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303 LA CONJURATION D’A MBOISE (16 MARS 1560), EMMANUEL-PHILIBERT DE SAVOIE ET GENèVE SERGE BRUNET Professeur d’histoire moderne Membre de l’Institut Universitaire de France « Plus grand était le prestige qui s’attachait au prince de Savoie, plus ce prestige était à craindre. » (Alexandre Dumas) 1 Il est désormais évident que les guerres de Religion de France n’ont pas commencé avec le massacre de Wassy (1 er  mars 1562), sur les terres de François duc de Guise, mais deux ans plus tôt, avec la conjuration d’Amboise (16 mars 1560). Au-delà de l’appel aux armes fallacieux que Louis de Bourbon, prince de Condé, lance aux églises réformées pour sauver prétendument le roi, ce massacre, après tant d’autres, est élevé au rang de mythe étiologique, permettant ainsi de reporter la responsabilité première des guerres sur les Guises 2 . La persistance de cette appréciation décalée de la chronologie des affrontements civils et religieux est renforcée par les voiles qui recouvrent encore la conjuration d’Amboise, laissant 1 A. Dumas, Une page du duc de Savoie, 1855, rééd., La royale maison de Savoie, roman historique, 1, Emmanuel-Philibert, Montmélian, 1998, p. 509. 2 p. Ricoeur, « Événement et sens », Raisons pratiques. L’événement en perspective, n° 2, 1991, p. 42-48. Ce massacre fondateur échappe ainsi à la longue suite des « massacres châtiments » divins pour introduire aux massacres, martyres des fidèles, qui renvoient au témoignage de la Passion et à la souffrance des Juifs de l’Ancien Testament (D. El Kenz, Les bûchers du roi. La culture protestante des martyrs (1525-1572), Paris, 1997, p. 232-233. D. El Kenz (dir.), Le massacre, objet d’histoire, Paris, 2005). É. Durot, François de Lorraine, duc de Guise entre Dieu et le Roi, Paris, 2012, p. 688-703. Stuart Carroll, qui ignore d’ailleurs le rôle de la Savoie, participe de cette historiographie qui majore le massacre de Wassy, considérant que ce dernier, comme celui de la Saint- Barthélemy, « trouvent leur origine dans la politique développée durant le règne de François II » (S. Carroll, Martyrs and Murderers. e Guise Family and the Making of Europe, New York,, 2009, p. 107).

La conjuration d'amboise (16 mars 1560), emmanueL-PhiLibert de savoie et Genève

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La conjuration d’amboise (16 mars 1560), emmanueL-PhiLibert de savoie et Genève

serGe brunet

Professeur d’histoire moderne Membre de l’Institut Universitaire de France

« Plus grand était le prestige qui s’attachait au prince de Savoie, plus ce prestige était à craindre. » (Alexandre Dumas)1

Il est désormais évident que les guerres de Religion de France n’ont pas commencé avec le massacre de Wassy (1er  mars 1562), sur les terres de François duc de Guise, mais deux ans plus tôt, avec la conjuration d’Amboise (16  mars 1560). Au-delà de l’appel aux armes fallacieux que Louis de Bourbon, prince de Condé, lance aux églises réformées pour sauver prétendument le roi, ce massacre, après tant d’autres, est élevé au rang de mythe étiologique, permettant ainsi de reporter la responsabilité première des guerres sur les Guises2. La persistance de cette appréciation décalée de la chronologie des affrontements civils et religieux est renforcée par les voiles qui recouvrent encore la conjuration d’Amboise, laissant

1 A. Dumas, Une page du duc de Savoie, 1855, rééd., La royale maison de Savoie, roman historique, 1, Emmanuel-Philibert, Montmélian, 1998, p. 509.

2 p. Ricoeur, « Événement et sens », Raisons pratiques. L’ événement en perspective, n° 2, 1991, p. 42-48. Ce massacre fondateur échappe ainsi à la longue suite des « massacres châtiments » divins pour introduire aux massacres, martyres des fidèles, qui renvoient au témoignage de la Passion et à la souffrance des Juifs de l’Ancien Testament (D. El Kenz, Les bûchers du roi. La culture protestante des martyrs (1525-1572), Paris, 1997, p. 232-233. D. El Kenz (dir.), Le massacre, objet d’ histoire, Paris, 2005). É. Durot, François de Lorraine, duc de Guise entre Dieu et le Roi, Paris, 2012, p. 688-703. Stuart Carroll, qui ignore d’ailleurs le rôle de la Savoie, participe de cette historiographie qui majore le massacre de Wassy, considérant que ce dernier, comme celui de la Saint-Barthélemy, « trouvent leur origine dans la politique développée durant le règne de François II » (S. Carroll, Martyrs and Murderers. The Guise Family and the Making of Europe, New York,, 2009, p. 107).

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cependant apparaître les plus éminentes complicités dans une conspiration plus étendue qu’on ne l’a dit. D’où l’intérêt d’apporter quelques documents encore inédits, et inconnus, sur cette affaire, conservés dans les fonds de manuscrits français des bibliothèques et archives russes.

Ceux que nous présentons ici permettront d’éclairer la position du duc de Savoie, Emmanuel-Philibert, pendant, et après, la conjuration d’Amboise. Ces lettres inédites, concernent le court règne de François  II (10  juillet 1559-5  décembre 1560), injustement méconnu et, partant, négligé3. Il ne s’agissait pas seulement d’un « bref intermède » et, encore moins « d’une politique visant à établir la concorde entre le parti catholique et le parti protestant, une attitude de tolérance civile à l’égard des huguenots »4. Jointes aux sources provinciales, ces lettres permettent de reconsidérer l’action politique de ce Valois5. Bien sûr, le jeune roi subissait l’influence des oncles de son épouse, les Guises. Mais, si on a déjà remarqué son autoritarisme, il faut reconnaître combien il était déterminé, aussi, à écraser l’hérésie protestante et le danger représenté par les séditieux qui entendaient, non seulement supprimer les Guises, mais attribuer le pouvoir aux princes de sang Bourbons, et désormais réformés, Antoine ou, à défaut, Louis de Condé. Le « tumulte [soulèvement, révolte] d’Amboise » n’est alors qu’une péripétie d’un complot plus vaste, hétéroclite et inabouti, porté par l’espoir d’un « parti protestant » naissant de parvenir à une conversion générale et rapide à la Réforme des Français6. La nomination du chancelier Michel de L’Hospital (1er  avril 1560) n’engage alors aucune attitude de conciliation. L’heure est à la répression jusqu’à la disparition brutale du roi (5 décembre 1560).

D’un point de vue méthodologique, l’action du duc de Savoie s’inscrit dans ce que nous qualifions de « non-événements », c’est-à-dire de projets – pas nécessairement velléitaires – qui n’ont pas vu le jour et que l’histoire a pu alors injustement négliger, si ce n’est ignorer. Pourtant, presque autant que

3 Les lettres de Marguerite de France, duchesse de Savoie, conservées à la BnR, à Saint-Pétersbourg ont été publiées par : Loutchisky et Philippe Tamisey de Larroque, « Lettres inédites de Marguerite de France », Revue Historique, t. 16, 1881, p. 304-326 et t. 17, p. 89-103. Nous utilisons ici nos propres relevés de ces missives.

4 J. Garrisson, Les derniers Valois, Paris, 2001, p. 43. Éric Durot commence, enfin, à inverser ce jugement (É. Durot, François de Lorraine…, op. cit., p. 575-581).

5 Vladimir Chichkine vient de publier l’essentiel des lettres de François II conservées à la Bibliothèque nationale de Russie, à Saint-Pétersbourg : V.  Chichkine (éd.), Alexandra Lublinskaya (dir.), avec Tamara Voronova, Elena Gourari, Documents pour servir à l’ histoire de France au milieu du XVIe siècle. Début des guerres de Religion (1559-1560), Moscou, 2013. Nous utilisons ici nos propres relevés de ces missives.

6 H. Daussy, Le parti huguenot. Chronique d’une désillusion (1557-1572), Genève, 2014. Voir aussi : H. Schilling, Konfessionalisierung und Staatsinteressen : internationale Beziehungen (1559-1660), Paderborn, 2007.

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les événements advenus, leur étude peut contribuer à la compréhension du positionnement des acteurs de l’histoire, en ouvrant devant le regard critique de l’historien ce que les contemporains considéraient dans l’ensemble des issues possibles. En se limitant au seul enchaînement factuel de ce qui est effectivement advenu, nous perdons dans notre capacité de compréhension du passé. Il en est ainsi de l’attitude d’Emmanuel-Philibert, et de celle des princes qu’il sut convaincre, à l’égard de Genève, au lendemain de la conjuration d’Amboise.

Cette conjuration nous fait ainsi entrer dans le monde des complots protestants par une opération qui, si elle échoue lamentablement, laisse planer l’hypothèse d’une implication de Genève, et de Strasbourg. Le déroulement des événements et l’identification des acteurs ont été parfaitement précisés par Charles Paillard, grâce à l’étude qu’il a faite de la correspondance de Thomas de Perrenot de Chantonnay, ambassadeur du Roi Catholique auprès de la cour de France (août 1559-1564), conservée à Bruxelles7. Il a habilement croisé celle-ci avec les lettres de la série K de Simancas, conservées aux Archives nationales. La question de l’implication de Genève a pu alors faire l’objet de la précieuse synthèse d’Henri Naef, en 1922, qui a ajouté les sources manuscrites des archives de Genève, Berne et Lausanne8. Les travaux postérieurs n’ont apporté que des compléments mineurs.

Le fonds des manuscrits occidentaux de la Bibliothèque nationale de Saint-Pétersbourg, outre sur la politique répressive menée par François II, nous offre d’autres nouveaux éclairages. Emmanuel-Philibert, duc de Savoie, utilise adroitement la conjuration d’Amboise pour justifier sa volonté de reconquérir Genève dont les syndics, après 25 ans d’autonomie, n’hésitaient pas à déclarer « qu’ils aimaient mieux obéir à l’Éternel qu’à un prince ». Dans un premier temps, il offre ses services dans la recherche de complicités genevoises. Celles-ci semblant démontrées, le vainqueur de Saint-Quentin, fort du soutien indéfectible de son adversaire d’hier, François de Guise, espère amener le roi de France à s’engager à ses côtés dans une opération militaire contre Genève, avec l’appui de l’Espagne et la caution de Rome.

Vers une France protestante ?

Les travaux récents, et parallèles, de Philip Benedict et Nicolas Fornerod, d’une part, et d’Hugues Daussy, d’autre part, après l’étude

7 C.  Paillard, « Additions critiques à l’histoire de la conjuration d’Amboise », Revue Historique, t. XIV, 1880, p. 61-108 et 311-335.

8 H.  Naef, La conjuration d’Amboise et Genève, Genève-Paris, 1922. Voir aussi : R. Kingdon, Geneva and the Coming of the Wars of Religion in France (1555-1563), Genève, 1956 ; F. Higman, La diffusion de la Réforme en France (1520-1565), Genève, 1992 ; D. Crouzet, La genèse de la Réforme française, Paris, 1996.

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novatrice de Nicola Mary Sutherland, ont mis l’accent sur l’espérance initiale des huguenots de parvenir à la conversion du roi de France et de ses sujets à ce qu’ils considéraient comme la « vraie foi »9. Le rapide développement de la religion réformée dans le royaume de France, surtout à partir de 1555, est ressenti par tous les contemporains, qui voient avec étonnement tant de prédicateurs affluer depuis Genève. Ainsi, les maire et échevins de Poitiers s’indignent :

on veoyt pour le jourd’huy pulluler [s’accroître] en pleusieurs parties de ce royaulme au moien [en raison] des personnages estrangiers protestans qui se sont semez en pleusieurs lieulx et deprave une partie du simple peuple.10

Un des éléments d’explication de ce phénomène, injustement négligé, est extérieur à la France. Il s’agit – aussi – d’un « non-événement » : l’échec de Jean Calvin dans le projet d’étendre sa réforme dans l’ensemble de la Confédération helvétique, durant les années 1530-1549. Cette déconvenue l’amène à se tourner résolument vers sa patrie : la France. C’est alors vers elle que les réfugiés religieux français de Lausanne et du pays de Vaud vont désormais se diriger massivement11.

Cette diffusion de la Réforme en France est, en quelque sorte, facilitée par les derniers épisodes des guerres d’Italie. Les échanges épistolaires autour du connétable Anne de Montmorency, conservés dans le fonds Lamoignon des Archives nationales de Russie, témoignent de l’inquiétude grandissante des chefs militaires devant l’agitation religieuse, et de l’insistance avec laquelle Paul  IV réclame la poursuite des protestants jusqu’à la cour de France12. Henri II l’a bien compris : il faut cesser cette guerre trop coûteuse afin de régler le problème de l’extension de l’hérésie dans son royaume. C’est la paix et le traité du Cateau-Cambrésis (2-3 avril 1559), consolidés par les mariages de la fille d’Henri II, Élisabeth, avec Philippe II, et de sa sœur,

9 Ph. Benedict et N. Fornerod, L’organisation et l’action des Églises réformées de France (1557-1563). Synodes provinciaux et autres documents, Genève, 2012. H. Daussy, Le parti huguenot…, op. cit. N. M. Sutherland, The Huguenot Struggle for Recognition, New Haven and London, 1980. Voir également, dans Ph. Benedict, G. Marnef, H. van Nierop and M. Venard (dir.), Reformation, Revolt and Civil War in France and the Netherland (1555-1585), Amsterdam, 1999, les contributions de Philip Benedict, « The Dynamic of Protestant Militancy : France, 1555-1563 », p. 35-50, et de Mark Greengrass, « Financing the Cause : protestant Mobilization and Accountability in France », p. 33-254.

10 Le maire et les échevins de Poitiers au duc de Montmorency, Poitiers, 31 mars 1560 (BnR, Saint-Pétersbourg, mss occidentaux, ABT 98-1, n° 6).

11 M. W. Bruening, Le premier champ de bataille du calvinisme. Conflit et Réforme dans le pays de Vaud (1528-1559), Lausanne, 2011.

12 Philibert Babou de La Bourdaisière, cardinal-évêque d’Angoulême, à Henri II, 8 juillet 1559 (AnR, Moscou, Fonds Lamoignon, vol. 57, fol. 142).

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Marguerite, avec Emmanuel-Philibert, lui apportant en dot le Piémont et le duché de Savoie (occupé par la France depuis 1536).

