20
29 2006 - N° 93 FORMATION EMPLOI Au-delà du genre, l’insertion DOSSIER Les disparités de salaire et de carrières entre hommes et femmes sont l’objet, depuis deux décennies, de nombreuses études tant en économie qu’en socio- logie. Ces travaux ont largement mis en évidence le handicap salarial subi par les femmes sur le marché du travail. Dans la voie initiée par Blinder (1973) et Oaxaca (1973), des études récentes ont pointé que celui-ci prend effet très tôt, dès les premières années de vie active (Havet et Lacroix, 2002, Dupray et Moullet, 2004). Ainsi, la valorisation monétaire des caractéristiques individuelles et d’emploi se révèle inférieure pour les femmes sur le marché du travail, et vient renforcer 1 les effets salariaux provoqués par des différences de situation. Les salaires des hommes et des femmes en début de vie active : des sources de disparité variables selon les professions Par Thomas Couppié, Arnaud Dupray et Stéphanie Moullet * Les jeunes femmes sont plus diplômées ; pourtant, elles sont aussi moins rémunérées. Dans quelle mesure sont-elles l’objet d’une discrimination salariale ? Le constat peut différer selon que la profession est plutôt à dominante masculine, féminine ou mixte et selon que cette dominante a résulté d’une ségrégation scolaire ou s’est plutôt construite sur le marché du travail. * Thomas Couppié est démographe, chargé d’études au Département des entrées dans la vie active du Centre d’études et de recherches sur les qualifications (Céreq). Il travaille sur les disparités d’insertion entre hommes et femmes et sur les questions de ségrégation profession- nelle, sur la correspondance emploi-formation dans le tertiaire et l’insertion comparée des jeunes en Europe. Il a notamment publié avec Michèle Mansuy « L’insertion professionnelle des débutants en Europe : des situations contrastées » Économie & Statistique n° 378-379, 2004 et avec Alberto Lopez et Jean-François Giret « Des formations initiales aux premiers emplois : une correspon- dance plutôt mal assurée », in Des formations pour quels 1 Ou contrecarrer, le cas échéant.

Les salaires des hommes et des femmes en début de vie active : des sources de disparité variables selon les professions

Embed Size (px)

Citation preview

292006 - N° 93 FORMATION EMPLOI

Au-delà du genre, l’insertion

DOSSIER

Les disparités de salaire et de carrières entre hommeset femmes sont l’objet, depuis deux décennies, denombreuses études tant en économie qu’en socio-logie. Ces travaux ont largement mis en évidence lehandicap salarial subi par les femmes sur le marchédu travail. Dans la voie initiée par Blinder (1973) etOaxaca (1973), des études récentes ont pointé quecelui-ci prend effet très tôt, dès les premières annéesde vie active (Havet et Lacroix, 2002, Dupray etMoullet, 2004). Ainsi, la valorisation monétaire descaractéristiques individuelles et d’emploi se révèleinférieure pour les femmes sur le marché du travail, etvient renforcer1 les effets salariaux provoqués par desdifférences de situation.

Les salaires des hommes et desfemmes en début de vie active :

des sources de disparité variablesselon les professions

Par Thomas Couppié, Arnaud Dupray et Stéphanie Moullet*

Les jeunes femmes sont plus diplômées ; pourtant, elles sont aussi moins rémunérées.Dans quelle mesure sont-elles l’objet d’une discrimination salariale ? Le constat peut

différer selon que la profession est plutôt à dominante masculine, féminine ou mixte etselon que cette dominante a résulté d’une ségrégation scolaire ou s’est plutôt construite

sur le marché du travail.

* Thomas Couppié est démographe, chargé d’étudesau Département des entrées dans la vie active du Centred’études et de recherches sur les qualifications (Céreq). Iltravaille sur les disparités d’insertion entre hommes etfemmes et sur les questions de ségrégation profession-nelle, sur la correspondance emploi-formation dans letertiaire et l’insertion comparée des jeunes en Europe. Ila notamment publié avec Michèle Mansuy « L’insertionprofessionnelle des débutants en Europe : des situationscontrastées » Économie & Statistique n° 378-379,2004 et avec Alberto Lopez et Jean-François Giret « Desformations initiales aux premiers emplois : une correspon-dance plutôt mal assurée », in Des formations pour quels

…1 Ou contrecarrer, le cas échéant.

Cependant, les travaux basés sur ces modèles n’ont quepartiellement intégré l’hétérogénéité des différentssegments du marché du travail. En particulier, les rela-tions entre, d’une part, la nature des écarts de salairesentre hommes et femmes et, d’autre part, les caracté-ristiques des différentes professions ne sont que depuispeu abordées dans la littérature (Meng et Meurs, 2001pour la France ; Baker et Fortin, 2001 ; Bayard et al.,sous presse). Or, pour certaines analyses récentes, lesinégalités d’insertion entre hommes et femmes varientnon seulement selon « le genre » de la profession (etdonc le degré de ségrégation par sexe qui la caracté-rise), mais aussi selon l’origine de cette ségrégation

(Couppié et Epiphane, 2004). On entend par origine dela ségrégation le fait que celle-ci peut soit provenir dela ségrégation éducative (la profession recrutant dansdes formations sexuellement clivées à l’exemple desinfirmières) soit résulter des mécanismes d’apparie-ment s’opérant sur le marché du travail entre individuset emplois sexuellement différenciés, indépendam-ment des qualifications scolaires acquises (une profes-sion accordant à formation donnée, la préférence auxcandidats d’un seul sexe, à l’exemple des secrétaires).Cette approche suggère que pour certaines professionsdont la ségrégation est principalement d’origine éduca-tive, les diplômes joueraient un rôle plus importantdans les recrutements et les déroulements de carrière,laissant dès lors moins de place à la prise en compted’autres critères, dont le sexe.

De manière originale, nous utilisons une répartitiondes professions selon leur ségrégation pour tester uncertain nombre d’hypothèses portant non seulementsur l’intensité des écarts de rémunération entrehommes et femmes, mais également sur l’importancede la composante non expliquée de ces écarts, quel’on assimile usuellement à la discrimination. Leshypothèses formulées seront examinées sur la base dedix groupes professionnels définis selon leur degré deségrégation, selon l’origine – éducative ou liée aumarché du travail – de celle-ci et selon qu’il s’agitd’emplois du sommet de la hiérarchie sociale(niveaux cadre et profession intermédiaire) ou de labase de cette hiérarchie (niveaux employé et ouvrier).

L’enjeu de l’analyse est de repérer les groupes profes-sionnels au sein desquels les femmes seraient plusparticulièrement discriminées du point de vue sala-rial ; ce repérage pouvant orienter les politiquespubliques dans le domaine du droit des femmes. Eneffet, si le groupe professionnel qui se distingue parl’importance de la discrimination se caractérise parune ségrégation d’origine éducative – et sous l’hypo-thèse que ces ségrégations, scolaire puis profession-nelle, ne constituent pas un motif d’orientation –alors une politique publique agissant sur la diversifi-cation des orientations scolaires des filles et desgarçons serait efficace. S’il s’avère que la mixité desemplois est gage d’une moindre discrimination sala-riale à l’encontre des femmes, l’action publique peutalors passer non seulement par des incitations à ladiversification des choix de filières pour les fillescomme pour les garçons, mais aussi par des incita-tions auprès des employeurs en faveur de cette mixité.

30 2006 - N° 93 FORMATION EMPLOI

emplois ?, Giret J.-F., Lopez A., Rose J. (dir.), Éditions LaDécouverte, 2005.

Arnaud Dupray est économiste, chargé d’études auDépartement professions et marché du travail du Céreq.Ses thématiques de recherche portent sur la mobilitéprofessionnelle et les conditions d’évolution de carrière,notamment selon le genre. Parmi ses dernières publica-tions, « Les mobilités en début de vie professionnelle »,Bref-Céreq, n° 216, 2005 ; en collaboration avec S.Moullet, « Les salaires des hommes et des femmes »,Bref- Céreq, n° 219, 2005 ; en collaboration avec L.Diederichs-Diop, « Trajectoire initiale et devenir profes-sionnel en seconde partie de carrière » pp. 251-271dans M-E Joël J. Wittwer (coord.) Économie du vieillisse-ment, âge et emploi, L’Harmattan, 2005.

Stéphanie Moullet est économiste, chargée d’études auDépartement des entrées dans la vie active. Elle est l’au-teur d’une thèse sur les rendements des investissementsen éducation. Elle conduit aussi des travaux sur les dispa-rités de carrières des hommes et des femmes. Elle anotamment publié « Externalités de l’éducation et mobi-lité intergénérationnelle : application au cas français »(avec A. Fabre), Économie et Prévision, 5/166, 2004.« Ségrégation professionnelle et discrimination salarialeentre hommes et femmes en début de vie active » (avecCouppié T. et Dupray A.) in L’insertion professionnelledes femmes – Entre contraintes et stratégies d’adapta-tion, Presses universitaires de Rennes, 2006. « Femmesà l’entrée du marché du travail : un retard salarial enpartie inexpliqué », (avec. Dupray A.), Céreq, NoteEmploi Formation, n° 12, 2004.

À partir d’une enquête d’insertion professionnelle(Génération 98 du Céreq), nous comparons entrechaque groupe professionnel, les décompositions desécarts de salaire entre hommes et femmes, en distin-guant la composante liée aux différences de caracté-ristiques individuelles et d’emplois de ce qui relèvede différences de valorisation monétaire de caracté-ristiques identiques.

