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6. La re-construction d’une territorialité dans le littoral nord de Bahia-Brésil1
Marise Almeida Pamplona Le Bail
1- Introduction
Ce chapitre s’intéresse à la question de la territorialité, entendue ici par des « réalités
sociales appréhendées comme des constructions historiques et quotidiennes des acteurs
individuels et collectifs » (CorcuffPhilippe, 1995 :17). En effet, cette définition nous fera
comprendre la place qu’occupe la territorialité dans la construction du sentiment
d’appartenance (ou pas), aussi important et complexe dans le cas ici analysé. J’estime décisif
l’outil conceptuel de la territorialité comme point de départ de mes analyses pour comprendre
les processus de peuplement de la localité étudiée autant que pour l’appréhension de la réalité
sociale locale.
Néanmoins, pour pouvoir former le cadre théorique, j’ai besoin d’examiner les notions
de territoire et de territorialité définies tantôt par des géographes, tantôt par des
anthropologues. Ainsi la notion de territorialité est abordée ici par les sciences humaines et
sociales à partir de la compréhension selon laquelle les comportements humains doivent être
analysés dans leur dimension spatiale et temporelle.
Mais avant tout, une anthropologie de la territorialité ne peut se passer de l’enquête
ethnographique sur laquelle elle repose pour comprendre les formes spécifiques de cette
diversité des territoires et du sentiment de territorialité. Ainsi, utilisant une approche
monographique, ce texte décrit le processus de re-construction de la territorialité du groupe
social composé d’environ 92 familles qui résident dans la localité de Nova Itapecerica, située
dans la région nord-est du Brésil, dans l’État de Bahia. En effet, pour retracer l’histoire du
peuplement de cette localité, il m’a fallu d’abord recourir à l’histoire orale transmise par les
habitants. J’ai ainsi reconstitué les circonstances qui font de Nova Itapecerica un mélange de
plusieurs vagues migratoires qui caractérisent chacun des différents groupes formant le
hameau.
1 A pedido dos organizadores deste livro, as normas de formatação adotadas nos textos em língua francesa permanecerão de acordo com as do seu país de origem.
2
2- Le territoire perçu comme un lieu "pratiqué et vécu"
Le terme "territoire" vient du latin territorium qui lui-même est un dérivé de terra et
signifie morceau de terre approprié. Dans la langue française territorium est à l’origine des
mots terroir et territoire, ce dernier désignant le "prolongement du corps du prince", ce sur
quoi le prince règne, incluant la terre et ses habitants (Le Berre, 1983, in : Sebrae, 2004:27).
Au-delà d’exprimer un contenu juridique d’appropriation, la territorialité n'est pas
seulement un concept mais un paradigme qui exprime une relation complexe entre un groupe
humain et son environnement : « l'environnement étant ici l'enveloppe spatio-temporelle
constituée non seulement par un ensemble de propriétés spatiales, mais aussi temporelles,
permettant d'inter-relier des comportements dans leur manière de se dérouler dans un contexte
d'espace et de temps. La territorialité engage complètement, totalement, l'homme et son
environnement, impliquant la mobilisation simultanée d'un grand nombre de codes et
d'instruments, impliquant la mobilisation entière de la condition humaine » (Racine et
Raffestin 1983:325).
Selon Little (2002 :3), la territorialité peut être comprise comme l’effort collectif d’un
groupe social pour occuper, user, contrôler et s’identifier avec une parcelle spécifique de son
environnement physique, en façonnant son territoire.
Il faut ainsi avoir à l’esprit que les notions d’espace et de territoire sont distinctes.
L’espace représente un niveau élevé d’abstraction alors que le territoire est l’espace approprié
par un acteur, étant défini et délimité par et à partir de relations de pouvoir dans ses multiples
dimensions. Chaque territoire est le produit de l’intervention et du travail d’un ou plusieurs
acteurs sur un espace déterminé. Il s’agit donc, selon Vanier (2009), d’examiner le territoire
tel qu’il est vécu, ressenti et approprié par une population donnée faisant société et
s’inscrivant dans un périmètre aux limites incertaines, mais aussi en tant que découpage
administratif ou politique de l’espace à des échelles géographiques différentes.
