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RÉSUMÉ Les numismates sont restés à l’écart des débats sur le développement des surveys, d’autant plus que les monnaies ainsi recueillies n’ont été au mieux publiées que sous forme de listes. Une approche globale de l’occupation humaine et de l’exploitation de la région étudiée permet cependant d’évaluer la monétarisation de la Grèce antique. La méthode appliquée en Messénie fait apparaître la lente diffusion de la monnaie depuis Messène et les ports (dès le IV e s.) jusqu’aux campagnes (au II e ). Cet article analyse l’apport des monnaies à l’étude de l’occupation de la campagne béotienne, telle que l’établit l’équipe du survey béotien. On constate une convergence entre les monnaies du survey et celles trouvées dans les fouilles. Les résultats, assez différents de ceux de la Messénie, montrent que les périodes classique et hellénistique sont celles de la plus grande diffusion spatiale, avant un recul sous l’Empire. SUMMARY The numismatists were not involved in the debates about the achievements of the surveys, perhaps because only short lists of the discovered coins have been published. However a systematic approach to the population and its economic activities in certain areas may give indications about the problem of monetization in ancient Greece. The use of this method in Messenia has shown a slow spreading of coinage from Messene and its surrounding harbours (as early as the 4th c. BC) to the countryside (in the 2nd c. BC). This paper attempts to analyse the contribution of coinage to our knowledge of human activities in the Boeotian countryside. A convergence appears between the coins found in the surveys and those from the excavations. The results suggest that considerations of spatial occupation were most important during the Classical and the Hellenic periods and before the decline set during the Empire. - , . . ( 4 .) (2 .). , . . , , , . BCH Suppl. 53 La circulation monétaire à Thespies (Béotie) Catherine GRANDJEAN Université François-Rabelais (Tours) / CETHIS (EA 4247)

La circulation monétaire à Thespies

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RÉSUMÉ Les numismates sont restés à l’écart des débats sur le développement des surveys, d’autant plus que lesmonnaies ainsi recueillies n’ont été au mieux publiées que sous forme de listes. Une approche globalede l’occupation humaine et de l’exploitation de la région étudiée permet cependant d’évaluer lamonétarisation de la Grèce antique. La méthode appliquée en Messénie fait apparaître la lente diffusionde la monnaie depuis Messène et les ports (dès le IVe s.) jusqu’aux campagnes (au IIe). Cet article analysel’apport des monnaies à l’étude de l’occupation de la campagne béotienne, telle que l’établit l’équipedu survey béotien. On constate une convergence entre les monnaies du survey et celles trouvées dans lesfouilles. Les résultats, assez différents de ceux de la Messénie, montrent que les périodes classique ethellénistique sont celles de la plus grande diffusion spatiale, avant un recul sous l’Empire.

SUMMARY The numismatists were not involved in the debates about the achievements of the surveys, perhapsbecause only short lists of the discovered coins have been published. However a systematic approachto the population and its economic activities in certain areas may give indications about the problemof monetization in ancient Greece. The use of this method in Messenia has shown a slow spreading ofcoinage from Messene and its surrounding harbours (as early as the 4th c. BC) to the countryside (inthe 2nd c. BC). This paper attempts to analyse the contribution of coinage to our knowledge of humanactivities in the Boeotian countryside. A convergence appears between the coins found in the surveysand those from the excavations. The results suggest that considerations of spatial occupation were mostimportant during the Classical and the Hellenic periods and before the decline set during the Empire.

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BCH Suppl. 53

La circulation monétaire à Thespies (Béotie)

Catherine GRANDJEAN

Université François-Rabelais (Tours) / CETHIS (EA 4247)

Le développement des prospections (surveys) est un fait marquant de la recherche archéologique enGrèce continentale et insulaire depuis les années 1970. Le livre de Susan Alcock, Graecia Capta, amontré l’intérêt de cette approche pour l’histoire des paysages grecs et la définition des régions etmicro-régions, mais aussi ses limites 1. Les prospections ont en effet suscité de très vifs débatsméthodologiques entre archéologues sur les problèmes de définition des «!régions!», des «!sites!» etdes villae. La modestie des surfaces prospectées (1 et 2% du Péloponnèse, région qui a fait pourtantl’objet de nombreuses campagnes) et les imprécisions quant à la chronologie (liée souvent à celle dela céramique commune) invitent aussi à la prudence dans l’exploitation des données 2.

Les numismates sont restés à l’écart de ces débats. Du point de vue du numismate, il est clair apriori que les prospections marquent un recul par rapport aux fouilles archéologiques modernes :elles livrent peu de monnaies et, quand il y en a, ce sont généralement des monnaies glanées ensurface. De fait, les monnaies trouvées lors des prospections sont rarement publiées et, quand ellesle sont, c’est sous forme de liste des séries représentées, avec parfois des corpus des ateliers des zonesprospectées 3. Au manque d’intérêt des numismates répond celui des auteurs de prospections quinégligent l’apport de la circulation monétaire à leur réflexion sur l’organisation des paysages et ladynamique centre / périphérie (au niveau de la «!région!», entre asty et chôra). De fait, la tendanceactuelle des historiens économistes anglais à réévaluer le rôle des échanges micro-régionaux dans lemonde antique et médiéval, à partir du témoignage des prospections, s’accompagne aussiimplicitement d’une remise en cause du rôle de la monnaie dans la vie économique 4.