La paix, et la mort brutale d’Henri II avec l’avènement de son fils, François II (10 juillet-18 septembre 1559), provoquent une vive inquiétude parmi les adeptes de la Réforme. Le nouveau roi de France ne peut que mener la répression que son père avait annoncée contre les hérétiques, et son mariage avec la reine d’Écosse, Marie Stuart, nièce des Guises (24 avril 1558), garantit à ces derniers la conduite de la politique royale, alors que le connétable Anne de Montmorency entre dans une semi-disgrâce. Pour les champions de la Réforme, il faut agir vite, en soustrayant le jeune roi à l’influence des Guises, et probablement, à défaut d’Antoine de Bourbon, placer sur le trône de France l’autre prince de sang, son frère, l’impécunieux prince de Condé, « capitaine muet » du complot. C’est le motif de la conjuration qui est ourdie. L’exécution pour crime d’hérésie d’Anne Du Bourg, conseiller au parlement de Paris et neveu du chancelier Antoine Du Bourg, qui avait osé protester contre la persécution des réformés (23 décembre 1559), donne le ton.

Conjuration d’Amboise ou soulèvement généralisé des églises réformées ?

Même si Calvin et Théodore de Bèze se gardent bien de la soutenir ouvertement, la conjuration d’Amboise n’en demeure pas moins une tentative avortée de soulèvement des églises calvinistes, renforcées par des troupes stipendiées. Dans la partie méridionale du royaume, les consistoires, qui vont investir rapidement les consulats, se constituent en autant de milices13. La distinction entre une première action uniquement en direction de la cour, et une seconde, qui lui serait contingente, sur Lyon, est erronée14. Si des troupes doivent converger vers Blois, puis Amboise, en raison du

13 S.  Brunet, « Penser le consistoire au début des troubles religieux (vers 1560-62) », R. A. Mentzer et F. Moreil (éd.), Dire l’ interdit. The vocabulary of Censure and Exclusion in the Early Modern Reformed Tradition, Actes du colloque de l’université d’Avignon, 7-9 juin 2007, Leiden, 2010, p. 103-123. Serge Brunet, « Consistoires protestants et consulats méridionaux : une clé pour la compréhension du « croissant huguenot » (vers 1559-1562) », G. Larguier (coord.), L’Église, le clergé et les fidèles en Languedoc et en pays catalans (XVIe-XVIIIe siècle), 8e journée Histoire et Histoire du droit et des institutions de l’université de Perpignan Via Domitia, 9 juin 2012, Perpignan, 2013, p. 171-180. S.  Brunet, « Consistoires calvinistes et consulats méridionaux dans les premiers affrontements religieux (1560-1562) », Les guerres de Religion en France au XVIe siècle : nouveaux documents, nouvelles études, nouvelles dates, colloque international, Saint-Pétersbourg-Vyborg, 14-15  juin 2012, Bibliothèque nationale de Russie, Académie russe de l’Économie nationale et de l’Administration publique auprès du Président de la Fédération de Russie, Institut de l’histoire universelle de l’Académie des sciences de Russie, Vladimir Chichkine (coord.) (à paraître).

14 C’est notamment la position d’H. Daussy, Le parti huguenot…, op. cit., p. 128-152.

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déplacement impromptu de la cour, diverses sources témoignent que, dès le départ, le soulèvement était envisagé concurremment sur plusieurs provinces. L’inventaire, et donc la chronologie, de ces levées en armes, laborieuses à établir car elles nécessitent d’interroger les archives locales, ne seront pas présentées dans le détail dans cette communication.

De plus, les historiens ont l’habitude de travailler à partir de montres et de différentes comptabilités de guerre, le plus souvent absentes ici. En 1560, comme pour les deux premières guerres de Religion, celles-ci ne peuvent pas alors rendre compte de l’entièreté des modalités de levées d’hommes d’armes15. Tant les milices des églises réformées que celles des premières ligues catholiques (ces dernières dans un cadre souvent confraternel), sont rassemblées sans recourir à l’étape ou à des financements licites et patents16. Elles échappent ainsi à la sagacité de l’historien. Pour ajouter à l’enfumage, les actions des rustres des « communes », qui ne sont pas jugées « dignes de l’histoire » (Agrippa d’Aubigné), sont également souvent passées sous silence par les annalistes. Elles n’en sont pas moins essentielles.

Ce sont ces mêmes communes qui avaient su procéder à la levée de légionnaires, lesquels, eux également, ont échappé à l’attention des historiens du militaire. Par une ordonnance du 21 juillet 1534, François Ier avait créé sept légions qui portaient le nom des grandes provinces du royaume où elles étaient recrutées. Elles étaient composées d’anciens francs archers et de miliciens des paroisses et elles devaient marcher de pair avec les bandes, noyau principal de l’armée. Mais, leur valeur ayant été mise en doute, elles étaient supprimées à la mort de leur fondateur (1547). On les avait pourtant rétablies une dizaine d’années plus tard, ce qui leur avait valu d’être exterminées à la bataille de Saint-Quentin (10 août 1557) par l’armée espagnole commandée par Emmanuel-Philibert. Restaurées par Henri II (22 mars 1558), elles sont utilisées par François II en 1560, mais la plupart ne survivront pas aux premières guerres civiles. En août 1560, par exemple, pour résister aux troupes levées par le Dauphiné Charles Du Puy de Montbrun, les légionnaires de Provence sont toujours actifs17. Celles

15 P.-J.  Souriac, Une guerre civile : affrontements religieux et militaires dans le Midi toulousain (1562-1596), Seyssel, 2008, p. 35-38.

16 S.  Brunet, « Confréries ligueuses, confréries dangereuses ». Fraternités de combat dans le Sud-Ouest de la France durant les guerres de Religion », M. Venard et D. Julia (dir.), Sacralités, culture et dévotion. Bouquet offert à Marie-Hélène Froeschlé-Chopard, Marseille, 2005, p. 129-170. S. Brunet, « Les milices catholiques dans la France du Midi au début des guerres de Religion (vers 1559-1564) », S.  Brunet et J.  J.  Ruiz Ibáñez (éd.), Les milices durant la première modernité, Paris, (à paraître, 2015).

17 « J’ay aussi faict entendre aux capitaines des légionnaires de tenir prestes leurs bandes pour marcher à mon premier mandement ». L’utilisation de ces troupes est plus souple que celles du ban et de l’arrière-ban qui ne peuvent être utilisées qu’un temps, et surtout pour la seule protection du pays de Provence dont elles ne sont pas tenues

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de Languedoc et de Guyenne sont maintenues plus longtemps. Surtout, il faut remarquer que ses capitaines (Monluc, Duras, Tilladet, Fontrailles, Des Adrets, etc.), familiers de la conduite des miliciens, jouent un rôle déterminant dans la constitution des premières troupes, tant des églises calvinistes que des ligues catholiques18. Le baron Des Adrets, par exemple, lève ainsi 4 000 légionnaires en Dauphiné, tous destinés au théâtre italien. La paix ne justifie plus leur envoi outre monts. Quand ce capitaine adhère à la Réforme, il n’a pas de peine à effectuer une levée, à provoquer la mort du lieutenant pour Guise au gouvernement du Dauphiné, Blaise de Pardaillan, seigneur de La Motte-Gondrin, puis à écumer le sud-est du royaume19.

Les milices communales ne sont donc pas périmées au début des troubles de religion. Emmanuel-Philibert, brillant homme de guerre s’il en fut, parmi ses grandes réformes, constitue une armée20. Suivant les préceptes de Machiavel, qui vantait les milices françaises, il souhaitait éliminer les troupes mercenaires, abandonner le recrutement féodal et instituer des milices sur la base d’un service militaire21. C’est grâce à ces milices locales que dominait l’empire espagnol22. L’édit de Verceil (28 janvier 1561), à la

de sortir (comte de Tende, gouverneur de Provence, à François II, Marseille, 26 août 1560, BnR, mss occidentaux, ABT 109, n° 54).

18 S. Brunet, « De l’Espagnol dedans le ventre ! » Les catholiques du Sud-Ouest de la France face à la Réforme (vers 1540-1589), Paris, 2007, p. 225-228.

19 Charles de Cossé-Brissac à Henri II, 14 avril 1558 (AnR, Moscou, Fonds Lamoignon, vol. 59, fol. 33). Le baron Des Adrets avait son château à La Brette, en Grésivaudan. Sous les ordres du maréchal de Brissac, il s’était battu en Piémont et il avait pris part, notamment, au sac de Verceil, en 1553. En 1558, il est nommé colonel des légions du Dauphiné, Provence, Lyonnais et Auvergne. Bien qu’il commence les guerres dans le camp catholique, c’est avec des milliers d’hommes menés par des gentilshommes dauphinois qu’il va massacrer à Valence La Motte-Gondrin, lieutenant de Guise au gouvernement du Dauphiné, et lui ravir le poste (Pierre de Vaissière, Le baron Des Adrets, Paris, 1930, p. 6-7 et 16-17).

20 C. Patrucco (éd.), Lo Stato sabaudo al tempo di Emanuele Filiberto, Turin, 1928, 3 vol. Lino Marini, Savoiardi e Piemontesi nello Stato Sabaudo (1418-1601), Rome, 1962, t. 2.

21 Machiavel écrivait : « Dans chaque paroisse de France, il y a un homme bien payé par la commune, qu’on, nomme le franc-archer. Il est tenu d’avoir un cheval en bon état et tout l’armement nécessaire pour répondre à une réquisition du roi, si ce dernier doit faire la guerre au-dehors ou autrement. Ils sont tenus de se transporter dans la province attaquée ou menacée. Vu le chiffre des paroisses, ces francs archers doivent être mille sept cent. » (N. Machiavel, « Rapport sur les choses de la France, 1510 », Le Prince et autres textes, Paris, 1980). Pour une raison que nous ignorons (probablement une erreur typographique), Machiavel ne dénombre que 1 700 paroisses en France, alors qu’il en compte 52 000 en Angleterre. Voir aussi : C. Zwierlein, Discorso und Lex Dei : die Entstehung neuer Denkrahmen im 16. Jahrhundert und die Wahrnehmung der französischen Religionskriege in Italien und Deutschland, Göttingen, 2006

22 J. J. Ruiz Ibáñez (dir.), Las milicias del rey de España. Sociedad, política e identidad en las Monarquías Ibéricas, Madrid, 2009.

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suite d’un recensement effectué l’année précédente, qui soumet les nobles à un impôt de remplacement au lieu du devoir de cavalcade et du recrutement de leurs vassaux. Les paroisses doivent fournir un contingent et des cadres sont organisés pour l’instruction et le commandement des hommes ainsi rassemblés. Même si cette entreprise n’est pas menée complètement à terme, elle dessine l’avenir. Jusqu’à la cour de France, on s’interroge sur l’utilité d’un rétablissement général des légions ; des études sont rédigées en ce sens23. Mais la différence de religion ronge désormais l’unité des sujets du roi, en Saintonge, comme en Provence ou encore en Bretagne, et l’on craint d’équiper des rustres qui, ensuite, pourraient rechigner à la restitution de leurs armes, et se retourner contre l’autorité royale. De plus, en Guyenne, plane le traumatisme de la révolte de 1548. Réprimée dans la terreur par le connétable de Montmorency, elle s’était accompagnée d’un désarmement général des « communes »24.

La plupart des conjurés d’Amboise étaient des Gascons25. Ces derniers, comme l’écriront à Calvin Hubert Languet, informateur de l’Électeur Auguste de Saxe, et Théodore de Bèze, n’entendront pas respecter l’édit de pacification de janvier 1562 en restituant les lieux de culte26. En Guyenne, mais aussi en Languedoc, en Dauphiné et en Provence, la Réforme prend rapidement un caractère subversif. Jean du Barry, seigneur de La Renaudie, ce gentilhomme périgourdin qui décide, dès septembre 1559, de coordonner le complot, en portera la responsabilité alors que Louis de

23 Traité de la restitution de l’art en discipline militaire pour le royaume de France ou Traité des Légions françaises (BnR, mss occidentaux, XVIe siècle, Fr. Q. IX 26). Ce manuscrit, adressé au roi de France, semble avoir été rédigé au tout début des années 1560. Il en existait au moins un second exemplaire, que Piotr Doubrowski avait pu consulter dans une bibliothèque privée à Marseille.

24 En Saintonge, ce sont les seigneurs châtelains, presque tous huguenots, qui gardent jalousement les armes confisquées aux paysans restés catholiques, alors que les cloches des églises ont été retirées, empêchant de sonner le tocsin (M. Seguin, Histoire de l’Aunis et de la Saintonge, t. 3, Le début des temps modernes (1480-1610), La Crèche, 2005, p. 222).

25 S.  Brunet, « Perceptions identitaires et nationales dans la France de la première modernité : de la francité et de l’hispanité des Gascons », Mikhaïl-V.  Dmitriev et Daniel Tollet (éd.), Confessiones et nationes. Discours identitaires nationaux dans les cultures chrétiennes, Moyen Âge-XXe siècle, Paris, 2014, p. 57-125.

26 Istis edictis (restitutionis templorum) audio non comprehendi Vascones, quia sunt gubernatores ipsos obtemperaturos, écrit le juriste réformé Languet. In Aquitania spero fore ut nihil mutetur, écrit Bèze (Corpus Reformatorum, vol. 19, Joannis Calvini opera que supersunt omnia, Guilelmus Baum, Eduardus Cunitz, Eduardus Reuss ed., Brunswick, 1900, p. 88, n. 4). V.-L. Bourrilly, « Les préliminaires des guerres de Religion en France », Bulletin de la Société de l’Histoire du Protestantisme Français, t. XLV, 1896, p. 393-417, 584-608 et 617-647, ici, p. 596.

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Condé est ce « capitaine muet » dont les conjurés se réclament27. Henri Naef démontre que les Genevois qui participent aux séditions de France sont des aventuriers et des réfugiés français. Le ministre Antoine de La Roche, baron de Chandieu vient spécialement à Genève pour recevoir l’approbation d’une politique d’opposition aux Guises et à François II, fondée sur la légalité et le droit. Calvin l’accepte, mais à la condition expresse qu’elle soit sans violence et menée par le premier prince de sang, Antoine de Bourbon, puis que les états généraux soient réunis. Le réformateur mettait beaucoup d’espoir dans le roi de Navarre qui, dès août 1559, se révèle « aussi lâche que frivole »28 et dont il se détourne. La position de Théodore de Bèze était plus belliqueuse. Leur mise en accusation devant le Conseil de Genève d’avoir « consenti et approuvé l’entreprise » d’Amboise témoigne des soupçons qui pesaient sur eux.