Guy di Méo (2004 :101) fait de la territorialité « une relation individuelle et/ou
collective dans un rapport complexe au(x) territoire (s) qui associe trois élément essentiels » :
Il définit tout d’abord une relation existentielle à la terre. Ensuite, il identifie « le réseau réel
des lieux pratiqués et vécu » par les individus en collectivité, enfin, il évoque des
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« référentiels représentés d’échelles multiples qui sont plus qu’un simple emboitement
impeccable de formes territoriales » (in Audhuy, 2008 :40). Il introduit ainsi une idée clé pour
mes analyses, selon laquelle il existe une tension, imposée ou pas, entre territoire et
territorialité.
À partir de cette approche et analysant la territorialité dans une perspective
anthropologique, en tant que processus, mon étude est centrée dans la localité rurale de Nova
Itapecerica, comprise ici comme une petite agglomération rurale. Cette société est formée par
un ensemble de différents groupes humains constitué par plusieurs vagues migratoires
distinctes qui ont eu lieu depuis sa formation. On trouve donc, différents rapports entre ces
groupes, et de la même manière des différences de degrés d’identification avec
l’environnement physique que les entoure et qui leur sert de lieu de vie et d’échanges.
3- Une brève contextualisation
Pour établir une histoire de vie des habitants il me fallait leurs noms et prénoms, leurs
lieux de naissance (et de décès), de résidence, leur profession, le nom de leurs parents rituels
(parrain-marraine). Toutes ces informations étaient difficiles à dégager avec certitude. Chaque
groupe qui forme la localité a une histoire particulière de migration, et par conséquence, se
trouve éloigné de sa parentèle2. Ce constat m’a fait prendre un autre chemin pour proposer
une analyse et interprétations des faits. Les souvenirs des habitants s’enchevêtraient de telle
façon que les noms et les dates se mélangeaient, comme si un passé plus distant n’existait pas
dans la mémoire et dans l’imaginaire, ou comme s’il était figé par des événements très précis.
Ainsi j’ai recouru à la mémoire orale transmise parmi les habitants.
Nova Itapecerica est constituée par plusieurs groupes humains constitué à la suite d’un
douloureux procédé de lutte pour la terre et par des vagues migratoires distinctes. Composé
d’environ 92 familles réparties sur une zone de 2.000 hectares, la localité est située à environ
40 km du chef-lieu d’Itanagra depuis la route principale, ou à une trentaine de kilomètres par
les routes secondaires qui passent à l´intérieur des terres. Situé dans l’État de Bahia, sur les
bords de la rivière Itapecirica (longitude 38° 06’ et latitude 12° 55’), et de la rivière Sauipe
2 Comprise ici comme des groupes de parenté centrées essentiellement sur l’individu, en opposition à celles qui ne sont pas centrées sur lui mais le contiennent (Godelier, 2010 : 142).
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(longitude 37° 86’ et latitude 12° 36’). Une partie du territoire de Nova Itapecerica est
fragmentée en propriétés de petites tailles, variant entre 4 à 60 tarefas3. Avec les politiques
publiques qui ont favorisé le développement de la région au cours des années 1970, ces
propriétés foncières ont été délimitées peu à peu par les barbelés des grandes propriétés
terriennes, par les forêts d’eucalyptus, et par une zone de "réserve forestière" qui a limité
considérablement l’usage de l’espace par ses habitants. Ces politiques publiques ont provoqué
des changements dans le paysage local et dans les pratiques traditionnelles.
Selon les données du recensement démographique de 2010, réalisé par l’IBGE4, la
population totale de 7598 habitants de toute la commune d’Itanagra, est dispersée sur un
espace de 490,526 km², la densité démographique est d’environ 15,49 hab. /km². Avec à peine
2,87% du nombre total d’habitants de la commune, Nova Itapecirica ne possède pas de relevé
statistique propre et nos données sont basées sur des observations in loco et des informations
produites par les agents de santé locaux.
La localité de Nova Itapecerica tel que nous le connaissons aujourd’hui a été reconnu
administrativement seulement à la fin des années 1980, après trois (3) années d’un processus
juridique entamé entre l’une des nombreuses entreprises de reforestation d’eucalyptus
installées dans la région depuis le début des années 1970- Barros Barreto, et un petit groupe
de migrants venus de l’État d’Alagoas, limitrophe de Bahia, dans le courant de l´année 1986.