Pourtant, « la monnaie s’imbrique, où qu’elle soit, dans tous les rapports économiques et sociaux!;elle est par suite un merveilleux indicateur!: à la façon dont elle court, dont elle s’essouffle, dont ellese complique, ou dont elle manque, un jugement assez sûr peut être porté sur l’activité entière deshommes, jusqu’au plan le plus humble de leur vie!» 5.

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1. S. E. ALCOCK, Graecia Capta. The Landscapes of Roman Greece (1993).2. Cf. R. ÉTIENNE, Chr. MÜLLER, Fr. PROST, Archéologie historique de la Grèce antique (2001), p. 97-102, 320 sqq.!; cf.

aussi D. ROUSSET, «!La cité et son territoire dans la province d’Achaïe et la notion de “Grèce romaine”!», Annales (HSS)(mars-avril 2004), p. 363-383 et M. BRUNET, «!Le territoire de Thasos!», dans L’Espace grec. Cent cinquante ans defouilles de l’École française d’Athènes (1996), p. 51-58. A. D. RIZAKIS, R. DALONGEVILLE, M. LAKAKIS, Paysages d’AchaïeI, Meletèmata 15 (1992), p. 37, manifestent une prudence exemplaire : «!à côté des sites pour lesquels les indices directsou indirects suggèrent l’existence d’un habitat organisé, il en existe, malheureusement, un très grand nombre d’autresdont les vestiges repérés ne sont ni suffisants ni significatifs pour déduire avec certitude leur étendue ou leur caractère!».

3. Cf. notamment K. KONUK, «!Les monnaies!», dans P. DEBORD, E. VARINLIOGLU (éds), Les hautes terres de Carie (2001),p. 77-79!; Chr. PAPAGEORGIADOU-BANIS, The Coinage of Kea, Meletèmata 24 (1997).

4. Cf. P. HORDEN, N. PURCELL, The Corrupting Sea. A Study of Mediterranean History (2000), p. 558 et J. DAVIES,«!Introduction!», dans Z. H. ARCHIBALD et al. (éds), Hellenistic Economies (2001), p. 11-62!: à leurs yeux, les échangesmicro-régionaux prévalaient dans le monde grec y compris à l’époque hellénistique, la monnaie jouant un rôle mineur.

5. F. BRAUDEL, Civilisation matérielle, économie et capitalisme XVe-XVIIIe s. I (1979), p. 383. F. Braudel adopte évidemment(p. 418-419) une définition large de la monnaie qui inclut notamment les formes de monnaies qu’il qualifie de«!primitives!» (cauris, lingots, etc.) : «!tout est monnaie, tout est crédit!».

Il est évidemment souhaitable d’inscrire la monnaie dans ces débats, ce qui passe par une approcherégionale de la circulation et, partant, de la monétarisation.

I. POUR UNE APPROCHE SPATIALE DE LA MONÉTARISATIONIl existe deux méthodes pour mesurer la monétarisation, c’est-à-dire le rôle de la monnaie dans lestransactions (étalon de valeur, moyen de paiement, moyen d’accumulation de valeur).

La première méthode est utilisée dans les États industrialisés. Les économistes la mesurent aumoyen du taux de monétarisation, rapport entre les biens faisant l’objet de transactions monétaireset les autres, soit le pourcentage commercialisé du PIB (Produit Intérieur Brut!: agrégat mesurant lapro duc tion de biens et de services dans un pays). Son calcul prend en compte la masse monétaire,qui inclut toutes les formes de la monnaie, depuis les espèces sonnantes et trébuchantes (7% de cequi circule aujourd’hui dans l’Union européenne) jusqu’à la monétique et aux titres du marchémonétaire (au sein de l’Union européenne, cela correspond aux agrégats monétaires M1 à M3) 6.

Nous ne connaissons ni le PIB, ni la population, ni l’évolution des prix, ni la vitesse de circulationde la monnaie des États grecs antiques, données indispensables pour quantifier le rôle économiquede la monnaie frappée dans un monde où, de surcroît, d’autres outils monétaires sont bien attestés.En outre, un grand nombre d’émissions monétaires grecques frappées par des cités moyennes oupetites sont connues en trop peu d’exemplaires pour être prises en compte sérieusement dans desesti ma tions de la production (la réponse statistique est alors impossible ou la fourchette obtenue esttrop large pour être utilisable). La production d’argent concernée représente probablement bienmoins au total que celle des grands États, mais ce n’est certainement pas le cas des monnaies debronze. En outre, l’histoire grecque ne se résume pas à celle d’Athènes, de Syracuse, des Koina et desroyaumes hellénistiques ; c’est celle des petites et moyennes cités qui en forme la trame 7.

En l’absence d’un nombre significatif de placements à vue rémunérés, c’est plutôt «!les termesd’une fourchette plausible!» du taux de liquidité, rapport entre les disponibilités monétaires (M1)et le PIB, qui ont été proposés, par analogie avec l’Inde d’avant 1950, autre économie préindustrielle(taux de monétarisation de 60%), pour le Haut Empire romain (moins de 50%! pour R. W. Gold -smith!; environ 30% pour K. Hopkins) et l’Empire byzantin (autour de 46% pour C. Morrisson).Celui de la France au milieu du XVIIIe s. pourrait avoir été de 35% environ 8. Je me suis amusée aussi

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6. Le taux de monétarisation est aujourd’hui de 100% en France dans la mesure où l’on ne prend en compte dans le calculdu PIB que les produits et services qui passent par le marché. Je remercie J. Cartelier, C. Morrisson et B. Théret deleurs avis – divergents – sur ces points.