Quand La Renaudie vient rencontrer à son tour Calvin, au nom du prince de Condé, en décembre 1559, celui-ci l’engage à abandonner son projet. Mais il semble bien que, si la conjuration avait réussi, Calvin l’aurait entérinée comme un signe du Très Haut. Le « Tumulte d’Amboise » est décidé le 1er  février à Nantes, et les enquêtes qui suivent son échec démontrent les vastes ramifications de la conspiration : Lyonnais, Dauphiné, Bretagne, Anjou, Touraine, Poitou, Normandie, Picardie, Île-de-France, Brie, Bourgogne, Champagne et, au sud du royaume : Périgord, Limousin, Saintonge, Gascogne, Béarn, Provence et Languedoc.

Des opérations étaient prévues à Lyon, pour lesquelles Guillaume de Joyeuse dénonçait des achats d’armes à Nîmes et Montpellier29. Il avait rapidement perçu combien Nîmes était « le réceptacle de tous les séditieux et le vray lieu où ils recepvent leurs loix »30. La Renaudie s’était occupé

27 Louis Régnier de La Planche (attribué à), Histoire de l’Estat de France, tant de la République que de la Religion (1576), J. A. C. Buchon (éd.), Paris, 1836. Pierre de Bourdeille, seigneur de Brantôme, Les vies des grands capitaines françois, L. Lalanne (éd.), Œuvres complètes, Paris, 1868, t. 4, p. 340. L. Romier, La conjuration d’Amboise. L’aurore sanglante de la liberté de conscience, le règne et la mort de François II, Paris, 1923. E. A. R. Brown, « La Renaudie se venge : l’autre face de la conjuration d’Amboise », Yves-Marie Bercé et Elena Fasano Guarini (dir.), Complots et conjurations dans l’Europe moderne, actes du colloque international de Rome, septembre-octobre 1993, Rome, 1996, p. 451-474. Corado Vivanti, « La congiura di Amboise », ibid., p. 39-50.

28 François de Morel à Calvin, Paris, 23 août 1559 (Johannis Calvini opera…, op. cit., t. XVII, col. 609).

29 L’église de Montpellier a été plantée le 8 février 1559 par Guillaume Mauget, ministre de Nîmes (Charles d’Aigrefeuille, Histoire de la ville de Montpellier, 1739, rééd., Montpellier, 1875, t. 1, p. 425).

30 Joyeuse à François II, 26 avril 1560 (BnR, publié par É. de Barthélemy, Correspondance inédite du vicomte de Joyeuse, lieutenant général pour le roi en Languedoc, publiée pour la première fois d’après les manuscrits autographes conservés à la Bibliothèque de l’Empereur de Russie, Paris, 1876, p. 28). Sur le « scandalle et sedition » de Nîmes, voir aussi :

La maison de savoie et Les aLpes : emprise, innovation, identification

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des recrutements à Lyon et en Périgord, alors que Charles de La Garaye prenait en charge la Bretagne et Ardoin de Porcelet, seigneur de Maillane, la Provence et le Languedoc. Comment payer tous ces soldats ? Outre l’argent des bourgeois réformés, il y aura bien vite aussi les ornements, objets du culte et reliquaires des églises pillées.

En Provence, des affrontements avaient eu lieu à Castellane, où le ministre, Antoine Richieu, frère de Paul Richieu de Mauvans, avait été lynché31. Comme La Renaudie voyait aussi dans la conjuration sa propre vengeance contre les Guises, Paul de Mauvans et ses adeptes faisaient de même, en cherchant à laver cet affront. Jean de Maillane32 avait réuni à Mérindol les représentants de 60 églises réformées qui, le 12 février 1560, avaient élu Mauvans « chef et conducteur de leurs gens de guerre » qui s’élèveront à 2 000 hommes33. Il avait également convaincu le consistoire d’Aix de dépêcher des représentants à la « diète » de Nantes et, en son absence, laissé le capitaine Chasteauneuf poursuivre les levées en Provence alors qu’il se rendait à Nîmes. Calvin, qui répond à Jean Sturm, recteur de l’Académie de Strasbourg, le 23 mars, alors qu’il n’est pas encore averti du résultat désastreux de la conjuration d’Amboise, écrit :

dans quelques villes de Provence, de braves gens ont eu plus d’audace que je ne voudrais. J’avais conseillé qu’ils ne parussent pas sur la scène avant la lustration [purification] de la cour : leur précipitation va maintenant engendrer de plus vastes mouvements.34

Cette formulation permet de conjecturer un plan de soulèvement général, mais graduel, des églises, dont le premier palier visait la cour de France. En

Anne de Montmorency à François II, Écouen, 5 mai 1560 (AnR, mss occidentaux, ABT 103, n° 5).

31 C’est Antoine Escalin des Aimars, baron de La Garde, général des galères, le massacreur des Vaudois du Luberon, qui, en l’absence du comte de Tende, gouverneur de Provence, en sa qualité de lieutenant de ce dernier, ramène l’ordre à Castellane et fait punir les séditieux (baron de La Garde au duc de Montmorency, Marseille, 25 mai 1559, BnR, mss occidentaux, ABT 98-1, n° 14). Sieur de Pépin (probablement Louis de Cassin, seigneur de Puipin ou Pépin dont le fils, Joseph, sera dans la Ligue marseillaise) au baron de La Garde, Aix-en-Provence, 1er juin 1559 (ibid., n° 8).

32 « Jehan de Maillane, natif de la cité d’Arles en Provence » avait été reçu habitant de Genève, comme réfugié, le 25  août 1551 (P.-F.  Geisendorf, Livre des habitants de Genève, t. 1, 1549-1560, Genève, 1957, p. 13). La Seigneurie de Genève, qui tient à se désolidariser des séditieux du royaume de France, engage son procès en décembre 1560 (H. Naef, La Conjuration d’Amboise…, op. cit., p. 217-236).

33 Histoire universelle de Jacques-Auguste de Thou depuis 1543 jusqu’en 1607, Londres, 1734, t. III, liv. XXV, p. 555.

34 Interea in oppidis quibusdam Provinciae plus aussi sunt boni viri quam vellem. Suaseram ne ante aulicam lustrationem in publicum prodirent : nunc festinatio eorum maiores gignet motus (Jean Calvin à Jean Sturm, 23  mars 1560, Johannis Calvini opera…, op. cit., t. XVIII, n° 3174, col. 38-39).

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effet, au moment où les conjurés manquent leur coup sur les bords de la Loire, Paul de Mauvans échoue dans sa tentative pour s’emparer d’Aix-en-Provence et de Pertuis. De leur côté, les Marseillais résistent efficacement aux « sedictions, esmotions et rebellions »35, alors qu’à Salon, en mai 1560, une bande pourchasse les réformés pendant cinq jours. Mauvans choisit alors de se jeter sur la Haute-Provence en massacrant les clercs et en saccageant les églises. En face, les paysans catholiques s’arment pour lui résister et, en novembre 1560, la guerre de Religion est ouverte en Provence36.

Au printemps 1560, favorisée par les prédications de Boisnormand, c’est une révolte à tonalité anabaptiste qui se répand sur la Moyenne Garonne, comme on sait qu’il en fut de même en Normandie37. Elle aboutira notamment, par une opération concertée des consistoires alentour, à l’assassinat du baron de Fumel (24 novembre 1561)38. En Bas-Languedoc, les « briseurs dimages autels croix et autres » s’emparent des églises et en chassent « les evesques, chanoines, prestres, nonnains et religieux ». Antoine de Crussol ordonne de les réintégrer et de leur restituer leurs biens39.

Après l’échec des opérations d’Amboise et de Provence, en août et septembre 1560, Charles Du Puy de Montbrun et Paul de Mauvans tentent encore de s’emparer de Lyon. Grâce, notamment, au financement de Nîmois, des armes sont achetées et entreposées dès les mois de mai-juin et, au tout début de septembre suivant, plus d’un millier de soldats sont levés et armés par les églises en Bas-Languedoc40. Septembre 1560 est bien le moment où le consistoire de Nîmes étend son autorité sans partage sur la ville. Ceux-ci font mouvement de Montpellier et Nîmes vers Lyon41. Dès le 16 du mois, « cuidant que leur entreprinse deust bien réussir, et

35 Les consuls de Marseille à François II, Marseille, 31 mai 1560 (BnR, mss occidentaux, ABT 98-1, n° 24).

36 E. Arnaud, Histoire des protestants de Provence, du Comtat venaissin et de la principauté d’Orange, Paris, 1884, rééd., Genève, 1979, t.  1, p. 117-125. G.  Lambert, Histoire des guerres de Religion en Provence (1530-1598), Toulon, 1870, 2 vol., rééd., Nyons, Chantemerle, 1972.

37 Histoire universelle…, op. cit., t. III, liv. XXV, p. 558-559.38 François Le Guay, dit La Pierre, sieur de Boisnormand, était un lettré et humaniste

originaire de Normandie. En septembre 1557, il avait quitté Genève pour venir installer la Réforme en Béarn, puis à Nérac et Condom.

39 Antoine de Crussol à Catherine de Médicis, 15  janvier 1560 (BnF, ms fr. 3186, fol. 25).

40 Joyeuse finit par « scavoir les lieux où l’on a contribué argent pour l’entretenement de leurs gens de guerre et qui ont esté ceulx qui ont desboursé l’argent » (François II au comte de Villars, Orléans, 4 novembre 1560, BnR, mss occidentaux, ABT 17, n° 36).

41 Un seul Nîmois, qui se fait appeler Bois et que Joyeuse ne parvient pas à identifier malgré la demande pressante du roi, avait ainsi avancé 8000 livres pour cette entreprise (Joyeuse à François  II, Joyeuse, 26  septembre 1560, É.  de Barthélemy, Correspondance inédite…, op. cit., p. 37-39). Allan A. Tulchin, That Men Would Praise

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s’en sont retournés en leurs maisons paisiblement comme s’ils venoient de faire service au Roy ; les conducteurs nous sont bien cogneus en ce pays et ceulx qui les fraient » écrit Joyeuse au connétable. Il s’agit bien là des milices des églises du Bas-Languedoc et Joyeuse a l’assurance que, parmi ceux qui ont payé et procédé à cette levée, « il y en a de bien congneu qui sont esté à la faction d’Amboyse et encore ont mené gens à Lyon ». Faisant suite à la demande du roi qui veut connaître toutes les ramifications de l’affaire d’Amboise, Joyeuse enquête sur les meneurs et il identifie les capitaines des milices des consistoires, qui sont « quelques gentilhommes des pays de petit lieu qui se sont rendus ausdites villes [de Nîmes et de Montpellier, pour constituer la troupe destinée à Lyon] avec nombre de soldats portant armes et se rendant comme gouverneurs des villes, auxquels le popular [petit peuple] a ja quelque obéissance »42. Le capitaine de Pont-Saint-Esprit, sur le Rhône, déclare que « voyant la grande esmotion quest en ce moment en ce pays de Languedoc et Dauphiné pour raison des huguenaulx ma falu mettre beaucoup davantaige de soldats à la garde du Pont »43. Joyeuse révèle encore que, depuis les mois de mai-juin, Montbrun envoie des émissaires (notamment un gentilhomme voisin de Nîmes et un membre de son présidial) aux églises de Guyenne44. Ces liens démontrent déjà une action concertée entre les synodes de Provence, du Dauphiné, de Languedoc et de Guyenne. Face à elle, Joyeuse est bien désemparé car, si le roi lui promet en septembre de lui envoyer 400 gendarmes et 6 000 hommes de pied pour remettre la province en obéissance, il est dépourvu de troupes45. Dès le 12 avril 1560, François II avait envoyé Gaspard de Saulx-Tavannes en Dauphiné pour y réprimer l’insurrection ; il y était aidé par le baron des Adrets (encore catholique) et Claude de Savoie, comte de Tende, gouverneur et grand sénéchal de Provence46. Honorat de Savoie, comte de Villars, avait la même mission en Languedoc.

the Lord. The Triumph of Protestantism in Nîmes (1530-1570), New York, 2010, p. 78-95.

42 Joyeuse précise que ces petits nobles sont communément endettés et que leur position de débiteurs facilite leur contrôle – et leur utilisation – par leurs créditeurs, alors que l’essentiel des magistrats du roi « soubs main les favorisent » (Joyeuse à François II, Joyeuse, 26 septembre 1560 (ibid., p. 37-39).

43 Bertrand de Rocquart à Anne de Montmorency, 11  octobre [1561] (Archives du château de Chantilly, L, t. XVIII, fol. 147). Installés à Bolène, en Comtat venaissin, les Rocquart étaient possessionnés en Dauphiné. Ce capitaine sera gentilhomme servant de la Maison de Charles IX et chevalier de l’ordre du roi.

44 Joyeuse à Anne de Montmorency, Joyeuse, 27  septembre 1560 (É. de Barthélemy, Correspondance inédite…, op. cit., p. 39-40).

45 Guillaume de Joyeuse à Anne de Montmorency, 16 septembre 1560 (ibid., p. 35).46 Claude de Tende était le fils aîné de René, bâtard de Savoie, comte de Villars, grand

maître de France, qui était lui-même fils naturel de Philippe, duc de Savoie. Par

La conjuration d’amboise (16 mars 1560)

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Enquêter à Genève

Hubert Languet, qui s’attachait à convaincre l’Électeur Auguste de Saxe que les huguenots français étaient des frères et qu’il fallait les aider parce qu’ils partageaient la foi des Allemands évangéliques, découvre une France où « tout est si plein de suspicion que les hommes qui ont quelque poids osent à peine parler entre eux. »47

Emmanuel-Philibert, avec Philippe  II, avait été gratifié du collier de l’ordre de Saint-Michel, en septembre 1559, alors que leurs respectifs mariages scellaient la paix du Cateau-Cambrésis. C’est au moment où les échanges territoriaux prévus dans le traité sont finalisés que la conjuration d’Amboise éclate48.

Par les deux lettres qu’il envoie au cardinal de Lorraine et au duc de Guise, datées de Nice le 28 mars, nous constatons qu’Emmanuel-Philibert n’est pas encore informé de la conjuration49. Son maître des comptes, le Piémontais Jean Matthieu de Coconat50, se trouve à la cour de France,

lettres patentes du 2  janvier 1562, Emmanuel-Philibert déclarera que Claude, et ses descendants, pourront succéder aux États de Savoie si la lignée directe venait à manquer. La Sague, dans ses prétendues révélations, faisait de Tende, qui était le beau-frère du connétable de Montmorency, un des acteurs du complot des Bourbons, comme également le duc d’Étampes, Burie et même Blaise de Monluc ! La consultation de leurs correspondances ne laisse aucun doute sur le non-sens de ces accusations.

