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CRISE AGRAIRE, CRISE FONCIÈRE ET SÉCHERESSE EN SYRIE (2008-2011) Myriam ABABSA 1 Jusqu’à la sévère sécheresse de 2007-2010, la Syrie était autosuffisante d’un point de vue alimentaire et le coton formait le tiers des exportations nationales. Fortement subventionnée par le gouvernement, l’agriculture contribuait au quart du produit intérieur brut et elle employait le tiers de la population active en intégrant le secteur agro-alimentaire. Elle avait per- mis le maintien dans les campagnes de la moitié de la population nationale (52 % en 2004). Après les réformes agraires de 1958, 1963 et 1966, inéga- lement appliquées selon les régions (seulement pour le tiers des terres en Jazîra 2 ), l’essentiel de la production agricole était aux mains du secteur privé. Le secteur public formé de fermes d’État et de coopératives de pro- duction était en revanche moribond en 2000. Les rendements étaient fai- bles, la corruption répandue, les fermes d’État n’avaient pas entraîné la « socialisation » souhaitée des populations rurales par leur affranchisse- ment des liens tribaux. Aussi, la toute première mesure de libéralisation de l’économie prise par le président Bachar al Assad après sa prise de pou- © Editions ESKA Maghreb-Machrek, N° 215, Été 2013 1. Géographe associée à l’Institut français du Proche-Orient, Amman. 2. « Île » entre le Tigre et l’Euphrate, partagée entre la Turquie, la Syrie et l’Irak, la Jazîra est une région stratégique au sein de ces trois pays, pour sa production céréalière et ses réserves en hydrocarbures. Administrée en Syrie par les gouvernorats de Raqqa, Deir ez Zor et Hassaka, la Jazîra couvre 40 % du territoire syrien, regroupe 17 % de la population nationale (3 millions sur 21 en 2008), mais 58 % des pauvres en 2004. Environ le tiers de sa population est kurde. Cette région produisait les deux tiers des céréales du pays (70 % du blé, soit 3 millions de tonnes avant la sécheresse). Mais en dépit de la mise en œuvre de grands projets agricoles et gaziers, la Jazîra ne regroupe que 7 % des installations industrielles du pays.

Crise agraire, crise foncière et sécheresse en Syrie (2008-2011)

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CRISE AGRAIRE, CRISE FONCIÈREET SÉCHERESSE EN SYRIE (2008-2011)

Myriam ABABSA1

Jusqu’à la sévère sécheresse de 2007-2010, la Syrie était autosuffisanted’un point de vue alimentaire et le coton formait le tiers des exportationsnationales. Fortement subventionnée par le gouvernement, l’agriculturecontribuait au quart du produit intérieur brut et elle employait le tiers dela population active en intégrant le secteur agro-alimentaire. Elle avait per-mis le maintien dans les campagnes de la moitié de la population nationale(52 % en 2004). Après les réformes agraires de 1958, 1963 et 1966, inéga-lement appliquées selon les régions (seulement pour le tiers des terres enJazîra2), l’essentiel de la production agricole était aux mains du secteurprivé. Le secteur public formé de fermes d’État et de coopératives de pro-duction était en revanche moribond en 2000. Les rendements étaient fai-bles, la corruption répandue, les fermes d’État n’avaient pas entraîné la« socialisation » souhaitée des populations rurales par leur affranchisse-ment des liens tribaux. Aussi, la toute première mesure de libéralisationde l’économie prise par le président Bachar al Assad après sa prise de pou-

© Editions ESKA Maghreb-Machrek, N° 215, Été 2013

1. Géographe associée à l’Institut français du Proche-Orient, Amman.2. « Île » entre le Tigre et l’Euphrate, partagée entre la Turquie, la Syrie et l’Irak,

la Jazîra est une région stratégique au sein de ces trois pays, pour sa productioncéréalière et ses réserves en hydrocarbures. Administrée en Syrie par lesgouvernorats de Raqqa, Deir ez Zor et Hassaka, la Jazîra couvre 40 % du territoiresyrien, regroupe 17 % de la population nationale (3 millions sur 21 en 2008),mais 58 % des pauvres en 2004. Environ le tiers de sa population est kurde. Cetterégion produisait les deux tiers des céréales du pays (70 % du blé, soit 3 millionsde tonnes avant la sécheresse). Mais en dépit de la mise en œuvre de grands projetsagricoles et gaziers, la Jazîra ne regroupe que 7 % des installations industrielles dupays.

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voir, en juin 2000, fut-elle l’abolition les fermes d’État et la redistributionde leurs terres aux anciens propriétaires, aux ouvriers puis aux fonction-naires (décision n° 83 du 16 décembre 2000) (ABABSA 2005, 2007).

Avant la mise en œuvre de cette réforme symbolique de l’abandon del’idéologie ba`thiste, le monde rural syrien traversait déjà une grave crise dufait de l’extrême parcellisation des terres près de trois générations de subdi-visions, lors des héritages, après la réforme agraire ; de l’effondrement desniveaux des nappes phréatiques pompées par des milliers de puits illégaux ;et de l’appauvrissement des terres du fait de la mise en œuvre d’un plan di-recteur rigide exigeant des cultures stratégiques (blé, orge, coton). Cettegrave crise agraire s’est traduite par la perte, entre 2004 et 2008, de 40 % dela force de travail agricole (de 1,4 millions à 800 000 actifs dans ce secteur)(AÏTA 2010). C’est dans ce contexte de crise qu’a été promulguée le 29 décem-bre 2004 une nouvelle loi des relations agraires (n° 56), conçue pour encou-rager les propriétaires fonciers à entreprendre de nouveaux investissementssur leurs exploitations mais est un véritable coup de grâce pour le monderural. Cette loi réactionnaire permet en effet aux propriétaires de mettre unterme aux anciens contrats de métayage et d’introduire des contrats à duréelimitée. Mise en vigueur fin 2007, elle a en fait entraîné l’expulsion arbitrairede centaines de métayers et aggravé la situation des ouvriers agricoles, enparticulier des femmes. Des ouvriers employés de façon informelle dans lesserres des gouvernorats de Tartous et Lattaquié, ont perdu du jour au lende-main leur travail, leur maison et leurs droits (SARKIS FERNÁNDEZ 2011).

C’est dans ce contexte de crise agraire que la Syrie a été frappée par unetrès grave sécheresse en 2007-2010, qui se poursuit encore aujourd’hui.Pour la première fois dans son histoire, le pays a dû recevoir en 2008 uneaide alimentaire directe internationale, les réserves stratégiques en céréales(4 millions de tonnes) étant épuisées. Le programme alimentaire mondiala distribué de la nourriture à 300 000 personnes en 2008 et à 200 000 en2009 (Irin 2010). En février 2010, un rapport de l’office de coordinationdes affaires humanitaires annonçait que la sécheresse avait provoqué “leplus grand déplacement interne que le Moyen-Orient ait connu depuis des dé-cennies” (hors migrations forcées), de près de 100 000 familles syriennespar an, soit plus d’un million de personnes (OCHA 2010). Plus de la moitiéde ces victimes sont originaires du gouvernorat de Hassaka, appauvri etoù vit près de la moitié de la population kurde de Syrie. Or ces migrationsont été accélérées par la promulgation du décret 49 de 2008 qui gelait toutevente de terre à la frontière turque. Une partie de ces migrants est allé tra-vailler dans les serres sur le littoral près de Tartous, mais aussi à Deraa, vi-vant dans des abris de fortune.