UNE RÉPARTITION DES PROFESSIONSSELON L’ORIGINE DE LASEGRÉGATION PROFESSIONNELLE

Nous faisons l’hypothèse ici que la discriminationsalariale (voir encadré 1) n’est pas un phénomènehomogène entre les différents segments profession-nels du marché du travail. L’intensité et la source de laségrégation professionnelle – d’origine éducative ouliée au marché du travail – observées entre hommes etfemmes sont la clé d’entrée de notre segmentation desprofessions.

La distinction entre ségrégations d’origine éducativeet liée au marché du travail découle de l’idée quel’inégale répartition des hommes et des femmes dansles professions trouve à la fois sa source dans lecapital scolaire différencié des unes et des autres etdans des mécanismes ségrégatifs d’allocation sur lemarché du travail, à capital scolaire donné. On peuttraduire algébriquement cette idée (Couppié etEpiphane, 2004, 2006) en décomposant en deuxtermes l’indice de ségrégation professionnelleproposé par Karmel et Maclachlan (1988) ; cet indicerécapitule la proportion d’individus qu’il faudraitdéplacer afin d’égaliser les distributions des hommeset des femmes dans les professions. On arrive ainsi àtrois indices de ségrégation qu’on peut décliner pourchacun des groupes professionnels : un indice généraldécomposé en deux sous-indices additifs représentantrespectivement la ségrégation d’origine éducative etcelle prenant corps sur le marché du travail. En fonc-tion des valeurs prises par ces trois indices, Couppiéet Epiphane (2004, 2006) proposent une typologiedes professions. D’une part, ils isolent les professionsles plus faiblement ségréguées (et donc « mixtes »)des autres. D’autre part, pour les professions plusfortement ségréguées (donc « féminines » ou« masculines »), ils opposent celles dont la ségréga-tion est principalement d’origine éducative aux

autres, c’est-à-dire à celles dont la ségrégation estaussi ou principalement liée au marché du travail. Onarrive alors à une typologie distinguant cinq groupesde profession2.

En outre, il semble opportun de différencier lesprofessions selon leur niveau de qualification. On saiten effet que les cadres sont susceptibles d’être davan-tage touchés que les employés ou ouvriers par desmécanismes d’individualisation des rémunérations.Ces mécanismes tendent à ouvrir l’éventail descritères à la source des variations de rémunérationentre hommes et femmes, de manière distincte de cequ’on peut observer dans les autres catégories socio-professionnelles. Chez les ouvriers et employés,certains écarts de situation plus flagrants comme lesproportions d’hommes et de femmes travaillant àtemps partiel, peuvent contribuer plus fortement auxécarts de rémunération que dans les qualifications deniveau supérieur. À ces raisons d’ordre économiques’ajoute un motif technique lié au risque d’effets decomposition si, par exemple, dans certains types deprofessions masculines, les femmes sont concentréesdans les niveaux intermédiaires et supérieurs de lahiérarchie des qualifications. L’écart constaté danscelles-ci ne proviendrait alors pas tant de la ségréga-tion attachée à l’univers professionnel considéré quedu fait qu’hommes et femmes n’y occupent pas lesmêmes niveaux de qualification.

De manière pratique, ne pouvant multiplier à loisir lescatégories compte tenu de la taille des échantillons,nous traitons la typologie en cinq groupes pour lescadres et professions intermédiaires, d’un côté etpour les employés et ouvriers, de l’autre.

En résumé, les cadres et professions intermédiairesson rassemblés dans les catégories 1 à 5, les ouvrierset employés dans les catégories 6 à 10. La natureségréguée des professions se déclinant dans les deuxcas de la même façon, les groupes professionnelsobtenus sont présentés selon leur composition sexuéeet l’origine de la ségrégation (voir tableau 1). Letableau ne prétend pas à l’exhaustivité, les profes-sions les plus emblématiques dans chaque catégoriesont données à titre d’illustration.

312006 - N° 93 FORMATION EMPLOI

Au-delà du genre, l’insertion

2 Nous avons réduit le nombre de types à cinq (contre huit dans latypologie d’origine (Couppié et Epiphane, 2006)) en privilégiantl’opposition entre ségrégation principalement d’origine éducative etségrégation aussi ou principalement liée au marché du travail.

322006 - N° 93 FORMATION EMPLOI

Encadré 1La discrimination vue par les économistes : théories et méthode

La discrimination sexuelle sur le marché du travail a fait l’objet d’une vaste littérature économique, notam-ment anglo-saxonne (Altonji et Blank, 1999). Si l’on considère les caractéristiques relatives à l’éducationdes individus à l’entrée du marché du travail comme exogènes à la discrimination économique, alors lesmécanismes de discrimination empruntent essentiellement à trois phénomènes. Le premier a trait à laségrégation professionnelle selon laquelle la population discriminée va se trouver concentrée dans desemplois dont les conditions de travail et de salaire sont plutôt défavorables. La discrimination est alorsliée à l’affectation d’emploi, et l’écart de situation professionnelle explique alors la discrimination entermes de salaire. Le deuxième phénomène renvoie à une discrimination purement salariale qui passe,à emploi donné, par une valorisation monétaire différenciée des caractéristiques productives des indi-vidus. Enfin, une dernière forme de discrimination relèverait essentiellement des différences d’opportunitéde mobilité ascendante et de formation continue proposées aux individus selon leur origine ou leur sexeet ce, à caractéristiques de leur emploi égales. Ces trois phénomènes sont susceptibles d’intervenir demanière autonome ou de se combiner. Une fois dans l’emploi, la discrimination s’exerce au travers dela valorisation monétaire différenciée des caractéristiques individuelles et d’emploi identiques. Il s’agitd’une discrimination salariale si les écarts de valorisation monétaire sont systématiquement corrélés aveccertaines caractéristiques non économiques des individus (Stiglitz, 1973), comme ici le sexe.

La mesure de la discrimination salariale, trois ans après la sortie de formation initiale, selon la nature desgroupes professionnels en matière de ségrégation, permettra d’éclairer l’importance des deux premierstypes de phénomènes.

L’analyse économétrique de la discrimination salariale repose sur une méthode de décomposition intro-duite par Blinder (1973) et Oaxaca (1973). Elle permet de départager ce qui, dans l’écart de salaireestimé aux caractéristiques moyennes des deux groupes d’individus, (i) est relatif à une différence dansles caractéristiques possédées par les individus selon leur sexe, (ii) se rapporte au traitement salarial diffé-rencié (selon le sexe) des mêmes caractéristiques. Cette seconde composante, non expliquée par lesdifférences de caractéristiques observées des individus, est classiquement conçue comme la manifesta-tion d’un phénomène de discrimination. Notons que l’on a retenu une structure de paiement non discri-minante unique où l’on contrôle l’affectation dans chacun des groupes professionnels. Cette méthodepermet en effet de comparer entre eux les différents groupes, c’est-à-dire les composantes liées aux diffé-rences de caractéristiques et aux différences de valorisation monétaire de ces caractéristiques, à lasource des écarts de salaires.

L’analyse conduite ici laisse hors du modèle – et donc ne traite pas – les conditions d’affectation et dechoix des individus dans l’ensemble des groupes professionnels de même que les conditions d’orienta-tion dans les études. Si certaines caractéristiques individuelles prises en compte dans la déterminationdes salaires contribuent également à orienter les individus dans l’éventail des professions, et notammentsi certaines jouent différemment chez les hommes et les femmes, cette simplification peut conduire à ceque certains écarts de salaire établis entre hommes et femmes soient liés pour une part à une étapepréalable du processus d’allocation des individus sur le marché du travail. Comme un tel approfondis-sement déborde du cadre imparti à cet article, cette simplification invite à interpréter avec prudence lesrésultats dégagés.

Les caractéristiques observées renvoient aussi bien aux caractéristiques individuelles acquises avant l’en-trée sur le marché du travail qu’à celles relatives à l’emploi occupé (niveau de qualification, statut ducontrat de travail…).

332006 - N° 93 FORMATION EMPLOI

Au-delà du genre, l’insertion

Sans détailler la formulation algébrique (voir Dupray et Moullet, 2004, pour une présentation formellede ce type de méthode), on peut préciser que la variable expliquée est le salaire en logarithme. Lesvariables explicatives introduites dans le modèle sont le diplôme de fin d’études (niveau et filière), letemps passé en emploi (hormis celui de l’emploi en cours) et des caractéristiques d’appariement relativesà l’emploi occupé à la date de l’enquête. Ces dernières sont l’ancienneté dans l’entreprise, le secteurpublic ou privé de l’entreprise, sa taille, sa situation géographique, le type de contrat de travail, le tempsde travail. Les valeurs des écarts et des termes de décomposition sont évidemment sensibles aux carac-téristiques explicatives retenues dans le modèle (*).

(*) : La robustesse des valeurs des termes de décomposition des écarts de gains est testée au moyen de la méthode du bootstrap (Silberet Weber, 1999). Le principe ici est de répliquer les calculs de décomposition sur 1 000 échantillons issus de tirages aléatoires avecremise dans l’ensemble de la population enquêtée. On obtient ainsi une distribution empirique des écarts de gains et de leurs compo-santes qui permet d’établir des intervalles de confiance.

