
p.
909
;
1955, p. 144-150). Les Lele,
autre
peuple du Kasa,
se
rclament de Woto. Le
chef
commet,
son
investiture, un
inceste qui sera
une
rptition rituelle de l'acte
mythique ancestral
(Douglas,
1963, p. 199).
Chez les
Luba, le roi
est
investi du pouvoir surnaturel dans
une
hutte sans porte
ni fentres, dite case des malheurs , qui
est
rige
autour de
lui
et dans
laquelle
il accomplit l'union
sexuelle
avec sa nice, la Mfinga. Cette femme
lui
sera par la suite
interdite,
l'acte tant incestueux
d'aprs les
coutumes
Luba (Burton, pp.
21-23). De
son ct, E. Verhulpen
affirme
qu' son cou
ronnement
le
Mulowhe
avait
des
relations avec sa
mre
et ses surs, suivant
la
tradition de
Kon-
golo,
qui avait des rapports avec ses surs (pp. 183-184 ; V. aussi Theeuws, 1960,
p.
168). Le
rituel
d'investiture
du chef Lunda, crit
De
Sousberghe, comporte
essentiellement,
comme condition
sine
qua non,
un rapport
incestueux avec sa
propre sur (de
mme mre et de mme
pre) avant
que
l'anneau cheffal lui
soit
pass au bras (1955
(B),
pp. 937-938). Ceci
est
confirm par McCulloch
qui, au sujet de la
tribu Chokwe
(Lunda),
affirme
que la sur
du
roi
(le
Gangongd) tait
sa
femme
favorite
et prenait
le
titre de Lukonkesha
(p.
46).
De Heusch
crit, d'aprs de Sousberghe,
que, dans
le
territoire
de
Tschikapa
(Kasa),
le
chef
Lunda
devait
commettre,
au
moment
de
l'intronisation,
un inceste
avec
la sur
du
mme pre
et
de mme mre
ou,
dfaut
de celle-ci,
avec
une
demi-sur
du mme pre. Chez
certains
chefs, et particulirement chez les chrtiens, le rite aurait
t remplac
par un geste impudique rapide, consistant soulever les vtements de la sur et
regarder
son
sexe. Le chef cesse ds lors de considrer
cette
femme
comme
une sur et elle rgne avec
lui
(De
Heusch,
pp. 121-122).
Auprs de
certaines
chefferies
Pende, De Sousberghe a constat
un
ensemble
de prescriptions
dont le motif central
est
que le chef
ne
doit
pas
enfanter.
Chez ls
Moshinga, ce but
est
atteint
en
lui donnant
pour pouse
une
vieille
femme,
qui ne
doit
avoir de rapport ni avec
lui
ni avec aucun
autre homme, sous peine de
faire avorter
toutes
les
femmes. Les Nioka
imposent au
chef la
conti
nence
pour le reste de sa vie. Il doit renvoyer toutes ses femmes,
on lui fait
revtir un
tui pnien
qu'il
ne
devra plus
quitter,
et
on
l'oblige
absorber des
drogues dprimantes.
Chez les
Njumba
du Kasa,
c'est
la femme chef , ou la premire femme du chef, qui
doit
prendre des
mdecines,
si efficaces qu'elles provoquent
non
seulement une strilit radicale, mais la
suppression
complte
des
rgles
(1955
(B),
pp.
13-14
et
1954,
pp. 216-217).
Le
caractre
excessif
de
ces
coutumes
s'explique
la lumire du conflit entre la tradition de
l'inceste
royal
et la volont de ne pas
admettre
de brche
l'interdit exogamique.
Les
Pende, en effet,
manifestent
une
intolrance
absolue
l'gard
de l in
ceste
des
chefs.
Un chef a t dmis de ses fonctions parce
que,
tant
gurisseur, il avait soign sa
sur d'un abcs l'aine. Tu
as
vu la nudit de ta sur
lui
fut-il dit tu
ne
peux plus tre
notre chef
(De Sousberghe, 1955
(B),
p.
84).
Chez les Wanianga, le
chef
commet avec la Mumbo, en prsence de ses
conseillers,
un mariage
rellement
ou symboliquement incestueux (Moeller, p.
488).
Chez les Bashi, il
pouse
toujours
une
femme de sa famille, de
prfrence une
sur agnatique. Ce mariage
constitue
la seule droga
tiondmise Fexogamie. L'hritier,
apparemment
n de l'inceste, ne
doit
jamais connatre
son
pre
;
les
plus grands
malheurs
frapperaient
le
pays
si le
chef venait
voir
son
fils (Moeller,
p. 504).
Le
chef
des Nyaniyeka
de l'Angola
devait dormir, la
nuit de l'intronisation, avec
une
de ses
cousines
que par
la suite
il ne
devait jamais plus revoir
(Lang
et Tastevin,
p.
56). L'inceste royal
est
galement
traditionnel
chez
les
Lozi
de
Rhodesie.
Nuitamment,
le
candidat
au
trne,
escort
671
8/10/2019 Du roi magique au roi divin
6/32
ANTHROPOLOGIE ET HISTOIRE
qualit de
souverains,
sans toutefois que l'union interdite perde ses caractristiques
de trs grave violation.
par
ses
conseillers
et
par
les princes, va rechercher la
royaut
Mikono, lieu d'origine et
tombeau
de Mbuyamwambiva,
qui
fut l'pouse et la fille du dieu, considre comme
l'aeule
de la famille
royale.
Le
roi,
qui
descend
de
Mboo,
fils
de
cette reine, grand
magicien
et
premier
souverain,
accomp
lit,ors de
l'intronisation,
un inceste avec
sa demi-sur (Gluckman,
1951,
pp.
21, 47,
77).
Chez
les
Shona de Rhodesie,
la
premire
pouse
du
roi, dite la
Mazarira, tait
toujours,
d'aprs
Sche-
besta,
une
de ses surs ;
d'aprs
Frobenius, elle tait
soit
sa
vraie
mre,
soit une
femme choisie
pour remplir
cette
fonction (Irstam, p. 168).
Le
jeune chef Thonga
(Mozambique)
reoit pour
pouse
une
cousine qui normalement devrait
lui
tre interdite. L'informateur de Junod commente
ce
fait en
disant
que rien n'est interdit au chef... . Junod prcise toutefois que sa propre sur
ou sa
propre
fille
lui
seraient dfendues (I, 361 et 415).
L'histoire lgendaire des Lovedu du Transvaal conserve le souvenir des descendants de Mono-
motapa, qui avait
comme
premire pouse sa sur de pre et de mre (Frazer, 1938, p. 20, citant
Theal). Le mme privilge s'tendait aux membres des familles aristocratiques. D'aprs Dos Santos,
crivant
en
1601, la
coutume
ancienne des rois de Sofala
tait
d'pouser
leurs
propres surs et
leurs
filles,
bien
que cela ft considr comme un inceste au-del du cercle
royal
(Krige, 1943, p. 307).
Vers
le xvie
sicle,
les fils de Monomotapa se partagrent l'empire
paternel et
rgnrent en
tant
que
chefs.
