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REVUE MABILLON Revue internationale d'histoire et de littérature religieuses International R.eview for Ecclesiastical History and Literature Nouvelle série, 8 ( t. 69), 1997 BREPOLS

« Hagiographie et politique à León au début du XIIIe siècle: les chanoines réguliers de Saint-Isidore et la prise de Baeza »

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REVUE MABILLON Revue internationale d'histoire et de littérature religieuses

International R.eview for Ecclesiastical History and Literature

Nouvelle série, 8 (t. 69), 1997

BREPOLS

HAGIOGRAPHIE ET POLITIQUE A LEON AU DÉBUT DU xnr SIÈCLE

LES CHANOINES RÉGULIERS DE SAINT-ISIDORE ET LA PRISE DE BAEZA

par

Patrick HENRIET

En évident retrait par rapport à saint Jacques, Isidore de Séville (t 636) peut être considéré comme la seconde grande gloire du sanctoral hispanique médiéval. A partir de la fin du XIe siècle, son culte s'installe durablement au monastère de Saint-Isidore de Le6n, qui tient aussi lieu de panthéon royal. L'histoire de cet établissement reste fort mal connue avant l'arrivée des reliques du saint sévillan 2

• Elle mérite cependant d'être brièvement rappe­lée, car le texte que nous publions illustre un moment charnière propre à beaucoup de monastères hispaniques, le passage d'une forme de vie com­mune caractéristique du haut Moyen Age à une autre, plus conforme aux idéaux des x{ et XIIe siècles.

La vocation funéraire de la ville de Le6n est, dès les origines, liée à son statut de capitale : les souverains se font enterrer dans un cimetière royal situé à proximité d'une église nommée San Salvador de Palaz del Rey 3

. A la fin du règne de Sanche Ier le Gros (956-966), les Léonais acquièrent les reliques de Pélage, un adolescent chrétien martyrisé à Cordoue en 925. Une

1. Je remercie François Dolbeau, qui a bien voulu relire non seulement cet article, mais aussi et surtout le texte qui l'accompagne.

Abréviations utilisées :

ARCSIL : Archivo de la Real Colegiata de San Isidoro de Le6n ; ES : Espafia Sagrada ; t. 22 : H. FL6REZ, De la Iglesia de Tuy desde su origen hasta el siglo decimo sexto, Madrid, 1767 ; t. 35 : M. Rrsco, Memorias de la santa Iglesia exenta de Le6n concernientes a los siglos XI, XII y XIII, Madrid, 1786 ; Chronicon : LucAS DE TUY, Chronicon mundi ab origine usque ad eram MCCLXXIV, éd. A. ScHOTT, Hispaniae illustratae, IV, Francfort, 1608, p. 1-116 ; De altera vita: LucAS DE TUY, De altera vita fideique controversiis adversus Albigènsium errores libri III, éd. J. MARIANA, Ingolstadt, 1612 ; Documentos: M. E. MARTIN L6PEZ, Patrimonio documental de San]sidoro de Le6n. Documen­tas de los siglos X-XIII. Colecci6n diplomatica, Le6n, 1995.

2. Il n'existe pas d'histoire récente du monastère de San Isidoro de Le6n. On trouvera cependant beaucoup d'indications dans le vieux livre de J. PÉREZ LLAMAZARES, Historia de la Real Colegiata de San Isidoro de Le6n, Le6n, 1927, reprint Le6n, 1982. Cf. aussi G. CoLOMBAS, San Pelayo de Le6n y Santa Maria de Carbajal, Le6n, 1982, p. 19-53.

3. Sur la topographie de la ville de Le6n, cf. C. EsTEPA DfEz, Estructura social de la ciudad de Le6n (siglos XI-XIII), Le6n, 1977, p. 109-146.

Revue Mabillon, n.s., t. 8 (= t. 69), 1997, p. 53-82.

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église est alors construite pour abriter ses restes. Elle semble avoir été desservie par des moines jusqu'à sa destruction lors d'une expédition d'al­Man�iir (fin du Xe siècle). Les reliques du jeune martyr ne subissent aucune profanation, car elles ont été emmenées à Oviedo pour échapper à la fureur du hadjib. Quelques années plus tard, Alphonse V (999-1028) restaure le monastère détruit. Le nouvel établissement n'abrite plus désormais qu'une petite partie des reliques de Pélage, l'essentiel étant resté à Oviedo. En revanche, les corps des rois enterrés à San Salvador de Palaz del Rey sont alors transférés à San Pelayo, qui accueille de surcroît les restes des anciens évêques de Le6n. Comme souvent dans l'Espagne pré-bénédictine, le monas­tère est double : des moniales occupent l'église dédiée à Pélage, mais elles sont dirigées par un abbé. Quant au panthéon royal proprement dit, alors dédié à saint Martin, il semble avoir été desservi par un corps de chanoines séculiers 4

• Dès cette époque donc, San Pelayo est un lieu d'inhumation privilégié qui peut �'enorgueillir de posséder de prestigieuses reliques.

Cette situation se confirme autour de 1028, lorsque le monastère fait l'acquisition d'une mandibule de saint Jean-Baptiste. A cette date, une charte mentionne l'établissement comme Saint-Pélage et Saint-Jean-Baptiste, puis, en 1043, Saint-Jean-Baptiste et Saint-Pélage 5

. Mais dans ce processus d'accu­mulation de la sacralité, le grand tournant qualitatif est indéniablement celui de 1063. Dans un contexte très particulier, celui de la perception par les royaumes chrétiens de tributs sur les petits royaumes musulmans nés des ruines du califat (taifas), le roi Ferdinand Ier obtient le transfert à Le6n des restes d'Isidore, alors inhumé à Séville 6

• Si, contrairement à Pélage et Jean-Baptiste, Isidore n'a pas de légitimité martyriale, il situe cependant la ville de Le6n, qui l'accueille en grande pompe, dans la droite ligne d'un passé wisigothique qui représente un âge d'or antérieur à l'Islam. Isidore est le premier <<docteur>> de l'Espagne chrétienne, il n'a pas de rival dans sa catégorie et seule la ville de Le6n peut, désormais, revendiquer la posses­sion de ses reliques. Le monastère de Saint-Jean-Baptiste et Saint-Pélage, qui les accueille, devient très vite Saint-Jean-Baptiste et Saint-Isidore ou bien Saint-Pélage et Saint-Isidore 7

• Dès la fin du XIe siècle, il est tout simplement Saint-Isidore. Le docteur des Espagnes a occulté ses prédécesseurs. Quant à saint Vincent, dont des reliques ont été rapportées d'Avila en 1065, il n'a

4. Cf. en particulier un acte de 1043, par lequel une certaine Fonsina donne le monastère de San Salvador de Palazuelo à Saint-Jean-Baptiste et Saint-Pélage, sacris sanctissimis pro adolen­dis sacerdotum ... (Documentos, n° 3, p. 22-24).

5. Le premier document mentionnant une dédicace à Pélage et Jean-Baptiste est une dona­tion de l'infante Thérèse à Saint-Jacques (1028) : A. L6PEZ FERREIRO, Historia de la santa A. M. lglesia de Santiago de Compostela,UI, Santiago, 1899, Apéndices, n° 88, p. 217. Pour l'appel­lation Jean-Baptiste et Pélage, cf. l'acte de 1043 cité à là note précédente.

6. Les chrétiens pensaient d'abord ramener le corps de sainte Juste. Cf. le récit des événe­ments par un contemporain, découpé en lectiones (PL, 81, col. 39-43 pour la translation) et intégré dans !'Historia Silense, éd . J. PÉREZ DE URBEL et A. GONZALEZ Rufz-ZoRRILLA, Madrid, 1959, p. 198-204. L'Historia Silense est vraisemblablement d'origine léonaise.

7. Cf. M. A. V ALCARCE, El dominio de la real Colegiata de San Isidoro de Lean hasta 1189, Le6n, 1985, p. 12.

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jamais représenté un concurrent sérieux 8. Dans les années qui suivent ces événements, de nombreux bienfaits royaux accroissent la richesse et l'influence d'un établissement qui reste double jusqu'en 1148 9

.

La mémoire du monastère ne s'est cependant constituée que très progres­sivement et, dans l'ensemble, tardivement. Il s'agit là d'un trait général à l'ensemble de la péninsule ibérique, où les œuvres hagiographiques restent rares jusqu'au xne siècle 10• Les raisons de cette pauvreté sont complexes et ne doivent pas être rattachées trop hâtivement à un soi-disant << retard culturel hispanique>>, dont l'évocation permet trop souvent de ne pas poser les véritables questions. Les faits n'en sont pas moins là : un établisse­ment aussi important que Saint-Isidore, panthéon royal et trésor de reliques, ne produit pas de textes narratifs avant la seconde moitié du XIe siècle. Pendant longtemps, le travail de la mémoire ne se fait pas, aucun chanoine ne confiant l'histoire de ses saints protecteurs à l'Écrit. De ce point de vue, l'arrivée d'Isidore marque une rup.ture. A l'occasion de la venue de ses reliques, un auteur qui affirme avoir parlé aux principaux témoins des événements rédige, dans un but liturgique, une histoire de la translation (BHL 4488) 11• Viennent ensuite trois œuvres qui posent de nombreux pro­blèmes:

1) Une Vita sancti Isidori (BHL 4486) 12 : il s'agit d'un ensemble compo­

site, sans doute élaboré à Le6n à une date mal connue. L'auteur s'adresse à ses fratres charissimi 13• La vita proprement dite intègre des éléments de l' œuvre d'Isidore, en particulier de sa correspondance avec Braulion de Saragosse, ainsi que deux épitaphes d'Ildephonse de Tolède. Elle est suivie d'une Abbreviatio Braulii Caesaraugustani episcopi de vita sancti Isidori, Hispaniarum doctoris, dont il est difficile de déterminer la date mais qui, en tout état de cause, n'est pas l' œuvre de Braulion de Saragosse (t 651) 14.

8. Chronicon, cap. LVI, p. 95. L'arrivée des reliques de saint Vincent est commémorée par uneinscription conservée dans l'église, qui donne la date du 10 mai 1065.

9. Les archives de la cathédrale conservent un acte de 1139 par lequel l'évêque et l'infante Sancha procèdent à un échange consensu canonicorum Sancti Ysidori et domnarum SanctiPelagii : J. M. FERNANDEZ CATON, Colecci6n documental del Archiva de la Catedral de Lean(775-1230 ), V. 1109-1187, Le6n, 1990, n° 1424, p. 191.

10. M. C. DfAz Y DfAz, Index scriptorum latinorum Medii Aevi Hispanorum, Madrid, 1959 :une dizaine de textes hagiographiques pour le xe siècle, autant pour le XI\ moins de trente pour le XIIe . Cf. aussi F. BANOS VALLEJO, La hagiografia coma género literario en la edad media. Tipologia de dace vidas individuales castellanas, Oviedo, 1989, p. 213-262 (Indice de la hagiografia hispano-medieval). Présentation de quelques-uns des principaux dossiers par V. V ALCARCEL, << Hagiografia hispano-latina visig6tica y medieval (S. vn-xn) >>, dans M. PÉREZ GONZALEZ, Actas del I Congreso Nacional Medieval, Le6n, 1995, p. 191-209. Il faudra bientôt consulter la mise au point de Rosa GuERREIRO, dans Hagiographies, III, dir. G. PHILIPPART.

11. Mira loquar : ab his tamen qui interfuere me reminîscor audisse (Historia translationis,PL, 81, col. 42A) ; puis, après la prière du roi de Séville à Isidore : Haec ab illis qui audiere merecola audivisse (ibid., col. 42C).

12. PL, 82, col. 19A-53B (= cap. 1-10 du texte édité comme Vita sancti Isidori).13. Ibid., col. 19A.14. Cf., sur ce texte, M. ALUA RAMos, << Un poco de critica sobre antiguas biografias isidoria­

nas >>, dans Revista eclesiastica, 10, 1936, p. 587-601, spéc. p. 591-594. L'abbreviatio n'est

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2) Une Translatio et miracula (EHL 4491) qui, pour la première fois,s'intéresse aux miracles d'Isidore après son départ de Séville 15. Cette œuvre date au plus tôt de la fin du XII

e siècle, car elle cite Thomas Beckett (t 1170) dans une liste de reliques 16• L'auteur est évidemment un chanoine de Le6n : il emploie la première personne du pluriel et fait référence à ses prédéces­seurs 17•

3) Les Miracula sancti Isidori. Il s'agit sans conteste du plus importantrecueil hagiographique relatif à saint Isidore 18. Son auteur en est Lucas de Tuy, bien connu par ailleurs pour avoir écrit l'une des deux grandes chroni­ques hispano-latines du XIII

e siècle 19. Avant de présenter cette œuvre, il importe d'indiquer brièvement ses rapports avec les textes 1 et 2. En effet, tant la Vita que la Translatio ont parfois été attribuées à Lucas, position qui nous semble dénuée de tout fondement valable. L'impossibilité d'une telle attribution a été démontrée par Marcos Alija Ramos pour la Vita : outre d'évidentes différences de style, la mère d'Isidore n'est pas appelée de la même façon dans le Chronicon mundi et ladite Vita 20• Le fait que certains manuscrits tout à la gloire d'Isidore combinent ce texte et la chronique de Lucas n'apporte pas l'ombre d'une preuve 21• En ce qui concerne la Trans­latio, les choses sont un peu moins évidentes. Certains passages, dont une partie du texte que nous éditons, se retrouvent presque à l'identique dans les Miracula sancti Isidori. Il semble en fait que Lucas ait reproduit tel ou tel chapitre écrit par un prédécesseur, pour le mettre au service d'un projet plus ambitieux et plus cohérent. En effet, l'auteur de la Translatio déclare que, avant lui, les miracles d'Isidore n'avaient jamais été couchés par écrit 22•

certainement pas de Braulion, mais pourrait être selon cet auteur une œuvre des vif ou VIIIe siècles. Contra : M. C. DîAZ Y DîAZ, dans son introduction aux Étymologies, Madrid, 1993, 1, p. 99, qui situe la composition de l'œuvre au XIe siècle et sans doute à Séville. Ce texte est en tout cas bien connu à Saint-Isidore. A la fin du XIIe siècle, saint Martin le cite à onze reprises dans son sermon in transitum beati Isidori (PL, 209, col. 9-13).