Tableau 1Classement des professions selon l’origine – éducative ou liée au marché du travail –

de la ségrégation professionnelle qui les affecte

Cadres et professions intermédiaires Ouvriers et employés

Origine de la ségrégation Educative Liée au marché du travail Educative Liée au marché du travail

Professions masculines G1 (£) G2 G6 G7Ingénieurs (hors Ingénieurs et OQ et ONQ.de la Ouvriers Agricoles,chimie et informatique), techniciens informatiques, métallurgie et de la Chauffeurs et OQ duTechniciens de l’industrie, Technico-commerciaux, mécanique, transport, OQ et artisansde la chimie, Cadres et PI de la OQ et artisans du BTP de l’alimentation,de l’agroalimentaire Police, de l’Armée Employés de police,

de la gendarmerie,agents de sécurité

Professions féminines G3 G4 G8 G9Cadres du para-médical, Professeurs des écoles, Aides-soignantes, Secrétaires,Infirmiers, Conseillers d’éducation, Coiffeurs et esthéticiennes, Employés de bureau,Assistantes sociales, PI de la gestion, de Employés de la Banque Agents de serviceéducateurs, PI de la la comptabilité, du et des Assurances de la Fonction publique,Banque et des Assurances secrétariat et de la Serveurs

communication

Professions mixtes G5 G10Cadres de la Fonction publique, Ouvriers du tri, de l’emballage et de l’expédition,Cadres de la Banque, des Assurances OQ et ONQ textile,PI de la vente Employés PTTTechniciens médicauxCadres commerciaux, de la publicitéProfessions de l’information, des Arts & des spectaclesEnseignants en collège et lycéePI Transports, tourismePI commerciales,Professeurs du Supérieur et chercheursIngénieurs de la chimie

(£) G1 pour groupe 1, numéro qui sera repris dans les tableaux et les commentaires relatifs à ce groupe professionnel.

Note : OQ : ouvrier qualifié ; ONQ : ouvrier non qualifié ; PI : profession intermédiaire ; PTT : postes et télécommunications ; BTP : Bâti-ment & travaux publics.

Suite Encadré 1

À partir de ces dix groupes de professions nous allonsmaintenant pouvoir énoncer quelques hypothèses surl’importance relative des écarts de salaire et descomposantes de discrimination entre groupes selonjustement la forme de ségrégation et son origine asso-ciées à chacun d’eux.

ÉCARTS DE RÉMUNERATION ETDISCRIMINATION SALARIALE :QUELQUES HYPOTHÈSES

Compte tenu des conditions différentes d’affectationdans les emplois et de la typologie des groupesprofessionnels réalisée, nous supposons que les écartsde rémunération entre hommes et femmes n’ont pasla même ampleur selon le taux de féminisation etl’origine de la ségrégation du groupe professionneld’appartenance. Par ailleurs, la discrimination sala-riale supposée à l’encontre des femmes (partie nonjustifiée par des différences de caractéristiques indi-viduelles et d’emploi) est susceptible de varier enintensité selon les groupes. Nous pouvons doncavancer quelques hypothèses sur les valeurs compa-rées entre groupes des écarts de salaire (H1 à H3) etde ses termes de décomposition (H4 à H6).

Les travaux de Bergmann (1974), et plus récemmentceux de Sorensen (1990), ont souligné la faiblesse desrémunérations des femmes et des hommes dans lesprofessions fortement féminisées. Pour autant, celan’implique pas que les femmes, par rapport à leurshomologues exerçant la même profession, soient pluspénalisées qu’ailleurs. Il se pourrait au contraire quele nivellement des salaires par le bas permette lerapprochement des conditions de rémunérationmasculines et féminines (H1).

À l’opposé, une hypothèse concurrente met en avantles propriétés particulières que détiendraient lesfemmes qui s’insèrent dans des milieux profession-nels masculins relativement à leurs consœurs. Lesfemmes qui exercent des professions masculines(groupes 1,2,6,7) sont sans doute sur sélectionnéessur les caractéristiques observées (dont le niveau dediplôme dans les catégories professions intermé-diaires et cadres) et sur des attributs inobservés telsque la détermination, la motivation, l’implicationdans la vie professionnelle... En effet, si l’arrivée desfemmes dans ces professions est freinée, seules cellesqui présentent « les plus hautes » qualités observées

34 2006 - N° 93 FORMATION EMPLOI

et inobservées en rapport avec le travail parvien-draient à intégrer celles-ci. Les barrières à l’entréelimiteraient alors les différences de situation dansl’emploi. En conséquence, dans les professionsmasculines, on s’attendrait à une pénalisation sala-riale des femmes, relativement aux hommes, plusfaible qu’ailleurs (H2).

Indépendamment du caractère sexué de la profession,l’origine de la ségrégation influence potentiellementles disparités de salaire entre hommes et femmes et lanature de leurs déterminants. En présence d’uneségrégation professionnelle d’origine éducative, sontattendus des écarts de rémunérations selon le sexeplus faibles que lorsque la ségrégation se construitdifféremment. En effet, dans cette configuration, lediplôme a un rôle prépondérant dans l’affectation desemplois ; ce rôle pourrait perdurer dans la formationdes salaires, laissant moins de place à la prise encompte d’autres critères, dont le sexe. Au sein desprofessions masculines, les groupes 1 et 6 présente-raient, selon cette hypothèse, des écarts de salairemoindres que les groupes 2 et 7 respectivement. Il enserait de même pour les groupes 3 et 8 par rapport auxgroupes 4 et 9 dans les professions féminines (H3).

Concernant maintenant l’origine des disparités desalaires, en postulant que les femmes seraient avanta-gées du point de vue de leurs caractéristiques, notam-ment scolaires, par rapport aux hommes, dans lesprofessions masculines, on émet l’hypothèse que lesdifférences de gains observées se refléteraient essen-tiellement, sinon exclusivement, dans des écarts devalorisation monétaire à caractéristiques égales,c’est-à-dire la composante de discrimination (H4).

Par ailleurs, on suppose que dans un milieu masculin,les possibilités de paiement différencié des hommeset des femmes (à l’avantage des hommes), à caracté-ristiques égales, seraient plus fréquentes que dans lesprofessions féminines (H5). En effet, au sein desprofessions masculines, des capacités non observéeset socialement plus facilement reconnues auxhommes telles que la capacité physique, l’aptitude àl’autorité et au commandement, etc. seraient l’objetde différences de rémunération pénalisant lesfemmes. Dans les professions féminines, les« qualités » féminines non observées seraient moinsreconnues en termes de salaire (capacités d’écoute,discrétion, capacité relationnelle,...). Consécutive-ment, les hommes privés de ces qualités seraientmoins pénalisés que ne le sont les femmes dans les

professions masculines sur la base de caractères nonobservés plutôt perçus comme masculins.

En laissant de côté la composition par sexe des caté-gories et en s’intéressant à l’origine de la ségrégation,dans la suite de l’hypothèse précédente, il est supposéqu’une ségrégation d’origine éducative atténue ledifférentiel de valorisation monétaire selon le sexe,des caractéristiques de formation initiale et d’expé-rience mais également des caractéristiques acquisesavec l’affectation dans l’emploi et ce, compte tenu del’importance probable du diplôme dans le calcul desrémunérations. En résumé, il est supposé une moindrediscrimination dans les professions dont l’origine dela ségrégation est principalement éducative (H6).

Avant d’explorer les sources des écarts de rémunéra-tion selon les groupes professionnels, examinonsdans un premier temps comment se répartissent cesgroupes dans la génération 98 et l’importance desécarts de rémunération observés entre hommes etfemmes au sein de chacun d’eux.

LES ÉCARTS DE SALAIRES SELONL’ORIGINE DE LA SÉGRÉGATION :LES ESTIMATIONS

Trois ans après leur sortie du système éducatif en 1998(voir encadré 2), on compte 41 591 jeunes en emploiqui se répartissent inégalement dans les différentsgroupes de professions présentés plus haut (tableau 2).Si respectivement 41 % et 40 % des jeunes occupent unemploi dans une profession « masculine » et dans uneprofession « féminine », les professions masculinessont deux fois plus représentées chez les ouvriers etemployés que parmi les cadres et professions intermé-diaires. La ségrégation apparaît d’ailleurs plus massiveau sein des professions de plus faible niveau de qualifi-cation que parmi les cadres et professions intermé-diaires. Les professions mixtes pèsent en effet pourmoitié moins dans les premières que dans les secondes.

Une origine de la ségrégationprincipalement liée au marché dutravail pour les employées et lesouvrières

Au sein des professions « masculines », celles dont laségrégation est principalement d’origine éducative

352006 - N° 93 FORMATION EMPLOI

Au-delà du genre, l’insertion

(groupes 1 et 6) sont plus importantes en nombre queles autres (groupes 2 et 7). Le constat est le mêmepour les professions féminines de niveau cadre etprofession intermédiaire. À l’inverse, les professionsféminines de niveau employé ou ouvrier et caractéri-sées par une ségrégation qui prend corps sur lemarché du travail représentent 19 % de l’ensembledes emplois contre 4,3 % pour les professions fémi-nines dont l’origine de la ségrégation est principale-ment éducative (groupe 9). Ces constats indiquentque ces dernières catégories professionnelles sontnettement plus soumises que les autres à l’impact destéréotypes de sexe qui conduisent à renforcer dansl’emploi le clivage sexué des filières éducatives. Àtitre d’exemple d’une profession appartenant à cegroupe, les secrétaires et assimilés sont non seule-ment recrutées dans les filières secrétariat-bureau-tique très féminisées aux niveaux BEP et bacprofessionnel, voire BTS, mais aussi parmi lessortantes d’autres filières (générales ou tertiaires)comptant un public davantage mixte.