Composé à l’origine d’à peine cinq familles, ce petit groupe débarque dans la localité où il
trouve déjà installé en amont de la rivière que donne son nom à tout le hameau, un lieu-dit 5
composé d´environ une dizaine de petites maisons, avec presqu’un siècle d’existence et qui
s’appelait à l’époque Crueiras. Plus en aval de la rivière, il y avait un autre hameau nommé
Itapecirica dont ses habitants avaient dû probablement être expulsés au moment de la
première vague de défrichement par les entreprises qui plantaient du pinus dans les années
1970.
Dès le départ l´équipe de chercheuses faisant partie du projet scientifique fut
confrontée à des difficultés pour retracer l´histoire de cette localité. Le fait que Nova
Itapecerica soit composée d’un mélange de plusieurs générations de migrants nous a révélé,
dès le premier abord, une complexité dans la distribution sociale du groupe. De ce fait, j’ai
décidé, afin de faciliter les analyses, d’exposer cette histoire à partir de quatre faits distincts 3 Unité de mesure agraire brésilienne. Elle était auparavant utilisée pour mesurer les terres destinées à la
plantation de canne à sucre. Une tarefa à Bahia correspond à 4.356 m² soit environ 0, 5 hectares. 4 IBGE : Institut Brésilien de Géographie et de Statistique.5 Synonyme de hameau, en campagne, cela désigne un lieu qui porte un nom particulier.
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qui se sont présentés de façon marquée pendant les entretiens et qui participent activement de
l’imaginaire social.
Ainsi, il existe aujourd´hui dans le hameau de grands et de petits groupes familiaux
qui se sont divisés à partir du critère d’ancienneté et les degrés de parentés, puis par la
division spatiale faite pendant le lotissement du hameau qui a débuté, comme déjà dit, à la fin
des années 1980. Pour mieux comprendre les processus de peuplement de Nova Itapecerica et
la construction graduée de la territorialité, voici les quatre évènements qui ont marqué la
mémoire et sur lesquels je reviendrai en détail au long du texte. Selon leur ordre
chronologique de migration, nous avons donc :
- Tout d’abord, l’arrivée en 1932 d’un habitant originaire d’un autre État du nord-est brésilien (Pernambuco), qui s’est marié avec une habitante locale. Ensemble ils ont constitué la base du groupe familial qui vit aujourd´hui au bord de la rivière Sauipe ;
- Ensuite, nous avons en 1986, la migration vers Nova Itapecirica d’´un autre groupe, suivi par l’occupation de terres qui à l’époque appartenaient à l´entreprise de reforestation de pinus, laquelle a déclenché un fort conflit foncier entre ces familles et l´entreprise. Cette occupation a été menée par cinq familles venues de l’´État d’Alagoas. Selon les récits, cette migration a été surtout stimulée par l’´arrachage de bois précieux abondants à l’époque dans cette partie de Bahia.
- Le troisième marqueur important est le conflit foncier à proprement parler entre ces familles arrivées en 1986 et l´entreprise de reforestation, qui a duré jusqu`à la fin de l’année 1989. Au bout de ces trois années, 43 familles se sont installées dans la partie haute du hameau.
- Et finalement, tout aussi important, l’installation du réseau d’énergie électrique vers l´année 2006 a favorisé une toute nouvelle vague de migration dans la localité.
4- Une esquisse du processus de migration dans la localité
Ainsi, en fonction de cette complexité sociale, j’ai choisi de diviser Nova Itapecerica
en quatre groupes distincts, ou quatre hameau. Cela permet de rendre compte de la séparation
spatiale de ses habitants. Il faut souligner que l’homogénéité administrative imposée par le
chef-lieu d’Itanagra n’est qu’une apparence. Cette homogénéité fut construite sous la
contrainte, par une catégorie politique et administrative, imposant le principe d’usage d´un
seul nom à toute la localité. Ainsi, des familles qui habitaient dans des petits lieux-dits comme
6
Mamão, Saco do Rio, Dendê et Crueiras, du jour au lendemain, ont dû s’´habituer à la
nouvelle nomenclature qui attribuait alors le nom de Nova Itapecerica à tous. Certainement ce
fait a touché d’´emblée les catégories locales existantes et a fini par bousculer leurs habitudes
et leurs modes de vie.
