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2 X Illustration : Sébastien Thibault Qu’entend-on par gérer un portefeuille d’innovation ? V oyons d’abord le sens large du terme « innovation ». Définie comme une création novatrice qui produit de la valeur, une innovation peut être d’une envergure aussi petite qu’une nouvelle couleur de vernis à ongles ou aussi importante que le Web. La plupart des entreprises investissent dans des projets qui couvrent un vaste éventail de risques. Tout comme c’est le cas dans le placement financier, elles de- vraient chercher à se composer un portefeuille avec le meilleur rendement global, tout en respectant leur tolérance au risque. La Matrice des ambitions d’innovation (p. XX) est un outil que nous avons élaboré dans cette optique. Dans la bande d’activité de la partie inférieure gauche de la matrice, on trouve L’avis de Islem Yezza Directeur Technique et Développement des Affaires, Cascades « Au cours des dernières décennies, l’innovation est devenue une priorité stratégique pour les entre- prises qui évoluent dans un environnement incertain. Pourtant, peu de sociétés parviennent vraiment à innover. L’innovation ne se décrète pas, elle se pense, se planifie, se gère et se mesure. » Certaines entreprises ne misent que sur l’amélioration de leurs produits. D’autres semblent réinventer le monde à chaque lancement. Sur quel modèle devrait-on aligner sa stratégie d’innovation ? . Auteurs : Bansi Nagji et Geoff Tuff HARVARD BUSINESS REVIEW UNE STRATéGIE BâTIE SUR MESURE DOSSIER : Innovation PREMIUM

Innovation: Une stratégie Bâtie sur Mesure

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Au cours des dernières décennies, l’innovation est devenue une priorité stratégique pour les entreprises évoluant dans un environnement incertain aux contours mouvants et aux caractéristiques volatiles. Pourtant, peu de sociétés parviennent vraiment à innover. L’innovation ne se décrète pas, elle se pense, se planifie, se gère et se mesure.

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Illustration : Sébastien Thibault

Qu’entend-on par gérer un portefeuille d’innovation ? Voyons d’abord le sens large du terme « innovation ». Définie comme une création novatrice qui produit de la valeur, une innovation peut être d’une envergure aussi petite qu’une nouvelle couleur de vernis à ongles ou aussi importante que le Web.

La plupart des entreprises investissent dans des projets qui couvrent un vaste éventail de risques. Tout comme c’est le cas dans le placement financier, elles de-vraient chercher à se composer un portefeuille avec le meilleur rendement global, tout en respectant leur tolérance au risque. La Matrice des ambitions d’innovation (p. XX) est un outil que nous avons élaboré dans cette optique.

Dans la bande d’activité de la partie inférieure gauche de la matrice, on trouve

L’avis de Islem YezzaDirecteur Technique et Développement des Affaires, Cascades « Au cours des dernières décennies, l’innovation est devenue une priorité stratégique pour les entre-prises qui évoluent dans un environnement incertain. Pourtant, peu de sociétés parviennent vraiment à innover. L’innovation ne se décrète pas, elle se pense, se planifie, se gère et se mesure. »

Certaines entreprises ne misent que sur l’amélioration de leurs produits. D’autres semblent réinventer le monde à chaque lancement. Sur quel modèle

devrait-on aligner sa stratégie d’innovation ?

.

Auteurs : Bansi Nagji et Geoff TuffHarvard Business review

Une stratégie bâtie sUr

mesUre

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Dossier : Innovation

L’avis de islem Yezza

L’innovation au sein d’une entreprise

n’est possible que dans la mesure

où il y a une concordance entre

la structure de l’organisation,

ses besoins et les objectifs qu’elle

poursuit, car l’innovation est fragile et exige un

climat, un contexte et un environne-ment qui lui sont

favorables. La réussite

de l’innovation repose sur une

stratégie clairement définie, compréhensible et

constamment communiquée à tous les paliers

de l’organisation.

les projets d’innovation de base, soit les efforts déployés pour apporter des changements pro-gressifs à des produits existants et pour réaliser progressivement des percées dans de nouveaux marchés. Qu’elles prennent la forme d’un nouvel emballage (comme les sachets de biscuits Oreo de 100 calories de Nabisco), de légères reformulations (comme lorsque Dow Agro-Sciences a lancé un de ses herbicides sous forme de suspension liquide plutôt que de poudre sèche) ou d’un aspect plus pratique du produit (par exemple, le remplacement des palettes par un emballage sous film rétractable afin de réduire les frais d’expédition), ces innova-tions exploitent des ressources que l’entreprise possède déjà.