L'un
d'eux, M ambo,
roi
sacr
qui d'aprs la
tradition
devait
commettre
le suicide
rituel,
rgnait sur
la montagne
de Malwi,
en
Rhodesie. Sa fille
Dzugudini,
ayant eu
un enfant
de son
frre,
s'enfuit vers le sud et s'tablit Ulovedu. Le frre de Dzugudini
devint
le Mambo,
succdant
son
pre, alors
que la princesse,
sa
sur-pouse,
par
la vertu de son inceste fit surgir un
peuple
nou
veau.
Leur descendant
Muhale
donna aux habitants le feu et les arts civilisateurs
(Krige, op.
cit.,
pp. 5-6).
D'aprs
une
autre tradition, Mugodo, descendant de Dzugudini, roi et faiseur de pluie,
commit l'inceste rituel
avec
une
de ses filles, afin d'engendrer
une
fille qui devait devenir
reine.
Sa
fille-pouse, Mujajii
II, en
vertu
de son inceste , devient
une reine
puissante
et clbre, vers laquelle
accourent visiteurs
et
trangers,
attirs
par
sa grande rputation de faiseuse de
pluie (Id., pp. 9-10).
E.
J. Krige et J. D. Krige observent que le
thme
de
l'inceste
prcde et valide
d'abord
la naissance
de
la tribu,
puis l'accession d'une femme
la
royaut.
Chaque
cycle [de
l'histoire des Lovedu]
s'ouvre dans le
mystre,
le
mystre
de la conception incestueuse qui, au lieu de corrompre le monde,
couronne le
pcheur...
C'est la justification rituelle d'un changement rvolutionnaire... Il y a des
indications de ce qu'ils considrent,
comme
nous, tre le pch
originel,
mais qui effectue le salut
et
non la damnation
de
l'homme.
Un
acte de
trahison
prend
la
forme
d'une
glorieuse russite.
Un
usurpateur
devient un
hros. L'inceste royal, au lieu de menacer la scurit de la socit, renforce
le droit divin
rgner
(Op.
cit.,
pp.
12,
15). Les
auteurs affirment que les
institutions
Lovedu
exigent que la reine,
bien
que ne
pouvant
avoir de
mari,
engendre l'hritier par un poux
secret,
un frre classificatoire royal. Ils
considrent
que ce choix se justifie par
le
dsir de maintenir la
puret
du sang royal (1954, p. 64).
Le roi Swazi
pouse
ses surs ou ses demi-surs, relles ou classificatoires. En effet, Hilda Kuper
crit :
Les Swazi
modernes
dclarent
: Nous
sommes
comme les Tembe
(une tribu
voisine) :
leur
roi, comme les
ntres, pouse ses surs. Non seulement donc
l'inceste fraternel
du
roi
n'est
pas cach, mais il est considr comme une caractristique nationale. L'inceste
maternel,
par contre,
qui semble faire galement partie de la tradition royale, prend des formes symboliques. A ce propos,
et pour
tout le
contexte rituel de l'inceste
du
roi Swazi, cf. Une interprtation de
YIncwala Swazi
du prsent auteur, de prochaine publication.
L'inceste
royal
est
galement pratiqu Madagascar
(Frazer,
1938, p. 531, citant d'Unienville,
Paris, 1838,
et
A.
et
G. Grandidier
;
v.
aussi
Grandidier,
1932,
p.
183).
La
coutume
de
l'inceste
royal De
se
limite
pas
l'Afrique. On en
trouve des
exemples
clbres
en
Egypte, chez
les
Pharaons
comme
chez
les Ptolmes,
ainsi que chez
les
Perses, chez
les Incas
et, de nos jours, en
Mlansie.
Il a t spcialement
bien
tudi Hawaii o, dans un pass rcent,
les chefs tiraient
leur
haut
rang et leur
pouvoir de l'union incestueuse de
laquelle
ils taient
issus
et du mariage incestueux qu'ils contractaient eux-mmes. Les
Hawaiiens
avaient une
vritable doc
trine
du mariage incestueux des
familles
de l'aristocratie. Us reconnaissaient ces unions divers
degrs de
sacr
selon la proximit des
personnes
qui
les
contractaient, et
les
honneurs
qu'on
tait tenu de rendre aux chefs taient mesurs
au
degr de consanguinit de leur mariage et de
celui
de
leurs ascendants. Le
mariage du premier degr
tait celui entre un
frre et
une sur
de mme
pre et mme mre, eux-mmes de haut rang. Ce mariage tait dit pVo, d'un mot qui signifie con
traignant
s'incliner
, se
courber, et
tait symbolis
par
l'image
d'un
arc. L'enfant n
d'un
mariage
pi'o
tait un akua, un dieu. II
est
si sacr qu'on en
parle comme
d'un feu,
d'une
flamme,
d'une
chaleur ardente... II ne pouvait adresser la parole aux gens que la
nuit,
et d'ailleurs ne sor
tait
qu'aprs
le
coucher
du
soleil,
de crainte
que
son
ombre
ne
tombt
sur
une
maison,
la
rendant
672
8/10/2019 Du roi magique au roi divin
7/32
DU
ROI
MAGIQUE AU ROI DIVIN L.
MAKARIUS
Si,
comme Durkheim le pensait, la prohibition de l'inceste est motive
par
la
crainte qu'inspirent les
coulements
sanglants
des femmes
consanguines1, l'inceste
reprsente
une
violation du tabou du sang nettement caractrise. L'incestueux, en
effet,
est
entr
en
contact
avec
le
sang de
ses
consanguines,
qui
est
le
sang
le
plus
dangereux,
ayant
le pouvoir de faire couler le sien et celui de
tout
son
groupe
d ap
parents.
Nous
avons eu
l'occasion d'indiquer, au
sujet
du forgeron d'Afrique
et
du
trickster amrindien, ocanien
et africain, que
les
violations
dlibres du tabou
du sang (manipulations
sanglantes,
meurtres, et en particulier meurtres consang
uins,
nceste) sont censes dclencher
un pouvoir magique de
haute efficacit.
Au pouvoir du
sang,
conu comme
une
force dangereuse et
malfaisante,
utile parce
que apte
loigner ce
qui
est nuisible
(on met, par
exemple, des linges menstruels
au
cou
des
enfants
pour
tenir distance
les
maladies),
on
prte ensuite la vertu de
dispenser,
non
seulement ces biens
ngatifs
que sont
la
protection
contre le
mal
ou
la
dfaite
des ennemis,
mais
aussi
des
biens
positifs,
la
chance,
la
richesse, des
conqutes,
la prosprit. Le pouvoir
du
sang
subit
donc
une
surdtermination, mais,
parce
que cette laboration
psychologique est oublie,
ou
bien n'a pas affleur la
conscience,
le
pouvoir magique
du
sang qui
est le
pouvoir magique tout
court
s'empreint
d'une
ambivalence aigu : il donne,
indiffremment, tout
le mal et
tout
le bien, restant dangereux l'extrme dans l'un comme dans l'autre cas 2.
L'inceste est en quelque manire le protoype
de
la violation de tabou, parce
qu'il
enfreint l'interdit
qui, en prohibant l'union entre consanguins, impose le systme
exogame rgissant l'ordre social. Durkheim,
bien
qu'il
n'ait pas
parcouru
toutes
les tapes
du cheminement
logique que nous
avons
retrac,
avait
saisi le caractre
en mme temps dangereux et
efficace
de cet acte violateur. Quiconque viole
cette
loi
[de
l'exogamie],
crit-il,
se trouve
dans
le
mme
tat
que
le
meurtrier.