Le projet de cet article est de montrer que les réformes introduites en2000 pour le monde agricole (démantèlement des fermes d’Etat et nouvelleloi des relations agraires) n’ont fait qu’aggraver les effets négatifs liés à laparcellisation des terres et aux politiques de planification stratégique (sub-ventions aux cultures stratégiques). Il s’agit aussi de mettre l’accent sur desprocessus méconnus de gel des transactions foncières à la frontière turque,

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au sein du gouvernorat de Hassaka et sur les réformes des relationsagraires. Car ces crises agraire et humanitaire liées à la sécheresse formentle contexte dans lequel le printemps arabe, puis la guerre débutée en mars2011, se sont déclenchés.

1. RÉFORMES ET CONTRE-RÉFORMES AGRAIRES (1963-2011)L’Union syro-égyptienne de juillet 1958 à 1961 constitua la première

grande rupture dans l’histoire politique et économique de la Syrie indépen-dante. Les mesures révolutionnaires promulguées par Gamal Abd el Nasser,la réforme agraire et la nationalisation des grandes entreprises nationales,furent appliquées au même moment en Egypte et en Syrie, où les trois-quarts des paysans étaient sans terre ou faiblement dotés. En Syrie, la ré-forme agraire devait donner à l’État les moyens d’une gestion rationnelledes ressources agricoles, susceptible de mettre un terme au “pillage” desterres réalisé par une minorité de propriétaires absentéistes ou d’investis-seurs citadins, tels les khanjis alépins en Jazîra. À partir de la révolutionde mars 1963, la réforme agraire fut associée à une grande vague de natio-nalisations qui visait à écarter les notables sunnites de la vie politique.

La réforme agraire devenait ainsi le moyen pour les régimes ba‘thistessuccessifs de se constituer une nouvelle assise politique en dotant les pay-sans en terres et en favorisant les petits propriétaires. Les membres du PartiBa‘th étaient en effet issus des classes moyennes rurales et urbaines, sou-tenus par l’intelligentsia petite-bourgeoise d’origine rurale (BATATU 1999).Avec l’arrivée au pouvoir du Parti Ba‘th, le 8 mars 1963, se produisit unerevanche des groupes minoritaires issus du monde rural, longtemps mar-ginalisés par la bourgeoisie citadine sunnite. La révolution ba‘thiste s’estainsi traduite par une « prise de pouvoir » par la périphérie (DRYSDALE

1977). La montagne alaouite et la Jazîra ont respectivement fourni au Partises plus hauts dignitaires et la majorité de ses militants de base. Dans l’Estsyrien, de petits paysans enrichis lors du boom du coton ainsi que des pay-sans sans terre faiblement dotés lors de la réforme agraire ont constituéles soutiens politiques du Parti Ba‘th. Parallèlement, un ensemble de struc-tures d’encadrement de la population, coopératives, organisations popu-laires et centres culturels, furent créés afin de substituer aux allégeancestribales un type de relation socialiste égalitaire.

1.1. L’application inégale des réformes agraires de 1958, 1963 et 1966

La loi de 1958 limitait la propriété à 80 ha en terres irriguées ou plantées,et à 300 hectares en agriculture sèche, auxquels pouvaient s’ajouter 10 hairrigués et 40 ha en agriculture sèche par personne avec un plafond de40 ha irrigués et 160 ha en agriculture sèche par famille. Selon le premierdécret de juillet 1958 sur la réforme agraire, l’État indemnisait les proprié-taires expropriés. Les paysans qui mettaient en valeur les terres obtenuespouvaient en devenir propriétaire après 40 ans, soit dans la période 1998-

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2001. La terre redistribuée pouvait être revendue. La loi fut appliquée enSyrie après une sècheresse de plusieurs années (1958-1961), ayant conduità la mort de la moitié du cheptel ovin et caprin. En 1961, à la fin de l’Unionsyro-égyptienne, la réforme fut modifiée sous la pression de l’aristocratiefoncière : les plafonds furent élevés à 200 ha en irrigué et à 600 ha en agri-culture sèche, ce qui épargna une très grande superficie agricole de la ré-forme (HINNEBUSCH 1989, p. 90).

Les réformes agraires de 1958, 1963 et 1966 ont réduit le poids desgrands propriétaires, profité essentiellement aux paysans moyennementaisés susceptibles de soutenir le régime et fort peu aux petits exploitantsou à ceux qui ne possédaient rien et qui ne purent mettre en valeur lesterres qu’ils obtinrent (MÉTRAL 1980, KHADER 1984, HINNEBUSCH 1989). Àpartir de 1963, les régimes ba‘thistes ont adopté en Jazîra, qui comptait lamoitié des superficies cultivées, une politique pragmatique qui consistaità favoriser l’émergence d’une classe de propriétaires moyens fidèles auparti, tout en laissant les grands «féodaux» conserver les bases de leur ri-chesse. Ainsi, un amendement à la loi de réforme agraire fut-il pris en 1966,qui excluait de l’expropriation les terres récemment irriguées (PETRAN 1972,p. 183). Le décret n° 88 de juin 1963 fixa des plafonds selon les régions : lapropriété de terres irriguées fut limitée à 15 ha dans la Ghouta, 20 ha surle littoral, 40 ha dans le Ghab, 50 à 55 ha pour les terres irriguées par pom-page des fleuves de l’Euphrate, du Tigre et du Khabour. Pour les terres irri-guées par les eaux de pluie, les plafonds dépendaient du découpagenational du territoire en aires climatiques : dans la zone de plus de 500 mmde précitipations annuelles, seuls 80 ha pouvaient être possédés ; 200 hadans les zones inférieures à 350 mm et 300 ha en Jazîra.

En 1970, 1 513 000 hectares avaient été expropriés par l’État, dont443 000 ha distribués à des particuliers, 338 000 distribués collectivementà des paysans en coopératives, 140 000 réservés pour les fermes d’État et38 000 vendus. Les paysans sans terre, qui formaient 60 % des paysansavant 1958, ne formaient plus que 36 % après les réformes agraires (HIN-NEBUSCH 1989). En Jazîra, le fait que les cadastres n’aient été que partielle-ment établis sous la Syrie indépendante (et pas du tout sous le Mandat,contrairement aux autres régions syriennes) freina considérablement l’ap-plication de la réforme. Les agents de la réforme durent en effet se fondersur les déclarations des moukhtar et sur les directions de l’irrigation, lais-sant ainsi échapper de grandes superficies. De plus, des propriétaires mo-difièrent le statut des terres en en retirant les pompes, leur permettant deconserver de grandes superficies de terres jadis irriguées. De plus, un phé-nomène de « féodalisme déguisé » s’est fait jour : les anciens propriétaires,même quand ils ont perdu une partie de leurs terres, sont demeurés degrands entrepreneurs. Ils ont même tiré profit de la construction d’un ré-seau d’irrigation étatique dans le cadre du Projet de l’Euphrate, trouvantainsi un accès moins cher à l’eau (ABABSA 2009).