Dans le coin opposé de la matrice se trouvent les projets de transformation qui visent à créer de nouvelles offres, voire de toutes nouvelles entreprises, afin de développer de nouveaux marchés et de répondre aux nouveaux besoins des clients. Lorsqu’elles réussissent, ces inno-vations font les manchettes. Pensez à iTunes, à la Nano de Tata et à l’expérience client dans les Starbucks. Les innovations de ce type, égale-ment qualifiées de percées, d’innovations, de ruptures ou de révolutionnaires, obligent habituellement les entreprises à faire appel à de nouvelles ressources et à développer des outils qui leur permettent de mieux comprendre les clients, de communiquer à ceux-ci des infor-mations sur des produits qui n’ont pas de pré-curseurs directs et de développer des marchés qui ne sont pas encore arrivés à maturité.

Au centre de la matrice se trouvent les inno-vations adjacentes, qui ont des caractéristiques communes avec les innovations de base et avec les innovations de transformation. Une innova-tion adjacente implique l’exploitation du savoir-faire de l’entreprise pour le transposer ailleurs. Le Swiffer de Procter & Gamble (P&G) en est un bon exemple. Ce produit est né d’un ensemble de besoins que P&G connaissait bien, et sa concep-tion repose sur l’hypothèse que le meilleur outil pour nettoyer les planchers est une vadrouille à long manche. Toutefois, l’entreprise a fait appel à une nouvelle technologie pour offrir la solution à un nouveau groupe de clients et pour générer de nouvelles sources de revenus. Les innovations adjacentes permettent aux entreprises d’exploi-ter des capacités existantes, mais exigent qu’elles adaptent ces capacités à de nouveaux usages. Elles doivent donc envisager d’un tout autre œil les besoins des clients, les tendances de la demande, la structure du marché, la dynamique de la concurrence, les tendances technologiques et les autres variables du marché.

La Matrice des ambitions d’innovation ne prescrit rien en soi. Sa force vient des deux exercices suivants : 1. D’abord, elle fournit aux gestionnaires un cadre de surveillance de l’en-semble des projets d’innovation en cours, ce qui leur permet d’en connaître le nombre ainsi que l’investissement consacré à chacun. 2. Ensuite, elle leur donne un moyen de discuter de l’ambi-tion globale qui convient au portefeuille d’inno-vation de l’entreprise. Pour une entreprise, disons un fabricant de produits, une grande

Pour réussir une transforma-tion, c’est-à-dire pour générer des produits ou des innovations totalement différents, une organisation doit habituellement faire les choses différemment.

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InnovatIon adjacente

InnovatIon de transformatIon

InnovatIon de base

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réussite en matière d’innovation peut vouloir dire investir dans des projets qui tendent vers la partie inférieure gauche, comme de petits ajouts à une gamme de produits existante. Par contre, une société de haute technologie pourrait pencher vers la partie supérieure droite et prendre de plus grands risques avec des innovations plus audacieuses qui offrent un plus grand potentiel de retombées. Bien que cela puisse sembler évident, peu d’organisations réfléchissent au nombre idéal d’innovations à cibler, et celles qui parviennent à l’atteindre sont plus rares encore.

trouver le bon équilibre et le maintenirDans le cadre d’une étude sur des entreprises des secteurs de la technologie et des produits industriels et de consommation, nous avons cherché à établir si une allocation particulière de ressources aux projets d’innovations de base, d’innovations adjacentes et d’innovations de transformation était corrélée avec un rendement sensiblement supérieur, reflété dans le cours de l’action. Les données ont en effet révélé une tendance : les entreprises qui consacraient environ 70 % de leurs activités d’innovation aux projets d’innovations de base, 20 % aux projets

La Matrice des ambitions d’innovationLes entreprises qui excellent dans la gestion globale des innovations investissent simultanément sur trois plans en s’assurant de maintenir l’équilibre entre eux.

