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LA VILLE PRIVEE : les shopping centers à Buenos Aires Guénola CAPRON Université de Toulouse II U.M.R. U.T.M. / C.N.R.S. n° 9959 Groupe de Recherche sur l'Amérique latine Thèse de doctorat en Géographie-Aménagement juin 1996 Directeur de recherche : Romain Gaignard

Les shopping centers à Buenos Aires

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LA VILLE PRIVEE : les shopping centers à Buenos Aires

Guénola CAPRON

Université de Toulouse II U.M.R. U.T.M. / C.N.R.S. n° 9959

Groupe de Recherche sur l'Amérique latine

Thèse de doctorat en Géographie-Aménagement

juin 1996

Directeur de recherche : Romain Gaignard

LA VILLE PRIVEE : les shopping centers à Buenos Aires

(2 volumes)

VOLUME 1

Guénola CAPRON

Université de Toulouse II U.M.R. U.T.M. / C.N.R.S. n° 9959

Groupe de Recherche sur l'Amérique latine

Thèse de doctorat en Géographie-Aménagement

juin 1996

Directeur de recherche : Romain Gaignard

LA VILLE PRIVEE : les shopping centers à

Buenos Aires (2 volumes)

VOLUME 2 Cartes, photographies et illustrations + annexes

Guénola CAPRON

Université de Toulouse II U.M.R. U.T.M. / C.N.R.S. n° 9959

Groupe de Recherche sur l'Amérique latine

Thèse de doctorat en Géographie-Aménagement

juin 1996

Directeur de recherche : Romain Gaignard

LA VILLE PRIVEE : les shopping centers à Buenos Aires

(2 volumes)

VOLUME 1

Guénola CAPRON

Université de Toulouse II U.M.R. U.T.M. / C.N.R.S. n° 9959

Groupe de Recherche sur l'Amérique latine

Thèse de doctorat en Géographie-Aménagement

juin 1996

Directeur de recherche : Romain Gaignard

Tous mes remerciements aux innombrables personnes, connues et

inconnues, porteñas et françaises, qui m'ont soutenue dans ma

réflexion et dans ma rédaction, en particulier à Monsieur Romain

Gaignard.

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Nota bene : pour des raisons de clarté et afin de ne pas trop encombrer le texte, nous avons préféré constituer un volume séparé comportant les cartes, les photographies, les dessins, ainsi que les annexes (elles-mêmes numérotées). Les documents graphiques sont numérotés par type (cartes , photographies, dessins, etc.). Les photographies, les cartes et les dessins du deuxième volume sont présentées dans leur ordre d’apparition dans le texte. Il peut cependant arriver qu’il soit fait référence à une carte, avant le moment où elle est véritablement commentée. Nous invitons donc le lecteur à garder ouvert le deuxième volume au cours de sa lecture, afin de pouvoir se reporter facilement aux illustrations. Les graphiques et les tableaux sont généralement insérés dans le texte, sauf pour certains tableaux, qui ont été reportés en annexe.

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"- You know a funny thing about Europeans ? - What ? - It's about little differences. They all have the same things that we've got here. It's just, it's a little different (...). Do you know how they call a quarter-pan burger cheese in Paris ? - No. - They call it "Royal Cheese". - "Royal Cheese"... ? - That's right. - What do they call a "Big Mac". - A "Big Mac" is a "Big Mac", but they call it "Le Big Mac". - "Le Big Mac"...". (extrait du film de Quentin Tarentino, Pulp Fiction, 1994).

Introduction

1. Étonnement et questionnement : le premier regard

L'étonnement est la condition essentielle du questionnement, et le questionnement, de la

recherche. L'étonnement, dans la tradition philosophique, joue un rôle heuristique important. Découvrir un pays étranger, c'est être étonné en permanence, c'est se poser les questions "pourquoi ?", "comment ?", c'est avancer quotidiennement dans la quête d'une réponse sur la différence et sur l'autre. L'Argentine n'est pas dépourvue de stigmates des pays en développement. Cette dernière catégorie commode et fourre-tout permet de cataloguer aisément un pays et ses habitants mais recouvre en fait des situations économiques, sociales et politiques très hétérogènes. Le tiers monde est loin de former un bloc monolithique.

À Buenos Aires, l'étonnement et le questionnement ont surgi au détour de deux

promenades urbaines. La première a eu lieu quelques heures après mon arrivée à Buenos Aires. On m'a emmenée immédiatement voir l'un de mes objets d'étude, le centre commercial Alto Palermo, par un doux dimanche d'hiver. Après la fatigue du voyage et du décalage horaire, la cohue dans un univers clos. Les gens se bousculent pour acheter une glace chez "Freddo". Dehors, la ville est calme, déserte, comme tout dimanche dans n'importe quelle ville du monde. Quelle surprise devant l'engouement suscité par ces centres commerciaux, pour moi qui n'avais pas vraiment vécu, vingt-cinq ans plus tôt, le démarrage des centres commerciaux à l'américaine en France !

La seconde promenade s'est déroulée quelques mois plus tard. La ville m'est déjà plus

familière, ses coins de rue mieux connus. De visiteuse, l'étrangère se transforme en guide pour quelques amis venus du Vieux Monde découvrir les charmes cachés de l'Argentine et d'une

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ville aimable et énigmatique, tout à la fois laide et charmante. La visite s'est faite à l'envers : au lieu de commencer par les beaux quartiers du centre, par les principaux monuments de la ville et par les lieux d'intérêt touristique, je les emmène dans les quartiers de la capitale où un touriste ne met jamais les pieds, et où même les habitants des quartiers riches du nord de la ville, de Barrio Norte, de certaines parties de Palermo et de Belgrano, ne vont que très peu. Liniers et ses abattoirs à l'ouest, Barracas, quartier semi-industriel du sud, avec ses entrepôts à moitié désaffectés et ses immenses gares de triage, le vieux centre colonial de San Telmo, qui, au-delà de la vitrine touristique du marché aux puces dominical, porte les traces du temps et de la pauvreté. Seulement trois jours après, nous nous rendons au centre-ville et prenons enfin la visite dans le bon sens : au nord de San Telmo, s'étendent la place de Mai avec le Palais présidentiel, la Casa Rosada, l'imposante avenue de Mai et ses bâtiments aux styles architecturaux hétéroclites, les rues encombrées du centre-ville, la rue commerçante piétonne Florida, la Recoleta et son cimetière. Nous n'oublions rien. Pas même les centres commerciaux du centre et des quartiers péricentraux, les Galerías Pacífico, Alto Palermo, Paseo Alcorta.

Cette fois, ce sont eux qui s'étonnent devant les contrastes existant entre l'animation et

la richesse du centre-ville et des centres commerciaux, et les quartiers visités pendant les premiers jours. L'image qu'ils étaient en train de se construire de Buenos Aires était en effet celle d'une capitale d'un pays du tiers monde, un peu décadente, portant les marques de l'effacement de l'économie argentine depuis quelques décennies, et celle d'une ville horizontale assez tranquille. Beaucoup de touristes ne garderont de Buenos Aires que cette représentation, d'une ville riche, européenne, verticale, cosmopolite, familière et accueillante, mais aussi un peu tanguera. Peu auront vu les auréoles de pauvreté de certains quartiers péricentraux et de l'immense banlieue de Buenos Aires. Le centre de la capitale est en effet la vitrine de la ville et du pays. Mais, à quelques encablures de la place San Martín, avec ses somptueux palais et ses magnifiques caoutchoutiers, se cachent les baraques du bidonville de Retiro.

À l'euphorie des années 1880-1930 qui avaient marqué la construction d'un pays riche

sur les bases d'un modèle économique agro-exportateur, ont succédé des années de déconvenue et une dégradation sensible. Dans les années 20, l'Argentine occupait l'une des dix premières places dans l'économie mondiale, en considérant le revenu par personne (Sábato J., 1988 : 7). L'ensemble de la société argentine, et plus spécialement portègne, est imprégnée de cette profonde nostalgie pour un âge d'or qui semble révolu. L'Argentine est encore néanmoins l'une des nations les plus développées d'Amérique latine, un pays de classe moyenne, qui connaît déjà depuis plusieurs décennies certains aspects (incomplets) de la consommation de masse. Elle reste le pays le plus européen du continent. Du moins,

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correspond-elle à une "périphérie intégrée", dans les termes d'A. Reynaud (Reynaud A., 1981), même si le modèle de substitution aux importations, mis en place dans les années 30, l'a pendant un temps un peu tenue à l'écart. Elle occupe en tout cas une position originale au sein d'un tiers monde qui est loin de former un bloc monolithique. "Tiers monde de l'Occident" et "occident du tiers monde", comme l'a baptisée à juste titre A. Rouquié (1987 : 21). Le classement du PNUD en fonction de l'indice de développement humain (IDH)1 la place en 46ème position en 1993 dans la catégorie des pays au développement humain élevé, juste après le Chili et le Costa Rica. Le PIB réel ajusté par habitant de l'Argentine était de 4295$, soit un peu moins que le Portugal (4955$), mais beaucoup plus que la Bolivie, limitrophe, avec 1572$ par habitant (PNUD, 1993). La "blancheur" et l'occidentalité dont se targuent facilement les Argentins, et encore plus les habitants de Buenos Aires, font oublier toutes les cabecitas negras du pays, gens des provinces oubliées de l'Intérieur du pays, Paraguayens et Boliviens qui nourrissent les contingents d'une main-d'œuvre immigrée vivant dans des conditions difficiles dans l'agglomération de Buenos Aires. L'Argentine présente d'ailleurs bien des caractéristiques des pays en développement : une instabilité politique et économique chronique, une dépendance vis-à-vis des capitaux étrangers, et aujourd'hui des grands bailleurs de fonds internationaux, une très grande concentration du revenu et des richesses.

Le pays évolue entre premier monde et tiers monde, conception ambivalente de plusieurs mondes.

Étonnement, donc, devant une réalité urbaine contrastée qui ne se donne pas au premier

abord. L'intérêt et la difficulté du terrain argentin pour le chercheur européen résident dans le

mouvement de décentration / distanciation / recentration du regard, qui provient de l'absence d'exotisme de la ville et de la familiarité avec laquelle il aborde une société où il se reconnaît, mais où, rapidement, il perd tous ses repères cartésiens. Buenos Aires, c'est à la fois le proche et l'ailleurs, "l'Autre et le Semblable", pour reprendre les termes d'un colloque organisé en 1987 à Paris (Segalen M. dir., 1987). C'est en découvrant les autres que l'on se cherche soi-même. Les processus de construction de l'identité, de reconnaissance et de différenciation, ne sont guère nouveaux. Les anthropologues s'interrogent depuis plusieurs années sur la possibilité et l'intérêt du transfert vers le terrain urbain européen de méthodes, et de problématiques éprouvées auprès de populations traditionnelles (Althabe G., etc.). La difficulté dans le cas de l'Argentine est d'adopter une démarche sociologique compréhensive, qui n'abandonne pas l'objectivité nécessaire à tout travail de recherche. Car, une fois mis de

1 En 1993, l'IDH du PNUD était construit à partir des variables de l'espérance de vie à la naissance, du niveau d'instruction, et du PIB réel par habitant.

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côté le cartésianisme français, il reste un engagement passionné et des regrets nostalgiques ayant tendance à déformer notre approche du réel, de ce réel qui se construit dans nos interactions individuelles et sociales. Pourtant, l'altérité est indispensable. "Cette altérité correspond du reste à la distance nécessaire pour qu'une observation, qui ne s'apparente pas à une simple auto-réflexion, soit possible" (Augé M., 1989 : 23).

2. Les différentes lectures de la modernisation du commerce de

détail dans les pays en développement À ce propos, on n'est guère dépaysé en Argentine. Boulangeries traditionnelles,

épiceries de quartier, boutiques de mode, pizzerias, tous les commerces ont un air de déjà vu. Surtout les centres commerciaux qui se développent à une vitesse fulgurante depuis une dizaine d'années. "Le commerce apparaît sans doute comme l'élément traduisant le plus fidèlement le type de société dans laquelle il est implanté", disaient déjà J. Beaujeu-Garnier et A. Delobez à la fin des années 70 (1977 : 26). L'alchimie particulière qui résulte de l'interaction entre le commerce, l'espace et la société reflète-t-elle la position originale de l'Argentine, entre premier monde et tiers monde, entre rationalité européenne et rationalité latino-américaine ? C'est en tout cas assez tardivement que sont apparus les centres commerciaux en Argentine, alors qu'une première modernisation du secteur de la distribution s'était déroulée dès la fin du XIXème siècle avec l'épanouissement des grands magasins et des passages. Les centres commerciaux sont une forme planifiée de concentration de magasins réunis sous un même toit2. Le Brésil (1966), le Mexique (1968), le Vénézuela (1972) et la Colombie (1974) en possédaient déjà depuis plus de deux décennies. Comme dans le reste de l'Amérique latine dans les années 80, ils se sont multipliés depuis 1986 d'abord dans la capitale argentine, puis dans les principales villes du pays, dans un contexte social pourtant morose. Au total, vingt-trois centres commerciaux ont été inaugurés entre 1986 et 1995 dans l'agglomération de Buenos Aires3. Certains ne désemplissent pas. Le centre commercial est devenu un phénomène de mode, de société. Modernisation accélérée du commerce et rationalisation économique semblent aller de pair.

En Amérique latine, comme dans les autres pays en développement, les vecteurs de la

modernisation de la distribution et de l'appareil commercial ont été les firmes multinationales. La diffusion de certaines normes de consommation auprès des populations des pays en développement, champ encore relativement peu exploré, s'explique en grande partie par les stratégies de développement extensif et d'internationalisation des grands groupes de la

2 Nous reviendrons plus précisément sur la définition du centre commercial. 3 L'Instituto Nacional de Estadísticas y Censos (INDEC) englobe dans l'agglomération de Buenos Aires la capitale et les 19 partidos (communes) les plus proches. L'ensemble constitue le Grand Buenos Aires (GBA).

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distribution nord-américains et européens (Carrefour, Wal-Mart, etc.) en quête de nouveaux marchés devant la saturation de la consommation dans les pays développés. Depuis la fin des années 70, la progression du groupe Carrefour, installé au Brésil, en Argentine et au Mexique, mais aussi en Asie du sud-est (Malaisie, Taïwan, Thaïlande) et, bien sûr, en Europe, s'est faite principalement grâce à son internationalisation. Carrefour et Promodès réalisent 35% de leur chiffre d'affaires dans l'international (Moati P., 1995 : 48). C'est pour Carrefour l'un des enjeux majeurs de son développement. Entre 1989 et 1991, l'Argentine et le Brésil ont représenté 11,5% de son chiffre d'affaires (Green R., 1995 : 243). Les centres commerciaux sont eux aussi l'objet d'une véritable industrie qui s'exporte, différemment cependant.

Mais la diffusion des centres commerciaux dans les pays en développement repose sur

des bases économiques et sociales beaucoup plus étroites qu'en Amérique du nord et en Europe. Les sociétés des pays en développement sont plus inégalitaires que celles des pays développés, et les populations moins solvables. La capacité d'absorption et le niveau de saturation de l'offre, le marché potentiel plus restreint constituent des contraintes fortes pour l'expansion des nouvelles formes de distribution et des freins à la modernisation du commerce.

Cette dernière a été peu étudiée dans les pays en développement, alors que les analyses

font une large place aux formes plus traditionnelles du commerce, les marchés, le petit commerce informel, etc. La diffusion des centres commerciaux a cristallisé les réactions de rejet de la part des intellectuels latino-américains, alors qu'ils remportaient un véritable succès auprès de la population. Si les mutations commerciales ont été analysées, c'est le plus souvent sous l'angle de la dépendance, processus de désarticulation des rapports de classe dans les économies dominées, entre la structure sociale préexistante et celle de la société dominante, entre les rapports de production et les rapports de reproduction d'une oligarchie puissante agissant pour que se maintiennent ses privilèges (Touraine A., 1976). Sous cet éclairage, le secteur moderne de la distribution, le grand commerce "capable de dégager des revenus considérables" (Dalmasso E., 1976), est perçu négativement. L'ouvrage de M. Santos sur la dualisation du commerce entre un circuit inférieur et un circuit supérieur, entre un secteur moderne réduit et un secteur traditionnel, parasitaire et hypertrophié, double-face d'un même processus de modernisation, constitue l'une des principales références sur le commerce dans les pays en développement. C'est essentiellement une approche de type structuraliste de la modernisation. Quant à l'importation des produits de consommation ou des modes de vie occidentaux, elle est facilement comprise comme un facteur de domination et d'acculturation des populations locales, et désigne l'accession mimétique à la civilisation industrielle et l'intégration dans un ensemble dont l'acteur dominant est étranger (Rouquié A., 1987). C'est par imitation des modes de vie occidentaux que les bourgeoisies des pays en développement

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adoptent des modes de consommation et les valeurs culturelles des pays développés, nouveau visage de l'impérialisme néo-colonial. La diffusion des modes de consommation importés se fait des classes riches dirigeantes vers les catégories moyennes et intermédiaires, influençant les mentalités des couches les plus pauvres (Beaud M., 1988). Sous cet aspect-là, les théories de la dépendance sont le pendant du discours sur la mondialisation culturelle et sur la diffusion d'une "culture-masse" (Chevalier J. et al., 1984), facteur d'homogénéisation et d'uniformisation des cultures et des modes de vie, d'aplanissement des différences, de standardisation. Le discours sur la mondialisation culturelle comme celui sur la dépendance postulent la domination et l'impérialisme nord-américains, d'une part, et l'aplanissement des différences, d'autre part. La mondialisation ne serait qu'on nouvel avatar d'une '"occidentalisation ethnocidaire" pluriséculaire (Latouche S., 1984 : 887), facteur de déculturation.

La diffusion de l'american way of life et des quelques produits-types incarnés par le

tryptique Coca-Cola, jean Levis, hamburger Mac Donald est-elle vraiment synonyme de déculturation ? Si l'économie a bien eu tendance à se mondialiser et les multinationales à s'internationaliser, peut-on en dire autant des modes de consommation et des modes de vie ? L'"universalité d'une rationalité au service du capital constituée en une morale également universalisée, universalité d'une idéologie commerciale importée de l'étranger" (Santos M., 1984 : 694") ne rencontrent pas des consommateurs universels. L'homogénéisation est bien loin d'être évidente, aussi bien dans les pays développés que dans les pays en développement, et la problématique argentine est très différente de celle de certains pays d'Afrique et d'Amérique latine, où, par exemple, l'adoption de produits alimentaires importés peut avoir des effets déstructurants sur l'alimentation des populations autochtones et sur l'économie locale. La proposition de R. Chapuis de classer les pays en développement en fonction de leur appartenance à l'une des quatre grandes aires culturelles et non du produit national brut par habitant se justifierait donc. "Chacune de ces aires a réagi et réagit encore différemment aux modèles économiques, politiques, sociaux et culturels proposés ou imposés par les pays occidentaux (Japon compris) soit directement par la colonisation, soit indirectement par la mondialisation des échanges, de produits, de services, de capitaux, d'informations et d'hommes" (Chapuis R., 1994 : 55). Encore faut-il introduire des nuances régionales dans ce schéma.

Comme le rappelle B. Badie, l'analyse culturelle a beaucoup insisté sur les conflits entre

la modernité et la tradition, mais il n'y a pas forcément de phénomène de rejet, au contraire (Badie B., 1992). Les centres commerciaux argentins constituent un exemple d'adoption très rapide d'une innovation importée. Peut-être vaut-il mieux partir de l'étude du local, plutôt que de poser comme principe les effets déstructurants de la mondialisation sur les populations

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locales. Le contexte local, c'est-à-dire l'ensemble des caractéristiques politiques, sociales et culturelles propres à un lieu et à une société, joue vraisemblablement un rôle différenciateur dans l'adoption d'une innovation, qu'elle soit technologique, sociale ou commerciale. Comme le souligne M. Augé, il existe une "singularité des lieux, singularité des groupes ou des appartenances, recomposition des lieux, singularités de tous ordres qui constituent le contre-point paradoxal des procédures de mise en relation, d'accélération et de délocalisation trop vite réduites et résumées parfois par des expressions telles que "homogénéisation- ou mondialisation- de la culture" (Augé M., 1992 : 54). On ne peut ignorer les "effets de culture", les "effets de classe" et finalement les "effets de lieu" (Chevalier J. et al., op. cit.), ni faire abstraction du local et des différenciations des sociétés locales. Les critiques des chercheurs de l'École de la Régulation contre l'approche univoque de l'apparition des modes de production fordiste et post-fordiste et du passage de l'un à l'autre, ainsi que leur plaidoyer en faveur de l'existence de modèles de développement originaux, vont également à l'encontre du "fantasme de l'économie monde" (Lipietz A., 1986 ; Boyer R., 1987). Ces auteurs dénoncent les effets pervers de l'application sans discernement de la Théorie de la Régulation, préférant une approche par le local de la dynamique économique mondiale. Les hypothèses de la dépendance et de l'homogénéisation sont insuffisantes. La réalité sociale, politique, culturelle et économique locale est beaucoup plus complexe et se charge d'introduire des différenciations. En particulier, la modernisation du commerce n'est pas un processus à voie unique.

3. Les centres commerciaux, observatoires des mutations sociales,

urbaines, économiques. Le cas de l'Argentine En particulier, les centres commerciaux représentent un bon observatoire de la ville et

de la société. Le commerce est, comme le disaient à juste titre J. Beaujeu-Garnier et A. Delobez, une vitrine de la société, et en tant que tel, il a un fort impact sur celle-ci : "Le commerce est une vitrine et un rouage. En tant que "vitrine", il a un impact direct sur les foules, en tant que "rouage", il s'intègre dans le processus d'organisation de l'espace ; et ces deux aspects se combinent pour faire du commerce un véritable agent transformateur de la société. On pourrait résumer ainsi ses fonctions annexes : animation et distraction, organisation de l'espace, information et transformation, développement économique" (Beaujeu-Garnier J., Delobez A., op. cit. : 18). Le centre commercial, objet urbain, a une signification dans l'échange économique, mais aussi dans l'échange social comme lieu de la pratique sociale, et enfin dans l'échange symbolique, parce qu'il véhicule images et représentations sur la société et sur la ville. L'impact du commerce sur la société peut varier, autant que les formes du commerce, dans le temps et dans l'espace. Le sens de l'apparition des shopping centers dans les années 80 au sud du continent latino-américain est très différent de

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celui qu'il a pu avoir dans les années 50-70 en Amérique du nord ou en Europe du nord . Les mutations de la ville, de l'économie et de la société argentines, en partie le reflet de mutations se produisant à d'autres échelles, ont été profondes durant la décennie 80, décennie de crises et de vigoureuses remises en question d'ordres qui semblaient établis. Crise économique, crise sociale, crise de l'État-Providence, crise de la ville, la crise se décline sous tous les modes. Quels sont ces changements et en quoi les centres commerciaux les reflètent-ils ?

Les années 70-80 ont été marquées par une crise structurelle de transition d'un modèle

de développement fordiste vers un autre, post-fordiste, mise en valeur par les chercheurs de l'École de la Régulation (M. Aglietta, G. Benko, R. Boyer, A. Lipietz). La crise du régime d'accumulation fordiste a pour principale cause le ralentissement de la productivité et la hausse du coût salarial. Elle s'est manifestée par une diminution du taux de profit, par un désajustement croissant entre la production de masse fondée sur la division taylorienne du travail et les normes de consommation de masse, ainsi que par le développement du travail improductif (Lipietz A., 1986, Boyer R., 1987). Dans les pays du Cône sud, elle se traduit dans le passage d'un modèle de substitution aux importations, "fordisme créole" ou "fordisme périphérique" (Lipietz A., op. cit.4) à un modèle économique néo-libéral, caractérisé par l'ouverture des frontières, la dérégulation économique et financière, la privatisation des entreprises publiques nationales et la concession des services urbains (Arroyo D., Peñalva S., 1991). La mise en place du modèle économique néo-libéral, lancée en 1976 par les généraux argentins, s'est accélérée sous la présidence de C. Menem, à partir de 19895. Cette transition ne s'est pas faite sans heurts, la crise économique ayant des manifestations locales et conjoncturelles. L'une d'elles, l'hyperinflation des années 1989-1990, quand les taux ont atteint 200% en juillet 1989, chiffre théorique qui reflète mal la valse horaire des prix, a eu des conséquences importantes sur le comportement des individus et des entreprises, et a durablement traumatisé une bonne partie de la population. L'Argentine navigue au gré des plans de sauvetage de son économie, dont les trois principaux ont été le Plan Austral en 1986, le Plan de Convertibilité de D. Cavallo d'avril 1991 et le Plan Brady auquel l'Argentine a adhéré en 1992.

4 A. Lipietz, dont les ouvrages ont une grande influence en Amérique latine, insiste sur la variété des formes des régimes d'accumulation, que recouvre l'expression "fordisme périphérique". Le fordisme périphérique combine plus précisément des politiques de substitution aux importations liées à l'existence d'un marché de consommation intérieur, et des politiques de substitution aux exportations, permettant l'exportation de matières premières ou de produits manufacturés à bas prix (Lipietz A., 1986 : 245). 5 Les trois principales étapes de la mise en place du modèle économique néo-libéral ont été : premièrement, la réforme financière de 1977 qui a introduit la libéralisation des taux d'intérêt, diminuant les capacités de contrôle de la BCRA sur le marché du crédit bancaire, la dérégulation des institutions financières, et l'élimination progressive du contrôle du marché des changes ; deuxièmement; la loi 23.697 de 1989 dite d'état d'urgence économique, dont l'objectif est de réduire le déficit public ; troisièmement, la loi 23.928 de 1991 dite loi de convertibilité ou encore loi Cavallo, du nom du ministre de l'Économie, qui a été accompagnée d'un plan de stabilisation drastique

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Ces changements ont une traduction institutionnelle et politique forte. L'État-Providence à l'argentine instauré par le général Perón a été presque entièrement démantelé, et le retrait de l'État a été tout autant soudain que brutal. En Argentine, l'idéologie néo-libérale est fortement privatiste et anti-étatiste. Le désengagement de l'État, intimement lié à la question de l'endettement, a eu des conséquences sociales dévastatrices. La crise de l'intégration sociale se manifeste aussi à travers une crise urbaine, caractérisée par de multiples dysfonctionnements qui ne sont pas propres à Buenos Aires. La crise, omniprésente, a nécessité la prise de mesures plus ou moins autoritaires par l'État, et a expliqué son désengagement.

4. L'approche sociale en géographie du commerce : notre démarche

Le commerce joue non seulement un rôle dans l'organisation spatiale de l'espace urbain,

mais il est aussi le lieu d'un échange multiforme, aussi bien social qu'économique, comme lieu de brassage et d'interaction sociale. Dans les villes occidentales, et en particulier dans les villes latino-américaines, il est un élément essentiel de la centralité et de l'urbanité de la ville. Les deux sont liées, même si la centralité est loin de contenir toute l'urbanité. Les urbanistes, en France, s'interrogent de plus en plus sur le rôle du commerce dans l'animation des quartiers et dans le maintien du lien social, les grands ensembles constituant des exemples a contrario de la fonction sociale et urbaine du commerce en ville. Ils soulignent non seulement l'impact du commerce sur la société, mais aussi l'importance des choix politiques effectués. La modernisation du commerce est donc loin d'avoir des implications uniquement économiques, celles de la rationalisation du secteur de la distribution. Au contraire, les enjeux sociaux et politiques sont fondamentaux.

La géographie du commerce n'a émergé en France que dans les années 70. Selon B.

Mérenne-Schoumaker, ses axes principaux sont modelés par les grands courants de la géographie : géographie urbaine, géographie appliquée, géographie économique et géographie sociale (Mérenne-Schoumaker B., 1987 : 99). Cependant, c'est l'approche spatiale qui a été privilégiée, la géographie du commerce étant essentiellement une branche de la géographie économique. Aux États-Unis, elle dépend de la géographie appliquée (Zeller R., 1985). Les colloques et les séminaires portant sur les acteurs sociaux du commerce sont des lieux d'échange entre professionnels et chercheurs. "La géographie du commerce est un savoir très utile au monde des affaires (...). L'organisation de colloques (...) ouverts à la fois aux chercheurs et aux milieux professionnels, traduit bien l'intérêt porté à ces travaux par le monde des affaires mais souligne aussi la nécessité de contacts plus étroits entre les géographes et les professionnels. Ce n'est sans doute qu'à travers un dialogue constant entre ces deux mondes que la géographie du commerce pourra atteindre son plein épanouissement"

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(Mérenne-Schoumaker B., op. cit. : 102). Cette branche de la discipline géographique a souligné l'importance des choix spatiaux effectués par les acteurs privés et publics, le rôle du commerce dans l'aménagement de l'espace, ainsi que les raisons des mutations spatiales et morphologiques de l'appareil de distribution.

Le fameux "renversement de l'ordre des facteurs" sur lequel a insisté R. Rochefort, a fait

de l'analyse des acteurs sociaux, de leur rôle dans l'organisation et dans la production de l'espace, de l'espace comme dimension fondamentale de la vie sociale, l'un des paradigmes et des référents essentiels de la géographie. La géographie du commerce intègre de plus en plus dans ses analyses l'approche par les acteurs6. Mais elle s'intéresse surtout aux comportements spatiaux, aux fréquentations et aux préférences des clients-consommateurs, aux goûts des ménages voire même aux "socio-styles". Dans la lignée de la géographie comportementale, elle a donné lieu à des traitements statistiques complexes qui sont l'apanage des géographes anglo-saxons, partant du constat de l'imprévisibilité et de la multitude des types de comportements d'achat, ainsi que de la grande liberté du consommateur.

De même, les logiques des acteurs politiques et économiques dans l'instauration de politiques d'urbanisme commercial n'ont commencé à être comprises qu'à la fin des années 70. D'autres horizons se sont ainsi ouverts.

En France, un ensemble de travaux a été réalisé par des groupes interdisciplinaires de

chercheurs, à la croisée de l'économie, de la sociologie, de l'anthropologie et de l'urbanisme7. Tous s'intéressent aux phénomènes de la consommation et de l'échange dans leurs dimensions sociales, ethnologiques, anthropologiques, mais aussi aux relations étroites qu'entretiennent la ville et le commerce (Péron R., 1993. ; Bouveret-Gauer M. et al., 1994). Des anthropologues se sont intéressés au sens des pratiques d'achat et aux modes d'interaction sociale engendrés par ces lieux : ils suscitent des pratiques identitaires, comme l'a souligné M. de la Pradelle qui, dans la foulée des travaux de G. Althabe, a étudié les différentes formes d'interaction sociale sur le marché de Carpentras, dans une perspective cependant plus ethnométhodologique axée sur le quotidien (de la Pradelle M., 1993).

6 Les thèses de M. Coquery (1977) et d'A. Metton (1980), ainsi que l'ouvrage de J. Beaujeu-Garnier et d'A. Delobez (1977) ont véritablement lancé la géographie du commerce. La thèse de M. Coquery, en abordant les mutations de l'appareil commercial, s'intéresse plus particulièrement à l'acteur "commerçants", tandis que celle d'A. Metton envisage la révolution commerciale dans la région parisienne sous l'angle de la distribution spatiale des équipements, indissociable de l'étude des acteurs (promoteurs, usagers, commerçants, pouvoirs publics). 7 Le groupe de recherche "commerce et consommation" a été créé en 1975 sous la direction de C. Marenco à l'université de Paris IX, tandis qu'en 1984, l'IRESCO s'intéressait aux pratiques, stratégies et idéologies des sociétés contemporaines parmi lesquelles les pratiques et les idéologies urbaines et commerciales. Enfin, en 1991, le LIRESS, réunissant au sein de l'ENS Cachan un groupe de chercheurs travaillant sur les synergies entre ville et commerce, s'est concentré sur les implications urbaines de la modernisation commerciale (voir à ce sujet : Bouveret-Gauer et al., 1994). Voir les travaux de J. Ion sur le sens de l'évolution des formes et des pratiques commerciales, les analyses sémiotiques du rapport à la marchandise de J. S. Bordreuil, etc..

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Les travaux des géographes sur l'espace vécu montrent que le commerce est l'un des

éléments essentiels de la pratique urbaine. Les pratiques urbaines associées au commerce ne se limitent pas aux comportements d'achat et de consommation.

Premièrement, le commerce est, comme le souligne X. Piolle (1979), un élément structurant des pratiques urbaines et de la pratique du centre, et les vitrines des magasins participent largement à l'urbanité (Péron R., 1993). Les centres commerciaux planifiés peuvent être les lieux d'un échange multiforme du fait des nombreuses fonctions qu'ils cumulent : consommation, loisir, rencontre. Ils ne donnent pas uniquement lieu à des pratiques de consommation mais plus largement à des pratiques urbaines qui englobent tout aussi bien l'achat et la consommation que les loisirs et d'autres formes d'activités ludiques.

Deuxièmement, les analyses géographiques sur les pratiques différenciées des acteurs, liées à leur appartenance à des groupes sociaux (selon l'âge, le sexe...) et à des classes sociales dotés de revenus inégaux et de niveaux et de styles de consommation diversifiés ne peuvent pas se confondre avec les pratiques des consommateurs et des acheteurs potentiels, de la clientèle, et donc de la classe moyenne (Jalabert G., 1975). Les modes de consommation des classes populaires sont aussi influencés par les valeurs de la société de consommation (Marenco C., 1985).

L'espace est l'une des composantes des stratégies des acteurs du commerce, mais

aussi une dimension de la vie sociale comme lieu de la pratique sociale, comme facteur de distanciation et de différenciation (centre / périphérie), comme objet de représentation et en représentation. L'un des objectifs de la géographie sociale n'est-il pas, en effet, de "décrire et expliquer les aspects de la vie en société qui contribuent à la différenciation du monde", mais aussi comme le rappelle G. Di Méo en citant P. Claval, de "rendre compte des phénomènes spatiaux qui contribuent à structurer la vie sociale" (Di Méo G., 1991 : 6) ? Notre travail s'inscrit dans le champ social et culturel de la géographie commerciale (ou dans l'approche du commerce dans la géographie sociale). À l'intérieur des quatre champs de la géographie sociale définis par A. Frémont et ses collègues (op. cit.), c'est l'étude des combinaisons socio-spatiales, des enjeux commerciaux et urbains, du sens des pratiques et des représentations qui nous intéresse ici.

5. Centres commerciaux, acteurs du commerce et ville

Si la modernisation de l'appareil de distribution comporte d'autres enjeux que ceux

strictement économiques, il faut se pencher sur le jeu des différents acteurs qui interviennent dans la production des centres commerciaux. Il peut sans doute éclairer la spécificité des

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formes, des fonctions, des usages, de la distribution spatiale des centres commerciaux et permettre de mesurer l'impact du commerce sur la société. "C'est donc au travers d'une combinatoire à trois dimensions associant structures spatiales, structures sociales et représentation de l'espace qu'il faut éventuellement poser le problème de l'impact du spatial sur le social. C'est seulement en reconnaissant l'existence, d'une part d'une logique de production de l'espace, d'autre part, d'une logique d'appropriation -matérielle ou idéelle- de cet espace, que l'on peut raisonner en termes d'impacts spatiaux. Autrement dit, l'espace ne fait-il que reproduire les inégalités de la structure sociale globale ou ne peut-il pas dans certains contextes, contribuer à les accentuer ou à les réduire ?" (Vant A., 1986 : 107). Pour aborder les transformations commerciales, il faut entrer dans l'analyse des rapports sociaux, culturels, politiques, à l'espace marchand.

L'espace commercial est en effet construit par le jeu dialectique des pratiques d'acteurs

aux intérêts très différents et par l'interaction des stratégies de production et d'appropriation des acteurs. Comme le rappelait A. Metton, la notion de "stratégies d'acteurs", notamment celles des grands distributeurs et des pouvoirs publics, est l'un des éléments explicatifs essentiels de l'évolution commerciale (Metton A., 1987). L'espace a un statut différencié dans les stratégies des différents acteurs. Mais tous les acteurs n'ont pas un rôle aussi décisif dans la production de l'espace. Par exemple, en s'appuyant sur un schéma résumant les principaux processus de la production des centres commerciaux, J. A. Dawson fait remarquer que les consommateurs y occupent une faible place (1983). Dans la théorie marxiste, les agents économiques dominent la production de l'espace. Quel est donc le poids de chaque acteur dans le processus de production de l'espace commercial, en fonction de l'importance des déterminants socio-économiques, physiques, culturels, politiques ? Nous avançons pour hypothèse que l'architecture particulière des rapports de pouvoir, ainsi que la crise sociale actuelle, reflet de mutations macro-économiques (inscrites dans l'espace-temps), jouent un rôle essentiel dans les stratégies des acteurs de la ville en Argentine, elles-mêmes déterminantes dans l'évolution des formes commerciales.

Les acteurs qui participent aux processus de production des centres commerciaux,

comme d'ailleurs plus généralement à ceux de la ville, sont assez nombreux. On identifie : • les producteurs des centres commerciaux, c'est-à-dire à la fois les promoteurs et les

autres acteurs qui participent aux différentes phases de la production de l'espace matériel. Les promoteurs sont les personnes physiques ou morales qui développent, réalisent et gèrent un ensemble immobilier à vocation commerciale (Koehl J. L., 1990) ;

• les distributeurs et les commerçants ; • les acteurs institutionnels, locaux et nationaux ;

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• les usagers des centres commerciaux différenciés en fonction de leur appartenance à tel ou tel groupe social et de leurs pratiques, etc. ;

Dans une perspective fonctionnaliste (qui n'est cependant pas la nôtre), chaque acteur

contribue au fonctionnement du système "centre commercial", en remplissant une fonction : • la fonction de production de l'espace, • la fonction de distribution, • la fonction de régulation des échanges et des activités, • la fonction de consommation et d'appropriation de l'espace. La production de l'espace définit le processus de production matérielle d'un espace

concret qui comprend la production d'un sol constructible et d'un bâtiment, mais elle peut également désigner le processus de production d'un espace urbain et social (Lefebvre H., 1974).

Sous la fonction de distribution, on comprend l'ensemble des processus régissant l'échange économique et marchand.

Par appropriation de l'espace, on entend l'ensemble des pratiques socio-spatiales et des usages de l'espace. Elles ne sont pas négligeables. "L'espace est une construction de la société, sa production dans laquelle non seulement elle s'exprime, mais encore par laquelle elle se réalise. Il existe en effet une dialectique espace / société, les hommes créent l'espace, et dans cette œuvre de création, ils s'organisent en société" (Isnard H., 1978 : 74).

La régulation, enfin, désigne l'ensemble des mécanismes qui permettent d'équilibrer les intérêts des différentes parties et d'assurer un développement spatial et social harmonieux. Nous reviendrons plus particulièrement dans la première partie sur les mécanismes et sur le sens de la régulation.

Dans toute société libérale, la modernisation du commerce et l'évolution des formes de

la distribution répondent à des logiques marchandes de maximisation de la rente, le marché ne peut pas à lui seul réguler les rapports entre espace et société. En principe, les politiques publiques devraient prendre en considération les usages des lieux et les demandes des usagers, ce qui est rarement le cas. La question doit en tout cas être posée. Ils entrent dans le champ des politiques publiques, plus particulièrement des politiques urbaines, non pas seulement pour assurer un développement harmonieux de l'appareil commercial, mais parce qu'ils ont un impact social et urbain qui va au-delà de ces aspects. Dans le contexte argentin de mutations institutionnelles, du retrait de l'État et de la redéfinition de son rôle et de ses fonctions, quels enjeux politiques recouvrent les centres commerciaux ? Le retour fréquent au libéralisme a insisté sur l'échec des politiques keynésiennes et sur le rôle nécessaire du marché dans la régulation des comportements des acteurs à travers le libre jeu de l'offre et de la demande et la "main invisible du marché" d'Adam Smith. Dans une optique keynésiano-

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fordiste, le rôle de l'État était d'"instituer un système où les inégalités spatiales naturelles sont abolies par l'action de l'administration" (Claval P., 1978 : 171), de poser des limites à l'action des individus, de la contrôler et de l'orienter en fonction d'une intentionnalité collective, au nom d'un intérêt général et d'une plus grande justice sociale et spatiale. Entre le néo-libéralisme triomphant et le tout État, et dans le contexte de remise en question de l'État-Providence, l'État ne doit-il pas redéfinir son rôle ?

6. De l'objet urbain à l'analyse des stratégies urbaines : le sens de

notre démarche à Buenos Aires Dans l'étude des stratégies des acteurs, certains d'entre eux ont été spécifiquement

retenus, et d'autres délibérément laissés de côté. Cette sélection découle des hypothèses choisies. Les distributeurs et les commerçants constituent l'un des éléments importants du système commercial, mais ils n'interviennent que secondairement dans le processus de production de l'espace, les choix principaux étant effectués par les promoteurs (Koehl J. L., 1990). Encore faut-il nuancer ces assertions : d'une part, certains distributeurs sont aussi promoteurs, comme c'est le cas, par exemple, de Carrefour en Argentine, et, dans ce cas, leurs stratégies en tant que promoteurs ont été essentielles, d'autre part, les "locomotives " des shopping centers, quand elles existent, interviennent de façon importante dans la décision d'implantation de ceux-ci. Le rapport de forces entre distributeurs et promoteurs n'est de toutes façons pas le même en Argentine dans les années 80, qu'en France ou aux États-Unis dans les années 60-70. En effet, comme nous le verrons ultérieurement, la "locomotive" qui sert d'aimant dans l'ensemble marchand est, en Argentine, d'une autre nature que les hypermarchés, grands magasins et autres drugstores. De même, l'analyse est centrée directement sur les stratégies interdépendantes des promoteurs et des usagers d'une part, et des promoteurs et des pouvoirs publics d'autre part, le troisième terme de la relation (usagers - pouvoirs publics) étant une question transversale aux deux autres.

Après avoir précisé les liens entre la ville, le commerce et la société et analysé le rôle

des stratégies d'acteurs dans la production de l'espace matériel et social des centres commerciaux, nous verrons quelles sont les spécificités spatiales, formelles et fonctionnelles des centres commerciaux en Argentine, et en quoi les stratégies socio-spatiales des acteurs commerciaux peuvent expliquer les écarts aux modèles, les rapports entre ville et commerce, ainsi que l'impact du commerce sur la société. Quels sont les spécificités, le sens et les enjeux socio-spatiaux de l'apparition des centres commerciaux à Buenos Aires ?

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PREMIERE PARTIE VILLE, COMMERCE ET SOCIETE

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Introduction L'approche sociale de la géographie commerciale pouvait s'enrichir des apports des

sciences sociales, en particulier de la sociologie, surtout en ce qui a trait à l'analyse des stratégies et des politiques urbaines. La notion de système d'acteurs s'avère être un bon outil conceptuel pour analyser les stratégies des acteurs, leur rôle dans la construction de l'espace et les différentes logiques de la modernisation du commerce. L'analyse des stratégies des acteurs institutionnels et privés du commerce, à travers la définition des politiques d'urbanisme commercial, va nous permettre de préciser les rapports entre la ville, le commerce et la société, en découvrant les logiques politiques, économiques et sociales de la modernisation du secteur de la distribution. C'est en effet en réfléchissant sur le contenu et sur les formes des politiques d'urbanisme commercial, et sur leurs limites, que nous serons amené à voir en quoi le commerce a un impact sur la ville et sur la société.

• L'analyse du sens de concepts comme ceux de systèmes d'acteurs et de stratégies,

utilisés dans des contextes théoriques très différents, a permis d'avancer dans la formulation de la problématique et des hypothèses (rôle des différentes instances économiques, politiques, sociales, culturelles / importance du local dans les formes de la modernisation commerciale face au discours sur la mondialisation) ainsi que de la démarche (analyse des stratégies). Les deux lectures critique et organisationnelle sont différentes mais complémentaires. Leur application dans le champ de l'urbain précise le cadre théorique de l'étude des politiques urbaines. La sociologie urbaine marxiste des années 70 a eu une grande influence en Amérique latine. Aujourd'hui, les théories de la gouvernance urbaine et des régimes urbains nous semblaient particulièrement pertinentes pour éclairer le cas argentin. En effet, de nouveaux modèles orientent les modes de gestion urbaine.

• L'analyse comparative de deux politiques d'urbanisme commercial et de leurs enjeux

sociaux et urbains, ne pouvait qu'enrichir et préciser la problématique. Le contenu des politiques urbaines, notamment en matière d'urbanisme commercial, dépend de l'espace et de la société locale. L'examen plus approfondi d'interventions concrètes dans ce secteur permet de tirer des enseignements quant à l'impact du commerce et des politiques d'urbanisme commercial sur la société et sur l'organisation de la ville, quant aux variables entrant en compte dans la définition d'une politique d'urbanisme commercial, et de dégager des conclusions sur les limites de la régulation socio-institutionnelle, et ses grandes lignes de démarcation. Nous reviendrons ultérieurement sur le choix de la France et des États-Unis comme cas paradigmatiques.

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• Une dernière partie aborde les questions méthodologiques et la façon dont le travail de terrain s'est déroulé, en tenant compte des obstacles et des difficultés locales.

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Chapitre 1. De l'analyse des stratégies d'acteurs à celle des

modalités de la gouvernance urbaine Comment les différentes logiques d'acteurs qui sous-tendent les mutations

commerciales participent-elles à la production de l'espace commercial ? Quel poids doit-on accorder aux logiques des différents acteurs ? Quel est l'impact de la modernisation commerciale sur la société et sur l'espace ? Telles sont les questions que nous nous sommes posé au départ. Le contexte dans lequel les centres commerciaux apparaissent dans les années 80 est très différent de celui des années 60-70. L'Argentine est traversée par de multiples évolutions, politiques, sociales et économiques, qui sont en partie le reflet de mutations se produisant à plus petite échelle. Au centre de nos interrogations, en particulier, se trouve le rôle de l'État dans la production de la ville et dans la régulation des activités commerciales : comment les évolutions du secteur de la distribution sont-elles prises en compte dans les politiques urbaines ? Sous quel angle et avec quel éclairage aborder les modifications dans les rapports entre les acteurs institutionnels publics et les acteurs privés dans les pays d'économie libérale?

Les concepts sociologiques de stratégies et de systèmes d'acteurs peuvent nous aider à

formuler le rôle de chaque acteur dans le procès de production sociale de l'espace marchand et urbain, ainsi que celui de la dimension spatiale dans leurs stratégies. Nous verrons comment la question des acteurs et des structures a été abordée dans plusieurs contextes idéologiques différents (marxiste et organisationnel, en particulier), comment les réponses apportées éclairent notre problématique, et plus particulièrement, en quoi les théories de la gouvernance urbaine nourrissent le débat actuel sur la redéfinition des rôles respectifs de l'État et des acteurs économiques privés, conciliant démarche critique et approche pragmatique, et fournissant des éléments précieux pour l'analyse des politiques urbaines.

1. Le rôle des instances économiques et des logiques des acteurs

urbains dominants dans la sociologie marxiste des années 70 Les analyses de la sociologie de tendance marxiste des années 70 ont mis l'accent, d'une

part sur le rôle des structures, surtout économiques, d'autre part, sur celui des agents dominants de la production, en particulier, en ce qui concerne la production du cadre bâti, des promoteurs immobiliers. Dans l'analyse des logiques et des stratégies de la production des centres commerciaux, les promoteurs apparaissent en effet comme l'un des acteurs essentiels de celle-ci. Malgré leur orientation idéologique marquée, ces analyses qui ont porté directement sur les promoteurs, aident à comprendre les logiques sous-tendant le processus de

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production physique des centres commerciaux, et permettent d'analyser le phénomène de la promotion immobilière commerciale. En revanche, l'analyse marxiste accorde généralement une attention mineure aux logiques des consommateurs et des usagers et ôte toute autonomie aux logiques de l'État.

1.1. La logique dominante des producteurs

1.1.1. Systèmes d'acteurs et système urbain Les concepts d'acteurs et de système d'acteurs ne sont pas propres, au départ, à la

sociologie des organisations. Au contraire, certains sociologues de tendance marxiste les ont employés dans les années 70, mais dans un sens très différent de celui qui leur est attribué dans le paradigme organisationnel. Pour M. Castells, c'est en effet en partant du concept de système d'acteurs que l'on peut penser l'espace et les changements sociaux, et construire une théorie de l'urbain : "un système urbain suppose la conjonction entre un processus de production, un processus de consommation, une fonction d'échange et un processus de régulation, et donc un système d'acteurs" (Castells M., 1972 : 258). La théorie ainsi construite s'appuie sur l'analyse de situations historiques concrètes. Celle de "Monopolville" de M. Castells et de H. Godard, sur le site industrialo-portuaire de Dunkerque, est l'une des plus connues (Castells M., Godard H., 1974). L'urbain, pour M. Castells, est la forme spatiale dans laquelle s'articulent les processus de production, de consommation, d'échange et de régulation qui supposent l'existence d'un système d'acteurs (Castells M., op. cit.). Il est l'expression de la structure sociale, et se définit avant tout comme lieu de la consommation, c'est-à-dire, dans la terminologie marxiste, comme lieu de la reproduction simple et élargie de la force de travail, issue de la logique des processus d'accumulation. Chaque acteur collectif a une logique d'action spécifique, elle-même en interaction avec celle des autres acteurs dans les processus de production de l'urbain. Dans la logique du capital monopoliste, deux acteurs les dominent : les grandes entreprises et l'État. Le système urbain peut être compris à partir de la logique de la reproduction des différentes filières de la force de travail, elle même résultante de l'organisation des moyens de production provenant de la logique du capital en interaction avec la structure de classe (Castells M., Godard H., op. cit.).

L'approche marxiste des systèmes d'acteurs induit une critique très forte de la régulation

de type keynésienne. Ce sont la tendance généralisée à la baisse du taux moyen de profit, ainsi que la nécessité du maintien de celui-ci et les contradictions sociales issues des processus de production et d'urbanisation, qui expliquent les coalitions formées entre l'État et les grands groupes monopolistes : l'État intervient au stade monopoliste du capitalisme pour revaloriser le capital et pour contrer la baisse tendancielle des taux de profit. C'est là le sens

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de l'aménagement et de la planification du territoire. En prenant en compte les contradictions issues de l'urbanisation et les pressions exercées par la classe ouvrière, l'État cherche à réguler les intérêts de la classe dominante.

1.1.2. Un acteur urbain dominant : les promoteurs immobiliers C. Topalov a été l'un des premiers à avoir entrepris une étude des promoteurs

immobiliers8, acteur essentiel de l'urbain et élément central dans la production des centres commerciaux (1974). Les promoteurs sont en partie responsables de la ségrégation urbaine, mais, comme le précise X. Piolle (1979) qui consacre un chapitre de son ouvrage Les citadins et leur ville aux promoteurs privés, on ne peut attribuer toute la ségrégation aux promoteurs : si, dans un système capitaliste, leurs stratégies s'articulent toujours autour de la maximisation du taux de profit, il faut remonter aux mécanismes qui règlent la formation des prix sur le marché foncier, et plus largement aux politiques publiques. Les analyses de D. Harvey (1985) portant sur le rôle du capitalisme dans les processus d'urbanisation et sur la rente urbaine, s'appuient sur des prémisses similaires. En partant des conditions de la formation de la valeur et du taux de profit et de la vitesse de circulation du capital dans le temps et dans l'espace, ils étudient le rôle des acteurs dominants dans la production de l'espace urbain. C. Topalov s'intéresse spécifiquement au produit-logement, mais une partie de ses analyses a été reprise dans une thèse sur les promoteurs des centres commerciaux, même si celle-ci est beaucoup moins marquée par l'idéologie marxiste (Fournié A., 1982). Le logement, en particulier, demande une longue immobilisation des capitaux. La logique d'action des promoteurs est déterminée par la reproduction du capital. Augmenter la vitesse de rotation de celui-ci nécessite d'une part un approvisionnement continu en sols urbains, et d'autre part de fortes capacités de financement et de préfinancement, et donc l'intervention d'un capital financier dans les processus de construction. Le promoteur immobilier est donc l'agent "qui assure la gestion d'un capital immobilier de circulation dans sa phase de transformation en marchandise logement" (Topalov C., op. cit. : 17). Sa fonction recouvre quatre principales tâches : la mise à disposition du sol au capital (la recherche de terrains, l'une des phases essentielles de la réussite de l'opération), la programmation commerciale et la réalisation d'études de marché ("la définition d'un produit vendable", selon C. Topalov), la gestion technique et financière de l'opération (réalisation du tour de table, montage financier et "portage" de l'opération), et enfin, le cas échéant, la gestion du centre commercial après sa construction.

8 En dehors de cette étude sur les promoteurs immobiliers réalisée par C. Topalov pour le Centre de Sociologie Urbaine, une thèse a également porté sur le thème plus spécifique des promoteurs des centres commerciaux, s'inspirant en grande partie, au départ du moins, de l'analyse de celui-ci (Fournié A.,1982). On peut aussi citer l'ouvrage de J. F. Leroux-Dhuis sur les promoteurs immobiliers.

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L'apparition de la fonction du promoteur en milieu urbain correspond à plusieurs nécessités :

• l'approfondissement de la division technique et sociale du travail dans le processus de

production. L'intervention du promoteur permet en particulier de résoudre la contradiction entre les logiques divergentes de la propriété foncière et du capital commercial et industriel. La recherche de terrains disponibles est l'une des principales fonctions du promoteur. La division technique et sociale des fonctions assure également l'incorporation croissante de savoir-faire dans la construction ;

• le financement et le préfinancement à court terme et à long terme d'opérations plus

longues et plus complexes, qui font intervenir un nouvel acteur, les investisseurs et, dans les termes marxistes, d’un capital de circulation spécifique" (ibid., op. cit. : 17). La concentration du capital et l'intervention du capital financier dans le processus de construction suscitent de la part des investisseurs un intérêt renouvelé pour l'immobilier. La réalisation d'un "tour de table"9 permet de réunir investisseurs privés et institutionnels et de financer des programmes immobiliers de grande taille qu'un acteur individuel isolé n'aurait pas pu porter seul ;

• des nécessités d'ordre politique : l'articulation spécifique des rapports sociaux entre

l'État et les autres agents, dans un système de places, défini comme l'"état typique de l'articulation des fonctions sur des supports sociaux" (ibid., op. cit. : 248) à un moment donné, explique aussi le rôle du promoteur dans la production immobilière.

La spécialisation dans la promotion immobilière commerciale s'intègre dans une

stratégie de diversification des promoteurs dans la construction de centres commerciaux qui accompagnent des programmes plus vastes (logements, équipements de loisir, etc.) ; elle est liée à l'apparition de capitaux spécialisés qui cherchent dans la promotion commerciale un nouveau mode de valorisation et "la formation, sous le contrôle du promoteur, de valeurs d'usage complexes génératrices de surprofits de localisation assurés sans partage au capital de promotion" (ibid., op. cit. : 308). Les probabilités de taux de rentabilité élevés, au gré de la conjoncture, ont attiré les capitaux sur ce type d'investissements (Fournié A., 1988). Les

9 Le tour de table financier aboutit en France à la création d'une Société Civile Immobilière (S.C.I.), composée du promoteur et des différents investisseurs. La S.C.I. gère le capital pendant la construction et charge le promoteur de la réalisation du centre commercial dans le cadre d'une mission de maîtrise d'ouvrage déléguée.

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promoteurs spécialisés sont souvent des filiales de banques10, de groupes de construction11 et de distribution12.

À l'instar de l'étude de M. Castells sur les entreprises industrielles dans la région

parisienne (Castells M., 1975), C. Topalov montre comment les stratégies et les comportements des promoteurs, leurs politiques foncières et immobilières, sont déterminés, dans le système de la production immobilière et à l'intérieur d'un système de places, par trois types de variables :

• l'articulation entre les fonctions qui définit des sous-catégories de promoteurs, • l'articulation entre différents types de financement (part des capitaux propres, du

financement bancaire, des capitaux immobiliers) qui définit le système de financement et structure le type d'organisation des promoteurs,

• les conditions externes du marché. L'objectif des promoteurs est la maximisation de la rente urbaine, à travers la réalisation

de surprofits de localisation. Nous ne rentrerons pas dans les détails de la théorie de la rente urbaine différentielle, théorie réélaborée à partir de la théorie de la rente foncière de Marx (A. Lipietz, C. Topalov). Les surprofits localisés qui résultent de la différenciation spatiale des rentabilités pour un prix donné sont les régulateurs de la compétition spatiale des usages du sol urbain (Topalov C., 1990 : 177). Il existe, selon C. Topalov, différents types de surprofits :

• de conjoncture, lié à la hausse des prix, • d'innovation commerciale, lié à la nouveauté du produit, • d'urbanisation, lié à l'urbanisation d'une zone nouvelle, • d'anticipation sur la constructibilité d'une zone, qui donne lieu à la spéculation

foncière. Dans le secteur de la promotion immobilière, l'action des promoteurs a été rendue

possible par les nouvelles modalités de l'action publique (Topalov C., op. cit.). Les promoteurs se sont en partie substitués à l'État dans la production immobilière, en particulier de logements (aidés ou non), de deux façons : d'une part, en introduisant des dispositions favorables dans le système de financement, d'autre part en impulsant un aménagement

10 En France, la SEGECE est une filiale de la Compagnie Bancaire, Espace Expansion est une filiale du groupe Arc union, et la Société des Centres Commerciaux (SCC) est liée au groupe Suez. 11 En France, la GEREC est une filiale de Spie Batignolles, la SARI une filiale de la SARI-SEERI de Christian Pellerin, elle-même liée au groupe Générale des Eaux. 12 C'est surtout, au départ, une originalité française. Les chaînes d'hypermarchés ont en effet créé des sociétés immobilières chargées de la promotion de leurs centres commerciaux qui comprenaient un hypermarché et une galerie marchande. L'Immobilière de Carrefour possède et gère plus de 65 centres commerciaux. Le groupe Auchan mène ses opérations de promotion commerciale à travers sa filiale Immochan, et Casino avec Espace Aménagement (CECOD, 1993).

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concerté et intégré avec les promoteurs à travers la création de la procédure de la zone d'aménagement concerté (ZAC) de la loi d'orientation foncière (LOF) en 196713. En ce qui concerne la promotion immobilière commerciale, c'est l'intervention directe de l'État dans la réforme des circuits de financement de l'immobilier qui a encouragé l'activité de la promotion immobilière à partir de 1955, puis la diversification dans la branche des centres commerciaux, ainsi que le développement des hypermarchés. Les principaux instruments d'incitation ont été la création du crédit-bail, étendu à l'immobilier par l'ordonnance du 28/09/67 (Coquery M., 1977), et la mise en place d'avantages fiscaux accordés aux Sociétés Immobilières pour le Commerce et l'Industrie (S.I.C.O.M.I.) dont la raison sociale est la location d'immeubles à usage professionnel, souvent dans le cadre d'opérations de crédit-bail" (Fournié A., 1982 : 52). L'un des enjeux importants de l'aménagement concerté et intégré réside dans la libération du foncier et dans l'accès à des terrains à des coûts rendant la charge foncière supportable. L'État résout les contradictions issues du mode d'accumulation capitaliste en permettant la génération de surprofits de localisation (Topalov C., 1977 : 308). "L'urbanisme concerté succède au laisser-faire et à l'urbanisme administratif quand les agents capitalistes de la production sont à la fois dans l'obligation de maîtriser eux-mêmes la formation des valeurs d'usage urbain à un niveau de complexité supérieure, et dans l'incapacité de faire sans l'État (...). La planification urbaine n'est ni indicative, ni autoritaire, elle est monopoliste" (ibid., op. cit. : 316).

1.2. Limites et renouvellement de l'approche critique

Les études monographiques des sociologues urbains marxistes s'inscrivaient dans un

moule idéologique et conceptuel trop dogmatique et trop contraignant, sur lequel sont revenus, partiellement ou totalement, la plupart de leurs auteurs. Les critiques adressées à la sociologie urbaine marxiste des années 70 ne sont pas récentes : il ne s'agit là que d'un rappel. Un penseur comme H. Lefebvre avait déjà pris beaucoup de recul par rapport au dogmatisme et à l'orthodoxie marxistes, en mettant l'accent sur la dimension spatiale du capitalisme (1974) et en redonnant une place aux représentations, au rôle du langage dans la production du réel, aux logiques d'appropriation de l'espace (1968). À sa suite, de nombreux auteurs ont critiqué l'historicisme marxiste dominant.

13 Les procédures d'aménagement concerté ont facilité la production de terrains équipés et la construction de logements par le secteur privé, en favorisant des formules de financements mixtes, de participation au financement des équipements, en permettant des dérogations aux normes d'urbanisation grâce à des dépassements de coefficients des sols (COS) et des transferts de COS d'une parcelle à une autre, et en ayant recours à la procédure d'expropriation pour des raisons publiques.

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1.2.1. Les limites de l'analyse marxiste de l'urbanisation a) Sur le concept d'acteurs : les limites d'un déterminisme trop étroit - Le rôle des structures Si M. Castells et C. Topalov ont recours aux concepts d'acteurs et de systèmes d'acteurs,

c'est plus dans le sens marxiste d'agents sociaux, d'agents-supports des rapports sociaux. Les agents sociaux sont en effet des agents collectifs dont les rapports sociaux sont déterminés par les rapports de production, l'économique déterminant en dernière instance le social, dans un contexte historique caractérisé par un rapport de forces spécifique entre les différents agents sociaux. Les relations d'interaction / rétroaction et les stratégies interdépendantes des acteurs / agents sont loin d'être arbitraires : elles véhiculent toute la charge structurelle des rapports sociaux et de leur articulation dans une situation historique concrète. Ce ne sont pas tant les décisions des acteurs qui expliquent le fonctionnement du système et le changement social, mais les conflits et les contradictions à l'intérieur du système d'acteurs et du système urbain. La construction d'une typologie des acteurs, à partir de l'articulation entre leurs fonctions et leur organisation interne (plutôt qu'externe) constitue un outil d'analyse de leurs politiques spatiales et économiques en vue de l'élaboration d'une théorie (Castells M., 1975 ; Topalov C., 1977). Elle repose sur un déterminisme trop étroit du comportement des acteurs. L'outil typologique doit être plus évolutif et moins rigide.

Dans tous les cas, les hypothèses centrales sur lesquelles s'appuient les auteurs critiques

de la recherche urbaine dans les années 70 sont celles du matérialisme historique, et la dialectique est l'outil privilégié de l'analyse et de la compréhension du réel. Toute société ou formation sociale est comprise à partir de l'articulation historique entre plusieurs modes de production d'une part, et de la lutte des classes d'autre part.

- Le sens de la domination De plus, les analyses structuralistes s'inscrivent dans un paradigme de la domination,

au-delà du débat très idéologique autour des écrits de L. Althusser, N. Poulantzas ou E. Balibar. En effet, pour les uns (dont M. Castells), l'économique détermine en dernière instance le social et le politique, et pour les autres (dont J. Lojkine), le politique est la structure déterminante dans l'analyse des processus de domination, l'État étant un simple instrument aux mains de la classe dominante et l'étude des mécanismes de domination étant inséparable d'une sociologie politique. L'État est dans tous les cas nécessaire à la reproduction de l'ordre économique, social et politique.

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Mais l'État n'est-il que l'instrument de la domination d'une classe sur l'autre ou le

vecteur de la réduction des contradictions issues du mode de production capitaliste ? La sociologie politique nord-américaine a apporté des réponses différentes en s'appuyant également sur des études de cas concrets. Les classes, le capital, et dans le cas qui nous intéresse, les promoteurs, sont-ils des acteurs / agents homogènes ? Ne sont-ils pas eux aussi divisés par des intérêts et par des stratégies divergentes, qui vont au-delà d'un simple déterminisme de classes ?

En ce qui concerne les centres commerciaux : • les promoteurs diffèrent de par leur poids, leur degré d'influence, et les stratégies qu'ils

adoptent. Les formes, les caractéristiques et la localisation de leurs centres commerciaux seront fonction de ces critères ;

• les distributeurs se différencient en fonction de leur taille et de leur statut juridique (grande distribution / petite distribution, etc.), mais surtout du degré de modernisation ou d'archaïsme de leurs établissements, en particulier au sein du sous-groupe des commerçants indépendants, de plus en plus hétérogènes ;

• l'État est un acteur hétérogène, se divisant entre acteurs nationaux, municipaux et entités publiques dotées de degrés d'autonomie variés, dont les intérêts peuvent être conflictuels ;

• les usagers se distinguent aussi en fonction de leurs pratiques et du sens de celles-ci, elles-mêmes en partie relative à leur appartenance à différents groupes sociaux.

- Réduction du sens et de la portée des consommations individuelles et des pratiques

urbaines. L'analyse marxiste des pratiques urbaines se faisait essentiellement sous l'angle des

mouvements sociaux, plus particulièrement de la marginalité dans la sociologie latino-américaine. Les dimensions anthropologique et culturelle des pratiques urbaines et des pratiques de consommation, comme facteurs de différenciations, étaient ignorées. Le culturel était abordé comme le politique dans sa relation dialectique avec l'infrastructure, les rapports de production étant toujours déterminants.

Quant à la consommation individuelle, processus de reproduction de la force de travail,

et à la consommation collective, processus historique de socialisation étatique, elles n'étaient jamais comprises comme une pratique autonome, mais toujours dans l'opposition, au sein des rapports de production, entre la propriété et l'appropriation réelle. Les consommations individuelles des classes "dominées" sont manipulées par les idéologies consommatoires, et

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celles des classes "dominantes" bourgeoises se réduisent à une consommation de luxe (Préteceille E. et al., 1975). L'analyse de la consommation se limite essentiellement à montrer en quoi les pratiques de consommation reflètent des situations de classe et quelle est la place que ces classes occupent dans le rapport de production, la marchandise étant la forme dominante de circulation du capital social. Nous reviendrons plus loin sur ces points.

1.2.2. Renouvellement de l'approche critique Le paysage idéologique et politique mondial a changé, et la géographie critique s'est

renouvelée et a trouvé un nouveau souffle. Si des concepts comme celui de lutte des classes entre le capital dominant et le prolétariat dominé ont été abandonnés, les exigences d'une géographie critique dans un cadre conceptuel en évolution demeurent. Le déclin de l'État-Providence, la crise économique structurelle, la montée généralisée du néolibéralisme les ont fait largement avancer. Le matérialisme historique reste le moteur de l'analyse : au stade du capitalisme monopoliste, a succédé un troisième stade, celui du capitalisme tardif d'E. Mandel, dont la logique de domination est étendue à la culture et aux consommations culturelles (Jamenson F., 1991). En particulier, l'école géographique néomarxiste nord-américaine (D. Harvey D., E. Soja) a essayé de comprendre les mutations économiques, politiques et culturelles contemporaines, et de voir en quoi les changements dans l'organisation de l'espace reflète le passage d'un mode de production fordiste à un mode de production postfordiste. Elle milite pour une géographie critique qui aille au-delà du discours postmoderne sur la fragmentation, et essaie de saisir le rôle de la spatialité dans les restructurations spatiales, économiques et culturelles de la deuxième moitié du XXème siècle, ainsi que le sens du nouvel espace produit par le "capitalisme tardif".

De nombreux auteurs ont nuancé le fonctionnalisme et le déterminisme souvent latents

à leurs analyses : par exemple, les études sur la ségrégation dans la localisation des équipements collectifs de M. Pinçon-Charlot, E. Préteceille et M. Rendu (1986), prennent mieux en compte les différenciations spatiales et sociales des pratiques urbaines. La dénonciation systématique du marché, des effets aliénants de la société de consommation et de la détermination de la demande par l'offre sous le double impact de la publicité et du crédit, a été surestimée, même s'il est vrai que les besoins sont en partie construits par la publicité, et que les représentations proposées par les acteurs "dominants" de la distribution, influent mais ne déterminent pas les comportements des consommateurs (Boyer R., 1993).

Les tâtonnements idéologiques des années 70 ont en tout cas permis de poser certaines

questions : la logique du capitalisme explique en grande partie les phénomènes d'urbanisation. En outre, les théories ont permis de dénoncer certains excès dans des situations historiques

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concrètes, de décrypter le sens du discours et des politiques urbaines (Pinçon-Charlot M. et al., op. cit.) : par exemple, les pratiques discrétionnaires issues de l'aménagement concerté et les pratiques spéculatives des promoteurs immobiliers. C. Topalov a en particulier montré que les surprofits d'innovation commerciale pouvaient donner lieu à des pratiques spéculatives.

Certes, l'espace est une transcription active des organisations sociales et économiques

dans le cadre d'un mode de production déterminé (Hérin R., 1984 : 154), même si les instances économiques ne sont pas absolument déterminantes et si l'espace n'est pas le pur reflet ou la seule projection des rapports sociaux et des logiques capitalistes d'accumulation et de reproduction tant du capital que de la force de travail (Lipietz A., 1983 : 23). Les choix de localisation des centres commerciaux sont-ils liés à la place de chaque entreprise à l'intérieur de la division économique et sociale du travail, et les politiques spatiales des promoteurs et des entreprises sont-elles uniquement déterminées par les logiques de valorisation du capital financier ? Tout en partant d'études de cas concrets, les marxistes ont postulé la domination a priori d'un groupe sur un autre, ou la détermination du social et du politique par l'économique. Les déterminants économiques jouent un rôle, certes, mais plus à une échelle macro-économique. Le détour par le paradigme organisationnel ne signifie pas l'abandon de toute démarche critique. Au contraire, les deux peuvent s'enrichir de façon tout à fait bénéfique, et l'un venir nuancer l'autre.

2. L'approche organisationnelle : systèmes d'acteurs, jeux et espace

local Les concepts d'acteur, de système d'acteurs, et de stratégie peuvent efficacement

souligner les logiques qui sous-tendent la production sociale de l'espace, en rejetant le déterminisme fréquent des analyses marxistes, mais sans tomber dans un fonctionnalisme ou dans un psychologisme décisionnel excessifs. Les ouvrages de M. Crozier et d'E. Friedberg, L'acteur et le système (1977) et celui, plus récent, d'E. Friedberg, Le pouvoir et la règle (1993) ont guidé notre analyse. Ce dernier insiste dès le début sur la compatibilité possible entre les deux lectures contemporaines de la régulation qui mettent en évidence d'une part l'échec d'une régulation de type keynésien, et d'autre part une régulation par le pur marché. L’intérêt de l’analyse organisationnelle et de l’approche par les stratégies est de trouver un juste milieu entre l’action comme mise en œuvre de la liberté individuelle et “ le caractère contraint et structuré de l'action collective" (Crozier M., Friedberg E., 1977 : 122). L'analyse organisationnelle propose d'étudier les effets des structures (politiques, culturelles, économiques) dans les comportements empiriques des acteurs.

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2.1. Analyse organisationnelle et stratégies socio-spatiales 2.1.1. Les acteurs et leurs stratégies Le concept d'acteur social se différencie de celui d'agent social ou d'agent économique,

en mettant l'accent non plus sur le rôle déterminant des structures et du matérialisme historique ou sur le marché sans acteurs de la théorie libérale, mais sur le contexte d'action. Il ne s'agit pas d'étudier les acteurs dans leurs interactions quotidiennes et immédiates, ce qui, dans la perspective goffmanienne de l'interactionnisme symbolique, tendrait vers une autonomisation de l'acteur par rapport à son environnement, mais au contraire de voir comment les interactions sociales entre les acteurs dans leur rapport à leur environnement, participent à la construction de l'espace marchand, de l'espace social et plus largement de l'espace urbain. L'espace, les caractéristiques sociales et culturelles locales, la structuration et le jeu politiques locaux, sont des éléments de ce contexte. Le jeu est un construit humain, contingent, élaboré pour régler la coopération entre les hommes, lié aux modèles culturels d'une société (ibid., op. cit. : 113). L'action n'y est plus comprise en termes d'adaptation de moyens à des fins rationnelles et objectives, comme dans la conception classique, mais en termes de stratégies dont les limites et la finalité sont beaucoup plus floues. Les politiques publiques, en particulier, sont un ensemble de stratégies coordonnées avec un objectif général à plus ou moins long terme. Elles se construisent à travers les interactions, les régulations et les rétroactions successives entre les stratégies des acteurs, et la régulation surgit elle aussi dans les négociations entre les acteurs dans la mise en place de processus de partenariat (Gaudin J. P., 1993, à propos des politiques urbaines). Les stratégies (politiques, économiques, socio-spatiales) peuvent répondre à des motivations premières ou secondes, conscientes ou inconscientes, dont la finalité est plus ou moins bien identifiée. Le discours et le langage relèvent aussi de la mise en œuvre de stratégies.

2.1.2. Rationalité limitée et contrôle de l'incertitude : l'insuffisance des hypothèses culturaliste et économiciste Les concepts de rationalité limitée (Simon H. et March J.G., 1964) et de contrôle de

l'incertitude (Crozier M. et Friedberg E., 1977) développés par la sociologie des organisations éclairent non seulement le comportement des acteurs, leurs pratiques et leurs stratégies, par rapport à un modèle central d'action, mais aussi les comportements résiduels qui s'éloignent le plus de ce modèle. Il permet de comprendre les stratégies des acteurs, par rapport à un modèle économiciste de rationalité absolue et a priori, de compréhension du comportement des

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acteurs à partir de la maximisation de leurs utilités (par exemple en ce qui concerne les modèle de préférences des consommateurs ou les décisions de localisation des entrepreneurs), et par rapport à un modèle d'action occidentalo-centriste. Ces remarques s'appliquent aux pratiques urbaines et aux modes de consommation comme aux stratégies d'action des acteurs institutionnels et économiques. Certes, l'économique ne suffit pas à rendre compte de la complexité des interactions entre les espaces et les sociétés, et le culturel et le psychologique constituent des facteurs de différenciation qui justifient l'intérêt des analyses particularisantes (Claval P., 1973), mais l'hypothèse culturaliste ne suffit pas plus à saisir à elle seule les spécificités locales du transfert de l'innovation commerciale, et donc des pratiques et des stratégies des acteurs.

Les facteurs culturels ne sont donc pas nécessairement prédominants dans l'évolution

des formes commerciales et des stratégies socio-urbaines. Le transfert d'une innovation, qu'elle soit commerciale, technologique ou autre, ne se fait pas sans un minimum d'adaptation au contexte et à la culture locaux. Chaque lieu est unique, fondamentalement différent des autres, mais il contient aussi du global et du mondial, de même que le local vient donner un visage à une forme spatiale et commerciale "universelle". Mais, comme le fait remarquer M. Santos, il est plus fécond de reconnaître les effets de la surimposition du mondial sur le local que d'étudier les multiples différenciations locales du mondial qui n'aide en rien à comprendre les mutations de la ville en Argentine, et plus largement en Amérique latine (Santos M., 1984). Il faut donc dépasser cette problématique qui, finalement, n'apporte pas grand chose, ou du moins, la reformuler autrement. De même, les résultats apparemment irrationnels de l'action et les dysfonctionnements du marché des centres commerciaux peuvent avoir des origines culturelles, mais ils proviennent des structures des jeux qui induisent et régulent les stratégies des acteurs.

Aussi M. Crozier et E. Friedberg préfèrent-ils parler de culture en action, car elle n'est

pas seulement un "univers de normes désincarnées et de comportements figés" (op. cit. : 207), mais un système signifiant, un ensemble de capacités cognitives et stratégiques, qui orientent les représentations, et, partant, les comportements des groupes et des individus, donnant un sens aux modes de vie. La culture est peut-être un "facteur" d'explication, mais elle est surtout une médiation. Elle se concrétise dans les stratégies des acteurs en orientant l'action des individus ou des groupes sociaux, et se matérialise dans l'espace. En particulier, elle matérialise l'échange économique et commercial.

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2.2. Le concept de systèmes d'acteurs dans la sociologie organisationnelle

2.2.1. La place du local dans les stratégies interdépendantes des acteurs L'intérêt du paradigme actionniste et de l'approche organisationnelle est de mettre en

valeur l'importance des stratégies des acteurs et le rôle de l'espace local (contexte contingent et particulier) dans la construction de la réalité socio-spatiale. Les caractéristiques sociales locales, celles des groupes "dominants", la nature des interactions entre les acteurs économiques, les acteurs institutionnels et les usagers, sont des variables essentielles pour expliquer les traits particuliers de la modernisation du commerce et le sens de l'apparition des centres commerciaux à Buenos Aires. M. Crozier et E. Friedberg mettent l'accent sur l'importance du système d'action local, défini comme un "ensemble humain structuré qui coordonne les actions de ses participants par des mécanismes de jeux relativement stables et qui maintient sa structure, c'est-à-dire la stabilité de ses jeux et les rapports entre ceux-ci, par des mécanismes de régulation qui constituent d'autres jeux" (Crozier M., Friedberg E., 1977 : 286). Les stratégies des acteurs se construisent dans leurs interactions, en fonction des atouts et des contraintes offertes par l'environnement, des règles du jeu local, des contraintes sociales, politiques, culturelles et économiques locales. Un acteur (social, urbain) se décide en fonction des objectifs qu'il s'est peut-être fixé, mais aussi du comportement des autres acteurs et de ses propres représentations de l'espace et de la société. Un système est un ensemble plus ou moins ouvert, réglé, constitué de sous-systèmes interdépendants en interaction permanente, la transformation d’un élément entraînant la modification de l’ensemble, mais assurant une relative permanence. La notion de système d'acteurs, prise comme outil méthodologique, met l'accent sur les interactions entre un espace local et des acteurs, ainsi qu'entre les acteurs eux-mêmes, dont les stratégies sont interdépendantes. Elle signifie l'interdépendance entre les éléments du système, chacun contribuant au maintien et à la transformation de l'ensemble qu'ils constituent, ainsi qu'à la régulation des rapports que cet ensemble entretient avec son environnement (Grafmeyer Y., 1994).

Il est vrai que la notion de système peut présenter l'inconvénient épistémologique de

laisser de côté les acteurs sociaux concrets et d'en faire des êtres dotés d'une rationalité économique (Jalabert G., 1990 : 8), mais ici, l'espace n'est pas pensé comme un système autonome, ni même comme un acteur ou comme un "système spatialisé", pas plus que la société ne constitue un système parfaitement fermé. Le recours à la notion de système permet d'approfondir tout type d'explication causale, sans simplifier les phénomènes et les mécanismes (Jalabert G., op. cit.), de considérer l'articulation entre les logiques et les stratégies des acteurs, ainsi que celle entre les différentes instances économiques, sociales,

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culturelles et politiques. Le système n'est pas naturel, il n'est pas dans l'espace ou dans les êtres. La notion de système ne doit donc pas être prise dans son acception cybernétique ou thermodynamique, où le système est un ensemble naturel capable d'auto-organisation et d'auto-régulation, ni même dans son acception fonctionnaliste dans laquelle l'ensemble social est un système composé de sous-systèmes, politique, économique, social, articulés et finalisés par rapport au fonctionnement de l'ensemble (T. Parsons). Les approches cybernétique, thermodynamique et fonctionnaliste de la notion de système, ignorent la dimension stratégique de l'action.

Le système est considéré dans une perspective organisationnelle comme la structuration

du contexte d'action. C'est un construit social. Les notions d'interdépendance stratégique et de structuration des interactions dans un espace et un contexte locaux sont ici essentielles. Il faut alors se pencher d'abord sur les stratégies des acteurs, et non sur le rôle des structures dans la détermination de l'action : "la réflexion organisationnelle cherche à étudier les processus par lesquels sont stabilisées et structurées les interactions entre un ensemble d'acteurs placés dans un contexte d'interdépendance stratégique" (E. Friedberg, op. cit. : 15). Les logiques économiques, politiques, sociales et spatiales des acteurs (de production, d'appropriation, de régulation), celles des producteurs axées sur les stratégies de localisation et d'accumulation, celles des usagers, celles des acteurs publics, s'affrontent, se juxtaposent ou se complètent. Elles sont interdépendantes, et l'interdépendance de l'action définit un système d'acteurs. L'espace, selon les acteurs, est doté d'une valeur différente : simple support des activités dans les stratégies de production, valeur d'usage dans les stratégies d'appropriation, enjeu ou symbole dans les stratégies de domination, etc.

2.2.2. Les mécanismes de la régulation Dans le paradigme organisationnel, ce sont les acteurs qui participent eux-mêmes à la

régulation, et qui, à travers leurs interactions, structurent le contexte d'action. Être acteur, c'est participer à la régulation du système. La régulation est en partie endogène (l'interaction sociale) et en partie exogène (les mécanismes du marché et l'adaptation aux règles du marché). Premièrement, le marché pur, totalement libre n'existe pas dans la réalité : c'est une construction théorique. Il n'y a donc que des marchés concrets qui fonctionnent selon certaines règles. Deuxièmement, les acteurs, quels qu'ils soient, utilisent les dispositifs spatiaux et institutionnels, les transforment, les détournent,les manipulent, s'adaptent aux diverses contraintes de l'environnement et utilisent les opportunités offertes par ce dernier. S'interroger sur le système d'acteurs, c'est s'interroger sur sa manière d'utiliser les dispositifs existants (ibid., op. cit. : 209). L'un des intérêts de l'introduction de l'approche organisationnelle dans l'étude de la régulation dans la construction de l'espace, c'est d'une part

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qu'elle accorde un rôle autonome aux pratiques de consommation et aux pratiques socio-spatiales, et d'autre part qu'elle recadre le rôle de la régulation socio-institutionnelle.

• Les usagers et les consommateurs n'ont pas de stratégies collectives (sauf dans

quelques cas d'associations de consommateurs) mais ils participent aussi à la régulation socio-spatiale pour deux raisons : d'abord, en tant que consommateurs, dans le fonctionnement des centres commerciaux par exemple, ils sont l'une des chevilles du marché, parce que le retour sur investissement des centres commerciaux est lié au montant total des loyers, composé d'une base fixe et d'un second loyer, pourcentage prélevé sur les ventes, et que sa rapidité dépend donc de ce dernier14 ; ensuite, la pratique sociale joue un rôle fondamental dans la construction de l'espace et dans les interactions entre l'espace et la société (Isnard H., 1978). Les logiques d'appropriation de l'espace ne sont pas un simple décalque des logiques de production : les premières infléchissent les secondes. Tous les effets des stratégies socio-spatiales des usagers ne sont pas prévus par les producteurs (Rémy J, Voyé L., 1974). Les pratiques surgissent en effet d'une confrontation entre les représentations individuelles et collectives, les images et les comportements des différents groupes sociaux.

• Si le pouvoir est au cœur de toute relation, car, comme le rappelle C. Raffestin à la

suite de M. Foucault, "toute relation est le lieu de surgissement du pouvoir et cela fonde la relation multidimensionnelle du pouvoir" (Raffestin C., 1980 : 46), il est l'un des mécanismes de la régulation, et pas seulement un moyen de domination d'un groupe sur un autre. Il ne s'agit pas, comme le rappelle E. Friedberg, de "diaboliser" le pouvoir, mais de l'admettre comme l'un des enjeux possibles des stratégies des différents acteurs. Les stratégies des acteurs institutionnels et économiques peuvent obéir à une rationalité économique mais aussi politique. Les relations concrètes de pouvoir ne se calquent pas purement sur les rapports de force, ni sur la division technique et sociale à l'intérieur d'une organisation. Le pouvoir "médiatise et régule les échanges de comportement indispensables au maintien, voire à la réussite d'un ensemble humain par la coexistence d'acteurs relativement autonomes et développant des rationalités d'action limitées" (Friedberg E., op. cit. : 257).

Partant d'interrogations similaires sur les politiques urbaines et sur le rôle de l'État, les

sociologues des organisations ont ainsi apporté des réponses très différentes des tenants d'un courant de pensée marxiste. Les deux courants utilisent les mêmes concepts, dans un cadre idéologique très différent : acteurs, systèmes d'acteurs, stratégies renvoient à une théorie de la décision pour les sociologues des organisations, et au structuralisme pour les sociologues marxistes. Pour les premiers, le primat de l'autonomie individuelle est indiscutable, tandis que, pour les seconds, le poids des structures, en particulier des structures économiques, rend

14 C'est la pratique la plus courante en Argentine, malgré des débuts balbutiants.

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la décision illusoire. Le rôle central accordé aux structures économiques dans l'action est-il pour autant de type déterministe ? Il semble qu'en s'étoffant, la problématique organisationnelle ait mieux pris en compte le rôle des "structures" dans la construction de l'action et des systèmes d'action locaux. En tout cas, l'approche organisationnelle est peut-être plus nuancée que dans la présentation qu'en faisait J. Lojkine, en s'opposant aux théories de M. Crozier (Lojkine J., 1977). De même, la géographie critique, tout en insistant sur le rôle déterminant des mutations économiques, s'est enrichie, et a en grande partie abandonné son dogmatisme rigide des années 70. Système et contradiction ne sont pas nécessairement incompatibles, et des auteurs comme G. Di Méo ont essayé de montrer la richesse qui peut surgir de la complémentarité entre une approche systémique et l'utilisation de l'outil dialectique (Di Méo G., 1991). L'analyse par les stratégies d'acteurs peut nous servir efficacement : d'un côté, pour insister sur le rôle essentiel des promoteurs dans le processus de production de l'espace physique et social, sur l'impact des logiques économiques et financières de valorisation du capital sur l'espace, sur le rôle, essentiel mais non déterminant, des instances économiques dans l'urbanisation ; de l'autre, pour mettre en valeur la place du local et des stratégies interdépendantes des acteurs commerciaux, non seulement des promoteurs, mais aussi des acteurs publics et des usagers, qui, eux aussi, par leurs comportements et leurs stratégies, participent à la production sociale de l'espace. Appliquée à la géographie commerciale, elle permet de mettre l'accent sur la façon dont les acteurs institutionnels et privés déploient leurs stratégies dans l'espace et sur la façon dont ils utilisent l'espace. "L'espace est objet d'enjeux. Il est en permanence façonné et remodelé par les jeux des acteurs, en même temps qu'il oriente et contraint en partie ces jeux" (Brunet R., 1986 : 299).

3. Les théories du régime urbain et de la gouvernance urbaine

Si, au départ, la sociologie des organisations s'est surtout intéressée à l'étude de

l'entreprise et de l'administration, le paradigme organisationnel a fait évoluer l'analyse des politiques urbaines, en insistant sur l'importance de l'espace local dans la structuration de l'action et dans l'émergence de politiques locales urbaines, sur les processus de construction du partenariat au sein de réseaux d'acteurs, et sur le contenu des politiques urbaines dans des contextes organisationnels (culturel, institutionnel, politique, économique) particuliers.

3.1. Régime urbain et gouvernance urbaine

La sociologie organisationnelle a souligné d'une part le rôle des mécanismes de

coopération et de négociation informels dans la mise en place de celles-ci, d'autre part le nécessaire rapport entre les deux pôles antinomiques du social et de l'économique dans la

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politique urbaine. La politique urbaine est un processus d'interaction entre plusieurs acteurs dont les intérêts sont, au départ, potentiellement conflictuels. Aux États-Unis comme en Europe, les stratégies d'alliance entre le public et le privé ont fait émerger de nouveaux acteurs urbains, favorisant des mouvements de concentration financière et une politique de diversification de leurs activités, allant de la construction aux services urbains (de Campagnac E., 1992) : les banques, les compagnies d'assurances, mais surtout les promoteurs immobiliers, les developers, les grands groupes de construction. L'approche des politiques urbaines s'inscrit dans une théorie de la gouvernance, concept par ailleurs utilisé par les chercheurs de l'École de la Régulation pour étudier les relations organisationnelles au sein de l'entreprise, et qui désigne au sens large l'ensemble des rapports entre l'État et la société civile formalisés dans des réseaux relativement stables. En France, à la suite des mesures décentralisatrices, le concept de gouvernance s'enracine dans une théorie renouvelée du local, tandis qu'aux États-Unis, elle s'articule plus autour des concepts de régime urbain et de coalitions d'intérêt ou de croissance. Des politiques manageriales qui visaient à réduire l'endettement public des municipalités en mobilisant les acteurs locaux et à rationaliser les services en les privatisant, les maires sont passés à des politiques entreprenariales dont l'enjeu était d'augmenter la richesse fiscale de leur commune, de lutter contre le chômage et de positionner les villes dans le nouvel ordre international (Le Galès P., 1993 ; Harvey D., 1989). Dans tous les cas, ce sont les questions de la faisabilité et du développement économique, de l'efficacité / efficience des politiques urbaines, et donc de gouvernance, qui étaient en jeu.

Le concept de régime urbain, défini comme un ensemble d'arrangements informels qui

permettent la gouvernance15 a contribué à montrer comment, dans un système où le pouvoir local est faible, dans un contexte d'autorité limitée et dispersée comme aux États-Unis, et dans un modèle économique néo-libéral, les arrangements informels et la coopération entre les acteurs publics et privés favorisent l'émergence de coalitions gouvernantes relativement stables (Stone C. N., 1989). L'absence de ressources financières, plus marquée dans le contexte nord-américain, rendait en effet la gouvernance impossible. Bon nombre de grandes villes nord-américaines se sont retrouvées enlisées dans une crise financière inextricable, en "ciseaux". D'une part, la baisse des ressources locales étaient dues à l'exode des populations aisées et des classes moyennes vers la banlieue et à l'augmentation des dépenses sociales des villes-centres en voie de paupérisation. D'autre part, elle s'expliquait par la diminution des ressources fédérales sous les gouvernements Reagan et Bush, notamment par l'abandon de programmes d'État et par la suppression de fonds de subventions, comme ceux de l'UDAG (Urban Development Action Grant) créés par l'administration Carter en 1978, afin de

15 Pour citer directement C. N. Stone: un régime urbain est "the informal arrangements by which public bodies and private interests function together to make and carry out governing decisions. There are three elements in this definition: (1) a capacity to do something ; (2) a set of actors who do it [coalition gouvernante] ; (3) a relationship among the actors that enables them to work together [informelle] (Stone C. N., 1989 : 179).

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développer des projets urbains dans le Central Business District et d'y attirer les capitaux privés. L'investissement privé apparaissait comme l'une des seules alternatives possibles au déficit public et à l'absence de ressources, pour financer le développement urbain et relancer les centres-villes. La notion élargie de "coalition de croissance" (growth coalition), qu'utilise M. Keating, élargit le partenariat aux acteurs nationaux et internationaux, notamment dans le cas des villes de rang international, où les enjeux ne sont pas purement locaux (1991).

3.2. Intérêt et précautions d'emploi de la théorie de la gouvernance urbaine

L'un des enjeux de l'analyse de C. N. Stone est de proposer une nouvelle approche des

pouvoirs urbains qui dépasse les approches élitiste, pluraliste et marxiste, en modérant le pragmatisme économique de théories trop utilitaristes par une approche critique. Celui-ci pense en effet qu'aucune d'entre elles ne permet de comprendre la façon dont se sont mises en place les politiques urbaines et dont a été assurée la gouvernance dans certaines villes nord-américaines16. Il ne s'intéresse pas tant à la question de savoir qui gouverne, mais aux mécanismes de construction des régimes urbains et des coalitions gouvernantes. Les théoriciens de la gouvernance urbaine n'abandonnent cependant pas les questions de sociologie politique et n'ignorent pas la nature des rapports entre pouvoir économique et pouvoir politique, entre privé et public.

3.2.1. Les conditions de l'apparition d'un régime urbain Plusieurs conditions doivent être réunies pour qu'apparaisse un régime urbain, et C. N.

Stone précise bien qu'on ne peut pas extrapoler les typologies empiriques des régimes urbains construites à partir de l'étude de cas concrets que ce soit aux États-Unis ou en Europe. Les résultats de l'analyse sont historiquement situés.

- Chaque pays a en effet une structure institutionnelle, des politiques nationales et des

systèmes de partis différents. Il est possible d'établir des critères de différenciation entre des types de coalitions urbaines et le contenu / l'orientation des politiques urbaines (Stone C. N., 1993 : 18).

16 C. N. Stone s'oppose aux conceptions marxiste, élitiste et pluraliste du pouvoir qui reposent toutes sur une vision du pouvoir-domination ou du pouvoir-contrôle social (1993), en particulier à celle de C. W. Mills sur les élites politiques, à la théorie des 3C (complot, cohérence et conscience de groupe) de W. Pareto, et critique le modèle polyarchique de R. Dahl (1961). Pour ce dernier, le pouvoir est un attribut et provient de la compétition entre plusieurs groupes de l'élite (oligarchie / entrepreneurs, anciennes / nouvelles élites). Il fonde une théorie du politique comme agrégat des préférences individuelles, l'autorité étatique étant légitimée par le mécanisme des élections libres et par le vote démocratique.

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- Les caractéristiques des groupes nationaux ou locaux "dominants" sont essentielles pour comprendre le contenu et les formes des politiques urbaines, les architectures locales et le jeu des acteurs, comme l'a montré P. Le Galès à partir de deux exemples français et anglais, les villes de Rennes et de Coventry, où les couches moyennes urbaines du secteur public ont été les instigatrices actives de la mise en place de coalitions et partant, de politiques urbaines efficaces (Le Galès P., 1993).

- L'utilisation des atouts et des contraintes du contexte d'action, la constitution de

réseaux relativement stables, qui dépendent du pouvoir de chaque acteur, sont les figures fondamentales de la coopération entre acteurs. Le pouvoir des acteurs, leur marge de liberté d'action, et leur capacité à influencer et à infléchir les décisions des autres acteurs, ont plusieurs sources différentes. Les typologies existantes sont nombreuses et sont souvent des variantes de celle, très générale, de M. Crozier et E. Friedberg E. (op. cit.). Les principales variables sont :

• la maîtrise de l'information et des sources d'information, • la capacité à constituer des réseaux (relationnels, professionnels et politiques) ou à s'insérer dans des réseaux existants, à coopérer, à négocier, à établir des contacts, dans un espace local donné, • la capacité d'expertise et la détention d'une spécialisation, • la capacité d'utilisation des règles organisationnelles. La coopération est un construit social. Elle ne va pas de soi et appelle donc

l'apprentissage d'un savoir-faire afin de pouvoir changer les comportements des acteurs, ainsi que l’analyse approfondie de la nature des problèmes urbains et de leurs solutions possibles (Keating M., op. cit. : 203). Chaque acteur doit pouvoir retirer de la coopération des gains individuels ou collectifs, matériels ou autres17.

3.2.2. La question de la légitimité du pouvoir Si, dans la théorie de la gouvernance urbaine, comme dans les théories

organisationnelles, le pouvoir est une capacité concrète d'organiser la coopération afin de construire une action collective, la mise en place de coalitions gouvernantes est liée à la faiblesse du pouvoir municipal. Dans ce contexte, la coopération permet de surmonter les conflits entre les acteurs et d'assurer la gouvernance. C. N. Stone oppose ainsi "the social production model of power" au "social action model of power", pouvoir-action et pouvoir-domination (Stone C. N., 1993). La question de la légitimité dans le politique est néanmoins

17 C. N. Stone n'exclut pas comme moyen d'influence le recours à des pratiques illicites, dessous-de-table et autres formes de corruption, mais il souligne qu'à Atlanta, ces stratégies n'ont pas existé (op. cit.).

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essentielle, et les notions de réseaux et de partenariat ne doivent pas gommer l'idée que les rapports de force et les déséquilibres sont implantés au cœur des relations de pouvoir.

La régulation est constituée de l'ensemble des jeux qui structurent et construisent

l'action, d'un ensemble de règles formelles et informelles : d'un côté, les lois et les réglementations qui ne sont que la partie visible de l'iceberg, et de l'autre, des processus d'échange et de négociations informels, de pratiques collectives qui détournent les règles formelles et permettent, souvent à travers des mécanismes de régulation croisée, le bon fonctionnement du système. La régulation socio-institutionnelle ne constitue donc que l'un des aspects de la régulation du système. La place des éléments formalisés, le degré de formalisation de la régulation, les garanties des mécanismes informels qui règlent le jeu politique et permettent la gouvernance, la nature des avantages matériels ou non matériels que retirent les acteurs de la coopération, le statut de la collusion (ouverte ou non) sont essentiels car ils instituent une légitimité (Friedberg E., op. cit. : 153). La mise en place d'un partenariat actif suppose un certain degré de conscience de la part des participants : "le partenariat pose des questions importantes de responsabilité, de démocratie et de contrôle" (Keating M., 1993). Les questions d'éthique et de légitimité ne doivent donc pas être gommées. L'intégration collective de l'action des acteurs économiques suppose un minimum de consensus social sur des objectifs communs et surtout une certaine stabilité qui dépend du jeu politique, de la volonté et des parties engagées dans la coalition. "There must be a sense of the public interest well rooted among politicians (...). Otherwise, public resources will be siphoned off for private production as in the case of graft and corruption" (Keating M., 1991 : 200).

3.2.3. Les risques d'instrumentalisation de l'intérêt public et la question de l'équité des politiques urbaines Dans la théorie de la gouvernance urbaine, la séparation entre les actions publiques et

les actions privées s'atténue. Par rapport au modèle keynésien de gestion de la ville, public et privé ne sont pas nécessairement opposés (Stone C. N., 1993 : 6). Cette plus grande perméabilité du public et du privé comporte des risques d'instrumentalisation de la notion d'intérêt public. Les différents exemples analysés par les auteurs nord-américains montrent en effet que le développement économique s'est plus souvent fait au détriment du développement social et que les intérêts sociaux ont rarement été pris en compte. M. Keating insiste sur le fait qu'intérêt public et développement économique ne sont pas synonymes, pas plus que développement économique ne rime avec intérêts privés (Keating M., op. cit.). La mise en place de processus de partenariat dépend beaucoup de l'équilibre des pouvoirs. Dans les villes touchées par des crises aiguës et dont la politique dépend étroitement des ressources

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financières des acteurs privés, les politiques partenariales peuvent alors, de concessions en subventions, selon des ratios favorables aux investisseurs, dégénérer en stratégies de "mercantilisme civique", selon la typologie établie par M. Keating qui distingue trois "idéal-types" politiques : les politiques de "mercantilisme civique" axées sur le développement économique, les politiques redistributives, et les politiques partenariales.

La question des politiques urbaines (et plus largement, du pouvoir) se pose aussi en

termes d'inclusion / exclusion des groupes sociaux dans la coalition, et plus largement dans la ville18. Dans le cas précis d'Atlanta qu'étudie C. N. Stone (1989), la coalition gouvernante formée entre l'élite des affaires et les leaders noirs s'est maintenue pendant plusieurs décennies, et a permis de mener des politiques urbaines dans le cadre d'un régime urbain cependant non progressiste. Plusieurs auteurs nord-américains comme M. Davis, D. Harvey ou E. Soja, dénoncent les apories sociales des régimes urbains "développementalistes" et des politiques urbaines entreprenariales.

L'impact socio-spatial des politiques urbaines, et le meilleur type de gouvernement

possible dans un contexte d'action spécifique et dans un espace local déterminé, sont des points essentiels des analyses des théoriciens de la gouvernance urbaine. Ils tendent vers la formulation des conditions d'existence de régimes urbains progressistes / sociaux dans lesquels équité et efficacité, action collective et organisation seraient réconciliées, et où le développement économique pourrait entraîner et assurer le développement social.

L'analyse des interactions entre les acteurs économiques et les acteurs institutionnels ne

peut se passer d'une sociologie politique, de l'analyse de l'architecture des rapports de pouvoir locaux et de l'importance des groupes sociaux dominants des villes. De même, l'hypothèse du contrôle social ne peut être écartée a priori. Les analyses de M. Keating et de C. N. Stone portent sur des pays où la démocratie, au-delà de ses limites et de ses imperfections, est solidement implantée, et fait partie de la culture politique. Il faut donc, comme le souligne M. Keating, examiner les régimes urbains individuels pour voir comment se fait l'équilibre des pouvoirs et quelles en sont les conséquences sur le contenu des politiques urbaines. M. Keating propose cinq critères de différenciation :

- les relations d'interdépendance entre le public et le privé, - les relations entre l'État central et les villes, et l'articulation entre les différents niveaux de gouvernement,

18 C. N. Stone établit quant à lui, à partir du cas des villes nord-américaines, une typologie des régimes urbains existants qui combine à la fois le niveau des ressources et l'agenda politique de chaque municipalité. Il distingue ainsi quatre régimes différents: un régime conservateur, un régime de développement, un régime progressiste et enfin un régime social dont il souligne qu'il n'existe aucun cas aux États-Unis, en raison des difficultés et des obstacles de sa mise en place (Stone C. N., 1993).

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- les capacités locales techniques ou d'expertise, - les forces sociales inclues dans la coalition ou exclues (minorités, etc.), - la capacité d'intégration des politiques sectorielles ou territoriales. L'influence du modèle nord-américain de gouvernance urbaine est très nette dans les

années 80. En particulier, l'entrepreneurialisme est un modèle de développement économique et urbain offert aux pays en développement. Les théories de la gouvernance urbaine éclairent le sens des politiques urbaines et des modifications des rapports entre acteurs publics et acteurs privés, en particulier entre les pouvoirs publics nationaux et locaux et les promoteurs privés en ce qui concerne les centres commerciaux. Les promoteurs commerciaux deviennent en effet des acteurs essentiels de l'urbain, avec lesquels les acteurs publics doivent compter. Notre étude ne porte pas sur la formation de coalitions gouvernantes qui dépasserait largement notre propos, mais de façon beaucoup plus ponctuelle sur les enjeux que représentent les centres commerciaux dans la redéfinition des politiques urbaines et des rôles respectifs des acteurs publics et privés à Buenos Aires.

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Chapitre 2 : Les centres commerciaux dans la politique

urbaine Les centres commerciaux sont des éléments importants des politiques urbaines de type

entrepreunarial axées sur le développement immobilier des centres-villes et sur la création d'emplois. Urbanisme et commerce font pourtant rarement bon ménage. Les intérêts sectoriels ont tendance à primer sur les préoccupations urbanistiques, et l'implantation des activités commerciales suit avant tout les logiques marchandes. Comment en effet, concilier l'intérêt public avec les intérêts particuliers des acteurs économiques du commerce, et infléchir la volonté des acteurs économiques ? Ces questions renvoient à une formulation classique des politiques urbaines. La relecture des politiques d'urbanisme commercial à la lumière des théories de la gouvernance urbaine montrent que les frontières entre le public et le privé ne sont peut-être pas aussi rigides. Les cas paradigmatiques de la France et des États-Unis, où la culture politique locale est originale et où les politiques d'urbanisme commercial ont pris des formes et des contenus différents, éclairent les intérêts et les stratégies des acteurs publics et privés par rapport à la construction des centres commerciaux. On peut se demander quelles sont les conséquences de la mise en place de telles mesures sur l'évolution urbaine et commerciale dans deux contextes différenciés. Infléchissent-elles l'évolution spatiale du commerce ?

1. Les politiques d'urbanisme commercial

1.1. L'urbanisme commercial : définition et contenu

L'urbanisme commercial constitue l'un des volets sectoriels de la politique urbaine. Il

n'a en effet pas que des aspects opérationnels, et ne se limite pas à la conception, à la réalisation et à la restructuration des centres d'achat, à savoir leur localisation, leur programmation (merchandising) et de façon résiduelle la prise en considération de leur rôle dans la structuration spatiale de la ville.

Ainsi la définition qu'en donne T. Barata Salgueiro n'aborde-t-elle pas seulement les

aspects liés à la production des centres commerciaux et à l'aménagement des lieux, mais aussi à leur intégration à la ville :

• "L'urbanisme commercial intègre l'aménagement sectoriel de la distribution à

l'aménagement du territoire. Il se préoccupe des nécessités en équipements commerciaux et

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des localisations les plus adéquates aux divers types de commerces notamment dans les aires de construction neuves ;

• il cherche à valoriser la fonction d'animation et la centralité du commerce à travers son association à des opérations expressives de rénovation et de réhabilitation urbaine.

• La politique d'urbanisme commercial ne se limite pas à l'ensemble de principes ou de normes qui régulent l'activité de la distribution,

• mais s'assume en tant que stratégie de développement qui permet au secteur de répondre avec efficacité aux nécessités des consommateurs dans un cadre territorial organisé et équilibré" (Barata Salgueiro T., 1992 : 373).

Dans une optique classique de la politique, dans laquelle les pouvoirs publics

apparaissent comme régulateurs de la ville et des actions des groupes et des individus, l'urbanisme et le commerce obéissent à deux logiques différentes, difficilement compatibles : le premier signifie la limitation des intérêts des particuliers par l'État, tandis que le second repose sur la liberté du commerce. Parmi les objectifs mentionnés par T. Barata Salgueiro, on note l'équilibrage spatial, les fonctions d'animation urbaine et de centralité, sur lesquelles on reviendra. En réalité, les préoccupations urbanistiques sont rarement intégrées aux décisions d'urbanisme commercial, et l'équilibre du commerce n'est pas protégé dans des conditions satisfaisantes, comme on le verra à propos de l'évolution de la législation française. De plus, les échelles auxquelles sont abordées d'une part les questions d'urbanisme (la commune en général), et d'autre part celles qui sont liées au commerce (les aires de chalandise) ne coïncident absolument pas.

1.2. Typologie des politiques d'urbanisme commercial

Les politiques d'urbanisme commercial se différencient en fonction de leur contenu, de

leurs objectifs, des moyens mis en œuvre pour atteindre ces objectifs, et de l'articulation entre l'urbanisme commercial et le reste de la politique urbaine. On distingue plusieurs orientations:

1.2.1. Les politiques (non-politiques) libérales et le laisser-faire La liberté d'entreprise des acteurs urbains est respectée, et la modernisation du secteur

de la distribution, ainsi que l'implantation du commerce, répondent à des mécanismes de régulation automatique par les ajustements du marché entre l'offre et la demande. Les seules réglementations auxquelles doit obéir l'implantation des centres commerciaux et des grandes surfaces sont urbaines. Le zonage et le contrôle de l'affectation des sols sont cependant des moyens de veiller au développement des centres commerciaux et de poser des limites aux intérêts particuliers. Jusque dans les années 60, tant en Europe qu'en Amérique du nord, la

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situation était plutôt au laisser-faire, l'urbanisme commercial n'existant pas. En France, le libéralisme a été mâtiné d'urbanisme normatif, fonctionnaliste et technocratique en 1961, avec la mise en place des grilles d'équipement commercial des grands ensembles de la loi Sudreau-Fontanet, au nom d'une vague justice socio-spatiale, mais sans que soient véritablement pris en compte les besoins réels des habitants et la nécessaire modernisation de l'appareil commercial, ni considérées les structures sociales.

1.2.2. Les politiques planificatrices et intégrées Le centre commercial participe à l'aménagement urbain, comme élément de centralité,

dans la mise en place de schémas directeurs et de plans d'aménagement régional à moyen terme ou à long terme. L'expression d'urbanisme commercial est apparue en France dans les années 60 : elle a d'abord désigné des formes de concertation entre les acteurs publics et privés pour les développements conjoints du commerce et de la ville (Metton A., 1991b). Des centres commerciaux de taille régionale ont été intégrés aux villes nouvelles (Cergy-Pontoise, Marne-la Vallée, etc.) ainsi qu'aux opérations de rénovation des centres-villes ou de création de centres d'affaires directionnels construits ex nihilo (la Part-Dieu à Lyon en 1974, les Quatre-Temps à la Défense en 1977-81, Euralille en 1994).

1.2.3. Les politiques préservationnistes et interventionnistes Elles comportent différents types de mesures : • L'arsenal juridique et législatif est conçu comme un moyen de favoriser une plus

grande justice sociale et spatiale et de préserver les équilibres, dans un esprit préservationniste. À partir de 1974, en France, l'urbanisme commercial s'est orienté vers ce type de mesures à travers le vote de la loi Royer, qui instituait la procédure d'autorisation (ibid., 1989a). La politique française, sous le poids des intérêts corporatistes, avait en principe comme objectif la protection du commerce indépendant, du "petit commerce", face au développement du "grand commerce". Ces catégories vagues recouvraient en réalité des situations très hétérogènes qui faisaient pressentir les situations conflictuelles entre commerce moderne et commerce traditionnel. Les législations belge (1975), italienne (1971), espagnole et portugaise (1989) sont construites sur le même schéma que la législation française. Pourtant, la place du commerce dans la ville est loin de se réduire à la protection du petit commerce.

• En Allemagne, au Royaume-Uni et dans la plupart des pays de l'Europe du nord, c'est

plutôt la correspondance entre hiérarchie spatiale (village / bourg / ville...) et hiérarchie

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commerciale qui a fait l'objet de la législation, beaucoup plus protectionniste que la législation française. Les soucis d'urbanisme sont plus grands que dans les autres types de politiques. Une grande attention est portée à l'environnement urbain et à l'impact des grandes surfaces et des centres commerciaux sur celui-ci. Le commerce est pris en compte dans les plans d'aménagement local et / ou régional. Au Royaume-Uni, jusqu'au début des années 80, l'implantation d'un centre commercial ne pouvait se faire qu'avec le consensus des acteurs locaux et en conformité avec les plans de développement des districts urbains et les structure plans des comtés qui régulaient l'implantation des centres commerciaux et des grandes surfaces commerciales, en respectant les hiérarchies spatiales et commerciales. La taille des centres commerciaux était limitée, ainsi que leur développement tant dans les centres que dans la périphérie, en raison d'un zonage strict. Au prix d'un certain immobilisme cependant, les centres commerciaux, en Angleterre, sont mieux intégrés à l'environnement urbain, ou du moins l'étaient jusqu'au gouvernement de M. Thatcher (Dawson R. J., 1985 ; Howard E., Reynolds J., 1992).

1.2.4. Les politiques entreprenariales Dans le contexte libéral et néo-libéral anglo-saxon, les centres commerciaux sont

apparus comme l'un des principaux instruments des opérations de restructuration des centres-villes dégradés et des politiques de développement économique. L'évolution suivie par la politique d'urbanisme commercial au Royaume-Uni dans les années 80 a été semblable à celle des États-Unis : les centres commerciaux ont été, sous le gouvernement de M. Thatcher, le symbole de politiques urbaines axées sur le développement immobilier (Le Galès P., 1993 : 129). Les dérogations se multipliant, les centres commerciaux régionaux ont même infiltré l'intouchable ceinture verte londonienne. La nouvelle réglementation introduite par la circulaire PPG6 intitulée "major retail development" en 1988 est beaucoup plus permissive que ne l'était la précédente qui se basait sur la "Development Control Policy 13" (Howard E., Reynolds J., op. cit.). Nous allons revenir plus précisément sur ce type de politique, à travers l'étude du cas nord-américain.

2. Ébauche d'une analyse comparée : les cas de la France et des

États-Unis L'analyse plus détaillée de deux types de politiques d'urbanisme commercial dans deux

contextes différents et sur une période couvrant vingt à trente ans permet de préciser le rôle et les limites de la régulation socio-institutionnelle, la place des centres commerciaux dans la mise en place de politiques urbaines, et l'impact social et urbain des centres commerciaux ainsi que des politiques d'urbanisme commercial. Étant donné les difficultés de synthèse de la

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littérature commerciale, la comparaison s'est limitée essentiellement à deux cas, la France et les États-Unis, retenus pour les raisons suivantes : d'une part, parce qu'il s'agit institutionnellement, culturellement et économiquement de deux cas "paradigmatiques" ; d'autre part, parce que les multinationales de la distribution de ces deux pays ont joué un rôle important dans la modernisation du commerce en Argentine ; enfin, parce qu'ils ont été des modèles majeurs pour ce pays, comme nous le verrons.

2.1. Comparaison entre les contextes institutionnel et culturel français et nord-américain

L'analyse comparée des politiques urbaines française, anglaise, canadienne et nord-

américaine établie par M. Keating souligne l'importance des variables structurelles, institutionnelles, économiques et culturelles, mais aussi des choix locaux comme critères de différenciation des politiques urbaines (Keating M., 1991). Nous commencerons par rappeler les différences dans les contextes institutionnels et dans les variables culturelles française et nord-américaine, en reprenant brièvement les conclusions de M. Keating sur ces deux pays.

2.1.1. L'"exception culturelle française" En France, la justice et la solidarité sociales garanties par l'État-Providence mis en place

depuis 1936 restent plus vigoureusement ancrées dans les mœurs politiques et dans les mentalités.

Le secteur public, incarné par l'État, constitue une sphère d'action autonome avec sa propre rationalité juridique, technique, gestionnaire. La logique du marché s'est cependant accentuée dans les années 80.

L'État a une longue tradition interventionniste et centraliste, atténuée par les mesures de décentralisation prises en 1981 qui ont transféré une grande partie des pouvoirs et des compétences de l'État central aux collectivités territoriales. Il demeure un médiateur essentiel entre les collectivités locales et les entreprises privées, rationalisant les initiatives locales en les orientant vers le développement national.

Jusqu'aux lois de décentralisation, les compétences des collectivités locales en matière de développement économique étaient nulles. Elles ont été étendues depuis, mais leurs initiatives restent très encadrées par l'État et contrôlées de près par les chambres régionales des comptes. Parmi les domaines de l'intervention municipale, figurent les subventions aux entreprises en difficulté, les garanties d'emprunt, les exonérations de taxes locales et la livraison de locaux en blanc.

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2.1.2. La tradition libérale états-unienne Les États-Unis ont une tradition politique et économique profondément libérale, que

l'intermède keynésien n'a pas véritablement infléchie. L'individualisme, la liberté d'entreprise et l'intouchable droit de propriété privée sont des valeurs fondatrices de la démocratie nord-américaine. Elles limitent énormément la portée de l'intervention publique en matière d'urbanisme.

La logique du marché domine largement, et l'intérêt public est conçu comme un simple agrégat d'intérêts privés concurrentiels. La séparation entre public et privé est plus ténue qu'en France. C'est le marché qui assure la médiation entre les entrepreneurs privés et les différents échelons gouvernementaux.

L'État nord-américain est plus décentralisé mais aussi plus fragmenté et plus éclaté entre une multitude d'instances administratives élues ou désignées. Les pouvoirs locaux sont faibles. Au contraire des collectivités locales françaises, les principales compétences des gouvernements locaux résident dans le développement économique. Les municipalités ont toute facilité pour utiliser l'arsenal de mesures fiscales incitatives visant à attirer les entreprises (subventions, exemptions fiscales, locaux en blanc, etc.). Comme on l'a vu, les ressources municipales dépendent plus des financements des investisseurs privés, surtout depuis le début des années 80.

2.2. L'urbanisme commercial en France

2.2.1. Centres commerciaux, planification urbaine et aménagement concerté en région parisienne : la dérive libérale du SDAURP de 1967 En région parisienne, dans les années 60, la mise sur pied d'une politique concertée

d'aménagement urbain et régional a associé les entreprises (notamment les promoteurs commerciaux et les acteurs de la grande distribution) et les pouvoirs publics dans la confection du schéma directeur d'aménagement urbain (SDAURP). Les centres commerciaux sont apparus comme des éléments essentiels de l'aménagement régional, de la planification urbaine, et de la centralité des villes nouvelles. C'est donc par nécessité, comme le souligne A. Metton, que les pouvoirs publics ont commencé à plancher sur les questions d'urbanisme commercial, considérant que celui-ci faisait partie de leurs prérogatives, en dépit du sacro-saint principe de la liberté d'entreprise (Metton A., op. cit.).

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Mais, entre la version initiale du SDAU en 1965, et sa version finale en 1967, des centres commerciaux, non prévus initialement, ont vu le jour. Certains, au contraire, perçus comme nécessaires à l'équilibre urbain de la région, n'ont jamais été réalisés. D'autres enfin, programmés comme centres commerciaux locaux ou intermédiaires, ont accédé au rang de centres régionaux. La stratégie des promoteurs de centres commerciaux visait d'abord les ménages les plus solvables : les glissements du schéma directeur définitif par rapport au projet originel ont mis en marche le jeu des négociations entre promoteurs et acteurs institutionnels. En particulier, le centre commercial Parly 2, intégré à la vaste opération immobilière du Chesnay, est passé, dans la hiérarchie urbaine et commerciale, de centre intercommunal à centre régional, à l'issue de nombreux pourparlers entre le ministre, le maire de la commune et le promoteur de l'opération R. de Balkany (S.A.I.C. Le Chesnay-Trianon), la construction du centre commercial ayant été confiée à la S.C.C. de J. L. Solal (Coquery M., 1978). Au départ, dans la première version du SDAU, la zone achetée d'un seul bloc par le promoteur était affectée à l'usage "espaces verts", et donc inconstructible. Finalement, le promoteur a négocié le droit de construire Parly 2, tandis que le maire de la ville obtenait la participation du promoteur aux équipements et la rétrocession d'une zone de quatre hectares à la municipalité. Par la suite, l'opération de Parly 2 a servi de modèle pour l'établissement de la procédure d'aménagement concerté de la ZAC (Fournié A., 1982). Or, la vaste opération immobilière du Chesnay, commune de l'ouest parisien, voisine de Versailles, n'a pas été l'une des moins rentables, dégageant des surprofits d'innovation commerciale et d'urbanisation, selon la typologie de C. Topalov (1974).

Dans une première phase (1965-1973), les logiques de marché et les intérêts des

promoteurs ont finalement été dominants et ont émoussé les velléités d'urbanisme axé sur la planification régionale et la concertation entre acteurs. L'utopie planificatrice a cédé sous la pression des intérêts de ces derniers. S'ils ont pesé lourd dans les décisions d'implantation des centres commerciaux selon un schéma à l'américaine donnant la prééminence aux localisations proches des autoroutes et à l'accessibilité automobile, les pouvoirs publics, favorables à la modernisation du commerce, voyaient d'un bon œil le rôle structurant des centres commerciaux.

2.2.2. Protectionnisme et équilibres commerciaux : les dérives de la loi Royer Le changement de stratégie publique devant la multiplication désordonnée des centres

commerciaux régionaux et des grandes surfaces, et sous les pressions du lobby des commerçants indépendants, inquiets de la concurrence "déloyale" créée par les grandes surfaces, ont poussé à l'adoption d'une législation très protectionniste en 1974. La superficie des centres commerciaux a en effet diminué à partir de cette date, mais la loi n'a fait que

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moduler plus qu'entraver l'expansion du commerce moderne (Metton A., 1989a). L'échec de la loi Royer, vingt ans plus tard, a souligné l'incapacité du formalisme juridique à suivre les évolutions du secteur de la distribution ainsi que l'insuffisance d'une régulation socio-institutionnelle qui s'arrête aux enjeux économiques et sociaux et néglige les enjeux spatiaux et urbanistiques (Péron R., 1993).

La loi a été détournée, ses interstices et les vides juridiques exploités. En effet,

l'implantation de toute unité commerciale de plus de 1 500 m² dans les agglomérations de plus de 40 000 habitants et de plus de 1 000 m² dans celles de moins de 40 000 habitants était soumise à autorisation, de par la loi. La demande devait passer devant une commission tripartite composée d'élus, de représentants de la profession (chambres de commerce et industrie et chambres des métiers) et de représentants des associations de consommateurs19, la commission départementale d'urbanisme commercial (CDUC). Mais comme la loi ne définissait pas l'unité économique concernée (groupe ou enseigne ?), les puissants groupes de distribution comme Auchan ont développé des zones commerciales périphériques comprenant une grande surface autorisée et plusieurs de leurs enseignes, dont chaque établissement ne dépassait pas la barre fatidique au-delà de laquelle l'autorisation était nécessaire. La formule du lotissement commercial permettait aussi de juxtaposer des petites surfaces inférieures au seuil d'examen. L'implantation des grandes surfaces et des centres commerciaux a été au cœur de négociations entre les différentes parties engagées et de conflits juridico-politiques, dans lesquels l'État central, à travers la commission nationale d'urbanisme commercial, dernier recours en cas de refus de la CDUC, servait d'arbitre très imparfait et peu impartial.

En outre, la loi a favorisé l'apparition de pratiques peu transparentes, collusoires et

discrétionnaires au gré des négociations et des coalitions entre les différentes parties prenantes. En raison d'une législation trop conservatrice et mal adaptée aux logiques et aux besoins des différents acteurs, des mécanismes de concertation et de régulation croisée entre acteurs privés et acteurs publics sont apparus. Mais la collusion est restée tacite et a suscité des pratiques déviantes favorisant les intérêts particuliers ou corporatistes ainsi qu'une corruption fréquente. La manne de la taxe professionnelle, les participations à l'aménagement représentaient pour les uns comme pour les autres des enjeux de taille. La loi Royer a donc bien souvent servi de couverture légale à un plus grand libéralisme, comme l'a si bien indirectement souligné le promoteur R. d'Heucqueville, président de la SEGECE dans un entretien accordé à la revue Urbanisme (1994, n°272 / 273 : 43) : "sous son image libérale, le grand commerce n'est pas mécontent de voir protéger ses rentes de situation". Les lois Doubin

19 Les commissions départementales d'urbanisme commercial étaient composées de vingt membres dans la loi Royer : neuf élus locaux, neuf représentants des CCI et des CM et deux représentants des associations de consommateurs.

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et Sapin, en 1990 et en 199320, n'ont fait qu'apporter quelques correctifs à ces débordements, après vingt ans d'application de la loi Royer, mais sans changer véritablement l'esprit de celle-ci.

2.3. L'urbanisme commercial aux États-Unis

2.3.1. Centralité périurbaine et libéralisme Aux États-Unis, dans un premier temps, les centres commerciaux se sont développés

selon un schéma libéral, avec comme seule contrainte le respect du zonage et des réglementations d'occupation des sols. Ils créaient une nouvelle forme de centralité périurbaine, articulée autour d'une ou de deux "locomotives", d'un mail commercial et d'une surface de stationnement, et répondaient aux besoins commerciaux et sociaux des habitants d'une banlieue en pleine expansion. Les centres-villes subissaient en effet d'importants processus de dégradation et de paupérisation, que les opérations de rénovation urbaine, menées souvent à coups de bulldozer, n'avaient fait qu'accentuer. Le déclin des centres-villes s'était manifesté par l'exode des classes moyennes vers la banlieue et par la disparition progressive du commerce de détail des centres-villes, par la formation de ghettos ethniques à proximité des centres-villes selon les processus de l'écologie urbaine décrits par les sociologues de l'École de Chicago.