En 1980, les plafonds de propriété maximale furent abaissés par la loi31 et 28 406 ha furent encore redistribués. Dans les zones d’agriculture ir-

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riguée, ces plafonds passèrent de 40 à 30 ha pour les terres irriguées pargravité ; de 50 à 40 ha pour les terres des vallées de l’Euphrate et du Kha-bour irriguées par pompes ; de 55 à 45 ha pour les terres des gouvernoratsde Jazîra irriguées par des puits ; de 45 à 35 ha pour les terres des autresrégions irriguées par pompes (Ghab). Dans les zones d’agriculture sèche,les plafonds furent abaissés de 80 à 55 ha pour les terres recevant plus de500 mm de précipitations annuelles ; de 120 à 85 ha pour les terres deszones dont la pluviométrie était comprise entre 350-500 mm ; de 200 à140 ha pour les terres recevant moins de 350 mm ; enfin les plafonds desterres en agriculture sèche furent abaissés dans les gouvernorats de Has-saka, Deir ez Zor et Raqqa de 300 à 200 ha (HINNEBUSCH 1989, p.118).

Selon le professeur de l’Université de Lattaquié Mounzer Khaddam,70 % des propriétés foncières sont « petites » (soit inférieures à 10 ha) etn’occupent que 23 % de la superficie totale en 2004. Les propriétés de taillemoyenne (entre 10 et 100 ha), qui ne forment que 23 % des propriétés, cou-vrent 57 % du territoire agraire ; enfin, les grandes exploitations de plusde 100 ha (moins de 7 % du total) s’étendent sur 20 % du territoire. La taillemoyenne d’une petite exploitation était de 2,85 ha en 2004 ; celle d’une ex-ploitation moyenne de 22,51 ha ; et celle d’une grande exploitation de258,53 ha (KHADDAM 2010, p. 63).

1.2. La loi des relations agraires 134 de 1958

Si de nombreux grands propriétaires ont souvent trouvé les moyens de dé-tourner la réforme agraire à leur profit, celle-ci a toutefois permis de rééqui-librer les structures agraires et a constitué la base d’une réelle transformationdes relations sociales dans les campagnes syriennes. En effet, avec la réformeagraire, l’État créa des structures coopératives et syndicales qui permirent deconstituer une classe de paysans loyale au Parti Ba`th. La réforme agraire futainsi accompagnée de l’importante Loi des relations agraires (loi n° 134 de1958 amendée par le décret 218 de 1963) qui fut un véritable outil de justicesociale en fixant en faveur des exploitants les termes des contrats agricoles.Pour la première fois, les contrats étaient écrits et automatiquement renou-velés, même en cas de vente de la terre. Les métayers pouvaient les céder àleurs héritiers. Les contrats ne pouvaient être rompus que par une décisionde justice dans les cas où le paysan endommageait les terrains ou si sa pro-duction était inférieure à 40 % de celle des terres environnantes.

L’application de la Loi des relations agraires permit aux paysans de jouird’une augmentation notable de leurs revenus. Dans le gouvernorat deRaqqa, la part de la récolte qui revenait en moyenne au paysan s’éleva de20 ou 30 % à près de 43 % (KHALAF 1981, p. 339). Cet enrichissement fut leprélude d’une sensible transformation des relations sociales dans les cam-pagnes syriennes, par suite du désendettement des paysans à l’égard despropriétaires. Les métayers eurent de plus la possibilité d’accéder à de nou-velles formes de crédit, hors des cadres féodaux. La Banque Agricole futainsi une structure décisive pour la mise en œuvre de la Réforme. Elle ac-

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cordait des prêts en nature pour les semences, les engrais et les insecticides,et en argent pour les frais de récolte, et se remboursait directement en pré-levant le montant des prêts augmenté de 5 % d’intérêt, sur le paiement desrécoltes. Mais les prêts de la Banque étaient accordés selon les mêmesconditions aux propriétaires privés et aux coopératives, ce qui a pu expli-quer la désaffection de ces dernières, puisqu’elles ne permettaient pas degrands bénéfices et n’encourageaient pas à l’initiative dans la production.

1.3. Le Projet de l’Euphrate

A partir de la révolution ba`thiste de mars 1963, et alors que Nasser tiraitgloire de la mise en eau du barrage d’Assouan, le grand projet économiquede l’État syrien a été la construction du grand barrage sur l’Euphrate. Prin-cipal projet économique de l’État syrien pendant vingt ans, le Projet del’Euphrate visait à doubler les superficies irriguées nationales et à produirede l’électricité, tout en formant les ouvriers et en créant des fermes d’État.Il prévoyait l’irrigation de 640 000 hectares à partir du lac de barrage Assad,dont 450 000 ha à gagner sur la steppe et 160 000 ha déjà irrigués, situésle long des vallées de l’Euphrate, du Balikh et du Khabour, qu’il fallait bo-nifier. Ces 640 000 ha irrigués correspondent à 12 % de la superficie agri-cole utile syrienne qui est de 6,1 millions d’ha (soit le tiers du territoirenational d’une superficie de 18 millions d’ha). Le projet devait entraîner lacréation d’un secteur agro-industriel à partir de la transformation du blé(biscuiteries, semouleries, usines de pâtes), de la betterave sucrière (raffi-neries de sucre), des oléagineux (huileries) et du coton (textile). Il devaitaussi permettre de substituer une nouvelle organisation socialiste auxstructures tribales encore prégnantes dans la Jazîra et d’assurer le contrôlepolitique d’une région encore aux mains de quelques grands propriétairesfonciers et entrepreneurs alépins (ABABSA 2009).

Au milieu des années 1980, en dépit des investissements étatiques dansla construction de barrages, la superficie agricole irriguée restait faible etla production agricole insuffisante pour couvrir les besoins nationaux d’unepopulation dont le taux de croissance était de plus de 3 % par an. Ainsi,tout au long des années 1970 et 1980, la Syrie a-t-elle dû importer unegrande partie de sa consommation alimentaire de base : blé, riz, sucre etfruits. L’autosuffisance alimentaire est atteinte en 1991, non grâce au Projetde l’Euphrate, mais à la multiplication de puits privés, souvent illégaux.Ainsi, à partir des années 1980, les superficies irriguées syriennes s’éten-dent à un rythme élevé : elles atteignent 1,2 million d’ha en 1998, soit 20 %de la superficie cultivée syrienne, qui est alors de 5,5 millions d’ha. Ce gainest dû à l’utilisation accrue des eaux des nappes phréatiques et à la multi-plication incontrôlée de forages de puits individuels. En 2001, 60 % deseaux d’irrigation proviennent des nappes phréatiques non renouvelables etla moitié des puits sont illégaux3.

