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Julio Perestrelo Vicente 14506545 L3 ARTS-PLASTIQUES PARCOURS PHOTOGRAPHIE : PROJET TUTORÉ LA PHOTOGRAPHIE EN JEUX. LES FORMES ARTISTIQUES CONTEMPORAINES DU JEU A TRAVERS LA PHOTOGRAPHIE. Introduction Selon Nathalie Heinich, l’art contemporain se base sur la singularité de la proposition de l’artiste. Alors, est-il possible de développer des propositions basées purement sur des jeux ou sur la dérision? Quelle est la frontière d’acceptation entre le sérieux et la dérision ? Et la photographie, peut-elle servir à créer de formes artistiques ou peut-elle en être une? À partir des concepts théoriques sur la nature du jeu, ses modes de fonctionnement et ses impacts sur la réalité, ce travail cherche déceler les formes artistiques à l’oeuvre dans les pratiques des artistes contemporains, notamment à travers la photographie. 1. Entrer dans le jeu: Qu’est-ce un jeu ? 1.1 – Définitions du jeu La liste de définitions du mot « jeu » dans le dictionnaire est aussi vaste que ses modalités. Pour cela on gardera seulement celles qui ont de l’intérêt pour le développement de ce projet. Ce sont les suivants 1 : - Activité d'ordre physique ou mental, non imposée, ne visant à aucune fin utilitaire, et à laquelle on s'adonne pour se divertir, en tirer un plaisir. Ex: Participer à un jeu. - Ensemble des règles qui régissent un divertissement organisé. Ex: Se conformer au jeu.

La photographie en jeux. Les formes artistiques contemporaines du jeu à travers la photographie

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L3 ARTS-PLASTIQUES PARCOURS PHOTOGRAPHIE :

PROJET TUTORÉ

LA PHOTOGRAPHIE EN JEUX. LES FORMES ARTISTIQUES CONTEMPORAINES DU JEU A TRAVERS LA

PHOTOGRAPHIE.

Introduction

Selon Nathalie Heinich, l’art contemporain se base sur la singularité de la

proposition de l’artiste. Alors, est-il possible de développer des propositions basées

purement sur des jeux ou sur la dérision? Quelle est la frontière d’acceptation entre

le sérieux et la dérision ? Et la photographie, peut-elle servir à créer de formes

artistiques ou peut-elle en être une? À partir des concepts théoriques sur la nature

du jeu, ses modes de fonctionnement et ses impacts sur la réalité, ce travail cherche

déceler les formes artistiques à l’oeuvre dans les pratiques des artistes

contemporains, notamment à travers la photographie.

1. Entrer dans le jeu: Qu’est-ce un jeu ?

1.1 – Définitions du jeu La liste de définitions du mot « jeu » dans le dictionnaire est aussi vaste que

ses modalités. Pour cela on gardera seulement celles qui ont de l’intérêt pour le

développement de ce projet. Ce sont les suivants1:

- Activité d'ordre physique ou mental, non imposée, ne visant à aucune fin

utilitaire, et à laquelle on s'adonne pour se divertir, en tirer un plaisir. Ex:

Participer à un jeu.

- Ensemble des règles qui régissent un divertissement organisé. Ex: Se

conformer au jeu.

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- Lieu où se pratiquent certains jeux ; espace délimité où la partie doit avoir lieu.

Ex: Balle qui est sortie du jeu.

- Manière d'agir de quelqu'un, d'un groupe en vue d'obtenir un résultat. Ex: Le

jeu subtil d'un négociateur.

- Action, attitude de quelqu’un qui n’agit pas sérieusement, qui cède au caprice

ou à la fantaisie. Ex: Contredire son interlocuteur par jeu.

Dans ces définitions on peut déjà identifier au moins quatre caractéristiques

attachées au jeu. D’abord l’idée d une activité volontaire à laquelle on s’adonne pour

en tirer un plaisir ; ensuite l’existence de règles qui le régissent ; après, l’idée

curieuse d’un espace actuel et délimité où il se déroule ; et finalement, une manière

d’agir visant un résultat, dont le dictionnaire Larousse nous donne un exemple assez

étonnant : « le jeu d’un négociateur ». Encore une dernière définition, déjà présente

dans l’antérieure, ajoute une action ou attitude pas sérieuse.

Or, on verra que ces caractéristiques ne sont pas aléatoires et on peut en

trouver des échos dans la pensée de philosophes et sociologues. Là où il s’agit d’une

activité volontaire qui vise le plaisir, on peut soupçonner un désir ou instinct. Là où il

y a des règles et un espace limité, on soupçonne une réalité temporaire. Enfin, s’il

suppose une manière d’agir, il nous indique une forme de représentation, un mode

d’être dans un contexte spécifique, et qui se base sur le non-sérieux.

1.2 – Friedrich von Schiller: L’« instinct du jeu » et l’esthétisation de la réalité

Sans se référer directement à l’activité du jeu, Schiller, dans son œuvre

« Lettres sur l’éducation esthétique de l’homme » parue au XVIIème siècle, forge un

concept qu’il appelle « instinct du jeu »2. Cet instinct est le troisième qu’il définit et qui

sera comme un point d’appui pour les autres deux : l’« instinct sensible » et

l’« instinct formel ». Selon lui l’« instinct sensible » est celui qui définit la tendance de

l’être humain à subir à tout ce qui est changement et sensation, il s’agit d’un éternel

devenir dont la contrainte est de abolir l’unité de l’être, c’est à dire empêcher toute

ontologie personnelle3. De l’autre côte, l’« instinct formel » est une tendance

rationnalisante, qui pousse la personnalité à s’affirmer, c’est à dire la cherche par

exemple son essence et celle des choses pour les définir concrètement et se libérer

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du temps à travers une vérité constante4. Il est impossible pour Schiller, de vivre

selon l’un ou l’autre instincts, soit même en équilibre entre les deux, sans tomber

dans un néant soit de l’un ou de l’autre, soit dans l’annulation leur réciproque dans le

cas de l’équilibre.