2.3.2. Les centres commerciaux dans les politiques développementalistes / entreprenariales Dans une seconde phase, à partir de la fin des années 60, les promoteurs des centres

commerciaux participent aux nouvelles opérations de revitalisation du centre-ville, plus sectorielles et moins brutales. Elles sont l'occasion de la mise en place de processus de partenariat entre les promoteurs privés et les autorités municipales, au croisement de leurs stratégies respectives. La construction des centres commerciaux en centre-ville marque un net infléchissement dans la politique urbaine et dans les rapports entre acteurs publics et acteurs privés de la ville. C'est en stimulant, par leurs initiatives, l'intervention des acteurs privés dans l'aménagement urbain, que les municipalités peuvent orienter le développement économique, social et urbain. L'ouvrage des sociologues nord-américains B. J. Frieden et L. B. Sagalyn

20 La loi Doubin (n° 90-1260 du 31/12/90) substitue à la notion d'unité économique d'ensemble celle d'ensemble commercial, qui couvre à la fois le regroupement de commerces et l'apparentement économique entre eux. La loi Sapin (n° 93-122 du 29/01/93) modifie la composition des CDUC, désormais baptisées CDEC (commission départementale d'équipement commercial), en diminuant le nombre de membres qui passe de vingt à sept : les chambres de commerce et d'industrie et les chambres des métiers ne sont plus représentées que par leur président respectif, tandis que seuls le maire de la commune concernée par l'implantation et les maires des deux communes les plus peuplées de l'agglomération peuvent y siéger.

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montre comment la construction des centres commerciaux nord-américains dans les CBD a été l'objet de négociations serrées entre les acteurs publics locaux (municipalités, corporations de développement municipales) et les promoteurs des centres commerciaux (1991). Ce sont d'ailleurs ces derniers qui ont le plus souvent impulsé le mouvement au début des années 70, après avoir convaincu les acteurs municipaux d'intervenir conjointement. Pour les municipalités, la construction de centres commerciaux réactivait les centres-villes, en créant des emplois et en revalorisant l'image de ceux-ci. Quant aux promoteurs, ils souhaitaient étendre leur champ d'intervention géographique des banlieues vers les centres-villes, mais le niveau trop élevé des prix fonciers en centre-ville hypothéquait la rentabilité financière des opérations et constituait un blocage pour la construction de parcs de stationnement urbains. Le promoteur James Rouse, célèbre pour ses opérations d'aménagement de friches portuaires (waterfronts) dans les années 70, a été l'instigateur de ces complexes intégrés, à Baltimore, à Boston, à New York (South Street Seaport), dont la portée dépassait largement la seule construction des centres commerciaux, puisqu'ils étaient accompagnés de programmes de logements, de bureaux, etc. Entre 1978 et 1982, aux États-Unis, les fonds fédéraux de l'UDAG ont été en partie alloués à la construction de centres commerciaux, de surfaces de bureaux, d'hôtels, et de quelques logements, plus rares (Ghorra Gobin C., 1993). Les deniers publics ont pourtant servi à financer le surcoût foncier, la construction de parcs de stationnement et la réalisation d'aménagements connexes pouvant représenter entre 3% et 83% du coût total de l'opération, et généralement entre 20 et 50%. En échange de leur aide financière, les municipalités ont pu négocier un partage des bénéfices : jusqu'à 25% des revenus dans le cas du centre commercial Faneuil Hall Market Place de Boston (1976), réalisé par le promoteur James Rouse (Frieden B.J., Sagalyn L.B., op. cit.).

La crise budgétaire de certaines municipalités à la fin des années 70 et du début des

années 80 a accentué la nécessité du recours à un financement mixte public / privé des opérations d'urbanisme. Les augmentations d'impôts et la création de nouvelles taxes comme des taxes sur les activités hôtelières, ainsi que les investissements privés ont permis de financer les centres commerciaux urbains. La construction de centres commerciaux, surtout si elle entraînait la réhabilitation de bâtiments abandonnés (anciens marchés, entrepôts, etc.), est donc devenue l'un des instruments essentiels des politiques urbaines développementalistes et entreprenariales, dans un contexte nouveau de concurrence interurbaine.

L'"architecture-spectacle" postmoderne des centres commerciaux urbains, beaucoup

plus raffinée que celle des centres commerciaux de la seconde génération, contribue à mettre la ville en scène, transformant les centres des grandes villes nord-américaines en lieux de consommation et de loisirs. Ils intègrent en effet des fonctions de loisir, de restauration, des spectacles, jouent sur la représentation théâtrale de la rue à travers la scénographie, et

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rivalisent de palmiers, jets d'eau, fontaines, verrières et coupoles, réutilisant souvent des lieux aux valeurs anciennes d'usage (marchés, etc.). L’aménagement spectaculaire des espaces urbains a servi d’instrument pour attirer les capitaux et les cadres supérieurs, dans un contexte de compétition inter-urbaine accentuée (Harvey D., 1989 : 92).

2.4. Le corporatisme sous-jacent à l'urbanisme commercial

L'urbanisme commercial a été le plus souvent dominé par les intérêts corporatistes.

Comme le soulignait déjà G. Jalabert dans les années 70, il n'est pas une technique, mais beaucoup plus un "jeu reliant différents acteurs" (Jalabert G., 1975 : 5) qui met en œuvre un ensemble de négociations et de stratégies. Dans les deux cas, le jeu des influences socio-politiques a été au cœur des stratégies (Idrac M., 1979 : 8), avec un pragmatisme économique évident, en France comme aux États-Unis. La construction des centres commerciaux conçus comme des instruments de revitalisation ou d'animation des centres-villes a créé de nouvelles formes de partenariat entre acteurs institutionnels publics et acteurs économiques privés, en particulier les groupes de la construction et de l'immobilier, les developers. Mais les projets ont souvent été acceptés en fonction des intérêts réciproques des acteurs directement concernés, entraînant dans leur sillage une corruption fréquente.

Le contrôle de la production de l'espace constitue l'un des enjeux fondamentaux pour les

promoteurs. Il se manifeste dans la compétition pour le foncier urbain, le choix de la localisation et son optimisation, qui constituent en effet des facteurs déterminants de la réussite du centre commercial, le poids de la charge foncière étant un facteur d'équilibrage du bilan financier. Quant aux acteurs institutionnels, ils visent le développement économique ou social de la ville : les centres commerciaux sont de plus en plus conçus comme des instruments du développement économique des municipalités, surtout dans les politiques urbaines entreprenariales. Les enjeux de ces dernières résident dans la fiscalité locale et dans le financement du développement urbain par les acteurs privés.

En réalité, ce qui est ici en cause, ce ne sont pas tant les logiques capitalistes de

production de l'espace, que la place et le sens de la régulation socio-institutionnelle et les objectifs du partenariat entre acteurs publics et acteurs privés. L'intérêt public a souvent été guidé par le développement économique, sans que celui-ci n'entraîne de développement social. Les limites de la régulation socio-institutionnelle en France et les conséquences des politiques entreprenariales axées sur le marché aux États-Unis, ont signifié, dans les deux cas, une insuffisante prise en compte de la demande sociale. Le paysage commercial issu de la modernisation du commerce est ainsi le produit des négociations ou des conflits entre les acteurs publics et les acteurs privés, dans lesquels les logiques des promoteurs sont

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dominantes, et non celui des logiques sociales et urbaines. La préséance de plus en plus forte des stratégies immobilières sur la demande et le caractère très spéculatif de la distribution commerciale, aux États-Unis et en France, ont accentué les processus de concentration et de polarisation (Mérenne-Schoumaker B., 1992a : 116).

En France, la loi Royer n'a pas entravé les processus de concentration spatiale de l'offre,

de dualisation spatiale et sociale du commerce, et l'apparition de zones commerciales périurbaines sauvages. Les formes de négociation et de régulation croisée non codifiées avant même les lois de décentralisation en France (Gaudin J. P., 1993) et les contre-effets du formalisme juridique ont été mis en valeur. La politique préservationniste d'urbanisme commercial en France n'a pas eu un rôle régulateur, bien au contraire. Aux États-Unis, les opérations de construction de centres commerciaux en centre-ville, comme celles de palais des congrès ou d'hôtels cinq étoiles, se sont faites au profit des hommes d'affaires et des developers (Harvey D., op. cit. ; Davis M., 1991). Elles ont même souvent été au cœur d'intenses mouvements de spéculation immobilière, aux dépens des intérêts des habitants. D. Harvey critique la logique économique capitaliste spéculative des politiques urbaines qui repose sur la production d'un capital fictif et sur ce qu'il appelle une "économie de casino" (Harvey D., op. cit. : 332). M. Davis, quant à lui, a décrit les stratégies d'alliance entre developers, financiers et acteurs institutionnels pour reconstruire le centre de Los Angeles, et pour aménager des centres commerciaux dont la rentabilité s'est parfois avérée très élevée (Davis M., op. cit.)21.

Il faut cependant se garder de faire des généralisations trop hâtives. Le contenu et

l'impact des politiques d'urbanisme commercial dépendent aussi de l'attitude des pouvoirs publics municipaux et de décision locales. R. Péron établit une typologie des collectivités locales en fonction de leur comportement vis-à-vis de l'implantation des grandes surfaces sur leur territoire. Aux "villes-bastions" axées sur le protectionnisme de la ville-centre, il oppose les "villes ouvertes", à la recherche de consensus entre l'équilibre urbain et l'inéluctable modernisation du commerce, et enfin les "places conquises", marquées par une vive concurrence intercommunale (Péron R., op. cit.). De même, aux États-Unis, les typologies établies par M. Keating ou C. N. Stone différencient les politiques municipales en fonction de l'attitude de celles-ci. Les opérations de rénovation urbaine autour de la transformation d'anciens bâtiments désaffectés en centres commerciaux sont caractéristiques des politiques de développement économique, plus précisément des politiques dites de "mercantilisme civique" (Keating M., op. cit.). D'ailleurs, D. Harvey, F. J. Frieden et L. S. Sagalyn, mais

21 M. Davis précise que la rentabilité du centre commercial de Watts construit par le promoteur Alexander Haagen, a été de 350 $ de ventes annuelles par pied carré, soit une rentabilité plus élevée que la moyenne des centres commerciaux suburbains (200 $ par pied carré).

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aussi M. Keating citent toujours les mêmes cas, souvent issus de la réactivation d'anciennes friches portuaires : Inner Harbor à Baltimore, South Street Port mais aussi la transformation du quartier de Soho à New York, Faneuil Market Hall à Boston, Pike Place Market Hall à Seattle, Horton Plaza à San Diego, etc. M. Keating et C. N. Stone n'excluent pas l'existence d'autres types de politiques, moins axées sur le développement économique, l'emploi et la revalorisation immobilière en centre-ville. Ils remarquent cependant que rares sont les municipalités qui ont adopté des politiques urbaines progressistes couplant développement économique et développement social.

Sous couvert d'un discours rationaliste et scientifique (Choay F., 1965), l'urbanisme

commercial a le plus souvent favorisé le développement de pratiques peu transparentes, au nom d'une justice spatiale et d'un équilibre entre le centre et la périphérie, ainsi que d'une justice sociale et d'un équilibre entre le petit commerce et le grand commerce.

3. Le rôle de l'État dans la production de l'espace commercial

3.1. Le rôle du discours dominant sur la ville dans la production des centres commerciaux

Le contrôle de l'espace par les promoteurs privés se manifeste aussi dans le contrôle des

représentations spatiales, autre versant de l'appropriation des centres commerciaux par les usagers. Si la publicité favorise l'intériorisation de nouvelles normes de consommation, thème sur lequel nous reviendrons plus longuement, le discours sur la ville et les représentations concernant l'évolution des centres-villes ont aussi influencé les décisions publiques. Outre les confusions que recouvrent les notions de petit commerce et de grand commerce, qui ont servi de fondement aux orientations de la politique française d'urbanisme commercial et qui masquent de profondes différenciations internes (Péron R., op. cit.), idéalisant le petit commerce, le discours sur la crise des villes a lui aussi alimenté les représentations sur les rapports de la ville et du commerce. Le déclin des centres-villes, qu'on a été jusqu'à désigner par la "mort des centres" aux États-Unis, l'"ex-urbanisation" des activités commerciales, puis la "reconquête" et la "renaissance" des centres-villes, ont largement servi de supports aux stratégies d'implantation des promoteurs commerciaux en périphérie puis en centre-ville. Aux États-Unis, l'étiolement des petits commerces de quartier dans la banlieue de Watts, à la suite des émeutes des années 60, avait également permis au promoteur commercial A. Haagen d'imposer les centres commerciaux comme solution à la "crise" urbaine, en favorisant le regroupement de ceux-ci dans des centres fermés et protégés, avec le soutien des pouvoirs publics (Davis M., op. cit.).

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Toutes ces notions, très ambiguës, comme le souligne J. P. Lévy (1987), ont justifié certaines des actions sur les centres-villes, aussi bien dans les domaines de l'habitat, des activités tertiaires que dans celui du commerce, et ont entraîné une gentrification sélective des quartiers centraux. Tout en insistant peu sur cet aspect, B. J. Frieden et L. B. Sagalyn reconnaissent que la renaissance des centres-villes est loin d'avoir bénéficié à tous, à un moment où les municipalités réduisaient fortement le nombre d'emplois et où le montant des dépenses sociales publiques chutait de façon drastique (op. cit.). La centralité s'est en partie redéfinie autour du commerce, à la fois dans le modèle de centralité périurbaine incarnée par les centres commerciaux et dans celui de la centralité des ville-centres axée sur les activités de commandement et les activités marchandes d'assez haut-de-gamme (dans des centres commerciaux planifiés ou non). Les centres commerciaux ont eu un impact social important, sur lequel on reviendra.

Or, si le déclin du commerce central et la dégradation des centres-villes renvoient peut-

être au modèle urbain nord-américain, il a été largement été exagéré et amplifié en France, et a été utilisé comme argument par les promoteurs commerciaux dans les années 60 pour justifier la construction des centres commerciaux dans la banlieue parisienne (Coquery M., 1978). Les premiers centres commerciaux français ont reproduit à l'identique les centres commerciaux nord-américains de la deuxième génération, le modèle de l'E.M.A.C.22, en plaquant les normes de consommation et de construction nord-américaines sur le contexte urbain et social français. De même, dans les années 80, les promoteurs commerciaux ont motivé le retour des centres commerciaux en centre-ville par une expression couramment employée, les "retrouvailles du commerce et de la ville", et par la référence à un modèle spécifiquement européen de la ville. Dans leur exagération exaltée, les propos du promoteur J. L. Solal, président de la Société des Centres Commerciaux (S.C.C.), auteur de Parly 2, ardent défenseur dans les années 60 du modèle nord-américain, sont significatifs de l'évolution du discours, de la récupération des valeurs d'usage urbaines par les centres commerciaux, de la réinvention d'un modèle de centralité commerciale en centre-ville ainsi que d'un retour à l'urbanité : "dans un deuxième temps, l'urbanisme a retrouvé son européanité : c'est-à-dire la prise de conscience que la Ville est l'expression la plus élevée de notre civilisation porteuse de mémoire et des mythes inscrits dans l'histoire d'un peuple. Le commerce est l'expression essentielle de l'exaltation de la vie et de la Ville" (dans Urbanisme, avril 1988 : 12 ; voir aussi l'article "le commerce et la ville" dans Urbanisme, n° 170, 1979).

22 L'E.M.A.C. (Enclosed Mail Air Conditioned) est le produit de l'un des théoriciens-praticiens des centres commerciaux les plus en vogue aux États-Unis dans les années 50-60, V. Gruen, auteur de plusieurs ouvrages tant sur les centres commerciaux que sur la rénovation urbaine des centres-villes. L'E.M.A.C. est un ensemble commercial couvert, avec air conditionné et aménagement paysager, construit sur plusieurs étages et organisé autour de deux ou plusieurs locomotives, reliées entre elles par un mail commercial bordé de locaux. Plus simplement, l'E.M.A.C. correspond à la deuxième génération des centres commerciaux, telle qu'elle s'est exportée en France à la fin des années 60.

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Les normes d'urbanisme commercial véhiculaient des représentations sur l'évolution de

la centralité et sur les bonnes formes de celles-ci. Elles favorisaient un retour à une forme de centralité commerciale. En France, comme aux États-Unis, les politiques urbaines ont favorisé le renforcement de la centralité et l'affinage du commerce en centre-ville. Mais les rapports entre ville et commerce s'expriment très différemment dans les deux pays.

3.2. Impact sur les relations entre la ville et le commerce

3.2.1 Les rapports centre / périphérie en France En France, l'évolution sociale et spatiale de la distribution a été complexe et marquée

par des évolutions paradoxales, qui allie des formes de dissociation du centre et de la périphérie et des formes de complémentarité. D'une part, l'opposition entre le centre et la périphérie s'est atténuée grâce au développement de la franchise et à la diffusion des enseignes dans les zones périurbaines (Bondue J. P., 1987b) et grâce au "bouclage des banlieues" par la grande distribution (Metton A., 1987). Ils répondaient aux logiques marchandes et entraînaient une progressive couverture de l'espace par les centres commerciaux. Une même enseigne peut diversifier ses produits en fonction de la clientèle-cible et avoir des politiques commerciales différenciées (Bondue J. P., 1987). D'autre part, la dualisation spatiale du commerce se structure moins en fonction de la traditionnelle opposition entre le centre et la périphérie dont les catégories sont brouillées, qu'autour de nouvelles polarités périurbaines (Metton A., op. cit.). Mais, si la centralité commerciale n'est plus uniforme, l'opposition entre les nouvelles formes de centralité périurbaine et les centres-villes persiste, tant sur un plan symbolique (prestige des lieux, urbanité) que fonctionnel, mais aussi dans les représentations. La polysémie du centre-ville est plus complexe, et ses fonctions plus nombreuses. Il continue à structurer la ville, des usages et des pratiques très différenciées s'y superposant. La création d'espaces piétonniers et de galeries marchandes en centre-ville, développée à partir de 1972 (à Rouen) et encouragée par la politique nationale à travers les crédits du fonds d'aménagement urbain (FAU) créé en 1977, a accéléré les mutations commerciales et la gentrification tant sociale que commerciale des centres-villes. Le développement du nouveau commerce indépendant et du commerce de luxe a aussi modifié et affiné le commerce du centre. Les magasins de proximité du centre-ville et des quartiers périurbains ont périclité. Confirmé dans ses fonctions directionnelles et commerciales et conforté par les politiques publiques de réhabilitation du patrimoine, le centre-ville a évolué vers la grande surface de standing et l'espace-écrin, le développement des enseignes franchisées participant même à la relative banalisation du paysage commercial et urbain des centres-villes français.

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L'offre du centre et de la périphérie est complémentaire : tandis que l'habillement, les

articles culturels, les produits de beauté et de loisir attirent facilement la clientèle au centre, la périphérie garde la prééminence en ce qui concerne les achats dans l'alimentation courante, l'équipement de la maison et le bricolage, reflétant ainsi une certaine dualité dans l'appareil de distribution (Metton A., 1991a). La dissociation a aussi tendance à s'atténuer dans les pratiques, suivant la logique de banalisation des objets par la société de consommation. Les ménages aisés n'hésitent plus à faire certains de leurs achats dans les discounts et les centres commerciaux de banlieue, tandis que les zones commerçantes et les magasins d'usine de banlieue et de sortie de ville, d'un symbolisme moins riche, sont eux aussi devenus des lieux de promenade familiale le dimanche, selon un modèle de centralité plus monofonctionnelle. Quant au centre-ville, il continue à attirer toute une catégorie de badauds et de promeneurs, en particulier les jeunes à la recherche de divertissements (Péron R., op. cit.).

2.3.2. L'articulation entre l'espace public urbain et les lieux publics de droit privé Les pouvoirs publics, en France, ont donc opté pour une complémentarité entre les rues

commerçantes du centre-ville, axés plutôt sur le commerce de luxe et les loisirs, et les espaces marchands périphériques, laissés à la grande distribution, mais aussi entre un espace public, où la fonction commerciale l'emporte, et des lieux publics commerciaux gérés par le privé. La piétonnisation ou la semi-piétonnisation des centres-villes, l'aménagement de l'espace public marchand, lieu de rencontre et de brassage social, de pratiques ludiques ont fait l'objet de programmes de subventions publiques, et, si des centres commerciaux ont été construits en centre-ville, c'est toujours en accompagnement de l'aménagement des rues commerçantes.

Il nous est plus difficile de décrire l'évolution du commerce aux États-Unis, en l'absence

d'informations précises. En revanche, on peut remarquer que les rapports entre la ville et le commerce sont assez différents, reflétant les choix politiques et culturels de chaque pays et l'équilibre entre le public et le privé. Le commerce a une structure beaucoup plus autonome par rapport à la ville qu'en France, les centres commerciaux formant l'essentiel de l'offre commerciale de certaines villes. À une solution axée sur la complémentarité entre l'espace public et les lieux publics gérés par le secteur privé, les pouvoirs publics ont préféré laisser l'aménagement des lieux publics aux promoteurs commerciaux. Le déclin de l'État-Providence a été beaucoup plus accentué qu'en France, et l'espace public se limite souvent à la portion congrue, aux avenues-corridors reliant les différents quartiers entre eux, aux parcs urbains qu'envahit l'insécurité. Le fonctionnalisme des politiques urbaines a été dénoncé par un auteur comme J. Jacobs. Il a entraîné une diminution du contrôle social collectif (Jacobs J., 1961). L'espace public est délaissé au profit de solutions semi-publiques ou privées.

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En France, dans l'imaginaire, le centre reste contrôlé et ordonné par les pouvoirs

publics, au nom d'un modèle de centralité, la crise de la ville, l'insécurité et le désordre étant rejetés à la périphérie. C'est le cas, en particulier, des espaces marchands situés aux entrées de ville. L'étude du cas des Halles montre que l'image du centre commercial est associée à la dangerosité, celui-ci constituant un nouveau lieu de rendez-vous pour les marginaux (Large J.F., 1992). Aux États-Unis, l'architecture-forteresse des centres commerciaux protège les classes moyennes de la violence urbaine. L'espace public est associé à l'insécurité et au désordre, aussi bien en centre-ville qu'à la périphérie. Les centres commerciaux, soutenus et subventionnés par les pouvoirs publics, constituent donc un type de réponse à la crise de la ville. La construction des centres commerciaux, insérée dans le cadre de politiques entreprenariales / développementalistes, a eu des effets indiscutables sur la revitalisation des centres-villes, du moins dans les cas cités ci-dessus. Comme en France, les festival market places et les aménagements portuaires, opérations d'urbanisme prestigieuses, ont participé à la gentrification des centres, en attirant les classes supérieures et les entreprises en centre-ville et en jouant sur une stratégie de revalorisation de l'image urbaine et sur l'impact visuel et symbolique des centres commerciaux, ainsi que sur la hausse des valeurs mobilières et immobilières en centre-ville qu'entraînait leur construction. Par exemple, Horton Plaza a entièrement transformé le centre dégradé de San Diego, qui avait été progressivement envahi par les cinémas pornographiques et les sex shops (Frieden B. J. et Sagalyn L., op. cit.). Dans la zone périurbaine, les centres commerciaux régionaux continuent à offrir aux habitants une forme de centralité.

De même que la dissociation entre le public et le privé est moins marquée aux États-

Unis qu'en France, les séparations entre l'espace public de la ville et les lieux commerciaux fermés et privés qui sont destinés à s'y substituer, sont-elles inscrites dans le paysage urbain. Le commerce a accentué dans les deux cas la ségrégation des espaces mais sous des formes très différentes. Dans un cas, le cas français, au-delà de l'opposition entre le centre et la périphérie, atténuée par les logiques marchandes et l'expansion spatiale des différentes formes de l'appareil commercial, il existe une certaine symbiose entre la ville et le commerce, les centres commerciaux constituant soit une solution d'appoint en centre-ville, soit une forme de centralité périurbaine. Aux États-Unis, où le libéralisme a plus de prise qu'en France, le commerce est en retrait par rapport à la ville, la structure commerciale ayant tendance à se fermer sur elle-même. Les centres commerciaux constituent des espaces protégés dans un espace urbain de plus en plus synonyme de violence et d'insécurité. Dans les deux cas, le commerce est un élément important de la centralité, dans les centres-villes comme dans les zones périurbaines.

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Chapitre 3. L'impact du commerce sur la ville et la société L'étude des usages et des pratiques de l'espace devrait être une condition indispensable

de la mise en place d'une politique d'aménagement de l'espace. Les demandes des usagers sont rarement prises en compte dans la définition des politiques d'urbanisme commercial qui ont souvent été un moyen, pour les acteurs dominants, d'imposer leurs propres intérêts. En particulier, les centres commerciaux jouent-ils dans le sens d'une plus grande homogénéisation sociale, ou renforcent-ils la ségrégation ou créent-ils plus d'exclusion ? Le sens est-il le même, quand le contexte change et que les circonstances ne sont plus les mêmes? L'importance du commerce dans la structuration de la ville et le rôle des politiques urbaines dans l'infléchissement des impacts socio-spatiaux du commerce nous amènent à préciser les formes du rapport social à la marchandise et les relations qu'entretiennent la ville, le commerce et la société.

1. Centres commerciaux et lien social : les formes sociales et

spatiales de l'échange

1.1. La fin du mythe libéral de la consommation 1.1.1. Le mythe de la société de consommation La société de consommation (Baudrillard J., 1971) qu'on appelle post-industrielle

(Touraine A., 1969), société d'abondance (Galbraith J., 1961), ou dans un sens un peu différent, postmoderne (Jamenson F., 1991), est porteuse de plusieurs mythes et utopies. Les théories économiques portant sur la société d'abondance reposaient sur l'utopie d'une croissance illimitée des biens et des besoins et sur la croyance en la stimulation de l'offre par la demande, en particulier à travers la publicité et le crédit. Le corollaire social de cette utopie portait sur la modernisation et sur l'homogénéisation de la société par la consommation de masse. Les modèles de consommation proposés par les promoteurs des centres commerciaux, tout comme par les hypermarchés, visaient un public déterminé, la classe moyenne, tandis que le centre commercial symbolisait son accession aux biens de consommation courante. Dans le discours publicitaire sur les centres commerciaux, ceux-ci créaient aussi un nouveau modèle urbain, un "nouvel art de vivre, une nouvelle manière de vivre" dans une banlieue en pleine croissance (Baudrillard J., op. cit. : 21). Ils englobaient tous les aspects de la vie quotidienne. Ces nouvelles formes de commerce "correspondent à un nouveau type de société où la production de série, le façonnement collectif des besoins, l'accroissement généralisé du

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pouvoir d'achat, l'accumulation des consommateurs engendrent inévitablement la distribution de masse23" (Beaujeu-Garnier J., Delobez A., 1977 : 260).

L'homogénéisation par la consommation de masse et l'intériorisation des normes

fordistes de consommation induisaient aussi un modèle de distribution spatiale homogène : d'une part, le marché, la variété de l'équipement commercial (centres commerciaux / hypermarchés / commerces de quartier) répondraient aux besoins différenciés des groupes sociaux ; d'autre part, l'ajustement de l'offre et de la demande assurerait une progressive couverture de l'espace par les nouveaux équipements commerciaux.

Or la relation presque déterministe entre changements sociaux, distribution de masse,

consommation de masse et distribution spatiale homogène, que laisse entendre la remarque de J. Beaujeu-Garnier et d'A. Delobez, a depuis été remise en cause. La consommation de masse n'est pas pour tous synonyme de bien-être, d'épanouissement personnel, d'"hyperchoix" et de libération individuelle, pas plus aujourd'hui qu'hier.

Les mythes et les utopies des années d'après-guerre véhiculés par la société de

consommation et par les sociétés libérales, avant d'avoir été écorchés par la crise économique et sociale des années 70-80, avaient déjà été démasqués par les sociologues de tendance marxiste. Ils récusaient le mythe du client-roi, le "mythe de l'égalité formelle 'sécularisé' dans les biens et dans les signes", pourvoyeur d'un "bonheur abstrait qu'est la résolution des tensions" et des antagonismes de classe (Baudrillard J., 1970 : 34). Comme le remarque D. Bell, la montée des consommations culturelles s'accompagne au XXème siècle d'un affaiblissement des divisions de classe et des contradictions sociales. Les centres commerciaux régionaux, replacés dans une perspective historique, s'inscrivent dans une filière bourgeoise de la consommation apparue au XIXème siècle avec les grands magasins et les passages commerciaux, face à une filière plus populaire, celle des magasins populaires, des coopératives de consommation, des hypermarchés, des discounts et des zones commerciales périphériques (Péron R., 1993).

À la suite d'A. Bailly (1981), on peut aussi se demander si le bien-être, représentation

mentale, n'est pas un concept qui prend son sens dans le cadre d'une relation à une culture donnée, par rapport à des normes de consommation, des critères matériels et des référentiels de niveau de vie locaux, et non par rapport à des normes de consommation universelles. Quel est alors le rôle de la publicité dans la diffusion à l'échelle internationale de certaines normes de consommation ? Comment s'effectue ce transfert ?

23 C'est nous qui soulignons, dans un but critique, comme on va le voir.

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1.1.2. Le contexte économique et social : des lendemains qui déchantent Un simple changement d'échelle, tant spatiale que temporelle, montre que l'apparition

des centres commerciaux a correspondu à un climat social et économique très particulier : celui de la formidable croissance économique des années d'après-guerre dans les pays occidentaux (les Trente Glorieuses en France). L'élévation du taux d'activité féminine, la croissance généralisée du niveau de vie, la hausse du taux de motorisation et surtout du pouvoir d'achat des ménages, la libéralisation des comportements et la montée de l'individualisme favorisaient largement l'épanouissement des centres commerciaux que J. Baudrillard considérait comme les archétypes des lieux de la société de consommation. En même temps, l'apparition des centres commerciaux et des grandes surfaces stimulait les changements dans les modes de consommation et dans l'adoption de nouveaux produits comme les produits congelés, les appareils électro-ménagers et les produits à haute technologie. Ils complétaient l'équipement des ménages et "libéraient" la femme de certaines tâches ménagères.

La consommation de masse qui reposait sur la diffusion progressive de modèles de

consommation dans toutes les couches sociales et sur des normes de consommation standardisées et intériorisées correspondait à un mode fordiste de production de masse d'objets banalisés, à bon marché, favorisant le consumérisme. Ce passage d'un modèle d'accumulation fordiste à un modèle d'accumulation post-fordiste n'a pas pour autant signifié la disparition de la consommation de masse, mais la concentration et la flexibilité de la consommation. Devant l'épuisement des normes de consommation fordiste et la saturation de l'équipement des ménages, le produit a dû mieux s'adapter à une demande plus évolutive et à une clientèle plus exigeante. La diversification du produit final se combine avec la standardisation des composants, le marché suivant de plus près les changements de l'environnement (Boyer R., 1993).

Le phénomène de concentration / segmentation de la consommation est un phénomène

généralisé dans les pays développés. Les années 80 ont été partout marquées par les phénomènes de "nouvelle" pauvreté et de "nouvelle" bourgeoisie et par le surendettement d'une partie des ménages de la classe moyenne, tandis qu'une catégorie de professionnels travaillant dans certains secteurs comme les services aux entreprises et la finance ont vu leurs revenus augmenter.

L'euphorie consumériste qui a accompagné l'apparition des centres commerciaux en

Amérique du nord dans les années 40-50, le développement des hypermarchés en France dix ans plus tard, puis la diffusion généralisée des centres commerciaux à l'américaine en Europe

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suivant un schéma approximativement nord-sud, a pris fin dans les années 70. Le climat économique et social dans lequel se sont édifiés les centres commerciaux en Espagne, en Italie et au Portugal, dans les années 80, est très différent de celui dans lequel ils sont apparus en France à la fin des années 60. Mais les inégalités n'ont jamais cessé d'exister : le mythe de la consommation n'avait fait que les occulter. Les grandes émeutes raciales et sociales qui se sont déroulées aux États-Unis dans les années 60, avaient mis en valeur les fortes disparités et la discrimination qui existaient au sein de la société nord-américaine.

1.2. Commerce, ségrégation et reproduction sociale

Les différenciations dans les modes de consommation ont une signification sociale,

voire culturelle, et une traduction spatiale, qui ne sont pas seulement le fruit de préférences individuelles, comme dans le modèle libéral. L'étude des consommations nécessite la réintroduction des différenciations sociales : "la reproduction du capital est aussi reproduction de la société. On ne peut comprendre le double-visage qu'offrent le commerce et la ville si l'on ne met pas au centre de l'analyse des classes sociales, la recomposition de leurs frontières, le rôle que joue l'acquisition des biens ou services et l'appropriation des lieux dans le mouvement de leurs différenciations" (Péron R., op. cit. : 135). Comme le dit R. Péron, il faut entrer dans l'analyse du rapport social et culturel à la marchandise pour comprendre la diffusion de certaines formes de distribution, en France du discount, en Argentine des centres commerciaux. Les mutations commerciales ne sont pas sans effet sur la société.

1.2.1. La fonction sociale de la consommation comme affirmation d'un statut. La consommation remplit une fonction économique, sociale et symbolique. Les objets

et les marchandises jouent en effet le rôle de marqueurs sociaux et sont les signes de l'affirmation d'un statut social, comme l'ont montré de nombreux sociologues (J. Baudrillard, P. Bourdieu24). Dans l'économie classique, c'est leur rareté qui confère leur valeur aux objets, de même que c'est l'exclusivité qui donne aux lieux et aux objets une valeur distinctive. T. Veblen avait souligné le fait que la consommation de luxe et le loisir oisif des classes supérieures, caractéristiques de l'oligarchie nord-américaine à la fin du XIXème siècle, suivaient une logique ostentatoire et visaient à mettre en évidence l'appartenance à une classe sociale (Veblen T., 1970). La façon de s'habiller, l'affichage de la marque, comme les lieux où l'on fait ses achats, la valeur symbolique de la localisation (centre / périphérie, centre

24 Les analyses de ces deux auteurs ne se situent cependant pas du tout sur le même plan. Pour J. Baudrillard, qui se livre à une sémiologie de la consommation, l'objet est un signe dans la société de consommation ; pour P. Bourdieu, l'objet est l'expression des rapports de classe au sein d'une société, quelle qu'elle soit (les analyses de Bourdieu s'appliquent aussi bien à nos sociétés postindustrielles, qu'à la société kabyle ou aux paysans du Béarn, etc.).

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commercial / rues piétonnes du centre-ville, etc.), renvoient aux autres une image de soi qui permet aux individus de se situer à l'intérieur de l'espace social.

Dans ce sens, les centres commerciaux peuvent être considérés comme des lieux de la

production et de la reproduction de la société. "Toute société, par son existence se produit et se reproduit. Si se produire peut être jugé comme un résultat involontaire de la praxis, se reproduire est probablement la seule finalité de la société comprise comme système, et guide la praxis. Autoproduction et reproduction sont dialectiquement liés" (Brunet R., 1986 : 300). Les différences de modèles de consommation et de stratégies de reproduction des classes sociales proviennent de l'habitus de chacune d'entre elles. P. Bourdieu désigne par l'habitus un système de goûts ou de dispositions commun à un ensemble d'agents qui donne une signification à l'ensemble de leurs pratiques de consommation. Il participe à la reproduction des inégalités sociales, et à un moindre degré, spatiales. "Les stratégies de reproduction ont pour principe non une intention consciente et rationnelle, mais les dispositions de l'habitus qui tend spontanément à reproduire les conditions de sa propre production" (Bourdieu P., 1984:8). Les combinaisons entre les formes de capital (économique, culturel, symbolique) qui caractérisent chaque classe sociale (classe dominante, classe ouvrière, classe moyenne et les sous-classes qu'elles comprennent) s'expriment différemment à l'intérieur des champs de la vie sociale, parmi lesquels la consommation, le travail, les loisirs, etc. (ibid.., 1979). La pratique sociale résulte de la confrontation entre un habitus et des variables contextuelles, comme l'environnement et urbain, la composition sociale de la communauté locale, les logiques institutionnelles et politiques locales (Pinçon-Charlot M., 1986). P. Bourdieu préfére à la notion d'acteur social, celle d'agents, parce qu'elle traduit mieux selon lui le poids de l'habitus et le fait que le sens ultime de l'action échappe au sujet, la pratique sociale n'étant ni complètement l'expression d'une structure ni celle d'une volonté absolue. Aux positions à l'intérieur d'un espace social donné et aux dispositions sociales de l'habitus, P. Bourdieu ajoute les trajectoires individuelles.

Ainsi les divisions entre les catégories de biens (biens technologiques, informationnels,

alimentaires25) apparaissent-elles comme l'expression des divisions sociales et se traduisent-elles par d'énormes divergences dans les échelles et dans les modèles de consommation. "La différenciation sociale des pratiques d'achat reproduit les mêmes disparités que celles qui affectent l'inégal équipement des ménages en bien durables" (Péron R., op. cit. : 100). Les sociologues distinguent ainsi différents modèles de consommation : ceux des couches supérieures, qui sont exclusifs ou distinctifs, ceux des couches intermédiaires, qui sont usurpatifs ou imitatifs des modèles supérieurs, et ceux des couches inférieures, qui sont "en retrait" et sont dictés par la nécessité (Bourdieu P., 1979 ; Touraine A., 1969). Chaque

25 Selon la typologie établie par M. Douglas et B. Isherwood (1979).

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ménage s'inscrit dans un modèle de consommation, à plus ou moins grande échelle, en fonction de son statut socio-économique, de la nature des biens consommés (biens informationnels, technologiques, alimentaires) et de la fréquence de la consommation. L'élasticité des dépenses des ménages varie pour chaque catégorie de biens, en fonction du modèle de consommation auquel ils se rattachent. Chez les ménages aisés, elle est plus grande pour l'achat de biens technologiques et informationnels, tandis que les ménages pauvres qui ont des revenus moindres mais aussi des modèles culturels autres, consacrent une plus grande partie de leur budget à l'achat de biens alimentaires. Des études réalisées en Angleterre montrent que la diffusion de la télévision s'est généralisée plus rapidement dans toutes les couches sociales de la population que le téléphone, malgré la baisse du coût de l'abonnement. Le coût du bien ne suffit donc à expliquer seul sa faible propagation parmi les couches sociales les plus défavorisées. De même, l'augmentation des revenus d'un ménage (ou à l'inverse, la baisse) n'entraîne pas nécessairement un changement dans les habitudes de consommation, ce qui perturbe largement la loi d'Engel, selon laquelle les dépenses d'alimentation diminuent (ou augmentent) au fur et à mesure que le revenu augmente (Douglas M., Isherwood B., 1979).

1.2.2. Lieux de consommation et ségrégation urbaine : distribution spatiale et pratiques L'inégalité de la distribution spatiale des équipements commerciaux, en fonction du

degré d'accessibilité aux lieux de consommation et du taux de motorisation des ménages, reproduit en partie les divisions sociales et le rapport différent de chaque classe à la marchandise. Elle renforce l'inégalité des conditions et des positions.

Il existe une étroite corrélation entre la structure sociale, la structure spatiale et structure

commerciale dans les sociétés libérales, même si elle n'est pas absolue et si la ségrégation n'est pas purement le fruit d'une volonté dominatrice, mais plutôt des logiques marchandes. Au-delà de leurs divergences d'interprétation "idéologique", M. Pinçon-Charlot, P. Rendu et E. Préteceille (1986), ainsi que R. Péron (op. cit.) et X. Piolle (1979) mettent en garde contre des interprétations trop simplistes de la relation entre la localisation des équipements (commerciaux, en particulier) et les pratiques des différents groupes sociaux qu'ils engendrent. "La structuration sociale de l'espace, qui est en même temps structuration spatiale de la société, ne saurait être réduite à l'imposition ou à l'inscription d'une "division sociale de l'espace", ou à une ségrégation, assignant à chaque classe une place définie par l'ordre ou directement produite par les politiques urbaines, comme certaines schématisations marxistes l'avaient proposé un peu rapidement" (Préteceille E., 1988 : 17).

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Les lignes de segmentation ne passent pas nécessairement par les divisions sociales, même si celles-ci sont essentielles pour comprendre les différenciations dans le niveau qualitatif de l'offre ou dans le standing des lieux, dans les localisations des équipements et dans les pratiques socio-spatiales (d'achat, de loisir), mais aussi par d'autres clivages, à l'intérieur des groupes sociaux (l'âge, par exemple). Des analyses assez fines doivent être réalisées. Les divisions sociales sont aussi de plus en plus brouillées : les ménages des milieux sociaux favorisés effectuent une partie de leurs achats dans les discounts ou dans les magasins d'usine périphériques, en même temps qu'ils fréquentent les commerces néo-indépendants du centre pour se procurer d'autres produits de luxe et des marques originales. La dévalorisation constante des objets par la consommation de masse peut en effet annuler la logique distinctive des objets et des pratiques d'achat. Les familles modestes viennent, quant à elles, rêver devant les vitrines du centre-ville et faire du lèche-vitrines, mais effectuent leurs achats dans les zones commerciales périphériques et dans les magasins discount. En outre, les classes ne forment pas des blocs homogènes, et les pratiques socio-spatiales peuvent être très différenciées à l'intérieur d'une même classe. Des pratiques urbaines, en apparence semblables, peuvent correspondre à la mise en œuvre de stratégies socio-spatiales dont le sens est différent.

1.3. Centres commerciaux : de l'insertion sociale à l'exclusion

1.3.1. Lien social et technologique et consommation Les divisions entre les marchandises, l'inégale répartition des biens et des innovations et

les irrégularités de la diffusion ne s'expliquent pas seulement par des raisons socio-économiques comme l'insuffisance des revenus. M. Douglas et B. Isherwood proposent une anthropologie de la consommation en réponse à la condamnation unilatérale par certains sociologues du phénomène de la consommation et à l'insuffisance de la théorie économique classique de la rationalité absolue du consommateur. "Les marchandises doivent être comprises (...) comme moyen, pas seulement comme de simples objets de désir, mais comme les fils d'un voile sous lequel palpitent les relations sociales. Mais il ne faut pas perdre de vue que les marchandises ne font que tracer le périmètre du modèle et que l'attention doit se centrer sur le flux de marchandises" (Douglas M., Isherwood B., 1979 : 220).

Les deux auteurs suggèrent que les biens de consommation participent à l'insertion

sociale dans un groupe et permettent le rattachement à un monde technologique. Leurs analyses ne s'inscrivent pas pour autant dans une théorie de la stratification sociale et prolongent en partie les analyses sur la fonction symbolique de la consommation, en particulier dans les mécanismes de reproduction sociale. L'achat est avant tout un acte

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d'échange dont la signification est triple : sociale, technologique et informationnelle. Ce que cherchent à montrer M. Douglas et B. Isherwood, c'est que les classes sociales les plus défavorisées ont des modèles de consommation et des stratégies "en retrait", qu'on retrouve aussi bien dans les sociétés capitalistes que dans les sociétés traditionnelles. Leur cercle social est plus restreint, et ils cherchent à adapter les moyens aux fins espérées, fait que soulignaient déjà certains sociologues comme A.Touraine26. Les modes de consommation des classes supérieures sont exclusifs, mais ne sont pas nécessairement excluants. Posséder une carte de crédit, un compte bancaire ou une automobile ne signifie rien en soi, mais leur possession permet de participer à un modèle de consommation à grande échelle ou à moyenne échelle : avoir une automobile permet de participer au modèle de consommation induit par les centres commerciaux régionaux de banlieue.

L'étanchéité qui existe entre les modèles de consommation à moyenne échelle et à petite

échelle est encore plus forte que celle entre les modèles à grande échelle et à moyenne échelle. Les brèches dans l'insertion sociale qui accentuent la fragilité économique et sociale de certains ménages existent dans toutes les sociétés. "Ils surgissent de décisions de ne pas partager les mêmes rituels de consommation, de n'inviter personne chez soi" (Douglas M., Isherwood B., op. cit. : 220). Or, certaines sociétés sont plus excluantes que d'autres, et les divergences dans les échelles de consommation sont d'autant plus grandes que la société est stratifiée. Tout dépend de l'attitude des différents groupes sociaux. La consommation dans les sociétés libérales avancées a des effets excluants, parce que le repli sur soi de l'individu, la privatisation des comportements ne favorisent guère l'ouverture. Ces dernières remarques nuancent l'orientation ethnométhodologique de l'approche de M. Douglas et de B. Isherwood. Les processus d'exclusion par la consommation ne sont certes pas seulement fondés sur le niveau de revenu, mais aussi sur des symboles qui stigmatisent la pauvreté. "Être riche signifie être solidement intégré à une communauté riche (...). Être pauvre, au contraire, c'est être isolé. Le concept d'intégration sociale a besoin d'être réélaboré" (ibid., op. cit. : 177).

1.3.2. Le centre commercial, lieu d'insertion et d'exclusion sociale dans les sociétés

postindustrielles

26 A. Touraine (1969 : 278) avance aussi l'hypothèse du lien social et culturel pour expliquer la différenciation dans les modes de loisirs au sein de la société post-industrielle et dans la civilisation des loisirs. Il rejette en effet une condamnation unilatérale de la société des loisirs au nom de la distinction nostalgique et passéiste entre loisirs actifs (anciens, traditionnels, folkloriques, liés aux activités professionnelles) et loisirs passifs (de masse). Les strates supérieures concentrent la capacité d'innovation et d'initiative en matière de loisirs, la consommation pouvant alors augmenter leurs possibilités de choix et leur liberté individuelle, tandis que le strates moyennes sont dominées par des conduites d'imitation, et les strates inférieures par des conduites de retrait ou de participation soumise.

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Encore faut-il effectivement préciser le sens de l'insertion sociale dans les sociétés

postindustrielles. Les lieux de consommation apparaissent de plus en plus comme des lieux d'insertion sociale, de recomposition des identités, de socialisation. Ils prennent le relai des lieux du travail qui n'assurent plus ce rôle pour tous, du fait de la précarisation du travail et de la montée du chômage. Dans le modèle keynésiano-fordiste d'intégration sociale, la socialisation était assurée en partie par l'État, et l'intégration se définissait par rapport aux normes sociales de la classe moyenne : par le travail, par la consommation et par les loisirs, par les équipements collectifs publics. Or, le mythe du plein emploi, comme celui de la société de consommation, se sont écroulés, et le sens de l'intégration sociale a aujourd'hui changé. Le temps libre de ceux qui ont un emploi, occupé par des loisirs en grande partie façonnés par l'industrie marchande des loisirs, se dissocie de l'"oisiveté" des chômeurs et des pauvres qui peut s'avérer une contrainte. "Devant ce problème, l'État est démuni par rapport aux publicitaires et aux marchands qui détiennent les moyens de consommation de ce temps vacant" (Mothé D., 1992 : 39). L'intégration se définit de plus plus en référence à la consommation et à la conception utilitariste de l'intégration au marché (Touraine A., 1992). La société post-libérale, ou plutôt néo-libérale, telle que la décrit A. Touraine dans sa théorie de l'"in" et de l'"out" par rapport à une société en "champ de course"27, est formée de trois groupes : les pilotes, c'est-à-dire les acteurs économiques, qui répondent aux incitations du marché ; les passagers, c'est-à-dire la masse des consommateurs ; et, les exclus. Sont des exclus tous ceux qui sont incapables de participer au marché de consommation ; sont intégrés -au sens durkheimien du terme- tous ceux qui sont membres à part entière du corps social et qui participent au marché en tant que consommateurs, "l'intégration [s'accomplissant] dans la société post-moderne par persuasion en invoquant santé, sécurité et rationalité" (Lipovetsky G., 1983 : 35) ; enfin, sont insérés tous ceux qui, tout en ne participant pas pleinement à la consommation, ont le sentiment de l'être, par l'accès aux lieux de la consommation et par le crédit, par exemple. Renvoyer une image positive de soi est la condition de l'insertion sociale des classes moyennes : "La consommation par l'endettement, spécialement dans un milieu social où l'image compte pour rester sur le marché du travail, semble constituer une caractéristique indépassable du développement du cycle économique" (Marazzi C., 1994 : 66).

1.3.3. Sémiologie de l'espace de la consommation

27 Voir à ce sujet les analyses de A. Touraine dans Critique de la modernité, ainsi que les nombreux articles publiés dans la revue Esprit sur le thème des banlieues et de l'exclusion, et repris dans des ouvrages collectifs publiés aux éditions Esprit à la suite des entretiens sur la ville organisés en collaboration par la Délégation Interministérielle à la Ville (DIV) et par Esprit.

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Les vitrines des magasins des centres commerciaux, mise en scène de la société d'abondance, interface mais aussi barrière entre le désir et sa satisfaction, entre le client et la marchandise, et "sas où la projection se libère en pulsion d'achat ou se rétracte en frustration" (Péron R., op. cit. : 16), ont souvent canalisé et cristallisé désirs, aspirations, et engendré des frustrations latentes. Le commerce, avec ses vitrines, est en effet aussi un miroir de la société, miroir qui reflète aux uns et aux autres l'image valorisée ou dégradante de leur intégration, de leur exclusion ou de leur insertion, selon les cas. Le décalage entre les aspirations et la réalité sociale et économique, accentué par les medias, comporte des risques de dérive vers une violence anomique très durkheimienne, dans une société de plus en plus fragmentée, caractérisée par la dissolution de la famille et du social organique. Les jeunes des milieux défavorisés, pour lesquels l'apparence vestimentaire et les codes sociaux comptent beaucoup, et dont les incertitudes devant l'avenir sont décuplées dans le contexte social actuel, ressentent encore plus durement cette exclusion des bienfaits de la société de consommation. Les "casses" contre les supermarchés, les hypermarchés et les commerces, en France, aux Etats-Unis, au Royaume-Uni, sont apparus comme des symptômes d'une exclusion croissante, incarnée par certaines formes modernes du commerce comme les centres commerciaux.

Le commerce a un fort impact sur la ville et sur la société dans les sociétés libérales et

dans un système économique capitaliste. D'une part, l'homogénéisation par la consommation est un mythe, et la crise économique structurelle des années 1970-1980, ainsi que la montée des politiques néo-libérales, ont souligné que les lieux de consommation de masse peuvent être des lieux d'insertion sociale pour les uns et des lieux d'exclusion sociale et symbolique pour les autres. D'autre part, les inégalités dans l'accès aux lieux de consommation et les différenciations dans leur localisation reproduisent en grande partie les inégalités sociales : la distance, les différences qualitatives dans l'aménagement de l'espace, le rapport social différent à la marchandise, jouent un rôle ségrégatif.

2. Urbanité, centralité et commerce

Nous avons évoqué la place du commerce dans les politiques urbaines et les formes de

l'évolution marchande en centre-ville comme dans la zone périurbaine, ainsi que l'impact que peuvent avoir les formes modernes du commerce sur la société. Le commerce a constitué l'un des éléments essentiels de la redéfinition de la centralité haussmannienne, comme des formes de centralités développées dans les années 70. Quelles en sont les raisons ?

2.1. Centralité et commerce

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2.1.1. Le rôle du commerce dans l'organisation spatiale de la ville De nombreux auteurs, parmi lesquels H. Pirenne, ont situé le commerce, que ce soit le

commerce intérieur ou le grand négoce, comme l'une des fonctions essentielles de la ville dès l'Antiquité, des villes-marchés du Moyen-Âge aux villes frontières qui vivent de la contrebande, en passant par les villes-ports. La ville médiévale, en particulier, organisée autour de son marché et de ses halles, est le lieu de l'échange commercial, tandis que celle de la Renaissance centralise la richesse du capitalisme commercial et bancaire. Marchés et foires tissent les liens entre les habitants des villes et ceux des campagnes. La ville facilite l'échange économique.

La concentration d'activités dites centrales est l'une des premières caractéristiques de la

définition du centre-ville. Que ce soit dans les modèles urbains néo-classiques de hiérarchisation des villes d'un système urbain, notamment dans la théorie des lieux centraux de Christaller et dans le modèle de Lösch, dans les modèles de hiérarchisation empirique des activités commerciales intra-urbaines comme celui de B. Berry, ou encore dans les modèles d'écologie urbaine (le modèle concentrique de Burgess, celui des secteurs de Hoyt ou celui des noyaux multiples de Mc Kenzie), le commerce et les services à caractère commercial jouent un rôle essentiel comme éléments structurants de la ville et comme facteurs d'attraction des populations. À partir de l'exemple de la ville de Chicago, B. Berry a établi une typologie des formes commerciales urbaines, distinguant le CBD, les centres commerciaux secondaires, les rubans commerciaux, les principales artères urbaines, et les zones spécialisées (Berry B., 1971). On peut néanmoins s'interroger sur la validité, dans d'autres pays aux cultures éloignées, de ce modèle élaboré à partir de l'exemple des villes nord-américaines.

La logique économique impose à l'évidence la spécificité du commerce central. Le

centre est en effet "le lieu où se déroulent les activités vues comme particulièrement importantes, celles se situant au niveau hiérarchique le plus élevé." (Rémy J., Voyé L., 1992 : 91). Le chiffre d'affaires des commerces et des services à caractère commercial centraux est sensible à l'intensité du passage de la clientèle potentielle et à l'importance des achats impulsifs. Les commerces centraux sont aussi les commerces les plus rares ou les plus prestigieux, ceux dont la fréquentation est espacée, les commerces anomaux par opposition aux commerces banaux. Ils privilégient une localisation centrale, où l'accessibilité est maximale. Les commerçants qui sont installés en centre-ville acceptent de payer des loyers supérieurs, compensés par un chiffre d'affaires au m² proportionnellement plus élevé. D'une ville à l'autre, cependant, on ne retrouve pas nécessairement les mêmes spécialités en centre-ville.

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Le centre-ville, de toutes façons, ne se laisse pas enfermer dans une simple définition de type fonctionnaliste. De même, le commerce n'a pas qu'une signification économique.

2.1.2. Fonctions sociales, symboliques et politiques du commerce en centre-ville Le centre-ville se caractérise traditionnellement par la densité d'occupation des sols, par

ses fonctions (administratives, politiques, commerçantes, etc.), par la valeur supérieure des terrains. Si, dans la citation précédente, J. Rémy et L. Voyé insistent plus sur le rôle fonctionnel du centre, tout en soulignant que le centre "est en outre le lieu symbolique par excellence, celui de l'histoire et de la mémoire collective" (ibid., op. cit. : 91), ils reviennent sur la dimension symbolique et politique de la centralité. "La centralité suppose un espace à signification symbolique prédominante qui constitue le fond sur lequel viennent éventuellement prendre forme des activités commerciales et des services divers. Le fond d'identification symbolique trouve son origine dans le fait que le centre est, au départ, le lieu à partir duquel s'exerce le pouvoir et s'unifie le groupe" (ibid., 1981 : 86).

En France, la "reconquête" des centres-villes est passée par le redéploiement des formes

marchandes et des rues commerçantes piétonnes. La localisation centrale du commerce a aussi une signification sociale et culturelle, voire symbolique. Le commerce n'est pas seulement un élément structurant de la ville, ce qu'ont effectivement montré les modèles spatiaux néo-classiques, pas plus que la ville n'est un simple objet. La centralité s'est orientée, dans la deuxième moitié du XXème siècle, vers la consommation et les activités tertiaires, prolongeant, d'une certaine façon, le mouvement impulsé par Haussmann au XIXème siècle. Le commerce contribue à la construction de l'image du centre-ville, et plus largement de la ville. En tant que tel, il est l'un des outils d'intervention sur le centre, notamment de sa réhabilitation, dans un contexte où l'image de la ville compte de plus en plus pour attirer entreprises et cadres supérieurs. En outre, les vitrines des boutiques animent le centre-ville et attirent les chalands qui viennent s'y promener. Le commerce est une dimension essentielle de la centralité, non plus d'un point de vue fonctionnel, mais de celui de l'espace vécu (Piolle X., 1979).

Cependant, un centre d'achat se définissant comme monofonctionnel ne peut pas, selon

J. Rémy et L. Voyé, être centre de mémoire et support d'identifications collectives. Le commerce ne suffit donc pas à définir la centralité, même s'il en est l'un des éléments fondamentaux.

2.2. Urbanité et commerce : entre "savoir-faire la ville et savoir-vivre en ville"

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L'échange marchand a trait aux formes de la sociabilité en ville, laquelle est indissociable de la diversité culturelle, et partant, des formes urbaines particulières. La ville facilite l'échange tant économique que social. La communication est en effet l'une des fonctions essentielles des villes, selon P. Claval.

2.2.1. Identité urbaine et commerce Les lieux commerciaux matérialisent ainsi l'échange économique et social, la culture

constituant l'une des médiations principales et donnant sa forme particulière et originale aux établissements, à leurs spécialités. La variété des commerces, dans leurs spécificités culturelles et ethniques forge l'identité d'une ville, lui donne un visage. "Le paysage porte (...) l'empreinte des cultures qui l'ont façonné : empreinte fonctionnelle d'abord (...) ; empreinte symbolique" (Claval P., 1992a : 14). Le paysage commercial, tout comme le paysage urbain, est marqué par la culture, "ensemble des représentations sur lesquelles repose la transmission des sensibilités, des idées et des normes d'une génération à l'autre" (Claval P., op. cit. : 12). Les marchés du quartier de l'Alto à la Paz, avec leurs yucas et leurs chuños28, leurs poulets grillés, leurs milliers de gris-gris et d'offrandes en tous genres, foetus de lamas séchés, poudres diverses, etc., ne ressemblent pas du tout aux rues commerçantes spécialisées du centre de Mexico, dont les multiples boutiques spécialisées et les étals n'évoquent en rien les vitrines des boutiques des principales artères commerçantes de Buenos Aires. Le commerce, en ce sens, reflète bien une société et une culture, en même temps qu'il est l'expression de l'urbanité de la ville, c'est-à-dire de sa forme particulière et de ses modes d'échange. L'urbanité est en effet la "qualité d'une organisation urbaine illustrant l'identité d'une ville, sa mémoire, ses conflits, ses changements (...). L'urbanité tend à mettre en relation l'homme et la ville à travers une culture et le génie du lieu" (À la recherche de l'urbanité, Biennale de Paris, 1980, citée dans Bailly A. dir. : 1991).

Aussi les rapports entre le commerce et la ville diffèrent-ils d'une culture à l'autre, d'une

cité à l'autre. La forme de la ville et son identité, d'une part, les configurations commerciales, d'autre part, sont étroitement liées. Les pratiques sociales localisées donnent un sens aux formes spatiales. Aussi le sens d'un même dispositif morphologique peut-il avoir des significations très éloignées dans des contextes culturels et urbains différents. C'est le cas des galeries marchandes. Les deux exemples des passages couverts de la ville haussmannienne et du souk de la ville arabe traditionnelle montrent à quel point leur sens est opposé, alors que les formes se rapprochent. En évoquant le cas de la ville de Fès et de sa medina, J. Rémy et L. Voyé montrent que celle-ci s'organise autour de la mosquée d'où rayonnent les principales artères marchandes couvertes qui structurent la ville (Rémy J., Voyé L., op. cit. : 115-116).

28 Les yucas sont des sortes de patates douces, et les chuños des pommes de terre déshydratées.

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Au fur et à mesure que l'on s'éloigne de la mosquée qui constitue le cœur urbain, spirituel et symbolique de la ville, la densité commerciale a tendance à décroître, et bientôt, on se perd dans un dédale de ruelles obscures indifférenciées, véritable labyrinthe dans lequel un occidental a bien du mal à se retrouver.

L'inscription du commerce dans la ville revêt un sens symbolique et social qu'il n'a pas

du tout dans la ville occidentale : d'une part, l'espace marchand dans la medina arabe est le lieu profane par excellence, par opposition aux lieux sacrés que constituent la medina et les medersas, d'autre part, il est aussi le lieu public, par opposition aux lieux privés que sont les habitations. La ville entretient un rapport intime avec ses commerces. Cependant, comme dans les villes occidentales, le commerce obéit à la logique de la spécialisation. Ici, on peut trouver des tissus de toutes les couleurs, là travaillent les bouchers, autre part, ce sont les marchands de poteries et d'autres produits artisanaux, un peu plus loin, on vend des onguents, du henné et des produits de beauté. Surtout, la forme fermée et couverte du souk ne s'éloigne pas véritablement de celle des passages parisiens des XVIIIème et XIXème siècles. Mais c'est dans leur rapport au reste de la ville et dans leur sens, que le souk et le passage sont dissemblables. D'un côté, le passage induit une logique fonctionnaliste et une dissociation croissante entre le commerce et la ville, par rapport aux marchés, aux étals de rue ou même aux échoppes, tandis que les marchandises s'exhibent, mises en scène dans les vitrines ; de l'autre, la ville intériorise le commerce, la medina excluant les transports motorisés, en dehors des motocyclettes qui peuvent seules circuler dans les étroites venelles. La pratique sociale donne un sens à l'espace commercial.

2.2.2. Le rôle du commerce dans les formes de l'interaction sociale L'urbanité a aussi trait à la spécificité et la qualité des pratiques sociales, aux formes de

l'interaction en ville. Elle est en effet un savoir-vivre en ville. Les travaux de l'École de Chicago vont au-delà d'une caractérisation purement spatiale de la ville et l'analyse de la distribution des activités et des groupes de population, dans laquelle le centre est le lieu de majeure compétition des groupes et des activités. Des travaux comme The Ghetto de L. Wirth insistent aussi sur d'autres dimensions, plus sociales, de la ville, notamment, sur le rôle qu'elle joue dans les processus d'assimilation et d'interaction sociale entre des groupes d'origine culturelle différente, ainsi que sur la diversité et l'hétérogénéité des modes de vie et des espaces qui font l'urbanité. Les commerces favorisent la mise en contact entre des groupes sociaux et culturels différents, malgré la relative ségrégation des fréquentations et la segmentation des achats, ils permettent d'entretenir des relations avec des voisins, ils confrontent les individus avec les visages inconnus qui composent la foule bigarrée des usagers des rues commerçantes du centre-ville. Le commerce urbain contribue au maintien du

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lien social, mais les pratiques des commerces de quartier n'ont pas la même signification que celle des commerces du centre-ville. Les rapports entre eux sont complémentaires, parce qu'ils correspondent à des dimensions et à des niveaux différents de l'expérience urbaine. Chez les commerçants de son quartier, on échange des paroles, des nouvelles, des commérages. On est en terrain connu. Le centre est le lieu d'exposition de soi, d'expérience de l'altérité, mais aussi tout simplement un lieu de loisir. Plongé dans l'anonymat, on vient voir, flâner, on va se montrer, on va aussi s'amuser.

C'est de par sa fonction communicationnelle, de lieu favorisant la conversation et tissant

les liens sociaux, que le commerce induit des comportements et des usages publics. Si, au sens le plus strict du terme, l'espace public correspond à un statut juridique comme espace relevant du droit public désigné sous l'expression de domaine public, il est aussi, dans un sens plus large, l'espace investi par la rationalité étatique, dont l'aménagement est sous-tendu par la notion d'intérêt général. Enfin, on considère aussi comme publics l'ensemble des lieux qui, étant des lieux de la vie sociale, se caractérisent par des usages et par des pratiques publiques, par opposition aux usages et aux pratiques privés. On distingue en général d'un côté l'espace public qui relève du domaine de l'État, et de l'autre, les lieux publics, qui, tout en relevant du droit privé, se caractérisent par des usages publics. Les usages publics ont trait à la conversation, à la rencontre, au maintien du lien social. Historiquement, les cafés, lieux d'accès semi-public, caractérisés par des usages publics, ont été, dans la civilisation occidentale et pour la société bourgeoise européenne, les espaces de la discussion, de la critique et du politique. "La bourgeoisie qui, partant du privé, affirme son droit [face à l'État] à la constitution de lieux de consensus et de critique qui deviennent sa sphère publique et qu'elle apprend progressivement à distinguer de sa sphère stricte d'appropriation privée, elle-même en train de se constituer à travers le développement de la cellule familiale comme unité close de gestion, de calcul et de projet" (Rémy J., Voyé L., op. cit. : 102). De nos jours, c'est surtout l'exposition de soi au regard d'autrui qui délimite, selon R. Sennett, l'usage public de l'usage privé.

En France, la fortune de l'expression "espace public" date des années 70, et a été

imposée à travers la mise en place des politiques de la ville et la "requalification" des espaces extérieurs. Mais il s'agit d'une réalité sociale et urbaine ancienne. "Le recours aux "espaces publics" répondrait pour partie à une volonté plus ou moins explicite de renouer avec les qualités urbaines et les conceptions de la ville historique, et de réhabiliter des systèmes d'espaces et de pratiques de vie urbaine tombées en désuétude, ou déqualifiées sous la pression des transformations économiques et sociales et des mécanismes d'urbanisation des années 50-70" (Plan Urbain, 1988 : 19). Il est en tout cas certain, que la place et les formes de l'espace public, les rapports entre les espaces privés et les espaces publics varient d'un pays à

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l'autre, comme on l'a vu à propos des cas français et états-unien. Mais les pouvoirs publics ont longtemps oublié que les lieux commerciaux sont, eux aussi, des lieux de la pratique sociale publique, leurs actions portant surtout sur la rue, les parcs et les jardins, etc. L'exemple des zones commerciales d'entrée de ville montrent l'absence de réflexion urbanistique sur ces lieux publics.

Le caractère public des lieux observe des degrés divers. La rue (en principe publique)

est accessible à n'importe quelle heure, tandis qu'un parc a des heures d'ouverture et de fermeture. D'autre part, pratiques publiques et privées sont fréquemment enchevêtrées. Ainsi la rue commerçante est-elle plus publique que la boutique dès qu'on a franchi le seuil de la porte d'entrée. Dans la gradation des espaces publics et privés, les lieux commerciaux constituent une interface entre les deux, entre les usages publics comme la promenade, la discussion publique, l'exposition de soi, et les usages privés liés à la consommation. De même, les formes spatiales sont plus ou moins ouvertes. Les cafés, fermés, sont tournés vers l'intérieur, même si les terrasses peuvent empiéter sur l'espace proprement public. Ils ne sont accessibles qu'aux seuls clients, bien que l'accès à certains services (toilettes, téléphone public), laissé à la discrétion du propriétaire des lieux, soit permis. Mais certains lieux publics ont des usages plus restreints que d'autres, en fonction des normes imposées, et de toutes façons, il ne faut ne pas oublier que, dans la pratique, l'espace public est l'objet de pratiques et de fréquentations ségrégées qui résultent de l'inégalité des possibilités d'accès des groupes sociaux aux différents points de la ville, mais aussi du sens du discours et des représentations portant, dans le projet politique de l'État moderne, sur l'espace public.

2.2.3. Qualité urbaine, force du lien social et commerces Les zones commerciales aux entrées de villes qui induisent la disparition des vitrines,

remplacées par des grands hangars préfabriqués aux façades lisses et aveugles, apparaissent foncièrement comme des espaces de très faible qualité. Les liaisons piétonnes entre les bâtiements sont mal assurées, la présentation de la marchandise est des plus sommaires, même si des familles viennent s'y promener le week-end. La recherche du moindre coût et la banalisation de l'achat ont sacrifié l'urbanité des lieux, en particulier la qualité spatiale.

Mais les liens entre commerce et urbanité vont plus loin. La crise de la ville, autrefois

associée à la civilisation, est aussi aujourd'hui une crise de la socialisation en ville, de la production d'espaces urbains de qualité jouant un rôle dans l'intégration des individus au reste de la société. La grande ville sécrète une forme de solitude angoissée et un sentiment d'insécurité tenace, tandis que les liens sociaux ont tendance à s'y distendre. D'une part, l'urbanisation, en développant l'anonymat et en diminuant le contrôle collectif informel basé

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sur la connaissance et la reconnaissance des individus entre eux, a exacerbé le sentiment d'insécurité (Rémy J., Voyé L., 1981). D'autre part, le sentiment d'insécurité, caractéristique de la transition de la société moderne vers la société postmoderne est la contre-partie du procès de personnalisation propre à l'individualisme contemporain et du désinvestissement de l'État de la sphère publique, dont on a vu qu'il avait été accentué en Argentine. Il est "le corrélat d'un individu déstabilisé et désarmé amplifiant tous les risques, obsédé par ses problèmes personnels, exaspéré par un système répressif ou "trop" clément, habitué à être protégé, traumatisé par une violence dont il ignore tout" (Lipovetsky G., 1983 : 292). L'urbanité des lieux, à la fois leur qualité et la force du lien social qui les caractérisent, est en grande partie corrélée au nombre et aux types de commerces implantés dans un quartier : la faible densité de commerces en milieu urbain s'accompagne souvent d'une faible intensité des relations sociales. Les commerces, notamment les petits magasins de proximité, constituent des points d'ancrage de la vie sociale des habitants d'un quartier. Les cafés de quartier, en particulier, tant critiqués par le Corbusier comme éléments de désordre urbain, constituent pour certaines personnes isolées, les seuls lieux de l'échange social. Les recherches sur le commerce et la ville s'orientent de plus en plus sur le déclin du petit commerce de quartier et son maintien, et sur le développement de l'appareil commercial dans les grands ensembles, où celui-ci a pourtant du mal à se maintenir en raison de l'insécurité ambiante et de la faible qualité de l'aménagement des espaces marchands (Bouveret-Gauer M. et al., 1994).

Il est désormais clair que les politiques d'urbanisme commercial et les politiques

d'aménagement urbain doivent aussi prendre en compte la dimension sociale, symbolique et urbanistique du commerce, sans ignorer pour autant les nécessités de sa modernisation dans le contexte d'économies libérales. On peut donc s'interroger sur les capacités des centres commerciaux à créer de la centralité et de l'urbanité, sur les formes de sociabilité qu'ils engendrent, ainsi que sur les rapports qu'entretiennent la ville et le commerce moderne. On a déjà vu que ceux-ci différaient profondément aux États-Unis et en France, et qu'une même forme commerciale pouvait revêtir plusieurs significations. Or, le centre commercial apparaît comme un produit standardisé.

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Chapitre 4. Sources et méthodes ou comment s'adapter à une autre rationalité. Notre enquête à Buenos Aires.

Pour interroger les rapports entre commerce, ville et société à Buenos Aires, nous avons

choisi, en partant des formes particulières de l'espace commercial, de nous interroger sur leur sens et sur les logiques sociales, politiques, économiques voire symboliques qui sous-tendent la production des shopping centers à Buenos Aires. C'est le sens de la ville à la fin des années 80 qui nous intéresse, et les centres commerciaux nous paraissent porteurs de multiples significations. Nous interrogerons donc les relations entre l'objet "centre commercial" (formes et fonctions), la distribution spatiale des centres commerciaux et les stratégies d'acteurs. Sur le terrain, les travaux ne se sont pas toujours révélés aussi faciles que prévus.

1. Les méandres du terrain

1.1. Les difficultés d'accès aux sources

L'accès aux sources en matière de géographie commerciale est ardu, comme chacun le

sait, en raison de la confidentialité fréquente des données. L'une des difficultés en ce qui concerne l'étude des stratégies d'acteurs, qu'il s'agisse de celles de la clientèle, des distributeurs ou des promoteurs, réside dans l'accès aux sources. Celui-ci induit l'étroitesse des liens entre les chercheurs et les acteurs eux-mêmes (bureaux d'études et de programmation, chambres de commerce et d'industrie, promoteurs, distributeurs). Il l'est plus particulièrement en Argentine, où l'absence de tradition de recherche sur le secteur privé, la concurrence économique exacerbée par le retour à la stabilité économique, les opérations de redressement fiscal engagées par le fisc argentin, la Dirección General de Impuestos (DGI), développaient, au moment de la réalisation de nos travaux de terrain, un climat de méfiance presque paranoïaque de la part des acteurs économiques (paranoïa, surtout chez les commerçants). Par ailleurs, la centralisation du pouvoir, la faible transparence de l'information et la dispersion des administrations et des sources publiques, la bureaucratie administrative et les changements politiques ne facilitent guère l'accès à une information en principe publique et allongent les délais pour l'obtention de l'information administrative. Sans compter que, tant pour les démarches entreprises auprès des acteurs économiques que des acteurs institutionnels d'importance, il faut de solides recommandations.

Il suffit de quelques cas concrets pour illustrer les difficultés rencontrées. Les dossiers

d'instruction de l'obtention de dérogations au code de l'urbanisme (comprenant l'ensemble des documents juridiques, contractuels, techniques, etc.) pour certains centres commerciaux, ainsi que les contrats signés entre les promoteurs et la municipalité, sont bien entendu

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inaccessibles, ont disparu, etc. Dans certains cas, la bureaucratie et la complexité des procédures peuvent s'avérer kafkaïenne : il aura fallu plus d'un an par exemple, entre les démarches administratives, les changements de municipalité et la privatisation du cadastre, pour obtenir des extraits cadastraux. Dans d'autres, la concession de certains services de la municipalité comme le cadastre, la modernisation de l'administration, en particulier son informatisation, ont augmenté les obstacles, en rendant l'information payante. L'informatisation du service des habilitations commerciales a effacé toute information concernant les usages antérieurs. Le simple fait d'identifier les acteurs devient une course d'obstacles ! Sans parler des obstacles matériels (annuaires téléphoniques incomplets, téléphone défectueux, etc.) liés à l'état désastreux des services et des équipements... Ce dernier problème, pas plus que les autres, n'est particulier à l'Argentine, mais il complique largement les travaux de terrain, quand la totalité des contacts avec les acteurs, surtout les acteurs privés (commerçants et administrations des centres commerciaux), doit se prendre par téléphone.

La collecte de sources a donc souvent été longue, fastidieuse et pleine d'embûches en tous genres.

Les anecdotes sont innombrables. Mais, au-delà de l'anecdote, reste la réalité : les

méthodes de recherche doivent s'adapter aux obstacles rencontrés, aux traits caractéristiques du terrain argentin, entre développement et sous-développement, avec une rationalité et des modes de relation particuliers. Une enquête construite "rationnellement" sur la détermination d'échantillonnages représentatifs devient totalement inopérante, si les possibilités de réponse sont aléatoires et dépendent de la bonne volonté des acteurs comme de la conjoncture du moment. Le facteur temps est de toutes façons essentiel au bon déroulement des travaux de terrain. Beaucoup de démarches entreprises pour avoir accès à telle ou telle source prennent du temps pour aboutir à un résultat nul. Les objectifs du travail sont souvent également conditionnés par ces restrictions.

1.2. Intérêt et limites d'une démarche comparative

Comme il ne s'agissait pas de faire une monographie des centres commerciaux à Buenos

Aires dont l'intérêt aurait été plutôt limité, la démarche comparative est toujours restée sous-jacente à notre analyse : ce sont toujours les différences qui s'imposent dans un premier temps. L'analyse comparative qui permet de relativiser les faits empiriques, sans constituer pour autant une théorie, n'est cependant pas systématique. Deux raisons majeures ont incité à un aller-retour permanent entre différentes échelles, locale, nationale, continentale, mondiale :

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• D'abord, la comparaison concerne l'objet lui-même dans sa relation aux pratiques socio-urbaines et aux stratégies socio-spatiales. D'une part, le centre commercial correspond à la diffusion de modèles importés de production de la ville et de consommation, et la prégnance des stratégies d'imitation dans les pratiques socio-culturelles et dans les modes de consommation argentins ne pouvaient passer sous silence la référence aux modèles en l'occurrence de la France et des États-Unis. D'autre part, si la modernisation du commerce est très rapide en Argentine, l'Italie, le Portugal, l'Espagne, ou encore le Brésil et le Mexique, connaissent des mutations semblables. Mais les difficultés pour synthétiser une littérature plutôt éclatée et des sources très dispersées, ainsi que pour comparer des données hétérogènes sur les centres commerciaux (malgré les tentatives d'unification entreprises par certains géographes, notamment dans le vocabulaire29), ne facilitaient guère la comparaison. On trouvera dans la bibliographie des références aux travaux sur la modernisation du commerce et sur les centres commerciaux dans les pays d'Europe du sud et d'Amérique latine aux caractéristiques socio-économiques et / ou culturelles similaires, ainsi que dans d'autres pays, aux caractéristiques socio-culturelles différentes, comme en Asie du sud-est. Ils ont tous connu des mouvements récents et contemporains de modernisation de leur appareil de distribution. Comme il s'agit souvent d'articles, la comparaison reste limitée, sauf dans le cas du Portugal (et de l'Espagne), où de nombreux chercheurs travaillent en géographie commerciale (T. Barata Salgueiro, L. Marrou, etc.), et dont les ressemblances avec l'Argentine sont frappantes.

1.3. Démarche et étapes du travail

1.3.1. Approche globale et étude de cas La volonté de comprendre la logique sociale et spatiale des centres commerciaux dans

une certaine globalité nous a poussé à délaisser l'étude de cas, non pas dans une intention totalisante de compréhension de la réalité comme dans certaines démarches de type déductif, mais afin de percevoir la complexité des processus. L'approche par les systèmes d'acteurs que nous avons adoptée ne prétend pas fournir des explications globalisantes. L'événement et le lieu ne sont en effet que des fragments d'une totalité, et la fragmentation est la contre-partie du processus de mondialisation.

29 C'est un problème que souligne A. Metton au début de sa thèse (op. cit.). Le vocabulaire et la nomenclature sont souvent confus et mal adaptés aux préoccupations des géographes, et les comparaison, d'un pays à l'autre, sont souvent difficiles, en raison de cette imprécision : doit-on parler de la surface totale ou de la surface locative (surface GLA) pour mesurer la taille des centres commerciaux ? Comment disposer de données suffisantes (surface et coût) pour comparer le coût de construction ? Le problème s'est posé quand il s'est agi de comparer les coûts de construction des différents shopping centers argentins, et il est longuement évoqué en annexe La commission des activités commerciales de l'Union Géographique Internationale a fait beaucoup d'efforts dans cette direction.

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Focaliser immédiatement notre attention sur un seul centre commercial aurait déformé

la réalité : comme le rappelle R. Péron, ne voir que Parly 2 comme archétype des lieux de consommation à la fin des années 60, comme l'a fait J. Baudrillard, c'était ignorer des centres commerciaux comme Plan-de-Campagne dans le Var, près de Toulon, engendrant d'autres types d'usages et d'autres formes de rapport à la marchandise (Péron R., op. cit. : 29). En même temps, comme nous l'avons souligné, l'accès à l'information n'était pas aisé. Interroger le sens de l'émergence des centres commerciaux à Buenos Aires, les corrélations entre les fréquentations, la structure de l'espace et la structure sociale, était accepter nécessairement la complexité des pratiques sociales et des stratégies des acteurs et questionner l'hypothèse selon laquelle les centres commerciaux traduisent une montée de la concentration de la consommation et s'adressent aux couches sociales supérieures.

L'une des plus grandes difficultés a été d'arrêter le nombre de centres commerciaux à

étudier. En effet, la contemporanéité du phénomène et son développement rapide modifiaient en permanence les faits empiriques. Le réel devenait mouvant. Si les données empiriques sont donc à prendre avec précaution parce qu'elles correspondent à un moment donné de l'étude, celui de la période des travaux sur le terrain, c'est la théorie qui permet d'anticiper sur les évolutions futures et de compenser les limites de l'empirisme. L'analyse des processus concrets (notamment des stratégies interdépendantes des promoteurs et des acteurs institutionnels) nous obligeait donc à établir un aller-retour constant entre l'observation des faits et la théorie : les études de cas venaient infirmer ou confirmer la théorie.

1.3.2. Étapes du travail et phasage temporel Le travail s'est déroulé en plusieurs étapes : • la première a consisté en la caractérisation de la modernisation commerciale en

Argentine, des principaux traits physiques et commerciaux des centres commerciaux de l'agglomération de Buenos Aires, et de leur évolution spatio-temporelle ;

• la deuxième a porté sur l'identification des principaux acteurs de la production des

centres commerciaux et sur l'étude des stratégies conjointes des opérateurs publics et privés ; • la troisième a abordé les aspects liés à l'étude des représentations des centres

commerciaux dans la presse, et à une analyse sémiologique architecturale ;

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• la quatrième, enfin, est constituée de l'analyse des fréquentations et des pratiques des usagers.

Le travail de terrain s'est réalisé en deux temps, entre mars 1992 et décembre 1992 et

entre juillet et décembre 1993. La première phase couvrait l'essentiel des travaux de terrain : une enquête auprès des administrations des centres commerciaux, des entretiens avec les acteurs principaux et secondaires (architectes, municipalité, agences immobilières), la recherche de matériel cartographique, bibliographique, ainsi que des sources institutionnelles disponibles, le dépouillement de la presse, la collecte des données des recensements. La deuxième, beaucoup plus courte, nous a surtout permis de compléter l'information qui nous manquait (entretiens, bibliographie), de récupérer les documents pour lesquels des procédures administratives avaient été engagées lors du séjour précédent (extraits cadastraux, données du recensement), et enfin de compléter l'étude des usages et des pratiques des centres commerciaux.

Nous n'avons donc pas obtenu le même degré de richesse dans le détail de l'information:

nous ne pouvions en effet revenir en arrière et recommencer les enquêtes effectuées lors de la première phase pour les centres commerciaux récemment inaugurés. Les enquêtes et les recherches complètes et systématiques n'ont été réalisées que pour les centres commerciaux ouverts avant septembre 1992. Pour les autres, nous ne disposons que d'informations limitées. En fonction du degré de précision de l'information, nous traiterons soit de l'ensemble (ou de partie) des centres commerciaux inaugurés en décembre 1994, soit des douze inaugurés avant 1993. Nous avons aussi souvent inclus les informations concernant les projets dont l'inauguration était prévue prochainement (Abasto), ainsi que les projets finalement abandonnés mais dont l'état d'avancement était suffisant : Paseo Colón était construit, et les avant-projets de Barrancas de Belgrano étaient achevés, quand les promoteurs se sont vu refuser la construction du centre commercial. Le travail cartographique, en particulier, reflète bien le caractère incomplet des données obtenues, mais il nous a semblé préférable d'inclure toutes les informations dont nous disposions, sauf quand celui-ci pouvait fausser l'appréhension de la réalité.

2. Les principales caractéristiques de l'évolution commerciale et des

centres commerciaux en Argentine

2.1. La faiblesse des travaux sur la distribution et sur les centres commerciaux L'absence quasi-totale de travaux sur le système de distribution intérieure et

l'inexistence de la géographie commerciale en Argentine ont limité la mise en perspective

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historique, l'analyse des ruptures et des continuités dans les usages de la ville et dans ses pratiques sociales et commerciales, et ont rendu très difficile l'approche du phénomène commercial. En effet, nous partions d'un degré zéro de la recherche dans le domaine, d'autant plus que les sources disponibles sont moins nombreuses et plus difficilement accessibles qu'en France.

• Les recensements économiques nationaux qui présentent une partie sur l'industrie et

une autre sur le commerce et les services à caractère commercial comportaient pourtant, au départ, une grande richesse informative, mais ils n'ont jamais été dépouillés ni exploités. Pour les recensements de 1974 et de 1984 (INDEC, 1985), seul le nombre d'établissements et d'employés, tous secteurs confondus, pour la capitale d'une part, et chacun des 19 partidos du Grand Buenos Aires d'autre part, a été publié, alors que, par exemple, le recensement de 1985 comprenait toute une série de questions sur la localisation, le secteur et la branche d'activité, le nombre d'employés, des données économiques comme le montant des salaires, les recettes et les dépenses ventilées, le caractère juridique de l'entreprise. Les données sur le commerce sont donc assez anciennes et ont peu de finesse, le recensement des activités économiques de 1994 n'ayant pas encore été publié. Nous avons cependant pu avoir accès à des données détaillées (par branche et par spécialité) désagrégées à l'échelle de la zone centrale30, de la capitale et des 19 partidos conurbés. Elles ont permis de calculer certaines densités commerciales. La limite vient du fait que les données sont rapportées au district scolaire, unité administrative qui recoupe mal la réalité vécue, sociologique et historique du quartier (cartes n° 2 et 3). Les districts scolaires 1, 2, 3 et 6, recouvrent une aire géographique qui correspond approximativement à l'hypercentre et au centre élargi, mais est en fait plus grande, puisqu'elle s'étend aux quartiers historiques de la Recoleta, Retiro, San Nicolas, Montserrat, Constitución, San Cristobal, Boedo, Almagro, Balvanera, ainsi qu'une petite partie de Palermo (cartes n°2 et n°3). Nous reviendrons dans la partie suivante sur ces découpages et ces définitions. Les autres sources dont nous disposons, datent de la première moitié des années 80 : une carte de la densité linéaire commerciale de la MCBA d'après un relevé effectué en 1986 (élaborée suivant la méthode des nodules commerciaux, une densité de 100 correspondant à une quantité de dix locaux sur 100 m de linéaire commercial). D'autres travaux portent entièrement ou partiellement sur l'emploi dans le secteur des services et du commerce (Cimilo E., 1986 ; INDEC 1989b ; Torrado S., 1990).

• Il n'y a pas en Argentine comme en France d'organisme équivalent au Centre d'Études

de la Commercialisation et de la Distribution (CECOD), et l'équivalent des revues spécialisées comme Libre service actualités (LSA), Points de vente qui publie un "panorama" annuel de la distribution, sont difficiles à consulter.

30 Nous reviendrons ultérieurement sur la définition des notions de zone centrale, hypercentre, centre élargi, etc..

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• Quant à l'information détenue par les différents organismes à but corporatif (les

chambres de commerce et autres associations professionnelles spécialisées31, mais aussi les enquêtes d'instituts privés sur lesquels nous reviendrons plus loin), elle n'est pas très développée, étant essentiellement réservée à ses adhérents, et leur diffusion est réduite. En outre, l'Association Argentine des Shopping Centers, fondée en mai 1992, alors que notre séjour était déjà bien entamé, ne disposait encore que peu de données. Autant dire que les sources sur les centres commerciaux sont inexistantes.

• Des chercheurs argentins ont engagé au début des années 90 un programme de

recherches sur les modifications des circuits de commercialisation des produits alimentaires dans une perspective comparative avec le Brésil. Leurs travaux, encore récents, ont donné lieu à quelques publications sur la modernisation du système de distribution (Green R., Gútman G., 1992 ; Green R., 1995 ; Schvarzer J., 1995).

2.2. Constitution d'un corpus et de sources sur les centres commerciaux

• Une enquête auprès des administrations des centres commerciaux que nous avons

effectuée entre juin et novembre 1992, incluait des questions sur les caractéristiques physiques et commerciales de ceux-ci. Un entretien complémentaire, en général avec le personnel du service de marketing vers lequel nous étions immanquablement dirigé, a permis de préciser certains points du questionnaire. L'indétermination de la terminologie utilisée (surface de vente, surface totale, surface commerciale, etc.) et l'imprécision des chiffres d'une part, la mauvaise grâce de la part de certaines administrations nous ont poussé à constituer des dossiers de presse, dont l'information pouvait être recoupée avec celle des administrations, et pouvait utilement la compléter. À partir des données ainsi collectées, des tableaux comparatifs ont été dressés. On les trouvera dans les annexes.

• Les logiques marchandes de la distribution spatiale des centres commerciaux, c'est-à-

dire la correspondance entre la structure spatiale, la structure sociale et leur localisation ont été étudiées à partir des cartes des principaux facteurs d'implantation (niveau socio-économique, densité résidentielle, accessibilité), élaborées pour ces deux premières à partir des données statistiques des recensements nationaux de l'INDEC. Le sociologue argentin H. Torres a lui-même consacré une partie de son travail à l'élaboration d'une cartographie sociale évolutive du niveau socio-économique dans l'agglomération de Buenos Aires, à partir des

31 Les principales associations dans la branche de la distribution sont la Cámara argentina de los shopping centers, déjà mentionnée, la Cámara argentina de supermercados, la Cámara argentina de supermercados, et aussi, l'Asociación argentina de marketing.

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données des recensements de 1947, 1960, 1970 et 1980 (Torres H., 1975 et 1978)32. Mais l'unité géographique qu'il a retenue, le district scolaire33, le nombre insuffisant de classes déterminées, ainsi que le lissage effectué, ne permettaient pas une discrimination assez fine par rapport à nos objectifs (aire de chalandise et micro-facteurs d'implantation). Le choix d'une échelle plus grande s'imposait donc : nous avons retenu celle de la fraction de recensement.

De plus, au moment où nous commencions nos recherches de terrain, la lenteur de la

publication des données complètes et définitives du recensement de 1991 pour la capitale et l'agglomération de Buenos Aires nous empêchait de les travailler, notre champ d'étude géographique couvrant 600 unités spatiales. Le recensement de 1980, très incomplet, peu fiable parce que réalisé dans de mauvaises conditions, ne présentait qu'une publication restreinte des données, à l'échelle du district scolaire et de la circonscription électorale. Ayant pu avoir accès à certaines données désagrégées à l'échelle de la fraction de recensement par d'autres biais, nous avons préféré travailler à partir des données de 1980. Celles-ci, anciennes il est vrai, permettaient déjà une bonne appréhension de la structuration socio-spatiale de l'agglomération dans la deuxième moitié des années 80. A ces raisons s'ajoutait celle d'une présentation complètement différente des données dans le recensement de 1991, qui obligeait à un énorme travail de reconstruction.

Les deux séries de données utilisées pour la réalisation des cartes sont la densité de

population résidentielle (population / surface habitable) d'une part, et le taux d'occupation du logement (nombre de personnes par pièce)34, indicateur du niveau socio-économique d'autre part. La pertinence de l'utilisation du taux d'occupation du logement comme indicateur du niveau socio-économique a été établie par H. Torres dans une enquête sur échantillon réalisée en 1965 et publiée dans la revue d'architecture Summa en 1967. Il a montré que la corrélation entre le nombre de personnes par pièce, les caractéristiques du logement, la part des ouvriers résidant dans une même zone, ainsi que les variables éducatives et sanitaires est élevée (Torres H., 1978)35. Cependant, si la corrélation entre le statut social des ménages et le taux

32 L'exploitation des données du recensement de 1991 était en cours à la fin de notre dernier séjour. 33 L'unité géographique de base de recensement est le radio censal qui couvre quelques îlots. La fraction de recensement regroupe plusieurs radios censales et représente une vingtaine d'îlots. Les districts scolaires et les circonscriptions électorales (regroupements de type administratif et politique) sont l'échelon inférieur au partido et à la localidad. 34 Une seule réserve s'impose : les données, à l'échelle de la fraction de recensement, dans le recensement de 1980, excluent les logements collectifs (conventillos, hôpitaux, hôtels et pensions, etc.) et atténuent donc la pauvreté de certaines zones, où le nombre de conventillos, de pensions, ou la concentration des hôpitaux (dans les quartiers du sud de la capitale: San Telmo, Boca, en particulier) sont importants. Nous avons essayé d'établir des corrections en fonction des cartes de la pauvreté réalisées par l'INDEC. 35 Le travail sur les données statistiques de 1980 a été effectué pour le compte de l'université privée de Belgrano, dans le cadre d'un accord avec la commission municipale au logement de la municipalité de Buenos Aires.

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d'occupation du logement est forte, celle entre le niveau de revenus et le taux d'occupation du logement doit être nuancée. L'évolution économique et sociale des années 80 a laissé sans ressources de nombreuses personnes, propriétaires de leur logement. C'est le cas, en particulier, des personnes âgées dont les pensions sont généralement basses et qui vivent seules dans des logements sous-occupés.

3. Analyse des stratégies des promoteurs et des acteurs

institutionnels

3.1. Identification des promoteurs et des principaux acteurs Identifier les promoteurs et les principaux investisseurs des sociétés propriétaires des

centres commerciaux, surtout, n'a pas été chose facile. Sans témoignage direct et sans possibilité d'accès aux bilans des sociétés, la reconstitution relevait plus de l'enquête journalistique. Nous avons donc utilisé plusieurs sources, dont la validité, il est vrai, peut parfois être sujette à caution. Les mouvements de capitaux, de ventes et d'achats d'actions, de sociétés, de fusion, etc., étant fréquents, les résultats présentés ici correspondent à un moment de la recherche. En outre, la composition du capital des sociétés est difficile à connaître, puisque celles-ci n'ont pas l'obligation de publication de leurs résultats, si elles ne sont pas côtées en bourse. Enquêtes, entretiens, presse et panneaux de construction nous ont aidé à identifier les acteurs de la production des centres commerciaux et plus particulièrement les promoteurs.

• L'enquête réalisée auprès des administrations des centres commerciaux comportait une

partie sur l'identification des principaux acteurs (promoteurs, constructeurs, architectes). • Le dépouillement de la presse quotienne généraliste et de la presse spécialisée a fourni

de nombreuses informations qui ont été recoupées avec d'autres sources (orales, notamment). Dans le cas d'Alto Palermo, le dossier de presse offert par l'administration a été précieux.

3.2. Analyse des stratégies interdépendantes des promoteurs commerciaux et des pouvoirs publics

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La construction de variables en vue de dégager un système d'explication appelle celle d'une typologie. Une variable est un critère de classification. La construction d'une typologie des promoteurs qui permettrait de distinguer des catégories d'acteurs apparaît cependant difficile en raison du faible nombre d'observations (une dizaine de promoteurs). Cependant, bien que nous n'ayions pu recueillir des informations complètes sur les centres commerciaux construits après 1992, il semble que certaines tendances dans le profil des promoteurs commerciaux se dessinent. Nous avons essayé d'identifier ces profils en fonction des capacités d'action et d'organisation des promoteurs, en vue, surtout de préciser le constat empirique du lien existant entre le poids économique, politique et social des promoteurs des centres commerciaux, les types de centres commerciaux et leur localisation. Celle-ci est en effet un élément fondamental de la stratégie des promoteurs commerciaux et des négociations entre acteurs économiques et acteurs institutionnels. L'analyse des stratégies a consisté en un aller-retour permanent entre cette hiérarchisation des promoteurs commerciaux et les stratégies d'acteurs sociaux concrets (promoteurs, acteurs publics).

Dans ces conditions, les stratégies spatiales, politiques et économiques des acteurs

économiques et institutionnels des centres commerciaux ont été reconstruites à partir d'une lecture des cartes de localisation des équipements, des documents d'urbanisme disponibles (ordonnances municipales, plan d'occupation des sols de la municipalité de Buenos Aires, dossiers techniques disponibles) et des entretiens effectués avec les fonctionnaires municipaux et les architectes en charge des dossiers. La lecture des cartes de localisation et des facteurs d'implantation des centres commerciaux, déterminés empiriquement, a acquis un sens, non pas parce qu'elles étaient l'expression de conduites spatiales déterminées, mais parce que celles-ci étaient significatives de stratégies urbaines spécifiques des acteurs privés comme des acteurs publics. La reconstitution de l'histoire de chaque centre commercial ainsi que des négociations entre les acteurs publics et privés, a permis de comprendre les logiques des uns et des autres, ainsi que le sens de leurs stratégies foncières et urbaines.

Les sources utilisées ont donc été : • les témoignages "directs" des propriétaires des centres commerciaux petits ou moyens,

plus faciles à rencontrer, et ceux, "indirects", d'acteurs secondaires dans le cas des grands centres (architectes, commerçants, techniciens et ex-techniciens municipaux ayant eu en charge les dossiers) dont certains peuvent être des acteurs off. Ces derniers sont des acteurs intermédiaires, qui ne représentent pas directement les intérêts des promoteurs, de l'État central ou de la municipalité, mais ils sont intervenus à un moment de la production des centres commerciaux, en tant que techniciens municipaux, architectes travaillant dans les cabinets d'architectes en charge des projets, etc. Il a en effet souvent été impossible d'obtenir

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des entretiens avec les propriétaires et les promoteurs des plus grands centres commerciaux, en raison de l'importance des enjeux et des acteurs concernés (grands groupes économiques), et de la faible transparence de l'information économique. Le recours à des acteurs off a souvent permis d'obtenir des informations sur les stratégies d'acteurs que nous n'aurions pas eues autrement. C'est l'une des formes d'adaptation aux spécificités du terrain.

• Les autres sources, variées, ont été : le cadastre, les ordonnances municipales et le

code de l'urbanisme, les rapports sténographiés des débats du conseil municipal de Buenos Aires, le conseil délibérant (Consejo Deliberante), portant sur la discussion des ordonnances, quand nous avons pu les obtenir, le matériel cartographique, réglementaire, technique, détenu par le conseil de planification urbaine (Consejo de Planificación Urbana) qui dépend de la municipalité de Buenos Aires36. Bien que, comme nous l'avons indiqué, le cadastre eût été concédé à une société privée Catastro SA en vue de sa mise à jour et de son informatisation, il a été possible d'obtenir certaines fiches cadastrales, en nombre limité, il est vrai. Chaque fiche cadastrale comprend des informations permettant d'identifier chaque parcelle (localisation, forme et dimensions, limites), le nom des propriétaire successifs et les dates d'aliénation de la parcelle. La lecture des fiches cadastrales permet donc de reconstituer l'histoire du terrain, et la réalisation de quelques sondages sur les parcelles voisines, surtout dans les cas des centres commerciaux Alto Palermo et Abasto, de reconstituer les stratégies spatiales et économiques des promoteurs commerciaux. Alto Palermo et Abasto, en raison de la nature des promoteurs, ont constitué les deux principales études de cas concernant les interactions entre acteurs publics et acteurs privés. Des précautions s'imposent cependant : certaines fiches cadastrales ont été "rénovées", seul le nom du propriétaire le plus récent ayant été conservé. Le fort taux d'évasion fiscale constitue aussi l'un des motifs de résistance à l'actualisation des informations du cadastre et à sa transparence. L'accès, le cas échéant, aux textes dactylosténographiés des débats concernant le vote des ordonnances autorisant des dérogations au code, a aussi contribué à la reconstitution des processus de négociation entre les promoteurs et la municipalité.

3.3. Analyse du discours dominant sur les centres commerciaux

36 Nous reviendrons plus loin sur les rôles respectifs du conseil de planification urbaine (CPU), organisme qui a en charge une partie de l'aménagement et de l'urbanisme au sein de la mairie de Buenos Aires, et du conseil délibérant.

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Le discours, parole construite en vue de produire un effet, joue un rôle fondamental dans la production du réel, et les images qu'ils proposent sont l'une des formes de médiatisation de celui-ci. En tant que tel, il peut être l'objet de manipulations et mettre en œuvre des stratégies. "La représentation proposée ici est (...) un ensemble qui est défini par rapport aux visées d'un acteur. Il ne s'agit plus de l'"espace, mais d'un espace construit par l'acteur qui fait communiquer par le truchement d'un système sémique ses intentions et la réalité matérielle. L'espace représenté n'est plus l'espace, il est l'image de l'espace" (Raffestin C., 1980 : 133). Le discours est une parole construite en vue de produire des effets. Il désigne tantôt le langage en situation, qui s'exprime sur un mode oral, et où les effets oratoires ont leur importance quant à la production de l'effet recherché, tantôt le langage qui se réfère à une pragmatique de l'intention. En ce dernier sens, le discours comme acte social, établit une relation (de pouvoir, de connivence, etc.) entre le locuteur et les destinaires du message dont est porteur le discours.

La presse, par le biais de la publicité notamment, est l'un des canaux de transmission

des images et des représentations dominantes des centres commerciaux, celles des promoteurs. Elle véhicule un discours multiforme et multidirectionnel, création sociale qui a pour fonction de "formuler des schémas pertinents du réel" (Guérin J.P., 1984 : 18-19). Les travaux d'H. Gumuchian et de J. P. Guérin sur les transformations de l'espace alpin français et la production d'un nouvel espace touristique (1978) ont influencé toute une série de recherches sur les liens entre représentations et pratiques dans des champs géographiques similaires37, qui s'appuient sur l'analyse du discours publicitaire et des mythologies développées par les sociétés post-industrielles. Ils ont montré le rôle qu'a joué le discours dominant (des promoteurs, des collectivités territoriales, de l'État central) dans la production des représentations et des mythes associés aux sports d'hiver (l"or blanc") et celui qu'ont joué les représentations mythiques dans la création de nouvelles pratiques sociales (le ski, la randonnée, etc.) et dans la production de l'espace touristique alpin, en décortiquant l'iconographie publicitaire, les guides et les dépliants touristiques, ainsi que le discours politique. "Le recours aux méthodes de la sémiologie (analyse d'images et de discours) permet de reconstruire ces mythologies et de mieux cerner les logiques qui sous-tendent l'espace touristique", dit H. Gumuchian à propos de l'analyse de la production des espaces touristiques (Gumuchian H., 1991 : 51).

Mais, comme le suggère H. Lefebvre, à côté du discours dans l'espace et du discours sur

l'espace, il ne faut en aucun cas négliger le discours de l'espace lui-même (Lefebvre H., 1974). L'espace architectural des centres commerciaux s'inscrit dans un système sémique et se prête

37 Plusieurs communications dans le colloque de Lescheraines (1985) Les représentations en actes portaient sur les processus de production des espaces touristiques.

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ainsi à une sémiologie (R. Barthes, F. Choay). Le terme assez large d'"espace architectural" désigne à la fois l'architecture intérieure et la scénographie, l'architecture extérieure ainsi que les rapports entre les deux, et enfin la relation entre l'objet architectural et son environnement, entre le dehors et le dedans (Lefebvre H., op. cit. : 150). L'espace architectural comporte plusieurs versants : d'une part le texte architectural, à savoir les formes, les codes et les catégories utilisées, le langage et le discours architectural, et d'autre part le contexte, c'est-à-dire les relations entre l'architecture et son environnement, l'architexte et l'architexture, dont parlait H. Lefebvre (op. cit. : 140). Nombreux sont les auteurs à souligner les limites d'une analyse sémiologique des bâtiments ou de la ville, à commencer par H. Lefebvre lui-même. Le discours architectural, à la différence du texte littéraire, n'existe pas pour lui-même et par lui-même. Il véhicule des messages intentionnels, et c'est notre "lecture" qui rend l'espace signifiant. L'analyse critique du discours sur les centres commerciaux à travers la presse et de l'espace architectural, dans une perspective sémiologique, éclaire la signification que les producteurs (commanditaires, architectes) ont voulu donner à ces nouveaux espaces commerciaux. La seconde mise en garde porte sur le fait que l'espace ne se réduit pas un système de signes. L'espace a une forme destinée à remplir des fonctions et à accueillir des pratiques sociales (ibid., op. cit.).

Nous ne cherchons donc pas à étudier les représentations complexes des usagers, mais à

analyser, à interroger et à critiquer les images des centres commerciaux dans le discours dominant, à travers la presse et à travers des clichés photographiques de l'espace commercial. Nous voulons décortiquer les processus de médiatisation qui contribuent à la fabrication d'images et à la construction de représentations collectives, ainsi qu'étudier le rôle de médiation que joue le discours, entre les stratégies des émetteurs (les promoteurs et concepteurs des centres commerciaux) et celles des récepteurs (les usagers). La production de représentations de l'espace peut en effet constituer l'un des pans des stratégies des promoteurs commerciaux, dans la mesure où les images ont une influence sur la pratique sociale. Elle comprend à la fois un discours sur l'espace et un discours de l'espace architectural lui-même. Comment s'articulent donc les deux, et quelles sont les fonctions attribuées par les promoteurs à l'espace commercial, ainsi que les usages projetés ?

3.4. Analyse des pratiques et des usages des centres commerciaux

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Représentations et pratiques se modèlent mutuellement. Notre objectif n'était pas de nous livrer à une analyse minutieuse des variables différenciant les pratiques socio-spatiales des individus, qui reposerait sur des enquêtes précises et sur des analyses de données multivariées complexes et hors de nos moyens, mais de voir en quoi les représentations dominantes sur les centres commerciaux dans un contexte socio-économique précis peuvent influer sur les pratiques des groupes sociaux. Il s'agit donc d'une approche macro-sociale, qui ne s'attache aux multiples différenciations locales, individuelles, etc. Plus qu'aux pratiques d'achat, nous nous sommes intéressé aux fréquentations et aux types d'usagers, mais aussi, de façon plus élargie l'ensemble des pratiques urbaines associées aux centres commerciaux dans la dimension symbolique de l'échange social et commercial. Plusieurs sources sont utilisables en fonction des objectifs qu'on s'est fixé, de l'éclairage que l'on apporte et de la lecture que l'on en fait. Les sources quantitatives précisent surtout les pratiques d'achat, les facteurs d'attraction des lieux commerciaux, tandis que les sources qualitatives élargissent la problématique aux pratiques urbaines, en les reliant aux systèmes de normes et de représentations ou aux catégories particulières d'usagers (Bouveret-Gauer M. et al., 1994). Nous n'avons pas voulu négliger les sources existantes (les enquêtes, les panels, les enquêtes de budget, etc.) auxquelles nous pouvions avoir accès soit directement (les cabinets de consultants), soit indirectement (enquêtes publiées dans la presse).

3.4.1. Les sources quantitatives : les enquêtes de marché Les études de marché sur les pratiques d'achat, sur l'attraction et la fréquentation des

différents lieux commerciaux et sur les comportements de la clientèle, servent surtout à indiquer des tendances, et répondent aux questions "qui ?", "quoi ?", "où ?". Très lourdes à réaliser, elles peuvent être intéressantes pour mesurer l'évolution des pratiques d'achat, des fréquentations et des lieux fréquentés, et pour analyser la hiérarchisation des pratiques en fonction de l'appartenance à des groupes de population (groupes sociaux, groupes d'âge...). La comparaison entre plusieurs enquêtes est délicate. La variabilité des chiffres et des résultats peuvent dépendre de nombreux facteurs externes perturbants : la période d'application de l'enquête, les conditions de réalisation de l'entretien, la formulation des questions, les objectifs de l'enquête, la constitution d'échantillons représentatifs (détermination de la population-mère, etc.).

En Argentine, les centres commerciaux sont devenus l'une des cibles préférées des

cabinets d'enquêtes et des bureaux de sondage, le marketing s'étant énormément développé depuis quelques années. Le nombre d'enquêtes sur le sujet est assez important. Mais se pose toujours le problème du coût et de l'accès à ce type d'information. Les journaux ont cependant régulièrement publié, voire réalisé, des résultats d'enquêtes et de sondages. Parmi celles que

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nous avons glanées et qui nous ont servi pour analyser les pratiques d'achat et les types de fréquentation des centres commerciaux, nous avons surtout utilisé les suivantes :

• Une enquête de la revue Quinto Poder qui apparaissait comme l'une des plus

sérieusement réalisées, en collaboration avec des étudiants d'une école de journalisme (Faigon L., Taffetani O., 1992). Elle a été effectuée dans trois shoppings, Patio Bullrich, Alto Palermo, Paseo Alcorta, pendant la période des vacances d'hiver, sur deux jours. L'échantillon est de 303 personnes, et la méthode est aléatoire. Les questionnaires ont été appliqués à l'intérieur du centre commercial dans Paseo Alcorta et Alto Palermo, mais aux entrées de Patio Bullrich, en raison de l'interdiction formulée par l'administration du centre commercial. La méthodologie suivie présente plusieurs inconvénients : celle du profil assez semblable des trois centres commerciaux retenus (même si Alto Palermo est plus orienté vers les classes moyennes, Patio Bullrich vers les catégories supérieures, et Paseo Alcorta vers une population intermédiaire) ; la période de réalisation de l'enquête qui est sensible à plusieurs variations dans le profil de la clientèle (plus de touristes nationaux et de scolaires pendant les vacances). Les résultats concernant cette enquête sont utilisés dans l'analyse. On portera entre parenthèses la mention 5P (Quinto Poder) pour indiquer la nature de la source.

• Une enquête de la revue Mercado y tendencias (mentionnée par les initiales MyT)

réalisée dans la rue sur un échantillon de 300 personnes à propos des cinq centres commerciaux qui existaient alors (Sur, Unicenter, Spinetto, Soleil, Bullrich). Bien que déjà un peu ancienne (1989), elle permet de voir comment étaient perçus les centres commerciaux trois ans après leur apparition.

• Une enquête du cabinet de marketing Prince and Cooke (mentionnée par les initiales

PaC) dont les résultats ont été publiés dans Clarín en 1993 et pour laquelle on ne dispose d'aucune information sur la méthodologie suivie.

• Les études de marché réalisées par le consultant Melnik Burke (mentionnée par les

initiales MB) pour le compte de l'administration d'Alto Palermo. Il s'agit de deux sondages sur les attitudes d'achat des personnes qui fréquentent le centre commercial, effectués en décembre 1992, le premier (208 enquêtes) aux entrées du bâtiment, le second (200 enquêtes) dans le quartier, en particulier à proximité de Paseo Alcorta, situé à quelques vingt cuadras de là. Cependant, certains résultats de cette enquête sont inutilisables, car ils sont parasités par des phénomènes externes comme par exemple, la période de réalisation de l'enquête (avant les fêtes de fin d'année) qui influe sur les motivations de fréquentation du centre commercial (la motivation exprimée de l'achat est gonflée par rapport aux simples motivations de

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promenade), et par les objectifs de l'enquête commandée par l'administration du centre commercial et exclusivement centrée sur lui et son image.

• Une enquête réalisée par le cabinet d'enquêtes Retondaro dont les résultats ont été

publiés dans la revue Panorama en 1993 et pour lesquels nous n'avons pas non plus de précisions.

De ces enquêtes, on a surtout retenu les convergences et les concordances entre les

chiffres, indicatrices de tendances. Elles ne posaient pas toujours les questions les plus pertinentes pour notre étude. Pour cette raison, nous avons essayé de trouver d'autres moyens. Le cabinet de sondages, Ibope-Sofres, filiale de la Sofres, s'était montré intéressé par notre projet de réalisation d'une enquête dans les centres commerciaux, et nous avions commencé à la monter, mais elle n'a cependant pas vu le jour pour diverses raisons38. D'autre part, la rencontre avec des étudiants de sociologie commençant un travail plus qualitatif sur les pratiques sociales et commerciales liées aux centres commerciaux, axé sur les stratégies de survivance et d'adaptation de la classe moyenne à la crise économique, a été trop tardive pour pouvoir donner lieu à une réelle collaboration, leur calendrier étant très différent du nôtre.

3.4.2. Les enquêtes des instituts spécialisés Les enquêtes des panélistes, tels l'institut A. C. Nielsen, qui a une filiale en Argentine

depuis le début des années 70, fournissent essentiellement des informations sur les parts de marché réalisées par les différents modes de distribution. L'univers Nielsen englobe 95,6% de la population à l'échelle nationale. Les renseignements sont par ailleurs ventilés par province (dont la capitale d'un côté, et les 19 communes qui constituent la banlieue de Buenos Aires de l'autre). Malgré une publication parcimonieuse dans la presse, l'information est cependant payante, et Nielsen ne publie aucune donnée sur la part des ventes (non alimentaires) réalisées par les centres commerciaux.

Les enquêtes budgétaires sur la consommation des ménages (coefficients budgétaires),

réalisées à l'échelle de l'agglomération de Buenos Aires, permettent de faire apparaître les différents modèles de consommation des ménages en fonction de leur appartenance sociale, de leur niveau de revenu, de leur lieu d'habitat (capitale / partidos), etc. Le nombre de variables analysées est assez important, et l'enquête s'avère assez complète. Mais les coefficients budgétaires sont très sensibles à la conjoncture : ainsi, l'enquête sur les dépenses des ménages menée en 1985 par l'INDEC, en Argentine, a-t-elle été refaite en 1986, la mise en place du Plan Austral ayant bouleversé la situation et ayant eu un impact notable sur les

38 L'enquête telle qu'elle avait été élaborée avec le cabinet Ibope-Sofres est mise en annexe, à titre indicateur.

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dépenses des ménages. Il est vraisemblable qu'une nouvelle enquête aurait donné des résultats fort différents en 1989 ou encore en 1991-1992. Les enquêtes sur le budget des ménages auraient pu donner lieu à des comparaisons entre l'Argentine et les pays européens, mais l'échelle différente à laquelle sont rapportées les données (celle de l'agglomération de Buenos Aires pour la première, l'échelle nationale pour les seconds) rend difficile toute comparaison.

3.4.3. Les enquêtes qualitatives Les entretiens ouverts avec les usagers des centres commerciaux, apportant une

information plus qualitative, nous semblent pouvoir fournir des renseignements précieux sur les pratiques urbaines, voire sur les pratiques d'achat. Dans les limites qui nous étaient imparties et avec les moyens dont nous disposions, nous nous sommes arrêté à quelques entretiens. L'observation participante des pratiques des individus dans les centres commerciaux s'avère déjà très riche. En géographie, cette méthode a été peu utilisée, mais A. Bailly l'indique comme une méthode digne d'intérêt : "observer directement les gens, analyser leurs habitudes, suivre leur regard, écouter leurs conversations nous apportent autant d'éléments que les questionnaires dans une étude de perception, et évite de trop grosses déformations de la réalité" (Bailly A., 1975 : 180).

3.4.4. La dimension temporelle : évolution des pratiques d'achat et des pratiques urbaines Il est difficile d'établir des comparaisons dans le temps, de procéder à des analyses

évolutives des modes de consommation et des pratiques socio-culturelles, ainsi que de mesurer l'évolution et les changements réels des modes de consommation et des pratiques d'achat. L'étude des modes de consommation d'hier, de l'évolution du système commercial et des pratiques socio-spatiales, constitue également un travail complet à elle seule. La littérature constitue à ce titre une source importante et elle ne manque pas d'exemples intéressants pris dans les différents milieux sociaux en Argentine (J. L. Borges J. L., R. Arlt et ses Aguas Fuertes porteñas, ou encore W. Gombrówicz, E. Sábato, etc.), de même qu'Au bonheur des Dames de E. Zola a pendant longtemps alimenté nos représentations sur les grands magasins parisiens de la deuxième moitié du XIXème siècle. La mythification de certaines périodes de l'Argentine telles les années 1880-1914, l'âge d'or des années 20, les années péronistes, brouillent cependant encore souvent la lecture. Plusieurs travaux de recherche en cours s'attachent, à partir des sources directes existantes, à faire la lumière sur les pratiques urbaines (loisir, promenade, etc.) dans les lieux publics et sur leur évolution historique, notamment à partir d'archives comme celles de la police, etc. La perspective historique est intéressante, car elle permet de préciser les continuités et les ruptures et de

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relativiser les phénomènes actuels, mais elle ne constituait pas non plus l'objet de notre travail. Nous nous limiterons donc à de brèves remarques.

Conclusion

Le commerce a un impact puissant sur la société et, partant sur la ville. D'une part, il

façonne les modes de consommation, d'autre part, il modèle la ville. Participant de la politique d'image des villes, source d'activité et de revenus, élément de la pratique du centre-ville et lieu public d'interaction sociale, le commerce a une triple dimension économique, sociale, politique.

Or, les politiques d'aménagement urbain n'ont que très tardivement considéré l'enjeu

que pouvait représenter le commerce pour une ville. Longtemps divisé entre de multiples unités économiques de petite taille, le commerce n'induisait pas l'existence d'acteurs organisés. Il a fallu attendre que le capital marchand se concentre et se constitue comme acteur puissant, que les unités spatiales augmentent leur taille, pour que s'ébauchent les premières politiques d'urbanisme commercial et pour que commence à être prise la mesure des multiples effets du commerce sur la société et sur la ville.

Les politiques d'urbanisme commercial confrontent les logiques divergentes d'acteurs

économiques de taille et de poids variés et d'acteurs politiques et institutionnels nationaux et locaux, le maintien du petit commerce ou les stratégies de localisation des unités commerciales, justifiés par des impératifs fonctionnalistes, ayant bien souvent constitués leurs seuls enjeux. Les logiques et les intérêts des usagers et de la clientèle n'ont été que peu souvent pris en compte, et la distribution spatiale des unités commerciales, en fonction de leur poids, de leur standing et de leur spécialisation, est le produit des logiques économiques, en particulier des stratégies de localisation des promoteurs commerciaux et des sociétés de distribution en zone périurbaine et en centre-ville, répondent aux besoins de la rotation du capital immobilier et marchand, ou de logiques politiques, le commerce en centre-ville constituant un élément de l'image urbaine.

Vingt ans d'urbanisme commercial en France ont en tout cas montré les limites de la

régulation socio-institutionnelle et l'absence de réflexion sur la place et le sens du commerce dans la ville. Le commerce de proximité des quartiers, élément essentiel de la sociabilité urbaine, a pu disparaître, celui des grands ensembles être longtemps négligé, les zones commerciales d'entrée de ville se multiplier, au mépris de toute urbanité. La législation d'urbanisme commercial n'a que rarement infléchi les stratégies d'acteurs économiques puissants. Le commerce a continué d'être considéré sous un angle économique, source

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d'emplois et de taxe professionnelle pour les uns, source de revenus pour les autres, et non pas sous un angle sociologique ou urbain. Aux États-Unis, où le libéralisme est beaucoup plus ancré qu'en France, les logiques des promoteurs se sont facilement imposées, d'abord en zone périurbaine, puis en centre-ville, les centres commerciaux représentant un nouveau modèle de centralité périurbaine dans une époque de rapide croissance des banlieues nord-américaines, puis constituant un élément d'aménagement et de rénovation urbaine des centres-villes. L'évolution des modes de gouvernance urbaine, les impératifs financiers, la politique d'image des villes, dans un contexte de plus en plus concurrentiel, le glissement de l'équilibre dans les rapports entre les acteurs publics et privés ont bien souvent fait des centres commerciaux des outils indispensables des politiques urbaines en centre-ville, pour le plus grand profit des promoteurs immobiliers engagés dans la construction de vastes programmes immobiliers.

À travers l'analyse des cas français et états-unien, on a pu voir que les rapports entre

espace public et espace commercial engageaient des choix politiques et reflétaient des modèles de ville et des modèles culturels différents, même si, au départ, c'est le centre commercial "à l'américaine" qui s'est diffusé en France. Le commerce, tout comme l'espace public, a des manifestations et un sens avant tout locaux, ils traduisent une culture et une société locales. Nous verrons donc en quoi, à Buenos Aires, les centres commerciaux, forme a priori standard, qui s'est diffusée à une échelle internationale, reflètent la société et la culture porteñas, en quoi leurs formes particulières, leur distribution spatiale et leur rapport à la ville sont les fruits des logiques et des stratégies interdépendantes d'acteurs variés, et quel est le sens de leur apparition dans les années 80. Le rôle du commerce comme lieu public et comme élément de l'urbanité est au cœur de la question.

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DEUXIEME PARTIE "ANCIENS" ET "NOUVEAUX" CENTRES

COMMERCIAUX

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Introduction L'expression "centre commercial" désigne un centre planifié et intégré concentrant

plusieurs locaux réunis sous un même toit (Coquery M., 1977), et pas seulement un groupement de commerces. Cette dernière locution rend en effet difficile la distinction entre les centres commerciaux planifiés d'une part, et les centres commerçants ou les simples galeries marchandes d'autre part (Metton A., 1980). En Argentine, la différenciation entre les centres commerçants "traditionnels" et les centres commerciaux planifiés existe dans le vocabulaire. C'est l'expression nord-américaine shopping center1 qui a été adoptée, et non centro comercial comme dans d'autres pays comme le Chili, ou plaza comercial comme au Mexique. Ce choix souligne la prééminence du modèle nord-américain. La terminologie associée à la planification et à la gestion des shopping centers provient d'ailleurs directement des États-Unis : le tenant mix désigne la composition commerciale ou assortiment, le merchandising l'organisation et la disposition spatiale des magasins, les magasins d'usine sont des outlet mall factories, etc. Le succès des shopping centers a été tel, que le diminutif shopping est couramment utilisé comme synonyme2. On dit "aller au shopping" comme "faire du shopping" (dans des centres commerciaux planifiés). Nous emploierons donc ces deux expressions (shopping, surtout dans l'expression "aller au shopping") pour désigner les centres commerciaux planifiés argentins, même si la division est quelque peu artificielle, puisque le terme est anglo-américain.

L'Association Argentine des Shopping Centers (Cámara Argentina de Shopping

Centers), représentant les intérêts des promoteurs, des propriétaires et des principaux acteurs (architectes, agences immobilières, etc.) des shopping centers, impose une définition assez stricte, qui suit les consignes données par l'International Association of Shopping Centers. L'adhésion à celle-ci est soumise au respect des caractéristiques et des normes établies : les modules commerciaux doivent être loués et non vendus, la construction et la gestion du centre doivent être uniques et centralisées afin d'obéir au principe d'intégration formelle et fonctionnelle. Le critère de la taille n'est pas abordé, et aucun seuil n'est établi. Certains shopping centers ont ainsi une superficie inférieure à 5 000 m², qui les rapprocherait plus des galeries marchandes traditionnelles (cas de Golden Shopping). D'autres, au contraire, ont des dimensions et une forme similaires à celle des shopping centers, mais ont un mode de fonctionnement et de gestion différent, puisque les locaux y sont vendus et non loués (cas de Buenos Aires Shopping Center), et ils se sont vu refuser leur adhésion à l'Association. La

1 Dans des pays où l'influence anglaise a été historiquement prégnante, le centre commercial s'écrit shopping centre. C'est le cas de Singapour et de la plupart des pays d'Asie du sud-est (Ooi G. L., 1991). 2 L'ouvrage de B. Sárlo Escenas de la vida posmoderna (1994) comprend un chapitre entier sur les shopping centers, qu'elle appelle plus souvent par leur petit nom.

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définition, sur laquelle nous reviendrons, est très corporatiste. Dans ces conditions, nombre de centres commerciaux, français par exemple, ne seraient pas considérés comme tels, puisque les locaux y sont vendus. En outre, les outlet mall factories (magasins d'usine), qui cherchent pourtant à démarquer leur image commerciale et sociale de celle des shopping centers et refusent souvent l'appellation, ainsi que les centres commerciaux spécialisés, sont inclus dans ce groupe. On peut se demander, en définitive, si ceux-ci se définissent par leur taille, par leurs modes de gestion, par leur image sociale, par les usages et les pratiques qui y sont rattachés, ou par leurs fonctions. Leur dénomination (centres commerciaux) insiste en tout cas, d'une part sur l'effet de concentration et de polarisation, qui peut par conséquent induire un critère de seuil (permettant de différencier une galerie commerciale et tout regroupement de commerces, d'un shopping center), et d'autre part sur la fonction et les usages assignés à ces nouveaux lieux, l'achat. Mais ils donnent lieu à des pratiques beaucoup plus larges que les seules pratiques d'achat.

La question du seuil de superficie doit être posée, mais elle est loin d'être suffisante

pour aborder la définition des centres commerciaux. Par exemple, J. P. Piau (1982), qui retrace l'évolution des formes et des fonctions des centres commerciaux depuis le siècle dernier et s'efforce de définir le "concept", adopte une définition restrictive du centre commercial, fixant une borne assez arbitraire et très élevé de 30 000 m² GLA. On compterait alors bien peu de centres commerciaux en Argentine ! En revanche, il n'aborde jamais directement la question de la centralité. Or, le mot shopping center devrait susciter toute une réflexion sur le contenu (et les formes) de la centralité et sur la distinction entre les shopping centers et les centres urbains "traditionnels". Le français utilise pour traduire shopping centers la locution "centre commercial", tandis que le centre commerçant (shopping) désigne généralement le centre-ville, dans lequel le commerce tient une place essentielle.