15. PL, 81, Appendix, III, col. 945-968.16. Ibid., col. 959A.17. Après avoir donné la liste des reliques présentes à Saint-Isidore, l'auteur mentionne huit

capsulae sanctissimarum reliquiarum plenae, sicut a nostris praedecessoribus comperimus ; quas nemo nostrum, nec aliquis moderni temporis alius ausus est aperire (ibid.).

18. La EHL attribue le n° 5600 à la vita de Martin de Le6n, qui ne constitue que la fin de cerecueil.

19. Chronicon mundi, éd. A. ScHOTT, p. 1-116. 20. M. ALuA RAMos, << Un poco de critica >>, art. cit. La mère d'Isidore est appelée Teodora

dans le Chronicon, Turtura dans la vita. L'argument d'Alija Ramos, p. 590, note 19, selon lequel Lucas, ennemi du mensonge, ne pourrait être l'auteur des hechosfabulosos présents dans cette vita, nous semble en revanche totalement irrecevable.

21. Cf. le ms 10442 de la Biblioteca nacional de Madrid (xme s.) ou le ms 41 de la RealColegiata de San Isidoro de Le6n (xve s.)

22. ... ubi plurima miracula ... usque in hodiernum diem operatur ; sed partim imperitia,partim negligentia silentio sunt obtecta ; pauca tamen de multis stylo fideli tradere duximus esse dignum (PL, 81, col. 959B). Nous ne pouvons don'c accepter les conclusions de F. J. FER­

NANDEZ CONDE, << El bi6grafo contemporaneo de santo Martino : Lucas de Tuy >>, dans Santo Martino de Le6n. Ponencias del I Congreso Internacional sobre santo Martino en el VIII Cen­tenario de su obra literaria, 1185-1985, Lean, 1985, Le6n, 1987, p. 309 : l'auteur fait dépendre l'auteur anonyme de Lucas sur la foi d'une phrase présente dans la traduction du XVIe siècle (<< de los quales algunos e muy pocos recopilo devota y fielmente el claro y sabio varan don Lucas obispo de Tuy; segun parece por el discurso del siguiente libro >>), qui suit le texte de

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Lucas, de son côté, reconnaît s'inspirer de travaux antérieurs et cite à plusieurs reprises la Translatio 23

• L'auteur du Chronicon mundi, qui com­mence à écrire au début des années 1220, a donc repris les travaux d'un chanoine de Le6n actif dans le dernier tiers du XIIe siècle ou au tout début du XIIIe.

Les Miracula sancti lsidori dans l'œuvre de Lucas de Tuy

Les Miracula sancti Isidori sont sans doute, au moment de leur rédaction, le plus volumineux recueil hagiographique jamais composé dans un royaume chrétien ibérique. Leur auteur n'est ni un inconnu ni un personnage de second plan 24

• Lucas de Tuy, qu'il serait plus juste d'appeler Lucas de Le6n, n'apparaît pourtant pas dans les documents de la pratique avant 1239 25

• Les renseignements autobiographiques q·ui parsèment ses diverses œuvres don­nent à penser qu'il devient chanoine de Saint-Isidore avant 1221. Grand voya­geur, il prétend dans son De altera vita avoir visité Saint-Denis, Rome, Cons­tantinople, la Cilicie et l'Arménie 26

• Durant sa carrière à Le6n, il ne dépasse pas le grade de diacre, ce qui ne l'empêche pas d'être nommé évêque de Tuy (Galice} en 1239. Peut-être était-il arrivé dans cette ville quelques années plus tôt, mais son parcours à la fin des années 1230 nous est particulièrement mal connu : lors de sa nomination, il porte en tout cas le titre de magister schola­rum, ce qui pourrait indiquer qu'il dirigeait déjà l'école épiscopale de Tuy 27

Il est par ailleurs absent d'une liste des chanoines de Saint-Isidore datée de 1234 et intégrée au nécrologe de la communauté 28

• A Tuy, Lucas doit faire face à la révolte des bourgeois de la ville 29

• Il ne réside cependant que par inter­mittence et semble avoir suivi régulièrement le roi Ferdinand III. Entre 1241

Lucas et précède celui de l'anonyme. Or le traducteur a composé un montage de plusieurs œuvres et cette phrase ne se trouve pas dans le texte latin ! Elle est en fait de Juan de Robles, le traducteur.

23. Dès la lettre d'introduction, Lucas déclare compiler à l'occasion les travaux de ses prédécesseurs (a nostris predecessoribus ... scripta compilando, ARCSIL, ms 61, fol. 1). Il renvoie ensuite à plusieurs reprises au récit de la Translatio : cap. 1, 2, 5, 6.

24. La synthèse la plus intéressante à ce jour (et pratiquement la seule) est sans doute le PhDde M. L. HoLLAS, Lucas of Tuy and Thirteenth Century Lean, Yale University, 1985 (Ann Arbor microfilms, 8612971). Cette étude n'utilise cependant pas le texte latin des Miracula sancti Isidori.

25. ES 22, p. 284-285 (souscription d'une charte en faveur de l'abbaye de Santa Maria de Oya). Lucas n'apparaît donc jamais comme témoin dans les documents de Saint-Isidore, ce qui s'explique sans doute par une certaine instabilité. Sur la biographie de Lucas, cf. M. L. HoLLAS,

Lucas of Tuy, op. cit., p. 18-43. 26. De altera vita, II, 11, p. 225. Lucas a-t-il vraiment accompli tous ces voyages? J. Pérez

Llamazares en doutait: In., Los benjamines de la real colegiata de San Isidoro de Lean, Le6n, 1914, p. 121. On peut effectivement poser la question, mais il faut savoir que Pérez Llamazares n'avait pu avoir accès au De altera vita et s'en remettait à la<< inmortal obra >> de M. MENÉNDEZ Y PELAYO, Historia de los heterodoxos espafioles, 3 vol., Madrid, 1880 (Los benjamines, op. cit., p. 148).

27. Cf. note 25 : electo Tudensi L. magistro scholarum (ES 22, p. 285).28. ARCSIL, ms 4, fol. 36v. 29. ES 22, p. 128-129 et 290 sq.

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et 1249, en effet, il souscrit de nombreux diplômes royaux à Cordoue, Tolède, Madrid, Burgos, Valladolid. Il est présent au siège de Jaén (1245-1246) et lors de la prise de Séville (1248) 30

• Sa mort doit être située en 1249.

Lucas n'a donc rien d'un hagiographe sédentaire, qui ne connaîtrait du monde que le sanctuaire dont il chante les louanges. Voyageur confirmé, il a fréquenté de grands personnages, laïques aussi bien qu' ecclésiastiques 31, et se trouve parfaitement au fait des problèmes religieux de son temps. Les historiens citent essentiellement son Chronicon mundi, un peu moins cepen­dant que l' Historia de rebus Hispaniae de son grand rival, Rodrigo Jiménez de Rada 32

• Lorsque les Miracula sancti Isidori sont mentionnés, c'est souvent dans un contexte d'histoire locale ou avec l'idée sous-jacente qu'un recueil de miracles ne peut être mis sur le même plan qu'une ambitieuse chronique universelle. Il est vrai que cette œuvre demeure largement inédite, ce qui ne facilite pas sa consultation. Dans les pages qui suivent, nous aimerions suggérer que Lucas dë Tuy hagiographe mérite une tout autre considération. Pour ce faire, il faut au préalable situer les Miracula par rapport aux deux autres œuvres de Lucas. Nous sommes en effet devant un édifice complexe, dont les parties se répondent d'une façon extrêmement cohérente:

1. Les Miracula sancti lsidori. Il s'agit très certainement de la premièreœuvre entreprise par ses soins. Les débuts de la rédaction peuvent être assez précisément fixés. Lucas déclare écrire du vivant d'Alphonse IX (t 1230) 33

Sa lettre introductive est adressée à Suero, provincial des dominicains d'Espagne entre 1221 et 1233 34. Dans le prologue qui suit cette lettre, Lucas fait allusion à Pierre, ancien évêque de Leon devenu archevêque de Compos­telle, ce qui nous place entre 1208 et 1224 35

• Les Miracula ont donc été commencés entre 1221, date de l'accession de Suero au poste de provincial, et 1224, date de la mort de Pierre. Quand le recueil a-t-il été terminé? Si l'année ne peut être précisée, il semble cependant que Lucas ait cessé d'écrire après

30. Lucas souscrit au total 37 diplômes : J. GONZALEZ, Reinado y diplomas de Fernando III, t.III,Cordoue,1986,n° 672,677,681,685,686,690,692,693,700,701,705, 708, 710, 713,714, 715, 716, 717, 725, 726, 728, 730, 731, 732, 733(Lucius), 735, 745, 751, 753, 754, 755, 756, 760, 762, 763, 764, 774. La première mention date du 6 mars 1241, à Cordoue. La dernière est du 15 janvier 1249, à Séville. Dès le 16 février 1249, toujours à Séville, on trouve un Stephanus Tudensis episcopus.

31. Lucas rapporte ainsi deux histoires qui lui ont été racontées à Rome par frère Élie, ministregénéral des Franciscains (1221-1227 et 1232-1239) : De altera vita, III, 14-15, p. 246-24 7.

32. R. JIMÉNEZ DE RADA, Historia de rebus Hispaniae sive Historia gothica, éd. J. FERNANDEZ VALVERDE, Turnhout, 1987 (CCCM, 72).

33. Miracula sancti Isidori, cap. XLII.

34. W. A. HrNNENBUSCH, The history of the Dominican order, 1. Origins and growth to 1500,New York, 1965, p. 92. Lucas et son abbé Martin, à qui est également dédiée l'œuvre, semblent avoir été une sorte de tête de pont des Dominicains dari.s le royaume de Le6n : à cette date, en effet, les Dominicains sont présents en Castille mais pas encore dans le royaume de Le6n. Lucas a aussi des rapports avec le mouvement franciscain (cf. note 31).

35. . .. atque Legionensis presul qui tempore precedente in conpostelana ecclesia moribus et scientia fulget metropolitano sublimatus honore, home lia beatissimum confessorem Ysidorum Christi legiferum et post apostolos Christi apostolum eleganti stilo testatus est (ARCSIL, ms 61, fol. 3).

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sa nomination à Tuy en 1239 36• La composition des Miracula s'étale donc sur environ deux décennies 37•

2. Parallèlement, Lucas élaborait le De altera vita, abusivement rebaptiséDe altera vita fideique controversiis adversus Albigensium errores libri III par le jésuite Mariana, qui a édité l'œuvre à Ingolstadt en 1612. Dans l'esprit de ce champion de la Contre-Réforme, tout hérétique médiéval renvoyait nécessairement aux albigeois, eux-mêmes ancêtres des luthériens et des calvinistes. 38. Le De altera vita est une œuvre injustement oubliée. Dogma­tique pour l'essentiel, il propose de façon très pédagogique une théologie sacramentelle qui s'inscrit bien dans le contexte de l'après-Latran IV. L'ouvrage rapporte par ailleurs un cas d'hérésie, survenu à Le6n dans les années 1232-1234, dans lequel Lucas intervint personnellement. L'origine albigeoise de cette affaire est des plus douteuses : il faut plutôt imaginer une hérésie de lettrés manifestant un certain scepticisme et dont le chef fit à sa mort l'objet d'un culte populaire 39• Lucas déclare dans le prologue avoir pris connaissance du danger lors d'un séjour à Rome. Il serait alors revenu à Le6n pour assurer la répression et aurait interrompu la rédaction des Miracula pour s'occuper du De altera vita 40• Celui-ci était achevé avant 1239 41• C'est à cette même époque, plus précisément de 1230 à 1236, que Lucas commença la rédaction de sa chronique universelle.

3. Le Chronicon mundi. Il s'agit de l'œuvre la mieux connue de Lucas.Cette chronique fut entreprise à la demande de Berenguela, fille du castillan Alphonse VIII (1158-1214), mais surtout seconde épouse du roi de Le6n, Alphonse IX. Séparée de son époux depuis 1204, Berenguela était une amie de Saint-Isidore et connaissait fort bien Lucas 42

• Le Chronicon ne décrit

36. Le dernier événement auquel Lucas fait allusion dans ses œuvres est la chute de Cordoueen 1236. La traduction des Miracula réalisée au XVIe siècle rappelle en fin de volume les plus glorieuses conquêtes de Ferdinand III, dont la prise de Séville (1248). Ces textes sont absents de tous les manuscrits latins et doivent être considérés comme très postérieurs, sans que l'état actuel de la recherche soit capable de fixer la date de leur rédaction, voire même de savoir s'ils représentent un texte original ou une traduction du latin . Lucas ayant été présent lors du siège de Séville, on ne peut cependant écarter complètement qu'il ait encore consigné quelques miracles d'Isidore avant sa mort, sans avoir eu le temps de les intégrer à son recueil. Mais tant qu'aucune version latine de ces textes n'apparaîtra, il sera difficile d'émettre autre chose que des conjectures.

37. Sur les miracles, cf. en dernier lieu J. PÉREZ-EMBID WAMBA, << Hagiografia y mentalidades en el siglo XII : los "milagros de San Isidoro de Le6n" >>, dans Las fiestas de Sevilla en el siglo XV. Otros estudios, Madrid, 1991, p. 413-444.

38. Ad haec disputationem inscripsimus contra albigenses, quoniam ea pestis Lucae aetate grassabatur maxime ... (De altera vita, préface).

39. Sur le De altera vita, cf. F. J. FERNANDEZ CONDE, << Albigenses en Le6n y Castilla a comienzos del siglo XIII>>, dans Lean medieval. Doce estudios, Le6n, 1978, p. 96-114; A . MAR­TINEZ CASADO, << Ca.taros en Le6n. Testimonio de Lucas de Tuy>>, dans Archivas Leoneses, 37, 1983, p. 263-311 ; et M. L. HoLLAS, Lucas of Tuy, op. cit., p. 128-192.

40. De altera vita, p. 195. Lucas ne se désigne pas nommément mais parle de quidamdiaconus.

41. Lucas ne peut être évêque au moment du De altera vita, puisqu'il se situe hors du groupe des episcopi : Sed nos qui in Ecclesiae pastoribus gloriamur. .. (ibid., III, 10, p. 244). Cf. ES 22, p. 119.