Encadré 2L’enquête Génération 98

Les données utilisées appartiennent à l’en-quête Génération 98 réalisée par le Centred’études et de recherches sur les qualifications(Céreq) au printemps 2001. Celle-ci concerne55 000 sortants du système éducatif en1998, tous niveaux de formation et toutesspécialités de formation confondues, parmi les750 000 primo-sortants cette année là.

L’enquête rend compte des parcours d’insertionprofessionnelle : elle fournit des informationsindividuelles, sociodémographiques et rela-tives au parcours scolaire, ainsi que des infor-mations sur les différentes séquences d’emploi.Les données, en partie rétrospectives, autori-sent ainsi l’analyse des trois premières annéesde vie active au regard du cursus de formationinitiale réalisé (Epiphane et al., 2001). Cettesource nous permet en outre de caractériser lesjeunes selon leur origine scolaire puis de saisirles différences de situation, notamment sala-riale, à la date d’enquête.

Tableau 2Quelques caractéristiques des groupes de professions

Groupes professionnels selon l’origine Poids relatif Part des Salaire moyen Salaire moyen Ecarts dede la ségrégation… (total = 100) femmes des hommes des femmes salaire moyen

(%) (%) (euros) (euros) (en %)Cadres et 1 - masculine origine éducative 8,1 20,0 1 473 1 423 3,5Professions 2 - masculine liée au marchéintermédiaires du travail 5,9 22,9 1 722 1 652 4,2

3 - féminine origine éducative 10,6 77,7 1 255 1 240 1,24 - féminine liée au marché

du travail 6,1 78 1 109 1 069 3,7

5 - mixte 13,4 51,3 1 470 1 307 12,5Employés et 6 - masculine origine éducative 16,2 11,0 1 074 997 7,7ouvriers 7 - masculine liée au marché

du travail 10,8 16,6 1 032 906 13,9

8 - féminine origine éducative 4,3 86,4 1 154 1 008 14,59 - féminine liée au marché

du travail 19,0 77,3 985 859 14,7

10 - mixte 5,6 46,6 999 849 17,7TOTAL 100,0 47,4 1 197 1 098 9,0

Source : Génération 98 – Interrogation 2001

Note de lecture : les groupes professionnels de niveau cadre et profession intermédiaire où la ségrégation est principalement d’origine éduca-tive représentent 8,1 % des emplois. Les femmes y représentent 20 % des emplois. Le salaire moyen touché par les hommes y atteint 1 473euros, contre 1 423 euros pour les femmes, ce qui représente un écart moyen de 3,5 % à l’avantage des hommes.

Dans chacun des groupes, les différences observéesentre le salaire moyen des hommes et celui desfemmes, quoique d’ampleurs inégales, sont toujours àl’avantage des premiers. Dans les deux niveaux dequalification distingués, les écarts de rémunérationentre hommes et femmes sont les plus élevés au seindes groupes mixtes. Remarquons qu’en dehors desprofessions mixtes, les catégories cadres et profes-sions intermédiaires sont plus égalitaires en terme desalaires distribués aux hommes et aux femmes que lescatégories d’employés et d’ouvriers.

Par ailleurs, chez les cadres et professions intermé-diaires, à la fois au sein des professions masculines etau sein des professions féminines, une ségrégationd’origine éducative réduit le différentiel de salairescomparativement à une ségrégation liée au marché dutravail. Ceci suggère que, quand le diplôme de forma-tion initiale influence l’allocation des jeunes dansl’emploi, il conditionne également la fixation desrémunérations en limitant les autres sources d’hétéro-généité. De plus, indépendamment de l’origine de laségrégation, les professions masculines se révèlent en

36 2006 - N° 93 FORMATION EMPLOI

moyenne plus rémunératrices que les professionsféminines ; cet avantage est moins saillant parmi lesemployés et les ouvriers, où les femmes et les hommesdu groupe professionnel féminin dont l’origine de laségrégation est principalement éducative sont lesmieux rémunérés. Seul ce groupe fait exception auconstat attendu de rémunérations inférieures parmi lesprofessions les plus féminisées. Il est vrai que, si lesrémunérations des hommes et des femmes sont diffé-remment affectées par la proportion de femmes dansles professions (Killingsworth, 1990), rien ne permetd’inférer que les écarts de salaire seront systématique-ment plus forts dans les professions à taux de fémini-sation élevé. C’est pourtant bien le cas dans lescatégories d’employés et d’ouvriers où les professionsféminines affichent le traitement salarial le plus inéga-litaire, infirmant l’hypothèse H1 d’égalisation relativedes salaires dans les professions les plus féminisées.

Ces premiers constats, réalisés à partir des donnéesbrutes observées, ne tiennent pas compte des situa-tions de formation et d’emplois (niveau de sortie dusystème éducatif, contrat de travail, temps de travail,

372006 - N° 93 FORMATION EMPLOI

Au-delà du genre, l’insertion

Tableau 3Impact salarial du sexe selon les groupes professionnels et la catégorie sociale

Groupes professionnels selon l’origine de la ségrégation… Écart de salaires estimé entrehommes et femmes

(en %)Cadres et professions intermédiaires 1 - masculine origine éducative 9,3(*)

2 - masculine liée au marché du travail 8,53 - féminine origine éducative 3,34 - féminine liée au marché du travail 4,95 - mixte 11,7

Employés et ouvriers 6 - masculine origine éducative 7,17 - masculine liée au marché du travail 10,18 - féminine origine éducative 6,19 - féminine liée au marché du travail 7,610 - mixte 10,0

Source : Génération 98 – Interrogation 2001

Notes de lecture :(*) Dans le groupe 1 composé des professions de cadres et intermédiaires, masculines où l’origine de la ségrégation est principalement d’ori-gine éducative, le fait d’être un homme accroît le salaire obtenu après trois ans de vie active de 9,3 %, toutes choses égales par ailleurs. Il s’agitdu paramètre de la variable croisant le sexe et le groupe professionnel d’appartenance obtenu par l’estimation d’une fonction de gains compor-tant également les variables explicatives suivantes : ancienneté dans l’entreprise, taille et localisation géographique de l’entreprise, temps etcontrat de travail, expérience professionnelle préalable au dernier emploi, niveau et spécialité de formation.

taille de l’entreprise…) éventuellement différentespour les hommes et les femmes, à groupe profes-sionnel donné. Ils doivent être complétés par desanalyses contrôlant ces aspects.

Les professions mixtes, plusinégalitaires en termes de salaire

Les écarts obtenus dans le tableau 3, issus de l’estima-tion économétrique d’une fonction de gains pourchaque groupe professionnel, reviennent à comparerles salaires d’hommes et de femmes qui seraient dotésexactement des mêmes caractéristiques individuelleset d’emploi, calculs permettant d’isoler l’effet salarialpropre du sexe, toutes chose égales par ailleurs.

Si l’on retrouve le résultat que les professions mixtessont celles où l’effet salarial du sexe est le plus marqué,en revanche l’effet net du sexe s’avère plus ténu dansles professions féminines que masculines et ce, dans lesdeux grands niveaux de qualification distingués. End’autres termes, une partie des écarts de rémunérationrelevés précédemment, notamment dans les professionsféminisées des catégories d’employés et d’ouvriers,

résulteraient de conditions d’emploi, et éventuellementde diplôme initial, différentes pour les hommes et lesfemmes au sein de ces professions. A caractéristiquesscolaires et d’emplois identiques, les situations sala-riales des hommes et des femmes seraient donc plusproches dans les professions féminines que masculinesce qui porterait crédit à l’hypothèse H1.

Dans les professions mixtes, le seul fait d’être unhomme (toutes les autres caractéristiques des hommeset des femmes étant identiques) contribue à accroître lessalaires de 10 à 12 % selon qu’il s’agit d’employés etd’ouvriers ou de cadres et de professions intermédiaires(tableau 3). C’est dans les professions féminines que lesexe explique le différentiel de gains le plus faible et ilest d’autant plus faible que la ségrégation profession-nelle est principalement d’origine éducative. Touteschoses égales par ailleurs, être un homme conduit à unsupplément de salaire de 6 % chez les employés etouvriers des professions féminines où la ségrégation estd’origine éducative, le gain salarial étant d’environ 3 %pour le groupe professionnel équivalent chez les cadreset professions intermédiaires (tableau 3).

Ces mesures de l’impact salarial de la variable sexemontrent des effets différenciés – du simple au triple –

38 2006 - N° 93 FORMATION EMPLOI

selon l’appartenance professionnelle. Cependant, elleslivrent une photographie encore trompeuse de laréalité car, à groupe professionnel donné, si leshommes et femmes ne possèdent pas en moyenne lesmêmes caractéristiques, ils ne les valorisent pas nonplus forcément de la même façon. L’intérêt de prendreen compte ces deux aspects dans le calcul de l’écart derémunération entre hommes et femmes réside dans lapossibilité de décomposer cet écart en deux partiesafin d’isoler une partie non justifiable (écart de valori-sation monétaire des caractéristiques) d’une partie –économiquement – justifiable (différences de distribu-tion des caractéristiques individuelles et d’emploi ;voir encadré 1). Pour réaliser cela, il est nécessaired’opérer en deux temps. Il faut d’abord calculer, sépa-rément pour les hommes et pour les femmes, la valori-sation monétaire des différentes caractéristiquesindividuelles et d’emploi. Il faut ensuite tenir comptedes différences de distribution de ces caractéristiquesexistant entre hommes et femmes en appliquant cesvalorisations monétaires aux caractéristiques

correspondant pour chaque sexe à leur situationmoyenne au sein de la profession étudiée. Nous abou-tissons alors aux résultats du tableau 4.