L’« instinct du jeu » viendrait donc comme une tendance conciliatrice d’un

rapport entre les deux derniers. Son objet ultime selon le philosophe serait la

« beauté »5, plus précisément sa production, dont le résultat, Schiller l’appelle

« forme vivante »6, puisqu’il concilie l’objet de l’instinct sensible qui est « la vie au

sens plus large »7 ou « toute présence sensible immédiate »8, avec celui de l’instinct

formel qui est « la forme, au sens figuré comme au sens propre »9. En d’autres

mots : une sensation rationnalisée, mise en forme, donc le réel actualisé. Cela

esthétiquement, c’est à dire, visant le plaisir, la « beauté ». Pour l’instant, il faudra

s’arrêter là, mais toujours gardant en vue ce but esthétisant de l’« l’instinct du jeu »

de Schiller, qui nous servira au long de l’analyse.

1.3 – Johan Huizinga: Les règles du jeu et l’hétérotopie du « playground »

Comme on a vu, un jeu se définit aussi par l’ensemble des règles qui le

régissent. C’est exactement cela que vient nous confirmer Huizinga dans son

classique sur la sociologie du jeu « Homo Ludens ». Selon lui les règles sont un

facteur très important pour le concept de jeu, et le joueur « must stick to the rules of

the game »10, au risque de briser ou même d’annuler le jeu en soi s’il sort des règles.

S’il le fait, « the game is over », tout le « monde-jeu » entre en collapse et nous

rejette dans la « vie réelle » à nouveau11. Si Huizinga utilise le terme « monde-jeu »

en opposée à la « vie réelle », c’est parce que pour lui, le jeu et ses règles « créent

de l’ordre, il est ordre », dans le sens qu’il ramène à une « perfection temporaire et

limitée la confusion de la vie »12 et ce faisant il met en place un monde temporaire13,

qui s’échappe et fait échapper le joueur au monde réel. Selon le sociologue, il y a un

autre aspect qui rend tel fait possible : « le jeu se distingue de la vie ordinaire en ce

qui concerne la localité et la duration »14, ce qui veut dire que le jeu se déroule de

façon spatio-temporelle. Donc, le jeu a un temps spécifique de duration, mais ce qui

nous intéresse le plus est qu’il a un espace donné « matériellement » que Huizinga

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appelle « playground »15. Pour mentionner quelques exemples : « l’arène, la table de

jeu de cartes, le plateau, l’écran, le terrain de tennis, etc. »16. Là on voit explicitement

le jeu en tant que lieu. Une carte sort du jeu lorsqu’elle ne peut plus être utilisée

selon les règles ; pareil pour la balle de tennis qui s’égare dans un match de tennis,

ou pour un comédien qui part du plateau.

Dans cet acte du comédien, on commence déjà à entrevoir le caractère de

représentation du jeu, qui devient incontournable. Restons cependant un moment

dans cette idée du « playground » - cet espace idéal du jeu, où tout est contrôlé par

l’ordre des règles. Or, en ce moment on ne se trouve pas loin des « hétérotopies »

de Michel Foucault17, si le « monde-jeu » est l’ordre parfaite par rapport à la

confusion du réel, donc « il y a d’abord l’utopie », ainsi comme s’il a un

« playground » matériel – le type qui nous intérèsse - il est donc localisable18 dans le

réel. Même les exemples qu’utilise Huizinga coïncident avec ceux qu’utilise Foucault

pour les hétérotopies, notamment le théâtre et les lieux sacrés (le temple)19. Ces

hétérotopies fonctionnent naturellement elles aussi selon des règles établies comme

dans le jeu – ainsi le théâtre a ses règles, un lieu sacré a ses règles, etc - dont la

topologie en dépend. Ce qui nous intéresse le plus dans l’hétérotopie, en autre, c’est

son « sixième principe » que nous donne Foucault, où il dit qu’elles ont une fonction

qui consiste soit en dénoncer par contraste des aspects de la vie réelle comme

illusoires (plus illusoires même que les jeux), soit en compenser l’aspect désordonné

de la vie réelle20. Pour tous les effets, cette fonction revient à dénoncer ou

compenser quelque chose un caractère imparfait de la vie réelle, qu’on pourrait

mettre en rapport avec la tendance de l’« instinct du jeu » de Schiller, qu’associe

dans une « forme vivante » le devenir – le monde en désordre qui nous échappe - et

l’essence absolue en tant qu’une vérité illusoire. Dans ce cadre, l’hétérotopie c’est

l’espace idéal où nous amène l’« instinct du jeu » avec le but d’une expérience

esthétique créatrice.

1.4 – Hans-Georg Gadamer : L’art du jeu – le jeu comme représentation

Si l’on reste avec Schiller, pour qui le plaisir que vise l’« instinct du jeu » dans

l’homme est dans une manifestation esthétique, mais si l’on fait le moindre pas plus

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loin en direction à cette idée de mise-en-forme qui réunit esthétiquement devenir et

l’unité, on se retrouvera immédiatement dans la représentation, à savoir celle de la

beauté de la « forme vivante ». Hans-Georg Gadamer dans son œuvre « Vérité et

Méthode » va plus directement au sujet: « Son mode d’être [celui du jeu] est donc

représentation de soi »21, c’est à dire, le sujet du jeu est la représentation à travers

lui-même. Pour y arriver, ce philosophe part de l’idée que chaque jeu impose une

tâche au joueur, que sa réussite à la performer va la représenter22 et, dans ce cas,

le joueur devient comme une pièce représentative dans le jeu. Donc, à l’image d’un

comédien de théâtre par exemple, le but des joueurs est de bien représenter son rôle

à la fois dans le spectacle et pour que celui-ci soit bien représenté pour le

spectateur23, puisque selon Gadamer c’est dans le spectateur seulement que le jeu

parvient à la plénitude de son « sens »24. Cela même si son « sens » est juste de

faire plaisir, ou même encore s’il n’y en a pas un, puisque le « non-sens » - d’ailleurs

qu’on découvrira plus loin au sein de la pratique des certains artistes être aussi

créateur de sens - ne prend place que devant le spectateur.