42. M. L. HoLLAS, p. 27 sq. Sur les rapports de Lucas et Berenguela, cf. aussi G. MARTIN, Lesjuges de Castille. Mentalités et discours historique dans l'Espagne médiévale, Paris, 1992, p. 201-204.

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aucun événement postérieur à la prise de Cordoue par Ferdinand III (1236). Il pourrait avoir été commandé par Berenguela à la suite de son retour à Le6n : en 1230, en effet, son fils Ferdinand III, déjà roi de Castille depuis 1217, réunifie les deux royaumes rivaux. Dans sa chronique, Lucas offre un résumé de l'histoire hispanique depuis la création ; il situe les rois de Le6n dans l'héritage wisigothique tout en exaltant les grandes étapes de la lutte contre les maures. L'œuvre fait pièce à celle de Jiménez de Rada, centrée quant à elle sur la Castille et Tolède.

Les liens entre les trois œuvres sont évidents. Dans les Miracula, Lucas montre dans un cadre local l'action d'Isidore de Séville, par ailleurs très présent dans le Chronicon. La fonction politique du recueil est indéniable. La comparaison des deux œuvres prouve qu'il n'y a pas de différence de nature, en tout cas chez Lucas, entre historiographie et hagiographie. Les liens des Miracula avec le De altera vita, moins évidents peut-être au premier abord, ne sont pas moins forts. Dans les deux ouvrages, il s' agit d'expliquer le dogme catholique, d'illustrer l'efficacité des sacrements, de condamner, enfin, les ennemis de la vraie religion, musulmans ou hérétiques. La tradition manus­crite des deux œuvres confirme leur proximité intellectuelle et mérite quel­ques précisions.

Le manuscrit originel des Miracula a disparu, mais il est facile de suivre sa trace jusqu'à l'époque moderne. Logiquement conservé dans la bibliothèque de Saint-Isidore, il quitte celle-ci lors d'un passage à Le6n du roi Jean II (t 1454), qui l'emporte pour le lire et ne le rend pas. Le manuscrit passe ensuite à son fils Henri IV, puis à Isabelle la Catholique. A la mort de celle-ci (1504), Cisneros en fait don à la bibliothèque d' Alacala de Henares. Les chanoines de Saint-Isidore demandent alors à récupérer leur bien, mais n'obtiennent que fa permission de le recopier pour leur usage personnel 43

Ainsi s'explique la présence actuelle à Le6n de deux copies qui datent du début du XVI

e siècle 44. Le manuscrit original disparaît par la suite, à une date qu'il n'est pas possible de préciser mais qui doit être relativement récente 45•

Lisons maintenant la préface écrite par Mariana pour son édition du De

altera vita. Le bon jésuite nous y informe de l'histoire du manuscrit sur lequel il copie son texte : pris par Jean II lors d'un passage à Le6n, il passe à

(

43. L'histoire ancienne du manuscrit nous est connue par le chanoine de Le6n Juan de Robles, qui la retrace au début de sa traduction : Libro de los miraglos de Sant Isidro arzobispo de Sevilla, Salamanque, 1525 : << ••• e aun que despues se Jalla en el dicho colegio non se pudo cobrar el dicho original ... >>. Cf. J. PÉREZ LLAMAZARES, Catalogo de los c6dices y documentas de la Real Colegiata de San Isidoro de Le6n, Le6n, 1923, p. 67-68.

44. ARCSIL, ms 61 et 63.45. La copie réalisée au XVIIIe siècle par les soins du cardinal Lorenzana (Toledo, Bibl. publ.,

Collecci6n Borb6n-Lorenzana, ms 58) n'a certainement pas été effectuée sur l'original, mais plutôt sur le ms 61 de Le6n, comme le prouve la compâraison des trois manuscrits subsistants. Est-ce à dire que l'original avait déjà disparu à la fin du XVIIIe siècle? Rien n'est moins sûr, le ms 61 ayant pu facilement accompagner les manuscrits de Martin de Le6n envoyés alors à Tolède pour l'édition des œuvres complètes de ce dernier. Sur ce point, cf. R. GoNZALVEZ, << El cardenal Lorenzana y la edici6n de las obras de Santo Martino >>, dans Santo Martino de Le6n, op. cit., p. 563-579. Le manuscrit des Miracula pourrait fort bien avoir disparu lors de la guerre civile, au cours de laquelle la plupart des manuscrits d' Alcala de Henares furent transportés à Madrid.

HAGIOGRAPHIE ET POLITIQUE A LEÔN 61

Henri IV puis à Isabelle, avant que Cisneros n'en fasse don à la bibliothèque de la Complutensis Academiae. Aux chanoines de Le6n qui réclament la restitution, il est permis de faire une copie. Mariana entre alors en scène : lorsque Philippe II lui confie le soin de corriger d'après manuscrits Beati Isidori opera quaedam, il tombe par hasard sur le De altera vita. Il le transcrit alors en identifiant citations scripturaires et patristiques, puis le confie à l'imprimerie 46

• C'est l'édition d'Ingolstadt que nous pouvons consulter aujourd'hui. Mais Mariana précise bien qu'il n'a pas tout copié : Priorem operis partem in lucem edere nunc quidem consilium non erat 47

• Il ajoute ensuite que cette première partie pourra être éditée dans le futur, mais qu'il n'y a pas urgence dans la mesure où elle a déjà été confiée à la Zingua vulgari. Cette préface, précieuse pour l'histoire des Miracula, confirme en tout point ce que nous savons par ailleurs.

Résumons : le manuscrit du De aùera vita comprenait d'abord le texte des Miracula, ensuite seulement celui du traité de Lucas contre les hérésies. L'allusion à une traduction en castillan de la première partie nous renvoie au travail effectué au début du XVI

e siècle par un chanoine de Le6n, Juan de Robles, grâce à la copie d' Alcala 48

• Le même Juan de Robles retrace au début de son ouvrage l'histoire du manuscrit en des termes qui ne laissent aucun doute sur son identité avec celui du De altera vita. Sa traduction fut éditée à Salamanque en 1525 ; quant au texte latin de Lucas, en dépit des vœux de Mariana, il n'a fait l'objet d'aucune édition à l'exception des derniers chapitres 49

Ces précisions permettent de mieux situer les Miracula. Nous avons donc affaire à une sorte de diptyque hagiographico-théologique, originellement conservé dans un manuscrit unique. Lucas affirme lui-même avoir inter­rompu la rédaction des miracles d'Isidore pour écrire son traité 50

• Il y est ensuite revenu. Les préoccupations des deux œuvres, dogmatiques et péda­gogiques, sont exactement les mêmes. Seuls les moyens diffèrent: traité théologique suivi d'un récit narratif dans un cas, hagiographie selon des recettes éprouvées dans l'autre. Une obsession constante sous-tend l'œuvre de Lucas : lutter contre les ennemis qui assiègent la chrétienté en s'appuyant sur l'Écriture, les autorités patristiques et les saints, au premier rang des­quels se trouve Isidore de Séville 51

. Conservés à Le6n, les restes de ce dernier agissent quotidiennement. Ce faisant, ils jouent un rôle essentiel non seule-

46. Rudem indigestamque molem in libros, et capita distinximus, et ad marginem divina­rum Scripturarum locos omnes, qui citabantur, atque Patrum plerosque notavimus, ex quibus liber ferme compactus est (De altera vita, préface).

47. Et un peu plus haut: Hanc nos partem describendam curavimus secretam ab alia (ibid.). 48. Cf. note 43. Une version légèrement modernisée de cette traduction a été donnée, avec

quelques notes souvent apologétiques, par l'ancien abbé de Saint-Isidore: Milagros de San Isidoro, éd. J. PÉREZ LLAMAZARES, Le6n, 1947 (rééd. 1992). Elle doit être maniée avec beaucoup de précautions, car l'œuvre de Lucas est suivie de textes extraits d'autres œuvres.

49. Cf. note 54. 50. ... seponens ad tempus prosequi ea, quae de miraculis sancti confessoris Isidori coepe­

ram enarrare ... (De altera vita, p. 195). 51. Le premier inspirateur du De altera vita est cependant Grégoire le Grand : ... ex

Dialogorum beatissimi patris Gregorii libro ad eruditionem fidelium contra temerarios profe­ram argumenta, mentibus dubiis rationabiliter faciens fidem (ibid.).

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ment dans la vie des fidèles, mais encore dans !'Histoire, c'est-à-dire dans les rapports de force entre chrétiens et musulmans tout autant que dans le déploiement d'une monarchie castillano-léonaise forte.

Étudier les différents aspects des Miracula réclamerait un travail d'une autre envergure 52

• Nous nous contentons donc ici de résumer l'organisation interne du recueil avant de commenter l'un des chapitres, il est vrai central dans l'économie de l'œuvre:

- Cap. 1-10. Invention et translation des restes d'Isidore. Premiers miracles entreSéville et Le6n.

- Cap. 10-12. Apologie du roi Ferdinand ier (1035-1065), responsable de la trans­lation.

- Cap. 12-24. Divers miracles, dont beaucoup s'opèrent au détriment des maures.

- Cap. 25-30. Déroute du roi d'Aragon, Alphonse le Batailleur (t 1134), qui avaitépousé Urraca, fille d'Alphonse VI. Cvmportement sans faille de l'infant Alphonse, futur Alphonse VII (1109-1157).

- Cap. 31. Lucas annonce un changement de méthode. Il suivra désormais un ordrechronologique. Le premier miracle qui suit est celui de la prise de Baeza, que nous éditons en annexe.

- Cap. 32-36, 41-42 et 44. Miracles en faveur du lignage royal : l' <<empereur>>Alphonse VII, sa sœur Sancha, Ferdinand II de Le6n (1157-1188), enfin l'infant Alphonse (futur Alphonse IX, 1188-1230).

- Cap. 37-40. Miracles pédagogiques et dogmatiques : rôle du purgatoire, valeur del'eau bénite, des prières et plus précisément des messes. Ces quelques chapitres sont particulièrement longs.

- Cap. 43 et 45-51. Liberté de Saint-Isidore: luttes contre l'évêque de Le6n, octroid'une bulle d'exemption par Alexandre III (1163), châtiment des pillards.

- Cap. 52-85. Vie de saint Martin de Le6n, la grande figure intellectuelle dumonastère à la fin du XIIe siècle (t 1203). Martin semble être le premier en Espagne à avoir utilisé les sentences de Pierre Lombard 53

• L'intégration de sa vita aux miracles permet de montrer qu'à Le6n, culture et sainteté vont de pair et se déclinent au présent. Ces chapitres ont été imprimés à l'occasion de l' édition des œuvres complètes de Martin de Le6n au XVIIIe siècle, puis reproduits par Migne. Ils sont aujourd'hui la seule partie des Miracula facilement accessible 54

Les Miracula sancti Isidori ont des fonctions diverses et complémen­taires. A la différence de beaucoup d'œuvres hagiographiques moins ambi-

52. Nous envisageons une édition critique du recueil.53. Nombreuses études de A. VrNAYO GONZALEZ, dont San Martin de Le6n y su Apolo­

gética antijudia, Madrid, 1948 et lo., Santo Martino de Le6n, Le6n, 1984. Cf. aussi les travaux réunis dans Santo Martino de Le6n, op. cit., dont : lo., << Santo Martino de Le6n y su noticia historica : biografia, santidad, culto >>, p. 339-360; K. REINHARDT, << La exégesis escrituristica de santo Martino>>, p. 583-594; L. RoBLES CARCEDO, << Fuentes del pensamiento teol6gico de santo Martino >>, p. 599-622 ; J. M. SoTO RA.BANOS, << Condicionamento juridico can6nico de Martino de Le6n y linea pastoral martiniana >>, p. 627-651 ; P. LINEHAN, << Santo Martino and the context of sanctity in thirteenth-century Le6n >>, p. 689-697. Enfin, R. McCws­KEY, << The genesis of the Concordia of Martin of Le6n >>, dans D. W. LoMAX et D. MACKENZIE éds., Cod and Man in Medieval Spain. Essays in honour of J R. L. Highjield, Warminster, 1989, p. 19-36.

54. Vita S. Martini Legionensis, PL, 208, col. 1-24, reproduit dans A. VINAYO GONZALEZ,San Martin de Le6n y su Apologética antijudia, op. cit., p. 217-263 (avec le texte castillan de 1525).

HAGIOGRAPHIE ET POLITIQUE A LEON 63

tieuses, ils relèvent d'un projet qui peut être qualifié de global. Il s'agit certes d'assurer la propagande directe du sanctuaire auquel est attaché Lucas, ce qui est classique, mais le recueil déborde largement cette préoccupation en développant longuement trois thèmes privilégiés : l'exaltation du mode de vie des chanoines réguliers installés depuis 1148, le rôle salvifique des sacramentaux et des sacrements, l'apologie, enfin, d'une monarchie castillano-léonaise présentée comme amie du docteur des Espagnes. Si la période créatrice de Lucas est encadrée, en amont comme en aval, par les miracles d'Isidore, c'est bien que ces derniers ne sont pas une œuvre mineure mais résument l'essentiel de ses préoccupations. Or dans l'architecture de ce récit à plusieurs entrées, il est un chapitre, le trente-deuxième, qui sert d'assise à l'ensemble de l'œuvre.

La prise de Baeza et le faux �ouronnement impérial de Leon

Le chapitre XXXII rapporte trois événements majeurs pour l'histoire de Saint-Isidore et de la monarchie léonaise 55

: une victoire, la régularisation de la communauté isidorienne, enfin un couronnement impérial. Ce chapitre peut être ainsi résumé : alors qu'il dévaste<< de nombreuses villes et châteaux agaréens par la flamme et par le fer>>, Alphonse VII (t 1157) entreprend le siège de la ville andalouse de Baeza. La nuit qui précède le combat, alors que son campement est encerclé par une immense troupe de musulmans venus des régions avoisinantes, le roi voit Isidore lui apparaître à deux reprises pour lui annoncer la victoire. A ses côtés se trouve un glaive à double tranchant, tenu par la main de saint Jacques. Après avoir rapporté cette vision à son entourage, Alphonse décide, sur le conseil de ses proches, d'instituer après la victoire une confrérie dédiée à saint Isidore. Il s'engage par ailleurs à faire venir dans la maison de ce dernier un groupe de chanoines réguliers, jusqu'alors relégués au monastère de Carvajal. Cette décision comble les vœux de Sancha, sœur du roi, qui en défendait l'opportunité depuis long­temps. Après le triomphe, et conformément à ce qu'avait annoncé Isidore, Alphonse soumet à son imperium les autres princes d'Espagne, tant musul­mans que chrétiens. Ayant installé à Saint-Isidore les chanoines réguliers, il s'y fait ensuite couronner empereur en présence de tous ses vassaux.