L’avis de islem Yezza

L’innovation réussie est d’abord une

aventure humaine et collective.

Ouverture, curiosité,

créativité, confiance, écoute

et audace font plus pour la capacité

d’une entreprise à innover que

la compétence technique. Insufflé

par le dirigeant, l’esprit d’innovation

générera des occasions

inattendues, la collaboration

avec des partenaires

compétents réduira les coûts de

développement, l’écoute du client

favorisera la commercialisation

du produit, et l’innovation sera

une réussite et non plus une charge qui

plombe le bilan de l’entreprise.

Ajouter des attributs et des produits progressivement

Élaborer de nouveaux produits et attributs

Utiliser des ressources et des attributs existants

comment gagner

oÙ a

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Serv

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optimiser des produits

existants pour des clients existants

Partir d’un produit ou

d’un service existant

pour créer un nouveau

produit ou service

Faire des percées

et innover pour des marchés

qui n’existent pas encore

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Dossier : Innovation

L’avis de islem Yezza

Les entreprises n’innovent plus

uniquement par le développement de

nouveaux produits. Elles le font

également en élaborant de

nouvelles méthodes de

gestion, de nouveaux modèles de commercialisa-tion, de nouvelles

approches de production et des façons originales

d’aborder la création de valeur.

Nous sommes passés d’une

innovation largement tirée

vers l’avant par la technologie à des

modèles d’affaires sophistiqués qui

tiennent mieux compte des besoins et des attentes des

consommateurs actuels et

potentiels, ainsi que de leur versatilité.

d’innovations adjacentes et 10 % aux projets d’innovations transformationnelles devançaient leurs pairs. Elles obtenaient habituellement un ratio cours/bénéfice supérieur de 10 à 20 % (voir le tableau « Existe-t-il un ratio en or ? »). Google s’y connaît bien en la matière : le cofondateur Larry Page a confié à la revue Fortune que l’en-treprise cible une composition de 70-20-10, et il a attribué toutes les véritables nouvelles offres de l’entreprise aux 10 % de ressources consa-crées aux efforts de transformation. Nos conver-sations ultérieures avec des analystes des achats ont révélé que les marchés financiers aiment cette répartition en raison de ce qu’elle implique pour ce qui est de l’équilibre entre le court terme, la croissance prévisible et les paris à long terme.

La question suivante nous permet de faire un constat encore plus intéressant : dans une entre-prise, quelle part des bénéfices nets attribuables aux efforts d’innovation est générée par les in-novations de base, les innovations adjacentes et les innovations de transformation ? Nous consta-tons que le taux de rendement est ni plus ni moins l’inverse de la répartition idéale mention-née ci-dessus : les efforts d’innovation de base contribuent habituellement à 10 % du rende-

ment cumulatif à long terme des investissements dans l’innovation, les innovations adjacentes, à 20 %, et les innovations de transformation, à 70 % (voir le tableau « Comment l’innovation paie les factures »).

Ensemble, ces résultats soulignent l’impor-tance de bien gérer le portefeuille d’innovation. La plupart des entreprises penchent nettement vers les innovations de base, et doivent conti-nuer de le faire, étant donné les risques associés aux innovations adjacentes et aux innovations de transformation. Toutefois, si cette tendance naturelle les amène à négliger les formes d’inno-vation plus audacieuses, il en résultera une baisse constante du chiffre d’affaires et de la satisfaction de la clientèle. Les innovations de transformation sont les moteurs de la croissance exceptionnelle.

