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Évaluation économique en santé : qui a peur de l'étalon monétaire ?

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revue de philosophie économique / volume 10, n˚1

évaluation économique en santé : qui a

peur de l’étalon monétaire ?

Marc Fleurbaey, Stéphane Luchini,Erik Schokkaert *

RésuméL’évaluation économique des politiques de santé effraie ceux quine veulent pas assimiler la santé à un bien monétisable. Nousdéfendons la thèse que cette peur est justifiée face à certainscritères mais ne saurait constituer une objection de principe. Àl’aide d’un exemple de critère fondé sur le revenu équivalent, nousmontrons comment la valeur de la santé et les considérationsd’équité peuvent trouver leur place dans une analyse coût-bénéfice.Mots-clés : analyse coût-bénéfice, analyse coût-efficacité,consentement à payer, fonction de bien-être social, revenuéquivalent.AbstractThe economic evaluation of health policies frightens those whodo not want to assimilate health to a marketable commodity. Weargue that this fear is justified about some criteria but does not

* Cet article a bénéficié du financement Inégalités Sociales de Santé (DREES-MiRE et INSERM) ainsi que des commentaires d’Emmanuel Picavet, MaryseGadreau et deux rapporteurs.

Marc Fleurbaey : CNRS, Université Paris Descartes, CERSES, CORE(Université Louvain-la-Neuve) et IDEP, marc.f [email protected] .

Stéphane Luchini : CNRS, GREQAM et IDEP, [email protected] Schokkaert : Dept of Economics, Katholieke Universiteit Leuven, et CORE,

Université catholique de Louvain, [email protected].

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warrant a principled objection to all kinds of economic eva-luations. With the example of a criterion based on the “equivalentincome”, we show how the special value of health and equityconsiderations can be properly taken into account in cost-benefitanalysis.Keywords : cost-benefit analysis, cost-effectiveness, socialwelfare function, willingness-to-pay, equivalent income.Classification JEL : D63, H21, H51, I18.

1. INTRODUCTIONL’évaluation économique rencontre une résistance certainelorsqu’elle s’applique à la santé, visant à définir des priorités entredes programmes de santé publique, ou à déterminer le partageentre prise en charge publique et sphère privée. On reproche àl’économie de ramener à la dimension monétaire des dimensionsqui ne lui sont pas directement assimilables, la santé – ou le soin desanté – n’étant pas un bien de consommation ordinaire, mais unbien fondamental qui conditionne tout le reste. Plus spécifique-ment, la monétisation est aussi soupçonnée d’introduire un biaisen faveur de ceux qui ont un plus grand consentement à payer,c’est-à-dire les plus fortunés notamment.Dans cet article, nous défendons l’évaluation économiquecontre la première objection, en arguant que les décisions enmatière de politique de santé reposent inévitablement sur des arbi-trages qui comparent la santé à d’autres types de « consomma-tions ». En revanche, nous admettons que les pratiques usuelles enmatière d’analyse coût-bénéfice ne sont pas satisfaisantes en ce quiconcerne l’équité dans la répartition, bien qu’elles ne soient pastoutes coupables de biais en faveur des plus aisés. Il y a certai-nement bien des hésitations sur la façon de pondérer les intérêtsdes différentes catégories de la population dans le calcul des béné-fices totaux d’une politique. En économie de la santé, on constatequ’après un engouement pour les mesures non monétaires de lasanté (QALYs, health utility index, etc.) et les analyses coût-effica-cité qui se concentrent sur les résultats de santé à budget donné,on retrouve un intérêt pour l’analyse coût-bénéfice et les mesures

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de consentement à payer [Donaldson (2003)]. Cet article défendl’idée qu’il est possible d’améliorer l’analyse coût-bénéfice pourremédier au moins partiellement au problème de la pondération.La méthode d’évaluation économique proposée ici repose surl’idée que les arbitrages entre grandeurs (santé, autres consomma-tions…) doivent s’appuyer sur les préférences de la populationconcernée, au niveau le plus fin possible. Les choix collectifs fontla synthèse de ces préférences, en donnant la priorité aux plusdéfavorisés à un degré qui sera laissé, dans cet article, à l’appré-ciation des usagers de la méthode. Le point le plus délicat n’est pas,en effet, la synthèse collective, mais la définition et la calibrationd’indices de bien-être individuels qui permettent de respecter lespréférences individuelles et de comparer les situations de per-sonnes différentes pour déterminer qui doit bénéficier de la plusgrande attention des décideurs publics. C’est la notion de « revenuéquivalent » qui est ici mise en avant dans cette perspective.L’article est structuré de la façon suivante. Dans la section 2,la nécessité de l’évaluation économique est défendue, tout endistinguant le principe même de l’évaluation économique d’usagessimplistes de l’étalon monétaire. La section 3 examine les pratiquesd’analyse coût-bénéfice, qui échappent au simplisme de la monéti-sation la plus fruste mais présentent encore des lacunes certaines.La section 4 discute la proposition d’amélioration mentionnéeci-dessus et fondée sur le revenu équivalent.