Ce récit pose plus d'un problème. En premier lieu, il n'est pas intégrale­ment le fait de Lucas. Toute la première moitié, qui nous mène jusqu'après la bataille mais avant le couronnement, se trouve presque à l'identique dans le récit de la translation et des miracles composé quelques décennies avant Lucas 56

. La suite, quant à elle, est dépourvue d'antécédents. L'épisode rapporté, qui met en scène l'un des plus glorieux souverains castillano­léonais tout en l'associant étroitement aux �hanoines réguliers de Saint­Isidore, est un véritable récit de fondation. Sans doute raconté depuis la bataille elle-même (1147), il a donc été consigné quelques décennies plus tard par un chanoine anonyme. En le retranscrivant, non sans quelques modifi-

55. Cf. infra, Annexe.

56. PL, 81, col. 961A-962C.

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cations significatives, Lucas l'annexe à sa propre logique, plus ambitieuse et plus systématique. Il n'en reste pas moins tributaire de sources plus ancien­nes, qu'il est généralement possible d'identifier. L'épisode le plus riche à cet égard est sans doute la vision d'Alphonse VII, qui doit être << déconstruite >> pour être comprise.

Dans les faits, la prise de Baeza est un épisode mineur des luttes d' Alphon­se VII 57

• L'époque est celle de la fin de la domination almoravide et du début de celle des almohades, qui ont débarqué d'Afrique du Nord en 1146. En ce qui concerne la lutte contre les musulmans, la grande affaire du règne d'Alphonse VII est la conquête d' Almeria, alors foyer de piraterie fort actif. Aidé d'une flotte génoise et pisane, fort de l'appui de Ramon-Berenguer IV de Barcelone et de Garcia Ramirez de Navarre, Alphonse a pris la ville en 1147. Sur sa route, il s'est emparé de deux localités secondaires, Ubeda et. Baeza. Pour cette dernière, un siège a été nécessaire. C'est ce dernier épisode qui, en permettant une double apparition d'Isidore de Séville, devient central dans les Miracula. Le texte décrivant la vision peut être ainsi traduit :

<< Tandis que le roi Alphonse se reposait dans sa tente et se trouvait depuis un certain temps pris par le sommeil, un homme dont le visage resplendissait tel un soleil éclatant lui apparut, revêtu des ornements épiscopaux et vénérable en raison de sa belle chevelure blanche; à côté de lui se trouvait une main tenant un glaive enflammé à double tranchant >> 58.

Cette imagerie est pour l'essentiel d'inspiration apocalyptique. Relisons la vision de Jean dans l'île de Patmos : entre autres attributs, le Fils de l'homme a des cheveux blancs comme la laine, un visage brillant comme le Soleil, et il tient dans la bouche une épée à deux tranchants 59• Cette vision est bien connue à Le6n, où elle est même, serait-on tenté de dire, un classique. D'un point de vue textuel, en effet, elle a déjà été utilisée pour décrire Isidore à la fin du XI

e siècle, dans le premier récit de la translation, lui-même repris dans l' Historia Silense. Le saint, peut-on y lire, apparaît trois fois au vénérable Alvit, évêque de Le6n. Il est revêtu des ornements pontificaux et a les cheveux blancs 60

• La première translation et l'Historia Silense sont bien connues de l'hagiographe anonyme et de Lucas. D'autre part, à la fin du XII

e siècle, Martin de Le6n a longuement commenté l' Apocalypse. Son œuvre était à la disposition des chanoines sous la forme d'un luxueux manuscrit 61•

Cependant, l'inspiration qui sous-tend cet épisode n'est pas seulement tex­tuelle. La vision de Jean à Patmos pouvait être admirée à Saint-Isidore de

57. Pour le récit des événements et le résumé qui suit, cf. M. REcuERO AsTRAY, Alfonso VII, emperador. El imperio hispanico en el siglo XII, Le6n, 1979, p. 177-183.

58. . .. rex Adefonsus sedens in tenptorio et aliquantisper oppressus, somno apparuit eiquidam vir pulcra canitie, venerandus episcopali infula decoratus, cuius facies fulgebat ut sol clarissimus, circa quem dextera gladium igneum ancipitem tenens gradiebatur (ms 63, fol. 15v).

59. Caput autem ejus et capilli erant candidi tamquam lana alba et tamquam nix ... Et habebat in dextera sua stellas septem, et de ore ejus gladius utraque parte acutus exibat ; et facies ejus sicut sol lucet in virtute sua (Ap 1, 14-16).

60. Acta translationis corporis S. Isidori, PL, 81, col. 41B ; Historia Silense, éd. J. PÉREZ DE URBEL et A. GONZALEZ Rufz-ZoRRILLA, op. cit., p. 200.

61. ARCSIL, ms 11 : J. PÉREZ LLAMAZARES, Catalogo, op. cit., p. 36-38. Commentaire del' Apocalypse : PL, 209, col. 299-420.

HAGIOGRAPHIE ET POLITIQUE A LEON 65

Le6n dans au moins deux œuvres de première importance: d'une part dans un manuscrit enluminé du commentaire de Beatus de Liebana, réalisé pour Ferdinand rr et son épouse Sancha, qui était conservé au monastère 62

D'autre part sur les murs de la crypte faisant office de panthéon royal, au cœur d'un vaste programme iconographique à peu près intégralement conservé aujourd'hui 63

• La datation des fresques nous place dans la seconde moitié du XIIe siècle, soit, sans doute, juste avant le premier récit de la prise de Baeza. Notons enfin que, quelques années plus tard, sans doute après 1197, Isidore a été représenté dans une vignette illustrant un sermo in transitu sancti Isidori dû à Martin de Le6n 64

• Le saint y apparaît en évêque. La barbe et les cheveux sont blancs comme neige.

Nous disposons donc d'un ensemble de repères iconographiques et tex­tuels, qui permettent de comprendre à quelle source s'est nourri l'imaginaire des chanoines de Saint-Isidore. Le no.yau dur en est évidemment Ap 1, 14-16, mais il serait précipité d'y voir l'indice d'une eschatologie propre au milieu léonais 65

• L'Apocalypse n'est pas utilisée comme un corpus dogmatique ou prophétique, mais plutôt comme une grammaire symbolique. Elle fournit une réserve de références iconographiques permettant de donner force et. couleur au récit. Les séquences retenues restent malléables, ce qui permet de les combiner pour les mettre au service d'un discours polico-religieux qui n'a rien d'intemporel. Ainsi, l'apparition d'Isidore n'est que partiellement cal­quée sur celle du Fils de l'homme, qui n'explique pas la présence d'une main sans corps tenant un glaive à double tranchant. La clé de ce passage nous est donnée par Isidore en personne : << Je suis Isidore, docteur des Espagnes, successeur de saint Jacques l'apôtre pour la grâce et la prédication. Cette main est celle de ce même apôtre Jacques, défenseur de l'Espagne>> 66

Dans l'exégèse médiévale, le glaive à double fil ne pose aucun problème : il symbolise le verbe divin, capable de faire et de défaire, mais aussi, par contrecoup, la prédication des envoyés de Dieu. Cette interprétation se trouve chez Martin de Le6n, puis chez Lucas de Tuy lui-même, dans un passage du De altera vita relatif aux Franciscains et aux Dominicains, qui agissent gladio ancipiti verbi Dei 67

• Tout ce discours repose évidemment

62. Aujourd'hui Madrid, Bibl. nac., ms Vitr. 14-2, fol. 46. Voir fig. 1.63. Sur les fresques de Le6n, cf. A. VINAYO GONZALEZ, Pintura romanica. Pante6n real de

San lsidoro-Le6n, Le6n, 1971, et ID., Le6n roman, La Pierre-qui-Vire, 1972, p. 87-91. Voir fig. 2. 64. MARTIN DE LEON, Concordia, ARCSIL, ms 11, I, fol. 162. Sur la datation du manuscrit,

cf. T. MARIN,<< Los codices de Santo Martino. Singularidades paleograficas >>, dans Santo Mar­tino de Le6n, op. cit., p. 431-458 (p. 448-449 pour la datation). Sur les miniatures, cf. E. FER­NANDEZ GONZALEZ, << Las miniaturas de los codices martinianos >>, ibid., p. 515-549 (reproduc­tion, p. 517). Voir fig. 3.

65. Quelques éléments dans K. REINHARDT,<< La exégesis escrituristica >>, art. cit., p. 589-594,qui met en valeur l'importance de l' Apocalypse dans la pensée martinienne, tout en situant l'eschatologie de celui-ci dans << la tradition de la théologie espagnole ancienne>>. Cependant, Martin n'utilise guère Beatus dans son propre commentaire.

66. 'Ego sum', ait, 'Yspaniarum doctor Ysidorus, beati Jacobi apostoli gratia et predica­tione successor. Dextera hec eiusdem Jacobi apostoli est Yspanie defensoris' (ms 63, fol. 15v).

67. MARTIN DE LEON, Commentaire sur !'Apocalypse, PL, 209, col. 306.D : De ore ejus, id est de praedicatoribus ejus,per quos Deus aperit secreta sua .... Cf. aussi l'assimilation du glaive au verbe de Dieu dans le Sermo in transitu sancti lsidori, PL, 209, col. llA. LUCAS, De altera vita, III, 15, p. 247C : Quod cum quidam haeretici in Burgundiae partibus sui erroris semina

FIG. 1. - Beatus de Liebana, Cartulaire de l'Apocalypse, Ap 1, 14-16. Madrid, Bibl. nac., ms Vitr. 14-2, fol. 46, détail.

FIG. 3. - Saint Isidore (de Séville). Martin de Leon, Sermo in transitu sancti lsidori.

ARCSIL, ms 11, 1, fol. 162.

HAGIOGRAPHIE ET POLITIQUE A LEON 67

FIG. 2. - L' Apocalypse de saint Jean. Fresque de Saint-Isidore de Le6n, 2e moitié du XIf siècle.

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sur le fait que l'épée de l' Apocalypse est située dans la bouche de Dieu. Or c'est précisément sur ce point essentiel que s'opère dans notre récit un changement majeur. Le glaive n'est plus tenu par une bouche mais par une main, qui plus est à la veille d'une bataille . Normalement symbole du verbe divin, il a été ravalé au rang d'insigne de force, légitime certes, mais aussi brutale. Si Isidore est<< docteur des Espagnes>>, s'il s'exprime gravement lors de ses apparitions et possède le don de la prédication, saint Jacques, lui, n'est que<< défenseur de l'Espagne>>. Ce partage des tâches traduit assez clairement une hiérarchie : en se présentant comme successeur de l'apôtre, Isidore s'affirme comme le premier saint des Espagnes et met en quelque sorte Jacques à son service, le même Jacques n'étant plus, littéralement, qu'un bras armé. Cette vision constitue donc à elle seule un véritable programme, par lequel les chanoines de Saint-Isidore affirment leur supériorité sur Saint-Jacques de Compostelle et lt. reste de l'Espagne chrétienne.

A la suite de la victoire de Baeza, Alphonse VII aurait, pour tenir sa promesse, introduit des chanoines réguliers dans le vieux monastère double. Nous sommes là sur un terrain plus ferme. Il est en effet possible de confronter le récit de nos hagiographes avec les faits, ces derniers nous étant connus par un acte du 18 février 1148 délivré aux Cortes de Palencia 68

. Pour bien le comprendre, il importe de rappeler certains événements survenus quelques années plus tôt au sein du chapitre cathédral. Sous le règne d'Urraca (1109-1126) déjà, l'évêque Diego avait dû reconstituer le temporel des chanoines, alors en grande difficulté, en leur confiant diverses églises et monastères 69

• Il s'agissait là d'un premier pas vers la séparation des revenus de l' église cathédrale en mense épiscopale et mense canoniale, séparation qui n'intervint officiellement qu'en 1120 70• Y avait-il alors vie commune? Rien ne l'indique. L'acte de restauration du chapitre, en 1073, précise que les chanoines vivent sub canonica institutione, ce qui est vague 71• A la fin du XI

e siècle, plusieurs actes royaux signalent que les chanoines << partagent le pain au réfectoire>>, mais un acte de 1141 montre clairement qu'ils habitent des maisons individuelles 72• Jusqu'aux années 1140 donc, le clergé cathédral pratique une vie semi-commune qui lui permet de garder maisons et biens

spargerent virulenta, et sanctae praedicationis fratres Praedicatores, et fratres Minores contra eosdem haereticos viriliter decertarent gladio ancipiti verbi Dei eorum prava dogmata infati­gabiliter concidentes, tandem a iudice regionis capti sunt. La fin de la phrase prouve bien que le gladium ancipitem ne peut se rapporter ici à l'usage de la force, ce qui n'est plus le cas dans les Miracula.

68. Documentas, n° 44, p. 71-73.69. J. M. FERNANDEZ CAT6N, Colecci6n documental, V, op. cit., n° 1351, p. 52-56 (1116).70. Ibid., n° 1367, p. 82-90.71. J. M. Ruiz AsENCIO, Colecci6n documental, op. cit., IV. 1032-1109, Leon, 1990, n° 1190,

p. 443.72. Facio kartulam testamenti et scriptum firmitatis_ vobis omnibus canonicis sancte Marie

Legionis sive ad maiores quomodo ad minores qui in canonica de Sancta Maria cornunern panern habetis, quod non detis neque exsolvatis neque pectetis in peticione vel in pectu quam rex vel regina sive aliquis princeps, omnibus Legionensis civibus vi vel gratu pecierit vel demandaverit, et sagio vel alcaide vel aliquis homo in vestras dornos non intret per ulla calumpnia ... ( Colecci6n documental, V, op. cit., n° 1433, p. 204, souligné par nous). En 1098, un acte d'Alphonse VI mentionne les clercs de la cathédrale qui comunem panem habent in refectorio, ibid., n° 1297, p. 616 (et encore n° 1304, p. 626).