Cet achèvement du jeu de la plénitude de son sens à travers sa propre

représentation, Gadamer appelle « transmutation en œuvre », c’est le procès où le

jeu « atteint son véritable accomplissement, qu’est de devenir art »25. Selon lui, à

cette occasion les joueurs, ou bien les artistes, se dissolvent dans la représentation,

et « seul existe désormais ce qu’ils jouent »26, c’est à dire l’œuvre d’art et son

« sens ». Il faut noter aussi que l’œuvre d’art ne se montre au spectateur que dans

un espace et moment donné – il s’agit de l’hétérotopie de l’art à proprement parler,

son « playground », qu’on pourrait donner comme exemple les galeries, les centres

d’art et, de plus en plus dans l’art contemporain, l’espace urbain que l’œuvre d’art

transforme elle-même en hétérotopie. À ce point, si l’on reprend la fonction de

l’hétérotopie de dénoncer/compenser, on trouvera que l’achèvement de cette

plénitude de « sens » du jeu signifie, en effet, la réalisation de la dénonce ou

compensation en question. Le caractère, la tonalité et d’autres qualités associables à

la dénonce/compensation que visent l’œuvre d’art vont dépendre finalement de

celles de sa représentation en soi, puisque celle-ci est enfin le « mode d’être du

jeu ».

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1.5 – Le jeu dans l’art contemporain

L’œuvre d’art est à la base un jeu et tout jeu a ses règles. Or, ces règles ne

sont pas tout à fait inventées, mais établies par rapport aux règles du genre artistique

auquel l’œuvre s’attache, ce que Nathalie Heinich appelle son « paradigme », et qui

définit plutôt un type de pratique et pas du tout sa localisation temporelle par rapport

à l’histoire de l’art. Celui de l’art contemporain selon Heinich consiste en un « régime

de singularité », ce que signifie que les œuvres d’art doivent toujours se singulariser

à travers une pratique innovatrice, c’est à dire « faire quelque chose qu’on n’a pas

encore faite »27. Cela, dans l’art contemporain, toujours de manière transgressive par

rapports aux valeurs de l’œuvre d’art elle-même tels qu’elles étaient définies dans les

paradigmes de l’art classique et moderne28. Par exemple, si dans l’art moderne

l’authenticité de l’objet et son « bon goût » étaient des valeurs de l’œuvre d’art, alors

dans la pratique contemporaine, la dématérialisation de l’objet au profit de la

valorisation de l’intention de l’artiste viendra les transgresser29. C’est le cas de

« Fountain » de Marcel Duchamp, où il met la valeur de l’œuvre dans son geste de

détournement d’un objet ordinaire, non authentique – un urinoir – et qui est aussi

opposé au « bon goût ».

On pourrait dire donc que la règle dans l’art contemporain est exactement

contester les règles. Marcel Duchamp l’a fait à travers ce geste, cette intention qui

représente une dénonce, à l’époque, du paradigme de l’art moderne. Le mode d’être

de son œuvre est la moquerie, la dérision. Selon Heinich la dérision est,

effectivement, une de formes les plus constantes dans les proposition artistiques

contemporaines30. Or, cette approche ludique n’est pas empruntée par pur je, si bien

qu’elle provoque souvent des rires. Comme on a déjà vu, le jeu visant une

représentation peut servir à exprimer une intention, plus précisément faire une

dénonce sur la réalité ou avoir un effet de compensation sur elle, c’est là où il devient

sérieux.

Ce n’est pas par hasard que la photographie est un de matériaux le plus

utilisés dans le cadre de l’art contemporain. Dans un genre d’art où l’intention ou le

geste devient un élément principal du jeu, il faudra des moyens pour permettre ces

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gestes d’être montrés, ces intentions d’être rendues visibles et diffusées. Il nous

reste voir comment cela prend place, comment va fonctionner ce jeu.

2 – Les formes du jeu

2.1 – Mise-en-scène et jeu photographique

Rien de plus adéquat pour rentrer dans le monde du « jeu photographique »

que le travail de Bernard Faucon. Dans sa série « Les Grandes Vacances », le

photographe crée un « monde-jeu » à travers la photographie en mettant-en-scène

des mannequins taille enfant avec un décor presque entièrement construit par lui.

Dans ce « monde-jeu » prennent place des situations extraordinaires, basées sur

une enfance marquée par une difficile adaptation à la réalité31 face à des désirs

interdits et un développement précoce de la sensibilité32. Ce que Faucon paraît

chercher à travers ses images, c’est à dire « l’instinct du jeu » qui le guide, est une

forme de compensation par rapport à cette « enfance qui est nostalgie d’un Eldorado

jamais atteint, et souvenir d’un futur possible, peut-être à cause de l’intensité du

désir »33.

Dans une de ses images présente dans « Les grandes vacances II » on voit

un groupe formé par un vrai garçon et trois mannequins qui semblent concentrer leur

attention sur le premier, ils tiennent tous des boissons, ce qui nous fait penser à une

fête, et sont en extérieur sur une pelouse. Derrière eux on voit une construction qui

brûle, mais qui soit les personnages ignorent, soit elle fait partie de la fête. Le garçon

vivant règne absolument dans l’image. On pourrait interpréter sa présence comme

celle d’un être singulier par sa beauté et personnalité, mais aussi comme un enfant

déplacé dans un monde d’absurdité et d’une enfance stéréotypé suggérée par les

mannequins.

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Dans l’image « Le verre cassé », la scène est en intérieur, où deux

mannequins sont dérangés par une extraordinaire tempête qui vient de l’extérieur par

la fenêtre, fait tout basculer et fait tomber les verres de la table à la gauche. Le

mannequin débout en premier plan semble s’étonner en pointant la fenêtre, tandis

que au deuxième plan le mannequin assis se courbe face à l’explosion vers la

derrière avec une magazine qui risque de s’envoler.

Ce que les deux images ont en commun c’est la représentation fantastique de

l’extérieur comme quelque chose d’absurde. Selon le propre Bernard Faucon, le

dehors est le symbole de « l’immensité du cosmos, des lois absurdes, de la vie

sociale… Tout ce dont on doit faire l’apprentissage et qu’on perçoit d’abord comme

une menace »34. Telle est la conception de la réalité pour un enfant singulier comme

a été Faucon. Ce qu’il fait alors dans son travail est de jouer avec cette conception,

avec des éléments qui peuvent être considérés eux mêmes comme jouets – les

mannequins, à travers aussi d’une logique ludique innocente mais révélatrice de

l’imagination d’un enfant, pour créer un monde dont lequel il est le « maître » qui peut

l’organiser de façon à refléter « tout à la fois un point de vue sur le réel et son propre

désir intime »35.

