22
1 1. Introduction Pour mieux comprendre la théorie d’Émile Benveniste, il faut se remettre à celle de Ferdinand de Saussure (1857 – 1913), créateur de la science du langage de qui Benveniste a dit « il n’y a pas de linguiste qui ne lui doive quelque chose ». Il est important aussi de connaître le contexte historique, culturel et philosophique qui donne origine à cette nouvelle science. Les travaux de Benveniste s’encadrent dans la linguistique structurale de Saussure dont il a continué les recherches sur les langues indo-européennes, étant un des promoteurs de la théorie saussurienne en France. Pour Saussure, le problème principal de la science linguistique n’est plus celui de l’origine du langage et de l’évolution des langues, ce qui était la motivation des avant- coureurs de la philosophie de la langue, mais celui de « savoir en quoi consiste une langue et comment elle fonctionne ». Cette affirmation porte sur une autre plus vaste : la langue, considérée en elle-même et pour elle-même, forme un système, une totalité de parties solidaires les unes des autres, un ensemble dont les relations sont premières par rapport aux termes. « Chacune des unités d’un système se définit ainsi par l’ensemble des relations qu’elle soutient

Le modele de Benveniste

  • Upload
    una

  • View
    3

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

1

1. Introduction

Pour mieux comprendre la théorie d’Émile Benveniste, il faut

se remettre à celle de Ferdinand de Saussure (1857 – 1913),

créateur de la science du langage de qui Benveniste a dit

« il n’y a pas de linguiste qui ne lui doive quelque chose ».

Il est important aussi de connaître le contexte historique,

culturel et philosophique qui donne origine à cette nouvelle

science. Les travaux de Benveniste s’encadrent dans la

linguistique structurale de Saussure dont il a continué les

recherches sur les langues indo-européennes, étant un des

promoteurs de la théorie saussurienne en France.

Pour Saussure, le problème principal de la science

linguistique n’est plus celui de l’origine du langage et de

l’évolution des langues, ce qui était la motivation des avant-

coureurs de la philosophie de la langue, mais celui de

« savoir en quoi consiste une langue et comment elle

fonctionne ». Cette affirmation porte sur une autre plus

vaste : la langue, considérée  en elle-même et pour elle-même,

forme un système, une totalité de parties solidaires les unes

des autres, un ensemble dont les relations sont premières par

rapport aux termes. « Chacune des unités d’un système se

définit ainsi par l’ensemble des relations qu’elle soutient

2

avec les autres unités, et par les oppositions où elle entre ;

c’est une entité relative et oppositive », disait Saussure.

Les travaux de Saussure, non pas un apport exclusif a la

théorie du langage, ont été la source d’inspiration du

structuralisme sur le plan scientifique. Ce courant

philosophique de la fin du XIX siècle a été la réponse à la

crise de la représentation que traversait le monde des arts ;

cette crise peut être expliquée par la Révolution industrielle,

événement qui a bouleversé complètement le monde connu jusque à

ces jours-là. Les sciences exactes, nécessaires pour la

mécanisation et l’industrialisation, occupent à l’époque un

lieu privilégié parmi les connaissances humaines et les hommes

s’émerveillent en contemplant les prodiges que les machines

leur offrent. Les concepts de fonction et de structures

dérivent directement de cette nouvelle vision du monde dont les

machines sont le modèle matériel le plus diffusé.

La tour Eiffel, inaugurée à l’occasion de l’Exposition

universelle de 1889, est la vitrine du savoir-faire

français. La Galerie des Machines, considéré comme le plus beau

des pavillons, témoigne de l’importance de ces nouvelles

vedettes. Les pavillons de l'art et de l'industrie mettent

également en évidence l'émergence de l'école de Nancy et

l'arrivée de l'Art nouveau en France. C’est l'illustration même

de la révolution industrielle  en marche. La représentation de

la vie sociale, expliquée par cette nouvelle conception du

3

monde, n’est pas le produit d’une expérience consciente de la

réalité. Elle est la fabrication de structures grammaticales

qui ont leur propre logique.

Dans ce travail, on donne une information succincte de la vie

personnelle et professionnelle d’Émile Benveniste pour décrire

après les points principaux qui soutiennent sa théorie de

l’énonciation : la nature du signe linguistique, les niveaux de

l’analyse linguistique, les deux modes de signification, la

spécificité du langage et finalement, les antécédents et la

réalisation du discours.