Nous avons donc choisi au départ une définition extensive des shopping centers qui

prend en compte ceux qui entrent dans la définition de l'Association Argentine des Shopping Centers (sans seuil de superficie) et ceux qui ne correspondent pas aux normes qu'elle a établies, parce que les locaux y sont vendus. Vraisemblablement faudra-t-il revenir sur les critères adoptés, notamment sur la question du seuil de superficie. Beaucoup plus importantes sont les questions portant sur la centralité des shopping centers et sur les fonctions qu'ils exercent. Le centre, dans les cultures occidentales, est la quintessence de l'urbain. Or, si le commerce est un élément de la centralité et s'il participe à l'urbanité des lieux -et les deux sont liés-, quel rôle jouent les shopping centers dans cette économie ?

En outre, les shopping centers correspondent à l'une des formes de la modernisation

commerciale. Ils ont une rationalité économique (et conjointement sociale) qui justifie leur

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développement. Or, moderniser, c'est ici intégrer les normes de la culture dominante, au nom d'une plus grande efficacité économique et d'une rationalité "universelle". La modernisation commerciale est aussi associée à la mondialisation culturelle et à la diffusion de normes universelles qu'on traduit trop souvent par une acculturation et un aplanissement des différences. Est-ce bien sûr ? L'haussmannisation, modèle urbain international qui s'est lui aussi exporté, avait induit une nouvelle forme de relation entre ville et commerce, marquée par un plus grand fonctionnalisme. L'introduction des modèles européens avait déjà suscité de houleux débats à la fin du XIXème siècle sur l'"authenticité culturelle". Buenos Aires n'était pas restée à l'écart de ce mouvement de modernisation, mais le sens des lieux était différent. Quel est le rapport des shopping centers à la ville et quelle est leur logique spatiale et fonctionnelle ?

On commencera donc par essayer d'éclairer les rapports entre la ville de Buenos Aires,

le commerce et la société porteña, avant d'aborder de plus près les formes et les manifestations des mutations commerciales à Buenos Aires, en particulier en ce qui concerne les shopping centers.

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Chapitre 1 : ville, commerce et société à Buenos Aires Interroger les rapports entre la ville, le commerce et la société, ce n'est pas seulement

s'intéresser au rôle structurant du commerce, comme on l'a vu. C'est aussi creuser les liens intimes existant entre les habitants d'une ville, leurs commerces et la forme de cette ville, c'est s'intéresser au rôle des commerces dans la production d'une identité, d'une urbanité particulières et éclairer la place du commerce dans la centralité. La démarche de ce chapitre n'est pas strictement historique, même si elle a recours à l'histoire comme élément d'explication. En effet, l'analyse de la centralité est plus centrée sur l'époque contemporaine et n'aborde pas en détail les formes et les sens successifs du centre-ville, ainsi que les différentes configurations spatiales, urbaines et commerciales.

1. Centralité et commerce

La pratique du centre-ville est liée à la fréquentation des commerces des rues

commerçantes. Le centre est un lieu de divertissement. Mais le commerce suffit-il à caractériser la centralité ? À Buenos Aires, la centralité et le commerce ont différentes formes et significations.

1.1. La centralité à Buenos Aires

1.1.1. Buenos Aires et la macrocéphalie argentine Comme dans les autres villes latino-américaines, le centre de Buenos Aires est à la fois

centre de la capitale, centre d'une agglomération éponyme de 11,2 millions d'habitants (INDEC, 1992), et centre du pays. "Le pays s'arrête à l'avenue General Paz", dit le dicton populaire. L'avenue General Paz est l'autoroute qui ceinture la ville de Buenos Aires, et qui, dans les années 30, a matérialisé la coupure entre la ville et sa banlieue, ainsi qu'entre la capitale et le reste du pays, entre "la civilisation et la barbarie", la rivière du Riachuelo constituant au sud une frontière naturelle. Buenos Aires, c'est la "tête de Goliath", comme l'appelait l'historien Martínez Estrada. L'ensemble du pays s'identifie à sa capitale et aux monuments symboliques du centre-ville : la Casa Rosada (palais présidentiel), le Congrès et la pyramide de la place de Mayo commémorant l'indépendance de 1810, l'un des principaux symboles de Buenos Aires, d'un côté ; la rue Florida et ses centaines de commerces, l'avenue Corrientes, ses cinémas, ses théâtres et ses néons, de l'autre ; enfin, la seconde pyramide située au croisement de l'avenue "la plus large du monde" 9 de Julio et de l'avenue Corrientes,

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élevée en 1936 pour commémorer le quatrième centenaire de la première fondation de la ville, l'avenue 9 de Julio et la pyramide étant d'autres symboles de la ville (voir carte n° 6). Ces trois pôles symboliques résument les fonctions politiques, commerciales et culturelles de la capitale et de son centre.

La concentration des activités, des hommes, du pouvoir dans la capitale traduit une

polarisation importante. Le poids démographique de l'agglomération dans la population nationale a cependant tendance à décroître depuis les années 40. En 1980, 36% de la population du pays, et en 1991 34%, habitait dans l'agglomération. Le Grand Buenos Aires concentrait respectivement 40% et 48% des établissements et de l'emploi industriels, ainsi que 34% et 41% des établissements et de l'emploi tertiaires (Pírez P., 1991, d'après INDEC). Buenos Aires dispose de l'université la plus importante et la plus prestigieuse, des plus grandes installations portuaires, héberge les institutions nationales, les sièges sociaux des plus grandes entreprises, etc. Les Porteños, habitants du port, ont un niveau de vie largement au-dessus de celui du reste de l'agglomération et du pays, et se distinguent des autres Argentins, dans l'imaginaire national, par leur ruse et leur vivacité d'esprit, qualités que l'on attribue par ailleurs aisément aux marchands.

Pourtant, jusqu'en 1776, année où est constituée la vice-royauté du rio de la Plata,

Buenos Aires n'était qu'un simple fortin sur les côtes atlantiques, point d'appui colonial sur la route du Haut-Pérou, et vivait surtout de la contre-bande, les marchandises et l'or de Potosí transitant obligatoirement par le port chilien de Valdez qui en avait le monopole commercial. En 1776, Buenos Aires commence à prendre de l'importance et à confirmer sa position comme ville commerçante et comme port douanier. Le rapport économique et politique entre les provinces et la capitale, au départ favorable aux provinces du Nord-Ouest du pays, proches de la vice-royauté du Haut-Pérou, se renverse dans la deuxième moitié du XIXème siècle au bénéfice de Buenos Aires qui est élue capitale de l'État-nation argentin, à l'issue des luttes entre fédéralistes et unitaristes. La construction du port de Buenos Aires en 1880 confirme sa position comme ville-port exportatrice et importatrice, et comme ville du négoce, centre décentré du pays, limité dans son expansion à l'est par le rio de la Plata. L'exploitation de la Pampa humide fait la fortune de Buenos Aires et de ses habitants. En quelques décennies, principalement entre 1850 et 1880, l'espace est colonisé, et la terre vendue, tandis que les capitaux anglais et français investissent dans la construction d'un important réseau de chemin de fer centripète, qui sillonne la Pampa humide. Dès le XIXème siècle, tous les chemins mènent à Buenos Aires, et plus particulièrement à son centre, et le réseau routier ne fera que doubler le très dense réseau ferroviaire. Hors de Buenos Aires et de la Pampa, pas de salut donc. La ville portuaire et mercantile se trouve à la charnière d'un vaste domaine maritime tourné vers l'Europe et vers d'autres marchés extérieurs, et d'une immense région,

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dotée de très fortes potentialités agricoles et très peu densément peuplée : "Buenos Aires a été l'une des villes sur lesquelles ont reposé la domination du territoire et le système colonial. Ses fonctions de port et de ville marchande se sont développées grâce à son aire d'influence immédiate, adaptée à la production agricole et à l'élevage extensif du bétail bovin, mais la ville a aussi été le centre d'un espace économique encore plus vaste, relié aux marchés outre-atlantiques. C'est aussi d'Europe que sont arrivées les populations qui ont assis la richesse de la ville" (Yujnovsky O., 1985 : 96). En effet, devant l'épuisement rapide des terres à coloniser, la plupart des populations immigrées se sont installées dans les faubourgs de la ville de Buenos Aires, fournissant une main-d'œuvre bon marché, nécessaire au développement urbain et économique. Attirant hommes et capitaux, la ville-centre croît très rapidement jusqu'en 1947 et se modernise. Dès 1920, Buenos Aires compte deux millions d'habitants, et la Reina del Plata, très cosmopolite, se revendique comme l'une des plus importantes métropoles culturelles de l'Amérique latine, avec ses nombreux cinémas et théâtres.

1.1.2. La centralité à Buenos Aires : fonctions politiques et symboliques du centre-ville Au XIXème siècle, lors de la décolonisation et de l'indépendance des États latino-

américains, c'est sur le centre qu'ont reposé la construction de l'État-nation et la création de valeurs collectives, pierres angulaires de l'identité nationale, à un moment où la population étrangère représentait une part croissante de la population. Aussi le centre-ville de Buenos Aires, centre décentré, tout autant que l'est la capitale par rapport à l'ensemble du pays, a-t-il été d'une importance stratégique pour l'État. La centralité a une signification symbolique et politique forte. L'aménagement des espaces et des principaux monuments publics reflète la mise en scène du pouvoir, visant à imposer des valeurs nationales et à exercer une forme de contrôle social et politique. La place y occupe une fonction toute particulière. Autour de la plaza mayor, fondatrice de la ville, lieu de pouvoir et de socialisation, sont disposés les principaux monuments publics, politiques, religieux et économiques, qui abritent les grandes forces institutionnelles de la nation. À Buenos Aires, l'ancienne plaza mayor (Grand Place) de la ville coloniale est devenue la plaza de Mayo (Place de Mayo), la ressemblance linguistique de mayor et Mayo ayant permis à la jeune République argentine, par un heureux hasard, de récupérer la symbolique du pouvoir colonial en l'intégrant à la symbolique républicaine. La date du 25 Mayo célébre en effet la première indépendance nationale en 1810. La place de Mayo est reliée à la place du Congrès, l'autre pôle de la vie politique, par une avenue monumentale bordée d'immeubles représentant tous les styles architecturaux européens de la fin du XIXème siècle et du début du XXème siècle, où est installée la presse, le troisième pouvoir. La construction et la monumentalisation de l'espace public dans le centre de la capitale ont été parmi les principaux vecteurs de la construction d'une nation naissante, de l'institutionnalisation de l'État, et de l'assimilation des milliers de migrants qui débarquaient

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d'Europe. Centre de la vie politique, lieu de l'interaction sociale et de la vie culturelle avec les grands cafés, les restaurants espagnols, les théâtres et les cinémas de l'avenue de Mayo, puis lieu des manifestations politiques, de la liesse populaire et de la contestation du pouvoir en place, entre la première grande manifestation des descamisados en 1945 marquant l'arrivée du général Perón à la tête de l'État, et les manifestations des mères de la place de Mayo de nos jours, le centre politique cumule les fonctions et les symboles. C'est le centre de tous, du moins, dans les représentations.

En ce sens, les autres centres urbains de l'agglomération de Buenos Aires font pâle

figure à côté. Les fonctions des centres secondaires ou tertiaires sont moins nombreuses que celle du centre principal. Ils n'ont qu'une fonction commerçante, voire culturelle, comme à Flores, situé sur Rivadavia, la principale avenue qui départage Buenos Aires en deux, d'est en ouest, ou à Belgrano3, sur l'avenue Cabildo située au nord dans le prolongement de l'avenue Santa Fe. Dans les partidos conurbés, le centre-ville abrite en outre les institutions politiques municipales. Les autres centres de Buenos Aires n'ont surtout pas la richesse symbolique et le poids politique du centre de la capitale.

1.1.3. Définition et délimitation des centres Le centre-ville est dominant, et la concentration spatiale accentuée. La définition du

centre est sans appel, mais n'en précise pas vraiment le contenu : "par zone centrale, on désigne le lieu où sont localisés les organismes décisionnels publics et privés" (MCBA, 1989). Les lignes de démarcation du centre, composite, sont d'ailleurs plutôt floues. Elles sont différentes selon les ouvrages et les documents d'urbanisme, d'aménagement et de planification élaborés pour la ville et pour l'agglomération. La concentration réelle des activités et la délimitation idéelle (souhaitée) du centre, dans le plan d'occupation des sols4, ne coïncident pas nécessairement. Le décalage entre les deux reflète la représentation du centre tel qu'il devra être et les axes de l'action urbaine municipale concernant celui-ci. Si l'on prend en compte les fonctions, les activités, l'âge et les frontières géographiques, le centre-ville de Buenos Aires se subdivise en trois parties juxtaposées, bien identifiées mais mal délimitées.

• Le centre historique correspond au centre colonial et au site originel de la ville. Il

s'étend sur les deux quartiers de Montserrat et de San Telmo, qui sont les plus anciens de la

3 En 1779, le village de San José de Belgrano a été pendant une courte période la capitale du pays, au moment des luttes entres fédéralistes et unitaristes, ce qui a renforcé son caractère central. 4 On reviendra dans la partie suivante sur la définition des zones centrales de rangs primaire (C1), secondaire (C2), et tertiaire (C3) dans le code de l'urbanisme de la ville de Buenos Aires.

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ville, et est délimité dans le code de l'urbanisme de la ville de Buenos Aires au sud par la rue Cochabamba et par l'autoroute 25 de Mayo, à l'ouest par la rue Peru et à l'est par le Paseo Colón. Buenos Aires s'est originellement développée au sud de la place de Mayo, mais la quartier ancien s'étend en réalité au-delà des rues Peru et Cochabamba, jusqu'à l'avenue 9 de Julio à l'ouest et jusqu'à l'avenue Caseros, au sud (cartes n° 4 et 5). Mais le tissu urbain est plus hétérogène à l'est de la rue Peru. La place Dorrego, la plus ancienne de la ville après la place de Mayo, en est l'un des pôles d'animation. Abandonné par les riches familles portègnes, à la suite d'une épidémie de choléra meurtrière en 1871, le quartier colonial a été habité par les familles d'immigrants qui vivaient entassées dans les anciennes demeures coloniales, rebaptisées conventillos. Aujourd'hui, le bâti est très dégradé, comme dans la plupart des centres anciens des villes latino-américaines. Il fait l'objet de mesures de protection architecturales conservatrices qui en accentuent le délabrement, mais reste l'un des principaux quartiers touristiques. La densité résidentielle du quartier et son aspect populaire vont croissant du nord vers le sud. Il est le centre de plusieurs conflits d'usages et d'images, touristiques, résidentiels, commerçants, tertiaires directionnels, qui se sont accentués depuis 1991, quand la politique de conservation du patrimoine a été assouplie.

• Dans le prolongement du centre colonial, au nord, s'étend l'hypercentre (microcentro),

non moins historique. Si le premier est désigné par son rôle comme conservatoire de l'histoire, le second l'est par ses fonctions. L'essentiel des constructions date de la fin du XIXème siècle. L'hypercentre est beaucoup moins un lieu de mémoire, du moins jusqu'au début des années 80, où la destruction de bâtiments de la fin du XIXème siècle ou les menaces de destruction pesant sur certains édifices comme les Galerías Pacífico, ont commencé à susciter émoi et protestations. À la fin du XIXème siècle, l'essentiel des activités de l'hypercentre étaient liées au port. La rue 25 de Mayo, limitrophe à l'est, était un haut lieu de prostitution pour les marins venus du monde entier. Aujourd'hui, ces activités ont disparu, mais la densité d'occupation y reste très élevée. Pour mentionner l'hypercentre, les Argentins parlent aussi de la City, terme qui reflète bien la concentration d'établissements bancaires et financiers, ainsi que le rôle joué par les Anglais dans le développement économique jusqu'en 1940.

Les limites de l'hypercentre ne sont pas très précises, et il faut là encore distinguer le

centre tel qu'il est délimité dans le plan d'occupation des sols (zone C1) et le centre tel qu'il peut être défini à partir de la densité d'occupation des sols, des activités et de la forme urbaine. Au sud, le centre historique et l'hypercentre se chevauchent. Dans le plan d'occupation des sols, en effet, l'hypercentre comporte une avancée dans l'ancien quartier colonial, autour de l'avenue Diagonale Sud et jusqu'à l'avenue Belgrano, et plus récemment autour de l'avenue 9 de Julio, jusqu'à l'autoroute 25 de Mayo (carte n°4), mais la zone qui s'étend entre la place de Mayo et l'avenue Belgrano est tout aussi coloniale que le centre

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historique du plan d'occupation des sols. Juste au sud de la zone C1, dans la manzana5 de las luces, on trouve parmi les édifices les plus anciens de la ville : la première assemblée nationale, l'une des églises les plus anciennes de Buenos Aires, Santo Domingo, etc. Au nord aussi, l'avenue Cordoba constitue, dans le plan d'occupation des sols, la frontière de l'hypercentre, mais, si l'on suit la typologie urbaine et architecturale, celui-ci s'étend jusqu'à la place San Martín et jusqu'à l'avenue Santa Fe (cartes n°4 et 5). En revanche, l'avenue 9 de Julio, avec ses 200 mètres de large, constitue à l'ouest une coupure physique franche entre l'hypercentre et le centre élargi.

Les rues de l'hypercentre dont le quadrillage orthogonal respecte parfaitement la forme

originelle imposée par la loi des Indes, sont très étroites, la circulation y étant partiellement interdite. L'hypercentre est le centre névralgique, politique et administratif du pays, mais aussi un centre commerçant dont l'axe principal est la rue Florida, qui va de la place San Martín à l'avenue de Mayo (du nord au sud) sur 1,2 km. C'est vers lui que convergent l'ensemble des lignes de métro et les principales avenues qui forment la trame urbaine originelle (les avenues Belgrano, de Mayo, Corrientes, Cordoba, Santa Fe), déversant chaque jour, des quatre coins de la capitale et de l'agglomération, les milliers de personnes qui viennent y travailler.

Le centre politique (Diagonale Sud, les deux places de Mayo et du Congrès) est à la

jonction des différents centres, "historique" et colonial d'un côté, "moderne", commerçant et financier de l'autre. L'hypercentre se partage en deux pôles, avec d'un côté, au nord de la place de Mayo, le pôle financier, culturel et commerçant, et de l'autre, le pôle politique, dont la situation est excentrée par rapport à l'hypercentre. L'ancien cabildo, la mairie et le conseil délibérant (conseil municipal) sont installés sur le côté occidental de la place de Mayo, le palais présidentiel au sud, la cathédrale au nord, tandis que le ministère de l'Économie, ainsi que certaines grandes institutions financières (Banco de la Nación, Banco Hipotecario Nacional) gravitent autour, et que les principales administrations nationales (dont une partie du ministère de l'Économie et l'INDEC), ainsi que certains services municipaux s'échelonnent le long de la Diagonale Sud. Le ministère des Armées a son siège un peu plus au sud-est, sur le Paseo Colón, tandis qu'au nord, s'élève l'imposant bâtiment des Postes et Télécommunications, élément essentiel du contrôle national. La Diagonale Nord, siège de plusieurs grandes banques (banque de Boston...), est le symétrique économique de la Diagonale Sud. Toutes les grandes institutions liées à la vie politique et économique de la Nation sont concentrées autour de la place de Mayo. Celle-ci constitue le trait d'union entre

5 La manzana est l'îlot de base de l'urbanisation porteña. Elle mesure 100 m sur 100 m, dans le schéma originel imposé par la loi des Indes.

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d'un côté le centre économique, financier et commerçant, et de l'autre, le centre "historique" (carte n°6).

La partie nord de l'hypercentre est essentiellement le royaume du négoce et du

commerce de détail, avec la Bourse, la Banque Centrale de la République Argentine, la Banque de la Province de Buenos Aires, des établissements bancaires et des grandes compagnies d'assurances, ses axes financiers comme les rues San Martín, Reconquista et 25 de Mayo6, ses axes commerçants tels la rue Florida, et ses axes culturels, quelques grands théâtres étant localisés dans la partie supérieure de l'avenue Corrientes, et les cinémas se succédant sur la rue piétonne Lavalle. La rue Florida fait le lien avec le centre politique, en traversant l'avenue de Mayo jusqu'à la Diagonale Sud, alors que toutes les rues changent de nom au sud de l'avenue de Mayo.

• Le centre élargi (macrocentro) constitue une extension de l'hypercentre. Tout aussi

dense que celui-ci, voire plus, composé d'immeubles d'environ six étages datant la plupart de la fin du XIXème siècle et du début du XXème, abritant aussi des fonctions centrales, il recouvre la zone comprise entre les avenues Belgrano, 9 de Julio, Callao et Santa Fe, à forte dominante commerciale et culturelle. La zone qui figure comme C2 dans le plan d'occupation des sols s'étend au nord, jusqu'à l'avenue las Heras, en direction de Barrio Norte et de la Recoleta (carte n°4). L'avenue Corrientes, cœur de la vie culturelle portègne, est l'axe principal du centre élargi. Le troisième pôle de la vie politique, le Palais de Justice, est situé à l'est, autour de la place Libertad. D'autres équipements publics comme le siège social de l'ancienne entreprise publique Obras Sanitarias de la Nación y sont localisés (carte n°6). Dans certains documents d'urbanisme, et dans l'optique d'une réforme politique et administrative (sur laquelle on reviendra), la zone triangulaire délimitée par les trois principales gares de Buenos Aires (Retiro, près du fleuve, Once, à l'ouest, et Constitución, au sud) est définie comme "zone capitale", et englobe l'un des principaux quartiers de commerce de gros de la ville, le quartier de Once. Dans certaines rues de Once, la densité urbaine et commerciale est aussi élevée qu'au sud de l'avenue Callao. Le centre élargi peut ainsi s'étendre jusqu'à l'avenue Pueyrredon (et jusqu'à la gare de Once). La fonction commerciale est dominante, et la densité en bureaux y est aussi importante. La densité des activités diminue entre l'avenue Cordoba et l'avenue Santa Fe.

1.1.4. Évolution du centre : le rôle de la "crise" du centre dans la "crise" urbaine

6 Les huit cuadras comprises entre les avenues Corrientes et Rivadavia et les rues 25 de Mayo et San Martín, forment la zone bancaire.

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Le discours (politique, urbanistique, intellectuel) insiste sur l'affaiblissement de la centralité, qui est l'une des manifestations, entre autres, de la crise urbaine.

Buenos Aires connaît des problèmes similaires à ceux d'autres grandes villes du reste du

monde. Saturation du trafic, services urbains surchargés, sources de pannes fréquentes et d'inondations dramatiques, pollution environnementale, espaces publics mal entretenus, sont le lot quotidien des onze millions de personnes qui vivent dans l'agglomération de Buenos Aires. La part du discours nostalgique ne fait pas de doute, mais les signes d'une dégradation, qui a des explications rationnelles, sont sensibles, et les signes des dysfonctionnements, liés à une croissance trop rapide et mal maîtrisée7, existent : dans la rue Florida, les pavés qui ont sauté n'ont pas été changés, les trous dans la chaussée font légion, des façades sont murées (en particulier celles des Galerías Pacífico jusqu'à leur réfection), les taux de vacance et de rotation des locaux commerciaux sont élevés, les galeries marchandes sont désertées. Le manque d'entretien est évident. Buenos Aires n'échappe pas non plus au discours catastrophiste sur les grandes villes, et ce sont, ici comme ailleurs, les mêmes images anthropomorphistes ou animalières qui sont utilisées pour la décrire. La géographe E. Chiozza évoque "l'image d'un poulpe gigantesque dans lequel bat la vie de dix ou onze millions d'êtres humains, pris dans ses tentacules dilatés" (Chiozza E., 1983 : 448). La trame urbaine quadrillée et régulière, élément du contrôle social et politiques pendant la période coloniale, a été intégratrice dans les années 1880-1940, permettant une urbanisation facile et l'accession des classes moyennes à la propriété, puis a fini par signifier un étalement sans fin, selon le modèle en "tâche d'huile" de l'urbanisation nord-américaine, générant le "poulpe géant".

La "perte de centralité" se manifeste par la perte d'activité du centre, en particulier de

ses habitants et de ses commerces. Mais est-ce bien sûr à Buenos Aires ? Le centre a effectivement perdu de sa population. Dans le district scolaire n° 1, qui contient l'hypercentre, la population résidente a diminué de 12,5% entre 1970 et 1980, et de 5,9% entre 1980 et 1991, et la baisse démographique a été équivalente dans les districts scolaires n° 2, 3 et 4 qui correspondent approximativement au centre élargi (INDEC, 1992). Le calme du centre-ville, où les commerces sont de toutes façons fermés le week-end à partir du samedi 13 heures, suite à la rigoureuse législation du travail mise en place en 1932 (le sábado inglés), contraste avec l'animation fiévreuse de la semaine. En revanche, la diminution du nombre de locaux commerciaux et des activités tertiaires n'est pas vérifiée, et il semblerait même que le mouvement soit inverse. Le centre-ville continue de concentrer l'activité et les emplois, et des

7 La périurbanisation n'a pas entraîné la création de réseaux équivalents dans la ville-centre et dans le reste de l'agglomération de Buenos Aires. La crise des réseaux n'est pourtant pas seulement une crise d'infrastructures. Elle a aussi des causes multiples et complexes, tant politiques qu'économiques et structurelles, et beaucoup moins techniques (Dupuy G., 1987).

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milliers de banlieusards effectuent chaque jour le trajet centre / banlieue pour aller travailler, passant des heures dans des bus inconfortables et dans les embouteillages. La distance-temps et la distance symbolique entre le centre et la périphérie se sont accrues. Nombreux sont les habitants de l'agglomération de Buenos Aires qui ne vont plus au centre, et on hésite à ressortir le soir en centre-ville. Le centre joue-t-il toujours le même rôle dans le vécu des habitants de Buenos Aires ? Dans ces conditions, on peut penser que beaucoup ne vont plus qu'exceptionnellement au centre, en dehors de leurs heures de travail.

Le centre de gravité de la ville qui s'était déjà déplacé de San Telmo vers l'actuel

hypercentre dans le dernier quart du XIXème siècle, continue progressivement sa translation vers le nord. Ce sont les quartiers du nord de Buenos Aires qui ont connu le plus fort mouvement de densification et de rénovation urbaine dans les années 60-70, sous la forme de tours de logements, alors que, dans la même période, la densité moyenne de l'aire métropolitaine diminuait. Leur rythme de croissance démographique aurait cependant eu tendance à se ralentir entre 1980 et 1991, mais se poursuivait dans les quartiers de Belgrano et de Nuñez, alors que la population des quartiers centraux et des quartiers industriels de la capitale continuait à décroître. La liste des grands équipements installés dans le nord de la ville, est longue : les bois de Palermo qui constituent le plus vaste espace vert de la capitale, le zoo et le jardin botanique, proches de la foire d'exposition de la Société Rurale, l'important pôle du tourisme et des loisirs de la Recoleta, avec le cimetière et le centre culturel municipal de la Recoleta, le musée des Beaux-Arts, le Palais des Glaces, une foire d'exposition, la faculté de droit, la Bibliothèque Nationale qui a déménagé en 1992 de San Telmo à la Recoleta, le gros pôle universitaire de la place B. Houssay comprenant les facultés de d'économie, de sciences sociales, de médecine et de pharmacie, situé au croisement de l'avenue Córdoba et de la rue Uriburu en marge du centre élargi, mais aussi, plus au nord, les facultés d'architecture, de physique, d'ingenierie, etc. Le sud, au contraire, concentre les équipements "encombrants" : les hôpitaux psychiatriques, les équipements ferroviaires, etc.. La gentrification progressive des quartiers nord de la ville favorise l'extension du centre-ville vers le nord. Les quartiers périurbains, Barrio Norte et la Recoleta, tendent à devenir des morceaux du centre-ville, exerçant certaines fonctions centrales. Deux hôtels de catégorie de luxe appartenant à des chaînes internationales ont été construits à la Recoleta. L'apparition d'un pôle cinématographique au croisement des avenues Callao et Santa Fe, à Barrio Norte, détournant une bonne partie de la clientèle de sa concurrente traditionnelle, la rue Lavalle, dont les salles sont vétustes, est un autre indice de la lente translation. Nous désignerons donc par zone centrale l'aire comprenant non seulement l'hypercentre, mais aussi le centre élargi et les quartiers nord péricentraux qui connaissent des processus de gentrification et concentrent des équipements de type central.

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Mais si le nord se densifie, le centre-ville garde sa prééminence. Certaines activités, comme les cinémas, et les activités culturelles se sont recentrées, les salles de quartier, pourtant nombreuses, ayant fermé leurs portes dans les années 80 (cartes n° 7 et 8). Le centre de Buenos Aires, contrairement à d'autres centres-villes latino-américains, s'est très peu densifié. Quelques tours modernes, abritant les sièges sociaux de grandes entreprises, ont bien poussé ça et là, et la greffe des tours de bureaux de Catalinas Norte, entre l'hypercentre et le port, n'a pas bien prise et n'a pas suffi à absorber toute la demande (carte n° 4). Les sièges sociaux, qui se sentent pourtant un peu à l'étroit, restent au centre.

En fait, la perte de la centralité est surtout symbolique. La signification historique et

politique du centre s'est démantelée (Rémy J., Voyé L., 1981). Le divorce économique et social croissant entre la capitale et le reste du pays aurait tendance à remettre en cause les fondements de l'identité nationale. Le vacillement de l'État-Providence n'a-t-il pas des conséquences sur le fonctionnement et la signification de la centralité ? Le retrait de l'État a en tout cas accentué le délaissement des espaces publics et les dysfonctionnements d'une ville dont les services urbains n'avaient été ni entretenus ni modernisés depuis leur construction dans la première moitié du siècle. Simultanément, nombreux sont les indices qui vont dans le sens opposé. Le président R. Alfonsín l'a appris à ses dépens : l'échec de la création d'une nouvelle capitale, à Viedma, au nord de la Patagonie, et la virulence de l'opposition au projet, ont montré la vigueur de la notion de centralité politique en Argentine. Au niveau national comme au niveau local, les forces centrifuges sont compensées par d'autres, centripètes, et la puissance des représentations et de l'imaginaire sur le centre et sur la capitale n'y sont pas pour rien. Buenos Aires reste le centre indiscuté de l'agglomération et du pays. Les autres centres de l'agglomération ne font pas véritablement contre-poids au centre-ville. Il faudra revenir sur le sens du discours sur la crise du centre et de la ville dans le contexte argentin, et sur ses fonctions. Peut-être vaudrait-il mieux parler d'une redéfinition de la centralité.

1.2. Le commerce porteño

1.2.1. Le commerce, fonction centrale et vitrine de la ville Le commerce, on l'a compris, est omniprésent à Buenos Aires, et plus particulièrement

dans le centre, pour plusieurs raisons. D'abord, "la ville est fille du commerce", comme l'a souligné l'expression d''H. Pirenne,

qui a fait fortune. Si le commerce n'a pas véritablement présidé à la naissance de Buenos Aires, c'est lui qui fera sa fortune et a permis sa croissance. De par sa fonction marchande, la capitale, qui coïncide assez bien avec l'idéal-type de la ville occidentale commerciale et

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bureaucratique défini par M. Weber, a absorbé toutes les forces vives du pays. Historiquement, le commerce a joué un rôle essentiel dans la croissance urbaine, et a constitué la principale base économique de la ville.

Ensuite, il est aussi l'une des principales fonctions du centre-ville, que ce soit de

l'hypercentre, sur la rue Florida, du centre élargi, autour de l'avenue Corrientes, des quartiers de commerce de gros, autour de Once ou au sud de l'avenue de Mayo, à proximité du Congrès, et même du centre historique. En outre, si le centre-ville de Buenos Aires est la vitrine du pays, ses magasins sont l'une des vitrines de la ville et de sa modernité, autant mais différemment que les monuments publics, à l'échelle locale, comme à l'échelle nationale et internationale. La rue Florida, première rue pavée de Buenos Aires et principale artère commerciale du centre, était dès 1850 le lieu d'exposition de la fine fleur de la marchandise importée d'Europe ou d'Orient (marchands de parapluies, chapeliers, tailleurs anglais, bijoutiers-joailliers), et les deux grands magasins Harrod's (1914) et Gath y Chaves donnaient sur elle ; les passages commerciaux comme la galerie Güemes inaugurée en 1913 sur la rue Florida, le passage Barolo sur l'avenue de Mayo, ou la galerie Santa Fe sur l'avenue éponyme, faisaient la renommée de la ville, imitant ceux de Paris. À quelques dizaines de mètres de là, se trouvait la majorité des lupanars de la ville. Aujourd'hui, la rue Florida, autant que la Casa Rosada, constitue l'une des principales attractions touristiques du centre-ville.

Or, la représentation décadente de la ville est associée à l'image déclinante de son

centre-ville et de l'espace public, et le commerce est l'une des composantes de celle-ci. L'affaiblissement du commerce en centre-ville, notamment sur la rue Florida, affecte l'image du centre, ou plutôt l'image que l'on voudrait donner du centre-ville. Dans les années 80, les commerces du centre se sont étiolés : les salons de thé d'antan, les tailleurs anglais ont fermé boutique, et la disparition de certaines spécialités aidant, les établissements qui faisaient la renommée de la rue Florida ont été remplacés par des magasins vendant du cuir et de la fourrure, puis, une fois la mode passée, par d'autres commercialisant des produits importés d'Asie du sud-est, par des bazars en tous genres, par des magasins de vêtements d'assez basse gamme. N'ayant pas su s'adapter à la concurrence et se moderniser, les grands magasins ont aujourd'hui disparu à l'exception de Harrod's qui survit difficilement, en face des Galerías Pacífico, en permanence remplies. Sa gestion archaïque, son aménagement intérieur démodé, son aspect poussérieux et l'offre commerciale désuète, le relèguent au rang des antiquités commerciales. Les cinémas de l'avenue de Mayo ont cédé la place à des cinémas pornographiques, et ceux de la rue Lavalle sont progressivement remplacés par des salles de jeux video et par des bingos clinquants. Le commerce du centre-ville et des principales avenues commerçantes (Cabildo, notamment) ne s'est que bien peu modernisé depuis une vingtaine d'années. Même les galeries marchandes de la fin des années 60 sont peu animées.

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La perte du dynamisme commercial est la même que dans certaines villes nord-américaines ou brésiliennes, mais les activités commerciales ne se sont pas "ex-urbanisées".

1.2.2. Le paysage commercial du centre Avant d'aller plus avant, il est nécessaire d'apporter quelques précisions sur les

spécifités des rapports de la ville au commerce à Buenos Aires et sur les traits particuliers du paysage commercial, notamment en centre-ville, afin de voir la logique urbaine spécifique des shopping centers. Nous en avons déjà un peu parlé en décrivant le centre. Le lien entre le commerce et la centralité se mesure surtout à travers la densité commerciale et le degré de centralité des activités (Marrou L., 1993). C'est dans le centre-ville que les densités sont les plus élevées, mais le paysage commercial change fortement d'un quartier à l'autre, voire d'une rue à l'autre.

• Pour le centre historique, nous n'avons pas d'information détaillée du recensement

économique (le district scolaire n° 4 couvrant, de toutes façons, les quartiers de la Boca et de San Telmo, dont la densité commerciale est différenciée), mais la densité commerciale est globalement assez élevée, de 6,5 commerces par hectare (cartes n ° 9 et 10). Les commerces de proximité (épiceries de quartier, boutiques spécialisées), ainsi que les bars et les restaurants populaires, donnent leur originalité à un paysage commercial assez contrasté. C'est aussi dans ce quartier touristique que se concentrent la plupart des cabarets de tango, des antiquaires, que se tient tous les dimanches un marché d'antiquaires très touristique, tandis que San Telmo est également l'un des centres de la vie artistique et culturelle underground. Cependant, dès qu'on passe la place Dorrego, la densité des activités touristiques diminue. En s'approchant de la gare de Constitución au sud-ouest, la quantité de commerces augmente, mais le paysage commercial a totalement changé de physionomie. Il s'agit d'un quartier commerçant très populaire.

• La concentration des activités commerciales, financières, mais aussi des bureaux, est

assez élevée. Elle s'élève à 23 commerces à l'hectare dans le district scolaire n° 1 qui couvre une partie de l'hypercentre, de la Recoleta et du centre élargi (carte n° 10), mais la carte des nodules commerciaux montre qu'elle est plus forte dans le centre élargi que dans l'hypercentre (carte n° 9), qui concentre plus les activités bancaires et financières que les activités commerciales. À une échelle plus fine, notamment sur la rue Florida, les densités peuvent atteindre 40 commerces à l'hectare, voire plus. On relève 52 galeries dans l'hypercentre (Collin-Delavaud A. et C., 1986). Le commerce de luxe (haute couture...) a élu domicile sur l'avenue Santa Fe et dans la partie septentrionale de la rue Florida (entre l'avenue Cordoba et la place San Martín). Les boutiques de prêt-à-porter, les librairies, les disquaires, les magasins

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d'objets électroniques importés, les fast-food s'établissent sur la rue Florida, tandis que les rues adjacentes concentrent des commerces spécialisés dans l'informatique et dans la fourniture de bureaux. Les commerces alimentaires, de proximité sont quasiment absents. En revanche, la branche HORECA est très bien représentée. Restaurants et bars accueillent tous les jours les milliers d'employés de bureaux qui s'y pressent.

• Le centre élargi se décompose en plusieurs zones commerciales. D'abord, entre

l'avenue 9 de Julio et l'avenue Callao, les commerces et les services commerciaux à caractère culturel (librairies, disquaires, cinémas, théâtres) ainsi que les bars et les restaurants sont dominants, surtout sur l'avenue Corrientes. Certaines rues sont spécialisées dans des branches particulières : les bijouteries se succèdent sur la rue Libertad au sud de l'avenue Corrientes, et les librairies juridiques se concentrent autour du palais de justice. Ensuite, la densité commerciale reste forte, avec 16 commerces par hectare dans le quartier de Once qui correspond approximativement au district scolaire n° 2 (carte n° 10) et 14 commerces par hectare dans le quartier de San Nicolas (district scolaire n° 3). La carte des nodules commerciaux souligne qu'on atteint même localement parmi les plus fortes densités. Dans les rues adjacentes à l'avenue Corrientes, jusqu'à l'avenue Pueyrredon, à la hauteur de la gare de Once, c'est surtout le commerce de gros spécialisé dans le textile et dans le prêt-à-porter qui a pignon sur rue. Le degré de spécialisation s'y accentue : on y trouve des rues entières consacrées à la bonneterie, à la mercerie, aux tissus ou plus simplement au prêt-à-porter féminin (carte n° 11). Au nord de l'avenue Cordoba, la densité diminue, mais augmente à nouveau aux abords de l'avenue Santa Fe.

Les activités les plus centrales sont les commerces rares et prestigieux, à fort degré de

spécialisation comme les magasins d'informatique et d'accessoires de bureau (comme à Lisbonne, d'après les données recueillies par L. Marrou, op. cit.), les vêtements de cuir, de fourrure, les bijoutiers-joailliers, les antiquaires (74,4% des locaux consacrés à ces spécialités dans la capitale étant localisés dans la zone centrale), les services à caractère commercial tels les agences de tourisme, et les services à caractère culturel, les théâtres et les cinémas. Les librairies-papeteries et les kiosques à journaux, les commerces anomaux comme les opticiens, les bijouteries-fantaisie, les maroquineries, les commerces spécialisés dans le matériel audio et la hi-fi, les restaurants, les cafés, les pizzerias et les confiterías, ont un caractère un peu moins central. En revanche, les parfumeries, les magasins de sport et de jouets, ainsi que les marchands de meubles, les concessionnaires d'automobiles, dont les activités, pour ces deux derniers nécessitent une importante surface de vente (sur l'avenue Belgrano mais aussi autour de la place d'Italie pour les meubles, sur l'avenue Gaona pour les concessionnaires d'automobiles), n'occupent pas une position centrale. À Mexico, les magasins de sport sont au contraire centraux, et ne le sont pas à Lisbonne, de la même façon qu'à Buenos Aires. Le taux

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de desserte par habitant en commerces alimentaires est homogène dans l'ensemble de l'agglomération. L'équipement de la personne a un caractère central, mais celui-ci est plus ou moins accentué en fonction des spécialités.

1.2.3. La logique spatiale du commerce à Buenos Aires a) Centre / périphérie La densité commerciale décroît du centre vers la périphérie, à l'échelle de la capitale

comme à celle de l'agglomération (carte n° 10). Les deux principaux centres secondaires de la capitale sont Flores et Belgrano, qui concentrent des commerces similaires à ceux du centre-ville, des cinémas, des établissements bancaires, etc. Dans la capitale, la densité diminue d'est en ouest et du nord au sud, outre les pôles commerciaux de San Telmo / Montserrat, de la gare de Constitución au sud, Liniers à l'ouest, et quelques croisements d'avenues importantes comme celui des avenues Corrientes et Canning, où le commerce de gros s'épanouit. Les centres tertiaires inscrits au plan d'occupation des sols (Villa del Parque, Villa Devoto, Villa Urquiza) ne se dessinent pas véritablement sur la carte des nodules commerciaux. L'avenue Rivadavia constitue l'un des principaux axes commerçants structurants de la ville. La densité commerciale est globalement plus importante au nord de celle-ci qu'au sud, et les gares (Constitución, Retiro, Once, mais aussi Liniers, Pacífico8, et à un moindre degré, Villa del Parque, Villa Urquiza, etc.) sont des points réels ou potentiels de centralité. Les alentours des grandes gares attirent, comme souvent, des commerces très populaires, des hôtels (alojamientos)9 et des discothèques (bailantas)10, et jouent un rôle important à l'échelle de l'agglomération pour les habitants des quartiers modestes de la zone périurbaine qui viennent s'y divertir. Dans la banlieue de Buenos Aires, les principaux centres commerçants correspondent généralement aux centres-villes des partidos de Quilmes, d'Avellaneda et de Lomas de Zamora, au sud, de Morón à l'ouest, de San Isidro, mais aussi le quartier de Martínez, dans cette même commune et les abords de l'avenue Maipu à la frontière de la capitale. Les autres pôles commerçants secondaires et tertiaires de la capitale et des 19 partidos offrent une gamme assez large de commerces et de services.

b) Spécialisation et linéarité

8 La gare Pacífico ne doit pas être confondue avec les Galerías Pacífico, même si, au départ, leur nom commun provient du nom de la compagnie de chemin de fer qui était propriétaire du bâtiment et de la gare. La gare Pacífico est située au nord du quartier de Palermo, au croisement de l'avenue Santa Fe et l'avenue Gaona. 9 Les alojamientos sont des hôtels où l'on loue des chambres à l'heure. 10 Les bailantas font partie de la culture populaire. Ce sont des discothèques qui passent de la musique "tropicale", terme qui désigne différentes sortes de musiques populaires du nord de l'Argentine, des pays andins, de Colombie (cumbia, etc.).

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La distribution obéit à une logique plus linéaire que polarisée, liée à la forme

strictement géométrique de la ville (carte n° 9), ainsi qu'à la forte spécialisation des activités commerciales par rue ou par quartier, bien que la spécialisation soit sans commune mesure avec celle d'autres villes comme Mexico. Les marchands de meubles se cotoient sur l'avenue Belgrano (entre les avenues 9 de Julio et Entre Rios), les grossistes en textile et en prêt-à-porter sur l'avenue Canning et dans le quartier de Once, ainsi que dans la zone située entre l'avenue Belgrano, les rues Alsina, Salta et Santiago del Estero au sud du centre élargi, l'avenue Corrientes rassemble les commerces et les services culturels. Dans la rue Azcuenaga du quartier de Once, on trouvera la bonneterie, tandis que les rues San Martín et 25 de Mayo réunissent les banques, la rue Lavalle les cinémas, etc. (carte n° 11). Les concessionnaires d'automobiles, les réparateurs défilent sur l'avenue Gaona. Le linéaire commercial est très étendu, avec pour les principales avenues, Santa Fe, Florida, Corrientes, Cabildo, les 20 km de long de l'avenue Rivadavia, qui est commerçante sur un très grand nombre de cuadras (carte n° 9). Dans les partidos de l'agglomération de Buenos Aires, les principales routes (la route n° 1 qui traverse Avellaneda et Quilmes, les avenues Pavón et H. Irigoyen à Avellaneda et Lomas de Zamora, le long de l'avenue Libertador à Vicente López et San Isidro, etc.) constituent sur certains tronçons des rubans commerciaux, selon la typologie établie par B. Berry pour les villes nord-américaines (1971).

Le commerce du centre-ville joue un rôle essentiel à la fois à l'échelle de

l'agglomération, comme élément structurant, pôle d'attraction et d'animation, et pivôt de la centralité, et à l'échelle de la nation, comme vitrine de la finesse, de l'élégance argentine, comme façade de la modernité du pays. D'une part, la densité commerciale est très importante dans la zone centrale, d'autre part, le commerce obéit à une double logique linéaire et spécialisée. Le déclin du commerce central, qui est l'une des vitrines de la ville, risque de donner une image négative du centre.

2. Urbanité et commerce à Buenos Aires

Le commerce, interface entre les comportements en public et les pratiques de

consommation privées, est à la fois un élément de la centralité et de l'urbanité de la ville. D'une part, il matérialise l'échange économique ; d'autre part, il est un lieu d'échange social, où les valeurs culturelles se mêlent aux valeurs matérielles ; enfin, la culture (ou les cultures) locale (s) donne une forme particulière au paysage commercial.

Les boutiques du centre, comme les commerces de proximité, sont étroitement associés

à l'espace public, parce qu'ils sont des lieux de l'interaction sociale et d'expérimentation du

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rapport à autrui, ainsi que des espaces de rencontre. Le commerce est l'un des éléments essentiels de la pratique du centre-ville et de l'expérience de la ville. Le centre, d'après G. Simmel, est le lieu de rencontre avec l'étranger. Aussi les commerces du centre et les commerces de quartier ont-ils une signification différente dans le vécu des habitants et dans leur pratique de la ville.

Buenos Aires a une identité originale en Amérique latine. C'est la plus européenne des

grandes capitales. Son européanisation s'est accentuée entre 1830 et 1914, d'une part en raison des goûts et des influences de l'élite (ou du moins, d'une partie de l'élite), d'autre part, en raison des importantes vagues d'immigration qui ont modelé le profil de la population. L'Argentine est un terrain particulièrement ouvert aux influences venues du Vieux Continent. Mais même si les pratiques, les modes, etc., sont imitatives, elles ont avant tout la saveur du syncrétisme culturel, dans une ville-creuset. Les lieux du commerce reflètent la diversité des origines culturelles porteñas. Que ce soit dans le centre-ville ou à la périphérie, il a été et reste l'un des éléments essentiels de la sociabilité des habitants de Buenos Aires et l'un des dispositifs-clés du lien social.

2.1. Commerce de luxe, ostentation et modes européennes

L'espace et les lieux publics du centre remplissent la même fonction sociale que dans les

villes occidentales européennes. La fortune du modèle agro-exportateur en Argentine, à la fin du XIXème siècle, a permis au commerce de se développer selon les mêmes modèles qu'en Europe, répondant à la demande d'une population dont les revenus et le niveau de vie augmentaient rapidement. Peu après l'indépendance, dans la première moitié du XIXème siècle, le pays commence à fonctionner sur la "logique de l'emprunt", comme le souligne à juste titre B. Badie à propos des pays d'Amérique latine (Badie B., 1992 : 126). La politique, les goûts, l'esthétique et les modes sont imitatives. Le droit constitutionnel est d'inspiration nord-américaine, le droit civil reprend du code Napoléon, la consommation des élites rivalise avec celle des Européens, donnant lieu pour certains à une l'"européophilie outrancière" (Sachs I, 1971 : 65).

L'oligarchie de Belgrano et la bourgeoisie nouvellement enrichie par le développement

des activités agro-exportatrices et financières cherchaient à imiter les habitudes de consommation et les modes de vie européens, et à rivaliser avec l'Europe, en adhérant à ses valeurs, à ses goûts et à ses modes (ibid., op. cit. : 65). Les hommes d'affaires d'origine européenne, les Anglais notamment, étaient nombreux à s'installer en Argentine et à faire fortune dans le négoce de la viande et du blé. À partir du XIXème siècle, l'esthétique, la mode, les marchandises, l'architecture, bric-à-brac hétéroclite de palais italianisants, de "petits

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chalets"11, de monuments haussmanniens, d'immeubles de style Art Déco ou Art Nouveau, en dehors de quelques édifices comme la tour Kavanagh construite en 1936 sur la place San Martín, autre signe de la modernité, proviennent essentiellement du Vieux Continent. On fait souvent appel à des paysagistes , à des sculpteurs et à des architectes européens, comme le Français Charles Thays qui a conçu les bois de Palermo, lequel contient plusieurs statues de Bourdelle. L'intérieur des maisons bourgeoises remplies de marchandises importées de toute l'Europe, est très chargé et ostentatoire (Scobie J., 1974 : 45). La réputation d'élégance des femmes argentines n'a d'équivalent que celle des Parisiennes, et les belles se pavanent sur la rue Florida. Les cafés littéraires, les salons de thé, et les clubs (le "Jockey Club") exclusivement réservés à l'oligarchie, suivent la mode européenne. Buenos Aires se veut européenne et se compare à l'Europe. Les étrangers, en voyage dans la ville, évoquent effectivement Paris, Londres ou Madrid, leurs références étant passées au crible de leurs normes culturelles, et ont soit du mépris pour le manque d'"authenticité" de la culture argentine, soit un certain émerveillement. Georges Clémenceau, en voyage en Argentine à la veille de la première guerre mondiale, relatait que "l'avenue de Mayo, aussi large que nos plus beaux boulevards, ressemble à Oxford Street avec ses vitrines et la décoration de ses bâtiments". Effectivement, Buenos Aires pourrait être une synthèse de toutes les grandes capitales européennes, et chaque endroit en évoque plusieurs autres à la fois. Les comparaisons sont systématiques et inévitables. L'avenue de Mayo est espagnole par excellence ; l'avenue Santa Fe est les Champs-Élysées ; la rue Florida est parfois comparée à la rue Vivienne ; l'avenue Corrientes est la "Broadway portègne" ; le quartier de Retiro, quartier des Français, renferme des petits coins de Paris ; les Bois de Palermo imitent l'aménagement paysager du Bois de Boulogne, etc. Des lieux différents peuvent être comparés à un même endroit, ce qui souligne l'hétérogénéité culturelle de Buenos Aires. Ainsi c'est tantôt l'avenue de Mayo, tantôt l'avenue Santa Fe, qui se mesurent aux Champs-Élysées.

Les lieux commerciaux et les espaces de la sociabilité de la haute société porteña,

suivent donc la mode européenne. Les rues commerçantes du centre-ville refléchissent l'attrait de l'oligarchie argentine pour les modes europénnes ainsi que les modèles urbains de la fin du XIXème siècle. On trouvait les produits importés d'Europe les plus fins sur les principales avenues commerçantes, Florida, puis Santa Fe. Les traditionnelles confiterías sont d'origine anglaise, les cafés littéraires sont en vogue comme à Paris. Si L'Europe est à l'heure orientale, Buenos Aires regarde vers l'Europe qui incarne le raffinement civilisé. Aussi le commerce a-t-il connu, comme en Europe, un premier mouvement de modernisation à la fin du XIXème siècle, contemporain des travaux de modernisation de la ville entre 1880 et 1930, selon les canons internationaux haussmanniens et suivant les mêmes principes fonctionnalistes,

11 Les Argentins ont adopté une expression française qui ne correspond à rien de précis en France.

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hygiénistes et esthétiques. L'ouverture des grands magasins à Buenos Aires et dans les principales villes argentines comme Rosario et Cordoba, première forme de concentration spatiale du commerce et de modernisation de l'appareil de distribution de par leurs techniques de vente (les promotions, la présentation des comptoirs, les catalogues), suit de près celle des premiers grands magasins parisiens ou londoniens selon les mêmes préceptes commerciaux et architecturaux. Alors qu'à Paris, est inauguré le Bon Marché en 1863, à Buenos Aires ouvre le premier grand magasin A la Ciudad de Londres en 1889, puis Gath y Chaves et Harrod's. Les Galerías Pacífico, qui auraient dû abriter le Bon Marché en 1889, ont été construites sur le modèle des Galeries Victor-Emmanuel II de Milan. Les grands magasins contribuaient à la finesse, à l'élégance et à la renommée des principales artères commerciales portègnes. Le développement des formes commerciales n'échappe pas aux modes en vigueur et Buenos Aires essaie très tôt de prendre le pas de la modernisation.

L'espace public du centre, s'il est caractérisé, dans les représentations imposées par

l'État, par le cotoiement entre les différentes classes sociales et exclut l'appropiation privée par un groupe, est surtout l'espace d'exposition de l'oligarchie argentine. Plus tard, le centre acquerra un autre sens, comme lieu de toutes les rencontres fortuites, lieu de la flânerie, de la solitude mais aussi d'une promiscuité sans contrainte, de la masse et de l'anonymat, de l'autre et du semblable, du connu et de l'inconnu. Le brassage social de la rue Florida qui modifie son profil, s'accentue dans les années 40. La très forte polarisation socio-spatiale de Buenos Aires sur son centre-ville renforce cet équilibre entre les différents aspects qui constituent l'expérience vécue de la centralité (l'autre et le semblable).

2.2. Le visage cosmopolite du commerce

Les commerces de quartier, plus populaires, favorisent eux aussi l'interaction sociale.

Le contenu de celle-ci n'est pas le même que dans le centre et prend un autre sens. D'une part, ils sont des lieux de la sociabilité, de l'échange social, mais non de l'exposition de soi comme dans le centre ; d'autre part, la diversité formelle des commerces reproduit la mosaïque culturelle argentine ; enfin, les commerces ont joué un rôle dans les processus d'intégration et d'assimilation des individus, en mettant en contact des cultures différentes et en favorisant l'échange culturel.

L'immigration et les composantes de la population immigrée ont donné sa couleur

locale à Buenos Aires. Des 6,33 millions d'Européens débarqués entre 1857 et 1930, 45% et 35% étaient respectivement d'origine italienne et espagnole, mais d'autres venaient aussi d'Europe centrale, de Syrie, etc. (Bourdé G., 1974). En 1914, plus de 50% de la population était étrangère. L'assimilation de ces groupes a été rapide, impulsée en grande partie par l'État

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et par la proximité culturelle de ces groupes, essentiellement d'origine méditerranéenne et à dominante hispano-italienne. La culture argentine s'est enrichie de tous ces apports extérieurs.

La variété des origines culturelles s'exprime librement dans la diversité des formes

commerciales. Des boulangeries aux papeteries, en passant par les pharmacies, les quincailleries et les kiosques à journaux, la spécialisation du commerce de détail de proximité est élevée. Les boucheries, avec leurs impressionnantes machines à découper la viande et leurs grandes chambres frigorifiques d'où ne cesse d'entrer et de sortir le boucher, archétype argentin, sont originales. La spécialisation commerciale et professionnelle a souvent une base ethnique. Les Italiens et les Espagnols se sont tournés plutôt vers le commerce de détail. Les bars et les épiceries étaient tenus par des Basques espagnols. L'image populaire de don Manolo, épicier d'origine espagnole, bourru, un peu avare, est très ancrée dans l'imaginaire social et urbain de Buenos Aires. Les histoires de la petite Mafalda en témoignent (dessin n°1).

Le commerce de Buenos Aires est un kaléidoscope de cultures. Le café à Buenos Aires

a la saveur du café italien, mais les présentoirs en verre des comptoirs qui exposent sandwiches et autres amuse-gueules, évoquent les bars d'Espagne (de Barcelone, par exemple). Les marchands de quatre saisons et les vendeurs de pâtes fraîches sont généralement d'origine italienne (Bourdé G., op. cit. : 232), et le marché de Spinetto dans le quartier de Balvanera était le royaume des Italiens et des Syrio-Libanais. Quant au commerce de gros ou à des branches comme l'horlogerie, ce sont les Juifs et les Syrio-Libanais qui les ont investis. Les deux communautés coexistent dans le quartier de Once. La restauration est assez cosmopolite : les pizzerias italiennes voisinent les restaurants espagnols où l'on peut s'attabler autour du traditionnel puchero12, les parrillas argentines où l'on sert le traditionnel asado13, les restaurants de quartier aux diverses spécialités de pâtes fraîches dont les gnocchi du 29 de chaque mois14. Depuis quelques années, la communauté coréenne, qui s'est bien implantée à Buenos Aires, a ouvert de nombreux restaurants, ainsi que des épiceries.

Le commerce a favorisé l'échange culturel entre les différents communautés. La trame

orthogonale, régulière, a été un facteur d'homogénéité de la distribution spatiale du commerce, comme elle a permis l'extension de la ville, sans qu'aucun relief, ne vienne y faire

12 Sorte de pot-au-feu, plat traditionnel espagnol. 13 L'asado est une pratique propre aux pays producteurs de viande, qui prend en Argentine une dimension rituelle. Il s'agit d'un barbecue pantagruellique, quand la viande vient accompagnée d'abats, de boudin noir, de poulet, etc., l'asado s'appelant alors parrillada. La parrilla est le type de restaurant où l'on mange principalement de la viande. 14 Le rite des gnocchis, du 29 de chaque mois, provient d'Italie. En effet, les gnocchis, plat traditionnel italien, désignent aussi les fonctionnaires qui n'apparaissent qu'à la fin du mois (en général le 29) pour toucher leur salaire.

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obstacle. Les coins de rue biseautés sont des sites idéaux pour l'implantation du commerce, et c'est là que se trouve l'almacen, l'épicerie générale, qui a longtemps été la principale institution du quartier, avant que les bars, autres lieux de la vie sociale, ne leur succèdent. Or, l'on sait que, pour G. Simmel, la conversation est l'un des phénomènes essentiels de l'urbanité. Les commerces sont les institutions intermédiaires entre la communauté et les individus, et permettent l'intégration de ces derniers, au même titre que l'école ou les services publics à la fin du XIXème siècle.

Le commerce joue un rôle important dans la vie sociale du quartier, comme l'a montré

notre expérience d'un an à Buenos Aires : on y échange les informations et les commérages, on y discute, on y apprend à vivre ensemble, au-delà de la diversité culturelle des uns et des autres. Les commerces de proximité font naître aussi le sentiment d'appartenance au quartier, impulsent l'appropriation de l'espace proche et l'enracinement dans un territoire. Ils établissent une connivence entre les gens, tissent le réseau des relations sociales. Plaisanter avec les commerçants de son quartier, c'est déjà appartenir au quartier. On est là en terrain connu, à la différence des lieux commerciaux du centre-ville, et un étranger au quartier gardera une distance qui contraste avec la familiarité des relations entre les commerçants et les vieux habitants connus du quartier (avec différents degrés : on vous reconnaît, mais on ne sait pas votre nom, on vous appelle par votre nom, etc.).

2.3. L'influence récente des modes et des modèles nord-américains

En dépit du mouvement d'"argentinisation" de la population, c'est-à-dire d'assimilation

progressive de la population étrangère, Buenos Aires continue à se comparer à une ville européenne et ses habitants à regarder vers l'Europe. Il est vrai que seulement une cinquante années sépare souvent les générations actuelles de leurs aïeuls, les premiers immigrants. Plus que tout autre pays, Buenos Aires revendique son "occidentalité" et est à la fois "importatrice du modèle occidental et occidentale" (Badie B., op. cit.). Les modèles nord-américains ont été jusqu'ici moins prégnants que dans d'autres pays d'Amérique latine. Les populations du cône sud éprouvaient une moindre fascination pour l'american way of life que les pays situés dans la sphère d'influence directe des États-Unis comme le Mexique, certains d'Amérique centrale ou le Vénézuela (Rouquié A., 1987 : 20), ce qui ne signifie pas que l'Argentine soit restée imperméable aux modes et aux changements venus de l'extérieur. Le rock s'y est même développé avec beaucoup de personnalité, comme mouvement contestataire, dès la fin des années 60, et la consommation de masse a eu un développement précoce et original. L'ouverture du pays en 1976 a permis aux Argentins de voyager, à un moment où le dollar était moins cher (époque de la plata dulce entre 1977 et 1980). Elle a favorisé la diffusion de nouvelles technologies et de produits importés. L'influence nord-américaine, dans les goûts et

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dans les modes de consommation, est plus grande qu'auparavant. Mais l'arrivée des modes nord-américaines traduit surtout des changements socio-culturels et la montée de l'individualisme contemporain.

Les changements culturels ont été profonds dans les années 80, même s'ils étaient déjà

entamés avant 1976, et les shopping centers y participent. Comme en Espagne, la fin de la dictature militaire et l'adoption d'un nouveau modèle économique ont accéléré la libération des énergies individuelles. L'Argentine connaît une forme de movida et des changements culturels communs à l'ensemble des sociétés occidentales, qui ont été nommés, dans une perspective post-moderne, transition vers le post-matérialisme, c'est-à-dire vers un bien-être matérialiste et vers une "appréciation de la qualité de vie liée à l'espace personnel en concordance avec l'évolution générale des sociétés européennes" (Castells M., à propos de la movida espagnole, 1993). Comme en Europe et en Amérique du nord, on assiste à un déclin des grandes forces sociales, à une crise croissante de la représentation, des "valeurs" et des idéologies, ainsi qu'à un désinvestissement relatif du politique. Ceux-ci accompagnent un renforcement de "l'individualisme allant de pair avec une aspiration sans précédent pour l'argent, l'intimité, le bien-être, la propriété, la sécurité" (Lipovetsky G., 1983 : 292). En Argentine, le culte du corps se traduisant par la multiplication des salles de gymnastique et des terrains de paddle, la fascination narcissique du "moi", de l'apparence et de l'éphémère, à travers le phénomène de la mode et la relance de la psychanalyse (ibid., op. cit. ; Sarlo B., 1994) ont en même temps favorisé un nouveau sursaut de la consommation caractérisé par une "surdétermination des choix".

La diffusion des innovations technologiques importées a été beaucoup plus rapides que

dans d'autres pays d'Amérique latine. Par exemple, selon une enquête IPSA, 40% des ménages argentins et 54% des ménages de la capitale étaient abonnés au câble en 1994, contre seulement 16,2% au Mexique, 7,7% au Chili et 1,3% au Brésil. Les salles de jeu vidéo dont l'ouverture a été autorisée à partir de 1987 dans la capitale, ont provoqué l'engouement presque immédiat des jeunes : en 1993, on en comptait 700 dans la capitale. Les Argentins, et encore plus, les Porteños sont perméables aux innovations venues de l'extérieur.

D'une part, la notion de centralité a une vigueur certaine, à l'échelle du pays comme à

celle de la ville. L'aménagement des espaces publics du centre reflète la conception de l'État-nation. Depuis la fin du siècle dernier, le commerce est l'une des vitrines du centre-ville, et la centralité commerciale telle que l'avait réinventée Haussmann a été transférée à Buenos Aires. D'autre part, les commerces du centre et des quartiers sont des éléments essentiels de la vie sociale porteña, en même temps qu'ils sont l'un des éléments matériels de la culture cosmopolite de la ville, de son urbanité. Ils ont été des lieux d'intégration des millions

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d'immigrants débarqués en Amérique latine. La modernisation commerciale, mouvement de rationalisation économique et d'intériorisation de normes universelles, ne risque-t-elle pas d'homogénéiser le paysage commercial porteño ? Avant de revenir à ces questions, voyons d'abord quelles ont été les étapes du processus de modernisation de l'appareil de distribution en Argentine.

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Chapitre 2 : Les mutations commerciales et l'apparition des shopping centers en Argentine

La modernisation du commerce a d'abord une portée économique, qui est la dimension

la plus facilement perceptible. Après une première modernisation précoce à la fin du XIXème siècle, le commerce argentin a évolué lentement, a raté quelques marches, et est resté pendant longtemps à l'écart du second mouvement de modernisation de la distribution. Que signifie ce décalage ? Encore faut-il nuancer cette idée : par exemple, les galeries marchandes qui se sont multipliées dans les années 50-70, montrent que le commerce n'a pas été complètement statique. Le processus de modernisation de la deuxième moitié du XXème siècle s'est fait en plusieurs étapes qu'on appellera première et deuxième modernisations et qu'il ne faut pas confondre avec la modernisation de la fin du XIXème siècle, marquée principalement par l'apparition des grands magasins. La modernisation de l'appareil de commercial est-elle un processus linéaire selon une rationalité universelle ?

1. Les à-coups de la modernisation de la distribution alimentaire : 1950-1980

La révolution commerciale (Metton A., 1980), ou mutation de l'appareil commercial

(Coquery M., 1977), désigne le passage d'un appareil commercial traditionnel à un appareil commercial moderne caractérisé par la concentration du capital et par une concentration spatiale assez élevée, ainsi que par des techniques de vente et de gestion modernes.

1.1. Une première phase de modernisation inachevée : l'apparition des libres-services et des grandes surfaces

1.1.1. Le développement des libres-services et des supermarchés : 1951-1969 C'est la technique commerciale du libre-service qui impulse la première phase de

modernisation de la distribution. En 1951, est ouvert le premier libre-service par un épicier de Mar del Plata, la Estrella Argentina. La diffusion des caisses enregistreuses par la firme nord-américaine National Cash Register (NCR) appuie leur développement dans les années 50.

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Favorisés par une législation commerciale libérale et incitatrice, vingt-deux supermarchés15, propriétés d'entreprises à caractère familial, s'ouvrent entre 1961 et 1965. Le premier précurseur des hypermarchés16 (supermercado total : "supermarché intégré") est inauguré en 1969, dans un quartier de l'ouest de la capitale, Liniers (Vélez Sarsfield). Il appartient à la firme argentine Gigante. Mais les supermarchés, s'ils reposent sur des changements dans les techniques de vente et de présentation de la marchandise (merchandising), n'arrivent pas à produire de véritables changements, ni dans les circuits de commercialisation, ni dans l'organisation et les modes de gestion des entreprises, ni même, finalement, dans les modes de consommation et dans les habitudes d'achat. Les prix pratiqués qui ne sont pas assez compétitifs, et la possibilité de l'achat à crédit au jour le jour chez les commerçants de quartier jouent largement en faveur de ces derniers. En outre, la population reste encore attachée au petit commerce de quartier, où l'on pratique le crédit. Aussi le développement des libres-services et des supermarchés n'a-t-il pas encore véritablement séduit la clientèle au début des années 70 : les libres-services (toutes surfaces confondues) n'absorbent que 19% du volume de ventes en produits alimentaires en 1973, soit plus de vingt ans après leur apparition (Nielsen A. C.).

1.1.2. Le recul des années 70 L'instabilité tant politique qu'économique des années 70 met à jour la fragilité du

secteur modernisé de la distribution et le caractère incomplet de la modernisation. Le climat politique, marqué par une guerre civile larvée, et le contexte économique ne stimulent ni la consommation ni la modernisation du commerce. Les attentats et les menaces contre la chaîne de supermarchés Minimax de la famille Rockfeller en 1969, puis la hausse de l'inflation ont eu raison de la grande distribution qui connaît alors une phase de recul. Le mode de gestion des supermarchés, calqué sur celui du petit commerce, archaïque et peu flexible, se révèle peu adapté aux taux d'inflation en hausse et aux taux d'intérêt négatifs. Les coûts sont trop élevés, la durée d'immobilisation des stocks trop longue, et le crédit fournisseur s'étend au contraire sur une durée trop courte. Une grande majorité des enseignes qui s'était illustrée dans les années 60 disparaît, victime de faillites. Certaines chaînes survivent pourtant à cette première crise. Parmi elles, Casa Tía, Disco (fondé en 1961), les supermarchés de la coopérative ouvrière de consommation El Hogar Obrero.

15 Un supermarché a une surface de vente comprise entre 1 000 m² et 2 500 m² et des surfaces d'entreposage, de conditionnement ainsi que des chambres frigorifiques d'au moins 200 m² (définition de la loi de promotion commerciale 18.425/69, reprise par le code de l'urbanisme de la ville de Buenos Aires, et sur laquelle nous reviendrons ultérieurement). 16 Dans la loi de promotion commerciale, un hypermarché ("supermarché intégré") doit avoir une surface supérieure à 5 000 m² et une surface de stationnement qui ne doit pas excéder deux fois et demi la surface de vente. Les surfaces d'entreposage, de conditionnement et les chambres frigorifiques doivent au moins faire une superficie de 1 000 m².

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La modernisation de la distribution demeure donc très incomplète. Le commerce

améliore certaines de ses techniques, comme la présentation, le libre-service, mais ne réforme pas ses modes d'organisation et de gestion. La logique du discount n'est pas aussi accentuée qu'en Europe de l'ouest ou en Amérique du nord. Les chaînes de supermarchés sont nombreuses, mais elles restent majoritairement à capitaux locaux. Le marché est très protégé, et il n'existe pas de véritable concurrence. Les libres-services et les supermarchés préparent cependant le terrain aux hypermarchés à capital étranger, ainsi qu'à la deuxième phase de modernisation dans les années 80.

1.2. La deuxième phase de modernisation dans les années 80-90 : le décollage de la distribution moderne dans le secteur alimentaire17

En Europe et en Amérique du nord, les innovations technologiques et organisationnelles

dans le secteur du commerce de détail ont donné une plus grande flexibilité au processus de production / distribution, et ont fourni une réponse mieux adaptée à la demande et aux nouveaux comportements des consommateurs à travers une gamme de produits de plus en plus diversifiée. En Argentine, si les supermarchés, les premiers hypermarchés et la technique du libre-service n'ont pas réussi à faire décoller la distribution moderne, l'implantation de sociétés d'hypermarchés à capitaux internationaux, au début des années 80, lance une nouvelle étape de la modernisation du secteur de la distribution alimentaire18.

1.2.1. L'implantation des sociétés à capitaux internationaux Carrefour et Jumbo au début des années 80 L'implantation en 1981 et en 1982 des sociétés d'hypermarchés Carrefour et Jumbo, à

capital étranger, déjà aguerries aux spécificités du marché latino-américain avec une première implantation au Brésil pour l'une (1975) et au Chili pour l'autre, est l'amorce d'une seconde phase de modernisation du secteur de la distribution et d'une véritable rupture dans les formes organisationnelles avec le commerce traditionnel. Carrefour, société célèbre pour l'originalité du mode de gestion de ses succursales, très décentralisé, entame ainsi la rationalisation du secteur de la distribution alimentaire. Le développement de la grande distribution bouleverse les circuits de commercialisation et les rapports entre les producteurs et les distributeurs.

17 Une grande partie de ce paragraphe a été réalisée grâce aux analyses de R. Green et G. Gutman sur les modifications des circuits de commercialisation des produits alimentaires en Argentine, à partir d'une approche centrée sur les modes d'organisation (Green R., Gutman G., 1992 ; Green R., 1995), mais aussi à partir de notre lecture de la presse, spécialisée ou non. 18 Dans sa thèse sur le commerce à Lisbonne, L. Marrou signale des processus à peu près similaires. L'Argentine est loin d'être un cas isolé (Marrou L., 1993).

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La rationalisation des coûts de gestion et de production permet de peser sur les prix et

d'associer la concentration spatiale et le discount. Les grandes surfaces achètent directement auprès des producteurs, ont leurs propres filières d'approvisionnement pour certains rayons comme la boucherie ou la boulangerie, marginalisent les grossistes, et externalisent les fonctions logistiques (transport, etc.), en diminuant les coûts intermédiaires. Le développement de l'informatique, en particulier des systèmes de lecture optique associée aux codes-barres (à partir de 1988), l'utilisation de logiciels améliorent également le merchandising, la gestion et la vitesse de rotation des stocks. Les grandes surfaces de distribution, surtout les hypermarchés, offrent des prix compétitifs, et résistent mieux aux oscillations de la consommation que les petites surfaces. La baisse de leur chiffre d'affaires a été moindre pendant les crises hyperinflationnistes de 1989 et 1990-91. Certaines chaînes, comme Carrefour avec sa marque électroménagère "First Line", proposent leur propre ligne de produits.

Le développement de la grande distribution entraîne la concentration du capital et la

concentration spatiale des établissements. Les chaînes Norte, Carrefour et Jumbo ont inauguré plusieurs établissements de plus de 10 000 m² en 1993. Certaines unités ont été transférées à des grands groupes : c'est le cas des établissements de Gigante rachetés par Carrefour.

La modernisation touche progressivement les autres chaînes de supermarchés au début

des années 90, d'autant plus que le retour à la stabilité économique et financière a assaini le secteur, rendant le laxisme de la gestion plus visible dans un contexte de concurrence croissante. Norte, Disco, Casa Tía, Coto ont effectué un sérieux toilettage de leur gestion et de leurs établissements dont le nombre a augmenté (tableau n° 1). Ces quatre sociétés fournissent à elles seules 25% de l'offre globale en aliments dans l'agglomération de Buenos Aires (Schvarzer J., 1995 : 286).

1.2.2. La grande distribution alimentaire gagne du marché Si l'Argentine reste en retard sur d'autres pays dont la phase de modernisation

commerciale a commencé plus tôt, comme le Brésil, elle a tendance à combler rapidement son retard. Alors que les libres-services (toutes surfaces confondues) ne représentaient que 19% du volume de ventes en produits alimentaires en 1973 à l'échelle nationale, ils totalisaient 56,2% de l'ensemble en 1991 et 62% en 1994, les plus fortes augmentations ayant eu lieu en 1977-1978 et en 1983-1985 (source : A. C. Nielsen). Les parts de marché des grandes surfaces (supermarchés et hypermarchés) sont passées de 30% en 1984 à 34,5% en 1991 (source : A. C. Nielsen), et les libres-services ont gagné du terrain. En 1989, 40% des ventes

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des libres-services étaient réalisées par les surfaces de moins de 350 m², et 60% par les hypermarchés et les supermarchés (Ambassade de France en Argentine, 1990). La même année, les hypermarchés représentaient 2% du nombre de 825 supermarchés, qui eux-mêmes comptabilisaient 0,8% de la totalité des commerces alimentaires -soit 106 500- (ibid., op. cit.), mais ils se sont multipliés depuis, puisqu'il y avait 16 hypermarchés de plus de 2 500 m² en 1990, et sans doute encore beaucoup plus aujourd'hui. On comptait 10 772 libres-services dans le pays en 1991 contre 10 635 en 1990 (Nielsen A. C.). Dans l'agglomération de Buenos Aires, les parts de marché des libres-services sont plus importantes que dans le reste du pays et ont grimpé de 51,1% en 1984 à 65,7% en 1991 (Nielsen A. C.). En 1991, 3 429 supermarchés se partageaient l'agglomération de Buenos Aires, contre seulement 419 en 1984, dont 99 dans la capitale (INDEC, 1985). Le nombre d'établissements inaugurés est en constante augmentation. Quatre sociétés sont de capital étranger (Carrefour, Jumbo et Unimarc, ainsi que récemment, Wal-Mart).

Tableau n ° 1 : nombre de locaux des principales sociétés de grande distribution

installées dans l'agglomération de Buenos Aires en 1993.

sociétés nombre de locaux origine des capitaux Norte 18 argentine Disco 57 argentine Coto 30 argentine Carrefour 8 française Casa Tía 49 argentine Sumo 26 argentine Jumbo 2 chilienne Su Supermercado 9 argentine Hawaï 16 argentine Unimarc 4 chilienne

Source: El Crónista Comercial, 06/06/94.

2. La modernisation dans le secteur non-alimentaire

2.1. La modernisation du commerce de détail et la franchise La modernisation de la distribution s'est propagée au reste du commerce de détail, et le

secteur des services à caractère commercial, telle la restauration (notamment la restauration rapide) ainsi que la branche de l'habillement, se sont aussi progressivement adaptées. Le retour à la stabilité économique et financière, l'ouverture des frontières et la baisse des taxes

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douanières ont permis l'achat de licences de distribution (plus que de fabrication19), exclusives ou non20, et l'importation de marchandises, dont beaucoup en provenance des pays d'Asie du sud-est. Le nombre de marques étrangères distribuées sur le territoire national a véritablement explosé : par exemple, Pizza Hut et Mac Donald, dans le secteur de la restauration rapide, ont multiplié à grande allure leurs succursales dans ce pays italo-hispanique où la pizza et la viande sont parmi les principales spécialités culinaires locales. Les vitrines des locaux des principales avenues commerciales, obsolètes, se modernisent. L'architecture intérieure et la décoration des locaux monopolisent des budgets plus importants qu'auparavant (100 000$ pour un local de qualité) et nécessitent l'intervention d'architectes renommés.

Le développement de la franchise a aussi été un facteur d'expansion des chaînes de

distribution et de modernisation des entreprises21. La franchise consiste en la vente d'un savoir-faire par un franchiseur à un franchisé, de techniques commerciales et d'une image. C'est aussi une nouvelle forme juridique de contrat et de collaboration entre deux parties commerciales. Comme en Europe et aux États-Unis, la franchise a connu un franc succès entre 1991 et 1994. En 1993, une centaine de sociétés la pratiquait, contre seulement une petite cinquantaine en 1992 (voir liste des sociétés pratiquant la franchise de l'annexe n° 2 p.59). Elle a été l'un des moyens de la rationalisation de la gestion et de l'ouverture de nouveaux locaux dans les grandes villes de l'Intérieur et dans la banlieue de Buenos Aires, malgré les risques inhérents à un développement trop rapide et incontrôlé qui se sont fait sentir dès 1994. Les branches concernées ont été celles qui se sont modernisées, la restauration rapide, le prêt-à-porter et les services. Ce sont surtout les sociétés distribuant des marques étrangères qui pratiquent la franchise, mais certaines sociétés argentines l'ont adoptée. Elles se sont ainsi restructurées et ont totalement revu et corrigé leur politique commerciale et leurs modes de gestion. Il y a cependant peu de locaux en franchise dans les shopping centers, où les chaînes préfèrent avoir des succursales. En 1993, seules 11 des 80 enseignes recensées qui pratiquaient la franchise, avaient un local en franchise dans un shopping center.

Les circuits de consommation et de production, au-delà de l'apparente unification

imposée par la diffusion de normes de consommation de masse, se sont affinés : aux circuits

19 Entre 1983 et 1990, c'est surtout l'achat de licences de fabrication qui a été privilégié, en raison de la fermeture des frontières. 20 Plusieurs marques étrangères peuvent être distribuées par la même société, comme c'est le cas pour les marques de prêt-à-porter "jeune" Mango, Motor Oil et Soviet, qui appartiennent toutes à la même firme, Blueman. Celle-ci possédait dix-huit locaux en 1992. 21 En 1992 et en 1993, deux numéros spéciaux de la revue économique libérale Apertura ont été consacrés à la franchise ("Guía franchising").

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inférieur et supérieur s'en sont ajoutés d'autres. Les enseignes et les groupes commencent à diversifier, à segmenter et à affiner leur stratégies commerciales. Une même enseigne différencie son offre et sa politique commerciales (marques, prix, choix, qualité, gamme de services offerts, etc.) en fonction du profil de la clientèle résidant dans la zone d'implantation de l'établissement, et pratique des prix 20 à 30% inférieurs dans les lieux d'achat discount et dans les magasins d'usine. Un même groupe possède des enseignes qui ciblent des publics différents, comme c'est le cas pour la chaîne de supermarchés Disco, propriétaire de la Gran Provisión, dont les produits sont de meilleure qualité, et qui possède quelques établissements dans les quartiers à fort pouvoir d'achat. L'apparition de nouvelles enseignes a aussi ouvert la gamme des possibilités. Les chaînes moyen-de-gamme comme Chemea, Fos and Co, Louis-Philippe (équivalents en France de Camaïeu, Célio, etc.) ont connu un succès immédiat, et leurs locaux sont situés aux principaux emplacements commerciaux de la ville (dans le centre, sur l'avenue Santa Fe, etc.), mais jamais dans les shopping centers. Elles offrent des produits standardisés à des prix raisonnables (chemises masculines, cravates, costumes bon marché, etc.). A Munro, linéaire commercial de plusieurs centaines de mètres situé sur l'avenue Mitre au nord-ouest de la municipalité de Vicente López, se sont développés quelque 400 locaux de prêt-à-porter du type "jeanneries" et vêtements pour jeunes, qui commercialisent des marques à prix soldés.

2.2. Les shopping centers, de nouveaux sites pour l'expansion des chaînes de distribution

Les mutations du commerce dans le secteur alimentaire au début des années 80 ont

préparé le terrain au développement des shopping centers, qui ont eux aussi participé à la modernisation de l'appareil de la distribution et au toilettage du commerce de détail.

Ils ont souvent soutenu les stratégies d'expansion des chaînes commerciales nationales

et internationales et des commerçants indépendants pour l'ouverture de nouveaux locaux, offrant de nouveaux emplacements qui se sont ajoutés aux lieux traditionnels du commerce de luxe (la Recoleta, avenue Santa Fe entre l'avenue 9 de Julio et l'avenue Callao, avenue Callao, Florida entre la place San Martin et l'avenue Cordoba - Corrientes, l'avenue Cabildo à la hauteur de l'avenue Juramento à Belgrano, l'avenue Rivadavia à Flores et Caballito, Martinez à San Isidro, ainsi que les centres urbains de San Isidro, Lomas de Zamora et Morón). Les locaux des shopping centers présentent des vitrines soignées.

La présence de marques et d'enseignes réputées, d'origine nationale ou internationale,

constitue un facteur d'attraction essentiel des shopping centers. Les enseignes et les marques argentines les plus renommées (Chocolate, Vitamina, CR Sweaters, Roberto Dalpra...), celles

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de prêt-à-porter nord-américaines (Motor Oil, Diesel, Gloria Vanderbildt...) ainsi que les grands noms de la haute couture et du prêt-à-porter français (Christian Dior, Yves Saint Laurent, Kenzo, Lacoste...), italien (Cerruti, Benetton...) ont pignon sur les rues des shopping centers les plus importants et les plus huppés. Dans les mieux approvisionnés et les plus luxueux (Patio Bullrich, Plaza del Pilar, Paseo Alcorta), on peut dénicher des produits rares et coûteux, le plus souvent d'importation, ainsi que les meubles, le petit électroménager, les articles design pour la maison, introuvables en dehors de quelques quartiers à haut pouvoir d'achat comme la Recoleta et quelques zones très délimitées de Barrio Norte. Les magasins de produits importés (alimentaires et non-alimentaires), la hi-fi, les librairies et les disquaires ont aussi beaucoup de succès.

3. La modernisation commerciale : un processus linéaire ?

3.1. Modification dans les modes de consommation

La modernisation reflète les changements dans les modes de vie et dans les

comportements des gens, ce qui n'est pas propre à l'Argentine. Les shopping centers sont apparus parce que la société a changé, et les modes de vie se sont modifiés sous l'impulsion des shopping centers. L'influence des facteurs socio-culturels "classiques" d'apparition des centres commerciaux est pourtant loin d'être évidente dans le cas argentin. En effet, il existe un sérieux décalage entre les manifestations de certains changements socio-culturels, comme l'augmentation de l'emploi féminin, la croissance des revenus et du taux de motorisation, et le lancement des shopping centers. Le parc automobile s'est essentiellement constitué dans les années 50-60, à la suite de l'implantation de multinationales comme Renault et Peugeot, et le taux de motorisation, en 1986, atteignait 0,13 voiture par habitant, soit autant qu'en Israël et plus qu'au Portugal, et beaucoup plus qu'au Mexique et au Brésil, avec respectivement 0,06 et 0,08 voiture par habitant (INDEC, 1987, d'après les données du PNUD). À la fin des années 80, le parc automobile s'est en revanche renouvelé22. De même, le taux d'activité féminine a évolué dans les années 60. En 1985, il était de 27,4% et de 33,8% dans la capitale. La fièvre consommatrice des années 80 correspond à un rattrapage fulgurant de l'équipement des ménages et à un renouvellement d'un matériel devenu obsolète, d'abord entre 1985 et 1987, puis entre 1991 et 1994. Les ventes dans les secteurs de l'électroménager, des produits high-

22 90 000 automobiles ont été produites en 1990, 150 000 en 1991, 230 000 en 1992, en plus des 40 000 voitures qui ont été importées la même année (source : Schvarzer J., 1993 : 15).

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tech (vidéoscopes, hi-fi, téléviseurs, etc.), stimulées par les exportations, ont grimpé en flèche23.

Mieux adaptés au rythme de la vie moderne, les centres commerciaux, comme les

hypermarchés, ont contribué à l'évolution des pratiques d'achat et des modes de consommation des familles argentines, notamment dans les rythmes d'approvisionnement, dans la concentration spatiale et temporelle des achats, mais aussi dans leur commodité. Les grandes surfaces offrent de nouveaux services à la clientèle, qui vont des possibilités de paiement par carte de crédit bancaire ou par carte de crédit propre à la firme, à la livraison à domicile. La consommation de produits surgelés a augmenté, la fréquence des achats a diminué, et les achats se sont regroupés, notamment pour certains produits de consommation courante (épicerie, boissons, produits de nettoyage et d'entretien, hygiène et beauté). Les shopping centers sont ouverts 7 jours sur 7, avec des horaires étendus, plus élargis que dans d'autres pays, de 10 à 23 heures le soir et de 10 heures à 1 heure du matin le week-end. L'avantage des shopping centers et des hypermarchés sur les autres commerces, n'est pas négligeable : ce sont quasiment les seuls commerces ouverts en fin de semaine et jusque tard dans la soirée, les commerçants indépendants, en particulier les épiceries face aux supermarchés, mais aussi les commerces situés autour des shopping centers ayant néanmoins été obligés de s'adapter à cette nouvelle concurrence. La loi de promotion commerciale 18.425/69 les autorise en effet à rester ouverts tous les jours jusqu'à 22 heures, ainsi que le dimanche matin jusqu'à 13 heures,

3.2. Une modernisation incomplète et inachevée

3.2.1. Une modernisation "patchwork" Les mutations du secteur de la distribution sont encore loin d'atteindre le degré de

modernisation de la distribution dans les pays développés (Europe du nord, États-Unis principalement). La faillite de la coopérative ouvrière de consommation El Hogar Obrero en 1990-9124 a montré l'importance des choix effectués, la fragilité de certaines entreprises et les dangers d'investissements trop rapides et trop risqués, quand le retour à la stabilité économique signifiait un renforcement de la concurrence. Malgré les souhaits des pouvoirs

23 La télévision couleur s'est très rapidement répandue, d'abord avec le championnat mondial de football en 1978. La vente de téléviseurs a plus que doublé entre 1990 et 1991, et à nouveau entre 1991 et 1992, avec 285000 téléviseurs vendus en 1990, 596 000 en 1991 et 1,1 million en 1992 (source : Clarín, 03/01/93, d'après les données fournies par les chambres professionnelles). Entre 1985 et 1989, le nombre de ménages possédant un vidéoscope a été multiplié par six (Karol J., 1989). 24 Le cas d'El Hogar Obrero est aussi un peu spécifique : les remboursements pour la construction des marchés de Spinetto et d'Abasto ont coïncidé avec premiers chocs de l'hyperinflation.

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publics, la modernisation a gardé un caractère très "patchwork", selon l'expression de R. Green (1995 : 252). Dans le secteur du commerce de gros, le Marché Central de La Matanza, ouvert en 1981, sur le modèle du Marché d'Intérêt National de Rungis, fonctionne selon la même logique que les anciens marchés auxquels il devait se substituer, et son ouverture n'a pas entraîné la fermeture concomitante de tous les marchés de Buenos Aires (Schvarzer J., 1995 : 280). Comme dans les pays d'Europe du sud, dont la phase de modernisation du secteur de la distribution a été plus tardive, les processus de modernisation sont plus heurtés, moins profonds et moins complets en Argentine qu'en France ou aux États-Unis.

3.2.2. Une modernisation tout juste entamée Toutes les branches ne sont pas encore concernées par la modernisation. C'est le cas

notamment pour l'ameublement et l'équipement de la maison, dont le négoce reste très traditionnel. Les moyennes et grandes surfaces comme Ikéa, Habitat ou Fly n'ont pas encore d'équivalents dans le pays, le discount se pratiquant surtout dans les branches de l'habillement et de l'alimentation. L'ameublement, l'équipement des cuisines et des salles de bains, produits localement, ont une logique spatiale encore très spécialisée. La vente de meubles et de petit équipement pour la maison design (petit électroménager, vaisselle, etc.) est circonscrite à quelques quartiers à haut pouvoir d'achat, comme la Recoleta.

La modernisation se poursuit. De nouvelles formes de distribution tels les magasins en

libre-service ouverts 24h / 24 dans les stations essence (mini-marchés) sont apparues entre 1992 et 1994. L'implantation de la chaîne nord-américaine Wal-Mart, géant de la grande distribution aux Etats-Unis, fin 1994, était attendue comme un événement important, susceptible d'avoir des conséquences sur l'évolution du secteur alimentaire. Les multinationales confirment ainsi leur implantation dans celui-ci en Argentine et leur rôle dans la rationalisation et dans la modernisation du commerce de détail. Les stratégies de discount vont certainement s'accentuer, et les mutations se poursuivre (hard discount, etc.), mais elles dépendent beaucoup des stratégies d'internationalisation des firmes étrangères.

3.3. Les limites de la modernisation du système commercial

3.3.1. La dualisation de l'appareil commercial Malgré ce mouvement de rationalisation et de concentration de l'appareil commercial, le

commerce reste pléthorique à Buenos Aires. Le nombre d'établissements est d'ailleurs difficile à évaluer. En 1994, A. C. Nielsen recensait 8 367 distributeurs alimentaires dans la capitale et 24 486 dans l'agglomération (sur les 108 102 distributeurs que comptait l'Argentine).

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L'INDEC, quant à lui, en dénombrait 23 111 commerces alimentaires dans la capitale et 63 745 dans l'agglomération en 1984, soit trois fois plus ! Au total, il y avait 15 établissements alimentaires pour 1 000 habitants dans la capitale (38 si l'on inclut aussi les services à caractère commercial) et 14 pour 1 000 habitants dans les 19 partidos (24 pour 1 000 dans les 19 partidos). La modernisation d'une partie du secteur de la distribution a fortement accentué l'aspect désuet et inadapté du reste (photo n° 1), et a renforcé la dualisation de l'appareil commercial, d'autant plus que le commerce apparaît depuis la fin des années 70 comme un palliatif du chômage, le nombre de travailleurs indépendants ayant fortement augmenté (Cimilo E., 1986 ; Torrado S., 1990). Alors que, dans le secteur du commerce, c'est le petit commerce de détail qui fournissait le plus d'emplois dans les années 60 et 70, malgré des mouvements limités de modernisation du secteur dans la branche des biens alimentaires, il constitue à nouveau un secteur-refuge dans les années 80 (Torrado S., 1990). Preuve en est la multiplication des kiosques, forme commerciale propre à l'Argentine, consacrée au départ à la vente de cigarettes, de journaux et de friandises, et qui va aujourd'hui jusqu'à la forme de la petite épicerie, voire de la papeterie, etc. : leur nombre est passé de 130 000 à 198 000 entre 1987 et 1989 en Argentine, soit +65%, et de 28 000 à 42 000 dans l'agglomération de Buenos Aires, soit une augmentation de 50% (source : Unión des Quiosqueros de la República Argentina). Le petit commerce informel de rue a aussi connu un regain, alors que globalement, le nombre d'établissements a légèrement diminué dans la capitale entre les deux recensements économiques de 1974 et de 1984. À un secteur très disséminé et de moins en moins rentable, surtout depuis que l'administration tente de lutter contre l'évasion fiscale (l'impuesto al valor agregado, IVA, l'équivalent argentin de la TVA), s'oppose donc un secteur concentré de l'appareil commercial.

3.3.2. L'inégale distribution spatiale : l'opposition nord-sud L'ensemble des quartiers possède un appareil commercial où la supérette cotoie le

kiosque, le supermarché et les commerces alimentaires de proximité spécialisés (boulangeries, boucheries, fruits et légumes) qui font partie du paysage commercial traditionnel. La crise et la grande hétérogénéité sociale entretiennent le maintien d'un système dualiste. En général, les quartiers populaires, moins solvables, sont beaucoup moins bien desservis par les grandes surfaces, et l'appareil commercial traditionnel y a mieux résisté. Dans la capitale, l'inégale distribution réfléchit l'opposition nord / sud. Le nord est couvert par un réseau très serré de supermarchés et de moyennes supérettes, alors qu'elles sont beaucoup moins nombreuses au sud et à l'ouest. Les chaînes relevant de la grande distribution alimentaire ont des stratégies d'implantation territorialisées et des politiques de marketing et de développement économique différenciées, adaptées à la clientèle visée. Certaines, comme Sumo dont le siège social est à Quilmes, ciblent plus particulièrement le sud de

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l'agglomération, tandis que la plupart, au contraire, visent prioritairement les ménages solvables au pouvoir d'achat élevé, et sont implantées surtout dans le nord, comme c'est le cas pour les plus importantes d'entre elles (Disco, Norte). Les établissements les plus modernes se trouvent dans les quartiers septentrionaux de la capitale. Un supermarché Disco situé dans le quartier "nouveau riche" du shopping center Alto Palermo, en pleine mutation, possède même des caddies avec calculette intégrée, directement importés des États-Unis, adaptés au système nord-américain des offres spéciales, mais sans utilité particulière en Argentine !

Si les premiers hypermarchés se sont implantés hors de la capitale où la législation sur

le travail était moins stricte en fin de semaine et n'imposait pas le sábado inglés, les mesures de dérégulation prises dans les années 90 ont favorisé leur développement dans la capitale, les horaires étant laissés à leur juste appréciation (Schvarzer J., op. cit.). De plus, les logiques marchandes de couverture progressive de l'espace atténuent progressivement les disparités. La fréquentation des hypermarchés s'est donc "démocratisée" depuis l'ouverture du premier établissement en 1982 : d'abord implantés dans des zones à pouvoir d'achat élevé, ils se sont progressivement dirigés vers l'ensemble de la classe moyenne. L'infléchissement de la politique de Carrefour est assez significative : la société a progressivement abandonné sa politique d'excellence et a renforcé sa stratégie discount. Alors qu'elle avait commencé à importer des produits de France (fromages, etc.), elle a arrêté de le faire en raison de la faible rentabilité de l'opération. Fin 1993, Carrefour possédait onze implantations en Argentine, dont sept réparties dans l'agglomération de Buenos Aires et trois dans la capitale (carte n° 12). D'une stratégie d'implantation tournée vers le nord de l'agglomération, Carrefour s'est tourné vers le sud et l'ouest dès 1987-88. La société Jumbo possédait cinq établissements (dont deux dont nous n'avons pas eu connaissance).

Il n'en reste pas moins que le paysage commercial dans son hétérogénéité tend à

reproduire la ségrégation sociale et spatiale, et que la structure commerciale est plus diversifiée dans les quartiers aisés que dans les quartiers pauvres. Nous reviendrons plus avant sur la logique de distribution spatiale et sur les facteurs de localisation des shopping centers. Le standing du commerce est globalement plus élevé dans le nord que dans le sud, l'avenue Santa Fe, le quartier de la Recoleta, et secondairement l'avenue Cabildo à Belgrano, constituant des pôles commerciaux de standing, voire de luxe. Les commerces anomaux, les établissements les plus modernes et les plus luxueux sont localisés dans le centre ou dans les centres secondaires, où se trouvent les meilleurs emplacements. Certaines zones de la capitale, parmi les plus pauvres et les moins denses, sont particulièrement mal desservies (Parque Almirante Brown et Barracas au sud, où se concentrent bidonvilles et zones d'habitat social), et la dissymétrie nord-sud apparaît bien sur la carte des nodules commerciaux (carte n° 9). Les partidos les plus périphériques sont aussi délaissés par les commerçants (Esteban

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Etcheverria, Florencio Varela, General Sarmiento, Merlo, Moreno, Tigre). Mais, si la densité est inégale, les taux de desserte par habitant montrent de faibles écarts. Alors que les écarts dans les taux de densité vont de 0,31 à 23 commerces par hectare entre les districts scolaires de Buenos Aires et les partidos, ils ne sont que de 0,64 à 13,4 commerces pour 100 résidents en ce qui concerne le taux de desserte. La trame géométrique de la ville a permis d'ailleurs une distribution assez régulière des établissements commerciaux.

La crise sociale des années 80 et 90 maintiendra-t-elle l'appareil commercial

traditionnel? L'approvisionnement alimentaire des habitants de la ville est l'une des compétences traditionnelles de la municipalité de Buenos Aires, le conseil délibérant intervenant dans la commercialisation des produits de consommation et réglementant l'installation des marchés et des foires (art. 2, alinea f de la loi-cadre de la municipalité de Buenos Aires25). Le programme de l'équipe municipale péroniste au pouvoir en 1989 insistait sur la nécessité de développer une offre commerciale bon marché, sans en préciser véritablement les modalités et les formes. Les marchés ayant en principe disparu, dans une optique fonctionnaliste, quels sont les équipements capables d'avoir une offre bon marché ? La tolérance de certains d'entre eux n'est-elle pas un moyen de remplir cet objectif ? Les grandes surfaces ont contribué à améliorer le rapport qualité / prix, mais le discount peut-il s'adapter, comme en Europe et en Amérique du nord, au budget et aux modes de consommation des familles à très faible pouvoir d'achat ? Si en France, les centres commerciaux et les hypermarchés paraissent relever de deux filières de consommation différentes, l'une "bourgeoise", et l'autre "populaire", on peut se demander si, en Argentine, les deux ne s'adressent pas aux populations dont les revenus sont élevés. La distribution spatiale des équipements commerciaux montre qu'il existe encore de grandes disparités et que la modernisation du commerce reste circonscrite aux zones centrales et aux populations à pouvoir d'achat moyen et élevé. La situation peut cependant être réversible : en France, les familles des milieux populaires ont elles aussi adopté les hypermarchés, et l'idéologie publicitaire et les normes de comsommation qui les accompagnent sont finalement venues à bout de leurs réticences premières, comme l'ont montré les travaux de C. Marenco. Les logiques marchandes entraînaient une couverture progressive de l'espace par les grandes surfaces. Ne faut-il pas cependant émettre des réserves quant à la capacité des grandes surfaces à offrir des produits adaptés aux budgets des ménages très pauvres ? En France, l'expérience actuelle montre que les ménages les plus démunis n'ont même plus les moyens de s'approvisionner dans les hypermarchés, et l'ouverture de "grandes surfaces de la pauvreté"

25 Nous reviendrons dans la partie suivante sur les pouvoirs et les compétences de la municipalité de Buenos Aires.

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soulignent cette dégradation. La solvabilité des ménages est certainement l'une des limites importantes du processus de modernisation.

Les mutations commerciales en Argentine suivent grossièrement les étapes de la

modernisation du commerce dans les pays du nord, d'où ces innovations commerciales sont issues, selon un schéma de développement plus ou moins linéaire qui va des libres-services aux supermarchés, puis aux hypermarchés, aux centres commerciaux, aux magasins d'usine, etc.. (avec des différences notables entre les pays, cependant, l'hypermarché, innovation française, ayant assez mal pris aux États-Unis). Le processus de modernisation a été heurté et incomplet en Argentine. La modernisation n'est pas un processus uniforme et linéaire. En Argentine, elle a stagné pendant des années, avant de connaître une nouvelle envolée dans les années 80 et surtout à la fin des années 90. La modernisation des formes physiques de l'appareil de distribution n'a pas toujours induit une rationalisation de la gestion. Les multinationales de la distribution ont joué un rôle accélérateur important, dans un contexte économique caractérisé par une concurrence accrue et par une plus grande stabilité économique. On va voir que d'autres faits distinguent aussi les processus de modernisation en Argentine des pays développés.

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Chapitre 3 : de nouveaux centres dans l'agglomération de Buenos Aires

L'internationalisation des villes, autre versant de la mondialisation économique, est

associée à un mouvement de reconquête des centres-villes, dans lequel le commerce est un élément important. Buenos Aires entame tout juste sa phase d'internationalisation. L'ampleur des mutations commerciales et la place des multinationales de la distribution, sous l'impact de l'ouverture économique, en sont des indices. La modernisation du commerce est loin d'être un processus lisse et linéaire. Les shopping centers, comme les hypermarchés, apparaissent néanmoins comme des produits standardisés, "mondiaux", qui n'intègrent pas les données de la culture locale. L'identité de la ville, qui s'exprime à travers ses commerces, est-elle sacrifiée au nom des idéologies de la modernisation et de la mondialisation et d'une plus grande efficacité économique ? Quels rapports les shopping centers entretiennent-ils avec la ville et avec le centre-ville ? On a vu que la centralité traversait une phase tourbillonnante. Quelle est donc la logique spatiale des shopping centers ?

1. Du mondial au local

1.1. Les shopping centers : un indice de métropolisation ou de mondialisation ?

La concentration spatiale des shopping centers est évidente. Huit d'entre eux (sur vingt-

trois) sont compris dans le centre élargi de Buenos Aires, dans un espace couvrant 7,5% de la superficie de la capitale (environ 200 km²) et 0,4% de celle de l'agglomération (3 880 km²). Par métropolisation, on entend le mouvement de croissance polarisée sur une ville, qui assure les fonctions principales et absorbe l'essentiel de la croissance, au détriment d'autres villes, dans un système urbain hiérarchisé (régional ou national). Elle se traduit par la concentration en hommes, équipements, fonction de production et industrielle, et, dans sa première phase par un puissant mouvement de périurbanisation, qui a pris en Amérique latine, des formes de macrocéphalie, entraînant la formation de mégalopoles, comme à Buenos Aires qui constitue la troisième concentration urbaine du continent latino-américain. Si la première métropolisation de Buenos Aires, marquée par la forte croissance démographique de l'agglomération principale est déjà ancienne, la diversification des activités de la capitale et la concentration d'activités financières qui définiraient le deuxième mouvement de métropolisation, liée à l'internationalisation de la ville, est au contraire en cours.

1.1.1. Un mouvement de périurbanisation déjà ancien

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Les premiers shopping centers se sont établis dans la zone périurbaine (Sur, Soleil, Unicenter), mais les suivants (1988-1992) se sont implantés préférentiellement dans la ville-centre, principalement dans la zone centrale, où la densité résidentielle est très forte et où la population dispose d'un pouvoir d'achat élevé (voir cartes n° 22 et 23). Au contraire, les années 1993-94 ont été marquées par une nouvelle phase d'expansion périphérique, ce qui n'exclut pas une poursuite ultérieure de leur diffusion territoriale dans les quartiers non couverts de la capitale (surtout de classe moyenne) en raison de la saturation du marché dans les quartiers déjà desservis.

Le mouvement de construction des shopping centers et leur localisation remettent en

question une autre idée reçue sur leurs facteurs de développement. Celui-ci ne coïncide pas avec le mouvement de croissance périurbaine de Buenos Aires, largement antérieur, dans son ensemble, aux années 70, même s'il se poursuit sur les marges. Le cas portègne est différent de celui de l'Amérique du nord, des pays d'Europe du nord, voire de certains pays latino-américains comme le Mexique ou le Brésil.

La croissance démographique de l'agglomération de Buenos Aires sous l'impact des

vagues migratoires extérieures (1870-1930) puis des migrations rurales intérieures (à partir de 1930) a été plus précoce que dans d'autres pays d'Amérique latine. La ville-centre se modèle entre 1880 et 1914, tandis qu'apparaissent les premières excroissances urbaines. Elle n'augmente que de 1,95% en moyenne par an entre 1914 et 1947, contre 4,65% entre 1895 et 1914, et atteint son pic démographique en 1947, avec 2,9 millions d'habitants. Depuis, la population de la capitale stagne. Le taux de croissance moyen annuel de l'agglomération ne cesse d'ailleurs de se ralentir depuis le début du siècle, passant de 5,3% entre 1900 et 1920, à 3,9% entre 1940 et 1950, à 2,4% dans la décennie suivante, puis à 1,1% entre 1980 et 1991. En revanche, c'est entre 1940 et 1960 que le mouvement de suburbanisation a été le plus fort, avec 6,1% par an entre 1947 et 1960 pour les partidos conurbés (outre les années 1895-1914).

Tableau n° 2 : taux de croissance moyen annuel comparé de la capitale, de

l'agglomération et des 19 partidos conurbés

périodes intercensitaires

capitale fédérale partidos conurbés Grand Buenos Aires (1)

1869-95 4,98 % 4 % 4 % 1895-14 4,65 % 7,4 % 5,4 % 1914-47 1,95 % 4,1 % 2,7 % 1947-60 0 % 6,1 % 3 % 1960-70 0 % 3,6 % 2,4 % 1970-80 0 % 2,4 % 1,8 %

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1980-91 0 % 1,4 % 1,1 % Source : recensements de population INDEC.

(1) Nous rappelons que l'agglomération de Buenos Aires (le Grand Buenos Aires) comprend la capitale fédérale

et les partidos conurbés, dont le nombre a augmenté à plusieurs reprises, ce qui peut expliquer une partie de la

croissance démographique du Grand Buenos Aires durant certaines décennies. L'expression apparaît dès 1948,

le Grand Buenos Aires couvrant alors une zone géographique plus restreinte (17 partidos). Ce n'est qu'en 1970

que le Grand Buenos Aires adopte ses limites actuelles, mais, en réalité, dès 1960, le municipe de Tres de

Febrero était intégré à celui de General San Martín. L'aire statistique de l'agglomération, définie par l'INDEC,

inclut des zones rurales, et les 19 partidos sont sous la juridiction de la province de Buenos Aires. C'est cette

définition statistique du GBA que nous avons retenue. Il règne cependant un certain flou autour de la notion qui

désigne tantôt la capitale et les 19 partidos, tantôt uniquement ces derniers, selon une définition institutionnelle.

On confond souvent l'agglomération avec l'aire métropolitaine qui comporte quant à elle 23 partidos. Enfin, la

région métropolitaine de Buenos Aires couvre une assez grande partie de la province de Buenos Aires. Si les agglomérations urbaines de Mexico et de São Paulo, de nos jours les deux plus

grandes métropoles d'Amérique latine ont eu, depuis 1920, des taux de croissance plus élevés que celui de Buenos Aires (plus de 3,5% par an), leur population n'a dépassé celle de l'agglomération argentine qu'en 1970 pour São Paulo (10,2 millions d'habitants pour São Paulo, contre 8,8 millions d'habitants pour Buenos Aires) et en 1980 pour Mexico (12,4 millions pour Mexico contre 10,2 millions pour Buenos Aires). Au tournant du siècle, Buenos Aires était déjà une ville de 850 000 habitants, quand Mexico n'en faisait que 240 000 et São Paulo 420 000 (d'après les calculs de F. Moriconi-Ébrard, cités par M. F. Prévôt-Schapira, 1994). Aujourd'hui, Mexico compte 17,1 millions d'habitants, São Paulo 16,9 millions, et Buenos Aires 11,2 millions, soit autant que Rio de Janeiro. Les centres commerciaux ont répondu à la demande de la population des banlieues des villes brésiliennes et mexicaines, qui s'accroissait rapidement dans les années 60-70. En Argentine, le mouvement de périurbanisation a été largement antérieur au développement des shopping centers en Argentine.

La croissance de l'agglomération de Buenos Aires s'est nettement ralentie depuis 1960,

tombant à 3,6% par an entre 1960 et 1970, à 2,4% entre 1970 et 1980, puis à 1,4% entre 1980 et 1991 (INDEC, 1991). En outre, globalement, le mouvement de suburbanisation, dans les années 1940-90, a plutôt été le fait de populations à bas revenus, contrairement aux grandes villes nord-américaines, où l'industrialisation et le développement des transports induisaient le développement d'une banlieue de classes moyennes (Torres H., 1975 et 1978). Cette caractéristique s'est accentuée depuis le début des années 70. C'est la seconde couronne de Buenos Aires qui a absorbé la majeure partie de l'urbanisation nouvelle de l'agglomération depuis deux décennies, à travers le développement des luxueux country-clubs, véritables îlots

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de richesse dans une marée des lotissements populaires, et celui des asentamientos26 qui, après s'être développés dans la première couronne, gagnent du terrain en lointaine périphérie. Entre 1970 et 1991, ce sont les communes périphériques les moins urbanisées et les plus pauvres (Berazategui, Florencio Varela, Almirante Brown, Esteban Etcheverria, Merlo, Moreno, General Sarmiento) qui ont eu la plus forte augmentation démographique, avec des taux s'échelonnant entre 40% et 75% entre 1960 et 1970, un peu plus faibles dans la décennie suivante. Géographiquement, la pauvreté se concentre de plus en plus sur les bordures, comme le montre la carte de la répartition des ménages paupérisés dans l'agglomération de Buenos Aires (carte n° 13).

L'installation des shopping centers s'est faite dans les communes les plus aisées qui

connaissaient la plus faible croissance démographique entre 1980 et 1991 (carte n° 14) : la capitale fédérale (0%), Lomas de Zamora (1,2%), Quilmes (1,3%), San Isidro, (0%). Dans la capitale fédérale, ce sont vers les quartiers du nord de la capitale (Belgrano, Palermo, la Recoleta) caractérisés par des processus de gentrification, que se sont d'abord préférentiellement dirigés les promoteurs, et beaucoup moins, dans un premier temps, vers les quartiers de classe moyenne de l'ouest de la ville. Buenos Aires est avant tout une ville de classes moyennes, notamment toute la partie occidentale de la ville, dans les quartiers de Caballito, Flores, Villa del Parque, Villa Devoto, etc.

1.1.2. La place des shopping centers dans l'internationalisation de la ville L'apparition des shopping centers à Buenos Aires est associée à un second mouvement

de métropolisation, caractéristique des transformations de l'économie mondiale et de la montée des activités liées à la finance et à la consommation. L'économie de Buenos Aires suit des tendances semblables à celles d'autres grandes métropoles : déclin des activités industrielles dans la ville-centre, déclin démographique du centre-ville, gentrification de certains quartiers, croissance des activités financières et percée des centres-villes dans le domaine culturel. Dans la capitale, la fermeture des marchés de gros associés au modèle agro-exportateur (1880-1930) et la centralisation des activités de gros dans le marché central de la Matanza, le déclin de l'emploi industriel lié au modèle de substitution aux importations (1930-1976), la croissance des emplois tertiaires dans les années 80 sont significatifs de l'évolution de l'économie de la métropole argentine. Le nombre d'établissements industriels installés dans la capitale a chuté de 32,5% entre les deux recensements économiques de 1974 et de 1985, sous l'impact de l'ouverture de l'économie, des opérations de désindustrialisation de la capitale

26 L'asentamiento est une forme illégale du sol, mais organisée par un groupe de population, par invasion des terres. Ce sont des quartiers autoconstruits et autourbanisés. Les premiers asentamientos sont apparus dans la banlieue de Buenos Aires en 1980-81.

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à la fin des années 70, ainsi que de relocalisation et de décentralisation industrielle. Alors que l'emploi secondaire occupait encore 30,3% de la main-d'œuvre en 1980, il n'en absorbe plus que 20,9% en 1989. Dans le même temps, la part des emplois tertiaires n'a cessé d'augmenter, passant de 69,7% en 1980 à 78,9% en 1989. Ce sont les services financiers, avec une hausse de 95,7% durant la même période, les services aux entreprises, les services immobiliers, et plus secondairement, le commerce, qui ont le plus gagné de terrain (Andrade H. A., Orzi R. M., 1991 ; Torrado S., 1990). Avec la privatisation des entreprises de services et de certains secteurs de l'économie dans les années 90, les investissements étrangers se sont multipliés, et l'installation d'entreprises étrangères sur le territoire métropolitain s'est accélérée.

La construction a également suivi un mouvement similaire à celui des grandes

métropoles de rang international. Le développement de l'immobilier de standing, dû à une demande accrue de la part des classes sociales aisées (cadres supérieurs, etc.), a été souligné : + 800 % pour les demandes de permis de construire de logements de standing élevé et + 350% pour celles de logement de très haut standing, entre 1986 et 1992, contre + 50% et + 60% respectivement pour les demandes de permis de construire de logements de standing faible et moyen, les deux premières catégories représentant 17% du total des permis en 1986 contre 53% en 1992. Certaines endroits des quartiers riches de Palermo et de Belgrano, dans le nord de la capitale, en cours de gentrification, ont été particulièrement concernés. La multiplication des hôtels cinq étoiles dans le centre-ville est aussi un signe de cette évolution. En revanche, la dégradation du centre historique se poursuit. Les deux mouvements ne sont pas incompatibles, la gentrification sélective de certains quartiers centraux ou péricentraux pouvant s'accompagner de la prolétarisation d'autres zones (Lévy J. P., 1987). Peut-être sera-t-elle néanmoins stoppée par le récent intérêt pour le patrimoine immobilier ancien, qui n'a pour l'instant concerné que les quartiers anciens du nord de la ville, en particulier le vieux Palermo.

Ces tendances des villes des pays développés ont entraîné une recomposition de la

centralité et l'émergence des nouveaux centres directionnels. La relance du commerce dans les centres-villes, associée à la demande des cadres supérieurs et des catégories de population dont les revenus ont augmenté durant les années 80 (ibid., op. cit. ; Sassen S., 1991 ; Castells M., Mollenkopf J., 1991), est l'une des composantes importantes de celle-ci. La consommation est l'une des branches où se manifeste le mieux l'internationalisation, les disparités se traduisant dans le paysage urbain, par l'émergence de formes prestigieuses en centre-ville. Cependant, le mouvement de métropolisation et de tertiarisation de Buenos Aires est incomparable à celui des villes mondiales, New York, Londres, Tokyo, Paris, qui sont des lieux de décision et de concentration des activités de commandement économique (sièges sociaux des multinationales) à l'échelle mondiale, alors que Buenos Aires, de même que d'autres grandes villes d'Amérique latine, comme Mexico ou São Paulo, constituent des villes-

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relais du capital international dans les pays en développement. Les privatisations des entreprises publiques nationales ont joué un rôle important dans les processus d'internationalisation économique de Buenos Aires.

Les shopping centers, dont beaucoup proviennent de la réhabilitation de bâtiments

consacrés à des usages industriels ou agro-industriels et agro-exportateurs (voir tableau n° E dans l'annexe n° 3 p.64), participent aussi au mouvement de métropolisation de Buenos Aires. Leur localisation dans la zone centrale s'explique en partie ainsi. En même temps, cette hypothèse est insuffisante. La concentration spatiale s'est atténuée au fil des années, puisqu'en 1992, six sur onze shopping centers étaient implantés dans la zone centrale (huit sur vingt-trois en 1995). Les shopping centers se développent aussi dans la zone périurbaine.

1.2. Entre produit-standard et produit culturel

Si l'émergence des shopping centers est liée à l'internationalisation de la ville, ceux-ci

montrent une très grande diversité typologique et formelle. On a vu que les années 80 étaient marquées par une influence croissante de la culture nord-américaine et que le vocabulaire technique concernant les shopping centers provenait essentiellement des États-Unis. Simple conjonction temporelle ? Les centres commerciaux porteños de la fin des années 80 ont une forme similaire aux dernières innovations nord-américaines, aux centres commerciaux liés à la rénovation urbaine, aux outlet mall factories, aux centres spécialisés..., ce qui est le reflet des modes de transmission de l'innovation dans l'espace-temps. Certes, si c'est le modèle nord-américain de la seconde génération, l'Enclosed Mail Air Conditioned (EMAC) qu'ont imité les promoteurs français dans les années 60, les premiers centres commerciaux européens (Allemagne, Suède, Danemark, Royaume-Uni) s'inspiraient de la première génération de centres commerciaux nord-américains, les community centers, simples galeries marchandes non-couvertes, de taille modeste et dotées d'une petite surface de stationnement. Les centres commerciaux qui sont apparus au Mexique et au Brésil à la fin des années 60, sont aussi plus proches de la seconde génération nord-américaine, l'archétype périphérique, tandis qu'à Lisbonne, où l'innovation date, comme à Buenos Aires, de la deuxième moitié des années 80, on se rapproche plus de la figure argentine.

L'acquisition du savoir-faire s'est faite par le biais de deux canaux : soit par imitation et

par "pillage" d'idées et de concepts commerciaux importés et adaptés, grâce à des voyages d'études en Europe, aux États-Unis et même à Hong-Kong (Alto Palermo, Unicenter, Spinetto, mais aussi Sur, Plaza del Pilar, etc.), et à l'exploitation de la littérature existante sur le thème (reconversions de Soleil et de Sur en outlet mall factory, influence des opérations de J. Rouse, etc.) ; soit par l'appel à des consultants extérieurs, parmi les plus réputés dans leur

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domaine, notamment pour les shopping centers qui représentent des investissements lourds (des cabinets d'architecture américains, allemands : The Jerde Partnership pour l'avant-projet architectural de Paseo Alcorta et Jürgen Ernesting et associés pour la programmation de son marché de primeurs, The International Design Group de Toronto pour l'architecture extérieure de Unicenter ; l'éclairagiste renommé, Theo Kondos pour Paseo Alcorta, Galerías Pacífico, Alto Palermo, Patio Bullrich). Les processus de transmission de l'innovation n'ont pas été très différents en France au début des années 70. Le recours à des ingénieurs-conseils nord-américains (The Jerde Partnership, RTKL Associates INC, etc.) et la participation des promoteurs commerciaux à des colloques internationaux, notamment ceux de l'IASC, lieux de brassage des "concepts" nouveaux, a imposé le modèle nord-américain de l'EMAC (Koehl J. L., 1990). La vulgarisation des méthodes de production et de gestion des centres commerciaux s'est aussi faite grâce aux divers manuels et ouvrages produits par les Anglo-Saxons, à commencer par ceux de Victor Gruen, inventeur du concept des centres commerciaux régionaux27.

Les influences sont multiples, comme le montre le cas des centres commerciaux

argentins, et les promoteurs choisissent les formes qui leur plaisent et qui sont le plus susceptibles de s'adapter au pays, parmi toute une palette de formes possibles. Les États-Unis ne sont pas les seuls à fournir les modèles. Le modèle (produit-type) que diffuse Carrefour est la formule qui a connu du succès en France : l'hypermarché accompagné d'une galerie marchande au milieu d'un vaste parking, en général situés en zone périurbaine. En effet, devant la difficulté de convaincre les grands magasins, échaudés par l'échec et les balbutiements de certains centres commerciaux dans les premiers temps, les promoteurs français ont introduit une innovation : l'hypermarché28, promu "locomotive" des centres commerciaux "à la française", développé en zone périurbaine dans les années 8029. Carrefour a été l'un des pionniers de la distribution en France. Malgré des débuts plutôt heurtés en raison des difficultés de Soleil, la greffe de la formule française a bien prise dans la banlieue de Buenos Aires, surtout depuis 1993.

Certes, tracées à gros traits, les tendances à l'uniformisation peuvent provenir des

stratégies d'internationalisation des sociétés de distribution des pays du Nord, des fonctions et des usages (flânerie / achat) similaires des centres commerciaux, mais cette ressemblance est simplificatrice. Même si l'on y rencontre éventuellement les mêmes marques en raison de

27 On peut ainsi citer d'autres manuels: Colin S. Jones, Regional shopping centres, 1969 ; N. Beddington, Shopping centers, retail development and management, 1991, etc. 28 Le premier hypermarché est lancé en 1963 par un commerçant, M. Fournier, à Sainte Geneviève-des-Bois. Il s'agit du premier établissement de la chaîne Carrefour. 29 Sur l'histoire des centres commerciaux français, voir la bibliographie: Coquery M. (1977), Metton A. (1980), Koehl J. L. (1990).

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l'internationalisation de la distribution (Benetton, Mango, Diesel, Cacharel, Levis, mais aussi Carrefour), la part des indépendants et des marques nationales n'est pas négligeable, et il existe des variations locales importantes dans les usages mais aussi dans les fonctions. Par exemple, en France, la greffe des loisirs n'a pas bien prise, et les centres commerciaux périphériques sont plus utilitaires et moins ludiques dans leurs fonctions et dans leur aménagement intérieur, que les centres commerciaux argentins ou portugais, tandis que cette fonction est surtout dévolue aux rues piétonnes du centre-ville. Rappelons qu'en France, ce sont ces dernières qui sont principalement associées à l'achat ludique et que les orientations de la politique urbaine expliquent en grande partie ces différences. Le rapport entre le commerce et l'espace public n'est pas le même.

Les lieux-standard n'existent pas, les pratiques socio-culturelles se chargeant

immédiatement d'introduire des différenciations. Le "concept" est peut-être semblable au départ, mais le centre commercial est toujours d'une part le produit d'une adaptation aux conditions et aux contraintes locales (physiques, politiques, culturelles), d'autre part le fruit d'une appropriation par les gens : la pratique sociale participe à la production du lieu dans un mouvement dialectique, dans lequel la culture locale joue le rôle de médiateur. En ce sens, les centres commerciaux sont dotés d'une urbanité qui est propre à une culture locale ou nationale.

Aussi y a-t-il fort peu de chances pour qu'un shopping centre de Singapour ressemble à

un shopping center argentin, et les descriptions qui en sont faites montrent effectivement que les deux produits sont très différents. L'étroitesse et la cherté du foncier dans les centres-villes des cités-territoires d'Asie du sud-est ont modelé des centres commerciaux s'élèvant sur plusieurs étages, se succédant sur l'avenue principale, et on y vend principalement du matériel électronique destiné aux touristes. À Singapour, le développement des centres commerciaux a été dans un premier temps associé à la politique publique d'éradication des bidonvilles du centre-ville et de rénovation urbaine, ainsi qu'à la construction de grands ensembles de logements périphériques, avant qu'il ne vienne accompagner, dans les années 70, le développement du centre-ville, sous la forme de centres commerciaux intégrés et spécialisés. Dans les grandes villes brésiliennes, le succès des centres commerciaux périphériques est dû à la très forte insécurité urbaine. Ceux de Mexico, qui se sont développés à la fin des années 60, plus tôt qu'en Argentine, vraisemblablement en raison de la proximité géographique avec les États-Unis, sont principalement situés en zone périurbaine, alors que la localisation centrale a été longtemps prédominante en Argentine. À Montréal, les conditions climatiques très rigoureuses couplées à la pression foncière dans le centre-ville de Montréal ont favorisé le développement de galeries marchandes souterraines, tandis que se développaient également en zone périphérique des centres commerciaux à l'américaine. Les shopping centers argentins

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sont proches de leurs homologues portugais, sans doute en raison des similitudes socio-culturelles des deux pays. Encore, faut-il nuancer cette ressemblance. L. Marrou (1993) indique comme principaux facteurs d'apparition des centres commerciaux, les facteurs socio-économiques "classiques", hausse du pouvoir d'achat, du taux d'équipement des ménages, de la motorisation, le fort taux d'activité féminine, qui ne semblent pas être particulièrement pertinents dans le cas argentin. Mais les centres commerciaux semblent exercer la même fascination sur les ménages lisboètes que sur les ménages argentins.