7. L’approche quantitative pose des problèmes méthodologiques multiples liés notamment à la pauvreté de la documen -tation textuelle (voir le dossier amphictionique) et aux refontes qu’on ne peut quantifier. L’estimation statistique dunombre originel de coins (et non du nombre de monnaies, donnée bien trop hypothétique) me semble intéressantedans deux optiques!: pour mesurer notre degré de connaissance du matériel!; pour la comparaison entre les monnayages.

8. Cf. C. MORRISSON, «!Byzantine Money!: Its Production and Circulation!», dans A. LAIOU et al. (éds), The EconomicHistory of Byzantium (2002), p. 909-965, sp. 949!; J. ANDREAU, Banque et affaires dans le monde romain (2002).

à calculer un taux de «! liquidité du timèma » pour Messène à partir du dossier épigraphique del’oktôbolos eisphora 9.

Il paraît bien préférable d’adopter une autre méthode devenue classique pour approcher lamonétarisation des économies préindustrielles. Elle a été utilisée par l’historien moderniste françaisJean Meuvret dans une étude qui a fait date sur la monnaie dans la France des XVIe et XVIIe s.J. Meuvret y a montré que la monnaie de forte valeur se concentrait surtout dans les grandes villes,les ports, et les lieux proches des grandes voies de communication 10 ; bien différent était le cas despetites villes isolées et des campagnes où l’on ne rencontrait des monnaies de forte valeur qu’aumoment de la vente des grains et des établissements de crédit que lorsque la monnaie était trèsabondante et jouait un rôle important dans les échanges.

Le développement de systèmes monétaires comprenant de nombreuses dénominations avec lacréation de subdivisions de très faible valeur va dans le même sens, celui d’un développement de lamonétarisation. Bref, une approche de la monétarisation est possible par l’étude de la production,de la circulation et de la documentation textuelle sur les transactions. Elle implique finalement uneapproche globale de l’occupation humaine et de l’exploitation de la région étudiée, dans laquellel’étude des paysages n’est pas une variable négligeable.

À l’occasion des entretiens d’histoire économique de Saint-Bertrand-de-Comminges sur leséconomies hellénistiques, j’ai appliqué cette méthode d’approche qualitative et spatiale de lamonétarisation à la Messénie, qui présente le double avantage d’avoir découvert la monnaie frappéeà une date tardive (et donc pas trop mal documentée) en raison de l’interdit spartiate et d’avoir faitl’objet de plusieurs prospections, sans compter les travaux pionniers du Suédois N. Valmin avant laseconde guerre mondiale. Des fouilles très fécondes sont menées en outre depuis les années 1950 parla Société archéologique sur le site de l’ancienne Messène / Mavromati. Mes conclusions étaient quela monnaie s’était diffusée lentement dans cette région quasiment privée de monnaies jusqu’à labataille de Leuctres. La monnaie y est présente au IVe s. à Messène et dans les ports de Pylos et deKyparissia, mais il faut attendre le IIe s. av. J.-C. pour voir se diffuser la monnaie de bronze dans les

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9. Pour la Messénie de la basse époque hellénistique, nous disposons, à défaut du PIB, du timèma dressé dans le dossierde l’oktôbolos eisphora qui doit dater du Ier s. av. J.-C.!: il s’élève à 1256 talents attiques, cf. A. GIOVANNINI, Rome et lacirculation monétaire en Grèce au IIe s. avant J.-C. (1978), p. 115-123. D’après le nombre de coins de droit de moncorpus monétaire (Les Messéniens de 370/369 au Ier siècle de notre ère. Monnayages et histoire, BCH Suppl. 44 [2003]), laquantité d’argent frappé du IIe au Ier s. pourrait s’élever (si l’on prend la valeur de 30 000 monnaies par coin de droit)à plus de 9 tonnes d’argent, soit 360 talents attiques!; à cela il faudrait ajouter le bronze, près de 40 tonnes!: à défautd’un taux de monétarisation (nous ne connaissons pas la vitesse de circulation de la monnaie et donc pas la massemonétaire), cela donne ce que j’appellerais un «!taux de liquidité du timèma » de 30% environ. Ce taux rappellel’estimation de K. Hopkins pour l’Empire romain, mais si l’on choisit une estimation basse du nombre de monnaiesfrappées qui est aussi plausible (5000 par coin de droit), on obtient 1,5 tonnes d’argent, soit 60 talents attiques, et6,66 tonnes de bronze, ce qui n’est pas tout à fait la même chose...

10. J. MEUVRET, «!Circulation monétaire et utilisation économique de la monnaie dans la France du XVIe et du XVIIe siècle!»,Études d’histoire économique, Cahiers des Annales 32 (1971), p. 125-137!; cf. aussi Chr. HOWGEGO, «!The Supply andUse of Money in the Roman World 200 B.C. to A. D. 300!», JRS 82 (1992), p. 1-31.

petites villes et leurs sanctuaires!; les très rares monnaies trouvées lors des prospections dans la régiondepuis les années 1970 ne permettent pas de se faire une idée de la situation des campagnes 11.