2. LA NÉCESSITÉ DE L’ÉVALUATIONSi la santé est un bien si fondamental qu’il conditionne tout lereste de l’activité humaine, il est en effet impossible de procéderà des arbitrages entre santé et autres consommations : il faut toutmettre en œuvre pour que la santé atteigne le niveau requis avantde s’occuper de toute autre considération. Mais cette vision est-elleraisonnable ? Au jour le jour, il est indiscutable qu’un niveau desanté minimum est nécessaire pour mener une vie décente, mais sil’on prend une perspective plus large, considérant l’ensemble de

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la vie d’une personne, il apparaît clairement qu’une vie réussie nerequiert pas une bonne santé indéfinie.Il est au contraire parfaitement raisonnable de faire desarbitrages entre la bonne santé et la réalisation d’autres objectifs.Peu de gens sont prêts à faire tous les efforts en matière de sagessenutritionnelle, de discipline sportive, et de prudence dans les dépla-cements qui maximisent les chances de se maintenir en bonnesanté le plus longtemps possible. Au contraire, les exemples abon-dent de situations où l’on prend le risque d’une moindre santépour obtenir des résultats dans d’autres domaines, que ce soitd’ordre professionnel, familial, ou tout simplement personnel. Ilest donc important de déterminer l’importance relative de la santépar rapport aux autres objectifs que les membres de la sociétépeuvent se donner. Considérer la santé comme une valeur pre-mière, sans aucun arbitrage possible avec d’autres considérations,serait aller à l’encontre des décisions habituelles des individus et,vraisemblablement, de leurs conceptions les plus réfléchies enmatière de choix de vie. Ce serait également aller contre les déci-sions habituelles prises par les pouvoirs publics en matière d’allo-cation budgétaire entre les différents domaines de l’interventionpublique. Si donc toute la société, membres et gouvernants inclus,est prête à des concessions sur la santé pour obtenir de meilleuresréalisations dans d’autres domaines, ne faut-il pas reconnaître làune conception raisonnable, acceptable et équilibrée des prioritésde la vie ? On peut éventuellement reconnaître que la santé n’estpas une priorité absolue dans tous les contextes, sans pour autantaccepter l’évaluation économique qui cherche, du moins en appa-rence, à la rapporter à un étalon monétaire. À cet égard le souci del’économiste devrait être de clarifier, démystifier le rôle de l’étalonmonétaire dans ses calculs, et peut-être parfois de corriger certainesdérives. Car il y a monétisation et monétisation. Les tentatives decorrection du PIB pour y intégrer des dimensions relatives à laqualité de la vie ont souvent, comme chez Nordhaus et Tobin[(1973)], consisté à garder la forme linéaire du calcul du PIB (unesomme de quantités pondérées par des prix) pour ajouter d’autres« biens » au calcul – ou soustraire certains « maux » –, en lespondérant par des prix censés représenter la valeur « sociale » de

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ces biens. Cette approche fait peur, et à juste titre. Si l’on écrit laformule :c + qh,

où c désigne la consommation ordinaire en unités monétaires, h unindicateur de santé, et q un prix relatif calculé à partir d’une esti-mation d’un taux marginal de substitution des individus, alors ons’engage sur une pente glissante. Si l’on trouve un niveau C tel que :C = c + qh,