3. Banque Mondiale, rapport 22602-SYR, 2001, Syrian Arab Republic. IrrigationSector Report, p. xi.

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1.4. La loi 56 de 2004 sur les relations agraires, amendée par la loi 12de 2011

Dans le contexte de libéralisation de l’économie lancée par Bachar AlAssad, et afin d’encourager l’investissement dans le monde agricole, desdébats parlementaires débutent en 2003, qui visent à renégocier la Loi desrelations agraires de 1958 et à élever les plafonds de la propriété foncière.Le 29 décembre 2004, une nouvelle loi des relations agraires, n° 56, futmise en vigueur. Elle constitue une véritable contre-réforme agraire, en fa-veur des propriétaires fonciers. Ces derniers peuvent en effet mettre un

Figure 1 : Tracé des périmètres irrigués planifiés par l’État syrien

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terme aux contrats de métayage qui étaient hérités sur des générations, ex-pulsant de leurs terres les paysans.

Cette nouvelle loi vise à “réguler les relations agraires entre les partiesengagées dans le travail agricole, afin que la terre soit mise en valeur de lamanière la plus efficace (saliha) pour permettre le développement de la ri-chesse nationale et l’établissement de relations économiques et socialesjustes (bi hadaf al istithmar al ardh bi sura saliha li tanmia al tharwa al qaw-mia wa iqama `alaqat iqtissadia wa ijtima`ia `adila)” (paragraphe 2, loi 56du 29/12/2004). Le problème majeur de la loi est qu’il prend le parti despropriétaires contre les métayers et permet l’expulsion des métayers s’ilsn’arrivent pas à fournir de preuve écrite de leur contrat. Comme le rappelleDiana Sarkis Fernandez, le premier paragraphe de la loi 134 de 1958, an-nonçait que l’objectif de la loi était de “réguler les relations agraires entreles parties engagées dans le travail agricole, afin que la terre de la Patrie(ardh al Watan) soit mise en valeur de la manière la plus efficace (saliha),pour permettre l’établissement de relations économiques et sociales justes”.L’abandon de la référence à la Patrie au profit de l’accent mis sur le déve-loppement économique (tanmia) est une concession à l’économie mixte demarché mise en place au milieu des années 2000 par l’État syrien et deve-nue hégémonique (SARKIS FERNÁNDEZ 2011, p. 159).

Complexe, composée de 167 paragraphes, cette nouvelle loi des relationsagraires permet aux propriétaires de mettre un terme aux contrats de mé-tayage dans les trois ans (mise en vigueur fin décembre 2007), moyennantdes indemnités faibles, calculées sur le nombre d’années passées à les tra-vailler. Selon le paragraphe 106, les indemnités sont calculées à 2 % de lavaleur de la terre cultivée par an, en sachant qu’elles ne peuvent être infé-rieures à 20 % de la valeur de la terre et qu’elles sont plafonnées à 40 %.Deux paragraphes sont particulièrement contestés : le 96 et le 163. Le pa-ragraphe 96 stipule que les contrats entre propriétaires et métayers doiventêtre écrits et signés, soit d’un paraphe, soit d’empreintes digitales. Selon leparagraphe 163, la loi permet l’annulation du contrat sans indemnité si lecontrat était oral. Or une grande partie du travail agricole dans les serres,sur la côte en particulier, se fait précisément de manière informelle, suivantle contrat oral par part (hissa), qui donne à l’ouvrier et sa famille 20 % desbénéfices tirés de la vente de la production (SARKIS FERNÁNDEZ 2011,p. 155).

L’une des conséquences de cette loi a été aussitôt la spéculation foncièresur des terres agricoles situées en limites des villages et des villes. Sur lacôte, près de Banyas, des paysans ont été expulsés de leurs terres sur les-quelles ils avaient construits leurs maisons, creusé des puits et planté desarbres, les terres étant vendues aussitôt à 20-30 000 £ syriennes le m2 (Tish-reen 28/09/2009), ce qui est mille fois supérieur au prix de la terre agricole(30 000 £ syriennes le donum, soit mille m2). La crainte est que cette loi aitdes conséquences comparables à la loi 96 de 1992 en Egypte, qui a entraînél’expulsion des métayers âgés et des femmes, et qui a accéléré l’exode ruralvers les grandes villes (BUSH 2002).

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Devant l’ampleur des pétitions contre cette loi, relayée par le Parti com-muniste, le président Bachar Al Assad a fait promulguer le 26 avril 2011,au tout début du soulèvement contre son régime, des amendements à laloi des relations agraires, qui permet aux métayers d’apporter des preuvesmême orales, comme des témoignages de voisins, de leur travail sur lesterres concernées. Mais ces amendements ne remettent pas en cause leprincipe même de la loi, et la possibilité pour les propriétaires de mettreun terme aux contrats s’ils le souhaitent.

2. LE DÉMANTÈLEMENT DES FERMES D’ÉTATCette réforme de la loi des relations agraires s’est déroulée alors que le

régime entamait la distribution des terres des fermes d’Etat par lot de 3 hairrigués ou 6 ha non irrigués aux anciens propriétaires, aux ouvriers agri-coles et aux fonctionnaires. L’idée était d’améliorer la productivité de terresfertiles, irriguées par les barrages et les canaux mis en place à travers lepays au cours des années 1970-1980. Parallèlement, les terres confisquéeslors des réformes agraires mais non mises en valeur furent mises en loca-tion.

2.1. La décision n° 83 du 16 décembre 2000

Par la décision n° 83 du 16 décembre 2000, les terres des fermes d’Étatont été distribuées en priorité aux anciens propriétaires et bénéficiaires dela réforme agraire expropriés4, aux ouvriers agricoles, ainsi qu’à certainsfonctionnaires disposés à prendre leur retraite5. Il ne s’agit pas d’un trans-fert de propriété mais de l’octroi d’un droit d’usage de la terre pendant dixans, aux termes desquels le bénéficiaire acquiert la pleine propriété. Il estdonc interdit de vendre ou de louer ces terres entre-temps. Cette décisionest intrinsèquement politique. Émise par le parti Ba‘th, elle n’a pas été ac-compagnée de mesure d’annulation des décrets précédents de 1971 et de1983 (n° 1033) qui concernent la répartition de la propriété. Aussi conduit-elle à la confusion entre les droits des propriétaires, des bénéficiaires de laréforme, des ouvriers, des techniciens.

4. Paysans qui avaient reçu des terres près de l’Euphrate lors des réformesagraires de 1958-1963 et qui ont été expropriés moyennant de faibles indemnitésquand le Projet de l’Euphrate a été mis en œuvre au début des années 1970. Certainsont été employés comme ouvriers agricoles dans les fermes d’État.

5. Ce paragraphe s’appuie sur un travail de terrain conduit entre 2001 et 2004dans le gouvernorat de Raqqa au sujet des fermes du Projet pilote (Ababsa 2009).

10 Myriam ABABSA

Entre 2001 et 2007, 38 650 ha de terres ont été distribuées à 12 500 bé-néficiaires dans toute la Jazîra (moitié dans le Projet pilote-Rashid à Raqqaet moitié dans la ferme Bassel Al Assad à Meskene)6. Au 1er septembre 2005,26 470 ha de la ferme Bassel Al Assad avaient été répartis entre 4 297 bé-néficiaires (dont 3 168 ouvriers), et 12 180 ha dans le Projet pilote de l’Eu-phrate (Raqqa) à 4907 bénéficiaires (Teshreen 19 septembre 2005). Dans cedernier projet, la moitié des bénéficiaires est constituée d’anciens proprié-taires expropriés lors des réformes agraires, le tiers d’ouvriers de l’Admi-nistration générale des fermes d’État et de l’Administration générale duBassin de l’Euphrate, le reste de fonctionnaires aux statuts divers (ABABSA

2007). Le tableau 2 rend compte de la réduction des superficies des fermesd’État et de la disparition de celles de l’Euphrate en 2005.