47 Cité par Béatrice Nicollier-de Weck, Hubert Languet (1518-1581). Un réseau politique international de Mélanchton à Guillaume d’Orange, Genève, 1995, p. 106. L’ambassadeur de France en Savoie est M. de La Vigne, qui s’éteint en mai 1560 (Marguerite de France à François  II, Nice, 23  mai 1560, BnR, mss occidentaux, ABT 46, n° 29).

48 B.  Haan, Une Paix pour l’ éternité. La négociation du traité du Cateau-Cambrésis, Madrid, 2010, p. 157-169.

49 BnR, mss occidentaux, ABT 47, n° 53 et 54.50 Gio. Matheo de Coconat (ou Coconas) sera ensuite général des guerres (V. B. Flour

de Saint-Génis, Histoire de Savoie d’après les documents originaux, Chambéry, 1869, t. 2). Il est apparenté au capitaine des Suisses Annibal, comte de Coconat, né vers 1535, qui serait entré dans la maison de Monsieur grâce à la protection de la reine mère (Nicolas Le Roux, La faveur du roi : mignons et courtisans au temps des derniers Valois (vers 1547-vers1589), Seyssel, 2001, p. 97). Ce dernier figure parmi les bons informateurs de l’ambassade d’Espagne à la cour de France. Au moment de son départ, l’ambassadeur Francès de Álava, qui se retire pour demeurer une sorte de « grand espion » de Philippe II, le recommande à son successeur, Pedro de Zúñiga, comme une personne qui a l’étoffe d’un agent secret (Recommandations d’Álava à Zúñiga, 1571, AGS, Estado, K, n°  67). Sa foi inébranlable et militante s’était exprimée par sa sauvagerie lors du massacre de la Saint-Barthélemy. Il suit Henri de France en Pologne, devient chambellan et gentilhomme de sa chambre avant qu’il ne le désavoue. Coconat est alors lié à deux complots majeurs, étrangement favorables aux protestants. Le premier avait pour but de faire évader de la cour de France le roi de Navarre et le duc d’Alençon. Le second, plus important encore, à l’instigation de La Mole, visait à reprendre le projet d’évasion des princes et à s’opposer à l’accession

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« pour quelques affaires particulières », quand la conjuration d’Amboise a lieu.

il lui fut proposé de la part de Sa Majesté, de la reine mère, du cardinal de Lorraine, et des autres gouvernants, qu’il serait expédient pour l’utilité publique et pour le bien commun, d’expulser cette lie d’hommes perdus qui peuplent la cité dans laquelle avait été ourdie la sédition […] par les soins de ce grand architecte d’infamie Calvin, et des autres hérétiques qui y tenaient auberge ; Sa Majesté Très Chrétienne nous invitant à faire cette entreprise [la conquête de Genève] comme nous l’entendrions, en qualité de seigneur de ladite cité [de Genève], et nous offrant pour cela toute son aide et toutes ses forces.51

La vaste et intense recherche des complicités que François  II diligente ramenant toujours à Genève, l’exercice de son autorité sur le royaume de France rejoint celle de son cousin sur son duché de Savoie retrouvé. Dès la conjuration – peut-être avant – les émissaires d’Emmanuel-Philibert informent François II et les Guises de ce qu’ils savent sur l’implication des Genevois dans le complot, ainsi que du remède proposé : « l’entreprinse commancée sur la ville de Genève ». Languet écrivait, dès le mois de février 1560, que le duc de Savoie s’armait pour s’emparer de Genève, laquelle s’apprêtait à se défendre. À ce moment-là, il avait cependant du mal à croire qu’un prince aussi pauvre, à peine rétabli sur son trône, osât se lancer seul dans une telle entreprise. Il suspectait qu’il y fût poussé par des princes plus puissants que lui52. Le 6 mai suivant, Henri Walther, secrétaire d’État de Strasbourg confirmant au Conseil de Bâle l’existence d’une grande ligue confessionnelle secrète dirigée contre Genève, à la tête de laquelle se trouve le vainqueur de Saint-Quentin.

Je viens d’apprendre aujourd’hui de quelqu’un très affectionné à la Confédération et très porté à lui rendre service, qu’il tient pour certain, d’un des personnages les plus en vue et les plus haut placés de France […] que le pape, le roi de France, le roi Philippe avaient pendant la semaine de Pâques [14 avril 1560] […] conclu avec la Savoie une ligue dans le but d’entreprendre

au trône du roi de Pologne pour lui substituer le duc d’Alençon, par un soulèvement des réformés et des Malcontents avec l’appui d’Allemands. Le complot est découvert, Ludovic de Nassau est tué (14 avril 1574), La Mole et Coconat condamnés à mort et exécutés (30 avril) (S. Brunet, « De l’Espagnol dedans le ventre ! »…, op. cit., p. 428-430).

51 Instructions du duc de Savoie à son ambassadeur auprès du Saint-Siège, s.d. (mais antérieur à juin 1560) (Cité par L.  Cramer, La seigneurie de Genève et la Maison de Savoie, 1re partie (1559-1580), Genève, 1912, t.  2, p. 33). Voir aussi : P. Merlin, Emanuele Filiberto : un principe tra Piemonte e Europa, Turin, 1995.

52 Lettre du 14 février 1560, citée par Béatrice Nicollier-de Weck, Hubert Languet…, op. cit., p. 97-98.

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une nouvelle guerre. Afin que rien ne transpire de cette association, le duc de Savoie doit la commencer et la conduire en son nom personnel et en être le général ; pour cela, tout l’argent et ce qui est nécessaire à la guerre serait déjà prêt […] ; il doit assaillir d’abord Genève, ensuite ceux qui ont accaparé quelque portion de son pays ou l’accaparent présentement, puis, quand cela sera achevé (veuille le Tout-Puissant, comme il l’a fait jusqu’ici, les en empêcher), tous ensemble ont l’intention, avec toutes leurs forces, de frapper un grand coup contre ceux qui professent la religion réformée53

Henri Naef, qui ne connaît l’existence de cette ligue que par cette seule missive, en vient à la mettre en doute. Il s’étonne cependant de trouver là « tout le plan qu’une année plus tard, le duc proposait aux princes catholiques quand il s’offrit comme général du concile de Trente » et il estime « qu’il n’y a pas de fumée sans feu ». En effet, les lettres d’Emmanuel-Philibert conservée à la Bibliothèque nationale de Saint-Pétersbourg confirment l’existence de cette ligue catholique. Henri Naef la retrouve dans les instructions que le duc adresse à son ambassadeur auprès du Saint-Père, Antoine-Marie de Savoie, seigneur de Collegno, antérieure à juin 1560. Collegno trouve dans Rome le plus chaleureux accueil auprès du doyen du Collège des cardinaux, François de Tournon, cardinal d’Ostie. Le pape, qui distribuait de l’argent pour favoriser les luttes confessionnelles en Suisse, en réserva aussi pour le duc.

plus endommagée par la doctrine et factions des habitans et predicateurs de Genefve que de nul autre endroict de toutte la chrestienté et pour parvenir à l’effaict de leurs mauvaises intentions ils s’efforcent de mettre par tous moyens le repos et tranquillité de ladicte chestienté en trouble desordre et confusion ainsi que puis naguyeres [depuis peu] monseigneur vous avez peu entendre par leurs menées et conspirations ausquelles ils avoyent attiré quelques ungs de vos pauvres subjects, en quoy nayant moyen de vous faire aultre service pour cest heure que de vous donner advis de ce que jen ay peu descouvrir

Le 16  mai, jour de la rédaction de la lettre d’Emmanuel-Philibert à François II, Coconat est donc de retour à Nice, porteur, notamment, d’une délibération du roi de France « dextirper les hérésies » de son royaume54. Il assure le duc des faveurs de François de Guise qui le soutient dans son opération militaire prévue contre Genève55. Les faveurs des Lorrains à son égard s’accompagnent d’ailleurs de la livraison de quatre galères, promises

53 Cité par L.  Cramer, La seigneurie de Genève…, op.  cit., t.  2, p. 31 et traduit de l’allemand par H. Naef, La conjuration d’Amboise…, op. cit., p. 189-190.

54 Emmanuel-Philibert de Savoie à François  II, Nice, 16  mai 1560 (BnR, mss occidentaux, ABT 47, n° 55).

55 Emmanuel-Philibert de Savoie à François de Guise, Nice, 17 mai 1560 (ibid., n° 56).

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par le roi, avec sa chiourme, par le grand prieur de l’ordre de Malte, autre François de Guise56.

Comme le duc de Savoie a obtenu de nouveaux renseignements sur Genève par le comte de Saint-Martin, sieur de Parelle57, il l’envoie aussitôt auprès du roi et des Guises. Le cardinal de Lorraine s’était cependant ouvert au duc de Savoie des menaces qu’Élisabeth d’Angleterre faisait peser d’une guerre ouverte contre la France, en raison de la querelle religieuse qui agitait l’Écosse. Le cardinal accusait d’ailleurs ouvertement celle-ci de participer aux troubles qui agitaient le royaume de France58. Au même moment, Marguerite de Parme, gouvernante des Pays-Bas, informait son frère, Philippe II, que, si ce conflit franco-anglais avait lieu, il risquait fort de s’y trouver entraîné59. Emmanuel-Philibert rappelle cependant à ses cousins de Guises que « nous ne pouvons faire acte plus digne ne honorable pour le respect de nos maisons que de nous monstrer protecteurs de nostre mere saincte Eglise ainsi que nous avons tousjours esté. »

voyant que la plupart des troubles qui se font aujourd’huy en la chrestienté vient de la ville de Genevfe comme vous scavez trop mieulx et que pendant quelle sera comme elle est lon ne peult esperer aucun repos et tranquillité en icelle. Je fais ce que je puis pour entendre les conspirations qui sy font mesmement contre le service de sa magesté tres chrestienne et à ceste fin

56 Emmanuel-Philibert de Savoie au cardinal de Lorraine, Nice, 10 et 12  juin 1560, puis à François II, Nice, 14 juin 1560 (ibid., n° 66, 57 et 52). Marguerite de France au cardinal de Lorraine, Nice, 10 juin 1560, et à François II, Nice, 12 juin 1560 (ibid., ABT 46, n° 31 et 32). Durant sa jeunesse, Emmanuel-Philibert avait vu Nice, une de ses dernières possessions, aux mains des pirates musulmans d’Alger, alliés du roi de France. S’il avait pu sauver de la destruction et du pillage son château et sa garnison, c’était grâce à des galères génoises.

57 San Martino di Parella. Les comtes, puis marquis, de Parella constituaient une des dix branches de la maison de Saint-Martin. Le château de Parella est situé sur la commune de Colleretto-Parella, rive gauche du torrent Chiusella, face à Pérouse. Un Paul-Émile Saint-Martin de Parelle sera marquis de Brosso, co-seigneur de la vallée de Quy, de Pedagno, de Lessolo, de Creme, gouverneur et lieutenant général du duché d’Aoste, d’Ivrée et de Canavèse, lieutenant général de la cavalerie de Savoie, et chevalier de l’Annonciade (1636). Il s’éteint en 1684.

58 Emmanuel-Philibert au duc de Lorraine, Nice, 12 juin 1560 (ibid., n° 66). À juste titre, Emmanuel-Philibert pensait qu’Élisabeth, n’étant plus soutenue par Philippe II, chercherait plutôt un « accord et composition » plutôt qu’une attaque frontale. C’était aussi l’avis de son épouse Marguerite de France au cardinal de Lorraine, 17  mai 1560 (ibid., ABT 46, n° 28). Voir : N. M. Sutherland, « Queen Elizabeth and the Conspiracy of Amboise. March 1560 », The English Historical Review, t. LXXXI, n° 320, 1966, p. 474-489.

59 Marguerite de Parme à Philippe II, 28 février 1560 (Cité par C. Paillard, « Additions critiques à l’histoire de la conjuration d’Amboise », op. cit., p. 78). Philippe II s’efforce alors d’apaiser la situation, et d’éviter à tout prix l’intervention armée d’Élisabeth au profit des congrégationnistes écossais.

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jenvoye vers elle le sieur de Parelle present porteur pour luy declarer ce que pardeca jay peu scavoir a la verité.60

Depuis un an, Emmanuel-Philibert ne cessait d’envoyer des missions secrètes à Genève, et d’y maintenir des intelligences. Loys Alardet, avec l’alliance des Ligues helvétiques, avait notamment travaillé, jusqu’en janvier 1560, à convaincre les Genevois de reconnaître le duc de Savoie comme souverain, tout en gardant leur liberté de conscience61. La diplomatie ayant échoué, le duc de Savoie envisageait désormais la guerre. Mais ses agents ne pouvaient qu’être informés des allées et venues d’émissaires français. Il est assuré que La Renaudie se trouvait à Genève en mai 1559. La renonciation d’Antoine de Bourbon à prendre la tête d’une résistance armée, le 22 août suivant, reportant ce rôle sur Condé, révèle les linéaments d’une conjuration au sujet de laquelle François de Maurel sonde Calvin62. En octobre suivant, c’est Antoine de Chandieu, en tant qu’émissaire des conjurés, qui vient à son tour à Genève pour s’entretenir avec Calvin sur l’opération projetée, avant que La Renaudie, en décembre, ne soit rabroué par le réformateur.

Selon Jacques-Auguste de Thou (Histoire universelle, t. II), le cardinal de Lorraine aurait été averti de la conjuration de plusieurs côtés : d’Allemagne, d’Italie, d’Espagne et de Flandre, puis enfin par cet avocat parisien nommé Des Avenelles. Charles Paillard écarte l’hypothèse d’un avertissement directement depuis l’Espagne. En effet, il s’agirait de Granvelle, depuis Bruxelles, qui charge son frère, Chantonnay, de prévenir le cardinal de Lorraine. Il s’efforce, habilement, d’identifier les autres informateurs et de les placer dans un enchaînement chronologique. Il semble évident que « l’Italie », sur laquelle il n’apporte aucun éclairage, désignerait les informateurs piémontais du duc de Savoie : Coconat et Parelle. Coconat a fait un séjour à Genève en juillet 1559, au cours duquel il a notamment rencontré Johann Steiger, boursier du pays romand, les seigneurs du Conseil et fait une étude précise des fortifications de la cité et des possibilités éventuelles de s’en emparer63. Sans pouvoir l’affirmer, il est fort probable que les émissaires savoyards furent dans les premiers, si ce n’est les premiers, à informer les Guises et François II sur la conjuration projetée, avant le 16 mars, voire avant le 5 février, date à laquelle celle-ci, sur les instances de François de Guise, quitte Blois pour le château d’Amboise.