Des ébauches de recherche similaires pour l’Achaïe, l’Aktè d’Argolide (Hermioné et Halieis) et laBéotie, régions qui ont fait l’objet de prospections récentes, débouchaient sur quelques hypothèsesde travail demandant à être précisées. Dans les trois cas évoqués, l’acmé de l’occupation et del’exploitation agricole du territoire paraît avoir vu la production monétaire la plus abondante. Cettecoïncidence invite à s’interroger sur les liens entre la production monétaire et les besoins / ressourcesdes cités! : les besoins militaires n’expliquent sans doute pas tout. En Hermionide et en Béotie,l’acmé de l’occupation et de la production monétaire semble se situer au IVe et au IIIe s. av. J.-C.,alors qu’en Achaïe, il faut attendre la basse époque hellénistique. Les monnaies de forte valeur(tétradrachmes et statères) et les institutions de crédit restent, bien plus encore que dans la Franced’Ancien Régime, confinées aux villes principales, aux ports, aux villes proches de sanctuairesimportants, cela quelle que soit la période dans ces régions grecques rurales et dépourvues de minesd’argent, mais ouvertes sur la mer et dotées de ports.

II. LE SURVEY BÉOTIENÀ la suite de ce premier travail, John Bintliff et Anthony Snodgrass m’ont demandé de rejoindrel’équipe du survey béotien pour étudier leurs monnaies et mettre mes projets de recherche sur lespaysages via l’étude de la circulation à l’épreuve du terrain.

Le survey béotien, commencé en 1979, a porté d’abord sur les cités de Thespies et d’Haliarte,incluant le Val des Muses et Askra, soit au total 137 hectares, de Thespies au Copaïs. Il s’est étenduensuite à Hyettos au Nord de la Béotie (30 ha), puis à Coronée (50 ha) et à Tanagra.

Les conclusions du survey quant aux structures et à l’évolution des paysages et de l’occupationhumaine de la région sont désormais bien connues. La Béotie est un monde plein du VIe s. à laseconde moitié du IIIe s. (fig. 1). L’occupation s’organise en réseaux hiérarchisés comprenant unpôle urbain, des villages et, surtout, c’est le principal apport du survey à l’histoire des campagnesgrecques que l’on croyait jusque-là dominées par un habitat groupé, de nombreuses fermes disperséesdans la chôra. Ensuite, vers la fin du IIIe s., le nombre de sites commence à diminuer, les fermesdispersées étant particulièrement touchées! : il ne reste que 30% d’entre elles à la basse époquehellénistique, et si de nouveaux sites ruraux apparaissent, c’est le plus souvent pour une courtedurée. Les sites éloignés des centres urbains et les très petits sites (moins de 0,5 ha) ont disparujusqu’au IVe s. apr. J.-C. et les grands sites (liés à des villages ou à des grands domaines) se sontdéveloppés, avec parfois un habitat monumental, des tours, etc. À ces changements, plusieursexplications ont été avancées!: l’usure des sols, comme en Hermionide et en Attique, les perturbationsliées aux guerres (mais cela ne rend pas compte de la poursuite du phénomène sous le Haut Empire)

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11. C. GRANDJEAN, «!Histoire économique et monétarisation de la Grèce à l’époque hellénistique!», dans R. DESCAT (éd.),Approches de l’économie hellénistique, Entretiens d’archéologie et d’histoire Saint-Bertrand-de-Comminges 7 (2006), p. 195-214.

et, surtout, la présence de nouveaux sites l’atteste, le bouleversement des structures d’exploitation(fig. 2).

Les villes ont subi aussi des changements. La prospection à Haliarte a en revanche confirmél’abandon de la ville après sa destruction par les Romains en 171 et son rattachement à Athènes. Lazone occupée par l’asty de Thespies passe alors, semble-t-il, de 100 à 72 ha, mais Strabon indiqueque la cité, oppidum liberum depuis 47 avant J.-C. par la grâce de César, est florissante 12 ; la citétirait des revenus de son port de Kreusis (9 liménarques étaient élus chaque année pour le gérer) etL. Robert, puis D. Knoepfler ont montré que le Val des Muses (lieu des Mouseia 13), objet de lafaveur des Ptolémées à l’époque hellénistique, avait continué à être fréquenté par des Corinthiens,des Alexandrins, etc. jusqu’au IIIe s. apr. J.-C. 14. À Thespies, comme dans les autres cités prospectées,il faut attendre le IIIe s et surtout le IVe s. apr. J.-C. pour voir se densifier à nouveau le peuplementqui retrouve sur certains sites un niveau comparable à celui de la période classique au IVe s. ap. J.-C.(fig. 3) 15.

III. LES DONNÉES SUR LA MONÉTARISATION DE THESPIES

1. DONNÉES ÉPIGRAPHIQUES ET NUMISMATIQUES

La documentation épigraphique donne à penser que la monétarisation des transactions dans larégion était importante au IIIe s. L’existence d’une banque est attestée à Thespies par l’inscriptiond’Orchomène datée de 223 relative aux tentatives de Nikaréta pour se faire rembourser par la citéd’Orchomène un emprunt de 18 833 drachmes d’argent, soit plus de 3 talents 16 ; le remboursementest effectué par l’intermédiaire de la banque de Pistoclès à Thespies où Nikaréta avait un compte.Le concours annuel des Mouseia de Thespies géré par l’athlothète et doté de prix en espèces et lesbaux de Thespies, qui mentionnent des paiements de loyers et de taxes en drachmes et en oboles àla cité, invitent à aller dans le même sens 17.