Tableau 1 : Superficie et production des fermes d’Etat syriennesen 1999

Ferme d’Étaten 1999 Gouvernorat

Superficieirriguée

(ha)

Superficienon

irriguée(ha)

Superficieplantée encéréales

(ha)

Superficieplantéeen coton

(ha)

Superficietotale

(dont noncultivable,

ha)

8 Azar Damas 204 24 – – 296

Dijla Malkia Al-Hassaka 690 2 544 1 829 212 3 291

Ras al-Ain Al-Hassaka 1 210 5 782 6 250 170 53 189

Al-Plach Al-Hassaka 620 2 065 2 685 – 7 592

Al-Manajer Al-Hassaka 200 410 400 – 675

Al-Kahtania Al-Hassaka 149 325 330 50 552

Salo Deir al-Zor 340 400 565 75 5 898

Al-Rashid Al-Raqqa 765 6 800 7 250 305 15 703

Hamadani Alep 23 377 133 17 544

Al-Assad Alep 14 891 – 4 226 2500 28 540

Al-Hourieh Lattakia 216 10 – – 264

Head-quarters Daraa 43 101 – – 828

Quneitra Quneitra 120 71 30 – 239

Total 19 471 18 909 23 698 3329 117 611

(Source : Central Bureau of Statistics, Statistical Abstract 2000, pp. 134-135).

6. http://www.albaathmedia.sy/2009-08-08.

Crise agraire, crise foncière et sécheresse en Syrie (2008-2011) 11

Bien que les revenus individuels des bénéficiaires aient doublé, le senti-ment général qui a accompagné ce processus de démantèlement a été celuid’une grande injustice. En effet, de multiples lots ont été distribués de façonindue, tandis que des héritiers potentiels étaient privés de leurs droits. Ladistribution des fermes d’État a entraîné un tel morcellement des surfaceset un tel éparpillement de la propriété qu’un double processus illégal de lo-cation et de vente des lots s’est mis en place depuis 2001-2003. Selon desentretiens informels conduits dans le gouvernorat de Raqqa en octobre2004, la majorité des bénéficiaires n’exploitent pas directement leurs terresmais les louent ou les ont vendues. Le prix de location, illégale, des lots dis-tribués oscillait entre 1 500 et 2 000 livres le donum par an, selon la loca-lisation de la parcelle en 2004. Pour un lot de 30 donums, la locationproduisait un revenu de 45 à 60 000 livres syriennes par an, ce qui corres-pond au salaire moyen des employés du Projet pilote, soit environ 5 000 £mensuelles (100 $). Le prix de vente était en revanche deux à quatre foisinférieur au marché : entre 15 000 et 30 000 £ le donum. Ainsi un bénéfi-caire qui vendait ses trente donums irrigués pouvait-il espérer gagner de450 000 £ à 900 000 £ syriennes, voire un million de livres au meilleur descas, soit de sept à quinze années de salaire moyen7.

Tableau 2 : Superficie et production des fermes d’Etat syriennesen 2004

Ferme d’Étaten 2004 Gouvernorat

Superficieirriguée

(ha)

Superficienon

irriguée(ha)

Superficieplantée encéréales

(ha)

Superficieplantéeen coton

(ha)

Superficietotale

(dont noncultivable,

ha)

8 Azar Damascus 204 24 – – 293

Dijla Malkia Al-Hassaka 553 103 595 210 656

Ras al-Ain Al-Hassaka 110 600 771 40 710

Hamadani Alep – 152 16 – 158

Al-Assad Alep 3001 – 51 – 6071

Al-Hourieh Lattakia 149 9 – – 183

Head-quarters Daraa 42 102 – – 828

Quneitra Quneitra 85 30 125 – 258

Total 4144 1020 1558 250 8562

(Source : Central Bureau of Statistics, Statistical Abstract 2005, pp. 140-141).

7. Après 25 ans de travail, tout fonctionnaire peut prétendre à une retraite men-suelle d’au moins 8 000 £ syriennes. Au bout de 17 ans de travail, un fonctionnairepeut obtenir sa retraite en une fois s’il le souhaite, pour un montant total de400 000 £S.

12 Myriam ABABSA

Un double processus résulte des mouvements de vente et de location desterres du Projet pilote. D’une part, le renforcement du pouvoir des grandsentrepreneurs qui ont les moyens de louer les terres, et qui étaient arrivés àse maintenir au terme de la réforme agraire ; et d’autre part la constitutionde grands domaines agricoles, qui dépassent les plafonds de propriété de160 donums qui avaient été fixés par les lois successives de la réformeagraire. Ainsi la mutation des structures de propriété et d’exploitation estradicale : on est passé d’un système collectif d’exploitation à la grande pro-priété privée, que les théoriciens du parti Ba‘th souhaitaient avant tout li-miter. Une véritable « contre-réforme » agraire a ainsi eu lieu en Jazîra entre2001 et 2007 : d’anciens propriétaires ont pu récupérer une partie de leursbiens, mais surtout une classe d’entrepreneurs agricoles s’est constitué desfortunes, profitant de l’irrigation subventionnée d’État sur des terres fertiles.

2.2. La poursuite de la politique de ceinture arabe à la frontière turque

Dans le gouvernorat de Hassaka, le démantèlement des fermes d’État apris une tournure particulière, du fait de la nature même de ces fermes.En effet, ces fermes ont été créées à partir de 1974 au sein de la « Ceinturearabe » créée en zone de peuplement kurde, à la frontière turque.

En mars 1952, le premier décret de restriction de la propriété à la fron-tière turque fut promulgué (193). Conçu par le lieutenant Mohammed TalibHilâl, chef de la police politique en Jazîra, dans le cadre de sa lutte contrel’irrédentisme kurde, il créait une zone de 15 km sur 350 km le long de la-quelle toutes les transactions foncières étaient gelées et soumises à une au-torisation préalable de la part du Ministère de l’Agriculture, qui lesaccordait aux Syriens arabes, aux Arméniens, aux Chaldéens, aux Assyriens(arrivés en 1932 d’Irak) mais pas aux Kurdes. Il fut suivi en août 1962 parle décret 93 pour l’organisation d’un recensement exceptionnel de la popu-lation kurde, au terme duquel 120 000 Kurdes se virent retirée leur natio-nalité, n’ayant pu prouver leur présence avant 1945 en Syrie. Ils furent dece fait exclus du droit de propriété et d’accès à l’instruction (Seurat 1980,p. 104). Ces Kurdes déchus de la nationalité syrienne reçurent une carted’identité rouge les désignant comme « étrangers » (ajanib), tandis queleurs enfants nés en Syrie devenaient les « cachés » (maktumin). Ils furentexclus du droit de propriété et de l’accès à l’instruction et vinrent grossirles faubourgs pauvres des agglomérations de la région.