HAGIOGRAPHIE ET POLITIQUE A LEON 69

privés, tout en se réunissant pour les célébrations liturgiques et certains repas. C'est alors qu'intervient Pierre Arias, premier supérieur de Saint­Isidore après sa transformation. Dès 1144, l'évêque lui accorde le droit de fonder à Carvajal un monastère suburbain, afin de suivre la règle de saint Augustin en compagnie des chanoines cathédraux désireux de l'accompa­gner. Afin d'assurer la survie matérielle du nouvel établissement, les anciens chanoines séculiers peuvent garder leurs prébendes à l'exception des plus importantes 73• Derrière ces événements, on devine l'échec de Pierre Arias et de ses compagnons à imposer une vie régulière au chapitre de la cathédrale, puis leur décision de faire sécession. L'évêque signale sobrement qu'ils << ont voulu mener vie plus stricte et se gouverner par la règle de saint Augustin >> 74

Carvajal reste cependant sous sa dépendance étroite, ce qu'il souligne avec insistance dans l'acte de fondation 75•

En 1148, Alphonse VII procède•à un échange. La nouvelle communauté prend possession de Saint-Isidore et les moniales la remplacent à Carvajal. Il faut y voir l'aboutissement d'un processus de modernisation, somme toute assez heurté, de l'encadrement religieux léonais. Un vieux monastère double a été remplacé par une communauté de chanoines réguliers suivant la règle de saint Augustin 76

• La fondation de 1144 avait créé une sorte d'institution bicéphale : d'un côté, les chanoines désireux de poursuivre une vie conforta­ble autour de la cathédrale, dans les bâtiments de laquelle ils se réunissaient régulièrement pour les célébrations liturgiques et les repas ; de l'autre, à quelques lieues de leurs anciens compagnons, les partisans d'une strictiorem

vitam. Tous restaient sous le contrôle étroit de l'évêque.

Or ces événements sont essentiels pour le propos de nos hagiographes. Le transfert des chanoines à l'intérieur des murs, dans le vieux monastère de San Pelayo, est pour eux synonyme d'émancipation. Selon le récit de la

73. Documentas, n° 38, p. 62-65. Les chanoines quittant la cathédrale peuvent garder leursprébendes, à l'exception des plus importantes: videlicet decanatu, archidiaconatu, cantoria, sacristania, quas ut non habeant decernimus. Cette dernière mention explique sans doute une précision des Miracula qui semble de prime abord contredire la charte de fondation de Carvajal: Pedro Arias aurait fondé le monastère avec ses propres richesses (quod sumptibus propriis a fundamentis construxerat, ms 63, fol. 16). Le maintien à la cathédrale des principales prébendes rend vraisemblablement nécessaire l'apport de richesses personnelles.

74. Qui strictiorem vitam ducere et sub regula beati Augustini degere voluerint (Documen­tas, n° 38, p. 62). Dans la lignée du P. Risco, qui traite le problème dans ES 35, p. 193-196, la plupart des historiens affirment que Pedro Arias et ses compagnons partirent car l'évêque sécularisait son chapitre : J. PÉREZ LLAMAZARES, Historia de la Real Colegiata, op. cit., p. 55 ; Io., Vida y milagros del glorioso Isidoro, Le6n, 1924, p. 168-169 ; L. GARCIA CALLES, Dona Sancha, hermana del emperador, Le6n, 1972, p. 78; T. VILLACORTA RoDRIGUEZ, El cabildo catedral de Le6n. Estudio historico-juridico, siglos XII-XIX, Le6n, 1974, p. 39-40, qui inter­prète la séparation des deux menses en 1120 comme une sécularisation ; M. L. HoLLAS, Lucas of Tuy, op. cit.,p. 12; M. A. V ALCARCE, El dominio de la Real Colegiata, op. cit., p. 14. Le seul à donner, sans explications, une interprétation plus juste q.es faits semble être R. A. FLETCHER, The Episcopate in the Kingdom of Le6n in the Twelfth Century, Oxford, 1978, p. 71.

75. Sed ante quam ingrediantur episcopo illius sedis et suis successoribus obedientiam promittant et nemo illorum ab obedientia predicte sedis episcopi et successorum eius se subtrahat (Documentas, n° 38, p. 63).

76. L'acte royal du 18 février 1148 précise bien : ... Petra Ariae, priori, et sociis vestris canonicis regularibus atque vestris et eorum successoribus in perpetuum ad canonicalem vitam ibi secundum formam et ordinem beati Augustini ducendam ... (Documentas, n° 44, p. 71).

70 P. HENRIET

translation repris par Lucas, Alphonse offrit aux chanoines << les privilèges d'une liberté perpétuelle>> 77• Mais ce transfert permet aussi de remédier à une situation peu satisfaisante. Le monastère de Saint-Isidore, qui abritait incontestablement les reliques les plus prestigieuses de la ville et du royaume, n'avait alors à son service que des moniales et, sans doute, un nombre indéterminé de chanoines séculiers. En d'autres termes, il ne possédait pas une équipe de prière à sa hauteur 78

• L'arrivée des hommes de Carvajal permet donc de lier la communauté la plus réputée de Le6n à un monastère qui est de plus en plus perçu comme le cœur historique et spirituel du royaume. L'acte de 1148 ne fait pourtant aucune allusion à la prise de Baeza, pas plus qu'à une quelconque promesse d'Alphonse VII: c'est là qu'inter­viennent les Miracula. En faisant du transfert des chanoines la conséquence directe d'une victoire contre les maures, elle-même rendue possible par l'intervention miraculeuse d'Isidor�, ils placent la nouvelle fondation - car c'en est une - au cœur de l'histoire léonaise. L'accomplissement du plan divin implique la victoire des chrétiens sur les musulmans, puis la récupéra­tion de tous les territoires<< goths >>. A partir du moment où Isidore, première gloire de l'âge wisigothique, dirige ce processus, son monastère n'est plus un simple sanctuaire à miracles mais un lieu d'une sacralité toute particulière.

Il restait à montrer le lien privilégié unissant la nouvelle abbaye au lignage royal. Reprenons le texte. Lors de sa première apparition, Isidore scelle le contrat qui l'unit à Alphonse par ces mots : << J'ai été institué par Dieu comme gardien de ta personne et de ta descendance, à condition que vous agissiez devant lui dans une foi sincère et avec un cœur sans tache>> 79

Alphonse VII n'est cependant pas, dans l' œuvre de Lucas, la première figure de la famille royale. Cette place est en fait tenue par sa propre sœur, Sancha, qui nous est relativement bien connue par ailleurs 80

• Lucas lui­même rapporte dans son Chronicon qu'à peine couronné roi, en 1126, Alphonse ordonna de donner à sa sœur le titre de reine. De fait, dans nombre de diplômes, Sancha apparaît comme regina 81

. L'auteur de la Chronique d'Alphonse VII signale qu' << en tout ce qu'il faisait, le roi consultait d'abord sa sœur >> 82

• Or jusqu'à sa mort, en 1159, Sancha favorise la vie monastique sur les terres qui relèvent de son autorité 83

• Ainsi, dès 1122, elle fait don à

77 . Dans le récit anonyme : tradens ei plura dona et privilegia perpetuae libertatis (PL, 81, col. 962C). Chez Lucas : libertatis perpetue privilegio conmunivit (ms 63, fol. 1 6v).

78 . Le prologue de l'acte royal de 1148 précise que les puissants doivent/overe loca eis (= viras sanctos et religiosos) ad religionem ducendam idonea dare ... (Documentas, n° 44, p. 71).

79. Ego tibi et nascituris ex genere tuo a Deo datus sum custos, si ambulaveritis coram eo in jide nonjicta corde perfecto (ms 63, fol . 1 5v).

80. L. GARCIA CALLES, Dona Sancha, hermana del Emperador, Le6n, 1972. 81. ... quam ea hora qua a Legionensibus et Castellanis est confirmatus in regem secum

sedere fecit, et reginam vocari iussit (Chronicon, p. 103). Sancha porte le titre de regina pour la fondation de Carvajal (1144). En revanche, pour le transf�rt des chanoines en 1148, elle confirme en tant qu'infanta. Selon L. GARcfA CALLES, Dona Sancha, op. cit., p. 28, la sœur d'Alphonse utiliserait plus fréquemment son titre de reine à la fin de sa vie.

82. Omnia ergo quaecumque rex faciebat, in primis habebat consilium cum uxore sua, et cum germana sua Infantissa Damna Sancia ... ( Chronica Adefonsi Imperatoris, éd . L. SANCHEZ

BELDA, Madrid, 1950, p. 14). 83 . Sur la politique monastique de Sancha, cf. L. GARCIA CALLES, Dona Sancha, op. cit.,

p. 69-102.

HAGIOGRAPHIE ET POLITIQUE A LEON 71

Pierre le Vénérable du vieux monastère mozarabe de San Miguel de La Es­calada 84

• En 1146, elle offre le monastère de La Espina, près de Toro, à saint Bernard, ce qui ne l'empêche pas de lui refuser un peu plus tard la possession d'un autre établissement, Carracedo 85• Elle favorise également San Pelayo d'Oviedo, mais au cœur de cette politique monastique se trouve Saint-Isidore.

Le monastère léonais est alors à la tête d'une institution spécifique, l'infan­tado. L'infantado est un ensemble de possessions, confiées en viager à des filles ou à des sœurs de rois qui perdent en retour le droit de se marier 86• A

leur mort, les terres reviennent à la couronne. Or Sancha est alors la seule infante. Célibataire, elle entretient sans avoir fait profession monastique des liens privilégiés avec Saint-Isidore, qui lui tient lieu de résidence. Elle joue donc un peu le rôle d'une abbesse laïque sans en avoir le titre, ce qui explique son rôle dans l'affaire qui nous occupe.

Pour Lucas, Sancha est le trait .d'union idéal entre Saint-Isidore et la monarchie castillano-léonaise. Sœur du roi, regina, elle est aussi la protec­trice des reliques d'Isidore et sa<< très douce épouse>> 87• Si son rôle est relativement discret dans le recueil anonyme, il devient primordial dans celui de Lucas. Sancha est en effet indispensable à tous points de vue. C'est elle qui, la première, par une<< suggestion céleste>>, décide de remplacer les moniales par des chanoines réguliers 88

• C'est elle aussi qui, vivant dans ou à proximité du monastère, maintient en permanence un contact physique entre les reliques d'Isidore et le lignage royal. C'est elle enfin, plus encore que son frère, qui assure aux moines leur liberté : l'un des miracles rapporte com­ment elle accepte de quitter les murs du monastère, désormais masculin, pour aller s'installer de l'autre côté de la place 89• Reine et presque sainte,

84. Charte de donation dans A. BERNARD et A. BRUEL, Recueil des chartes de l'abbaye de Cluny, V, Paris, 1984, 3970, p. 327, reprise dans L. GARcfA CALLES, Dofia Sancha, op. cit., p. 132. Cf. P. SEGL, Këmigtum und Klosterreform in Spanien. Untersuchungen über die Clunia­censerkloster in Kastilien-Le6n vom Beginn des 11. bis zur Mitte des 12. ]ahrhunderts, Kallmünz, 1974, p. 87. Donation éphémère, car San Miguel de La Escalada est confié à des chanoines augustiniens dès 1155.

85. La Espina: éd. füsco, ES 35, p. 197. La dispute à propos de Carracedo donne lieu à unéchange de lettres avec saint Bernard, dont seule subsiste la réponse de l'abbé de Clairvaux : Ep. 301, S. Bernardi Opera, VIII, éd. J. LECLERCQ et H. RocHAis, Rome, 1977, p. 217-218.

86. J. PÉREZ LLAMAZARES, Historia de la Real Colegiata, op. cit., p. 38-93 ; L. GARCIA CALLES, Dona Sancha, op. cit., p. 105-123. Il manque une étude systématique sur l'Infantado.

87. Soror mea, dilecta et dulcissima sponsa, hic est thalamus tibi a domino preparatus, si virginitatis propositum quod mihi policita es, inviolata mente Deo studueris conservare (ARCSIL, ms 61, cap. XXXV, fol. 46v). Sancha apparaît essentiellement dans les chapitres XXXII,

xxxv (elle va s'installer de l'autre côté de la place), XXXVI (elle offre à Saint-Isidore et à d'autres églises des reliques de la vraie croix), XLI (elle fait jurer aux habitants de Le6n et de la région de ne plus sortir les reliques d'Isidore du monastère). Sancha est aussi présente dans le Chronicon, p. 103 : Habebat sororem nobilissimam Adefonsus nomine Sanciam, quam ea hora qua a Legionensibus et Castellanis est confirmatus in Regem, secum sedere fecit, et Reginam vocare jussit. Haec sapientissima Regina Sancia quamdiu vixit in virginitate permansit, Christi ecclesias multis insigniis decorando, monasteria construendo, et Christi pauperes recreando. Cepassage précède de peu celui qui rapporte la lutte contre les maures et la prise de Baeza.

88. Verum quia regina domina Sancia studiose fratri suo regi Adefonso sepe dicta subges­serat, quatinus reverendum virum Petrum Arie priorem, qui cum suis canonicis sub habitu et beati Augustini regula ... (ARCSIL, ms 63, fol. 16).

89. Isidore s'adresse ainsi à Sancha : Dum vero quia his (pour hic?) qui te continet locus est domino consecratus, et ecclesie valde propinquus, recede ab isto palatio, et aliud tibi edifica et

72 P. HENRIET

Sancha résume en sa personne la nécessaire alliance de Saint-Isidore et des rois léonais, promis à la domination du monde ibéro-gothique.

Ce dernier thème, bien que présent dans le récit de la translation, acquiert une vigueur sans précédent chez Lucas, chantre de l'unité hispanique sous le patronage isidorien. En effet, si son récit de la prise de Baeza, puis du transfert de 1148, est généralement identique à celui de son prédécesseur, il s'en différencie régulièrement sur un point très révélateur : dans la désigna­tion d'Alphonse VII, il adopte une solution tout à fait personnelle qui ne laisse pas d'intriguer. Ainsi, au début du chapitre, l'anonyme et Lucas s'expriment respectivement de la façon suivante 90

:

Translatio et miracula

Cum serenissimus imperator Adefon­sus, pro dilatandis sanctae Ecclesie fini­bus, ac inimicis crucis Christi hysmaeli­tis expugnandis, eorum fines quam­plurimos devastasset, Beatiam, quon­dam christianorum urbem, a praedictis Agarenis invasam, cum militari manu perpauca, consulto obsedit.