La multiplicité des facteurs locaux, sociaux, culturels, urbains, politiques, économiques,

expliquent la diversité fonctionnelle et formelle des centres commerciaux. Le contenu, les fonctions des centres commerciaux et leurs usages spécifiques se modèlent mutuellement : la mode, les usages, les clientèles spécifiques font en permanence évoluer l'assortiment des magasins. Nous reviendrons sur cet aspect de la question dans la dernière partie sur les usages des centres commerciaux.

2. Formes et fonctions des shopping centers

Les centres commerciaux argentins ont des qualités urbaines et un rapport à la ville

différent de leurs équivalents français. Ils reprennent également de nombreuses fonctions qu'exerce le centre-ville.

2.1. Un bon niveau d'intégration formelle et fonctionnelle

2.1.1. Évolution des shopping centers dans le temps et dans l'espace Le développement des shopping centers a été très rapide. L'évolution du nombre de

centres construits par année a été étroitement dépendante de la conjoncture économique, assez heurtée jusqu'en 1991. Le Plan Austral a signifié une embellie économique et un ralentissement de l'inflation jusqu'en 1988, et le plan de stabilisation du ministre de l'Économie D. Cavallo, en avril 1991, a mis fin à une période d'inflation galopante et même d'hyperinflation. Les premiers projets sont antérieurs au Plan Austral ou contemporains de celui-ci, ce qui explique qu'en 1988, trois shopping centers aient été inaugurés. Dans les années qui suivent, la quantité d'opérations mises en chantier n'a pas augmenté, et les shopping centers inaugurés en 1989-1992 ont correspondu à des projets lancés avant 1988 (Paseo Alcorta en 1986, les Galerías Pacífico en 1989). La relance économique de 1991, la stabilisation de l'inflation, l'assainissement de l'économie et la revalorisation des secteurs de la construction et de l'immobilier ont entraîné une nouvelle vague de construction de shopping

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centers, puisque cinq d'entre eux étaient étrennés en 1993-1994, et que nombreuses étaient les opérations en cours de réalisation en 1995.

Tableau n° 3 : rythme d'inauguration des shopping centers

1986: 1 Plan Austral 1991: 1 (2) Plan de Convertibilité 1987: 1 1992: 3 (1) 1988: 3 1993: 4 (1) 1989: 1 Hyperinflation 1994: 1 1990: 2 (projets avortés30)

Les shopping centers argentins ont une taille moyenne par rapport à leurs équivalents

nord-américains et européens : la surface bâtie totale s'échelonne entre 2000 m² et 150 000 m², et leur surface moyenne (GLA) était de 17 500 m² en 1992 (11 shopping centers). La surface locative moyenne des centres commerciaux régionaux en Europe était de 43 000 m² en 1974 (Mérenne-Schoumaker B., 1978). 37,5% des shopping centers inaugurés avant 1993 avaient une surface GLA de moins de 10 000 m², 50% une surface comprise entre 10 000 m² et 20 000 m², 12,5% entre 20 000 m² et 30 000 m², et enfin, un seul dépassait le seuil de 30 000 m²31. En France, à la fin des années 80, elle était de 20 000 m², ayant cependant beaucoup baissé à la suite de la mise en place de la loi Royer (Koehl J. L., 1990). Au Canada, West Edmonton Mall, qui a défrayé la chronique, atteint une surface GLA de 520 000 m² de superficie totale dont 380 000 m² de surface GLA, le gigantisme nord-américain n'ayant pas d'équivalent en Argentine. En France, les Quatre-Temps qui a été l'un des plus grands centres commerciaux européens, fait plus de 100 000 m² GLA. Leur superficie construite moyenne a légèrement diminué depuis 1992 (40 000 m² de surperficie construite totale contre 45 000 m² avant 1992), bien que l'inauguration reportée du centre commercial régional Abasto (depuis 1988) puisse la faire remonter (carte n° 15).

Les éléments pris en compte pour la délimitation de l'influence des centres

commerciaux varient d'un auteur à l'autre, mais aussi d'un pays à l'autre, en fonction des usages et de la culture locale, comme le montrent les tableaux n° D1 et D2 de l'annexe n° 3,

30 Certains projets (Barrancas de Belgrano, Paseo Colón) n'ont pas vu le jour, ont été abandonnés ou sont en cours de réalisation. D'autres ont connu des épisodes successifs avant de se concrétiser. 31 Pour comparer les centres commerciaux, on se réfère couramment à la surface locative brute (Gross Lease Area, surface GLA), ce qui n'est pas le cas en Argentine. Les comparaisons ne sont pas toujours évidentes, et les définitions souvent fluctuantes d'un auteur à l'autre. Faut-il y inclure les parties communes louées (par exemple, le food court) ou non, etc. ?

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p.63. Sur des critères prenant en compte non seulement la taille du shopping center (nombre de locaux, surface GLA, superficie construite totale), mais aussi dans la mesure du possible la fréquentation annuelle32, l'agglomération de Buenos Aires comptait début 1994 sept shopping centers régionaux, neuf centres intermédiaires et six centres d'influence locale (carte n° 16).

En neuf ans (1986-1994), l'agglomération a vu se développer une palette assez large et

diversifiée de shopping centers, allant du centre commercial généraliste, au centre commercial spécialisé (décoration, loisirs et / ou culture), intégré, en passant par les magasins d'usine, fruits de la reconversion de centres commerciaux généralistes en difficulté. Ce sont les cas de Soleil dont 57,4% des locataires sont des fabricants et 72,9% des commerces, de Sur, reconverti en parcs de jeu pour enfants (8,8% de l'offre commerciale et 10,2% des commerces et des services à caractère commercial pour la vente directe d'usine), et de Spinetto.

Tableau n° 4 : année d'apparition d'innovations commerciales concernant les shopping

centers

premier shopping center 1986 (Shopping Sur) premier shopping center à dominante culturelle 1989 (la Plaza) premier outlet mall factory (magasin d'usine) 1991 (Soleil Factory) premier shopping center axé sur les loisirs 1991 (Shopping Sur) premier shopping center spécialisé dans la décoration 1993 (Plaza del Pilar)

Certains projets, qui ne sont pas concrétisés, présentaient d'autres types de

spécialisation et / ou niveaux d'intégration fonctionnelle : Paseo Colón, centre commercial / professionnel, de loisirs, de services et de congrès, était axé sur les activités agro-alimentaires33 ; Barrancas de Belgrano couplait quant à lui un terminal de transport (bus / gare ferroviaire) et un complexe commercial et culturel34. Le niveau d'intégration fonctionnelle des centres commerciaux de l'agglomération de Buenos Aires est cependant plus faible que dans d'autres pays (États-Unis, Canada), et ne comportent ni bureaux, ni logements intégrés aux complexes35. En revanche, il est plus élevé que celui des centres commerciaux français.

32 En revanche, il a été impossible d'obtenir des données sur le chiffre d'affaires des shopping centers, en dehors de quelques données sur les ventes totales annuelles. 33 Le bâtiment, situé en lisière du quartier historique de San Telmo, réhabilité et achevé en 1993, était en vente à la fin de cette même année. 34 La construction du centre commercial de Barrancas de Belgrano a été refusée pour des raisons que nous évoquerons dans la troisième partie. 35 Cependant, les premiers projets élaborés pendant la dictature pour certains centres commerciaux -Patio Bullrich, Spinetto, Abasto- comportaient des hôtels et / ou des ensembles de logements.

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2.1.2. La forme architecturale et l'insertion à la ville Les shopping centers portègnes ont une architecture plus élégante et plus soignée, dans

l'ensemble, que leurs équivalents français. La forme architecturale est beaucoup plus complexe que la simple boîte à chaussures, caractéristique des premiers centres commerciaux nord-américains. Les ascenseurs panoramiques en cage de verre, les cascades de plantes vertes, les palmiers, les coupoles et les verrières, mais aussi les matériaux fréquemment utilisés (le marbre, le verre en particulier) dénotent une grande luxuriance et un soin particulier apporté au décor. L'éclairage est souvent naturel (du moins pour les étages supérieurs). Les shopping centers s'inspire des formes de l'espace et des lieux publics. Plusieurs d'entre eux ont été aménagés dans des bâtiments anciens qui présentaient un certain intérêt architectural et / ou historique. La qualité des aménagements, la réutilisation de valeurs d'usage anciennes (voir tableau n° E dans l'annexe n° 3 p.64) et la meilleure intégration physique et architecturale des bâtiments ne sont sans doute pas étrangères à l'urbanité des lieux. Les Galerías Pacífico élèvent leur façade néo-classique italienne restaurée sur la rue Florida. Avec son frontispice néo-classique et son élégant patio intérieur de style victorien, le Patio Bullrich a abrité pendant des années la vente de chevaux pur-sang. Les concepteurs des shopping centers Abasto et Spinetto ont également conservé la structure originelle des bâtiments, la carcasse en fer du premier marché d'Abasto (1881), l'imposante structure du deuxième bâtiment qui lui a été adjoint (1920-1930) et l'élégant marché de fruits et légumes de Spinetto (fin du XIXème), ainsi que certains éléments décoratifs intérieurs. La Plaza, complexe commercial et culturel situé sur l'avenue Corrientes, laisse une large part aux espaces ouverts, avec son enfilade de placettes à l'italienne, ses coursives surplombant passages et amphithéâtres à l'air libre. Alto Palermo, construction ex nihilo installée au cœur de l'un des quartiers les plus denses de la capitale, fascine ses visiteurs, avec sa forme futuriste et son décor débordant de détails surprenants.

Tous les shopping centers n'ont cependant pas la même richesse de matériaux et de

décoration. Les centres commerciaux, situés en banlieue, sont souvent plus dépouillés que ceux de la zone centrale. Les rampes d'accès et les escaliers remplacent les escaliers mécaniques et les ascenseurs panoramiques en cage de verre, la marchandise est exposée de façon plus simple. À Soleil, après sa reconversion en outlet mall factory, les bancs et les plantes ont été systématiquement ôtés. On est cependant loin du dénudement sans ambage des zones d'achat discount périphériques en Françe, et certains shopping centers périurbains ont une architecture intermédiaire entre les luxueux shopping centers de la zone centrale et les outlet mall factories, généralement en situation périphérique (carte n° 17).

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Les coûts de construction élevés des shopping centers, entre 800 et 900 $ le m² en moyenne, soit entre 4 000 F et 4 500 F le m² (voir tableau n° K1 dans l'annexe n° 3 p.69) sont la contre-partie de la qualité de leur aménagement, et ils équivalent, voire dépassent pour certains d'entre eux, ceux des centres commerciaux européens et nord-américains, relevés dans des revues spécialisées en Europe : 1 400 F le m² en France (soit autant que shopping Sur), entre 4 000 F et 5 500 F le m² au Royaume-Uni (Sites commerciaux), 2 600 F le m² construit aux États-Unis (Koehl J. L., 1990). Westmonton Mall a coûté 1346 $ le m² (700 millions de $ au total), soit autant que les Galerías Pacífico, qui, selon l'hypothèse haute, qui est la plus vraisemblable, serait revenu à 1279 $ le m² (voir tableau n° K1). En 1967, le coût du complexe Bonaventure à Montréal s'était élevé à 75 millions de $, soit à 750 $ le m², et en 1976, celui de l'ensemble Desjardins à 206 millions de $, soit à 605 $ le m². Il est vrai que la main-d'œuvre est vraisemblablement moins chère en Argentine. Les coûts de construction des shopping centers ont suivi des courbes ascendantes puis descendantes, comme le montre la carte n° 18 : après une première phase d'inflation entre 1986 et 1992, qui avaient vu l'édification de shopping centers luxueux comme le Patio Bullrich (en 1988) et les Galerías Pacífico (en 1992) avec des coûts atteignant 1 800 $ et 1 500 $ le m² construit, le prix de revient du m² est descendu à des niveaux plus compatibles avec le montant des loyers et des charges et le pouvoir d'achat de la clientèle. Les années 1992-1994 ont correspondu à une phase d'expansion des shopping centers périphériques, moins pharaoniques et dont la charge foncière est en principe moins lourde. Le bilan prévisionnel d'Alto Avellaneda indiquait un coût de 500 à 650 $ le m², et Plaza del Pilar, pourtant situé dans le site prestigieux de la Recoleta, est revenu à 760 $ le m² (tableau K2 dans l'annexe n° 3 p.70). Le retour à des projets moins somptueux a aussi permis de faire baisser des charges qui étaient souvent devenues difficilement supportables pour les locataires.

Les shopping centers sont en général mieux intégrés que les centres commerciaux

français à leur environnement urbain. Insérés dans des quartiers à forte densité constructive et résidentielle (Barrio Norte, etc.), avec leurs deux ou trois étages dont un souvent en souterrain, ils diffèrent fortement des établissements installés en plein champ de betteraves ou au milieu des bidonvilles. De fait, les moyens d'accéder à ces centres sont variés et présentent un bon degré de complémentarité, surtout pour ceux qui sont situés dans la zone centrale : Alto Palermo, qui dispose d'un taux d'équipement en places de stationnement assez élevé (4,2 places pour 100 m² de surface GLA36), bénéficie aussi d'une bonne desserte en métro, celui-ci arrivant aux portes du centre commercial, ainsi que du passage à proximité d'un grand nombre de lignes de bus (24) sur les avenues las Heras et Santa Fe. Les shopping centers de la zone

36 A titre indicatif et comparatif, le BETURE, en 1974, indiquait la norme de 5,5 à 6 places de stationnement pour 100 m² de surface locative, tandis que les normes nord-américaines tournent autour de 4-5 places pour 100m² de surface GLA selon l'ouvrage Traffic access and impact studies for site development.

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centrale jouissent d'une bonne accessibilité (23 lignes de bus et plusieurs lignes de métro pour les Galerías Pacífico, 20 lignes de bus et une station de métro pour la Plaza). Celle-ci diffère en fonction de la localisation du centre commercial : par exemple, Patio Bullrich et Paseo Alcorta situés en lisière urbaine, dans des quartiers péricentraux, respectivement sur les grandes pénétrantes Libertador et Figueroa Alcorta, sont mal reliés par les transports en commun (4 lignes de bus pour Paseo Alcorta et 8 pour Patio Bullrich), tandis que Plaza Liniers, en périphérie de la ville-centre mais à une entrée de ville, bénéficie d'une très bonne desserte en transports publics (33 lignes de bus et une gare de chemin de fer importante). Paseo Alcorta a en revanche un taux d'équipement en places de stationnement très élevé (6,2 modules pour 100 m² de surface GLA).

Dans la zone périurbaine, où le foncier est moins cher, on trouve aussi des shopping

centers installés dans des zones résidentielles, semi-industrielles à très faible densité. C'est le cas du centre commercial Soleil que détient Carrefour dans le quartier de San Isidro, au nord de l'agglomération de Buenos Aires. À proximité d'un important échangeur routier, coincé entre un lotissement populaire et une zone d'habitat social, bordé par de larges étendues de terrain en friche, le shopping center tourne plutôt le dos à son environnement. C'est ici l'accès en voiture qui est privilégié, bien que, le cas échéant, on trouve quelques lignes de bus locales voire même inter-urbaines pour Unicenter, desservi par plusieurs lignes de bus faisant le trajet entre la capitale et la banlieue nord. Les shopping centers situés dans les centres urbains des partidos bénéficient en outre d'une desserte ferroviaire.

2.1.3. Les fonctions centrales des shopping centers D'une part, les shopping centers regroupent des commerces et des services

commerciaux à caractère généralement central ou moyennement central (cinémas, théâtres, bijouteries, maroquineries, mais aussi restaurants, etc.). D'autre part, la composition commerciale reflète assez bien les usages particuliers des shopping centers, sur lesquels nous reviendrons dans la troisième partie. La dominante ludique est essentielle. La composition commerciale des shopping centers est similaire dans le centre et dans la périphérie. Du moins ne constate-t-on pas de gros écarts. Les branches des loisirs et de la restauration sont des constantes (food courts, etc.), au-delà de micro-variations (par exemple, le food court des Galerías Pacífico est important, parce qu'elles sont situées en plein centre des affaires) et des degrés de spécialisation des shopping centers (outlet mall factories, ameublement et équipement de la maison, etc.).

La faible part de la branche alimentaire dans l'offre commerciale (entre 1,5% et 8,3% de

la quantité totale des commerces, pourcentage qui ignore la surface réelle occupée par les

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grandes surfaces, et donc la présence d'hypermarchés) et l'absence fréquente de locomotives "classiques" comme les grandes surfaces alimentaires et les grands magasins en France, ou les drugstores et les magasins généraux aux États-Unis, constituent des indices de leur fonction principalement ludique. Il faut cependant nuancer ces remarques. Des facteurs économiques expliquent aussi le poids plus faible des locomotives classiques : l'absence de grands magasins pour des raisons conjoncturelles, peut l'expliquer en partie, et la situation est par conséquent totalement réversible. En 1990, le promoteur du shopping center Alto Palermo avait néanmoins essayé d'attirer les Galeries Lafayette et avait réservé un emplacement pour des grands magasins, mais l'installation ne s'est pas concrétisée, en raison de la mauvaise conjoncture économique du moment. En revanche, les hypermarchés qui s'étaient implantés depuis le début des années 80 ont constitué des locomotives adéquates, surtout dans les shopping centers périurbains37. Pour des raison évidentes de disponibilité foncière et de cherté des terrains mais aussi à cause de l'existence d'un réseau assez dense de supermarchés dans les quartiers nord de la capitale, où sont concentrés les centres commerciaux, rares sont les shopping centers de la capitale qui comprennent un hypermarché. Seule l'existence de friches en marge urbaine ont permis la construction d'hypermarchés, comme à Paseo Alcorta et à Parque Almirante Brown. Abasto en a programmé un. Spinetto comprend quant à lui un supermarché (carte n° 19).

Globalement, les shopping centers fonctionnent très bien sans grande surface, et ce sont

beaucoup plus les aires de restauration, les équipements de loisir ou les disquaires qui constituent les surfaces d'appel, comme au Portugal (Barata-Salgueiro T., 1989). La fonction ludique des shopping centers et le concept d'achat-plaisir sont difficilement compatibles avec l'achat utilitaire et massif effectué dans les grandes surfaces alimentaires. Pour pallier cet inconvénient, certains d'entre eux, comme Soleil ont autorisé la clientèle à se promener dans les couloirs du mail avec le chariot de l'hypermarché rempli de provisions.

La branche "loisirs et culture" occupe une place de choix dans le tenant mix, avec une

part comprise entre 10% et 26% de l'offre commerciale (commerces à l'exclusion des services à caractère commercial), la Plaza constituant une exception avec 36% de l'ensemble, en raison de sa spécialisation, et elle absorbe entre 8% et 17% de l'offre totale (commerces et services à caractère commercial). Les commerces de loisir, seulement, mobilisent en moyenne 6,8% de l'offre commerciale, les commerces et les services commerciaux de loisir 14%, tandis que l'ensemble des commerces, des services à caractère commercial consacrés aux loisirs et à la restauration représentent en moyenne 23% du total, avec des écarts compris entre 10% (Soleil) et 36% (la Plaza). La surface du shopping center consacrée aux espaces de loisirs et

37 Voir dans la troisième partie la typologie des promoteurs.

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aux lieux publics, qu'ils soient directement rentables ou non, est importante, même si elle varie de l'un à l'autre en fonction de son profil global. Les seuls espaces communs représentent en moyenne 30% de la surface totale des shopping centers38. Nombreux sont ceux qui comportent des petites salles de cinéma, des salles d'exposition et des galeries d'art, et surtout des salles de jeux électroniques, des attractions diverses et des coins de jeux pour enfants qui sont des équipements classiques de tout centre commercial. Le shopping Sur s'est spécialisé dans les activités de loisir pour enfants, en installant un parc d'animation.

Dans les loisirs, les activités culturelles jouent un rôle mineur. La part de l'offre dite

"culturelle"39 (commerces et services à caractère commercial) est étroitement corrélée au standing du shopping center : 1,5% de l'offre pour Shopping Sur, de 2 à 3% pour Alto Palermo, Plaza Liniers, Spinetto et Soleil, entre 3 et 4% pour les Galerías Pacífico et Paseo Alcorta, 5,5% pour le Patio Bullrich, le centre spécialisé la Plaza constituant un cas à part avec 30,5% de l'offre réservée aux usages culturels. Les pratiques culturelles habituelles de la clientèle varient d'un shopping center à l'autre, en fonction du profil de la clientèle40. Mais, même dans le Patio Bullrich, la galerie d'art, qui fonctionnait mal, a dû fermer ses portes. Les centres commerciaux sont plus associés à des formes de culture de l'image (cinéma et vidéo) et à la culture de masse qu'à la culture savante. Les salons de jeux électroniques sont constamment remplis de jeunes, et les cinémas, équipés de petites salles modernes, fonctionnent assez bien, même si le cinéma est loin d'être une motivation de fréquentation habituelle des shopping centers41. Les animations diverses organisées par les administrations (concerts, jeux, concours, etc.) contribuent à attirer un public varié.

Les espaces consacrés à la restauration forment une part importante de l'assortiment : en

moyenne 13,6%, avec un maximum de 40% pour la Plaza, et une place importante dans la composition commerciale du Paseo Alcorta. Les food courts, sur le modèle nord-américain, sont des pôles de la vie des shopping centers, et absorbent une part importante des ventes totales, en rapport à celle qu'ils occupent dans le tenant mix. C'est le cas d'Alto Palermo où la branche de la restauration totalise 15% de l'ensemble des ventes, alors qu'elle ne représente que 12,3% de l'ensemble des locaux, contre 60% pour la branche de l'équipement de la personne qui pourtant représente 58% de l'offre commerciale, le reste atteignant 29,7% de

38 Il est vrai qu'ils comprennent, outre les "lieux publics" (le mail, en général), les espaces techniques, les espaces de service et les bureaux de l'administration, dont la part dans l'ensemble ne varie pas beaucoup d'un centre commercial à l'autre. 39 Les commerces et services culturels que nous avons retenus sont les disquaires, les librairies, les cinémas, les magasins de location de vidéo, les théâtres, les salles d'exposition et les bibliothèques, les antiquaires, les galeries d'art et les marchands d'art, enfin, les salles de congrès. 40 Selon l'enquête 5P, 66% des personnes interrogées au Patio Bullrich disent aller au théâtre et 34% aller voir des expositions, alors qu'Alto Palermo, 50% disent ne participer à aucune activité culturelle. 41 12% pour Patio Bullrich, 10% pour Paseo Alcorta, et seulement 5% pour Alto Palermo (5P).

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l'offre contre 25% des ventes. À mi-chemin entre la tradition nord-américaine du fast-food et celle, plus argentine du café et de la confitería, le shopping center présente une complémentarité entre les deux types de services. Plusieurs cuisines du monde y sont représentées, des empanadas argentines, à la cuisine chinoise, en passant par les crêpes françaises, et la cuisine arabe. Paseo Alcorta, plus huppé et d'une superficie élevée, comprend des restaurants. Une proportion non négligeable du tenant mix (entre 5,5% et 16,2% de l'ensemble des locaux) vise le jeune public, et en général, l'offre est plutôt orientée vers les jeunes (prêt-à-porter, "jeanneries", gadgets, magasins de jouets, disquaires, jeux video, etc.).

2.2. Typologie socio-spatiale des shopping centers

L'outil typologique est nécessairement réducteur, puisqu'il dégage les traits principaux

d'un ensemble d'individus ou d'objets. Comme le montrent les typologies des centres commerciaux élaborées pour d'autres agglomérations (Singapour, Lisbonne, Paris, etc.), la variété des formes et des localisations ne permet de parler que de tendances. Quatre principales ont ainsi été identifiées : un type central, un type périphérique, un type intermédiaire non-central, et des galeries marchandes (voir carte n° 20).

2.2.1. Le type central Les shopping centers centraux -l'expression pouvant apparaître redondante- sont

implantés dans la zone centrale, bien qu'il n'y ait à proprement parler que deux shopping centers dans celui-ci (La Plaza dans le centre élargi et les Galerías Pacífico dans l'hypercentre). Leur rayonnement est très souvent régional. Ils se rapprochent du modèle urbain nord-américain des années 70-80. Intégrés à un tissu urbain dense, sans locomotive alimentaire ou non-alimentaire du type grands magasins, avec dominance de l'habillement, d'activités ludiques, de la restauration, ils ont une influence régionale (les Galerías Pacífico, Alto Palermo, Paseo Alcorta) ou urbaine (Patio Bullrich, Spinetto, etc.), en fonction de leur taille et de leur dynamisme. Certains d'entre eux ont une spécialisation, la Plaza, les activités culturelles et les loisirs, Plaza del Pilar la décoration et l'équipement de la maison. Leur taille est importante (47 000 m² de surperficie construite totale moyenne et 17 000 m² de surface totale moyenne pour les centres inaugurés avant 1993). Les shopping centers centraux ont une architecture luxueuxe, travaillée, avec moûlt marbres, effets d'eau, verrières, etc., qui s'inspire de celle des centres commerciaux nord-américains. Le taux d'équipement en places de stationnement des shopping centers urbains est moindre que celui des shopping centers périphériques (3,8 modules pour 100 m² GLA en moyenne pour ceux qui sont dotés d'un

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parking), mais dépend de micro-facteurs de localisation42, ainsi que des usages extra-commerciaux des surfaces de stationnement souterraines des shopping centers implantés en centre-ville (cas de la Plaza, notamment). Leur coût de construction est assez élevé, entre 500 et 1 700 $ le m² selon qu'il s'agit d'un bâtiment à forte valeur architecturale et / ou historique réhabilité ou d'une construction neuve (Alto Palermo : entre 700 et 1 000 $ ; Patio Bullrich : 1 700 $ le m²), soit deux à trois fois plus que pour les shopping centers périphériques. Les loyers sont aussi élevés qu'aux meilleurs emplacements commerciaux de la capitale. Dans un shopping center de standing élevé, il faut compter de 50 à 60 $ le m² pour le loyer fixe, auquel s'ajoutent un loyer modulable de 7 à 10% des ventes selon les branches commerciales, un pas-de-porte qui peut s'élever à 40 000 et jusqu'à 100 000 $ pour toute la durée du bail (4 ans, en général) selon la superficie et l'emplacement du local dans le shopping center, et enfin des charges et des frais de publicité et de promotion qui ne sont pas négligeables. Si l'on récapitule, un local de 40 m² à Alto Palermo qui réalise un chiffre d'affaires mensuel de 40000$ revient environ à 7 500 $ par mois, et il faut encore y ajouter les frais d'aménagement de celui-ci, selon des normes particulières, soit près de 60 000 $. Selon les relevés que nous avons effectués, un local de 100 m² de superficie et de 5 m de linéaire, sur la rue Florida, entre l'avenue Cordoba et la place San Martín, est loué pour 12 000 $ mensuels, auxquels s'ajoutent 100 000 $ de pas-de-porte, et un autre, avec les mêmes caractéristiques, sur l'avenue Santa Fe, entre la place San Martín et l'avenue Callao coûte 8 000 $, exigeant 80 000 $ de pas-de-porte. Les distributeurs qui possèdent un local dans un shopping center doivent donc pouvoir supporter les coûts d'une localisation centrale, comme dans les rues du centre-ville.

2.2.2. Le type périphérique Le type périphérique est assez similaire au modèle nord-américain périurbain qui a été

copié par la suite dans d'autres pays, comme en France. Les shopping centers sont installés à proximité ou au croisement de plusieurs axes routiers majeurs (l'autoroute panaméricaine, la route n° 1, etc.), disposent d'une surface de stationnement importante, extérieure ou semi-couverte (taux d'équipement en places de parking de 7,1 pour 100 m² GLA pour Soleil, et de 10,5 places pour 100 m² de surface GLA pour Unicenter), et comportent une grande surface alimentaire. Ils induisent donc la motorisation de la clientèle. Les outlet mall factories se sont multipliés dans l'agglomération de Buenos Aires, surtout depuis 1992, après que la formule nord-américaine a été reprise par Carrefour en 1991. Le modèle architectural est soit celui de l'EMAC nord-américain (modifié depuis les années 50), soit celui du centre commercial à la française (hypermarché + galerie) selon la nature des opérateurs : Carrefour pour Soleil et

42 Seules les Galerias Pacífico ne disposaient jusqu'en 1994 d'aucune surface de stationnement, en raison de sa localisation dans la city et des réglementations d'urbanisme en vigueur.

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pour les dernières réalisations du groupe dans la banlieue de Buenos Aires, la formule, assez simple, ayant été appliquée à plusieurs reprises avec succès, semble-t-il ; des opérateurs germano-chiliens pour Unicenter qui ont consulté pour l'avant-projet un cabinet d'architecture spécialisé nord-américain. L'architecture est cependant plus travaillée que dans les premiers centres commerciaux à l'américaine "autistes", même si souvent, implantés dans des zones à très faible densité résidentielle, ils restent étrangers à leur environnement. L'aménagement intérieur des outlet mall factories est souvent plus frustre que celui des shopping centers de la ville-centre. Les coûts de construction sont comprimés au maximum (moins de 500 $ le m². Sur : 250 $ le m²), afin de pouvoir diminuer les charges des locataires, et donc d'avoir une politique de prix bas. Les shopping centers périphériques ont une aire d'influence urbaine. Seul Unicenter, inauguré en 1987 et qui a bénéficié de l'atout d'innovation, a une influence régionale. Les loyers et les charges sont beaucoup plus faibles que dans les shopping centers centraux, et les pas-de-porte sont rarement pratiqués.

2.2.3. Les galeries marchandes Implantées dans des quartiers de la capitale (à caractère central secondaire ou tertiaire),

dans les centres-villes ou dans les quartiers à fort pouvoir d'achat des partidos conurbés (Lomas de Zamora, Morón, Quilmes / Temperley, Adrogué, etc.), les galeries marchandes (Golden Shopping, Paseo de compras Elesgaray, Adrogué Plaza, etc.) ne dépassent pas 10 000 m² de superficie totale, et leur influence est locale. Elles ne disposent pas de surface de stationnement. L'architecture est généralement plus soignée que celle du type périphérique, même si elle est moins féérique et moins spectaculaire, certains d'entre eux ayant été conçus par les mêmes architectes que les shopping centers du centre. Les commerces ont un plus grand standing, et on y trouve des marques et des enseignes nationales voire internationales. La branche dominante est l'équipement de la personne, et les loisirs ainsi que la restauration y sont aussi bien représentés.

2.2.4. Le type intermédiaire non central Le type intermédiaire non central est composé de shopping centers de taille

intermédiaire et d'influence urbaine, qui ne sont situés ni dans la zone centrale, ni dans la zone périurbaine périphérique, ni dans les centres urbains des partidos. Dans des quartiers périphériques de la capitale, dans la zone périurbaine dense, etc. La décoration, le standing et les coûts dépendent de la zone dans laquelle est implanté le centre commercial, et ils se situent le plus généralement dans une fourchette intermédiaire entre les shopping centers centraux et les shopping centers périphériques (sauf en cas de dérapage des coûts financiers). Pour un local de 40 m² à Plaza Liniers réalisant 40 000 $ de ventes mensuelles, il faut compter

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5 360 $ de loyer mensuel tout compris, auxquels s'ajoutent 50 000 $ de frais d'aménagement du local et 3 000 $ de caution, soit un peu moins qu'à Alto Palermo (7 500 $, pour mémoire). En revanche, Sur est un shopping center situé en lisière de la capitale, à proximité du centre-ville d'Avellaneda, mais il est très populaire.

Tableau n° 5 : typologie des shopping centers

type localisation (1) localisation (2) densité résidentielle central ville-centre zone centrale moyenne à très élevéegalerie marchande zone périurbaine /

ville-centre zone centrale / quartier de Buenos Aires

moyenne / élevée

intermédiaire non-central

ville-centre ou zone périurbaine

zone centrale / quartier de Buenos Aires

moyenne / élevée

périphérique zone périurbaine / semi-urbaine

périphérie moyenne / faible

(1) ville centre / zone périurbaine. La zone semi-urbaine est une zone située dans la ville-centre, mais très

faiblement urbanisée.

(2) zone centrale / quartiers urbains non centraux / périphérie

2.3. La distribution spatiale des shopping centers La diffusion spatio-temporelle des centres commerciaux obéit à une double logique, du

centre vers la périphérie, des quartiers riches vers les quartiers pauvres. La primauté du développement des shopping centers dans la zone centrale constitue une situation originale par rapport aux pays où se sont d'abord épanouis ces équipements commerciaux. En particulier, les shopping centers d'influence régionale sont presque tous situés dans le centre. La distribution spatiale des shopping centers reflète l'importance et la hiérarchie des différents facteurs d'implantation de ceux-ci : l'accessibilité, le marché potentiel (pouvoir d'achat des ménages, densité de population, etc.). Ils se sont diffusés des quartiers où la population dispose d'un pouvoir d'achat élevé vers les quartiers de classe moyenne, et partant du centre vers la périphérie. L'espace "solvable" est donc progressivement couvert par les centres d'achat.

2.3.1. La structuration sociale de l'agglomération de Buenos Aires Les voies de transports, tramways, chemins de fer puis lignes de bus, ont guidé

l'urbanisation de Buenos Aires. Les centres et les sous-centres de la capitale comme de la banlieue se sont développés autour de gares de chemin de fer (Constitución, Villa del Parque, Villa Urquiza, Villa Devoto, dans la capitale, les centres-villes de Quilmes, d'Avellaneda, de

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Lomas de Zamora, au sud de l'agglomération, de Morón à l'ouest, de San Isidro, au nord). L'agglomération est structurée en partie suivant un modèle aréolaire, entre un centre (la capitale fédérale), une première couronne périurbaine43, mieux desservie, globalement plus riche, à croissance démographique presque nulle, et une deuxième couronne plus récente, moins dense, plus pauvre, moins accessible et moins bien desservie (mentionnée par plusieurs auteurs comme Chiozza E., 1983, et Yujnovsky O., 1985). L'agglomération a connu différents modèles de croissance successifs, le modèle polarisé autour de la ville-centre entre 1895 et 1914, le modèle en étoile / radial le long des principaux axes de transport (tramway, chemin de fer, puis routes, le tracé des premières routes étant venu doubler celui des voies de chemin de fer) qui correspond à la croissance de la métropole entre 1900 et 1930, puis le modèle en tâche d'huile entre 1940 et 1970, lié à l'expansion de la banlieue par remplissage intersticiel des vides et impulsé par la mise en place d'un réseau de bus en 1928-1929 (Torres H., 1975, 1978).

La structuration socio-spatiale de l'agglomération de Buenos Aires obéit suit un

tropisme géographique : les zones surélevées, plus saines, ont été historiquement occupées par les familles de l'oligarchie et de la bourgeoisie portègne dans la deuxième moitié du XIXème siècle et au début du XXème siècle, d'abord comme résidences d'été, puis comme résidences principales (Barrio Norte, Belgrano, Villa del Parque, Villa Devoto, Adrogué, les centres urbains de Lomas de Zamora, de Quilmes, de Morón, Ramos Mejía, Palomar, Bella Vista, dont les noms sont beaucoup plus amènes que le bidonville de La Cava, etc.), tandis que les zones basses inondables étaient progressivement envahis par les groupes de population les plus défavorisés (Bajo Belgrano, au pied de l'ancienne rive morte du rio de la Plata, la Boca, la Cava à San Isidro, etc.). Les dénivellations expliquent en partie la grande opposition nord / sud de Buenos Aires. On a vu que l'avenue Rivadavia qui traverse la capitale d'est en ouest et est prolongée par la route nationale n° 7 qui traverse les communes de Morón et de Moreno, constitue la principale ligne de division sociale de la ville. Celle-ci détermine grossièrement une répartition de la population selon une logique nord / classes supérieures, ouest / classes moyennes, sud / classes ouvrières le long du couloir industriel de la Boca, Barracas, Avellaneda, Quilmes.

Cette grande opposition doit être nuancée par les différenciations qui correspondent à

des dénivellations à grande échelle. Ainsi, le sud de l'agglomération, à dominante industrielle, comprend-il des quartiers riches, qui, historiquement, se sont construits autour des gares : les centres de Lomas de Zamora et de Quilmes, les quartiers de Temperley, d'Adrogué, etc.

43 Même si cette discrimination ne correspond à aucun découpage territorial exact, en raison de la forme des partidos.

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L'agglomération est constituée d'une mosaïque de quartiers riches et de quartiers pauvres, au nord, au sud comme à l'ouest (voir carte n° 23). Enfin, historiquement aussi, les groupes sociaux les plus favorisés tendent à occuper les espaces centraux et les plus accessibles, tandis qu'à partir des années 60, les populations les plus défavorisées sont progressivement déplacées, parfois violemment comme cela a été le cas pendant la dictature, vers les zones les plus éloignées et les moins bien desservies (Torres H., 1978, Pajoni R., 1983).

2.3.2. Les logiques d'implantation des shopping centers et les facteurs de localisation La distribution spatiale des shopping centers réfléchit la structure sociale, spatiale, mais

aussi dans une certaine mesure, commerciale de l'agglomération, comme le montrent les différentes cartes des principaux facteurs de localisation (niveau socio-économique, densité de population, accessibilité) :

a) une logique d'implantation radiale Les shopping centers sont principalement localisés le long des quatre principaux axes

structurants de l'agglomération, voies de chemin de fer et / ou autoroutes et routes nationales dans la zone périurbaine, avenues majeures et / ou métro dans la capitale, comme le montrent les cartes des modes d'accès et de la densité résidentielle (cartes n° 21 et 22). Ces quatre axes sont :

• l'axe sud-est, le long de la route n° 1 et de la voie de chemin de fer Constitución-la Plata, dans le prolongement de l'avenue 9 de Julio, • l'axe sud, le long de la route n° 2 et de la voie de chemin de fer parallèle, • l'axe nord-ouest, le long de l'autoroute panaméricaine et de la route nationale n° 9 (Zarate), le long du rio de La Plata, dans le prolongement de l'avenue Santa Fe, • l'axe ouest, le long de l'avenue Rivadavia et dans son prolongement (route nationale n°7, voie de chemin de fer). Les shopping centers, dans la capitale, sont généralement implantés au cœur des

quartiers les plus denses, dans la zone centrale. Dans les autres communes, ils rayonnent sur des zones où la densité de population est beaucoup plus basse.

b) une logique socio-spatiale L'implantation des shopping centers reproduit les grandes divisions sociales, historiques

et géographiques, de la ville et de l'agglomération de Buenos Aires, que souligne la carte du niveau socio-économique (carte n° 23):

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• l'opposition traditionnelle entre le nord et le sud, les shopping centers s'étant implantés d'abord au nord (à l'exception du premier, Sur) puis au sud et à l'ouest, • l'opposition entre le centre et la périphérie, entre la capitale et la banlieue, suivant une logique centre / périphérie, • la ségrégation entre quartiers riches et quartiers pauvres suivant une logique socio-spatiale polarisée autour d'un petit nombre de centres urbains et commerçants. La carte du niveau socio-économique fait ressortir les pôles de concentration géographique de la richesse dans la zone périurbaine : les quartiers de Temperley, Banfield, et le centre de Lomas à Lomas Zamora (sud), le quartier d'Adrogué à Almirante Brown (nord), le centre de Quilmes, les quartiers de Castelar, Haedo et le centre de Morón, Ramos Mejía à la Matanza, la commune de Vicente López, la partie occidentale de San Isidro (notamment les quartiers de Lomas de San Isidro, de Martínez et le centre-ville). Galeries marchandes et centres commerciaux intermédiaires sont installés dans les quartiers d'Adrogué, dans les centres-villes de Morón, Moreno, Lomas de Zamora, Quilmes.

Conclusion Les shopping centers remplissent certaines fonctions centrales (commerces anomaux,

spécialisés, fonctions ludiques et commerciales) qu'assurent les rues commerçantes du centre-ville. De par leur plus grande qualité architecturale et leur meilleur degré d'intégration à la ville, ils présentent une plus grande urbanité que les centres commerciaux français, notamment dans la zone centrale de la ville. Ils ont aussi d'autres traits originaux. L'un des moindres n'est-il pas que, contrairement à la France et aux États-Unis où les centres commerciaux se sont d'abord développés dans les zones périurbaines, accompagnant la croissance de la banlieue, l'implantation des centres commerciaux argentins a été principalement centrale, avant que ne se multiplient les shopping centers périphériques, selon les modèles français (hypermarchés + galeries marchandes) et nord-américains (EMAC) ?

Les facteurs classiques permettant d'expliquer l'apparition des centres commerciaux ne

fonctionnent pas nécessairement pour comprendre le sens et les raisons de l'émergence du phénomène à Buenos Aires dans les années 80. La modernisation n'est pas un processus uniforme. Les facteurs socio-culturels, socio-économiques et urbains (hausse du niveau de vie, taux de motorisation, suburbanisation, etc.) qui permettent habituellement d'expliquer l'apparition des centres commerciaux en Europe et en Amérique du nord, se sont pas nécessairement tous valides dans le cas argentin. En même temps, l'hypothèse culturaliste n'est pas suffisante, quand il s'agit de comprendre pourquoi le secteur de la distribution en

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Argentine avait pris un tel retard à la fin des années 70, alors qu'il ne s'était écoulé que quelques années entre l'apparition des grands magasins en Europe, et pourquoi ils ont connu un tel succès dans les années 80 sur les berges du rio de la Plata. Certes, l'absence de concurrence et la fermeture des frontières liée au modèle de substitution aux importations jusqu'au années 70 (déjà cependant très émoussé depuis la fin des années 50), la conjoncture économique et politique instable à cette époque, l'attachement des Argentins aux petits commerces de proximité et les formes spécifiques de la sociabilité argentine ont joué. Mais c'est l'argument culturaliste qu'utilisait aussi l'architecte des shopping centers, J. C. López, pour clamer haut et fort en 1985, que les centres commerciaux ne pourraient jamais s'adapter en Argentine. Le même argument avait déjà été utilisé en France vingt-cinq ans auparavant. On constate que les pays d'Europe du sud (Italie, Portugal, Espagne), aux cultures méditerranéennes, ont connu simultanément à l'Argentine les mêmes processus de modernisation commerciale. Ceux-ci ont été plus précoces au Mexique, proche des États-Unis, mais aussi au Brésil, en revanche plus éloigné (fin des années 60).

Les valeurs culturelles jouent à la fois dans le sens de l'innovation et du blocage,

certains traits de la culture argentine comme la prégnance des modèles importés et des stratégies imitatives jouant comme des accélérateurs potentiels, et d'autres, au contraire, peut-être comme des barrières, notamment la sociabilité de type méditerranéen. On ne peut pas expliquer la modernisation du commerce par une série de variables standardisées, ni le retard ou le blocage par un seul type de facteurs (économiques, sociaux, culturels). De multiples obstacles et agents, culturels peut-être, mais aussi économiques, politiques, géographiques, voire peut-être symboliques, se combinent. Les shopping centers imitent des modèles, comme les grands magasins correspondaient à l'importation de modèles occidentaux européens à la fin du XIXème siècle. Mais les lieux-standards n'existent pas, la dialectique permanente du local et du "mondial" se chargeant de leur donner une identité particulière.

Les shopping centers constituent-ils de nouvelles formes de centralités ? Tout ce qu'on

peut dire, pour l'instant, c'est qu'ils exercent un rôle dans l'économie de la centralité, surtout d'un point de vue fonctionnel, et qu'ils ont certaines qualités urbaines (carte n° 24). Il reste à préciser ce qui différencie (ou non) un shopping center du centre-ville. On sait cependant que la centralité a, dans les villes d'Amérique latine, un sens symbolique fort, comme lieu du pouvoir. Les shopping centers constituent des éléments de la centralité tant en centre-ville qu'en périphérie. Ceux de la zone centrale, dont la concentration spatiale est accentuée, sont l'un des signes du mouvement récent de métropolisation de la ville de Buenos Aires. La localisation centrale est en effet plus prestigieuse, et les commerces des shopping centers centraux ont un standing élevé, à l'image des bâtiments dans lesquels ils sont implantés et en réponse à la demande de certaines catégories socio-professionnelles.

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D'autre part, la logique spatiale des shopping centers est radicalement différente de celle

du commerce traditionnel de Buenos Aires. Autant le commerce était caractérisé par une double logique de la spécialisation et de la linéarité, autant c'est la non-spécialisation et la polarisation qui prédominent dans les shopping centers. Sont-ils pour autant plus fonctionnels, plus modernes ? La rue a-t-elle perdu de sa fonctionnalité ? Le mot traditionnel, couramment utilisé pour désigner le centre commerçant par opposition au centre commercial, a une connotation négative qui induit un jugement a priori sur leur fonctionnalité. Il sous-entend que les shopping centers sont modernes et fonctionnent bien, par rapport aux centres-villes, désuets, inadaptés, peu dynamiques. Mais quelle est la part et la fonction du discours ? On a vu qu'en France et aux États-Unis, celui-ci avait joué comme facteur actif de la production des centres commerciaux, servant les logiques des promoteurs.

Plusieurs voies restent encore à explorer dans les relations entre la ville, le commerce,

les shopping centers et la société locale. En particulier, si les formes et les fonctions des shopping centers paraissent indiquer qu'une plus large place est faite aux pratiques sociales et ludiques, quel rôle jouent-ils dans la sociabilité porteña ? Favorisent-ils le lien social comme le font les commerces de proximité et les rues commerçantes du centre-ville ? La modernisation a des implications économiques importantes, justifiées par une plus grande efficacité, la rationalisation de la gestion, un fonctionnalisme mais aussi un esthétisme supérieurs qui se traduisent dans la modernisation de l'infrastructure physique et dans les techniques de présentation des produits (les vitrines). Elle a aussi une logique sociale et politique, sur laquelle nous allons maintenant revenir. La signification sociale et politique de l'apparition des centres commerciaux, de leur modernisation et de leur logique spatiale apparaîtra au détour des logiques d'acteurs. Pour qui et pourquoi construit-on des shopping centers ? Ne recouvrent-ils pas d'autres enjeux que ceux de la modernisation économique ? Le shopping center est un objet urbain plus complexe que l'hypermarché. Il engage aussi d'autres acteurs. Parmi ceux-ci, les promoteurs immobiliers, dont on a vu qu'ils jouaient un rôle central dans la production de l'espace.

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TROISIEME PARTIE

LOGIQUES POLITIQUES ET ECONOMIQUES DE LA MODERNISATION COMMERCIALE

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Si les facteurs traditionnels d'apparition des centres commerciaux ne s'appliquent pas bien au cas argentin, c'est qu'il faut formuler d'autres hypothèses. Une première piste est déjà apparue : le commerce à l'européenne constitue à Buenos Aires une vitrine du centre-ville. Or, les vitrines défraîchies des magasins du centre-ville affectent l'image de celui-ci. En outre, les shopping centers sont des éléments potentiels de centralité. Autant de raisons qui poussent à s'intéresser à la dimension politique de la modernisation du commerce, dont les shopping centers constituent l'un des éléments, et à la façon dont les shopping centers sont pris en considération dans les politiques publiques.

En quoi la distribution spatiale des shopping centers reflète-t-elle donc les logiques et

les stratégies des acteurs publics et privés, et en particulier, comment expliquer la localisation préférentiellement centrale des shopping centers, alors qu'en Amérique du nord et en Europe, les centres commerciaux se sont diffusés de la périphérie vers le centre ? Quelle est l'intentionnalité de l'action des acteurs publics et privés dans le processus de production des shopping centers ? Qui en contrôle la production, et quelle est l'attitude des pouvoirs publics ?

Les promoteurs commerciaux et l'État ont a priori des logiques bien distinctes. Celle

des promoteurs est purement marchande. A. Durand-Lasserve et J. F. Tribillon, qui ont étudié la production foncière et immobilière et les différentes filières de la production du logement (capitaliste, petite marchande et étatique), aussi bien dans les pays d'Afrique qu'en Asie du sud-est, ont montré concrètement comment fonctionnent les marchés immobiliers, quels en sont les enjeux, et quelles sont les stratégies des différents acteurs de la production foncière et immobilière, en insistant en particulier sur le rôle articulé de l'État, des grandes banques et des sociétés de promotion foncière et immobilière, à travers la spéculation immobilière (Durand-Lasserve A., Tribillon J. F., 1990). Les logiques publiques sont plus difficiles à déterminer : résident-elles dans la régulation des intérêts privés ? dans le contrôle social et spatial ? dans l'aménagement urbain ? Nous verrons quelles sont, dans ce cas, les normes de l'action publique et quel intérêt ont les pouvoirs publics à intervenir (ou non) dans la production des shopping centers.

Pour comprendre les logiques et les stratégies des promoteurs commerciaux et des

acteurs publics sous-jacentes à la production des shopping centers, nous pensons qu'il est important de partir du contexte. Celui-ci donne un sens local aux stratégies des acteurs. Le type d'architecture politique, notamment la nature des liens entre acteurs politiques et acteurs économiques, les caractéristiques du contexte institutionnel et politique, sont essentiels. Or, trois éléments, dont certains ne sont pas propres à l'Argentine, mais sont assez marqués, nous ont paru prédominer : premièrement, la concentration du capital et du revenu aux mains d'un petit nombre de très puissants groupes économiques qui tiennent les rênes de l'économie ;

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deuxièmement, les rapports étroits qu'entretiennent le pouvoir politique et le pouvoir économique, qui redistribuent différemment les cartes du jeu politiques ; troisièmement, la corruption publique qui, tout en étant une constante, est une donnée importante des politiques urbaines. La sociologie du pouvoir politique est d'ailleurs très incomplète en Argentine. Les travaux des deux chercheurs argentins, J. Schvarzer et J. Sábato, l'un économiste et l'autre sociologue, nous ont paru fournir des hypothèses intéressantes, qui allaient au-delà des thèses des théories de la dépendance et des thèses marxistes. À partir d'une étude historique du pouvoir en Argentine, ils mettent l'accent sur la conjonction historique entre la rationalité des acteurs dominants locaux, la situation de dépendance du pays et les spécificités structurelles et conjoncturelles de l'économie argentine. Si leurs analyses portent sur les logiques d'acteurs nationaux (groupes économiques et État national), elles nous ont servi à analyser les stratégies des acteurs urbains locaux, parce que les enjeux politiques et économiques, dans la capitale, se situent aux deux échelles, et parce que l'urbain est de plus en plus un terrain d'intervention pour les groupes économiques, dans des secteurs qui vont de la construction aux services urbains.

Les acteurs économiques n'ont cependant pas une rationalité parfaite, et les promoteurs

ne constituent pas un groupe homogène. Nous commencerons donc par voir qui sont les promoteurs commerciaux, quels sont leurs comportements, avant de voir comment, dans un contexte particulier, la production des shopping centers peut être au centre des stratégies interdépendantes des acteurs publics et privés, et quelles sont les logiques urbaines et spatiales des uns et des autres.

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veau d'intégration relationnelle est défini par leur capacité à s'insérer dans des réseau

eut-on établir des corrélations entre des types de shopping centers et des types de prom

1. Évolution du secteur de la promotion immobilière

notre connaissance, il n'existe pas d'études sur les promoteurs immobiliers en Argen

Chapitre 1. Les promoteurs commerciaux

La production d'un centre commercial est une opération un peu plus complexe qu'une

opération classique de promotion immobilière, de logements, par exemple, et elle exige un savoir-faire, ainsi que des techniques de production et de gestion spécifiques. Les promoteurs commerciaux ne constituent pas un groupe homogène et peuvent agir avec des motivations différentes. Tous n'ont pas les mêmes capacités d'organisation interne et externe. Le pouvoir des acteurs, c'est-à-dire leur capacité à négocier avec leurs partenaires, à infléchir leurs décisions, a plusieurs sources différentes, comme on l'a vu. On peut classer les promoteurs en fonction de deux grands critères qui définissent leur degré de contrôle de la fonction de promotion sur le processus de production, leur autonomie et leur capacité de pression sur l'environnement :

• le type d'organisation interne de la société promotrice (système de financement, degré d'intégration fonctionnelle) détermine son niveau d'autonomie par rapport aux conditions du marché et ses capacités d'anticipation et d'adaptation.

• leur nix ou à en créer. P

oteurs, dont les stratégies sociales et spatiales différenciées ? Le faible nombre de cas observés et le caractère incomplet des données sur les shopping centers construits depuis 1993 ne permettent pas de construire une véritable typologie, mais plutôt de dessiner des profils. Nous ne disposons en effet d'aucun renseignement concernant les galeries marchandes à influence locale et les shopping centers intermédiaires construits en 1993-1994 (tableau n° 7). Certaines tendances apparaissent néanmoins.

Àtine. Mais si l'on définit comme promoteur toute personne physique ou morale qui

réalise et gère un ensemble immobilier à vocation commerciale, celui-ci intervient dans le marché urbain depuis la fin du XIXème siècle. On ne les mentionne que depuis peu, sous ce nom, dans la presse ou dans les travaux de recherche. Ces derniers ont essentiellement porté sur les lotisseurs et les agents immobiliers qui ont commercialisé, entre 1900 et 1970, des lots destinés aux travailleurs urbains récemment immigrés, aux classes moyennes, puis aux éléments plus populaires de la société (Bourdé G., 1972 ; Sargent C., 1974 ; Scobie J., 1974 ; Clichevsky N., 1975, 1990b). De même, on trouve peu de littérature spécialisée sur les

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1.1. L'immobilier : un secteur depuis longtemps très-spéculatif

rgent, Argentine, rio de la Plata : il semble que l'argent ait décidé de la destinée du pays.

'inflation n'est pas non plus un phénomène nouveau : le taux moyen annuel s'élevait déjà

producteurs et les constructeurs de la ville de Buenos Aires qui, pourtant, subit un mouvement d'importante densification à partir de la fin des années 50, bouleversant le paysage urbain.

ALa spéculation a été bon train depuis le XIXème siècle. L'immobilier a constitué, avec

la finance et le commerce, l'un des secteurs spéculatifs traditionnels permettant de réinvestir les surplus dégagés des activités productives (agricoles, agro-alimentaires, industrielles), dans un contexte de permanente instabilité économique et financière (Sábato J., Scharzer J., Rouquié A.) et en l'absence de régulation. Alors que les contextes économiques européen et nord-américain sont régis par un ensemble de cycles successifs où la dominante est la stabilité et l'ordre, c'est l'instabilité économique qui semble être la situation normale en Argentine. La forte variabilité des prix et des salaires est une donnée constante depuis la fin du XIXème siècle. Le capital dispose depuis longtemps d'une étonnante "capacité à pivoter suivant la conjoncture", selon les propres termes d'A. Rouquié (1987). La propriété foncière donne notamment à l'oligarchie terrienne la capacité de mobiliser rapidement des moyens pour réaliser des bénéfices à court terme.

Là +25% entre 1955 et 1975, sans jamais descendre en-dessous de 10%, et est

régulièrement resté à trois chiffres entre 1975 et 1991. Les variations permanentes des taux d'inflation, de change et d'intérêt dans les années 80 ont favorisé le développement d'un marché hyperspéculatif et l'apparition de rentes très élevées1. Les périodes de relative stabilité et d'euphorie (malgré des taux d'inflation élévés) sont entrecoupées par des périodes de crise et d'emballement du système économique. La succession de phases d'équilibre relatif et de déséquilibres est favorable aux grands groupes économiques, et provoque la concentration du capital (Sábato J., Schvarzer J.). En Argentine, l'ensemble des agents économiques a un

1 Jeu que les Argentins ont appelé la "bicyclette financière" dans les années 1977-1991. Il consistait à anticiper l'évolution relative des trois taux et à parier sur les différentes modalités d'opérations financières (placements à très court terme, vente et achat de devises, etc.). Avant 1989 (année où tous les records ont été battus), les gains pouvaient être de 50% par semaine (Schvarzer J., 1987). Tout le monde a acheté et revendu des devises, tandis que les acteurs économiques maximisaient les tirés dégagés d'activités productives (distribution, construction, etc.) et faisaient "travailler" leur argent. Le retour à la stabilité en 1991 a mis fin à la "bicyclette financière", que la mise en place du plan Austral en 1986 avait pendant un temps ralenti. Les acteurs économiques se sont cependant tournés vers d'autres formes de gains rapides : parmi celles-ci, l'immobilier, dont les prix se sont envolés entre fin 1990 et fin 1991 avec des taux de +120% à +140%, voire de +200% dans les meilleurs quartiers, et la spéculation boursière, qui a accompagné le développement des places boursières secondaires d'Asie du sud-est et d'Amérique latine, parmi lesquelles celle de Buenos Aires, où les bénéfices annuels peuvent atteindre 100% par an (ibid., 1993 : 15).

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comportement spéculatif, privilégiant l'obtention de gains rapides par rapport aux activités productives.

Les groupes économiques possèdent tous des filiales spécialisées dans la promotion

foncière et dans les activités immobilières, et la spéculation, dans ce secteur, a toujours été bon train, quelle que soit la taille des entreprises, que ce soit dans la Pampa argentine (Gaignard R., 1989), à Buenos Aires où la construction de la capitale à partir de 1880 a été l'occasion de gigantesques opérations de spéculation foncière et immobilière (Romero L. A. et Romero J. L., 1983), dans le marché suburbain des lotissements de classes moyennes puis de lotissements populaires à partir des années 20 (Clichevsky N., op. cit.), et enfin avec tous les nouveaux segments de marché apparus dans les années 80 (les tours de logements en copropriété, les patinoires, les terrains de "paddle", les "country-clubs", les hôtels cinq étoiles, etc.).

La production foncière et immobilière a bien, en Argentine depuis la deuxième moitié

du XIXème siècle, le rôle "régulateur" que leur assignent J.F. Tribillon et A. Durand-Lasserve dans les pays en développement (1990) : d'une part, dans les processus d'accumulation capitaliste comme secteur d'investissement pour des capitaux non-affectés et pour les capitaux flottants nationaux et internationaux ; d'autre part, comme" bassin de capture" d'une fraction du capital, notamment dans les moments d'instabilité financière et de forte inflation, l'immobilier servant alors de secteur d'investissement-refuge ; enfin comme secteur de diversification et de réinvestissement des profits obtenus dans d'autres secteurs.

1.2. Le dualisme des secteurs de l'immobilier et de la construction jusque dans les années 70

Jusqu'au début des années 80, les secteurs de l'immobilier et de la construction sont

atomisés. Le nombre d'entreprises de construction passe de 1550 à 4600 entre 1935 et 1970. En 1970, le registre industriel de la Nation tenu par le secrétariat au développement industriel du ministère de l'Economie montre que 83,3% des entreprises de la construction, de moins de 50 salariés, employaient 10,1% du personnel de la construction, tandis que 2% de celles-ci, de plus de 500 salariés, occupaient 51,2% de la main-d'œuvre (Vitelli G., 1976). Seules quelques entreprises de taille modeste agissaient dans les quartiers de la capitale, en particulier les filiales de groupes économiques, pour lesquels l'immobilier constituait un secteur de réinvestissement des profits dégagés dans d'autres secteurs d'activité (Clichevsky N., op. cit.). Avec le vote de la loi nationale sur la copropriété (loi 13.512 de 1952, abrogée en 1978) et de la loi corrélative sur le réglement des tours à Buenos Aires (1957), les immeubles commencent à dépasser réellement trois ou quatre étages dans un marché très spéculatif. Les

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hôtels particuliers de style français et les petits chalets sont alors rapidement rasés, remplacés par des immeubles de huit étages puis par des tours. Les secteurs de l'immobilier et de la construction civile se caractérisent néanmoins encore par leur dissémination. Le second, surtout, est composé d'une multitude de petites entreprises familiales. Les sociétés immobilières, constituées en sociétés anonymes, rassemblent des professionnels de la construction (architectes, petits et moyens constructeurs, agents immobiliers) qui bénéficient d'appuis bancaires, et non plus des propriétaires indépendants, ce qui marque déjà une nette évolution dans l'activité de la construction et de l'immobilier2.

Le marché de la construction reste très segmenté entre un marché public, protégé et

concentré, et un marché privé, spéculatif et atomisé. À côté de la multitude de moyennes entreprises existe un petit nombre de grandes entreprises très concentrées qui vit de la commande publique. Les marchés publics (construction de barrages et travaux électro-mécaniques, construction ferroviaire, équipements sociaux, scolaires, sportifs, sanitaires, mais aussi certains bâtiments privés comme les bâtiments industriels ou les sièges sociaux) sont donc dominés par des grands groupes de construction ou entreprises, filiales de grands groupes économiques (le groupe Techint, SADE de Pérez Companc, Mc Kee, Impresit Sideco du groupe Macri, etc.). La scission a tendance à se reproduire d'elle-même, encouragée par le mode de sélection normatif et peu libéral des entreprises constructrices par l'État. En effet, seules peuvent accéder à la commande publique les entreprises qui dépassent un seuil fixé de volume de travaux et de chiffre d'affaires, et ont une capacité technique déterminée, la liste de celles-ci étant chaque année consignée dans un registre des entreprises adjudicataires (contratistas). L'État a depuis longtemps favorisé les activités des grands groupes économiques, en encourageant et en soutenant certains secteurs de la production, comme la construction ou la production pétrolière, secteur dans lequel il avait le monopole, leur garantissant ainsi des revenus élevés3. Avant 1940, pendant que la classe dominante4 spéculait, le capital étranger investissait dans les secteurs moins rentables de l'économie argentine comme les chemins de fer (Sábato J., 1988 : 148).

2 Le fichier de l'entreprise publique depuis privatisée, Obras Sanitarias de la Nación, recensant toutes les constructions reliées au réseau d'eau, fournit pour chaque immeuble le nom du propriétaire et son plan avec le réseau. En principe, tout changement de propriétaire, toute nouvelle construction ou toute modification du réseau sont enregistrés. La constitution de ce fichier, ainsi que celle des fiches cadastrales, permettent de voir l'évolution de la structure de la propriété. Dans le quartier d'Alto Palermo, celle-ci a suivi le changement de physionomie du bâti urbain qui s'est densifié entre 1940 et 1980. 3 Ce que l'on a appelé la patria contratista pendant la dictature, où le phénomène a été particulièrement exagéré. 4 Nous reviendrons un peu plus loin sur le sens de l'utilisation de ces termes par certains auteurs comme J. Sábato et J. Schvarzer.

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La réforme financière de 1977, qui a introduit la libéralisation des taux d'intérêt, la dérégulation des marchés financiers et la monétarisation de l'économie5, puis l'ouverture commerciale progressive à partir de 1978, renforce le caractère attractif et spéculatif de l'immobilier.

Plusieurs facteurs expliquent la concentration des secteurs de l'immobilier et de la

construction : • Le facteur décisif de la constitution des grands groupes de construction et des

promoteurs, filiales de grands groupes économiques, est leur réorientation vers le secteur de la construction civile, devant la diminution de la demande publique en 1983. En effet, la construction publique qui représentait 59,3% des chantiers en 1977, n'en constitue plus que 34,7% en 1985 (Vitelli G., 1987). Plus généralement, comme on le verra plus loin, la modification des rapports entre le public et le privé, la reformulation du rôle de l'État et la remise en cause des politiques keynésiennes, le nouveau contexte économique font de l'immobilier et de la construction des secteurs attractifs pour les grands groupes économiques, malgré le relatif "marasme" de ces secteurs dans les années 80. La part du secteur de la construction dans le PIB passe de 7,1% en 1977 à 3,1% en 1985. Dans la capitale, alors que la demande de permis de construire a connu des niveaux-records en 1978 et 1979, à la suite du report de l'entrée en vigueur du nouveau code d'aménagement de la ville, très malthusien, elle a chuté en 1981 (après la crise financière de 1980), a stagné jusqu'en 1990, avant de remonter en 1991 (Dirección de Estadísticas de la MCBA6). Mais ce sont les petites et moyennes entreprises de construction qui disparaissent ou sont absorbées.

• L'intérêt pour le secteur immobilier, secteur jusqu'ici très peu concentré, en est

renouvelé, dans un contexte de très grande diversification des formes d'investissement (Clichevsky N., 1990a : 289-291) et de forte inflation. L'immobilier est soutenu par le développement du secteur financier à partir de 1975-1976 et par l'incorporation croissante de

5 Les principales mesures de la réforme financière de 1977 sont : - la libéralisation des taux d'intérêt et l'annulation des possibilités de contrôle direct de la Banque Centrale de la République Argentine (BCRA) sur le marché du crédit bancaire, - la dérégulation concernant l'ouverture de succursales et d'institutions financières, - l'élimination progressive du contrôle du marché des changes. 6 Les données statistiques des permis de construire fournies par la MCBA (Dirección Municipal de Estadísticas à partir des données de la Dirección General de Fiscalización, Obras y Catastro du secrétariat à l'urbanisme -en 1989-92-) demandent cependant des précautions d'utilisation : elles concernent les demandes de permis de construire et non la construction réelle qui est enregistrée par la Dirección General del Patrimonio Urbano du secrétariat à l'aménagement urbain pour le calcul de l'assiette fiscale. D'autre part, jusqu'en 1989, les statistiques comprenaient également les permis correspondant à la légalisation des constructions illicites, ce qui faussait la réalité de la construction.

197

inanciers, suscitant des besoins d'investissement.

ent

1.3. Le développement de la promotion immobilière commerciale

la différence de ce qui a pu se passer dans d'autres pays, la spécialisation dans la const

squ'en 1992, la construction d'un shopping center est restée pour les promoteurs une opéra

capital financier dans les activités des grands groupes économiques qui rachètent et créent des filiales bancaires et des établissements f

• Le marché se déplace des segm s populaires vers les segments aisés (Ószlak O.,

1991 : 38 ; Clichevsky N., 1987, 1992). La disparition du marché des lotissements populaires dans le Grand Buenos Aires sous l'effet de la mise en place d'une législation urbaine et foncière stricte en 1977, mais aussi de celui du logement des classes moyennes, en raison de la réduction des salaires et de la diminution de leur pouvoir d'achat, ont en effet pour conséquence de tourner l'immobilier urbain vers le logement de standing, très lucratif, impulsant le mouvement de gentrification de certains quartiers de Buenos Aires. Les faillites en cascade des petites et moyennes entreprises de la construction, touchées par la rétraction des marchés traditionnels de la construction civile, entraînent une concentration du secteur de la construction, à travers un vaste mouvement de fusions et de rachats, tandis que la vague de grands travaux publics, notamment l'édification des autoroutes urbaines dans la capitale pendant la dictature favorise les grandes entreprises de la construction.

Àruction de centres commerciaux n'est pas, en général, une opération de diversification de

l'activité des promoteurs déjà constitués à la recherche de nouveaux débouchés. La promotion commerciale souligne une rupture sur laquelle nous reviendrons. De par leur taille, les shopping centers engagent des investissements lourds qui nécessitent l'intervention d'un capital de circulation spécifique et donc d'investisseurs et de financeurs extérieurs. La multiplication des tours de logements, des hôtels de luxe, et des shopping centers font l'objet d'opérations de promotion immobilière d'envergure, toutes trois significatives du mouvement d'internationalisation de Buenos Aires. De grandes entreprises de construction comme Eugenio Grassetto SA, Kocourek, Gerlach Campbell, mais surtout l'une des plus importantes, SADE du groupe économique Pérez Companc (sur lequel on reviendra), ont construit les shopping centers, représentant un volume élevé de travaux (Spinetto, Abasto, Galerías Pacífico, Unicenter).

Jution isolée. Après des débuts balbutiants liés en partie à l'instabilité économique

conjoncturelle et à l'épisode hyperinflationniste de 1989-90, les promoteurs commerciaux ont évolué de l'amateurisme vers un certain professionnalisme. Au départ, par exemple, la construction de shopping centers constituait un mode de valorisation opportuniste de terrains acquis (La Plaza, Sur, Alto Palermo), et les opérations étaient réalisées au coup par coup avec

198

partir de 1991 / 1992, où la situation économique s'est améliorée, certains promoteurs ont c

une bonne dose d'intuition. La recherche de terrains n'était donc pas une fonction majeure de l'activité des promoteurs. Les enquêtes réalisées auprès des administrations des shopping centers montrent aussi que les études de faisabilité, d'implantation (évaluation de la potentialité commerciale du site), de marché (évaluation du chiffre d'affaires à partir du chiffre présent des commerçants, du taux de pénétration et du profil des ménages résidant dans l'aire de chalandise7) et de programmation commerciale sont loin d'avoir été systématiquement réalisées, et souvent dans la plus parfaite improvisation, sans qu'il ne soit fait appel à un cabinet spécialisé8. La publicité et la promotion sont restreintes, mises en place tardivement et avec un budget insuffisant. Les études de programmation commerciale (définition de l'enveloppe de surface, élaboration de l'assortiment, choix des "locomotives" structurant le centre commercial qui doit se faire le plus en amont possible) donnent aussi lieu à une subtile improvisation non exempte d'erreurs, soit dans le tenant mix et l'organisation spatiale du centre commercial (cas de Spinetto dont le plan n'accroche pas le client, la "locomotive" ne jouant pas son rôle), soit dans le décalage entre la clientèle-cible et la programmation commerciale (Soleil, Paseo Alcorta9). Les entretiens avec l'un des principaux cabinets spécialisés en architecture ont révélé que les aspects économiques et financiers du choix des matériaux et des technologies n'ont pas été pris en compte dans le calcul des charges. L'inflation dans le montant de l'investissement entre 1986 et 1991 et la course à l'excellence n'ont pas tenu compte des conditions particulières du marché argentin.

Àommencé à réinvestir les bénéfices dégagés dans la construction d'autres shopping

centers et à avoir une véritable politique d'acquisition foncière. La reproduction de l'opération a cependant ses limites, car le marché est beaucoup plus étriqué que dans les pays développés, en raison du faible pouvoir d'achat global de la population. Comment les comportements des acteurs économiques se manifestent-ils dans le cas de la promotion immobilière commerciale? Quelle est la part du risque pris dans la construction d'un shopping center, dans un contexte caractérisé par une succession de périodes d'hyperinflation et de stabilité ?

7 En France, on se base sur les comptes de la Nation pour le taux de pénétration. Il est vrai qu'en Argentine, il n'existe aucune source ad hoc. 8 Sur les douze centres commerciaux enquêtés, parmi ceux qui ont donné une réponse (onze), quatre n'en ont pas effectué, deux ont réalisé eux-mêmes l'enquête de marché, et cinq ont fait appel à un cabinet d'études spécialisé. 9 Paseo Alcorta est un archétype de shopping center réalisé avec un mélange de professionnalisme (appel aux plus grands spécialistes en la matière) et d'improvisation. L'architecte R. Lier raconte les péripéties de l'histoire du shopping : de multiples avant-projets, deux projets, l'acquisition de nouvelles parcelles et l'association avec Carrefour ayant complètement modifié les formes et la taille du projet initial qui est passé de 27 500 m² de superficie totale à 105 000 m² ! La construction du bâtiment avait même débuté, quand la société d'hypermarchés d'origine française est intervenue. Les fondations ont été détruites puis reconstruites. Au total, ce sont six ans de gestion du projet, des valses-hésitations et des incertitudes, qui ont dû peser très lourd dans le coût final de Paseo Alcorta.

199

Comment les acteurs économiques s'adaptent-ils à ce contexte ? Les promoteurs commerciaux ont-ils les mêmes intérêts dans la construction de shopping centers ?

200

2. L'organisation interne des promoteurs

2.1. Identification des principaux promoteurs commerciaux

Ces tableaux seront commentés dans les paragraphes ultérieurs. Les sigles utilisés sont

expliqués. Tableau n° 6 : identification des principaux acteurs des centres commerciaux inaugurés

avant 1993 (propriétaire du foncier / du bâti, promoteur, principaux investisseurs).

opération Propriétaire du foncier / du bâti

promoteur investisseurs identifiés

Sur B. Fernandez Beferma SA B. Fernandez Soleil Carrefour Arg

SA - Carrefour Arg. SA.

Patio Bullrich Maccarone Bullmaco SA Maccarone Spinetto 1 (1) MCDBA SA,

EHO EHO, Bernstein EHO, MCDBA SA

Spinetto 2 (1) MCDBA SA, S. Llaneza

Silvino Llaneza et Hijos

Silvino Llaneza e Hijos

Unicenter Cencosud SA Cencosud SA Cencosud SA Golden Shopping D. Oikenitzky Golden SRL D. Oikeniztky La Plaza Felipe Kompel La Plaza SA F. Kompel Alto Palermo SADE, Pérez

Companc APSSA Perez Companc

Invershop SA Plaza Liniers Otto Garde Otto Garde SA Otto Garde Galerías Pacífico Ferrocarriles

Argentinos. Galerías Pacífico SA

Alvear SA (3) et autres

Paseo Alcorta F. et C. Narvaez (2)

New Shopping SA

Inversora Steuer, Otesa SA,Vilca SA

(1) Spinetto a été aménagé par EHO, et est resté la propriété de la coopérative jusqu'en 1992, année où le centre commercial a été concédé puis vendu à S. Llaneza. (2) Il semble que les frères de Narvaez, qui détiennent les postes-clés de l'administration du shopping center, soient à l'origine du projet de Paseo Alcorta. Les trois investisseurs sont l'Inversora Steuer du groupe Casa Tía, Otesa SA de Chacofi, qui appartient à Sergio Tonconogy, et Vilca SA, propriétaire de PumperNic (chaîne nationale de restauration rapide) et propriété de Alfredo Lowenstein, dont la famille a été propriétaire de la station de ski Las Leñas à Mendoza. (3) Alvear SA est une chaîne hôtelière dirigée par les hommes d'affaires Mario Falak et David Sutton, dont le fleuron est l'Alvear Palace à Buenos Aires.

Tableau n° 7 : identification des principaux acteurs des centres commerciaux inaugurés

en 1993-1994 (l'information est incomplète)

201

opération Propriétaire du

terrain / bâti promoteur investisseurs

identifiés Adrogué Plaza ? Sibam SA ? Lomas Mall ? ? ? Lomas Center Cencosud SA Cencosud SA Cencosud SA Moreno Shopping Center ? ? ? Morón Shopping Center ? Carrefour SA ? Alto Avellaneda Municipalité

d'Avellaneda Dumside SA APSSA

Tren de la Costa Soldati (ex-FEMESA)

Sociedad Comercial del Plata

Soldati (Sociedad Comercial del Plata)

Buenos Aires Shopping Center. Argentierras SA El Dorado SA H. et H. Schvartzman

Plaza del Pilar MCBA ERSA APSSA et COMACO (1)

Parque Almirante Brown Factory Cencosud SA Cencosud SA Cencosud SA Quilmes Shopping Center ? Carrefour SA Carrefour SA (1) La COMACO est une société contrôlée par le groupe Pérez Companc.

Tableau n° 8 : identification des principaux acteurs des shopping centers abandonnés ou encore en suspens

opération Propriétaire du

foncier / du bâti promoteur investisseurs

identifiés Paseo Colón ? Paseo Colón

SA Zorraquín, Obras Civiles SA, Robirosa

Barrancas Shopping Center

Ferrocarriles Argentinos

Conjunto Barrancas SA

Banco Mayo Carlos Chebterrab SA (2)

Abasto 1 (1) SAMAP SAMAP SAMAP Abasto 2 (1) SAMAP et EHO EHO EHO et SAMAP Abasto 3 (1) IRSA IRSA IRSA, SAMAP et

investisseurs arabes (1) Abasto 1 : premier projet de centre commercial et culturel (1984-86) Abasto 2 : deuxième projet de centre commercial (1987-91) Abasto 3 : troisième projet de centre commercial (1994-...) (2) Carlos Chebterrab est le principal représentant du projet de Barrancas de Belgrano et le représentant de Conjuntos de Barrancas SA.

Tableau n° 9 : secteur d'activité du promoteur et des investisseurs des shopping centers

inaugurés avant 1993

202

opération secteur d'activité du promoteur

secteur d'activité des investisseurs

origine du capital du promoteur

origine géographique

Sur "affaires" ? patrimonial national Soleil distribution ? (1) financier international Patio Bullrich construction ? patrimonial national Spinetto 1 distribution distribution coopérative national Spinetto 2 distribution ? patrimonial national Unicenter distribution ? financier international Golden Shopping

construction construction patrimonial national

La Plaza construction immobilier patrimonial national Alto Palermo G.G.E. horlogerie,

immobilier financier national

Plaza Liniers immobilier ? patrimonial national Galerías Pacífico

immobilier, hôtellerie

? financier national

Paseo Alcorta distribution restauration, construction

financier national

(1) 35% des actions de Carrefour Argentine SA est détenu par le groupe Pérez Companc. Quel est donc son degré d'implication dans le centre commercial Soleil?

203

Tableau n° 10 : origine du capital des promoteurs des shopping centers inaugurés en

1993-1994, en construction ou abandonnés opération origine du

capital du promoteur

origine géographique

secteur d'activité

Lomas Center financier international distribution Alto Avellaneda (1) financier national G.G.E. Tren de la Costa financier national G.G.E. Buenos Aires Shopping Center patrimonial national immobilier,

construction Plaza del Pilar financier national G.G.E. Parque Almirante Brown Factory financier international distribution Barrancas Shopping (2) financier national banque Paseo Colón (3) financier national G.G.E. Abasto 1 (4) financier national G.G.E. Abasto 2 (5) coopérative national distribution Abasto 3 (6) financier international finance (1) L'inauguration, prévue pour 1994, a été repoussée. (2) Le projet avait été présenté en 1990. (3) Le bâtiment a été aménagé en 1992-93, mais le projet a été abandonné. (4) Le premier projet s'est élaboré entre 1984 et 1986. (5) Le deuxième projet s'étend entre 1987 et 1991 (6) L'ancien marché a été racheté fin 1993. L'inauguration du shopping center est prévue pour 1997.

Identification des sigles utilisés : APSA : Alto Palermo SA APSSA : Alto Palermo Shopping SA COMACO (Compania de Mandatos y Comisiones) dont le président est l'un des directeurs de Pérez Companc. La COMACO possède 50% du capital, les 50% restant étant entre les mains de APSSA. CSI : Compania de Servicios Inmobiliarios EHO : El Hogar Obrero ERSA : Emprendimientos Recoleta SA F.A. : Ferrocarriles Argentinos FEMESA : Ferrocarriles Metropolitanos SA (il s'agit d'une société créée en vue de la privatisation des lignes de chemin de fer et de métro de l'agglomération de Buenos Aires). G.G.E. : grand groupe économique MCBA : Municipalidad de la Ciudad de Buenos Aires MCDBA SA : Mercado Ciudad de Buenos Aires SA

2.2. Niveaux d'autonomie et d'intégration fonctionnelle

204

L'analyse du système de financement porte sur l'origine des capitaux et sur l'articulation des différentes sources d'investissement : le capital est-il d'origine patrimoniale / financière / coopérative10, international ou local ; quelle est la part des capitaux propres, du financement. L'intégration des fonctions définit le système de production et dépend beaucoup du secteur d'activité originel du promoteur. On s'intéressera spécialement au financement, qui est l'une des fonctions importantes de la promotion immobilière.

2.2.1. Nature et composition du capital a) L'origine du capital du promoteur et des investisseurs Les promoteurs de taille petite ou intermédiaire ont un capital d'origine patrimoniale,

tandis que les plus importants (Soleil, Spinetto, Unicenter, Alto Palermo, Galerías Pacífico et Paseo Alcorta) ont un capital d'origine financière, bien que la différence reste parfois ténue. Contrairement aux États-Unis où l'État a imposé au début du XXème siècle une législation anti-trust, et de la France où s'est constituée une classe technocratique de gestionnaires, en particulier à travers les nationalisations d'entreprises qui ont contribué à l'ouverture du capital financier et industriel et à la séparation entre l'administration d'une société et la propriété du capital social, le capital argentin est très concentré et conserve un caractère encore très familial. La présidence des conseils d'administration des grands groupes économiques est encore détenue par les descendants de leurs fondateurs, à la manière des grands groupes économiques d'Italie dont sont très souvent originaires ces derniers. Quant aux sociétés de distribution, elles ont toujours été à caractère familial, la pénétration du secteur par les multinationales étrangères étant un phénomène récent.

La nature et l'origine du capital des investisseurs est beaucoup plus difficile à

déterminer. La composition du capital des sociétés promotrices est mal connue. Les informations dont nous disposons permettent d'affirmer que les investisseurs proviennent des mêmes secteurs d'activité que ceux des promoteurs (distribution, construction, immobilier). Par exemple, le capital de la société Galerías Pacífico SA compterait des actionnaires importants dont le nom n'est pas divulgué, M. Falak et D. Sutton n'étant que deux prête-noms de celle-ci. Quant aux informations sur les financements bancaires, elles filtrent peu. La part des capitaux propres dans le système de financement est d'autant plus importante que le centre commercial est de petite taille, et vice-versa.

10 Selon la distinction établie par C. Topalov (1974) entre le capital patrimonial et le capital financier, le premier étant détenu plutôt par des personnes physiques, tandis que le second est la propriété d'une personne morale.

205

ion d'étude technique (architecture et maîtrise d'œuvre),

e commercialisation (location / vente des modules commerciaux),

b) L'origine géographique du capital Le capital des sociétés promotrices des shopping centers est majoritairement national, et

minoritairement international, bien que les sociétés à capital étranger (Carrefour Argentina SA et Jumbo) aient eu un rôle primordial dans la modernisation et l'évolution des formes commerciales, et que la part du capital étranger ait eu tendance à augmenter depuis 1991, aussi bien dans le secteur de la distribution que dans celui de la promotion immobilière, le marché argentin apparaissant comme potentiellement attractif à l'échelle mondiale. Huit shopping centers sont ainsi la propriété de deux groupes à capitaux majoritairement étrangers, d'origine française pour Carrefour (trois shopping centers, ainsi que l'hypermarché de Paseo Alcorta) et germano-chilienne pour Cencosud SA (cinq shopping centers). L'investissement de capitaux étrangers dans des shopping centers est un phénomène assez récent. Le capital d'IRSA, qui a racheté fin 1993 la part d'El Hogar Obrero dans la SAMAP, société propriétaire du marché d'Abasto (soit 75,35% des actions de la SAMAP11), afin d'y aménager un outlet mall factory, est détenu par le milliardaire américain George Soros. IRSA a finalement trouvé comme partenaires financiers des investisseurs d'Arabie Saoudite12. Le marché immobilier (et financier) argentin qui offre des taux de rentabilité élevés depuis 1991 attire les capitaux internationaux "flottants" à la recherche de placements intéressants.

2.2.2. L'articulation et l'intégration fonctionnelle La fonction de promotion est au centre du processus de production des centres

commerciaux, mais d'autres fonctions ne sont pas annexes dans le contexte local. L'articulation des différentes fonctions qui composent le processus de production des centres commerciaux définit aussi les différents types de promoteurs. Elles sont :

• la fonction de promotion (dont la fonction de financement), • la fonct• la fonction de construction (gros œuvre et petit œuvre), • la fonction d• la fonction d'administration et de gestion.

11 La SAMAP, société propriétaire du marché d'Abasto, créée le 30/07/1889, avait comme un actionnaire majoritaire le grand groupe économique Bunge y Born (75% du capital social), auxquels s'ajoutaient de multiples petits actionnaires (environ 300), des petits intermédiaires dans le commerce de gros (source: Clarín, 19/01/94). En 1987, après une première concession pour 20 ans du marché, EHO avait acquis 65% puis 75% du capital de la SAMAP. L'histoire du marché d'Abasto sera détaillée plus loin. 12 D'autres opérations d'aménagement urbain bénéficient à Buenos Aires d'investissements de capitaux étrangers: notamment celles de l'ancien Port de Madero et des terrains désaffectés de la gare de Retiro.

206

te d

tion de romotion sur les autres et / ou la capacité de délégation des fonctions du promoteur,

teur et donc le plus souvent de son secteur d'activité originel. rch

centra

commprom programmation commerciale, projet architectural, gros œuvre, comm

n de certaines fonctions à travers le recours à des cabinets de consultants et d'experts extérieurs, notamment pour le marketing et la publicité, pour

(la Plaza, Plaza Liniers, Paseo Alcorta). Le gérant d'Alto Palermo reconnaît les difficultés de la construction en période de tourmente financière :

Deux variables entrent en comp ans la caractérisation de l'articulation entre les fonctions :

• le contrôle du processus de production qui implique la domination de la foncp• l'intégration du processus de production qui dépend de l'intégration des activités du promoEn raison de la volatibilité du ma é, la fonction de financement, en particulier, est le dans le processus de production. Dans le tableau n° Q de l'annexe n° 3, nous n'avons retenu que certaines fonctions e indicatrices du degré de contrôle du processus de production et d'autonomie des

oteurs (marketing, ercialisation, gestion, sécurité et nettoyage du centre commercial). Si on constate

aujourd'hui une tendance à l'externalisatio

l'élaboration du projet architectural, de la programmation commerciale, et pour la fonction de commercialisation, ou à des sociétés de services spécialisées pour le nettoyage et la sécurité, la maîtrise de certaines fonctions centrales au processus de production comme la construction peut s'avérer importante dans le contexte économique inflationniste argentin. Les petits promoteurs ont tendance à internaliser les fonctions de service, mais aussi dans certains cas les fonctions de gestion et de commercialisation, afin de réduire les coûts de fonctionnement et selon leur secteur d'origine (construction, immobilier), tandis que les autres fonctions comme la construction sont externalisées ou déléguées (selon le secteur d'activité originel). Les grands promoteurs externalisent les fonctions annexes (les services) et les fonctions dans lesquelles ils n'ont pas de compétence spéciale (commercialisation des locaux, architecture, etc.) mais gardent la maîtrise des fonctions centrales (construction, gestion). D'autres cas sont intermédiaires.

Le système de financement structure l'organisation du promoteur et en détermine

grandement la marge de manœuvre. La maîtrise du financement et le respect du cahier des charges sont essentiels en période de forte inflation. L'arrêt ou le retard des chantiers peuvent peser lourdement sur les coûts financiers. Or, le chantier de certains shopping centers s'est effectué en pleine hyperinflation

"l'investissement originel aurait dû être moins élevé,

mais, en raison des soubresauts de l'économie, le

centre commercial a coûté plus cher" (Buenos Aires Herald, 26/10/90).

207

des banqu rs, peu o tions du m ilibrent globalement leurs activités, tandis que les activités des petits prom ent dépendantes de l'évolution des principaux indicateurs écono

La marge de liberté des promoteurs associés à des grands groupes économiques ou à es et sociétés d'investissement est beaucoup plus grande que celle des petits promoteuu non intégrés. Ces premiers se prémunissent mieux contre les éventuelles fluctuaarché et équoteurs sont plus étroitemmiques13.

Graphique n° 1 : une conjoncture économique instable. Évolution parallèle des coûts de la vie et de la construction et des taux d'intérêt annuels entre 1979 et 1991

0

500

1000

1500

2000

2500

3000500

3500

4000

1979

1980

1981

1982

1983

1984

1985

1986

1987

1988

1989

1990

1991

année

taux

d'in

flatio

n an

nuel

(%)

0

100

200

300

400

600

taux

d'in

térê

t ann

uel (

%)

IPC

IPCC

INTERET

Source : pour l'indice des prix à la consommation (IPC) et l'indice des prix de la construction (IPDC),

INDEC, et pour les taux d'intérêt, BCRA.

Le financement bancaire a été rare jusqu'en 1991-1992. Pendant les années

'hyperinflation, où les taux d'intérêt étaient dissuasifs, les groupes propriétaires de filiales banca

uis avril 1991, les taux d'intérêt ayant baissé (entre 12 et

dires, ont eu des facilités de recours au financement bancaire à un coût supportable, ce

qui constitue un atout de taille. Dep

13 En 1989-90, en fonction du type de contrat passé entre le maître d'ouvrage et le constructeur, les contrats pouvaient être renégociés, les paiements devenir journaliers, le prix des matériaux était converti en dollars, tandis que les salaires, indexés en fin de mois, restaient calculés et versés en monnaie locale. Il s'agissait donc, pour le promoteur et le constructeur, de jongler entre ces différentes variables, quand la construction n'était pas purement arrêtée, parce que la spéculation financière s'avérait beaucoup plus rentable.

208

20% annuels pour les taux passifs en 1991-1992), le financement bancaire est plus courant. La ba

.2.3. Le secteur d'activité originel du promoteur et des investisseurs

es promoteurs des shopping centers proviennent de quatre secteurs d'activité principaux :

es promoteurs provenant du milieu des affaires sont des promoteurs occasionnels. Le capita

omme un investissement conjoncturellement rentable. Le promoteur de Sur, Bernardo Fernandez, est le type-même de l'entrepreneur-aventurier et opportuniste à la recherche de bons placements. Après avoir racheté les anciens entrepôts frigorifiques Swift à un pr

bilier : le capital de la société anonyme Invershop, propriétaire de 50% du capital d'Alto Palermo Shopping SA, est composé des apports de quatre hommes d'affaires prove

tue en effet un véritable groupe économique, avec ses 300 succursales dont 140 supermarchés Supercoop, ses usines agro-

nque Rio du groupe Pérez Companc a ainsi financé plusieurs shopping centers (Alto Palermo, Patio Bullrich, Paseo Alcorta), Alto Palermo ayant en outre bénéficié des prêts de la banque de Valores, du même groupe. Golden Shopping aurait également reçu de prêts bancaires, d'après les propos de son propriétaire (mais ceux-ci sont douteux), et le Banco Credito Argentino a financé la construction du centre Paseo Colón.

2 L

• Les "affaires". Ll de leur société est d'origine patrimoniale et familiale. Le shopping center apparaît

avant tout c

ix assez bas, il y a d'abord installé un concessionnaire d'automobiles, avant d'y aménager un shopping.

• Les secteurs plus traditionnels de l'immobilier et de la construction. Il s'agit en général d'entreprises immobilières et / ou de construction de taille petite ou

moyenne. Les investisseurs, comme les promoteurs, proviennent aussi fréquemment du secteur immo

nant des secteurs de l'horlogerie et de l'immobilier. • Le secteur de la distribution est le plus représenté, soit sous la forme intégrée

capitaliste, soit sous la forme intégrée coopérative. Leur comportement obéit aux mêmes logiques marchandes. La coopérative centenaire El Hogar Obrero, fondée en 1905 par l'un des premiers socialistes argentins, Juan B. Justo, consti

209

alime

es (pétrole, chimie, activités métallurgiques et mécaniques et nucléaire) puis aux services urbains et aux infras

ogénéité du groupe dominant (op. cit.), d

stallées entre 1946 et 1957), et qu'

ntaires, ses bibliothèques, ses banques et ses quelques 200 logements et bureaux14. Elle était propriétaire de 50% du capital de la société Mercado Ciudad de Buenos Aires SA jusqu'en 1992, et de 75% du capital de la SAMAP jusqu'en 1993. Les deux principales sociétés de grande distribution intervenant dans la construction de shopping centers sont Carrefour et Cencosud SA, comme nous l'avons déjà signalé à plusieurs reprises.

• Enfin, les grands groupes économiques constituent en Argentine le dernier type. La

construction de shopping centers s'inscrit dans des stratégies globales de diversification et / ou intégration de leurs activités. Celles-ci se sont accentuées, entre 1976 et 1980, en s'étendant aux secteurs des biens intermédiaires liés aux investissements étatiqu

tructures d'équipement à partir de 1989, à travers la privatisation des entreprises publiques nationales et la concession des services publics.

Si J. Schvarzer et J. Sábato montrent que la diversification des activités des groupes dominants dans des secteurs comme l'immobilier, la construction, la finance et le commerce depuis la deuxième moitié du XIXème siècle est caractéristique de la conjonction historique entre le comportement spéculatif des acteurs économiques et l'instabilité économique conjoncturelle, et font pour cette raison l'hypothèse de l'hom

'autres auteurs insistent au contraire sur son hétérogénéité. D'après les diverses typologies établies par P. Ostiguy (1990) ou D. Azpiazu, M.

Khavisse et E. M. Basualdo (1988), on peut distinguer plusieurs sous-groupes. P. Ostiguy établit deux distinctions : d'une part, entre l'oligarchie terrienne dont les activités s'inséraient dans le modèle agro-exportateur (avant 1930), et la bourgeoisie nationale capitaliste issue de la deuxième phase du modèle de substitution aux importations (in

il appelle "capitaines de l'industrie"15 ; d'autre part, entre les groupes qui possèdent des filiales bancaires et ceux qui n'en ont pas. D. Azpiazu, M. Khavisse et E. M. Basualdo différencient également les grands groupes traditionnels et les groupes diversifiés et / ou intégrés (nationaux ou non) qui ont étendu leur champ d'intervention aux activités financières et bancaires, absorbant et créant banques et institutions financières dans les années 70-80. Certains groupes ont ainsi une stratégie d'intégration verticale comme Pérez Companc, tandis que d'autres comme Bunge y Born ont articulé la production de biens intermédiaires et celle de biens de consommation. Les groupes plus traditionnels sont restés à l'écart de la patria

14 Il existe dans le monde d'autres cas de puissantes coopératives promotrices de centres commerciaux: en particulier, celui du mouvement Desjardins, propriétaire d'un réseau de banques, de logements, etc., qui a financé à Montréal le complexe éponyme. 15 P. Ostiguy souligne néanmoins qu'il faut veiller à ne pas faire une assimilation historique trop rapide entre les capitaines de l'industrie et la bourgeoisie nationale des années 30.

210

d'Abasto jusqu'en 1987 et concessionnaire de la vente de produits agricoles en gros jusqu'en 1980.

s grands conglomérats argentins, créé en 1947. En 1988, P. Ostiguy décrit le groupe Pérez Companc comme "le groupe économique le plus important, de par s

contratista et n'ont pas connu la même croissance, en particulier en ce qui concerne l'intégration d'activités financières, leur concentration et leur participation aux privatisations.

L'investissement des groupes traditionnels dans les shopping centers se justifie surtout

dans la mesure où celui-ci est lié à des branches qu'ils contrôlent, en particulier, l'agro-alimentaire. C'est le cas pour Bunge y Born, principal actionnaire de la SAMAP, propriétaire

Si Bunge y Born ne possède pas de filiales bancaires, il est propriétaire de sociétés d'investissement et de compagnies d'assurances. Le projet commercial et immobilier d'Abasto lui a sans doute permis de rentabiliser son patrimoine immobilier désaffecté, à la suite de la création du Marché Central de Buenos Aires. L'immobilier est en Argentine un secteur de réinvestissement des profits tirés d'activités productives, comme on l'a vu. Le cas est un peu différent pour le groupe Garovaglio y Zorraquín, l'un des principaux investisseurs de Paseo Colón, à la fois centre de congrès spécialisé dans les activités agro-exportatrices et agro-alimentaires et centre commercial. Le contenu même du projet était directement lié à son secteur privilégié d'activités.

Pour le second sous-groupe, la construction de shopping centers s'inscrit dans une

stratégie plus globale de diversification et d'intégration d'activités nouvelles. C'est le cas pour Pérez Companc, l'un des plu

a taille et les intérêts qu'il possède dans le secteur financier, comme dans le secteur industriel. Ce groupe est propriétaire de la banque Rio, la banque privée actuellement la plus grande [en Argentine]" (op. cit. : 244). Pérez Companc sort dès 1976 de son domaine d'intervention traditionnel, le pétrole, en rachetant le Banco Rio de la Plata en 1976, puis le Citicorp en 1980, en s'imposant dans les secteurs de la construction (avec le rachat de SADE à SADE Italie en 1976) et de l'immobilier, avec le rachat (ou la création?) d'Alto Palermo SA en 1981, et en étendant ses activités à l'informatique à travers son association avec Pecom-Nec, ainsi qu'à la distribution avec l'entrée dans le capital de Carrefour Argentine dans les années 80 (25%, puis 35% du capital social jusqu'en 1994). Le mouvement de privatisations est aussi pour le groupe l'occasion de poursuivre sa politique de diversification16. En 1994,

16 Pérez Companc possède des parts de capital (directement ou indirectement) dans Telecom Argentina, Telefonica, Areas Centrales Puesto Hernandez et Santa Cruz II (YPF), Edesur, Central Costanera (partie de la production de l'électricité de l'ancienne SEGBA), Ferroexpreso Pampeano, est concessionnaire de routes nationales, et est associé aux Japonais de Intercontinental pour la construction de l'hôtel 5 étoiles Intercontinental. C'est l'un des groupes qui a le plus bénéficié, avec Techint, le holding SOCMA du groupe Macri, et le groupe Soldati, des privatisations.

211

e groupe Soldati, associé à la multinationale suisse Brown Boveri, est aussi l'un de ceux

érez Companc et Soldati ont d'ailleurs des stratégies similaires : pour répondre à des appel

a diversité des acteurs et de leur intérêt dans la construction de shopping centers est étend

sont potentiellement capables de maîtriser.

Alto Palermo SA, filiale de SADE, était promoteur de trois shopping centers (Alto Palermo, Plaza del Pilar, Avellaneda Shopping Center)17.

Lqui a connu la plus importante diversification à la fin des années 80. Brown Boveri,

installé en Argentine dans les années 20, orienté à l'origine vers la production pétrolière, a développé très tôt ses activités dans le secteur de la construction, avec la création en 1927 de la Sociedad del Plata, puis plus tard dans les années 60 dans la finance (Cigade SA, Arfin SA, Instituto Financiero Americano SA) et a poursuivi son intégration, en développant ses compétences dans les domaines de l'immobilier et de la construction. À partir de 1989, elle s'est associée à d'autres groupes en acquérant des parts de Telefonica Argentina et de Ferroexpreso Pampeano. Le rachat de la ligne Mitre-Borges à la suite de la privatisation de l'entreprise nationale de chemin de fer Ferrocarriles Argentinos (FEMESA) a été l'occasion de la relancer et de la rentabiliser en aménageant un festival market center dans les onze gares de style anglais dont une première partie devait être inaugurée fin 1994 (source : Negocios, n°17, oct. 1992).

Ps d'offre publics, ils s'associent à des opérateurs extérieurs et à des capitaux étrangers,

sous la forme de joint ventures, pour entrer dans des secteurs d'activité où ils n'ont pas au départ de compétence, comme les services ou la distribution18.

Lue. Des promoteurs de poids, outre ceux des traditionnels secteurs de l'immobilier et de

la contruction, sont promoteurs de shopping centers. Certains avaient déjà des activités dans la construction ou dans l'immobilier, mais les shopping centers représentent d'importants volumes de construction, que seuls les gros promoteurs, dont le degré d'intégration fonctionnelle des activités est élevé et qui possèdent des activités bancaires et financières,

3. La constitution de réseaux d'acteurs urbains

17 Cependant, Pérez Companc s'est désengagé d'une partie de ses activités liées au commerce. Il a revendu sa participation au capital social de Carrefour pour un montant de 34 millions de dollars (Libre-service Actualités, 28/04/94), et se serait également retiré d'APSA. Simple repli ou stratégie d'investissement? 18 Cette politique de diversification et de concentration financière est semblable à celle des grands groupes de construction européens (Spie Batignolles, Bouygues, en France, par exemple) qui ont investi dans les années 80 dans les services urbains.

212

capacité à s'insérer dans des réseaux et à les constituer, à mobiliser le capital et les compétences techniques nécessaires en s'adjoignant par ex maine est l'une des sources essentielles du pouvoir et l'un des éléments des stratégies des acteurs. Elle dépend en grande partie

3.1. Identification des autres acteurs privés de la production des shopping centers

e tableau récapitulatif sera commenté par la suite. ableau n° 11 : identification des acteurs liés à la fonction de promotion et exerçant

d'autres fonctions essentielles au processus de production des shopping centers

Les liens entre les acteurs contribuent à structurer des réseaux de pouvoir et d'échange à l'intérieur d'un système d'action local. La

emple les meilleurs experts et spécialistes dans un do

du poids du promoteur et de son degré d'organisation interne. En Argentine, coexistent plusieurs types de réseaux, qui empiètent les uns sur les autres : les réseaux relationnels (familiaux, amicaux ethniques), les réseaux techniques (liés à l'acquisition d'une spécialisation / d'une compétence dans un domaine spécifique), les réseaux professionnels (techniques et économiques), et enfin les réseaux politiques.

CT

opération architecture gros œuvre commercialisation promotion investisseurs, financeurs

Sur J.C. Lopez ? interne Fernandez B. Fernandez (1)

Soleil Pérez

J.C. Lopez Ing. Maccarone SA Fibesa SA Aranalfe SA

Carrefour Argentine

Carrefour,

SA Companc Patio Bullrich SA

J.C. Lopez Ing. Maccarone SA Fibesa SA Aranalfe

Maccarone Maccarone Banque Rio

Spinetto 1 genio Grassetto a SA A. Iglesias EuSA

Interterr EHO EHO, MCBASA

Spinetto 2 Pfeifer et Zurdo (2)

e ? ? Llaneza Hijos SA

S. Llaneza

213

Unicenter , Gerlach Campbell,

merica

SA R. Zietzke Puppos H., Kocourek

Testa H., Constr. Suda

interne Cencosud Cencosud SA

la Plaza del Valle sRo epa SA erne int Kompel Kompel Alto Palermo

J.C.Lopez SADE Fibesa SA Pérez

Invershop

APSA Companc,

Plaza Liniers

Cefayeta, Gonzalez,

terurban SA Aranalfe SA

O. Garde Otto Garde

Orlan

Coopint SA In

Galerías Pacífico

J.C.Lopez Eugenio Grassetto SA et Este Construcc.

SA Aranalfe SA Falak Alvear(Falak)

Alcorta R. Lier et A.

SADE, Chacofi SA, pbell (3)

interne Narvaez ,

A.Lowenstein, Banque Rio

Tonconogy Gerlach CamNarvaez, S.Tonconogy

Golden S. tszky Correspont La Porteña interne Oikeni D.Oikenitszky

Abasto 1 Facio et alii - - M. Hirsch SAMAP Abasto 2 Interterra SA EHO Iglesias SAMAP,

EHO Buenos Aires S.C.

Botto et El Dorado constr. e SA

El Dorado El Dorado Schneider inmobiliaria

Schvarzman

Barrancas S.C.

J.C.Lopez - - Chebterrab nque MayoBa

(1) A la suite d'une querelle entre B. Fernandez et J. C. Lopez portant sur le budget octroyé pour ux qui

ins és par les du

ans Juan Carlos Lopez y Asociados qui ont fondé leur propre aux associés de celui-ci.

hacofi est l'entreprise de construction de Sergio Tonconogy.

es réseaux interpersonnels sont souvent la base de la formation d'autres réseaux. Les pet type de réseaux, restant à l'écart des réseaux économiques, politiques et même professionnels. Paseo Alcorta est inséré à la fois dans économique : par exemple, Alberto Tonconogy, architecte de renommée nationale (cabinet Lier et Tonconogy), est le fils de l'un des trois inves

les travas'avéraitcentre comm(2) Pfeifer

uffisant pour les ercial.

et Zurdo, "tr

mener à terme, les travaux

fuges" du cabinet de

ont été achev deux gendres promoteur du

cabinet, étaient les princip(3) C

3.2. Constitution et fonctionnement des réseaux 3.2.1. Les réseaux interpersonnels L

its promoteurs sont essentiellement intégrés à ce

un réseau familial et un réseau

tisseurs, Sergio Tonconogy, qui est lui-même l'un des principaux constructeurs. En même temps, ce shopping center s'inscrit dans le réseau qui gravite autour de Pérez Companc.

214

grano, Alto Palermo, Galerías Pacífico, Buenos Aires Shopping Center).

de marché en expansion pour de nombreux acteurs (immobilier, bureaux d'études, cabinets d'architectes, entreprises de servic cialisation et l'appel à des consultants extérieurs ont permis la constitution de réseaux professionnels de production des shopping cente

r grâce au canal corporatiste de l'IASC. Son cabinet d'architecture, fondé en 1976, a commencé par la const

Ces réseaux familiaux ne déterminent cependant pas la capacité d'action du promoteur sur son environnement, mais sont plutôt significatifs du caractère familial de l'entreprise.

Les réseaux communautaires, juifs et arabes, bien implantés dans les secteurs du

commerce de gros et de l'immobilier, jouent également un rôle important dans la mise en relation des individus et des groupes (Golden Shopping, Barrancas de Bel

3.2.2. Les réseaux professionnels et techniques Les shopping centers constituent un nouveau segment

es aux entreprises...). L'acquisition d'une spé

rs. Pour certains d'entre eux, il ne s'agit que du prolongement de leur activité antérieure et d'une spécialisation : en architecture commerciale pour l'architecte J. C. Lopez qui construisaient déjà galeries et locaux commerciaux, dans la commercialisation pour les agences immobilières Aranalfe SA et Fibesa SA qui louaient déjà des surfaces commerciales. L'entreprise de gardiennage Search SA et l'entreprise de nettoyage Marubia SA, les premières à s'être spécialisées dans les centres commerciaux, ont la quasi-exclusivité du marché.

L'architecte J. C. Lopez est une figure intéressante d'une carrière fondée sur et par les

shopping centers. Chantre du postmodernisme architectural, J. C. Lopez a construit un centre commercial sur la Place Rouge de Moscou, sa renommée s'étant répandue à l'étrange

ruction et le réaménagement de locaux commerciaux dans le quartier de Once, pour des commerçants juifs et arabes. Cette expérience lui a permis non seulement d'acquérir un savoir-faire, mais aussi de se faire des contacts dans le milieu des affaires juifs et arabes de Buenos Aires, et par la suite, d'être engagé pour concevoir la majorité des shopping centers (les Galerías Pacífico et Falak, Barrancas de Belgrano Shopping Center avec C. Chebterrab et le Banco Mayo). Dans la deuxième moitié des années 80, J. C. Lopez passe à la vitesse supérieure : il est l'auteur de la réfection des grands magasins Harrod's, de celle de l'hôtel Alvear pour le compte de l'entrepreneur M. Falak, figure principale de Galerías Pacífico SA, et commence en 1986 sa première expérience avec les shopping centers en aménageant Sur à Avellaneda, puis en travaillant pour Carrefour sur le projet d'ajout d'une galerie commerciale à l'hypermarché de San Isidro. J. C. Lopez est l'auteur de sept shopping centers, auxquels s'ajoutent la participation à l'aménagement de Paseo Colón, la conception de l'hypermarché Carrefour de Paseo Alcorta et l'avant-projet de Barrancas de Belgrano. Il a aussi créé un

215

qui articule les réseaux économiques. Ces derniers sont structurés autour d'un nombre limité d'acte

cabinet de consultant spécialisé dans les shopping centers (évaluation des projets, études de localisation), et est lui-même propriétaire de plusieurs locaux commerciaux dans des shopping centers. J. C. Lopez est sans doute l'un de ceux qui poussent le plus loin la logique du réseau (voir graphique n° 2). Fin 1994, il avait aussi le projet de s'associer à Wal-Mart.

3.2.3. Les réseaux économiques C'est surtout, comme on l'a vu, la question du financement des shopping centers

urs-clés (graphique n° 2).

216

Graphique n° 2 : graphe des liens unissant les acteurs gravitant autour du groupe Pérez Companc.

217

Le principal réseau se bâtit autour du puissant groupe économique Pérez Companc et de sa banque, Rio del Plata. Celui-ci est intervenu directement d'une part comme propriétaire / investisseur et / ou comme promoteur par l'intermédiaire de ses filiales APSA et APSSA dans trois shopping centers, d'autre part comme financeur de deux autres opérations par le biais de sa filiale, la banque Rio, et enfin, indirectement comme actionnaire minoritaire de Carrefour Argentina SA. Au total, Pérez Companc possède des intérêts dans six shopping centers (Soleil, Alto Palermo, Plaza del Pilar, Alto Avellaneda, Patio Bullrich et Paseo Alcorta). L'architecte J. C. Lopez travaille de façon privilégiée mais non exclusive avec Carrefour (Soleil, Paseo Alcorta) et avec Pérez Companc (Alto Palermo, et indirectement Patio Bullrich, financé en grande partie par la banque Rio). L'entreprise de construction de Maccarone SA, après avoir été l'entreprise de gros œuvre du shopping Soleil, avec Carrefour et J. C. Lopez, est passée promoteur du Patio Bullrich, dessiné par l'architecte J. C. Lopez et financé par le Banco Rio. Les agences immobilières Aranalfe SA et Fibesa SA travaillent fréquemment avec J. C. Lopez (Soleil, Patio Bullrich, Alto Palermo, Galerías Pacífico).

Un second réseau, moins constitué que celui-ci, gravite autour d'El Hogar Obrero. Il

associe une architecte (A. Iglesias) un "promoteur-programmateur-commercialisateur" (J. Bernstein), un promoteur-investisseur (El Hogar Obrero) et une entreprise de construction (Eugenio Grassetto SA). Ayant tous travaillé sur la réhabilitation de Spinetto, ils ont aussi lancé le second projet d'Abasto. Cependant, ce réseau est plus limité, parce que plus ponctuel. La faillite de El Hogar Obrero l'a entièrement démantelé. Beaucoup plus qu'un véritable réseau, il s'agissait d'une équipe de travail. Bernstein, qui a élaboré plusieurs projets de shopping centers jamais aboutis, agit plus comme un électron libre isolé et joue le rôle d'intermédiaire.

3.2.4. Les réseaux politiques En Argentine, les réseaux politiques dont les supports sont économiques,

interpersonnels, professionnels, jouent un rôle central dans les négociations avec les acteurs institutionnels. Les réseaux locaux interfèrent souvent avec les réseaux nationaux en raison des liens tissés entre le pouvoir politique et le pouvoir économique. S'il est difficile de reconstituer les réseaux politiques entre les acteurs des shopping centers et les acteurs institutionnels, on ne peut qu'émettre des hypothèses, qui ne proviennent pas d'une enquête rationnelle mais d'indices relevant tantôt d'un simple lien familial, tantôt de liens communautaires et amicaux. Par exemple, la femme du maire de Buenos Aires entre 1989 et 1992 et la fille de C. Menem tiennent toutes les deux un local dans le centre commercial Paseo Alcorta, les propriétaires de la Banque Mayo, promoteur du centre commercial avorté de Barrancas de Belgrano appartiennent à la même communauté syrio-libanaise que C.

218

Menem, Mario Falak, l'un des investisseurs des Galerías Pacífico, est un des amis intimes de ce dernier ; E. Facio, architecte du premier projet pour le marché d'Abasto est un ami intime de F. Suarez Lastra, conseiller radical et futur maire de Buenos Aires, etc. Nous verrons plus loin, sur les cas de deux opérations particulières, comment fonctionne ce type de réseaux.

4. Typologie croisée des promoteurs et des shopping centers

4.1. Les différents profils de promoteurs

Plusieurs types de promoteurs se distinguent en fonction de leur degré d'organisation

interne et de leur degré d'intégration relationnelle. • Les petits promoteurs artisans qui exercent la fonction de promotion de façon

exclusive, contrôlant l'ensemble du processus de production, en raison du caractère familial de l'entreprise ou de leur secteur d'activités d'origine (construction, immobilier). Ce sont pour la plupart des promoteurs commerciaux occasionnels dont les capitaux sont d'origine patrimoniale mais qui pouvaient déjà avoir une activité antérieure dans la promotion immobilière (Sur, La Plaza, Golden Shopping, Plaza Liniers, Buenos Aires Shopping Center). Ils ont un faible degré d'intégration fonctionnelle et relationnelle. Le centre commercial est dans tous les cas le bijou de société et une affaire de famille : les proches du propriétaire et promoteur sont intégrés à l'équipe (gestion, marketing, architecture, etc.).

• Les promoteurs distributeurs, en raison de leur activité d'origine, délèguent la quasi-

totalité des fonctions à des prestataires extérieurs (construction, services, maîtrise d'œuvre), n'exerçant qu'un rôle de coordonnateur. Carrefour n'a pas créé de structure de promotion séparée comme en France. L'insertion des promoteurs distributeurs d'origine internationale dans des réseaux économiques (Pérez Companc pour Carrefour, réseau chilo-germanique pour Unicenter) leur permet de contrebalancer leur faible degré de contrôle sur l'ensemble du processus de la production des shopping centers. L'intégration relationnelle des promoteurs distributeurs internationaux passe par des négociations directes avec le gouvernement national (Carrefour et Jumbo en 1981-1982 et dans les années ultérieures). Le shopping center est un support important de l'hypermarché, ou, le cas échéant, ce qui est plus rare, du supermarché. Après des débuts heurtés, notamment dans le cas de Carrefour qui a eu des déboires avec Soleil, et depuis 1991 / 1992, les promoteurs distributeurs internationaux ont multiplié le nombre de leurs implantations dans l'agglomération de Buenos Aires. La stabilité a rétabli l'équilibre. Les profits dégagés par les promoteurs distributeurs proviennent plus de la distribution que de la "bicyclette financière", seule rentable en époque hyperinflationniste.

219

• Les promoteurs intégrés, filiales de grands groupes économiques. Ils contrôlent une grande partie de l'ensemble du processus de production, en particulier le financement, assurent eux-mêmes certaines fonctions en faisant appel à leurs filiales, et externalisent les services ou les fonctions (publicité, marketing, architecture) dont ils ne sont pas spécialistes à des sous-traitants. Le niveau d'intégration très élevé des groupes économiques, leur diversification, notamment dans les secteurs bancaire et financier (malgré les différenciations internes), leur permettent de mieux maîtriser le processus de production des shopping centers, d'acquérir le savoir-faire nécessaire et d'anticiper sur l'évolution socio-économique. Les liens étroits entre le pouvoir économique et le pouvoir politique, sur lesquels nous allons revenir, leur donnent une importante marge de manœuvre et une capacité élevée de pression sur l'environnement. Le prototype en est la filiale de Pérez Companc, Alto Palermo Shopping SA, qui contrôle presque entièrement le processus de production des shopping centers : le financement bancaire (les banques Rio et Valores), la gestion commerciale (Alto Palermo SA), la construction (les travaux de gros œuvre sont assurés par SADE).

• Les promoteurs associés intermédiaires : ils constituent des cas intermédiaires entre

les petits promoteurs artisans et les promoteurs intégrés, et ont un profil beaucoup plus ouvert. D'un côté, leur secteur d'origine assez varié (milieux des affaires, distribution, construction, immobilier, etc.) et le caractère éventuellement familial de leur entreprise leur permettent de contrôler une grande partie du processus de production (en particulier la construction), de l'autre, leur poids et leur niveau d'intégration fonctionnelle sont sans commune mesure avec celui des promoteurs intégrés. En particulier, ils maîtrisent moins bien le financement qu'eux. Mais grâce à leur niveau d'intégration relationnelle, plus précisément grâce à leur insertion dans des réseaux techniques, économiques et surtout politiques, ils compensent ce déficit. Ils peuvent ainsi bénéficier de prêts bancaires externes.

4.2. Les logiques socio-spatiales et économiques des promoteurs commerciaux

La lecture des cartes des principaux facteurs de localisation des shopping centers

présentées à la fin de la deuxième partie (cartes n° 21 à 23) permet d'éclairer le rapport entre les types de shopping centers et les principaux profils de promoteurs commerciaux, et est révélatrice des différentes stratégies spatiales des promoteurs.

Les petits promoteurs artisans, de par leur taille, investissent dans des galeries

marchandes d'influence locale et dans des shopping centers intermédiaires, pour lesquels le foncier est moins cher et les coûts de construction moins élevés. La Plaza, complexe

220

commercial et culturel implanté dans le centre élargi, constitue une "anomalie"19. Le profil socio-économique des quartiers dans lesquels les promoteurs artisans va de la catégorie moyenne ou inférieure de la classe moyenne (cas de Shopping Sur) à la catégorie supérieure de la classe moyenne (cas de Golden Shopping et de la Plaza). Les dimensions des shopping centers sont modestes.

Les promoteurs distributeurs investissent principalement dans des shopping centers de

type périphérique, en partie en raison des besoins en foncier dûs à la taille des hypermarchés et du faible coût du foncier. La formule outlet mall factory / galerie commerciale + hypermarchés + parc de stationnement privilégie la recherche de sites périurbains proches de voies routières majeures, dans des zones d'assez faible densité de population, où les terrains sont de grande taille et peu coûteux. Cette orientation majeure de la politique des promoteurs distributeurs n'empêche pas des implantations dans la capitale, plus rares dans des quartiers centraux (sauf Paseo Alcorta, où Carrefour n'est pas le promoteur), généralement dans des quartiers à pouvoir d'achat plus faible, en situation semi-périphérique (Parque Almirante Brown Factory). Les cas de shopping centers situés dans la zone centrale ou en bordure, et détenus par des promoteurs distributeurs, nationaux dans tous les cas (Spinetto et d'Abasto, propriétés d'El Hogar Obrero, puis de Sumo pour Spinetto) ne se sont pas reproduits. Depuis 1992, Carrefour et Jumbo ont multiplié, comme on l'a vu, les implantations dans la banlieue (se reporter à la carte n° 12). Carrefour réalisait un chiffre d'affaires de 7,6 millions de francs en Argentine en 1994 (Franco A., 1995).

Les promoteurs intégrés ainsi que les promoteurs associés intermédiaires investissent

principalement dans des shopping centers centraux, haut-de-gamme, prestigieux et d'influence régionale, dans des quartiers urbains denses, où la population dispose d'un pouvoir d'achat élevé. Ex-nihilo ou réhabilitations de bâtiments à forte valeur architecturale (Patio Bullrich, les Galerías Pacífico, la Recoleta avec Plaza del Pilar), les shopping centers dont ils sont propriétaires sont coûteux et plus luxueux. Les facteurs intervenant dans leur localisation sont principalement une accessibilité plurimodale (automobile, piétonne, transports en commun, privilégiant la complémentarité métro et bus), une forte densité résidentielle et un pouvoir d'achat élevé des ménages résidant dans l'aire d'influence immédiate. Alto Palermo, en particulier, bénéficie d'un site à très forte potentialité dans l'un des quartiers les plus denses de la capitale, de classe moyenne au pouvoir d'achat assez élévé, avec une accessibilité plurimodale. Les promoteurs intégrés et les promoteurs associés privilégient les implantations à proximité des voies à fort gabarit et à forte intensité de passage et sur les pénétrantes

19 Le promoteur du complexe a fait une bonne affaire immobilière en achetant cet ancien marché au début des années 80, à un coût assez faible.

221

(Libertador / Figueroa Alcorta pour Patio Bullrich, Plaza del Pilar et Paseo Alcorta), ainsi que sur les grandes avenues commerçantes (avenue Santa Fe pour Alto Palermo, avenue Corrientes pour la Plaza et Abasto).

Cette typologie croisée n'indique que des tendances à un moment donné, étant donné le

faible nombre de cas observés. APSSA a aussi investi en 1993-94 dans un shopping center moyen-de-gamme. La logique du capital, la formation de la valeur et du taux de profit qui dépendent de la vitesse de circulation du capital poussent en effet les promoteurs à rechercher de nouvelles implantations et à évoluer des quartiers à fort pouvoir d'achat vers les quartiers de classe moyenne.

Le marché des shopping centers, comme le reste du marché immobilier, présente un

caractère spéculatif. Ce dernier provient surtout des conjectures concernant la durée de retour sur investissement et les perspectives de croissance d'un marché nouveau. Les loyers comprennent, comme on l'a vu, une partie fixe et une partie indexée sur le montant des ventes, qui permet un retour sur investissement plus ou moins rapide. En Argentine, le promoteur conserve la gestion du shopping center, en assure l'animation, et loue les modules commerciaux. Le désengagement du promoteur et le transfert du centre, qui permettent la réalisation de bénéfices de promotion rapides et une rentabilité immédiate, favorisant la circulation du capital, constituent une exception. Garder la gestion du shopping center implique un retour sur investissement et une immobilisation des capitaux plus longs (7 à 8 ans en général, selon les spécialistes) et comporte de plus grands risques. En même temps, le rendement locatif indexé peut signifier des perspectives de croissance à plus long terme et des bénéfices en définitive plus élevés. Or, les promoteurs commerciaux ont souvent spéculé sur l'augmentation des loyers et des pas-de-porte.

Si Pérez Companc a réalisé des bénéfices rapides, attirant nombre d'investisseurs dans

la promotion commerciale, le bouclage de l'agglomération s'accélère, et nombreuses ont été les déconvenues. Les conditions financières instables, les potentialités plus réduites d'un marché très sensible à la conjoncture et l'évolution en dents-de-scie des ventes constituent des menaces pour la rentabilité des shopping centers. L'insertion dans un réseau professionnel, voire dans des réseaux économiques et politiques, ne suffit pas à maîtriser toutes les étapes de la production des centres commerciaux.

Pourtant, au moment où s'ouvraient de nouveaux shopping centers, certains, parmi les

premiers, connaissaient déjà des difficultés. Entre 1986 et 1992, trois shopping centers ont dû redéfinir complètement leurs orientations et leur politique commerciale (Soleil, Spinetto, Sur), d'autres les ont partiellement réorientés (Paseo Alcorta, la Plaza, Patio Bullrich), deux ont

222

connu de graves difficultés au moment de leur inauguration (Galerías Pacífico, Paseo Alcorta). Enfin, des shopping centers n'ont jamais vu le jour (Abasto, Paseo Colón). La faillite de la coopérative El Hogar Obrero s'explique en partie par les investissements téméraires qu'elle a réalisés dans la construction des centres commerciaux Spinetto et Abasto. Soleil et Spinetto ont eu dès 1991 des taux de vacance très élevés, jusqu'à 50% du nombre de locaux. Le repreneur de Spinetto, Silvino Llaneza, a lui aussi affronté une tourmente financière. Buenos Aires Shopping Center, situé dans un quartier où la population dispose d'un pouvoir d'achat moyen, n'a étrenné qu'une partie de ses locaux, à la suite d'une escroquerie financière, augurant mal de sa survie. Et le bâtiment réhabilité de Paseo Colón, mi-centre de congrès, mi-centre commercial spécialisé dans les activités agro-pastorales, était en vente en 1994. Finalement, Shopping Sur, en faillite, a dû déposer son bilan. Sur un ensemble de vingt-trois centres commerciaux ouverts, le bilan est assez lourd : dix ont été loin d'obtenir les résultats et les succès escomptés. Les promoteurs commerciaux ont sans doute un peu eu la folie des grandeurs, et les coûts de fonctionnement des shopping centers s'avèrent souvent trop élevés, en rapport avec les normes de consommation locales. Ils ont néanmoins diminué, ces dernières années, comme on l'a vu. Tous les centres commerciaux n'ont pas non plus été rentables en France ou aux États-Unis. La Toison d'Or à Dijon a connu quelques vacillements dûs à l'échec de son parc de loisirs. Le promoteur J. Rouse a perdu de l'argent sur l'opération de Seaport à New York, alors que les ventes étaient très élevées. Les coûts de fonctionnement l'étaient également trop (Frieden J., Sagalyn L., 1991 : 312).