Il apparaît alors que les écarts salariaux sont plus impor-tants au sein des professions féminines qu’au sein desprofessions masculines, parmi les employés et ouvriers ;cela tend à infirmer l’idée que la densité de main-d’œuvre féminine contribue à l’homogénéisation desconditions de rémunération selon le sexe. A contrario,cette hypothèse (H1) se vérifie dans les catégoriescadres et professions intermédiaires où le groupe profes-sionnel féminin dont l’origine de la ségrégation est prin-cipalement d’origine éducative, enregistre le retardsalarial le plus faible (1,9 % cf. tableau 4, colonne 1).

Les professions mixtes présentent, comme précédem-ment, les écarts de salaire les plus importants pour lesdeux niveaux de qualification. Ces professions sontcelles pour lesquelles les deux origines de la ségréga-tion sont faibles ou se compensent. Ainsi, parmi lescadres et professions intermédiaires, les hommes ont

Tableau 4Résultats de la modélisation des différences de salaire entre hommes et femmes

selon le groupe professionnel et la catégorie sociale (en %)

Groupes professionnels selon l’origine Différences Imputables à des Imputables à desde la ségrégation… estimées différences de différences de

de salaire caractéristiques (*) valorisationCadres et 1 - masculine origine éducative 3,6** 4,2 8,2professions 2 - masculine liée au marché du travail 5,7 1,6 7,4intermédiaires

3 - féminine origine éducative 1,9 0,4 1,54 - féminine liée au marché du travail 4,0 0,4 3,65 - mixte 12,4 0,9 11,5

Employés et 6 - masculine origine éducative 6,9 0,9 5,9ouvriers 7 - masculine liée au marché du travail 13,8 4,8 8,6

8 - féminine origine éducative 14,7 10,3*** 4,0***9 - féminine liée au marché du travail 15,6 8,1 6,910 - mixte 17,1 6,5 9,9

Source : Génération 98 – Interrogation 2001(*) le niveau d’éducation, la spécialité de la filière, l’expérience professionnelle nette du temps passé dans l’emploi occupé, l’ancienneté danscet emploi, le statut et le temps de travail, la taille et la localisation géographique, le secteur public ou privé de l’établissement.

Notes de lecture : on évalue ici, pour chaque groupe professionnel, les rémunérations pour des hommes et des femmes dont les caractéristiquescorrespondent pour chaque sexe à leur situation moyenne au sein de la profession étudiée.(**) Dans le groupe 1, composé des professions intermédiaires et cadres et, masculines, où l’origine de la ségrégation est principalement éduca-tive, les hommes gagnent 3,6 % de plus que les femmes.(***) Dans le groupe 8 composé de professions féminines d’employés ou d’ouvriers où la ségrégation est principalement d’origine éducative, leshommes gagnent 10,3 % de plus que les femmes du fait de caractéristiques individuelles et d’emploi plus avantageuses que celles de leursconsœurs, et 4 % de plus, compte tenu d’un avantage dans la valorisation monétaire de leurs caractéristiques comparativement aux femmes possé-dant des caractéristiques identiques. Au total, ils gagnent 14,7 % de plus que les femmes ; 14,7 % étant le résultat du produit de 10,3 % et 4 %.

392006 - N° 93 FORMATION EMPLOI

Au-delà du genre, l’insertion

des salaires 12 % supérieurs en moyenne à leursconsœurs, cet écart atteignant 17 % chez les employéset ouvriers.

À composition sexuée des professions donnée, lesécarts de rémunération sont les plus élevés lorsque laségrégation professionnelle liée au marché du travailjoue un rôle important. Ce résultat vaut pour les deuxniveaux de qualification. De ce point de vue, chez lesemployés et ouvriers, c’est au sein de professionsmasculines que l’écart est le plus important : près de14 % dans le groupe 7 contre 7 % dans le groupe 6 oùla ségrégation est principalement d’origine éducative.Au total, l’hypothèse H3 d’un moindre écart de gainsentre hommes et femmes dans les situations où laségrégation professionnelle est essentiellement d’ori-gine éducative est validée.

Pour résumer, la ségrégation des professions par sexesemble décroître au fur et à mesure que le niveau dequalification des emplois s’élève. En outre, malgréles niveaux de revenus modestes des employés et desouvriers3, les écarts de rémunération entre hommes etfemmes y sont en moyenne plus importants que parmiles cadres et professions intermédiaires.

Les professions mixtes se révèlent les plus inégali-taires en termes de salaires, que cela soit parmi lacatégorie des cadres et professions intermédiaires ouparmi celle des employés et ouvriers. Pour cettedernière catégorie, les professions féminisées sontplus inégalitaires que les professions « masculines »alors que l’inverse est vrai dans les niveaux de quali-fication supérieurs. Enfin, dans tous les cas, uneségrégation dont l’origine est principalement éduca-tive s’accompagne d’une réduction du différentiel desalaires entre les sexes par rapport à celui observédans les professions dont la ségrégation ressort prin-cipalement de mécanismes d’affectation des indi-vidus aux emplois.

Nous recherchons maintenant l’origine des écarts desalaires selon les groupes en les décomposant entre cequi relève de différences de caractéristiques indivi-duelles et d’emploi selon le sexe et ce qui ressort devalorisations monétaires différenciées de celles-ci dèslors qu’elles sont identiques (deux dernièrescolonnes du tableau 4).

Dans les professions masculinessupérieures, le désavantage salarialdes femmes relève de la discrimination

Au sein des professions masculines de catégoriescadres et professions intermédiaires, à la différencedes autres groupes professionnels, les écarts de carac-téristiques individuelles et d’emploi sont en moyenneà l’avantage des femmes. En l’occurrence, ellespossèdent une ancienneté dans leur entreprise plusélevée que celle des hommes, travaillent en plusgrande proportion dans les grandes entreprises et plussouvent à Paris qu’en province, comparativement àleurs homologues masculins. Elles sont surtout, pourdeux tiers d’entre elles, titulaires de diplômes deniveau 1 ou 2. Autrement dit, si hommes et femmesétaient rémunérés de la même façon, alors lespremiers gagneraient de 1,6 à 4,2 % de moins que lessecondes (colonne 2 chiffrée du tableau 4). Commetel n’est pas le cas, cela signifie que l’on ne rémunèrepas de la même manière des caractéristiques iden-tiques pour les hommes et pour les femmes. Ainsi, lacomposante de discrimination de l’écart de gains àl’avantage des hommes, allant de 7 à 8 %, fait plusque contrebalancer les différences de caractéristiquesindividuelles. De ce fait, les modestes écarts salariauxentre hommes et femmes constatés dans ces groupes(entre 4 et 6 %) masquent une discrimination à l’en-contre des femmes de plus forte ampleur. Ces résul-tats confortent l’hypothèse H4 selon laquelle, au seindes professions masculines, les femmes seraient enmoyenne mieux payées que leurs homologues mascu-lins en l’absence de discrimination salariale.

Chez les cadres et professions intermédiaires, lacomposante inexpliquée des écarts de salaire s’avèrelargement prédominante quel que soit le groupeprofessionnel. Toutefois, pour les groupes féminins etmixtes, les écarts de rémunération liés aux diffé-rences de caractéristiques individuelles et d’emploi,légèrement en faveur des hommes, s’ajoutent à ceuxissus des différences de valorisation monétaire à l’en-contre des femmes.

Parmi les employés et les ouvriers, les écarts decaractéristiques à l’avantage des hommes sont lesplus importants dans les professions féminines,notamment dans le groupe 8 dont la ségrégation estprincipalement d’origine éducative. Ces écartsportent principalement sur le taux de travail à temps3 Dont on peut penser qu’ils devraient niveler les écarts selon le sexe.

40 2006 - N° 93 FORMATION EMPLOI

mesure de défendre leurs conditions de rémuné-ration – comparativement aux femmes au sein desprofessions masculines en particulier. Il confirmeaussi un paradoxe déjà souligné par Couppié etEpiphane (2004) qui pointent que mixité n’est pascaution d’équité. Ce constat peut trouver sa sourcedans la nature des professions du groupe mixte auniveau cadres et professions intermédiaires. Ilconcentre en effet des professions intermédiairescommerciales dont on sait qu’une partie significativede la rémunération varie selon les résultats du salarié.Ainsi ces situations se démarquent de celles des autressalariés par des pratiques d’individualisation de lanégociation salariale plus développées, pratiquessusceptibles d’élargir l’éventail des critères sur la basedesquels est calculée la rémunération. Cette plus forteindividualisation des salaires dans ces professionsconduit à une élévation de la part non expliquée desécarts par le modèle, sans que l’on puisse l’imputerforcément à une véritable pratique discriminatoire.