2. Sa vie, son œuvre

Émile Benveniste (1902-1976), un des plus importants linguistes

du XXe siècle a fait des études remarquables dans le champ de

la linguistique historique et comparée, mais son apport à

l’étude des problèmes de la linguistique générale le consacrent

comme un des plus importants théoriciens de la langue : le

signe et la relation de référence, la nature formelle de la

langue, les niveaux de l’analyse linguistique, la

classification des langues, le rapport entre langue et culture

et surtout sa théorie de l’énonciation, qui a donné origine à

une école d’analyse du discours encore très active en France

aujourd’hui.

Benveniste, élève d’Antoine Meillet l’ancien disciple de

Saussure et le linguiste le plus important du début du XXe

4

siècle, a enseigné la grammaire comparée des langues indo-

européennes à l’École pratique des hautes études ; à partir de

1937 il a été professeur de linguistique générale au Collège de

France. Pendant la Seconde guerre mondiale il a été refugié en

Suisse jusqu'à 1945, après s’être évadé de la prison. Depuis

1945, il a été secrétaire de la Société linguistique de Paris.

En 1969 il subit une attaque qui l’a laissé aphasique. Il

meurt en 1976 à l'âge de 74 ans.

Spécialiste de la grammaire des langues indo-européennes,

Benveniste devient ensuite un théoricien qui cherche à

comprendre comment se produit le sens dans le discours

ordinaire. Son approche reste structuraliste, mais il s’agit

pour lui de sortir de l’analyse des règles de la langue pour

prendre en compte les situations, les personnes qui parlent.

Cette analyse des faits contextuels, met en relation Benveniste

avec les anthropologues (il fonde avec Claude Lévi-Strauss

L’Homme, revue française d’anthropologie). « Le discours, écrit-il,

c’est le langage mis en action. ».

Il a reçu des influences de linguistes et philosophes de

nationalités diverses, représentants des courants de son

temps. Tout d’abord, de Ferdinand de Saussure – son « Cours

de Linguistique générale » et sa grammaire comparée sont à la

base de ses études – et aussi du cercle de Prague, en

particulier de Roman Jakobson. D’autre part, il a reçu

5

l’influence du philosophe allemand Edmund Husserl (1859 –

1938) en ce qui concerne la philosophie idéaliste du sujet.

Progressivement, Benveniste a surmonté le cadre

structuraliste de l’analyse de la langue quant’ à son système

formel et il a proposé les problèmes de son fonctionnement en

relation aux interlocuteurs et au contexte en général, ce qui

introduit un nouveau concept dans le champ de cette science.

Dans l’analyse du discours, il a mis en relief le rôle du sujet

parlant, le procès d’énonciation, les deux formes de signification du

langage, etc. Ses articles, écrits entre 1940 et 1965, ont

été réunis en deux volumes intitulés « Problèmes de

linguistique générale ».

3. La nature du signe linguistique

Pour Saussure, la langue est un système formel composé de

signes, c'est-à-dire, d’entités constituées par un signifiant

basé en une image acoustique et un signifié basé en une image

mental, qui tiennent entre eux une relation arbitraire.

Benveniste, d’un point de vue critique sur l’analyse

saussurienne du signe, affirme que le caractère formel de la

langue et l’arbitraire du signe sont incompatibles.

En effet, Saussure démontre le caractère arbitraire de la

relation entre signifiant et signifie en référence implicite

à la réalité, au sens ou à la substance. Mais quand Saussure

6

propose l’analyse formelle de la langue est cette référence

a la substance ce qu’on veut éviter Benveniste déclare :

« Saussure affirme que l’idée de sœur n’est pas liée au

signifiant [sør], mais il ne laisse pas de penser a la réalité

de la notion. Quand il parle de la différence entre [bøf] (en

français) et [oks] (en allemand) il se réfère malgré tout, au

fait que tout les deux termes s’appliquent à la même réalité.

Par conséquence, la chose, exclue antérieurement de la

définition du signe, s’introduit de nouveau dans celle-ci, en

lui donnant une contradiction permanente » (Problèmes de

Linguistique Générale 1 1966, p.50).

Benveniste attribue cette anomalie à l’influence de la pensée

relativiste, qui caractérisait la pensée scientifique de la

fin du XIXe siècle. Il propose une nouvelle analyse du signe,

inspirée en conceptions philosophiques plus classiques

concernant les relations entre langage et pensée. Pour

conserver le statut formel de cette notion, il qualifie en

premier terme le lien entre signifiant et signifié comme

nécessaire. Il dit : « le concept (signifié) bœuf est identique

en ma conscience a l’ensemble phonique (signifiant) [bøf].