Il
est
entr
en
contact
avec
le sang, et
les vertus
redoutables
du
sang
sont
passes
sur lui.
Tl est devenu un
danger
et pour lui-mme et pour les autres.
Il
a viol un
tabou.
3
La
dfinition durkheimienne du
statut
entran par la violation du tabou de
l'inceste adhre
exactement
la situation et aux fonctions
du roi
dit
divin
.
Parce
qu'il
est devenu
un
danger et pour lui-mme
et pour les
autres ,
son
tat est
li
un
ensemble
de tabous, qui sont autant de
mesures de
prcaution dont nous ver
rons
plus loin
le
caractre
de rciprocit. Parce
que les vertus
redoutables du
sang
sont passes sur lui , il est devenu apte obtenir magiquement
des
rsultats favo
rables qui,
s'agissant
d'un souverain,
seront
aux
dimensions du royaume et rpon
dront la tche essentielle du
roi
dit
sacr
: le maintien et l'accroissement de la
fertilit des champs, de la fcondit du
btail
et de
tout
ce
qui
est propre assurer
la
prosprit des sujets.
Ces
rsultats
magiques
sont
relis
l'inceste
royal
par
le
mme lien de cause
effet
qui
fait
que
le
chasseur bantou, par l'inceste qu'il com-
inhabitable. Une
personne
profanant mme accidentellement un chef sacr tait en danger de
mort.
Les rejetons
des
unions
pVo
avaient
droit au tabou de
prostration,
ceux
d'unions
moins proches
n'avaient droit
qu'au tabou
imposant aux gens de s'accroupir en leur prsence. Ces chefs taient
objet
d'une vnration
extraordinaire. Un long pome, le Kumulipo, ddi l'un d'eux,
dcrit
comme
chaud du plus ardent
des
tabous ,
exalte son droit
imposer
les
tabous
les
plus
stricts.
De
tels chefs taient considrs comme des
dieux
parmi les hommes
(
Cf. Beckwith, 1951, pp.
12-
13) ; v. aussi Rivers, 1914, I, 382 sq.)- L'inceste
royal
se
retrouverait
chez les Kwakiutl de la cte
nord-occidentale des
tats-Unis
(Boas, 1913-1914, part. I, p. 779).
1. Durkheim,
1897, p.
50 sq ; Makarius, 1961,
p.
64 sq.
2. L. Makarius,
1968,
p. 33 sq. ; 1969
(A),
p. 19 sq ; (B), p. 234 ; 1970, p. 59 sq.
3.
Durkheim,
p. 50.
673
8/10/2019 Du roi magique au roi divin
8/32
ANTHROPOLOGIE ET HISTOIRE
met, s'assure le succs la chasse de
l'hippopotame, que l'acte
de sang du forgeron
garantit
la
russite de la fonte, et que l'intervention rituelle d'une
femme
mens-
truante entrane la
capture
des
aigles
chez
les Hidatsa, ou provoque
la venue
de
la
pluie
*.
Pour
la
plupart
des
auteurs qui
se sont
penchs sur le problme, l'inceste
des
rois rpond l'exigence de maintenir la puret du sang royal 2.
Le fait que
souvent
en
Afrique
les unions incestueuses
doivent
rester
striles
suffirait montrer que le
but de l'inceste
des
rois n'est pas d'assurer une descendance au sang pur. En ralit
l'inceste
royal
n'a rien
voir
avec
la procration, mais est
un
acte
magique,
ritue
llement accompli dans l'intention de
garantir
la prosprit du royaume ; loin d'tre
dict par un souci
de
puret,
cet acte
marque celui qui le commet de
la
plus forte
impuret
concevable.
Comme nous
l'avons
indiqu,
les
processus
de
symbolisation
et
de
sur
dtermi
nation ui aboutissent la
violation
magique de tabou ne
semblent
pas
tre
clair
ement perus
par les membres des socits
que
nous
tudions.
Les motifs
profonds
de l'inceste
royal,
impos par
la
tradition,
chappent sans doute
tout
autant
celui
qui le commet et
son
entourage qu'
la
masse des sujets. A leur rflexion, comme
celle des
ethnologues, l'inceste royal
se prsente
en tant que
phnomne
aux
mult
iples aspects contradictoires. Une contradiction particulirement droutante est
le
fait
qu'alors que
le souverain
accomplit un
acte
d'union
sexuelle
cens promouvoir
la fcondit
des
humains et
des animaux
et
la fertilit des champs,
cette
union est
un
accouplement
interdit et abhorr,
qui
souvent doit rester sans progniture.
Une
telle contradiction
n'est
pas
susceptible
d'tre ponge et rcupre par quelque
rationalisation
;
les
rationalisations
sont
gnralement inspires
par la
magie
sym
pathique (ou imitative) qui, dans ce cas, est brutalement nie.
La relation entre l'inceste du
roi
et
la
prosprit
du royaume
tant
hautement
contradictoire, il est comprhensible
que
la littrature
ethnographique
offre
peu
d'exemples
la
mettant explicitement en vidence.
Bien
que
la
nature de cette rela
tion lui
chappe
totalement, Luc de
Heusch
indique un cas d'inceste de fertilit :
il concerne le
roi du
Nyoro qui, comme nous l'avons
vu,
a le
devoir
d'pouser
sa
demi-sur
tout
de suite aprs son intronisation.
Au moment
o cette
princesse est prsente
au
roi
qui, assis sur
le
trne, lui
tend les
mains
baiser, une
vache
et un
veau,
provenant
de
l'ancienne
demeure
de
1.
Junod, II,
pp.
60-62
;
L.
Makarius,
1968,
p.
31
sq.
;
1969
(B),
p.
234
;
Hodgson,
p.
267.
2. Westermarck affirme qu'on
ne
peut douter que de tels mariages soient
effectus
dans le but
de maintenir
la
puret du
sang
royal (II,
p. 202) ;
Rivers
voit galement dans cette exigence le motif
des
mariages incestueux qui
sont
le privilge spcial
des
chefs
mlansiens
(I,
p.
382). Mauss
est
du
mme
avis,
(p. 116). Lowie crit que les mariages incestueux pratiqus dans les
familles
royales ou
aristocratiques, comme Hawaii, dans
l'ancienne Egypte ou
au Prou, taient dus une
fiert
du sang telle qu'elle
se
prsente
dans des socits
sophistiques
l'extrme (p.
55).
Lagerkrantz
exprime la
mme opinion en ce
qui concerne
l'Afrique.
(Cit par Van Bulck, 1955,
p.
123.) Darmes-
teter,
se
rfrant dans son
tude
sur
l'inceste des
Parsis
Catulle
et Philon, crit que ce n'est
qu'
un
sang pur et
sacr
qu'il importe de
se
renouveler
en s'alimentant
ses
propres sources
(p.
374). Les Rrige
justifient
le mariage incestueux de la reine Lovedu par la ncessit de sauvegarder
la
puret du sang royal
(1954, p.
64).
La mme
ide
est parfois exprime
par
les
intresss.