Quant au groupe mixte des catégories profession-nelles d’employés et d’ouvriers (groupe 10), ilrassemble principalement les ouvriers du tri et del’emballage, d’une part, et les ouvriers du nettoyage,d’autre part. Or, dans les différentes professionsétudiées, il existe une variance intra-catégorielle desemplois selon le sexe que le niveau d’agrégation desnomenclatures utilisées ne permet pas de saisir. Ainsi,

partiel bien plus élevé chez les femmes que chez leshommes (tableau 5) et sur la plus forte proportiondes femmes issues des filières tertiaires de formation,au détriment des filières générales et industriellesplus empruntées par les hommes et qui offrent lesmeilleures valorisations salariales. De plus, commechez les cadres et professions intermédiaires, le poidsde la discrimination est plus important dans lesprofessions masculines que dans les groupes fémi-nins ; ceci conforte l’idée que les aptitudes observéeset non observées exigées dans ces professions laissentpotentiellement plus de marge à des pratiques discri-minatoires ou des pratiques dont les fondements sontmoins objectivables (H5).

Une amplitude maximale de ladiscrimination dans les groupesprofessionnels mixtes

Pour ce qui est de la composante de l’écart de rému-nération imputable à des différences de valorisationmonétaire des caractéristiques individuelles et d’em-ploi, le handicap salarial des femmes est le plusmarqué pour les groupes mixtes 5 et 10 (colonne 3 dutableau 4). Ce résultat peut surprendre, dans lamesure où, dans ces professions, l’équilibre relatifentre main-d’œuvre masculine et main-d’œuvre fémi-nine laisse présumer que les femmes sont mieux en

Tableau 5Part des salariés à temps partiel selon le sexe et le groupe professionnel

(en %)

Groupes professionnels selon l’origine de la ségrégation… Hommes FemmesCadres et professions 1 - masculine origine éducative 1,6 5,4intermédiaires 2 - masculine liée au marché du travail 1,4 2,6

3 - féminine origine éducative 8,8 15,54 - féminine liée au marché du travail 7,2 8,15 - mixte 5,7 10,4

Employés et ouvriers 6 - masculine origine éducative 2,8 5,77 - masculine liée au marché du travail 7,0 15,38 - féminine origine éducative 4,2 17,69 - féminine liée au marché du travail 12,9 30,310 - mixte 7,4 22,9

Source : Génération 98 – Interrogation 2001Note de lecture : 1,6 % des hommes appartenant aux groupes professionnels de niveau cadre ou profession intermédiaire et dont la ségréga-tion est principalement d’origine éducative travaillent à temps partiel.

412006 - N° 93 FORMATION EMPLOI

Au-delà du genre, l’insertion

compte tenu de la pénibilité invoquée des tâches dansles métiers liés à la logistique et à l’expédition, il esttraditionnellement observé une segmentation despostes occupés par les hommes et femmes, réservantles moins pénibles physiquement à ces dernières. Dece fait, en raison de différences compensatrices, leshommes seraient davantage rémunérés que lesfemmes compte tenu des conditions de travail plusfatigantes (Macpherson et Hirsh, 1995). Dans lesecteur du nettoyage, les jeunes hommes, entrés à lasuite de la mise en place de filières de formationspécifiques, ont probablement davantage profité destransformations organisationnelles et technologiquesdu secteur que les jeunes femmes, plus souventcantonnées aux formes traditionnelles de l’activité(Djellal, 2002).

Du point de vue de l’origine de la ségrégation, laségrégation de source principalement éducative

atténue partout l’ampleur de la discrimination à l’en-contre des femmes, à l’exception des professionsmasculines intermédiaires et de l’encadrement,tendant à confirmer l’hypothèse H6. Au total, l’ori-gine de la ségrégation professionnelle comme ledegré de mixité de la profession – du masculin auféminin – influencent l’ampleur de la discriminationsalariale.

Le poids du temps partiel parmi les femmes deniveaux employé et ouvrier explique en partie l’im-portance des écarts de rémunération établis au tableau4. On sait en effet que les différences de durée dutravail entre hommes et femmes jouent un rôle impor-tant dans leur différentiel de salaires (Meurs etPonthieux, 2000). En se focalisant uniquement sur lessalariés à temps complet, les différentiels de salaire seréduisent, notamment dans les groupes profession-nels où l’on compte un nombre important de femmes

Tableau 6Écarts de salaire selon le sexe pour les salariés à temps plein

Groupes professionnels selon l’origine de la ségrégation… Différence Imputable à des Imputable à desestimée de différences de différences de

salaire caractéristiques valorisation(*)

Cadres et 1 - masculine origine éducative 1,7 %** -6,0 % 8,2 %professions 2 - masculine liée au marché du travail 5,5 % -2,2 % 7,8 %intermédiaires

3 - féminine origine éducative -0,9 % -2,4 % 1,5 %4- féminine liée au marché du travail 3,8 % -0,3 % 4,1 %5- mixte 9,4 % -1,8 % 11,4 %

Employés et 6 - masculine origine éducative 5,6 % -0,2 % 5,4 %ouvriers 7 - masculine liée au marché du travail 9,3 % 2,2 % 7,0 %

8- féminine origine éducative 10,5 % 6,0 %*** 4,3 %***9- féminine liée au marché du travail 8,5 % 1,1 % 7,2 %10- mixte 8,7 % 1,1 % 7,6 %

Source : Génération 98 – Interrogation 2001

(*) le niveau d’éducation, la spécialité de la filière, l’expérience professionnelle nette du temps passé dans l’emploi occupé, l’ancienneté danscet emploi, le statut et le temps de travail, la taille et la localisation géographique, le secteur public ou privé de l’établissement.Notes de lecture On évalue ici, pour chaque groupe professionnel, les rémunérations pour des hommes et des femmes travaillant à temps plein dont les caracté-ristiques correspondent pour chaque sexe à leur situation moyenne au sein de la profession étudiée.(**) Dans le groupe 1, composé des professions intermédiaires et cadres et, masculines, où l’origine de la ségrégation est principalement éduca-tive, à temps plein, les hommes gagnent 1,7 % de plus que les femmes.(***) Dans le groupe 8 composé de professions féminines d’employés ou d’ouvriers où la ségrégation est principalement d’origine éducative,à temps plein, les hommes gagnent 6 % de plus que les femmes du fait de caractéristiques individuelles et d’emploi plus avantageuses que cellesde leurs consœurs, et 4,3 % de plus, compte tenu d’un avantage dans la valorisation monétaire de leurs caractéristiques comparativement auxfemmes possédant des caractéristiques identiques. Au total, ils gagnent 10,5 % de plus que les femmes ; 10,5 % étant le résultat du produit de6,0 % et 4,3 %.

42 2006 - N° 93 FORMATION EMPLOI

travaillant à temps partiel ou pour les groupes dont ledifférentiel de travail à temps partiel entre hommes etfemmes est élevé comme dans le groupe 7(tableaux 5 et 6).Globalement, la part injustifiée desécarts de rémunérations ne change pas en proportionquel que soit le groupe professionnel, ce qui indiqueque, dans l’ensemble, le traitement salarial des carac-téristiques individuelles et d’emploi des hommes etdes femmes ne varie pas significativement, qu’ilstravaillent à temps complet ou à temps partiel. Enrevanche, la part liée aux différences de caractéris-tiques entre hommes et femmes évolue légèrement,notamment aux niveaux cadre et profession intermé-diaire, et ce au détriment des hommes (tableau 6).Ainsi, en l’absence de pratiques discriminatoires, auxniveaux cadre et profession intermédiaire, les femmestravaillant à temps complet gagneraient systématique-ment plus que leurs homologues masculins.

UNE DISCRIMINATION SALARIALEPORTÉE PAR LES CARACTÉRISTIQUESDE L’EMPLOI OCCUPÉ

Une forme de décomposition plus approfondieconsiste à désagréger les caractéristiques indivi-duelles et d’emplois et les composantes de valorisa-tion monétaire entre ce qui relève de l’appariement del’individu à l’emploi, lequel conjugue à la fois dessouhaits individuels et les besoins des entreprises, etce qui renvoie plus pleinement à des choix et préfé-rences individuelles antérieurs à la prise d’emploi. End’autres termes, dans le premier cas, il s’agit de l’en-semble des paramètres qui concourent à définir lasituation d’emploi (secteur d’activité, contrat ettemps de travail, taille de l’entreprise, temps passédans l’entreprise, localisation géographique). Dans lesecond cas, il s’agit des caractéristiques d’offre detravail acquises avant l’entrée sur le marché du travail(niveau de formation, spécialité) ou dont on peutsupposer qu’elles ne sont pas contingentes à la situa-tion singulière de l’individu dans l’emploi occupé àl’enquête – qui fournit le salaire –, à l’exemple de ladurée de l’expérience professionnelle acquise avantl’arrivée dans l’emploi. La dénomination de « carac-téristiques d’offre de travail » nous servira à désignerce deuxième ensemble de dimensions.

La décomposition entre caractéristiques d’apparie-ment et d’offre de travail permet de préciser dans

quelles conditions s’exerce la discrimination salariale(tableau 7). Compte tenu de la force du lien entrediplôme et affectation d’emploi dans les professionsdes groupes 1, 3, 6 et 8 (dont la ségrégation est prin-cipalement d’origine éducative), on s’attend en parti-culier à ce que la discrimination portant sur lesattributs d’offre de travail soit plus faible dans cesgroupes (H7).