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12. Strabon, IX 2, 5. 13. Pausanias, IX 31, 3. 14. L. ROBERT, «!Sur une inscription agonistique de Thespies!», Hellenica II (1946), p. 5 sqq.!; P. ROESCH, Thespies et la

Confédération béotienne (1965), p. 214-219!; D. KNOEPFLER, «!La réorganisation du concours des Mouseia à l’époquehellénistique!: esquisse d’une solution nouvelle!», dans A. HURST et A. SCHACHTER (éds), La montagne des Muses (1996),p. 141-167.

15. J. L. BINTLIFF, A. M. SNODGRASS, « The Cambridge / Bradford Boeotian Expedition!: The First Four Years!», JFA 12(1985), p. 123-161!; id., «!Mediterranean Survey and the City!», Antiquity 62 (1988), p. 57-71!; A. SNODGRASS,«!L’archéologie de prospection et le paysage rural de la cité grecque!», dans O. MURRAY, S. PRICE (éds), La cité grecqued’Homère à Alexandre (1992), p. 138-162!; J. L. BINTLIFF, P. HOWARD, A. M. SNODGRASS, Testing the Hinterland (2008).

16. IG VII, 3172. 17. L. MIGEOTTE, L’emprunt public dans les cités grecques (1984), p. 53-69!; D. KNOEPFLER, loc. cit. (supra n. 14), p. 163-

164!; I. PERNIN, «!Les baux de Thespies!: essai d’analyse économique », dans Chr. CHANDEZON, Chr. HAMDOUNE

(éds), Les hommes et la terre dans la Méditerranée gréco-romaine, Pallas 64 (2004), p. 221-232!; I. PERNIN, «!Les bauxruraux dans la Grèce des cités!», dans P. BRUN (éd.), Économies et sociétés en Grèce classique et hellénistique, Pallas 74(2007), p. 41-74.

L’activité émettrice des ateliers d’Haliarte et de Thespies est bien attestée aussi dès l’époqueclassique (avec des statères de poids éginétique, des hémidrachmes, des oboles et fractions jusqu’autétartémorion et probablement aussi des bronzes) 18. On retrouve ces monnaies dans des trésors duIVe s. (les trésors de Myron en Thessalie, IGCH 62, et de Moulki à côté de Sicyone, IGCH 67), voiredans des trésors plus tardifs comme le trésor de Larissa 1948 (IGCH 239). À ma connaissance,aucune monnaie de ces séries n’a toutefois été trouvée en fouille, ni lors du survey à Thespies et àHaliarte. Jusqu’en 171, il y a en outre le monnayage fédéral béotien d’argent et de bronze, composésurtout de fractions à partir du IIIe s.!: le trésor du Copaïs 1908 (IGCH 229), qui comprend plusd’un millier de monnaies de bronze, les trésors thébains étudiés par T. Hackens dans son articlepionnier sur la circulation monétaire en Béotie ou encore le trésor de Thèbes 1997 (CH 9.244)illustrent le rôle important des monnaies fédérales dans la région 19. Les bronzes aux types deDéméter et de Poséidon souvent surfrappés sur les bronzes macédoniens (d’Antigone Gonatas), peuavant la dissolution du Koinon béotien, se rencontrent en abondance à Thèbes et à Thespies. Lemonnayage du Koinon béotien pose encore des problèmes de datation que des travaux récentséclaircissent un peu, je pense à ceux d’Eleni Vlachogianni, mais les articulations entre ce monnayageet les monnayages civiques à types propres ne sont pas toujours claires. Des drachmes pseudo-rhodiennes ont été frappées à Haliarte au IIe s., à moins que ce ne soit à Hyettos 20. Enfin, deuxséries de bronzes au moins peuvent être attribuées à Thespies : celles frappées selon deuxdénominations au type d’Arsinoé III, représentée en dixième Muse avec modius et voile, en hommageaux Ptolémées bienfaiteurs de Thespies, avec une lyre au revers ou une chélys évoquant les concoursstéphanites des Mouseia (séries frappées vraisemblablement vers 210-208) et, enfin, celles frappéessous Domitien (86-91) avec au droit un buste de l’empereur et diverses figures au revers 21.

2. LES MONNAIES DU SURVEY ET LES MONNAIES DES FOUILLES

a. Les monnaies du survey21 monnaies ont été trouvées dans la zone de Thespies / Haliarte / Askra. La monnaie la plusancienne est un bronze d’Alexandre III avec la tête et les armes d’Héraclès, sans symbole, qui doit

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18. B. V. HEAD, The Coins of Ancient Boeotia. A Chronological Sequence (1891)!; R. ÉTIENNE, D. KNOEPFLER, Hyettos deBéotie et la chronologie des archontes béotiens entre 250 et 171 avant J.-C., BCH Suppl. 3 (1976), p. 222 n. 773! ;V. DEMETRIADI, «!Some New Fractions from Central and Southern Greece!», dans S. M. HURTER, C. ARNOLD-BIUCHI

(éds), Pour Denyse. Divertissements numismatiques (2004), p. 47-55!; Triton IX (10/1/2006), p. 37-40!et 108-113.19. T. HACKENS, «!La circulation monétaire dans la Béotie hellénistique!: trésors de Thèbes 1935 et 1965!», BCH 93 (1969),

p. 701-729! ; D. EUGENIDOU, P. TSELEKAS, Ancient Coin Hoards in the Numismatic Museum (2010), p. 36-39! ;E. VLACHOGIANNI, «!A Hoard of Coins from Thebes. The Problem of the Boitian Overstrikes!», NomKhron 19 (2000),p. 55-113.