Pour construire ce monde, Bernard Faucon utilise la photographie. Il faut noter

qu’il conçoit toujours ses images mentalement de sorte qu’elles soient très claires

dans sa tête pour qu’il puisse ensuite tout mettre en place pour finalement faire la

2. De la série « Les Grandes Vacances II », Bernard Faucon (1976-1981)  

3. « Le verre cassé », Bernard Faucon (1979)

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prise de vue. Immédiatement après la prise, Faucon se débarrasse complètement de

la scène construite, et tout ce qui reste de ce monde est l’image capturée. Cela

révèle combien son jeu dépend et est dirigé par les règles de la photographie. Sans

les propriétés du moyen photographique, tout son monde-jeu serait inconcevable.

L’apparence matérielle des mannequins, des décors et de tous les autres éléments

présents dans ses images sont organisés pour être photographiés et pour n’exister

dans l’image. Dans ce cas, on pourrait dire que son « playground » devient l’espace

de représentation de la photo, une hétérotopie qui vise une compenser la réalité de

son enfance difficile.

Malgré toute la fantaisie et absurdité, le mode d’être du travail de Faucon

reste dans une tonalité sérieuse, énigmatique, poétique, plutôt que dérisoire, ce qui

n’est pas le cas dans l’œuvre des allemands Anna et Bernhard Blume. Lorsqu’on

parle de dérision dans la photographie, le travail de ce couple est un des modèles les

plus exemplaires. Nommés par la presse française « les fous du logis »36 qui font des

« autoportraits chavirés »37, les Blume utilisent l’appareil photo « comme des jouets

qui leur permettent de raconter des petites histoires »38. Rien de plus naturel si on

évoque l’idée de Villém Flusser, pour qui « l’appareil photo libère l’homme pour le

jeu »39 ; selon lui l’appareil photo est une machine qui a un « texte »40, c’est à dire un

outil qui est construit pour fonctionner toujours selon le même programme, les

mêmes règles, dans le cas celles liées à la perspective, les réglages possibles et la

caractéristique de la formation instantanée de l’image. C’est à son utilisateur de tout

simplement jouer avec elles, au contraire du peintre qui doit créer sa propre forme de

représentation. Or, les Blumes jouent très bien ce jeu, on dirait même qu’ils sont

ceux qui s’amusent les plus en le faisant. Le flou de l’objectif et de mouvement, le

cadrage tort qui découpe des parties du corps : ce qui pourrait être considéré comme

erreur technique du photographes signifie chez eux la réussie de l’image.

Dans leur série « Kitchen Frenzy », une femme (Anna Blume) se trouve au

milieu d’une routine petite-bourgeoise allemande qui paraît échapper à son contrôle

et se révolter contre elle. Des pommes de terres gagnent vie propre, elles flottent,

volent partout, s’organisent en groupes pour attaquer la personnage terrifiée. Tout

cela grâce à la propriété de la vitesse de l’obturateur qui fixe un instant d’une action,

enregistrant des objets qui ont l’air de défier la gravité, le cadrage qui déstabilise la

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perception. Encore une fois on trouve un monde-jeu qui n’existe qu’en fonction de la

photographie.

Ainsi comme Bernard Faucon, les Blumes construisent ses propres images

mais, tandis que Faucon procède par un agencement très rigoureux des objets du

décor, les Blumes procèdent par la performance, en se mettant en scène eux mêmes

dans leur monde fermé. L’autre différence c’est que leur hétérotopie vise non une

compensation, mais une dénonciation. Ils veulent dénoncer à travers le burlesque la

médiocrité du monde petit-bourgeois allemand. En y ajoutant des phénomènes

extraordinaires, ils veulent faire voir l’autre absurdité qu’est celle d’une routine

domestique programmée, censée d’être la norme pour une vie idéale de bonheur,

représenté par l’image stéréotype de la femme au foyer qui cuisine tranquillement

pour son mari qui arrivera affamé du travail.

Mi-chemin entre la performance et l’agencement, entre la poésie et la dérision,

entre la compensation et la dénonciation, on peut retrouver l’américain Duane

4-11. « Kitchen Frenzy », Anna et Bernhard Blume (1986)

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Michals. Dans son jeu la règle est la séquence photographique, c’est à dire qu’on voit

le dérouler de ses jeux par fragments, et chaque fragment nous dévoile le

mécanisme du jeu, sa tonalité. Lorsqu’il ne se met soi-même en scène, il oriente ses

modèles pour représenter devant l’appareil dans une espace choisi et décoré

spécialement pour le jeu. La narrative créée par l’ensemble nous fait accéder à son

sujet, souvent de l’ordre de l’invisible : la sexualité, la religion, la mort, l’identité, etc.

On peut trouver dans la séquence « Paradise Regained » par exemple, en

même temps le thème de la sexualité et de la religion. Le jeu commence avec une

image simple qu’établit le contexte initial : un homme et une femme sont dans un

bureau avec son décor typique, ils sont habillés selon les règles d’un lieu de travail. À

la mesure que le jeu se déroule les objets du bureau commencent à être transfigurés

en éléments de la nature, et les personnages perdent ses vêtements, jusqu’à ce que

dans la dernière image on les retrouve nus comme Adam et Ève dans le paradis,

entourés par la nature, libérés de la corruption de la civilisation, des tissus et des

outils qui condamnaient leur sexualité.

Dans une autre séquence appelée « I Build a Pyramid », faite en Egypte,

Michals se met en scène devant les pyramides de Giza. La première photo montre

les vrais monuments au fond et le propre photographe qui tient un grand caillou. Le

jeu commence et à chaque image de la séquence on voit plus de cailloux empilés et

12. « Paradise Regained », Duane Michals (année inconnue)

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le photographe qui les apportent. L’avant-dernière image montre la pyramide

construite par Michals qui part de la scène, suivi de la dernière image qui montre la

pyramide « fausse » de façon qu’elle semble être plus grande que les vraies. Il s’agit

de parler de la mort et du désir d’être immortel. « Au départ, la séquence de Michals

paraît une blague de touriste », écrit Max Kozloff, mais plus que critiquer le

stéréotype du touriste photographe, et « pour plus ridicule qu’elle sonne »41, son

action a l’intention de manifester ironiquement cette volonté de perpétuité qui est de

l’ordre de l’invisible – comment faire voir la mort ou la volonté d’être immortel ?