alors il semble qu’une situation sans aucune santé et avec unerichesse valant C serait aussi bonne que la situation décrite par lesquantités (c, h). Cela est absurde, car l’absence de santé n’est passupportable, ne permet pas de mener une vie normale ni mêmeune vie tout court. Même si le prix q est proche du taux marginalde substitution, il ne permet pas de traiter la santé comme unsubstitut parfait avec la consommation.Transformer la santé en un bien ordinaire, substituable auxautres comme un fruit peut être substitué à d’autres fruits, n’estpas une option envisageable et une monétisation qui repose surcette approche est tout à fait inacceptable. On peut toutefois sedemander pourquoi cela est même acceptable pour les biens deconsommation ordinaires puisqu’eux aussi ne sont pas indéfini-ment substituables. Les utilités individuelles ne sont généralementpas linéaires. Comment alors justifier une évaluation monétairedans le contexte des biens ordinaires ? Les manuels s’appuient géné-ralement sur un raisonnement à la marge (c’est-à-dire concernantdes variations infinitésimales), mais ce type de raisonnement a unevaleur limitée car il ne permet pas d’évaluer des variations nonmarginales. Une autre justification répandue met en œuvre unraisonnement basé sur les préférences révélées. Un panier achetépar un consommateur est « révélé préféré » à tous ceux qui valentmoins cher, puisque le consommateur aurait pu les acheter et achoisi de ne pas le faire. Par extension, on peut calculer la valeurde vecteurs en pondérant les quantités par des prix égaux aux tauxmarginaux de substitution : un vecteur est « révélé préféré » à tousles vecteurs dont la valeur (calculée aux taux marginaux de substi-

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tution) est inférieure si les préférences sont convexes. La limite decette approche est qu’elle ne permet que des comparaisons par-tielles (un vecteur dont la valeur est supérieure à celle du vecteuren cours ne peut être classé), provoquant souvent l’indécision, etne produit jamais qu’un jugement qualitatif – amélioration oudétérioration – des évolutions observées.La justification la plus plausible de l’évaluation monétaire desniveaux de vie consiste à se référer à une logique non-welfaristecentrée sur les ressources. Si l’on veut ignorer les différences depréférences et de fonctions d’utilité entre les individus pour neconsidérer que les possibilités qui sont offertes à eux en termes deressources, leurs ensembles de budget sont relativement bienmesurés par leur revenu ou par la valeur de leurs dépenses. Cetteapproche a d’ailleurs le mérite de respecter, tout de même, lespréférences des individus puisque, pour des préférences données,un revenu plus élevé va de pair avec une satisfaction plus élevée.On voit immédiatement les conditions nécessaires pour rendrecette approche plausible. Il faut d’une part que les individus aientréellement accès à l’ensemble de budget et ne soient pas soumis àdes rationnements variables d’un individu à l’autre. D’autre part,les prix doivent être les mêmes pour tous, car les comparaisonsde revenu perdent leur sens si les prix diffèrent. Les difficultéssoulevées par les calculs de parité de pouvoir d’achat sont sérieuseset les méthodes correctives usuelles, insatisfaisantes car elles nerespectent pas les préférences individuelles.Ces conditions – ensembles de budget, prix identiques – nepeuvent s’appliquer à la santé, qui n’est pas choisie dans unensemble de budget linéaire mais dans un ensemble bien pluscompliqué, avec des inégalités d’accès entre personnes plus oumoins bien dotées en matière de potentiel santé. Il faut doncrejeter une monétisation directe, simpliste, de la santé. Cette posi-tion de principe n’est toutefois pas du tout incompatible avec lareconnaissance de la nécessité d’évaluer les mérites relatifs de lasanté et d’autres priorités de la vie. Une telle évaluation est indis-pensable pour les grands choix relatifs au système de santé, enparticulier le volume de l’enveloppe globale consacrée à la santé,mais également le partage entre prise en charge publique et

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dépenses privées, et peut aussi s’avérer utile pour mieux estimerles enjeux des inégalités sociales de santé. Concernant ce dernierpoint, on peut par exemple noter que la corrélation entre santé etstatut socio-économique ne revêt pas la même importance selonque la santé et le revenu sont fortement substituables ou complé-mentaires. En cas de complémentarité très forte, une réduction dela corrélation qui laisserait les distributions inchangées dans chacundes domaines ne produirait pas d’amélioration sensible de la situa-tion de la population (car, dans le cas de complémentarité, les plusdéfavorisés regroupent les pauvres – qu’ils soient en bonne santéou malades – et les malades – qu’ils soient riches ou pauvres) 1,alors qu’elle serait très appréciable dans le cas contraire (les plusdéfavorisés étant alors ceux qui sont à la fois pauvres et malades,leur nombre baissant donc si la corrélation était réduite) 2.En résumé, la nécessité d’évaluer la santé en concurrence avecd’autres usages possibles des ressources disponibles s’impose parles décisions qui sont à prendre au niveau collectif, en matière depolitiques publiques, mais se défend également directement, sur leplan normatif, par le souci de respecter les préférences des popu-lations concernées, pour lesquelles ce genre d’arbitrage fait partiede la vie quotidienne et des choix personnels de mode de vie. Unemonétisation directe, affectant un prix à la santé et suggérant unesubstituabilité parfaite, étant à proscrire, il faut chercher d’autresvoies pour rationaliser de tels arbitrages.