60 Emmanuel-Philibert de Savoie au cardinal de Lorraine, Nice, 17 mai 1560 (BnR, mss occidentaux, ABT 47, n° 50).

61 V. B. Flour de Saint-Génis, Histoire de Savoie…, op. cit, t. 2, p. 106-107.62 H.  Naef, « Justice pour La Renaudie », Bulletin de la Société de l’Histoire du

Protestantisme Français, t. CXVII, 1971, p. 296-316.63 Gio. Matteo de Coconnat à Emmanuel-Philibert, Verceil, 19  juillet 1559 (AST,

Lettere ministri, Francia, mazzo 1, publiée par L. Cramer, La seigneurie de Genève…, op. cit., t. 2, p. 6-14).

La maison de savoie et Les aLpes : emprise, innovation, identification

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Une croisade contre Genève, cachée sous l’apparence d’un rétablissement de l’ordre savoyard

Les arguments du duc de Savoie et les bons services du duc de Guise emportent, dans un premier temps, l’adhésion du roi de France64. Dès la fin du mois d’avril, le Conseil secret de Genève est averti que le duc de Guise assemble des troupes à Villefranche, près de Lyon, et que le duc de Savoie en lève en Piémont et en Bourgogne, pour se porter sur Genève. La ville se prépare à un assaut quand, le 7 mai le bruit court qu’Emmanuel-Philibert a non seulement le soutien de François II, mais également celui de Philippe II et du pape. Cette rumeur est confirmée par des avis convergents de Berne65. C’est bien une croisade qui est envisagée. Mais les Genevois, qui ont aussi leurs espions à la cour de Nice, savent qu’Emmanuel-Philibert manque d’argent pour opérer ses levées. Le 21 mai, ils apprennent que les troupes du Piémont assemblées à Lyon doivent en fait se diriger vers Rouen pour, de là, aller en Écosse.

Le 6  juin 1560, François II s’adresse à Pie IV, à Philippe II et à la République de Venise pour les inciter « à seconder la louable entreprise que le duc Emmanuel-Philibert vouloit exécuter sur Genève »66. Presque simultanément, le 11  juin, le pape écrit à François  II, dans le même sens67. À la réception des lettres de François II, qui promet de « puissantes troupes », notamment depuis la Bourgogne, Pie IV renouvelle ses instances auprès de Philippe II, le 13 juin68. Le même jour, c’est le cardinal Charles Borromée, nommé « cardinal protecteur de la Suisse » par le pape, qui entretient Collegno de l’aide financière déjà apportée par la cour de Rome à Emmanuel-Philibert, et sur celle qui le sera encore69.

Nous avertissons M. de Collegno que sa Sainteté a déposé 20,000 écus en mains de Thomas de Marini, à Milan. Cette somme doit servir aux cantons catholiques contre les hérétiques qui veulent attaquer les fidèles. Les cantons protestants sont irrités des projets des catholiques contre Glaris. Grâce à ces 20,000 écus, les cantons hérétiques étant empêchés, ne pourront aller au secours de Genève quand Son Altesse [Emmanuel-Philibert] lui donnera l’assaut.

64 François II au duc de Savoie, 1er juin 1560 (BnR, mss occidentaux, ABT 17, n° 54). 65 H. Naef, La conjuration d’Amboise…, op. cit., p. 177-181.66 Pie IV a été élu pape le 25 décembre 1559.67 Pie IV à François II, Rome, 11 juin 1560 (AST, 1re catégorie, paquet 14. Jean Gaberel,

Histoire de l’Église de Genève, Genève, 1858-1862, t. 1, pièces justificatives, p. 199).68 Pie IV à Philippe II, Rome, 13 juin 1560 (ibid., p. 200).69 Créé cardinal en janvier 1560, il est nommé archevêque de Milan en février suivant.

Il est donné comme protecteurs aux Cantons suisses, au Portugal, aux Pays-Bas, et à divers ordres religieux (A.  Deroo, Saint Charles Borromée, cardinal réformateur, docteur de la pastorale (1538-1584), Paris, 1963, p. 100).

La conjuration d’amboise (16 mars 1560)

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2e Quand Son Altesse marchera sur Genève, elle recevra également 20 000 écus comptant pour payer, durant trois mois, cette entreprise. 

3e Le pape enverra sa cavalerie à ses frais pour chasser les fugitifs genevois ; car cette guerre doit être courte, vu que les Turcs pourraient bien nous inquiéter.

4e Sa Sainteté trouve à propos de ne pas appeler cette guerre luthérienne, mais seulement guerre contre des rebelles et une cité qui est la propriété du duc Emmanuel-Philibert.

5e Sa Sainteté s’arrangera avec les Français pour qu’ils fassent partir des détachements des cinq garnisons qu’ils ont en Piémont, afin que Son Altesse voie bien que le pape désire son bien-être et son contentement70.

L’ambassadeur du roi de France auprès des Ligues, Mathieu Coignet, qui se trouvait à la cour au même moment que la mission ducale, avait reçu de nouvelles lettres de créances le 23 mai. François  II lui ordonnait d’appuyer auprès des Ligues les revendications savoyardes71. Cette attitude, qui allait à l’encontre de la politique traditionnelle des Rois Très Chrétiens à l’égard de la Confédération, était lourde de conséquences. Ceux-ci avaient toujours cherché à entretenir les Suisses, qu’ils soient catholiques ou protestants, dans la plus grande cohésion, afin de garantir le maintien d’un effectif de mercenaires. Probablement sous l’influence des Guises, François II donnait là une adhésion indirecte à la politique d’Emmanuel-Philibert, qui consistait à s’attacher à démembrer la Confédération, et il marquait la déchéance française à son égard. S’opposant à la position de Lucien Cramer, Henri Naef considère que, par ce renoncement, les Guises démontrent qu’ils craignent moins la Savoie et l’Espagne que Genève et les Ligues72. Très bienveillant à l’égard de Della Rovere, François de Guise n’avait pas hésité, de son côté, à mettre, personnellement, 100 000 écus à la disposition d’Emmanuel-Philibert.

À cette heure, le duc de Savoie se prépare donc à monter à l’assaut de Genève, à la tête d’une coalition des puissances catholiques, et avec la bénédiction papale. François de Guise doit y tenir une place majeure, le duc de Savoie lui rendant grâce « pour lexecution de laffaire » de « n’espargner

70 AST, paquet 49, n° 2 (J. Gaberel, Histoire…, op. cit., t. 1, pièces justificatives, p. 200-201). Voir aussi : L. Cramer, La seigneurie de Genève…, op. cit., t. 2, p. 107 et 190-192 ; bref de Pie IV, et lettre de Borromée à Collegno, reprise dans les preuves n° XLII et XLIII.

71 L. Cramer, La seigneurie de Genève…, op. cit., t. 1, p. 67 et t. 2, p. 45 et 48.72 H. Naef, La conjuration d’Amboise…, op. cit., p. 192.

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ne vos biens ne vostre personne. »73 Il est soucieux, dans ses lettres, de bien marquer que ce ne sont pas ses propres intérêts territoriaux qui le guident, mais qu’il agit d’abord « pour le profit de la chrétienté ».

On a dit les penchant pour la Réforme de son épouse, Marguerite de France, alors souffrante en ce printemps 1560, et qui le sera encore à l’automne74. Pourtant, ses lettres ne laissent aucun doute sur sa volonté d’apaisement des « troubles de Religion » en France, même s’il faut pour cela s’en prendre directement à Genève. Elle loue, et encourage en ce sens François II et tout particulièrement le cardinal de Lorraine, considérant que la reine d’Angleterre n’osera pas s’attaquer à un aussi grand prince que le roi de France. Elle reconnaît que, malgré tous les efforts du cardinal de Guise contre les réformés, 

il en reste tousjours quelque racine que lon ne peult extirper si ce nest par le travail et sollicitude que vous avez envye d’y employer et qui me fait craindre tant d’autres affaires dont vous estes chargé vous ny puissiez satisfaire.75

La duchesse avait retenue auprès d’elle Michel de L’Hospital, comme chancelier de Savoie, lequel la quitte à la fin du mois de mai pour devenir chancelier de France. Elle espère qu’il « servira [le cardinal de Lorraine] aussy fidellement et suffisament qu’il vous est obligé »76. L’Hospital ne

73 Emmanuel-Philibert à François de Guise, Nice, 29 juin 1560 (BnR, mss occidentaux, ABT 17, n ° 60).

74 François II lui envoie ses médecins, dont le renommé Honoré de Castellan (dit aussi Du Chastel), qui reste à ses côtés (Marguerite de France à François II, Nice, 29 juin 1560, BnR, mss occidentaux, ABT 46, n° 37). Castellan, dont les parents, natifs de Riez, en Haute-Provence, avaient été contraints à aller habiter à Avignon « à cause des guerres », était titulaire d’une chaire de médecine à la faculté de Montpellier. Il a été successivement premier médecin des rois Henri II, François II puis Charles IX (livre de raison de Jeanne du Laurens (1563-1635), sa nièce, publié par : C. de Ribbe, Une famille au XVIe siècle, Paris, 1868, p. 37-40 et 97). Marguerite vient d’avoir 37 ans, et elle devra encore attendre un an et demi avant de mettre au monde son premier enfant et donner enfin un héritier au duc de Savoie : Charles-Emmanuel (R. Peyre, Une princesse de la Renaissance : Marguerite de France, duchesse de Berry, duchesse de Savoie, Paris, 1902).

75 Marguerite de France au cardinal de Lorraine, Nice, 12 juin (1560, date rétablie par nous) (ibid., ABT 46, n° 33).

76 Marguerite de France au cardinal de Lorraine, « mon cousin », Nice, 17 mai 1560 (ibid., ABT 46, n° 33 et 28). Dans la seconde lettre, Marguerite de France dit qu’elle charge L’Hospital de legs d’objets précieux et de recommandations testamentaires de M. de La Vigne, ambassadeur de France auprès du duc, qui vient de mourir, en direction de François  II et du cardinal de Lorraine (Marguerite de France au cardinal de Lorraine, Nice, 24 mai 1560, n° 30). C’est d’abord par son érudition, ses qualités littéraires et poétiques que L’Hospital fut remarqué par la princesse, avant ses connaissances juridiques et sa vertu. Il devint l’équivalent d’un premier ministre, avec le titre de chancelier, dans son duché du Berry. Elle le recommande

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pouvait donc qu’être au courant du projet d’une offensive contre Genève qui, quelle qu’en soit son opinion, allait devoir s’interrompre.

Juin 1560 : Genève échappe à « l’un des plus grands dangers que son indépendance ait couru » (J. Gaberel)77

Outre par la punition exemplaire des conjurés, la recherche assidue de leurs complices, la justice du roi s’abat sur les prédicants78, mais aussi sur le petit peuple qui, non seulement continue à les entretenir, mais refuse de déposer les armes. Comme des officiers des sénéchaussées et des présidiaux, souvent gagnés à la Réforme, s’arrangeaient pour ne pas instruire contre leurs coreligionnaires, ce sont les parlements, avec les gouverneurs de provinces et leurs lieutenants, qui doivent agir.

Ces résistances des officiers « moyens » sont notables en Guyenne, notamment à Agen, où ceux du présidial « maintenoyent  […]  ung des predicans qui estoyt cause de tout ce que s’y faisoit ». Le roi ayant fait arrêter les séditieux, et ayant commis une commission de magistrats du parlement de Bordeaux pour procéder contre eux, « cinq ou six centz hommes », probablement levés par les consistoires, n’hésitent pas à aller assiéger Blaise de Monluc, qui prêtait la main à la répression, dans son château d’Estillac79. La situation est identique en Poitou, qu’Antoine de Bourbon voudrait voir ajouter à son gouvernement de Guyenne, qui est pourtant déjà le plus étendu du royaume80. À Nîmes, Guillaume de Joyeuse, qui assiste le lieutenant du gouverneur, « est en grand peine de plusieurs prisonniers qu’il a faictz prendre […] pour ces hérésies », alors que plus de 500 ont pu se sauver de la cité. Mais, suspectant la partialité des officiers de justice, Joyeuse « n’a vouleu en layser prandre la coignoissance aulx presidiaulx dudict lieu ». La situation est d’autant plus délicate que c’est jusqu’à la cour qu’il y a

à Henri II qui le nomme président à la Chambre des comptes de Paris (1554). À la mort d’Henri II, le cardinal de Lorraine le fait entrer au conseil d’État mais, lorsque Marguerite rejoint son époux à Nice, en novembre 1559, elle lui offre le poste de chancelier de Savoie. Après son départ pour la cour de France, on pense le remplacé par René de Birague, mais c’est Thomas Languesque qui devient chancelier de Savoie. Marguerite ne cessera pas de lui accorder sa protection (R. Peyre, Une princesse de la Renaissance…, op. cit., p. 20-22, 60-61).

77 Jean Gaberel pense que c’est la mort de François II qui fit échouer le projet de guerre contre Genève, ce qui n’est pas exact (J. Gaberel, Histoire…, op. cit., p. 201).

78 É. Durot, « Le prédicant, hérétique et séditieux. De l’édit de Compiègne (1557) à l’édit de janvier (1562) », Revue Historique, t. CCCXI, n° 1, 2009, p. 39-63.

79 François II à Antoine de Bourbon, Châteaudun, 16 juin 1560 (BnR, mss occidentaux, ABT 17, n° 63).

80 François II à Antoine de Bourbon, Marchenoir, 9 juin 1560 (ibid., n° 62).

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« plusieurs qui poursuyvent pour eulx », en s’efforçant d’influencer le roi81. Ce sont également les habitants des « îles de Marennes » qui, s’ils déclarent leur obéissance au roi, entendent pouvoir élire leurs ministres de culte « qui en lieu de leur prescher l’evangille ne font que leur inciter à toute sedition et soubslevation »82.