À la fois recherche de compensation d’une réalité contraignante et

dénonciation de la vraie nature humaine, mixte entre burlesque et poésie, le travail

de Michals reste un jeu photographique. Non seulement parce qu’il ne se montre que

par la photo, mais parce que sans la photographie et ses propriétés il n’existerait

pas. Telle est aussi la caractéristique qui unit l’œuvre de ces trois photographes. Si

chez un d’eux il s’agit de compensation et chez l’autre de dénonciation, si là il y a de

la poésie pure et ici de la plaisanterie, dans tous les trois les règles du jeu marchent

basées sur les règles de l’appareil photo. Ce qu’ils font avec le « texte » de la

photographie est le détourner de sa fonction d’origine, celle des modernes, de

reproduire ou documenter une réalité objective ou donner à voir la réalité à travers un

« regard » absolu42.

13. « I Build a Pyramid », Duane Michals (1978)

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Dans ce trois cas l’appareil n’est pas seulement un instrument pour

enregistrer, mais il joue un rôle décisif dans le jeu/représentation, et sans lui la

représentation ne pourrait pas exister. Pour cela on pourrait l’appeler « jeu

photographique ». Un autre détail important c’est que ces « jeux photographiques »

sont contrôlés et nettement séparés de la vie réelle, en aucun moment est acceptée

l’interférence de la réalité extérieure dans la réalité photographique, puisque cela

signifierait une césure dans les règles de ce type de jeu.

2.2 – Récit et jeu documentaire

Entre les jeux utilisés par les artistes contemporains, il y en a un autre type

qu’utilise la photographie. Si dans le « jeu photographique » les artistes détournent

les fonctions d’origine de l’appareil photo pour créer des nouveaux « mondes-jeu »

de nature fictive, dans cet autre type de jeu ils feront le contraire : c’est la fonction

d’enregistrement documentaire en elle même qu’ils utiliseront, sans la détourner,

pour pouvoir garder des traces représentatives de ses jeux, puisqu’ils consistent

souvent à des performances, des interventions ou des événements éphémères qui

ont besoin d’une documentation pour être diffusés.

Un peu comme Duane Michals, Tibor Gyenis, dans son travail « Ten

Superfluous Gestures », conçoit des scènes pour être photographiées. Pourtant dans

son cas les scènes ne se passent pas dans un monde de fantaisie mais dans le

monde réel, et ont une relation de dépendance avec lui. Le jeu de Gyenis consiste à

mettre en scène et documenter des gestes inutiles dans le monde réel pour faire voir

quelque chose d’invisible, en termes foucaldiens, des « rapport de forces »43 qui

passent à travers ces images de gestes.

Par exemple dans une des images un homme polit les rails d’un chemin de fer

abandonné. Son geste en soi ne mène à rien nécessairement, mais nous fait penser

aux renouvellement de patrimoines historiques, ou l’abandon de ce qu’était avant un

symbole du l’époque moderne. Ce chemin de fer est abandonné par une raison : il

est devenu obsolète face aux avances technologiques et des nouveaux paradigmes

de transport et communication. Faire une telle image est un geste qui nous possibilite

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plusieurs interprétations, dès la dénonciation d’un passé abandonné, jusqu’à la

moquerie d’une époque moderne, et par là même d’une moquerie de l’art moderne.

Dans une autre image on voit un homme assis qui s’éclate à fumer un cigare,

tandis qu’un autre, en tenue de servant, paraît lui servir le feu. L’image n’a pas de

décor, le fond est noir et la seule lumière est concentrée sur l’homme qui fume. Cela

nous aide à nous concentrer dans le geste. Encore une fois l’action – fumer - ne

mène à rien sauf au plaisir ou à la distraction, et cela nous fait questionner à la fois

tous les actes inutiles performés par les humains, qui représentent un certain luxe,

mais qui ne contribuent qu’à la propre annihilation de l’être humain : la maladie, la

soumission d’un être à l’autre basée sur un position social ou racial.

On voit que les gestes représentés sont superflus et ne visent rien dans le

monde réel. Cette stratégie de « partir de rien », ou de presque rien, est partagée par

Boris Achour dans son œuvre « Actions-peu » où il sort et transforme la ville en

terrain de jeu. Les règles ici ne sont pas définies par l’appareil photo, mais par

l’artiste uniquement. Il s’agit de faire des interventions minimales et éphémères dans

le milieu urbain, d’organiser ou désorganiser des choses dans l’espace44. Peindre

des objets trouvés dans la rue, poser d’autres dans des endroits inespérés,

assembler encore d’autres pour en faire une sculpture burlesque.

14 et 15. « Ten Superfluous Gestures », Tibor Gyenis (1999)

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Ce type de jeu peut-être vu, par une durée déterminée, par tous ceux qui

passent par ces espaces publiques. Il n’a pas besoin de la photographie pour

prendre place et, au lieu de se créer un « monde-jeu » séparé du réel, Achour sort

jouer dans le réel. Frustré dans son atelier, il a voulu sortir et faire ces interventions

dans le lieu public pour que les gens voient son travail, c’est ce qu’importe pour lui45.

Ce faisant, il « se passe sa propre commande de sculpture publique »46. Dans ce

cas, il cherchait à la fois compensation et dénonciation de la réalité du monde

artistique à travers la mise-en-question de son mode de fonctionnement et de l’objet

artistique. Ses actions sont minimales, presque invisibles pour une personne qui

marche pressée dans la rue, mais pour « peu » que soient ces actions, elles ne

tendent pas vers le rien47, c’est à dire ce n’est pas par pur jeu d’amusement. Elles

partent de rien, ou de presque rien, mais pour provoquer un effet. Bien sur, à cause

de l’aspect de jeu e de son mode burlesque d’être, un passant qui remarque l’action

peut tout simplement penser que c’est du nonsense, fait pour quelqu’un qui voulait

16-19. « Actions-peu », Boris Achour (1993-1997)

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juste s’amuser, mais il peut aussi être amené à réfléchir sur les vraies questions que

l’action pose.