3. L’ANALYSE COÛT-BÉNÉFICE ET SES LACUNESNon seulement la prise en compte des arbitrages santé-consommation est possible et souhaitable, mais elle peut s’appuyersur une forme de monétisation, dont il faut souligner la différenceavec celle décrite dans la section précédente. Ce ne sont pas des1. Pour illustrer ce point, prenons comme exemple une fonction d’util ité

min{c, h}. Les individus ayant les vecteurs (0, 1) et (1, 0) sont considérés au mêmeniveau que ceux ayant le vecteur (0, 0).

2. Illustration : si la fonction d’ut i l i té est c + h, alors les individus ayant (0, 0) sontconsidérés plus défavorisés que ceux ayant (1, 0) ou (0, 1).

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prix (même estimés par des taux marginaux de substitution) qu’ilfaut appliquer à un « bien » santé, mais des consentements à payer,comme le propose l’analyse coût-bénéfice. Dans cette section nousallons voir que le recours aux consentements à payer élimine lesproblèmes soulevés par la monétisation en termes de prix, bienque certains types d’analyse coût-bénéfice demeurent insatis-faisants à d’autres égards.Le principe de l’analyse coût-bénéfice, appliqué à la santé, est lesuivant. Une évolution conjointe de la situation d’une personne enmatière de revenu et de santé peut se ramener à une évolutionéquivalente en termes de revenu si l’on peut calculer ce que cettepersonne aurait exigé pour bénéficier d’une augmentation du seulrevenu en lieu et place de la double amélioration du revenu et de lasanté qui a été enregistrée. Becker et alii [(2005)] et Murphy etTopel [(2006)] ont ainsi calculé l’équivalent monétaire de la haussede l’espérance de vie observée au cours des dernières décenniesdans divers pays.Une première différence avec la monétisation par les prix est laprise en compte du degré de substituabilité entre revenu et santé.Au lieu de calculer l’évolution monétaire équivalente ∆c * par laformule :∆c * = ∆c + q∆h,

comme on le ferait avec une formule de prix linéaire, on calcule∆c * en résolvant l’équation :

u(c + ∆c *, h) = u(c + ∆c, h + ∆h),ce qui tient compte des préférences (représentée ici par la fonctiond’utilité indirecte u) de façon plus flexible et fidèle puisque lasubsitution entre c et h n’y est pas figée comme avec q.Une seconde différence, plus essentielle sur le plan desprincipes, est qu’il n’est pas question ici de mesurer la situationglobale de la personne (ou de la population) par un montantmonétaire total analogue à c+qh. On se borne à évaluer un équi-valent monétaire de la modification de la situation, étant entendu quela santé conserve une place propre, irréductible à la monétisation,dans l’expression u(c + ∆c *, h). Alors que la mesure c + qh semble

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jauger les personnes d’après leur volume monétaire, l’approchedécrite ici respecte la valeur subjective de la santé sans chercher àl’objectiver sous forme monétaire – seule la variation esttransformée en équivalent monétaire.Ce type d’approche est courant en analyse coût-bénéfice, avecdes variantes. Quand on demande aux personnes interrogées dansune enquête d’évaluation contingente ce qu’elles seraient prêtes àpayer pour tel ou tel programme de santé, ou telle ou telle modi-fication de leur environnement, on cherche à calculer une « varia-tion compensatoire », alors que le calcul précédent représentait lecalcul d’une « variation équivalente ». Appliquée à l’évaluation del’évolution de la situation consommation-santé de la population, laformule de la variation compensatoire reviendrait à résoudrel’équation :u(c + ∆c – ∆c **, h + ∆h) = u(c, h),