Un
membre
du clan Vungara (Azand)
fait
remarquer
au
visiteur qui s'tonne de leurs mariages endogames,
avec une
lgitime
fiert
...
que
du
sang aussi
illustre
que
le
leur ne
pouvait que
dgnrer en
se
mlangeant
(Calonne-Beaufaict,
pp.
185-186).
674
8/10/2019 Du roi magique au roi divin
9/32
DU
ROI
MAGIQUE
AU
ROI DIVIN L. MAKARIUS
l'pouse, sont prsents sur le seuil de la porte, et le roi leur
jette
un regard.
De
Heusch en dduit que
l'on peut admettre ds
lors
que l'union
incestueuse
est
requise pour
ses
vertus rgnratrices et fcondantes x.
Nous
conviendrons
avec
lui
que
le regard
rituel
jet
sur
les
animaux
ne peut
tre
dpourvu
de
signification.
Vansina
observe
avec
plus de prcision
que les
relations
incestueuses
du roi
de Kuba
sont destines
rehausser son
pouvoir
fcondateur exactement
comme
le sorcier en transgressant
les tabous
acquiert
un surcrot
de
force magique. Le
roi
est
le dispensateur
de
la
fcondit...
Il possde au moins
une certaine
forme de
con
trle sur la fcondit
de
la terre
et
des humains
qui
l'habitent 2.
Chez les Swazi, le
roi
crache une puissante mdecine de fertilit travers
les trous
pratiqus dans
les
parois
de
la hutte
rituelle,
lors
de
son mariage
symbo
liquement
incestueux
avec la matsebula ; par la
suite,
ce rite sera rpt priodique
ment
u
cours des grandes
crmonies de
YIncwala,
dans un
contexte violateur
trs
net. Le thme
incestueux
revient
aussi
dans le rituel de la pluie, le plus
import
ant
ituel
national
Swazi,
prrogative
du
roi
et
de
sa
mre,
o
le
roi
semble
accomp
lirn inceste symbolique
avec la
reine
mre,
en s
'asseyant,
nu, sur les pieds de
celle-ci,
galement
dvtue
3.
Certains peuples
tendent
mettre l'inceste royal en relation
avec
la venue de la
pluie, condition premire de
la
fertilit,
ce
qui
attnue
le caractre
contradictoire
de l'inceste royal en le rattachant la tradition violatrice des
faiseurs
de pluie 4.
1.
De
Heusch, pp.
67-68.
D'un rite
accompli six
mois plus tard,
au cours
duquel
la reine boit
du lait provenant
d'une
vache qu'elle a
apport
en prsent au roi, cet auteur dit :
Les
dons pral
ables, en particulier
le don
de la vache,
symbolisent
trs vraisemblablement les richesses que l'union
incestueuse de la reine
est
appele
prodiguer au royaume
(pp. 69-70).
2.
1964,
pp. 111, 99.
3. Pour
les Swazi,
nous renvoyons
l'tude
cite de
Fauteur.
Cf.
De Heusch, p. 110.
Chez
certains
Pende tudis
par
De
Sousberghe,
le chef doit obligatoirement dormir
dans la
case
de sa premire femme du moment
des
semailles du
millet, des arachides,
du
mas, jusqu'
l ap
parition des
premires
petites pousses vertes de ces plantes. Aprs la germination, il peut reprendre
sa
ronde polygame . En ces circonstances,
le chef et sa
premire
pouse
couchent
sur
des nattes
spares. Du chef dpend la fertilit de la terre et des femmes ; ainsi, dit l'auteur, toute sa vie et celle
de son
pouse
est
soumise des interdits (1954, pp. 215,
216).
Un rapport indubitable existe, donc,
entre l'union
conjugale
du chef et
la premire pouse,
et
la fertilit des champs. Pourquoi, alors,
doivent-ils
coucher
part ? Ce contresens ne s'explique
qu'
la lumire du conflit entre la tradition
de
l'inceste
royal
et le respect
de
la prohibition de l'inceste. Ce
qui
est
considr ncessaire au moment
de la germination n'est
pas
l'union rgulire du chef avec sa premire pouse, mais un acte
inces
tueux, symbolis par sa prsence dans la case de
cette
pouse (dont il n'est toutefois
pas
dit qu'elle
soit rellement
ou symboliquement
incestueuse) et,
d'autre part, rendu
impossible par
la
sparation
des
nattes.
4. Pour obtenir le succs de leurs rites, les faiseurs de pluie Anyanja
du'Nyassaland
font compar
atre ne
femme enceinte ou menstruante, qui enlve son
vtement
(Hodgson, p.
267).
Chez les
Ashanti,
lors de la
crmonie
annuelle de Apo, deux belles jeunes
filles,
nues et
poudres
d'or,
sont
portes
rituellement travers les rues,
et
les gens touchent
leur
sexe pour assurer des pluies
abon
dantes et la fertilit
des moissons, des btes
et des humains pour l'anne qui
vient
(Meyerowitz,
1951, p. 162). Chez les Bakitara,
le
faiseur de pluie auquel
le
roi a ordonn
d'accomplir
ses rites, dit
sa
femme,
si
celle-ci
a ses rgles : Tu
es
ma bndiction. Ce qui
ne
l'empche pas de s'loigner
d'elle, en
allant coucher
dans la fort pour deux nuits avant de commencer ses rites (Roscoe, 1923
(A), p.
32). Trs intressant
est
le
cas
suivant,
observ
chez
les
Boschimans du Kalahari.
Quand une
jeune fille devient pubre,
on lui montre
toutes
les
plantes alimentaires et
on
simule
une
averse.
Cela
attirera
elle
de bonnes averses,
elle sera toujours approvisionne en
eau potable et
on la trou
vera attrayante
(Silberbauer,
pp. 12-24).
Le fait
de montrer
une
fille
pubre les
plantes aliment
aires eprsente la violation symbolique
du tabou
fondamental qui spare l'alimentation de la
menstruation
et,
plus
gnralement,
du
sang
(Makarius,
1961,
pp.
98
sq.).
Cette
violation
toute
symbolique
est
considre comme
suffisante
pour
garantir la pluie.
675
8/10/2019 Du roi magique au roi divin
10/32
ANTHROPOLOGIE ET HISTOIRE
Ainsi, Frobenius a not chez
les Yoruba
le rapport
tabli
entre
le mariage incestueux
des rois et la venue de la
pluie,
afin
que
la
rcolte
soit
bonne1. Le
cas d'une
reine
incestueuse,
magicienne
et faiseuse de pluie, responsable
de la prosprit du
royaume,
est tudi sous
ses
divers angles
par les Krige
chez les Lovedu du
Transvaal
2.
C'est aussi par
rapport
au
roi
en tant que
promoteur de
la
fertilit
de
la
nature
qu'clate une autre contradiction inhrente son inceste, contradiction
qui
a sa
source
dans l'ambivalence
du
pouvoir magique qu'il possde.
L'ambivalence
de
la
force
manant
de
la
personne
royale trouve
dans ce contexte
des
expressions extrmement frappantes.
Le
roi
des
Jukun (Nigeria),
par
exemple,
est
accueilli par ses sujets,
prosterns devant lui, aux
cris de Nos
rcoltes
,
Notre
bl
, Nos fves ,
Nos noix
, Notre pluie , Notre richesse ,
Notre sant
3.