Les autorités syriennes ont toujours dit qu’à partir de la réforme agrairede 1958, les membres des tribus transfrontalières sont venus s’installer enSyrie afin de recevoir des terres, mais qu’il s’agissait en fait de Turcs. À cejour, des milliers de Kurdes de Syrie se trouvent encore dépourvus de natio-nalité. Pour nombre d’entre eux, l’adhésion au Parti Ba`th fut un moyen degagner la nationalité syrienne et des droits de citoyens, dont la propriété fon-cière. Après les émeutes d’avril 2004, le président Bashar al-Assad a annoncéque 90 000 Kurdes de Syrie se verraient dotés de la nationalité. Les partisd’opposition kurdes réclament la restitution de leur nationalité à 150 000

Crise agraire, crise foncière et sécheresse en Syrie (2008-2011) 13

ajanib et 75 000 maktumin. Afin de pouvoir s’appuyer sur la minorité kurdeen pleine guerre civile, un décret présidentiel a été finalement promulgué enavril 2011 qui a rendu leur nationalité à 100 000 Kurdes de Syrie, sur les225 000 réclamés par les mouvements de droits de l’homme kurdes.

Dix ans après le recensement de 1962, à l’occasion de l’ennoiement decentaines de villages par le lac Assad, une série de 41 « villages modernes »furent édifiés à la frontière turque, dans le gouvernorat de Hassaka. Ils fu-rent bâtis par l’État sur les terres de grands propriétaires kurdes expropriéspar la décision 521 du 24 juin 1974. Les villageois furent eux aussi expulsésde leurs terres. Selon des sources kurdes, 100 000 ha répartis en 335 vil-lages furent affectés par ces expropriations. 27 000 paysans de la tribu`Afadla des rives de l’Euphrate, soit le tiers des submergés, acceptèrent dese déplacer vers ces villages de « colonisation arabe ». Entre 1974 et 1977,4 600 familles furent installées au sein des 41 villages (MEYER 1990, p. 251).Chaque famille reçut entre 15 et 30 donums de terres ; un total de 72 000 hafurent distribués à 27 000 migrants. Günter Meyer a montré que les fa-milles installées dans cette ceinture arabe ne s’étaient pas du tout trouvéesen opposition directe avec les Kurdes de la région. Plutôt que de s’investircomme ouvrier agricole dans les fermes d’État, ils préférèrent retourner àun mode de vie semi-nomade afin de compléter leurs salaires d’employéspar les revenus tirés de l’élevage du mouton. De nombreux autres quittèrentles fermes pour gagner les quartiers informels de la périphérie de Raqqa,en quête de travail dans le secteur du bâtiment (MEYER 1990).

Entre 2001 et 2005, les terres des cinq fermes d’État du gouvernorat deHassaka furent distribuées, mais je n’ai trouvé aucune information à leursujet. En revanche, la deuxième vague de distribution des terres pour lesfermes de Dijla Malkia et Ras al-Ain a été l’objet de protestation et d’articlesde presse en arabe, tant sur les sites d’opposition kurde que sur les sites is-lamistes d’information basés en Angleterre, en particulier Akhbar al-Charqqui publie chaque jour 80 pages d’information sur la Syrie et Elaph. Eneffet, le 3 février 2007, le ministère de l’Agriculture et de la Réforme agrairea promulgué la décision 1682 portant sur la distribution de 560 hectaresde la ferme de Dijla-Malkia à 150 familles arabes de la région de Shadadi(gouvernorat de Hassaka), dont les villages avaient été submergés en 2001par la mise en eau du lac de barrage Bassel sur le Khabour. Les riverainsde la ferme, Kurdes, n’ont pas obtenu de terres. Le Comité pour le Chan-gement démocratique national, formé en octobre 2005 et qui réunit 12 par-tis kurdes, rédigea un communiqué intitulé Communiqué de Damas ausujet de la distribution des terres dans le gouvernorat de Hassaka. Dans lecommuniqué, il fut rappelé que les Kurdes ont des droits sur les terres deleur « région historique », et qu’ils auraient dû recevoir des terres, d’autantque les villageois submergés en 2001 avaient déjà reçu des compensations.Selon ce communiqué : « la distribution a été faite afin de créer une dis-tinction entre les citoyens arabes et kurdes, semant les graines de la dis-corde (fitna) au sein des citoyens syriens »8.

8. www.elaph.com/23/7/2007

14 Myriam ABABSA

2.3. Le décret 49 de 2008

C’est dans ce contexte tendu, et alors que le pays subissait une sécheressesans précédent, que le président syrien a promulgué le décret 49 de 2008qui interdit la vente de toute terre à la frontière turque aux « étrangers »,c’est-à-dire aux Kurdes de Syrie déchus de leur nationalité en 1962 (DIS2010, p. 10). Cette mesure a accéléré le processus d’exode rural lié à la sé-cheresse, servant d’instrument d’arabisation ultime du gouvernorat de Has-saka. Du fait de toutes les restrictions à la propriété et de l’épuisement desnappes phréatiques, le gouvernorat de Hassaka est le seul de Syrie (horsceux de Damas ville et Damas campagne où l’urbanisation est galopante)qui ait vu le nombre de ses propriétaires fonciers diminuer entre 1994 et2004, alors que ce chiffre s’élevait d’un tiers dans le reste de la Jazîra (ta-bleau 3).

Figure 2 : L’infrastructure économique de la Jazîra syrienneet les villages de colonisation arabe en zone kurde

Crise agraire, crise foncière et sécheresse en Syrie (2008-2011) 15

Environ 100 000 Kurdes seraient concernés près de Hassaka et 200 000près de Qameshli (Syria News 09/04/2009)9. Selon une source kurde, entremars et juillet 2010, le gouvernement syrien aurait expulsé 580 paysanskurdes des environs de Deyrik afin de créer une nouvelle ferme d’Etat et9 000 paysans seraient menacés de perdre leurs terres, n’ayant pas de titresde propriété en accord avec la loi de 2004 et le décret de 200810. Ces me-sures ont été prises alors que le pays traversait un grave épisode de séche-resse, aggravé par l’épuisement des nappes phréatiques et la politiqued’encouragement de l’agriculture irriguée du coton. De plus, la levée dessubventions aux carburants en 2008 par le gouvernement a accentué leseffets de la crise économique mondiale, les exploitants agricoles n’ayantplus les moyens de pomper l’eau, ni de conduire leurs tracteurs, ni d’allerporter les récoltes aux centres de nahia.