ce qui est, au signe près, identique à la formule précédente aprèsun renversement des rôles entre le point de départ (c, h) et le pointd’arrivée (c + ∆c, h + ∆h).On ne saurait trop insister sur le fait que cette approche nemonétise pas l’ensemble de la situation des personnes, mais seule-ment la variation (∆c, ∆h). Elle vise donc seulement à capturer ledegré de substitution que les personnes sont prêtes à opérer entrela santé et la consommation, sans remettre en cause le statutfondamental de la santé dans la situation globale des personnes. Sil’on accepte l’idée, défendue dans la section précédente, que de telsarbitrages entre la santé et d’autres dimensions de la vie sont envi-sageables et même raisonnables, on n’a aucune raison de s’opposerà ces calculs.En outre, le rôle de la monnaie dans ces calculs est contingent.Il est commode de raisonner en unités monétaires, mais du pointde vue formel on pourrait adopter un autre numéraire. En parti-culier, on pourrait calculer la variation équivalente en termes desanté plutôt que de revenu en résolvant l’équation suivante :u(c, h + ∆h *) = u(c + ∆c, h + ∆h).

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Les risques que cette équation n’ait pas de solution bien définiesont toutefois plus grands, car si la santé a un maximum (la« bonne santé »), il peut arriver qu’un accroissement ∆h * ne soitpas possible ou pas suffisant pour imiter l’augmentation de satis-faction produite par l’amélioration conjointe (∆c, ∆h). Par ailleurs iln’existe pas d’indice synthétique parfaitement mesurable et suffi-samment consensuel pour mesurer la santé, ce qui fait un grandcontraste avec la monnaie. En particulier, dans l’approche quiprend c comme numéraire, h peut être un vecteur décrivant lesdifférentes dimensions de la santé, sans qu’il soit besoin deconstruire au préalable un indice synthétique de santé. L’utilisationdu numéraire monétaire présente donc beaucoup d’avantagesconceptuels et pratiques.Tout ceci étant dit, il reste que l’analyse coût-bénéfice estégalement problématique. Une première difficulté provient du faitque la mesure de la variation compensatoire ou équivalente dépendd’une référence qui est, respectivement, soit la situation finale soitla situation initiale. Si l’on souhaite apprécier la situation globaledes individus, ou des évolutions successives, on n’obtient pas avecces concepts des mesures fiables. Comment comparer deuxindividus qui ont des variations équivalentes identiques mais dessituations initiales différentes, ou des préférences différentes ?Comment évaluer l’évolution sur plusieurs périodes de la situationd’un individu pour lequel on ne connaît que la suite de variationséquivalentes calculées inévitablement à partir de références diffé-rentes ? Une autre difficulté provient du fait que pour évaluerla situation globale de la population, on se contente souventd’additionner les variations compensatoires ou équivalentes entredes individus aux situations inégales. Cela revient à ignorer qu’uneaugmentation (réelle ou équivalente) de revenu peut avoir plus devaleur sociale si elle concerne une personne plus démunie. Unesomme positive peut donc cacher le fait que les plus aisés sont lesprincipaux bénéficiaires du changement considéré, au détrimentdes plus défavorisés dont le consentement à payer est, en raison

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de l’effet revenu, plus faible 3. Cette difficulté est bien connue etconduit souvent les praticiens à introduire des poids inversementproportionnels au revenu dans le calcul de la somme des varia-tions. Il s’agit toutefois d’un expédient et le choix des poids resteune source d’embarras qui conduit trop souvent le praticien à nepas en introduire, oubliant que l’absence de pondération constitueen réalité l’une des pondérations les plus discutables. Une troisièmedifficulté, qui résulte de la combinaison des facteurs à l’origine desdeux difficultés précédentes – à savoir l’addition et les référencesglissantes – est que le classement d’options variées à l’aide ducritère de la somme des variations peut ne pas être transitif.

4. REVENU ÉQUIVALENT ET ÉVALUATIONCes difficultés associées à l’analyse coût-bénéfice ont amené sesthéoriciens à raffiner l’approche en se tournant vers des fonctionsde bien-être social 4. Le recours à de telles fonctions pour évaluerles situations d’ensemble de la population résout en effet, enthéorie, tous les problèmes : la transitivité est garantie, une certainepriorité pour les plus défavorisés est aisément introduite, et l’éva-luation porte bien sur la situation globale, pas seulement sur lesmodifications de situations. Comme on peut le craindre, cette solu-tion crée d’autres difficultés, la principale consistant à préciser lamesure des utilités individuelles qui constituent l’argument de lafonction de bien-être social. La spécification des fonctions d’utilitéindividuelles semble particulièrement ardue quand les individusont des préférences hétérogènes. En raison de ces difficultés,les praticiens ont encore généralement recours aux variationscompensatoires ou équivalentes.Dans le contexte de l’arbitrage consommation-santé, Fleurbaey[(2005)] et Fleurbaey et alii [(2008)] proposent de calibrer les utilitésindividuelles en termes de « revenu équivalent » (ou de consom-3. Les conclusions tirées par Murphy et Topel [(2006)] en matière de politique de

santé sont entâchées par ce biais en faveur des riches.4. Cf. Drèze et Stern [(1987)], Layard et Glaister [(1994)].