Théodore de Bèze, mais aussi Calvin désormais, appellent de leurs vœux l’écrasement des Guises par les princes de sang. Le 4 juin, Calvin, qui veut s’employer à pousser à nouveau le roi de Navarre au gouvernement, par l’intermédiaire de Jean Sturm et de François Hotman, s’efforce d’obtenir l’intervention des princes allemands pour que François  II accorde aux protestants la liberté du prêche83. Le 26, Bèze avertit Henri Bullinger, antistès de l’Église de Zurich, de ses espoirs84.

Mais l’autre sujet principal d’inquiétude de François II est l’éventualité d’une guerre ouverte avec l’Angleterre, qui gagne en ampleur85. La révolte de l’opposition protestante écossaise, majoritaire au parlement, s’amplifiait à partir de mai 1559, et des troupes françaises soutenaient la régente Marie de Guise, permettaient de reprendre Édimbourg en septembre. Élisabeth Ire, qui appuyait les presbytériens écossais, avait alors répondu en envoyant une flotte pour rompre les communications depuis la France et elle se préparait à intervenir en Écosse par la terre. Élisabeth Ire, invoquant le droit de se défendre, alors que François II et Marie Stuart, qui s’intitulaient « rois de France, d’Écosse, d’Angleterre et d’Irlande », en appelant à la défense de la religion, tous sollicitaient l’appui de Philippe II. Le Roi Catholique, sur les conseils du duc d’Albe, s’attachait de son côté à préserver les intérêts de son royaume. Ceux-ci consistaient à maintenir la paix du Cateau-Cambrésis, en évitant une intervention armée de la France qui pourrait entraîner la conquête du trône d’Angleterre, et, d’un autre côté, à inciter Élisabeth Ire à tolérer les catholiques dans son royaume86. Philippe II décide alors d’envoyer à la reine d’Angleterre Felipe de Starvele, seigneur de Glaron, membre du Conseil des Pays-Bas, pour, sous la menace qu’il pourrait appuyer son beau-frère, François II, elle se contente de se défendre sans soutenir les révoltés écossais.

81 Honorat de Savoie, comte de Villars, lieutenant général en Languedoc, au duc de Guise, Persigny, 18 juin 1560 (ibid., ABT 113, n° 2).

82 François II à Charles de Coucy, sieur de Burie, lieutenant du gouverneur de Guyenne, Dampierre, 7 juillet 1560 (ibid., ABT 17, n° 25).

83 Johannis Calvini opera…, op. cit., t. XVIII, col. 98.84 Ibid., col. 121.85 Jean de Bretagne, duc d’Étampes, gouverneur d’Auvergne et de Bretagne, au duc de

Guise, Montfort, 16 juin 1560 (BnR, mss occidentaux, ABT 88, n° 25).86 Duc d’Albe et Ruy Gómez à Philippe II, Paris, 11 juillet 1559 (AGS, K 1492, n° 49).

Voir aussi : « Relación de lo que ha pasado entre el duque de Alva y el obispo de Limoges, embaxador del cristianísimo Rey de Francia sobre el particular de Escocia e Inglaterra », janvier 1560 (AGS, K 1493, n° 27).

La conjuration d’amboise (16 mars 1560)

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Il missionne en même temps, vers François  II, García Lasso de La Vega, afin de le convaincre de ne pas envoyer en Écosse un trop grand nombre de soldats, afin de ne pas provoquer une rupture avec Londres. Mais la réaction de Philippe II est beaucoup trop lente, puisque les ambassadeurs ne reçoivent leurs instructions qu’en avril 1560, laissant peser une expectative angoissante87. Il était trop tard. En janvier 1560, Élisabeth Ire avait envoyé une flotte dans le Firth of Forth, pour empêcher l’arrivée d’autres renforts français et, à la fin du mois de mars, une armée anglaise traverse la frontière d’Écosse et vient assiéger les forces françaises dans Leith88. Confrontés à la conjuration d’Amboise et à ses suites, les Guises ne voient pas d’autre solution que de négocier avec Élisabeth Ire. François II envoie Charles de La Rochefoucauld, comte de Randan « pour traicter [la paix] avec la Royne [d’Angleterre] et les Escossoys »89. Le 11 juin suivant, la régente d’Écosse, Marie de Guise, s’éteint.

Dès le 3 juin, lundi de la Pentecôte 1560, François II avait déclaré aux délégués savoyards, l’évêque Della Rovere et le comte de Saint-Martin, sieur de Parelle, que les affaires d’Écosse et d’Angleterre l’empêchaient de disposer de troupes et d’argent pour soutenir l’entreprise d’Emmanuel-Philibert, et que les troubles de France l’obligeaient à envoyer ce qui lui restait de soldats dans les provinces90. De son côté, Granvelle, le 21 juin, conseille à Philippe II de ne pas intervenir dans cette entreprise91. L’empereur, également sollicité par le duc de Savoie, reste réservé. Le 21 août suivant, le nonce de France apprend du nonce d’Espagne, Ottaviano Reverta, évêque de Terracine, que Philippe II n’est pas d’avis que le duc de Savoie s’engage pour le moment dans l’entreprise de Genève92. Devant la réserve du Roi Catholique, l’envoyé

87 Instructions de Philippe  II à García Lasso de La Vega, Almagro, 16  avril 1560 (AGS, K 1493, n° 60b). Instructions de Marguerite de Parme à Glajon, 16 avril 1560 (M. F. Álvarez, Tres embajadores de Felipe II en Inglaterra, Madrid, 1951, p. 75 et 79).

88 N. M. Sutherland, « The Origins of Queen Elizabeth’s Relation with the Huguenots, 1559-1562 », Princes, Politics and Religion, Londres, 1984, p. 73-96.

89 François II à Antoine de Bourbon, Marchenoir, 9 juin 1560 (BnR, mss occidentaux, ABT 17, n° 62).

90 Girolamo della Rovere à Emmanuel-Philibert, 7 juin 1560 (L. Cramer, La seigneurie de Genève…, op. cit., t. 2, p. 45). Invité à la cour de France par le duc de Savoie, Della Rovere est nommé évêque de Toulon en janvier 1560. Il sera ensuite archevêque de Turin (1564) et cardinal (1586).

91 Le Comtois Granvelle craint que les Suisses profitent de cette agression pour envahir la Franche-Comté. Mais il fonde son opinion sur des avis reçus, tant d’Italie que d’Allemagne, qui semblent participer de l’intoxication voulue par Pie IV : une entreprise seulement savoyarde et non une coalition, l’évêque d’Arras à Philippe II, Bruxelles, 21  juin 1560, Ch. Weiss (éd.), Papiers d’État du cardinal de Granvelle d’après les manuscrits de la Bibliothèque de Besançon, Paris, 1846, t. 6, p. 102-104).

92 Girolamo della Rovere à Emmanuel-Philibert, Fontainebleau, 21 août 1560 (AST, Lettere ministri, Francia, mazzo 1, publié par L. Cramer, La seigneurie de Genève…,

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extraordinaire de Pie  IV à Madrid, Santa Croce, déclare à son tour à Reverta que, bien qu’il ait déjà donné l’ordre d’y procéder activement, le pape se retire également93. Le 29 juin, le sieur de Parelle, de retour de la cour de France, est à Nice, pour annoncer que l’opération est suspendue. Emmanuel-Philibert écrit alors au cardinal de Lorraine :

J’ay entendu par Parelle la response qui luy a esté faicte touchant l’affere pour lequel je l’avoye dernièrement despesché et masseure bien que si les troubles et empeschements qui sont aujourd’huy estoient cessés, vous n’auriez moindre zèle et dévotion à l’exécution de ladicte affayre que moy, mais ce sera quand il plaira à Dieu en donner le moyen et avoir pitié de tant de crimes et divisions qui sont aujourd’huy en la chrestienté. Il me suffit quant à moy d’avoir fait quelques ouvertures [propositions] et m’estre voulu acquicter du debvoir auquel je me sens tenu et vous avoir particulièrement adverty comme celluy qui a pareille opinion que vous m’avez faicte par ledict Parelle quant lesdicts empeschemens que vous avez aujourd’huy cesseront et que les troubles tant d’Angleterre que ceulx de France aurons prins quelque fin ayant esgard qu’il y a plus d’interest pour le bien publicq que pour le mien particulier et que sans aulcune mienne requeste nostre sainct pere le pappe a bien fort bonne volunté de semployer en cest affaire comme plus amplement vous entendrez par l’évesque de Viterbe [Sebastiano Gualterio, nonce en France]. Et me semble que tant de bonnes voluntés qui concourent ensemble ne peuvent fere que une bonne fin ou de vostre part vous pouvez faire un grand avancement.94

François  II pouvait craindre qu’une agression du duc de Savoie contre Genève, quelle qu’en soit la justification officielle, avec désormais le seul soutien de l’armée française, non seulement s’avérait hasardeuse, mais attiserait le soulèvement que nombre de ses sujets protestants appelaient de leurs vœux. Elle serait aussi susceptible d’irriter les Suisses, auxquels il devait encore beaucoup d’argent.

Cette nécessité de différer l’offensive était d’autant plus dommageable que la signature du traité d’Édimbourg (6  juillet 1560) mettait fin à la « Vieille alliance » qui unissait l’Écosse à la France (et à la Norvège), et marquait son renoncement à tous les droits auxquels elle pouvait prétendre par l’intermédiaire de Marie Stuart, élevée à la cour de France et désormais reine de France. Cette dernière renonçait à ses droits sur la couronne d’Angleterre. Le parlement d’Écosse mettait fin à la guerre qui l’opposait à

op. cit., t. 2, p. 68-69).93 Ottaviano Reverta à Charles Borromée, Madrid, 29 août 1560 (Archives du Vatican,

Miscell. Arm. II, vol. 14, fol. 267v., publié par L. Cramer, La seigneurie de Genève…, op. cit., t. 2, p. 69-70).

94 Emmanuel-Philibert au cardinal de Lorraine, Nice, 29  juin 1560 (BnR, mss occidentaux, ABT 47, n° 58). Voir aussi : cardinal de Lorraine à Emmanuel-Philibert, 3 juillet 1560 (ibid., ABT 17, n° 56).

La conjuration d’amboise (16 mars 1560)

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l’Angleterre et reconnaissait du même coup sa souveraine, Élisabeth, tout en instaurant le protestantisme comme culte officiel, en Angleterre comme en Écosse (avec l’Église calviniste presbytérienne de John Knox).

Les Guises redoutaient une descente de navire anglais sur les côtes de Bretagne, où des corsaires avaient exercé quelques pillages et destructions. Mais, en juillet, tout semble calme, comme également en Guyenne95. Sur les conseils de l’amiral de Coligny, pour affermir son autorité, François II décide de réunir son conseil privé élargi des princes de sang aux grands officiers de la couronne et aux chevaliers de l’Ordre, le 20 août, en suspendant sa « bonne et certaine resolution en une infinité de choses qui s’offrent pour le jourd’huy fort importante »96 à l’écoute préalable de l’avis de ses conseillers, afin de pouvoir, enfin « vivre et demeurer en plus de repoz que je n’ay faict jusques icy depuis mon advenement a la couronne. »97 Le roi souhaite dans cette réunion, outre Antoine et Louis de Bourbon, tous les chevaliers de l’Ordre, et notamment le comte de Tende98.

Août-5 décembre 1560 : « nettoyer le pays » des séditieux

Alors que le roi réunit l’assemblée de Fontainebleau, sorte de rassemblement des notables du royaume, les provinces s’enflamment.

Les desvoyés de la foi en ce pais [de Provence] sont naguières rassemblés et mis aux champs avec armes soubz la conduicte d’ung gentilhomme du Daulphiné nommé Monbrun.99

Ils s’emparent de plusieurs places du Comtat venaissin et vont au-devant de La Motte-Gondrin, lieutenant général en Dauphiné pour François de Guise, afin de contrôler ce gouvernement100. D’autres entreprises des protestants

95 Duc d’Étampes au duc de Guise, Brest, 6  juillet 1560 (ibid., ABT  88, n°  16), François II à Antoine de Bourbon, Dampierre, 7 juillet 1560 (ibid., ABT 34-2, n° 25).

96 Duc de Guise et cardinal de Lorraine à Antoine de Bourbon, Fontainebleau, 2 août 1560 (ibid., ABT 49, n° 12).

97 François  II à Antoine de Bourbon, Fontainebleau, 2  août 1560 (ibid., ABT 34-2, n° 27). Le roi y souhaite absolument la présence du roi de Navarre, ainsi que celle du prince de Condé (François II à Condé, Fontainebleau, 2 août 1560, ibid., ABT 17, n° 41). Il sollicite aussi la présence de Jeanne d’Albret, qui doit faire pression sur son mari (François II à la reine de Navarre, Fontainebleau, 3 (sans mois, mais août) 1560, ibid., n° 60).

98 François II au comte de Tende, Fontainebleau, 2 août 1560 (ibid., ABT 17, n° 64). Comte de Panisse-Passis, Les comtes de Tende de la Maison de Savoie, Paris, 1889.

99 Rabasse, procureur général au parlement d’Aix, à François  II, Aix-en-Provence, 23  août 1560 (ibid., ABT  98-1, n°  30). Voir aussi : le clergé d’Aix au cardinal de Lorraine, Aix-en-Provence, 25 août 1560 (ibid., ABT 98-1, n° 34).

100 Comte de Tende à François II, Marseille, 26 août 1560 (ibid., ABT 109, n° 54). Dès le 28 août, François II ordonne au comte de Tende de se porter au secours de La Motte-Gondrin « en l’exécution de la repoulse et séparation de l’entreprinse du seigneur de

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sont conduites sur Marseille ainsi qu’Aigues-Mortes101. La Guyenne semble calme, mais « aucuns ministres [qui] ont presché avecque grandes assemblées de personnes »102. Estissac, envoyé par François de Guise, au nom du roi, en Aunis et Saintonge, après Amboise, « pour le dangier quil y a que lesdicts predicateurs assembles causent quelque seditieuse entreprinse »103, sept mois plus tard, constate qu’ils « disent [toujours] de meschantes choses et font ce qu’ils peuvent pour faire le peuple malcontent »104. Guy Chabot de Saint-Gelais, baron de Jarnac, est plus précis en écrivant que ces prédicateurs envoyés de Genève « ont couru le pays pour persuader le peuple a aultre debvoir que celluy qu’ilz doibvent au roy et faisoient assemblées nocturnes iu se faisoient les resolutions de leur intention pour estre exécutées à la fin de septembre »105. La Bretagne, quant à elle, paraît calme106.