3. LA SÉCHERESSE DE 2007-2010 ET SES CONSÉQUENCES HUMANITAIRESLa crise économique de 2008 s’est doublée au Moyen-Orient d’une grave

sécheresse avec des précipitations sur trois ans (2007 - 2010) inférieuresde moitié à la moyenne sur un demi-siècle. Cette crise est comparable à lasécheresse de 1958-1961 qui avait entraîné la sédentarisation des derniersnomades. Mais elle a eu des conséquences plus dramatiques sur les séden-taires du fait de l’effondrement des niveaux des nappes phréatiques épui-sées par les 420 000 puits syriens (dont la moitié creusés illégalement). Lamobilisation internationale a été rapide, avec des distributions de nourri-ture dès 2008 par le Programme alimentaire mondial, mais a manqué de

Tableau 3 : L’évolution du nombre de propriétaires agrairesen Jazîra entre 1970 et 2004

1970 1981 1994 2004

Raqqa 26 815 21 598 27 824 36 398

Deir al Zor 30 184 29 525 42 042 47 411

Hassaka 50 540 55 162 61 089 57 997

Total pour la Jazira 107 539 106 285 130 955 141 806

Syrie 527 899 485 501 613 657 660 371

(Agriculture Yearbook 2009, table 5/4, http://www.cbssyr.org/yearbook/2009/chapter4-EN.htm)

9. http://www.syria-news.com/readnews.php?sy_seq=13204910. http://supportkurds.org/news/land-rights-of-kurdish-peasants-removed-in-

syria/ Media Institute of West Kurdistan Society – Qamishli

16 Myriam ABABSA

soutien financier et dès 2009, elle a du être réduite. En revanche, elle a étéle moment de débats intenses, critiques et ouverts, faits remarquables encontexte autoritaire. Ainsi le débat organisé en janvier 2008 par la SociétéÉconomique Syrienne a été comparé par ses participants au « printempsde Damas » de 2001, court moment d’ouverture et de débat démocratiquevite stoppé par le régime. En septembre 2010, le ministre de l’Agricultureet de la réforme agraire, Dr. Adel Safar, discuta de façon ouverte avec lerapporteur spécial des Nations Unies pour la sécurité alimentaire Olivierde Schutter, des moyens de réduire les effets négatifs de la sécheresse, par-lant lui-même « du problème structurel de la reconversion de l’agricultured’État à une agriculture dépendant d’une planification plus indicative ». Tan-dis que ce dernier annonçait que «du fait de la sécheresse, entre deux et troismillions de Syriens vivent désormais dans un état d’extrême pauvreté, contre2,02 millions en 2004 » (DE SCHUTTER 2010).

3.1. Les conséquences de la sécheresse en Jazîra

En Jazîra syrienne, région stratégique située entre le Tigre et l’Euphrate,couvrant 40 % du territoire national, habitée par 3,5 millions d’habitants(17 % de la population), mais produisant les deux-tiers de la productioncéréalière, les conséquences ont été dramatiques. Les puits se sont assé-chés, des vents de sable ont envahi terres et villages. En 2009, 160 villagesdes gouvernorats de Raqqa et Hassaka auraient été abandonnés par leurspopulations contraintes de migrer vers les principales villes de leurs gou-vernorat, mais aussi vers Alep et Damas. Selon la fédération internationalede la Croix-Rouge, 60 000 familles dont 35 000 de Hassaka n’ont eu d’autreschoix que de migrer après avoir vendu le reste de leurs troupeaux déciméspar la faim et la soif, à 60 % du cours habituel. Le cheptel syrien a été réduitde 60 % entre 2007 et 2009. La production de blé sur les terres baal (agri-culture sèche) du nord de Jazîra a chuté de 82 % en 2008 par rapport à uneannée moyenne (Oxford Business Group 2010). Les cas de malnutritiondes femmes enceintes et des enfants de moins de 5 ans ont été multipliéspar 2 entre 2007 et 2009 dans le gouvernorat de Raqqa selon la CroixRouge. Dans le gouvernorat de Hassaka, les enfants ont été retirés desécoles, leurs parents n’ayant plus les moyens de les habiller correctement,mettant un terme à quarante années de politique d’alphabétisation11.

11 500 familles du gouvernorat de Hassaka, 10 500 familles du gouver-norat de Raqqa, autant dans celui de Deir ez Zor et 9000 dans le reste dupays ont bénéficié de paniers alimentaires (150 kg de farine, 25 kg de sucre,25 kg de bourgoul, 10 kg de lentilles) du programme alimentaire mondialen octobre 200912.

11. Après quarante de scolarisation, les taux d’analphabétisme qui étaient à plusde 90 % dans les années 1960 étaient encore à 38,3 % dans le gouvernorat de Raqqa,35,1 % dans celui de Hassaka et 34,8% pour celui Deir ez Zor en 2004, en 2004, soitconcrètement une femme sur deux.

12. www.esyria.sy/eraqqa

Crise agraire, crise foncière et sécheresse en Syrie (2008-2011) 17

3.2. L’aggravation politique de la crise climatique

La crise a été aggravée par une série de décisions idéologiques et poli-tiques. La première est la politique de subvention du coton qui absorbe letiers de l’eau agricole nationale, salinise les sols (par le manque de drai-nage) et utilise de grandes quantités d’engrais. Entamée de façon privéelors du boom du coton des années 1950, la culture du coton fait la fortunedes commerçants alépins (MÉTRAL 1980, HANNOYER 1982). Après la révolu-tion ba`thiste de 1963, l’or blanc du coton a fasciné les dirigeants syriensqui pensaient en tirer de grands profits et permettre le développementd’une industrie industrialisante. Mais dès les années 1970, l’effondrementdu cours mondial a nécessité que l’Etat syrien garantisse des prix fixes auxproducteurs de coton brut situés au double du cours mondial. Certes lecoton syrien, parce qu’il est cueilli à la main par des armées de femmes,est d’une très grande qualité. Mais il est insuffisamment transformé et doncexporté brut, ce qui équivaut à l’exportation du tiers de l’eau agricole sy-rienne. La Jazîra produit 69 % du coton syrien mais seulement 10 % desfils de coton, qui sont transformés essentiellement à Alep.

La deuxième cause politique de la crise agraire est que le prix de l’eaudans les grands projets étatiques est facturé par surface irriguée et non parvolume, ce qui encourage l’irrigation de surface par inondation. Or la moi-tié de l’eau syrienne provient du pompage des nappes phréatiques (56 %soit 760 000 hectares sur 1,3 millions). L’effondrement des tables des aqui-fères pompées par des dizaines de milliers de puits illégaux a amplifié lacrise climatique. Le cas extrême est fourni précisément par le gouvernoratde Hassaka, situé aux frontières turque et irakienne, d’où provient la ma-jeure partie de la migration liée à la sécheresse : 94 % des surfaces irriguéesle sont par pompage (tableau 4). Ce gouvernorat a peu bénéficié de travauxhydrauliques étatiques contrairement aux deux autres gouvernorats deRaqqa et de Deir ez Zor dont respectivement la moitié et le tiers de l’eauprovient des barrages.