Un autre artiste qu’utilise le nonsense et qui joue dans le monde réel c’est

Francis Alÿs. Il le fait à travers des actes beaucoup plus absurdes, et les résultats

sont souvent ambigus et polémiques, puisqu’ils visent normalement toucher des

grandes questions politiques. Sa stratégie est de créer des jeux tellement délirants

que, après leur diffusion, ils deviennent presque des légendes urbaines, des fables.

Dans son travail « When Faith Moves Mountains », Alÿs mobilise un groupe

de 500 bénévoles avec une pelle chacun pour déplacer une montagne de sable dans

le désert du Pérou. Il s’agit de la réalisation du fameux proverbe et titre de l’œuvre

« la foi déplace les montagnes ». L’artiste a eu l’idée lors d’une visite au Pérou en

2000, pendant que le pays passait par une crise politique. Il nous dit que c’était une

« situation désesperé, qui appellait une ‘réponse épique’, en même temps futile et

héroique, absurde et urgente »48.

Ici, Alÿs a crée le jeu et a convaincu plus de 500 personnes à jouer, malgré

l’absurdité de la proposition. Ce faisant, il a crée un événement qui a eu beaucoup

d’impact sur les médias et dans la communauté locale, qui a son tour a fait le

« bouche à oreille ». Pour enregistrer l’événement, il utilise non seulement la

photographie, mais aussi la vidéo. Cette documentation permet de valider

l’événement à travers un récit. Alÿs voulait que l’histoire raconté et diffusé « survive à

20 et 21. « When faith Moves Mountain », Francis Alÿs (vidéo) (2002)

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l’événement »49, c’est à dire, qu’elle gagne une place dans la mémoire des locaux et

comme une fable, « qu’il intervienne dans l’imaginaire de cet endroit », que la

communauté « lui attribue du sens et de la valeur sociale »50. C’est l’artiste qui

organise le jeu, mais c’est comme si le peuple en jouant, construisait sa propre

légende et source d’inspiration pour prendre conscience politique. Techniquement, ils

n’ont pas déplacé toute la montagne, mais en l’essayant, ils auront crée cette

véritable fable, et avec elle, une voie pour la réflexion critique de leur situation

sociale.

Ce type de jeu dans le réel, avec l’aide des images qui le documente (soit

photographie, soit vidéo) a comme but la dénonciation qui est faite tout de suite et la

compensation qu’elle inspirera à chaque fois que l’histoire crée sera racontée ou

remémorée. Elle mélange réalité et fiction et brise la distinction entre les deux en

visant un effet pratique dans le réel, c’est à dire elle crée une nouvelle matière

première culturelle (la fable) au sein d’une communauté.

Or, si on parle en création d’histoires vraies, on est déjà dans l’œuvre de

Sophie Calle. Le mélange entre les règles du jeu et celles de la réalité, aussi bien

que la création de récits réels configure la stratégie principale dans toutes ses

œuvres. Comme Alÿs, Calle procède par la création de situations absurdes, toujours

soumises à des règles qu’elle invente ou qu’on lui impose, ensuite elle introduit soit

son propre être et histoire intimes, soit ceux d’autres personnes, soit les deux en

même temps.

22 et 23. « When Faith Moves Mountains », Francis Alÿs (2002)

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« Le rituel d’anniversaire » est l’exemple le plus symbolique de sa stratégie.

Le propre livre qu’est une des formes de la publication de ce travail, commence par

un table où est écrite « La règle du jeu »a. Dans cette table elle explique que Paul

Auster, dans son livre « Léviathan », s’est « servi de certains épisodes de [sa] vie

pour créer […] un personnage de fiction prénommé Maria »51. Cela veut dire que son

jeu avait commencé déjà dans une autre œuvre et déjà en mélangeant la vraie vie

(les épisodes de la vie de l’artiste) et la fiction (le livre de Paul Auster). Ensuite Calle

nous informe qu’il fait partie de la règle du jeu maintenant d’inverser la situation : elle

s’imposera rigoureusement les rituels qu’Auster a crée pour le personnage Maria,

pour « tenter de devenir un personnage de roman »52.

Dans ce cas il s’agit de s’imposer « Le rituel d’anniversaire » tel qu’il est décrit

dans le livre : à chaque jour de l’anniversaire de Sophie, elle doit inviter le nombre de

personnes correspondant à son âge, plus un inconnu amené par un des invités ; les

cadeaux apportés par chacun d’eux ne devra pas être utilisé, mais conservés comme

des preuves d’affection, ce que l’artiste va faire et documenter à travers la

photographie des objets rangés dans des placards en verre et des textes

minutieusement documentaires. Dans son livre, elle pose côte à côte les

photographies et les textes pour chaque année. Ce faisant elle crée un nouveau

récit, avec un ton documentaire, presque un reportage sur un rituel insolite.

Le détail ici est que, pour plus documentaire qu’il se veuille, de son intégralité

on ne connaît que ce qui est montré et écrit, ce qu’est présenté comme preuve. Ces

preuves sont très minutieuses, pourtant on ne voit pas des images avec tous les

24 et 25. Reproductions du livre « Rituel d’anniversaire », Sophie Calle (1998)

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invités, ni d’autres types d’images de « making-off ». On a les causes et les effets

présentés en fragments, mais on n’a pas la vision du dedans. Ces trous, on pourrait

dire laissés expressément par Sophie Calle, sont alors, comme dans les récits,

remplis par l’imaginaire du spectateur, qu’en ce moment entre aussi dans le jeu en

se demandant par exemple « comment serait vivre ce rituel ? ». L’ « histoire vraie » -

déjà assez absurde – devient donc dans l’imaginaire de ceux qui la lisent, encore

plus extraordinaires.

3. Conclusion

On a vu que les jeux peuvent définitivement être des stratégies pour

composer des propositions artistiques, et même qu’aujourd’hui l’idée du jeu est une

des stratégies les plus constantes de l’art contemporain. Les formes finales des jeux

qu’utilise la photographie vont dépendre du rôle de l’objet technique dans l’œuvre,

ainsi comme le rôle de l’appareil photo va dépendre de la forme finale souhaitée. Ce

qui n’empêche que les modes d’être de ces jeux et les effets produits ou visés

puissent être les plus variés possibles, indépendamment du rôle de la photographie

dans l’œuvre.