Soyons clairs : nous ne prétendons pas qu’une répartition 70-20-10 de l’investissement en innovation soit une formule qui s’applique à toutes les entreprises. Il s’agit simplement d’une répartition moyenne basée sur une analyse mul-tisectorielle à divers endroits. L’équilibre qui convient à chaque entreprise varie en fonction d’un certain nombre de facteurs.

Le secteur d’activité constitue un des facteurs importants. Les fabricants du secteur industriel que nous avons étudiés ont un solide portefeuille d’innovations de base auquel s’ajoutent quelques percées, et ils se rapprochent de la répartition 70-20-10. Les sociétés de technolo-gie consacrent moins de temps et d’argent à l’amélioration de leurs produits de base, car leur marché attend avec impatience l’innovation sui-vante. Les fabricants de produits de consomma-tion sous emballage s’engagent dans peu de pro-jets d’innovation de transformation. De ces trois types d’entreprises, ce sont les fabricants du secteur industriel qui ont le ratio cours/bénéfice le plus élevé par rapport à leurs pairs, ce qui per-met peut-être de penser qu’ils se rapprochent de l’équilibre qui leur convient.

La position concurrentielle d’une entreprise au sein de son secteur d’activité influence également la composition de son portefeuille d’innovation. Par exemple, une entreprise en perte de vitesse pourrait vouloir s’engager dans des projets d’innovation de transformation plus risqués, dans l’espoir de créer un produit ou un

Il est périlleux de penser prédire les ventes sur cinq ans d’un produit que les gens ne connaissent pas encore.

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service qui serait une véritable innovation de rupture et qui changerait radicalement sa courbe de croissance. Apple, qui était en difficulté, a pris cette décision à la fin des années 1990, jouant effectivement son avenir sur plusieurs projets audacieux, dont la plate-forme iTunes. Par contre, une entreprise qui veut maintenir sa position de chef de file ou qui perçoit une perte d’intérêt du marché pour ses innovations plus ambitieuses pourrait décider de faire l’inverse. Elle pourrait choisir de se délester de certains projets de transfor-mation risqués pour se concentrer sur les innovations de base.

La phase de développement d’une entreprise constitue un troisième facteur. Les entreprises en phase de démarrage, surtout celles qui sont financées par du capital de risque, doivent réaliser un coup d’éclat. À leurs yeux, un inves-tissement disproportionné dans l’innovation de transformation pourrait être justifié, pour attirer l’attention tant des médias, des investis-seurs que des clients, et parce qu’elles n’ont pas encore beaucoup de produits ou d’activités de base sur lesquelles bâtir. À mesure qu’elles prennent de la maturité, qu’elles développent une base de clients stable, et que la protection et la croissance de leurs activités de base deviennent plus importantes, elles peuvent recentrer leurs efforts sur les produits ou les activités d’une entreprise plus établie.

Il s’agit pour une équipe de gestion d’arriver à un ratio qui, selon elle, offrira un meilleur rendement du capital investi en termes d’aug-mentation des revenus et de capitalisation bour-sière. Cette équipe de gestion des innovations doit également découvrir l’écart qui sépare sa répartition actuelle de la répartition idéale, et élaborer un plan pour combler cet écart.

organiser et gérer le système d’innovation globalPour gérer un portefeuille d’innovation, il est essentiel de cibler un juste équilibre d’inno-vations de base, d’innovations adjacentes et d’innovations de transformation, mais cette étape soulève immédiatement un problème. En effet, pour concrétiser le potentiel de cet équilibre, une entreprise doit être en mesure de travailler à chacun des trois niveaux d’ambi-tion. Malheureusement, la boîte à outils dont les gestionnaires ont besoin pour maintenir l’inno-vation sur la bonne voie varie considérablement selon le type d’innovation en question. Peu d’entreprises maîtrisent les trois niveaux.