20. D. KNOEPFLER, «!Des ateliers de drachmes pseudo-rhodiennes en Béotie! ?!», dans Travaux Le Rider, p. 197-206! ;R. ASHTON, «!More Pseudo-Rhodian Drachms from Central Greece!: Haliartos (Again), Chalcis, and Euboia Uncer -tain (?)!», NC (2000), p. 93-116.

21. A. SCHACHTER, «!A Note on the Reorganization of the Thespian Museia!», NC (1961), p. 67-70!; D. KNOEPFLER, loc.cit. (supra n. 4), p. 154!; S. PSÔMA, «!Panegyris Coinages!», AJN 20 (2008), p. 227-255!; RPC II, nos 267-274.

donc se rattacher aux premières émissions frappées en Macédoine. Les monnaies du IIIe s. sont lesplus nombreuses!: un bronze des Locriens Opontes (tête d’Apollon lauré / raisins) daté par O. Picarddu premier quart du IIIe s.!; un bronze macédonien (tête d’Héraclès à dr. / cavalier chevauchant à dr.avec les lettres BA en haut et à l’exergue le monogramme ANT qui se rattache selon J. H. Kroll à lasérie vraisemblablement frappée sous Antigone Gonatas (277-239)!; des bronzes fédéraux béotienstête de Dionysos / Apollon sur un cippe 22 ; un bronze de Thespies aux types d’Arsinoé III. Viennentensuite dans l’ordre chronologique un bronze de Sicyone (Warren groupe 10, 3), daté des années 90-60 et un as des duovirs corinthiens (Amandry émission 14), daté de 12-16 apr. J.-C. Les autresmonnaies datent des IIIe-IVe s.!: deux sesterces frappés à Rome, l’un de Gordien III (239-244) 23, etl’autre de Philippe II daté de 248, émission du millénaire de Rome 24 ; puis deux pièces de billon duIVe s., la première frappée à Héraclée (ancienne Périnthe) à l’époque de Constantin II (vers 345-347) 25, et la seconde de Julien frappée à Antioche (fin 361-363) 26. À Haliarte ont été trouvés 1 follisdu XIe s. et une pièce de 10 lepta de Georges Ier 27.

b. Les monnaies des fouilles de l’Éphorie des antiquités préhistoriques et classiques de Béotie 28

Elles proviennent de fouilles menées en 1971 et en 1972 à Thespies. Le matériel se compose de5 monnaies d’argent (drachmes rhodiennes ou plus probablement pseudo-rhodiennes et tétrobolesd’Histiée) et de 7 monnaies d’époque impériale!: un bronze de Thespies au type de Domitien et6 monnaies datant des règnes de Constantin II et de Gratien, donc des années 336 à 383 29.

c. Les monnaies des fouilles de la British School of Archaeology à HaliarteDes monnaies ont été trouvées lors de la fouille du sanctuaire!: ce sont des bronzes des IVe-IIIe s. deLocres, de Chalcis et du Koinon Béotien, auxquels s’ajoute un bronze athénien de l’époqued’Hadrien 30.

264 Catherine GRANDJEAN

BCH Suppl. 53

22. HN, n° 83, pl. VI, 4. 23. RIC IV, n° 335a. 24. RIC IV, n° 264b. 25. RIC VIII, n° 43. 26. RIC VIII, n° 2163.27. Je remercie D. Hollard, C. Morrisson et P. Papadopoulou de leur aide. Cf. PRICE, Alexander, p. 267!; O. PICARD, dans

L’Antre corycien, BCH Suppl. 9 (1984), n° 32, p. 286-287!; J. H. KROLL, The Athenian Agora 26. The Greek Coins(1993), p. 509!; J. WARREN, «!Updating (and Downdating) the Autonomous Bronze Coinage of Sikyon!», dans StudiesPrice, p. 347-371!; M. AMANDRY, Le monnayage des duovirs corinthiens, BCH Suppl. 15 (1988)!; D. HOLLARD, «!Julienet Mithra!», Res Orientales 19 (sous presse)!; C. MORRISSON, Catalogue des monnaies byzantines de la Bibliothèquenationale (1970), p. 603-604, Classe 1, 41/Cp/AE/152-190 et pl. LXXXI, AE/167.

28. Je remercie beaucoup le Professeur Aravantinos, Éphore des antiquités de Béotie, de son accueil chaleureux au Muséede Thèbes et de sa libéralité.