Comment pourrait-il être d’une autre manière ? Tout les deux

ont été imprimes dans mon esprit ; tout les deux sont évoqués

en n’importe quelle circonstance » (PLG 1 1966, p. 51).

Benveniste conclut que la langue est fondamentalement

héritée, puisque n’importe a quelle époque on se remonte, la

7

langue apparait toujours comme un héritage des époques

antérieures et on la connait comme un produit hérité des

générations antérieures.

La notion d’imposition du signe linguistique est commune a

Benveniste et à Saussure, dans le sens où le signifiant

maintient sa relation avec le signifié de telle manière, que

le parlant n’est pas libre de choisir pour se faire

comprendre par la communauté linguistique. La relation

nécessaire entre signifiant et signifié n’est pas

contradictoire avec la notion d’arbitraire. Ce qui est

arbitraire chez Saussure, c’est la définition que produisent

les signes en relation aux images mentales du sujet. Cette

notion s’origine dans la conception de la langue comme

phénomène social, articulé en représentations psychologiques

individuelles : les images.

Après avoir fait la caractérisation du signe, Benveniste

délimite le champ de l’arbitraire aux relations qui existent

entre le signe, unité formelle de la langue, et le

référent ou chose désignée. « Ce qui est arbitraire c’est

que ce signe et pas cet autre, soit appliqué a cet élément de

la réalité et pas a cet autre » (PLG 1 1966, p. 52). De

cette façon, la relation arbitraire reste exclue du champ de

la linguistique, pouvant être considérée au champ de la

morphologie de la langue ou de la métaphysique.

8

Benveniste a saisi ces idées qui l’ont conduit à considérer

des différents niveaux dans le fonctionnement du langage dont

l’analyse constitue son apport le plus originel a la

linguistique.

4. Les niveaux de l’analyse linguistique

4.1. Le problème des unités

L’unité est définie en relation à l’unité de plus haut niveau

qui la contient. Quand on analyse un trait distinctif on le

fait par le phonème qui contribue à la définition ; quand on

décrit un phonème on le fait en relation au mot où il

s’insère ; finalement, quand on définit ce mot on le fait en

relation à une unité supérieure qui est la phrase. La phrase

est constituée de mots, « mais les mots n’en sont pas

simplement les segments. Une phrase constitue un tout qui ne

se réduit pas à la somme de ses parties ; le sens inhérent

à ce tout est reparti dans l’ensemble des constituants. Le

mot est un constituant de la phrase ; il en effectue la

signification, mais il n’apparait pas nécessairement dans la

phrase avec le sens qu’il a comme unité autonome » (PLG 1 p.

123 – 124). D’après Benveniste, le statut particulier du mot

se doit au double système de référence du langage : d’une

part, ceci se compose de signes qui se référent a des objets

généraux ou particuliers qui forment partie de l’expérience

personnelle du sujet ; d’autre part, il se réalise en phrases

9

qui se réfèrent a des situations ou des événements concrets.

La phrase n’est pas une classe formelle intégrée par des

unités ; il n’existe pas de « phrasèmes ». Il y a un seul

type de phrase : la proposition prédicative, hors laquelle

il n’y a pas de phrase.

Benveniste arrive à la conclusion que le mot constitue une

espèce de gond entre deux champs de la langue : celui du

système formel dont l’unité est le signe et celui du système

de communication ou de discours dont l’unité est la phrase.

Il n’y a pas de continuité entre l’unité-signe et l’unité-

phrase ; tout au contraire il y a une lacune. Selon

Benveniste, ces deux champs seraient organisés en deux

systèmes de signification : les deux modes de signification de la

langue.

5. Les deux modes de signification

Benveniste dénomme ces deux modes, sémiotique et sémantique.

Le premier est le mode de signifiance propre du signe

linguistique, unité de la langue considérée comme une

structure formelle. Le deuxième est produit par le discours

dont l’unité est le mot, porteur de message. Les signes ayant

une valeur essentiellement oppositive, l’étude sémiotique

consistera à les identifier, c'est-à-dire, les reconnaitre

et en décrire les signaux distinctifs.

10

Quant à l’identification, le seul problème que pose le signe

est celui de son existence, laquelle peut être décidée en

premier terme, par un locuteur d’une langue donnée.

Un francophone pourra identifier arbre, maison, regarder, avec,

comme signes du français ; tandis que orbre, moison, regurder, ovec

ne seront pas reconnus comme signes de sa langue maternelle.