Quod factum cum saraceni ex circum adiacentibus civitatibus percepissent, in­numerabili suorum multitudine conglo­bata, catholici imperatoris castra ever­tere properabant.

Considerantes itaque sarraceni chris­tiani exercitus paucitatem, de suorum viribus atque multitudine confidentes, Christianorum cuneos quinta feria vespe­rascente ex omni parte vallarunt, parati ut altera die, scilicet sexta feria illuces­cente, congresso hello imperatorem cum suis rumpheali perimerent ultione.

Videns autem clarissimus imperator se cum suis adversariorum impetum sus­tinere non posse, consternati animo misericordem Deum in auxilium invoca­bant.

Lucas de Tuy (ms 61, fol. 15v)

Cum ergo serenissimus Gotorum rex Adefonsus, comitis Reymundi et Urra­cae regine filius, regna sibi subdita sancte ac catholice satageret gubernare, et pro dilatandis sancte Ecclesie finibus, atque inimicis crucis Christi ysmaelitis de Yspaniis propellendis, flamma et ferro agarenorum civitates et castella quamplurima devastasset, Beatiam quondam christianorum urbem a predic­tis agarenis possessam cum manu mili­tari perpauca consulto obsedit.

Quod factum, cum sarraceni ex cir­cum adiacentibus provinciis et civitati­bus percepissent, innumerabili suorum multitudine conglobata, catholici princi­pis castra evertere properabant.

Considerantes itaque sarracenii chris­tiani exercitus paucitatem, de suorum viribus et multitudine confidentes, chris­tianorum tabernacula quinta feria adves­peracente die ex omni parte vallarunt, parati ut altera die scilicet sexta feria illuscescente, congresso prelio, regem Adefonsum cum suis runpheali perime­rent ultione.

Videns autem rex clarissimus se ac suos prae paucitate non posse adversa­riorum impetum sustinere, misericor­dem Deum, qui genus redemit christia­norum et misericorditer salvat in se spe­rantes in auxilium invocabant.

hoc trade meis canonicis, quia non licet alicui secularïpersone in eo corporaliter vel temere habitare, et quamvis ipsa virginitatis voto te Deo sacraveris, et ego Deo devotas semper dillexerim feminas, tamen numquam acceptam habui earum mecum 'éliutinam residentiam corporalem (ARCSIL, ms 61, cap. XXXV, fol. 46v).

90. Le texte de la translation est donné d'après Migne (PL, 81, col. 961-962) avec toutefoisquelques rectifications opérées d'après le ms Madrid, Bibl. nac., 10442, fol. 52. Les changements opérés par Lucas sont en italique.

HAGIOGRAPHIE ET POLITIQUE A LEON 73

Pour l'anonyme, les choses sont simples : Alphonse VII est imperator et seul ce titre lui convient. En revanche, Lucas évite soigneusement de l'appe­ler ainsi : Alphonse est donc Gothorum rex, catholicus princeps, rex clarissi­mus, etc. Il n'est pas empereur, ou plus exactement il ne l'est pas encore. C'est ici qu'il faut lire la dernière partie du chapitre XXXII de Lucas, qui ne se situe cette fois-ci dans la dépendance d'aucune source antérieure. Ce passage essentiel est en effet consacré au couronnement impérial d'Alphonse à Le6n. Véritable point d'orgue du chapitre, la cérémonie nous est présentée comme une conséquence logique des deux sous-récits précédents : ce sont la prise de Baeza, puis l'installation des chanoines réguliers à Saint-Isidore qui la ren­dent possible. Avant ce couronnement, Alphonse n'est que roi, d'où les corrections systématiques de Lucas chaque fois que l'anonyme employait le terme imperator.

Disons-le tout net, le récit du coutonnement impérial d'Alphonse VII est un faux. De même que les scribes confectionnent des privilèges et des donations imaginaires pour défendre tel ou tel établissement religieux, Lucas invente pratiquement de toutes pièces une cérémonie qui fait de Saint­Isidore le centre de l'Empire castillano-léonais 91• Combinant des faits réelset parfois célèbres, il en tire un récit de propagande qui n'a plus qu'un lointain rapport avec la réalité. Cette re-création doit être située sur un plan temporel aussi bien que spatial : Lucas jongle avec les dates non moins qu'avec les lieux.

En ce qui concerne les dates, le supposé couronnement d'Alphonse aurait pris place en 1148 ou 1149, soit juste après la victoire de Baeza :

<< Revenant à Le6n, il convoqua tous les archevêques, les évêques, les abbés ainsi que tous les princes espagnols des chrétiens et des agaréens, et il mit sur sa tête le diadème impérial. Avec de nombreuses prières et à grand-peine, il obtint de Pierre Arias, prieur d'une grande sainteté qui, alors qu'il se trouvait dans le siècle, occupait l'office de doyen de l'église de Le6n, qu'il soit transféré avec ses chanoines. Il leur offrit d'insignes présents en or et en argent et il leur conféra, nous pouvons déjà le dire, le privilège d'une liberté perpétuelle, et à partir de ce jour il fut appelé empereur par tout le peuple des Goths, pour ses mérites glorieux et catholiques. Et comme l'autel majeur de l' église du bienheureux confesseur avait été retiré pour une certaine raison, il fit consacrer cette même église par les insignes prélats qui se trouvaient là, dans une gloire indescriptible et une joie inexprimable>> 92.

Lucas ne dit pas très clairement où Alphonse VII s'est ceint du diadème impérial, mais en traitant cet événement de pair avec la dédicace de la

91. Sur la constitution d'une mémoire canoniale dans les chapitres de la péninsule ibérique au xne siècle, cf. A. RucQUOI, << La invenci6n de una memoria : los cabildos peninsulares del siglo XII>>, dans Temas medievales, 2, 1992, p. 67-80.

92. .. . et Legionem regressus convocatis universis archiepiscopis, episcopis, abbatibus, et cunctis Yspaniarum christianorum et agarenorum principibus, imperii diadema sibi imposuit, et a Petro Arie reverende sanctitatis priore, qui dum esset degens in seculo in Legionensi Ecclesia decanatus officia fungebatur, vix ab eo multis obtinuit precibus ut cum suis canonicis transferretur,plures eis possessiones auri et argenti tradens insignia, et ut premisimus liberta­tis perpetue privilegio conmunivit, et ab illa die imperator Yspaniarum est ab omni Gothorum populo gloriosis et catholicis meritis appellatus. Quia vero eiusdem beati confessoris ecclesie mai us altare remotum ex causa fuerat, eandem ecclesiam a summis qui aderant ponti.ficibus et abbatibus cum inextimabili gloria fecit et gaudio inexplicabili consecrari (ARCSIL, ms 63, fol. 16v).

74 P. HENRIET

nouvelle église de Saint-Isidore, il suggère que celle-ci a été le théâtre du couronnement. La précision selon laquelle l'autel principal avait été enlevé renvoie à la campagne de travaux qui permit de construire la basilique actuelle 93

• Nous sommes donc en 1149, plus précisément le 6 mars : à cette date, en effet, au cours d'une cérémonie solennelle qui réunit l'archevêque de Tolède, dix évêques et huit abbés, la nouvelle église fut consacrée. Le souve­nir de ce jour, qui dut marquer les habitants de Le6n et plus encore les chanoines de Saint-Isidore, fut conservé par une inscription qui se trouve au jourd 'hui encore dans l'église 94

• A propos d'une cérémonie qui n'avait rien de politique, Lucas a donc introduit la notion d'unité impériale. Le projet est tout sauf innocent. Là encore, un retour sur les faits n'est pas inutile.

Alphonse VII a bien organisé un couronnement impérial, mais en 1135. La Chronica Adephonsi lmperatoris, la source essentielle à cet égard, permet de reconstituer assez précisément le fil des événements 95

. Après un début de règne difficile, les années 1133-1135 ont vu le panorama s'éclaircir pour le roi. Sur le front de la lutte contre l'islam, une expédition menée en Andalou­sie, pendant l'été 1133, a permis d'effacer une longue suite de déconvenues: à défaut de conquêtes significatives, le chroniqueur rapporte qu'Alphonse revint avec << plusieurs milliers de prisonniers sarrasins et une immense multitude de chameaux, de chevaux, de juments, de vaches et de bœufs, de béliers et de brebis, de boucs et de chèvres, ainsi qu'avec beaucoup d'autres richesses>> 96

• Sur le front intérieur, en mai 1134, le roi a mis fin à la rébellion de Gonzalo Pelaez, comte des Asturies, qui durait depuis deux ans déjà. Gonzalo s'est dans un premier temps réfugié auprès d'Alphonse rer, roi autoproclamé du Portugal; il semble être ensuite assez rapidement rentré en grâce 97

• A la même époque, le royaume aragonais, rival de la Castille pour la domination de la péninsule, est entré dans une période de turbulences et d'affrontements. Alphonse Ier le Batailleur, d'ailleurs présenté sous un jour extrêmement négatif dans les Miracula sancti Isidori, est mort peu après avoir subi la terrible défaite de Fraga face aux almoravides (1134) 98

• Cette situation a permis à la Navarre, unie à l' Aragon depuis 1076, de retrouver son indépendance et de se doter d'un roi, Garcia Ramirez, que l'on retrouve parmi les vassaux de l'imperator. Ainsi, en deux ans, Alphonse a repris l'avantage sur l'islam et fait taire les oppositions intérieures, tout en reléguant le royaume d'Aragon au second plan. Ces succès lui ont permis de se faire couronner à Le6n en 1135, en présence de ses principaux vassaux: au premier rang de ceux-ci, le nouveau roi navarrais, mais aussi Ramon Berenguer IV, comte de Barcelone, le comte de Toulouse et divers sei-

93. Cf. la mise au point d'A. VINAYO, Le6n roman, op. cit., p. 87-91.94. ES 35, p. 207.95. Chronica Adephonsi Imperatoris, éd. cit. M. REcuERO AsTRAY, Alfonso VII, emperador,

op. cit. p. 111-133. 96. Multa milia sarracenorum captivorum et maxima multitudinem camelorum, equorum

et equarum, boum et vaccarum, arietum et ovium, hircorum et caprarum ( ... ) et alias opes plurimas (Chronica Adephonsi Imperatoris, 1, 39). M. REcuERO AsTRAY, Alfonso VII, empera­dor, op. cit., p. 118-121.

97. Ibid., p. 111-118. Gonzalo Pelâez confirme dès 1135 un document en faveur de SanSalvador de Üfi.a.

98. Ibid., p. 121-126. Alphonse VII entre dans Saragosse à la fin de 1134.

HAGIOGRAPHIE ET POLITIQUE A LEON 75

gneurs <l'outre-Pyrénées, ainsi que le roi Zafadola, son principal allié musul­man 99•

Que reste-t-il de tout cela dans le récit de Lucas? Essentiellement la liste des vassaux d'Alphonse, présenté comme unificateur d'une Hispania dans laquelle il contrôle les souverains musulmans aussi bien que chrétiens. Pour le reste, tout a été occulté, retouché, inventé. Des problèmes aragonais, de la rébellion de Gonzalo Pelaez ou de la grande razzia de 1133, il ne reste rien. Le couronnement devient la conséquence de la prise de Baeza et des faveurs de saint Isidore. Cette réécriture n'a pas pour seul effet de souligner le rôle du

<< docteur des Espagnes>> dans l'établissement d'une hégémonie castillano­léonaise sur la péninsule. Elle permet aussi de faire découler celle-ci de la seule lutte contre les infidèles, occultant du même coup les luttes entre chrétiens. En ce premier tiers du XII{ siècle, quelques années seulement après la victoire de Las Navas de Tolosa (1212), Lucas défend un idéal qui relève de moins en moins du mythê, celui d'une Hispania chrétienne unie contre l'islam.

Le récit des Miracula télescope donc le couronnement de 1135 et la consécration de 1149. Ce jeu sur les dates, qui ne se retrouve chez aucun autre auteur, permet de faire d'Isidore le plus ferme soutien de la dignité impériale. Il restait à situer la cérémonie dans l'espace. En 1135, elle avait eu lieu à la cathédrale, ce que Lucas dissimule soigneusement 100• Son œuvre hagiogra­phique n'est d'ailleurs pas toujours tendre pour les évêques de Le6n, qui se sont opposés à l'exemption conférée par Alexandre III (1163) 101• Il semble de plus que, dans les années 1178-1180, l'évêque Jean et la reine Thérèse, deuxième épouse de Ferdinand II (1157-1188), aient tenté en vain d'installer la cathédrale dans les bâtiments plus prestigieux de Saint-Isidore. Dans le récit de Lucas, Thérèse meurt évidemment de la plus épouvantable façon 102•

Sur cet arrière-plan conflictuel, toute la légitimité impériale passe de la cathédrale ... à la basilique de Saint-Isidore, située par là même au cœur géographique de la sacralité politique léonaise. Ab illa die : le texte est à cet égard très clair. C'est à partir du jour où Alphonse transfère les chanoines auprès des reliques isidoriennes et leur accorde une totale liberté, qu'il peut être appelé empereur par le<< peuple des Goths>>. Version des événements à usage surtout interne ... Dans le Chronicon, Lucas se contente de décrire une

99. Sur le couronnement d'Alphonse VII à Le6n en 1135, cf. A. VINAYO, La coronacionimperial de Alfonso VII de Leon, 1135. Los vitrales de la Caja de Ahorros, Le6n, 1979 (p. 50-57 sur les vassaux de l'<< empereur>>). Publication éditée en 1979 à l'occasion de la confection de vitraux célébrant le couronnement de 1135.

100. Chronica Adefonsi Imperatoris, p. 70. Dans le Chronicon, Lucas transforme le couron­nement royal qui suivit la mort d'Urraca en couronnement impérial: Fecit etiam congregari episcopos et omnes barones regni sui in Legione et imponere sibi coronam secundum legem Dei, et consuetudinem regum priorum. Ab illa die vocatus est Imperator Hispaniae ... ( Chronicon, p. 103). On notera que le rôle de la cathédrale est tout aussi occulté.