D’après les catégories locales j’ai ainsi établi quatre (4) groupes qui forment l
´ensemble de Nova Itapecirica. Il s’agit de :
Groupe 1 : "Crueiras" (CR) - Ce lieu-dit est composé par des familles qui sont perçues,
par la plupart des autres habitants, comme les premières arrivées dans le lieu. Nous attribuons
l’ancien nom de la localité à ces familles ainsi qu’aux six familles qui habitent de l’´autre côté
de la rivière Sauípe dans le lieu-dit Saco do Rio. Ces dernières ont toujours noué des rapports
avec celles de Crueiras à travers des réseaux de sociabilité fondés sur l’´échange, l´’entraide,
les dons et/ou la réciprocité, en plus des échanges matrimoniaux construits au fur et à mesure
des années.
Groupe 2 : Nova Itapecerica 2 (NI-2) – Il est constitué par l’ensemble des familles qui
sont arrivées pendant le conflit foncier de 1984 et par quelques familles descendantes du
groupe de CR.
Groupe 3 : Nova Itapecerica 1 (NI-1) – Il est composé essentiellement par les familles
impliquées dans le conflit foncier et de celles qui sont venues s’installer par la suite.
Groupe 4 : Ceux du Dehors (CDD) "os de fora". Ainsi appelé par les habitants les plus
anciens, ce petit groupe est arrivé vers la fin des années 2000, juste après l’installation de
l’énergie électrique dans la localité. Il est composé de deux familles originaires de la région
métropolitaine de Salvador qui ont choisi le hameau comme lieu de résidence principale.
Au total, j’ai comptabilisé en 2013 pour Nova Itapecerica, 215 habitants. Partagés
entre 48 % vivant à NI- 1 et CDD, 16% vivant à NI- 2 et 36% à Crueiras. Ce chiffre ne doit
pas être pris comme une valeur précise mais seulement comme un ordre de grandeur car les
distances et les difficultés d’accès à certaines familles qui habitent dans des endroits reculés
ont rendu la tâche ardue.
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Et pour mieux comprendre le processus de formation de la localité, il s’avère
nécessaire de parler, même brièvement, de l’étymologie du nom des groupes qui cohabitent
sur le territoire afin d’esquisser les nuances des différents rapports qui se sont établis entre
eux au fil des ans.
5- Le mythe de fondation du groupe de Crueiras
Le nom de Crueiras trouve son origine dans le mot crueira qui désigne le produit
résiduel du processus de fabrication de la farine de manioc et sert en général d’aliment pour
les poules et les porcs.
Des récits mentionnent qu’en 1932 une grande sécheresse6 a dévasté une partie de la
région nord-est du Brésil et a contribué à provoquer la migration de nombreuses familles vers
d’autres localités du pays. Cette période coïncide effectivement avec les données historiques
de la météorologie locale. Certains sont partis vers de lointaines régions et d’autres plus près.
En général, ces familles suivaient les indications d’un proche ou d’un voisin qui avait déjà
migré et s’aventuraient sur des terres inconnues, à la recherche de meilleures conditions de
vie. Ainsi arrive dans la localité celui qui allait devenir, pour le groupe en question, "le
premier habitante pionnier" (o primeiro morador). Après un certain temps d’installation avec
femme et enfants, c'est au tour d'un autre homme d’entrer en scène. Celui-ci a aussi eu un rôle
important dans le processus de fixation des familles de Nova Itapecirica qui y ont élu
domicile. Et c'est à partir de l'union de ces deux familles que l'histoire de ce lieu-dit est
racontée.
Cependant, des entretiens plus détaillés ont montré l’'existence d'’un autre petit groupe
qui était déjà installé depuis beaucoup plus longtemps. Selon encore ces témoignages, environ
une dizaine de familles vivaient au bord du fleuve Itapecirica et quatre étaient installées de
l’´autre côté de la rivière Sauíipe. Sur ces premières familles, je n’ai pas pu obtenir des
6.Dans cette partie du nord-est du Brésil, connue sous le nom de "Polygone de la Sécheresse", une grande sécheresse a frappé la population, occasionant la migration de différents groupes humains vers d'autres régions du Brésil. Il s'agit d'un territoire soumis à des périodes critiques de sécheresse prolongée. Il comprend les États de Piauí, Ceará, Rio Grande do Norte, Paraíba, Pernambuco, Alagoas, Sergipe, Bahia et le nord de Minas Gerais et Espíirito Santo. (Villa et Alcântara, 2000) Sources : <www.barrocas-bahia.blogspot.com.br > et <www.codefasf.gov.br.> Sites visités en 22/11/2013.
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informations. Leurs noms et leurs trajectoires ont été complètement oubliés au fil des années.
En ce qui concerne les quatre autres familles, le contact était beaucoup plus étroit, surtout de
mariages qui ont eu lieu au fur et à mesure des années.