Les signes identifiés, on continue l’étude sémiotique avec

la localisation des unités de niveau inferieur et la

découverte des critères de distinctivité plus élaborées.

« Le signe existe – dit Benveniste – quand il est reconnu

comme signifiant par l’ensemble de membres de la communauté

linguistique et qu’il évoque pour chacun, grosso modo, les

mêmes associations et les mêmes oppositions. Ceci est le

champ et le critère du sémiotique ». (PLG 2, p.64)

De leur côté, les mots acquièrent leur statut par moyen de

leur caractère de référence ; ils nous remettent à une

réalité déterminée qu’on cherche à comprendre. De cette

manière, l’analyse sémantique aura comme objet

l’interprétation globale, en relation à un contexte

situationnel concret, des mots qui forment un message. En

conséquent, le champ de la sémantique est identifié avec

l’univers du discours en situation, c'est-à-dire, avec

l’énonciation. Au niveau du discours, « ce n’est pas une

somme de signes produisant le sens, mais au contraire, c’est

le sens (celui intenté) conçu globalement, qui se réalise et

11

se divise en signes particuliers qui sont les mots. » (PLG 2,

p. 64)

De manière générale, on peut affirmer que le sémantique prend

en charge nécessairement l’ensemble de la situation de

référence, tandis que le sémiotique est, en principe,

éloignée de tout problème de référence. « Le sémiotique (le

signe) doit être reconnu ; le sémantique (le discours) doit

être compris… Dans les formes pathologiques du langage, ces

deux facultés sont souvent dissociées. » (PLG 2, p.65)

6. La spécificité du langage

L’observation des conduites humaines nous révèlent

l’existence de nombreux systèmes de signaux ou codes,

utilises simultanément en des relations sociales. Tous ces

systèmes ont en commun une propriété fonctionnelle : ils

servent à signifier et se différencient entre eux par leur

modèle opératoire, c'est-à-dire, par la manière de

réalisation du système (la vue, l’ouïe, etc.) ; par leur

champ d’application (p.ex., les signaux appliqués à la

circulation des routes) ; par la nature et le nombre de leurs

unités et finalement, par leur type de fonctionnement, le

type de relation entre les signes et leur valeur distinctif.

Selon la nature des unités, on peut constater que les

systèmes qui ne forment pas un langage sont, ou sémiotiques,

constitués par des unités distinctes et significatives

12

élémentaires, comme les gestes d’urbanité, ou bien

sémantiques, constituées par des relations diverses entre

entités non signifiantes, comme la peinture, la musique et

les activités artistiques en général.

D’après Benveniste, seul le langage humain comporte tous les

deux systèmes de signifiance. C’est cette double dimension

qui explique la faculté métalinguistique, qui consiste à

prononcer des phrases signifiantes sur la signification, et

la relation d’interprétation par laquelle la langue peut

interpréter tous les signes des autres systèmes sociaux. « La

langue est l’interprète de tous les systèmes sémiotiques.

Aucun d’autre système possède une langue dans laquelle elle

puisse se catégoriser et s’interpréter selon ses distinctions

sémiotiques, tandis que la langue peut, en principe, tout

catégoriser et interpréter, voire elle-même ». (PLG 2, p.

61-62)

7. L’appareil formel de l’énonciation

7.1. Les trois dimensions du langage.

Des considérations précédentes on déduit que l’étude

linguistique ne peut pas se limiter exclusivement au mode

sémiotique. Hors ce premier champ, qui a comme base la

théorie saussurienne du signe, il faut aborder aussi le

fonctionnement discursif, le mode sémantique et pour cela, se

13

procurer un nouvel appareil de concepts et de

définitions.

Finalement, il semble nécessaire d’aborder la troisième

dimension, celle de la méta-sémantique qui sera construite

sur la sémantique de l’énonciation ayant pour objet la

double signifiance de la langue. Benveniste va se centrer

presque exclusivement sur la deuxième dimension dont

l’analyse sera présentée en des articles divers et surtout en

l’appareil formel de l’énonciation.

7.2. L’énonciation en sens vaste.

L’objet de l’analyse du fonctionnement discursif consiste à

préciser les conditions d’emploi de la langue, non pas à

distinguer les conditions d’emploi de formes ou de signes,

qui peuvent produire « un grand nombre de modèles si divers,

comme les types linguistiques desquels ils procèdent. »

(PLG2, p.79). Quant à l’emploi des langues, au contraire,

aucun modèle n’a été proposé. Pourtant, il s’agit d’un

mécanisme total et constant qui concerne toute la langue.