26 et 27. Vues de l’exposition « Relatos » à la Fundació La Caixa, Barcelone (1997)

Julio  Perestrelo  Vicente  -­‐  14506545  

 

On a pu identifier deux stratégies différentes, c’est à dire deux rôles différents

que la photographie joue dans ces jeux. Nous les avons appelés « jeu

photographique » - celui qui dépend de l’appareil et des ses règles pour fonctionner

et le « jeu documentaire » celui où il participe dans la documentation du jeu.

Le fait d’avoir une image photographique idéale comme but, c’est à dire de

concevoir le jeu où la photographie joue un rôle axial et déterminant, configurerait le

« jeu photographique ». Telle utilisation de l’appareil photo définit le fonctionnement,

les actions et les gestes possibles dans le jeu, ce sont les cas où sans la

photographie le jeu en question ne serait pas réalisable.

De l’autre côté, il y a des jeux qui configurent des œuvres qui ne dépendent

pas de l’appareil photo pour prendre place, mais l’utilisent – seul ou conjugué avec

d’autres pratiques – de façon documentaire pour donner une existence postérieure et

être diffusées en tant que formes finales qui fonctionnent comme des récits.

Ce deuxième type - à cause de sa fragmentation ou de l’insuffisance

caractéristique des moyen dits documentaires de restitution totale d’une action

performée dans le réel - a la tendance à développer d’autres caractéristiques avec le

temps, souvent de l’ordre de l’absurdité, renforcées par l’imaginaire des spectateurs

qui passent à faire partie du jeu en venant combler les espaces vides de la

représentation et augmenter la fiction des récits crées.

Julio  Perestrelo  Vicente  -­‐  14506545  

 

Notes : 1 Dictionnaire Larousse web : http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/jeu/44887

2 SCHILLER Friedrich von, « Lettres sur l’éducation esthétique de l’homme », trad.

Robert Leroux, Paris 1996. Pg 136

3 ibid. pg 125

4 ibid. pg 126

5, 6, 7, 8, 9 ibid. pg 139

10 « despite his ardent desire to win, he must still stick to the rules of the game ».

HUIZINGA Johan, in Homo Ludens, Temple Smith London, 1970 pg. 29

11 « Indeed, as soon as the rules are transgressed the whole play world collapses.

The game is over. The umpire’s whistle breaks the spell and sets real life going

again ». ibid. pg 30

12 « Inside the playground an absolute and peculiar order reigns. Here we come

across another, very positive feature of play : it creates order, is order. Into an

imperfect world and into the confusion of life it brings a temporary, a limited

perfection. » ibid. pg 29

13 « All are temporary worlds within the ordanary world, dedicated to the performance

of an act apart » ibid. pg 29

14 « Play distinct from ordinary life both as to locality and duration. […] It is played out

within certain limits of time and place. » ibid. pg 28

15 « All play moves and has its being within a playground marked off beforehand

either materially or ideally, deliberately or as a matter of course. » ibid. pg 28

Julio  Perestrelo  Vicente  -­‐  14506545  

 

16 « The arena, the card-table, the magic circle, the temple, the stage, the screen, the

tennis court, the court of justice, etc., are all in form and function play-grounds » ibid.

pg 29

17 FOUCAULT, Michel, in « Le corps utopique, suivi de Hétérotopies », éd Lignes,

2009

18 « des lieux réels, des lieux effectifs […] qui sont des sortes de contre-

emplacements, sortes d'utopies effectivement réalisées dans lesquelles les

emplacements réels […] sont à la fois représentés, contestés et inversés, des sortes

de lieux qui sont hors de tous les lieux, bien que pourtant ils soient effectivement

localisables ». ibid.

19 « le théâtre fait succéder sur le rectangle de la scène toute une série de lieux qui

sont étrangers les uns aux autres » ibid.

20 ibid.

21 « Le jeu se borne effectivement à se donner en représentation. Son mode d’être

est donc représentation de soi ». GADAMER Hans-Georg, in Vérité et Méthode,

Éditions du Seuil, 1996 pg 126

22 « Ce qui précise en quel sens jouer c’est jouer à quelque chose. Chaque jeu

impose une tâche à l’homme qui y joue. […] On peut dire que la réussite d’une tâche

met celle-ci sous les yeux, la représente. » ibid. pg 125

23 « Or représenter c’est toujours virtuellement représenter pour quelqu’un » ibid. pg

126

24 « C’est dans le spectateur seulement qu’il parvient à la plénitude de son sens. Les

joueurs jouent leur rôle comme dans n’importe quel jeu ; c’est l’ensemble composé

des joueurs et des spectateurs. En fait, c’est celui qui ne participe pas au jeu et se

Julio  Perestrelo  Vicente  -­‐  14506545  

 

contente de regarder qui fait du jeu l’expérience la plus authentique : c’est à lui que le

jeu se représente tel qu’on l’entend. » ibid. pg 127

25 « La transformation par laquelle le jeu humain atteint son véritable

accomplissement, qui est de devenir art, je l’appelle la transmutation en œuvre. »

ibid. pg 128

26 « Les joueurs ou l’écrivain n’existent plus, seul existe désormais ce qu’ils jouent »

ibid. pg 130

« À ce moment seulement il se montre en quelque sorte détaché de l’action

représentative des joueurs pour ne plus consister que dans la seule manifestation de

ce à quoi ils jouent. »

27 15"30’. HEINICH Nathalie, « L’art contemporain n’est-il qu’un discours ? » in « La

grande table », émission radiophonique sur France Culture, disponible sur

http://www.franceculture.fr/player/reecouter?play=4812916

28 HEINICH Nathalie, in « Le Paradigme de l’art contemporain », éd. Gallimard, 2014

29 ibid. pg 128

30 HEINICH Nathalie, in « Art contemporain, dérision et sociologie », revue Hermès no

29, 2001

31, 32 Au long de son oeuvre, Pierre Borhan nous offre plusieurs passages où il met en

avant, souvent à travers les mots du propre Bernard Faucon, les difficultés

d’adaptation de cet enfant confondu par son désir pour d’autres garçons et ses

tendances précoces à la poésie et l’art. BORHAN Pierre, « Bernard Faucon », Col.