Les entreprises connaissent habituellement plus de difficulté avec les innovations de transfor-mation. Selon une étude de la Corporate Strategy Board, les entreprises arrivées à maturité qui essaient de percer un nouveau marché échouent près de 99 % du temps. Cette statistique témoigne de la dure réalité : pour réussir une transfor-mation, c’est-à-dire pour générer des produits ou des innovations totalement différentes, une organisation doit habituellement faire les choses différemment. Elle a besoin de gens différents, de facteurs de motivation différents et de systèmes de soutien différents. Les entreprises qui y par-viennent (GE et IBM sont des exemples notoires) ont examiné attentivement cinq aspects clés de la gestion qui servent les trois niveaux d’ambition en matière d’innovation.

1. Le talent. Les compétences nécessaires pour réaliser des innovations de base et des innova-tions adjacentes sont très différentes de celles requises pour réaliser les innovations de transfor-mation. Dans le cas des deux premières catégories d’innovations, les capacités d’analyse sont cru-ciales, car ces projets exigent l’interprétation de

L’avis de islem Yezza

La multiplicité des définitions

données au concept d’innovation traduit

à la fois le flou et la polysémie

qui caractérisent ce terme. Dans

une économie qui se transforme

rapidement, l’innovation

traditionnelle, incrémentale, a cessé d’être

une protection suffisante contre

l’obsolescence des produits ou

la concurrence des nouveaux acteurs

du marché qui veulent monter en

gamme. Pour survivre,

les entreprises doivent adopter

un comportement révolutionnaire :

l’innovation de rupture.

Les efforts de transformation audacieux requièrent habituellement des investissements soutenus et parfois importants.

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Dossier : Innovation

L’avis de islem Yezza

Il n’existe pas de formule miracle

de l’innovation, comme il n’existe

pas un profil type d’entreprise

innovante. Au-delà du chiffrage précis,

l’intérêt de l’approche proposée est

premièrement, d’éviter

aux entreprises de se focaliser sur

tel ou tel type d’innovation,

deuxièmement, de souligner

l’importance de jouer

simultanément sur les trois leviers

d’innovation, et troisièmement,

de fournir des lignes directrices

claires pour l’affectation

des budgets et des savoir-faire,

qui sont très différents

selon le type d’innovation.

données sur les marchés et les clients afin de les traduire en une offre améliorée. Procter & Gamble, par exemple, déploie un groupe de 70 cadres supérieurs dans le monde dont le man-dat est de cerner des innovations adjacentes pro-metteuses. Ces « entrepreneurs de la technolo-gie », comme les appelle l’entreprise, sont chargés d’effectuer des recherches dans une va-riété de sources, dont les journaux scientifiques et les bases de données sur les brevets, et d’obser-ver les activités dans des marchés spécifiques afin de trouver de nouvelles idées à développer à par-tir des activités de base de P&G. L’entreprise at-tribue à ses « entrepreneurs de la technologie » la découverte de plus de 10 000 idées ayant un po-tentiel de développement.

En revanche, les efforts d’innovation de transformation font habituellement appel à un processus de repérage et de développement de concept pour analyser les besoins sociaux à la source des changements d’activité (ce qui est souhaitable du point de vue d’un client), les ten-dances du marché sous-jacent (quels genres d’offres pourraient être viables) et les développe-ments technologiques en cours (ce qui peut être produit et vendu). Ces activités exigent des com-pétences qu’on trouve chez les designers, les eth-nologues, les concepteurs de scénarios et les ana-lystes à l’aise avec les données ambigües. Ainsi, lorsque Samsung a décidé de rivaliser sur le plan de la conception innovatrice, elle a reconnu avoir besoin de capacités nouvelles et différentes. L’en-

treprise a déplacé son centre de design d’une petite ville à Séoul, en Corée du Sud, afin de se rapprocher d’un précieux bassin de jeunes pro-fessionnels du design. Elle a aussi fait équipe avec quelques entreprises de l’extérieur possédant de solides capacités en design et a établi un centre de formation interne, dirigé par des spécialistes du design industriel, afin d’approfondir les connais-sances des concepteurs qui montraient du potentiel. Les résultats sont éloquents : en une décennie, Samsung a remporté de nombreux prix de design tout en évoluant de sa position de fabri-cant de produits électroniques grand public quelconque à celle d’une des marques les plus réputées du monde.