« La difficulté consiste à saisir ce grand phénomène, si

trivial qu’il semble se confondre avec la langue elle-même ;

si nécessaire que l’on n’aperçoit pas. » (PLG2, p.80).

Ce « grand phénomène » dont Benveniste parle, c’est

l’énonciation qu’il définie comme la mise en fonction de la langue par

un acte individuel d’utilisation. En conséquence, l’énonciation est

14

contemplée comme un acte, un ensemble d’opérations du

locuteur qui devient l’instrument de la langue.

« L’énonciation suppose la conversion individuelle de la

langue en discours », affirme-t-il (PLG 2 p. 81)

La relation du locuteur avec sa langue peut être envisagée

sous trois aspects : Le premier, la réalisation vocale de la

langue, ce que Saussure appelle le parler et surtout,

l’influence des actes individuels sur l’utilisation

phonétique. Le deuxième aspect est celui de la transformation

du sens des mots. C’est le problème de la sémantisation de

la langue, qui suppose une théorie du signe et de la

signification, comme l’élaboration d’une grammaire de

transformation et d’une théorie de la syntaxe universelle. Le

troisième aspect est celui de l’énonciation même, de

l’appareil formel de l’énonciation, cadre dans lequel se réalisent

les opérations individuelles du locuteur, un système qui

adapte la langue au discours. C’est l’appareil producteur des

formes linguistiques dont l’individu peut disposer pour

réaliser la langue par la parole.

7.3. L’énonciation proprement dite.

C’est ce troisième aspect des relations entre le

locuteur, la langue et le contexte que Benveniste dénomme

« énonciation ». Il affirme : « Avant l’énonciation, la

langue n’est qu’une possibilité de la langue. Après

15

l’énonciation, la langue est réalisée en une instance de

discours qui provient d’un locuteur, forme sonore qui arrive

à un auditeur et qui suscite une autre énonciation de

retour » (PLG 2, p.82).

Les éléments de l’énonciation sont le locuteur, les

interlocuteurs et le contexte ou le message se déroule. Le

locuteur énonce sa condition – identité, situation d’espace

et temps, sentiments - en relation aux interlocuteurs et le

contexte, par des indices spécifiques et des procédés

accessoires. Ce système d’indices constitue l’appareil formel

de l’énonciation. L’énonciation ainsi définie, constitue un

véritable « procès d’appropriation de la langue » par le

sujet ; c’est une acceptation, une assertion.

Les unités linguistiques principales qui constituent

l’appareil formel de l’énonciation sont, le système des

indices de personne, le système temporel et l’ostension (des

termes qui servent à designer un objet, une situation ou un

être présent dans le contexte d’énonciation).

Le système des indices de personne ne peut être analysé qu’en

termes d’énonciation, par référence au locuteur et à ses

interlocuteurs. La personne présente dans le contexte

d’énonciation, je / tu, s’oppose a la non personne, le lui

anaphorique, qui est défini par son absence en situation

d’énonciation. Le système des temps est organisé complètement

16

en relation avec le présent, avec le moment où le locuteur

produit son discours.

« Ce présent qui se déplace avec le progrès du discours,

constitue la ligne de division entre d’autres deux moments

qu’il produit et qui sont, eux aussi, inhérents a l’exercice

du parler :le moment où l’événement n’est plus contemporain

au discours ; il est sorti du présent et doit être

évoqué par la mémoire et le moment ou l’événement n’est pas

encore présent, il est sur le point de l’être et il se dresse

en prospection » dit Benveniste (PLG, 2 p.74).

Finalement, l’ostension se reporte a des termes comme celui-ci,

ici, maintenant et d’autres, qui accompagnent la désignation d’un

objet, d’une situation ou d’un être présent dans le contexte

d’énonciation. A ces trois types de formes énonciatives on

doit ajouter les structures interrogatives et impératives,

tel comme les formes diverses des modalités.

8. L'homme dans la langue 

Comme théoricien de l’énonciation, Benveniste a attiré

l’attention sur les instances en présence de la situation

d’énonciation. Il distingue deux types d'usage de la langue :

cognitif (comme en logique, la langue est utilisée pour

émettre des jugements indépendants du locuteur) et

énonciatif. Alors que la proposition « René Descartes est un

philosophe français» a une valeur universelle, la valeur de

17

vérité de la proposition « Je suis une mère de famille », à

cause du « je » qu'elle contient, dépend de la personne qui

la profère.