Malgré ces déconvenues, d'autres shopping centers, comme on l'a vu, continuent à

ouvrir. La crise de Mexico n'a pas stoppé le mouvement, alors que la consommation était paralysée. La multiplication d'édifices luxueux qui induisent de très lourdes capacités d'investissement, dont on ne sait pas s'ils correspondent tous à une demande effective et dont la rentablité réelle semble douteuse, soulèvent des questions sur les autres fonctions des shopping centers, notamment sur leur lien avec le blanchiment des narcodollars. C'est sans doute un autre effet, local, de la mondialisation économique. Le rôle de pays comme l'Argentine et l'Uruguay20 dans le Cône Sud, dans le recyclage de l'argent de la drogue, et aussi l'existence de cas similaires de recyclage de narcodollars dans la construction de centres commerciaux aux États-Unis21 rendent la question légitime.

20 L'Uruguay, surtout, "paradis fiscal" où les comptes bancaires bénéficient du secret, est une plaque tournante de l'argent sale. On sait que l'argent est une première fois blanchi dans les banques urugayennes, de même que dans les banques panaméennes. L'immobilier de Montevideo et surtout de la grande station balnéaire de Punta del Este permet un deuxième blanchiment. Les nombreux casinos des côtes uruguayennes constituent une autre alternative. Il semble qu'en Argentine, le blanchiment ait été rendu plus difficile, du moins à partir de 1991, par la hausse des prix immobiliers. On connaît un cas de blanchiment certain dans l'achat d'appartements à Martinez dans le nord de Buenos Aires (affaire Laguzzi). 21 L'ouvrage du journaliste de Página/12, Roman Lejman, Narcogate (1993), mentionne la découverte d'un cas de centre commercial construit à cet effet à Miami.

223

Il n'y a pas en tout cas de marché pur, mais seulement des marchés concrets qui

fonctionnent selon des règles locales. Le marché des shopping centers est assez risqué. Les comportement des acteurs économiques argentins et la concurrence très vive dans ce segment de marché créent des conditions locales particulières. Les difficultés premières de Carrefour et celles de Wal-Mart (Franco A., 1995) qui a raté son entrée sur le marché argentin et n'a pas nécessairement su s'adapter à la mentalité de la clientèle et des entrepreneurs locaux, l'ont montré.

En Argentine, l'immobilier a toujours représenté pour les groupes économiques un

secteur très spéculatif, de réinvestissement des rentes tirées de secteurs productifs pour lesquels la prise de risques était minimale, parce que les activités étaient liées à la demande publique. La diminution de la commande publique a été compensée par la vague de privatisations qui leur a permis d'occuper d'autres secteurs assez protégés, comme les services publics et urbains. Le retrait de l'État et le mouvement de privatisation du sol urbain dans les années 80, que signalent J.F. Tribillon et A. Durand-Lasserve dans les pays du Cône sud, ont eu pour conséquences des tendances à la concentration foncière et à la monopolisation du marché (1990). Dans les années 80, avec la concentration de l'activité, le phénomène de la promotion immobilière a pris de nouvelles dimensions. La construction de shopping centers dans la zone centrale est l'une des manifestations des changements dans les rapports entre acteurs privés et publics. Tous les promoteurs commerciaux n'ont pas la possibilité et les capacités pour le faire. Les comportements spatiaux des promoteurs artisans, de petite taille et de faible organisation diffèrent notablement de ceux des promoteurs distributeurs, mais surtout de ceux des promoteurs intégrés et associés, dont le degré d'intégration relationnelle et professionnelle est plus élevé. Or, le foncier est plus cher dans la zone centrale, et la construction d'un shopping center implique des risques majeurs. Quels sont les enjeux de la production et de la localisation des shopping centers dans la zone centrale pour les différents types de promoteurs qui y interviennent et pour les pouvoirs publics?

224

Chapitre 2. Les transformations de l'État en Argentine et ses implications locales

Dans le contexte de la mise en place d'une économie néo-libérale en Argentine dans les

années 80, la transformation des modes de production et de gestion de la ville s'inspire du modèle nord-américain. Il éclaire les changements dans la formulation des politiques urbaines ainsi que le rôle des shopping centers dans la mise en application de ces dernières. Développement économique et développement social y sont, en principe, plus étroitement liés. L'adoption du modèle nord-américain s'effectue dans un espace qui possède ses particularités propres à différentes échelles, locale, nationale, continentale. On a vu que l'apparition de nouvelles formes de régulation et de nouveaux modes de gouvernance dans les villes nord-américaines dépendaient de variables propres au contexte institutionnel et politique national, et que les théories des régimes urbains s'appuyaient sur des analyses localisées et sur des typologies empiriques non généralisables. Nous allons tenter de déterminer ces variables en Argentine et leur influence sur le contenu et l'application des politiques urbaines. Le contexte local, en particulier les mutations économiques et institutionnelles des années 80, est déterminant pour comprendre les politiques urbaines. Quel est le sens de l'utilisation des modèles importés et des normes qui guident et justifient l'action publique ? Quels enjeux représentent les shopping centers pour les acteurs institutionnels ?

1. L'espace politique argentin

Parmi les conditions de la construction de coalitions d'intérêt et de la mise en place de

processus de partenariat pour l'élaboration de politiques urbaines et sectorielles, ici d'urbanisme commercial, se trouvent la stabilité des jeux et la légitimité du pouvoir. La question de la légitimité du pouvoir, déjà longuement évoquée dans la partie sur les théories de la gouvernance urbaine, est au cœur du développement ou du sous-développement argentin. C. Bataillon soulignait bien que "le fait que l'Etat dans le tiers monde bénéficie au mieux d'une légitimité parmi d'autres est un facteur de fragilité" (Bataillon C., 1977a). La viabilité et le contenu des politiques urbaines dépendent à la fois de caractéristiques politiques et institutionnelles propres et de l'influence des différents modèles qui se sont succédé. Il nous semble important de comprendre comment fonctionne le politique à l'échelle locale, afin d'éviter des extrapolations trop simplificatrices.

1.1. L'architecture politique et institutionnelle

1.1.1. La faiblesse des pouvoirs municipaux

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La faiblesse de l'État est un facteur commun à l'ensemble de l'Amérique latine. Le pouvoir municipal possède un degré d'autonomie qui varie en fonction des constitutions nationales et / ou provinciales. En Argentine, c'est la province qui édicte le régime municipal (lois-cadres), mais les maires et les conseillers municipaux sont les représentants élus du peuple. Jusqu'en 1995, seule la capitale n'avait pas d'autonomie institutionnelle, parce que c'est le Congrès de la Nation qui édictait la loi fondamentale définissant les compétences et les pouvoirs de la municipalité, contrairement aux autres provinces argentines. En outre, elle ne disposait que d'une autonomie politique réduite, signe d'une centralisation politique et économique de fait et de l'exercice d'une tutelle sur la capitale, conséquence de la macrocéphalie argentine.

L'autonomie de la municipalité argentine est limitée par la faiblesse de ses ressources

financières, un quart de celles-ci provenant de transferts d'État, principalement du fonds fédéral dit de coparticipation, et les deux-tiers, du prélèvement de taxes municipales (Clichevsky N., 1990). En dehors de Buenos Aires qui élit des représentants au Sénat, les municipalités ne peuvent pas prélever d'impôts de leur propre chef, cette faculté étant du ressort des provinces. De plus, les premières mesures de décentralisation à partir de 1979 (santé, éducation, distribution de l'eau), qui n'ont pas été accompagnées des transferts financiers correspondants, ont accentué le déséquilibre du budget des provinces et de la municipalité de Buenos Aires. La faible efficacité de l'appareil fiscal et la forte évasion, la non-réévaluation des valeurs immobilières réduisent encore plus les recettes des municipalités22.

1.1.2. L'"enjeu-capitale"

La capitale et les 19 partidos qui forment l'agglomération de Buenos Aires, relèvent de

deux juridictions différentes, la capitale ayant un mode de gouvernement à part, et les 19 partidos dépendant de la province de Buenos Aires. Dans la capitale, c'est le Président de la Nation qui nomme le maire de la ville pour trois ans, tandis que l'assemblée municipale, le conseil délibérant, élu au suffrage universel direct, dispose d'un pouvoir délégué par le Congrès de la Nation (art. 27, 28 et 86 de la constitution fédérale de 1853). Le contrôle de la ville de Buenos Aires fait l'objet de dissensions et de manœuvres politiques. La réforme de la constitution de septembre 1994 met fin à l'hétéronomie politique de la capitale, dont le nouveau statut n'a pas encore été défini, les péronistes essayant de limiter la portée de la réforme. La ville de Buenos Aires est en effet acquise à l'opposition de gauche23.

22 Selon les évaluations d'A. Garay et de D. Garcia Delgado qui datent du début des années 80, l'évasion fiscale était de la moitié (1985 : 48). 23 Début 1996, l'élection du maire, annoncée, n'avait pas encore eu lieu.

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L'autonomie financière de la capitale est néanmoins plus grande que celle des autres

municipalités. Tandis que la plupart des services (électricité, distribution de l'eau) étaient assurés par l'État jusqu'aux privatisations, la part des ressources propres de la municipalité est plus importante que dans les autres juridictions provinciales. En 1989, 10,9% des ressources de Buenos Aires étaient issues des transferts d'État, contre 64,3% dans les autres provinces. Buenos Aires est la seule juridiction à ne pas recevoir sa part du fonds fédéral de coparticipation24, mais elle est aussi l'unique commune à prélever, outre les traditionnels impôts foncier et immobilier, ainsi que les participations à l'entretien et au nettoyage de la ville et autres taxes, un impôt sur le revenu des entreprises (3% du revenu brut des entreprises). La recette de ce dernier représente environ 60% de l'ensemble des ressources fiscales (Cormick H., 1991). La municipalité de Buenos Aires dispose certes d'une autonomie financière, mais celle-ci est limitée par la tutelle exercée par l'État central sur la capitale.

La ville de Buenos Aires représente donc un "enjeu-capitale" pour l'État, et les

restrictions apportées à son autonomie politique et institutionnelle jusqu'en 1996 étaient significatives de celui-ci, comme dans d'autres capitales comme Mexico et Paris jusqu'en 1977.

1.1.3. L'application locale de la réforme de l'État La crise de l'État-Providence et le retrait progressif de l'État ont modifié les rapports

entre les acteurs publics et les acteurs privés. La dévalorisation du modèle normatif de gestion de l'État, et plus généralement du secteur public, synonyme d'inefficacité fonctionnelle, de bureaucratie et de rigidité (Felcman I., op. cit. : 56), a suscité une méfiance systématique vis-à-vis des institutions publiques et une revalorisation conjointe du secteur privé. Dans le modèle économique ultra-libéral qui a été mis en place en Argentine, la critique de l'État-Providence est particulièrement féroce. Les lois 23.696 et 23.697 de réforme de l'État et d'état d'urgence économique de 1989 qui répondaient avant tout à des nécessités économiques, celles de l'endettement de l'État et de la réduction du déficit public, ont entraîné des délégations de pouvoir du législatif à l'exécutif, élargissant les possibilités de gouvernement

24 En effet, à la suite de la situation de faillite financière de la ville de Buenos Aires, l'État a pris en charge la dette de la ville, et en contre-partie, a cessé de lui verser la part du fonds de coparticipation.

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par décret25. Elles ont été justifiées par le président de la Nation C. Menem par la situation de crise extrême dans laquelle se trouvait le pays à la suite de l'hyperinflation de mai-juillet 1989, et constituent une étape institutionnelle fondamentale dans la mise en place du modèle économique néo-libéral. La loi 23.696/89 entérine le retrait de l'État de nombreux secteurs dont il avait auparavant la responsabilité. L'État avait traditionnellement plusieurs fonctions : investisseur dans les secteurs productifs d'intérêt national stratégique, régulateur social et garant de l'intérêt général, producteur et investisseur dans les services publics et les infractructures (Rofman A., 1990). La loi 23.696/89 parachève la destruction de l'État-Providence à l'argentine mis en place par le général Peron et entreprend la rationalisation et la modernisation du service public, ainsi que la privatisation des principales entreprises publiques nationales (Felcman I., 1991 ; Ószlak O., 1990b).

Le recours à l'exceptionnalité juridique en pleine période démocratique, afin de justifier

le vote et l'application des lois 23.696 et 23.697, marque une certaine forme de rupture avec la légitimité, à un moindre degré, cependant, que pendant la dictature militaire, où les assemblées législatives avaient été dissoutes et où les maires étaient nommés directement par les militaires. À Buenos Aires, ces lois ont une application locale en raison de l'absence d'autonomie institutionnelle de la capitale. L'article 68 de la loi 23.696 stipule que "(...) cette loi s'applique (...) à la ville de Buenos Aires. Sont transmises au maire les compétences que cette loi confère au pouvoir exécutif national ou à ses ministres, en dehors des compétences octroyées par celui-ci dans le chapitre 11 de cette loi. Dans ce cas, le maire aura les compétences énoncées par l'article 13"26. L'article 27 de la loi 23.697 édicte que "le pouvoir exécutif national est autorisé à déléguer au maire de la ville de Buenos Aires (...) les mêmes facultés dans la limite de ses compétences légales et budgétaires". Enfin, l'article 5 du décret d'application 1105/89 "invite la MCBA à adhérer aux normes réglementaires approuvées par le présent décret"27. Dans les provinces, celle-ci est plus problématique et s'effectue par le jeu

25 En principe dans un premier temps, selon les termes de la loi 23.697, pendant une période de 180 jours, mais pratiquement, pendant plus longtemps, au nom de l'"urgence", la décision étant soumise au vote de l'assemblée législative (conseil délibérant à l'échelon municipal, congrès à l'échelon national). Cependant, la prorogation de l'application du délai de 180 jours prévu par l'article 2 de la loi 23.696 n'était possible qu'une seule fois. En réalité, elle a déjà été prorogée plusieurs fois, non sur décision du Congrès ou du conseil délibérant, comme cela aurait dû se faire, mais par décret. Cette situation d'anormalité (exceptionnalité) juridique dure depuis déjà six ans, et on pourrait presque qualifier la situation de coup d'état juridique. La réélection de Carlos Menem à la présidence de la Nation risque de la prolonger pendant encore quelques années.... 26 Voir aussi l'article 5 du décret d'application 1105/89 27 Voir aussi les articles 80 et 89 de la loi 23.697/89. La MCBA a adhéré à la loi 23.696 à travers le décret 2.460/89.

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des pressions politiques28. Dans la capitale, de la même façon que pour l'État national, ces lois imposent un transfert de pouvoir du législatif à l'exécutif.

Dès la fin de l'année 1989, et surtout à partir de 1993, la réforme de l'État est devenue

l'un des principaux objectifs de la politique de la municipalité de Buenos Aires. Depuis 1992 tandis que la crise des finances locales se manifeste plus durement29, l'application de la politique urbaine est strictement subordonnée à des critères économiques et politiques plus que sociaux et techniques. La nomination d'un proche du ministre de l'Économie, D. Cavallo, à la tête de la municipalité en novembre 1992, a été significative du virage opéré et de la reprise en main indirecte de la gestion municipale par l'État central. En effet, la municipalité de Buenos Aires s'est retrouvée, cette année-là et pour la seconde fois en dix ans, dans une situation de faillite, en partie en raison d'une gestion financière laxiste, en partie en raison de l'alourdissement des dépenses de fonctionnement, comme l'augmentation des salaires, le transfert de la gestion des hôpitaux et des écoles (Panorama, nov. 1992). Sa dette provient aussi de la rupture de paiement des entreprises concessionnaires des services urbains dont les contrats, d'après les rapports d'audit effectués en 1992, avaient été largement surévalués, alors que le mot d'ordre national était à la réduction des dépenses publiques. La crise financière de la municipalité de Buenos Aires a donc à la fois un caractère international lié au désengagement de l'État central et à la diminution des subventions nationales, et des manifestations locales, liées à la situation financière des pays d'Amérique latine, aux caractéristiques de la décentralisation30 et aux déficiences locales de la gestion communale.

1.1.4. Les compétences des pouvoirs municipaux en matière de développement urbain et économique En Argentine, l'urbanisme est de compétence municipale. La mise en place de

règlements d'urbanisme locaux et d'un plan d'occupation des sols et le contrôle de l'affectation des sols, ainsi que la définition éventuelle d'une politique urbaine lui incombent, dans les limites imparties par les lois-cadres provinciales (ley orgánica, carta magna). Il n'y a pas de droit de l'urbanisme à l'échelon national, seulement des lois provinciales qui déterminent les

28 L'article 68 de la loi 23.697, déjà cité, souligne avec discrétion que "les provinces sont invitées à adhérer au régime de la présente loi", ce qui n'a pas été sans créer de remous, comme l'ont montré les mouvements sociaux dans les provinces en 1994-95. Finalement, les provinces ont voté des lois similaires. 29 Sur la crise des finances locales, voir aussi Gobierno de la ciudad y crisis en la Argentine de H. Herzer et P. Pírez (1988). 30 En outre, la montée de la pauvreté et la création de services sociaux et de programmes d'aide sociale d'urgence, à la charge des municipalités devant le déficit d'intervention de l'État central dans les années 80, ont alourdi les dépenses budgétaires de celles-ci. La décentralisation signifie plutôt le désengagement financier de l'État.

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principes essentiels et que concrétisent les plans d'occupation des sols et les réglementations locales.

La loi provinciale d'occupations des sols n° 8.912/77, qui sert de base à l'édiction des

plans d'occupation des sols devenus obligatoires dans la province de Buenos Aires31 et le code de l'urbanisme de 1977 de la ville de Buenos Aires, qui remplaçait le simple code de la construction réglementant la hauteur des bâtiments et l'occupation des sols (1944) sont des instruments d'urbanisme moderne qui répondent aux principes du zonage de l'urbanisme fonctionnaliste et progressiste moderne. C'est le conseil de planification urbaine (CPU), service technique de la direction de l'aménagement et de l'urbanisme de la MCBA, créé en 1972, qui en a la charge. Le droit urbain, local, amoindrit le droit de propriété privée du code civil en imposant des limites, des servitudes et des obligations, il cherche à "établir des restrictions au domaine privé pour des raisons d'intérêt public" (introduction au code d'urbanisme de la ville de Buenos Aires), faisant du droit de propriété un droit non-absolu au nom de l'intérêt général, non-exclusif pour imposer des servitudes d'utilité publique, et non-perpétuel à des fins d'expropriation.

L'absence de législation nationale d'urbanisme constitue cependant une hypothèque

pour la mise en œuvre des politiques urbaines et rend difficile l'application du droit urbain. Les restrictions du droit de propriété sont somme toute limitées en comparaison avec d'autres pays d'Europe : la procédure de l'expropriation, outil dont peut pourtant se servir de plein droit la municipalité de Buenos Aires en contre-partie d'une juste indemnisation32, est peu utilisée, ou seulement avec autoritarisme, comme cela a été le cas pendant la dictature militaire, quand la construction d'un réseau moderne d'autoroutes intra-urbaines a entraîné l'expropriation non indemnisée de milliers de personnes, accompagnée d'exactions militaires (Pajoni R., 1983). "Les travaux d'aménagement urbain et la norme urbaine, locale, retombent forcément dans le contenu du droit de propriété régulé par le code civil, et seuls sont applicables les principes du droit administratif imposant des restrictions au domaine privé. Cette conception essentiellement "civiliste" du droit a une conséquence immédiate sur la viabilité du système constitutionnel et légal argentin de contrôle et de régulation de

31 La loi définit et impose des règles minimales d'urbanisation des sols et de constructibilité. Elle établit une typologie entre trois types d'espaces, en fonction de leur caractère dominant et de leur niveau d'équipement : rural, urbain et complémentaire aux espaces urbains. Toute nouvelle parcelle urbanisée doit être dotée de tous les services d'infrastructure nécessaires (eau, assainissement, électricité, gaz). De même que le code de l'urbanisme de la ville de Buenos Aires, la loi d'occupation des sols impose aussi des normes de densité, d'occupation des sols (COS, taux d'occupation des sols, etc.), définit des usages et impose des principes de zonage et de compatibilité des usages. 32 Cette faculté est inscrite dans la constitution fédérale, dans le code civil (loi 21.499), ainsi que dans la loi-cadre de la municipalité de Buenos Aires (art. 9, alinea ll).

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l'occupation des sols urbains et métropolitains" (Bóscolo A. M., 1992 : 127). Dans la pratique, les intérêts particuliers priment donc sur l'intérêt public.

Quant aux compétences en matière de développement économique, elles relèvent

essentiellement de la Nation et des provinces33. Celles des communes sont en revanche très limitées, en particulier en ce qui concerne ses possibilités d'intervention sur l'emploi (Garay A., Garcia Delgado D., 1985). La municipalité de Buenos Aires dispose surtout d'instruments indirects, et le plan d'occupation des sols en est le principal. Cependant, elle a des capacités plus étendues en matière financière que les autres communes, puisqu'elle peut prélever des impôts, effectuer des emprunts dans certaines limites34, et qu'elle possède une banque, el Banco de la Ciudad de Buenos Aires.

1.2. Pouvoir politique et pouvoir économique : la question de la légitimité de l'État

Dans la construction des processus de coopération, la question de la légitimité de l'État

est, comme on l'a vu, essentielle. Or, le pouvoir, la propriété et la richesse, sont très concentrés en Argentine, comme dans le reste de l'Amérique latine. L'économie est aux mains d'une dizaine de grandes familles dont les comportements ont été maintes fois décrits (M. Khavisse, P. Ostiguy, J. Sábato, J. Schvarzer). L'intrication du pouvoir économique et du pouvoir politique, aux échelles nationale et locale, est très forte. À l'échelle locale, les rapports entre les différents acteurs sont peut-être encore plus complexes, en raison du nombre supérieur d'intervenants impliqués dans la gestion de la ville et de l'interférence entre le niveau national et le niveau local : l'État national, la municipalité, les entreprises publiques dont le degré d'autonomie était assez élevé (jusqu'à leur privatisation), les groupes économiques nationaux, et une multitude d'acteurs privés locaux (associations, entrepreneurs, etc.). S'il n'existe pas de sociologie politique locale et s'il est difficile de déterminer les caractéristiques des groupes dominants locaux, celle-ci a été largement développée au niveau national. Reste à savoir si la situation locale est le reflet de la situation nationale. Vraisemblablement oui, en raison de la tutelle de la municipalité de Buenos Aires et de l'enjeu que représente la capitale. L'État peut intervenir directement dans les affaires de la capitale, et les groupes nationaux aussi.

1.2.1. Les grands groupes économiques face à la démocratie

33 Le Congrès de la Nation doit promouvoir le développement industriel et attirer les capitaux étrangers (alinea 16 de l'art. 67 de la Constitution nationale). Les provinces, mais non la capitale, disposent d'un pouvoir délégué : elles ont les mêmes compétences en matière de développement économique que l'État national (art. 107 de la Constitution nationale). 34 Le conseil délibérant peut effectuer des emprunts, sur proposition du maire, si leur remboursement ajouté au service de la dette consolidée n'excède pas 30% des recettes annuelles (art. 9, alinea f).

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La constitution argentine de 1853 s'inspire de la constitution nord-américaine. L'une des

principales différences entre l'Argentine et les États-Unis dans les processus de formation de l'État provient du rapport entre la construction de la démocratie et celle de l'État : alors qu'aux États-Unis, celle-ci accompagnait l'émergence simultanée de celle-là, l'État, en Argentine, a été porté par une fraction sociale numériquement minoritaire, qu'on a appelée "la génération des années 1880" et qui comptait 200 à 300 hommes "éclairés" dont l'objectif était la création d'une société capitaliste, ouverte et démocratique. La création d'un État moderne était la condition de l'intégration de l'Argentine au marché mondial (Ószlak O., 1990a ; Sábato J., 1988).

Le pouvoir politique en Argentine a très vite représenté un enjeu fondamental pour les

groupes économiques et pour la reproduction sociale de l'oligarchie. Les comportements du groupe dominant argentin35 diffèrent de ceux de leurs équivalents nord-américains ou européens : "l'organisation particulière du pouvoir économique et politique du pays a créé une expérience historique différente dont les conséquences sont observables dans le comportement de la classe dominante; celle-ci recherche consciemment ou inconsciemment l'instabilité permanente du système, aussi bien politique qu'économique" (ibid.., 1988 : 18). Dans les années 20, la modernisation de la société et l'intégration économique de l'Argentine au marché mondial suscitaient une demande de démocratisation et de modernisation de l'État de la part des classes moyennes en voie d'ascension et d'intégration. La contradiction entre les intérêts économiques des grands groupes et ces demandes de modernisation sont, selon J. Schvarzer et J. Sábato (1985), les raisons du premier coup d'État militaire en 1930 puis de l'instabilité politique récurrente. Pour garder une main-mise sur l'économie, le groupe dominant se devait aussi de contrôler l'État, le plus souvent de façon directe, au moment où celui-ci organisait les conditions de la production capitaliste, se soustrayant ainsi au capital étranger dans ce rôle.

1.2.2. L'instrumentalisation de l'État : l'évolution des années 1976-1994 Si la monétarisation de l'économie dans le cadre d'un régime libéral et la part croissante

des activités financières dans les années 80 ne sont pas propres à l'Argentine (Harvey D., Soja E., Sassen S.), le comportement spéculatif des acteurs économiques est, comme on l'a vu, une

35 J. Sábato souligne que, dans ses travaux (ainsi que dans ceux, par extension, de J. Schvarzer, avec qui il collabore), le concept de "classe dominante" n'a pas du tout le sens que lui a originellement conféré le marxisme. Leur analyse procède d'une analyse concrète des rapports de force entre acteurs économiques et politiques nationaux, tout comme celle de P. Ostiguy, qui, en ayant recours aux concepts d'instrumentalité de l'Etat, etc., ne se rattache pas plus à un courant de pensée marxiste. Selon J. Sábato, la classe dominante est l'ensemble des groupes qui concentrent le pouvoir économique et détiennent l'hégémonie politique (1988).

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tendance séculaire dans ce pays. La dérégulation du marché financier en 1977 a donné aux grands groupes économiques argentins les moyens de contrôler l'économie, en ayant désormais les rênes du système financier et monétaire. La "nationalisation" de la dette extérieure privée en 1983 a créé par ailleurs une lourde dépendance du pouvoir politique à l'égard de ses créanciers. "[L'offensive] la plus importante, probablement, a été de créer -en utilisant le pouvoir et les ressources de l'État- un système financier qui a pratiquement dépouillé les pouvoirs publics de leur capacité de manier la monnaie, en la transférant au pouvoir privé et aux créanciers extérieurs, jusqu'à réduire à néant la capacité de l'État à réguler les cycles de l'économie, sans l'appui d'un circuit financier hautement concentré et mal délimité. Renforcés par les liens établis avec le système financier international et garantis par le poids de la dette publique qui réduit de façon substancielle la marge de manœuvre des gouvernements futurs, les groupes privilégiés ont pris le contrôle d'un secteur-clé grâce auquel ils peuvent influer sur les prix et sur la distribution du pouvoir politique" (Schvarzer J., Sábato J., op. cit. : 210-211). La réforme financière de 1977, en plus de transférer une partie du pouvoir aux acteurs économiques en développant un circuit financier privé très puissant, décuplait leur possibilité de gains rapides et peu risqués : "le déséquilibre économique octroyait une force politique à ceux qui le créaient, des grands bénéfices à qui en profitait et un pouvoir politique de plus en plus grand aux groupes privés qui contrôlaient le marché financier" (Schvarzer J., 1983 : 24). La politique économique des généraux a ainsi induit de nouvelles formes de dépendance.

Sur la base de propos tenus par des dirigeants économiques après la crise

hyperinflationniste de mai-juillet 1989, J. Schvarzer suggère que les membres de la coalition au pouvoir avec l'arrivée de C. Menem considéraient que l'hyperinflation était tentante en raison de ses effets politiques et peu dangereuse quant à ses conséquences d'un autre ordre, à savoir économiques (Schvarzer J., 1989a). La crise hyperinflationniste de 1989 a en effet été révélatrice et a montré l'intérêt qu'a le groupe dominant à favoriser le chaos économique dans cette situation particulière. La stratégie de rapprochement entre le gouvernement et les grands groupes économiques engagée par R. Alfonsín et la politique du compromis qu'il a tenté d'instaurer, afin de les inciter à investir, ont cédé la place à une stratégie beaucoup plus directe d'alliances de la part de C. Menem36. Laisser les commandes de l'économie au représentant d'un des plus grands groupes économiques en nommant Nestor Rapanelli, ancien vice-président de Bunge y Born, ministre de l'Économie en 1989, en a été la marque concrète. À

36 Les cas de hauts dirigeants économiques placés aux plus hauts postes de l'économie ne manquent pas dans l'histoire de la Nation argentine. Durant la dernière décennie, Martinez de Hoz qui provient d'une riche famille d'éleveurs pampéens, ministre de l'Economie et des Finances entre 1976 et 1980, Roberto Alemann, lui aussi ministre de l'Economie en 1981. C. Menem a commencé à établir des contacts avec les représentants des principaux groupes économiques (notamment Bunge y Born), avant même les élections présidentielles de mai 1989.

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l'échelon de la capitale, c'est Carlos Grosso, ancien directeur du holding SOCMA du groupe Macri, l'un des plus puissants groupes économiques du pays, qui a été nommé maire de Buenos Aires entre 1989 et 1992.

L'influence croissante des grands groupes économiques sur les décisions politiques et le

jeu des alliances instauré par C. Menem soulignent le caractère de plus en plus instrumental que prend l'État, voire même la démocratie, pour ceux-ci (Ostiguy P., op. cit.). L'un des objectifs de R. Alfonsín, en se rapprochant des dirigeants des grands groupes économiques et en les consultant, était de rompre le lien historique étroit existant entre pouvoir économique et pouvoir militaire. Or, avec C. Menem, c'est la première fois depuis 1930 que s'affiche l'instrumentalisation de l'État et du pouvoir à l'intérieur du système démocratique (ibid., op. cit. : 330).

La politique économique de la dictature, comme le programme de privatisations des

entreprises publiques et de concession des services publics aux entreprises privées (transports publics, distribution de l'électricité, téléphone, etc.) sous la présidence de C. Menem, imposé dans le cadre de la réforme de l'État, ont contribué à renforcer la concentration économique et le pouvoir des grands groupes économiques nationaux, relai local des multinationales. L'État s'est défait de l'une de ses principales prérogatives, celle de la régulation (Rófman A., 1990).

1.2.3. Pouvoir politique et pouvoir économique à l'échelon de la municipalité de Buenos Aires À Buenos Aires, les tentatives de décentralisation et de démocratisation de la gestion

municipale, engagées en 1989 sous le mandat péroniste, à travers l'instauration de procédures consultatives et d'une démarche consensuelle, se sont heurtées à la concentration de fait des décisions, prises au sommet de la hiérarchie administrative et politique, manifestant souvent un hiatus entre la rationalité technique et la rationalité économique et politique. La publication restreinte et ancienne du code de l'urbanisme de Buenos Aires de 197737, jusqu'à sa réédition actualisée en 1993, ne facilite guère la transparence.

Les rapports entre société civile, acteurs économiques et acteurs institutionnels au

niveau local sont marqués non par un clientélisme traditionnel en Amérique latine et encore dans la plupart des provinces argentines, mais par un fonctionnement lobbyiste, en raison de la nature des enjeux dans la capitale. Le conseil délibérant de la ville de Buenos Aires est

37 La première publication officielle a été limitée, et il s'y ajoute une publication dans la revue d'architecture et d'urbanisme Vivienda, qui publie aussi toutes les modifications apportées depuis. Le code de l'urbanisme de la municipalité de Buenos Aires est un ouvrage qui est partout biffé et anoté !

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composé de groupes politiques à géométrie variable, les alliances se recomposant au gré des intérêts de chacun et reposant sur l'existence de réseaux économiques, ethniques, sur le népotisme, etc., dont on a vu la formation pour les shopping centers. Ceux-ci aident à comprendre la nature des liens entre pouvoir politique et économique, ainsi que les règles du jeu politique local. L'analyse des négociations pour la construction d'Alto Palermo et d'Abasto permettra de revenir de façon plus précise sur le mode de fonctionnement de ces réseaux et sur la logique politique du partenariat entre le public et le privé. Les coalitions sont donc très instables, ce qui rend difficile la construction d'une politique urbaine. S'y ajoutent l'absence de continuité institutionnelle et politique, la valse des mandats et la dépendance politique locale à l'égard du pouvoir national : "La fonction régulatrice de la municipalité est étroitement liée à la vie politique locale : son exercice dépend d'elle. C'est ainsi qu'en général, la faiblesse des normes de planification municipales est due à sa dépendance politique par rapport aux intérêts économiques qui, dans de nombreux cas, sont liés au gouvernement" (Clichevsky N., 1991 : 243). La pression des groupes économiques nationaux, acteurs de l'urbain dont les réseaux sont sans doute les plus étendus, est forte dans la capitale. "Le jeu politique ouvert, fragmenté et compétitif, permet la montée de groupes et des changements d'orientations, mais ceux-ci tendent à se manifester plus sous forme de veto que de positions articulées et de consensus (...). La multiplication des centres de décision et l'influence localisée des différents groupes d'intérêt contribuent à renforcer le conflit et l'incongruité des normes" (Ószlak O., 1990b : 14). Nous verrons en quoi l'architecture spécifique du pouvoir contraint les jeux locaux, à propos du cas de la construction des shopping centers.

2. Un nouvel acteur urbain : les promoteurs

La transformation de l'État, la redéfinition de son rôle et de ses fonctions n'est pas l'un

des moindres changements intervenus durant la décennie 80. La réforme de l'État a des implications locales conséquentes, surtout dans la capitale. C'est un nouveau mode de gouvernance urbaine qui se met en place. Les rapports entre les acteurs publics et les acteurs privés, à l'échelon local, en sortent modifiés. Comme dans les grandes villes européennes et nord-américaines, les acteurs urbains privés, notamment les promoteurs immobiliers, prennent de l'importance dans la production de la ville, parallèlement au retrait de l'État.

2.1. La fin d'un mode de production de la ville

2.1.1. Le rôle traditionnel de l'État dans la production de la ville Jusqu'au début des années 80, l'État était le principal producteur de l'espace urbain dans

la capitale : constructeur des infrastructures urbaines (routes, eau, électricité, gaz, etc.), des

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équipements publics (scolaires, universitaires, sanitaires, etc.), de l'espace public (jardins, parcs, places, rues, etc.) et des monuments publics. La création d'un espace public, en particulier, répondait à trois objectifs différents : premièrement à un projet social et politique fort, ayant pour but l'assimilation d'une main-d'œuvre immigrée et la création de valeurs collectives auxquelles l'ensemble de la population puisse s'identifier, deuxièmement la création d'un lieu de la théâtralisation de la vie sociale de l'oligarchie, troisièmement, la création d'un État-nation, à travers la monumentalisation et l'institutionnalisation de l'espace public dans le centre, lieu du pouvoir par excellence.

Aussi, dans la loi-cadre de 1881 de la municipalité de Buenos Aires, celle-ci se voit-elle

attribuer des compétences en matière de construction des voies publiques, de promotion de la culture, de l'éducation et des loisirs, ainsi que d'entretien de l'espace public (art. 2). Mais c'est l'État national qui se charge d'aménager l'espace et les lieux publics, et de construire les principales infrastructures.

2.1.2. L'échec de la mise en application des modèles urbains successifs Les modèles internationaux d'urbanisme qui ont successivement eu la prééminence, ont

inspiré les politiques urbaines porteñas, au nom des mêmes valeurs d'ordre, de beauté, de sécurité. Buenos Aires n'est pas restée à l'écart des grands courants urbanistiques. D'abord, le modèle haussmannien sous Torcuato di Alvear en 1880 ; puis le modèle moderne progressiste, inspiré par le Corbusier qui effectua plusieurs voyages dans les années 1920-30 à Buenos Aires et établit un plan pour la ville en 1937, inspirant toute une génération d'architectes-urbanistes jusqu'au début des années 80 ; dans les années 1950-80, le modèle planificateur rationaliste qui s'est traduit par l'établissement de multiples schémas directeurs et plans, influencés par les modèles anglais et français, le plan Abercrombie de Londres de 1945 et le Schéma Directeur d'Aménagement et d'Urbanisme de la Région Parisienne (avec la coopération ultérieure de l'IAURIF).

La modernisation du centre-ville entamée par le préfet de la ville, Torcuato di Alvear

dans les années 1880, trouve de multiples justifications : fonctionnalistes, hygiénistes, esthétiques. L'accroissement rapide de la population sous l'impact des vagues d'immigration appelle une mise en ordre, tandis que la croissance des fonctions de la ville, portuaires, commerciales, et la construction de l'État-nation appellent la modernisation de la nouvelle capitale. Les épidémies mortelles de choléra des années 1870 ont rendu nécessaires la prise de mesures hygiénistes. Enfin, en adoptant les modèles esthétiques européens, la jeune nation argentine affiche sa modernité.

236

Au cours du XXème siècle, ce sont toujours les mêmes principes qui guideront la politique urbaine, avec quelques variantes, et souvent avec insuccès. Les schémas directeurs mis en place pour la ville de Buenos Aires ou pour son agglomération (plan de l'ORPBA -Oficina del Plan Regulador de Buenos Aires de 1962, le schéma directeur de l'an 2000 de l'ORDAM -Oficina Regional del Desarrollo del Area Metropolitana-, organisme placé sous la dépendance du CONADE -Consejo Nacional de Desarrollo-, en 1967-69) ne sont jamais concrétisés, faute de volontarisme, de continuité politique et institutionnelle, ainsi qu'en raison de l'inexistence de structures administratives et territoriales intercommunales dans l'agglomération de Buenos Aires. De même, les principes de l'urbanisme moderne progressiste et les "recommandations" de le Corbusier ont eu des conséquences désastreuses sur l'urbanisme de Buenos Aires, celles-ci ayant inspiré une grande partie des opérations menées dans les années 1940-80, notamment pendant la dictature militaire, le schéma des autoroutes urbaines.

Enfin, le modèle normatif et fonctionnaliste de l'urbanisme moderne, reposant sur le

zonage des activités, la mise en place de plans d'occupation des sols, de réglementations urbaines concernant l'aspect des bâtiments, le volume constructible, n'ont jamais empêché que ne se développe une intense spéculation foncière et immobilière. Le code de l'urbanisme de la capitale de 197738 et la loi provinciale 8.912/77 n'ont été que des pis-allers. Les tentatives de mise en ordre de la ville ont achoppé. Plusieurs raisons motivent ces échecs, parmi lesquelles la faiblesse de l'État et l'inadaptation des modèles à la réalité sociale, urbaine et culturelle porteña. La modernisation vise toujours à imposer des normes culturelles "internationales" voire "universelles"(dans le cas de l'urbanisme progressiste moderne). Les valeurs sous-jacentes à ces modèles de villes ne servent qu'à justifier ségrégation spatiale, à couvrir les pratiques des acteurs économiques et à affirmer le pouvoir et le contrôle de l'État. La plupart des opérations portent sur le centre, alors que la périphérie (les 19 partidos, mais aussi les quartiers de la capitale fédérale) est laissée aux promoteurs, aux constructeurs, aux lotisseurs et aux intérêts privés. Avant 1977, il n'y a eu aucun type de réglementation urbaine dans la province de Buenos Aires. Le laisser-faire de fait de la production et de la gestion urbaine a finalement été une constante, malgré tous les tentatives de mise en ordre et de planification, au centre comme à la périphérie.

38 Les différents noms donnés aux codes qui se sont succédés reflètent bien l'idéologie ambiante : dans les années 20, ce sont les préoccupations d'esthétique et d'hygiénisme qui priment, influencées par les idées des socialistes (plan le Forestier et code d'esthétique de la construction de 1923-25 . En 1944, alors qu'est tout juste entamé le mouvement de rénovation urbaine qui va entièrement transformer la capitale, c'est la construction qui est au cœur des préoccupations (code de la construction) ; enfin, en 1977, devant l'évolution "anarchique" de la ville et de l'agglomération, ce sont l'aménagement urbain et l'urbanisme qui sont prédominants (code de l'urbanisme ; en espagnol : codigo de planeamiento urbano).

237

2.2. L'émergence des promoteurs comme nouveaux acteurs urbains 2.2.1. L'instauration progressive d'un nouveau mode de gestion urbaine dans les années 80 La politique urbaine a été caractérisée pendant un siècle par la mise en chantier de

grands équipements publics (hôpitaux, stades, aménagement de l'espace public, construction d'autoroutes, etc.) et par des travaux somptuaires. La municipalité de Buenos Aires revient dans les années 80 à un plus grand réalisme gestionnaire, en grand partie inspiré du modèle libéral nord-américain. La mise en place de ce dernier se fait en plusieurs étapes :

• La première correspond à la période de la dictature militaire. Deux modèles

contradictoires se chevauchent. D'un côté, le modèle de l'urbanisme moderne, qui s'inscrit dans le vaste projet du "processus de réorganisation nationale", de modernisation physique et économique de la ville, et de mise en ordre, tant politique, que sociale et morale. Il correspond à la réalisation des projections de la ville idéale élaborées par les militaires et à une politique de grands travaux. De l'autre, le modèle libéral nord-américain qui se traduit surtout par le désengagement de l'État, par le rôle croissant accordé aux acteurs privés dans la gestion de la ville et par un début de "privatisation" de l'espace public, sous la forme de concessions pour des usages commerciaux39.

• La deuxième période est marquée par la restauration de l'État de Droit durant la

gestion radicale de 1983 à 1989. Surtout pendant les premières années de la démocratie, l'urbain est loin de constituer la préoccupation majeure. Le rétablissement des structures de représentation et d'expression de la société civile prime sur la mise en place d'une politique d'urbanisme. Le laisser-faire est toujours de mise et la privatisation de l'espace urbain va croissant.

• La troisième période, enfin, à partir de 1989, correspond à la poursuite de la mise en

place du modèle économique ultra-libéral et du programme d'assainissement des finances publiques par le parti justicialiste de C. Menem. La politique urbaine devient néanmoins l'un des points forts de la politique municipale. Les principes de son programme urbain, présentés en juillet 1989, sont, cette fois, clairement inspirés des modèles nord-américains de gestion urbaine.

39 Notamment le long de la Costanera Norte, promenade publique traditionnelle entre les bois de Palermo et les berges du rio de la Plata, située dans le nord de la capitale et dont de nombreux espaces commencent à être concédés à cette époque-là.

238

Le développement économique est l'un des grands axes du programme urbain de l'équipe péroniste qui arrive au pouvoir en 1989. Celui-ci s'articule autour de trois volets principaux : premièrement, renouveler la base économique de la ville et contrebalancer la désindustrialisation en favorisant l'initiative privée (actions de soutien aux micro-entreprises et à l'installation des PME-PMI, incitations pour l'investissement privé dans les zones urbaines délaissées, relance de la construction, programme de privatisation des services urbains, etc.) ; deuxièmement, assurer le développement social des zones défavorisées, notamment du sud de la capitale en améliorant l'habitat dégradé et précaire et en luttant contre la ségrégation urbaine ; troisièmement, réformer l'État. Dans l'organigramme de la MCBA, les compétences ayant trait au développement économique (industrie, commerce, emploi, tourisme), passent sous contrôle du service de l'aménagement et de l'urbanisme, avant de retomber en 1992 dans le giron de celui de la production et des services. Cette année-là, le remaniement municipal marque un retour à la rigueur budgétaire et à l'application des lois de réforme de l'État et d'état d'urgence économique. La modernisation de l'offre financière, scientifique, technologique, culturelle, récréative, etc., de la ville, ainsi que le positionnement de Buenos Aires dans les villes du Mercosud, sont énoncés clairement comme des objectifs essentiels de l'équipe municipale.

La réalité a cependant fait défaut. Les objectifs en matière de développement social se

sont portés sur un petit nombre d'opérations symboliques (Warnes, quelques réhabilitations à San Telmo et à la Boca, réhabilitation des bidonvilles). En matière de développement économique, les compétences de la municipalité sont limitées à l'utilisation de la norme urbaine comme moyen d'incitation à l'investissement dans les zones défavorisées. La marge de manœuvre de la municipalité est donc étroite. De plus, les contraintes financières et macro-économiques qui limitent l'action de la commune de Buenos Aires, sont beaucoup plus fortes qu'aux États-Unis, bien qu'elles ne constituent pas une raison suffisante pour expliquer les orientations de la politique urbaine municipale qui dépendent aussi de choix locaux.

Dans le contexte argentin et dans la situation économique des années 1991-1994, le

transfert du modèle de gestion nord-américain s'est traduit par la priorité donné au développement immobilier et à l'activité de la construction, signes de la réactivation économique de la ville. Les exigences de la relance des activités productives et de l'emploi sur lesquelles se polarisent les politiques entreprenariales ouvrent une ample marge de manœuvre aux promoteurs privés. L'entrepreneurialisme favorise le développement de la négociation pragmatique, incorporant des groupes d'intérêt divers et les acteurs économiques, par la constitution de réseaux et par une meilleure connaissance réciproque entre milieux économiques et sociaux (Gaudin J.P., 1989). C'est en effet ce qu'a essayé d'instituer l'équipe municipale péroniste entre 1989 et 1992.

239

2.2.2. Vers un partenariat renforcé public / privé Les promoteurs immobiliers, et plus largement les groupes économiques dont les

activités se diversifient dans les services urbains, émergent dans les années 80 comme des nouveaux acteurs de l'urbain.

La gouvernance urbaine, qui induit un retour à un certain pragmatisme économique, est

soumise à la contrainte financière et au besoin de mobiliser des capitaux et des investisseurs privés pour impulser la production et la gestion de la ville. La crise des finances locales, amplifiée par la faiblesse des ressources municipales, fait apparaître le recours au secteur privé où se trouvent les capacités de financement, comme l'une des solutions possibles : "on essaie d'encourager les particuliers à réaliser des projets qui les intéressent, en mobilisant les investissements dans un objectif productif et sur la base de sa décision" (Felcman I., op. cit., 73). La place, la mission et le rôle de l'État local sont entièrement redéfinis, tandis que la volonté de rupture avec la rigidité d'un modèle de gestion normatif est ouvertement affichée. La critique du public affichée par l'État national, dont on a déjà parlé, est telle qu'elle renverse les situations et les rôles : désormais, c'est le privé qui détient la rationalité et les capacités de mise en ordre de l'espace et de la société, l'État n'ayant plus de projet social. La politique urbaine n'est plus qu'un ensemble de stratégies coordonnées à plus ou moins long terme, et se construit à travers les multiples négociations entre les acteurs privés et publics, ce qu'exprime clairement l'adjoint à l'aménagement et à l'urbanisme de la municipalité de Buenos Aires40 en 1989-92 :

"Pendant longtemps, on a pensé que l'urbanisme était un

code, alors que c'est une politique de stratégies

d'investissements, c'est-à-dire de concertation pour

produire des investissements urbains" (Clarín, 03/11/89).

"Ce que fait [la MCBA] est mettre les terres sur la

table, avoir une idée claire de ce qu'elles valent,

sauver leur valeur et les optimiser" (à propos du Port de Madero, Clarín, 26/04/91).

40 Nous avons traduit secretario par adjoint au maire. Cependant, l'adjoint n'est pas plus élu que le maire de Buenos Aires qui correspondrait à un préfet.

240

La municipalité n'assure plus seulement le rôle d'entité régulatrice, mais aussi, et surtout, celui de promoteur de l'action privée. Elle met en place les conditions de la production de la ville, encourage l'initiative privée et mobilise leurs ressources financières : "Le rôle d'articulation des intérêts de la municipalité est associé à la formulation de politiques et de stratégies (...), conditionnée à la gouvernance du système communal" (Ószlak O., op. cit.: 64). Les orientations de la politique urbaine mise en place en 1989 entérinent le rôle joué par les acteurs privés dans la production et la revitalisation urbaines, mais, dans la pratique et à travers le code de l'urbanisme, celle-ci avait déjà été amorcée dès 1977. La possibilité de passer des accords avec des acteurs privés était d'ailleurs l'une des compétences du conseil délibérant, inscrite dans la loi-cadre de la municipalité de Buenos Aires (art. 31, alinea p).

Le promoteur constitue la figure-clé du développement urbain, parce qu'il impulse le

développement économique de la ville. C'est surtout le sens de l'attention toute particulière portée aux promoteurs dans les années 80. Le métier n'est pas nouveau, puisqu'il existe depuis que l'immobilier constitue une source potentielle de profit, mais les promoteurs jouent un nouveau rôle dans la production de la ville, et se constituent véritablement comme acteurs urbains. Leur émergence est significative de l'évolution et de la redéfinition des rôles réciproques de l'État et des acteurs privés. La fonction du promoteur ne consiste plus seulement à construire des bâtiments et à les vendre, ce qui correspondrait à une définition restreinte, mais plutôt à créer

"un nouveau processus de développement, c'est-à-dire

(...) capable non seulement de bien dessiner mais aussi

de monter des affaires, et de monter des affaires qui

signifient du travail, qui signifient un mouvement

économique, qui signifient convaincre des partenaires

de partager les risques, qui signifient sortir de la

récession41" (A. Garay, adjoint à l'aménagement et à l'urbanisme de la mairie de Buenos Aires entre 1989 et 1992. Propos rapportés par A. Gorelik et G. Sivestri, 1990, et prononcés lors d'une table-ronde organisée par la Sociedad Central de Arquitectos). C'est clairement au modèle nord-américain (ou anglo-saxon) de la ville que fait

référence la figure du promoteur. Dans un colloque sur l'aménagement du vieux port de Madero en mars 1992, réunissant pour la première fois les acteurs publics et privés de la ville,

41 C'est nous qui soulignons, afin de mettre en valeur l'insistance sur le rôle des promoteurs comme partenaires dans le développement économique et urbain.

241

l'opération new-yorkaise de Battery Park est longuement évoquée, en contrepoint de l'opération d'aménagement des délaissés portuaires de Puerto Madero. La présence de l'architecte argentin Cesar Pelli, auteur du projet architectural et urbain, et du complexe, plus discuté de Canary Wharf dans les Docklands de Londres, est significative de l'engouement pour le modèle de production de la ville nord-américaine. Le terme utilisé pour désigner le promoteur, desarrollador, n'est d'ailleurs qu'une simple traduction de l'anglais.

"Le developer est une figure très américaine qui

apparaît au début du siècle devant la nécessité d'une

transformation commerciale aux États-Unis (...). Il

transforme les villes, récupère des quartiers. Sa

mission spécifique est de lancer des projets" (définition du developer donnée, dans une entretien à Clarín, par J. Bernstein, représentant immobilier argentin de l'entreprise immobilière nord-américaine, Interterra et developer de plusieurs projets de shopping centers, dont le premier programme de Spinetto et le deuxième projet d'Abasto, et qui cite volontiers comme modèles les opérations de réhabilitation de friches portuaires du promoteur nord-américain J. Rouse). La promotion ne se limite pas seulement à la production immobilière, mais s'étend

beaucoup plus largement à la production de la ville. 2.2.3. La logique publique des shopping centers Dans le nouveau modèle de gouvernance urbaine, l'aménagement de l'espace public par

l'État ne constitue plus une priorité. Les secteurs non directement rentables de l'économie publique, entre autres, la production et le maintien des espaces et des lieux publics, qui servent essentiellement à la reproduction de la société, à la socialisation des individus et à la promotion de valeurs nationales, sont abandonnés par l'État au secteur privé.

La centralité reste cependant au cœur du débat, comme elle l'a été, il y a un plus d'un

siècle, à travers les opérations d'aménagement, de modernisation et d'embellissement de la ville. Le renforcement des fonctions centrales de Buenos Aires a toujours constitué l'un des axes récurrents du discours et de la pratique urbaines. Preuve en est l'attention apportée par les généraux entre 1976 et 1982 à l'embellissement et à l'amélioration de la ville-centre, et plus particulièrement du centre-ville (notamment, à travers la piétonnisation des rues Florida et Lavalle), dans leur processus de "mise en ordre".

242

L'État essaie d'éviter les mouvements centrifuges et la fuite des activités du centre. Que la municipalité de Buenos Aires tente d'étendre le centre vers San Telmo, au sud, à travers le remplacement de la norme urbaine U24 par la norme urbaine APH (Areas de Protección Histórica), plus souple quant à la restauration du patrimoine et au développement immobilier du quartier historique, vers le fleuve à l'est avec le programme isolé des tours de bureaux de Catalinas Norte et l'opération récente d'aménagement des friches de l'ancien port de Madero, vers les quartiers péricentraux du nord de la ville (Barrio Norte, la Recoleta et de plus en plus Palermo) à travers la norme urbaine, tous les moyens sont bons pour maintenir la centralité. La municipalité péroniste au pouvoir depuis 1989 a aussi soigné le centre dans sa politique urbaine, en faisant porter ses efforts sur des opérations de prestige, à haute teneur symbolique. La restauration de l'avenue de Mayo est parmi les actions les plus significatives. Le choix de l'avenue de Mayo, comme principale opération de restauration et d'aménagement sur laquelle ont porté les efforts financiers de la municipalité et les subventions internationales, est plein d'enseignements. Celle-ci, riche de ses multiples fonctions, commerciales, sociales, politiques et symboliques, a une tout autre portée que d'autres avenues plus monofonctionnelles. Elle a été retenue au détriment d'autres avenues, moins symboliques, plus commerciales, et surtout moins centrales, comme l'avenue Cabildo qui connaît pourtant la même désaccélération. L'opération de l'avenue de Mayo constitue une tentative de maintien de l'image du centre et du contrôle de l'État sur celui-ci, de restauration du pouvoir symbolique de l'État, au nom d'une vision un peu nostalgique du centre-ville, qui est le

"lieu démocratique par excellence, parce qu'y viennent

toutes les classes sociales confondues pour travailler,

vendre, se promener" (interview d'A. Garay, Clarín, 10/05/9242). Les shopping centers coïncident donc avec plusieurs objectifs économiques, sociaux,

symboliques de la politique municipale, voire nationale. C'est là que se trouve la logique politique de la modernisation commerciale.

Premièrement, les shopping centers représentent des milliers de m² bâtis, élément

visible, pour ne pas dire odorant43, des activités productives de la ville et de la réactivation du secteur de la construction.

42 Le texte complet des propos tenus par A. Garay est le suivant : "Durant la période de récession économique, les transformations urbaines ont surtout concerné un marché à haut pouvoir d'achat, entre Palermo, Barrio Norte et Belgrano. Mais ces centres exclusifs se transporteront bientôt vers le sud et dans le centre. Avec la stabilité et l'extension du crédit, les classes moyennes auront la capacité de consommer. Pour nous, le centre est le lieu démocratique par excellence, parce qu'y viennent toutes les classes sociales confondues pour travailler, vendre, se promener".

243

Deuxièmement, ils contribuent à la revitalisation urbaine, de par leurs effets induits sur

leur environnement urbain, même si ceux-ci varient dans le temps et dans l'espace, et diffèrent en fonction des caractéristiques de leur zone d'implantation, de leur propre dynamisme commercial interne et de leur force d'attraction. Ils ont en particulier des impacts sur la construction et sur l'immobilier, sur la relance et la modernisation du commerce. Le recyclage des Galerías Pacífico doit permettre de réveiller la rue Florida (ce qui a effectivement été le cas), celui des deux marchés de gros de Spinetto et d'Abasto doit stimuler le développement de quartiers qui avaient connu leur heure de gloire avec le tango de Carlos Gardel et que la fermeture des marchés avait fait décliner. En même temps, la réhabilitation de ces monuments est un élément favorable au développement touristique de la ville.

Troisièmement, les shopping centers qui recréent l'ambiance de la rue et des espaces

publics, sont des nouveaux lieux publics potentiels, alors que l'État a choisi de se désengager de la gestion de l'espace public et d'en concéder certains morceaux. La construction des shopping centers entérine le retrait de l'État. Dans la zone centrale, ils sont l'un des éléments qui renforcent la centralité.

Quatrièmement, en tant que vitrines du centre-ville, ils participent à la politique d'image

de la ville, en mettant en scène les lieux urbains et en apparaissant comme la face moderne, développée et dynamique de Buenos Aires. À l'adresse des étrangers et des investisseurs internationaux, ils sont l'un des signes visibles du changement économique et de la métropolisation de la ville, alors que les villes latino-américaines sont elles aussi soumises à une concurrence interurbaine de plus en plus rude. Ils marquent aussi l'entrée dans le premier monde, au cœur du discours présidentiel, seul projet politique et social du début des années 90. Preuve en est les propos de Carlos Menem lors de l'inauguration d'Alto Palermo. Leur cynisme contraste avec les affirmations sur la fonction du centre de l'adjoint à l'aménagement et à l'urbanisme à la même époque, citées ci-dessus :

"Je voudrais exprimer l'énorme satisfaction que je

ressens devant l'inauguration de ce monument

spectaculaire qui marque une étape historique, la

naissance d'une Argentine à laquelle, nous, ses

habitants, aspirons tous"44.

43 La relance des chantiers se remarque sensiblement par la multiplication des asados des ouvriers de la construction pour leur déjeuner. 44 C'est nous qui soulignons.

244

Enfin, le mode de gestion privé, contrôlé et planifié du shopping center en fait un modèle urbain pour la gestion de l'espace public de la ville de Buenos Aires, en particulier des rues et des avenues commerçantes. De modèle d'espace, le shopping center devient l'espace-modèle. Au contrôle de l'État, se substitue le contrôle des acteurs privés. Le shopping center affiche la démission de l'État de ses fonctions traditionnelles et le transfert au secteur privé de certaines de ses attributions.

"Ce modèle de gestion centralisée d'un espace public

nous a conduit à penser que la rue, aussi, doit

redéfinir son mode de gestion : les commerçants doivent

formuler leur mix, promouvoir des événements communs,

garantir eux-mêmes la sécurité, élaborer des stratégies

de commercialisation ; en somme, il faut un modèle

capable de renverser la tendance d'évolution négative

de la rue" (A. Garay, article sur le PRAM, Programme de Réhabilitation de l'Avenue de Mayo, Vivienda, n°357, avril 1992). Mais alors qu'ils ont des impacts indéniables sur leur environnement, qu'ils contribuent

au renforcement de la centralité et constituent de nouveaux lieux de fréquentation publique, le thème des shopping centers qui est largement abordé dans la presse, comme on le verra, est résiduel dans le discours urbain des acteurs municipaux qui porte plus sur les grandes opérations d'urbanisme médiatiques (l'aménagement du port, des terrains de la gare de Retiro, la restauration de l'avenue de Mayo). La modernisation du commerce, notamment dans la capitale et en centre-ville, a des implications politiques qui sont en effet loin d'être négligeables. La construction de shopping centers dans la zone centrale est issue des négociations entre les pouvoirs publics, tant locaux que nationaux, et les promoteurs commerciaux, qui, dans le contexte de la mise en place de modèles urbains de type entreprenarial, constituent des acteurs essentiels de l'urbain. Les stratégies immobilières paraissent au cœur des négociations. Plusieurs données locales doivent être intégrées à l'analyse des nouveaux modes de la gouvernance urbaine en Argentine : la crise financière locale se manifeste d'autant plus durement que les ressources des municipalités sont faibles au départ, et souvent mal utilisées ; les municipalités ont un assez faible degré d'autonomie ; à Buenos Aires, en particulier, en raison de l'"enjeu-capitale", le pouvoir national est prééminent dans les décisions locales.

245

Chapitre 3. Les stratégies urbaines des promoteurs commerciaux et des acteurs institutionnels

"L'espace est un support mais aussi une ressource et donc un enjeu" (Raffestin C., 1980:

41). Il est à la fois une contrainte et un enjeu de l'action des promoteurs commerciaux et des acteurs institutionnels. D'une part, la rationalité de l'action des pouvoirs publics est limitée par les contraintes fortes de sa faible autonomie institutionnelle et de son endettement ; d'autre part, l'accès au sol urbain peut aussi hypothéquer l'action des promoteurs privés, notamment dans la zone centrale. Les enjeux des négociations entre acteurs institutionnels et promoteurs portant sur l'implantation des shopping centers reposent sur deux points particuliers :

• Pour les promoteurs, c'est la question du foncier et de la compatibilité avec la norme

urbaine, et plus largement les question de localisation, qui importent. En effet, le prix d'un terrain dépend de son emplacement, des usages et des droits à construire qui lui sont attribués, c'est-à-dire de la norme urbaine.

• Pour les acteurs institutionnels, les shopping centers peuvent jouer un rôle dans le développement urbain et économique de Buenos Aires. Ils ont des potentialités à créer de la centralité, à être des lieux publics, à constituer des pôles structurants, mais aussi à être des vitrines de la ville.

La contrainte structurelle économique est forte, mais l'orientation et le contenu des

politiques urbaines dépendent aussi de choix locaux. Si le discours politique n'est guère explicite en ce qui concerne l'attitude des pouvoirs publics par rapport aux shopping centers, en dépit des enjeux qu'ils représentent, la logique publique, le comportement et les intérêts des acteurs publics dans la construction des shopping centers apparaissent à la lecture des ordonnances municipales et des autres textes législatifs et réglementaires qui encadrent la production des shopping centers. Ils permettent de préciser quel est le sens de la régulation en Argentine.

Dans le contexte particulier de Buenos Aires, où la concentration spatiale est très

accentuée, la pression sur le sol urbain en centre-ville et plus largement dans la zone centrale est forte, le prestige y est grand, les potentialités commerciales supérieures, et les conflits d'usage plus importants, tandis que l'impact des shopping centers régionaux sur un milieu urbain dense est décuplé.

Les petits promoteurs occasionnels interviennent généralement en marge de la zone

centrale ou dans la zone périurbaine, où la charge foncière est moins élevée, et les promoteurs distributeurs ont une politique d'acquisition foncière essentiellement tournée vers la

246

périphérie. En revanche, comme on l'a vu, les promoteurs intégrés et les promoteurs associés construisent des shopping centers dans la zone centrale. Là, seule l'intervention des acteurs publics rend possible la construction des shopping centers. Ceux qui ont nécessité des accords entre promoteurs et acteurs publics sont indiqués dans le tableau n° 12. Deux d'entre eux sont situés dans la banlieue de Buenos Aires (Soleil, dont les terrains ont été attribués pendant la dictature militaire, et Avellaneda Shopping Center). Les autres sont localisés dans la zone centrale, en dehors de Parque Almirante Brown Factory, compris dans un vaste projet d'urbanisation cependant au point mort. La signature d'accords entre les acteurs publics et les promoteurs commerciaux, l'une des modalités d'action de la municipalité de Buenos Aires incluse dans la loi-cadre de 1881, se justifie par l'intérêt général que peut représenter leur construction. Voyons donc concrètement comment fonctionne l'urbanisme réglementaire dans ce contexte particulier, et ce que recouvrent, dans ce cas particulier, les principes qui guident la pratique urbanistique de la municipalité.

247

Tableau n° 12 : liste des shopping centers ayant appelé des interventions particulières de la part des pouvoirs publics et la signature d'accords entre acteurs publics et opérateurs privés

opérations situation du intervention sur vote d'une profil du centre architecture foncier exception (1) promoteur Spinetto zone centrale X X distributeur Alto Palermo zone centrale X intégré Galerías Pacífico zone centrale X X associé Patio Bullrich zone centrale X X associé Paseo Alcorta zone centrale X associé Avellaneda S.C. périphérique X intégré Abasto zone centrale X X intégré Plaza del Pilar zone centrale X ? X intégré Parque Almirante Brown Factory

urbaine périphérique

X distributeur

Soleil périphérique X distributeur Barrancas de Belgrano

péricentrale X X associé

(1) Il s'agit du vote par le conseil délibérant de mesures exceptionnelles permettant la construction d'un shopping

center dans une zone où celle-ci n'est en principe pas autorisée. Comme les enjeux sont majeurs dans la capitale, et plus particulièrement dans la zone

centrale, nous nous intéresserons principalement aux négociations entre les promoteurs des shopping centers de la ville de Buenos Aires et les acteurs institutionnels qui y interviennent.

1. Les négociations entre acteurs privés et acteurs publics : la norme urbaine et le foncier

Étant donné les contraintes assez fortes induites par les réglementations du code de

l'urbanisme de la ville de Buenos Aires, les possibilités de la construction des shopping centers sont limités à quelques zones particulières. Celle-ci nécessite une intervention publique souvent dérogatoire du droit commun de l'urbanisme ou ayant en tout cas un caractère volontariste ou exceptionnel (du type ZAC en France). La politique urbaine se construisant à travers les stratégies réciproques et les interactions des différents acteurs concernés, l'implantation des shopping centers fait l'objet de négociations et d'arrangements informels entre les promoteurs et les acteurs institutionnels.

1.1. Les négociations sur la norme urbaine

248

1.1.1. Absence de législation d'urbanisme commercial Les shopping centers sont soumis à trois types de législations, urbaine, patrimoniale et

commerciale. Leur application relève de niveaux administratifs et territoriaux et d'autorités compétentes différents.

Les premières autorisations pour la construction de shopping centers ont été octroyées

dans des conditions de rupture avec la légitimité juridique, pendant la dictature, comme c'est le cas pour le Patio Bullrich qui a donné lieu à un véritable imbroglio juridique après le rétablissement de la démocratie, ou pour l'hypermarché Carrefour, hors de la capitale, à San Isidro dans la banlieue nord (auquel est adjoint, trois ans plus tard, une galerie commerciale : Soleil), installé sur les terrains du C.E.A.M.S.E. (Cinturón Ecológico Area Metropolitana- Sociedad del Estado)45 qui provenaient de l'expropriation et étaient en principe destinés à des usages récréatifs ou en tout cas publics.

Pour pouvoir construire un shopping center dans la ville de Buenos Aires, il suffit en

principe d'obtenir un permis de construire ainsi qu'une habilitation commerciale pour l'ensemble du shopping center puis pour chacun des locaux. Le respect du code de l'urbanisme, c'est-à-dire des réglementations de zonage et des normes d'occupation des sols, comme de celui du code de la construction, également local, sont en principe les conditions minimales46. Les autorisations d'implantation ne prennent en compte ni l'équilibre global du système commercial, ni le rapport entre les hiérarchies commerciales et urbaines, ni les relations entre le bâtiment et son environnement, ni son éventuel impact sur celui-ci, ne comportant que des obligations de compatibilité d'usage et d'occupation des sols. Il n'existe aucune loi d'urbanisme commercial, comme dans la plupart des pays européens, équivalente à la loi Royer ou à toute autre législation de type conservateur, et aux législations des pays d'Europe du nord. Comme il n'existe pas non plus de structure intercommunale à l'échelle de l'agglomération, et que la capitale et les 19 partidos relèvent, comme on l'a dit, de deux juridictions différentes, il n'y a pas plus de réflexion coordonnée sur la distribution spatiale des shopping centers et sur le commerce en général. La seule tentative d'unification de la politique d'approvisionnement et d'intervention dans le secteur de la distribution à l'échelle de

45 Le C.E.A.M.S.E., organisme public national, provincial et municipal avait été créé en 1977 par les militaires pour créer une ceinture verte périphérique dans l'agglomération de Buenos Aires sur 30 000 hectares de terres inondables remblayées par des ordures. 46 Dans la province de Buenos Aires, l'octroi des permis de construire est subordonné au contrôle des autorités provinciales. L'implantation des shopping centers se fait dans des zones dites d'urbanisation spéciale dont les normes sont en principe plus strictes (surface minimale de la parcelle, équipements et infrastructures sanitaires, respect des zones résidentielles voisines, accès au centre commercial, etc.).

249

l'agglomération a été le regroupement des marchés de l'agglomération dans le marché central de la Matanza, déjà mentionné, au nom d'impératifs fonctionnalistes et hygiénistes et à travers la création d'une entité juridique autonome dépendant à la fois de l'État, de la province et de la municipalité de Buenos Aires. En fait, elle a signifié une perte du contrôle des collectivités locales sur l'approvisionnement qui était l'une de leurs compétences (en particulier de la municipalité de Buenos Aires). Pour le gouvernement, ce regroupement facilitait le contrôle des prix dans l'un des secteurs stratégiques de l'économie argentine, l'agro-alimentaire.

La réfection des bâtiments qui possèdent une valeur patrimoniale doit aussi obéir aux

différentes spécifications, nationales ou locales, concernant la protection patrimoniale. La législation nationale concerne la préservation des monuments historiques classés (loi 12.665 de 1940). Les réglementations locales particulières du code de l'urbanisme s'appliquent à certains bâtiments ou à des périmètres géographiques délimités (zones d'architecture spéciale AE, zones d'urbanisation particulière U et zones APH -areas de protección del patrimonio histórico- créées en 1990). L'aménagement des shopping centers est dans ces cas-là soumise au contrôle de la commission des musées, des monuments et des lieux historiques pour les monuments publics nationaux classés comme les Galerías Pacífico, de l'ex-commission municipale de préservation des zones historiques pour les bâtiments inclus dans le périmètre des zones d'architecture (AE) spéciale du code de l'urbanisme comme le Patio Bullrich, au conseil de planification urbaine pour la préservation des bâtiments dotés d'un intérêt historique, architectural, artistique, local et protégés par des ordonnances municipales comme Spinetto.

La réglementation urbaine restreint la liberté du commerce et le droit de propriété.

Comme on l'a dit, le commerce fonctionne, au départ, selon une logique différente de celle de l'urbanisme. En Argentine, les deux relèvent de législations différentes : d'une part, les réglementations urbaines locales, d'autre part, le droit commercial national, en l'occurrence la loi de promotion commerciale 18.425 de 1969, toujours en vigueur en dépit de quelques adaptations. Outre le fait susdit qu'elle permet des entorses à la législation du travail sur les repos hebdomadaires, cette loi instaure des mesures incitatrices en faveur du développement du grand commerce et de la modernisation de la distribution47. L'article 14 de cette loi permet au gouvernement national, dans l'ensemble du pays sauf dans la capitale, et à la municipalité

47 Elle a été précédée par le décret 7314 de 1961, la loi 17.024 de 1966, qui établissaient déjà un régime spécifique pour les supermarchés. L'une des grandes limites de la législation commerciale mise en place dans les années 60 est justement d'impulser la modernisation du commerce dans ses formes, puisque les subventions vont à la création d'établissements nouveaux soumis à des conditions formelles (superficie, surface de stationnement, nombre de produits commercialisés) et non logistiques.

250

de Buenos Aires, d'attribuer librement des terrains et / ou des bâtiments de propriété fiscale48 aux organismes concernés par la présente loi (sociétés de supermarchés, d'hypermarchés, promoteurs de centres d'achat, etc.) et de leur octroyer des exemptions fiscales afin d'encourager l'investissement commercial et la modernisation du secteur de la distribution. Effectivement, des terrains ont été cédés par les autorités nationales ou municipales pour la construction d'hypermarchés et / ou de shopping centers dans le cadre des négociations avec les multinationales de la distribution, pendant la dictature (Soleil à San Isidro, Parque Almirante Brown Factory à Buenos Aires). D'un côté, le droit commercial, national, est incitatif, et il donne des compétences à la municipalité de Buenos Aires ; de l'autre, le droit urbain, local, est limitatif. Entre les deux, les stratégies interdépendantes des acteurs font le travail. La carte des aires d'influence des shopping centers montre que celles-ci se recoupent largement, surtout dans la zone centrale, où la concentration est accentuée (carte n° 26). Les impératifs de la modernisation du secteur de la distribution ont, semble-t-il, primé sur les préoccupations d'urbanisme. Mais l'absence de législation d'urbanisme commercial ne signifie pas nécessairement pour autant un laisser-faire.

1.1.2. Les contraintes normatives Le code de l'urbanisme de la ville de Buenos Aires de 1977 impose d'importantes

limitations concernant les droits à construire dans la capitale : des restrictions globales et zonales de densité sous la forme de coefficients de densité et de règlements de retrait combinés, le taux d'occupation de la parcelle (FOS : factor ocupación suelo) et le COS (FOT : factor ocupación total), ainsi que des règles de hauteur et de retrait (internes et externes à la parcelle).

• Les coefficients moyens d'occupation des sols sont très restrictifs. Le code de

l'urbanisme de 1977 présentait des différences notables avec la première version du code de 1972-73, allant dans le sens d'un plus grand libéralisme (Suarez O., 1986)49. Le COS moyen est de 1,5 pour l'ensemble de la capitale50.

48 Les terres fiscales sont des réserves foncières appartenant à une entreprise nationale publique et réservés à des usages publics futurs. 49 En effet, le code d'aménagement de 1977 reprend en grande partie la première version de 1973 établie par une équipe d'urbanistes (parmi lesquelles O. Suarez), en application du schéma directeur de 1962. 50 La densité moyenne est passée de 2,2 à 1,5 entre les deux versions du code d'urbanisme de 1973 et de 1977. Les zones résidentielles de densité moyenne et élevée présentent des COS respectifs de 1 et 2 (2,5 et 3,5 dans la version de 1973) et de 1 dans les zones à faible densité (contre 0,6 dans le code de 1972-73), mais les COS sont beaucoup plus hauts dans les zones centrales (C1, C2 et C3). Il est de 2 pour les usages résidentiels, mais il est plus élevé pour les usages non-résidentiels permis : 5 dans les zones C1 et C2, 2 dans la zone C3 (4 et 2 dans les zones C3I et C3II issues de la révision du POS en 1989). Source : Suarez O., op. cit..

251

• Les règles de retrait obligent à laisser un espace libre au centre de l'îlot, le poumon

vert, afin d'aérer le tissu urbain. Or, si les shopping centers ne dépassent jamais les trois étages, n'appelant pas de dispositions particulières à cet effet, ils ont une densité qui empêche toute construction dans des zones d'habitat.

• Les règlements de zonage sont complexes, peu prospectifs et finalement limitatifs. Le

code fournit une liste très détaillée d'usages autorisés dans chaque type de zone en fonction des caractéristiques urbaines dominantes de celle-ci. Un paragraphe est plus spécifiquement consacré au commerce de détail. Au nom d'un fonctionnalisme rigide, il crée une séparation nette entre les usages, imposant la compatibilité entre les usages résidentiels et les activités consommatrices d'espace ou pouvant avoir un impact fort sur leur environnement.

1.1.3. Adaptabilité du code de l'urbanisme Si le code de l'urbanisme de Buenos Aires restreint fortement l'occupation des sols et

limite le libre exercice du droit de propriété, il comprend aussi des dispositions plus libérales, destinées à assouplir l'application du droit urbain, à permettre son adaptation aux diverses situations et à encourager les initiatives des investisseurs privés dans la production urbaine. Soit des règles alternatives existaient dans le code d'urbanisme de 1977, soit elles ont été rapidement introduites après sa mise en application. En particulier, le code a été modifié en 1983, et des dispositions restreignant le caractère contraignant du code de l'urbanisme et augmentant les droits à construire dans certaines zones ont été ajoutées (Flores S. M., 1993 : 40). Une autre modification en 1989 élévait les COS et accentuait les discriminations zonales dans certains quartiers, afin de stimuler les investissements et de relancer la construction dans des quartiers où celle-ci était un obstacle à la revitalisation urbaine et à la densification. Les trois principales dispositions de flexibilité de la norme urbaine, qui correspondent à différents degrés de légalité, ont trait à l'application de règles alternatives contenues dans le code de l'urbanisme (normas particulares), à la procédure particulière de la rénovation urbaine, et à la possibilité d'obtenir des dérogations au code, le cas échéant (normas excepcionales).

Les tableaux suivants récapitulent le niveau d'exceptionnalité des dispositions

particulières accordées pour la construction des shopping centers ainsi que le contenu des ordonnances municipales qui l'autorisent.

252

Tableau n° 13 : tableau récapitulatif des accords passés entre les opérateurs privés et les

acteurs institutionnels

opération n° des ordonnances municipales

motif de l'accord passé entre la MCBA et le promoteur

acteur institutionnel avec lequel a été passé l'accord

Patio Bullrich 38.519/82, 42.065/87 et 42.218/87

accord particulier MCBA

Spinetto 37.511/82 et ? accord particulier MCBA Alto Palermo 35.856/80 et 42.364/87 accord particulier MCBA Galerías Pacifíco aucune (l'usage commercial

est permis dans la zone C1) accord particulier au titre de la loi 23.696/89

État national

Paseo Alcorta 40.433/85, 43.231/88 accord particulier MCBA Plaza del Pilar aucune accord particulier au titre de

la loi 23.696/89 MCBA

Abasto 40.357/84, 40.476/84, 41.776/86

accord particulier MCBA

253

Tableau n° 14 : contenu des accords passés entre les opérateurs privés et les acteurs institutionnels

opération règle alternative mesure dérogatoire protection

architecturale autres dispositions particulières

Patio Bullrich aucune usage C2 (dans une zone R2a)

municipale (AE14) surélévation du Patio

Spinetto cumul de plusieurs règles alternatives

usage C3 et E3 dans une zone R2a galerie commerciale FOT (4,4 contre 2 dans zone R2a)

municipale particulière au bâtiment

construction d'un bâtiment en hauteur en cœur d'îlot dans la 1ère ordonnance

Alto Palermo remembrement foncier

usage (centre d'achat) (1) FOS / FOT (possibilité de transfert)

- ouverture d'une rue privée

Galerías Pacifico aucune aucune nationale (décret 929/89) municipale (AE16)

-

Paseo Alcorta normes d'urbanisation particulières à la zone U15 : projet de développement intégral règle alternative pour terrain de plus de 5 000 m²

usage (galerie commerciale, hypermarché) FOT (R2a / R1b)

- prolongement d'une rue et caducité d'une mesure locale concernant l'ouverture d'une rue intérieure à l'îlot

Abasto aucune usage FOT sur parcelles voisines

municipale (U25) procédure de la rénovation urbaine et modification du POS

Barrancas de Belgrano

- FOT usage FOS (90%)

- modification du POS : affectation C3 (1989 : UP)

La Recoleta accord particulier ? municipale (U29) ?

(1) Alto Palermo, au départ, devait comporter un grand magasin (supertienda). Mais les Galeries Lafayette, qui

avaient été pressenties, se sont retirées du projet. Aussi le shopping center ne répond-il pas aux normes de la

définition du centro de compras de la loi 18.425/69. Ces tableaux sont commentés dans les pages suivantes. Pour l'explicitation des sigles, se

reporter à la p.277. a) Rénovation urbaine et urbanisme opérationnel

254

La procédure de la rénovation urbaine vise à encourager et à stimuler l'investissement privé dans la production de la ville à travers un type d'aménagement global. Elle fait l'objet de la huitième section du code d'aménagement. Les modalités juridiques d'intervention des acteurs publics et privés n'en sont néanmoins pas précisées : la procédure fonctionne par dérogations au droit commun de l'urbanisme (fixation du COS et transfert de COS entre plusieurs parcelles, etc.), mais celles-ci ne sont pas délimitées et le partenariat public / privé n'est pas défini, comme en France, où il porte sur des mesures telles l'acquittement de la taxe locale d'équipement, le dépassement du plafond légal de densité, la réalisation d'équipements à caractère public et / ou privé, etc., dans le cas réglementaire des ZAC. Celle-ci n'a pas empêché, il est vrai, que ne se développe un pouvoir discrétionnaire, l'État favorisant alors la formation du profit de certaines entreprises.

Selon la définition du code de l'urbanisme de Buenos Aires, la rénovation urbaine peut

s'appliquer dans les zones qui nécessitent une restructuration intégrée pour des motifs de dégradation urbaine, d'existence de friches ou pour des raisons d'utilité publique. L'utilisation des terrains et la construction est gelée pendant deux ans, afin que soient redéfinis l'affectation et les usages dans le périmètre inscrit en rénovation urbaine (section 5 du code). Cette procédure a été utilisée dans les cas d'Alto Palermo et d'Abasto, sur lesquels nous allons revenir plus particulièrement.

b) La sollicitation de normes particulières Le code de l'urbanisme comprend en effet plusieurs dispositions applicables dans

certaines conditions particulières, ainsi que d'autres dispositions plus libérales, incitatives pour l'investissement privé. Ce sont en particulier les propriétaires de grandes parcelles qui sont favorisés. Les densités permises dans le centre (zones C1 et C2) sont plus élevées que dans les autres zones, notamment pour les usages non résidentiels. Le code de l'urbanisme offre aussi de nombreuses possibilités de majoration des COS, afin d'éviter la division parcellaire des terrains de plus de 5 000 m² (ch.2.2.2. du code de l'urbanisme)51, de favoriser le remembrement qui est laissé à l'initiative des acteurs privés52, de permettre le développement des activités économiques dans les zones centrales, et enfin d'encourager la construction d'édifices non-mitoyens dans les zones résidentielles de densité élevée ou

51 Dans ce cas, le conseil de planification urbaine (CPU) peut proposer une augmentation de COS de 0,5 au maximum. La révision du code de 1989 assouplit encore cette mesure en introduisant des modifications au ch. 2.2.2. : la superficie des parcelles pour lesquelles peuvent être obtenues des normes particulières est abaissée à 2 500m² (ord. 44.095/89). 52 La valeur du COS permis dans la zone correspondante peut être majorée de 20%, suivant le ch. 3.2.5., lui aussi dérogé par l'ordonnance 44.095.

255

moyenne53. La loi des Indes imposait un lot standard de très petite taille, de 8,66 m de front, la profondeur du lot allant déclinant vers les angles de l'îlot. Dans l'introduction au code de l'urbanisme, les incitations au remembrement sont indiquées comme l'un des moyens essentiels d'amélioration de la qualité du tissu urbain et d'encouragement de l'action privée : "il a été considéré comme nécessaire de prévoir des incitations au remembrement, étant donné que le lot colonial ne permet pas de réaliser de bons projets". (ch. 2.2.2.).

Plusieurs shopping centers ont ainsi bénéficié de mesures incitant au remembrement et /

ou de mesures empêchant le morcellement parcellaire, et ont obtenu des majorations de COS conséquentes : Spinetto dans sa première version, Alto Palermo dans la première ordonnance votée en 1980 qui concernait un projet intégré de galerie commerciale et de tours de logements, Paseo Alcorta, Barrancas de Belgrano Shopping Center, Abasto. Les dérogations accordées pour Paseo Alcorta, situé dans un quartier aux caractéristiques urbaines particulières (zone U15), à la frontière d'un quartier très dense entre les avenues Libertador et Figueroa Alcorta et d'un quartier de très faible densité, très aisé, aux caractéristiques urbaines particulières protégées, Palermo Chico, sont également encadrées par le code de l'urbanisme. En effet, dans les zones où un petit nombre de propriétaires fonciers occupe plus de la moitié de la superficie, ceux-ci ont le droit de proposer des normes d'urbanisation particulières.

Le mode de calcul des surfaces soumises au COS permet également une différenciation

entre la densité autorisée par ceux-ci et la densité réelle du bâtiment. Les surfaces de stationnement (couvertes ou semi-couvertes) et les espaces souterrains sont exclus du calcul, tandis que ne compte que pour moitié la superficie des terrasses et des balcons couverts, des portiques et des galeries. Or, tous les shopping centers, à l'exception des Galerías Pacífico, situées dans l'hypercentre et qui obéit pour cette raison à des règles spécifiques à la zone centrale C154, comprennent une surface de stationnement semi-couverte ou souterraine et / ou des terrasses. La surface de stationnement semi-couverte de Paseo Alcorta occupe la moitié du bâtiment et de vastes terrasses extérieures.

c) L'obtention de dérogations au code de l'urbanisme : une utilisation discrétionnaire et

peu réglementée

53 Le COS est de 3,5 au lieu de 2 dans les zones résidentielles à densité élevée et de 2,5 dans les zones à densité moyenne, de 3 dans les zones C2 pour les usages résidentiels, et de 3 aussi dans les zones C3 pour les usages non-résidentiels. 54 Les surfaces de stationnement sont interdites, sauf pour un petit nombre défini d'usages, desquels les shopping centers ne faisaient pas partie en 1993 (l'usage étant alors en cours de définition).

256

Patio Bullrich, Spinetto, Alto Palermo, Paseo Alcorta ont en outre obtenu des dérogations au droit commun de l'urbanisme, accordées au cas par cas, afin d'accroître les ratios d'occupation des parcelles et de libérer de la contrainte du "poumon vert" du centre d'îlot, dans le cas des shopping centers construits ex-nihilo, mais aussi de ceux qui comprennent une extension à un bâtiment existant (Patio Bullrich). Elles portent aussi sur l'acceptation d'usages en principe incompatibles avec l'usage résidentiel : shopping centers, centres d'achat, supermarchés et hypermarchés. Les usages hypermarchés et centres d'achat ont été créés dans les années 1986-1988, puisque Paseo Alcorta et Alto Palermo ont été enregistrés, le premier sous les usages combinés de galerie commerciale et hypermarché, et le second sous celui de centre d'achat, les usages passage commercial et grand magasin ayant été introduits en 1989, et l'usage shopping center, en 1993, soit six ans après l'inauguration du premier shopping center et près de dix ans après que les premières autorisations de construction ont été accordées (voir tableaux n° 15, 16 et 17). L'absence de définition adéquate des usages apparus après la mise en application du code de l'urbanisme a permis à toute une génération de shopping centers de croître dans un vide juridique, louvoyant au gré des définitions les plus proches et exploitant les interstices de la législation urbaine (commerce de détail pour Spinetto et Patio Bullrich, centre d'achat pour Alto Palermo en 1987, galerie commerciale et hypermarché pour Paseo Alcorta en 1988, etc.). Nous reviendrons un peu plus loin sur la façon dont sont créées et utilisées les règles par les acteurs publics et privés, dans ce cas précis.

1.2. Les négociations sur le foncier : l'enjeu foncier dans la zone centrale

C'est surtout à travers la négociation foncière entre les promoteurs et les acteurs

municipaux qu'apparaît au grand jour la nature des relations entre les acteurs économiques et les acteurs institutionnels.

1.2.1. Les enjeux réciproques de la négociation foncière a) Les contraintes foncières pour les promoteurs commerciaux La deuxième contrainte forte qui pèse sur l'action des promoteurs privés est foncière. La

disponibilité en terrains bien situés et le coût modéré du foncier sont deux facteurs essentiels des choix d'implantation d'un centre commercial. L'espace, matérialisé par le sol urbain, est le support de l'activité de la promotion immobilière commerciale. Il a dans la zone centrale une valeur d'utilité et une valeur symbolique qui en fait un enjeu primordial dans les négociations entre les acteurs privés et publics.

257

Or, la disponibilité en terrains réunissant toutes ces caractéristiques y est réduite. En outre, la parcellisation foncière est accentuée dans la capitale par les normes limitatives imposées par le lotissement colonial et par les mécanismes de subdivision des terres propres à l'urbanisation de l'agglomération de Buenos Aires. Au début des années 80, seulement 6% des lots avaient des dimensions suffisantes pour que puissent y être construites des tours (Súarez, O., 1986 : 60), qui nécessitent, comme les centres commerciaux, des surfaces de terrain importantes. Cet "éclatement" foncier rend d'autant plus complexes et longs la constitution de parcelles de grande superficie et les processus de remembrement qui restent spontanés et ne font pas l'objet d'aucune politique publique. Le laisser-faire foncier est presque total.

Les friches industrielles et les bandes de terres délaissées (portuaires, ferroviaires) en

lisière du centre-ville et dans les quartiers péricentraux offrent néanmoins des potentialités pour le développement urbain et immobilier (voir carte n° 27). Les terres urbanisables et les bâtiments désaffectés appartiennent soit au secteur privé, quand il s'agit d'anciennes zones industrielles ou semi-industrielles et d'anciens marchés55, soit au domaine privé ou public, national ou municipal, de l'État, auquel s'ajoutent les terres fiscales dont l'un des plus importants propriétaires était l'entreprise nationale publique, aujourd'hui privatisée, Ferrocarriles Argentinos.

Mais la charge foncière dans ces quartiers peut s'avérer très élevée, surtout depuis fin

1990, où la hausse des prix fonciers l'a accrue. Pour les shopping centers dont nous avons pu déterminer la charge foncière et dont les terrains ont tous été achetés avant cette date, celle-ci représente 3% à 10% du coût total du bâtiment. Elle a été respectivement de 5,3% et de 10% pour la Plaza et Paseo Alcorta, construits dans la zone centrale. Le seul dérapage concerne Golden Shopping dont les coûts de construction n'ont pas contrôlés, semble-t-il, et dont la charge foncière s'élèverait à 30%. Cette dernière est passée de 10-15% du coût total de la construction entre 1986 et 1991, à 25-30% en 1992 dans la zone centrale, soit autant que dans les capitales européennes ou nord-américaines, alors que depuis 1980, les prix fonciers étaient très sous-évalués. Le coût du foncier pouvait représenter un obstacle majeur à la construction de shopping centers dans la zone centrale. Il est vrai, aussi, que, suivant les propos des promoteurs, celle-ci peut constituer un investissement assez risqué, et les risques de dérapage du coût des travaux, liés à l'instabilité des conditions financières, sont une hypothèque. Les promoteurs doivent prendre en charge la formation de nouvelles valeurs d'usage, mais ne peuvent pas le faire sans l'État. Sans l'intervention publique, d'après nos calculs (voir annexe n° 4, pour les cas de Plaza del Pilar, les Galerías Pacífico et Barrancas de Belgrano), la

55 Dans la capitale, seul le marché municipal de Liniers a été vendu, mais il est situé près de l'avenue General Paz, donc quasiment en situation périphérique.

258

construction de shopping centers aux emplacements concernés n'aurait en effet pas été rentable.

b) Contraintes pour les acteurs institutionnels Avant 1989, l'intervention de la municipalité se limitait à l'octroi de normes

particulières et de dérogations permettant la construction de shopping centers dans la zone centrale. En 1989, dans le cadre des lois de réforme de l'État, l'État a étendu son action au foncier, en donnant aux promoteurs la possibilité d'acquérir des terrains à prix subventionnés et de réduire la charge foncière dans ces quartiers. Aux États-Unis, les régimes urbains de type développementaliste ont donné lieu à ce type d'intervention municipale, comportant un arsenal de subventions pour l'achat du foncier, la construction de parcs de stationnement, et d'exemptions d'impôts locaux. C'est le cas de la municipalité de Boston, qui, ayant racheté le marché de Faneuil Hall, a négocié avec le promoteur J. Rouse un paiement échelonné sur trente-trois ans pour la cession du bâtiment (Frieden B. J., Sagalyn L. B., 1991 : 138-139). À Buenos Aires, de vastes étendues foncières, ainsi que des bâtiments publics, sous-évalués par rapport à leur valeur réelle, ont été libérés. La gratuité de la location ou de la concession de terrains ou de bâtiments appartenant au patrimoine public (cas des Galerías Pacífico) ou son faible loyer (cas de Barrancas de Belgrano ou du centre culturel la Recoleta) créent un transfert d'utilité en faveur des investisseurs privés qu'il est difficile d'évaluer : si l'on prend pour le calcul de la charge foncière la base de 20% à 30% du coût total des travaux, même si celle-ci dépend de la date de construction et de la localisation du shopping center, la charge foncière directe pour le shopping center Plaza del Pilar à la Recoleta a été de la moitié de celle qui peut être considérée comme normale (1,8 million à 2 millions $, soit 10% environ au lieu de 20%), elle a été nulle pour les Galerías Pacífico, et aurait été de seulement 0,4% pour le shopping center Barrancas de Belgrano (151 000 $ sur 18 ans), ce qui est en effet peu, mais n'est peut-être pas disproportionné par rapport aux profits espérés (voir annexe n° 4). Il est cependant difficile de préciser si, dans le cas de la concession des bâtiments destinés à des shopping centers, l'article 57 de la loi d'état d'urgence économique 23.697/89 qui encadre le rapport "raisonnable" entre le profit des investisseurs privés et le coût des aménagements réalisés, a été respecté. Il stipule que "l'éventuelle rentabilité ne doit pas excéder une relation raisonnable entre les investissements effectivement réalisés par le concessionnaire et l'utilité nette obtenue par le biais de la concession"56..

56 Ce n'est apparemment pas le cas de toutes les concessions dont certaines apparaissent au contraire comme très lucratives, comme le montre un article de L. Yanes, portant sur la concession des routes à péage, supérieurs selon lui, de 300% à 2 400 % aux taux de profit moyens internationaux (environ 40% annuels).

259

1.2.2. Modes d'intervention foncière des acteurs institutionnels a) Avantages fiscaux Le premier moyen d'intervention utilisé concerne les abattements fiscaux et les

exemptions de taxes (impôts nationaux et locaux, taxes locales). Ceux-ci sont cependant en principe réglementés et doivent être encadrés par une norme sanctionnée, ordonnance municipale ou loi nationale, selon le niveau de compétences. Le cadre des lois de réforme de l'État et d'état d'urgence économique les a élargies aux biens fonciers et immobiliers publics privatisés (cas des Galerías Pacífico, du centre culturel de la Recoleta, du moins en ce qui concerne les taxes et les impôts locaux). Si, en France, l'enjeu que représente la taxe professionnelle dans l'implantation des grandes surfaces et des centres commerciaux est essentiel pour les communes de taille petite ou moyenne, à Buenos Aires, où la densité des activités est importante, il n'a pas d'impact sur les décisions.

b) Les subventions foncières Le deuxième type d'intervention s'inscrit également dans le contexte de la réforme de

l'État. Avant 1989, les mécanismes d'aliénation du domaine foncier et immobilier public et privé de l'État étaient relativement difficiles. La concession de ce dernier était soumise à l'approbation du conseil délibérant57 et limitée à une durée maximale de 20 ans (alinea ñ de l'article 9 de la loi-cadre municipale). La vente du patrimoine privé et public de la ville était absolument interdite.

La réforme de l'État crée un nouveau cadre juridique, la non-nécessité, qui facilite

l'aliénation ou le transfert de gestion et d'exploitation du domaine public58. Elle contraint en effet l'État national et la municipalité de Buenos Aires à se défaire des propriétés foncières et immobilières de son domaine privé et public qui "n'apparaissent pas nécessaires au

57 2/3 des voix sont requis pour l'aliénation de biens immobiliers et mobiliers (pour une durée de plus cinq ans) ainsi que pour les concessions de prestation de services et de travaux publics (art. 12 de la loi-cadre). 58 La vente ou la concession du patrimoine public et du patrimoine privé de l'État n'a pas été particulière à l'Argentine. Par exemple, en France, l'État s'est lui aussi défait d'une partie de son patrimoine (casernes militaires, délaissés portuaires et ferroviaires, patrimoine immobilier privé de la mairie de Paris, etc.). Elle s'inscrit dans le désengagement de l'État et la montée du néolibéralisme.

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développement normal de [leurs] activités"59. L'État concède le patrimoine foncier et immobilier public (dont les espaces verts, les centres culturels et sportifs) non directement nécessaire à son fonctionnement, et qui ne peut être vendu (cas de Plaza del Pilar, Galerías Pacífico, Barrancas de Belgrano, Parque Almirante Brown Shopping Center). Les procédures de transfert du domaine de l'État et les comportements des acteurs sont différents selon qu'il s'agit de l'État national (aucun cas de centre commercial jusqu'à ce jour), de la municipalité de Buenos Aires (la Recoleta et le shopping center Plaza del Pilar, Parque Almirante Brown Factory) ou d'une entreprise publique en cours de privatisation (Barrancas de Belgrano, les Galerías Pacífico60).

Ainsi la gestion du centre culturel municipal de la Recoleta a pu être concédée (décret

municipal n°2.460/89). Les Galerías Pacífico, propriété de l'entreprise publique nationale Ferrocarriles Argentinos, bâtiment non-directement nécessaire à la gestion de l'entreprise en voie de privatisation61, ont été soumises en tant que bâtiment à forte valeur historique et architecturale à une procédure particulière en vue de leur conservation et de leur protection : le pouvoir de décision a été transmis au pouvoir exécutif national qui a la responsabilité d'édicter des normes spéciales pour ce faire (art.11 de la loi 23.69762). Fin 1989, elles ont été

59 Le principe de non-nécessité est défini dans les articles 4 et 7 de la loi 23.697. Au sujet des "privatisations", voir l'article 60 de la loi 23.697, le décret 1001/90 sur la vente à leurs occupants des terres nationales occupées illégalement, le décret national 909/90 (autorisant la cession du domaine privé de la MCBA), ainsi que les décrets municipaux 593/90 (immeubles non-nécessaires du domaine privé, c'est-à-dire reçus par don ou par legs), 2038/90 (domaine privé), 3818/90 (immeubles des domaines privé et public municipal) sur la vente du domaine privé de la municipalité de la ville de Buenos Aires, dont une liste des biens fonciers et immobiliers a été préalablement établie. Quant aux concessions des services publics et du domaine public "non-nécessaire", elles sont régies par le décret municipal 2.460/90 et les décrets afférents. La MCBA doit également privatiser, c'est-à-dire déléguer ou concéder, totalement ou partiellement, les services urbains et municipaux qui ont besoin d'être modernisés. La liste des services à concéder est fixée sans que ne soient vraiment déterminés des critères de hiérarchie : sont sujets à privatisation le stationnement, l'entretien et la construction des rues, les cimetières, les complexes sportifs, les foires et les services municipaux nécessitant une informatisation, une rationalisation et une modernisation dans un objectif de plus grande efficacité : le cadastre, les services fiscaux, etc. 60 La concesssion des terrains appartenant à l'entreprise privatisée Ferrocarriles Argentinos a été particulièrement entâchée d'irrégularités et a entraîné des conflits entre les différents niveaux de gouvernement (municipalité, entreprise publique autonome). 61 En ce qui concerne l'aliénation des terres, bâtiments, biens qui appartiennent aux entreprises publiques nationales privatisées, il faut en effet distinguer les biens qui sont directement nécessaires à l'activité de l'entreprise et ceux qui ne le sont pas. Le décret 666/89 (01/09/89) déclare la mise en concession de l'entreprise Ferrocarriles Argentinos. Il souligne la différence entre les terrains nécessaires à l'exploitation et le matériel et les terrains non-nécessaires. Le paragraphe n déclare la vente, la location ou la mise en concession des immeubles déclarés non nécessaires à l'exploitation ferroviaire, les revenus devant être utilisés pour l'acquisition de biens de capitaux. 62 "Au cas où l'entreprise déclarée sujette à privatisation eût en sa possession des constructions, édifices ou autres éléments reconnus de valeur historique et/ou culturelle ou écologique, le Pouvoir Exécutif National édictera les normes pour leur préservation et le processus de leur privatisation". Ce qui devait tout de même laisser au pouvoir exécutif national la possibilité de les vendre. Mais la vente, pour les promoteurs, n'est pas une solution économique. La concession est moins lourde, moins coûteuse pour le promoteur, et facilite les arrangements informels entre promoteur et acteurs institutionnels.

261

déclarées de toute urgence monument national classé et concédées pour une durée de 30 ans à un promoteur privé, en vue d'y aménager un shopping center et un centre culturel national. La décision de soustraire les Galerías Pacífico à l'action de l'entreprise nationale devait permettre de clarifier la situation et d'éviter tout conflit avec celle-ci, lié à la superposition des compétences entre les différentes entités63. Le flou qui a néanmoins régné autour des modes de la transmission des terrains non directement nécessaires à la gestion de l'entreprise64 a permis à l'entreprise publique nationale Ferrocarriles Argentinos de tenter de concéder en toute impunité les terrains publics de Barrancas de Belgrano à des promoteurs privés, en se comportant comme un acteur privé et en établissant un contrat frauduleux avec les promoteurs du futur shopping center.

1.3. Le degré de formalisation du partenariat L'intervention publique dans la construction de bâtiments privés s'inscrit dans le cadre

des modifications économiques et institutionnelles nationales, dans celui du retrait de l'État et de la redéfinition des rapports entre privé et public. En tant que lieux publics, les shopping centers sont l'objet de subventions publiques et de mesures d'intervention qui rendent possible leur construction. La régulation surgit ici des négociations entre les promoteurs privés et les acteurs institutionnels, nationaux et / ou municipaux. Les arrangements informels, concrétisés dans la signature d'accords entre les différentes parties, visent à la recherche de compromis entre leurs intérêts, afin de dépasser les contraintes qui limitent leur capacité d'action et les conflits éventuels. La contractualisation et le partenariat public / privé devraient cependant répondre à plusieurs conditions : premièrement, ils devraient s'inscrire dans un cadre légal et être soumis au contrôle de légalité ; deuxièmement, les opérations de restructuration urbaine autour des centres commerciaux, dans lesquelles les acteurs institutionnels apportent des subventions directes ou indirectes, devraient se faire au nom de l'intérêt public. Sans parler des cas banalisés de trafic d'influence, d'abus de biens sociaux et de corruption publique, monnaie courante depuis plus d'un siècle en Argentine et de la négociation d'avantages

63 L'ancien secrétaire à la culture affirme cependant que, en ce qui concerne les Galerías Pacífico, c'est Ferrocarriles Argentinos qui a pris toutes les décisions, alors qu'en principe et selon les termes du décret national, c'est le pouvoir exécutif national qui était compétent. Vraisemblablement est-ce pour masquer les irrégularités de la procédure. 64 En 1992, apparaît un projet de loi concernant la cession gratuite des terrains colatéraux de Ferrocarriles aux municipalités en vue d'usages "d'utilité publique" (Página/12, 16/07/92). Mais, sous l'influence de l'entreprise Ferrocarriles et du ministre de l'Economie, D. Cavallo qui souhaitait, grâce au produit de leur vente, financer le déficit d'exploitation de ces entreprises avant leur privatisation, l'exécutif y a opposé son veto. Un mois plus tard, on proposait de vendre les terrains aux provinces en contre-partie de la reprise des lignes de chemin de fer par elle et d'une baisse des subventions nationales à celles-ci. La ligne Borges-Mitre, privatisée et remise en service à des fins touristiques est un autre cas d'aménagement d'un strip commercial sur des terrains qui appartenaient à Ferrocarriles Argentinos.

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individualisés qui sont difficiles à démontrer en dehors de quelques coïncidences de dates et de noms65, l'analyse des procédures montre que le partenariat public / privé manque d'une formalisation effective. La collusion entre les promoteurs importants et les acteurs institutionnels, les échanges informels qui s'établissent entre eux afin de rendre effective l'application de la politique urbaine, le cas échéant, et d'assouplir la norme urbaine, manquent de toute transparence. L'insertion des promoteurs commerciaux dans des réseaux politiques facilite l'application de règles alternatives ainsi que l'obtention de dérogations au droit commun de l'urbanisme.

1.3.1. La question des procédures : le détournement et l'utilisation de la règle a) La transparence des procédures partenariales Les accords passés entre les acteurs institutionnels et les acteurs privés ne sont

généralement pas rendus publics (accords de la municipalité de Buenos Aires avec la SAMAP en 1984, avec APSA en 1986, avec Bullmaco SA en 1987, avec El Hogar Obrero en 1986 et New Shopping SA en 1986), même s'ils sont partiellement avalisés par le vote d'ordonnances municipales66 qui leur donnent un contenu juridique. Quant à ces dernières, elles ne sont pas toujours publiées au bulletin municipal (l'ordonnance pour le Patio Bullrich en 1982, l'ordonnance avalisant l'accord entre la municipalité de Buenos Aires et la SAMAP pour le "recyclage" de l'Abasto), ce qui amoindrit fortement leur portée et leur valeur juridiques. Les concours et les appels d'offre pour la concession du patrimoine public à des promoteurs commerciaux ont été effectués dans des conditions de publicité douteuses : pour les concessions de la Recoleta (juin 1990) et des Galerías Pacífico (décembre 1989), les concours ont été privés, et leur publication, bien qu'attestée par les pouvoirs publics, a soulevé des doutes et des protestations. La concession des Galerías Pacífico, par exemple, s'est réalisée le lendemain de la publication "officielle" du concours, dont ni la commission nationale des monuments, des musées et des lieux historiques, en charge de la protection du monument, ni le groupe d'intellectuels péronistes qui avait entamé des négociations avec le pouvoir pour y aménager un centre culturel, n'aient été au courant (Livingstone R., 1991). Celle du centre

65 Si, comme le remarquent B. Frieden et L. Sagalyn à propos des opérations de centre-ville des centres commerciaux, il semble que les négociations entre acteurs privés et acteurs publics soient restées clairement encadrées aux États-Unis et n'aient pas entraîné majoritairement de cas de corruption, les cas de corruption sont nombreux en Argentine, tant au niveau local que national. En ce qui concerne les centres commerciaux, l'un des indices réside dans le fait que plusieurs des ordonnances municipales octroyant des mesures dérogatoires pour la construction des centres commerciaux ont été "glissées" dans des "paquets" de fin de session parlementaire, votés à la va-vite entre Noël et le jour de l'An. 66 Le conseil délibérant légifère par ordonnance, mais aussi par résolution et par disposition qui ont une portée juridique moins grande.

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culturel de la Recoleta, réalisée dans la plus grande discrétion, n'a vu apparaître qu'un seul offrant, le promoteur finalement retenu, en l'occurrence APSA.

b) Détournement et contournement de la règle Les règles sont interprétées et utilisées au gré des intérêts des promoteurs commerciaux,

dont le lobby va jusqu'à créer ses propres règles d'utilisation. En principe, selon les procédures normales, c'est au CPU que revient la tâche de définir et d'encadrer les cas d'application des règles alternatives, les dérogations au droit commun de l'urbanisme, ainsi que les modifications du plan d'occupation des sols. Celles-ci sont par la suite discutées au sein des commissions ad hoc (en particulier d'urbanisme) du conseil délibérant, puis avalisées par le vote des conseillers dans une ordonnance, et enfin publiées. Or, l'octroi de celles-ci est purement discrétionnaire. Elles sont directement négociées entre les différentes parties, sans transiter par le CPU67. Les acteurs privés font évoluer la norme urbaine au gré de leurs besoins d'investissement et de l'évolution du marché et de la conjoncture, sans qu'il n'y soit apporté aucun frein (de type fiscal, par exemple). Les droits à construire sont renégociés au fur et à mesure, au gré de l'évolution du marché immobilier, ce qui permet aux promoteurs de maximiser la rente tirée de la construction des shopping centers. Les propriétés foncières non bâties ne sont pas taxées. En France, les modifications du POS sont en principe encadrées. Aucun écart important ne peut être réalisé par rapport au règlement, les dérogations étant illégales sauf dans le cadre juridique des ZAC qui permet alors des variantes (perception de la TLE, de taxes pour dépassement du PLD, participations, possibilités de transfert de COS d'un îlot à l'autre, etc.). Le PAZ, élaboré par la personne publique qui a pris l'initiative de la création de la ZAC, ne peut être modifié que dans certaines conditions. Les règles alternatives ne sont en principe possibles que si elles sont prévues par le POS, ce qui n'a pas empêché certaines dérives, comme l'a montré la jurisprudence.

Depuis 1989, la modification du plan d'occupation des sols peut se faire sur initiative

des promoteurs. La procédure consultative créée en 1989, l'audience publique (ordonnance 44.094/89), visait à limiter le particularisme juridique et à favoriser la participation des habitants et une plus grande démocratie, en soumettant toute sollicitation de modification du plan d'occupation des sols par le propriétaire d'un terrain de plus de 5 000 m² à consultation publique. Mais une telle mesure, dans le contexte argentin, n'a aucune signification. Son application dans le cas de Barrancas de Belgrano, où la construction d'un shopping center sur

67 Il est étonnant de voir à quel point les ordonnances municipales attribuant des normes particulières et des dérogations aux promoteurs commerciaux sont calquées sur leurs demandes (cas d'Abasto, d'Alto Palermo, de Paseo Alcorta). Certaines sont même d'une précision méticuleuse quant aux usages autorisés et aux superficies attribuées à chacun d'eux.

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des terrains classés en espaces verts (UP -urbanización parque-) et pour lesquels les promoteurs demandaient une affectation en zone C2, a souligné la ligne de division existant entre la rationalité technique et sociale d'un côté, et la rationalité politique et économique de l'autre, même si, finalement, les associations et les habitants du quartier, opposés au projet, ont eu gain de cause.

Le cumul de plusieurs dispositions, de règles alternatives et de dérogations à la norme,

ou bien de plusieurs règles alternatives s'appliquant dans des cas différents, est un cas fréquent. C'est le cas de la première ordonnance pour Spinetto en 1982, où des majorations de COS ont été cumulées pour remembrement parcellaire et pour les terrains de plus de 5 000 m², alors que le rachat du domaine n'impliquait aucun remembrement, seulement un transfert de propriété. Toutes les possibilités légales du code sont exploitées afin d'encadrer l'octroi d'un permis de construire, puis, le cas échéant, des dérogations au droit commun sont accordées. Le cadre juridique d'application des dispositions alternatives et surtout dérogatoires est très imprécis : les conditions dans lesquelles elles sont appliquées sont interprétées avec beaucoup de libéralité, et la procédure de la rénovation urbaine définit mal les rapports entre acteurs publics et privés. Leur usage est subordonné au principe, vague, d'intérêt public. Le flou juridique ouvre ainsi de multiples possibilités de négociations entre les acteurs privés et les acteurs publics et la mise en place d'arrangements informels qui détournent ou contournent la règle.

Les textes se prêtent à des interprétations abusives et à des emplois usurpatoires. Par

exemple, le décret municipal 2.984/89 qui annonçait la concession du centre culturel de la Recoleta pour permettre son "agrandissement" et son "aménagement" ne comprenait pas explicitement la construction d'un shopping center. D'après I. Felcman (1991), la réorganisation du centre culturel concernait essentiellement des travaux de restauration de la place de l'Intendant Alvear, d'achèvement des travaux d'extension du centre culturel de la Recoleta entamés par la municipalité puis paralysés. Or, la signature du contrat de concession entre la municipalité de Buenos Aires et le promoteur ERSA SA, comprenait également la construction -non annoncée- d'un shopping center à côté du centre culturel, fruit des négociations entre l'investisseur privé et la municipalité. Conception bien extensive de l'"agrandissement" du centre culturel, alors que la place de l'Intendant Alvear sur une partie de laquelle s'élève le shopping center, ainsi que le cimetière et l'église coloniale de la Recoleta, sont protégés comme ensemble architectural et historique comme haut lieu du tourisme international par le code de l'urbanisme de la ville de Buenos Aires (zone d'urbanisation spéciale U29)68.

68 Le centre culturel municipal de la Recoleta a été construit pendant la dictature.

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b) L'utilisation et la création de normes urbaines : le cas des usages commerciaux L'évolution des usages permis par le code de l'urbanisme permet bien de voir comment

les acteurs privés utilisent et créent la norme urbaine en fonction de leurs propres intérêts. Tableau n° 15 : table des usages du commerce de détail "moderne" dans le code de

l'urbanisme de la municipalité de Buenos Aires, version de 1982.

usages R2a R2b C1 C2 C3 E1 E2 E3 E4 galeries commerciales, grands magasins, libres-services non-alimentaires

X X X X

Les formes modernes du commerce ont très peu été prises en compte dans l'élaboration

dans la version de 1977 du code de l'urbanisme. Il est vrai qu'à cette époque, le secteur de la distribution avait tout juste entamé sa seconde phase de modernisation.

Tableau n° 16 : table des usages du commerce de détail "moderne" dans le code de

l'urbanisme de la municipalité de Buenos Aires, version de 1990-1992.

usages R2a R2b C1 C2 C3 E1 E2 E3 E4 livres-services alimentaires

X X X X X X X X

centres d'achat X X X X galeries commerciales, libres-services non-alimentaires

X X X X

passages commerciaux, grands magasins (grandes tiendas)

X X X X

supermarchés X X X X X X X X hypermarchés X X X X

Il existe un décalage assez net entre l'apparition d'ue innovation commerciale et son

introduction dans la liste des usages permis par le code de l'urbanisme, qui sont introduits au compte-gouttes. En 1989, le code de l'urbanisme a été assoupli. Auparavant, les équipements modernes de distribution étaient absolument interdits dans les zones d'habitat mixte et exclusif.

Tableau n° 17 : table des usages du commerce de détail "moderne" dans le code de

l'urbanisme de la municipalité de Buenos Aires, version de 1993.

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usages R2a R2b C1 C2 C3 E1 E2 E3 E4 livres-services alimentaires

X X X X X X X X

centres d'achat X X X X galeries commerciales X X X X X passages commerciaux, supertiendas69

X X X X X X

supermarchés X X X X X X X X X hypermarchés X X X X shopping centers X X X X X X X

Nomenclature : R1a : zone à usage résidentiel exclusif peu dense R1b : zone à usage résidentiel exclusif assez peu dense R2a : zone à usage résidentiel dense (discrimination 1989 : R2aI : zone à usage résidentiel, très dense R2aII : zone à usage résidentiel dense) R2b1 : zone à usage résidentiel moyennement dense) C1 : zone centrale (primaire) C2 : zone centrale (secondaire) C3 : zone centrale (tertiaire) (1989 : discrimination C3I et C3II) E1 : équipement de gros E2 : équipement général E3 : zone destinée à des équipements de service locaux compatibles avec l'habitat E4 : équipement spécifique U : zone aux caractéristiques urbaines particulières qui font l'objet d'une réglementation spécifique UP : espaces verts AE : zones d'architecture particulière faisant l'objet de normes de préservation / conservation

L'usage shopping center date de 1993. Il a été élaboré en collaboration avec

l'Association Argentine des Shopping Centers, et reprend les grands traits de la définition formulée par la CASC : "espace, qui, étant dirigé par une administration centralisée70, est destiné à des activités commerciales de détail, à des activités culturelles, à des services et aux loisirs, et peut comporter, le cas échéant, un supermarché, un hypermarché et / ou une supertienda, à la condition expresse que chacun de ces usages soit permis dans la zone où s'implante le complexe commercial". À la différence du centro de compras, la grande surface (hypermarché, supermarché, grand magasin, supertienda) est optative dans le shopping center, et il n'y a aucun seuil de superficie.

Le décalage entre la modernisation de l'appareil commercial et l'actualisation du code

de l'urbanisme a laissé une marge de manœuvre suffisamment importante aux promoteurs des shopping centers pour pouvoir s'implanter quasiment n'importe où dans la capitale.

69 Dans les modifications apportées en 1989, l'usage grandes tiendas a été remplacé par celui de supertiendas dont la superficie minimale est de 2 500 m² . 70 C'est nous qui soulignons le principal point introduit par la CASC.

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L'évolution réciproque des usages du code et des zones où leur développement est autorisé, le montre bien. Jusqu'en 1993, les libres-services alimentaires ainsi que les supermarchés, dont l'impact spatial est moindre, ont le droit de s'implanter dans toutes les zones à caractère central, dans les zones résidentielles très denses et assez denses, ainsi que dans toutes les zones d'équipement, qu'il soit à caractère local, général, etc. Les passages commerciaux et les grands magasins (puis les supertiendas) sont cantonnés dans les quartiers centraux et résidentiels denses, tandis que les hypermarchés dont l'implantation peut avoir des effets marquants sur leur environnement, sont limités aux zones d'équipement. Il est intéressant de voir qu'en 1993, le champ spatial d'intervention des promoteurs et des acteurs de la distribution s'est élargi. En particulier, les shopping centers peuvent désormais s'implanter légalement dans les quartiers résidentiels denses (cependant sous certaines conditions, concernant les aires de stationnement, de chargement et de déchargement, etc.), dans les quartiers à caractère central, ainsi que dans les zones d'équipement. Or, ces dernières correspondent soit à des équipements publics majeurs en principe non reconvertibles (hôpitaux, cimetières, stades de football71, etc.), soit à des terrains publics en friche (en particulier les terres fiscales qui, avec les modifications institutionnelles, sont susceptibles d'être urbanisées), soit à des équipements de commerce de gros comme les anciens marchés potentiellement "recyclables" (cas d'Abasto, de Liniers, de Spinetto, etc.), soit, enfin, des équipements locaux qui peuvent essentiellement recevoir des shopping centers d'influence également locale. Le plan d'occupation des sols72 (voir cartes n° 28 et 29) montre que, théoriquement, l'aire potentielle d'installation des shopping centers couvre les deux tiers de la superficie de la capitale, les seules zones exclues étant les zones résidentielles de densité moyenne et faible (ainsi que les zones industrielles et les espaces verts qui représentent une bonne part de la surface au sol restante). L'aire réellement constructible correspondant aux zones résidentielles denses et aux zones centrales est cependant plus réduite et couvre un tiers de la surface au sol de la capitale. En outre, la clause portant sur la nécessaire compatibilité entre les usages supermarchés, hypermarchés et supertiendas et la zone d'installation du shopping center, comprise dans la définition des shopping centers, est presque caduque en soi. En effet, le territoire où leur construction est autorisée, englobe toutes les zones où sont permis ces autres équipements commerciaux (aux rares exceptions des hypermarchés dans les zones R2a et des supertiendas dans les zones R2a et E2).

Par conséquent, non seulement les modifications du POS et l'introduction des shopping

centers dans la liste des usages permis du code de l'urbanisme constituent des formes de

71 L'hypermarché de San Lorenzo s'est néanmoins installé dans l'ancien stade de San Lorenzo, reconverti. En matière de recyclage, rien n'est impossible. 72 La carte que nous présentons date cependant de 1984 (dans Súarez O., 1986), et nous n'avons pas trouvé de carte plus récente à une échelle maniable, introduisant les modifications de 1989-1990.

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régularisation ex post de l'ensemble des shopping centers qui ont entraîné le vote de mesures dérogatoires à différents degrés (dans les zones résidentielles denses d'une partie de la zone centrale), mais aussi la nouvelle réglementation a pour conséquence d'ôter tout effet à la norme urbaine et au code de l'urbanisme. La législation urbaine concernant les shopping centers va à l'encontre de toutes les réglementations européennes d'urbanisme commercial de type préservationniste, où ces équipements volumineux sont repoussés dans la zone périurbaine, seuls les centres commerciaux d'influence locale étant autorisés dans les zones centrales. Elle renvoie plutôt aux politiques entrepreunariales. Les normes urbaines, purement formelles, perdent de leur sens, et le code de l'urbanisme, élaboré selon les principes de l'urbanisme moderne, est l'instrument du laisser-faire. Finalement, les pratiques collusoires des promoteurs puissants annihilent le droit urbain, qui, à travers la négociation de droits à construire, n'est plus qu'un moyen de valoriser la propriété foncière.

1.3.2. L'absence de contrôle de légalité et le non-respect des droits et des devoirs D'une part, les réglementations architecturales en vigueur pour la préservation des

bâtiments à forte valeur architecturale et historique, qui encadrent en principe leur recyclage, sont outrepassées par les investisseurs qui ne respectent pas les injonctions des organismes chargés de l'application de la loi et des réglementations ainsi que de la surveillance des travaux. Les responsables, précédents ou actuels, des diverses commissions chargées du contrôle et de l'application de la législation sur la protection du patrimoine, l'attestent (Patio Bullrich, Galerías Pacífico, Spinetto, Plaza del Pilar). Comme le contrôle de légalité n'est pas effectif et que les sanctions pénales, en cas d'infraction au code de l'urbanisme, sont peu dissuasives, la construction d'un shopping center a pu être engagée sans qu'aucun permis de construire n'ait été accordé et avant même que l'ordonnance municipale qui définissait les normes de protection et les normes urbaines, n'ait été votée. Les autorités chargées de contrôler l'exécution conforme des travaux sont mises devant le fait accompli.

D'autre part, les clauses des accords entre acteurs publics et privés ne sont que rarement

appliquées par les promoteurs, et les acteurs publics ne font pas non plus usage de leurs prérogatives. L'inauguration du centre culturel national des Galerías Pacífico, qui faisait partie de l'accord passé entre le promoteur et l'État, n'a jamais eu lieu, en dépit du cahier des charges et des délais imposés, et bien que les travaux de construction eussent été entamés. Les difficultés financières du centre commercial ont vraisemblablement conduit le promoteur à interrompre des travaux coûteux et sans rentabilité directe. La salle d'exposition et de congrès prévue pour le shopping center de la Recoleta dans le contrat de concession signé entre ERSA SA et la municipalité, n'a ouvert ses portes, pas plus que les équipements publics qui devaient être réalisés sur la première parcelle du périmètre d'aménagement d'Alto Palermo.

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1.3.3. Le sens de l'intérêt public Les acteurs publics devraient pouvoir tirer des bénéfices sociaux concrets de leurs

négociations avec les promoteurs, encadrées par le notion d'intérêt public. Celui-ci, dans ce cas particulier, se détermine de deux façons : d'une part, à travers la réalisation d'équipements sociaux, culturels, de loisir, l'aménagement de lieux publics (places, centres culturels de la Recoleta et des Galerías Pacífico : Alto Palermo, Paseo Alcorta, Galerías Pacífico, Plaza del Pilar), d'autre part, à travers celle d'équipements urbains, d'infrastructures viaires secondaires ou tertiaires (rues, gazoduc : Alto Palermo, Paseo Alcorta ; aménagement d'un terminal de bus et réhabilitation d'une station de chemin de fer dans le cas du projet avorté de Barrancas de Belgrano) et de travaux d'intérêt général (Plaza del Pilar, Alto Palermo73), enfin par la récupération du patrimoine architectural et historique (les Galerías Pacífico, Spinetto). En effet, selon les principes définis par la réforme de l'État : "la réforme de l'État se fait pour les gens qui veulent et doivent recevoir de meilleurs services" (Felcman I., op. cit. : 129). L'État obtient essentiellement des contre-parties non monétaires et négocie avec les promoteurs privés. Les revenus tirés de la concession du domaine public sont en effet très faibles. Les sommes de 150 000 $ pour dix-huit ans de location d'un terrain de plus de 5 000 m² de superficie pour Barrancas de Belgrano, et de 300 000 $ pour vingt ans de bail pour Plaza del Pilar sont dérisoires par rapport aux prix fonciers réels sur le marché libre et aux emplacements considérés, et la concession des Galerías Pacífico, classées monument historique et situées en plein centre-ville, s'est faite à titre gratuit, en contre-partie de la construction du centre culturel national des Galerías Pacífico, estimée entre 9,6 et 12 millions de $ sur la base de 800 à 1000 $ le m² pour 12.000 m² (voir annexe n° 4).