On donne ces appellations au
souverain
parce
qu'on
l'identifie
rellement
ces biens ; cependant,
on
ne lui permet pas de
visiter
les champs o
pointent
les
pousses de
bl,
parce
que les
Jukun sont
persuads que les
rcoltes
seront
ravages
s'il
s'en
approchait.
Meek
rapproche
ces
observations
faites
au
Nigeria d'autres
qui
concernent
la Mlansie, o l'on trouve la croyance que l a
pprov i s i onn ement
alimentaire dpend du chef, et
aussi
qu'un contact
de celui-ci
avec les
plantations risque de les dtruire. De sorte que le chef (par exemple
Suva)
ne
doit
pas aller dans les
champs,
de
crainte
de
faire
prir les
rcoltes 4.
Les effets destructeurs
du
pouvoir
du roi
sont ceux attribus l'inceste, en
con
tradiction avec
la
croyance qui prte l'inceste
une
efficacit
bienfaisante.
L'ethno
graphie confirme, d'autre part, que les effets destructeurs
de
l'inceste sont, en
der
nire analyse, ceux provoqus
par
le sang, et en particulier par le sang
des
fonctions
gnratrices
fminines
5.
1. Frobenius a
dcrit une
fte Yoruba au cours de
laquelle
les gens s'accouplaient dans les bois,
afin que la
pluie ne
manqut
pas
et que la rcolte ft bonne.
Cette
fte,
lui dit
un vieillard, tait
clbre
en souvenir du mariage incestueux d'Oranja et de Jemaja, parents du
dieu Schango,
dont
le
roi
est l'incarnation. L'auteur
ayant
fait observer
une vieille
prtresse
qu'il y avait assez de
femmes
en lgitimes noces pour
satisfaire
aux exigences de VOrischa (le dieu) , elle lui rpondit
que
c'est
dans un
bois et
sans lgitimes noces que la desse Jemaja
conut le
dieu
Schango
(1949, pp. 204-205). Ce qui indique que pour les Yoruba ce sont les unions incestueuses, l'instar
de celle dont devait natre
Schango
(
son
tour incestueux avec sa mre), et non les unions lg
itimes
,
qui ont le pouvoir de faire tomber la
pluie.
2.
Chez les
Lovedu, le
mythe
lie
l'inceste
de la
princesse
Dzugudini aux charmes de pluie, qu'elle
emporte dans
sa
fuite (Krige, 1943, pp. 5-6). La reine incestueuse
Mujajii
est une clbre
faiseuse
de pluie. A la
mort
de la reine mre, les Lovedu prlevaient et
conservaient
les parties du cadavre
considres comme les
ingrdients
du rainmaking : la peau du front et la
salet
du
corps
(Id.,
pp. 9-10
et
167-168). Une
lgende
parallle
celle
de
Dzugudini
existe
chez
les
Swazi.
3. Meek,
1931
(A),
p.
129 et
p.
137.
4. Meek,
id.,
pp. 130 et 322. A propos de l'ambivalence du roi
des Jukun,
cf. Young, pp.
147-
148.
5. Pour
les Batta
de
Sumatra,
par
exemple, le
crime d'inceste, s'il n'est
pas promptement
rachet,
ruine les moissons. Avant d'pouser
une
cousine (mariage
qui
enfreindrait leurs coutumes exo
games), les Dayak de Borno excutent un
rite
dans
le
but d'carter les
dangers d'une
union trop
proche qui pourrait,
disent-ils,
affecter
la terre et en particulier la croissance du riz. Les Macassar
et les Buginese des Celebes du Sud ont a croyance quel 'inceste tarit les rivires et
rduit le
nombre
des poissons...
Quand
la rcolte
est
insatisfaisante, quand le btail
est malade, les
gens croient
que l'air et la
terre
ont t souills
par
un
contact
incestueux
(Frazer,
1911-1915,
II,
p. 115).
A
ces
exemples,
Frazer en
ajoute d'autres, emprunts
aux civilisations
archaques. Il rappelle
que,
d'aprs Sophocle, l'ancienne Thbes a
souffert
sous
le
rgne
d'dipe
de ravages, de pestilences
et
de
la
strilit
des
femmes
et
du
btail
;
l'oracle
de
Delphes avait
dclar
que la
seule
manire de
676
8/10/2019 Du roi magique au roi divin
11/32
DU
ROI MAGIQUE AU ROI DIVIN L. MAKARIUS
Nous
constatons
donc
que
la croyance aux
pouvoirs
dvasteurs
du roi inces
tueux
est un aspect ncessaire de la croyance
aux
pouvoirs
bnfiques
qu'il exerce
sur la
nature, au
moyen de la
force
ambivalente du sang dangereux,
force qu'il
a
conquise
en
effectuant
une
violation dlibre du
tabou
du
sang.
Ainsi, la
thse
affirmant
que la
fonction violatrice
du
roi
est V
essentiel
de
la royaut nous aura per
mis d'aller au cur du problme, en reconnaissant
la
nature du pouvoir dont le
roi divin
est investi.
L'inceste,
violation majeure,
n'est
pas toujours l'unique violation que commet
le roi.
Soit qu'aux fins magiques poursuivies ainsi, d'autres violations paraissent
tre des
adjuvants utiles ou ncessaires, soit que l'on considre que toutes
les
vio
lations
s'apparentent
aux
violateurs,
soit encore
que
l'on veuille
par l souligner
le caractre exceptionnel du
briseur
de
tabou, nous
constatons que souvent le
roi
commet
d'autres violations
que l'inceste.
Elles
font
parfois partie des
rites
d'intro
nisation.
Chez les Bushong, par exemple, o les rats
sont
nyec (dgotants) et cons
tituent un tabou
national,
le roi
se voit offrir,
lors de
son couronnement,
un panier
plein de ces rongeurs1.
Au
cours
du
rite
d'investiture du
chef
Luba
a lieu
une violation dlibre
des
tabous
alimentaires.
Le chef, qui vient de commettre l'inceste avec sa nice, est
conduit dans la
cuisine
de sa nouvelle
rsidence,
et
l
on
le fait manger de la mme
faon que l'initi,
la
veuve, etc. , c'est--dire qu'on le soumet
aux
mmes
tabous
et comportements alimentaires imposs aux
personnes places
sous le tabou du
sang.
On lui
fait
toucher tous
les
ustensiles
qui
lui
seront
dornavant exclusivement
rservs,
puis,
en un repas
rituel,
on fera
manger au chef au moins une
fois tous les
mets
dfendus
2.
rtablir
la prosprit tait de bannir le pcheur,
dont
la prsence provoquait le fltrissement des
plantes,
des animaux
et
des
femmes. Mais
Colone,
dipe se dira porteur d'une
grce" et de
bienfaits.