2. L’intégration. Bien qu’il soit crucial de possé-der les bons talents, ceux-ci ne suffisent pas. Ils doivent être structurés et gérés de la bonne fa-çon ; on doit leur assigner le bon mandat et s’assurer qu’ils bénéficient de conditions qui contribueront à leur réussite. Une des décisions les plus importantes consistera à établir dans quelle mesure les capacités de ces talents et les activités connexes doivent être liées avec les affaires courantes.

Dans la plupart des entreprises, la majorité de ceux qui participent aux projets d’innovation travaillent à l’amélioration des offres de base, car l’intégration de ces projets aux activités existantes augmente leurs chances de réussite. Même les équipes qui travaillent sur des projets

Existe-t-il un ratio en or ?L’analyse révèle que la répartition des ressources indiquée ci-dessous correspond à une hausse plus importante du cours de l’action. Pour la plupart des entreprises, cette répartition est un bon point de départ pour la discussion.

70 %innovations de base

10 % innovations

de transformation

20 %innovations adjacentes

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L’avis de islem Yezza

Même si cela s’avère difficile, les entreprises

doivent mesurer leurs performances

d’innovation. Toutes les parties

concernées doivent comprendre en

quoi l’innovation est importante

et ce qu’elle est censée accomplir.

Il est difficile de savoir si les efforts

d’innovation sont efficaces et si

les ressources sont judicieusement

utilisées sans savoir d’abord

à quoi ressemble la réussite.

La mesure de l’innovation doit

se faire à trois niveaux : la culture

qui engendre les idées,

le processus par lequel passent

les idées, et les résultats.

d’innovation adjacente bénéficient des avan-tages qu’offrent les liens étroits avec les activités de base, à condition qu’elles disposent des outils appropriés pour repousser les limites de leur travail.

Toutefois, comme la décision de Samsung permet de le croire, l’innovation de transforma-tion semble réussir quand ceux qui s’y sont en-gagés sont séparés des activités de base, sur les plans financier, organisationnel et parfois phy-sique. Sans cette distance, ils ne peuvent échap-per à la force gravitationnelle qu’exercent les normes et les attentes de l’entreprise.

3. Le financement. La plupart des efforts liés aux innovations de base et aux innovations adja-centes sont des projets d’assez faible envergure qui ne nécessitent pas l’injection de capitaux importants. Leur financement peut, et doit, être assuré par la masse salariale prévue dans les cycles budgétaires annuels.

Les efforts de transformation audacieux re-quièrent habituellement des investissements soutenus et parfois importants. Leur finance-ment devrait venir d’une entité (peut-être de la direction, et idéalement du chef de la direction) qui peut autoriser des montants supérieurs aux allocations budgétaires annuelles. Les entre-prises devraient toutefois éviter l’approche de la « taxe d’innovation », qui mène la direction à demander à tous les secteurs de l’entreprise de consacrer un pourcentage de leur budget à

des projets d’innovation de transformation (conformément à la théorie selon laquelle l’in-novation profite à l’ensemble de l’entreprise, de sorte que chacun devrait y contribuer). Les uni-tés d’affaires ont rarement l’impression que leur contribution sert une bonne cause ; elles per-çoivent simplement que le siège social détourne 5 % de leur budget, et en viennent à considérer l’équipe d’innovation comme des trouble-fêtes.

Les entreprises pourraient plutôt créer une structure de financement complètement diffé-rente pour l’innovation de transformation, soit une structure sans lien avec la masse salariale régulière de l’entreprise. Citons par exemple le fonds industriel Global Health Innovation, une société à responsabilité limitée distincte qui in-vestit dans des sociétés de soins de santé exer-çant des activités en périphérie des activités de base de Merck dans le secteur des produits pharmaceutiques, des vaccins et de la santé des consommateurs. Le fonds a pour mandat principal de parier sur les éléments d’un futur modèle d’affaires évolué pour l’entreprise. On l’utilise également à l’occasion pour financer des projets d’innovation interne comme le Merck Breakthrough Open, une externalisation ouverte qui fait appel à la créativité des employés pour trouver des occasions d’innovation de transformation.