Sur la base des écarts de salaire entre hommes etfemmes résultant exclusivement des différencesd’offre de travail, les femmes dans les professionsintermédiaires et de l’encadrement sont mieux lotiesque les hommes au regard notamment de leur capitalscolaire (les chiffres négatifs dans la troisièmecolonne du tableau 7 indiquent un avantage salarialpour les femmes). Dans les catégories d’employés etd’ouvriers, seuls les groupes de professions mascu-lines voient les femmes plus avantagées que leursconfrères au regard de leurs caractéristiques d’offrede travail. À l’opposé, et à l’exception des professionsmasculines intermédiaires et supérieures dont l’ori-gine de la ségrégation prend corps sur le marché dutravail, les hommes bénéficient de conditions d’appa-riement à l’emploi meilleures que celles de leurshomologues féminines (première colonne du tableau7) ; dès lors, les écarts de salaire issus des différencesd’attributs individuels et d’emploi entre hommes etfemmes portent quasi exclusivement sur les caracté-ristiques d’appariement. Si, par exemple, les emploisde cadre poursuivent leur féminisation avec lesnouvelles générations, les disparités de conditionsd’emploi entre hommes et femmes persistent. Lesemplois de cadres sont en effet polarisés en deuxfilières, relationnelle pour les femmes, plus techniqueet d’encadrement pour les hommes (Okba, 2004 ;Pochic, 2005).

Du point de vue des composantes inexpliquées del’écart salarial, assimilables à la discrimination, sontprincipalement en cause les conditions d’emploi quipénalisent quasi systématiquement les femmes, àl’exception des professions féminines de catégoriesemployés-ouvriers du groupe 8. Cependant, dans cesdernières professions, les femmes sont clairementdéfavorisées au regard de la valorisation monétaire deleurs caractéristiques d’offre de travail, puisque si ons’en tient à ces attributs, elles percevraient des rému-nérations près de 12 % inférieures à celles de leurshomologues masculins.

Au total, l’avantage que les femmes relativement auxhommes sont parfois en mesure de tirer de la valori-sation monétaire de leurs diplômes et expérienceprofessionnelle est surcompensé par le désavantagequ’elles subissent en matière de reconnaissance sala-riale de leurs conditions d’emploi (contrat de travail,temps de travail,…).

Globalement, dans les catégories cadres et profes-sions intermédiaires, excepté le cas des professionsmixtes, les femmes voient leurs attributs d’offre detravail mieux reconnus au niveau salarial que ceuxdes hommes (colonne 4 du tableau 7). C’est particu-lièrement le cas dans les professions d’ingénieurs ettechniciens de l’informatique qui représentent unebonne part de l’effectif du groupe 2, pour lesquellesles hommes percevraient virtuellement environ 22 %

de moins que leurs consœurs. Cela étant, ils récupè-rent leur avantage par le biais de conditions d’appa-riement à l’emploi qui leur assurent virtuellement unrevenu moyen 38 % supérieur à celui de leurs homo-logues féminins (colonne 2).

Parmi les ouvriers et employés, la rétribution desattributs d’offre de travail se révèle en moyenne plusélevée pour les hommes dans trois cas sur cinq, etnotamment dans les professions masculines ou fémi-nines dont la ségrégation est principalement d’origineéducative. Une ségrégation d’origine éducative n’as-sure donc en rien que les attributs scolaires desfemmes seront rémunérés de façon voisine ou à l’égalde ceux des hommes, infirmant l’hypothèse H7.

De ce fait, pour la catégorie des employés et desouvriers, si l’origine principalement éducative de la

432006 - N° 93 FORMATION EMPLOI

Au-delà du genre, l’insertion

Tableau 7Décomposition des écarts de salaire entre hommes et femmes selon les caractéristiques

d’offre de travail et d’appariement (en %)

Groupes professionnels selon Composantes des écarts de salaires …l’origine de la ségrégation… Caractéristiques d’appariement Caractéristiques d’offre de travail

Disparité Discrimination Disparité DiscriminationImputable Imputable à Imputable Imputable à

à des des différences à des des différencesdifférences de de valorisation différences de de valorisationcaractéristiques caractéristiques

Cadres et 1 - masculine origine éducative 1,1 15,2 -5,2 -6,1Professions 2 - masculine liée au marché duintermédiaires travail (£) -0,4* 38,4** -1,1* -22,5**

3- féminine origine éducative 1,6 18,0 -1,1 -14,04- féminine liée au marché du travail 0,9 13,8 -0,4 -9,05 - mixte 2,1 10,2 -1,2 1,1

Employés et 6 - masculine origine éducative 1,7 4,3 -0,8 1,6Ouvriers 7 - masculine liée au marché du travail 5,4 11,4 -0,6 -2,5

8 - féminine origine éducative 6,0 -6,8 4,1 11,69- féminine liée au marché du travail 7,4 8,7 0,6 -1,710- mixte 5,7 4,6 0,7 5,1

Source : Génération 98 – Interrogation 2001

Notes de lecture : (£) Par commodité, lorsque l’origine de la ségrégation est aussi ou principalement liée au marché du travail, on met cet aspect en avant. (*) Dans le groupe 2, les hommes gagnent 0,4 % de moins que les femmes du fait des différences dans les caractéristiques d’emploi et 1,1 %de moins du fait des différences dans les caractéristiques d’offre de travail. (**) Toujours dans le groupe 2, les hommes gagnent 38,4 % de plus, compte tenu d’un avantage dans la valorisation monétaire de leurs caracté-ristiques d’emploi comparativement aux femmes possédant des caractéristiques identiques et 22,5 % de moins du fait de la valorisation moné-taire différente de leurs caractéristiques d’offre de travail. Au total, dans ce groupe, les hommes gagnent : (1-0.004)(1+0.384)(1-0.011)(1-0.225)= 5,7 % (cf. tableau 4) de plus que leurs consœurs du même groupe professionnel.

ségrégation tend à réduire la discrimination (H6),aussi bien dans les professions masculines que fémi-nines, c’est presque exclusivement dans la reconnais-sance des caractéristiques d’appariement que seréalise l’ajustement.

* *

*

La mesure des écarts de salaire entre hommes etfemmes et de leurs compositions ont permis de mettreen lumière des différences de situations notables entreprofessions regroupées selon leur degré de ségréga-tion et la construction de celle-ci – ségrégation d’ori-gine éducative ou professionnelle.

Pour ce qui est du positionnement salarial des femmesrelativement aux hommes, celles-ci sont les mieuxplacées dans les professions féminines au sein descatégories de cadres et de professions intermédiaires.Leur rémunération est en effet la plus proche de cellesdes hommes dans les professions féminines à ségréga-tion principalement d’origine éducative (2 %).

L’identification des sources des écarts salariaux entrece qui relève des caractéristiques individuelles etd’emploi et ce qui renvoie à de la discriminationrévèle que les femmes ne sont pas forcément lesmoins discriminées dans les professions où ellesaccusent un retard salarial assez faible, à l’exempledes professions masculines de niveaux cadre etprofession intermédiaire. Ce sont les seuls groupespour lesquels les caractéristiques individuellesd’offre de travail et d’emploi des femmes sont plusimportantes que celles des hommes. Consécutive-ment, si les femmes étaient rémunérées à l’égal deshommes (même valorisation monétaire des attributsindividuels et d’emploi), elles gagneraient enmoyenne plus que ces derniers, respectivement 4,2 %et 1,6 % dans les groupes masculins de cadres etprofessions intermédiaires. C’est donc parce qu’ellessont discriminées que leur salaire est peu éloigné decelui des hommes. La discrimination est d’ailleurs enmoyenne plus forte dans les professions masculinesque féminines et ce pour les deux niveaux de qualifi-cation considérés (cadres et professions intermé-diaires d’une part et employés et ouvriers d’autrepart). Elle est toutefois encore plus prononcée dansles groupes professionnels mixtes.

En termes de politiques publiques, ces constatssuggèrent que soit accordée une attention particu-

lière aux professions masculines et mixtes où lesfemmes ont à subir un traitement salarial trèsdésavantageux. Il faudrait bien sûr cerner un plusgrand nombre de paramètres relatifs aux situationsd’emplois, notamment une catégorisation des profes-sions et niveaux de qualification plus fine, pouraméliorer encore la comparabilité des situations. Parailleurs, on peut se demander si une partie des diffé-rences de valorisation monétaire ne résulte pas dedifférences sexuées des mécanismes de salairescompensateurs de désutilités professionnelles, telqu’évoqués par Macpherson et Hirsh (1995). Dans cecadre, soient les désutilités associées aux conditionsde travail apparaissent plus élevées pour les hommesque pour les femmes – nécessitant des compensa-tions supérieures –, soit le mécanisme de compensa-tion apparaît en lui-même moins efficace pour lesfemmes que pour les hommes – par exemple ennégligeant plus facilement la reconnaissance, dansles grilles de classification et de salaire, de qualitésstatistiquement et socialement attribuées auxfemmes (l’écoute, l’attention aux autres, etc.) ou decompétences acquises dans la sphère domestique(soins à la personne, etc.) (Lemière et Silvera, 2001).Enfin, rien ne dit que ces différences de valorisationmonétaire au détriment des femmes ne ressortent paségalement pour partie d’arbitrages féminins enfaveur d’autres attributs de l’emploi. Pour certainesd’entre elles, l’importance du salaire serait plusfortement contrebalancée par d’autres critères telsqu’une plus grande maîtrise de leur temps de travailou une préférence pour un milieu de travail moinsstressant par rapport à des emplois où le rythme detravail est soumis à de fortes pressions (Dupray,2005). De ce point de vue, la composante non expli-quée des écarts de gains représente probablementune limite haute de la discrimination.