D'aprs la lgende, quand l'Irlande, au
sicle, fut afflige d'une disette due
aux
rcoltes
dsas
treuses et d'autres
malheurs, on
dcouvrit que le
roi
commettait
l'inceste
avec sa sur. Les deux
fils ns de cette
union
furent condamns tre brls. Frazer conclut en affirmant que la croyance
au
pouvoir dvastateur de
l'inceste est trs
rpandue et remonte
des
temps
trs
reculs ; elle pourr
ait
mme, son
avis,
avoir
prcd l'essor
de
l'agriculture. L'auteur, qui
explique cette croyance
par
le
raisonnement
que l'inceste serait considr comme nuisant la
reproduction
des
tres vivants
et des plantes, parce qu'il
est
vu comme
subvertissant
le processus naturel de la reproduction,
envi
sage la possibilit
d'attribuer
une
telle croyance l'horreur de
l'inceste
(Id.).
Les
effets
destructeurs attribus
l'inceste sont les
effets
destructeurs attribus
au sang,
et
en
particulier
au
sang
des
fonctions
gnratrices fminines.
Il
suffit
de rappeler
la
croyance
Maori
sur
les
effets dsastreux
que
produit sur
les sources de l'alimentation l'approche des
femmes
saignantes
(cit par Makarius, 1961, pp. 130-131). Ou encore les deux surs du mythe australien, les Wawa-
lak
(l'une
pubre et l'autre accouche), laissant
sur leur
chemin une
trace
sanglante, faisant
fuir
le
gibier
et tomber
en
cendres
les
ignames (Id.).
Ces effets dvastateurs de l'inceste
expliquent
les
cas
o seul le caractre
destructeur
du roi
parat avoir t retenu. Ainsi Williamson crit : Le roi deTutuila... devait toujours
regarder
le
sol, parce que si son regard tombait sur les arbres et les animaux et sur les autres choses, il les
aurait
fait mourir. Il n'y a ici aucune suggestion d'un processus faisant prosprer les choses, mais il
est
plutt question d'un tabou infectieux produit
par
un contact
indirect
avec un grand
chef...
(III,
p. 321). Vansina crit du
roi
de
Bushong
qu'il ne
doit
pas
s'asseoir
terre
ou traverser un champ
parce que
le sol
serait
brl
par ce contact direct
avec le souverain
(1964, p.
100).
Nous
avons
pour
tant
vu le mme
auteur
dclarer que le roi
est
le dispensateur de la fcondit .
1.
Vansina,
1955, pp.
149-150.
2. Theeuws,
1960,
pp. 172-173. L'auteur continue : Reste un rite parfaire pour faire mordre
677
8/10/2019 Du roi magique au roi divin
12/32
ANTHROPOLOGIE ET HISTOIRE
Parfois
ces
actes violateurs sont accomplis lors
de
clbrations priodiques,
comme chez
les
Ashanti,
o le
roi,
pendant
la
fte dite Odwira, frappe
rituellement
un
buf de son pe
en
or
Bosommuru, qu'un
tabou imposerait
de
tenir
radical
ement
pare
des bufs
et
des
taureaux1.
Certaines
de ces violations
se
prtent
tre
rationalises par
des interprtations
de
sens
commun :
ainsi
le fait que
le
roi de
Ghanda faisait
saccager les
temples des
divinits qui
l'avaient offens actes
pour
lesquels toute autre personne aurait
t
immdiatement mise
mort
par la
garde du
sanctuaire tait
considr
comme
une manifestation de la puissance royale 2. Au
dbut
du xvine
sicle,
le
premier
roi du
Dahomey, Te
Angbalin,
dfiant
la
coutume
qui l'interdisait, fit excuter
un
couple
de jumeaux
pour
prouver sa
toute-puissance
sur
les
hommes
et
les
vaudouns
de
son territoire
;
ayant
accompli
ce haut fait,
audacieux
pour son
poque,
il consi
dra
qu'il n'avait plus rien craindre
des mnes des
simples mortels, qu'il
pouvait
dsormais
faire tuer impunment 3. Dans ces deux cas, le motif originel
qui
porte
le roi
violer le
tabou
est
recouvert par les considrations
pratiques
auxquelles
ces
violations
donnent
lieu.
Mais
la nature
essentielle
de
ces
actes
apparat
de
certains
le
bulopwe (la
royaut). Le
premier ennemi tu
au combat
ou
dans un meurtre
rituel
est dcapit.
On jette la tte
contre
la poitrine du chef. La tte
roule
par terre et
le chef
enfonce
le
grand orteil
dans l'il. Il crase la tte. On garde le sang de la victime. Les chasseurs
s'abstiennent
pendant
une
nuit
et partent la chasse. Ils cherchent
des
feuilles
d'arbre
trs dures. Ils cuisent ces feuilles.
Ils y
ajoutent
un peu de la viande de chaque
antilope
dfendue
par les tabous,
un peu de poisson
noir, galement
dfendu, du sang
humain
et de la
poudre
racle de l'os
frontal d'un mort. Le
chef
se met la
plume
rouge
du boucan
(porte seulement
par ceux qui ont
vers
du sang
humain) dans
les cheveux. Il
mange.
Le bulopwe mord. Il est vraiment
chef
au mme titre que ses collgues
investis (Id.).
Un autre observateur des Luba, Burton,
fait
le rcit suivant : quand le chef
sort, en
propht
isant
t
en
dansant,
de
la
hutte
dans
laquelle
il
vient
de commettre
l'inceste
avec
sa
nice,
il
se
passe
une scne
inhumaine de boucherie...
Un
village
vassal est
choisi pour tre
ananti... Un nou
veau
chef doit
tre oint avec du sang humain, et il
doit
mettre ses
orteils
dans les orbites de ceux
qui ont t
tus par des
guerriers...
Ainsi le mudyavita,
le
commandant en
chef de ses
forces, jette
aux pieds du
chef
les
crnes
des tus, l'oignant de la tte aux pieds de leur sang, et jetant des poignes
de
sang sur
les spectateurs.
De
plus,
on
prpare
des
aliments avec l'eau de la source sacre et
on
les mlange
au
sang des
tus.
Pendant
que le chef mange cela, le ncromancien en
chef
lui
enjoint
de manger dsormais
seul et de
ne pas se
laisser
voir en train
de manger et de boire, sous peine de perdre son pouvoir
et de mourir
(1961, pp.
23-24). Pour
les nombreuses violations
de tabou
commises par
le
roi
Swazi
lors de
YIncwala, v.
l'article
cit
de L. Makarius.
1. Rattray, 1927, pp. 136-137.
L'Italien
Cavazzi
da
Monte Cuccolo, crivant la fin
du xviie
sicle,
raconte qu'un guerrier,
qui
avait rassembl
une
bande de brigands pour ranonner
les passagers au guet
du Kwango, commit un meurtre sur la personne de sa
tante,
qui allait
avoir
un enfant.
A
la
suite
de ce haut
fait,
il
fut
proclam
chef, mutinu.
Il
envahit
une
province,
fonda
une
capitale
et y
organisa
son rgne
(p.
237).
Cavazzi
voque ainsi
le
premier
roi
du
Congo,
dont Balan-
dier
situe le
rgne
dans la seconde moiti du
xive
sicle, connu sous le nom de Ntinu Wn. Une
double
violation de tabou,
le
meurtre d'une
parente et d'une femme enceinte,
l'a qualifi
pour
la
royaut. C'est
cette violation
qui explique
le
tabou qui
l'entoure.