Il met en cause le système je/tu/il de la grammaire

traditionnelle pour démontrer qu’en restant dans la logique

sémantique du mot « personnel », retrouvé dans la

dénomination de pronom personnel, on recourt a une

catégorisation fonctionnelle de ceux-ci en deux ensembles

distincts ou ils jouent pleinement leur rôle. En situation

d’énonciation, je et tu correspondent à la notion de personne

dès lors qu’ils sont mis en contexte : ils référent à

eux-mêmes. Le je, d’après Benveniste, est exclusivement pour

le locuteur qui l’utilise de manière personnelle et

subjective en situation de discours et il ne peut exister

qu’en relation a lui-même. Le tu représente celui qui est

présent et qui est mentionné par ce pronom. Je et tu sont donc

intersubjectifs, puisqu’ils donnent une dimension pleine aux

signes vides, lorsqu’ils s’insèrent dans la situation

d’énonciation. Ceci renforce le concept qu’il n’existe pas

de discours vers le vide : il y aura toujours une altérité

explicite ou implicite et ils ne renvoient qu’à eux-mêmes.

Quant’ à la « non-personne », Benveniste soutient qu’elle ne

renvoie pas au contexte de je ou tu, mais a une chose, une

personne ou a une entité distincte et objective. « Ainsi

l'énonciation est directement responsable de certaines

18

classes de signes qu'elle promeut littéralement à

l'existence. Car ils ne pourraient prendre naissance ni

trouver emploi dans l'usage cognitif de la langue. Il faut

donc distinguer les entités qui ont dans la langue leur

statut plein et permanent et celles qui, émanant de

l’énonciation, n’existent que dans le réseau d’individus que

l’énonciation crée et par rapport a l’ « ici maintenant » du

locuteur. Par exemple, le « je », le « cela », le

« maintenant » de la description grammaticale ne sont que les

« noms » métalinguistiques de je, cela, demain, produits dans

l’énonciation » (PLG 2)

9. Conclusion

En relation avec l’œuvre de Saussure et les structuralistes

en leur ensemble, les travaux de Benveniste sont d’une

originalité incontestable. En effet, ils ont mis en évidence

l’existence d’un autre niveau de l’analyse linguistique,

celui de la fonction discursive du sujet et ils ont démontré

que cette fonction ne peut pas être décrite en termes

classiques de l’analyse sémiologique, c'est-à-dire, il a

dégagé la perspective d’une double linguistique : la

sémiologie d’une part et la sémantique d’autre part. La

relation entre l’homme et la société s’avère essentielle dans

la langue.

19

Selon les propres mots de Benveniste, ses études constituent

une contribution à la grande problématique du langage dont

les thèmes principaux sont les relations entre le biologique

et le culturel ; entre la subjectivité et la socialité ;

entre le signe et l’objet, entre le symbole et la pensée et

aussi les problèmes de l’analyse intralinguistique. Il

cherche à répondre comment s’articulent langue et parole ;

comment se réalise la structure signifiante par la parole et

quel est le rôle de la langue dans le processus de culture et

socialisation.

Comme dans toutes les manifestations de la pensée humaine,

les travaux des premiers et plus anciens chercheurs

continuent, s’élargissent et se perfectionnent avec ceux des

scientifiques qui les suivent. Les générations postérieures

trouvent leur source d’inspiration dans les apports de celles

qui les précèdent et reprennent le chemin tracé. Dans la

réponse à ses inquiétudes à l’égard de la langue, Benveniste

fait un pas en avant par rapport au legs de Saussure.

20

Table de matières.

1. Introduction page

1

2. Sa vie, son œuvre p. 2

21

3. La nature du signe linguistique

p. 4

4. Les niveaux de l’analyse linguistique

p. 54.1. Le problème des unités

5. Les deux modes de signification p. 6

6. La spécificité du langage p. 7

7. L’appareil formel de l’énonciation p. 87.1. Les trois dimensions du langage.

7.2. L’énonciation en sens vaste. p. 97.3. L’énonciation proprement dite.

p. 10

8. L'homme dans la langue  p. 11

9. Conclusion p. 12

22

Bibliographie.

Benveniste, Émile « Problèmes de Linguistique générale » 1

et 2, Gallimard, 1966 et 1974.

Bronckart, J.P. « Théories du langage »; versión castellana

« Teorías del Lenguaje », Herder, 1980.

Saussure, F de « Cours de Linguistique Générale »; versión

castellana « Curso de Lingüística General », Losada, 2002.