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mation équivalente). On peut faire remonter cette idée, du côtéde la théorie du consommateur, à Samuelson [(1974)], Samuelsonet Swamy [(1974)], et surtout à King [(1983)]. L’idée consiste àmodifier l’équation qui sert au calcul de la variation équivalente,en prenant comme référence une valeur fixe � de la santé et encalculant le niveau de consommation c * qui donnerait, en combi-naison avec �, la même satisfaction que la situation courante (c, h) :u(c *, �) = u(c, h).

Ce calcul revient à remplacer la diversité des situationsindividuelles (c, h) par une situation équivalente où les individusjouissent tous du même niveau de santé � et ne diffèrent plus quepar la consommation c *, ainsi que par leurs préférences.Quel avantage y a-t-il à raisonner sur des situations équivalentes(c *, �) plutôt que sur les situations réelles (c, h) ? L’idée est que sile niveau de référence � est bien choisi, il peut être permis decomparer les individus simplement par c *. Cela suppose que dessituations (c *, �) peuvent être comparées en termes de c * quelle quesoit l’hétérogénéité des préférences individuelles. Existe-t-il unniveau � qui autorise de telles comparaisons ? Les textes citéssuggèrent que la « bonne santé » est le niveau adéquat. Si on veutcomparer des personnes en bonne santé et qui ne diffèrent que parleur revenu et leur préférences, ne peut-on dire qu’un revenu plusélevé est le signe d’une situation plus avantageuse ? C’est ce qu’ondit habituellement dans le contexte ordinaire du consommateuret dans la perspective non welfariste décrite en section 2. Dans lecontexte simple du consommateur où la santé n’entre pas en lignede compte, comparer les revenus est une approche raisonnable. Cen’est pas une grande extension que de considérer que les compa-raisons en termes de revenus sont également légitimes quand lasanté est intégrée dans l’analyse et quand toutes les personnesconcernées sont en bonne santé.A contrario, si l’on prenait un niveau de santé � médiocre, ilserait beaucoup plus discutable de procéder de la sorte. Deuxpersonnes ayant la même santé médiocre peuvent en ressentir leseffets très différemment, notamment en raison de différences dansleur projet et leur style de vie. Une mobilité réduite peut sembler

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beaucoup plus handicapante à une personne ayant le goût de larandonnée qu’à une personne d’intérieur. Comparer ces personnessimplement en termes de revenu, sans tenir compte de leurs préfé-rences en matière d’arbitrage consommation-santé, ne paraîtraitpas respectueux de leur spécificité. Si l’on accepte ce raisonnement,on peut alors utiliser les « revenus équivalent-santé » (ou consom-mations équivalentes) c * comme arguments d’une fonction debien-être social. Le fait que les utilités soient ainsi mesurées enunités monétaires ne signifie pas, contrairement à ce qu’une lecturesuperficielle peut suggérer, que tout est ramené à de l’argent.En effet, les situations équivalentes sont des vecteurs (c *, �) où la(bonne) santé a toute sa place et n’est pas remplacée en tant quetelle par de l’argent. Simplement, si l’on pense que pour une popu-lation en bonne santé il est acceptable de comparer les situationsindividuelles en termes de revenu, comme on en a défendu l’idéedans la section 2 dans une perspective non welfariste 5, alors, pourdes personnes hétérogènes en matière de santé, il est justifié, pourrespecter leurs préférences, de commencer par calculer des situa-tions équivalentes de bonne santé avant de procéder comme dansle cas où toute la population est en bonne santé.En procédant ainsi, on respecte les préférences individuellesparce que si l’individu préfère une situation à une autre, parexemple si u(c', h') > u(c, h), alors nécessairement les revenuséquivalents correspondants sont rangés de la même façon, puisque :u(c' *, �) > u(c *, �)u(c', h') > u(c, h).