Les habitants du
pays
portrent
un si grand respect, un endroit de la fort o... il fit sa
demeure,
que ceux qui passaient aux
envi
rons
n'osaient
pas
tourner la tte de ce ct. Ils taient persuads
que, s'ils
le faisaient, ils
mourr
aient sur-le-champ.
(Balandier,
citant un texte de
Cuvelier,
qui
se
rfre Cavazzi.) Et encore :
ses armes et son contact tuent . (Balandier,
p.
24.)
L'auteur que
nous venons de
citer
voit
toute
l'importance
qu'il
faut
attacher ces faits : ...
les
donnes de la tradition
kongo
concernent
moins une
histoire singulire qu'une
conception
gnrale
des
fondements
archaques
du
pouvoir
ancien.
Une
thorie que l'Afrique ancienne connut largement, mais dont elle ne fut pas la dtentrice
exclusive (p.
25).
2.
Roscoe,
1911,
pp. 301,
273.
3. Akindel et Aguessy,
p.
47.
678
8/10/2019 Du roi magique au roi divin
13/32
DU
ROI MAGIQUE
AU
ROI DIVIN
L. MAKARIUS
textes
ethnographiques,
par exemple
du
texte
suivant concernant le
chef
des Lele
(Kasai),
qui
rclame le droit exclusif de tuer
des
tres humains, droit qui aurait t
acquis par l'anctre
mythique
Woto en dfiant
la
prohibition de l'inceste.
(Woto
eut
comme
punition
la
lpre,
et
comme rcompense
la
vertu
divine
de
contrler
la vie
.)
Un chef, crit Mary Douglas, peut briser
les
rgles ordinaires de la vie
sociale sans tre pour cela considr comme un animal. L'inceste rituel est partie
essentielle des rites d'intronisation. Un jeune
chef
est cens tuer
un frre
de clan
chacun des rites de transition
de
son adolescence. Ces transgressions
du code
normal
sont,
pour
les
chefs,
une
source
de pouvoir magique,
bien
que pour
toute
autre
personne elles
entraneraient une
punition divine. Le symbolisme normal
est
ici
inverti,
donnant un pouvoir
sinistre
la notion
de
souverainet.
Tuer un
homme
du clan, commettre un inceste avec une femme du clan, ce sont l
les
deux crimes
majeurs contre la solidarit
clanique, deux
crimes
considrs comme dignes
des
btes.
Sur le
plan social,
objectif,
ces
deux
crimes
majeurs,
l'inceste
et
le
meurtre
d'un
homme
du
clan, reprsentent la
violation des
deux interdits fondamentaux
du
groupe,
l'interdit qui
en rgit
l'ordre
social, et celui
qui
garantit l'intgrit de
ses
membres.
Leur
violation porte
atteinte de la mme
manire
la
solidarit
clanique.
Sur le plan magique,
subjectif,
ils reprsentent deux actes de mme nature et
d'efficacit
quivalente.
L'un et l'autre
permettent de
raliser le contact
avec le sang
consanguin qui, tant le sang le plus dangereux (parce qu'il lui est attribu le pouv
oir de faire couler le sang
des
membres du groupe), est considr comme le
plus
dou
d'efficacit
magique. Il
n'est
donc pas surprenant de
voir
ces deux interdits
fondamentaux viols
par
le chef,
qui
associe l'inceste le meurtre consanguin,
ces
deux violations
criminelles
tant
sa prrogative
suprme
2.
Chez
les
Ashanti,
la
reine
n'tait
considre comme
apte
rgner
que
si
elle
con
senta it
au
sacrifice d'un de ses proches, l'immolant
pour
assurer la
prosprit
d'une
ville fonder, ou
pour loigner
un malheur
frappant le
pays.
Elle
devait
sacrifier
de prfrence une de ses filles arrives la pubert, sinon un fils, ou encore une de
ses
surs
ou de
ses nices.
Il tait
essentiel
que
la victime
ft
du lignage
de
la
reine
mre.
Ce
sacrifice consanguin tait considr comme indispensable,
au
point que
lorsque, au
xvnie
sicle, tous les enfants d'une reine mre
refusrent
de
se
laisser
immoler (le consentement des victimes tant ncessaire), le
roi
fut exil et la ligne
fut maudite et
dclare
tombe au rang
des
gens
du
commun. Un homme d'une
autre ligne fut
lu,
sa nice s 'tant
spontanment offerte pour
le sacrifice 3.
Cet exemple
montre que le meurtre
des
frres et d'autres
parents
qui accompagne
souvent
l'investiture
d'un
roi n'est
pas
toujours explicable
par
les
raisons politiques
et
dynastiques
qui
sont
gnralement
proposes
pour
les
justifier
4.
S'il
est
compr-
1.
Douglas,
1963, p. 202. Vansina affirme
que,
exactement
comme
le sorcier
transgresse
toute
une srie de tabous
et
en acquiert un surcrot de force
malfique,
le roi transgresse les
interdictions
les
plus sacres et
en retire une
force supplmentaire
(1964, p.
111).
2. Sur le meurtre
consanguin,
voir L. Makarius, 1969, (A), pp. 23-24 ; 1969 (B), p. 238 sq. ;
(C), pp. 627-628.
3. Meyerowttz, 1958, p. 27, n. 2. Ayagba, roi des
Igala,
dont
on
situe le rgne
vers
la fin du
xvne
sicle,
dut
sacrifier une
fille
qui
lui tait trs chre, la belle Enekpe
(ou
Inikpi), pour
viter
d'tre battu
par les
Jukun. Les rois d'Igala rendent un culte
au
tombeau de la jeun esacrifie (Clif
ford, p. 399 ; Boston, p.
232).
V. aussi A.
Lebeuf,
1969, pp. 57, 65, 67, 70, 71,
74.
4.
Par
exemple,
chez
les
Nyoro
(Roscoe,
1923
(A),
p.
123),
au
Nkole
(Oberg,
1948,
pp.
157-
158), chez les Luba (Burton, p. 20). Irstam crit que l'ide inspirant ces meurtres
est naturellement
679
Annales
25*
anne,
mai-Juin 1970, n* 3)
8
8/10/2019 Du roi magique au roi divin
14/32
ANTHROPOLOGIE ET HISTOIRE
hensible
que
des
luttes
politiques aient lieu entre frres
d'une
famille royale, ou
encore
entre les deux
lignes du
souverain, et
qu'elles
entranent
combats
et assas
sinats, ces conflits recouvrent parfois le thme rituel au point
qu'il
est difficile
de
le
reconnatre, mais ne l'excluent pas. Nous
voyons l
un exemple de la
convergence
de
la
raison
magique
et
de
la
raison
politique,
de l'imbrication de
celle-l
dans
celle-ci,
ce
qui
permet la conservation
d'usages
ayant trouv,
dans de
nouvelles
conditions sociales, une justification
diffrente
de leur raison d'tre originaire.
L'arme
magique,
traditionnelle,
du meurtre consanguin
sert
liminer lgitim
ement
des
rivaux potentiels ou rels
\
Le
meurtre consanguin, accompli dans un but magique,
n'est
certainement
pas absent
de
l'enchevtrement
d'instigations au
meurtre
qui accompagnent
l av
nement
d'un
roi tribal.