4. La gestion du réservoir de projets. Tout pro-cessus d’innovation bien géré comprend des

Comment l’innovation paie les facturesParmi les entreprises qui investissent dans les trois leviers d’innovation et obtiennent les meilleurs rendements, on observe la répartition suivante du rendement total. Or, il s’avère que nous avons noté une répartition inverse des ressources dans les entreprises les plus performantes.

70 %innovations de transformation

10 % innovations

de base

20 %innovations adjacentes

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Dossier : Innovation

L’avis de islem Yezza

Il faut bien se rappeler que

le processus stage-gate n’est qu’une méthode

de développement de produits.

Ce n’est ni un modèle de vente,

ni un manuel de marketing, ni un modèle de clients, ni un

modèle financier. Le processus stage-gate ne

permet pas d’anticiper

les besoins des clients. Les efforts

consentis pour la construction

d’une culture de l’innovation doivent

être centrés sur une

connaissance approfondie du client et de ses

attentes.

mécanismes pour suivre les projets en cours et pour s’assurer de leur progression en fonction d’un plan préétabli. Les entreprises misent habi-tuellement sur des processus stage-gate — une démarche structurée de développement de pro-duits qui permet d’en gérer toutes les étapes, de l’idée au lancement —pour évaluer les projets périodiquement, recalculer leurs prévisions de rendement du capital investi en fonction de tout changement de situation et décider de ceux qui iront de l’avant. La fiabilité de ces projec-tions dépend toutefois des connaissances du marché que possède l’entreprise. Dans le cas de l’amélioration d’un produit de base, ces connaissances suffisent habituellement : les clients peuvent dire s’ils souhaitent une version modifiée d’un produit, et le cas échéant, com-bien ils sont prêts à payer pour l’acquérir. Tou-tefois, si le projet d’innovation implique une toute nouvelle solution, dont les clients ne res-sentent même pas encore le besoin, les proces-sus stage-gate sont dangereux. Il est périlleux de penser prédire les ventes sur cinq ans d’un produit que les gens ne connaissent pas encore.

De plus, alors que la gestion continue des innovations de base ou des innovations quasi adjacentes implique qu’on déniche progressive-

ment une petite série de projets gagnants parmi un grand nombre, le processus est très différent de l’innovation de transformation. Le défi consiste à prendre un petit nombre d’idées sus-ceptibles de changer la donne et de s’assurer qu’elles sortent du lot. Une entreprise doit au départ consacrer assez de temps à l’exploration de toutes les possibilités, en élargissant constamment la gamme des options à envisager dans la poursuite de la vraie bonne idée. Autre-ment dit, les efforts de transformation ne sont généralement pas gérés selon une approche entonnoir ; ils exigent un processus non linéaire dans lequel les options possibles restent indéfi-nies pendant une longue période. Il s’agit d’une autre raison pour laquelle un processus stage-gate est dangereux pour l’innovation de transformation : il en résulte un rejet d’options prometteuses avant même qu’elles n’aient été suffisamment explorées en profondeur.

5. Les paramètres. Enfin, il y a la question des paramètres auxquels les gestionnaires de-vraient se fier. Dans le cas des innovations de base et des innovations adjacentes, les para-mètres financiers conviennent parfaitement. Toutefois, l’utilisation trop précoce de ces para-mètres dans les efforts de transformation peut parfois empêcher des idées potentiellement géniales de jaillir. Par exemple, les calculs de la valeur actualisée nette et du rendement du capi-tal investi, couramment utilisés pour évaluer les innovations de base et les innovations quasi adjacentes, exigent qu’on pose des hypothèses quant aux taux d’adoption, aux prix moyens et à d’autres variables clés qui, à leur tour, requièrent des données sur les clients. Or, il est impossible d’obtenir ces données sur des choses dont le besoin ne se fait même pas encore sentir.