Tableau 4 : les méthodes d’irrigation dans le nord-est syrien en 2008(en milliers d’hectares)

(Agriculture Yearbook 2009, table 10/4, http://www.cbssyr.org/yearbook/2009/chapter4-EN.htm)

Eau Méthodes d’irrigation modernes

GouvernoratRivièreset sources

Puits eauxsouterraines

Barrages Total Pivot Aspersion Total

Alep 28 000 92 000 86 000 206 000 25 000 10 000 35 000

Raqqa 43 000 51 000 94 000 188 000 5 000 1 000 6 000

Deir ez Zor 76 000 39 000 37 000 152 000 – 1 000 1 000

Hassaka 29 000 341 000 21 000 391 000 41 000 4 000 45 000

SYRIE 208 000 760 000 387 000 1 355 000 162 000 91 000 253 000

18 Myriam ABABSA

La crise agraire et humanitaire a été enfin amplifiée par l’augmentationdu prix du fuel en mai 2008, passé de 7 à 25 livres syriennes le litre (350 %d’augmentation). Cette augmentation a été dramatique pour les fermierscontraints d’utiliser des puits équipés de pompes, ainsi que pour les bergersqui conduisaient par camion ou tracteur des citernes d’eau à leurs trou-peaux n’importe où dans la badia13 (le « kit de dégradation » selon TomNordblom, ingénieur de l’ICARDA). Elle s’est ajoutée à la levée des subven-tions sur les fourrages en février 2008. Les paysans se sont mis à louer leurschamps de blé encore vert, avant fructification, aux bergers pour nourrirles troupeaux, au pire de la sécheresse, à 15 $ l’hectare. Le Fonds de soutienagricole créé par le gouvernement syrien en 2008 n’a pas été suffisant pourcontrer les effets de l’augmentation du fuel et des fourrages14, ni l’augmen-tation de 25 % de tous les salaires de fonctionnaire, et des milliers de ber-gers et de fermiers ont vendu leur maigre équipement pour aller s’installerdans les périphéries des villes d’Alep, Hama, Raqqa et Hassaka15.

3.3. L’exode rural et la mutation du secteur agricole

En 2008, trois évènements majeurs bouleversent l’économie et la sociétérurales syriennes : la sécheresse, la mise en vigueur de la nouvelle loi desrelations agraires et la levée des subventions sur le fuel. Les statistiques sy-riennes de l’emploi, qui à défaut d’être fiables restent très révélatrices detendances majeures, permettent d’analyser les conséquences sociales deces évènements. Ainsi, les entrepreneurs qui louaient des terres, et quiavaient les frais principaux de l’eau et du fuel à couvrir, ont vu leur nombrese réduire des deux tiers en quatre ans, passant de 106 764 à 30 499 (ta-bleau 5). Les propriétaires, soit un peu moins de la moitié des actifs, sesont maintenus. Notons que le nombre de femmes dans ce secteur a aug-

13. Etymologiquement « la steppe habitée par les bédouins » en arabe, termeutilisé pour désigner la steppe mais aussi le désert de Syrie qui reçoit moins de100 mm de précipitation (Badiat al-Cham).

14. Le Fonds de soutien agricole, créé en 2008, a distribué des coupons aux fa-milles syriennes leur permettant d’acheter 1000 litres de diesel à bas prix (9 SP/l).En 2009, ces coupons ont été remplacés par des transferts d’argent de 10 000 SPpar « famille vulnérable ». Les critères d’éligibilité, qui combinent niveau de reve-nus, propriété et type d’usage, sont assez larges pour englober la moitié des famillessyriennes. Un budget de 10 milliards de livres syriennes a été affecté au fonds en2009 (IMF 2009). http://www.imf.org/external/pubs/cat/longres.cfm?sk=22702.0

15. En 2010, le directeur de la FAO à Damas, Abdullah Yahia bin Tahir, exprimaitdes craintes selon lequelles ; si la sécheresse se poursuivait, 80 % de la Syrie étaitsusceptible de « désertification », définie comme « la somme des facteurs géolo-giques, climatiques, biologiques et humains qui conduisent à la dégradation des po-tentialités physiques, chimiques et biologiques des terres dans les zones arides etsemi-arides, et menacent la biodiversité et la survie des communautés humaines ». Ilprécise qu’au début les migrations étaient temporaires, mais qu’après trois ans, lesvillages abandonnés sont recouverts de poussière et de sable les puits toujours àsec, réduisant les possibilités de retour de leurs habitants (New York Times, 14-10-2010).

Crise agraire, crise foncière et sécheresse en Syrie (2008-2011) 19

menté ce qui est assez étrange, ce qui peut, en partie seulement, s’expliquerpar les distributions de lopins des fermes d’État (elles ont été 1086 dans leseul projet pilote de l’Euphrate, à Raqqa, Ababsa 2007, p. 226). Le phéno-mène le plus remarquable a été l’augmentation d’un tiers du nombre d’ou-vrier agricole, après la mise en vigueur de la loi des relations agraires 56de 2004. Enfin, témoin de l’exode rural, le nombre d’ouvriers agricoles nonpayés (femmes et jeunes actifs employés de façon informelle sur les fermes)a été divisé par trois entre 2006 et 2010 (de 306 943 à 134 721).

CONCLUSIONSi pendant des décennies, les régimes syriens étaient parvenus à maintenir

les principes de l’idéologie socialiste ba`thiste, tout en garantissant auxclasses moyennes provinciales les bases de leur reproduction économique(non application des réformes agraires en particulier), Bachar Al Assad etson régime n’ont eu aucun scrupule à se défaire des principes socialistes fon-dateurs que ce soit dans le domaine industriel ou agricole (« la terre à ceuxqui la travaillent »). Le nouveau credo économique de l’ « économie socialede marché » adopté lors du Xe congrès du parti Ba`th en juin 2005, n’a en-traîné qu’un appauvrissement accéléré de la population. Le régime a sou-

Tableau 5 : Comparaison des actifs dans le secteur agricolepar statut entre 2006 et 2010

2006 2010 Taux de croissance2006-2010

Homme Femmes Total Homme Femmes Total Hommes Femmes Total

Entrepreneur 106764 4018 110782 29377 1122 30499 -72,5 -72,1 -72,5

% du total 13,4 2,3 11,4 5,0 0,8 4,1

Indépendant 347982 21731 369713 311774 30331 342105 -10,4 39,6 -7,5

% du total 43,8 12,3 38,1 52,6 20,4 46,2

Ouvrier payé 143722 35747 179469 183161 50761 233921 27,4 42,0 30,3

% du total 18,1 20,3 18,5 30,9 34,1 31,6

Ouvriernon payé 193200 113743 306943 68026 66695 134721 -64,8 -41,4 -56,1

% du total 24,3 64,5 31,6 11,5 44,8 18,2

Autre 2908 983 3891 – – –

Total 794576 176222 970798 592338 148908 741245 -25,5 -15,5 –23,6

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haité augmenter la production agricole au sein des anciennes fermes d’Étaten les démantelant, et en fermant les yeux sur la constitution de domainesdépassant les limites imposées par les lois de réforme agraire. Mieux encore,il a promulgué une série de lois qui prises ensemble ont constitué une contre-réforme agraire dramatique pour le monde rural. En Jazîra, des mesuresdiscriminatoires ont été prises contre les paysans kurdes pour achever de lespriver d’accès à la propriété. Elles ont accéléré le processus d’exode rural etl’installation à la périphérie des villes d’Alep, Damas, Hassaka, Raqqa, Homsde milliers de déplacés appauvris. C’est dans ce contexte de déstabilisationdu monde rural que la guerre civile a débuté en mars 2011.

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