29. Cf. AD, Chronika (1971), p. 224, nos 18-20, 23-25.30. R. P. AUSTIN, ABSA 27 (1925/6), p. 81-91.

LA CIRCULATION MONÉTAIRE À THESPIES (BÉOTIE) 265

BCH Suppl. 53

Fig. 2. – Occupation de la Béotie à la basse époque hellénistique

(d’après Alcock 1993). Fig. 1. – O

ccupation de la Béotie (VI e-III es. av. J.-C

.) (d’après Alcock1993).

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Catherine GRANDJEAN266

31. H. GOLDMAN, Eutresis (1931).

BCH Suppl. 53

267LA CIRCULATION MONÉTAIRE À THESPIES (BÉOTIE)

d. Les monnaies des fouilles de l’American School of Classical Studies à Eutrésis 18 monnaies, qui s’échelonnent entre le règne de Constantin II et la fin du XIVe s., et sontprincipalement byzantines, ont été trouvées lors des fouilles du site!: un bronze de Constantin II(335-361) ; 12 bronzes byzantins de Léon VI (886-912) à Manuel Ier Comnène (1143-1180)!; unbronze de Guillaume de Villehardouin frappé à Corinthe avant 1250! ; une monnaie d’argentfranque (1289-1316!?)!; une monnaie de billon de Mahaut de Hainaut (1316-1318)!; un bronze deGauthier de Brienne (1308-1311)!; un bronze d’Andreas Contarini (1367-1382) 31.

e. Les monnaies des fouilles de l’École française d’archéologie à Thespies Une liste des monnaies des fouilles de Paul Jamot à la fin du XIXe s. a été publiée par AndréDe Ridder dans le BCH en 1922. Je n’ai pu avoir accès pour le moment qu’à cette liste, mais desrecherches pour localiser ces monnaies sont en cours. La liste comporte des références à la premièreédition de l’HN, mais doit être utilisée avec prudence, car il ne s’agit que d’une liste et qu’en outredans certains cas se posent des problèmes d’identification (entre argent et bronze notamment).

Les monnaies les plus anciennes datent du IVe s. av. J.-C. et les lots les plus nombreux sont du IIIe s.comme les monnaies trouvées lors du survey et des autres fouilles réalisées dans la région!: ce sont desmonnaies de bronze du Koinon béotien (surtout des monnaies aux types de Déméter / Poséidon), deThespies (Arsinoé III), de Grèce centrale (Locride, Phocide, Histiée) et du Péloponnèse (Phlionte etMégalopolis). Il y a aussi des monnaies d’argent! : une drachme de Chalcis, un tétradrachme (?)athénien, un trihémiobole corinthien. Il y a ensuite un creux entre la fin du IIIe s. av. J.-C. et l’époqueimpériale!: à cette dernière se rattachent des monnaies de Vespasien, de Domitien, de Marc-Aurèle,de Gordien III, de Gallien, de Dioclétien et de Constantin dont plusieurs en argent.

Il y a donc une convergence entre les monnaies trouvées lors du survey et celles trouvées lors desfouilles sur le plan chronologique et pour les ateliers représentés. Les plus anciennes monnaiesdatent du IVe s., ce qui renvoie aussi aux aléas de l’histoire de Thespies, détruite deux fois en un peuplus d’un siècle, la première fois en 480 par les Perses et la seconde par les Thébains après la bataillede Leuctres. Haliarte, détruite par les Perses en 480, puis par les Romains en 171, n’a pas été mieuxlotie. Le IVe s. est aussi le moment où se diffuse la monnaie de bronze en Grèce. Les monnaies debronze du Koinon béotien sont majoritaires. Il s’y ajoute des monnaies de Thespies aux typesd’Arsinoé III et, dans une moindre mesure, de Domitien. Se rencontrent aussi des monnaies deGrèce centrale (Locride, Phocide) et, dans une moindre mesure, d’Eubée et du quart Nord-Est duPéloponnèse, proche de Thespies aussi. La part des monnaies macédoniennes n’est pas négligeable,mais celle d’Athènes est très faible, ce qui ne manque pas de surprendre car le territoire d’Haliartelui a été rattaché après 171.

La chronologie des monnaies s’accorde bien avec les grandes phases de l’histoire des paysagesidentifiées par le survey, puisque les monnaies datent surtout des IVe-IIIe s.!; il y a ensuite un vide à

32. M. FEYEL, Polybe et l’histoire de Béotie au IIIe s. avant notre ère (1942)!; L. MIGEOTTE, «!Endettement de cités béotiennesautour des années 200 avant J.-C.!», dans J. M. FOSSEY (éd.), Actes du IIIe Congrès international sur la Béotie antique(1985), p. 103-109!; O. PICARD, Chalcis et la Confédération eubéenne, BEFAR 234 (1979), p. 180-181!; J. H. KROLL,The Athenian Agora 26. The Greek Coins (1993), p. 69 et 509.

33. RIC VIII, n° 43. 34. RIC VIII, n° 2163.

BCH Suppl. 53

Catherine GRANDJEAN268

la basse époque hellénistique et au Haut Empire – mais la circulation prolongée des monnaies desIVe-IIIe s. est très probable –, puis une reprise dans la seconde moitié du IIIe et surtout au IVe apr.J.-C. Reste que le petit nombre de monnaies trouvées incite à la prudence.