5. Il a été indiqué dans la section 2 que les comparaisons en termes de revenu ne sontraisonnables que si les individus sont soumis aux mêmes prix sur le marché. Quand cen’est pas le cas, l’approche équivalente apporte là encore une solution intéressante : elleconsiste à fixer des prix de référence et à se demander quel niveau de revenu, en présencedes prix de référence, permettrait à l’individu d’obtenir son niveau de satisfactioncourant. C’est d’ailleurs dans ce contexte que le revenu équivalent a été introduit àl’origine par Samuelson et par King. On voit qu’il est, en théorie, aisé de combiner celaavec un niveau de référence pour la santé, pour tenir compte à la fois des différences deprix et des inégalités de santé, tout en respectant les préférences individuelles.

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En outre, les problèmes de l’analyse coût-bénéfice sont évitéspuisque la fixité de la référence � et l’usage d’une fonction de bien-être social garantissent la transitivité des évaluations, tandis qu’unepriorité pour les plus défavorisés peut être introduite dans lafonction de bien-être social. Les plus défavorisés en termes derevenu équivalent-santé sont les personnes qui ont les revenus lesplus faibles, les niveaux de santé les plus médiocres, et qui donnentle plus d’importance à la santé dans leurs préférences. Cette carac-térisation des plus défavorisés semble pour le moins raisonnable.Avec cette approche, les modifications (∆c, ∆h) sont évaluéesen examinant les modifications induites de la distribution des c *

dans la population. On voit ainsi la grande différence avec l’addi-tion de consentements à payer définis spécifiquement pour cesmodifications.On obtient ainsi une mesure de la situation sociale d’ensemble,du moins dans le domaine de la consommation et de la santé, quipermet de réfléchir à l’évaluation des politiques de santé, des inéga-lités sociales de santé, et de tous les problèmes qui concernentl’arbitrage entre santé et autres usages des ressources disponibles.

CONCLUSIONLe message principal de cet article est que l’usage de l’étalonmonétaire dans l’évaluation économique du système de santé oudes politiques de santé ne repose pas, ou du moins pas nécessai-rement, sur une conception étroitement matérialiste de la vie quiidentifierait les individus à leur richesse ou à ce qu’ils sont capablesde produire. Même les usages les plus traditionnels de l’analysecoût-bénéfice ne font qu’estimer des modifications équivalentes derevenu tout en laissant, de façon implicite, la santé garder toute saplace dans la fonction d’utilité individuelle. Il peut arriver que,dans certains calculs de la variation équivalente, on aboutisse à desvaleurs pour une année de vie supplémentaire qui soient propor-tionnelles au revenu potentiel de la personne considérée [Murphyet Topel (2006)]. L’addition de ces valeurs sur plusieurs années devie gagnées, puis sur plusieurs individus, peut donner l’impression

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que les individus ne valent que ce qu’ils gagnent sur le marché dutravail. Cette impression se confirme quand on compte la naissanced’individus supplémentaires de cette façon, comme le font Murphyet Topel. Mais, hormis ce dernier calcul effectivement injustifié (lavaleur d’un individu nouveau n’a pas de raison d’être une simpleextension de la variation équivalente associée à l’allongement de ladurée de vie pour des individus existants), l’approche doit êtrelavée de tout soupçon de matérialisme marchand étroit. Qu’unevariation (∆c, ∆h) soit équivalente, aux yeux mêmes des personnesconcernées, à une variation (∆c *, 0), permet de faire comme si laseule variation observée était dans le registre monétaire, mais sansoublier que la satisfaction des individus, la valeur de leur vie,dépend autant que l’on veut, ou plutôt autant qu’ils le veulenteux-mêmes, de leur niveau de santé.La même argumentation s’applique, mutatis mutandis, àl’approche en termes de revenu équivalent-santé. Si les situations(c, h) sont équivalentes, aux yeux mêmes des personnes concernées,à des situations (c *, �), cela permet, sous certaines conditions rela-tives au bon choix de �, de comparer les situations individuellessimplement en termes de c *. Là encore, ces comparaisons n’amoin-drissent pas l’importance spécifique, l’irréductibilité de la santé.Elles lui attribuent exactement l’importance que les personnesconcernées elles-mêmes lui donnent. Une telle approche rendpossible une évaluation économique des systèmes de santé et despolitiques de santé qui soit respectueuse des attitudes de la popu-lation, dans toute leur diversité, à l’égard de la santé et des autresdimensions de la vie.

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