Le
meurtre politique recouvre ce thme
magique
original,
tout
comme dans certaines
socits,
par
exemple
Hawaii, la sauvegarde de la puret
du
sang aristocratique
recouvre le thme
de l'inceste magique. Pourtant,
si
l'inceste
royal
avait
vraiment
un
tel
but,
il
serait trange
que
ce sang
prcieux
ft
vers
avec
tant
de
dsinvolture par
un membre
de
la
famille
royale.
Le
roi se prsente
sous un
nouvel
angle, mais toujours sous
le mme clairage,
en tant que dtenteur
des
mdecines
et
des
talismans
qui
constituent
les attri
buts essentiels de la royaut. Chefs et souverains
s'identifient
ces objets, ces
mdecines, qui sont
censs
assurer
la
victoire sur l'ennemi et
la
prosprit et le
bon
heur
du
royaume, et qui reprsentent en mme temps les insignes de leur statut, les
symboles
de
leur
puissance magique
et
les instruments
par
lesquels
elle s'exerce.
Le
roi des
Makalaka
du Bchuanaland, Mambo, prophte rput, chef de tous
les
le
dsir de prvenir
une
guerre civile (p.
74).
De
Heusch, par contre,
pressent
l'existence d'un lien
entre
le meurtre des frres et
l'inceste
du
roi.
Il
crit
:
Le
rituel incestueux doit tre mis
en
corr
lation... avec la lutte des frres
ennemis
; ces deux lments traduisent
en
actes
passionns
une
ontologie
base sur
la
puissance
vitale (p.
123).
Mais dire
que
l'inceste
et
le
meurtre sont
des
actes passionns (ce qui
est d'ailleurs
le contraire de la
vrit, rien n'tant
plus exempt de pas
sion que ces actes accomplis en hommage la tradition) ne
nous
claire pas
sur
la
relation qui
les
unit l'un
l'autre
et tous les deux la puissance , que
nous
n'appellerons pas vitale , mais
simplement magique .
Relation qui
se dcouvre la lumire de la violation de tabou,
l'inceste
et le meurtre tant deux moyens violateurs de raliser un but
identique,
le contact avec le sang
consanguin qui,
tant
le
sang
le
plus dangereux,
est
aussi
le
plus
efficace
dans
la magie.
1.
Une
autre
circonstance rend difficile l'tude
du
meurtre consanguin
dans
le cadre des
vio
lations
royales.
On
constate
que
certains rites
de sang, qui
ont
lieu
l'investiture
et
qui
comportent
la mise mort d'un
consanguin,
sont interprts
comme
des
rites
de rachat. Chez les Bakitara, un
jeune
frre du
roi, trait en
mock
king, est
tu
au
moment de l'intronisation du souverain pour
tromper la
mort
, et afin que le roi soit libr de tout le mal qui pourrait s'attacher sa per
sonne
(Roscoe,
1923
(A), pp.
129-130).
L'intention d'effectuer un
rachat
sanglant (V., pour
la signification
prcise de ce
terme,
Durkheim,
op.
cit., pp. 49-50)
est
clairement
exprime, mais
il n'est pas impossible qu'un meurtre magique
de
consanguin ait t interprt en ce sens. La cou
tume du roi des
Amaponda,
de
se
laver, lors de l'acession au
trne,
dans le sang d'un proche parent,
gnralement d'un frre
(Frazer,
1938,
p. 51, citant
Gardiner, 1836) peut
se classer
dans
l'une
ou l'autre de ces catgories, ou dans
les
deux la
fois.
La
situation de danger, sinon de
culpabilit, cre
par
l'inceste royal, fait
appel
au
rachat san
glant
visant effacer le danger de sang dclench par l'inceste. (Pour la relation
tablie entre
inceste
et danger
de sang, ainsi que pour les rites de sang
tendant
racheter
le
danger
sanglant de
l in
ceste cf. Makarius, 1961, pp. 69-73). Dans ces conditions, il
est
fort possible qu'un rite homicide
dont
le
but
premier tait
la violation
du
tabou
sur
le
sang
consanguin,
soit compris
comme
un
rite,
de
rachat
et devienne effectivement tel.
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8/10/2019 Du roi magique au roi divin
15/32
DU
ROI MAGIQUE AU
ROI DIVIN L MAKARIUS
magiciens du
territoire, tait
l'homme
capable de
procurer
toutes les
mdecines
pour la chance et tous
les
charmes importants... ,
l'homme
charg des
cornes
contenant les
charmes
.
D'aprs l'auteur,
ces cornes taient les sacra de la tribu,
et
elles confraient le
pouvoir de
rgner
celui
qui
les
possdait1.
Le
kiragu est
ce
qui
fait
le
Mugwe
, disent
les
Imenti en
parlant
du pot rempli
d'un
liquide
mystrieux qui est
l'attribut du
pouvoir de leur chef. Comme
il tient le
kiragu de sa main gauche, cette main doit toujours
tre
couverte et cache ; il est
dfendu d'y jeter un regard, et celui
qui
la verrait mourrait sur le champ.
Il
suffit
au Mugwe de lever
cette
main
gauche pour
repousser
une
arme ennemie, he kiragu
lui donne
le
pouvoir de bnir et celui de
tuer.
Il
est
donc
une mdecine
hautement
ambivalente, de mme qu'est ambivalent
le
pouvoir
du
Mugwe, magiquement
responsable
du bien-tre du
peuple,
mais pouvant
aussi
faire mourir les arbres
et
lancer des
maldictions dvastatrices, et dans tous les
cas
inspirant
la
terreur 2.
La plus
grande
des mdecines nyakyusa est employe
exclusivement
par le
chef. Le pouvoir de
cette
drogue
terrible
est dangereusement
pareil
celui
des
sorciers.
Associe
aux
sang
et
aux
excrments
et
compose,
dit-on,
du
sang
d'un
python
qui
aurait march sur
les
lames d'un rasoir, elle est si terrible que si le
roi
tait
bless
tout
son
peuple mourrait. La mdecine
est
place dans de petites cornes,
rattaches
aux
objets ports
comme regalia la guerre.
Elle est
une
chose qui tue
les
gens. 3
Les
pouvoirs du roi des
Bushong
sont
dus, dans
la croyance de leurs
sujets, aux
charmes
et
aux mdecines
qu'il possde. S'il les porte sur
lui,
il ne tra
verse
pas un champ
par le milieu, car s'il
passe, les
rcoltes priront toutes. 4
Chez
les Ambo de
Rhodesie
du
Nord, les chefs connaissent
la
mdecine de famine ,
ou busibungu,
qui contient du sang menstruel et est prsume
pouvoir
dvaster le
pays 5.
Destructrices, mortelles, effets nfastes, foudroyants, ces
mdecines
sont
nanmoins
l'apanage
des
tres
desquels
dpendent
la
prosprit
et
le bien-tre
du
royaume
et de
ses
habitants. Ambivalentes comme
leurs
dtenteurs, elles sont,
comme eux, dangereuses et terrifiantes autant sous leur aspect
bienfaisant
que sous
leur aspect malfique.
C'est
qu'elles sont de mme nature
que les
chefs et
les
rois,
1.
Sebin, pp. 82-96.
2. Bernardi,
pp.
100-104. Cf. R. et L. Makarius, 1968,
pp.
208 sq.
3. Wilson, 1959,
pp.
58-60.
4.
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