101. Documentas, n° 75, p. 103-105. Autres bulles d'Alexandre III en faveur de Saint­Isidore : n° 76 (ibid., p. 105-106), n° 78 (p. 107-108), n° 79 (p. 108), n° 115 (p. 145-149), n° 119 (p. 152-153). Dans les Miracula, cf. les chapitres XLIII, XLVI, XLVII.

102. Elle est ensuite sauvée par les prières des chanoines. Le titre du chapitre XLV offre lemeilleur résumé possible: Qualiter regina Tharasia eo quod persequebatur canonicos beati Ysidori ventris ruptione mortua est, atque a penis liberata precibus eorumdem canonicorum, beato Ysidoro revelante (ARCSIL, ms 61, fol. 68).

0

76 P. HENRIET

cérémonie à Le6n, au cours de laquelle Alphonse se ceint lui-même de la couronne impériale 103• Dans la Primera Cr6nica General, écrite quelques décennies plus tard dans l'entourage d'Alphonse X, un souverain sensible à l'idée <l'Empire pour de tout autres raisons, la cérémonie de 1135 est correc­tement localisée dans la cathédrale, qualifiée pour l'occasion de<< cabesça de tod el regno de Lean>> 104•

*

* *

Avec Lucas de Tuy, pour la première fois peut-être dans les royaumes hispaniques chrétiens, un texte hagiographique participe d'un projet intel­lectuel d'envergure. Les Miracula sancti Isidori sont le chaînon manquant qui unit le De altera vita au Chronicon mundi. Par un exposé très pédagogi­que des bienfaits que les saints dispensent aux bons chrétiens, ils illustrent le premier. Par le récit des victoires de.l'empereur des << Goths >> sur l'Islam, ils complètent le second. Loin d'être une simple récréation, les Miracula sont la charnière autour de laquelle s'organise tout l'édifice bâti par Lucas. L'hagio­graphie n'y est pas seulement sœur de l'historiographie, mais aussi de la théologie.

Patrick HENRIET

Université de Paris IV - Sorbonne

103. Dans le Chronicon, le récit de la prise de Baeza s'inspire visiblement des Miracula etoccupe une demi-page (éd. cit.). Il n'est suivi d'aucune allusion au couronnement, ce qui est compensé par le fait qu'après la bataille et la transformation de Saint-Isidore, Alphonse parvient au faîte de sa dignité impériale : ln tanto imperii culmine sublimatus nunquam aliquem subditum oppressit ... (Chronicon, p. 104).

104. << E fue esto en la cathedral eglesia de Sancta Maria de Regla en Leon, que es la çipdad et cabesça de tod el regno de Leon. E dalli adelante se llamo siempre don Al.ffonsso emperador de Espanna >> (Primera Cr6nica general de Espaiia, éd. R. MENÉNDEZ PrnAL, Madrid, 1977, II, cap. 974, p. 654). Sur le couronnement de 1135 comme enjeu des différentes stratégies historio­graphiques à partir du x.11{ siècle et jusqu'à l'époque moderne, cf. P. LINEHAN, << The Toledo forgeries, c. 1150-c. 1300 >>, dans Fiilschungen im Mittelalter, I (MGH Schriften, 33/1), Hano­vre, 1988, p. 657-665 et Io., History and the historians of medieval Spain, Oxford, 1993, p. 400-403, 463-466, 479-480.

HAGIOGRAPHIE ET POLITIQUE A LEON 77

ANNEXE

LE RÉCIT DE LA PRISE DE BAEZA PAR LUCAS DE TÛY

Miracula sancti Isidori, chapitre XXXII

Real Colegiata de San Isidoro de Le6n, ms 63, fol. lSv-17.

Aucune édition du texte original des Miracula sancti Isidori n'existe actuellement. La trace du manuscrit originel se perdant à Alcala de Henares à l'époque moderne, il susbiste aujourd'hui trois témoins du texte :

Le6n, Real Colegiata deSan Isidoro, ms 61 ( début XVIe s.). Parchemin, 95 folios, dont les deux

derniers donnent un exemplaire de la règle de saint Augustin.

Le6n, Real Colegiata de San Isidoro, ms 63 (début XVIe s.). Papier, 39 folios.

Toledo, Biblioteca publica, colecci6n Borb6n-Lorenzana 58 (XVIIf s.). Ce manuscrit, sans doute envoyé à Tolède à l'occasion d'une consultation des œuvres de Martin de Le6n en vue de leur édition, recopie Le6n 61.

Les deux manuscrits léonais ont été obtenus par copie de l'archétype disparu, à la suite d'une plainte des chanoines qui voulaient récupérer l'œuvre de Lucas emportée par Jean II dans les circonstances exposées ci-dessus. Quelques différences apparaissant ici et là, il n'est pas inutile de déterminer quelle fut la première copie. Dans la préface de son édition du De altera vita

(Ingolstadt, 1612), le jésuite Mariana fait allusion à une copie unique du texte de Lucas :facultas modo permissa est novum ex veteri exemplum describendi, sic duo ex uno sunt Jacta. Et plus loin : neque plura exempla iis duo bus integra in Hispania extant. Il faut donc admettre que l'un des deux manuscrits de Le6n a été copié sur l'autre. Dans son catalogue des archives de la

collégiale, J. Pérez Llamazares déclare à propos du n° 63: << No sabemos distinguir si esta sacada del original de Alcala, y de esta copia el c6dice 61, o al contrario, ésta se sac6 del c6dice 61 >> 1•Le bon sens parle en faveur de la première solution. Le n° 61 est un grand manuscrit d'apparat aux belles initiales polychromes. Le 63 est écrit rapidement sur un support en papier de qualité médiocre. Il est souvent d'une lecture difficile, alors que le copiste du 61 s'est visiblement appliqué. Dans certains cas, enfin, les variantes entre les manuscrits semblent indiquer une dépendance du 61 envers le 63. J'en donne ici deux exemples:

1) Lucas ouvre son recueil par un poème en l'honneur d'Isidore, suivi d'une lettre-préface adressée à Suerius, provincial des Dominicains d'Espagne. Dans le manuscrit 63, Lucas se désigne comme diachonus, ce qui correspond à la réalité. Tout ce que nous savons de sa vie indique en effet qu'il n'a jamais dépassé le grade du diaconat lorsqu'il était chanoine à Le6n. Dans le manuscrit 61, Lucas se désigne comme episcopus. Il est donc vraisemblable que, au XVIe siècle, pour donner plus de prestige à l'un des principaux écrivains issus de leur maison, les chanoines de Le6n ont attribué précocement à Lucas le titre d'évêque. Episcopus a d'ailleurs été écrit sur un grattage et le ms 61 porte diachonus dans la marge. Le 63 copie donc le manuscrit original. Le 61 copie le 63 tout en le corrigeant à l'occasion. La mention marginale de diachonus indique simplement qu'il y avait à Saint-Isidore, sans doute dans le courant du XVIe siècle, un chanoine soucieux de la vérité.

2) Le chapitre XXXII, édité ci-dessous, présente Pierre Arias, premier prieur régulier deSaint-Isidore, du temps où il était chanoine à la cathédrale. Les leçons des deux manuscrits diffèrent de la façon suivante

1. J. PÉREZ LLAMAZARES, Catalogo de los c6dices y documentas de la Real Colegiata de SanIsidoro de Le6n, Le6n, 1923, p. 68.

78

Ms63

. . . et a Petro Arie reverende sanctitatis priore, qui dum esset degens in seculo in Legionensi ecclesia decanatus officio fungebatur ...

P. HENRIET

Ms61

... et a Petro Arie reverende sanctitatis priore, qui dum esset degens in canonica Legionensis ecclesiae, decanatus officio fungebatur ...

L'un des deux copistes a donc jugé peu convenable de rappeler que les chanoines de la cathédrale vivaient in seculo. L'expression pouvait choquer un régulier et porter atteinte au passé de Pedro Arias. On comprend donc que le << siècle >> soit devenu la canonica Legionensis ecclesiae. On ne voit pas très bien, en revanche, dans quel but le changement inverse aurait pu être opéré. C 'est, nous semble-t-il, un indice supplé­mentaire de la dépendance du 61 envers le 63.

Nous éditons donc le texte du ms 63 en indiquant les rares variantes. La ponctua­tion et l'orthographe ont été normalisées.

[ fol. 15v] Cap. XXXII. Qualiter rex Adefonsus auxilio beati Y sidori cepit Beatiama2 et omnes Hyspaniae reges suo subdidit dominio, et qualiter ipse beatus Y sidorus vices beati Jacobi obtinet in Hyspania ; et de institutione confraternitatis beati Y sidori et de translatione canonicorum regularium divinitus facta ad ecclesiam eiusdem beati Y sidori, necnon de ipsius ecclesie consecratione et supradicti regis in imperatorem coronatione.

Igitur ad honorem Dei omnipotentis, et perpetue virginis celi et terrae impera­tricis Marie, ac gloriosissimi doctoris Y spaniarumb Y sidori, atque sancti Vincencii martiris Christi, cuius corpus in eiusdem doctoris ecclesia glorifica 3 veneratur devo­tione, qui eandem ecclesiam signis et miraculis frequenter mortalibus reddunt venerabilem et insignem, pro ut vires nostre parvitatis suppetunt, sucinte ac com­pendiose veritatis stilo vera Dei opera percurramus. Cum ergo serenissimus Gotorum rex Adefonsus, comitis Reymundi et Urracae regine filius 4, regna sibi subdita sancte ac catholice satageret gubernare, et pro dilatandis sancte ecclesie finibus, atque inimicis crucis Christi ysmaelitisc de Y spaniis propellendis, flamma et ferro agareno­rum civitates et castella quamplurima devastasset, Beatiam, quondam christianorum urbem a predictis agarenis possessam, cum manu militari perpauca consultod

obsedite. Quod factum, cum sarraceni ex circumadiacentibus provinciis et civitatibus percepissent, innumerabili suorum multitudine conglobata, catholici principis castra evertere properabant. Considerantes 5 itaque sarraceni christiani exercitus pau­citatem, de suorum viribus et multitudine confidentes, christianorum taberna­cula quinta feria advesperacentef die ex omni parte vallarunt, parati ut altera die

a. Baetiam 61. - b. Hyspaniarum 61. Le copiste du 61 met toujours un H à Hispania. -c. hysmaelitis 61, avec.un h dans tous les cas. -d. consueto en 61 et 63. Je rétablis en consulto,tout en notant que la Translatio donne également consueto ( Madrid, Bibl. nac., ms 10442, fol. 52v). - e. Mot difficilement lisible ; on lit plutôt obsesi-(rature)-dit. - f. On attendrait advesperascente.

2. Baeza, province de Jaén.3. Glorifica est à peu près illisible en 61 et n'a pas été traduit par Gil de Robles, ce qui montre

que c'est bien ce manuscrit qui était utilisé, le 63 n'ayant sans doute servi qu'à<< rapatrier>> le texte depuis Alcala de Henares.

4. Alphonse VII règne de 1126 à 1157. Il est petit-fils d'Alphonse VI (t 1109), fils deRaymond de Bourgogne et d'Urraca, qui gouverne de 1109 à sa mort (1126).

5. Le passage allant de << considerantes >> à << suplices tradiderunt >> a été interpolé dans la traduction castillane du Chronicon mundi réalisée au XIVe siècle : éd. J. PUYOL, Madrid, 1926, p. 393-396.

HAGIOGRAPHIE ET POLITIQUE A LEON 79

scilicet sexta feria illuscescente, congresso prelio, regem Adefonsum cum suis runpheali 6 perimerent ultione. Vidensg autem rex clarissimus se ac suos prae pauci­tae non posse adversariorum impetum sustinere, misericordem Deum, qui genus redemit christianorum et misericorditer salvat in se sperantes, in auxilium invoca­bant. Oum ergo hech ita se gererent, et christiani de tanta infidelium multitudine non minimum formidarent, rex Adefonsus sedens in tenptorio et aliquantisper oppressus, somno apparuit ei quidam vir pulcra canitie, venerandus episcopali infula decoratus, cuius facies fulgebat ut sol clarissimus, circa quem dextera gladium igneum ancipitem tenens gradiebatur, et eum his verbis alocutus est, blande et suaviter dicens 7 : << Qi

Adefonse cur dubitas ? Omnia enim possibilia sunt 8 Christo imperatori magno deonostro >>. Et adiecit : << Vides hanc ysmaelitarum multitudinem? Prima luce sicut fumus evanescenti a facie tua. Ego tibi et nasciturisk ex genere tuo a Deo datus sum custos, si ambulaveritis cor am eo in fi.de non ficta corde perfecto1 9• >> Dixit ei rex :<< quis es sanctissime pater, qui in talia loqueris ? >> 10 << Ego sum >>, ait, << Y spaniarumdoctor Y sidorus, beati Iacobi apostoli gratia et predicatione successor. Dextera hec eiusdem Iacobi apostoli est Y spanie defensoris >>. [fol. 16] Et his dictis visio ablata est 11• Evigilans rex catholicus, convocaiis episcopis et qui cum eo erant comitibus, ylaritate preventus et gaudio, narravit eis plenarie visionem. Qui cum audissent, pre letitia et exultatione ubertim fundentes lacrimas, omnipotentis clementiam conlau­dabantm. Quidam vero ex eis dixerunt : << Domine, si aceptum est vestre magestati, statuamus confraternitatem nos tam in vita quam in morte, eiusdemn beati Y sidori0

patrociniis libere comendantes. >> Placuit sermo cunctis et factum pacis osculo firma­verunt. Verum quia regina domina SanciaP studiose fratri suo regi Adefonso sepe dicto subgesserat, quatinus reverendum virum Petrum Arie priorem, qui cum suis canonicis sub habitu et beati Augustini regula in Carvalianensi, quod sumptibus propriis a fundamentis construxerat, degebat monasterio, ad Legionensem sancti Y sidori transferret ecclesiam. Quidam eiusdem regine milites, sue domine captantes benevolentiam, inquiunt principi suadentes : << Domine, si placet vestre celsitudini, quod petit soror vestra regina domina SanciaP admodum esset Deo acceptum et beato Y sidoro confessori, atque toti vestro imperio, canonicorum orationes remedium salutare. >> Ad hec princeps considerans secum respondit : << et unde scire possumus

g. Et videns 61. -h. Le copiste a d'abord écrit hoc,puis a remplacé le o par une. -i. 0 omis en 61. -j. evanescet 61. -k. nascituris était suivi d'un suis qui a été barré. -1. et corde perfecto 61. -m. collaudabant 61. -n. cuiusdem 61. -o. -dem beati Y sidori omis puis ajouté en marge et dans l'interligne supérieur. -p. Santia 61.