Par ailleurs, il apparaît qu’à degré de mixité donné,les professions dont la ségrégation est d’origineéducative sont porteuses des moins mauvaises condi-tions de rémunération pour les femmes (par rapportaux hommes) et présentent, à l’exception des profes-sions masculines supérieures et intermédiaires, unemoindre discrimination. À cet égard, cette origineéducative de la ségrégation semble assurer unmeilleur emboîtement entre les savoirs acquis enformation initiale et les compétences qui serontreconnues d’un point de vue salarial à l’exemple desprofessions du secteur médical et para-médical.

44 2006 - N° 93 FORMATION EMPLOI

De plus, pour tous les groupes professionnels, ladiscrimination salariale à l’encontre des femmes estlargement due aux caractéristiques de l’emploioccupé (conditions d’appariement). À conditionsidentiques, par exemple en CDD, en province dansune PME et avec un an d’ancienneté, elles percevrontun salaire inférieur à celui de leurs homologues dansla même situation. En effet, les caractéristiquesd’offre de travail sont légèrement mieux rémunéréespour les femmes dans la majorité des groupes profes-sionnels, notamment au sein des catégories de cadreset de professions intermédiaires. Cet avantage en leurfaveur sur les conditions de formation initiale et d’ex-périence professionnelle reste toutefois insuffisantpour compenser les différences de valorisation moné-

taire à l’avantage des hommes relatives aux condi-tions d’emploi.

À cet égard, on peut conclure que la discriminationsalariale des femmes se construit véritablement dansl’emploi avec toutes les limites soulignées précédem-ment. La prime au diplôme enregistrée par lesfemmes cadres et dans les professions intermédiaires,c’est-à-dire l’avantage qu’elles sont en mesure detirer de la valorisation de leurs diplôme en matière derémunération, est effacée par « les pénalités » rela-tives qu’elles supportent par la suite en matière derémunération de leurs conditions d’emploi. Ce traite-ment en leur défaveur semble partagé en intensité,sinon en usage, par l’ensemble des professions. ■

452006 - N° 93 FORMATION EMPLOI

Au-delà du genre, l’insertion

Aigner D., Cain G. (1977), “Statistical theories ofdiscrimination in labor market”, Industrial and laborRelations Review, vol. 30, n°2, pp. 175-187.

Altonji J.G., Blank R.M. (1999), “Race and Gender inthe labor market”, in Ashenfelter, O. Et Card, D. (eds.),Handbook of Labor Economics, 3, Elsevier Science.

Baker M., Fortin N.M. (2001), “Occupational gendercomposition and wages in Canada, 1987-1988”,Canadian Journal of Economics, 34(2), pp. 345-376.

Bayard K., Hellerstein J., Neumark D. et K. Trotske(sous presse), “New evidence on gender segregationand gender differences in wages from matchedemployer-employee data” à paraître dans Journal ofLabor Economics.

Becker G. (1971), The economics of discrimination,2nd edition, The University of Chicago Press.

Bergmann B.R. (1974), “Occupational segregation,wages and profits when employers discriminate by raceor sex”, Eastern Economic Journal, n° 1, pp. 103-110.

Blinder A. (1973), “Wage discrimination – reducedform and structural estimates”, Journal of HumanResources, 8(4), pp. 436-455.

Bibliographie

Borghans L., Groot L. (1999), “Educational presor-ting and occupational segregation”, Labour Econo-mics n° 6, pp. 375-395.

Couppié T., Epiphane D. (2004), « Des bancs del’école aux postes de travail… Chronique d’uneségrégation annoncée », Céreq, Notes Emploi Forma-tion, n° 6.

Couppié T., Epiphane D. (2006), « la ségrégation deshommes et des femmes dans les métiers : entre héri-tage scolaire et construction sur le marché dutravail », Formation Emploi n° 93, janvier-mars2006.

Djellal F. (2002), « Le secteur du nettoyage face auxnouvelles technologies », Formation Emploi n° 77,janvier-mars, pp. 37-49.

Dupray A., Moullet S. (2004) “Femmes à l’entréedans la vie active : un retard salarial en partie inex-pliqué », Céreq, Notes Emploi Formation, n° 12.

Dupray A. (2005), « Eléments de cadrage sur lessecondes parties de carrière: des observations auxconcepts à mobiliser », séminaire d’ouverture du 22novembre 2005 du projet Equallité-parcours d’avenir,Paris-Dauphine.

46 2006 - N° 93 FORMATION EMPLOI

Epiphane D., Giret J.-F. Hallier P., Lopez A. et SigotJ.-C. (2001), « Génération 98 : à qui a profité l’em-bellie économique ? », Céreq-Bref n°181, décembre.

Havet N., Lacroix G. (2002), « Une modélisation desdébuts de carrière et des écarts salariaux hommes-femmes”, Communication aux JMA, Rennes, 6-7juin 2002.

Karmel T., Maclachlan M., (1988) “Occupational sexsegregation. Increasing or decreasing?” EconomicRecord 64 (186), pp. 187-195.

Killingsworth M. (1990), The economics of compa-rable worth, Kalamazoo, MI:upjohn institute ofelmployment research.

Lemière S., Silvera R. (2001), « Approche de lacompétence et genre : une analyse à partir des inéga-lités salariales et de l’évolution des emplois », LesCahiers de l’IRETEP, n° 3, février.

Macpherson D., Hirsh B.T. (1995), “Wages andgender composition: why do women’s job pay less?”Journal of Labor Economis, n° 13, pp. 426-471.

Meng X., Meurs D. (2001) « Différences de structuredes emplois et écart salarial entre hommes et femmes enFrance », Économie et Prévision, n° 148, pp. 113-126.

Neumark D. (1988), “Employers’ discriminatorybehavior and the estimation of wage discrimination”,Journal of Human Resources, n° 23, pp. 279-295.

Neumark D. (1999), “Wage differentials by race and sex:the roles of taste discrimination and labor market infor-mation”, Industrial relations, vol. 38,3, pp. 414-445.

Oaxaca R.L. (1973), “Male-Female wage differen-tials in Urban Labor Markets”, InternationalEconomic Review, vol. 14, pp. 693-709.

Oaxaca R.L., Ransom M.R. (1994), “On discrimina-tion and the decomposition of wage differentials”,Journal of Econometrics, vol. 61, pp. 5-21.

Okba M., (2004), « L’accès des femmes aux métiers :la longue marche vers l’égalité », PremièresSynthèses, DARES, juillet.

Phelps E. (1972), « The stastical theory of racism anssexism », American Economi review, vol. 62, n° 4,pp. 649-661.

Pochic S. (2005), « Faire carrière : l’apport d’uneapproche en termes de genre », Formation Emploin° 91, juillet-septembre, pp. 75-93.

Rotschild, M. Stiglitz J. (1982), “A model of employ-ment outcomes illustrating the effect of the structureof information on the level and distribution ofincome”, Economic Letters, n° 10, pp. 231-236.

Silber J. et Weber (1999), “Labour market discrimina-tion : are there significant differences between thevarious decomposition procedures ?”, AppliedEconomics, vol. 31, pp. 359-365.

Sorensen E. (1990), “The crowding hypothesis andcomparable worth issue: a survey and new results”,Journal of Human Resources, n° 25, p. 55-89.

Stiglitz J.E (1973), “Approaches to the Economics ofDiscrimination”, American Economic Review,vol. 63, n° 2, May.

Viprey M., Deroche L. (2000), « Conditions d’accès àl’entreprise des jeunes étrangers ou d’origine étran-gère : nature des résistances », Migrations Etudes,n°94, pp1-8.

472006 - N° 93 FORMATION EMPLOI

Au-delà du genre, l’insertion

Les salaires des hommes et des femmes en début de vie active :des sources de disparité variables selon les professions

Thomas Couppié, Arnaud Dupray, Stéphanie Moullet

Après trois ans de vie active, on analyse ici les disparités de salaire entre les hommes et femmes selon lacatégorie professionnelle, le degré de mixité des professions et l’origine de cette mixité : ségrégationprofessionnelle d’origine éducative ou/et liée au marché du travail. Ces disparités sont évaluées en termesde discrimination salariale. Les femmes, relativement aux hommes, sont les moins mal rémunérées dans lesprofessions masculines, mais ce faible retard salarial cache une importante part injustifiée au regard descaractéristiques individuelles que l’on observe, et de ce fait assimilable à de la discrimination (à caracté-ristiques égales, traitement différent). Dans les autres professions, la discrimination salariale accroît l’écartde salaire résultant des conditions d’emploi plus avantageuses pour les hommes. Par ailleurs, à degré demixité donné, les professions dont la ségrégation est d’origine éducative sont porteuses de meilleursniveaux de rémunération pour les femmes. Enfin, pour tous les groupes professionnels, la discriminationsalariale à l’encontre des femmes relève plutôt de la situation professionnelle des individus que de leurscaractéristiques productives propres, comme l’éducation ou l’expérience professionnelle.

Mots clés

Division sexuelle du travail, inégalité salariale, profession, enquête Génération 98

Journal of Economic Literature : J16, J29, J31.

Résumé