Dans le modèle occidental européen qu'avait adopté l'Argentine à la fin du XIXème

siècle, mais aussi dans les modèles d'urbanisme moderne, l'intérêt public était défini par des considérations fonctionnalistes, hygiénistes et esthétiques. Dans le nouveau modèle de gestion qui se met en place dans les années 80, ce sont des principes de rationalité économique qui sont les sous-bassements de l'action de l'État et définissent l'intérêt public. Les concessions du domaine public municipal sont en principe justifiées par les principes de non-nécessité et de

73 Il s'agit dans ces deux cas de la réfection de bâtiments publics voisins : dans le cas d'Alto Palermo, d'un bâtiment de la municipalité situé sur l'avenue Coronel Diaz, dans celui de la Recoleta, de celle du centre culturel de la Recoleta, dont APSA a cependant déjà remporté la concession de gestion, et dans celui de Paseo Alcorta, du bâtiment voisin d'un régiment de l'Armée !

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subsidiarité74 (décret municipal 2.460/89). Ceux-ci se prêtent à une lecture extensive. "Sont considérés comme biens immobiliers nécessaires ceux qui sont destinés à accueillir des activités gouvernementales et / ou d'intérêt municipal" (art.4). Le partenariat entre les acteurs publics et privés s'inscrit dans ce cadre, tandis que, comme on l'a vu pour le modèle de gouvernance urbaine nord-américain, la perméabilité entre le secteur public et le secteur privé augmente. La nouvelle légitimité de l'État, en Argentine, est fondée sur son efficacité, et alors que M. Keating rappelait que l'intérêt public devrait se construire en référence au sens du lieu et à la communauté, ce n'est pas le cas ici (Keating M., 1991). L'espace public, aussi bien la rue que les places, et les lieux publics tels les jardins et les parcs ne sont pas directement utiles à la gestion publique. L'État se désintéresse du social et donc de la production des lieux de socialisation, laissant au secteur privé le soin de les entretenir et de les produire. Le retrait de l'État de la gestion de l'espace et de la production de lieux publics va jusqu'à l'attribution de droits de police aux promoteurs, que l'espace anciennement public soit désormais privatisé (cas du tronçon de la rue Arenales à côté d'Alto Palermo) ou que la concession de terrains aux promoteurs privés leur donnent un droit de regard abusif sur l'espace public voisin (cas de la place Intendente Alvear à côté du complexe de la Recoleta, où les promoteurs avaient fait pression pour que soit mis fin aux concessions des vendeurs du marché qui s'y tenait le week-end)75.

La production de lieux caractérisés par des usages publics mais relevant du droit privé

et produits et gérés par des acteurs privés, constituent l'un des points importants du partenariat entre les acteurs publics et les promoteurs commerciaux. Celui-ci se caractérise par son très faible degré de formalisation juridique. En Argentine, le shopping center, de modèle de ville, devient ville-modèle. Or, on a vu que la mise en place de régimes urbains de type développementaliste posait le problème de l'inclusion et de l'exclusion sociale. Nous reviendrons dans la partie suivante sur les nouvelles conceptions de l'espace public que véhiculent ces changements, en abordant les usages et les fréquentations des shopping centers. L'espace public ne peut pas être, en tout cas, se confondre avec une conception de l'espace comme support du marché ni avec des espaces de droit privé.

74 Le marché se substitue à l'État dans les domaines où l'intervention de ce dernier n'est pas jugé essentielle à l'intérêt public. 75 Dans le cas des opérations mixtes public / privé de construction de centres commerciaux dans les CBD nord-américains, B. J. Frieden et L. B. Sagalyn soulignent également les limites du sens de l'intérêt public : "they defined the public interest also as bringing the middle class back to downtown, creating focal points of activity, humanizing the City, and stimulating economic activity. These were the same purposes the mayors and their business allies presented to a generally approving public. This prevailing version of the public interest, however, was vague on questions of procedure" (1991 : 255).

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2. Spéculation immobilière, développement urbain et shopping centers : deux études de cas

Les négociations entre les promoteurs commerciaux bien insérés dans des réseaux

politiques et les acteurs institutionnels portent principalement sur la production de l'espace du shopping center, mais les enjeux pour les promoteurs intégrés se réfèrent, comme on l'a vu, à une politique de diversification élargie. Le partenariat public / privé, dans ce cas précis, n'a pas seulement trait à la production de l'espace commercial, mais aussi à celle de l'espace urbain environnant. C'est une autre dimension de la politique spatiale des promoteurs commerciaux.

Certains shopping centers ont pu avoir un impact sur la hausse des valeurs foncières et

immobilières et surtout sur la dynamique de la construction du quartier. Celles-ci peuvent alors faire partie intégrante des stratégies volontaires des acteurs. Les deux opérations d'aménagement d'Alto Palermo et d'Abasto engagées par deux promoteurs intégrés (du moins, pour la première version du marché d'Abasto) vont nous permettre de préciser ces stratégies. L'analyse détaillée de ces dernières précise en outre la plupart des cas de figures décrites dans le chapitre précédent.

2.1. L'opération d'aménagement urbain d'Alto Palermo Pour la lecture de ce passage, se reporter à la carte n° 30. 2.1.1. Premier acte : l'amorce des changements urbains du quartier : les années 60 Le quartier du shopping center Alto Palermo a pendant longtemps constitué une zone

relativement dévalorisée, d'usages mixtes, composée d'industries et de logements de classe moyenne. La distillerie de la brasserie Palermo, propriété du groupe économique Bemberg, à l'emplacement du shopping center, la prison panoptique de las Heras sur les terrains de la place publique éponyme, une usine qui appartenait à Bayer-chimie et qui occupait l'actuel bâtiment de la municipalité sur l'avenue las Heras, constituaient des éléments de dévalorisation de la zone. Jusqu'au début des années 50, le quartier était surtout constitué de

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maisons et d'immeubles de rapport. La destruction de la prison de las Heras, décidée dans le plan directeur de l'OPRBA en 1962, et la désaffection de la distillerie Palermo à la même époque, ont entraîné une première transformation du paysage urbain, et ont amorcé le mouvement spéculatif de construction autour de l'espace libéré par la prison pour lequel la mairie lance un concours d'urbanisme, qui finalement n'a pas abouti. La transformation du quartier est représentative du mouvement de rénovation urbaine qui touche le centre et les quartiers péricentraux du nord de Buenos Aires. La localisation très favorable du quartier est renforcée par la construction du métro. Dès la fin des années 60 et surtout à la fin des années 70 s'édifient les premières tours de logements en copropriété aux abords du parc. Dans le code de l'urbanisme de 1977, l'ensemble de la zone apparaît dotée d'un COS assez élevé (zone résidentielle à forte densité R2a). Celle-ci commence donc à changer de profil bien avant la construction du shopping center. C'est la désindustrialisation de la zone et sa bonne localisation qui ont été les causes de la hausse du mouvement de la construction et des prix immobiliers.

2.1.2. Deuxième acte : le projet immobilier d'Alto Palermo En 1961, les terrains de la distillerie passent de la Cerveceria Palermo SA à une

entreprise immobilière Palermo SAIC (Sociedad Anonima Industrial y Comercial)76. Ce n'est qu'en 1979 que Pérez Companc et sa filiale de construction SADE en deviennent propriétaires (peut-être en rachetant l'entreprise immobilière Palermo SAIC, la société Alto Palermo, filiale de SADE étant apparue en 198177, à moins qu'elle n'ait été créée ex nihilo, et vraisemblablement en rachetant d'autres terrains voisins). Pendant la dictature militaire, commencent les négociations entre le puissant groupe économique Pérez Companc, propriétaire d'une très grande parcelle couvrant presque trois îlots et la municipalité de Buenos Aires. Elles aboutissent à la signature d'un premier accord entre les deux parties, l'opération se présentant comme une opération d'aménagement concerté, hors de tout cadre juridique formel. L'aménagement de la zone se justifie au nom de l'intérêt général et de la rénovation urbaine : "vu que la demande correspond au besoin de stimuler la formation et le développement urbain de vastes zones par le développement privé, prévus par l'article 2.2.2. et la section 8 du code d'urbanisme; vu que le terrain laissé vacant par la destruction de la

76 Selon les données fournies par les fiches cadastrales. 77 Source : Quién es quién, p 10-11. Alto Palermo, dans une publicité pour SADE, apparaît comme une filiale de SADE.

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distillerie de la brasserie de Palermo se transformera en un nouveau complexe urbanistique et paysager au bénéfice de toute la ville et du quartier dans lequel elle était enclavée (...)" (extrait de la version sténodactylographiée de la première ordonnance 35.856/80 votée pour la première version du projet d'Alto Palermo ; l'ordonnance 41.776/86 accordée en 1986 pour la construction du shopping center évoque les mêmes motifs). Pérez Companc obtient l'application de règles alternatives et l'édiction de normes dérogatoires sur l'ensemble des trois îlots, la mise en place d'un plan d'aménagement zonal intégré, la construction de neufs tours et d'une galerie commerçante, d'une dalle et d'équipements commerciaux. Selon les habitants du quartier et d'après des photos aériennes, les terrains de l'actuelle Art Tower, dans le deuxième polygone, étaient occupées, au début des années 80, par des terrains de tennis municipaux. La mairie négocie un terrain de 2 000 m² (peut-être tout simplement échangé avec celui des tennis) pour la construction d'un établissement culturel ou scolaire public, et impose certaines conditions pour favoriser l'aménagement intégré de la zone, en particulier la liaison avec le futur parc las Heras prévu à l'emplacement de l'ancienne prison, classé en zone "espaces verts" en 1982, ainsi que le maintien de l'homogénéité architecturale de la zone.

De son côté, le promoteur obtient des avantages importants : • la cession d'une parcelle pour l'ouverture de la rue Arenales, fermée par la construction

de la distillerie qui enjambait la rue, est déclarée d'utilité publique (ord. 23.475). L'aménagement de cette dernière est à la charge de la municipalité ;

• le droit de transfert des COS d'un îlot à l'autre, la parcelle étant composée de deux îlots (polygone 1 et polygone 2) aux formes biscornues. Cette disposition s'ajoute à la majoration de 0,5 du COS pour cause de remembrement parcellaire, selon les dispositions de l'article 2.2.2. du code de l'urbanisme. La hauteur maximale autorisée est celle autorisée dans les zones centrales de rang tertiaire (C3) et résidentielles à forte densité (R2a). Le COS est de 5 sur chaque parcelle, ce qui permet, le cas échéant, un cumul de 10 sur un seul îlot. Ce dernier est largement supérieur à la moyenne dans la ville, et, combiné à un faible taux d'occupation de la parcelle (22%), il permet d'obtenir une densité réelle très élevée ;

• des dérogations par rapport aux retraits autorisés, la construction de tours en cœur d'îlot ;

• des dérogations par rapport aux usages permis dans la zone. La parcelle est assimilée à la fois à une zone C3 (pour les usages dits centraux de niveau tertiaire, ce qui permet la construction d'une galerie commerciale), dans le premier îlot, et à une zone R2a (usage résidentiel à densité élevée) dans les deux autres îlots.

2.1.3. Troisième acte : la construction du shopping center Alto Palermo

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En 1986, une partie du programme de construction a été réalisée : la construction d'une tour de logements de 30 étages sur une dalle dans le premier polygone et d'un immeuble de huit étages dans le second s'achève, tandis que le sous-sol de la dalle est occupé par un supermarché et par une surface de stationnement. Or, la conjoncture immobilière qui, au début des années 80 avait été favorable à la construction de tours de logements de standing, change. En 1986, année de la mise en place du plan Austral et d'embellie économique, les coûts de construction sont trop élevés, et le marché immobilier déprimé. L'achèvement du programme n'apparaît plus comme une priorité pour Pérez Companc. Le groupe modifie alors son projet initial. La conjoncture immobilière semble à ce moment plus favorable aux shopping centers, ce que laisse entrevoir l'amorce de la concentration de la consommation. Un premier projet, jugé trop fonctionnel, conçu par le célèbre architecte M. R. Alvarez et l'architecte de l'entreprise SADE, G. Grassi, auteurs du programme antérieur, est rejeté, tandis que le second, dessiné par l'architecte J. C. Lopez, plus ludique, est retenu avec enthousiasme.

Le shopping center n'est pas un projet isolé : il s'intègre à un programme immobilier

plus vaste, et pourrait, par son succès, contribuer à l'aménagement et au développement de la zone. Mais plus que le souci de qualité urbaine et d'intégration à l'environnement, les projets de Pérez Companc visent une rentabilité à court terme. L'absence d'impôt sur le foncier non-bâti et la possibilité d'augmentation des droits à construire obtenus par le biais des négociations78 avec les acteurs institutionnels constituent des atouts pour les acteurs privés. Pérez Companc qui a de bonnes connexions politiques, obtient l'application de la procédure de la rénovation urbaine, et négocie tant avec la mairie, pendant la dictature militaire et sous la démocratie, qu'avec les propriétaires des terrains, en particulier, avec la famille Bemberg, propriétaire de la brasserie mais aussi d'autres terrains colatéraux dans le quartier.

À l'achèvement de la première partie du programme, une grande partie du COS a déjà

été utilisée. D'autre part, les taux d'occupation de la parcelle très bas autorisés par l'ordonnance 35.856 de 1980 étaient adaptés à la construction de tours de logements, ils ne permettaient pas, en revanche, l'édification d'un shopping center. En 1986, le promoteur négocie donc à nouveau avec la municipalité et obtient une modification des dérogations accordées en 1980, validée par le vote de l'ordonnance 41.776/86. Le COS est majoré à 4 pour le shopping center, et le taux d'occupation permis passe à 40%. En contre-partie, le promoteur doit réaliser à sa charge le prolongement de la rue Arenales, des places extérieures à usage public, doit aménager des espaces intérieurs "ouverts" d'accès direct de la voie publique, et enfin effectuer quelques travaux d'"intérêt général" (parmi lesquels la réfection d'un bâtiment

78 L'article 8 de l'ordonnance 35856/80 stipule que les propriétaires devront présenter un programme de réalisation échelonné sur une durée maximale de 15 ans et devront entamer le chantier dans un délai d'un an.

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de la municipalité voisin, sur la rue Coronel Diaz ! ). La portion de la rue Arenales est une rue privée, alors que le code de l'urbanisme précise qu'en cas d'ouverture d'une rue ou de remembrement parcellaire nécessitant l'ouverture d'une rue, celle-ci devra être réalisée par le promoteur / constructeur et rétrocédée gratuitement à la municipalité (chapitre 3 , alinea 1.1. et 1.2.). Cette clause donne au promoteur un droit de police sur l'espace considéré et constitue une dérogation abusive. D'autre part, la superficie (ou la part) des espaces ouverts aménagés à usage public n'est pas précisée, si ce n'est à travers le vague adjectif "grand", alors que d'autres détails concernant la superficie des espaces de stationnement, les parcs de jeux, etc., sont extrêmement précis. Or, la majeure partie de ces espaces ouverts est utilisée par les voies d'accès automobile d'un Mac Drive, situé rue Arenales.

2.1.4. Quatrième acte : la relance du programme immobilier et la construction de tours de logements de très haut standing Alto Palermo a connu un succès immédiat et est devenu en une saison l'un des

principaux pôles d'attraction du quartier allant même jusqu'à lui donner son nom. Impacts sur la circulation, sur l'image environnante, sur le paysage, le shopping center a des effets multiples évidents. Alto Palermo devient un lieu chéri ou un lieu honni. Les journalistes pointent du doigt la hausse accentuée des valeurs immobilières autour d'Alto Palermo, en oubliant que l'ouverture du shopping center a coïncidé avec le début d'une immobilière ascendante (fin 1990-début 1991) anticipant le retour à la stabilité économique. La hausse des valeurs immobilières est peut-être un plus élevée dans le quartier du shopping center, mais tout au plus peut-on estimer à +5% l'effet Alto Palermo (données confirmées par les petites annonces de la presse et les agences immobilières du quartier). En revanche, le nombre des transactions immobilières a fortement augmenté et s'est maintenu pendant une assez longue période, et le mouvement de la construction a subi un sérieux coup de fouet. Plus que de la hausse des prix immobiliers, le changement provient surtout de l'élévation du standing des nouvelles constructions qui jouxtent le shopping et dont le groupe Pérez Companc est en grande partie le promoteur.

En effet, à cette époque, le promoteur reprend le programme abandonné en 1986. Une

nouvelle tour de logements de catégorie de luxe de trente étages sort de terre en 1991-1992 sur la parcelle donnant sur l'avenue Coronel Diaz ; de nouvelles normes urbaines, dérogatoires du droit commun, sont obtenues pour la construction de deux autres tours (60 000 m² de superficie construite totale) sur une parcelle de 6 000 m² occupée par des entrepôts appartenant à la famille Bemberg, face au parc et aux terrains d'Alto Palermo. Enfin, des terrains jouxtant le shopping center sont concédés pour la construction d'un passage commercial. Le groupe économique Bemberg est donc également bénéficiaire de la

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réactivation des valeurs immobilières et du marché de la construction dans le quartier. Le shopping center, s'il n'a eu qu'un impact modéré sur le quartier, a accéléré la mutation de son image et a participé à l'aménagement du quartier. Le cœur de l'îlot 2 ainsi que des terrains donnant sur la rue Beruti sont restés en friche, la municipalité n'a jamais construit l'équipement public qu'elle avait prévu dans le quartier, alors que plusieurs établissements scolaires (privés et publics) ont été grignotés pendant la dictature sur le parc las Heras, et elle a utilisé les vieilles maisons reçues en échange comme garages. L'abandon de ses prérogatives par la municipalité est significatif du laisser-faire. Le paysage de la zone, fragmenté, reflète les stratégies foncières et immobilières des acteurs économiques. De la même façon, J. Heers avait montré qu'à Bologne, avant la reconquête de l'espace par les princes et l'aménagement d'un espace public, le paysage urbain, composé de tours de taille variée, étant marqué par une occupation des sols discontinue reflet des conflits entre clans (Heers J., 1984). Le paysage urbain du quartier d'Alto Palermo n'est pas fondamentalement différent. De nouvelles tours hérissent le quartier d'Alto Palermo, les densités atteintes étant très élevées (photo n°). Le shopping center et les tours de luxe construites à côté par SADE, financées par la banque Rio et commercialisées par APSA, au gré de la conjoncture immobilière, ont permis de maximiser les profits du promoteur et de dégager des bénéfices importants.

2.2. L'opération du marché d'Abasto.

Pour la lecture de cette partie, se reporter à la carte n° 31. 2.2.1. Premier acte (1984-85) : le projet de conplexe culturel et commercial de M. Hirsch Le transfert des activités de gros du marché d'Abasto au début des années 80 offre une

belle opportunité de réhabilitation d'un bâtiment à très forte valeur architecturale, historique et patrimoniale. Les îlots jouxtant le marché d'Abasto, qui a bercé les complaintes de Carlos Gardel, s'étaient détériorés depuis la désaffection de celui-ci, et n'avaient connu aucun signe de réactivation. Comme pour Alto Palermo, le shopping center est l'un des outils de revalorisation du quartier et de hausse des valeurs immobilières. Le groupe économique Bunge y Born est le détenteur majoritaire des actions de la SAMAP, propriétaire de l'ancien et du nouveau marché d'Abasto, et concessionnaire jusqu'au début des années 80 de l'activité de marché de gros. C'est le président du groupe, Mario Hirsch, qui lance l'idée du projet d'aménagement d'un grand complexe commercial et culturel. Afin d'obtenir les dérogations nécessaires et les normes urbaines autorisant la construction de l'ensemble du projet (y compris sur les parcelles voisines), il utilise les liens politiques des architectes engagés pour l'élaboration du projet architectural. Ceux-ci sont très proches de conseillers municipaux

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influents, en particulier du futur maire radical de Buenos Aires, F. Suarez Lastra (1986-89). Les négociations entre le groupe promoteur et la municipalité de Buenos Aires se matérialisent le 27/11/1984 par la signature d'un accord, ratifié par le vote d'une ordonnance municipale à la fin de l'année 1984 (40.476/84). L'ordonnance n'ayant jamais été publiée, l'accord n'est pourtant pas rendu public. Il porte sur plusieurs points qu'il est facile de reconstituer à partir des ordonnances ultérieures, des témoignages et des débats du conseil délibérant :

• À la fin de l'année 1984, toute la zone du marché est classée en rénovation urbaine,

afin de modifier l'affectation des sols et les usages permis (jusqu'ici, commerce de gros) et de réactiver l'ensemble du quartier (ord. n° 40.357/84). Le périmètre de la zone RU englobe donc l'îlot du marché et quelques dizaines d'îlots voisins, "l'effet multiplicateur de telles concentrations [d'activités culturelles, commerciales, de services] générant une croissance de la demande en commerces et en services dans la zone soumise à la procédure de rénovation urbaine" (ord. 41.776/86).

• Le contenu du programme est défini avec précision dans l'ordonnance n° 40.476 : Abasto comprendra principalement des équipements culturels, quelques commerces et des restaurants, un parc de stationnement, un supermarché. Les caractéristiques de l'architecture extérieure et intérieure des deux bâtiments "recyclés" doivent être conservées.

• Une vaste place publique de 300 m² sera aménagée entre les deux bâtiments et rétrocédée gratuitement à la municipalité.

• L'accord porte aussi sur la révision des normes en vigueur dans les îlots voisins. En effet, la SAMAP est propriétaire de plusieurs parcelles autour du marché. En particulier, l'un des véritables enjeux du projet et des points cruciaux de la négociation résident dans l'aménagement de deux parcelles contiguës de grandes dimensions (8.642 m² et 7.396m²) situées dans le prolongement du marché. C'est pour elles que la SAMAP, par l'entremise des architectes, obtient les mesures les plus dérogatoires (clause n°6 de l'accord de 1984).

2.2.2. Deuxième acte (1986) : le programme immobilier intégré d'Abasto Le nouveau zonage établi pour le quartier deux ans plus tard (ord. 41.776/86) en

décembre 1986, à l'échéance de la procédure de rénovation urbaine, procède à une modification des densités et des usages compatibles et permis. La zone située à l'ouest et à l'est du marché est classée en C3, la densité est abaissée dans l'ensemble localisé au nord du marché (transformation d'une zone R2a à forte densité en une zone R2b puis R2bI en 1989 à densité moyenne), tandis que l'îlot du marché est inscrit en zone E4 (équipement spécial). Le classement en zone E4 permet, entre autres, les usages supermarché, hypermarché et les équipements culturels.

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Comme nous l'avons déjà mentionné, les parcelles de plus de 5.000 m² peuvent

bénéficier de l'application de règles alternatives permettant des majorations de COS, conformément aux dispositions du ch. 2.2.2. du règlement d'urbanisme. Le changement de zonage permettait déjà l'obtention de COS majorés, de 4 pour la zone C3, contre 1,6 dans la zone R2b dans laquelle était classée auparavant cette portion de quartier. L'ordonnance précise que toute modification des parcelles de moins de 5.000 m² doit respecter l'homogénéité architecturale et urbaine du quartier et être soumise à l'approbation de la municipalité dans des conditions qui ne sont pas précisées. L'avant-projet doit être ratifié par la municipalité.

La stratégie du promoteur est donc double : d'une part, faire du futur shopping center un

instrument de revalorisation de la zone et un moyen de négociation avec la municipalité, d'autre part, obtenir l'application de règles alternatives et l'édiction de mesures dérogatoires pour les parcelles contiguës. Quant aux architectes en charge du projet, ils trouvent aussi leur intérêt dans leur participation à un projet qui s'annonce lucratif.

2.2.3. Troisième acte (1987-95) : les multiples avatars du projet Le décès de Mario Hirsch au début de l'année 1987 se traduit par un changement de

direction à la tête de Bunge y Born : Jorge Born III, membre de l'autre branche familiale dirigeant le groupe avec les Hirsch, lui succède à la tête du groupe, et le projet d'Abasto est alors abandonné par le groupe qui se désengage de la SAMAP en concédant le marché pour vingt ans à El Hogar Obrero en avril 1987, puis en lui vendant progressivement ses parts. En fait, il semble que M. Hirsch avait lui-même modifié le projet initial, ayant finalement décidé de concéder la construction du shopping center, plus risquée, à El Hogar Obrero se réservant la partie la plus rentable, l'aménagement des deux parcelles contiguës79.

C'est donc finalement à El Hogar Obrero que revient la tâche d'aménager le complexe et

les deux parcelles. Le projet de centre culturel évolue vers celui d'un shopping center comprenant un supermarché, mais la précision dans la définition des normes et dans la rédaction des ordonnances et dans les termes de l'accord empêchent le promoteur d'introduire

79 Ces présomptions proviennent du recoupement entre plusieurs faits et témoignages : celui d'un témoin direct ayant participé au projet, les délais importants entre le vote de la première ordonnance mettant l'ensemble du quartier en rénovation urbaine et celui de la seconde qui attribue la nouvelle zonification, alors que le projet semblait prêt : le listing des activités du Conseil Délibérant mentionne une demande datée du 06/06/85 pour pouvoir commencer les travaux le jour de l'anniversaire de la mort de C. Gardel (le 24/06/1985) ; l'ordonnance 40.357/84 accordait un délai de trois mois pour le Conseil de Planification Urbaine définisse le nouveau zonage. Or, il s'est écoulé un an et demi avant que l'ordonnance définissant les normes urbaines pour la zone soit votée.

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des modifications importantes dans le projet initial, d'autant plus que les conseillers radicaux, furieux de s'être faits bernés, font tout pour mettre des bâtons dans les roues du programme80. La faillite d'El Hogar Obrero en 1990-91 remet une nouvelle fois en cause la réalisation du programme, tandis que l'échec des projets successifs ne fait qu'accentuer la dégradation de la zone dont le développement est gelé et où les squatts se multiplient. L'effet est inverse de celui qui était recherché. Finalement, quand en 1994, le promoteur IRSA rachète le bâtiment, il hérite aussi des deux terrains adjacents. Pas moins de 120 000 m² de logements destinés aux classes moyennes y étaient prévus en 1995!

La renégociation d'avantages acquis et la non-taxation des propriétés foncières non-

bâties rendent possible la spéculation foncière. Combinant surprofits de conjoncture liés à la hausse conjoncturelle des prix fonciers et immobiliers, surprofits d'innovation commerciale liés à la nouveauté du produit shopping center et surprofits d'urbanisation liés à l'obtention de droits à construire majorés, dont on a vu, dans ce dernier cas, que C. Topalov les considérait comme un cas-limite de spéculation foncière, les promoteurs intégrés, qui sont propriétaires de terrains aux alentours de leurs shopping centers ou peuvent en acheter, valorisent au maximum la propriété foncière. L'absence de cadre juridique fixe pour l'urbanisme opérationnel et d'outils de régulation du marché foncier en dépit d'une législation "moderne", favorise la spéculation. Ce sont finalement les relations informelles entre les acteurs publics et privés qui définissent la régulation. Le shopping center Alto Palermo, dont la fréquentation est au sommet, est aussi l'un de ceux dont le montant total des ventes est le plus élevé. L'investissement de départ aurait été récupéré en près de trois ans. L'intégration fonctionnelle et relationnelle du groupe économique Pérez Companc lui a permis non seulement de maîtriser mieux que les autres promoteurs les conditions de la production d'un shopping center, mais aussi de construire des programmes immobiliers dans le quartier environnant, le shopping center servant également d'instrument de valorisation de la propriété foncière et immobilière. La stratégie de Bunge y Born, autre groupe économique dont le niveau d'intégration des activités économiques était moindre que celui de Pérez Companc et dont la stratégie était quelque peu différente, était similaire mais n'a pas abouti.

80 Le projet de communication présenté en séance du 08/04/87 par des conseillers radicaux enjoint le promoteur des respecter les clauses du contrat passé entre la SAMAP et la MCBA. À nouveau, un an plus tard, le 07/04/88, un projet d'ordonnance radical demande au promoteur de respecter les ordonnances 40.476 et 41.776. En 1988, en effet, le projet est refusé pour non-conformité (dépassement du COS permis, garanties insuffisantes quant au stationnement, etc.).

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Conclusion

Il n'existe aucune réglementation d'urbanisme commercial en Argentine, ni à l'échelle

nationale, ni à l'échelle locale, qu'elle soit de type préservationniste ou planificateur. Les stratégies partenariales entre les acteurs publics et privés concernant la production des shopping centers sont réglées suivant le modèle urbain nord-américain entreprenarial. La politique municipale met l'accent sur la nécessaire conjonction entre développement économique et développement urbain et sur le rôle des promoteurs immobiliers, en l'occurence des promoteurs commerciaux, comme nouveaux acteurs de l'urbain. Les promoteurs commerciaux jouent un rôle fondamental dans la production de nouveaux lieux publics. Les subventions indirectes apportées par l'État à la production des shopping centers, justifiées par la mise en œuvre d'un nouveau modèle de gouvernance qui modifie les rapports entre le public et le privé, accréditent les shopping centers comme nouveaux lieux de la pratique sociale et urbaine. La lecture marxiste "classique" est insuffisante. Le contexte économique, social et politique n'est plus du tout le même que celui de la fin des années 7081. L'État ne cherche pas tant à favoriser la formation du profit capitaliste, qu'à se désengager de la gestion d'affaires qui étaient traditionnellement "publiques", dans un contexte où la contrainte extérieure et financière est très forte. Le discours politique ménemiste a une tendance très nette à accentuer la dévalorisation du public, les nouveaux critères de l'action publique étant la subsidiarité, la rationalité et l'efficacité économiques. Le soutien indirect des acteurs publics à la construction des shopping centers est l'une des manifestations de la dérégulation dans le domaine de l'urbain et du déclin de l'État-Providence. Le poids de la contrainte extérieure et la crise, sous toutes ses formes servent de justificatifs aux divers modes de privatisation de l'espace public et à l'action des promoteurs commerciaux sur la ville. Désormais, ce sont les promoteurs privés qui assurent la production des lieux publics, des lieux de la socialisation, et même de nouvelles centralités qui desservent aussi la logique de l'État.

Les négociations entre les promoteurs commerciaux et les acteurs publics sont

révélatrices des changements profonds intervenus depuis la fin des années 70 dans les modèles et dans les modes de gestion urbaine. Or, c'est aussi bien dans la réalité de l'absence d'un véritable contrôle social, condition indispensable, selon C. N. Stone, pour la mise en place d'un régime urbain, que dans la nature des relations de pouvoir beaucoup plus

81 Par exemple, l'ouvrage de l'Argentine S. M. Flores (1993) adopte une lecture de ce type des rapports entre État, agents économiques et société civile, plaçant la dépendance culturelle argentine et le comportement imitateur de ses élites, au cœur de l'explication. C'est, à notre avis, ignorer toutes les modifications structurelles des années 80.

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hiérarchisées, verticales et pyramidales, que s'établissent les principales différences entre le modèle nord-américain de gouvernance et son application en Argentine. La gouvernance urbaine dépend de la structure et de l'architecture du pouvoir, de l'équilibre des rapports entre acteurs publics et acteurs privés. En Argentine, l'application du droit urbain est soumise à caution en raison de la concentration de la richesse et du pouvoir, ainsi que de l'intrication du pouvoir politique et du pouvoir économique. Mais, en Argentine, où l'État possède une légitimité plus fragile et où la culture est profondément individualiste, et à Buenos Aires, où le contrôle de l'État national sur la capitale détermine le jeu politique local, la plus grande perméabilité entre le public et le privé tend à renforcer la concentration du capital et le déséquilibre des pouvoirs. De plus, le nouveau modèle de gouvernance urbaine continue à coexister avec la législation moderne d'inspiration européenne, dans laquelle l'État est censé avoir un rôle de régulateur.

Le comportement des acteurs publics est apparu à la lecture des ordonnances

municipales autorisant la construction de shopping centers et dans le décalage entre les textes juridiques et la pratique urbaine. La rationalité juridique et discursive qui s'appuie formellement sur les modèles européen et nord-américain est trompeuse, et les mécanismes de régulation apparents codifiés par le droit urbain se distinguent des règles réelles qui dominent le jeu politique et les interactions entre acteurs privés et publics. A. Rouquié évoque la "véritable politique en trompe-l'œil qui provient de la verticalité des relations sociales et de la distance entre idéologie institutionnelle et comportement social, avec des manifestations comme l'universalisme juridique, recouvrant en fait le particularisme des relations sociales et de la force" (Rouquié A., 1987 : 114). De toutes façons, en Argentine, l'État n'a jamais eu que sur le papier un rôle régulateur de la croissance urbaine et n'a pas empêché que ne se développe une spéculation effrénée, se traduisant par un laisser-faire caractéristique. Les règles de l'urbanisme moderne et rationalisant n'y ont rien changé, et la souplesse laissée à l'application des documents d'urbanisme s'est traduite par une permissivité et une multiplication des dérogations, et non par un contrôle. "Une règle trop souvent modifiée n'en est plus une", remarque J. P. Gaudin à propos de la trop grande adaptabilité des documents d'urbanisme en France (1993 : 70). Que dire des modes d'application du code de l'urbanisme à Buenos Aires et des formes de régulation, autres, non codifiées par le droit ! La ville a toujours constitué un objet de spéculation pour les acteurs économiques. La production des shopping centers traduit une croissante privatisation de l'espace urbain et des modes de gestion de celle-ci. Or, ce sont les promoteurs les mieux insérés dans les réseaux politiques et économiques et les plus puissants qui ont le plus modifié et détourné les règles organisationnelles institutionnelles, faisant de la dérogation la règle réelle de fonctionnement. Le partenariat possède un très faible degré de formalisation. La coopération ne se fait pas sur la base d'une démocratie locale élargie et participative, ce qui est l'une des contradictions de

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la politique urbaine à Buenos Aires et de l'importation de modèles de gestion et de politiques urbaines dont le shopping center constitue le cas paradigmatique. La concussion, l'outrepassement des droits, le non-accomplissement des devoirs, le détournement des lois, ne sont cependant pas l'apanage de l'Argentine et des pays d'Amérique latine. Les détournements de la loi et les abus de pouvoir et de biens sociaux liés à l'application de la loi Royer en France l'ont montré dans les années 80.

La localisation des shopping centers et leur distribution spatiale sont déterminés par le

système de production du bâti et par les logiques de valorisation du capital. D'une part, le centre, de par sa position dans la ville, de par la valeur des terrains et de par son prestige, représente un enjeu pour les promoteurs, ce qui explique le phénomène de concentration spatiale des shopping centers, d'autre part, les logiques marchandes de promoteurs qui intègrent différemment l'espace dans leurs stratégies, ainsi que les tendances spéculatives du marché, entraînent une couverture spatiale progressive et la multiplication des shopping centers périurbains et / ou périphériques. Les promoteurs commerciaux ont des comportements différents selon leur niveau d'organisation, leur taille et leurs relations politiques. L'intervention des acteurs urbains privés importants, en l'occurrence les promoteurs commerciaux intégrés qui dépendent des grands groupes économiques argentins, concerne non seulement la production des shopping centers, mais aussi celle de l'espace urbain environnant, le shopping center pouvant aussi servir d'instrument de valorisation foncière. Celle des promoteurs associés et des promoteurs artisans se limite, avec plus ou moins de bonheur et d'intuition, à la production d'un shopping center, tandis que celle des promoteurs distributeurs concilie les profits tirés de la grande distribution et de la promotion immobilière.

Les tendances simultanées au renforcement de la centralité et au développement de

nouvelles centralités périurbaines sont les fruits des logiques croisées de l'État et des promoteurs commerciaux. Pour l'État, les shopping centers assurent la socialisation des individus et produisent de la centralité, contribuant même à symboliser l'image du centre-ville; pour les promoteurs, ce sont les logiques de valorisation du capital commercial et financier qui prédominent, et les shopping centers représentent un segment de marché immobilier plein de promesses, même si la rentabilité réelle n'a pas été aussi bonne que celle espérée. Les enjeux sont de nature économique pour les promoteurs commerciaux, mais la modernisation du commerce en centre-ville a aussi une dimension politique et symbolique pour l'État, puisque le commerce, et plus particulièrement les shopping centers du centre-ville, sont l'une des vitrines de la ville, de son développement et de sa modernité, et participent d'une politique d'image, dans un contexte interurbain de plus en plus concurrentiel. En outre, les shopping centers assurent certaines fonctions centrales.

283

Comme nous l'avons rappelé, en France, l'accent a été mis, depuis le début des années

70, sur la réactivation de l'espace public central, à travers les opérations d'aménagement piétonnier, dans lesquelles le commerce occupe une place fondamentale. La notion d'espace public s'est d'ailleurs construite à ce moment-là. Aux États-Unis, l'espace public a été délaissé, le secteur privé se chargeant là aussi de produire les lieux d'interaction sociale et de la pratique publique. En Argentine, les choix politiques se sont portés vers un désengagement presque total de l'État du social, et ce sont les shopping centers, entre autres, qui assurent la fonction de socialisation.

Les shopping centers semblent apporter une réponse à la crise urbaine, offrir des

nouveaux lieux de socialisation, à un moment où il y a clairement un déficit de projet social. Les politiques urbaines de type entreprenarial axées sur le développement immobilier et sur la rénovation urbaine du centre ont pu accentuer la ségrégation et l'exclusion urbaine. Quel est l'impact social des shopping centers ? L'impact du développement du grand commerce sur le petit commerce n'est en tout cas du tout pris en considération dans les politiques publiques, malgré les protestations des associations de commerçants qui commencent à se structurer. D'autres facteurs ont plus d'effets sur l'évolution du petit commerce, notamment toutes les opérations de redressement fiscal menées par la DGI.

299

QUATRIEME PARTIE LES LOGIQUES SOCIALES DE LA MODERNISATION

COMMERCIALE

300

Introduction Les promoteurs privés se sont substitués à l'État dans la production des lieux publics et

des espaces de sociabilité. À l'État, qui essayait d'imposer un ordre en centre-ville, succèdent les promoteurs, qui produisent d'autres espaces ordonnés, les centres commerciaux. Les promoteurs commerciaux sont souvent, et notamment en centre-ville, des filiales de puissants groupes économiques ou des promoteurs associés à ces groupes. L'absence de discours sur les shopping centers et de politique d'urbanisme commercial, ainsi que la non-effectivité des normes fonctionnalistes et rationalistes d'urbanisme moderne, qui, de toutes façons, n'ont jamais infléchi les pratiques des acteurs, soulignent la fin des modèles publics de socialisation, et sont la manifestation d'un déficit d'État. Les shopping centers correspondent à un nouveau mode de production et de gestion privé de la ville, et ils constituent même, à un certain degré des espaces-modèles pour celle-ci. Or, historiquement, la créationn ou la conquête de l'espace public a servi d'instrument de contrôle politique pour des groupes sociaux dominants (Heers J., 1984) et de contrôle social et urbain pour l'État. La production de représentations de l'espace a été l'un des instruments du contrôle. Quelle est donc la signification sociale de la construction des shopping centers ? Quelles sont les normes sous-jacentes à l'aménagement des shopping centers ? Quelle est leur logique sociale et urbaine ? Le contrôle de la production des représentations socio-spatiale est l'autre versant du contrôle social.

En effet, les normes de socialisation qui étaient imposées par l'État sont remplacées par

des normes privées, produites par les promoteurs commerciaux. L'apparition des shopping centers s'accompagne de la montée des valeurs individualistes et de transformations socio-culturelles notables en Argentine. L'analyse des représentations produites par les promoteurs commerciaux est révélatrice des usages des lieux, dans la mesure où elles influent la pratique sociale. "Les représentations se nourrissent de la pratique et inversement" (Gumuchian H., 1991 : 6). La diffusion de nouveaux modes de consommation implique en effet un travail important sur les normes et sur l'image, qui passe, dans les sociétés post-industrielles, par la publicité. "Production et distribution de masse ne rencontrent pas une consommation de masse toute faite et celle-ci n'est jamais uniforme. Le travail normatif des producteurs et distributeurs ne peut se passer des médiations culturelles, qui, elles-mêmes, n'opèrent pas indépendamment des rapports de compétition qui s'installent entre ces modèles" (Péron R., 1993 : 192). En effet, l'espace n'a pas d'effet en soi sur la société ou sur les individus, son impact social est toujours médiatisé par les représentations, et donc par la culture. Quel est donc le contenu du discours publicitaire ? Le contexte social particulier dans lequel sont apparus ces centres d'achat, ne ressemble pas à celui dans lequel ils se sont développés en

301

Europe dans les années d'après-guerre et modifie aussi la perception des individus et des groupes sociaux, dont les représentations et les stratégies sont différentes.

Les représentations de l'espace participent à la production de l'espace, parce qu'elles

influencent la pratique sociale et urbaine, qui, elle-même, donne un sens aux lieux. De quelles significations sont porteurs les shopping centers, en tant que nouveaux lieux publics ? Comment s'opère le transfert de la pratique sociale et urbaine des "anciens" centres vers les "nouveaux" centres ? En quoi, plus précisément les images et les usages des shopping centers, dans leurs interactions, reflètent-ils l'évolution des modes de socialisation, de la société et de la ville ?

302

Chapitre 1 : Images et représentations dominantes des shopping centers

Les images proposées par le discours dominant peuvent être des instruments de

domination et de manipulation sociale, comme l'ont montré de nombreux auteurs comme M. Foucault et P. Bourdieu, et dans leur sillage, un ensemble de chercheurs et de sémiologues travaillant sur les représentations. Tout système de communication, toute situation de communication (à travers l'espace, le langage écrit ou oral...) peuvent être les expressions d'une domination, où s'exerce un pouvoir proprement symbolique traduisant des rapports de force (P. Bourdieu). Dans la société de consommation et dans la société post-industrielle, en particulier, le contrôle de la production des représentations est un enjeu fondamental, et on est devenu sensible au rôle que peuvent jouer les media et la publicité dans la formation des représentations et de l'opinion publique. Certes, "le langage est un instrument de pouvoir au même titre qu'un autre, non pas qu'il puisse faire l'objet d'une appropriation privée, mais il peut être manipulé avec plus ou moins d'efficacité" (Raffestin C., 1980 : 97), mais l'approche radicale du discours et des représentations s'inscrit dans une problématique du pouvoir-domination et du pouvoir-aliénation, qui ne reflète pas toujours la nature véritable des relations de pouvoir s'établissant entre les producteurs des centres commerciaux et leurs usagers. Si pour les uns, la publicité vise à "fabriquer de l'adhésion" par des "comportements-réponses dictés par un assentiment passif", selon l'expression de J. Habermas dans sa critique des medias devenus des organes publicitaires à but commercial (Habermas J., 1980 : 202-203), pour d'autres, le totalitarisme aliénant et l'impact social et psychologique de la publicité a été exagéré par les sociologues et les sémiologues d'inspiration marxiste. L'action réelle de la publicité se traduit par des différenciations marginales, et elle augmente la liberté de choix de l'individu (Lipovetsky G., 1987). Nous nous situerions dans une position intermédiaire : le discours dominant contribue à forger les représentations, en proposant des images et en émettant des messages composés de signes qui influencent la production des valeurs collectives. Il existe en effet un lien entre le discours, le champ des représentations collectives et les comportements des usagers. Mais les individus ont des capacités de réaction en fonction de leur capital culturel, social, de leur parcours, du contexte, etc.

En effet, comme le souligne A. Vant, en évoquant l'interaction entre le social et le

spatial et le rôle joué par les représentations spatiales dans la production d'effets sociaux, ce n'est pas tant l'espace que les représentations de l'espace qui produisent un effet social (Vant A., 1986). À la fois "produit et processus d'une élaboration psychologique et sociale du réel" (Jodelet D., cité par G. Di Méo, 1989), donc à la fois acte mental et résultat de ce processus,

303

la représentation mentale que se font les usagers des shopping centers naît d'une confrontation entre, d'une part leurs perceptions directes de l'espace (architectural), et d'autre part les images collectives attachées aux lieux, à la construction desquelles contribuent beaucoup les medias. La représentation comprend à la fois des éléments qui relèvent d'une appréciation et d'une connaissance personnelles de l'espace, de pratiques, et d'autres qui sont liés à des constructions et à des normes collectives.

Comment donc, les représentations des promoteurs commerciaux sur les shopping

centers et l'espace architectural contribuent-ils à la production de la pratique et de l'espace commercial ? Quelles sont les fonctions, les formes et les significations du discours dominant?

1. L'utopie de la consommation dans le discours publicitaire

1.1. Constitution d'un corpus de textes

1.1.1. Revue de presse La presse est l'un des principaux medias qui sert de vecteur aux images transmises par

les administrateurs et les propriétaires des shopping centers. Il a donc d'abord fallu constituer un corpus de textes à partir d'une revue de presse. Cette dernière a été effectuée de façon systématique dans le quotidien Clarín, et partielle dans les autres quotidiens, hebdomadaires et revues cités. En effet, malgré leur intérêt croissant pour les centres commerciaux, les bibliothèques et les centres de documentation ne retiennent pas encore dans leur classement la rubrique "shopping centers". D'où les difficultés pour couvrir l'ensemble de la presse durant une longue période. Celle-ci va de juillet 1986 à décembre 1993, 1986 étant l'année d'apparition des premiers centres commerciaux et 1993 correspondant à la fin de notre séjour. Chaque journal, chaque quotidien, chaque revue hebdomadaire, a un profil bien identifié. Les différenciations en fonction de la couleur politique du journal, en particulier de son acceptation ou de son rejet des orientations politiques néo-libérales, en fonction de l'origine sociale et des références culturelles des lecteurs, sont en partie une clé pour expliquer l'intérêt pour les shopping centers, les thèmes abordés, les centres commerciaux mentionnés. Clarín, propriété d'une famille argentine influente, à tendance radicale, la famille de Noble, est le plus important quotidien argentin. Il est principalement acheté par des lecteurs appartenant à la classe moyenne. Página/121, fondé récemment, en 1988, est lu par des lecteurs "de gauche",

1 En dépit de sa position critique, Página/12, à la suite d'un compromis avec la municipalité de Buenos Aires (concernant les encarts de publicité officielle et légale), s'est engagé à modérer ses critiques à son encontre.

304

"intellectuels" et urbains. Les trois articles de Página/12 sur les shopping centers, dont le nombre réduit montre le faible intérêt de ce quotidien pour le sujet2, les analysent essentiellement comme des phénomènes urbains et sociaux. Dans La Nación qui représente plus l'establishment et dans les quotidiens et les mensuels d'information économique El Cronista Comercial, El Ambito Financiero, Panorama, Apertura qui s'adressent plus à une clientèle d'hommes d'affaires et de banquiers de la City portègne (26 articles au total), l'approche sur les shopping centers est plutôt économique. Les articles des newsmagazines (Somos, Noticias, Gente) qui jouent un rôle important dans la diffusion auprès des classes moyennes de normes sociales et de valeurs culturelles mondiales comme le nouvel hédonisme, n'ont pas été négligés (12 articles).

En effet, comme le cinéma et la télévision, vecteurs majeurs de la diffusion des valeurs

culturelles et sociales dominantes, et en particulier, ces dernières années de la culture nord-américaine3, la presse contribue, chez les classes moyennes, public historique des centres commerciaux, à forger les opinions et les repères de ses membres, et donc, ses représentations et ses pratiques. Comme le montre une enquête réalisée par le CREDOC auprès des nouvelles classes moyennes, les modèles de consommation sont beaucoup moins influencés et marqués par la tradition ou par l'environnement social que par les medias (Beaud P., 1984 : 286-287). Ces remarques confirment le choix de Clarín pour la réalisation d'une revue de presse systématique. Un survol rapide du quotidien Crónica, journal sensationnaliste et très populaire, a permis de constater l'inexistence d'articles sur le thème, pas même au moment de l'inauguration des plus importants shopping centers (Unicenter, Alto Palermo), qui a pourtant eu de nombreux échos dans le reste de la presse quotidienne ou hebdomadaire.

2 En effet, nous avons eu accès aux archives de Página/12, où il était plus facile de recenser les articles sur le sujet, et nous pensons avoir fait le tour de tous les articles s'y rapportant. 3 Gilles Lipovetsky mentionne le succès phénoménal de "E.T." à Buenos Aires, dans L'empire de l'éphémère.

305

Tableau n° 18 : corpus d'articles retenus en fonction de la source

nom du journal fréquence de publication orientation, profil nombre d'articles Clarín quotidien radical, classe moyenne 36 El Cronista Comercial quotidien économique 8 Ambito Financiero quotidien économique 6 La Nación quotidien libéral, traditionnel, de

droite 6

Noticias heddomadaire information générale 6 Somos hebdomadaire information générale 4 Apertura mensuel économique, libéral 3 Página/12 quotidien urbain, de gauche 3 Panorama mensuel économique, de gauche 3 Gente hebdomadaire mondain 2 5to Poder (*) mensuel politique, culturel 2 autres (**) - - 9 total - - 88 (*) 5P était une revue publiée par le groupe de presse indépendant La Maga, qui n'a pas dépassé les cinq

numéros.

(**) El Atlántico de Mar del Plata, Esquiu, Buenos Aires Herald (quotidien anglophone), La Prensa, Codo a

Codo, Extra.

Les rubriques "informations générales" et "économie", ainsi que les suppléments

"architecture" et "deuxième section" (supplément d'information générale du dimanche, très orienté vers les loisirs, la culture, etc.) de Clarín, quotidien qui a le plus fort tirage en Argentine, ont été entièrement dépouillés. Les suppléments architecturaux de El Cronista Comercial et de Página/12 ont aussi été explorés. La rubrique "information générale" est l'équivalent de la section "faits de société" ou "société" de nos quotidiens, et elle aborde tout sauf des faits réellement sociaux (P. Beaud, op. cit.), mais reflète bien les représentations dominantes. Les articles sur les shopping centers sont souvent empreints d'une grande banalité et sont traités sur le même ton.

On distingue essentiellement trois types d'articles : les articles à fonction publicitaire,

les articles à fonction informative, et les articles à fonction critique. • Les articles à fonction publicitaire ont deux sources principales d'information : les

dossiers de presse, et les interviews des gérants des centres commerciaux. Tous diffusent une information officielle, promotionnelle et standardisée. Les gérants interrogés (directeurs généraux, directeurs de marketing) sont investis de l'autorité et du pouvoir des propriétaires et

306

Les articles à fonction informative donnent lieu à une enquête plus approfondie sur le foncti sur

icles à fonction critique sont les plus rares et sont en général le fait d'intellectuels connus et reconnus (les architectes Juan Molina y Vedia, Julio Cacciatore de la revue

porté sur l'ensemble du corpus. En revanche, c'est à partir de la première catégorie d'articles (du moins dans un premier temps), que n

ours à un logiciel d'analyse textuelle, de toutes façons trop comp xe et élaboré par rapport à nos objectifs, nous avons procédé à un repérage des occur

représentent leurs intérêts. L'information, peu élaborée et assez brute, reste très descriptive, mais n'est pas toujours cohérente et homogène. Les données, en particulier les données techniques, varient selon les sources. Leur précision et leur cohérence doivent en partie dépendre du degré de contrôle de l'information et de professionnalisme de l'administration des shopping centers. L'information diffusée du Patio Bullrich, par exemple, est très homogène. Les services de presse et de communication de certains shopping centers publient soit des encarts publicitaires dans la presse (cas de Plaza Liniers), soit des revues promotionnelles, plus coûteuses (cas de Paseo Alcorta, à ses débuts).

• onnement des shopping centers, leur public, etc. Ils comportent pêle-mêle des

interviews d'architectes, des enquêtes sur les shopping centers et leur fonctionnement, des enquêtes auprès des usagers, des articles "d'opinion" sur les nouveaux modes de consommation et sur les nouvelles pratiques urbaines liés aux centres commerciaux.

• Les art

d'architecture Summa, les historiens du "club socialiste" et de la revue culturelle et critique Punto de vista, Adrian Gorelik et Beatriz Sárlo, etc.) ou de revues culturelles indépendantes (5P). Ce sont les nouvelles valeurs culturelles, sociales, urbaines, véhiculées par les centres commerciaux, les nouveaux modes de production de la ville qu'ils induisent, qui y sont analysés ou vilipendés.

L'analyse des thèmes et des lieux récurrents a

ous avons effectué une analyse sémantique, lexicologique et grammaticale. En effet, c'est elle qui transmet le plus directement les représentations dominantes, et elle joue un rôle essentiel dans la dynamique de la consommation. La presse est un espace publicitaire, faire parler de soi constituant toujours le moyen le moins cher. L'analyse de l'iconographie publicitaire aurait aussi été intéressante, mais peu de shopping centers ont véritablement un budget consacré à la publicité.

N'ayant pas pu avoir reclerences par lieux et par thèmes et à une analyse sémantique, lexicale et morphologique,

qui permet d'obtenir des résultats similaires de manière peut-être plus intuitive. Précisons que l'étude des occurrences par lieux s'est faite à partir de la revue de presse systématique et complète de Clarín. En revanche, pour l'ensemble des articles, on a identifié et analysé les

307

prédominance des shopping enters centraux

shopping centers sont passés presque inaperçus et si on ne trouve aucune trace de l'ouverture de Sur et de Soleil dans Clarín4, c'est l'inauguration simultanée des tr

thèmes retenus, les idées et les images véhiculées dans la presse, ainsi que l'intentionnalité du discours sur les shopping centers, en adoptant une grille d'analyse du discours reposant sur quelques simples catégories de sens (Gumuchian H., 1991 : 79).

1.1.2. Occurrences / récurrences par lieux et par thèmes : lac Si les deux premiers

ois shopping centers, Unicenter, Patio Bullrich et Spinetto, en 1988 qui les a lancés sur les devants de la scène. Depuis, les inaugurations allant croissant, le thème est récurrent. La revue de presse effectuée dans le quotidien Clarín montre que les shopping centers les plus fréquemment mentionnés sont Alto Palermo, Patio Bullrich, Unicenter, Spinetto, les Galerías Pacífico, Paseo Alcorta et la Recoleta (19 articles). Leur inauguration n'est pas passée inaperçue, figurant à la fois comme "événement" social et mondain et comme rituel symbolique d'institution au sens où l'entend P. Bourdieu (1982). La cérémonie d'inauguration, célébrée en grande pompe et mise en scène dans ces sept shopping centers, a joué un rôle dans la construction de représentations. Leur plus grand intérêt architectural, les opérations de réhabilitation du patrimoine architectural et historique qu'ils entraînent, la valeur prestigieuse de leur localisation, mais aussi le nom de leur promoteur, expliquent qu'ils soient largement médiatisés. On peut constater qu'en dehors d'Unicenter, qui est périurbain, les shopping centers dont on parle dans la presse ont tous une localisation centrale. Ceux de la périphérie sont passés sous silence : les propriétaires en sont moins influents, les personnalités invitées lors de leur inauguration moins célèbres, leur éclat est moindre, et le sujet finit par s'épuiser. Ils ne constituent un événement que pour la société locale. C'est donc à partir des grands shopping centers centraux, les plus connus, que se construit l'image des shopping centers dans la presse, plus encore à l'échelle nationale qu'à l'échelle de l'agglomération. Les enquêtes réalisées auprès des usagers montrent que les centres commerciaux connus et cités sont ceux-là5. Et c'est principalement le discours de leurs promoteurs, de leurs gérants ou de leurs architectes qui y est reproduit.

4 L'inauguration du premier centre commercial argentin a cependant été mentionnée dans la presse quotidienne économique. 5 L'enquête Retondaro, effectuée auprès des ménages des catégories moyennes-supérieures et supérieures, montre qu'ils ne connaissent que les shopping centers centraux. Quand on leur demande de citer des noms de centres commerciaux qu'ils connaissent et qu'ils fréquentent, ils citent le plus souvent Alto Palermo (53,70%), puis à part égale Unicenter et Paseo Alcorta (20% environ), enfin loin derrière Patio Bullrich (3,71%), et

gmentation des pratiques spatiales, comme on le verra plus loin. Spinetto (1,85%), mais jamais Shopping Sur, Liniers, etc.. La connaissance de l'espace provient évidemment en partie de la se

308

ement et de la réussite du centre commercial en Argentine. Dans l'ensemble de la presse, c'est Alto Palermo qui est le favori des medias, comme

cas paradigmatique du développ

309

Tableau n° 19 : nombre d'occurrences par shopping center dans le quotidien Clarín

shopping centers mentionnés dans Clarín

nombre d'occurrences

décadence urbaine des centres traditionnels 6 les centres commerciaux en général 6 école-shopping (1) 6 Galerías Pacífico 4 La Recoleta 3 Spinetto 2 Alto Palermo 2 Unicenter 2 Abasto 2 Patio Bullrich 2 Paseo Alcorta 2 Plaza Liniers 1 La Plaza 1 Soleil 0 Sur 0

(1) La fréquence de la mention de l'"école shopping" s'explique par la nature judiciaire de l'"affaire" : à la suite d'une erreur commise par la MCBA, celle-ci, menacée de poursuites judiciaires, a concédé le rez-de-chaussée d'une école primaire à un agent immobilier pour y aménager une galerie commerciale (et non véritablement un centre commercial), en échange de la réfection du deuxième étage de l'école. L'"affaire" a fait grand bruit dans la presse.

Les thèmes les plus fréquemment abordés sont d'abord le shopping center comme

"événement" mondain, comme phénomène de mode, comme nouveauté. Viennent ensuite les articles traitant du shopping center comme fait social et économique ("le boom des shopping centers"), thème d'ailleurs très proche. Les questions légales liées au développement des shopping centers font régulièrement les manchettes de journaux : les infractions aux règlements d'urbanisme locaux, les affaires de corruption, les arrangements entre acteurs privés et acteurs publics sont des sujets fréquemment abordés. Les thèmes économiques tournant autour du fonctionnement ou des dysfonctionnements des centres commerciaux retiennent aussi l'attention, ainsi que les aspects architecturaux abordés par les suppléments "architecture et urbanisme" des quotidiens Clarín et El Cronista Comercial, qui consacrent périodiquement un numéro à l'architecture et à la conception des plus importants shopping centers au moment de leur inauguration. Si les lieux communs sur les centres commerciaux à caractère vaguement sociologique sont le sujet de la majorité des papiers, les articles de fond, comportant des analyses plus sociologiques et critiques, sont peu nombreux (9% de l'ensemble des articles sélectionnés).

Tableau n° 20 : principaux thèmes abordés dans la presse

310

présentation, cérémonie d'inauguration, consommation, nouveauté 21 aspects légaux et "affaires" judiciaires 16 (1) "boom" 13 architecture, programmation, décoration, restauration 11 économie 11 impact urbain, décadence urbaine 8 sociologie 5 critique 3

(1) De nombreux articles portent sur le cas de l'"école-shopping", qui a mobilisé l'attention pendant plusieurs semaines.

1.2. Les images des centres commerciaux dans le discours publicitaire

1.2.1. Morceaux choisis : la fascination Quelques extraits d'articles6 sur les centres commerciaux, sélectionnés dans la presse

donnent le ton du discours publicitaire dont ils ont fait l'objet, et fournissent un panel assez complet des images et des modèles les concernant.

"À l'intérieur, on perd toute notion de l'extérieur, et

on se retrouve pris dans une féérie de couleurs, de

lumière et de mouvement (...). Les locaux communiquent

par une série de longs couloirs (...) Nous jouissons

d'une promenade où sont excités tous nos sens, tandis

que chacun oublie ses difficultés du jour ..., puisque

dans le centre commercial, le spectacle commence dès

que l'on arrive (...). À côté de l'autoroute

panaméricaine à Martínez, Unicenter avec ses trois

niveaux et ses vastes espaces, a fait son apparition.

La décoration de ce centre commercial est voluptueuse.

L'ascenseur en verre fait le délice des petits et des

grands. Les escaliers roulants qui relient deux étages

entre eux sont une nouveauté en Argentine. Même si la

décoration est magnifique, les spectacles du centre

commercial ne sont pas en reste. Les fêtes de Noël 1990

ont été hallucinantes : des feux d'artifice et un père

6 Traduction personnelle. C'est nous qui soulignons. Les mots soulignés renvoient aux champs thématiques et lexicographiques les plus fréquents.

311

Noël tout illuminé qui descendait d'une tour perdue

dans la fumée" (El Atlántico del Mar del Plata, 10/02/91).

"Le client a tout sous un même toit, avec des horaires

en continu, étendus au samedi, au dimanche et aux jours

fériés. C'est un endroit où les gens peuvent acheter

facilement" (la gérante du Patio Bullrich, T. Kendall, dans Clarín, 17/09/88).

"Un centre commercial est une concentration de

commerces et de services : quand une dame doit aller

chez le coiffeur, à la poste ou faire un appel longue

distance, elle peut tout trouver dans le centre

commercial. Elle peut aussi aller au cinéma, faire des

opérations bancaires, tout en laissant ses enfants

jouer. Elle peut aussi aller en voiture en toute

sûreté" (El Cronista Comercial sur Unicenter, supplément "architecture" 10/02/88).

"Le centre commercial offre une grande variété de

choix, de services et de loisirs, dans un cadre sûr et

confortable, avec des horaires d'ouverture étendus, la

possibilité de combiner toutes les activités de la vie

quotidienne : les loisirs, les achats nécessaires, le

paiement des factures, sans jamais avoir à perdre de

temps en déplacement. Sa taille, la sécurité, le

confort et la concentration de biens et de services les

ont transformés en grandes attractions pour la famille.

Comme il possède son propre climat, il est complètement

indépendant des conditions météorologiques. (...) Le

food court, les cinémas, les restaurants baignent dans

un climat printanier qui se maintient toute l'année" (Clarín, texte élaboré par le gérant de marketing et le chef de publicité de Unicenter, 07/10/88).

"Les centres commerciaux offrent plus de services et

sont planifiés. Ils sont ouverts 365 jours sur 365, y

compris le samedi et le dimanche. Ce sont des

promenades publiques qui offrent un nouveau confort,

312

avec air conditionné, et qui a recours aux technologies

modernes. Ce sont des bâtiments intelligents. Ils

permettent d'acheter en toute sécurité" (extrait d'interview de J. C. López, "Clarín", 21/02/93).

"La première impression est sans aucun doute étonnante,

l'échelle de l'espace public est monumentale et mise en

valeur par trois merveilleuses coupoles de cristal et

une voûte de même transparence, sous laquelle s'étend

le "mall" proprement dit" (Noticias, sur l'architecture de Alto Palermo, 04/11/90).

"Le confort, la chaleur de l'accueil, la cordialité,

les services, et les bas prix sont parmi les facteurs

qui expliquent la venue de milliers de personnes par

jour. Et c'est ainsi que désormais tout est possible

dans cet endroit, on s'y sent chez soi, on n'a aucun

problème d'horaire, on y trouve tout le confort et la

chaleur d'un espace commercial. Plaza Liniers offre

tout cela, et même plus, pour pouvoir en profiter avec

toute la famille. C'est devenu la meilleure solution

pour passer un jour inoubliable, en achetant un

chocolat, mais aussi une voiture, ou en organisant ses

prochaines vacances. À Plaza Liniers, qu'il fasse chaud

ou froid, cela n'a pas d'importance, puisque tout est

climatisé (...). Il y a des ascenseurs panoramiques et

des escaliers mécaniques. Ses couleurs douces, sa

chaleur s'harmonisent avec la musique fonctionnelle qui

accompagne les visiteurs pendant toute leur promenade.

Acheter en toute tranquillité et en toute sécurité,

c'est ce que vous offre cet endroit, puisque son

personnel de sécurité reste attentif à tout ce qui peut

se passer (...). Les week-end se transforment en fêtes

à Plaza Liniers. Des ensembles de rock, de jazz, de

musique mélodique, jouent des airs connus, pour tous,

pour tous les goûts, des mimes attirent l'attention des

passants ravis qui peuvent participer à une loterie" (encart publicitaire sur Plaza Liniers paru dans Clarín, 16/06/93).

313

"Des lieux pleins de fantaisie et d'imagination qui

permettront de se promener devant des centaines de

mètres de m2" (Clarín, à propos de Patio Bullrich).

"Le concept-clé a été de transmettre des sensations

agréables à tous ceux qui vont se promener dans le

centre commercial (...). Ce qui est essentiel pour le

succès du centre commercial, est que le client apprécie

sa promenade, qu'il se sente chez lui, et surtout qu'il

revienne" (Apertura, sept. 1992, à propos du centre commercial de La Recoleta).

"Nouveauté absolue, d'abord frapper, facteur surprise,

facteur curiosité, un endroit énorme, beaucoup de gens,

une occasion géniale, une grande affaire" ("Apertura", oct. 1992, à propos du centre Paseo Colón, jamais inauguré).

"Portes, fenêtre, vitrines, kiosques, banques,

balustrades, une grande zone couverte, illuminée

naturellement dans la promenade principale, des

pergolas, des marquises" (Ambito Financiero, 15/08/86, à propos de Shopping Sur, après son inauguration).

"Si l'on ose affirmer comme le fait le poète Vinicius

de Moraes que "la vie est un art de la rencontre", on

pourrait dire qu'il est essentiel de mêler les

différentes fonctions de la vie moderne -travailler, se

divertir, acheter, s'approvisionner, payer ses

factures, participer à la vie culturelle- en les

rapprochant. C'est sans doute dans ces grands centres

que se produisent ces rencontres, et il faut donc créer

ces conditions pour que ce soit réellement possible,

pour pouvoir les mettre toutes en valeur" (Clarín, 11/11/90, interview de la gérante générale du Patio Bullrich, Thérèse Kendall, à propos de la "philosophie" -sic- des centres commerciaux).

314

"Il n'y a pas de règles d'uniformité parce que le

centre commercial apparaît comme une petite ville

italienne, dans laquelle chaque recoin est distinct et

enchanteur" (Apertura, sept. 1992, sur Plaza del Pilar).

"Un conseil : vous devez absolument passer par "Space

Station" qui vend des articles importés, et par

Musimundo qui offre de bons prix et une gamme complète" (Somos, à propos de Alto Palermo).

"Les facteurs qui ont favorisé la prolifération des

centres commerciaux sont nombreux :

l'industrialisation, la production et la consommation

de masse, l'augmentation des revenus des ménages, la

motorisation, l'urbanisation, les difficultés de

circulation, le manque de places de stationnement, et

les changements d'attitude des consommateurs" (gérant de marketing et chef de publicité de Unicenter, Clarín, 07/10/88). 1.2.2. Analyse sémantique, lexicale et grammaticale du discours objectif Le discours objectif à fonction publicitaire sur les centres commerciaux comprend

plusieurs registres sémantiques qui correspondent à différents types d'arguments promotionnels et se rattachent à trois grands thèmes, le social, le spatial et le fonctionnel :

• un registre fonctionnel qui renvoie aux arguments commerciaux et souligne la fonction intégrée, combinatoire et totalisante du centre commercial (le confort, la commodité, la facilité, la musique fonctionnelle, l'environnement climatisé : la qualité et la variété de l'offre, le choix, la concentration, l'absence d'automobiles, les places de stationnement, les horaires élargis) ;

• un registre éthique et esthétique (la sûreté, la propreté, la beauté : un milieu sûr, protégé, surveillé, ordonné, aménagé, soigné) ;

• un registre superlatif, à la fois hyperbolique et laudatif (les quantités : "même plus", "grande", "beaucoup de", "pleins de" ; la démesure et l'hyperbole : "monumentale", "absolue", "énorme" ; le merveilleux, l'"irréel" : "étonnante", "féérie", "fêtes", "merveilleux", "géniale", "enchanteur", "fantaisie", "imagination", "ravis", "climat printanier qui se maintient toute l'année") ;

315

lumière", "mouvement", "musique fonctionnelle", "couleurs douce "so

, "cordialité", "rencontre", "s'harmoniser") ;

• un registre sensoriel qui renvoie à des arguments hédonistes et à la "mise en spectacle" (sensations : "couleurs", "

s", spectacle ; plaisir : "jouissons", nt excités tous nos sens", "se sentir") ; • un registre communicationnel qui renvoie à des arguments ayant trait au lien social

("communiquant"• un registre sur la modernité qui renvoie à la fois à des arguments commerciaux sur la

modernisation du secteur de la distribution et sur la modernisation de la ville et de la société (le nouveau, le progrès).

La spatialisation du discours est essentielle : les adverbes de lieu ("y", "dans"), ainsi que

l'accent mis sur l'opposition entre un intérieur et un extérieur, y contribuent. Les substantifs qui se réfèrent à l'espace sont tantôt abstraits ("espace", bien qu'en général, le terme soit accompagné de l'adjectif qualificatif "commercial" qui le précise, "échelle"), tantôt concrets ("endroit", "lieu", "espace public", "concentration", "recoin"). L'espace architectural et la décoration, qui sont évoqués avec insistance et avec de nombreux détails, apparaissent comme l'un des dispositifs spatiaux essentiels. Aucune mention n'est faite de caractéristiques particulières à l'espace local, en dehors d'une comparaison avec une petite ville italienne. Les termes "promenade" et "achat" sont signalés à plusieurs reprises, à quantité pratiquement égale.

Le style journalistique publicitaire, en procédant à une réécriture d'événements, somme

toute communs, à une "épopisation" du récit, tranfigure la réalité. Les substantifs et les adjectifs qualificatifs sont en nombre important. Le recours au pronom impersonnel ("on perd toute notion de l'extérieur", "on y trouve tout le confort et la chaleur d'un espace commercial"...) permet d'impliquer à la fois les acteurs et les lecteurs. L'anaphore est une figure de style qui revient aussi fréquemment. Elle renforce l'impression de surprise devant l'abondance offerte par le centre commercial. Dans certains cas, il ne s'agit que de simples accumulations, le style pouvant devenir très répétitif, voire redondant (en particulier l'encart publicitaire sur Plaza Liniers et le texte rédigé par les gérants d'Unicenter). Ces derniers textes ont une fonction pédagogique certaine. Le récit enjolive la réalité (articles de Apertura, El Atlántico del Mar). Le discours joue aussi sur la séduction. La répercussion du phénomène des shopping centers dans la presse "provinciale" (article d'El Atlántico del Mar) est particulièrement significatif de la transmission d'une image idéalisée des principaux centres commerciaux de la capitale. Le discours insiste sur la valeur distinctive de la fréquentation d'un centre commercial : visiter un shopping center, c'est appartenir à une certaine élite. On remarque aussi les différences de style des discours en fonction des publics visés (niveaux de langage, cohérence du discours, références) : celui du Patio Bullrich se veut plus spirituel et plus intellectuel, contient des références culturelles, tandis que les encarts publicitaires pour

316

les shopping centers Unicenter et Plaza Liniers sont assez mal rédigés, répétitifs et possèdent un style assez lourd.

1.2.3. Stéréotypes et clichés du discours publicitaire Le discours sur les shopping centers obéit à plusieurs sous-objectifs, entre autres,

promouvoir ces nouveaux centres de consommation et de loisir en construisant une image globale des centres commerciaux, et diffuser des standards de consommation et des normes sociales et culturelles qui soient intériorisées par les usagers potentiels.

Parsemé de stéréotypes et de clichés, il reprend les mêmes arguments que les premiers

ouvrages et discours publicitaires sur ces lieux d'achat, qui datent des années 50-60. Dans La société de consommation, J. Baudrillard fustigeait les discours "parlysiens", et voyait dans les drugstores et les centres commerciaux, les archétypes de la société de consommation : "Nous sommes là au point où la consommation saisit toute la vie, où toutes les activités s'enchaînent sur le même mode combinatoire, où le chenal des satisfactions est tracé d'avance, heure par heure, où l'environnement est total, totalement climatisé, aménagé, culturalisé" (1971 : 21-23). "Dans ce mariage du confort, de la beauté et de l'efficacité, les Parlysiens découvrent les conditions matérielles du bonheur que nos villes anarchiques refusaient (...). Nous sommes là au foyer de la consommation comme organisation totale de la quotidienneté, où tout est ressaisi et dépassé dans la facilité, la transludicité d'un "bonheur" abstrait, défini par la seule résolution des tensions (...). Seule règne l'éternelle substitution d'éléments homogènes. Plus de fonction symbolique : une éternelle combinatoire d'"ambiance" dans un printemps perpétuel (...). Le Mail, comme une rue, est accessible sept jours sur sept, de jour comme de nuit". (op. cit. : 26). Comme nous l'avons vu, le centre commercial, modèle intemporel, aspatialisé, international, qui emprunte à la figure de l'utopie, y est le lieu d'expression d'un bonheur matérialiste. Le discours sur les centres commerciaux propose l'utopique avénement d'une société sans classe, à laquelle correspond l'image rêvée et mièvre d'un univers épuré et stérilisé, avec ses personnages sans âme, tels que les montrent les dessins d'architectes. C'est le même idéal banalisé de la classe moyenne, diffusé dans les années 50-70 en Europe et aux États-Unis, qui est proposé par les promoteurs des shopping centers en Argentine.

Le discours publicitaire local n'a que peu d'autonomie par rapport au discours

international sur les centres commerciaux, même si la spécificité de la situation argentine est parfois soulignée (quelques références comme l'Italie, Vinicius de Moraes, etc.). Il a une fonction homogénéisatrice et uniformisante. Par exemple, quand le discours ethnocentré des gérants du centre commercial Unicenter explique quels sont les facteurs sociologiques et économiques de l'apparition des centres commerciaux (le travail féminin, la motorisation et la

317

suburbanisation, la montée du taux d'équipement des ménages en matériel électroménager, les changements dans les modes de consommation, la hausse du niveau de vie...), il se réfère explicitement aux facteurs européens ou nord-américains, mais aussi implicitement à l'émergence du phénomène en Argentine, gommant ainsi les différences entre la réalité sociale et urbaine locale dans les années 80, et celle de la France, de l'Angleterre ou encore des États-Unis, dans les années 50-70. On a vu que la modernisation du commerce n'avait pas nécessairement les mêmes facteurs, mais l'universalité du discours lui donne plus de force. Le discours fonctionne comme un mode d'emploi des shopping centers : il en précise les usages. L'insistance sur le fonction ludique (la promenade) est peut-être plus forte que celle sur la fonction achat.

1.3. Fonction idéologique et fonctionnement du discours

1.3.1. La dimension urbaine utopique des shopping centers Le discours dominant sur les centres commerciaux véhiculé par la presse renvoie à un

autre discours, sur la ville et sur la "crise" urbaine. Il expose une vision idéaliste du shopping center comme antithèse de la ville. Comme le souligne F. Choay (1976 : 75), les discours utopiques, à commencer par celui qui a fondé le genre, l'Utopia de T. More, commencent toujours par qualifier l'ordre urbain existant de désordre pour ensuite proposer un ordre idéal. Dans sa forme classique, l'utopie, récit imaginaire reposant sur des modèles de ville réels, comportait un projet de société, qui se présentait le plus souvent sous la forme d'un projet de ville, dans lequel l'espace est le principal agent transformateur de la société. Si, selon elle, l'utopie est une forme inhérente à la démarche urbanistique, l'urbanisme commercial n'échappe guère à la règle. Le centre commercial, comme totalité urbaine intégrée et planifiée, comme lieu de concentration de diverses fonctions urbaines, emprunte certaines caractéristiques aux modèles utopiques : il oppose deux images de la ville, l'une négative, l'autre positive, et offre un nouveau modèle spatial et urbain, dont la formule a été confectionnée et testée ailleurs avec succès.

a) Le modèle urbain du shopping center Le shopping center propose un modèle urbain, mélange hétéroclite de plusieurs modèles

utopiques. Lieu a-spatialisé et agréable comme le suggère l'origine étymologique du mot "utopie", rappelée par L. Mumford (dans Choay F., 1965), à la fois "u-topia" et "eutopia", le modèle est reproductible et peut se transposer presque invariablement n'importe où, devenant effectivement utopique, c'est-à-dire de nulle part, et ils dégoulinent de transparence et de

318

qui vise à recréer le climat des villes anciennes, aux dimensions mode

e que représentent les immeubles intelligents des centres commerciaux, avec leurs

a critique de la ville sous-jacente au discours sur les shopping centers reprend à son comp piste, de la critique hygiéniste à la critique moraliste, en passant par les critiques fonctionnaliste et culturaliste. Le discours dominant stigm

bonheur. Le modèle urbain que présentent les centres commerciaux amalgame plusieurs aspects des modèles urbains utopiques classiques et modernes :

• le modèle progressiste dans ses tendances hygiéniste et moraliste, dont relèvent toutes les directives concernant l'abondance d'air et d'eau, la lumière, la climatisation, associés à l'ordre spatial, à la propreté et à la sécurité,

• le modèle progressiste dans sa tendance fonctionnaliste : il prône la séparation des circulations piétonne et automobile, la construction de rues-galeries fermées et protégées, insiste sur l'organisation en secteurs et sur la spécialisation des espaces (l'étage / le secteur des enfants, l'espace / le secteur de la gastronomie, l'espace / le secteur de la maison, etc.), vante la commodité de l'aménagement intérieur et de la concentration des fonctions en un même lieu, fait de l'espace un lieu qui favorise la communication,

• le modèle culturalistestes, aux limites circonscrites, les petites villes "à l'italienne", • le modèle futuriste de la "technopolis", à travers l'innovation urbaine, commerciale et

technologiquescaliers mécaniques, leurs ascenseurs panoramiques en cages de verre, etc. b) La représentation négative de la ville Lte tous les poncifs de la littérature uto

atise le désordre urbain, en s'appuyant sur un système de valeurs et de normes établies. Le désordre spatial se traduit dans les dysfonctionnements de la rue, dévorée par l'automobile et son monofonctionnalisme, dans le bruit, la pollution, la prolifération du petit commerce informel, élément de concurrence déloyal pour le commerce indépendant. Le désordre moral s'exprime à travers la délinquance, la montée de l'insécurité, la drogue, la prostitution... Désordre spatial, désordre moral, saleté, abandon des places et des jardins, embouteillages et incurie des fonctionnaires municipaux (Walter R. J., 1993 : 40) : ces diatribes sont récurrentes dans les représentations et dans les évocations nostalgiques de la ville, "grand village"7 grandi très vite, royaume des lupanars au début du siècle. L'hygiénisme et le fonctionnalisme sont l'une des constantes du discours et de la pratiques urbanistiques depuis la fin du XIXème siècle.

7 La "Gran Aldea" (le Grand Village) était l'une des représentations nostalgiques de la ville de Buenos Aires, soumise à d'intenses travaux de remodélation et en chantier permanent à partir de sa "capitalisation" en 1880. L'expression, créée par une fraction de l'oligarchie argentine, a été diffusée par l'historien Martínez Estrada.

319

ge amalgame de toutes ces critiques : Le discours de l'architecte J. C. López, omniprésent dans la presse et très prolifique8, est

un étran "la rue est devenue obsolète pour abriter ces fonctions

[circulation, promenade, chargement / déchargement,

tc.]. Aujourd'hui, c'est un espace conflictuele . Les

conflits liés à la circulation automobile ont beaucoup

augmenté (...). Il y a dans la rue de nombreux

obstacles, des tables, des chaises, des kiosques qui

encombrent le passage, des commerçants peu scrupuleux,

des propriétaires de stands de rue qui n'ont pas de

permis et vendent des contre-façons. Il y a aussi la

prostitution, la drague, la drogue. Aujourd'hui,

l'intersection des avenues Juramento et Cabildo est

devenue le croisement de la drogue" (Clarín, 21/02/93). La valorisation négative de la ville "réelle" que formule l'architecte J. C. Lóp

cite également dans le discours les gérants des shopping centerez,

impli s, repose sur l'assim fondée sur des normes fonctionnalistes et une critiq

é, omniprésente dans le discours journalistique, participe au sentiment croissant d'insécurité devant la violence urbaine médiatisée et à la construction des représ

ilation entre une critique rationnelle ue morale qui assimile les registres esthétique (le beau / le laid), éthique (le bien / le

mal), et fonctionnaliste (le bon fonctionnement et les dysfonctionnements), ces deux premiers ayant tendance à empiéter sur le dernier (le propre / le sale, le sûr / le dangereux, l'ordre / le désordre). Le discours objectif sur les shopping center, exposé ci-dessus, comme le discours corrélatif sur la ville, renvoient clairement à une idéologie de l'ordre, la ville étant associée à un imaginaire négatif.

Les shopping centers s'appuient en même temps sur une idéologie sécuritaire. La

rhétorique de la sécurit

entations sur le non-fonctionnalisme de la rue. Alors que la rue a pendant longtemps été un lieu de sociabilité et de socialisation (le restant encore dans certains quartiers), elle est de plus en plus associée à la violence et au danger que représente l'automobile. Les parents disent et répètent qu'ils ont peur de voir leurs enfants jouer dans la rue et qu'ils préfèrent les savoir au centre commercial. La part d'extrapolation des faits est évidemment importante, les degrés de violence à Buenos Aires étant loin d'atteindre ceux des grandes villes brésiliennes et

8 Ici, comme dans les extraits qui suivent, c'est nous qui avons souligné certains termes, afin de bien mettre en valeur le sens du discours.

320

des termes et des espaces, ordre / centre / rationnel / sécurité / public d'un côté, et désordre / périphérie / irrationnel / insécurité / privé, de l'autre, sont largem

même nord-américaines et la violence restant surtout un phénomène périurbain. Buenos Aires connaît les mêmes types d'évolution que les autres grandes villes. En Argentine, le passage de la dictature, caractérisée par un ordre social et politique fort, à la démocratie, a vraisemblablement aussi joué un rôle dans la production des représentations collectives sur l'insécurité urbaine. Dans le discours, l'ordre et la sécurité sont associés au shopping center, tandis que le désordre et l'insécurité sont les attributs de l'espace public (la rue, en particulier, dans les propos de J. C. López).

Le basculement des rapports entre le privé et le public et les modifications

d'associations symboliques entre

ent exploités par le discours dominant sur les shopping centers. Les manuels sur les centres commerciaux, kits de "concepts" et de conseils pratiques à destination des décideurs, comme les ouvrages de V. Gruen, faisaient apparaître les centres commerciaux comme la solution à la crise urbaine dans le cas spécifique des villes nord-américaines9. En Argentine aussi, la dévalorisation de l'espace public urbain, dans les représentations fait apparaître l'espace commercial comme une solution possible la crise urbaine. Les représentations négatives de la ville et de l'espace public sont accentuées par les alliances d'idées entre la modernité, la consommation de masse et le progrès, incarnés par le shopping center, par opposition à ce qui est rétrograde et désuet, c'est-à-dire la rue. La consommation de masse relève ainsi du processus de modernisation inéluctable de la société, dans une vision très libérale. Comme dans les utopies, le discours de l'architecte J. C. Lopez, en "disant le monde" (Achard P., 1993), prend des accents disciplinaires, ayant recours à des formules d'obligation indirecte qui ont pour effet de déprécier la réalité urbaine et d'imposer la modernisation (et la modernité) comme un processus nécessaire répondant aux besoins des usagers dans les sociétés contemporaines. La modernisation, manifestation d'une nécessaire mise en ordre, impose des normes d'action et une rationalité uniformes.

"Le shopping center est la réponse contemporaine aux

besoins de l'usager actuel (...). Les shopping centers

induisent une modernisation de la distribution et de la vie

urbaine contemporaine" (J. C. López, Clarín, 10/05/92).

9 Les ouvrages de Victor Gruen, Shopping towns USA (avec Larry Smith), 1960, et Le coeur de nos villes, 1964, ont servi de référence à de nombreux professionnels des centres commerciaux. Le premier, qui est avant tout un manuel mais aussi un ouvrage de vulgarisation, propose toute une analyse de la ville nord-américaine (déclin des centres-villes et expansion des banlieues). Le centre commercial périurbain, agora des temps modernes, constitue à la fois un centre commercial, un centre de vie sociale et un centre civique dans une banlieue amorphe. Le second est plus un ouvrage "à thèse" sur le thème du déclin et du renouveau des centres-villes nord-américains.

321

"C'est un essai de réponse urbaine, sociale, technologique

à la demande actuelle dans l'économie de marché et dans le

monde occidental. Le marché intérieur argentin, châtié et

rétréci par la politique de récession, d'inflation et de

prédominance des intérêts financiers sur les intérêts

productifs, bouge encore. Dès qu'aura disparu la vision à court

terme, stérilisante, apparaîtra le panorama qu'exige la

modernité, pas seulement dans les formes, mais aussi dans les

concepts commerciaux et urbains auxquels peuvent aspirer les

Argentins" (interview de J. C. López, Clarín, 13/05/88). "Ce préjugé [que le centre commercial a rompu l'équilibre traditionnel de la ville]

est rétrograde, contre celui qui gagne, contre le progrès" (J. C. Lopez, "Gente").

"Avancer dans l'incessante innovation commerciale, urbaine

et technologique. Ne pas avancer sur ce terrain, c'est

rétrocéder" (J. C. Lopez, interview dans Clarín).

tions collectives" (Beaud P., op. cit. : 236). Le phantasme d'une ville chaotique, amplifié par l'imagination, joue comme vecteur de la pro

Aussi le discours a-t-il une fonction tant politique qu'économique. "Le pouvoir

proprement politique qui s'exerce à travers tout système de communication repose sur l'imposition de catégories qui forment les représenta

duction des représentations collectives sur l'espace urbain et en contrepartie sur l'espace des shopping centers. Le repoussoir urbain, c'est la ville moderne, haussmannienne, construite "à l'européenne" entre 1880 et 1930, c'est la brillante métropole culturelle et la ville "intégrante", menacée par le spectre de la "latino-américanisation" et de la décadence. Le discours dominant des producteurs des shopping centers, tout comme le discours politique ou le discours des intellectuels (architectes, urbanistes, etc.), qui, pourtant, vise à dénoncer le retrait de l'État de la gestion de la ville, quand celui des promoteurs l'entérine, participent aux représentations dévalorisantes de l'espace urbain en érigeant la réalité en chaos. Ils ont pour objet d'accélérer le transfert des usages urbains et sociaux de la rue, de l'avenue, et des lieux publics "traditionnels" vers les shopping centers. Le discours publicitaire, cité ci-avant, a plusieurs fois recours aux expressions "lieux publics" et "espace public", induisant d'ailleurs une certaine confusion, voulue, entre les deux. La dévalorisation de la ville et de ses espaces "traditionnels" est contre-balancée par la revalorisation conjointe des shopping centers, lieux modernes et nouveaux, réceptacles potentiels des usages publics de la ville.

322

oderne, avec sa puissance d'intégration sociale, permet l'adhésion massive des classes moyennes aux normes de la dans le discours publicitaire comporte ainsi un autre objectif, celui de fonder la dimension mythique de la consommation. Or, u

e vision écologique et stratifiée de la ville qui justifie la ségrégation des fréquentations et l'inégale distribution spatiale des shopp

1.3.2. De l'utopie à la production du mythe consommatoire Nostalgie d'un ordre passé, idéal de vie et de ville futurs, l'utopie m

société de consommation. Le recours à la figure de l'utopie

n mythe ne fonctionne comme tel, que si la majorité y adhère. La publicité joue un rôle essentiel dans cette dynamique, chacun pouvant y lire ce qu'il est et ce qu'il désire (Baudrillard J., op. cit.). Dans les temps anciens, le mythe avait pour fonction de raconter une histoire imaginaire et exemplaire ayant trait au sacré et aux origines de l'homme, et d'éclairer ainsi le sens de la vie des groupes humains, exigeant l'assentiment de la communauté sous la forme de pratiques rituelles. Le mythe, "parole politisante puissante" (Guérin J. P., Gumuchian H., 1978 : 57), permet d'agir sur le réel. Liés aux signes de la consommation (l'Abondance), au tourisme (l'"or blanc", la cabane au Québec, les brunes vahinés des atolls polynésiens), au star-system hollywoodien (les mythes de Marilyn Monroe et de James Dean), les mythes profanes des sociétés post-industrielles ne possèdent pas la dimension transcendante de leurs prédécesseurs, mais ils fonctionnent de la même façon. Ils servent à susciter l'apparition de nouvelles pratiques sociales ritualisées, massives ou exclusives selon la clientèle visée et les objectifs des acteurs dominants (le ski, la visite au shopping). Le mythe contemporain, "discours cohérents dont l'objectivité recouvre une série de signes (sèmes) auxquels adhère une population donnée [(...) et qui] sont affectés de valeurs, et s'organisent en systèmes structurés, chaque système étant perçu comme une totalité" (Guérin J. P., Gumuchian H., op. cit. : 58), fonctionne comme un discours auto-référentiel, "utopie qui se réfléchit par anticipation" (Baudrillard J., op. cit. : 312). L'objectivité du discours sur les centres commerciaux recouvre plusieurs signes : l'architecture-décor (les palmiers, les ascenseurs panoramiques), le cocon utérin (l'opposition entre l'intérieur et l'extérieur, le merveilleux). Ces signes renvoient à des valeurs : l'argent, jamais mentionné directement mais toujours sous-jacent, l'abondance, l'ordre, l'hédonisme.

Mais, si le centre commercial s'adresse à tous les publics, conformément à la vision

utopique de la société de consommation de masse, le discours sur les shopping centers maintient les divisions du monde social et propose un

ing centers : il existe un type de centre commercial pour chaque public, la modernisation concernant tous les milieux sociaux.

323

mmercial a une technologie

contemporaine et offre des services pour que le client puisse

ache

l'usager actuel, indépendamment de son niveau de

vie. Chaque centre commercial a son public." ( J.C. Lopez interviewé dans C

cial ne fait que refléter cette segmentation (...). Le centre commercial est le lieu où l'on rencontre ceux

qui

n et de la stratification des pratiques et des consommations, renvoie au paradoxe du développement des shopping centers, traditionnellement associé dans les représ

touristique s'appuient en partie sur l'éloignement qui stimule l'imaginaire visuel mental, celui-ci transformant la réalité en rêve, la distan

"La consommation est une réalité qui touche toutes les

catégories sociales. Le centre co

ter mieux, de façon planifiée et en toute sécurité" (J. C. Lopez, Gente).

"Le centre commercial est la réponse contemporaine aux

besoins de

larín, 10/05/92). "La société est divisée en fait en strates sociales (...).

Le centre commer

appartiennent au même groupe social que soi (...). Il y a une auto-sélection. La ville a un zonage social" (J.C. Lopez, extrait de la revue Gente).

L'ambiguïté du discours, entre l'image stéréotypée et uniformisante, et l'affirmation de

la segmentatio

entations à la consommation de masse et à la classe moyenne, alors que le contexte social est plutôt marqué par une rétraction de la consommation. Le discours joue sur le décalage entre les deux. En effet, entre l'adhésion nécessaire à la "mise en mythe" et la distinction, caractéristique des shopping centers, la mythologie consommatoire, comme la mythologie touristique, développée par les groupes dominants servent à affirmer le statut de quelques-uns (Guérin J.P., Gumuchian H., op. cit. : 25).

De même, le facteur "distance géographique" est essentiel à la puissance de l'évocation.

Si les mécanismes de production de la mythologie

ce joue un rôle semblable dans la construction d'un imaginaire sur les shopping centers. Ce dernier donne plus de force aux symboles utilisés. En Argentine, cette distance prend une double dimension : pour les habitants des provinces de l'Intérieur, c'est la distance à la capitale, lieu référentiel de la modernité et de toutes les innovations dans le pays, qui joue comme facteur éveillant l'imaginaire ; à l'échelle nationale, c'est l'éloignement entre l'Argentine et le monde "développé" qui produit un fantasme de l'"ailleurs", de l'Europe et des États-Unis, et plus largement, du monde développé. La mythification de l'abondance, de la

324

peut-être des lieux profanes de la pratique sociale, mais le mythe leur confère une certaine dimension symbolique, dans une société où le sens t

es formes architecturales des shopping centers jouent également un rôle important da uveaux modèles sociaux et urbains. Le discours sur l'espace architectural est d'ailleurs postérieur à la produ

ord-américaine ou européenne (Krier, Rossi, Portman, Venturi, Jon Jerde, etc.), érigée en modèle par certains architectes. Ils s'insp

facilité de la vie, du bon fonctionnement en Europe et aux États-Unis, est alimenté par les récits de ceux qui ont eu la possibilité d'y voyager, quand le dollar, plata dulce, était bon marché. L'espace-rêve (le décor) et l'espace rêvé (l'Europe, et de plus en plus, les États-Unis) sont des dispositifs essentiels de la production des représentations et de l'imaginaire des shopping centers, et partant, de l'espace lui-même.

Enfin, le mythe permet de transférer la dimension symbolique qui fonde la centralité, du

centre vers la périphérie. Les shopping centers sont

raditionnel de la centralité, liée au sacré, est remis en question. "Le sacré pourrait, par exemple, être rejeté dans la périphérie et dans la secondarité et apparaître ainsi comme un élément de mise en question radicale d'un ordre qui place au centre les rationalités formelles du profane, diluant ainsi la signification mobilisatrice de la centralité" (Rémy J., Voyé L., 1981 : 91).

2. Sémiologie de l'espace architectural des shopping centers

L

ns l'élaboration des représentations, mais aussi dans la construction de no

ction de l'espace commercial. Il le commente, le critique ou bien le justifie. Les dispositifs spatiaux architecturaux sont des signes du mythe consommatoire. Comment l'architecture fonde-t-elle aussi la double dimension utopique et mythique des centres commerciaux, et comment s'établit le rapport entre le discours de l'espace architectural et celui sur les shopping centers ? On a vu comment fonctionnait le discours sur les shopping centers, voyons maintenant quelle en est l'intentionnalité. Le langage et le discours architecturaux, en tant que systèmes de communication, avec toutes les réserves mentionnées, peuvent être l'objet d'une lecture à plusieurs niveaux.

Luxueux, les shopping centers centraux multiplient les allusions et les emprunts aux

différents courants de l'architecture postmoderne n

irent fréquemment des centres commerciaux des années 70-80 construits dans les centres-villes nord-américains ou les imitent (Faneuil Hall à Boston, Horton Plaza de San Diego, l'Eaton Center de Toronto, etc.), d'autant plus que, comme on l'a vu, les promoteurs font fréquemment appel à des spécialistes du nord pour les avant-projets et les projets ou pour la programmation commerciale (the Jon Jerde Partnership de Los Angeles pour Paseo Alcorta, etc.). L'espace architectural des shopping centers situés dans la zone centrale de

325

'architecture postmoderne des centres commerciaux est populiste, et se démarque en cela d esse plus aux sens qu'à l'intellect et utilise des références facilement reconnaissables et compréhensibles par tous.

) Une architecture ludique

'est avant tout une architecture du spectacle et du divertissement. L'achat, mis en scène par la scénographie, est spectaculaire. Des perspectives sont dégagées, des points de vue ouverts, des espaces à double ou triple hauteur créés, les passerelles et les coursives, les ascen

Buenos Aires (les Galerías Pacífico, Alto Palermo, le Patio Bullrich, Paseo Alcorta, la Plaza et Spinetto) est particulièrement intéressant : ce sont eux, comme on l'a vu, qui contribuent à façonner l'image des shopping centers à travers la presse. Les trois premiers ont été réalisés par le principal architecte spécialisé, J. C. López, chantre de l'architecture postmoderne à Buenos Aires, auteur de la réhabilitation des Galeries Goum sur la Place Rouge à Moscou, tandis que les deux derniers sont respectivement l'œuvre de deux architectes réputés, R. Lier et S. Tonconogy, tenants d'une tendance plus moderniste, sobre et rationnelle, et d'A. E. Iglesias, qui était aussi en charge de la réfection du marché de l'Abasto jusqu'en 1990. Enfin, le cabinet responsable de la conception de la Plaza, del Valle, est l'auteur de l'aéroport d'Ezeiza. Il s'agit donc d'une partie du gotha de la profession en Argentine, représentant divers courants. Ces shopping centers sont aussi bien des bâtiments anciens à forte valeur architecturale, historique et symbolique (les Galerías Pacífico, le Patio Bullrich et Spinetto), que des constructions ex-nihilo (Alto Palermo, la Plaza et Paseo Alcorta). L'analyse de l'espace architectural postmoderne permet de décoder dans une perspective critique le sens du discours, ainsi que celui des rapports entre l'architecture postmoderne et la structure intérieure des bâtiments commerciaux, et enfin le rôle de celui-ci dans les stratégies des promoteurs. L'architecture a en effet été motrice dans l'émergence d'une pensée dite postmoderne (Claval P., 1992b : 3 ; Jamenson F., 1991) et dans la réflexion sur le sens du discours, sur les rapports entre le signifié et le signifiant, à la suite de R. Barthes ou de M. Foucault.

2.1. Les catégories utilisées par l'espace architectural postmoderne dans les shopping centers centraux

2.1.1. L'architecture intérieure : identité et espace Le l'architecture moderne, plus élitiste. Elle s'adr

a C

seurs panoramiques et les escaliers mécaniques multipliés. Le visiteur doit pouvoir saisir, en un coup d'œil, l'intégralité de l'organisation de l'édifice. L'espace intérieur du

326

té d'un monde merveilleux, où la frontière entre le vrai et le faux, entre le réel et l'imaginaire s'atténue (les vraies plantes et les faux oiseaux suspe

e formalisme de l'architecture postmoderne participe également de la ludicité de l'édifice, selon les préceptes de Venturi, fasciné par Las Vegas, et pour qui l'architecture est avant tout un jeu10 (Venturi R. et al., 1978). En réaction aux préceptes de l'architecture mode

shopping center se veut aussi fluide et communicationnel. Tous les endroits sont reliés entre eux. Rien n'échappe à la vitesse et au mouvement qui régissent la circulation, hormis les aires de repos que sont les food courts. L'éclairage, soigneusement étudié, les plantes vertes, les bancs, les fontaines, etc., sont les ingrédients classiques de la scénographie propre aux centres commerciaux. Le supermarché de Spinetto a des allures futuristes (photo n° 3). Dans Alto Palermo, le spectateur-acteur évolue d'un mini-jardin japonais à un décor hollywoodien, avec ses ascenseurs transparents, son toit en verre, ses palmiers couverts de guirlandes lumineuses (photo n° 4). Les couleurs chatoyantes et tape-à-l'œil d'Alto Palermo stimulent le regard, tandis qu'une musique de fond, presque inaudible, se répand dans cette atmosphère festive, où le plaisir est avant tout celui des sens.

La multiplication des gadgets, des trompe-l'œil, des miroirs qui donnent l'impression

d'agrandir l'espace, nourrissent l'irréali

ndus du Patio Bullrich, les palmiers reconstitués et les glycines en plastique d'Alto Palermo...). Les colonnes corinthiennes vertes en plastique de Alto Palermo imitent, avec leur chapiteau doré et diamanté, le style néo-classique. Dans le Patio Bullrich, seul un regard exercé et attentif peut arriver à discerner les éléments originaux néo-classiques de ceux qui ont été ajoutés (les moulures, les balustrades, les rampes d'escalier). Le décor est excessif, les signes se multiplient. D'un balcon qui surplombe le food-court des Galerías Pacífico, des spectateurs endimanchés, qui suivent une fanfare sous un ciel bleu piqué de nuages, semblent observer derrière une verrière les visiteurs attablés à l'intérieur, tandis que les passants, eux, pressent le pas dans la rue San Martin derrière une autre baie vitrée. Dans cette scène, le client joue à la fois le rôle de spectateur et d'objet du spectacle. Voir et se faire voir. Le shopping center tient de la mise en scène permanente dans une atmosphère volontairement festive.

b) Le formalisme de l'architecture L

rne, à l'adéquation entre la forme et la fonction, au géométrisme rationaliste de l'architecture moderne, les formes déliées de leurs fonctions et de leurs usages, et extraites de leur contexte, se déploient librement, avec peu de respect pour l'orthodoxie architecturale. Les

10 Les auteurs soutiennent que les formes architecturales n'ont pas nécessairement des impératifs fonctionnels, comme dans l'architecture moderne. L'architecture doit être ludique, éclectique, rococo, et elle peut s'amuser à marier avec humour styles et genres, dans une ambiance très hollywoodienne.

327

ricité

'architecture postmoderne digère non seulement tous les motifs décoratifs et styles antéri reprend aussi à son compte toutes les valeurs d'usage antérieures du bâtiment, suivant le courant revivaliste et néo-classique d'Aldo Rossi, pour leque

colonnes suspendues d'Alto Palermo sont surmontées de linteaux qui n'exercent aucune fonction portante dans l'économie générale de la construction (photo n° 5). Les formes et les styles, l'ancien et le moderne, se juxtaposent sans s'opposer, dans une "décrispation de l'opposition tradition-modernité" et avec une constante autodérision (Lipovetsky G., 1983 : 174-175), et se réconcilient dans un éclectisme et un syncrétisme caractéristiques de la tendance postmoderne, "où il ne s'agit plus de créer un nouveau style mais d'intégrer tous les styles y compris les plus modernes : on tourne la page, la tradition devient source vivante d'inspiration au même titre que le nouveau, l'art moderne tout entier apparaît lui-même comme une tradition parmi d'autres" (ibid., op. cit. : 174-175). Le recours au style kitsch, au rétro et au pastiche, comme genre humoristique, est une constante. La façade monumentale d'Alto Palermo sur l'avenue Coronel Diaz constitue un collage de motifs décoratifs, d'éléments architecturaux et de styles divers : des tronçons de colonnades évoquant le style néo-classique, des colonnes carrées en granit rouge plus dépouillées, une coupole en verre fumé enchâssée dans le corps du bâtiment (photos n° 6 et 7). La diversité des matériaux utilisés (le granit et le marbre rouges, le marbre noir, le béton, le verre) va aussi dans le sens d'une absence de synthèse.

c) Architecture et histo Leurs, mais elle assimile et

l le bâtiment est l'expression d'une mémoire collective. Il est constitué d'une série de références allusives à une histoire mythifiée, utilisée métaphoriquement pour restituer un passé sublimé et fantasmé. Entre autres, les noms des shopping centers reprennent les noms des lieux ou des personnages qui font référence, pour les Argentins, à l'histoire des lieux (la brasserie de Palermo, la ligne de chemin de fer al Pacífico, la famille Bullrich, David Spinetto). Chez certains architectes, l'espace architectural devient un simple collage de citations historiques. Les statues du Patio Bullrich, des têtes de chevaux et de vaches qui ponctuent le patio du bâtiment originel (photo n° 8), l'horloge monumentale au-dessus de l'entrée principale, ne jouent plus que le rôle de simples accessoires ornementaux qui renvoient à l'âge d'or de l'Argentine (1880-1930) et commémorent la richesse de l'ère agro-exportatrice, retrouvée dans l'abondance présente de la société de consommation. Le lourd portail en fer forgé travaillé, encadré de colonnes néo-classiques (photo n° 9), tout autant que les arcades en fer forgé de l'architecture victorienne du bâtiment de l'architecte anglais Waldorp (photo n° 10), ont été conservés sous la pression de la commission municipale de préservation des zones historiques, mais ils ont perdu leur usage et leur fonction symbolique

328

d'or du pays, facilitent l'identification et l'appropriation des lieux par les usagers, de la même façon que des éléments de l'é

originelle, celle de l'entrée monumentale. Les entrées au Patio Bullrich sont désormais latérales. L'histoire est exaltée, car l'âge d'or est aussi un paradis perdu. Dans un style qui affectionne le kitsch, la décoration de Spinetto comporte moûlt réverbères, cabines téléphoniques anglaises, tables de jardin de style britannique. Mais l'ancien marché de Spinetto n'a-t-il jamais d'anglais que son architecture victorienne (photos n° 11 et 12). Les photos au mur évoquent d'ailleurs le passé de ces lieux : construit par un Italien, David Spinetto à la fin du XIXème siècle, le marché était animé par des commerçants d'origine italienne et syrio-libanaise. Quant aux Galerías Pacífico (photo n° 13), véritable condensé de l'histoire argentine, cas paradigmatique avec sa succession de fracas et de succès qui va de l'échec de l'installation du Bon Marché en 1890, à l'installation du Musée des Beaux-Arts et des bureaux de la compagnie de chemin de fer Ferrocarril Buenos Aires al Pacífico passés plus tard à l'entreprise publique nationale Ferrocarriles Argentinos en 1940, devenues galerie marchande en 1947, puis finalement shopping center en 1989 après une période d'abandon, elles symbolisent elles aussi l'illusion d'une réconciliation de l'Argentine avec sa richesse passée et superposent les signes qui renvoient à différentes époques. À la façon de la Piazza Italia de Charles Moore à la Nouvelle-Orléans, qui accumule les accessoires et les éléments significatifs de l'identité italienne (les colonnades associant ordres dorique, ionique et corinthien, une fontaine en forme de botte italienne, etc.), "it conceives of history as a continuum of portable accessories, reflecting the way the Italians themselves have been transplanted to the New World" (Harvey D., 1989 : 93-94). L'image de l'Europe qui transparaît dans le passage de la Plaza, inséré dans un milieu urbain dense, mêle les signes de la culture européenne avec ses placettes à l'italienne, ses amphithéâtres à la grecque et ses maisonnettes à colombage, pastiche du style suisso-allemand qui se réfère à l'architecture du marché qui occupait jusqu'en 1980 cet emplacement (photo n° 14).

La récupération du patrimoine, la réutilisation hors contexte de formes et de valeurs

d'usage anciennes, se référant à l'histoire argentine et à l'âge

poque coloniale avaient été réutilisés par l'État à la fin du XIXème siècle, quand avait été constitué l'espace public de la nouvelle capitale. Elles donnent une couleur locale aux centres commerciaux argentins. Néanmoins, le terme de "recyclage" utilisé dans le langage architectural postmoderne, dans sa tendance "revivaliste" traduit aussi la dévalorisation permanente des formes et des usages, propre à la mode, et reflète une conception cyclique de l'histoire, où le passé et le présent s'assimilent dans un historicisme vide. Toute temporalité épaisse est annihilée. Le bâtiment est conçu comme un moment court d'une histoire, et il est aussi soumis aux critères du relativisme historique et de l'évolution rapide des goûts et des modes. Il est tourné vers l'immédiateté de l'acte consommatoire. Le centre commercial n'est lui-même qu'un moment éphémère d'une histoire :

329

plutôt des événements

emporels qui peuvent être absorbés par la société et

archit e et le vieillissement accéléré, notables dans Alto Palermo. Paradoxalement, son empreinte dans le paysage urbain est fo

a relation entre l'intérieur et l'extérieur du shopping center, entre celui-ci et son enviro du dialogue, relève aussi, dans le discours sur l'architecture, de la décrispation des oppositions caractéristique du mouvement postmoderne. Elle p

rbain, avec des murs aveugles. Le dialogue et l'intrication entre le centre commercial et l'environnement urbain

"Nous pensons que ce que nous faisons n'a pas une

vision éternelle, ce sont

t

qu'elle se charge de rendre obsolètes et

interchangeables" (interview de l'architecte J.C. López). Phénomène lui-même éphémère, le shopping center présente certaines qualités d'uneecture de l'éphémère, comme la mauvaise qualité constructiv

rte, et les investissements engagés pour sa construction sont élevés. 2.1.2. La ville et le shopping center Lnnement, marquée par le sceau

rend à la fois la forme d'un continuum spatial, dans un souci d'intégration, d'osmose, de continuité entre l'espace marchand et l'espace urbain, et celle d'une métonymie fonctionnelle et formelle, où le centre commercial apparaît comme un condensé de la ville.

Les shopping centers urbains n'ont pas la forme de leurs homologues nord-américains,

périphériques, bâtiments autistes, fermés, étrangers à leur environnement u

dense, entre l'intérieur et l'extérieur, se manifeste de plusieurs manières : par l'éclairage naturel et les dégagements visuels que prodiguent les verrières, les voûtes et les coupoles vitrées (photos n° 15, 16 et 17), par la création de continuités urbaines comme l'entrée directe du métro dans Alto Palermo, son passage au-dessus de la rue Arenales, etc. La Plaza constitue un véritable raccourci urbain à l'intérieur d'une manzana. L'utilisation du verre, comme élément de transparence, d'ouverture, maintient le dialogue avec l'extérieur. Le recyclage des édifices, qui s'affiche clairement dans l'un des courants architecturaux postmodernes, est aussi un moyen d'atténuer les ruptures urbaines. Suivant les préceptes du revivalisme nord-américain, mais de façon moins excessive11, les façades sont conservées et l'intérieur remodelé. Dans le cas des centres commerciaux construits ex-nihilo, cependant, l'insertion de ces éclats d'architecture postmoderne, et la différence entre l'échelle du bâtiment,

11 Cependant, malgré les dénis des architectes de Spinetto, des photos montrent que le cœur de l'édifice a été complètement vidé, et que tout l'intérieur a été reconstruit suivant un style imitant l'architecture intérieure et la décoration originelles.

330

lle-ci, tant d'un point de vue formel que fonctionnel. D'une part, ils concentrent une grande diversité de fonctions urbaines (négoce, loisir, culture, etc.). D'autre part,

oche de celle de la rue ; le passage couvert, passage-promenade, passage marchand du modèle parisien bourgeois de la fin du XIXème siècle (paseo) ; la place publiq

et aux édifices-rues. De multiples places, agoras, rythm nt le parcours. Le mobilier urbain (bancs, fontaines) et la décoration phyto-végétale rappe

plastiques, formelles, mais aussi fonctionnelles de l'espace public (photo n°18). Ces espaces, destinés à être des lieux de rencontre, de spectacle, proposent ainsi des nouveaux lieux de

monumentale, et celle de son environnement moderne ou colonial, provoquent des contrastes plus saisissants.

En même temps, morceaux de ville dans la ville, les shopping centers intègrent des

fragments de ce

leur architecture intérieure cherche à recréer les qualités de l'espace et des lieux publics de la ville moderne.

Elle a recours aux formes et à la terminologie de ceux-ci : le mall nord-américain qui

possède une forme pr

ue (plaza : La Plaza) ; le patio espagnol ou encore les galeries marchandes (galerías : les Galerías Pacífico, le Patio Bullrich). Le shopping center s'enracine cependant préférentiellement dans une tradition locale. En outre, les formes et les noms des shopping centers font plus référence à la place qu'à la rue, devenue trop monofonctionnelle, consacrée au passage plus qu'à la promenade. La place est l'espace de repos, le lieu de l'interaction sociale par excellence, elle insiste plus que la rue sur la fonction de rencontre, mais est aussi, dans l'imaginaire latino-américain, le lieu du pouvoir qui fonde la centralité (la plaza mayor). Quant au paseo, il était également pendant l'époque coloniale un lieu de rencontre galante qui s'est transféré, à la fin du XIXème siècle, avec la privatisation des mœurs, vers les seuils des maisons porteñas, les zaguanes12. Enfin, le patio est également un espace intermédiaire entre l'espace public de la rue, de la place, et plus tard, du parc, et l'espace intérieur privé de la maison, puisqu'il est le centre de la vie collective de celle-ci. Certains pays latino-américains nomment d'ailleurs les centres commerciaux plazas comerciales (au Mexique, par exemple). En Argentine, outre le terme anglo-saxon shopping center, c'est la locution paseo de compras (ou centro de compras) qui est utilisée.

Alto Palermo est une longue rue intérieure, de forme incurvée (photo n° 17). Le Patio

Bullrich fait référence aux passages ellent les parcs et les jardins publics (photos n° 18, 19 et 20). La Plaza, formée d'un

ensemble de placettes et d'amphithéâtres à ciel ouvert, fait le plus allusion aux qualités

12 Le zaguan est un espace semi-public, le seuil de la maison, où le jeune homme pouvait venir faire la cour à la jeune fille de la maison.

331

plus loin la photo n° 22). Ces m ltiples références, ainsi que la récupération des formes anciennes, établissent une filiati

d avec son environnement. Le recours aux formes urbaines de l'espace public est sous-tendu par une image nostalgique de la ville qui favorise l'appr

postmoderne des shopping centers a montré quelles sont les catégories utilisées par les architectes. Le populisme et la transparence qu'il affiche se prêtent à une lecture à un autre niveau. "L'effet graphique de la lisibilité dis H. Lefebvre à l'encontre des effets souvent trompeurs de lisibilité, d'intelligibilité et de visibilité dans l'espace (Lefebvre H., 19

analyses de M. Foucault sur les rapports entre espace, pouvoir et savoir, ainsi que les écrits

sociabilité, et la référence à l'agora, présente dans le discours de V. Gruen (op. cit.) rapproche les centres commerciaux du modèle politique, social et urbain grec.

Tout lieu "ouvert", quelquefois la simple intersection de deux couloirs, se voit ainsi

immédiatement affublé du nom de place. On peut même se demander si la fontaine placée à l'une des entrées d'Alto Palermo ne sert pas seulement à justifier l'appellation pour un espace si exigu, qu'il n'en a pas véritablement les qualités formelles (voir

uon entre les anciens lieux publics urbains et les nouveaux. "Dans les centres de

peuplement nouveaux, à défaut de pierres et d'emplacements authentiques, c'est l'appel aux mots arrachés de l'histoire : piazza, agora, le mot paraissant capable de produire du sens. C'est bien alors que le discours sur la ville prend le pas sur la ville elle-même" (Roncayolo M., 1990 : 173). En s'intégrant à la ville et en intègrant des éléments de la ville, rue, espaces verts, et autres lieux publics et semi-publics, en s'inscrivant dans la tradition urbaine, les shopping centers s'apprêtent à être la ville.

Les catégories utilisées par l'architecture et la scénographie postmoderne, le ludique, le

communicationnel, le spectaculaire sont les mêmes que celles auquel se réfère le discours publicitaire. L'ambiguïté de celui-ci y est aussi reflétée, notamment dans le rapport qu'entretient le complexe marchan

opriation des espaces marchands par les usagers.

2.2. Le pouvoir dans l'espace architectural postmoderne Une première lecture de l'espace architectural

simule des intentions et des actions stratégiques", avertissait

74 : 172). Le déchiffrement des signes architecturaux permet de déconstruire la logique intentionnelle de la production de l'espace marchand (celle des architectes et des maîtres d'ouvrage).

D'une part, à la suite de R. Barthes, la sémiologie a aidé à déchiffrer les formes spatiales

-architecture ou paysage- et d'éclairer les relations entre la forme et le sens. D'autre part, les

332

ension spatiale du pouvoir et ont dévoilé le rôle que jouent l'espace et les représentations spatiales dans les stratégies de contrôle social. La relecture des travaux d'H. Lefeb

l'entreprise de séduction. Qu'apporte alors l'architecture postm derne et quel est le sens des catégories utilisées ?

l

) Marchandisation de l'espace

'une part, la scénographie accentue la marchandisation de l'espace et de la culture, et crée une ambiance favorisant la dépense. Pour attirer, le shopping center doit être le plus amusant, le plus surprenant, etc. Le ludique, la théâtralité, l'esthétisme formel, tout autant que les ré érences culturelles et historiques, l'identité ou le local, sont des catégories qui, impli ait commercial. Espace, histoire et culture deviennent, au mê e titre que les marchandises qui sont exposées, des objets de consommation et sont soum

d'H. Lefebvre sur la production de l'espace, ont orienté une partie des études géographiques vers la dim

vre a orienté le courant postmoderne et marxiste de la géographie nord-américaine, représenté notamment D. Harvey et E. Soja (Claval, 1992b ; Dear M., 1994 ; Hamel P. et Poitras C., 1994 ; Soja E., 1989).

Le visiteur est à la fois spectateur et acteur passif dans ce monde où le metteur en scène,

le démiurge, n'est autre que l'architecte ou l'administration, où chaque détail du décor a été soigneusement étudié pour susciter des comportements. À la différence du supermarché qui est au départ strictement commercial et utilitaire, le shopping center se présente comme ludique, catégorie suprême de

o 2.2.1. Le pouvoir-séduction de l'espace architectura a D

fcitement, concourent toutes au fm

is aux critères mercantilistes de la rentabilité. Les valeurs d'usage et les valeurs symboliques, détournées, réutilisées, sont recouvertes par leur valeur d'échange. La restitution sélective des formes et la reconstitution du passé exaltent une identité imaginaire, mais c'est le fonctionnalisme du schéma commercial qui guide le choix des formes et des éléments ornementaux du Patio Bullrich et des Galerías Pacífico à conserver ou à détruire, et moins que le souci de restauration ou de réhabilitation. En effet, le formalisme architectural postmoderne n'empêche pas le bâtiment d'être fonctionnel. Des charpentes, des pilastres de la façade néo-classique des Galerías Pacífico ont donc disparu, des éléments-postiches ont été ajoutés, à l'insu de la commission nationale des monuments, lieux et musées historiques. Les fresques peintes en 1947 sur la coupole centrale par de grands noms de la peinture argentine et

333

des grands magasins, comme l'est aujourd'hui l'ascenseur panoramique des shopping centers. L'arch

tion, séduction, suggestion, laisser-faire) associant promoteurs et architectes établie par H. Gumuchian : "l'usager est (...) amené par in spatiaux" (1991 : 71). Ses pas sont imperceptiblement guidés par une série de stimulations visuelles, sensorielles. Les analyses de M. Augé sur les non-l

nt un instrument

restaurées en 1989, sont l'un des éléments attractifs des Galerías, elles redonnent à la ville et à sa population un bien commun de leur patrimoine, mais lui servent aussi de "locomotive".

Cependant, la mise en spectacle de l'achat n'est pas nouvelle. Tout en fonctionnalisant

les lieux d'achat, les grands magasins et les passages avaient déjà rendu l'acte plus ludique. Les nouvelles méthodes introduites par les grands magasins diffèrent peu de celles qui ont été reprises par les gérants des centres commerciaux : promotions, animations, visites guidées, cafés, divertissements et attractions en tous genres. L'ascenseur constituait le "clou"

itecture Art Nouveau des grands magasins parisiens (les Galeries Lafayette, le Printemps, le Bon Marché, la Samaritaine) mettaient déjà l'achat en scène et le magnifiaient, incitant les familles de la bourgeoisie au plaisir de l'achat.

b) Instrumentalisation de l'espace D'autre part, l'espace est instrumentalisé. L'organisation interne incite à des

comportements spatiaux. Le shopping center est un édifice régi par le principe de la séduction, selon la typologie des quatre stratégies (prescrip

citation à certains comportements

ieux s'avèrent encore une fois précieuses pour comprendre la logique marchande et spatiale de ces nouveaux lieux de consommation : "la médiation qui établit le lien des individus à leur entourage (...) passe par des mots, voire par des textes" (Augé M., 1992 : 119). Les totems, les panneaux indicateurs, les idéogrammes et les logos qui se répètent régissent en effet la circulation. Le projet de communication visuelle de Alto Palermo a été entièrement pensé dans cette optique. Il s'agit de régler la circulation intérieure par des stimuli visuels : les palmiers, les paquets-cadeaux, le sac vert avec son contenu, le sourire, sont des totems d'identification visuelle (dessins n° 2, 3, 4 et 5), et forment "une sorte de langage interne qui permette d'établir un cheminement perceptif

concrétisé par les formes, les superficies, et les concepts" (cabinet Shakespeare, chargé de la communication visuelle d'Alto Palermo).

Les centres commerciaux ne présentent pas les mêmes caractéristiques disciplinaires

que les bâtiments imaginés par les penseurs utopiques du XIXème siècle. La séduction fonctionne d'ailleurs comme principe actif des sociétés postmodernes (Baudrillard J., Lipovetsky G.) : à un pouvoir-domination s'est substitué un pouvoir-séduction, tapi derrière la multiplication des choix et des déterminations individuelles. L'espace devie

334

de pouvoir, il est lui-même pouvoir, mais toujours sur un mode ludique et humoristique qui masq

nt plus complexes que ceux de la "première génération", où, rappelons-le, l'objectif était de canaliser la circulation de la clientèle sur un mail c

ue les intentions véritables. L'objectif est de faire parcourir au visiteur le plus de linéaire commercial possible : l'espace est dominé par une logique circulatoire, et les bancs, pourtant caractéristiques des parcs et des jardins publics, sont le plus souvent en quantité limitée, sauf à la Plaza qui constitue une exception, et au Patio Bullrich, où le parcours est ponctué de bancs de type anglais. Si, dans le discours, il doit se prêter à une lecture facile et intuitive, paradoxalement, la disposition intérieure ménage constamment des surprises au visiteur pour mieux l'attirer et le retenir. Les formes strictement linéaires (patio, galerie) et géométriques sont brisées (plan n° 1) et sont compliquées par la multiplication des passages latéraux, des escaliers dérobés, des formes courbes qui invitent le visiteur à la découverte de nouveaux recoins cachés dans un espace aux caractéristiques parfois labyrinthiques. Comme le remarque J. Baudrillard, "le drugstore est plus spécifique de la consommation moderne que les grands magasins, où la centralisation quantitative des produits, impose un cheminement plus utilitaire" (Baudrillard, J., 1971 : 21.).

Mais de même que la séduction et le ludique étaient déjà des principes commerciaux

dominants dans les grands magasins, l'espace architectural des grands magasins était aussi plein de recoins et incitait à la déambulation (Péron R., op. cit.). Il est vrai que les centres commerciaux des années 80 amplifient encore cette logique. Leurs plans, surtout quand leur architecture est postmoderne, sont souve

ouvert bordé de locaux entre deux grandes surfaces, les locomotives, situées à chacune des extrêmités, selon une structure dite en fer-à-cheval. Les grands magasins et les passages avaient un schéma moins alambiqué. Par exemple, l'architecte J. C. López a choisi de compliquer la structure en croix originelle des Galerías Pacífico qui était d'une efficacité commerciale médiocre. Les Galerías combinent aujourd'hui un jeu savamment orchestré de symétries et de dissymétries, qui casse le géométrisme du bâtiment (plans n° 3 et 4). Le cœur de l'édifice sous la coupole centrale a été évidé pour éviter que les visiteurs ne fassent que le traverser, et les accès aux étages supérieurs multipliés grâce à l'installation d'escaliers mécaniques face aux portes d'entrée. La coupole qui supporte les fresques a été abaissée et le sous-sol ouvert à ce niveau. L'organisation des quatre ailes du bâtiment a elle aussi été bouleversée au nom des principes commerciaux : au premier étage par l'aménagement du Patio des Parfums et au rez-de-chaussée par l'ouverture du patio de restauration qui, de forme incurvée, dispose d'une plus grande hauteur de plafond, et dont le langage, résolument postmoderne et hollywoodien contraste avec le style néoclassique du reste de l'édifice (plan n°4). La création de rez-de-chaussée dédoublés à Alto Palermo et au Patio Bullrich (plan n°2),

335

atégories spatiaux, et dans le détournement des valeurs et des symboles architecturaux, utilisés à des fins marchandes. Dans le bâtiment, il y a une r

ercial. Les vues "panoramiques" des shopping centers n'en portent souvent que le nom : l'œil ne saisit jamais l'espace dans sa totalité, mais seulem

en partie pour des raisons techniques13, répond également aux concepts "circulatoires" de l'architecture commerciale. Comme le rappelle W. Benjamin en partant de la flânerie baudelairienne, "cette fantasmagorie [de la flânerie dans la foule] (...) semble avoir inspiré par la suite le décor des grands magasins, qui mettent ainsi la flânerie même au service de leur chiffre d'affaires" (Benjamin W., 1989 : 301).