6. Le mot runfeali (rumfeali ms 61) est rare. Il n'a pas été compris par l'éditeur de laTranslatio, qui l'a transformé en triumphali (PL, 81, col. 961A). Or Lucas dépend de ce recueil, qu'il recopie parfois à la lettre. Les manuscrits de la Translatio portent bien rumfeali: Madrid, Bibl. nac., ms 10442 (xme s.): fol. 52v, 4 lignes avant la fin de la première colonne. Idem pour la copie du XVIe siècle conservée à Le6n (ms 41). La romphea est une longue épée à double fil qui nous renvoie, comme la vision ultérieure, à l' Apocalypse (Ap 2, 12 : romphaeam utraque parte acutam). Cf. IsrnoRE, Étymologies, XVIII, 6, 3, qui reprend AUGUSTIN, Enarratio in psalmos, 149, 12. Le terme romfealis, bien que rare, est attesté dans la péninsule ibérique depuis PRUDENCE, Cathemerinon, VII, v. 93 ( dextram perarmat romfeali incendia). Cf. aussi ALV AR DE CORDOUE, Epist. ad ]oannem, IV, éd. J. GIL, corpus scriptorum Muzarabicorum, 1, Madrid, 1973, p. 181 (rumfea). Alphonse et les siens doivent mourir runpheali ultione, par la blessure du glaive.

7. Pour la description d'Isidore, cf. Ap 1, 16; Acta translationis corporis S. Isidori, PL, 81,col. 41B ; Historia Silense, éd. J. PÉREZ DE URBEL et A: GONZALEZ Rmz-ZoRRILLA, Madrid, 1959, p. 200.

8. Mt 19, 26.9. 4 R 20, 3 : Memento, quaeso, quomodo ambulaverim coram te, in veritate et in corde

perfecto. 1 Tm 1, 5 : In fide non ficta. 10. Jb 8, 2 : Usquequo loqueris talia ...11. Ez 11, 24 : Et sublata est a me visio quam videram.

80 P. HENRIET

utrum hoc placetq Deo et eius confessori, vel non ? >> Cui optimates, qui hoc fieri sumo opere exoptabant, oportunitate nata responderunt : << Etiam, domine, qui­busdam servis dei insinuatione superna revelatum est, et sorori vestre regine domine Sancierr divinitus intimatums. >> Ad hec rex Adefonsus, Christo Ihesu regi regum gratias agens, benedixit dominumt. Pontifices autem sacri, una cum comitibus gratias Deo agentes ordinaverunt insimul quatinus cum aclamatione nomi­nis beati Y sidori et sanctissimi apostoli Jacobiu agrederentur hostes aurore crepus­culo aparente. Post hec, Adefonsus rex pressus sopore, aparuit ei beatus confessor Y sidorus vultu inquiens letioriv : << Quamw statuisti confraternitatem ad honorem nominis Dei, te meis comendans orationibusx, in mea protectione suscipio, et ero adiutor eam observantibus in vita fideliter et in morte. Quod etiam de dilecto Dei Petro Arie 12 priore atque eius canonicis tibi suggestum est, omnipotenti Deo etgloriosissime genitrici eius Marie acceptum est, et mihi. Transferantur ad ecclesiam Christo Dei filio dedicatam ad honorem matris eius Marie virginis et beati Vincencii martiris ac mei gloriam, ut die ac nocte psalmorum et himnorum pro incolumitate tua, salute vivorum et requie defuntorum, Deo sacrifitium offerant salutare ; fac igitur, confortare, et esto vir 13, quia illuscenteY aurora tradet tibi Dominusobtentu meo universam hanc infid�lium multitudinem ; insuper omnes citra mare sarracenorum principes tuo subdentur imperio et etiam catholici reges in Y spaniis conmorantes. >> Et his dictis sanctus disparuit. Exsurgens itaque rex a somno, audatior factus de visione, ut sui [fol. 16v] ad bellum procederent imperavit. Qui celesti robore confortati, iussa viriliter adimplentes, sarracenos gladiis tru­cidabant. Videntes vero agareni christianorum audaciam et se a suis cedez mutua trucidari, terga dederunt fugiendo, nostris relicta multitudine spoliorum. Versus siquidem fuerat gladius uniuscuiusque ad proximum suum, et se invicem mutuo vulnere perimebant. Sarraceni etiam qui erant in civitate, ad regem Adefon­sum egressi, se ac urbem Beatiam eius dominio suplices tradiderunt. Reliqui vero Y spanie sarracenorum principes, perpendentes cum catholico rege celestem victo­riam triumphare, ei se vassalos et tributarios beati confessoris victoriaa' statuerunt, quorum nomina ista sunt: Rex Avenganna 14, rex Abensadil 15, rex Zafadola 16 et rexLupus 17• Post tot eventus felicioribush' regem etiam Garsiam catholicum de

q. placeat 61. - r. Santie 61. - s. intimatum est 61. - t. benedixit omnes 61. -u. Iacobi apostoli 61. - v. lectiori en 63 et 61, ce qui n'a guère de sens. Sans doutefaut-il supposer une mauvaise leçon du premier copiste, car la Translatio donne bien lae­tiori (PL, 81, col. 962A). - w. quia 61. - x. moenibus 61. - y. Pour illuscescente. -z. Comprendre caede. - a'. vitoris. - b'. felicioribus, rétabli à juste titre en feliciores par le copiste de 61.

12. Pierre Arias, premier prieur de la collégiale après la régularisation. 13. 3 R 2, 2. 14. Avenganna : Ibn Ganiya. Roitelet arabe ayant lutté contre les almohades. Il a reçu

d'Alphonse VII le gouvernement de Cordoue. Sur le couronnement impérial (de 1135) et les vassaux d'Alphonse VII, cf. A. VINAYO, La coronaci6n imperial de Alfonso VII de Le6n, 1135. Los vitrales de la Caja de Ahorros, Leon, 1979 (p. 50-57 sur les vassaux).

15. Abensadil : Abenhamdin, d'origine cordouane. Opposant aux almohades, expulsé de C_ordoue, il demande l'aide d'Alphonse VII alors qu'il est assiégé à Andujar. Alphonse lui remet Cordoue en 1146.

16. Zafadola : roi de Rueda (soit dans la région de l'Èbre, soit dans la vallée du Jalon). C'est Ibn Hud al Mustansir Sayf al-Daula, très présent dans la Chronique d'Alphonse VII. Il donne à Alphonse ses forteresses de Rueda contre des terres dans'la région de Tolède et en Extremadure, combat souvent aux côtés du roi chrétien et joue parfois le rôle d'arbitre de l'Espagne musul­mane. Il disparaît en 1146, lors de la campagne de Jaén, près de Chinchilla. Alphonse VII pleure sa mort.

17. Le roi Lupus: Ibn Mardanish, roi dans la région de Valence et Murcie entre 1147 et 1172. C'est le<< roi Lope>> des chrétiens, qu'il n'hésite pas à utiliser dans sa lutte contre les almoha­des.

HAGIOGRAPHIE ET POLITIQUE A LEON 81

Navarra 18, et comitem de Barchinonia 19, suo imperio subiugavit, et Legionem regressus convocatis universis archiepiscopis, episcopis, abbatibus, et cunctis Y spa­niarum christianorum et agarenorum principibus, imperii diadema sibi imposuit, et a Petro Arie reverende sanctitatis priore, qui dum esset degens in seculoc' in Legionensi Ecclesia decanatus officio fungebatur, vix ab eo multis obtinuit precibus ut cum suis canonicis transferretur, plures eis possessiones auri et argenti tradens insignia, et ut premisimus libertatis perpetue privilegio communivitd ' 20, et ab illa die imperatorY spaniarum est ab omni Gothorum populo gloriosis et catholicis meritis appellatus. Quia vero eiusdem beati confessoris ecclesiee ' maius altare remotum ex causa fuerat, eandem ecclesiam a summis qui aderant pontificibus et abbatibus cum inextimabili gloria fecit et gaudio inexplicabili consecrari. Quantus et quam gloriosus in illa solemnitate preclara fidelium extitit plausus, qui se, sacris annuentibusf' pontificibus, et auctoritate a domino nostro Ihesu Christo per beatum Petrum apostolorum prin­cipem illis tradita, omnium peccatorum se gaudebant indulgentiam reportare. Ut illi qui affuerant, referebant seniorum memoria non constabatg' tante celebritatis gloria solemnitas insignita in preteritis temporibus extitisseh'. Preterea gloriosus imperator Adefonsus statuit confraternitatem supradictam in Legionensi urbe, ad honorem Dei et beati confessoris Y sidori perpetuis temporibusi' firmiter observari 21• 0 rex inmense Deus, quibus laudibus humana fragilitas tuam magnificentiam inefabilem poterit collaudare, qui homines quorum corpus est plasmatum ex limo, et anima creata ex nihilo, tanta gloria efficis venerandos, ut etiam post anime dissolutionem a corpore eorum ossa et cineres, qui tibi illibatam fidem tua preveniente gratia servave­runt, miraculis stupendis facias corruscare ? Si igitur in presenti sanctorum corpora ex nihilo verius tanta gloria sublimantur in terris, quanta et quam extimabili beatitu­dine perfruuntur in celis ? 0 beatissimi summi regis milites lacobus et Y sidorus, qui patriam suis patrociniis comendatam sociali concordia tueri ab inminentibus malis procurant, gloriari faciunt celestibus bonis, et de inimicis fidei gloriosus [fol. 17] conferunt triumphare, ut traditum habemus a patribus et autentice scripture doctoris asseverant beatissimi apostoli lacobi presentia corporis Hyspania iocundatur 22, et sic

c'. qui dum esset degens in canonica Legionensis ecclesiae. Cf supra, p. 77-78. -d'. perpetue et conmunivit omis puis ajoutés dans l'interligne supérieur. - e'. ecclesie omis puis ajouté. - f'. adventibus 61. - g'. extabat en 61 et 63. En 63, le copiste a d'abord écrit stabat, qui a été barré, puis extabat en marge. Je rétablis en constabat. - h'. insignita in preteritis omis 61. - i'. tenporibus.

18. Garcia Ramirez le Restaurateur, roi de Navarre de 1134 à 1150. Ses rapports avecAlphonse VII sont fluctuants. Il épouse néanmoins Urraca, une fille bâtarde de celui-ci, et accompagne son beau-père lors de la campagne d'Almeria.

19. Raymond Bérenger IV (1131-1162). Présent lors de la conquête d'Almeria en 1147, à latête des bateaux catalans et génois. Il est par ailleurs le beau-frère d'Alphonse VII, qui a épousé sa sœur Berenguela.

20. Dans la Translatio, ce passage termine le chapitre (tradens ei plura dona et privilegia perpetuae libertatis, PL, 81, col. 962C). Pour tout ce qui suit, Lucas ne s'inspire directement d'aucune source écrite.

21. Les statuts de la confrérie sont perdus. On conserve cependant ceux de 1570, au débutdesquels il est question de << la primera reg la y ordenanças que se fizieron por el emperador don Alonso al tiempo de sufundaci6n >>; un peu plus loin, il est affirmé que<< algunos de los que agora son dan el testimonio de averla visto escrita muy solenemente en el dicho monasterio, e aunque se hallase seria necessario reducirlas a la mémoria e costumbre deste presente tienpo ... >> ; sur le pend6n et la confrérie, cf. J. RooRIGUEZ FERNANDEZ, El pend6n isidoriano de Baeza y su cofradia, 2e éd., Le6n, 1972 (donne le texte des statuts de 1570, p. 51-62, p. 51 pourle passage cité).

22. En se référant à Isidore, Lucas peut renvoyer au Liber de ortu et obitu patrum, éd.C. CHAPARRO Go MEZ, Paris, 1985, p. 203-205 : ... duodecim tribubus, quae sunt in dispersione gentium, scripsit atque Spaniae et occidentalium locorum evangelium praedicavit et in

82 P. HENRIET

hec tempora nobis tribuunt intueri Iacobus cum Y sidoro eandem doctrina celesti imbuere defendere ac dilatare non cessant. ln punto propter enormitatem scelerum irati sunt gotis Y spaniarum regna gubernantibus, et eos abire captivos permisserunt in manibus exterorum. Sed in multis miserationibus ad eos reversi hostium colla viriliter calcari faciunt, et inimicorum portas nobiliter possidere. Beata vere patria que tantorum summi ducum imperatoris corporali presentia iocundatur, et apostolo­rum prothomartiris Iacobi defensione asidua et successoris eius Y sidori primatis doctrina sacratissima gloriatur. Hi nimirum sunt omni laude venerandi, hi certe glorificandi quos Deus crebris glorificat in presenti miraculis et eorum laus. apud ipsum permanet in eternum, quos qui pluries ac devote laudaverit, eternam laudem cum ipsis a Domino consequetur. Si quis ergo vere laudari appetit, adulatoribus spretis, illis laudibus inhiet qui finem numquam admittunt. Nam laudes que gratia fiunt favoris laudum temporalium, cum suis laudatis et laudatoribus clause temporei' evanescunt. Quidquid laudis sanctis tuis augetur, tue ineffabili laudi cedit, lehsu Christe rex glorie, qui tuis militibus nostre servitutis ministerio qualemcumque laudem et gloriam et eterne beatitudinis tue stipendia administras.

j'. Lire clauso tempore?

occasu mundi lucem praedicationis infudit. Hic ab Hérode tetrarcha gladio caesus occubuit ; sepultus in ac(h)a Marmarica. Cette notice n'affirme cependant pas qu'Isidore est mort en Espagne, car l'ac(h)a Marmarica fait référence à l'Afrique du Nord (Io., << El lugar de enterramiento de Santiago el mayor en el de ortu et obitu patrum isidoriano >>, dans Unidad y pluralidad en el mundo antiguo. Actas del VI Congreso espanol de Estudios Clasicos, II, Madrid, 1983, p. 355-362). Il reste à savoir comment Lucas, en admettant qu'il fasse référence au De ortu et obitu, comprenait ce passage.