« les grands photographes » Belfond 1988

33 « enfance qui est nostalgie d’un Eldorado jamais atteint, et souvenir d’un futur

possible, peut-être à cause de l’intensité du désir » ibid. pg 64

Julio  Perestrelo  Vicente  -­‐  14506545  

 

34 ibid. pg 69

35 CAUJOLLE Christian, « À quoi jouent-ils ? », Actes Sud / Rencontres d’Arles, 1995

36 « Les fous du logis » Télérama 3156, Mercredi 7 Juillet 2010

37 « Les autoportraits chavirés des allemands Anna et Bernhard Blume », Le Monde,

25 décembre 1997

38 ECOTAIS Emmanuelle de l’, «Anna & Bernhard Blume SX-70 / Polaroïds, 1975-

2000», Editions Walther König, 2010

39 FLUSSER Vilém, « Pour une philosophie de la photographie », Circé, 2004. Pg 35

40 « Ce qui m’intéressait relevait de l’invisible, du métaphysique : la vie après la mort,

l’aura de la sexualité – l’atmosphère qui l’entoure plutôt que sa pratique. Ce sont des

choses que l’on ne voit jamais dans la rue. Il a donc fallu que j’invente pour créer des

situations que puissent exprimer et explorer cela » LIVINGSTONE Marco, in « Duane

Michals – Photographe de l’invisible », éd de la Martinière, 1998 pg 7-8

41 KOZLOFF Max, « I – I Remember Pittsburg », in « Now Becoming Then », Twin

Palms Publishers, Altadena, California, EUA, 1990

42 « Saisir le réel, prendre sur le vif, capter le mouvement, donner à voir, […]être un

oeil, un oeil impeccable et impérieux qui prescrit aux autres ce qu'ils auraient dû

voir » FOUCAULT Michel, « La pensée, l'émotion », in « Michals (D.), Photographier

de 1958 d 1982 », Paris, musée d'Art moderne de la ville de Paris, 1982, pp. III-VII.

Dits Ecrits tome IV texte n°307

43 « La force n’a pas d’autre objet ni sujet que d’autres forces, pas d’autre être que le

rapport : c’est une action sur les autres actions, sur des actions éventuelles, sur des

actions futures ou presents […] on peut concevoir une liste de variables ouvertes,

exprimant le rapport de force ou de pouvoir constituant des actions sur des actions :

Julio  Perestrelo  Vicente  -­‐  14506545  

 

inciter, induire, détourner, rendre facile ou difficile, élargir ou limiter, rendre plus ou

moins probable » DELEUZE Gilles, “Foucault”, éd. de Minuit, Paris, 1986, p.77

44 « Donc je sors de l’atelier, je vais dans la rue, et de manière extrêmement intuitive

et simple, je me mets à organiser et à désorganiser de choses dans le espace »

PIRON François, DESANGES Gillaume, GUILBERT Chris, ACHOUR Boris,

« Welcome/Fuck off » in « Unité », pg 7

45 «BA : Comme je n’ai pas accès aux endroits où l’on montre de l’art, je vais là où il y

a des gens, tout simplement. Je disais que les Actions-peu étaient réactives à ma

pratique d’atelier, mais elles le sont également par rapport à une réflexion sur ce que

sont l’espace et la sculpture publics : qui les organise, qui les ordonne, qui les prend

en charge, que a le droit ou pas d’y intervenir et comment. Personne ne me

demande rien et je me passe ma propre commande de sculpture publique, que je

réalise avec mes propres moyens, financièrement nuls » ibid. pg 7-8

46 « FP : Les Actions-peu ne sont pas une disparition, mais une apparition : elles ne

tendent pas vers le rien, elles partent de rien, c’est tout à fait différent » ibid. pg 9

47 « the poetic qualities of alys projects reside in their fantastical absurdity, their

reansience or incompletion, their imaginative imagery, and most of all in their

enigmatic openness to interpretation. The most significant question he poses – to

himself as well as to his viewers – is whether such poetiic acts, while underlining the

‘senselessness’of particular real situation[…] for if hist strategy o creating imaginative

action to addres real-world subjects invites us to assess the relationship between

poetics and politics » Francis Alys – a history of deception pg 9

Julio  Perestrelo  Vicente  -­‐  14506545  

 

48 « The work was conceived during a visit to Peru by the artist in 200, shortlu before

the collapse of the fujimori governement, ‘a desperate situation…they called for an

‘epic response’ , at once futile and heroic, absurd and urgent’ » ibid. pg 19

49 « Alys described this process most powerfully in the course of making When Faith

Moves mountains, when he wrote that the action could ‘become a story that survives

the event itself » ibid. pg 15

50 « Whereas the highly rational societies of the Renaissance felt the need to create

utopias, we of our times must create fables. When Faith Moves Mountains attempts

to translate social tensions into narratives that in turn intervene in the imaginal

landscape of a place… active interpretive practice performed by the audience, who

must give the work its meaning and its social value » ibid. pg 36

51 CALLE Sophie, in « Rituel d’anniversaire (Livre II) », éd. Actes Sud Beaux Arts,

1998

52 ibid.

Julio  Perestrelo  Vicente  -­‐  14506545  

 

Table d’illustrations

1. « Actions-peu », Boris Achour (1993-1997)

2. De la série « Les Grandes Vacances II », Bernard Faucon (1976-1981)

3. « Le verre cassé », Bernard Faucon (1979)

4-11. « Kitchen Frenzy », Anna et Bernhard Blume (1986)

12. « Paradise Regained », Duane Michals (année inconnue)

13. « I Build a Pyramid », Duane Michals (1978)

14 et 15. « Ten Superfluous Gestures », Tibor Gyenis (1999)

16 et 17. « Actions-peu », Boris Achour (1993-1997)

20 et 21. « When faith Moves Mountain », Tibor Gyenis (vidéo) (2002)

22 et 23. « When Faith Moves Mountains », Tibor Gyenis (2002)

24 et 25. Reproductions du livre « Rituel d’anniversaire », Sophie Calle (1998)

26 et 27. Vues de l’exposition « Relatos » à la Fundació La Caixa, Barcelone (1997)

Julio  Perestrelo  Vicente  -­‐  14506545  

 

Annexe

a « Règles du jeu » - Reproduction du livre « Rituel d’anniversaire », Sophie Calle, éd.

Actes Sud Beaux Arts, 1998