François II clôt l’assemblée de Fontainebleau le 26 août et il dicte une lettre au duc de Savoie. Cet original, comme le montrent ses corrections et additions marginales, est, au dos, daté « du dernier jour d’août 1560 »107. Il est écrit que, pour pacifier son royaume, comme « seul remède tant pour l’union de la religion que pour le contentement de mes subjects » deux mesures ont été suggérées au roi. La première est de pousser à l’achèvement du concile œcuménique et, à défaut de sa tenue rapide, de consulter l’Église de France afin de réformer au plus vite ses abus. Pie IV décidera de reprendre le concile, à Trente. La seconde est de réunir les états généraux du royaume, le 10 décembre prochain, afin d’entendre les plaintes et doléances de ses sujets et d’y pourvoir. Mais, au-delà de ces décisions bien connues des historiens, le roi a appris – avec stupéfaction – d’autres choses de cette vaste assemblée.

Monbrun » (comte de Tende à François II, Marseille, 8 septembre 1560 (ibid., n° 57)). Mais Tende ne voit en Provence aucune ramification de la grande conspiration que le roi dénonce (comte de Tende à François II, Marseille, 11 septembre 1560, ibid., n° 6).

101 Comte de Tende à François  II, Marseille, 31  août 1560 (ibid., n°  55). Tende est notamment averti par Bourdillon, dès le 21 août.

102 Le parlement de Bordeaux (signé Pontac) à François II, Bordeaux, 13 septembre 1560 (ibid., ABT 98-1, n° 36).

103 Le seigneur d’Estissac à François II, Poitiers, 5 mai 1560 (ibid., ABT 98-1, n° 23).104 Le seigneur d’Estissac au duc de Guise, Coulonge, 11  novembre 1560 (ibid.,

ABT 98-1, n° 55). Louis d’Estissac sera gouverneur de La Rochelle et il entrera dans les premières ligues catholiques, avec Monluc (S. Brunet, « De l’Espagnol dedans le ventre ! »…, op. cit., p. 185n, 195, 199 et 248n).

105 Le baron de Jarnac au duc de Guise, La Rochelle, 18 septembre 1560 (ibid., ABT 98-1, n° 41).

106 Jean de Bretagne, duc d’Étampes, au duc de Guise, Lamballe, 15 septembre 1560, puis à François II, Lamballe, 15 octobre 1560 (ibid., ABT 88, n° 41 et 22).

107 Le même jour, le roi adresse une autre lettre à la duchesse de Savoie (ibid., ABT 17, n° 55). Précisons que le classement des lettres dans ce volume 17 ne respecte pas du tout l’ordre chronologique.

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comme toute ceste bonne grande compagnie des principaulx princes, cappitaines et chevalliers de l’Ordre de mon royaulme estoyent auprès de moi, que j’ai descouvert une conjuration plus grande et plus malheureuse [aux conséquences encore plus préjudiciables] que celle d’Amboise, m’estant des gentilshommes et cappitaines, gens de bien et bons et loyaulx subjects venu reveller comme ilz estoyent sollicitez et practiquez par le prince de Condé [au-dessus, puis barré : des agens à la profession des traitres ? ] de bailler leur foi, prendre argent et promectre entre cy et la fin du mois qui vient de prendre les armes contre moi et tenter quelque sinistre et malheureuse entreprinse au préjudice de mon Estat et ma couronne. Laquelle entreprinse estant conduicte de longue main [depuis longtemps] il y avoit une infinité de cappitaines et soldatz quil [au-dessus : qui] avoyent esté subornés et qui luy avoyent tous promis de ce faire [ajouté dans la marge, d’une autre écriture :] que cela se faisoit au nom du prince de Condé et [manque un mot] luy. A quoy l’on m’a voullu asseurer que le roy de Navarre y particippoyt et que la royne d’Angleterre y avoyt telle intelligence qu’elle fournissoyt une partie de l’argent pour ceste entreprinse.108

Malgré les ratures, l’accusation porte, non seulement contre Condé mais également contre son frère, qui ont évité de se présenter à ce conseil109. Elle place la conjuration d’Amboise dans une action insurrectionnelle plus large, dont elle ne serait qu’un épisode maladroit.

Enfin, le roi affirme qu’il a envoyé tous les princes, seigneurs et chevaliers de l’Ordre afin de s’opposer à cette entreprise et qu’il a demandé le secours de Philippe II et sollicite le soutien, tant de conseil que de force armée, du duc de Savoie, qu’il emploierait « des premiers ». Enfin, comme pour tous les autres gouverneurs de provinces, François II envoie le maréchal de Saint-André dans son gouvernement du Lyonnais avec des forces de gendarmerie et des commissions pour lever des gens de pied. Et c’est ce dernier qui doit entretenir Emmanuel Philibert de « l’estat de mes affaires ». 

Si nous suivons la relation que fait de Thou dans son Histoire universelle, après avoir détaillé le contenu de l’ordonnance du 26 août, il écrit que c’est l’arrestation, par ordre des Guises, de Jacques de La Sague, qui quittait Fontainebleau pour se rendre auprès de Condé, chargé de lettres compromettantes, « peu auparavant », qui a révélé le vaste complot ourdi par les Bourbons qui, à défaut de pousser à cette fameuse réunion des états généraux (déjà décidée par le roi) devait les amener à venir vers le roi avec un grand nombre de gens de guerre, alors que le connétable de Montmorency occuperait Paris, et que d’autres seigneurs s’empareraient des principales

108 Philippe II au duc de Savoie, Fontainebleau, 31 août 1560 (ibid., ABT 17, n° 53).109 Duc d’Aumale, Histoire des princes de Condé pendant les XVIe et XVIIe siècles, Paris,

1885, t. 1, p. 77-84.

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places du royaume, pour écraser les Guises110. Plus loin, il détaille la découverte rocambolesque d’une lettre écrite à l’encre sympathique par « Fremin d’Ardoy Gascon, secrétaire du Connétable, et créature du Roi de Navarre », que nous avons identifié comme un noble navarrais espion de Philippe  II, grassement rémunéré pour ses services111. Pourtant de Thou se contredit plus loin quand, après avoir daté l’arrestation du vidame de Chartres112 le 27  août, il reporte l’arrestation de La Sague au 1er ou au 2  septembre113 ! La lettre de François  II au duc de Savoie, le 31  août, démontre bien qu’il a été largement averti du complot, de toutes parts, au cours de son conseil, d’où en découle l’arrestation de La Sague, et celle du vidame de Chartres. Peut-on alors croire encore De Thou quand il écrit, qu’à l’issue de cette assemblée de Fontainebleau :

on suspendoit quant-à-présent la punition des Sectaires […]. C’est ainsi que la Religion Protestante jusque-là si odieuse, commença à être tolérée et comme approuvée, du consentement tacite de ses ennemis mêmes.

N’y a-t-il pas dans cette remarque angélique, jointe à une évidente confusion dans la chronologie, l’indication d’une volonté de l’historiographe d’arranger quelque peu son récit afin d’atténuer la part que son père, Christophe de Thou, a pris dans le procès du prince de Condé ?

Dans la nuit du 4 au 5 septembre, on surprend Edme de Ferrière, « le cadet Maligny », que Condé avait aidé à se sauver d’Amboise, dans sa tentative de s’emparer de Lyon. Son contrôle aurait permis aux révoltés de Provence et du Dauphiné de rassembler autour du roi de Navarre des troupes aptes à soustraire François II aux Guises114. Le 18 septembre, François de

110 Histoire universelle…, op. cit., t. III, liv. XXV, p. 536-537.111 Ibid., p. 541-542. S. Brunet, « De l’espagnol dedans le ventre ! »…, op. cit., p. 631.112 Prince de Chabannais, seigneur de La Ferté Arnaud, etc., chevalier de l’Ordre,

capitaine de cinquante hommes d’armes, il avait été colonel général de l’infanterie française en Piémont. Grand soldat et brillant courtisan, d’abord proche des Guises, il est ensuite écarté par ces derniers et il se rapproche de Condé (J.  de Pétigny, « Testament de François de Vendôme, vidame de Chartres, 1560 », Bibliothèque de l’École des chartes, t. XI, 1850, p. 327-342). De Thou est le seul historien du temps à parler de cette étrange lettre.

113 « Il [le vidame de Chartres] fut conduit à la Bastille le 27 août » (ibid., p. 537). « Quatre jours après qu’on eût arrêté La Sague, d’Achon abbé de Savigni, qui étoit lieutenant de Roi de Lyon, sous le maréchal de S. André son oncle, écrivit à la Cour qu’on avoit voulu surprendre cette ville-là [nuit du 4 au 5 septembre !] » (Histoire universelle…, op. cit., t. III, liv. XXV, p. 538).

114 Henri Naef démontre avec conviction que, contrairement aux accusations outrancières de Gabriel de Saconay, ni Calvin ni Bèze n’approuvèrent cette opération, n’attendant que de Navarre ou de Condé. De son côté, le Conseil de Genève avait trop craint après Amboise pour soutenir, voire encourager, les révoltés de Lyon (H.  Naef, La Conjuration d’Amboise…, op. cit., p. 196-197).

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Guise réitère à l’ambassadeur de Savoie ses encouragements d’engager au plus vite l’entreprise contre Genève et il lui offre de se placer sous ses ordres avec les troupes dont il dispose. Il renouvellera son engagement le 29 octobre115, alors que Bourdillon, lieutenant général en Piémont, continue à informer le duc et la duchesse de Savoie116. Condé, qui s’achemine vers Orléans, sera arrêté deux jours plus tard.

Le duc de Savoie déclare désormais au nonce en Savoie, François de Bachaud, évêque de Genève, que les Français ne sont plus hostiles à l’entreprise contre Genève, bien qu’elle ait perdu son effet de surprise. Le cardinal de Lorraine déclare même à Della Rovere qu’il serait bon de l’exécuter au plus vite. Il pense qu’il faut l’accomplir avant la prochaine récolte, avec 25 000 fantassins, 3 000 cavaliers et 30 à 40 canons117.

On constate que des groupes armés convergent vers Poitiers et Orléans, par où les Bourbons doivent passer pour se rendre à la cour de France, durant un déplacement fort long de Nérac à Orléans puisqu’il dure un mois. La Sague avait avoué au cardinal de Lorraine qu’ils passeraient par des villes qui leurs étaient dévouées, Poitiers, Tours et Orléans, dont ils s’empareraient, avec les troupes ralliées sur leur route. François II croit fermement en une vaste conjuration dont ces derniers prendront la tête. Il écrit à Guy de Daillon, comte du Lude, gouverneur du Poitou :

Je suis adverty qu’il se doibt faire une grande assemblée de séditieulx et rebelles à Poictiers et ez environs où ils doibvent faire la masse des gens qu’ils veullent mettre ensemble118

Armand de Gontaut, baron de Biron et maréchal de France, qui vient de dissuader la noblesse commingeoise de s’unir pour se porter sans commission

115 Girolamo della Rovere à Emmanuel-Philibert, St-Germain-en-Laye, 18  septembre 1560 (AST, Lettere ministri Francia, mazzo 1, publié par L. Cramer, La seigneurie de Genève…, op. cit., t. 2, p. 70-72). Girolamo della Rovere à Emmanuel-Philibert, Orléans, 29 octobre 1560 (ibid., p. 72-73).

116 Marguerite de France à son « cousin » Bourdillon, Savillan, 6 octobre 1560 (BnR, mss occidentaux, ABT 46, n° 1). Quand la guerre éclatera, elle se déclarera « extremement marrye de voir continuer ces troubles » (Marguerite de France à Bourdillon, Fossan, 26 juillet 1562, ibid., n° 3). Imbert de La Platière, seigneur de Bourdillon, maréchal de camp, a été envoyé en Piémont en 1559.

117 François de Bachaud (vraisemblablement à Charles Borromée), 31  octobre 1560 (Archives du Vatican, Miscell. Arm. II, vol. 14, fol. 269, publié ibid., p. 73-74).

118 François II à M. du Lude, Saint-Germain-en-Laye, 6 octobre 1560. La souscription de la lettre montre qu’Antoine de Bourbon avait bien obtenu l’extension de son gouvernement de Guyenne jusqu’au Poitou (« A Monsieur le conte du Ludde capitaine de cinquante hommes d’armes de mes ordonnances et mon lieutenant en mes païs et conté de Poictou en l’absence de mon oncle le roy de Navarre ») (B. Ledain, Lettres adressées à Jean et Guy de Daillon, comtes du Lude, gouverneur du Poitou de 1543 à 1557 et de 1557 à 1585, Archives historiques du Poitou, t. XII, Poitiers, 1885, p. 94-95).

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du roi contre les huguenots, a participé aux états provinciaux du Périgord et constaté que, là, les nobles réformés espèrent une nouveau La Renaudie pour une nouvelle conjuration119.

Ilz se promettent quelque reformation et meilheur ordre en toutes choses par ces prochains Estatz Generaulx du roy, et ay sceu, madame, que ceulx qui tendoient à nouveaultés et espéroient quelque changement, se treuvent à présent fort esbays [déconcertés], et s’estiment comme abandonnés de leurs chef [sic], et pour collorer leur faict par quelque relligion disent que véritablement ilz avoient mis rop grand fiance aux hommes et que Dieu leur faict voir qu’il fault qu’ils espèrent l’entier secours de luy. Et y en a de si malicieux qu’ilz proposent de sercher ung chef turbulant et de petite estoffe, qui n’ayt guières à perdre. Mais de ce que j’en pourray plus particulièrement descouvrir je ne fauldray vous en donner incontinent adviz.120

François  II expédie toutes les troupes dont il dispose dans les provinces sensibles, tout en engageant une vaste opération de justice121. Il décrète pour cela des Grands Jours en Languedoc pour « la correction et pugnition de telz malheureux […] procedder aux procès de ceulx qui se trouveront avoir conspiré, adhéré et favorisé telle canaille », par une commission du parlement

119 Alors qu’il se trouvait à Saint-Blancard, « bon nombre de gentizhommes me venoient souvant veoir » écrit Biron, « avec ce qui estoit de peuple » précise-t-il au duc de Guise. Il s’était rendu « expressément » en Gascogne « pour temporiser et rassurer les choses qui estoient en grand suspecion » (Biron au duc de Guise, Biron, 31 octobre 1560, BnR, ABT 78, n° 78). À la suite de l’assassinat du condottière Carlo Caraffa, dernier évêque, jamais paru en Comminges, Pierre d’Albret, clerc du diocèse de Condom et oncle de Jeanne d’Albret, vient, par l’entregent d’Antoine de Bourbon, de recueillir l’évêché, où il réside. La reine de Navarre en espère une conversion de ses diocésains à la Réforme (S. Brunet, « De l’Espagnol dedans le ventre ! »…, op. cit., p. 231-234). Biron est seigneur de Saint-Blancard et de Ciadoux, du chef de sa femme, Jeanne d’Ornezan. Nous sommes au cœur de la future « Ligue campanère », ultra-catholique, qui s’opposera à Henri IV.