Les gestionnaires doivent discuter en profon-deur de la pertinence des paramètres écono-miques et non économiques, de même que des paramètres externes et internes. Les proces-sus stage-gate font intervenir des paramètres économiques et externes. Ils permettent d’éva-luer les profits de l’entreprise après le lancement d’une innovation à l’externe. Une fois de plus, cette combinaison est appropriée pour évaluer les innovations de base et les innovations quasi adja-centes en fonction de l’information disponible.

Les entreprises devraient utiliser des paramètres opposés, soit une combinaison de

Pour bon nombre d’entreprises, l’innovation restera une longue série d’activités énergiques, mais désordonnées.

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paramètres non économiques et de paramètres internes, pour évaluer les efforts de transfor-mation durant les premières étapes, car cette combinaison peut accroître la capacité d’apprentissage et d’exploration de l’équipe. Et si, par exemple, le seul obstacle qu’un projet d’innovation doit surmonter pour recevoir un financement continu est celui de la probabi-lité que l’entreprise apprenne (et non fasse des profits) grâce à ce projet ? Voilà comment Google évalue l’innovation de transformation depuis ses débuts.

Par la suite, l’entreprise devra se concentrer sur les réalités économiques du projet de trans-formation. Elle peut toutefois attendre d’être prête à mettre à l’essai le produit ou le service et à le lancer.

aller de l’avantLa gestion de l’innovation globale exigera un virage important pour la plupart des entre-prises, qui sont habituées à une approche moins ordonnée. La première étape consiste à dévelop-per une vision commune du rôle que joue l’in-novation dans la stimulation de la croissance et de la compétitivité de l’organisation. Les ges-tionnaires devraient s’entendre sur un niveau d’ambition approprié pour l’innovation et trou-ver un vocabulaire commun pour le décrire.

La seconde étape consiste à passer en revue le portrait actuel des innovations de l’entreprise. Une vérification approfondie révélera combien de temps, d’efforts et d’argent sont affectés aux innovations de base, aux innovations adjacentes et aux innovations de transformation, et dans quelle mesure cette allocation diffère de la répar-tition idéale pour l’entreprise en question. Une fois l’écart établi, les gestionnaires pourront trouver des moyens d’atteindre l’équilibre sou-haité, habituellement en réduisant les projets d’innovation de base pour ne conserver que ceux qui visent les principaux clients, en encourageant plus de projets d’innovation adjacente et en créant des conditions plus propices à des percées, que favorise l’innovation de transformation.

Tout au long de ces activités, les leaders doivent communiquer clairement et sans relâche leurs objectifs et processus d’innovation. Pour améliorer le rendement global des investis-sements en innovation, les gestionnaires doivent examiner les projets de près ; ceux-ci sont tous liés à des gens qui ont à leur égard un sentiment

de propriété et de fierté. Il est indispensable de trouver et de pousser les idées les plus promet-teuses et d’écarter les autres (certaines d’entre elles peuvent être parfaitement viables, mais ne pas représenter la meilleure utilisation des ressources). Des engagements transparents et des messages clairs contribueront à assurer que l’ensemble de l’organisation connaît les auteurs des décisions et leurs motifs, ainsi que la façon dont ces décisions profiteront à l’entre-prise à court et à long termes.

Pour bon nombre d’entreprises, l’innova-tion restera une longue série d’activités énergiques, mais désordonnées. Et pour de nombreux gestionnaires, elle demeurera une source de frustration. Pour d’autres, elle repré-sentera le plus important et le plus excitant des défis. En parvenant à gérer l’innovation comme un système intégré aux objectifs du portefeuille d’innovation global, ces gestionnaires peuvent en exploiter l’énergie et en faire un moteur de croissance fiable.

Bansi Nagji et Geoff Tuff sont des associés du Monitor Group et des chefs de file de la pratique de la firme en matière d’innovation dans le monde.

adapté de :

Publié par la Harvard Business School, à Boston, ce magazine diffuse et vulgarise des travaux de chercheurs spécialisés en gestion des affaires. © 2012 Harvard Business School Publishing Corp. distribué par The New York Times Syndicate