L'espace architectural du shopping center doit donc réunir des qualités de lisibilité et

d'autres de complexité obéissant aux exigences commerciales. Ce mariage paradoxal se traduit dans la manipulation des codes et des c

éelle volonté de manipuler l'espace pour susciter certains comportements. En même temps, la spatialité postmoderne rompt totalement avec la spatialité moderne, fondée principalement sur les règles de la perspective et sur un géométrisme rationaliste et dépouillé. L'analyse du critique littéraire nord-américain F. Jamenson sur l'hôtel Bonaventure de l'architecte John Portman à Los Angeles s'avère être une référence devenue classique pour l'étude des mutations des catégories spatiales induites par le nouvel espace postmoderne14. F. Jamenson baptise "hyperespace" ce nouvel espace global (Jamenson F., op. cit. : 69). Sans que la disposition intérieure des shopping centers soit aussi forte que dans le cas de l'hôtel Bonaventure, qui constitue un cas paradigmatique de l'hyperespace postmoderne, la comparaison suggère certaines analogies qui permettent de décrypter le discours spatial et les apparences. Cependant, à la différence de l'hôtel Bonaventure où, selon E. Soja, il n'y a pas de "volonté de conspiration" de la part des architectes, la géométrie postmoderne des shopping centers est en grande partie intentionnelle.

L'espace est en permanence fragmenté et le dégagement de points de vue spectaculaires

de l'édifice est brouillé par ses qualités labyrinthiques qui ne répondent pas seulement aux exigences circulatoires du schéma comm

ent de larges pans. D'une part, la multiplication des niveaux et le dédoublement des rez-de-chaussée, d'autre part, la surcharge de la décoration, sont des obstacles à une

13 L'existence de dénivellations, liées pour Alto Palermo au passage du mail sous la rue Arenales et à la pente courant entre les deux entrées extrêmes du centre commercial, et pour Patio Bullrich à la barranca (rive morte du rio de la Plata, qui s'étend du parc Lezama dans le quartier de San Telmo au sud, à la commune de Tigre au nord) dont l'orientation est perpendiculaire au tracé du passage, a eu comme résolution technique la création de rez-de-chaussée dédoublés, qui augmente le linéaire à parcourir entre les deux bouts des galeries commerciales. Cette solution est d'ailleurs assez fréquente dans les centres commerciaux nord-américains. 14 F. Jamenson dans Postmodernism or the culture of late capitalism (1991), J. Baudrillard dans Amérique (1986), D. Harvey dans The condition of postmodernity (1986), et E. Soja dans Postmodern geographies (1989) mentionnent tous les quatre le cas de l'hôtel Bonaventure.

336

scendants, situés face aux entrées principales ou face à la coupole. Pour ajouter à la confusion, leur sens est en permanence inversé. Le shopp

ontrairement aux entrées monumentales et magnifiées des bâtiments de facture classique et néo-classique qui ne m

e autonome et

appréhension rapide de l'organisation de l'édifice. L'évidement des volumes pourrait donner une sensation d'amplitude. Mais l'espace n'est en réalité jamais vide. Pas plus qu'il n'est plein d'ailleurs. Il est seulement encombré d'une accumulation d'objets, de signes, de kiosques, de banderoles qui portent les couleurs et le logo du shopping center, d'oriflammes, qui, certes, sont des repères visuels et remplissent un espace monumental, mais qui provoquent aussi une dispersion du regard et empêchent finalement une lecture facile du plan. La multiplication des miroirs, en particulier sur les rampes des escaliers mécaniques, contribue également à un éclatement spatial (photo n° 21). Dans les Galerías Pacífico dont l'échelle est particulièrement monumentale, la coupole originelle couverte de fresques, a été abaissée et surmontée d'un caisson qui supprime toute perspective visuelle à partir des passerelles du premier étage, alors qu'on aurait pu avoir une vue panoramique.

Le sentiment de confusion que l'on peut ressentir dans les Galerías Pacífico provient

aussi du schéma circulatoire labyrinthique de l'étage supérieur : il n'y a qu'un seul escalier mécanique descendant pour deux escaliers a

ing center est un espace voué à la déambulation mais non à l'errance : on n'en cherche ni l'entrée ni la sortie. À la différence d'un labyrinthe classique, on se laisse guider par ses pas, par ses envies, et, à moins de connaître parfaitement bien les lieux, comme ces bandes d'adolescents qui le parcourent en tous sens, on perd le sens de l'orientation.

Enfin, comme le montre aussi Jamenson pour l'hôtel Bonaventure, où les entrées de

l'édifice sont latérales et indirectes, les accès à Alto Palermo, qui est l'exemple le plus achevé de l'architecture postmoderne chez J. C. López, ne s'autodésignent pas, c

anquent pas d'exemples à Buenos Aires. Leur forme est réduite à leur plus simple expression. Les entrées principales, à chaque extrêmité du mail sont plutôt discrètes, l'accès majeur étant en retrait par rapport à l'alignement des immeubles situés sur l'avenue Santa Fé, si bien qu'on ne le voit qu'une fois arrivé à la hauteur du shopping center (graphique n° 5 et photos n° 22 et 23). Au contraire, l'entrée située à mi-parcours du mall, en réalité secondaire, est mise en valeur par le monumentalisme de la façade qui donne sur l'avenue Coronel Diaz (graphique n° 5 et photo n° 24). La quatrième entrée, sous la rue Arenales, débouche même sur un demi-étage en impasse qui oblige le visiteur à remonter ou à redescendre par un simple escalier, le dissuadant d'emprunter cet accès (graphique n° 6 et photo n° 24).

De plus, comme l'hôtel Bonaventure, l'espace du shopping center a des prétentions

globalisantes qui donnent un autre sens à la relation entre l'intérieur et l'extérieur. Il se présente comme une totalité auto-suffisante, comme une entité urbain

337

englobante. Tout en ne l'affichant pas directement et en prétendant maintenir une forme de relatio

changement dans les rapports entre architecture et pouvoir.

luide et communicationnel, labyrinthique et totalisant, l'espace acentré du shopping center

et de communication qui s'articule autour la rue-galerie utilisée dans un contexte différent. "La rue-galerie implique la relation enfin accomplie, par le rapport à l'autre

n contextuelle avec la ville, il se substitue à elle. Il peut devenir une ville entière, la Ville, avec "son "environnement" (...) total, totalement climatisé, aménagé, culturalisé" (Baudrillard J., op. cit. : 21-23). Il prétend répondre à tous les besoins de consommation, à tous les besoins sociaux et culturels des individus, en un seul lieu.

Le postmodernisme démultiplie les possibilités de l'architecture commerciale. Le

pouvoir de séduction de l'espace, les nouvelles catégories spatiales qu'il induit incitent à la promenade et matérialisent le concept de l'achat-plaisir.

2.2.2. Les formes du contrôle spatial et social dans les shopping centers Le paradigme du pouvoir-séduction signifie un

F s'affiche comme un lieu de non-pouvoir. Il est à l'image du Phalanstère de Fourier,

autre espace de rapport

, par le rapport à la nature (...) La rue-galerie dans l'utopie phalanstérienne, est le centre de l'édifice, centre étant entendu au sens de point de convergence (...). Centre décentré, un centre sans centre, un espace linéaire de circulation (...). Lieu de non-pouvoir, où les pouvoirs multiples de chacun s'équilibrent, lieu fluide et de totale transparence" (Riboulet P., 1980 : 89-90). Dans les shopping centers, il n'y a pas de véritable centralité, pas de locomotives qui pourraient constituer des éléments de nodalité et d'attraction15, pas de lieux symboliques d'expression du pouvoir, seulement quelques places consacrées à la restauration. En réalité, ce n'est pas tant qu'ils soient des lieux de non-pouvoir. Le pouvoir est en effet immanent à tout processus relationnel, même s'il est apparemment absent (Raffestin C., 1980). La relation de pouvoir qui s'établit ici entre le capital financier et commercial (le promoteur commercial) et les consommateurs est indirecte et médiatisée par l'acte de consommation. Le pouvoir est dilué, opaque. Il est ubiquiste : à la fois partout, pouvoir-séduction dans la décoration et la disposition spatiale, dans les logos qui s'affichent sur tous les sacs, sur tous les murs, pouvoir symbolique de l'argent dans les innombrables marchandises qui s'étalent derrière les vitrines, il est aussi nulle part, ne s'autodésignant jamais, restant immatériel. La monumentalité est pourtant le signe de l'expression d'un pouvoir. Les promoteurs des shopping centers, comme

15 Dans les quatre centres commerciaux qui constituent nos cas d'étude, seul Paseo Alcorta possède un hypermarché, mais celui-ci occupe le rez-de-chaussée, et cette localisation ne lui permet pas de jouer le rôle d'aimant pour les trois étages supérieurs.

338

puissant groupe économique Pérez Companc, actionnaire de la moitié du capital de la société propriétaire et promotrice de celui-ci n'apparaît jamais et se dissimule derriè

quartier de Watts, entouré de barrières métalliques, organisé autour d'un poste de police central et surveillé en permanence par des caméras, selon un schéma panoptique (Davis M., 1

les constructeurs des grands magasins, récupèrent la fonction de la monumentalité de l'espace public. Ce n'est plus ici la grandeur de l'État-nation qui est magnifiée, mais plutôt l'abondance et la marchandise.

Dans les hypermarchés, Carrefour s'affiche bien comme groupe Carrefour. En revanche,

Paseo Alcorta n'affiche aucun nom de société (photo n° 25). Dans le shopping center Alto Palermo, le nom du

re des logos anonymes. On ne sait pas plus que c'est sa filiale, Banco Río, l'une des plus grandes banques argentines, qui a participé au financement de Paseo Alcorta et du Patio Bullrich. Et la structure du capital de la société anonyme, Alto Palermo Sociedad Anónima (APSA), formée pour la promotion et la construction des Galerías Pacífico est très mal connue. Ce sont pourtant eux qui agitent indirectement les fils de ces complexes. L'espace ne cherche pas à exalter un pouvoir qui se fait invisible, mais qui contrôle pourtant entièrement l'espace, jusque dans ses moindres détails : le contrôle est tout autant une maîtrise de l'espace, ordre, grâce au tenant mix et à une gestion rigoureuse (propreté, éclairage, décoration, etc.) qu'un contrôle social qui vise à éviter tout débordement non souhaité et à favoriser un sentiment de sécurité chez la clientèle. C'est parce que la location des modules commerciaux, en dehors du cas éventuel de la "locomotive" permet une meilleure maîtrise de l'espace, à travers le tenant mix, et la sauvegarde d'un certain label de qualité, que l'adhésion à l'Association Argentine des Shopping Centers est d'ailleurs soumise à cette condition. On a vu que le lobby des promoteurs commerciaux avait suggéré cette définition à la municipalité de Buenos Aires qui l'a inscrite telle quelle dans la liste des usages urbains du code de l'urbanisme. L'espace contrôlé et ordonné du shopping center s'oppose ainsi au désordre de la ville et de l'espace public. L'aménagement et la décoration des locaux commerciaux sont soumis à de multiples réglementations internes et privatives, qui visent à forger une certaine unité et une homogénéité visuelle, et ont recours aux mêmes arguments que le code de l'urbanisme qui imposait, à travers des règles, des restrictions à la propriété privée. À la différence des pouvoirs publics, les promoteurs des shopping centers ont les moyens de faire respecter la réglementation et mettent des amendes aux commerçants qui ne respectent pas la règle.

L'architecture n'est sans doute pas aussi militarisée que celle que décrit M. Davis à Los

Angeles, notamment à travers le centre commercial panoptique du promoteur A. Haagen, au sud du

990 : 242-243). Mais, avec une technologie plus simple, le centre commercial est surveillé par des vigiles privés, placés aux entrées et à l'intérieur, et reliés entre eux par des

339

.2.3. L'espace architectural postmoderne, reflet des mutations sociales à l'ère post-

a problématique du pouvoir n'est donc pas absente de l'espace postmoderne des shopple lie d'un pouvoir immatériel et symbolique que l'espace n'exalte pas. H. Lefebvre, en précurseur de la pensée postmoderne, avait expliqué la signification sociale et politi

nt et qui le désoriente. L'hyperespace traduirait "l'impossibilité de tracer la carte du grand réseau global multinational et des communications décentralisées dans

talkies-walkies, tandis que les écrans video du système de télésurveillance permettent de localiser tout incident et d'intervenir rapidement. Beaucoup de magasins sont aussi dotés de systèmes anti-vol. De même, l'espace du shopping center n'a pas une organisation panoptique aussi claire que le bâtiment imaginé par Bentham. Mais l'entrée de l'administration est toujours discrète, alors que des bureaux surélevés, on domine l'ensemble. Sans avoir les caractéristiques disciplinaires des institutions de surveillance décrites par M. Foucault ou de certains modèles architecturaux utopiques qui faisaient preuve d'une surspatialisation se traduisant par un luxe de détails étouffant, la Plaza est construit selon un modèle semblable, autour d'une sorte de tour de l'ordre où se trouvent la direction de l'administration et le centre des vigiles. Elle surplombe l'ensemble du passage, sans que ceux qui sont à l'intérieur puissent être vus.

Mais en général, dans les shopping centers, les formes du contrôle spatial et social sont

plus subreptices. 2industrielle ? Ling centers. Au contraire. À la fois acentré et fragmenté, globalisant et fragmenté, il est u d'affirmation

que de l'apparition de la perspective durant la Renaissance italienne comme représentation collective de l'espace, comme reflet des changements du paysage socio-économique et comme produit de l'évolution de rapports sociaux, marqués entre autres par l'enrichissement d'une bourgeoisie financière et marchande. Selon lui, la construction des palais de cette bourgeoisie urbaine, rejoignant par des allées rectilignes bordées de cyprès les habitations des métayers, mettait l'espace en perspective, avec ses lignes d'horizon et ses lignes de fuite, et produisait de nouvelles représentations de l'espace, exprimées dans les tableaux des peintres soutenus par cette même bourgeoisie mécène. Les analyses de F. Jamenson, de D. Harvey et de E. Soja lui rendent hommage (Jamenson F., op. cit., Harvey D., op. cit., Soja E., 1989).

D'une part, dans l'hyperespace postmoderne, l'individu perd ses repères sensoriels

spatiaux habituels. Il est saisi dans un espace global, reflet de l'espace mondial, qu'il ne peut jamais saisir entièreme

340

leque

e financier, marchand et immobilier produit de nouvelles représentations de l'espace, impose de nouvelles formes de socialisation et propose de nouvelles catégories du social ciliation des opposés et de communicabilité, espace synthétique et syncrétique, fluide, le shopping center s'affiche aussi comme non-confli

l nous nous trouvons attrappés comme sujets individuels16" (Jamenson F., op. cit. : 71). Espace financier immatériel tissé par les firmes transnationales, dominé et contrôlé grâce à un réseau technologique et informationnel, l'espace global reste plus un concept abstrait, même si, à travers les stratégies de globalisation, transparaît bien une intention de contrôle ne serait-ce qu'économique. En outre, la fragmentation et l'éclatement spatiaux, le déconstructionnisme architectural, les qualités labyrinthiques, mais aussi l'échelle monumentale du bâtiment, particulièrement sensibles dans l'architecture des shopping centers, traduisent la fragmentation qui caractérise la condition postmoderne, ainsi que la difficulté que nous avons à comprendre et à connaître un monde de plus en plus complexe, dans lequel l'économique et le rationalisme techniciste dominent de plus en plus le social. D'autre part, à travers la consommation de masse, la culture et les loisirs, devenus objets de consommation et instruments de contrôle social, sont les nouvelles sphères d'expansion du "capitalisme tardif" (Jamenson F., Bell D.). Le sens véritable de l'espace, devenu valeur d'échange et marchandise, disparaît alors. "Il y a des espaces sur-signifiants qui brouillent les pistes, le décodage, les messages impliqués; les espaces produits par les promoteurs multiplient les signes (du bien-être, du bonheur, du style, de l'art, de la richesse, de la prospérité), jusqu'à effacer la signification, celle de la rentabilité, jusqu'à supprimer tout sens" (Lefebvre H., op. cit. : 186-187).

2.2.4. Une relation ambiguë avec la ville Le capitalism

dont l'espace est le reflet. Lieu de récon

ctuel, dénué de conflits sociaux, de contradictions. Les relations de pouvoir ne semblent pas y avoir droit de cité. Ce caractère se traduit de trois manières dans l'espace : dans la communicabilité de l'espace intérieur qui est autant instrument de communication sociale, dans l'abolition des contradictions entre l'ancien et le moderne, entre l'intérieur et l'extérieur, entre la culture d'élite et la culture populaire, etc., dans l'éclectisme stylistique, et enfin dans un certain populisme de l'architecture, du moins dans le langage. Comme on l'a vu, le centre commercial symbolise en principe l'accession d'une classe moyenne universalisée et désincarnée aux biens de consommation courante, et propose un modèle de ville caractérisé par une forte homogénéité sociale.

16 Traduction personnelle.

341

l'on propose une nouvelle lecture de la relation entre l'intérieur et l'extérieur de l'édifice et de son environnement. Elle éclaire la signification de la ruptu

ous n'avons jusqu'ici parlé que de l'espace architectural postmoderne des shopping cen s maintenant aussi élargir l'analyse aux autres shopping centers : ceux qui sont localisés hors de la zone centrale, et ceux dont

.3.1. L'espace architectural comme signe

. Augé qualifie de "non-lieux" les galeries marchandes et les centres commerciaux. Le non-lieu est "un espace qui ne peut pas se définir comme identitaire, ni comme relationnel, ni comm historique" (Augé M., 1992 : 100). Pourtant les shopping centers sont loin d'être des lieux

L'ambivalence du discours architectural et la conception sociale et politique sous-jacente apparaissent clairement si

re / continuité architecturale entre ces deux espaces. Le shopping center semble être tourné vers l'extérieur. Il maintient formellement et fonctionnellement l'illusion d'un dialogue avec la ville. Mais en même temps, c'est dans son holisme excluant qu'apparaît le sens du shopping center. Le verre crée pardoxalement une impression d'isolement, alors que l'effet recherché était de rompre la coupure entre l'intérieur et l'extérieur. Dans son analyse de l'histoire des rapports entre l'espace privé et l'espace public, entre l'intérieur et l'extérieur, R. Sennett, en évoquant l'architecture de verre des passages marchands du XIXème siècle et l'œuvre de Mies van der Rohe, "père de la solitude visuelle", s'interroge sur l'ambivalence paradoxale de l'architecture de verre, et il conclut que "ce curieux pouvoir d'isolement que recèle l'architecture visuellement ouverte et libre, explique en partie comment l'environnement construit se trouve finalement en contradiction avec la vie sociale de la ville" (Sennett R., 1990 : 140).

2.3. Élargissement de l'analyse aux autres shopping centers

N

ters du centre-ville ou des quartiers péricentraux. Nous allon

l'architecture se rattache plus à la tendance moderne. Le sens de l'espace commercial s'éclaire alors et confirme ce que le discours sur les shopping centers faisait pressentir : ils ont une fonction séparative, à la fois fonctionnelle et sociale, très affirmée.

2 M

esans identité et sans histoire, comme on l'a vu. Au contraire, la réutilisation de bâtiments

centenaires, promus "lieux de mémoire", leur permet de se forger une identité qui les démarque de leurs concurrents.

342

riginale. Les usagers doivent pouvoir s'identifier au style du shopping et s'approprier l'espace. L'espace architectural, comme d'ailleurs le discours sur l'espa

ition, élégance et finesse. Les couleurs sont de bon ton, (bordeaux, vert anglais et or), la musique classique ou jazz est discrète et s'adresse à un public de mélomanes averti

les événements du shopping center, sur la mode et les produits, publiée au départ par l'administration, insistait sur l'excellence, tout en visant un public

(J. L. Villaveirán, président de Alto Palermo SA, Face to face, nov. 1990) dans toute son hétérogénéité. Son style, iconoclaste et kitsch, vise un public

Chaque shopping center, à travers son service de marketing, quand il existe, cible son public et construit une image o

ce commercial, a une fonction de médiation dans les processus d'identification et dans la fidélisation de la clientèle. Le décor, constitué d'une série de signes, ainsi que l'utilisation des valeurs d'usage à des fins marchandes permettent aussi de créer un sentiment d'appartenance aux lieux. L'aménagement des lieux renforce la logique socio-spatiale de la différenciation et de la stratification.

Le Patio Bullrich table sur une logique de la distinction et de l'exclusivité. Il n'est que

bon goût, luxe, trad

s. C'est un majordome en livrée qui vous ouvre la porte. Le public, très ciblé a, selon la gérante, française et volontairement élitiste, "une propension naturelle à la beauté et à l'esthétique" (Somos, 10/09/90). Il doit pouvoir s'identifier à ces lieux porteurs d'une partie de l'histoire de l'oligarchie argentine et de valeurs d'usage centenaires allant de la vente de chevaux pur sang à la vente aux enchères d'objets artistiques ("le meilleur de la Buenos Aires d'hier", dit la publicité en jouant finement sur les mots17). Le discours de la gérante, comme l'aménagement intérieur et la décoration, exaltent ces valeurs : le savoir-vivre, la délicatesse, les bonnes manières, le bon goût, propres à des pratiques effectivement distinctives.

Paseo Alcorta, à ses débuts, avait aussi opté pour cette logique de la distinction. La

revue à caractère promotionnel sur

un peu différent de celui du Patio Bullrich : les gens du show-business, la jet set, et le monde des affaires et de la politique.

Alto Palermo a au contraire une politique commerciale plus ouverte orientée vers "la

classe moyenne historique"

varié. Comme le souligne J. Baudrillard (1971 : 166), le kitsch a une fonction sociale d'accession des masses à la culture des objets et à la consommation.

17 Le slogan joue sur l'origine étymologique du lieu, sur la ressemblance morphologique entre les mots "Aires" (airs) et "ayer" (hier) et sur l'origine lexicale commune des mots "mejor" (le meilleur) et "buenos" (bon).

343

ns qualités" des shopping centers qui s'adressent à des ménages moins aisés joue aussi sur la fonction d'identification. Le sh

'espace architectural résolument plus moderne et plus sobre de Paseo Alcorta (photos n° 25 s commerciaux postm dernes. Peut-être l'architecture et la scénographie intérieures postmodernes sont-elles plus e

Plus proche des non-lieux de M. Augé qui évoque plus les supermarchés et les zones marchandes périphériques que les centres commerciaux, l'espace "sa

opping Sur, en particulier, occupe un haut lieu de l'histoire ouvrière et syndicale argentine. Il est en effet associé dans l'imaginaire national aux plus grandes heures du syndicalisme car c'est dans ces usines frigorifiques (de Swift) que s'est déroulée l'une des plus grandes grèves de l'histoire argentine en 1940. Les lieux chargés d'histoire deviennent des attractions au même titres que les jeux du parc de loisirs pour enfants qui constituent la spécialité de Sur. Leur valeur historique a une signification forte pour certains, pour les ouvriers et les catégories sociales plus modestes, pour les habitants d'Avellaneda. De même, Spinetto, où ont été conservés des éléments de l'architecture de l'ancien marché, et où des photos des marchands de quatre saisons sont accrochées au mur, rappelle toute l'histoire du quartier populaire de Balvanera. Mais en dehors de Sur et de Spinetto, rares sont ceux qui font référence aux usages précédents du lieu (anciens cinémas de banlieue, voire anciens marchés comme à Liniers, où le bâtiment a été entièrement remodelé).

2.3.2. Le shopping center comme miroir de la réalité urbaine extérieure L et 26) fonctionne selon les mêmes principes que de celui des centreofficaces. Elles recréent un monde utérin merveilleux, encore plus coupé de la réalité

urbaine et de la quotidienneté : le bruit, la saleté, le désordre, la pauvreté et la violence urbaines, mais aussi les soucis des uns et des autres, etc. Néanmoins, la logique est la même. La ville "réelle" peut être un spectacle pour les visiteurs (photo n°27), mais la réalité urbaine extérieure est gommée, effacée, "pasteurisée" et "distillée". "Tout ce qui présente une connotation d'infériorité, de difformité, de passivité, d'agressivité, doit disparaître au profit d'un langage diaphane, neutre et objectif", (Lipovetsky G., op. cit. : 33), et rien ne doit venir troubler notre visiteur-consommateur. Le shopping center agit comme un miroir déformant et comme un filtre de la réalité. La relation de Paseo Alcorta à son environnement urbain est particulièrement significative et beaucoup plus subtile, beaucoup plus perverse aussi, qu'un simple rejet de la réalité urbaine extérieure, comme c'est le cas caricatural de certains centres commerciaux brésiliens périphériques installés au cœur d'océans de bidonvilles. La vue que l'on a de Paseo Alcorta, de nuit, en prenant la ligne de chemin de fer Mitre qui longe le fleuve de la Plata, est saisissante : tous feux dehors, le bâtiment apparaît comme un navire amarré à un port, élément presque féérique parachuté dans un contexte auquel il semble étranger. En même temps, il n'ignore pas la ville : très lumineux, ouvert, il offre une vue splendide dégagée vers le fleuve, de ses terrasses situées sur la face nord. Pourtant, de larges baies vitrées qui

344

a différenciation ne s'établit pas tant entre architecture moderne et postmoderne, mais entre des quartiers riches et des quartiers plus pauvres (le plus souvent des outlet mall factories). Les shopping centers centra

ouvraient vers le sud, montraient jusqu'en 1993, un spectacle d'une étonnante hétérogénéité, uniquement visible de l'intérieur : quelques barraques, installées illégalement sur un terrain vacant, coincées entre la voie de chemin de fer et des terrains de tennis, jouxtaient des villas d'un luxe ostentatoire, avec piscine, tennis et antenne parabolique (photos n° 28 et 29). Symbole de la latino-américanisation de la ville dans les années 80 et du creusement des contrastes urbains, ce spectacle, révélateur de la relation entre l'espace architectural du shopping center et son environnement, a été supprimé. La vue a été bouchée par l'administration du centre commercial. De même, les derniers magasins des marchands de saison, reliques des usages précédents de Spinetto, forment un tableau étonnamment contrasté avec la façade recyclée de l'ancien marché (photos n° 30 et 31). La coupure entre la réalité urbaine, et le véritable monde intérieur du shopping center est donc plus symbolique que fonctionnelle ou formelle. Ce dernier a des effets déréalisants, et son caractère irréel participe de l'illusionisme ambiant. La lecture de l'espace intérieur du shopping center et de l'architecture postmoderne ne suffit donc pas à éclairer entièrement le sens de l'édifice : celle du paysage et de la relation entre l'intérieur et l'extérieur explicite totalement sa logique sociale et spatiale. S'il y a abolition des contradictions sociales, c'est seulement par la négation de la réalité, de la quotidienneté, malgré le maintien apparent d'un dialogue avec la ville. Le shopping center, lieu de pouvoir du capitalisme financier et marchand, propose subrepticement des catégories, une vision et des divisions du monde social qui cherchent à influencer les représentations et les pratiques des usagers.

2.3.3. L'univers pauvre des shopping centers périphériques Lshopping centers urbains et périurbains, shopping centers

ux sont d'une plus grande richesse décorative et architecturale, ne serait-ce que parce que beaucoup d'entre eux réutilisent des symboles, les valeurs d'usage et les valeurs historiques de bâtiments anciens appartenant au patrimoine historique de la ville (en dehors de quelques cas comme celui de Sur). La logique des shopping centers périphériques est souvent plus "brute" : plus autistes, ils entretiennent moins de relation avec leur environnement proche, comme dans le cas d'Unicenter qui s'est installé dans les locaux d'une ancienne imprimerie, et leur tournent parfois ouvertement le dos, comme pour Soleil situé en lisière d'une vaste zone de lotissements très populaires (photos n° 32, 33 et 34). Les noms, créés de toutes pièces, Unicenter, Soleil, Shopping Sur, n'évoquent en général rien, si ce n'est, le cas échéant, la commune où ils ont été bâtis (Lomas Mall, Moreno ou Morón Shopping Centers). On a vu cependant qu'il fallait nuancer l'opposition centre / périphérie par une opposition entre quartiers riches et quartiers pauvres qui caractérise la structure socio-spatiale

345

iphérie. La force du discours, sa dimension utopique qui fonde l'adhésion au mythe, s'étendent, par contagion, aux shopping centers périurbains et / ou périphériques, pourtant moins

s'identifier au lieu. L'espace architectural sert de vecteur dans les processus d'identification et d'appropriation du lieu. L'architecture postmoderne, en réutilisant des v

dans une atmosphère ludique et festive. Les shopping centers ne sont pas de simples centres d'achat monofonctionnels, ils offrent une plus grand

currence une machine à créer du

de l'agglomération de Buenos Aires. Des galeries marchandes, situées dans des quartiers aisés de la banlieue, en centre-ville ou non, ont une architecture beaucoup plus soignée, bien qu'elle n'ait pas la même signification symbolique que celle de certains shopping centers centraux (photo n° 35). Leur environnement peut être assez populaire, jouant sur la même opposition entre l'intérieur et l'extérieur que les shopping centers centraux (photos n° 36 et 37). En périphérie, l'insistance sur la mise en scène de la marchandise est moins grande, le côté merveilleux des shopping centers du centre s'est évaporé, et le cheminement est plus utilitaire (photos n° 38, 39 et 40). Le pouvoir de séduction est inférieur, mais subsiste à un moindre coût.

Le discours sur les shopping centers ne met en scène que ceux du centre, et non ceux de

la pér

fascinants, plus dépouillés. Les représentations des shopping centers participent à la production de l'espace.

Les anciens symboles, vidés de leur sens, ne sont plus que des signes qui permettent à

un type de clientèle de

aleurs usages anciennes (historiques, symboliques), supports de la mémoire collective, fonde aussi la centralité des shopping centers, permettant leur appropriation par les usagers. Ainsi leur centralité n'est-elle pas purement fonctionnelle, elle réutilise aussi des éléments symboliques qui accélèrent le transfert d'usages. Ceux-ci ne se réfèrent pas, comme à la fin du XIXème siècle à une identité collective, mais à des statuts sociaux, imposant des normes sociales fondées sur le pouvoir de l'argent.

Le discours dominant propose donc des usages (promenade / achat), tandis que l'espace

architectural incite à des comportements

e variété d'usages et de fonctions. Le pouvoir de fascination de l'espace et des marchandises est à la mesure du pouvoir de l'architecte, mais aussi de la puissance économique du promoteur. Le caractère postmoderne de l'architecture renforce le ravissement créé par l'espace commercial. La séduction se love dans le concept commercial de l'achat-plaisir. La problématique du pouvoir-domination et du contrôle social s'efface au profit de celle du pouvoir-séduction, propre aux sociétés marchandes.

D'autre part, le discours de l'espace insiste sur le caractère irréel des shopping centers,

que crée le décor. L'espace est un dispositif scénique, en l'oc

346

rêve. En l'occurrence, le discours publicitaire entérine ainsi une rupture avec la ville extéri

ui donne naissance aux mythes, aux représentations symboliques ou fantastiques. Ces dernières émanent de la société. Il permet seulement, et c'est déjà beaucoup, de les

eure, en stigmatisant l'espace urbain, en présentant le shopping center comme un modèle urbain et en proposant une représentation négative de la ville. À l'ordre et la sécurité proposés par les promoteurs des shopping centers, s'oppose le désordre, l'insécurité et la saleté de l'espace public. Les valeurs qui sous-tendaient auparavant l'aménagement de l'espace public par l'État, le fonctionnalisme, l'hygiénisme, l'esthétisme, sont récupérés par les promoteurs commerciaux. Le discours des promoteurs sur les centres commerciaux participe à la production d'images dévalorisantes de la ville, redoublant l'impact du discours public sur l'inefficacité de l'État.

De l'espace en représentation aux représentations de l'espace, il n'y a qu'un pas. Mais

"ce n'est pas l'espace q

concrétiser, de leur conférer substanciation et inscription topologique" (Di Méo G., 1991 : 166). L'espace architectural commercial matérialise en effet les signes et les valeurs (l'Abondance, le Bonheur, le Beau, etc.) dont le discours dominant sur les shopping centers, qui s'érige en mythe, est constitué. On y retrouve les mêmes catégories : l'agréable, le communicationnel, l'agréable, le fonctionnel, etc. Le discours sur l'espace vise à faire connaître les shopping centers mais aussi à conforter les perceptions que les individus peuvent avoir de l'espace. L'espace architectural et le discours sur les shopping centers s'élaborent ainsi en système. Dans le modèle de ville idéale qu'est le shopping center, les lieux publics, comme la centralité, se fondent sur des valeurs marchandes. "Les urbanistes ont inventé la centralité commerciale", disait H. Lefebvre (Lefebvre H., 1974).

347

Chapitre 2 : clientèles et stratégies socio-spatiales Pratiques et représentations ne sont pas dissociables, et c'est sur la classe moyenne que

le système produit par les shopping centers a le plus d'impact. C'est pour cette raison que nous avons consacré un si long chapitre à la crise sociale argentine, et plus particulièrement à la façon dont elle est ressentie par la classe moyenne. Aux États-Unis, les quartiers de Watts à Los Angeles et de South Bronx à New York, anciens quartiers de classe moyenne, incarnent les conséquences de l'émergence d'économies postindustrielles et de la désindustrialisation des villes.

L'Argentine se distingue, au sein du groupe des pays d'Amérique latine, par le niveau

élevé de ses indicateurs sociaux et économiques, et par la part importante de sa classe moyenne, consolidée dans la première moitié du XXème siècle. On a vu que le mythe de la société de consommation était étroitement lié à l'homogénéisation de la société dans les pays développés, et que les centres commerciaux apparaissaient comme des lieux de consommation symboliques de la classe moyenne. Les répercussions locales de la crise économique structurelle du modèle fordiste et la crise sociale qui en est la résultante, ont largement remis en question les processus d'ascension sociale qui caractérisaient la société argentine depuis près d'un siècle, et le climat dans lequel apparaissent les shopping centers est assez morose. Les shopping centers sont plutôt associés, comme on l'a vu, à la concentration de la consommation. Leur succès, en période de crise, a un aspect paradoxal.

La crise économique n'est certainement pas la raison de l'émergence du phénomène. En

France, elle a trop souvent servi de bouc-émissaire dans la dénonciation des formes de l'évolution de l'appareil commercial, de l'apparition d'espaces marchands périphériques à l'architecture très pauvre. Les centres commerciaux se sont en effet multipliés tandis que la crise économique était déjà entamée. Sans doute y a-t-il toujours un décalage entre l'adaptation des conduites d'achat à la crise et les premières manifestations de celles-ci, le crédit à la consommation ayant joué le rôle de retardateur. Mais en imputant le développement des magasins d'usine et des hangars périphériques, on occulte ainsi le rôle des logiques marchandes et la dissociation historique entre une filière populaire de la consommation (les magasins populaires, les coopératives) et une filière bourgeoise (les grands magasins, les centres commerciaux), ainsi que la complexité des rapports des groupes sociaux aux marchandises, le brouillage des codes sociaux dans les sociétés de consommation de masse (Péron R., 1993).

Les mutations commerciales ne sont pas aussi avancées en Argentine qu'en France. La

recomposition de la classe moyenne argentine sous l'impact de la crise, est pourtant un

348

élément déterminant pour comprendre le succès des shopping centers en Argentine, les formes d'appropriation de l'espace par les usagers, ainsi que le sens des pratiques urbaines et commerciales dans ce pays. La crise, en remettant en cause des positions sociales qui semblaient assises, a un impact sur les représentations de la classe moyenne, sur son identité, sur ses pratiques symboliques, et non seulement sur ses pratiques d'achat.

De surcroît, si les modes de consommation de la classe moyenne ont été très étudiés

dans les pays d'Amérique du nord ou en Europe, parce que celle-ci constituait des consommateurs potentiels, les milieux populaires ayant été négligés (Marenco C., 1985), c'est l'inverse qui s'est produit dans les pays latino-américains, où l'on s'est surtout intéressé aux catégories marginales de la société ou à l'oligarchie, dans la tradition des études de la CEPAL. L'Argentine dispose cependant de certaines analyses, désormais classiques, sur la classe moyenne argentine, datant des années 50-60 : celle de G. Germani sur la société de masse (1955, 1971), celle de Jauretche sur le medio pelo argentin, celle de J. J. Sebreli sur la classe petite-bourgeoise portègne dans la lignée de la pensée de L. Althusser (1964). L'analyse du rôle des représentations, des mythes (de la consommation, de la classe moyenne) dans la pratique sociale est l'occasion de redécouvrir un peu cette "vaste" classe moyenne que les années 80 ont bien mise à mal.

1. La crise sociale à Buenos Aires

La crise économique et sociale qui touche de plein fouet certains pays d'Amérique

latine, après des années de relative embellie, touche non seulement les couches sociales les plus pauvres, dont les revenus diminuent le plus en termes absolus, mais aussi la classe moyenne, dont le pouvoir d'achat avait augmenté et le niveau de vie s'était amélioré dans les décennies précedentes. En quoi modifie-t-elle son comportement ?

1.1. Le mythe argentin de la classe moyenne

Le transfert de la notion de classe moyenne est-il vraiment impossible dans les pays en

développement, comme le suggère B. Kayser (1985) ? La classe moyenne s'enracine-t-elle dans une formation sociale particulière ? M. Santos remarque que si la mondialisation touche de nombreux secteurs de l'économie, de la culture et de la société, les classes sociales, elles, continuent à se définir territorialement (Santos M., 1984). A. Rouquié souligne quant à lui que "la sacralisation des classes moyennes ne rend que plus ardue l'application d'une telle catégorie aux sociétés périphériques" (Goussault Y., 1987). Or, si aux États-Unis, le mythe de la middle class a fondé l'american way of life, l'Argentine a aussi produit son propre mythe de la classe moyenne, indissociable d'un mode de vie et de pratiques particulières.

349

1.1.1. Caractéristiques de la classe moyenne argentine et production du mythe La composition et la formation de la classe moyenne argentine diffèrent de celle de la

classe moyenne européenne qui s'est constituée à la fin du XIXème siècle, mais possèdent certaines similitudes, en revanche, avec celles de la middle class nord-américaine. Ces dernières proviennent en partie de la double-colonisation qu'ont connu ces deux pays : une première fois au XVIème siècle, et une seconde fois à la fin du XIXème et au début du XXème, au moment où se construisait l'État-Nation18. Les mythes argentin et nord-américain de la classe moyenne sont en tout cas à peu près contemporains. Cependant leurs correspondances ne sont qu'apparentes.

a) Le mythe nord-américain de la middle class La middle class américaine s'enracine dans une théorie de la stratification sociale, qui

s'appuie sur des critères matériels et sur la similitude des modes de vie, et non dans une conception bipolaire et dichotomique marxiste, où la petite bourgeoisie, catégorie résiduelle était amenée à disparaître. Les États-Unis, pays d'immigration européenne, offraient de multiples opportunités pour les millions d'immigrants débarqués du Vieux Continent. Elle est associée à un mode de vie particulier, l'american way of life, elle est née de l'idéal démocratique d'égalité et de l'individualisme nord-américain, de la diffusion du bien-être matériel et du développement d'une culture de masse, qu'avait soulignés A. de Tocqueville en son temps. La classe moyenne s'identifie, dans les années 50-60, aux "cols blancs" longuement décrits par C. Wright Mills, catégorie d'employés des secteurs publics et privés dont le potentiel social et politique était assez élevé (Wright Mills C., 1951). Le mythe nord-américain de la classe moyenne accompagne d'autres mythes, eux aussi fondateurs de la nation américaine, notamment celui du self made man, symbole de la réussite sociale et professionnelle. Il est donc né des possibilités d'homogénéisation et de nivellement que pouvait faire espérer le développement de la consommation de masse (le rêve de la maison individuelle, de la Ford T, etc.), mais aussi de la démocratisation politique de la société.

b) Définition et constitution de la classe moyenne argentine Deux périodes ont été caractérisées par des processus d'ascension sociale rapide, par

une intégration massive et par la modernisation accélérée de la société argentine :

18 La double indépendance de l'Argentine est cependant postérieure à celle des États-Unis : 1810 et 1816.

350

mp

ue d'homogénéisation et d'assimilation du gouvernement argentin est passée par l'

uquié rappelle qu'en Amérique latine, on parle

- la période 1880-1930 (surtout entre 1880 et 1914, et entre 1920 et 1930), où l'incorporation rapide des vagues d'immigrants a permis la formation d'une classe moyenne urbaine consolidée (Germani G., 1955 et 1971 ; Bourdé G., 1972 ; Sargent C., 1974 ; Scobie J., 1977)

- la période 1945-1970 (surtout entre 1945 et 1955, sous Perón), pendant laquelle les conditions de vie de la classe ouvrière se sont nettement améliorées, grâce à la mise en place d'un État-Providence à l'argentine et d'une politique sociale axée sur la mise en place de droits sociaux et syndicaux.

C'est pendant ces deux périodes qu'est apparue et que s'est consolidée la classe moyenne argentine : G. Germani estimait qu'en 1947, elle représentait 40,6% de la population totale, soit, selon lui, presque autant qu'aux États-Unis, où environ 45% de la population appartenait dans les années cinquante à celle-ci (1955).

Les caractéristiques de la classe moyenne argentine sont les suivantes : • Elle est surtout urbaine, puisque la majorité des immigrants européens s'est incorporée

à la ville devant l'épuisement rapide des terres à coloniser, et a constitué un réservoir de main-d'œuvre urbain. L'intégration des immigrés a été favorisée par le caractère de creuset culturel du pays. L'Argentine, à la différence des États-Unis, a accueilli majoritairement des groupes ethniques en provenance d'Europe du sud.

• Entre 1880 et 1930, ce sont les e loyés du service public, les professions libérales, les commerçants et les employés de commerces, qui ont constitué la "nouvelle" classe moyenne et ont progressivement remplacé l'"ancienne", composée d'artisans, de petits commerçants et d'autres petits producteurs urbains ; entre 1945 et 1975, ce sont les ouvriers qui sont venus grossir les rangs de la classe moyenne. L'accès aux charges publiques et le développement des carrières administratives ont joué un rôle important dans la consolidation de la classe moyenne et dans la mobilité sociale inter-générationnelle, notamment pour les fils des immigrants mais aussi pour les ouvriers dans la seconde période.

• La politiqimposition de valeurs urbaines et par la consolidation d'une fibre patriotique et de

sentiments nationalistes, à travers deux instruments principaux : l'instruction et le service militaire obligatoire, fruits de la politique "éclairée" de l'État argentin dans la seconde moitié du XIXème siècle. L'éducation a été un facteur important d'ascension sociale, en particulier, à partir de 1966, où l'enseignement supérieur est devenu une priorité et a joué comme accélérateur.

• La classe moyenne est hétérogène. A. Roplus souvent de "secteurs moyens" que de la "classe moyenne" (Rouquié A., 1984). La

stratification sociale se définit moins en termes d'opposition que de continuum social. On est loin de la vision dichotomique de la société, diffusée dans les années 60, entre les membres de

351

) La cristallisation du mythe de la classe moyenne argentine

al dans les processus de modernisation et de développement économique (Touraine A., 1987). Pourtant, comme on l'a vu, la

tivement à une grande prude

ons : D'une part, il provient, comme aux États-Unis, des formidables possibilités d'ascension

social sert d

l'oligarchie d'un côté, et les marginaux de l'autre. Les "secteurs moyens" désignent tous ceux "du milieu", d'un milieu très vaste. Mais cette hétérogénéité, entre catégories professionnelles salariées et indépendantes notamment, a été en partie masquée jusque dans les années 80.

c La classe moyenne latino-américaine a joué un rôle centr

classe moyenne argentine a de nombreux points communs, dans ses processus de formation avec la classe moyenne nord-américaine. Surtout, en Argentine comme aux États-Unis, "on peut dire que la notion de classe moyenne est devenue un des mythes moteurs et comme l'axe fictif de la société nationale" (Rouquié A., op. cit. : 45).

Mais des différences fondamentales existent entre la classe moyenne argentine et la classe moyenne nord-américaine. L'une des principales incite effec

nce quant au transfert de la catégorie de classe moyenne : elle réside dans le rôle joué par la classe moyenne dans la modernisation politique, processus essentiel de la modernisation de la société. Or, la classe moyenne argentine n'a jamais joué ce rôle, contrairement aux espoirs de G. Germani qui voyait dans la modernisation politique "l'extension progressive des droits civils, politiques et sociaux à travers le suffrage universel, l'État-Providence, et la consommation de masse, phase la plus avancée du développement économique" (Germani G., 1971 : 152). Au contraire, la classe moyenne a soutenu le coup d'État militaire de 1976. Les processus de modernisation politique et de modernisation sociale sont dissociés. Globalement, elle est plus préoccupée par l'amélioration ou le maintien de ses revenus, que par la remise en cause de l'ordre politique et social existant.

Le mythe de la classe moyenne argentine s'est cristallisé de deux faç• e rapide apparues à la fin du XIXème siècle et au début du XXème. Le self made mane modèle comme aux États-Unis. Le rêve argentin de la classe moyenne est pour partie

lié, aussi, aux mythes du général Perón et de sa femme Eva : il a fait naître chez les classes moyennes plus défavorisées et chez les ouvriers des espoirs d'intégration à la vaste classe moyenne. Le péronisme, qui constitue leur âge d'or, a signifié une réelle amélioration des conditions de vie des travailleurs, et l'augmentation des salaires réels des OS (+46% entre 1942 et 1954, +10% entre 1958 et 1972) pendant la période péroniste, de telle façon que leur niveau de vie, leur pouvoir d'achat et leurs modes de consommation se sont rapprochés de ceux de la classe moyenne.

352

mythe. Les méthodes de stratif

lement sur un idéal social et économique.

rgentine

oyenne argentine se distingue par son mode de vie, ses pratiques culturelles et sociales, mais aussi par son pouvoir d'achat et de ses habitudes de consommation. La domin

) Buenos Aires, ville de classe moyenne

ires a été le milieu incubateur, le lieu de production et de reproduction de la classe moyenne argentine. De nombreuses familles ont ainsi

• D'autre part, le discours politique, mais aussi le discours scientifique (économique, sociologique) ont largement participé à la construction du

ication de la société (s'appuyant sur les CSP) ont eu tendance, comme aux États-Unis, à surestimer le poids de la classe moyenne. Les travaux du sociologue G. Germani sur la classe moyenne comme élément modernisateur de la sociéte, sur le rôle de l'immigration et sur la société de masse dans les années 50-60, ont largement contribué à forger le mythe de la classe moyenne19. Le chiffre de 40,6% qu'il avançait pour évaluer la classe moyenne urbaine a trop souvent été réifié20.

La classe moyenne se construit donc essentiel 1.1.2. Modes de vie, habitudes de consommation et comportement de la classe moyennea La classe m

ante culturelle anglo-saxonne / protestante d'un côté, et méditerranéenne / catholique de l'autre, les formes locales de la consommation de masse issues du modèle fordiste périphérique, constituent des facteurs de différenciation entre les classes moyennes nord-américaine et argentine. Le rêve argentin de la classe moyenne s'appuie sur un ensemble de pratiques et de valeurs originales.

a Comme on l'a vu, la ville de Buenos A

pu accéder, en l'espace d'une décennie, à un emploi stable, à un logement, et aux biens de consommation courante. La modernisation de la société argentine s'est accompagnée d'une démocratisation des pratiques urbaines, elle-même liée aux puissants processus de

19 Le sociologue G. Germani, qui a introduit la sociologie moderne en Argentine dans les années 50 et qui s'inspire beaucoup des théories structuralo-fonctionnalistes de T. Parsons, s'appuie à la fois sur une définition de type énonciatif de la classe sociale, à l'intérieur d'une théorie de la stratification sociale (ensemble d'individus ayant des comportements, des normes et des valeurs communs), et sur une définition de type empirique qui part de l'analyse de la population active et des catégories socio-professionnelles, et de la position d'un individu à l'intérieur de la division sociale du travail (Jorrat J. et Sautu R., 1992, Torrado S., 1990). 20 Par ailleurs, sa méthode de classification s'appuyant sur les catégories socio-professionnelles, tout dépendait des définitions et de l'inclusion de telle ou telle catégorie dans les strates supérieure / intermédiaire / inférieure. En reprenant les calculs de G. Germani, S. Torrado obtient un chiffre un peu plus bas que celui de G. Germani pour la classe moyenne argentine (1992). Voir plus loin, pour l'ouvrage de S. Torrado.

353

ème siècle, le centre-ville et les quartiers nord constituaient véritablement la ville de l'élite, les quartiers sud (San Telmo et la Boca), quarti

se démocratiser, la diffusion des modes se faisant du haut vers le bas et par imitation des modes de vie de l'oliga

nivellement et d'assimilation impulsés par l'État argentin. Dans les années 30, de ville de l'oligarchie, Buenos Aires est devenue la ville des masses (Mora y Araujo M., 1983), ou plus exactement des classes moyennes. Pourtant, ce sont deux représentations sociales un peu simplifiées de la ville de Buenos Aires. Une enquête de l'Association Argentine de Maketing (qui sera présentée plus en détail un peu plus loin) montre que les catégories sociales moyennes habitent majoritairement la capitale, tandis que les classes les plus aisées ont majoritairement leur résidence dans le reste du Grand Buenos Aires, et que les plus pauvres vivent massivement dans les 19 partidos conurbés.

À la fin du XIXème siècle et au début du XX

ers d'accueil des immigrants débarqués à Buenos Aires, apparaissant déjà comme des quartiers miséreux et surpeuplés. L'ouest était effectivement constitué des quartiers de classe moyenne en formation. La fréquentation de l'espace public restait encore exclusivement réservée aux familles de l'oligarchie et des nouvelles couches sociales ascendantes, la bourgeoisie immigrée, liée aux secteurs agricole et financier. Les normes de comportement dans les lieux publics imposées par les réglementations municipales, comme le port obligatoire du chapeau et du costume, en excluaient potentiellement les secteurs les plus défavorisés, en même temps qu'ils constituaient des facteurs d'homogénéisation dans l'apparence vestimentaire des individus pour la classe moyenne en cours de formation. Les lieux typiques de l'élite européenne argentine sont les confiterías, les monuments et les promenades, les élégants grands magasins du XIXème siècle, les rues commerçantes comme la rue Florida, les parcs et les jardins à l'européenne, les boulevards, etc.

C'est dans les années 20 que la pratique de la ville commence à

rchie par la classe moyenne. Les lieux publics de l'élite voient apparaître leur pendant dans les quartiers de classe moyenne : la Costanera Sur, promenade plus populaire du sud de la ville, est le symétrique de la Costanera norte, plus aristocratique ; les passages commerciaux du centre ont leur équivalent dans les quartiers de classe moyenne de l'ouest de la ville comme Flores et Caballito, Villa Devoto, Villa del Parque, Villa Urquiza. Signe de cette démocratisation, les Galerías Pacifico, ex-Bon Marché, sont transformées en galerie commerciale en 1947, et les grands magasins, privés de leur caractère distinctif, à la suite des restrictions aux importations renforcées par Perón, perdent leur caractère distinctif. W. Gombrówicz, écrivain polonais exilé de fait en Argentine en 1939, et fin observateur des mœurs portègnes au lendemain de la seconde guerre mondiale, relate dans son journal qu'"ici, l'ouvrier et le paysan parlent le même langage que l'intellectuel, porte chaussures et chapeau, possède une montre, fume la même marque de cigarettes, et lorsqu'il est endimanché, il est

354

r la diffusion à grande échelle de produits standardisés, est impulsée par le modèle de substitution aux importations. Celui-ci a en effet stimu

it sur toute une série de pratiques sociales et culturelles archétypiques qui ont incarné un mode de vie proprement argentin.

vecteurs de la modernisation de la société argentine tout autant que de la diffusion de valeurs, de normes cultur

rolifique produ

impossible de le distinguer de son patron" (Gombrówicz W., 1993). La ville de la classe moyenne, ce sont aussi les immeubles en copropriété qui fleurissent dans la capitale sous le coup de l'intense mouvement de rénovation urbaine des années 50 et les lotissements de banlieue, qui leur permettent l'accession à la propriété. La trame urbaine en damier, qui, lors de la phase de la colonisation, s'était avérée un instrument de contrôle de l'espace et de la société, permet une expansion à l'infini des quartiers suburbains, facilitée par l'absence de relief, et favorise, dans un premier temps, l'intégration des populations immigrées, tandis que, pour les sociétés immobilières et foncières, elle constitue un instrument de développement urbain peu coûteux et aisément reproductible.

La consommation de masse, basée su

lé le développement d'une industrie de biens de consommation locale, et l'amélioration des revenus a permis l'apparition d'un marché interne et l'extension d'une consommation de masse. La variété et la diversification des produits sont plus limitées en raison des restrictions aux importations et du caractère plus obsolète d'une industrie argentine protégée, mais toute la classe moyenne argentine consomme, à des degrés divers (Mora y Araujo M., op. cit.).

b) Le rêve argentin de la classe moyenne Le rêve de la classe moyenne se constru

Le théâtre, le cinéma, la radio, et plus tard, la télévision, ont été des

elles et de standards de consommation de la diffusion de modes de vie urbains. De muet et très populaire dans les années 20, facteur d'intégration des immigrants qui

ne comprenaient pas l'espagnol, le cinéma parlant des années 30-70, soutenu par la pction argentine et par son star system, a été approprié par la classe moyenne (Pujol S.

A., 1989). Les feuilletons radiophoniques des années trente, les telenovelas qui constituaient avec les feuilletons télévisés 47% de la programmation hebdomadaire à la fin des années 60 avaient un énorme succès. Dès le début des années 70, la télévision constitue un loisir fréquent des Argentins, aussi bien en semaine que le week-end (Cardenas R., 1973 ; Landi et al., 1990)21.

21 Dans cet ouvrage, R. Cardenas s'appuie sur les résultats d'une enquête réalisée en 1969-1970 sur les pratiques socio-culturelles des habitants de Buenos Aires et centrée essentiellement sur la durée consacrée à chaque activité et la fréquence de la pratique. L'enquête des sociologues O. Landi, L. A. Quevedo et A. Vacchieri a été effectuée en 1988 auprès d'un échantillon de 660 ménages du Grand Buenos Aires.

355

ns ses loisirs que la classe moyenne a une identité très forte. Le péronisme a joué, à cet égard, un peu le même rôle que le Front Populaire dans la démocratisation des loisirs

d brassage social, alors que le

aleurs hispano-italiennes comme la famille, à un individualisme à l'anglo-saxonne très ancré dans l'ense

lasse moyenne

C'est da

en France. La classe moyenne argentine part en vacances l'été et fréquente les stations balnéaires qui s'égrènent le long de la côte atlantique. Mar del Plata est envahie par la classe moyenne, tandis que d'autres stations, plus petites et plus proches de la capitale, accueillent des familles au profil plus modeste : Santa Teresita, Mar de Ajo, etc.

Le football, qui prend un grand essor dans les années 20, est par excellence le sport des "masses", et le stade, dans la tradition italienne, est le lieu d'un gran

rugby et le polo sont distinctifs de l'élite. La fréquentation des cafés, dans la tradition hispano-italienne, face au café littéraire à la française de l'élite intellectuelle, celle des clubs de quartier sportifs et sociaux, sur le modèle des clubs anglais comme le très oligarchique Jockey Club, font partie des pratiques sociales courantes de la classe moyenne argentine. La promenade "bourgeoise" aux bois de Palermo, au zoo ou à la foire d'exposition rurale de Palermo, après le traditionnel déjeuner dominical autour d'un gigantesque plat de pâtes ou d'un asado reste une institution, encore à la fin des années 80. Plus de 50% des personnes interrogées par le sociologue O. Landi sortaient en fin de semaine, les foires artisanales, les parcs et jardins restant très fréquentés par les couches populaires et par la classe moyenne (ibid., op. cit.). La sortie "pizza-cinéma" du samedi soir comme les déjeuners dans les restaurants de cuisine "familiale" ou dans une parrilla de quartier font partie des clichés sur la classe moyenne argentine, mais aussi des signes qui la distinguent le plus du reste de la population et des symboles auxquels elle s'accroche fermement. La part du budget familial consacrée aux repas pris à l'extérieur de la maison est aussi élevée que dans d'autres pays "non latins" : 4,8%, ce chiffre variant de 3% pour le quintile le plus pauvre à 6,2% pour le plus riche (INDEC, 1988), soit autant qu'en Espagne et qu'en Italie (Futuribles, 1992).

Enfin, la classe moyenne argentine se définit par référence à tout ensemble de v

mble de la société depuis la fin du XIXème siècle (mélange de libéralisme politique et économique à l'anglo-saxonne, de philosophie positiviste et matérialiste spencerienne du progrès), et par un puissant conformisme social épinglé par J. J. Sebreli dans sa description de la classe petite-bourgeoise.

1.2. Le laminage de la c

1.2.1. L'évolution sociale des années 1976-1994 : polarisation, paupérisation et hétérogénéité sociale

356

a crise économique et sociale des années 80 a remis en question nombres d'acquis soc i atteinte dans ses symboles. La distribution de plus en plus inégalitaire du revenu et sa concentration sont les deux traits majeurs de l'évoldans les pays "industrialisés". L'émergence de la ville post-industrielle s'accompagne d'une puissante polarisation sociale et d'une croissance fulgurante du chômage. L'analogie entre l'Euro

en raison de la discontinuité des indicateurs avant 1974. Après 1974, les Encuestas Permanentes de Hogares (EPH r l'INDEC fournissent des données sur les revenus des ménages, notamment à l'échelle de l'agglomération de Buenos Aires22. En dépit de la sous-estim

Liaux de la classe moyenne, mais l'a auss

ution socio-économique de la décennie. L'Argentine connaît les mêmes évolutions que

pe de l'ouest, l'Amérique du nord et l'Argentine est cependant très imparfaite, et ce n'est pas ici le lieu d'entrer plus dans le détail de l'évolution suivie par l'économie des villes argentines. L'évolution sociale, accentuée par le caractère ultra-libéral de la politique économique et sociale argentine, présente certains points communs avec eux.

a) La concentration du revenu Entre 1976 et 1994, la distribution du revenu est régressive. Cette situation, nouvelle en

Argentine, marque une rupture avec les années antérieures. Il est cependant difficile de mesurer exactement l'évolution de la distribution du revenu sur le long terme

) réalisées semestriellement pa

ation certaine des revenus déclarés par rapport aux revenus réels, cette source fournit un indicateur relativement fiable de l'évolution de la distribution des revenus par déciles. En se basant sur d'autres sources, notamment, ici, sur l'Encuesta de presupuesto de consumo de l'OADE-CEPAL, O. Altimir a cependant essayé de comparer la distribution du revenu national avant et après 1974 : alors qu'en 1963, dans le Grand Buenos Aires, 10% des ménages concentraient 29,5% du revenu, les 30% plus pauvres n'absorbaient que 12,5% du revenu. En 1974, d'après les résultats de l'EPH, la distribution des revenus s'était concentrée, puisque le décile le plus riche percevait 34% des revenus23, contre seulement 9,1% pour les trois déciles inférieurs de la population (Altimir O., 1986). Pour les années ultérieures, malgré le fait que les données ne soient pas exactement comparables (ménages / salariés), les analyses de L. Beccaria à partir de l'EPH, montrent que la strate inférieure des salariés (30%) du Grand Buenos Aires possède 8,9% des revenus en 1992 contre 11,4% en 1974, alors que le décile supérieur concentre 34,6% de la richesse contre seulement 28% en 1974. Les transferts

22 Les EPH, réalisées à partir d'échantillons sélectionnés dans l'ensemble des agglomérations urbaines de plus de 50 000 habitants du pays, comportent des relevés systématiques sur les caractéristiques démographiques et socio-économiques de la population, parmi lesquelles des données sur les revenus des ménages et sur l'emploi. 23 L'INDEC définit comme une personne qui reçoit des revenus (salarié), tout membre d'un ménage qui a des revenus soit monétaires soit en nature provenant d'un travail, ou bien encore les revenus provenant d'une rnte ou de tout type de transfert social.

357

ource : Beccaria L., 1993 : 133.

a courbe de Lorenz de distribution du revenu s'est creusée entre 1974 et 1992 dans le Grand Buenos Aires, traduisant une concentration du revenu.

lusieurs facteurs expliquent la polarisation de la richesse et la concentration sociale en œuvre raison avec les années 1945-1975. Elles sont le résultat de l'appl

ières années du gouvernement Alfonsín.

négative entre 1980 et 1987 (-0,3% / an). Le PIB chute même de 6,2% en 1989 et observe une

de revenus se sont réalisés du bas vers le haut. La diminution du revenu du décile supérieur a été nettement moins accentuée que celle des déciles inférieurs (Beccaria L., 1991)24.

Graphique n° 3 : courbe de Lorenz, distribution du revenu de l'ensemble des salariés

dans le Grand Buenos Aires S

L

P à partir de 1976, en compa

ication de la politique néo-libérale mise en place par les militaires et poursuivie après le retour de la démocratie, malgré la relative pause des prem

• Le PIB total de l'Argentine a fortement diminué dans la décennie 80. Alors que la

croissance moyenne annuelle du PIB avait été de 3,5% entre 1965 et 1980, l'évolution est

24 La comparaison de l'évolution de la répartition du revenu de la population de plusieurs grandes agglomérations dans les années 80, montre que le cas de Buenos Aires est similaire à celui de grandes métropoles comme Rio de Janeiro et São Paulo, et diffère fortement, en revanche d'autres capitales latino-américaines, où la baisse des revenus a été mieux répartie et où les écarts sociaux ne se sont pas creusés (CEPAL, 1991).

358

ce économique : le PIB augmente de 8,9% et de 8,6% en 1991 et en 1992, la croissance se ralentissant en 1993 et en 1994 (+6% et +5,6%). La croissance économique n'est pourt nt s

e 42,9 en 1990 à 56 en 1991 (FIDE, 1992). Le salaire réel des ouvriers spécialisés a été particulièrement touché, se retrouvant à un même niveau indiciaire en 1979 et en 983

s inégalés en mai 1995 avec 17,6% de la population active à la recherche d'un emploi, auxquels s'ajoutent 10,7% de personnes en sous-em

lus vite que le taux de sous-emploi à partir de 1993.

croissance 0 en 1990. En revanche, le retour à la stabilité en 1991 se traduit par une reprise de la croissan

ant pas synonyme de développeme ocial, comme dans les années 45-73. • L'évolution des salaires réels est négative : elle entame une chute "historique" de 37%

entre 1974-75 et 1976 (Torrado S., op. cit.). Le salaire horaire moyen diminue de 28,3% entre 1975 et 1976, et de 41,7% entre 1975 et 1991, malgré la remontée effectuée entre 1983 et 1986 (Beccaria L., 1993, à partir de données de la CEPAL). En prenant comme base 100 l'année 1988, l'indice du salaire minimun vital mensuel est tombé à 47,9 en 1989 mais est remonté de l'indic

1991 : 47,4 et 47,9 (base 100 : 1 ). La diminution du montant des pensions et des retraites a été encore plus drastique : -32,5% entre 1975 et 1976, et - 39,7% entre 1975 et 1991, la chute se poursuivant durant toute la période considérée. Cependant, les revenus réels ont à nouveau augmenté entre 1991 et 1992, provoquant une légère réduction des inégalités, surtout favorable à la classe moyenne (Beccaria L., op. cit.).

• La précarisation du travail et la marginalisation de l'emploi s'expriment à travers

plusieurs indicateurs. Premièrement, le taux de chômage commence à augmenter dans les années 70, et

connaît de brusques sauts, une première fois entre 1980 et 1981, avec un doublement (de 2,3% à 4,5%), une seconde fois à partir de 1992 : le taux de chômage a atteint même des pic

ploi, soit au total près d'un tiers de la population (INDEC, EPH). Le taux de chômage a crû beaucoup p

Graphique n° 4 : évolution des taux de chômage et de sous-emploi dans l'agglomération

de Buenos Aires (1974-1995)

0

5

10

15

20

25

1974

1976

1978

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1984

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1988

1990

1992

1994ta

ux d

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-em

ploi

(%)

taux de chômagetaux de sous-emploi

euxièmement, l'évolution de la structure de l'emploi montre une augmentation du nomb

nfin, la précarisation de l'emploi et des conditions de vie se traduit par la multi

) Évolution de la stratification sociale

a question, plus pratique, de la délimitation des différentes classes répond à l'objectif empir

Source : INDEC, EPH. Dre de travailleurs indépendants et le recul concomitant de l'emploi salarié, notamment

dans certains secteurs comme ceux de la construction et du commerce, ce qui marque un renversement de tendance complet par rapport aux périodes antérieures (Palomino H., 1989 ; Torrado S., 1992). La surqualification et le surnombre des diplômés du troisième cycle universitaire dans certaines formations, conjugués à la stagnation de l'emploi, tournent les membres des professions libérales vers l'emploi autonome. Le cas des chauffeurs de taxi de profession architectes est bien connu.

E

plication des emplois sans couverture légale, par l'augmentation du travail clandestin, notamment des immigrés des pays limitrophes. La couverture sociale, en même temps, est beaucoup moins bien assurée, en raison de la réduction des dépenses sociales durant les années 80, malgré la remontée de 1992-1993 (Golbert L., Tenti Fanfani E., 1993) et de la privatisation des systèmes de santé. Ainsi, 34% de la population de l'agglomération ne bénéficiait d'aucune couverture sociale à la fin des années 80 (Prévôt-Schapira M. F., 1990). La dégradation des conditions de vie est sensible dans l'agglomération de Buenos Aires.

b Lique d'étudier la dynamique sociale, sans sombrer pour autant dans la "lutte des

classements" dénoncée par P. Bourdieu comme productrice des classes et reproductrices des

359

360

inégalités sociales, et aussi à celui de comprendre le sens des catégories utilisées dans les enquêtes de marketing sur les centres commerciaux.

D'après les calculs établis par S. Torrado à la suite de G. Germani en 1955 sur la base

des CSP, le poids de la classe moyenne urbaine a constamment augmenté depuis 1940 : elle représentait 40,6% de la population totale en 1947, 42,7% en 1960, 44,9% en 1970, et 47,4% en 1980. En revanche, la dégradation du pouvoir d'achat et du niveau de vie de toute une partie de la classe moyenne se traduisent par une plus grande hétérogénéité sociale, par le laminage de la couche inférieure de la classe moyenne et par la dégradation de son niveau de vie. Comme en Europe et en Amérique du nord, les deux concepts de "nouvelle pauvreté" et de "nouvelle richesse" apparus dans la sociologie des années 80, montrent qu'il existe un continuum entre la richesse et la pauvreté, et une position sociale, toujours fragile, n'est jamais définitivement acquise. Les pauvres s'appauvrissent et les plus riches s'enrichissent.

L'évaluation de la pauvreté selon des critères normatifs dans les années 1976-1994

souligne un triple phénomène : la diminution du nombre d'indigents, l'augmentation du nombre de paupérisés, et la fragilisation d'une partie de la classe moyenne25. Or, si le nombre d'indigents a plutôt diminué depuis 1974, passant de 26,3% du total en 1974 à 16,1% des ménages, et de 31,1% à 22% des personnes en 1987 dans l'agglomération de Buenos Aires (Investigación sobre la pobreza en Argentina, INDEC, octobre 1988), le nombre de ménages paupérisés a au contraire grimpé en flèche, traduisant une fragilisation des positions sociales de la couche inférieure de la classe moyenne. Alors que seulement 2,6% des ménages du GBA étaient considérés comme paupérisés en 1974, 22,7% l'étaient en 1987 et respectivement 3,2% et 25,2% des personnes. Au total, en 1987, 36,7% des ménages et 44,2% des personnes vivaient en-dessous du seuil de la pauvreté. La crise hyperinflationniste de 1989 a fait grimper la part des ménages paupérisés à 35,3% en 1990, ce chiffre étant néanmoins redescendu à 15,6% en 1992, mais ayant dû remonter depuis. Les nouveaux

25 L'INDEC utilise deux indicateurs définis par des seuils, le NBI (Necesidades básicas insatisfechas) et le LP (Linea de pobreza). Le premier seuil de pauvreté, celui de l'indigence, est déterminé à partir d'un ensemble de cinq indicateurss considérés comme essentiels au développement humain (suroccupation et précarité du logement, présence / absence de sanitaires, scolarisation des enfants, niveau d'éducation du chef de famille) : tout ménage ne remplissant pas l'une de ces cinq conditions est considéré comme indigent. Le second seuil est une valeur monétaire calculée à partir d'un panier de biens de consommation courants, biens alimentaires, médicaments, vêtements, etc.), selon les seuils nationaux (INDEC, 1984b). La pauvreté absolue (indigence) se caractérise par un ensemble de carences en biens et en services essentiels (en matière de logements, d'éducation, d'alimentation, etc.) qui rendent la situation de ces personnes difficilement réversible, tandis que la pauvreté "relative" (paupérisation) signifie un niveau de vie nettement plus élevé que celui des indigents mais ne permettant pas de couvrir toutes les dépenses de base incluses dans le panier de la ménagère-type, calculées selon les normes de consommation nationales.

361

pauvres sont formés par le groupe des "paupérisés" (ouvriers, retraités26, certaines professions libérales, etc.) qui appartenaient auparavant à la classe moyenne et dont la situation s'est dégradée, les précipitant dans la pauvreté27. Plutôt que de parler de "la" classe moyenne au singulier, il faudrait plutôt parler "des" classes moyennes au pluriel, en raison de la scission de plus en plus profonde entre les couches inférieures et moyennes et la couche supérieure, qui a réussi à maintenir voire à améliorer son niveau de vie.

À l'autre bout de l'échelle, les membres d'une oligarchie de plus en plus réduite mais

néanmoins très puissante (les dirigeants des grands groupes économiques) ainsi qu'une partie de la couche supérieure de la classe moyenne se sont enrichis absolument depuis 1976. C'est cette dernière qui forme le groupe des "nouveaux riches". Il existe malheureusement peu d'études sociologiques sur eux. Certaines catégories socio-professionnelles, comme les cadres supérieurs travaillant dans les secteurs de la finance et des services aux entreprises, ainsi que tous ceux qu'on a désigné sous le nom de yuppies dans les années 80, le phénomène new-yorkais ayant son équivalent dans les grandes métropoles d'Amérique du sud, ont profité de la situation économique des années 1976-94. Ils constituent souvent des "nouveaux riches", très consommateurs. À cette catégorie, se rattache aussi le monde du show business, et une jet set très liée, elle aussi, au pouvoir, surtout depuis la présidence de C. Menem pendant laquelle le pouvoir s'est extrêmement médiatisé.

La classification établie par un groupe de sociologues à la demande de l'Association

Argentine de Marketing (AAM), à partir d'un indice du niveau socio-économique (INSE) servant dans les enquêtes de marketing et d'une enquête réalisée en 1992 dans le Grand Buenos Aires sur un échantillon de 800 personnes, est une forme d'évaluation de l'évolution de la stratification sociale, malgré toutes ses imperfections. Ce travail visait la réévaluation de l'INSE, construit sur la base d'indicateurs tant matériels (habitabilité, confort du logement, taux d'équipement pour certains biens, etc.) qu'intellectuels (niveau d'instruction) et professionnels (CSP), et la prise en compte du phénomène de la nouvelle pauvreté, selon des méthodes s'inspirant de celles de Lloyd Warner28. Cette classification présente l'avantage de prendre en considération le niveau de vie et les habitudes de consommation des ménages, essentiels dans la définition de la classe moyenne argentine, et non pas seulement les CSP. En outre, dans notre cas, elle permet d'interpréter les enquêtes sur les pratiques socio-urbaines et les pratiques d'achat dans les shopping centers.

26 Selon A. Minujín, les retraités représentent 28% du groupe des "nouveaux pauvres", sous-catégorie qu'il établit à l'intérieur du groupe des ménages paupérisés (1992). 27 Voir sur le thème de la pauvreté les travaux d'Alberto Minujín (en particulier, 1992). 28 Lloyd Warner partait cependant, non de critères matériels ou intellectuels, mais d'une échelle de prestige, fondant ainsi un méthode dite "réputationnelle". Elle aboutissait à une classification à six étages, upper-upper, upper-lower, middle-upper, middle-lower, lower-upper, lower-lower.

362

La couche inférieure représente plus de 50% de la population, le graphique n° 5

soulignant bien l'importance de la pauvreté dans le Grand Buenos Aires.

Graphique n° 5 : stratification sociale de la population de l'agglomération de Buenos Aires en 1992 selon l'indice du niveau socio-économique élaboré par l'Asociación Argentina de Marketing

AB1%

C19%

C210%

C325%

D124%

D226%

E5%

Catégorie AB : oligarchie, catégorie supérieure.

Catégorie C1 : catégorie moyenne-supérieure et une partie de la catégorie supérieure:29.

Catégorie C2 : couche intermédiaire de la classe moyenne.

Catégorie C3 : couche inférieure de la classe moyenne, fragilisée (c'est la catégorie créée pour la réévaluation de

l'indice).

Catégorie D1 : paupérisés et "nouveaux pauvres".

Catégorie D2 : une partie des pauvres structurels.

Catégorie E : indigents, population marginalisée.

La catégorie ABC1, celle qui est prioritairement ciblée par les administrations des

centres commerciaux représente 10% de la population de l'agglomération de Buenos Aires, la catégorie moyenne (C2, C3) totalise 35% de la population de l'agglomération, tandis que les pauvres en forment 55% (D1 / D2 / E). Les résultats concernant la part des différentes couches à l'intérieur de la classe moyenne coïncident avec des estimations faites par la sociologue A. Marshall (Clarín, 03/01/93) qui estime à 20% la part de la catégorie moyenne-haute, à 40% la part de la catégorie moyenne-moyenne, et à 40% celle de la catégorie moyenne-basse (ici : 15,5% pour la catégorie C1, 43,1% pour la catégorie C2 et 41,3% pour la catégorie C3).

29 La catégorie supérieure, selon les estimations du cabinet de consultants, Juan Olivero, Pistrelli Diaz y asociados, publiées dans Clarín le 03/01/93, représente 15% de la population.

363

364

1.2.2. L'impact de la crise sur la modification des pratiques socio-culturelles et des modes de consommation La crise des années 80 a eu un net impact sur la modification des pratiques socio-

culturelles et des modes de consommation d'une grande partie de la classe moyenne. Pourtant, celle-ci a parfois été moins rapide que ne l'a été la baisse de leurs revenus. Les "nouveaux pauvres" ressemblent aux non-pauvres parce que leurs pratiques socio-culturelles les assimilent à ce groupe. Le vacillement de la classe moyenne se traduit en particulier dans la mobilité géographique d'un grand nombre de familles : nombreuses sont celles qui ont dû quitter le centre-ville, où les loyers n'étaient plus supportables, pour aller gonfler la cohorte des pauvres vivant dans des asentamientos ou dans des lotissements populaires de banlieue. M. Murmis et S. Feldman mentionnent qu'à la fin des années 80, des panneaux portant le message ironique de "bienvenue à la classe moyenne" avaient été installés à l'entrée de certains asentamientos (1992 : 46).

a) Les changements dans les pratiques socio-culturelles Le poste des loisirs a été l'un des premiers touchés par la baisse des revenus des classes

moyennes. Il n'existe aucune enquête sur les budgets des ménages pendant les périodes d'hyperinflation, mais les deux enquêtes réalisées par l'INDEC (EGH) en février-juin 1985 puis un an plus tard, après que le plan Austral a été mis en place30, montrent, à l'inverse, que les postes de dépenses "loisir et culture" et "équipement de la maison" sont ceux qui ont le plus crû dans les dépenses des ménages situés au bas de l'échelle sociale (les deux derniers quintiles). On ne dispose malheureusement d'aucune enquête sur l'évolution du budget des ménages pendant et après la crise hyperinflationniste, mais on sait, d'après les entretiens réalisés par les sociologues, qu'elles ont entraîné d'importantes coupures dans les budgets "loisirs et sorties" : les sorties au cinéma, au café, au restaurant. La classique sortie "cinéma-restaurant" du samedi soir a été remplacée par une soirée "video-pizza" à la maison ou chez des parents, amis, proches (Feijoo M., 1992 : 237)31. Certains pratiques sociales et culturelles marquent des formes de repli sur la maison. L'enquête réalisée par O. Landi avant l'épisode

30 Le Plan Austral de mars 1986 ayant eu des conséquences importantes sur la consommation, l'INDEC a décidé d'entreprendre une nouvelle enquête sur la consommation des ménages, afin de pouvoir introduire une dimension comparative. 31 Cependant, d'autres explications peuvent être avancées à la crise du cinéma qui n'est pas seulement argentine : la vidéo, comme le câble qui propose de nouveaux "produits", se seraient en partie substitués à la télévision "ouverte", dont la qualité s'est dégradée et dont la programmation cinématographique n'a jamais été très étendue. On a vu que les Argentins passaient de nombreuses heures à regarder la télévision. Elle reste un loisir majeur, ce qui ne marque pas un profond changement : 50% des personnes interrogées par O. Landi disent regarder la télévision en fin de semaine et la citent comme loisir principal, soit à peu près autant que vingt ans plus tôt (Landi O. et al., op. cit.).

365

hyperinflationniste de 1989 montrait déjà que 81,3% des personnes interrogées aimant aller au cinéma, n'y avaient pas été depuis un an. Sur les 120 salles qui fonctionnaient en 1970 dans la capitale, il n'en restait plus que 84 en 1993, tandis que l'industrie cinématographique nationale a été gravement décimée (Landi O., op. cit.). Quant au nombre de spectateurs, il est tombé de 44,4% entre 1980 et 1989 et de 71,4% dans le Grand Buenos Aires (INDEC, 1987)32. Avant le traumatisme hyperinflationniste et surtout à partir de 1985-1986, une partie du budget familial était consacré à des postes comme l'audiovisuel (0,7% pour le quintile le plus pauvre, contre 2,4% pour le plus riche) et les livres (0,7% pour le quintile le plus pauvre contre 1,4% pour le plus riche), mais il est difficile de dire comment ces consommations ont été évolué, sans enquête après 1989.

Imputée à la mobilité sociale descendante et à la privatisation de la consommation et

des pratiques socio-culturelles, la crise du cinéma a sans doute des origines plus complexes, mais elle est symptomatique des nouvelles pratiques culturelles développées dans les années 80, comme stratégies d'adaptation d'une partie de la classe moyenne à la crise. La privatisation des pratiques socio-culturelles qui désigne "le passage d'une société où l'individualisation familiale prenait sens sur fond de communauté, elle-même organisée à partir d'une centralité introvertie autour du sacré, à une société où la vie s'organise sur un fond d'individualisation, à partir d'un logement étroitement délimité mais ouvert sur l'extérieur, à la conquête duquel il s'agit de partir" (Rémy J., Voyé L., 1981 : 119), n'est pas nouvelle. Elle s'inscrit dans la continuité des changements sociaux et de la consolidation de la bourgeoisie dès la fin du XVIIème siècle et au XIXème siècle en Europe. En Argentine, au XIXème siècle, l'apparition des cafés et des confiterías, des clubs et le repli sur leur intérieur des familles "bourgeoises"33 marquaient déjà des formes de privatisation des comportements, dans une société qui se construisait sur des valeurs individualistes. Mais la crise a renforcé les conduites privatistes, dans un contexte -nouveau, il est vrai- de renforcement de l'individualisme, de décomposition du social-organique, d'insécurité sociale, que contribue à forger les medias, le discours politique, et, comme on l'a vu, la rhétorique des promoteurs commerciaux.

b) Sur les pratiques de consommation Les modes de consommation de la classe moyenne ont aussi fortement été modifiés. Les

brèves périodes d'amélioration de l'économie entraînent une surchauffe de la consommation,

32 La décimation de l'industrie cinématographique argentine a des causes politiques, liées à la baisse des subventions à la réalisation. 33 Le terme "bourgeoisie", européen, n'a pas véritablement d'équivalent en Argentine. Il désigne surtout les couches socio-économiques les plus fortunées qui ne font pas partie de l'oligarchie.

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différenciée selon le niveau de revenus des ménages. La consommation connaît des oscillations cycliques de plus ou moins grande amplitude et évolue selon des cycles plus ou moins longs : par exemple, la consommation de biens alimentaires calculée selon l'indice Nielsen a augmenté entre 1982 et 1986 (+25,8% entre 1985 et 1987), mais a chuté entre 1987 et 1990 (-26,1%), la part de la consommation privée dans le PIB ayant aussi fortement diminué en 1989 et en 1990 (-12,3%), quand les effets positifs du plan Austral ont commencé à s'estomper. Le taux d'inflation a atteint 200% au mois de juillet 1989, chiffre théorique qui reflète mal la réalité quotidienne, à savoir la valse horaire des prix. L'hyperinflation a provoqué un emballement de la consommation, et l'épargne des uns et des autres s'est envolée en fumée. L'enquête sur les supermarchés de l'INDEC34 montre que les ventes sont à leur niveau maximal en juin 1989, à nouveau en janvier-mars 1990, pendant les épisodes hyperinflationnistes, et sont en revanche très basses durant les périodes intermédiaires. La consommation a connu une vigoureuse reprise à partir de 1991 avec la stabilisation de l'économie (+ 18,6% en 1990/91). L'effet "Tequila" de la crise financière de Mexico, au début de l'année 1995, l'a à nouveau profondément déprimée. La consommation, et donc les ventes, évoluent en dents-de-scie, même à l'intérieur des périodes dites de stabilité.

Or, si les classes moyennes ne sont pas les seules à avoir été touchées par ces

oscillations et si la crise économique a des conséquences encore plus dramatiques sur les couches sociales les plus défavorisées, elles ont été les plus affectées dans leur image. Leur pouvoir d'achat, surtout à partir de la crise hyperinflationniste de 1989-90, a été sévérement érodé, et leur niveau de vie a baissé. Les "nouveaux pauvres" (catégorie D1) interrogés par J. Halperin disent avoir acquis de nombreux produits électroménagers et de matériel hi-fi entre 1980 et 1987, avant que la crise de 1989-1990 ne les plongent dans des situations d'endettement inextricables (Halperin J., 1992). Pour faire face à cette situation nouvelle, beaucoup ont dû modifier leurs habitudes de consommation : ils ont vendu leur automobile, ont réduit toutes leurs dépenses, aussi bien alimentaires que vestimentaires, ont remplacé des produits de consommation de qualité par des produits moyen-de-gamme ou bas-de-gamme, ont amplifié leurs achats dans les hypermarchés en achetant en grosses quantités et à meilleur prix, ont fait plus attention au coût des produits qu'auparavant, ont comparé plus facilement (Halperin J., op. cit., Karol J., 1992). Essayant néanmoins de maintenir un certain standing et dans la crainte d'une mobilité sociale descendante, la classe moyenne continue à consommer, mais différemment, souvent à crédit. Les dépenses dans le secteur de l'habillement sont parmi celles qui se sont le mieux maintenues. L'habillement a trait en effet à l'apparence extérieure et constitue un fait beaucoup plus social que ne l'est l'alimentation, différenciant clairement

34 Cette enquête trimestrielle de l'INDEC a été réalisée auprès de 268 établissements de plus de dix employés de la capitale, à partir de janvier 1989 (base 100, en janvier 1989), mais a été interrompue au bout de quelques années.

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les familles pauvres des familles de la classe moyenne. La segmentation sociale de l'appareil commercial et l'expansion de chaînes de prêt-à-porter moyen-de-gamme, déjà mentionnés, sont les fruits de la plus grande hétérogénéité sociale, et ont ouvert le champ de l'offre pour les classes moyennes.

Le mythe argentin de la classe moyenne a été littéralement pulvérisé par la crise

économique et par la politique néo-libérale des années 80. Il avait eu comme effet de masquer l'hétérogénéité de la classe moyenne. La pauvreté, quant à elle, n'a pas cessé d'exister. C'est le contexte économique qui a évolué. L'évolution sociale induit donc une reconsidération des critères de richesse et de pauvreté que les périodes de forte croissance économique et de plein emploi d'après-guerre avaient fait oublier en Argentine, comme ailleurs, sous le modèle d'accumulation justicialiste (1945-55), puis, à un moindre degré, sous le modèle développementaliste (1955-72). Les situations de richesse et de pauvreté sont surtout "nouvelles" parce qu'elles soulignent une inversion de la tendance ascendante des années mythiques de l'histoire argentine et la fin du rêve de la classe moyenne. Leurs limites en sont plus floues. La société est plus stratifiée, mais elle est aussi plus dualiste, et l'écart se creuse entre la classe supérieure et la couche supérieure de la classe moyenne d'un côté, et le reste de l'autre, comme le montrent les travaux sur l'évolution du revenu réalisés à partir des EPH et les enquêtes de l'AAM. Dans ce dernier cas, la principale ligne de démarcation s'établit entre la catégorie ABC1 et les catégories C2/C3, D1, D2 et E.

Avec la paupérisation de la classe moyenne, c'est toute une partie de ses acquis sociaux

et mais aussi de ses pratiques symboliques profondément inscrites dans les mentalités, qui est atteinte. La crise hyperinflationniste de 1989 a créé un véritable choc psychologique chez les classes moyennes35, précipitant du jour au lendemain des familles entières dans la pauvreté et détruisant les dernières illusions de la classe moyenne. Or, en touchant à ses symboles, on remet en cause son identité et sa cohésion, d'autant plus qu'elle se définissait surtout par un mode de vie et des pratiques particulières. La privatisation croissante de l'espace public restreint encore les possibilités d'accès d'une partie de la classe moyenne aux loisirs d'hier (les clubs sportifs, par exemple). La ville ne constitue plus un lieu de production sociale de la classe moyenne, et elle est de moins en moins le lieu de sa reproduction. Une partie de la classe moyenne traditionnelle a été contrainte de déménager vers la zone périurbaine, et la dégradation des lieux traditionnels de la sociabilité, notamment de la qualité des lieux publics que sont les jardins, les parcs, etc., a entraîné un déclin de leur fréquentation qu'il faudrait néanmoins mesurer avec plus de précision. Dans l'idéal modernisateur argentin, la ville était

35 Beaucoup plus finalement, même si cela peut apparaître choquant, que la dictature militaire qui a pourtant fait 30 000 morts et disparus. Rappelons que la classe moyenne se construit essentiellement sur des possibilités d'ascension sociale et sur des critères économiques.

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un lieu d'intégration, et la forme urbaine quadrillée avait joué un rôle important dans ces processus. Avec l'extension spatiale de la mégalopole, l'accroissement de la distance entre le centre et les marges urbaines et l'augmentation du trafic, la trame urbaine devient excluante. Les représentations négatives de la ville affectent d'autant plus la classe moyenne qui se voit au même moment atteinte dans son identité et dans sa cohésion sociales. Elle conserve l'image nostalgique de la ville des années 30 à 50, quand on allait au cinéma le samedi soir sur l'avenue Corrientes, noire de monde, quand la rue n'avait pas été encore dévorée par l'automobile, quand on pouvait se baigner dans le rio de la Plata, quand le zoo et le jardin Botanique n'avaient pas encore été privatisés, quand les Bois de Palermo étaient encore entretenus et que la Costanera n'était pas encore devenue un dépotoir... Le dispositif des shopping centers possède une efficacité d'autant plus redoutable sur les classes moyennes. Le discours fonctionne à plein, et les shopping centers peuvent alors devenir les réceptacles des pratiques sociales de la classe moyenne, en quête de nouveaux lieux de reproduction.

2. Des fréquentations aux stratégies socio-spatiales des shopping centers

Dans le discours publicitaire, les représentations dominantes des centres commerciaux

se construisent à partir des images des shopping centers centraux, qui ne constituent pourtant qu'une facette de la réalité. Les représentations collectives des shopping centers les associent ainsi à la concentration de la consommation et aux modes de vie des couches sociales supérieures, comme le montrent certaines enquêtes réalisées mais aussi des articles de recherche (Gormsen E., Klein-Glüpke R., 1991 ; Gorelik A., 1990a), il est vrai déjà un peu anciens. Dans l'enquête Mercados y tendencias réalisée en 1989, alors que seulement cinq shopping centers avaient été inaugurés, 85% des personnes interrogées estimaient que ces lieux de consommation s'adressent à des ménages disposant d'un pouvoir d'achat élevé. La même enquête dans l'agglomération de Buenos Aires donnerait vraisemblablement aujourd'hui des résultats différents, mais il est difficile de dire si les représentations collectives ont évolué. En revanche, on peut essayer de voir si le shopping center est entré ou non dans les mœurs et dans les pratiques argentines. Face à une offre commerciale différenciée, comment réagissent les usagers ? Quelle est l'influence des représentations sur les comportements de la clientèle ? Quelles formes de sociabilités créent les shopping centers ?

Les shopping centers étant associés dans les représentations d'une part à la

consommation de la classe moyenne, d'autre part à la concentration de la consommation et aux couches supérieures de la classe moyenne ("nouveaux riches", etc.), nous nous pencherons sur les fréquentations et sur les stratégies socio-spatiales de la classe moyenne dans toute son hétérogénéité.

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2.1. L'appropriation de l'espace commercial par les usagers

2.1.1. La fréquentation : déplacements et pratiques de proximité a) Un engouement réel Les chiffres de fréquentation des shopping centers parlent d'eux-mêmes. Les centres

commerciaux ont connu en Argentine un très vif succès auprès de la population, et les densités de public atteintes sont très élevées. Elles s'échelonnent entre 200 et 950 visiteurs / an / m² GLA et s'élèvent en moyenne à environ 500 visiteurs / an / m² GLA36 (voir tableau n° C dans l'annexe n° 3), soit beaucoup plus que la fréquentation des centres commerciaux dans d'autres pays : à titre de comparaison, quelques chiffres indicatifs, donnent 113 à 142 visiteurs / an / m² GLA pour West Edmonton Mall en 1988, complexe canadien géant de loisir et d'achat, 190 à 238 clients / an / m² GLA pour les Quatre-Temps à la Défense en 1989, soit l'équivalent de Liniers, Soleil ou Paseo Alcorta. (Koehl J.L., 1990). Alto Palermo atteint des records avec 947 visiteurs / an / m².

Près de la moitié de la fréquentation se concentre en fin de semaine, parfois même plus

de la moitié, en fonction de la localisation urbaine ou périurbaine du shopping center. À Soleil, situé dans la banlieue, 65% de celle-ci se fait le week-end. Elle est plus étalée à Alto Palermo, avec 35,4% le week-end (18,8% le samedi, soit 41 000 personnes, et 16,52% le dimanche, soit environ 36 000 personnes). Cette répartition plus équilibrée n'exclut pas les bousculades du dimanche après-midi : il faut parfois faire la queue une demi-heure pour pouvoir acheter une glace, et on remonte les allées de Alto Palermo à petits pas. Certains dimanches, l'affluence était telle que l'administration a dû prendre la décision d'en fermer les portes, la capacité maximale de fréquentation ayant été dépassée. L'ouverture d'Alto Palermo la veille de Noël a entraîné des émeutes, tant les gens se pressaient pour y entrer. La fréquentation des Galerías Pacífico, délaissées en fin de semaine par sa clientèle d'employés de bureaux de la semaine en faveur d'une clientèle plus locale et de visiteurs extérieurs, est surtout concentrée sur la semaine. Cependant, il arrive aussi que le dimanche, elles soit pleines, alors que la rue Florida est déserte. Environ 600 000 personnes, d'après les chiffres fournis par les administrations des shopping centers et nos propres évaluations vont dans un centre commercial en fin de semaine, mais ce chiffre ne tient pas compte de la fréquentation

36 La fréquentation est très fluctuante entre les périodes hivernales et estivales, durant les périodes de fête, notamment à Noël, où la fréquentation atteint son maximum. L'ouverture d'Alto Palermo un 23 décembre pendant toute la nuit a conduit à une émeute en 1993.

370

des shopping centers inaugurés après 1992, ni de la Plaza dont les salles accueillent 600 000 personnes par mois, selon les chiffres fournis par le promoteur.

b) Un équipement de proximité Si une partie des usages de fin de semaine s'est reportée du centre-ville sur les shopping

centers, comme le montrent les exemples d'Alto Palermo et des Galerías Pacífico, la fréquentation est sensible au facteur proximité, surtout pour les shopping centers implantés dans des quartiers résidentiels denses ou assez denses. Alto Palermo, en particulier, a complètement modifié l'image de la zone environnante, et on a vu qu'il est devenu le pôle principal d'un quartier qui n'avait plus de véritable identité, allant même jusqu'à lui donner son nom. Le shopping center constitue à la fois un élément de centralité urbaine et un équipement de quartier comme pôle d'animation et lieu de la pratique sociale dans le quartier. Les commerces et les services de proximité représentent néanmoins une faible part de l'offre commerciale, avec en moyenne 2,5%37. Les supermarchés et les hypermarchés jouent en revanche souvent, comme on le verra plus loin, le rôle d'équipements de proximité.

Les modes d'accès au shopping centers reflètent leur rôle dans les relations de

proximité. En ville, on va souvent à pied au shopping : l'accès à Alto Palermo se fait préférentiellement à pied (30% de l'accès en 1990, source MCBA ; 43% en 1992, source MB). Une grande partie de la clientèle régulière réside en effet dans l'aire d'influence primaire du centre commercial (soit dans un rayon de 15 mn à pied). La fréquence de la pratique peut être très élevée dans les quartiers centraux et péricentraux : 41% des personnes interrogées vont au shopping une fois par semaine et 38,4% plusieurs fois par mois (PaC). Le Patio Bullrich, surtout, fonctionne comme un équipement de quartier et de proximité, en tant que lieu de sociabilité : 27% des personnes interrogées y vont plusieurs fois par semaine et 27% une fois par semaine (5P). La proximité entre le lieu de résidence et le shopping center est l'une des principales motivations de fidélisation (PaC et 5P). À Alto Palermo, l'accès en transport en commun (29,5% selon MCBA en 1990 et 32% selon MB en 1992), en voiture (24,4% selon MCBA mais seulement 14% selon MB, auxquels s'ajoutent 12% en taxi et en moto) n'est cependant pas négligeable. La moitié de la clientèle de Paseo Alcorta, plus excentré qu'Alto Palermo et moins bien desservi par les transports en commun, arrive en voiture. Les autres viennent en taxi, en bus ou encore à pied (source : administration du shopping center).

37 Les commerces et services de proximité comprennent les services de location vidéo, les banques, les postes, les laveries, les magasins de photocopies, les laboratoires photographiques, les coiffeurs et les pharmacies.

371

Le shopping center est donc à la fois un équipement central et un équipement de proximité. Dans quelle mesure les shopping centers se substituent-ils aux petits commerces de quartier dans leur fonction de mise en contact et d'interaction sociale ?

2.1.2. Les clientèles spécifiques Certains groupes de population fréquentent les shopping centers avec plus d'assiduité

que d'autres, et ils se démarquent avec netteté, soit par leur importance numérique (comme le montrent les enquêtes de marché), soit par leurs comportements spécifiques, dans certains cas, distinctifs.

a) Les jeunes Les shopping centers ont eu un succès immédiat auprès des jeunes. Ils constituent des

lieux "branchés" et à la mode. Quant aux parents, ils finissent par avouer préférer voir leurs enfants s'amuser dans un centre commercial que traîner dans la rue, perçue comme non fonctionnelle et comme dangereuse...

28% de la clientèle interrogée à Paseo Alcorta a entre 15 et 19 ans, et 34% entre 20 et 29 ans : au total, 62% de la clientèle de Paseo Alcorta a moins de 30 ans, tandis que 26% de la clientèle de Alto Palermo a entre 13 et 19 ans (5P). Ces chiffres surévaluent néanmoins la part des jeunes, car l'enquête de la revue Quinto Poder a été réalisée pendant une période de vacances scolaires. Mais ils montrent que les centres commerciaux sont des lieux de rencontre et de loisir adulés des jeunes. L'âge de la clientèle du Patio Bullrich est globalement plus élevé : à l'inverse, pendant la même période, 69% des enquêtés du Patio Bullrich avaient plus de 30 ans (5P). Les jeunes fréquentent les centres commerciaux aussi bien en semaine qu'en fin de semaine. 94% des 15-19 ans viennent avec leurs amis (5P).

Dans tous les shopping centers que nous avons pu visiter, que ce soit en banlieue

(Unicenter, Lomas Mall, Sur, etc.) ou dans les quartiers péricentraux (surtout à Barrio Norte : Alto Palermo et Paseo Alcorta), les adolescents étaient nombreux, surtout en semaine. On croise fréquemment des bandes de garçons ou de filles en uniforme. Leur présence se remarque encore plus en semaine, où les chiffres de fréquentation sont plus bas et où ils représentent proportionnellement une part plus importante de la clientèle. Ils n'ont d'ailleurs pas tout à fait les mêmes pratiques en fonction de leur âge : les plus jeunes (12-15 ans) qui se déplacent en groupes, sillonnent en tous sens les édifices, grimpant sur les escaliers mécaniques, empruntant les ascenseurs panoramiques, tapotant sur les bornes interactives d'information. Ils ont leurs codes bien établis et viennent souvent à la sortie de l'école ou du lycée, fréquentant les shoppings les plus proches de chez eux. Leur indiscipline oblige parfois

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les vigiles à intervenir pour les rappeler à l'ordre. Ils consomment très peu. Les shopping centers sont devenus des lieux de rencontre habituels de la tranche 15-19 ans. Les jeunes se donnent rendez-vous à Alto Palermo, avant de sortir le vendredi et le samedi soir dans les discothèques de la zone, après avoir rapidement avalé une part de pizza ou quelques empanadas38 sur le pouce.

Les jeunes se sont d'ailleurs rapidement approprié les espaces ouverts des shopping

centers, même si les bancs sont rares. Les deux placettes qui sont situées à l'entrée d'Alto Palermo sur les avenues Santa Fe et Coronel Diaz sont constamment envahies de jeunes gens, qui s'assoient sur les rebords de la fontaine de la placette de l'avenue Coronel Diaz (photos n° 41 et 42). La fontaine, élément assez formel, qu'on a déjà mentionnée, sert sans doute à justifier le nom de place, mais aussi à cristalliser l'appropriation de l'espace par les usagers. Ele a bien joué ce rôle.

Devant l'afflux des jeunes, nombreux sont les centres commerciaux qui ont réorienté

leur composition commerciale et y ont introduit des équipements et des commerces destinés aux jeunes. Leur appropriation par des groupes de population spécifiques, réservoir de clientèle potentielle, s'est révélé être un atout commercialement exploitable pour les administrations. Groupe peut-être parasitaire, petits consommateurs, ils sont aussi de futurs consommateurs à part entière qu'il s'agit de fidéliser.

Une grande partie des locaux, comme on l'a vu, vise le jeune public, que ce soit à

travers les loisirs qui leur sont proposés ou à travers l'offre à proprement parler commerciale (prêt-à-porter jeune, "jeanneries", gadgets, magasins de jouets, disquaires). Les locaux de la chaîne argentine de disquaires "Musimundo" qui a l'exclusivité de la vente dans les shopping centers attirent une clientèle jeune. C'est la seule enseigne que l'on retrouve systématiquement dans tous les shopping centers. Les enfants constituent un bon moyen pour attirer les parents. Le shopping Sur est le cas typique d'une reconversion et d'une spécialisation dans une classe d'âge : après un envol réussi lié à son rôle de pionnier, il a dû se spécialiser dans la formule "parc de jeux pour enfants" qui l'a relancé et qui constitue sa locomotive, à côté des jeanneries et des locaux spécialisés dans le prêt-à-porter féminin à prix soldés. Quant au shopping center Soleil, après l'échec de sa patinoire qui n'était plus à la mode, il a remplacé son parc de jeux pour enfants par une salle de jeux video. D'autres centres commerciaux ne souhaitent pas, en revanche, attirer cette clientèle qu'ils jugent "indésidérable" et "parasitaire". La composition commerciale est aussi, a contrario, l'instrument qui permet de réguler et de contrôler l'accès au shopping center. Dans les premiers temps suivant l'inauguration d'Alto Palermo, son

38 Spécialité culinaire argentine : sorte de petit chausson fourré à la viande.

373

administration avait même envisagé d'interdire l'accès aux scolaires pendant la semaine. Unicenter, quant à lui, ne souhaite pas attirer ce type de clientèle et préfère garder un profil plus familial : il a rejeté l'installation de salles de jeux vidéo. Le Patio Bullrich qui cherche à imposer une image de marque et d'exclusivité ne dispose pas non plus d'équipements destinés aux jeunes.

b) Les touristes Les touristes forment aussi une catégorie à part de visiteurs. Débarquant pendant les

périodes de vacances scolaires et pendant l'été, les touristes nationaux, un peu perdus dans le flot continu de visiteurs, restent les yeux écarquillés devant tant de luxe et de modernité. Ils visitent essentiellement les centres commerciaux-"événements" du centre-ville (les Galerías Pacífico) et des quartiers nord (Alto Palermo, Paseo Alcorta, ou même le Patio Bullrich, et, depuis 1994, Plaza del Pilar). Alto Palermo est sans doute leur préféré39. Les Galerías Pacífico qui apparaissent sur les cartes postales sont aussi renommées. On a vu que la presse de l'Intérieur retranscrivait l'atmosphère irréelle des shopping centers de la capitale, et le discours médiatique a de l'effet sur les gens qui viennent des provinces. Les touristes prennent des photos, jouent les néophytes et les étonnés : telle famille de Rosario, perdue dans le flot de visiteurs de Paseo Alcorta, demandait son chemin, en insistant bien sur sa différence et son origine géographique. "Nous, vous savez, on est de Rosario, alors...".

La clientèle étrangère de touristes ou d'hommes d'affaires séjournant dans les nombreux

hôtels cinq étoiles du quartier de la Recoleta et de Barrio Norte, limitent leurs explorations au Patio Bullrich et aux Galerías Pacífico, qui constituent des attractions touristiques pour leur architecture et leur histoire, mais ils n'y effectuent aucune dépense importante. Les marques vendues sont en effet les mêmes que celles qu'ils trouvent dans leur pays, mais à un prix plus élevé, en raison des taux de change.

c) Les familles du dimanche Le dimanche est le jour des familles, et leur visite s'organise selon de véritables rituels

qui se répètent presque inlassablement, comme l'a montré le cheminement identique des quelques familles que nous avons suivies dans leur parcours à Alto Palermo et à Paseo

39 La part des touristes sur les personnes interrogées pendant la période de vacances d'hiver, était beaucoup plus importante à Alto Palermo (17%) qu'au Patio Bullrich (6%) ou à Paseo Alcorta (3%).

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Alcorta. La sortie au shopping est en effet devenue une variante de la traditionnelle sortie dominicale au parc.

Ce jour-là, l'affluence est telle que les flots de voitures qui entrent et sortent, provoquent des embouteillages aux abords des principaux shopping centers de la ville, comme à Alto Palermo et Paseo Alcorta. On y croise des ménages plutôt jeunes avec des enfants, mais aussi des couples plus âgés. La visite au shopping peut être l'objet d'une véritable expédition en voiture, en transport en commun ou à pied. La famille y reste enfermée une grande partie de l'après-midi, chacun y trouvant son compte. Pendant que les enfants jouent, les parents font du lèche-vitrine, et remontent progressivement et assez méthodiquement les allées du shopping center, du bas vers le haut. La famille flâne, entre dans un magasin, demande les prix, madame essaie éventuellement une robe, et finalement, le couple ressort sans avoir rien acheté. Les vendeurs se plaignent d'ailleurs des mauvaises ventes du week-end et du remue-ménage intempestif. Ainsi, une vendeuse de Paseo Alcorta, interrogée, souligne :

"le samedi, ça ne va pas trop mal, mais le dimanche est

fatal : des millions de personnes dont on n'a pas la

moindre idée d'où ils viennent, qui chamboulent tout le

magasin, touchent à tout et n'achètent rien".

Un autre vendeur de Patio Bullrich, pourtant plus sélect, reprend : "les week-ends sont un mélange de malchance et de

chance. D'un côté, on trouve des gens qui viennent

parce qu'ils savent que seuls les shopping centers sont

ouverts le dimanche, mais d'un autre côté, le public de

fin de semaine n'est pas celui qui achète le plus".

La journée a ses rythmes, ses parcours, ses pauses. Puis toute la famille se retrouve au

dernier étage au patio de comidas ou au Mac Donald pour prendre un café, une glace ou un hamburger. En fin de journée, alors que la nuit tombe, on rentre chez soi, fourbu d'avoir tant marché, les mains vides, le plus souvent, mais content de sa promenade.

Ce sont les jeunes et les familles qui affluent en fin de semaine, qui se sont le plus

approprié l'espace des shopping centers. Si, au départ, les administrations de certains d'entre eux ont été dépassées par le succès auprès de ces catégories de population, auquel elles n'étaient visiblement pas préparées, elles ont su habilement profiter de l'aubaine et réorienter le tenant mix. Les modes d'appropriation des lieux par les différentes catégories d'usagers ont fait évoluer le contenu des shopping centers.

375

2.1.3. Usages ludiques et pratiques sociales dans les shopping centers a) Résultat des principales enquêtes de marché : la promenade comme usage principal Les principales tendances des enquêtes de marché confirment ce que montre

l'observation participante. Le shopping est principalement un lieu de promenade et secondairement un lieu d'achat. L'achat intentionnel vient toujours en seconde place dans les réponses. Les shopping centers ont plus une fonction ludique qu'une fonction utilitaire. Pratiques d'achat et pratiques ludiques sont d'ailleurs difficilement séparables dans le concept de l'achat-plaisir, et les motivations "hédonistes" se mêlent aux motivations plus utilitaristes.

Les résultats synthétisés des enquêtes vont en effet tous dans le même sens. Parmi les

motivations premières et apparentes de la fréquentation des centres commerciaux, c'est la promenade qui devance toutes les autres :

• Selon les résultats de l'enquête MyT (1989), 63% de ceux qui ont déjà fréquenté un shopping center y ont au moins réalisé un achat, surtout dans les branches de la restauration et des loisirs. 42% s'y sont restaurés et 26% ont testé les jeux pour enfants.

• Selon l'enquête PaC, 54,7% des gens vont au shopping pour se promener ou acheter

"quelque chose", sans but précis, tandis que les autres y vont dans l'objectif d'y effectuer un achat tout en se promenant. Le shopping center est directement associé à l'achat-plaisir et beaucoup moins souvent à l'achat utilitaire. 86% des gens vont à Alto Palermo principalement pour se promener. Un autre chiffre fourni par Clarín (08/06/93) parle d'une proportion de 30% de promeneurs-acheteurs et de 70% de promeneurs-visiteurs.

• Ces résultats corroborent ceux de l'étude de marché (juin 1992) : 60% des personnes

interrogées considèrent les centres commerciaux comme des lieux idéaux pour se promener, pour 42%, la sortie au shopping a une fonction anxyolitique (estimularse), 32% pour se restaurer et 29% pour être à la mode.

• Enfin, d'après les résultats de l'enquête 5P, la principale motivation de la fréquentation

des centres commerciaux est la promenade : à Alto Palermo, 84% des répondants évoquent cet objectif, et respectivement 62% et 71% à Paseo Alcorta et au Patio Bullrich. La restauration est une motivation non négligeable : 47% pour le Patio Bullrich, 26% pour Alto Palermo et 31% pour Paseo Alcorta. L'achat intentionnel est évoqué de façon inégale : 52%

376

au Patio Bullrich, 62% au Paseo Alcorta, contre seulement 31% à Alto Palermo où la part des promeneurs est particulièrement élevée et où prédominent les pratiques ludiques.

b) Le shopping center, lieu d'interaction sociale Le shopping center est tout autant un lieu de divertissement qu'un lieu de sociabilité et

d'échange social. Il est associé aux mêmes usages que les autres lieux publics, que ceux-ci relèvent du droit public comme les parcs et les jardins, ou du droit privé, comme les cafés (photos n° 43, 44 et 45). C'est avant tout un lieu de promenade, de détente, de rencontre. Les jeunes s'y donnent rendez-vous. On vient prendre un café avec ses collègues ou son conjoint, faire un petit tour, un quelconque achat, avant de rentrer chez soi : 16% des personnes interogées à Alto Palermo disent venir parfois de leur lieu de travail (MB). Le créneau horaire de majeure fréquentation en semaine dans ce shopping est le 18h-19h qui concentre 21,20% de la fréquentation quotidienne, tandis que, de façon plus élargie, 79% de celle-ci se réalise dans la tranche horaire 15-21 qui ne représente pourtant que 43% de la période d'ouverture (MB). L'heure du déjeuner est aussi un horaire de forte fréquentation, notamment pour les Galerías Pacífico situées en plein centre-ville. Les employés de bureau en profitent pour avaler rapidement un sandwich ou une salade et pour se détendre en faisant un peu de lèche-vitrines. Situé un peu plus à l'écart du centre-ville, le Patio Bullrich remplit cette même fonction pour les hommes d'affaires plus fortunés. Entre une salade et un petit tour du Patio, ils achètent parfois un costume chez Yves Saint Laurent.

Si, en ce semaine, ce sont surtout les mères de famille, les personnes âgées, les actifs et

les jeunes qui vont au shopping, et si la fréquentation est alors plus solitaire, le week-end, c'est en famille, en couple ou entre amis qu'on va au shopping : à Alto Palermo, 47% des personnes interrogées viennent en famille ou avec leurs enfants, et 50% et 63% des personnes interviewées respectivement au Patio Bullrich et à Paseo Alcorta disent venir avec des amis (5P).

c) Les pratiques d'achat Les shopping centers présentent l'ensemble des avantages déjà énumérés, liés au rôle

qu'ils peuvent jouer dans la modernisation de la distribution. Leurs horaires d'ouverture, la présence de marques qui contribuent à forger l'image de chacun d'entre eux, mais aussi la possibilité d'acheter en toute sécurité, constituent des atouts considérables. Enfin, le crédit est, avec la publicité, l'un des importants stimuli de la consommation des classes moyennes.

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Les pratiques d'achat et les types de consommations se différencient en fonction de la nature et du montant des achats réalisés.

• Une grande partie des achats sont dits "d'impulsion", voire "compulsifs" au sens psychologique du terme, quand l'achat a une fonction anxyolitique. On a vu que l'enquête (juin 1992) montrait que 42% des personnes interrogées fréquentaient les shopping centers pour cette raison. Ces achats sont le plus souvent d'un montant faible. La part importante dans le tenant mix des stands et des locaux vendant en général des gadgets ou des petits objets s'explique ainsi. À Alto Palermo ou à Unicenter, les stands encombrent les allées : on y vend des friandises, des parfums et autres produits de toilette, mais aussi des autos en plusieurs versements. Ils sont en revanche en nombre limité dans un shopping center aussi huppé que Patio Bullrich.

• Les achats d'un montant plus élevé sont en général réfléchis et intentionnels. Dans

l'enquête 5P, ils apparaissent plus souvent comme motivation de fréquentation des shopping centers de plus haut standing comme Paseo Alcorta et Patio Bullrich, qu'à Alto Palermo, plus tourné vers les classes moyennes. Ils concernent essentiellement la branche de l'équipement de la personne, mais aussi secondairement celle de l'équipement de la maison qui représente en moyenne 6% de l'offre totale et la branche loisir-culture qui en absorbe 13,7% en moyenne (services à caractère commercial exclus). L'équipement de la personne, qui représente de 55% à plus de 80% de l'offre en commerces (services à caractère commercial exclus) et en moyenne 55% de l'offre totale (en dehors de La Plaza, en raison de sa spécialisation culturelle), est de loin la branche la mieux représentée.

• La présence de grandes surfaces alimentaires compense l'absence de commerces

alimentaires, hormis quelques traiteurs dans les shopping centers de plus haut standing comme Patio Bullrich et Paseo Alcorta, ceux-ci ne fonctionnant d'ailleurs pas très bien. Il faut cependant en général dissocier la fonction utilitaire de l'hypermarché de celle, plus ludique des centres commerciaux, et les pratiques auxquelles ils donnent lieu. 36% des personnes interrogées dans l'enquête PaC disent fréquenter un shopping pour sa grande surface (hypermarché ou supermarché). Les achats qui y sont effectués peuvent être très fragmentés : dans certains quartiers mal équipés et éloignés de centres d'achat, comme par exemple les environs de Soleil et de Paseo Alcorta, l'hypermarché joue en effet le rôle de commerce de proximité. Dans le quartier de classe moyenne de Balvanera, mal desservi par des grandes surfaces et des libres-services, le supermarché, situé au cœur de Spinetto, est véritablement un équipement de quartier. Le fonctionnement de la grande surface alimentaire est complètement autonome, et beaucoup de gens fréquentent Spinetto uniquement en raison de son supermarché.

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Il est malheureusement impossible, en l'absence de toutes données sur la répartition des

ventes en fonction des branches commerciales et des types de commerces, de décrire avec précision la part des différents types d'achats. Seul le nombre des stands et des commerces de cadeaux, des parfumeries, des produits de beauté, et autres petits objets, dans l'offre commerciale est un indicateur de l'importance des achats impulsifs et d'un montant peu élevé. Or, il est plus grand dans les centres commerciaux de classe moyenne qui attirent de nombreux promeneurs, et plus faible dans les centres commerciaux de standing élevé.

2.1.4. Les shopping centers comme lieux publics : usages permis et usages interdits Le shopping center combine des fonctions de pôle d'animation du quartier, surtout en ce

qui concerne les centres commerciaux de la ville-centre, et de pôle d'attraction et de centre de loisir pour les populations qui résident plus loin. La diversité des usages de l'espace marchand reflète la diversité de ses fonctions : fonctions d'échange social, fonction de passage dans certains cas, fonctions ludiques, fonctions commerciales. Il est tout à la fois lieu public, centre d'achat, centre culturel et de loisir, passage-rue. Le discours des promoteurs commerciaux a donc été efficace : les représentations dominantes ont influencé la pratique sociale. Les usages qui étaient associés aux lieux publics et à l'espace public, des rues commerçantes, des places, des parcs et des jardins publics. Une partie des usages publics se sont reportés vers l'intérieur des shopping centers.

Ceux-ci sont donc loin d'être les "non-lieux" de M. Augé (1992), même si le sens de

l'interaction sociale a changé. En tout cas, ils ne sont pas seulement le lieu de pratiques solitaires. Si les descriptions de M. Augé sont valables pour les grandes surfaces commerciales ou pour les galeries souterraines montréalaises, vouées en partie à des pratiques plus utilitaristes, au passage ou à l'achat, cela est beaucoup moins vrai dans le cas des shopping centers. Ils ont rapidement rencontré un succès public comme lieux de promenade. Des non-lieux peuvent très bien surgir des lieux, résultat de la dialectique entre le produit et son appropriation par les usagers. L'usage ludique prédominant des shopping centers reflète le rôle important de l'architecture et de la décoration postmodernes, de l'ambiance, ainsi que les fonctions qui ont été assignées à l'espace. Le shopping center reflète cependant une évolution de la conception et des usages des lieux publics. À la différence de certaines places ou des jardins publics, mais de la même façon que les rues commerçantes du centre-ville, l'espace des shopping centers est dynamique (les escaliers mécaniques, etc.), et les pratiques qui leur sont liées se caractérisent par le mouvement. On a vu que les principaux lieux de repos étaient

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les food courts et que les bancs étaient en nombre très limité. Le mall est un espace de déambulation.

En outre, si certains usages publics, délimités dans le discours sur les shopping centers,

sont admis, parce qu'ils correspondent aux normes d'utilisation d'un espace destiné à l'achat-promenade, d'autres, en revanche, ne le sont pas.

Dans n'importe quel lieu public, régi par des normes sociales, tous les comportements,

en particulier les comportements privés et ceux qui ne correspondent pas à l'image que l'on veut montrer d'un lieu ou de l'autorité publique, ne sont pas non plus autorisés. Ces normes diffèrent en fonction du sens du lieu et de la culture locale. L'ivresse, par exemple, est un comportement exclu des lieux publics à certains endroits, alors qu'il ne l'est pas nécessairement dans d'autres pays. Les usages autorisés varient aussi dans le temps. Par exemple, il est amusant de constater, qu'en période électorale, des gardiens chassent les gens des pelouses râpées de la place de Mai, lieu du pouvoir par excellence, alors que, pendant tout le reste de l'année, les employés de bureau viennent s'y étendre pour prendre le soleil et avaler un sandwich à l'heure du déjeuner, sans être jamais dérangés.

Les usages publics permis dans les shopping centers sont beaucoup plus restreints que

ceux qui sont permis dans l'espace public, et l'espace architectural, comme on l'a vu, incite à certains usages plutôt qu'à d'autres. A priori, par exemple, on ne peut pas y manifester. Cependant, B. Frieden et L. Sagalyn mentionnent un cas de jurisprudence à la fin des années 60 aux États-Unis, où des personnes qui avaient manifesté contre la guerre du Viêt-nam dans un centre commercial s'étaient vu confirmer leur droit (Frieden B., Sagalyn L., 1991). Tout dépend du sens local donné aux lieux publics. En Argentine, les seuls usages admis, imposés par les promoteurs commerciaux, sont indissolublement à la consommation des ménages. Le contrôle social, en particulier, se fonde sur des critères sociaux d'admission, et plus encore sur l'apparence vestimentaire, à travers une surveillance exercée aux portes du shopping center et à l'intérieur de celui-ci. N'entre pas qui veut dans un shopping center, et nous avons vu, dans un shopping center central, un mendiant se faire reconduire à l'entrée du bâtiment par les vigiles, alors qu'il avait acquis son droit d'entrée en s'achetant un hamburger. De même, tous les usages n'y sont pas admis, et les comportements des individus sont encadrés par certaines normes dont décide l'administration. Si les "anciens" lieux de la pratique sociale publique étaient caractérisés par un certain degré d'immixtion des usages privés dans les usages publics (on va pique-niquer sur la Costanera Norte ; les bois de Palermo, où les couples venaient flirter, étaient surnommés Villa Cariño, etc.), les shopping centers n'admettent que des usages liés à l'exposition en public et à l'achat.

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2.2. Fréquentations et stratégies socio-spatiales des usagers En quoi l'inégale distribution spatiale et les différenciations dans le profil socio-

économique des shopping centers jouent-elles un rôle dans la différenciation des fréquentations ? Quel est le sens des usages des shopping centers et quel sens donnent-ils à l'espace ? L'espace est l'un des éléments entrant dans les stratégies sociales des individus et des groupes sociaux. Le discours publicitaire sur les shopping centers et les effets recherchés par l'espace architectural n'ont pas le même impact ni la même signification selon les groupes sociaux. L'analyse des fréquentations et des usages nécessite la réintroduction des partitions sociales. "Les classes sociales ont beau paraître se dissoudre dans la société postindustrielle et postmoderne, la différenciation sociale de l'espace, des pratiques et des stratégies sociales ne peut pas être totalement écartée" (Chevalier J. et al., 1984 : 191). L'image élitiste des shopping centers, réductrice, doit être largement corrigée par la réalité d'un certain brassage social. La classe moyenne, dans toute son hétérogénéité, constitue le gros de la clientèle des shopping centers. D'une part, les représentations dominantes, d'autre part, l'image que l'on a de soi, influencent les usages de l'espace.

Nous excluons de l'analyse les membres de l'oligarchie argentine qui a des pratiques de

loisir (polo, randonnées à cheval, fréquentation de clubs privés comme le Jockey Club, etc.) "en retrait", et ses propres filières d'approvisionnement (à l'étranger ou dans les magasins de luxe des quartiers huppés, selon les taux de change), interférant peu avec les autres sphères de consommation. Elle ne fréquente pas les shopping centers, étiquetés comme des lieux de consommation de masse, même si ses modes de consommation comme ses loisirs n'ont plus le caractère ostentatoire qu'ils avaient à la fin du siècle dernier.

2.2.1. La partition sociale et spatiale des fréquentations a) Segmentation des fréquentations et distribution spatiale des shopping centers On a vu que l'inégale distribution spatiale des shopping centers, les différenciations

dans le niveau de l'offre et dans la qualité de l'aménagement des espaces intérieurs reproduisent en partie la stratification socio-spatiale de l'agglomération de Buenos Aires (entre le centre et la périphérie, mais aussi entre les quartiers riches, les quartiers pauvres et les quartiers de classe moyenne), et que la diffusion spatio-temporelle des shopping centers

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dans l'agglomération suivait avant tout les logiques du marché. Les consommateurs ne constituent pas un groupe monolithique mais un marché segmentable. Le choix de la fréquentation d'un centre commercial plutôt qu'un autre est loin d'être le fruit de simples préférences individuelles ou d'une décision absolument rationnelle, obéissant uniquement à la logique de proximité des équipements ou de la maximisation des avantages.

Certes, la clientèle captive est très majoritairement issue de la zone de chalandise

primaire ou secondaire du shopping center. Cette corrélation est d'autant plus étroite que les centres commerciaux fonctionnent en partie selon une logique proxémique et constituent des équipements de quartier. La segmentation des fréquentations reflète donc en grande partie la ségrégation socio-spatiale affichée dans le discours dominant (celui de l'architecte J. C. López, du moins). Le profil socio-économique de la zone dans laquelle est implanté chaque ensemble commercial, conditionne fortement le niveau de son offre, son standing et son image, quand le choix de la localisation ne se fait pas en fonction de la clientèle ciblée. Plus la ségrégation socio-spatiale urbaine est forte, plus les fréquentations risquent donc de se juxtaposer dans l'espace, l'inégale distribution des shopping centers redoublant alors les inégalités sociales.

Les fréquentations sont modelées par un traitement urbanistique inégal : tous les

shopping centers ont une fonction ludique, mais aux espaces banalisés de la périphérie, s'opposent les espaces symboliques du centre. Les inégalités spatiales, la distance spatiale et sociale au(x) centre(s), accentuent l'inégalité des conditions et des positions, celle des chances d'accès aux biens et aux lieux de consommation. Les disparités dans le taux de motorisation, combinée avec les inégalités d'accessibilité aux shopping centers, malgré l'existence de lignes de bus (souvent locales en banlieue), constituent des facteurs discriminants de la fréquentation, parce que ceux de la périphérie sont principalement accessibles en voiture, et que les liaisons entre le centre et la périphérie sont de plus en plus difficiles. La coupure sociale principale dans le taux de motorisation se fait entre les couches supérieures (ABC1) et les couches intermédiaires et inférieures de la classe moyenne (C2 et C3). En effet, si 89% des ménages de la catégorie AB disposent de deux voitures particulières, 62% des ménages C1 en ont une, tandis que 60% des ménages des catégories C2 et C3, 74% de la catégorie D2 et environ 88% de la catégorie E n'en disposent pas (Diez M. A., sur l'enquête AAM, 1992).