6- Un peuplement par vagues successives
Pour mieux comprendre le processus de peuplement de l’autre côté de la vallée, il
s’avère nécessaire de raconter l’histoire des cinq bucherons ou mateiros7 qui sont arrivés dans
la localité au cours de l’année 1986. À cette époque la localité ne s’appelait pas encore Nova
Itapecirica. C’était une région de végétation luxuriante d’une forêt atlantique qui entourait
quelques petits lieux-dits en offrant, à la population comme moyen de subsistance, de l’eau,
des fruits, du gibier, du poisson et du bois en abondance.
Cet écosystème possède une riche biodiversité et est connu pour ses abondantes
ressources naturelles8. Il comprend des arbres de tailles variées et forme une forêt dense avec
un agréable microclimat qui offre de l’ombre et de l’humidité. Parmi ces arbres se trouvent
quelques espèces qui ont une grande valeur sur le marché illégal.
Ces cinq mateiros ont été attirés vers Nova Itapecirica par le rêve de gagner de
l’argent en vendant ces bois à des entreprises clandestines cachées au milieu de la forêt. Ils
coupaient des bois précieux tels que le Manilkara spp. (Massaranduba), le Cariniana legalis
Mart. (Jequitiba), le Bowdichia virgilioides (Sucupira), le Peltogyne discolor (Jitaï) ou
encore le Copaifera langsdorfii (Copaiba), pour les vendre dans d’autres États du Brésil tels
que Sergipe, Rio Grande do Norte e Alagoas. Selon les récits, ces hommes donnaient de
l’argent aux vigiles de l´entreprise forestière et obtenaient ainsi le libre accès au lieux de
coupe.
7 Mateiros: Peut désigner soit un homme qui se déplace dans la forêt sans faire usage d’instruments comme la boussole, soit un homme pouvant être agriculteur, chasseur ou chômeur capable de multiples travaux pour completer son salaire ou qui vit du travail de la coupe des arbres.
8 Voir Maria José A. de Oliveira-Estrutura da populaçaopopulação da Attalea funifera Mart, e suas implicaçoesimplicações com o extrativismo.In :extrativismo.In: “Sociétés, Environemment, savoirs locaux. Regards interdiscipllinaires sur le littoral Nord de Bahia”, Ed. UFBA, Salvador-Brésil (à paraître) ».
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Petit à petit, de bouche à oreille, la nouvelle s’´est répandue et d’autres familles ont
débarqué à Nova Itapecirica, certaines de régions distantes, et d’autres des municipes voisins
de celui de Itanagra comme ceux de Mata de São João et Entre Rios.
Affaiblie par les conflits avec le groupe de Crueiras et par l’impossibilité de présenter
un document prouvant la propriété légale des terres qui venaient d’´être occupées par le
groupe de NI-1, l’entreprise recule et abandonne ses prétentions sur les terres. Ainsi les terres
ont commencé à être rapidement divisées entre les 43 familles installées au cours des trois ans
de conflit. Environ 140 personnes se fixent alors dans la partie haute de la localité.
Pendant ces trois années, ces familles ont résisté à des conditions de vie inhumaines et
aux menaces exercées par l´entreprise forestière. Certaines sont parties apeurées en se
promettant de ne jamais revenir, d’autres sont parties dans des localités proches en attendant
un moment plus propice pour revenir, et on a perdu la trace des autres. Dans leur grande
majorité ces personnes auraient occupé les terres puis ont revendu leur lopin pour retourner
dans leur région d’origine.
Finalement, le 20 novembre 1989 la justice a donné gain de cause à ces 43 familles qui
divisèrent les terres entre elles. Pendant des années ces terres étaient mesurées et remises aux
propriétaires par deux des leaders du groupe. Ainsi ces familles ont entamé progressivement
un processus de fixation sur les lots qui ont été distribués.
7- L’arrivée de l’électricité dans le hameau
En plus de l’arrivée de la tant attendue énergie électrique à Nova Itapecirica, 2006 a
aussi été l’année d’une nouvelle vague d’immigration. Deux familles venues de la région
métropolitaine de Salvador sont arrivées dans la localité. Ces familles sont désignées par les
autres groupes comme étant "ceux du dehors", os de fora (CDD), faisant référence à leur
arrivée récente dans la localité.