Il en va de même de ce qui concerne l’exploitation de ces données pour l’histoire économique dela région. M. Feyel a jadis présenté, en s’appuyant sur de nombreuses inscriptions, un tableau de lasituation économique de la Béotie qui s’accordait avec les propos de Polybe, opposant la situationprospère du troisième quart du IIIe s. à la situation très dégradée des années ultérieures. L. Migeottea beaucoup nuancé les conclusions de M. Feyel, estimant que les difficultés financières des citéspouvaient avoir été passagères. L’essentiel des monnaies en circulation à Thespies à cette périodeétaient manifestement des bronzes béotiens surfrappés sur des bronzes d’Antigone Gonatas dans lesannées 229-220, mais cela n’est pas a priori décisif, parce que des surfrappes de ce type sont attestéesaussi à Athènes et à Chalcis 32.

IV. LA RÉPARTITION DES MONNAIES DANS L’ESPACE

1. L’APPORT DU SURVEY DES FOUILLES DE L’EFALes cartes (fig. 4-7) montrent des trouvailles de monnaies dans la chôra de Thespies, y compris loinde l’asty, dans les fermes isolées à l’époque classique et à la haute époque hellénistique!; cela donneà voir une monétarisation précoce des campagnes, très différente de ce qu’on rencontre en Messénie.On ne rencontre toutefois des monnaies d’argent que dans la zone de hameaux et de fermes prochesde l’asty. Les découvertes de monnaies d’époque impériale sont plus rares dans les zones éloignéesde l’asty.

Au témoignage du survey peut s’ajouter celui des fouilles de l’EFA, car A. de Ridder a pris soin depréciser dans son article du BCH les lieux de découverte des monnaies trouvées lors des fouilles deP. Jamot. Ces fouilles ont eu lieu dans trois espaces!: le Val des Muses (à 6 km environ de Thespies),le temple d’Apollon (à 2 km environ au Sud-Ouest de Thespies) et Érimocastro, site de l’ancienneThespies, où certaines monnaies ont été trouvées dans une nécropole, d’autres dans un kastro.

Le Val des Muses est le seul lieu où ont été trouvées des monnaies d’argent à l’époque impériale.Les plus anciennes monnaies exhumées datent du dernier tiers du IIIe s. av. J.-C., époque oùD. Knoepfler a proposé de dater la réorganisation des Mouseia. D. Knoepfler insistait sur le fait queles Mouseia avaient perduré au moins jusqu’au IIIe s. de notre ère. La découverte, lors du survey, desdeux pièces de billon de Constantin II (ca 345-347) 33 et de Julien (fin 361-363) 34 invite à allerdans ce sens et même au-delà.

Fig. 5. – Monnaies des fouilles dans la région de T

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269LA CIRCULATION MONÉTAIRE À THESPIES (BÉOTIE)

270 Catherine GRANDJEAN

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Fig. 7. – Le survey du territoire de Thespies (d’après Bintliff et al. 2008).

Le temple d’Apollon (fig. 8)!: A. Schachter a proposé de situer là le centre de Thespies avant ladestruction de 480 par les Perses et le déplacement de l’asty vers le Nord-Est! ; Chr. Müller atoutefois montré la fragilité des données dont nous disposions pour ce temple. De fait, si c’est de làque proviennent les monnaies les plus anciennes trouvées par P. Jamot, elles datent du IVe s. commeailleurs 35.

Les périodes classique et hellénistique sont celles de la plus grande diffusion spatiale des trouvailles!:trouvailles dans l’asty et dans la chôra dans des zones proches de l’asty, monnaies du survey de faiblevaleur, à la différence de celles des fouilles de l’éphorie qui comptent des drachmes.

35. M. HANSEN, An Inventory of Archaic and Classical Poleis (2004), p. 458!; A. SCHACHTER, «!Reconstructing Thespiai!»,dans A. HURST, A. SCHACHTER (éds), La montagne des Muses (1996), p. 99-126, sp. 103-104!; Chr. MÜLLER, «!Lesrecherches françaises à Thespies et au Val des Muses!», ibid., p. 171-183.

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Fig. 8. – Lieux de trouvaille des monnaies sur le territoire de Thespies. En gris clair, extension de l’asty à l’époqueclassique. F = ferme ; H = hameau ; C = cimetière (d’après Bintliff et al. 2008).

LA CIRCULATION MONÉTAIRE À THESPIES (BÉOTIE) 271

BCH Suppl. 53

Rien ensuite au Haut Empire, ou presque, en relation avec le recul de l’occupation humaine etde l’exploitation!; les trouvailles de monnaies postérieures sont à mettre en relation avec la reprisede l’occupation humaine dans la seconde moitié du IIIe s. On notera qu’elles proviennent presqueexclusivement de l’asty et du Val des Muses (fig. 8).

CONCLUSION L’intérêt principal de tout cela me paraît être, dans l’état actuel de la documentation, la mise enperspective des découvertes de monnaies trouvées lors des fouilles en milieu urbain ou des fouillesde sanctuaires dans un espace plus large incluant les campagnes!; en cela, la complémentarité entremonnaies de fouille et monnaies trouvées lors des surveys me semble intéressante d’un point de vueméthodologique. On ne trouve pas les mêmes monnaies dans la chôra de Thespies que dans le Valdes Muses ou dans l’asty. Dans cette dernière, tant à Thespies qu’à Haliarte, la circulation à l’époquehellénistique semble proche par sa composition de ce que T. Hackens a montré pour Thèbes dansson bel article du BCH 1965.

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