120 Biron à Catherine de Médicis, Biron, 31 octobre 1560 (BnF, Cinq Cents de Colbert, 27, fol. 134, publié par S. Hellman Ehrman, M.A. (coll.) and James Westfall Thompson (ed.), The Letters and documents of Armand de Gontaut, Baron de Biron, Marshal of France (1524-1592), Berkeley, 1936, t. 1, p. 8-11. Cette publication n’inclut pas les lettres conserves en Russie ; celles de la BnR (ABT 78) ont été publiées par Philippe Tamizey de Larroque, dans Archives historiques du département de la Gironde, 1873, t. XIV, avec d’autres lettres provenant des archives privées du marquis de Gontaut-Saint-Blancart.

121 Le roi, en commandant à son cousin, le maréchal de Termes, de faire « procedder contre ceulx qui ont faict des rebellions », espère aussi « descouvrir beaucoup de choses des entreprinses qui se sont faictes contre la seureté de mon Estat ». Termes ne doit rien lui envoyer de ce qu’il apprendra « par escript ou dépescher » mais le garder par devers lui. « Vous estes si saige que vous sçavez assez de quelle importance est cella pour le sçavoir tayre et n’en parler à personne vivante » (François II au maréchal de Termes, Orléans, 17 novembre 1560, BnR, mss occidentaux, ABT 17, n° 28).

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de Toulouse « pour commectre ung président et deux consellers » auprès du comte de Villars122. Le roi offre à ce dernier la compagnie du prince de Salerne, et les Guises espèrent notamment obtenir par ces condamnations d’envoyer beaucoup d’hommes « aux gallayres où il y a grand besoing de forçats »123. Fort craintifs, les Nîmois adressent une délégation au roi « pour luy faire entendre la repentence qu’ilz ont de leurs faultes passées »124.

Le même péril menace l’Aunis et la Saintonge. François II ordonne au parlement de Bordeaux de « députer ung président et quelques conseillers » pour, avec le seigneur de Burie, qui aura sa compagnie, celles de Louis Prévost de Sansac, gouverneur d’Angoulême, et du baron de Jarnac, sénéchal du Périgord, qui vient d’être créé chevalier de l’ordre du roi, auxquelles le roi ajoutera autant de « gens de pied » qu’il faudra, se transporter à Marennes et en Saintonge afin de châtier « les insolences qui se font journellement ordinairement […] pour faire les procès à ceulx qui se trouveront chargés des culpables et mesmes à ceulx à mes officiers qui auront abusé et s’y seront endormis »125.

Le roi met également en marche l’illustre Paul de Labarthe, maréchal de Termes, avec ses compagnies de gendarmerie, auxquelles il ajoute trois « vieilles compaignies [de gens de pied] de celles qui estoient en Picardie » rétablir son autorité en Limousin, Périgord et Agenais126. Il expédie aussi le duc d’Aumale en Guyenne, le maréchal de Saint-André en Bourbonnais et Lyonnais et Jean Chasteigner, seigneur de La Roche-Posaye, en Angoumois127. Charles IX accorde au comte du Lude de garder sa compagnie pour protéger Poitiers, il lui ordonne de lever le ban et l’arrière-

122 François II au comte de Villars, Orléans, 4 novembre 1560 (ibid., n° 36).123 Le cardinal de Lorraine et le duc de Guise au comte de Villars, Orléans, 9 novembre

1560 (ibid., ABT 49, n° 14).124 Le comte de Villars au cardinal de Lorraine et au duc de Guise, Vauvert, 7 novembre

1560 (ibid., ABT 113, n° 4).125 François II au seigneur de Burie, Orléans, 17 novembre 1560 (ibid., ABT 17, n° 24).

Voir aussi : François de Guise au seigneur de Burie, Orléans, 17 novembre 1560 (ibid., ABT 49, n° 31).

126 Les troupes du maréchal de Termes, renforcées par celles de Melchior des Prez, sieur de Montpezat, gouverneur de Châtellerault, arrivent à Poitiers le 19 octobre, jour où y parviennent Navarre, Condé et le cardinal d’Armagnac. Montpezat, craignant la révolte, leur refuse l’entrée, qui leur est finalement accordée par le maréchal. La veille, Navarre avait écrit à la reine mère pour lui témoigner sa fidélité. Ils poursuivent alors vers Orléans, où doivent se tenir les États, où ils arrivent le 27 octobre. La veille, Montpezat a pris son office de sénéchal du Poitou (A.-R.-H. Thibaudeau, Histoire du Poitou, Niort, 1840, t.  2, p. 310). Le maréchal de Termes repart de Poitiers le 24  novembre, pour se diriger vers Limoges (« Journal de J. de Brilhac », Archives historiques du Poitou, 1885, t. XV).

127 François II au maréchal de Termes, Orléans, 16 et 17 novembre 1560 (ibid., ABT 17, n° 48 et 50).

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ban de tous les gentilshommes qui lui demeurent fidèles, et d’aller se mettre sous ses ordres du maréchal de Termes. Enfin, des instructions très sévères sont données à Burie, pour sa lieutenance en Guyenne, alors que Villars s’attache à soumettre le Languedoc.

Et pour ce que vous demandez à mon oncle le duc de Guise comme[nt] vous avez à vous gouverner touchant les ministres, aultant qu’il vous en tombera entre les mains, aultant en fault’il faire pugnir, de façon que s’il est possible on en nectoye le pays.

En effet, dans toutes les provinces, les mainteneurs de l’ordre royal partent avec des instructions précises rédigées par les Guises. Les officiers du roi félons ne doivent pas échapper à leur sort. François II ordonne particulièrement au comte du Lude de se rendre à Niort avec sa compagnie afin

[d’]assembler les officiers et leur dissiez vous mesmes ce que je vous mande. Et au demourant asseurez le maire, comme les habitans de la ville, que je me délibère, ayant entendu l’insolence dernière et la façon dont ils vivent, razer les murailles de leur ville, leur oster leurs foyers et tous privilèges s’ils ne vivent autrement qu’ils n’ont faict jusques icy.128

Le 24 novembre, l’instruction contre Condé est suspendue, celui-ci refusant de répondre à l’interrogatoire. Le 5  décembre, François  II meurt d’une mastoïdite aiguë. Genève reçoit de cette nouvelle un grand soulagement, bien que la menace d’une intervention du duc de Savoie, qui s’attache à convertir les vaudois du Piémont par la terreur, demeure. Portée par la politique de conciliation de Catherine de Médicis et de Michel de L’Hospital, la cour de France, subitement, ne garde aucun ressentiment à l’égard de Genève. Au cours des états généraux d’Orléans, le 23 janvier 1561, Charles IX écrit au Sénat de Genève en désignant clairement comme cause principale des « troubles et divisions » du royaume « la malice de grans nombre de précicans et dogmatisans, qui soubz couleur de religion animent et excitent le peuple à une désobeyssance et ouverte sédition », principalement envoyés par le Sénat de Genève et les ministres qui y résident. Le roi leur écrit

pour vous prier que vous revocquez et rappellez en premier lieu tous les predicans et dogmatisans qui ont estés par vous ou vos dicts ministres envoyés en cedict royaume. Et pour le second vous donnez si bon ordre pour garder et empescher quil n’en vienne plus, que nous nayons aucune occasion de nous en douloir à lavenir.

128 François II au comte du Lude, Orléans, 17 novembre 1560 (ibid., n° 52). Le comte du Lude avait averti le duc de Guise « du mauvais ordre de la justice de Nyort, lesquelz ont un homme en leurs prisons qui vendoit publiquement des placards diffamatoire contre le roy et ceux qui sont le plus près de sa personne, et n’en font aucune justice, dont le mayre se plaint fort » (R. de Bouillé, Histoire des ducs de Guise, Paris, 1849-1850, t. 2, p. 96-98).

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En cas de non application de cette demande, le Roi Très Chrétien menace Genève de « prendre les armes »129. Le Conseil de Genève fait comparaître devant lui les ministres Calvin, Bèze, Cop et Colladon et, dès le 28, il répond qu’il n’a envoyé personne au royaume de France, et que les ministres n’ont ni contribué, ni même encouragé, quelque trouble que ce soit130. Mais Catherine de Médicis s’adresse aux Ligues, le même jour, dans un ton tout à fait contraire :

que ce que mondict Seigneur et filz escripts à ceulx dudict Genesve, n’est poinct pour se mêler du faict de leur religion, ne pour volunté qu’il ayt de leur courir sus en quelque sorte que ce soyt, mais bien pour conserver le repos de son Estat et garder que lesdicts prédicans, après tant de troubles et sublévations qu’ils ont suscitez en ce royaume n’ayent moyen de rallumer le feu qu’ilz avoyent si malicieusement préparé, qu’il c’est veu en l’entreprinse d’Amboyse et aultres subséquentes.131

Les Guises ont cessé de régner. Les procédures des Grands Jours des parlements de provinces sont interrompues. Les Nîmois, les Montpelliérains, les Rochelais et les Marennais, profondément soulagés, y voient une « œuvre admirable » de Dieu132. Il n’est vraiment plus question d’une quelconque intervention contre Genève avec l’aide de la France. En s’efforçant de se rabibocher avec les Cantons, malmenés par Guise, et Genève, la régente laisse cette dernière et Calvin répondre à nouveau, sans crainte, aux nombreuses demandes des églises de France en ministres et prédicateurs133. Le 28 janvier, des lettres royales renouvellent l’amnistie pour les prisonniers simplement accusés d’hérésie. Le 31, c’est la clôture des États et la publication de l’ordonnance d’Orléans, rédigée par le chancelier Michel de L’Hospital, qui accorde la liberté de culte aux protestants. L’année qui s’ouvre connaîtra un terrible déferlement iconoclaste.

Lucien Romier, après de Thou, considère qu’aucun document ne permet d’affirmer que Condé ait été condamné à mort134. Quoi qu’il en soit, la mort du roi permet sa libération. Quant à Antoine de Bourbon, il juge préférable de laisser Catherine de Médicis assurer la régence, se contentant

129 Charles IX au Sénat de Genève, Orléans, 23 janvier 1560 (Johannis Calvini opera…, op. cit., t. XVIII, n° 3324, col. 338-339).

130 Le Sénat de Genève à Charles IX, Genève, 28 janvier 1561 (ibid., n° 3329, col. 343-345).

131 Catherine de Médicis à Mathieu Coignet, ambassadeur de France aux Ligues, Orléans, 23  janvier 1561 (BnF, mss fr. 17981, fol. 58v., publié par L. Cramer, La seigneurie de Genève…, op. cit., t. 2, p. 76-77).

132 M. Séguin, Histoire de l’Aunis…, op. cit., p. 268-273.133 M. Roset (1534-1613), Chronique de Genève, Genève, 1894, p. 443.134 Histoire universelle…, op. cit., t.  III, liv.  XXVI, p. 576. L.  Romier, La conjuration

d’Amboise…, op. cit., p. 279, n° 2.

La maison de savoie et Les aLpes : emprise, innovation, identification

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de la lieutenance générale du royaume, celle que François de Guise avait reçue au lendemain du tumulte d’Amboise. Le mémoire que Calvin lui adresse, lui recommandant de réunir les états généraux, d’établir un conseil de régence qui exclut Catherine de Médicis, de faire le procès des Guises et d’établir une liberté religieuse modérée, arrive trop tard135. Après le massacre de Wassy, les frères Bourbon, que l’on a vu cheminer ensemble vers Orléans, se battront dans des camps opposés. En lui faisant espérer la restitution de la Haute-Navarre ou la Sardaigne, Philippe  II sait conforter le roi de Navarre dans le camp catholique ; il espère neutraliser Jeanne d’Albret et le développement de la Réforme à ses frontières. La mort d’Antoine au siège de Rouen engage à ourdir contre elle et ses enfants « la conspiration la plus hardie dont on ait jamais entendu parler dans le royaume » (de Thou), autre « non-événement »136.

Quant à Emmanuel-Philibert, qui s’était efforcé de tirer parti des contrecoups de la conjuration d’Amboise, fort de la bienveillance française, à défaut d’écraser Genève, jouissait de l’affaiblissement de la Confédération du fait des dissensions religieuses et de la jalousie à l’égard de Berne. Contre les Confédérés protestants, les cantons catholiques avaient sollicité et obtenu l’aide du pape. C’est ensuite celle du duc de Savoie qui, le 11 novembre 1560, signe avec eux un traité par lequel il s’engage à les soutenir en cas de guerre. Ce schisme au sein de la Confédération l’affaiblit pour deux siècles. La semaine suivante, à la diète de Neuchâtel, Emmanuel-Philibert en profite pour réclamer ouvertement la restitution du Pays de Vaud et des bailliages. En février suivant, les Bernois, se sentant abandonnés, sont prêts à céder le Chablais, le Genevois, le Pays de Gex, Vevey et Chillon. Mais le duc, qui espère plus, refuse l’arrangement137. Le duc de Savoie, fort de l’appui des cantons catholiques, ne renonce pas pour autant à son entreprise sur Genève, à laquelle il cherche encore à associer Philippe II138. Mais, ni ce dernier, ni le roi de France, n’y consentiront, malgré l’assentiment, momentané, de Pie IV. Il en sera de même lorsque le duc de Savoie voudra profiter – une fois de plus – de l’ouverture de la première guerre de Religion en France, après le massacre de Wassy, pour s’emparer de Genève et de Berne139.

135 Mémoire rédigé en décembre 1560 (Johannis Calvini opera…, op. cit., 1878, t. XVIII, n° 3302, col. 281-285).

136 S. Brunet, « De l’Espagnol dedans le ventre ! »…, op. cit., p. 258-274.137 H. Naef, La Conjuration d’Amboise…, op. cit., p. 194.138 Mémorial présenté à Philippe II par l’agent espagnol, comte Brocardo, Tolède, 5 mai

1561 (AGS, Estado Milan, leg. 1212, publié par L. Cramer, La seigneurie de Genève…, op. cit., t. 2, p. 79-81).

139 Ibid., t. 1, p. 77-96.