Nous observons ainsi une cohabitation des plusieurs groupes originaires, pour la
plupart, d’autres régions hors le littoral nord bahianais, et qui sont arrivées à des époques
distinctes dans la localité. Cette hétérrogeneité des profils trace une maille formée par
plusieurs chaines qui définissent le rôle des identités individuelles. Elles sont rassemblées
dans un même space géographique et peuvent plus ou moins s’agréger dans une identité
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collective. Ainsi Nova Itapecerica est devenu, au fil des ans, un territoire qui peut permettre
aux individus, de réguler leurs rapports sociaux, religieux et même politiques.
Parfois les rapports sont tendus, parfois ils sontplus amicaux. En effet, les relations
nouées entre ces différentes familles, tout comme les sentiments d’appartenance communale,
sont encore en pleine transformation pour quelques uns ou d’affirmation pour d’autres. Perçus
parfois de façon légère et superficielle, et parfois plus inscrits dans le territoire.
Malgré ça le temps s´est chargé de promouvoir l´intégration de ces familles. Peu à peu
les groupes commencent à interagir et à revendiquer leurs droits comme habitants, surtout les
plus jeunes qui ont un fort sentiment d’appartenance au lieu.
8- Conclusion
Racontée à travers son histoire Nova Itapecerica est l’expression d’un rassemblement
rural qui présente plusieurs stratégies de vie et de comportements vis-à-vis du voisinage. Les
différentes perspectives et introspections du sentiment de territorialité sont liées en tout état de
cause aux vagues migratoires distinctes survenues au fil des ans.
L’hypothèse prise au départ de mes analyses selon laquelle l´ancienneté est le
principal critère de la division sociale établie entre les différents groupes qui cohabitent à
Nova Itapecerica semble justifiée. Après 30 ans de cohabitation, les groupes existant dans la
localité ont créé des barrières sociales invisibles qui se répercutent sur les relations internes et
qui finissent par rendre difficile le développement de toute la localité.
De fait, on constate un faible sentiment de solidarité et de confiance entre ses
membres, incluant des disputes et des réclamations constantes pour des motifs qui vont du
plus simple au plus complexe. Ceci se transforme en une forme accentuée de désarticulation
sociale et en la prédominance d´un fort individualisme.
Néanmoins, malgré ça, l’interconnaissance jour après jour et les intermariages
survenus dans ces dernières années, font qu’on constate la complexe et graduelle marche d´un
groupe social en cours de re-construction d’´une nouvelle identité ; celle-ci rénouvelée par les
processus migratoires successifs et par les conflits fonciers sous-jacents.
12
Du fait qu’ils sont perçus par les habitants extérieurs à la localité comme un "groupe
problématique", on voit que les questions liées au peuplement par vagues successives jouent
un rôle déterminant dans ces conflits internes. D’une part, si on pense aux familles originaires
de Crueiras, on remarque qu’elles sont nettement fermées sur elles-mêmes, laissant peu de
place aux échanges sociaux et manifestant une légère supériorité dans la relation avec les
autres groupes, supériorité qui s’appuie sur une identité sociale construite sur l’ancienneté et
la parenté. D’´autre part, leurs voisins de NI-1, NI- 2 et CDD forment des groupes de
personnes hétérogènes et diffus, unies par des liens sociaux en cours de construction.
Ainsi on trouve différents degrés de cohésion entre et dans les quatre groupes. De plus,
la structure spatiale de la bourgade reflète la rencontre de ces groupes humains qui mélangent
interdépendance et antagonisme.
Enfin, dans ce voyage sur le thème complexe de la territorialité, bien que n’ayant
analysé qu’un microcosme, je me suis aperçue que les rapports de solidarité, de domination,
de subordination et de dépendance sont très présents au sein de ce groupe social, où un tissu
de relations internes et externes a été et est encore tissé au cours des années.
L’appréhension de l’espace vécu par ces groupes, perçu par la combinaison entre
l’espace de vie et l’espace social, auxquels on doit sans doute ajouter des valeurs
psychologiques, reste encore un matériel façonnable, flou et apte à saisir toutes les nuances
existantes entre l’espace, la territorialité et la population analysée.
En dépit des conflits et des attentes, les habitants de Nova Itapecerica tentent de trouver des
alternatives, des mécanismes et des solutions pour résoudre les problèmes qu’un petit groupe
social rencontre jour après jour dans la lourde tâche de la convivialité et de l’acceptation tacite
d’une territorialité construite sur des bases fragiles.
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