La stratification sociale de la consommation et l'existence de modèles de consommation

différenciés reproduisent la ségrégation de l'espace urbain et se reflètent dans l'inégale part des divers types de dépenses dans le budget des ménages. Les dépenses fixes (alimentation, logement, transport et communication) absorbent la majeure partie du budget des ménages les plus pauvres (de 67,9% pour le quintile le plus pauvre, c'est-à-dire la catégorie inférieure, à

382

54,9% pour le quintile supérieur). Or, les dépenses alimentaires, en particulier, représentent 32,6% du budget dans la capitale contre 42,6% dans les 19 partidos, les dépenses dans l'équipement de la maison en aborbent 8,5% dans la ville-centre contre 7,6% dans la conurbation, et les dépenses de loisir montrent des écarts encore plus sensibles, avec 8,9% contre 6,5%.

D'autre part, les disparités dans le taux d'équipement des ménages et, plus largement,

dans les modèles de consommation, conditionnent en partie la différenciation socio-spatiale des pratiques d'achat dans les shopping centers. La ligne de démarcation principale s'établit entre les catégories ABC1 et les catégories C2/C3, c'est-à-dire entre la classe supérieure et la couche supérieure de la classe moyenne d'un côté, et les couches moyenne et inférieure de la classe moyenne. Les contrastes sont accentués en ce qui concerne le taux d'équipement en biens informationnels comme le téléphone40, les appareils électroménagers (sèche-linge, lave-linge, congélateur41), beaucoup moins que pour la télévision que quasiment tous les ménages possèdent42. Par exemple, les ménages qui ont un taux d'équipement en électro-ménager plus élevé ont plus de chances que les ménages des couches inférieures de la classe moyenne, de faire leurs achats dans les centres commerciaux axés sur l'équipement de la maison (par exemple, Plaza del Pilar). De même, ceux qui ne possèdent pas de cartes de crédit, participent plus difficilement aux modèles de consommation à grande échelle induits par les centres commerciaux : avoir une carte de crédit, c'est avoir un compte en banque et donc être solvable, surtout dans des pays où les taux d'intérêt et les taux d'inflation s'envolent du jour au lendemain. Alors que 100% des ménages de la catégorie AB possède une carte de crédit, aucun des ménages de la catégorie E n'en possède43. 74% de ceux qui déclarent faire leurs achats régulièrement à Alto Palermo possèdent une carte de crédit, et 50 à 60% des gens y règlent leurs achats avec une carte de crédit (MB).

Il est cependant trop simple d'associer un type socio-économique (ou un type d'usage) à

un type de shopping center. La réalité est beaucoup plus complexe, et il faudrait entrer beaucoup plus dans le détail des fréquentations, des pratiques d'achat et des pratiques

40 Il est cependant vrai que la connexion au réseau était, jusqu'à la privatisation de celui-ci, quasiment impossible, en raison de la longueur des délais et de l'inefficacité de l'entreprise publique de téléphone. Depuis la privatisation, le coût de la connexion ainsi que celui de l'abonnement et la tarification restent élevés, mais ceux-ci ont plutôt tendance à baisser, notamment en ce qui concerne l'abonnement. 41 Selon l'enquête réalisée par l'AAM, 70% des ménages de la catégorie AB sont propriétaires d'un congélateur, mais ce pourcentage chute déjà à 32% pour la catégorie C1, et n'est plus que de 13% pour la catégorie D1. 42 100% des ménages de la catégorie AB ont un magnétoscope, mais seulement 19% de la catégorie C3, etc. (même source). 43 100% des ménages de la catégorie AB et 76% de la catégorie C1 possèdent une carte de crédit, seulement 35% de ceux de la catégorie C2, 19% de la C3, 11% de la D1, 4% de la catégorie D2 et 0% de la catégorie E en possèdent une (même source).

383

urbaines, et dans une analyse beaucoup plus précise des variables qui déterminent les goûts et les pratiques sociales des groupes, en fonction du champ de la pratique, si l'on disposait d'enquêtes plus fines. Les caractéristiques du lieu de résidence influencent et modifient les pratiques des différents groupes sociaux (Pinçon-Charlot M., dans Pinçon-Charlot M. et al., 1986), et d'autres clivages que les clivages sociaux existent, comme l'ont souligné les études sur les socio-styles en France (âge, sexe, goûts, mentalités, etc.). Ce n'est pas ici notre objectif.

b) Les fréquentations séparées des ménages de la couche supérieure de la classe

moyenne Les enquêtes de marketing renseignent sur le profil de la clientèle de chaque shopping

center. Selon les diverses enquêtes réalisées auprès de la clientèle d'Alto Palermo (MB et autres), entre 50% et 70% des usagers du shopping center appartiennent au segment socio-économique ABC1 et proviennent des quartiers nord de la capitale, tandis que le reste de la clientèle a un profil C2 / C3. C'est l'un des shopping centers dont la clientèle est la plus fidélisée : 33% d'entre eux fréquentent aussi Unicenter, 27% le Patio Bullrich, et environ 15% Paseo Alcorta et les Galerías Pacífico, tandis que 62% des habitués du Patio Bullrich et 83% de ceux de Paseo Alcorta vont aussi à Alto Palermo. À l'inverse, 18% des clients du Patio Bullrich vont à Unicenter et aux Galerías Pacífico, et 28% de ceux de Paseo Alcorta se déplacent à Unicenter et 18% au Patio Bullrich. 77% de l'ensemble des visiteurs d'Alto Palermo disent y revenir régulièrement (MB).

La segmentation des fréquentations des classes supérieures réfléchit leur pratique de la

ville et leur espace vécu. L'avenue Rivadavia constitue une frontière écologique que les ménages de la catégorie ABC1 ne franchissent qu'occasionnellement, leur lieu de vie se limitant le plus souvent au centre-ville, aux quartiers nord, ainsi qu'à la banlieue nord de Buenos Aires (Vicente López, San Isidro, le delta du Tigre et la zone des résidences secondaires, les luxueux country-clubs et les plus modestes quintas). Nombreuses sont les personnes que nous avons rencontrées qui, habitant à Barrio Norte ou à Belgrano, ne mettent jamais les pieds à Barracas ou à Liniers, ni même à Flores. Selon les enquêtes, les shopping centers de Liniers, Sur et Spinetto ne sont que très marginalement fréquentés par les visiteurs des centres commerciaux de Patio Bullrich et Paseo Alcorta (entre 0% et 2%). En général, les ménages plus aisés s'aventurent peu dans les outlet mall factories : seulement 1% des personnes interviewées à Patio Bullrich et à Paseo Alcorta vont à Soleil (5P), et 2,8% des

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ménages de la catégorie ABC1 interviewés disent faire leurs courses dans les "oulet mall factories", mais 24,3% dans les hypermarchés (Retondaro, 1993).

En revanche, 4% des visiteurs d'Alto Palermo dont la gamme des usagers est plus

ouverte et dont la clientèle est un peu plus mobile (visiteurs extérieurs), sont déjà allés à Liniers et 8% à Sur (5P). Une partie d'entre elle fréquente les outlet mall factories dans l'objectif d'acheter des marques à prix soldés : entre 6% (MB) et 10% (5P) des usagers de Alto Palermo disent aller aussi à Soleil. La localisation de Soleil donne les raisons de cette fréquentation : il est situé sur la route des résidences secondaires du nord de l'agglomération, et beaucoup n'hésitent pas à faire un crochet sur le chemin de l'aller ou du retour, pour y trouver à 20% ou 30% moins cher la chemise Pierre Cardin, le jean Mango ou la lingerie féminine qu'ils recherchent. En fait, l'indétermination des enquêtes ne permet pas de préciser la signification de l'existence de ce flux. On ne peut donc qu'émettre des hypothèses : la diversification des pratiques et des lieux d'achat de la clientèle d'Alto Palermo s'explique sans doute par l'éventail social plus large de la clientèle d'Alto Palermo, et l'hétérogénéité de la clientèle de Soleil est due à l'amorce d'un changement dans les habitudes de consommation des couches sociales supérieures, selon la logique de dévalorisation et de banalisation de certains produits par la consommation de masse.

c) La mobilité des couches intermédiaires et inférieures de la classe moyenne On a vu que les shopping centers régionaux attiraient une palette d'usagers étendue,

d'âge, d'appartenance sociale, de style variés, en particulier en fin de semaine. Les couches intermédiaires et inférieures de la classe moyenne, ainsi que les "nouveaux

pauvres", sont beaucoup plus mobiles que les couches supérieures. Elles fréquentent plusieurs shopping centers et hiérarchisent leurs consommations et leurs lieux d'achat, ayant recours à des consommations du circuit intermédiaire pour leurs achats en biens durables et pour leurs achats alimentaires et à des consommations du circuit supérieur pour les achats impulsifs d'un faible montant et pour les loisirs. M. Santos remarquait déjà que "la définition n'est pas rigide. En ce qui concerne la population rattachée à chacun de ces circuits, il faut noter plusieurs déviations. Toutes les couches de population peuvent consommer en dehors du circuit auquel elles appartiennent : il s'agit d'une consommation partielle ou occasionnelle des catégories sociales rattachées à l'autre circuit. La consommation des classes moyennes s'adresse couramment autant à la catégorie des classes aisées qu'à celle des classes moins favorisées" (Santos M., 1975 : 38). Leur consommation est beaucoup plus fragmentée que celle des classes supérieures, et est étroitement liée à l'évolution de la conjoncture économique : si celle-ci se dégrade, les dépenses sont réduites, les achats superflus sont supprimés et les

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produits de qualité sont remplacés par des produits de substitution ; au contraire, quand la situation s'améliore, leur consommation est relancée. Ainsi, une secrétaire, interrogée à Paseo Alcorta, dit :

"Les dépenses fixes pour l'alimentation, le loyer,

etc., absorbent la plus grosse partie de mes revenus.

J'utilise le reste pour m'acheter des vêtements ou des

articles pour ma maison, mais je n'ai jamais assez pour

pouvoir m'acheter les deux à la fois. Heureusement,

nous les femmes, nous ne dépensons pas trop en sorties

; ce sont les hommes qui paient. Mais non, cela ne veut

vraiment pas dire que j'épargne. Je consomme peut-être

plus qu'avant, mais seulement en gadgets et en

broutilles".

Les familles modestes font peu d'achats importants dans les shopping centers de

standing : leur pouvoir d'achat est en effet incompatible avec les prix pratiqués dans les centres commerciaux haut-de-gamme, et la différenciation des pratiques d'achat reflète les inégalités de revenus. À titre indicateur, un simple jean à Alto Palermo vaut entre 50$ et 70$, soit un quart de la pension minimale d'un retraité (200$ par mois en 1992) ; un costume coûte en moyenne 500$, soit un tiers à un quart des revenus mensuels d'un ménage de la catégorie moyenne-inférieure -C3- et presque autant que le total des revenus d'un ménage de la catégorie D / E ; un ensemble féminin peut aller jusqu'à 1000$44. En revanche, certains se laissent parfois tenter par les petits objets proposés par les kiosques qui ponctuent le parcours des allées.

Mais, pour les dépenses d'habillement et le cas échéant, pour les dépenses alimentaires,

ces ménages font en revanche des achats dans les shopping centers bas-de-gamme et dans les outlet mall factories, où ils peuvent trouver des produits de marque à prix soldés, plus compatibles avec leurs revenus. Dans le prêt-à-porter, les différences de prix sur un même article vont du simple au triple voire au quadruple entre des shopping centers bas-de-gamme comme Sur, Soleil, Liniers, et d'autres de plus haut standing comme Patio Bullrich, Paseo Alcorta et les Galerías Pacífico (voir tableau n° P de l'annexe n° 3 : indices comparés des prix

44 Le panier de la ménagère était évalué en octobre 1991 (EPH) à 1188 pesos. Selon l'enquête de l'AAM, les ménages de la catégorie C2/C3 disposaient de revenus moyens (principaux et complémentaires) s'élevant à 1185 $ par mois, tandis que ceux d'un ménage de la catégorie ABC1 atteignaient 6560$ en moyenne. Selon des chiffres fournis par la sociologue A. Marshall, les revenus mensuels de la couche inférieure de la classe moyenne avoisineraient les 1400 à 2000$ (C3), ceux de la couche moyenne (C2) les 2000 à 3700$, et ceux de la couche supérieure (C1) les 3700 à 11000$ (Clarín, 03/01/93).

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pour six articles dans neuf shopping centers). Les écarts de prix entre ces divers lieux d'achat sont cependant plus faibles pour les articles du type "jeannerie". Les ménages des couches intermédiaires et inférieures de la classe moyenne fréquentent également les hypermarchés des shopping centers, notamment pour l'approvisionnement en certains produits de base : nombreuses sont les familles qui, à la sortie de Soleil, font la queue pour prendre le bus, portant à bout de bras leurs sacs Carrefour pleins à craquer. Sans doute la plupart des achats continuent-ils à se faire dans les commerces traditionnels, même si l'on ne dispose d'aucune enquête concernant la répartition des approvisionnements entre les shopping centers et les lieux "traditionnels" de l'achat. Le succès de magasins comme Chemea, Louis Philippe, ou de Munro, qu'on a évoqués, montrent en tout cas, qu'en s'adaptant, ils continuent de répondre à une certaine demande. La segmentation des achats est plus forte en ce qui concerne l'ameublement et l'équipement de la maison (à l'exception de l'électroménager et de la hi-fi), en raison du moindre choix et de la spécialisation dans l'offre design des shopping centers les plus huppés (surtout Paseo Alcorta et Patio Bullrich), tandis que cette branche représente en général une faible part du tenant mix.

Comme en France à la fin des années 70 et au début des années 80, le crédit à la

consommation soutient la demande des ménages des classes moyennes, surtout depuis la relance du crédit en 1991. Les jeunes achètent par procuration avec la carte de crédit de leurs parents, et tout le monde consomme par anticipation. Paiements prélevés sans intérêt (sauf en période d'inflation galopante) à la fin du mois grâce aux cartes de crédit, cartes de crédit à la consommation des chaînes d'hypermarché et de supermarché, paiements en plusieurs versements, toutes les solutions sont bonnes pour tenter le chaland, depuis que l'inflation a été jugulée. Le crédit compense partiellement la baisse des revenus et du pouvoir d'achat des classes moyennes. Dans un pays où l'argent est très volatile et peu réel, tout se consomme à crédit, des paires de chaussettes aux voyages, en passant par les jeans ou les costumes, et quel que soit le centre commercial, les vitrines affichent la possibilité de payer en plusieurs versements.

En fin de semaine, les shopping centers sont avant tout des lieux de flânerie, de

promenade, comme le centre-ville ou les zones commerciales périphériques en France. Des familles entières, aux conditions plus modestes, viennent se promener dans les shopping centers régionaux et centraux, et franchissent les frontières de la division socio-spatiale de la ville, pour venir regarder, sans rien acheter ou en ne dépensant que quelques pesos dans la restauration. Les shopping centers périphériques, en dépit de la moindre qualité et de la plus grande pauvreté de leur aménagement spatial, ainsi que les outlet mall factories génèrent les mêmes usages ludiques que les shopping centers urbains. Alto Palermo, dont la clientèle est, comme on l'a vu, parmi les plus fidélisées, et qui vise "tous les niveaux de la classe

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moyenne", selon la gérante de marketing, attire aussi le plus grand nombre de curieux et de familles extérieures à sa zone d'influence directe : 15% de la clientèle provient des quartiers sud et ouest de la capitale, et 13% du reste de l'agglomération (MB).

Une vendeuse d'Alto Palermo relate que "beaucoup viennent se renseigner sur la façon d'acheter

une voiture. Bien sûr, surtout le dimanche. Mais

seulement la moitié est vraiment intéressée ; pour les

autres, ce ne sont que des préoccupations de personnes

qui aimeraient bien pouvoir mais qui ne peuvent pas".

Que ce soit à Paseo Alcorta, aux Galerías Pacifíco, à Unicenter ou à Alto Palermo, on

voit effectivement de nombreuses familles, qui se distinguent par leur tenue de la clientèle habituelle de la semaine. Un charpentier, venu passer l'après-midi en famille à Alto Palermo, dit:

"je ne sais pas ce qu'est la consommation, je viens

pour que les enfants jouent aux flippers et pour que ma

femme puisse faire un peu de lèche-vitrine".

Une cliente, venue elle aussi en famille à Alto Palermo, renchérit : "nous venons tous les samedis, à quatre, et nous

dépensons tout au plus 10 à 12 pesos en restauration.

Mais si les enfants le supportent, nous pouvons passer

toute l'après-midi sans dépenser un sou, à regarder les

vitrines, à écouter les gens, et à se promener".

Le week-end, surtout le dimanche, la clientèle des shopping centers régionaux centraux

est moins homogène et plus bigarrée qu'en semaine, et ils sont les lieux d'un plus grand brassage social. Celui-ci atténue la segmentation des fréquentations et les logiques de proximité sur lesquelles reposent en partie les centres commerciaux.

2.2.2. Les stratégies intégratives des usagers des shopping centers Les mêmes usages (achat, promenade) peuvent, dans certains cas, se superposer en un

même lieu, tout en étant affectés d'un sens différent en fonction de la catégorie sociale à

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laquelle le ménage appartient, et correspondre à la mise en œuvre de stratégies socio-spatiales variées : logique de la distinction pour les uns, logique de l'imitation pour les autres, toutes participent d'une mise en représentation des groupes.

Si la fréquentation des shopping centers par les couches supérieures procède d'une

logique simultanée de la distinction et de l'imitation (des modes de consommation européens et nord-américains), celles des couches intermédiaires et inférieures de la classe moyenne sont mues par les mêmes motivations inconscientes. Les consommations des nouveaux riches argentins obéissent à une logique du signe et de l'affirmation statutaire, mais aussi de l'ostentation. La cherté des biens, leur exclusivité, la renommée de la marque et le caractère de "dernier cri" des objets, surtout en ce qui concerne les biens informationnels et les biens technologiques, participent de celle-ci. Le nouveau riche argentin a tout, du téléviseur ultra-moderne avec écran-géant importé du Japon à l'agenda électronique de facture coréenne, mais aussi le téléphone portable, le dernier robot multi-usages, etc. La mise en scène de la marchandise dans les magasins est un élément essentiel de leur sélection des lieux d'achat, un produit identique n'ayant pas la même valeur symbolique, selon qu'il est acheté dans les boutiques des shopping centers les plus prestigieux, dans celles de la Recoleta ou dans les outlet mall factories (photos n° 46, 47 et 48). Les sacs des magasins sont d'ailleurs personnalisés et portent, non seulement le nom de l'enseigne, mais aussi celui du shopping center où l'achat a été effectué. Or, un shopping center de Lomas de Zamora n'a pas du tout la même image que le Patio Bullrich. L'espace architectural sert de décor et de mise en scène dans la transaction (Péron R., 1993). Les circonstances dans lesquelles on achète un objet (soldes ou non), le lieu, importent parfois presque autant que l'objet lui-même, et participent de la logique statutaire de la distinction. Le décor et l'aménagement du shopping center doivent non seulement permettre au chaland d'identifier un centre commercial de son concurrent, mais doivent aussi lui permettre de s'identifier au lieu, avant de se l'approprier. "Ainsi les espaces publics sont-ils envisagés comme dispositifs scéniques et médiatiques qu'une ville se donne d'elle même, mais aussi comme espaces de médiation entre pratiques et sous-cultures" (Plan Urbain, 1988 : 50).

Comme le souligne P. F. Large à propos des Halles (1992), le brassage social

caractérise les lieux publics et n'est pas propre aux centres commerciaux. Sa recherche sur l'histoire des pratiques et des usages des lieux de l'échange marchand montre que ceux-ci ont toujours connu un très grand mélange de populations. Il remarque aussi que, si le brassage social caractérise la fréquentation des lieux publics, les lignes de démarcation n'en sont plus les mêmes. Le forum des Halles attire à la fois une faune de marginaux assis sur les marches, de jeunes en quête de loisirs, qui fréquentent la FNAC avec assiduité, et les classes moyennes et populaires qui ont investi les lieux. À Buenos Aires, si les shopping centers apparaissent au

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départ comme les lieux d'une consommation assez exclusive, la crise sociale a introduit un brassage. Ce sont les stratégies socio-spatiales des ménages des couches intermédiaires et inférieures de la classe moyenne qui créent la mixité sociale.

L'une des conséquences pour les gérants et propriétaires des shopping centers est que

les shopping centers captent une faible part des ventes, en comparaison avec d'autres pays. L'emprise des centres commerciaux argentins, difficile à estimer, est loin d'avoir atteint celle d'autres pays européens et des États-Unis, voire celle d'autres pays latino-américains où les centres commerciaux existent depuis plus longtemps45. Pourtant, si le chiffre d'affaires global des shopping centers dépend en grande partie des achats en biens durables des ménages aisés, leur succès tient aussi à la fréquentation massive par les ménages de la classe moyenne, même si celui-ci peut aller à l'encontre des desiderata des promoteurs, puisque cette catégorie d'usagers consomme peu. L'usage des lieux échappe en partie aux exigences de l'échange économique, comme on l'a déjà remarqué. Les estimations qui concernent la répartition entre l'achat et les autres usages confirment la faible part de l'achat. Un consultant soutient que seulement 15% de ceux qui entrent dans un centre commercial font un achat, tandis que le représentant de la CASC indique que 30% des visiteurs effectuent une dépense quelle que soit le montant de celle-ci (un costume, un aspirateur, une glace ou un ticket de parking, et sans doute plus une glace qu'un aspirateur). Environ 15 000 personnes visitent chaque jour Paseo Alcorta, et les vendeurs remarquent qu'environ 20% d'entre eux procèdent à des achats, bien qu'il ne soit pas précisé de quel type d'achat il s'agit (5P).

Un trop grand brassage social comporte des risques pour les promoteurs des shopping

centers centraux. La banalisation de la fréquentation des shopping centers risquerait de faire fuire la clientèle à haut pouvoir d'achat. Faire payer les visiteurs, voilà la proposition qu'ont suggérée des journalistes dans une enquête sur les shopping centers (40 cents l'entrée, dans cette suggestion faite en 1994). Elle a tout de même remporté l'adhésion de 11 % des personnes interrogées (PaC). Une dame de Belgrano dit détester aller au shopping le dimanche,

"parce que les gens viennent y "buller", ils viennent

se promener et n'achètent rien, ce sont "ceux du

dimanche"".

45 Un spécialiste de l'IASC estime le taux d'emprise des centres commerciaux brésiliens à 10% des ventes au détail (1991), alors qu'il ne serait approximativement que de 2 à 3% en Argentine.

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L'acquittement d'un droit d'entrée permettrait un filtrage social plus efficace que la seule présence de vigiles. Il rendrait plus évident le caractère privé des shopping centers. C'est ce qu'a essayé de faire Wal-Mart, et l'entreprise s'est soldée par un échec, les Argentins rechignant à payer vingt cents l'entrée du club-entrepôt (Franco A., 1995). En se banalisant, les centres commerciaux ont d'ailleurs commencé à perdre leur caractère distinctif. Seulement 23% des personnes de la catégorie ABC1 interrogées dans le cadre de l'enquête Retondaro réalisée en 1993 disaient faire leurs achats dans les centres commerciaux. Dans l'enquête déjà ancienne de Mercado y tendencias, déjà 67% des personnes interrogées dans le Patio Bullrich et 82% dans le shopping Sur affirmaient faire leurs achats dans le centre ou dans leur quartier.

Les shopping centers permettent aux classes moyennes paupérisées ou fragilisées de se

raccrocher à un monde d'innovation, d'une innovation multiforme, sociale, commerciale, technologique. Les représentations dominantes ambiguës des shopping centers, à la fois associés, comme on l'a vu, aux mythes modernisateurs et égalitaires de la société de consommation et de la classe moyenne, et à des pratiques distinctives liées à la concentration de la consommation en Amérique latine, facilitent l'appropriation des lieux par les ménages qui sentent leur statut menacé. Dans la société postindustrielle, l'intégration devient une obsession, et se fait à plusieurs niveaux, par le marché, par les valeurs, mais de moins en moins par l'action de l'État (Lefebvre H., 1968 : 104). En Argentine, où le retrait de celui-ci a créé un vide d'intégration, les promoteurs commerciaux ont occupé la place.

D'une part, la consommation par l'endettement (en particulier, en plusieurs versements)

est essentielle quand l'image de soi est menacée, et elle reste l'unique moyen de continuer à aller en vacances, de s'habiller pour aller travailler, quand les revenus fondent. D'autre part, les "visiteurs" consomment l'espace-marchandise, à défaut de pouvoir consommer des produits. Lieu de consommation, le shopping center est aussi un espace consommé, entre valeur d'usage et valeur d'échange, ce qui, selon H. Lefebvre, définit la centralité (Lefebvre H., op. cit.). Le décor, les vitrines et les marchandises jouent le rôle de médiateur dans les processus d'identification sociale. De même que l'État avait récupéré une partie des symboles et des valeurs d'usage de l'époque coloniale, les promoteurs commerciaux réutilisent les valeurs historiques de la fin du XIXème siècle, en leur attribuant une autre fonction : celle de faire vendre, de créer une ambiance favorable à l'achat. Vidés de leur sens, ils deviennent des signes consommables comme les autres marchandises. L'espace, les qualités spatiales du lieu leur renvoient une image de ce qu'ils veulent être, de ce qu'ils ont été et qu'ils ne sont peut-être plus.

La fréquentation des shopping centers déplace en partie les usages de la promenade et

de l'achat des lieux publics "traditionnels" de la sociabilité vers les nouveaux. Elle s'inscrit

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dans des stratégies de reproduction sociale et de distinction, à un moment où les possibilités d'accès aux symboles de statut ont été diminuées ou sont menacées. Tandis que la ville a été le milieu incubateur de la classe moyenne, et que les centres commerciaux étaient aux États-Unis, dans les années 60, les lieux de la production de la classe moyenne, ils sont en Argentine, les lieux de sa reproduction et de son insertion sociale. Aller au shopping, c'est conjurer, à moindres frais, la précarisation et la mobilité sociale descendante, c'est se distinguer de ceux qui ne peuvent y accéder, de la masse de la population marginalisée qui vit dans des conditions de précarité. C'est aussi maintenir le lien social, c'est conserver, d'une manière ou d'une autre, l'expérience de la centralité urbaine inséparable de celle de la citoyenneté et, de plus en plus, de la consommation, tandis que les possibilités d'insertion sociale se réduisent, que ni les lieux de travail ni la ville n'assurent plus ce rôle intégrateur, et que la distance physique et symbolique au centre ne fait que s'accroître. La visite au shopping est l'une des stratégies socio-spatiales d'adaptation et de réaction à la crise.

C'est donc sur les classes moyennes, et plus particulièrement sur la classe moyenne

fragilisée, que le discours publicitaire, les représentations dominantes, ainsi que les dispositifs spatiaux et architecturaux des shopping centers, dans leur dimension à la fois utopique, mythique et idéologique, ont le plus d'impact : d'une part, elles cherchent à imiter les classes supérieures (l'un des deux volets de l'image des shopping centers), d'autre part, elles cherchent à se raccrocher à ce qui distingue la classe moyenne historique argentine (le "mythe" de la classe moyenne), à ses symboles de statut, à son identité sociale, à ses pratiques urbaines. Les représentations de l'espace public véhiculées par les medias et par le discours dominant se combinent alors avec le retrait effectif de l'État de la gestion, de l'entretien et de la production de l'espace public, pour imposer les shopping centers dans les habitudes de la classe moyenne.

Les "nouveaux pauvres" consomment l'espace à défaut d'objets. Leur consommation est

en effet symbolique à double titre : parce qu'elle permet de maintenir un lien social et parce qu'elle est consommation des signes et des valeurs d'usage anciennes de l'espace. La fréquentation des shopping centers a ainsi une fonction socialisante. Le shopping center est beaucoup plus qu'une combinatoire d'ambiances qui incite à l'achat-plaisir, il est une machine à produire de la fiction. Beaucoup viennent rêver à un monde inaccessible, celui de l'abondance, tout en participant, par leurs rites et grâce au décor, au mythe de la consommation.

"J'adore venir ici, je me sens comme un extraterrestre

dans un feuilleton télévisé de Los Angeles. J'ai

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l'impression qu'à n'importe quel moment quelqu'un va se

mettre à crier : "coupez"!", dit un jeune garçon à Alto Palermo. La magie des vitrines, le soin apporté à la décoration des lieux, l'accumulation des

marchandises créent l'abondance. Parfois, seules les vitrines, et même seules les marchandises suffisent, puisqu'on retrouve les mêmes pratiques dans les centres commerciaux périphériques dont l'aménagement intérieur est pourtant plus pauvre, comme en France, on constate que, le dimanche, les magasins d'usine sont pleins de gens qui se promènent mais n'achètent rien.

"Les expositions universelles idéalisent la valeur d'échange des marchandises. Elles

créent un cadre où la valeur d'usage passe au second plan. Les expositions universelles furent une école d'où furent les foules écartées de force de la consommation se pénètrèrent de la valeur d'échange des marchandises jusqu'à s'identifier à elle : "il est défendu de toucher aux objets exposés". Elles donnent ainsi accès à une fantasmagorie où l'homme pénètre pour se laisser distraire" (Benjamin W., 1989 : 296). De même que pour W. Benjamin, les passages, les grands magasins, les expositions universelles de la fin du XIXème siècle étaient des figures allégoriques de la modernité qui traduisaient le caractère fétichiste et hypnotique de la marchandise et le pouvoir fantasmagorique des lieux de consommation et de la nouveauté, les shopping centers, surtout dans le centre qui est la vitrine de la ville et du pays, sont des lieux emblématiques du premier monde et du modernisme / post-modernisme de la ville, avec leurs vitrines étincelantes. Ils exercent un pouvoir de fascination sur les touristes nationaux et sur les classes moyennes menacées dans leur identité, dans un contexte social fortement régressif. On mesure alors la puissance du discours publicitaire et de l'espace architectural.

2.2.3. Shopping centers et exclusion : la logique urbaine du ghetto Le retrait de l'État de la gestion et de la production des espaces et des lieux publics fait

apparaître les shopping centers comme les seuls lieux d'une possible intégration qui se définit de plus en plus à partir des valeurs marchandes et de la consommation, et comme le seul projet urbain existant. Dans ce projet, la citoyenneté, comme l'intérêt public, se fondent sur le marché. Or, le centre, dans les représentations, reste le lieu de l'intégration et de l'interaction sociale. Dans les villes occidentales, "la centralité, dans sa dimension symbolique, est également constitutive de l'expérience urbaine" (Bourdin A., 1991 : 250) et est l'un des éléments inhérents à la ville et à l'urbanité. Le droit à la ville est donc un droit à la centralité (Lefebvre H., 1968), et la citoyenneté est l'une des dimensions de l'urbanité. Quant à l'espace public, il est l'expression emblématique de la citoyenneté urbaine (Grafmeyer Y., 1994).

393

On s'interroge, en France, sur la nécessité de réinventer une nouvelle forme de citoyenneté qui ne s'appuie pas seulement sur des valeurs nationales, mais se fonde sur le local. La crise de l'intégration est aussi l'un des aspects importants de la crise urbaine. "Le second débat introduit sous le label de la nouvelle citoyenneté met surtout l'accent sur l'inscription des individus résidant sur un territoire donné dans les processus socio-économiques et institutionnels qui participent à la construction de la société locale" (Jacquier C., dans Roman J. dir., 1993 : 167). Alors que les villes occidentales, européennes ou latino-américaines avaient permis l'intégration rapide de millions d'habitants, d'émigrés, de ruraux déracinés, elle produit de plus en plus d'exclusions, rejetant vers les marges physiques et symboliques, ceux qui ne peuvent pas participer aux règles du marché. C'est de plus en plus le cas à Buenos Aires, où le modèle intégrateur, économique, social, mais aussi urbain a cédé la place à un modèle excluant, dans lequel, au contraire, la forme urbaine devient synonyme d'exclusions diverses (inégalités de desserte, éloignement, enclavement, etc.).

Les shopping centers, en tant que lieux d'interaction sociale, lieux publics, peuvent bien

constituer de nouvelles formes de centralités surtout dans la zone périurbaine, dans un contexte où les piliers de la citoyenneté nationale sont sapés. Ils offrent une forme de centralité alternative aux habitants de la périphérie, dont les possibilités d'accès au centre-ville ont été réduites. Le shopping center permet la participation aux rites de la consommation qui sont l'autre versant du mythe de la consommation et qui se construisent sur la répétition des mêmes gestes et des mêmes parcours : y aller le dimanche, remonter les allées en évoluant progressivement vers le food-court, entrer dans les magasins, s'enquérir des prix et finalement ressortir sans rien avoir acheté. Les nouveaux rituels se substituent aux anciens. Il est cependant difficile de mesurer le transfert réel de la pratique sociale des "anciens" lieux publics vers les "nouveaux". Les centres commerciaux comme les grands magasins sont bien des "temples de la consommation" dans une société où le sens du sacré a disparu. Les rituels (marchés, centres commerciaux...) participent à la dynamique de la culture-spectacle (Claval P., 1992a), qu'ils aient un sens sacré ou profane. Le lien entre centralité, sacré et politique est alors rompu : la centralité peut se déplacer vers la périphérie.

Or, les shopping centers sont, comme on l'a vu, des lieux d'intégration des uns et de

rejet des autres, les deux processus, indissociables reflétant le mouvement de concentration / fragmentation sociale et urbaine. En réalité, si les shopping centers fonctionnent selon une logique socio-spatiale du ghetto, c'est parce qu'ils reflètent l'existence d'une ville et d'une société duales : la ville de ceux qui peuvent consommer, qu'ils consomment l'espace ou qu'ils consomment les marchandises, et la ville de ceux qui sont exclus physiquement, économiquement et symboliquement de la ville idéale que représente le shopping center. Dans la société postindustrielle, société d'exclusion, selon A. Touraine, alors que la société

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industrielle était une société d'inégalités et de discriminations, l'intégration des uns a pour revers l'exclusion des autres, l'une ne pouvant fonctionner sans l'autre. À l'exploitation et à la domination marxistes se sont substitués la ségrégation et l'exclusion, alors que l'insertion sociale a pris une connotation utilitariste. "La société n'est plus un champ de bataille mais un champ de course" (Touraine A., dans Esprit, 1991).

L'accès à la centralité, qu'elle en soit les formes et les fonctions (monofonctionnelle /

plurifonctionnelle, commerciale / polysémique, centre-ville / centres commerciaux périurbains), est l'un des modes d'intégration à la ville. "D'un modèle temporel, nous glissons vers un modèle spatial : il s'agit d'être "dans la course" et de se rattacher par tous les moyens au centre ou à tout ce qui peut exprimer la centralité, c'est-à-dire la citoyenneté, la formation, le travail, l'urbanité, l'esthétique, etc." (Vieillard-Baron H., 1991 : 18). Dans toute société libérale, et encore plus dans les sociétés libérales "en développement", la consommation de "masse", en réalité de moins en moins massive, peut avoir des effets d'autant plus excluants, que les inégalités sociales sont cumulatives. En Argentine, comme dans les pays développés, la violence sociale a tendance à se retourner contre les lieux symboliques de la consommation. Les émeutes contre les supermarchés à Rosario et dans la banlieue de Buenos Aires, au moment de l'épisode hyperinflationniste de juin 1989, comme les révoltes sociales plus récentes contre l'application du plan d'ajustement structurel dans les provinces de l'Intérieur en 1994-1995, ont eu comme cible privilégiée les supermarchés. Les shopping centers, plus fermés en raison de l'absence de vitrines donnant sur l'extérieur et plus étroitement contrôlés, constituent des forteresses plus difficilement attaquables. Dans l'agglomération de Buenos Aires, on peut estimer à 40%-50% la part de la population qui n'a pas accès aux shopping centers et dont les conditions de vie se sont très fortement dégradées. Le premier monde n'est en effet pas donné à tous.

Les formes de l'exclusion créées par les shopping centers sont multiples. L'exclusion est

d'abord physique, comme on l'a vu, et le modèle architectural fermé du shopping center contribue à la créer. Elle est aussi symbolique et économique. C'est une exclusion par le marché et qui témoigne de l'étanchéité existant entre les modèles de consommation à grande échelle et les modèles de consommation à petite échelle dans les sociétés libérales. Les pauvres sont écartés de la consommation "de masse", de par leurs revenus, mais également de par leurs modèles de consommation en retrait. En Argentine, comme en Europe et aux États-Unis, les jeunes des milieux défavorisés sont peut-être encore plus sensibles à cette exclusion : ils ne participent en effet pas à la consommation dont les medias diffusent les modèles (Chapp M. E., 1990 : 69).

395

Le shopping center ne fonctionne pas véritablement selon la logique spatiale de l'enclave, selon "the security-driven logic of urban enclavization" que mentionne M. Davis à propos de Los Angeles (Davis M., 1991). À l'origine, en effet, une enclave est un terrain ou un territoire entouré de tous les côtés par des fonds appartenant à d'autres propriétaires, obligeant son propriétaire à réclamer un droit de passage sur les fonds de ses voisins contre une indemnité proportionnée au dommage qu'il peut occasionner. Par extension, une enclave est un espace coupé du reste de la ville, mal desservi par les transports et les voies de communication. Or, comme on l'a vu, c'est rarement le cas des shopping centers, qui, au contraire, sont intégrés à la ville, morceaux de ville qui se fondent dans la ville, dont la construction repose sur un partenariat actif entre les promoteurs commerciaux et les acteurs publics. Les stratégies de localisation des shopping centers reposent sur la multiplicité de leurs liaisons avec le reste de la ville et sur la facilité de leur accessibilité. S'ils incarnent donc "the gated city" (Davis M., op. cit.), c'est plus dans un sens métaphorique. C'est en revanche peut-être la logique sociale du ghetto qui décrirait mieux les shopping centers. Cependant, là encore, l'analogie a ses limites, puisqu'on l'a vu que les shopping centers se caractérisaient par un certain degré de mixité sociale, du fait de leurs usages comme lieux publics. Leur fréquentation est moins ouverte que celle des lieux publics urbains auxquels ils prétendent se substituer. Les shopping centers sont les signes tangibles de l'émergence d'une ville à plusieurs vitesses : d'un côté, la ville privée, dans le prolongement de la maison, de l'autre, la ville publique, pour tous ceux qui ne peuvent pas avoir accès à la première.

396

Conclusion

"Ces nouveaux centres témoignent du glissement de la notion de centralité. De

l'ancienne combinaison d'une multiplicité de pratiques et de formes d'échanges médiatisés par des compositions spatiales et architecturales à forte charge imaginaire et symbolique, on est passé à une monumentalisation des pratiques de masse qui tiennent souvent lieu de pratiques urbaines et de valeurs sociales. Mais la mobilité et la consommation ne sont que des agrégats de pratiques urbaines sérialisées" (Plan Urbain, 1988 : 71). Les shopping centers, surtout ceux de la zone centrale, intègrent effectivement la symbolique des lieux de mémoire et des lieux publics, dans le langage, dans les formes. La filiation dans les termes et dans les formes suggère une filiation dans les usages. Les shopping centers détournent les valeurs et les symboles des lieux de mémoire (les valeurs patrimoniales), de l'identité (l'italianité, l'âge d'or argentin) de l'urbanité (l'espace et les lieux publics : les parcs, les jardins, la rue, la plaza, les vitrines ; la qualité urbaine), du pouvoir (la monumentalité). Le langage utilisé évoque les formes locales de la sociabilité, la plaza, le patio, le paseo. L'architecture postmoderne, qui intègre tous les styles, peut même créer ces valeurs ex nihilo, comme à Alto Palermo ou à la Plaza. En Europe, ce serait plutôt le forum (les Halles) ou l'agora. Plaza mayor, agora, forum : ces lieux renvoient à des formes d'organisation sociale et politique, mais aussi au sacré, au cosmos. Dans les shopping centers, la marchandisation de l'espace induit une désacralisation et une profanisation du centre. Ils récupèrent ainsi l'une des dimensions qui leur manquent : la dimension symbolique, dans laquelle s'enracine la centralité, mais aussi d'une certaine manière, l'urbanité. L'image et la représentation facilitent le transfert d'usages des "anciens" centres et lieux de la pratique publique vers les "nouveaux", et accélèrent l'appropriation des lieux par la clientèle. Les symboles-signes sont des vecteurs de l'identification des usagers aux lieux et de leur appropriation de l'espace.

Dans les shopping centers, l'échange social, tout comme la culture, sont l'objet de

stratégies construites. La force du discours publicitaire et des images des shopping centers est à la fois de véhiculer toute la charge imaginaire des lieux publics, de l'histoire argentine, et d'activer le mythe, en se référant au discours utopique sur la consommation de masse, dans un contexte social marqué par la fragilisation d'une partie de la classe moyenne et par la concentration de la consommation. La ville n'assurant plus son rôle dans la reproduction sociale des classes moyennes, ce sont de plus en plus les lieux privés, dont les dispositifs imaginaires sont puissants, qui le font, et les pratiques, constitutives de l'identité sociale de classe, se déplacent vers les shopping centers. En Argentine, symboles de l'opulence, ils apparaissent comme la vitrine urbaine étincelante d'un premier monde imaginaire : vitrine du post-modernisme, de la consommation, de la modernisation du commerce, de la société et de

397

la ville. Cette utopie qui fonctionne comme référent indirect (et parfois direct) du discours est essentielle pour comprendre le sens de l'aménagement de l'espace marchand et l'impact social des shopping centers sur la société. La richesse de leur architecture et de leur décoration, leur offre commerciale variée et abondante, la nouveauté et la technologie, tout est à l'image d'un premier monde fantasmé. Le futur et le passé tendent à se dissoudre dans le présent, dans l'immédiateté et la fugacité de l'acte consommatoire, le sujet à s'identifier à l'objet. Comme le dit J. Baudrillard en analysant le mythe de la société de consommation, le message transmis est : "le corps dont vous rêvez, c'est le vôtre" (op. cit. : 313). De même, semblent dire les shopping centers, la consommation à laquelle vous aspirez, ce monde auquel vous rêvez, ils sont presque vôtres.

Les shopping centers sont loin d'être des non-lieux. Ils se caractérisent par la diversité

de leurs usages et de leurs fonctions, s'enracinent dans la proximité et perpétuent les rituels de la consommation et de la pratique sociale. En revanche, ils reflètent une conception plus individualiste et plus privatiste de la société et de la ville. Mais l'Argentine ne s'est-elle pas construite sur des valeurs individualistes ? Lieux semi-publics comme les patios auxquels ils se réfèrent, les shopping centers constituent des formes d'interface entre l'intérieur et l'extérieur de la maison. Cependant, ils entretiennent un rapport ambivalent avec la ville : en même temps qu'ils s'y réfèrent, qu'ils proclament l'intégration à leur environnement, atténuant les ruptures, le discours dévalorise la ville, gomme une partie du réel, et propose une conception retrouvée de la ville. Les clés de leur succès résident dans le contraste entre l'espace urbain, délaissé, envahi par des dysfonctionnements de toutes sortes amplifiés par le discours, et l'ordre qu'ils incarnent à tous points de vue, ainsi que dans la crise sociale qui atteint une partie de la classe moyenne. La clôture physique et sociale des lieux publics exploite le sentiment d'insécurité dans la grande ville. Le shopping center est un espace contrôlé, un espace connu, où même les errances sont délimitées, un espace sûr. C'est peut-être, outre ses fonctions centrales et commerciales, ce qui définit le shopping center, beaucoup plus que sa taille, bien qu'il y ait un effet de seuil dans la centralité et la polarité. Le contrôle social et spatial est rendu possible grâce aux principes d'unité de propriété et de gestion, qui excluent notamment la vente des locaux commerciaux.

M. Roncayolo souligne les risques de la réduction de la centralité et de l'évolution vers

des centres monofonctionnels et vers des formes de plus en plus poussées de la ségrégation sociale et fonctionnelle. "L'idée d'un centre affiné ou d'une ville affinée laisse dans un no man's land intellectuel, la plus grande partie de la population et des espaces urbains. On tente alors de retrouver la complexité des points de rencontre, leur indétermination, ce qui n'exclut pas les préoccupations marchandes, ni la diffusion des symboles de consommation, mais l'intégration n'y tient plus de place" (Roncayolo M., dans Paris projet, 1993 : 17). Le

398

shopping center perpétue en effet la logique dissociative et fonctionnaliste, entre la ville et le commerce, engagée avec la construction des passages, des galeries marchandes et des grands magasins, toutes structures fermées et en retrait par rapport à leur environnement (Péron R., op. cit. : 17). En revanche, il a une certaine fonction intégrative. Dans le contexte économique et social des années 80, à la suite du retrait de l'État du social, les shopping centers sont de plus en plus des lieux d'une intégration sociale, réservée, il est vrai, à la seule clientèle. L'affirmation d'un droit à la ville, comme le rappelait H. Lefebvre, peut prendre des détours surprenants, par la nostalgie, le tourisme, qui traduisent tous un appel à des centralités existantes ou nouvelles, en périphérie comme en centre-ville (Lefebvre H., 1968). Le shopping center est pour beaucoup un lieu de reproduction sociale et un lieu d'intégration au marché, pour quelques-uns, sans doute un simple lieu utilitaire qui offre peut-être plus de commodité que les commerces de la rue, un lieu de promenade-achat, pour la majorité un lieu élitiste et exclusif.

Conclusion

1. Originalité du paysage commercial porteño et du développement des shopping centers à Buenos Aires

Les centres commerciaux argentins présentent un visage original, du moins en

comparaison avec ceux qui se sont développés dans les années 60-70 en France et aux États-

Unis, au-delà des vagues ressemblances, dans les formes, dans les termes, dans les usages. La

simultanéité du phénomène, les ressemblances culturelles et la référence aux mêmes modèles

contemporains, les rapprochent plus des centres commerciaux qui se sont développés dans les

années 80 dans les pays d'Europe du sud. En Argentine, ce sont le modèle français de

l'hypermarché accompagné de la galerie et le modèle nord-américain de la quatrième

génération, qui ont eu le plus de succès.

Les caractéristiques originales du développement des centres commerciaux en

Argentine ont des causes multiples qui nous conduisent à prendre en considération la

dimension espace-temps. Nombreux sont les facteurs locaux qui déterminent un rapport

spécifique entre une ville, ouverte, ville-port, ville-creuset, la société porteña, et des

commerces, dont le paysage est à l'image du syncrétisme culturel argentin. La mondialisation,

et son contre-point, la modernisation ici, celle du commerce sont loin d'être des processus

uniformes de diffusion de valeurs hégémoniques et de normes culturelles universelles.

La logique de la modernisation de l'appareil commercial, à laquelle les shopping centers

participent, est certes économique d'abord. C'est un mouvement de rationalisation visant une

plus grande efficacité économique, qui correspond aussi aux stratégies de croissance externe

et d'internationalisation des multinationales de la distribution comme Carrefour. La

modernisation économique, sans être un processus inéluctable, est sous-tendue par des

logiques marchandes, largement impulsées de l'extérieur, mais elle n'est pas linéaire et

uniforme. En particulier, les shopping centers présentent des caractéristiques suffisamment

originales pour être signalées. Leur qualité urbaine et architecturale est beaucoup plus élevée

que celle des centres commerciaux français et même nord-américains (à l'exception de

certains centres commerciaux de la dernière génération), la réhabilitation de bâtiments

possédant un intérêt architectural élevé étant un cas assez fréquent. Ils sont souvent mieux

414

intégrés à la ville et la dominante ludique des activités, qui s'exprime dans l'importance de la

restauration, des activités de loisirs comme les cinémas et les salles de jeux video, reflète les

usages particuliers des shopping centers. Le commerce, surtout dans les shopping centers de

la zone centrale, est d'un standing élevé, voire de luxe, autant qu'aux meilleurs emplacements

commerciaux de la ville. Least but not last, l'expansion spatiale des shopping centers s'est

essentiellement faite du centre vers la périphérie, contrairement aux centres commerciaux des

pays d'Amérique du nord ou d'Europe septentrionale. La dissociation entre le centre et la

périphérie se reflète dans la qualité de l'aménagement des lieux et dans le moindre prestige

des shopping centers de la zone périurbaine.

La diffusion et l'épanouissement des shopping centers dans les années 80 en Argentine,

est le produit de la combinaison entre une multiplicité de facteurs, économiques, sociaux,

politiques, dont certains sont locaux, et d'autres sont les manifestations de mutations se

produisant à l'échelle du continent ou à une échelle plus petite encore.

Les facteurs socio-culturels locaux ont pu jouer à la fois comme des freins et comme

des accélérateurs de la diffusion. L'origine majoritairement européenne de la population,

l'intérêt, voire la fascination pour les innovations venues du Vieux Continent, et, de plus en

plus, d'Amérique du nord, facilitent la diffusion et l'appropriation des innovations, aussi bien

technologiques que commerciales. Les Argentins, qui ont déjà depuis longtemps des modes

de consommation de masse, sont d'autant plus perméables aux modes extérieures, que leur

industrie est obsolète et que la variété de choix des produits est réduite. L'idiosyncrasie locale,

en particulier la sociabilité de type méditerranéen, a aussi longtemps constitué un facteur de

blocage de l'expansion des supermarchés et des hypermarchés, les Porteños restant très

attachés à leurs petits commerces de quartier. D'autres raisons viennent nuancer cette

explication : comme la modernisation était incomplète, et que le contexte économique

argentin était très instable, ces formes de distribution n'offraient pas des prix suffisamment

compétitifs pour retenir le chaland. Les années 80 ont permis de franchir un pas dans la

modernisation.

Les facteurs économiques sont en effet loin d'être négligeables. L'ouverture économique

du pays, qui a permis l'augmentation des achats de licences de distribution et l'implantation de

firmes étrangères sur le territoire national, a été un adjuvant important. Le passage d'un

415

modèle de substitution aux importations à un modèle économique néo-libéral tourné vers

l'extérieur a passablement modifié les conditions économiques locales et a contribué à

l'évolution du commerce de détail. La situation n'est pas propre à l'Argentine, puisque c'est

tout un continent qui s'intègre progressivement à l'économie mondiale, à des rythmes

différents.

Ensuite, parmi les facteurs motivant le développement fulgurant des shopping centers se

trouvent les facteurs sociaux et urbains. Les différences avec les pays "modèles " sont de

taille. Les facteurs socio-économiques classiques qui permettent d'expliquer le développement

des centres commerciaux, comme l'augmentation du niveau de vie, du taux de motorisation et

du taux d'activité féminine, ou encore les changements dans les modes de consommation,

s'appliquent de façon très imparfaite à l'Argentine, même si l'on note bien un changement

socio-culturel majeur que l'on peut résumer brièvement par la transition vers l'individualisme

contemporain. Le décalage temporel entre ce type d'évolutions socio-économiques et

l'apparition des shopping centers est en tout cas suffisamment important, pour qu'on puisse

s'interroger sur leur validité comme facteurs d'explication dans le cas argentin. Encore moins

probant, est le facteur d'explication urbain traditionnellement avancé. Si le développement des

centres commerciaux en Europe et en Amérique du nord (également dans certains pays d'Asie

du sud-est comme Singapour) a accompagné un mouvement de périurbanisation notable dans

les années d'après-guerre, ce n'est pas le cas à Buenos Aires, où celui-ci a été largement

antérieur à l'apparition des shopping centers, les petits commerces et les supermarchés ayant

répondu à la demande des populations vivant dans la zone périurbaine. Les centres urbains de

banlieue, ainsi que le centre-ville et les centres secondaires de la capitale comme Belgrano et

Flores, permettaient l'approvisionnement des populations en produits anomaux et avaient une

offre culturelle suffisamment large.

Le mouvement de périurbanisation, qui s'est considérablement ralenti, continue

néanmoins sur les marges, mais surtout sous la forme de lotissements très populaires et de

quartiers autoconstruits. La densification de la ville-centre, notable dans les années 60-70, a

aussi diminué, et c'est un double processus de gentrification des quartiers péricentraux du

nord et de dégradation physique et sociale du centre historique et des quartiers du sud, qui

caractérise l'évolution urbaine des années 80. Quant au centre-ville tertiaire, s'il ne connaît pas

un déclin aussi souligné que dans d'autres villes d'Amérique du nord ou d'Amérique latine, il

416

est un peu à l'étroit dans ses limites traditionnelles et est menacé par des mouvements

centrifuges, qu'essaie de contre-balancer l'État. La concentration et la centralité, à l'échelle

locale, comme à l'échelle nationale, restent les faits dominants, malgré un léger déplacement

du centre vers les quartiers nord, qui prolonge le mouvement de translation entamé un siècle

auparavant.

C'est pourtant bien dans le contexte urbain et dans le rapport du commerce à la ville

qu'il faut chercher l'une des principales raisons du développement des shopping centers, et

surtout de leur succès paradoxal auprès de la clientèle argentine. D'une part, la ville dont la

forme en damier, facilement reproductible, avait facilité l'intégration et l'ascension sociale de

toute une couche de la population, a atteint des effets de seuil contre-productifs. Les

commerces, institutions sociales de quartier, notamment l'épicerie puis le café, ont été des

lieux d'intégration, d'échange social et culturel, et d'assimilation progressive de millions

d'immigrants. Mais la distance entre le centre et la périphérie, tout autant physique que

sociale, voire symbolique, n'a cessé de s'accroître, à Buenos Aires, comme à Rio, à New

York, ou même à Paris, selon un modèle d'urbanisation "en tâche d'huile" propres aux

mégalopoles. Du coup, l'accès à un centre, qui, dans les représentations nationales, était le

centre de tous, est remis en question. D'autre part, la mise en place du modèle néo-libéral s'est

traduite par des processus d'hétérogénéisation sociale, de nouvelle pauvreté et de nouvelle

richesse, par l'érosion des revenus, du niveau de vie et du pouvoir d'achat des classes

moyennes, ainsi que par la montée fulgurante du chômage au début des années 90. Or, au sein

de l'Amérique latine, l'Argentine était un pays majoritairement de classes moyennes, et la

ville, en particulier Buenos Aires, avait été le milieu de sa production puis de sa reproduction,

l'espace et les lieux publics jouant un rôle important dans les pratiques traditionnelles et dans

l'identité sociale de la classe moyenne.

Enfin, le retrait de l'État de la gestion de l'espace public, de l'entretien et de la

production de la ville a entraîné des dysfonctionnements liés au manque d'entretien des

infrastructures existantes et aux déficiences de l'urbanisation périphérique.

L'émergence des shopping centers et la modernisation d'une partie de l'appareil

commercial, l'apparition des hypermarchés, du moins dans un premier temps, le toilettage du

commerce de détail non alimentaire, l'expansion des chaînes de distribution grâce à la

417

franchise, corrrespondent à un mouvement de polarisation de la consommation et de

gentrification sélective de la ville. Ils répondent en effet à la demande des nouvelles couches

sociales émergentes, qui ont bénéficié de la modification de la base économique depuis 1976.

Aussi les shopping centers sont-ils associés, dans les représentations, à la consommation de

luxe. Leur architecture prestigieuse, et parfois tapageuse, ainsi que leur concentration spatiale

dans la zone centrale sont les supports de cette image. En réalité, la concentration de la

consommation s'accompagne aussi d'un mouvement de segmentation de la consommation et

de la société, que reflète la gamme élargie de l'offre commerciale. Des shopping centers au

profil plus modeste, répondant à la demande de la classe moyenne, se sont aussi multipliés

dans le reste de l'agglomération, tant dans des quartiers non centraux que dans la zone

périurbaine de Buenos Aires.

2. Logiques politiques, économiques, spatiales de la production des shopping centers et de la modernisation commerciale

L'une de nos hypothèses était que non seulement la modernisation de l'appareil

commercial répond à des impératifs économiques, ceux de la rationalisation de la distribution,

mais aussi qu'elle recouvre des enjeux politiques, sociaux, urbains et symboliques, qui se

recoupent entre eux. C'est pour cette raison que nous avons été amené à analyser plus en

détail les stratégies des acteurs commerciaux et leur rôle dans la production de l'espace

marchand des shopping centers.

Le paysage commercial est le produit des stratégies interdépendantes d'acteurs, dont les

logiques divergent mais peuvent s'ajuster les unes aux autres : celles des acteurs

internationaux (les multinationales de la distribution) et des acteurs locaux (les usagers, les

entrepreneurs et les groupes économiques locaux, les activités de ces derniers étant fortement

liées à l'international, l'État), celles des acteurs publics (l'État national, les municipalités) et

des acteurs privés (les promoteurs commerciaux, les groupes de construction, les

consommateurs), celles des acteurs influents (les promoteurs commerciaux intégrés, l'État

national) et des acteurs de moindre importance (les promoteurs artisans, occasionnels). C'est

en effet un système d'acteurs dont les stratégies interfèrent en permanence, qui produit

l'espace commercial. Les logiques de production de l'espace matériel et social, y compris des

représentations de l'espace, influencent la consommation et les pratiques socio-spatiales ; les

418

logiques d'appropriation ont en retour des répercussions sur la production de l'espace

physique sur l'évolution du tenant mix, des usages, sur le fonctionnement et les

dysfonctionnements des équipements ; les logiques publiques, en particulier le contenu et les

formes de la régulation socio-institutionnelle, peuvent infléchir le développement et la

distribution spatiale des équipements commerciaux.

Les logiques économiques

La construction des shopping centers engage un nombre important d'acteurs

économiques. Les promoteurs sont au cœur du processus de production de l'espace physique,

mais aussi de l'espace social des shopping centers. Les stratégies de localisation suivies par

les différents types de promoteurs déterminent la distribution spatiale des établissements. Le

comportement des promoteurs commerciaux est bien entendu axé sur la recherche d'une

rentabilité maximale, mais il est avant tout le produit de l'interaction entre un contexte

économique et politique instable et fluctuant et une culture locale. En Argentine, l'immobilier

a toujours constitué (depuis la fin du XIXème siècle, du moins) pour les grands groupes

économiques un secteur de réinvestissement des surplus dégagés dans d'autres secteurs

productifs, et pour tous les acteurs économiques un secteur de possible spéculation, elle-

même encouragée par l'attitude laxiste des pouvoirs publics, par la faiblesse des

réglementations et de leur effectivité, en centre-ville comme en périphérie. Dans le contexte

particulier de succession de périodes de stabilité et d'instabilité économique et politique,

marqué par des épisodes hyperinflationnistes, le comportement des acteurs économiques

locaux vise le court terme plus que le long terme. La promotion commerciale ne déroge pas

véritablement à la règle. Les patinoires avaient fait florès au début des années 80, les paddles

à la fin des années 80, et les shopping centers depuis 1986.

Pourtant, les shopping centers sont très loin de constituer l'affaire immobilière dont

beaucoup avaient rêvé. À la différence des paddles et des patinoires, ils engagent des

investissements élevés et laissent des traces durables sur le paysage urbain. Si les premiers

ont été portés par la nouveauté et par une conjoncture plutôt favorable, à la suite du Plan

Austral en 1986-1987, les crises hyperinflationnistes, la rétraction de la consommation, les

conséquences de la crise financière de Mexico, et la concurrence croissante entre des

shopping centers, font du marché local un marché fragile. Il y a en tout cas un grand écart

419

entre la rentabilité espérée des shopping centers et leur rentabilité réelle, difficile à démontrer

en raison de la faible transparence de l'information économique. Celle-ci joue aussi dans le

sens du maintien des croyances sur les profits possibles à réaliser sur la construction de

shopping centers. Les petits promoteurs, mais aussi les commerçants, ont une connaissance

partielle et imparfaite du marché, leur possibilité d'accès à l'information étant réduite.

Symboliquement, dix ans après son inauguration, le premier shopping center argentin, Sur,

s'est vu contraint de déposer son bilan et de fermer ses portes en février 1996.

En réalité, les promoteurs commerciaux ont des comportements spatiaux, des stratégies

économiques et urbaines différenciés, qui dépendent de leur secteur d'activité originel

(distribution, promotion, etc.), de leur capacité organisationnelle et informationnelle, ainsi

que de leur niveau d'intégration professionnelle et relationnelle. Les promoteurs intégrés,

filiales de groupes économiques, maîtrisent beaucoup mieux les conditions d'un marché

instable et très compétitif, où l'accès à des financements bon marché est essentiel. Leurs

capacités d'organisation leur permettent d'étendre leurs stratégies à la production de

complexes immobiliers en principe intégrés, comportant, à la fin des années 80, de tours de

logement de très grand standing voire de luxe. Le shopping center a pu servir, le cas échéant,

d'instrument de valorisation foncière et immobilière. L'absence de procédures d'urbanisme

opérationnel comme la ZAC et de fiscalité foncière sur les terrains non bâtis, la possibilité de

renégociation des droits à construire leur ont permis de maximiser les bénéfices dégagés de ce

type d'opérations à tendance spéculative. Néanmoins, pour l'instant, elles constituent encore

un phénomène marginal, la principale opération de ce type étant celle d'Alto Palermo. Les

promoteurs distributeurs, en général des sociétés d'hypermarchés, ont des stratégies foncières

et commerciales différentes, qui privilégient la distribution sur la promotion et les

localisations suburbaines et périurbaines, à proximité des grands axes de circulation routière,

où les terrains sont de plus grande superficie et le foncier moins cher. Quant aux promoteurs

associés, ils ont des stratégies limitées à la production de shopping centers, dont la

localisation est centrale et prestigieuse. Enfin, les petits promoteurs occasionnels et artisans

n'ont pas véritablement de politique spatiale, leurs capacités d'intervention étant de toutes

façons plus restreintes, en raison de leur faible degré d'organisation interne et de leurs

capacités de financement réduites, qui, excluent, sauf cas exceptionnel, des localisations

centrales. Les logiques capitalistes différenciées des promoteurs expliquent donc en partie les

modalités de la distribution spatiale des shopping centers, notamment la distribution centre /

420

périphérie. Elles sont la résultante de leurs politiques spatiales, de leurs stratégies de

localisation et de négociations avec les acteurs publics, ainsi que des logiques de circulation

du capital. Mais pas seulement.

Avant de récapituler les logiques politiques publiques de la diffusion des shopping

centers, revenons sur un acteur que nous avons volontairement laissé de côté, parce qu'il nous

semblait moins déterminant dans la production de l'espace, les commerçants et les

distributeurs. Leur rôle est en effet indirect, mais il joue à terme sur la rentabilité des

shopping centers. En effet, le niveau des ventes détermine en grande partie le taux de

rentabilité et le chiffre d'affaires du shopping center, par le biais du mode de calcul des loyers.

Celui-ci est d'ailleurs favorable au promoteur commercial, puisqu'il lui assure un minimum

fixe et que les pas-de-porte constituent souvent l'un des modes de récupération de

l'investissement. Le loyer comprend, rappelons-le, un loyer-plancher et un loyer indexé sur

les ventes de chaque local. Parmi les avantages que prétendaient offrir les shopping centers

aux locataires, figuraient la continuité et l'importance des flux de public, des coûts de location

moins élevés, alors que les charges et les baux commerciaux avaient atteint des niveaux

records au début des années 80, ainsi que d'autres arguments comme le contrôle spatial, la

sécurité et une promotion centralisée. Or, la conjonction entre un niveau de ventes souvent

plus faible que prévu, des réglementations internes tatillonnes et l'inflation très rapide des

coûts et des charges, en partie liée au renchérissement de luxe des édifices, ont très

rapidement eu raison des bénéfices réalisés par les commerçants. Les taux de rotation et de

fermeture ont souvent été élevés, et, pour les chaînes, l'ouverture d'un local fait souvent partie

d'une politique d'image qui amène leurs dirigeants à choisir soigneusement les shopping

centers où ils désirent s'implanter. Le succès des premiers shopping centers a soulevé chez les

promoteurs peu expérimentés des spéculations quant aux possibilités d'accélération du retour

sur investissement, et a provoqué une augmentation des loyers qui a pu être fatale tant aux

commerçants qu'aux promoteurs, à partir du moment où les locaux ne trouvaient plus preneurs

et que la vacance devenait trop élevée. L'absence de politique d'urbanisme commercial, le

laisser-faire presque total et l'inexistence de structures administratives et politiques à l'échelle

de l'agglomération de Buenos Aires ne favorisent guère une répartition spatiale équilibrée.

Les pratiques publiques et privées de détournement et d'utilisation des règlements urbains au

profit des promoteurs influents, ont pour effet la concentration spatiale des shopping centers,

le discours urbanistique s'effaçant alors devant les pratiques collusoires des acteurs publics et

421

privés. L'imbrication étroite du pouvoir économique et du pouvoir politique, ainsi que la

concentration économique et financière, ont servi les intérêts des grands groupes, et donc des

promoteurs commerciaux intégrés et associés, en particulier dans la zone centrale, où les

enjeux en termes de prestige et de rentabilité économique sont supérieurs.

Les logiques politiques

Les comportements des acteurs publics, s'ils sont fortement conditionnés par les liens

étroits existant entre l'État et les grands groupes économiques et par la dépendance financière

extérieure, sont aussi déterminants dans la production de l'espace commercial. La

modernisation de l'appareil de distribution et la construction de shopping centers revêtent en

effet plusieurs aspects, qui en font une question de politique publique.

Premièrement, le commerce moderne constitue l'une des vitrines importantes du centre-

ville et de l'européanité de la ville. Les shopping centers et la rénovation des façades et des

vitrines commerciales contribuent à la modernisation de la ville. Or, dans le contexte

d'internationalisation de la métropole et de vive concurrence entre les grandes villes

d'Amérique latine pour attirer les capitaux étrangers, ainsi qu'au vu des stratégies d'intégration

régionale (Mercosur), le commerce du centre-ville participe à la politique d'image des villes.

Le centre-ville tertiaire, commerçant, culturel, financier, conçu selon un modèle de centralité

commerciale haussmannienne à la fin du XIXème siècle et au début du XXème siècle, a

toujours été la vitrine de la ville, avec ses grandes avenues et ses commerces à l'européenne,

eux aussi vitrines du centre-ville, et donc de la modernité de la ville. Des commerces désuets

et des vitrines mal entretenues risqueraient de ternir l'image de la ville. L'un des objectifs de

la politique municipale est de faire renouer Buenos Aires, la reina del plata, avec sa

réputation de métropole culturelle et commerciale d'Amérique du sud. Le commerce des

shopping centers centraux est de grand standing.

Deuxièmement, les shopping centers sont des lieux de la pratique publique et sociale,

de la même façon que les rues commerçantes et que certains espaces publics comme les parcs,

les jardins, les places. Or, l'espace public est par excellence ce qui fait que la ville est autre

chose qu'une mosaïque de quartiers, en même temps qu'elle est un enjeu décisif par rapport

aux forces qui jouent dans le sens d'une plus ou moins grande ségrégation (Grafmeyer Y.,

422

1994). Celui-ci étant abandonné par l'État, la question de la production des nouveaux lieux

publics, est éminemment politique. Elle touche en effet à la socialisation des individus et des

groupes d'individus. L'une des dimensions sociales du commerce, en particulier des shopping

centers, est qu'ils constituent des lieux de l'échange et de la pratique sociale.

Enfin, si les shopping centers créent de nouvelles centralités périphériques, ils

renforcent aussi le poids du centre-ville, participant au maintien d'un espace central, qui, dans

l'imaginaire et dans les pratiques latino-américaines, a toujours été l'un des lieux d'expression

du pouvoir politique.

Le comportement des pouvoirs publics est déterminé par trois ensembles de facteurs.

D'abord, la gestion urbaine, qui avait été longtemps été influencée par les modèles

urbains occidentaux européens, le modèle haussmannien, puis celui de l'urbanisme moderne

progressiste, s'inscrit, dans les années 80, dans le cadre des limites contraignantes d'une crise

budgétaire aiguë, tant nationale que locale, qui réduit les capacités d'action des pouvoirs

publics. Le modèle nord-américain de gouvernance urbaine qui repose sur un partenariat actif

entre acteurs institutionnels et acteurs économiques et sur une fluidité plus grande entre le

social et l'économique, ainsi qu'entre le public et le privé, apparaît comme une sortie de crise

possible. Dans le contexte particulier de l'Argentine, caractérisé, comme on l'a vu, par les

comportements spéculatifs des acteurs économiques, par l'orientation politique et économique

fortement néo-libérale, mais aussi par une très forte corruption historique (à l'échelle

argentine comme à l'échelle latino-américaine), c'est vers des politiques de type

développementaliste, axées sur la stimulation des secteurs de l'immobilier et de la

construction, et de l'emploi, que s'orientent les acteurs publics.

Ensuite, la transformation de l'État, la redéfinition de son rôle et l'abandon du social au

profit d'une définition de l'intérêt public axée sur la subsidiarité, l'efficacité, et la rationalité

économiques, modifient largement les règles du jeu, tandis que la crise économique et la crise

urbaine servent de justificatifs à la délégation et, dans certains cas, au transfert de certaines

compétences des pouvoirs publics dans le domaine de l'urbain vers le secteur privé.

Enfin, les shopping centers apparaissent comme des villes-modèles, dont les règlements

internes et les principes de fonctionnement peuvent servir de référents aux nouveaux modes

423

de gestion de la ville. Les promoteurs deviennent, dans les années 80, des acteurs essentiels

de l'urbain, aussi bien en ce qui concerne la production de la ville (la promotion immobilière)

que la gestion urbaine (les services urbains, les équipements et les infrastructures). La réforme

de l'État a permis à ce dernier de vendre ou de concéder une grande partie de son patrimoine

foncier et immobilier, tandis que la privatisation et la concentration de la propriété du sol

urbain se sont accentuées. L'État est intervenu activement dans la construction des shopping

centers, en apportant des terrains, en accordant des exemptions fiscales et des dérogations à la

réglementation urbaine et au plan d'occupation des sols, dans des conditions douteuses de

légitimité juridique et au mépris des procédures légales, le modèle keynésien de régulation

socio-institutionnelle entrant en contradiction avec les politiques urbaines de type

développementaliste.

La construction des shopping centers marque le désengagement de l'État de la

production de la ville et des lieux publics et la fin d'un modèle de socialisation.

Les logiques sociales

La fréquentation des shopping centers obéit à une double-logique de la distinction et de

l'imitation, imitation des modèles de consommation de la couche supérieure pour les uns, et

imitation des modèles de consommation des pays du nord pour tous. Mais les shopping

centers apparaissent avant tout comme des lieux de reproduction sociale de la classe

moyenne, de plus en plus hétérogène, qui se voit menacée dans son identité sociale et dans sa

cohésion. La ville n'assure plus le rôle qu'elle a joué pendant plusieurs décennies, et une

grande partie des pratiques sociales et urbaines se sont déplacées vers les shopping centers

qui constituent de nouveaux lieux publics. C'est en partie cette dernière fonction qui explique

le succès phénoménal des shopping centers auprès de la classe moyenne, mais aussi auprès

des jeunes. Également portés par un courant de mode, ils donnent lieu à de véritables rituels

sociaux en fin de semaine. Leurs usages sont ludiques, allant de la simple promenade à

l'achat-plaisir. L'espace commercial est caractérisé par un continuum ou par une superposition

de pratiques qui correspondent à différentes stratégies d'appropriation de l'espace par les

usagers. Même si elles sont en grande partie déterminées par les représentations dominantes

véhiculées par le discours publicitaire, elles contribuent à la production de l'espace matériel,

les pratiques et les usages faisant évoluer le tenant mix des shopping centers et la part de

l'achat (faible, en l'occurrence) déterminant leur niveau de rentabilité, et à celle de l'espace

424

social, en raison de l'impact du commerce sur la société. L'engouement, parfois éphémère, a

souvent surpris les promoteurs commerciaux, les usages ludiques dépassant souvent ceux de

l'achat. À Buenos Aires, les shopping centers sont des équipements qui peuvent avoir une

influence régionale mais qui jouent à la fois sur la proximité et la distance, mettant en contact

avec le proche, c'est-à-dire les gens du quartier, les voisins, et l'ailleurs, la capitale, le

"monde" réduit aux États-Unis et à l'Europe, et plus largement aux pays développés. L'accès

au premier monde, élément-clé du discours politique national, est l'une des significations

locales essentielles de l'apparition des shopping centers et de la modernisation de l'appareil de

distribution. Le discours dominant sur les shopping centers joue sur le double registre de la

vision utopique de la consommation de masse, amplifiée par la menace d'une régression dans

l'échelle sociale, et de l'exclusivité de lieux réservés à une clientèle solvable. Le premier

monde correspond à une réalité présente pour une minorité, et future pour la majorité.

L'apparition des shopping centers réduit ainsi la distance symbolique qui sépare l'Argentine

du premier monde.

3. Modèles de ville et espaces-modèles

Le shopping center se présente comme une ville idéale, un condensé de ville. La ville

néo-libérale est produite par le secteur privé, selon une logique privée, impulsée par un

partenariat entre acteurs publics et acteurs privés. Sans parler tout à fait d'urbanisme

corporatiste comme dans le cas de l'urbanisme du centre de commandement de Los Angeles

ou du nouveau centre d'affaires de São Paulo (Kohn Cordeiro H., 1993), on peut évoquer des

formes privées d'urbanisme qui ont une tout autre portée que les quartiers produits en

concertation par les acteurs publics et publics dans le cadre des ZAC en France. Les shopping

centers se réfèrent en effet à des modèles de villes et se constituent comme des modèles

d'espace. Une ville gérée par le secteur privé selon les mêmes principes fonctionnalistes,

esthétiques, hygiénistes qui sous-tendent souvent l'urbanisme.

De la ville, les shopping centers n'ont évidemment pas toutes les caractéristiques,

puisqu'ils excluent certains usages comme l'habitat, du moins en Argentine, mais ils

produisent de la centralité et de l'urbanité.

Ils remplissent des fonctions centrales, concentrant commerces anomaux et équipement

de loisirs et reprennent les usages qui caractérisaient jusqu'ici les rues commerçantes du

425

centre-ville ou des centres secondaires de la capitale et de l'agglomération, la promenade et

l'achat, les loisirs, certaines fonctions culturelles. Ce sont aussi des lieux d'exposition de soi,

qui possèdent un certain degré de mixité sociale, beaucoup venant y flâner et / ou y faire des

achats. Investissant souvent des lieux centraux, ils récupèrent les symboles de la centralité et

du pouvoir, notamment la monumentalité. Le détournement de valeurs d'usage anciennes

octroie la dimension symbolique qui manquait à leur centralité. Les multiples références au

local, à l'histoire des lieux, aux éléments architecturaux des bâtiments d'antan ou à des styles

architecturaux variés, qu'intègre particulièrement bien l'architecture postmoderne, facilite en

outre l'appropriation des lieux par les usagers. Le shopping center est une ville composée de

lieux dont le statut diffère : les lieux semi-publics, tels les cafés, les restaurants, les

commerces, les patios, les lieux publics comme les promenades, les terrasses, la rue, les

places, les espaces privés comme ceux réservés à l'administration. Comme dans une ville,

l'espace est constitué d'espaces dont le statut public ou privé est gradué.

Les shopping centers renvoient une image nostalgique de la ville, et marquent la

volonté de renouer avec le sens et les qualités de la ville d'hier. Ils ne cherchent pas à la

réinventer et recyclent généralement les formes, les fonctions, les valeurs de la ville classique

en intègrant quelques données de la modernité dans leur architecture et dans leurs

technologies. Ils ont une certaine urbanité, qui se traduit dans la recherche d'une certaine

qualité spatiale et architecturale, dans la récupération des formes, des usages, du langage et

des symboles de Buenos Aires et de l'espace public, les plazas, les patios, les jardins. Loin

d'être des non-lieux, ils jouent un rôle dans les processus d'interaction sociale.

Cependant, les nouvelles places commerciales diffèrent des places publiques

traditionnelles, notamment des plazas mayores, lieux d'expression du pouvoir politique. Ces

centres restent malgré tout plus monofonctionnels que le centre-ville. La fonction marchande

est en effet dominante, et les symboles y deviennent signes, modes d'affirmation d'un statut

social, vecteurs de l'identification sociale de la clientèle ou simples objets de consommation

au même titre que les autres marchandises. Le "centre est, au départ1, le lieu à partir duquel

s'exerce le pouvoir et s'unifie le groupe" (Rémy J., Voyé L., op. cit. : 86). L'effacement du

politique amputerait la capacité des centres commerciaux à assurer de la centralité. Mais, dans

le contexte de déclin des idéologies, de relâchement des liens entre la société civile et l'État,

426

de déclin de l'État-Providence, la centralité ne doit-elle pas être redéfinie sur d'autres bases

qui ne sont plus seulement liées à la rationalité politique et étatique ? Si, dans les sociétés

occidentales, elle constitue un impératif culturel voire politique, le droit à la ville, la

citoyenneté, l'urbanité passent par le droit à l'expérience de la centralité. Or, en Argentine,

dans le contexte de retrait du social de l'État, les shopping centers jouent le rôle de nouveaux

centres, tandis que le centre-ville n'occupe plus la même place dans le vécu des habitants,

leurs possibilités d'accès à celui-ci ayant été réduites. Ils permettent ainsi aux groupes plus

défavorisés qui vivent dans la périphérie de la ville de renouer avec une certaine forme de

centralité, sans doute substitutive. Ils maintiennent des formes de l'échange social et

commercial dans la zone périurbaine et sont pour beaucoup des lieux d'intégration sociale.

Reste à mesurer la part des choix politiques et le rôle des images véhiculées par le

discours dominant, étatique et publicitaire. La crise urbaine, celle de l'espace et des lieux

publics, du centre-ville, a tendance à justifier les quelques actions publiques de "reconquête"

du centre et le transfert au secteur privé de fonctions qui étaient traditionnellement dévolues à

l'État. La redéfinition du rôle de l'État et son retrait du social se traduisent par des choix

politiques et économiques locaux, particulièrement drastiques, effectués pendant la dictature,

puis principalement sous la présidence de C. Menem, même s'ils s'inscrivent dans une

mouvance internationale, celles du désengagement de l'État et de la crise de l'État-Providence.

Dans le discours, les solutions privées telles les shopping centers apparaissent comme les

uniques issues possibles. Mais le retrait presque total de l'État du social est aussi un choix

politique. Or, à Buenos Aires, la crise de la centralité n'est pas aussi accentuée que dans les

villes nords-américaines ou au Brésil. La crise de la ville est presque autant une crise

symbolique, celle du politique, qu'une crise fonctionnelle, ainsi qu'une crise du social et de

l'urbanité. La ville n'assure plus ses fonctions d'intégration et est devenue le lieu d'exclusions

multiples et multiformes. Les diverses représentations négatives de la ville que véhicule le

discours dominant, participent à la dévalorisation de l'espace public et de l'espace urbain. Les

catégories de l'insécurité, du désordre, du privé qui s'appliquaient jusqu'ici à la périphérie,

envahissent la ville, jusqu'au cœur de celle-ci, alors qu'elle avait représenté la civilisation et

l'ordre face à la "barbarie". Les généraux argentins se méfiaient déjà de la ville et avaient

cherché à en extirper tous les éléments subversifs au nom d'une conception fonctionnaliste,

esthéticiste et moraliste de la ville. La centralité politique conservant une signification

1 C'est nous qui soulignons.

427

puissante à l'échelle de la Nation, l'État circonscrit essentiellement son intervention au centre-

ville.

Une partie de la socialisation est désormais assurée par le secteur privé. Ce sont les

mêmes valeurs sous-jacentes au discours urbanistique, la même idéologie de l'ordre et de la

sécurité qui dominent la production des shopping centers. Les valeurs nationales produites

par l'État ont été remplacées par des valeurs marchandes, tandis que, dans les sociétés

libérales contemporaines, et en Argentine aussi, l'intégration et la socialisation se définissent

de plus en plus sur la base de la consommation. Les shopping centers imposent un contrôle

social et spatial strict. Les usages qui y sont admis sont beaucoup plus restreints que ceux de

l'espace public et sont liés à la consommation. Le dégré d'intrication entre les usages publics

et les usages privés est moindre que dans le reste de la ville. Les formes spatiales incitent à

certains comportements plutôt qu'à d'autres, en particulier à l'achat. La volonté de maîtrise

s'étend à l'ensemble de l'espace, dans ses moindres recoins. C'est ce qui définit, entre autres, le

centre commercial. La forme close et concentrée des shopping centers, leur taille limitée

rendent le travail plus facile. Aussi leur logique spatiale s'oppose-t-elle en tout point aux

rapports qu'entretenaient jusqu'ici le commerce et la ville à Buenos Aires. La forme linéaire et

ouverte, celle de la trame orthogonale, est beaucoup plus difficile à contrôler. Les shopping

centers tendent à perpétuer la logique dissociative et fonctionnaliste qui marquaient les

rapports entre le commerce et la ville dans le modèle urbain haussmannien, en particulier à

travers les grands magasins. Le contrôle ségrégatif de l'accès aux shopping centers garantit en

outre aux usagers une certaine homogénéité sociale, dispositif essentiel du système. La

dissociation centre / périphérie qui s'exprime dans l'aménagement moins luxueux des

shopping centers de la périphérie, au-delà des divers degrés de la qualité des espaces

commerciaux, renforce aussi la ségrégation socio-spatiale. Les shopping centers "expriment

fondamentalement, au-delà du simple rappel de l'existence des inégales solvabilités, les

logiques de reproduction et d'extension des sociétés marchandes capitalistes" (Péron R., op.

cit. : 30). D'un côté, les shopping centers périphériques représentent de nouvelles formes de

centralités, dans un espace où l'État ne s'est jamais véritablement investi, et se caractérisent,

dans certains cas, par un rapport social beaucoup plus brut à la marchandise, qui n'atteint pas,

toutefois, les degrés du hard discount et des zones commerciales en France ; de l'autre côté,

les shopping centers centraux manifestent clairement le désengagement de l'État de la

428

production de l'espace urbain, le besoin de sécurité des habitants et le rapport

fantasmagorique à la marchandise.

Les shopping centers, modèles de villes et espaces-modèles, sont significatifs de

l'évolution des usages des lieux publics, du contenu de la centralité, du sens de la ville, et plus

largement des nouvelles logiques sociales et politiques qui traversent la ville latino-

américaine. On peut ainsi placer les shopping centers et l'espace public de la fin du XIXème

siècle dans un espace-plan comportant des axes correspondant aux diverses dimensions de la

centralité, de l'espace public, de la ville :

- un axe géographique centre / périphérie,

- un axe physique, ouverture / fermeture,

- un axe social mélange / ségrégation (et ouverture / fermeture, au sens figuré),

intégration / exclusion,

- un axe connotatif sûreté / danger, ordre / désordre, propreté / saleté,

- un axe symbolique profane / sacré,

- un axe fonctionnaliste monofonctionnalité / plurifonctionnalité (fonctionnalité

commerciale, politique, symbolique, de commandement),

- un axe juridique privé / public.

Ces axes renvoient aussi aux différents niveaux de l'expérience et de la pratique

urbaines et de l'appréhension de la ville. Différents critères doivent être pris en compte : les

fonctions, les formes, les usages, les significations.

Si l'espace public bourgeois était, ne serait-ce dans les représentations et dans ses

formes, des lieux potentiellement ouverts à tous, même si, en réalité, le fonctionnalisme

justifiait une ségrégation de fait, les shopping centers sont réservés à une clientèle. L'espace

public avait une forme spatiale beaucoup plus ouverte. Ses usages, comme ceux de la ville,

même s'ils étaient contrôlés par l'État, étaient plus étendus que ceux des shopping centers. Ils

ont d'ailleurs évolué au cours du XXème siècle, la pratique sociale se démocratisant, et

l'espace public pouvant devenir le lieu de la fête, de la contestation, etc. Avec les shopping

centers, la pratique sociale continue à se déplacer de l'extérieur vers l'intérieur, vers des lieux

de plus en plus fermés et exclusifs. En dehors de la Plaza qui est en grande partie à l'air libre

mais qui a malgré tout une forme close, les shopping centers constituent des lieux fermés,

même si les verrières, les coupoles vitrées et les bow-windows et autres formes architecturales

429

donnent une impression d'ouverture. En revanche, le degré d'intégration physique des

shopping centers à la ville est élevé, tout en constituant un modèle architectural clos. Le

centre commercial n'est certes pas monofonctionnel, mais il a avant tout une fonction

commerciale. Sur l'axe symbolique, le shopping center se placerait du côté du profane, bien

que les valeurs symboliques, vidées de leur sens, aient été récupérées par les promoteurs

commerciaux, de la même façon qu'au XIXème siècle, l'État, pour fonder sa légitimité, avait

recyclé la symbolique religieuse et politique coloniale pour fonder sa légitimité. La dimension

politique a été explicitement évacuée, mais elle reste sous-jacente. Si les shopping centers se

fondent sur des principes ségrégatifs, celle-ci est atténuée par les pratiques, les fréquentations

et les stratégies des habitants qui introduisent une certaine mixité sociale, même si elles vont

en partie à l'encontre de la volonté des promoteurs commerciaux.

Que la clientèle consomme des marchandises ou de l'espace, la ville privatisée est

réservée à ceux qui peuvent consommer. De l'agora et du forum, les centres commerciaux ont

gardé la forme spatiale close. De l'organisation sociale, ils ont également adopté une

conception restreinte de la citoyenneté. À Buenos Aires, les commerces de proximité étaient

des lieux de l'échange social et culturel, mais aussi des institutions favorisant l'intégration de

tous. Les shopping centers reflètent une autre conception de l'intégration, de la citoyenneté,

de la centralité, fondées sur la consommation et les valeurs marchandes. Ils affichent assez

crûment l'une des tendances profondes de la société néo-libérale, procurant aux uns un

sentiment d'intégration dont le revers est l'exclusion de la majorité. La ville dualiste, celle des

consommateurs et celle des non-consommateurs, n'est pas l'expression d'une dichotomie, mais

plutôt d'un processus dialectique entre les processus d'inclusion et d'exclusion (Castells M.,

Mollenkopf J., 1991). Pour A. Touraine, cette dualité dans la ville et dans la société, cette

logique de l'"in" et de l'"out", est le mode de fonctionnement des sociétés libérales. "Cette

vision libérale ne décrit qu'une partie de la société, comme un guide qui ne ferait visiter

qu'une partie de la ville : les beaux quartiers (...). Ceux qui sont exclus du mouvement

incessant des innovations et de la décision ne s'appuient plus sur une culture de classe, sur un

milieu ouvrier populaire. Ils ne se définissent plus par ce qu'ils font, mais parce qu'ils ne font

pas : par le chômage et par la marginalité. Cette société du changement est aussi une société

de la panne et de l'immobilité" (Touraine A., 1992 : 214).

430

Mais les shopping centers, même s'ils constituent de nouvelles formes de centralités,

selon un modèle à sens unique, ont perdu certaines des dimensions constitutives de la ville et

de l'expérience urbaine. La fermeture, la volonté globalisante de maîtrise, le contrôle

ségrégatif de l'accès évacuent la tension permanente entre les différentes polarités qui

constituent la ville : entre le connu et l'inconnu, entre l'ouverture et la fermeture, entre la

sécurité et l'insécurité, entre l'autre et le semblable. "Le balancement constant entre l'attraction

et l'excentricité, ce serait la formule de l'urbanité et la tension constante entre nivellement et

indivuation, ce serait la formule de la citadinité" (Joseph I., dans Roman J. dir., 1993 : 95).

Les symboles qui font la qualité poétique de la ville sont utilisés comme des signes. Tout a été

pensé, planifié. La ville est un terrain d'aventures, d'explorations, faite d'espaces ouverts et

d'espaces fermés, d'espaces vides et d'espaces pleins, de centres, de marges, de frontières, de

lieux connus et d'autres inconnus. Dans les shopping centers, tout ce qui est susceptible d'être

laid, dangereux, menaçant, incontrôlable est rejeté à l'extérieur. L'espace est familier, connu,

sûr, propre. Même le labyrinthe n'en est pas un, puisqu'on n'en retrouve toujours la sortie.

Le shopping center marque un retour à la forme et au sens de la ville médiévale, il

répond à une demande de sécurité : ville de l'échange commercial, ville close, espace sûr et

protégé, dont les murs protègent contre les menaces extérieures et la "barbarie".

4. La ville latino-américaine : vers un modèle de ville néo-libérale ?

Les shopping centers induisent un modèle de ville polycentrique. La ville évolue-t-elle

vers un modèle à l'américaine, néo-libéral, post-fordiste, post-moderne, privé et fragmenté ?

La ville privée est fermée et barricadée, la ville fragmentée multiplie les pôles périphériques

et s'organise selon un modèle de centralités en réseaux constitués de points reliés par des

lignes, tandis que les mailles du filet forment des territoires enclavés, délaissés, des no man's

lands, abandonnés de l'État comme des acteurs économiques privés.

Les centres commerciaux constituent des formes de centralité commerciale qui se

transplantent au centre comme dans la périphérie, surtout s'ils cristallisent des programmes

immobiliers plus vastes. D'autres confirment le centre-ville dans sa primacie, occupant des

positions plus prestigieuses, où les enjeux en termes économiques sont supérieurs. Mais leur

sens ne s'arrête pas là. Leur logique est aussi sociale, et déjà, les centres commerciaux nord-

431

américains des années 60-70 faisaient pressentir ce que pourrait être la ville de demain. Leur

construction aux États-Unis a souvent été le moteur de la rénovation ou de la revalorisation

des centres-villes, et ceux de quartiers plus périphériques comme celui de Watts à Los

Angeles, ont été planifiés après les émeutes raciales des années 60. Le rapport entre l'espace

public et l'espace privé et le choix public de maintenir un espace public ou non, ne sont pas du

tout les mêmes en Europe et aux États-Unis. Or, l'Argentine a semblé opter pour le modèle

néo-libéral nord-américain. Les centres commerciaux des années 80 ne ressemblent guère à

ceux des années 60. Leur signification a changé, ou du moins, elle s'est dévoilée. Cela vaut

aussi bien pour les centres commerciaux nord-américains, que pour les centres commerciaux

mexicains. Aussi, en Europe, notamment en France, les centres commerciaux sont-ils encore

beaucoup plus monofonctionnels. Sauf peut-être dans certains territoires de banlieue, envahis

par un sentiment d'insécurité et de décomposition sociale.

À Los Angeles, l'architecture des centres commerciaux s'intègre à un paysage par

excellence postmoderne qu'il contribue à produire dans une relation dialectique (Soja E.,

1989). Le paysage urbain nord-américain est celui d'une banlieue amorphe sans fin où se

succèdent indifféremment fast-foods, cinémas, centres commerciaux et stations essence, parcs

de loisirs, Silicon Valleys, quartiers résidentiels, monoblocks ou centres gentrifiés dont les

centres commerciaux ont d'ailleurs participé à la revitalisation. E. Soja, en comparant Los

Angeles à l'Aleph de l'écrivain argentin, symbole de "l'inconcevable univers", "lieu où se

trouvent, sans se confondre, tous les lieux de l'univers, vus de tous les angles", va même

jusqu'à rebaptiser Los Angeles LA-leph, paradigme de l'espace postmoderne, espace à la fois

global et fragmenté, centralisé et décentralisé, insaisissable, qui réunit tous les contraires. Le

centre, lieu de la cristallisation du pouvoir (inner city) y devient périphérie, et la périphérie

(outer city) se condense en des pôles, carrefours d'avenues-corridors. Le CBD de Los

Angeles, centre de commandement, n'en exerce pas moins un pouvoir dominant. "Citadelle-

panoptique" (Soja, op. cit. : 236), il contrôle l'ensemble d'un territoire multipolaire et

décentralisé, en concentrant d'un côté les grandes administrations publiques fédérales et

locales, et de l'autre le pouvoir économique et financier.

Mais l'Aleph borgésien n'existait que dans l'imagination de son créateur. L'espace de

Borges est plus un espace littéraire et poétique, voire conceptuel, qu'un espace réel. Sa ville,

Buenos Aires, qui a aussi alimenté son imaginaire, n'a rien d'une ville postmoderne ni d'une

432

"ville globale". Buenos Aires connaît néanmoins des évolutions qui évoquent, sous certains

aspects, celles des villes nord-américaines, notamment de Los Angeles. Les contrastes entre

des morceaux de ville privatisés et fermés, réservés exclusivement aux ménages aisés ou aux

classes moyennes, parmi lesquels les shopping centers, qui occupent des espaces centraux,

mais aussi, de plus en plus, périphériques, et des espaces également barricadés et

impénétrables, abandonnés à la violence et à la pauvreté, de plus en plus délaissés par l'État,

s'accentuent. Dans la banlieue de Buenos Aires, mais aussi dans les principales métropoles du

pays (Cordoba, notamment), se multiplient les country-clubs, vastes parcs boisés parsemés

des luxueuses résidences secondaires des riches habitants de la capitale, mais aussi des

équipements tels des piscines, tennis, golfs, etc. Ces espaces élitistes, clôturés et surveillés par

des vigiles, sont gérés de façon entièrement privée. Nombreux sont les quartiers aisés signalés

par les guérites de gardiens privés. De la même façon, dans la capitale, s'édifient des tours en

copropriété comportant piscines, jacuzzis et paddles. Même les morts ont le droit à leur ville

privée ! D'un côté, la ville publique, circonscriptible au centre-ville, mais aussi à quelques

espaces péricentraux, où c'est en général le secteur privé qui s'occupe de maintenir la qualité

urbaine ; de l'autre, la ville privée, dont les formes ne sont guère différentes de la première,

mais qui sont fermées, surveillées, entièrement contrôlées et planifiées par le secteur privé ;

enfin, la ville des autres, de ceux qui ne peuvent avoir accès ni à l'une ni à l'autre.

L'opposition entre le centre et la périphérie tend à s'atténuer en même temps qu'elle se

renforce, parce que l'étalement spatial provoque un éloignement croissant entre eux et que la

périphérie tend à s'autonomiser. À Buenos Aires, les shopping centers et les lieux de

fréquentation exclusive dont l'accès est payant, tendent de plus en plus à s'autonomiser par

rapport au reste de la ville. L'utilisation du terme nord-américain shopping center pour

désigner le centre commercial reflète peut-être l'influence croissante des modes culturelles et

des normes de consommation nord-américaines, mais aussi une nouvelle façon de construire

et de concevoir la ville, qui a d'abord été expérimentée aux États-Unis.

Le centre-ville de Buenos Aires reste néanmoins dominant. Aucun pôle périphérique ne

fait actuellement contre-poids au centre-ville de Buenos Aires, et les shopping centers

périurbains constituent surtout des centres de substitution. Rares sont ceux qui ont donné lieu

à des formes d'urbanisation du type de celle d'Alto Palermo dans la zone centrale. Cependant,

des évolutions se dessinent peut-être. La multiplication des universités municipales dans la

banlieue en serait-elle un signe ? À Avellaneda, dans la banlieue sud de Buenos Aires, la

433

municipalité semble vouloir faire émerger un autre centre autour de la nouvelle mairie qui

regroupe tous les services municipaux auparavant dispersés, le shopping center Alto

Avellaneda, son hypermarché, et l'université d'Avellaneda. Le centre-ville de Buenos Aires

concentre encore une écrasante majorité de l'emploi tertiaire et reste l'unique lieu du pouvoir.

La localisation centrale des principaux shopping centers en témoigne. De plus, le territoire est

loin d'être "technologisé" et "informatisé", comme il l'est aux États-Unis, il n'y a pas de

"Silicon Valleys" à Buenos Aires, et la base économique n'est pas la même. À Buenos Aires,

l'espace architectural des shopping centers ne constitue qu'un fragment surimposé de

postmodernité, de modernisme et de technologie, et les shopping centers, des îlots de richesse

qui surgissent dans une ville moderne. Ils alimentent la nostalgie d'un Paradis perdu et

l'illusion d'appartenir au premier monde. Surtout, ils symbolisent le pouvoir de l'argent qui se

dresse au milieu d'une ville qu'on dit facilement en décomposition, la concentration et la

puissance croissantes d'un capital plus local que transnational, même si ses connexions

financières et informationnelles internationales sont multiples. Il montre que le capital privé

qui se concentre dans les endroits économiquement rentables, joue un rôle croissant dans les

processus de production de la ville et dans les nouveaux modes de régulation sociale, et que la

consommation à la fois de plus en plus segmentée et concentrée, se fixe dans les quelques

lieux fermés et protégés.

Le double mouvement d'homogénéisation / différenciation de la culture et de

concentration / fragmentation tant de la société que du paysage urbain est la principale clé de

lecture de la mondialisation culturelle et de la remise en cause du sujet moderne dans la ville.

Les shopping centers constituent une cinglante affirmation de l'émergence d'une ville privée.

434

Bibliographie

Nota bene : afin de faciliter la lecture, nous avons retenu le système de

classification et de renvoi bibliographique anglo-saxon, qui nous semblait plus clair. La

bibliographie présente donc un ordre alphabétique qui peut, certes, avoir des

inconvénients. Nous joignons cependant un index thématique, classé par auteur et par

année, abordant les principaux sujets traités dans cet ouvrage.

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Venturi Vincent, Scott-Brown Denise, Izenour Steven (1978). L'enseignement de Las Vegas, ou le symbolisme oublié de la forme architecturale. Bruxelles : Mardaga, 190 p. (1ère éd. 1972, trad.).

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d'Orléans, pp. 25-34.

469

Index bibliographique

Cet index ne vise pas l'exhaustivité. Nous n'avons retenu que certains thèmes, qui nous

semblaient importants, ainsi que les principaux ouvrages et articles. Nous avons indiqué à

chaque fois le nom de l'auteur et la date de parution de l'ouvrage ou de l'article, priant le

lecteur de se reporter à la bibliographie pour les références complètes.

Argentine : économie, politique et société

Ouvrages généraux sur l'Argentine et sur l'Amérique latine

Bataillon C. et al., 1991 ; Rock D., 1991 ; Rouquié A., 1984, 1987 ; Touraine A., 1976,

1987.

Pouvoir politique et économique : État et groupes économiques

Azpiazu D., et al., 1988 ; Acevedo M. et al., 1990 ; Majul L., 1993 ; Ószlak O., 1990a ;

Ostiguy P., 1990 ; Sábato J., 1988 ; Sábato J., Schvarzer J., 1985 ; Schvarzer J., 1983a, 1983b,

1989 ; Verbitsky H., 1991.

Réforme politique

Cormick H., 1991 ; Dromi J., 1991 ; Felcman I., 1991 ; Marques-Pereira J., 1993 ;

Ószlak O., 1990b ; Rófman A., 1990.

Évolution sociale dans les années 80-90 et structure sociale

Altimir O., 1986 ; Beccaria L., 1991a, 1992, 1993 ; Chapp M. E., 1990 ; Goldbert L.,

Tenti Fanfani E., 1993 ; INDEC, 1984b, 1989a ; Minujín A., 1992, 1993 ; Palomino H., 1987,

1989 ; Prévôt-Schapira M. F., 1990 ; Torres H., 1975, 1978 ; Torrado S., 1990.

Commerce et distribution

Ambassade de France en Argentine (1990) ; d'Anna E., d'Anna Salvador, 1988 ;

Apertura, 1992, 1993 ; Cimilo E., 1986 ; Franco A., 1995 ; Green R., 1995 ; Green R. et al.,

1992 ; Schvarzer J., 1995.

Argentine : la ville

470

Histoire et structure urbaine de Buenos Aires

Bourdé G., 1972, 1974 ; Collin Delavaud A. et C., 1986 ; Evolución de Buenos Aires en

el tiempo y en el espacio, 1973 ; Romero J. L. et Romero L. A., 1983 ; Sargent C., 1974 ;

Scobie J., 1974 ; Torres H., 1993.

Politique et gestion urbaine, droit de l'urbanisme

Arroyo D., Peñalva S., 1991 ; Bóscolo A. M., 1992 ; Cassagne J. C. et al., 1983 ;

Clichevsky N., 1987, 1990a, 1990b ; CPU, 1989, 1992 ; Dupuy G., 1987 ; Flores S., 1993 ;

Garay A., Garcia Delgado D., 1985 ; Gorelik A., Silvestri G., 1990a, 1990b ; Grillo O., 1991 ;

Herzer H., Pírez P., 1988 ; Ószlak O., 1991 ; Pajoni R., 1983 ; Pírez P., 1989, 1991 ; Prévôt-

Schapira M. F., 1994 ; Súarez O., 1986 ; Walter R., 1993 ; Yujnovsky O., 1985.

Commerce et distribution

Ouvrages et articles généraux (géographie du commerce, recherche en géographie

commerciale)

Beaujeu-Garnier J., Delobez A., 1977 ; Berry B., 1971 ; Bize P., 1982 ; Camous P.,

1987 ; Dalmasso E., 1976 ; Metton A., 1985 ; Mérenne-Schoumaker B., 1987 ; Santos M.,

1975 ; Tarondeau J. C., Xardel D., 1985 ; Zeller R., 1985.

Modernisation et évolution commerciale en France

Anquez M. C., 1983 ; Bondue J. P., 1987b ; Boudet A., 1994a, 1994 b ; Coquery M.,

1977 ; Dimeglio P., 1983 ; Metton A., 1980, 1987, 1989b ; Metton A., Pallier G., 1991 ;

Moati P., 1995 ; Péron R., 1993 ; Urbanisme, 1994.

Centres commerciaux (en France et à l'étranger)

Bachelard M., 1987 ; Barata Salgueiro T., 1989 ; BETURE, 1974; Bodega Fernández I

et al., 1992 ; Bondue J. P., 1987a ; Carreras i Verdaguer C., 1992 ; CECOD, 1993 ; Dawson

J., 1985 ; Fournié A., 1982 ; Ghorra-Gobin C., 1988 ; Gormsen E., Klein-Glüpke R., 1991 ;

Gruen V., Smith L., 1960 ; Guy C. M., 1985 ; d'Heucqueville R., 1989 ; Jones C., 1969 ;

Koehl J. L., 1990 ; Marrou l., 1993 ; Ooi G. L., 1991 ; Mérenne-Schoumaker B., 1983 ; Piau

J. P., 1982 ; Pintaudi S. M., 1992 ; Sites commerciaux, 1990-1991, 1993, 1994.

471

Acteurs commerciaux : pouvoirs publics et urbanisme commercial

Barata Salgueiro T., 1992 ; Coquery M., 1978 ; Dawson J., 1983 ; Diagonal, 1995 ;

Fournié A., 1988 ; Howard E., Reynolds J., 1992 ; Idrac M., 1979 Jalabert G., 1975 ;

Mérenne-Schoumaker B., 1987 ; Metton A., 1989a ; Péron R., 1993 ; Ooi G. L., 1991 ;

Acteurs commerciaux : acteurs de la distribution, promoteurs, stratégies commerciales

Bachelard M., 1990; Dimeglio P., 1983 ; Mérenne-Schoumaker B., 1992 ; Metton A.,

1987 ; Pintaudi S. M., 1992 ; Urbanisme, 1988.

Acteurs commerciaux : pratiques urbaines et pratiques d'achat

Bertrand M. J., 1978 ; Bouveret-Gauer M. et al., 1994 ; Large P. F., 1992 ; Marenco C.,

1985 ; Mérenne-Schoumaker B., 1985 ; Metton A., 1991a ; Piolle X., 1979 ; Péron R., 1993.

Géographie, sociologie, anthropologie : quelques thèmes

Sociologie urbaine critique

Castells M., 1972, 1975 ; Castells M., Godard H., 1974 ; Castells M., Mollenkopf,

1991 ; Davis M., 1991 ; Durand-Lasserve A., Tribillon J. F., 1990 ; Grafmeyer Y., 1994 ;

Harvey D., 1985, 1989 ; Jacobs J., 1961 ; Ledrut R., 1979 ; Lefebvre H., 1968, 1974 ; Lojkine

J., 1977 ; Pinçon M., Préteceille E., 1975 ; Pinçon-Charlot M., Préteceille E., Rendu P., 1986 ;

Rémy J., 1987 ; Rémy J., Voyé L., 1981, 1992 ; Topalov C., 1974.

Gouvernance urbaine, politiques locales, acteurs de la ville

Biarez S., Nevers J. Y., 1993 ; de Campagnac E., 1992 ; Dahl R., 1961 ; Frieden B. J.,

Sagalyn L. B., 1991 ; Gaudin J. P., 1989, 1993 ; Keating M., 1991, 1993 ; Le Galès P., 1993 ;

Leroux-Dhuis J. F., 1975 ; Pickvance C., Préteceille E., 1985 ; Préteceille E., 1988 ; Stone

C., 1989, 1993 ; Topalov C., 1974.

Anthropologie urbaine

Althabe G., 1984 ; Augé M., 1989, 1992 ; de la Pradelle M., 1993 ; Segalen M., 1989.

Anthropologie et sociologie de la consommation

472

Baudrillard J., 1971 ; Bourdieu P., 1979 ; Camous P., 1987 ; Douglas M., Isherwood B.,

1979 ; Lipovetsky G., 1983 ; Veblen T., 1970.

Géographie sociale et culturelle, géographie des représentations

Auriac F., Brunet R., 1986 ; Bailly A., 1981 ; Chamussy H., 1985, 1986 ; Chevallier J.

et al., 1984 ; Choay F., 1965, 1980 ; Claval P., 1973, 1992a ; Freschi L., 1985 ; Guérin J. P.,

Gumuchian H., 1978, 1985 ; Gumuchian H., 1991 ; Isnard H., 1978 ; Jalabert G., 1990 ; Vant

A., 1986.

Espace / société et modernité / postmodernité

Claval P., 1992b ; Dear M., 1994 ; Hamel P., Poitras C., 1994 ; Harvey D., 1989 ;

Jamenson F., 1991 ; Neves J., Pellegrino P., 1994 ; Sárlo B., 1994 ; Soja E., 1989 ; Touraine

A., 1992 ; Venturi V., Scott-Brown D., Izenour S., 1978

Espace public, urbanité et citoyenneté

Bourdin A., 1991 ; Habermas J., 1984 ; Heers J., 1984 ; Jacobs J., 1961 ; Korosec-

Serfaty P., 1986 ; APUR, 1993 ; Plan Urbain, 1988 ; Roman J., 1993, 1994 ; Sennett R., 1990.

Mondialisation et internationalisation (économique, politique, culturelle)

Beaud M., 1988 ; Badie B., 1992 ; Boyer R., Durand J. P., 1993 ; Durand M. F. et al.,

1992 ; Latouche S., 1989 ; Lipietz A., 1986 ; Moreau-Desfarges P., 1993 ; Sassen S., 1991,

1994

473

Tableaux Tableau n° 1 : nombre de locaux des principales sociétés de grande distribution installées dans l'agglomération de Buenos Aires ..........................................................................148 Tableau n° 2 : taux de croissance moyen annuel comparé de la capitale, de l'agglomération et des 19 partidos conurbés...............................................................................................161 Tableau n° 3 : rythme d'inauguration des shopping centers .........................................170 Tableau n° 4 : année d'apparition d'innovations commerciales concernant les shopping centers Tableau n° 5 : typologie des shopping centers..............................................................182 Tableau n° 6 : identification des principaux acteurs des shopping centers inuagurés avant 1993 (propriétaire du foncier / du bâti, promoteur, principaux investisseurs)..............201 Tableau n° 7 : identification des principaux acteurs des shopping centers inaugurés en 1993-1994...............................................................................................................................202 Tableau n° 8 : identification des principaux acteurs des shopping centers abandonnés ou encore en suspens ..........................................................................................................202 Tableau n° 9 : secteur d'activité du promoteur et des investisseurs des shopping centers inaugurés avant 1993.....................................................................................................203 Tableau n° 10 : origine du capital des promoteurs des shopping centers inaugurés en 1993-1994, en construction ou abandonnés ...........................................................................204 Tableau n° 11 : identification des acteurs liés à la fonction de promotion et exerçant d'autres fonctions essentielles au processus de production des shopping centers......................215 Tableau n° 12 : liste des shopping centers ayant appelé des interventions particulières de la part des pouvoirs publics et la signature d'accords entre acteurs publics et opérateurs privés.......................................................................................................................................255 Tableau n° 13 : tableau récapitulatif des accords passés entre les opérateurs privés et les acteurs institutionnels....................................................................................................261 Tableau n° 14 : contenu des accords passés entre les opérateurs privés et les acteurs institutionnels ................................................................................................................262 Tableau n° 15 : table des usages du commerce de détail "moderne" dans le code de l'urbanisme de la municipalité de Buenos Aires en 1982 .............................................276 Tableau n° 16 : table des usages du commerce de détail "moderne" dans le code de l'urbanisme de Buenos Aires en 1990-1992..................................................................276 Tableau n° 17 : table des usages du commerce de détail "moderne" dans le code de l'urbanisme de Buenos Aires en 1993 ...........................................................................277 Tableau n° 18 : corpus d'articles retenus en fonction de la source ...............................306 Tableau n° 19 : nombre d'occurrences par shopping center dans le quotidien Clarín..310 Tableau n° 20 : principaux thèmes abordés dans la presse ...........................................311

474

Graphiques et figures Graphique n° 1 : une conjoncture économique instable. Évolution conjointe du coût de la vie et du coût de la construction et des taux d'intérêt annuels entre 1979 et 1991 .............209 Graphique n° 2 : graphe des liens unissant les acteurs gravitant autour du groupe Pérez Companc........................................................................................................................218 Graphique n° 3 : courbe de Lorenz de la distribution du revenu de l'ensemble des salariés de l'agglomération de Buenos Aires (source : Beccaria L., 1993).....................................366 Graphique n° 4 : évolution des taux de chômage et de sous-emploi dans l'agglomération de Buenos Aires (1974-1995) ............................................................................................368 Graphique n° 5 : stratification sociale de la population de l'agglomération de Buenos Aires en 1992 selon l'indice du niveau socio-économique de l'Asociación Argentina de Marketing.......................................................................................................................................372

475

TABLE DES MATIERES

INTRODUCTION ................................................................................ ¡ERROR! MARCADOR NO DEFINIDO.

1. Étonnement et questionnement : le premier regard ....................... ¡Error! Marcador no definido.

2. Les différentes lectures de la modernisation du commerce de détail dans les pays en

développement ............................................................................................... ¡Error! Marcador no definido.

3. Les centres commerciaux, observatoires des mutations sociales, urbaines, économiques. Le cas

de l'Argentine ................................................................................................ ¡Error! Marcador no definido.

4. L'approche sociale en géographie du commerce : notre démarche¡Error! Marcador no definido.

5. Centres commerciaux, acteurs du commerce et ville ..................... ¡Error! Marcador no definido.

6. De l'objet urbain à l'analyse des stratégies urbaines : le sens de notre démarche à Buenos Aires¡Error! Marcador

PREMIERE PARTIE : VILLE, COMMERCE ET SOCIETE....... ¡ERROR! MARCADOR NO DEFINIDO.

CHAPITRE 1. DE L'ANALYSE DES STRATEGIES D'ACTEURS A CELLE DES MODALITES DE LA GOUVERNANCE

URBAINE...................................................................................................... ¡ERROR! MARCADOR NO DEFINIDO.

1. Le rôle des instances économiques et des logiques des acteurs urbains dominants dans la

sociologie marxiste des années 70 ................................................................ ¡Error! Marcador no definido.

1.1. La logique dominante des producteurs ........ ¡Error! Marcador no definido.

1.2. Limites et renouvellement de l'approche critique¡Error! Marcador no definido. 2. L'approche organisationnelle : systèmes d'acteurs, jeux et espace local¡Error! Marcador no definido.

2.1. Analyse organisationnelle et stratégies socio-spatiales¡Error! Marcador no definido.

2.2. Le concept de systèmes d'acteurs dans la sociologie organisationnelle¡Error! Marcador no3. Les théories du régime urbain et de la gouvernance urbaine........ ¡Error! Marcador no definido.

3.1. Régime urbain et gouvernance urbaine ....... ¡Error! Marcador no definido.

3.2. Intérêt et précautions d'emploi de la théorie de la gouvernance urbaine¡Error! Marcador n

CHAPITRE 2 : LES CENTRES COMMERCIAUX DANS LA POLITIQUE URBAINE.. ¡ERROR! MARCADOR NO DEFINIDO.

1. Les politiques d'urbanisme commercial ......................................... ¡Error! Marcador no definido.

1.1. L'urbanisme commercial : définition et contenu¡Error! Marcador no definido.

1.2. Typologie des politiques d'urbanisme commercial¡Error! Marcador no definido. 2. Ébauche d'une analyse comparée : les cas de la France et des États-Unis¡Error! Marcador no definido.

2.1. Comparaison entre les contextes institutionnel et culturel français et nord-

américain ...................................................................... ¡Error! Marcador no definido.

2.2. L'urbanisme commercial en France ............. ¡Error! Marcador no definido.

476

2.3. L'urbanisme commercial aux États-Unis ..... ¡Error! Marcador no definido.

2.4. Le corporatisme sous-jacent à l'urbanisme commercial¡Error! Marcador no definido. 3. Le rôle de l'État dans la production de l'espace commercial ........ ¡Error! Marcador no definido.

3.1. Le rôle du discours dominant sur la ville dans la production des centres

commerciaux ................................................................ ¡Error! Marcador no definido.

3.2. Impact sur les relations entre la ville et le commerce¡Error! Marcador no definido.

CHAPITRE 3. L'IMPACT DU COMMERCE SUR LA VILLE ET LA SOCIETE .......... ¡ERROR! MARCADOR NO DEFINIDO.

1. Centres commerciaux et lien social : les formes sociales et spatiales de l'échange¡Error! Marcador no definido.

1.1. La fin du mythe libéral de la consommation ¡Error! Marcador no definido.

1.2. Commerce, ségrégation et reproduction sociale¡Error! Marcador no definido.

1.3. Centres commerciaux : de l'insertion sociale à l'exclusion¡Error! Marcador no definido. 2. Urbanité, centralité et commerce................................................... ¡Error! Marcador no definido.

2.1. Centralité et commerce ................................ ¡Error! Marcador no definido.

2.2. Urbanité et commerce : entre "savoir-faire la ville et savoir-vivre en ville"¡Error! Marcado

CHAPITRE 4. SOURCES ET METHODES OU COMMENT S'ADAPTER A UNE AUTRE RATIONALITE. NOTRE ENQUETE A

BUENOS AIRES. ........................................................................................... ¡ERROR! MARCADOR NO DEFINIDO.

1. Les méandres du terrain................................................................. ¡Error! Marcador no definido.

1.1. Les difficultés d'accès aux sources .............. ¡Error! Marcador no definido.

1.2. Intérêt et limites d'une démarche comparative¡Error! Marcador no definido.

1.3. Démarche et étapes du travail...................... ¡Error! Marcador no definido. 2. Les principales caractéristiques de l'évolution commerciale et des centres commerciaux en

Argentine ....................................................................................................... ¡Error! Marcador no definido.

2.1. La faiblesse des travaux sur la distribution et sur les centres commerciaux¡Error! Marcado

2.2. Constitution d'un corpus et de sources sur les centres commerciaux¡Error! Marcador no d3. Analyse des stratégies des promoteurs et des acteurs institutionnels¡Error! Marcador no definido.

3.1. Identification des promoteurs et des principaux acteurs¡Error! Marcador no definido.

3.2. Analyse des stratégies interdépendantes des promoteurs commerciaux et des

pouvoirs publics ........................................................... ¡Error! Marcador no definido.

3.3. Analyse du discours dominant sur les centres commerciaux¡Error! Marcador no definido

3.4. Analyse des pratiques et des usages des centres commerciaux¡Error! Marcador no definid

Conclusion .......................................................... ¡Error! Marcador no definido.

477

DEUXIEME PARTIE "ANCIENS" ET "NOUVEAUX" CENTRES COMMERCIAUX

............................................................................................................... ¡ERROR! MARCADOR NO DEFINIDO.

Introduction......................................................... ¡Error! Marcador no definido.

CHAPITRE 1 : VILLE, COMMERCE ET SOCIETE A BUENOS AIRES ................... ¡ERROR! MARCADOR NO DEFINIDO.

1. Centralité et commerce .................................................................. ¡Error! Marcador no definido.

1.1. La centralité à Buenos Aires........................ ¡Error! Marcador no definido.

1.2. Le commerce porteño .................................. ¡Error! Marcador no definido. 2. Urbanité et commerce à Buenos Aires........................................... ¡Error! Marcador no definido.

2.1. Commerce de luxe, ostentation et modes européennes¡Error! Marcador no definido.

2.2. Le visage cosmopolite du commerce........... ¡Error! Marcador no definido.

2.3. L'influence récente des modes et des modèles nord-américains¡Error! Marcador no defini

CHAPITRE 2 : LES MUTATIONS COMMERCIALES ET L'APPARITION DES SHOPPING CENTERS EN ARGENTINE

.................................................................................................................... ¡ERROR! MARCADOR NO DEFINIDO.

1. Les à-coups de la modernisation de la distribution alimentaire : 1950-1980¡Error! Marcador no definido.

1.1. Une première phase de modernisation inachevée : l'apparition des libres-

services et des grandes surfaces ................................... ¡Error! Marcador no definido.

1.2. La deuxième phase de modernisation dans les années 80-90 : le décollage

de la distribution moderne dans le secteur alimentaire ¡Error! Marcador no definido. 2. La modernisation dans le secteur non-alimentaire........................ ¡Error! Marcador no definido.

2.1. La modernisation du commerce de détail et la franchise¡Error! Marcador no definido.

2.2. Les shopping centers, de nouveaux sites pour l'expansion des chaînes de

distribution ................................................................... ¡Error! Marcador no definido. 3. La modernisation commerciale : un processus linéaire ? ............. ¡Error! Marcador no definido.

3.1. Modification dans les modes de consommation¡Error! Marcador no definido.

3.2. Une modernisation incomplète et inachevée¡Error! Marcador no definido.

3.3. Les limites de la modernisation du système commercial¡Error! Marcador no definido.

CHAPITRE 3 : DE NOUVEAUX CENTRES DANS L'AGGLOMERATION DE BUENOS AIRES¡ERROR! MARCADOR NO DEFINIDO.

1. Du mondial au local....................................................................... ¡Error! Marcador no definido.

1.1. Les shopping centers : un indice de métropolisation ou de mondialisation ?¡Error! Marcad

1.2. Entre produit-standard et produit culturel.... ¡Error! Marcador no definido. 2. Formes et fonctions des shopping centers...................................... ¡Error! Marcador no definido.

2.1. Un bon niveau d'intégration formelle et fonctionnelle¡Error! Marcador no definido.

478

2.2. Typologie socio-spatiale des shopping centers¡Error! Marcador no definido.

2.3. La distribution spatiale des shopping centers¡Error! Marcador no definido.

Conclusion .......................................................... ¡Error! Marcador no definido.

TROISIEME PARTIE LOGIQUES POLITIQUES ET ECONOMIQUES DE LA MODERNISATION

COMMERCIALE................................................................................ ¡ERROR! MARCADOR NO DEFINIDO.

CHAPITRE 1. LES PROMOTEURS COMMERCIAUX .......................................... ¡ERROR! MARCADOR NO DEFINIDO.

1. Évolution du secteur de la promotion immobilière ........................ ¡Error! Marcador no definido.

1.1. L'immobilier : un secteur depuis longtemps très-spéculatif¡Error! Marcador no definido.

1.2. Le dualisme des secteurs de l'immobilier et de la construction jusque dans

les années 70................................................................. ¡Error! Marcador no definido.

1.3. Le développement de la promotion immobilière commerciale¡Error! Marcador no definid2. L'organisation interne des promoteurs .......................................... ¡Error! Marcador no definido.

2.1. Identification des principaux promoteurs commerciaux¡Error! Marcador no definido.

2.2. Niveaux d'autonomie et d'intégration fonctionnelle¡Error! Marcador no definido. 3. La constitution de réseaux d'acteurs urbains................................. ¡Error! Marcador no definido.

3.1. Identification des autres acteurs privés de la production des shopping

centers .......................................................................... ¡Error! Marcador no definido.

3.2. Constitution et fonctionnement des réseaux ¡Error! Marcador no definido. 4. Typologie croisée des promoteurs et des shopping centers ........... ¡Error! Marcador no definido.

4.1. Les différents profils de promoteurs............ ¡Error! Marcador no definido.

4.2. Les logiques socio-spatiales et économiques des promoteurs commerciaux¡Error! Marcad

CHAPITRE 2. LES TRANSFORMATIONS DE L'ÉTAT EN ARGENTINE ET SES IMPLICATIONS LOCALES¡ERROR! MARCADOR NO DEFINID

1. L'espace politique argentin ............................................................ ¡Error! Marcador no definido.

1.1. L'architecture politique et institutionnelle ... ¡Error! Marcador no definido.

1.1.2. L'"enjeu-capitale"...................................... ¡Error! Marcador no definido.

1.2. Pouvoir politique et pouvoir économique : la question de la légitimité de

l'État.............................................................................. ¡Error! Marcador no definido. 2. Un nouvel acteur urbain : les promoteurs ..................................... ¡Error! Marcador no definido.

2.1. La fin d'un mode de production de la ville .. ¡Error! Marcador no definido.

2.2. L'émergence des promoteurs comme nouveaux acteurs urbains¡Error! Marcador no defin

CHAPITRE 3. LES STRATEGIES URBAINES DES PROMOTEURS COMMERCIAUX ET DES ACTEURS INSTITUTIONNELS¡ERROR! MARCADO

479

1. Les négociations entre acteurs privés et acteurs publics : la norme urbaine et le foncier¡Error! Marcador no defin

1.1. Les négociations sur la norme urbaine ........ ¡Error! Marcador no definido.

1.2. Les négociations sur le foncier : l'enjeu foncier dans la zone centrale¡Error! Marcador no

1.3. Le degré de formalisation du partenariat ..... ¡Error! Marcador no definido. 2. Spéculation immobilière, développement urbain et shopping centers : deux études de cas¡Error! Marcador no defi

2.1. L'opération d'aménagement urbain d'Alto Palermo¡Error! Marcador no definido.

2.2. L'opération du marché d'Abasto. ................. ¡Error! Marcador no definido.

Conclusion .......................................................... ¡Error! Marcador no definido.

QUATRIEME PARTIE LES LOGIQUES SOCIALES DE LA MODERNISATION COMMERCIALE¡ERROR! MARCAD

Introduction......................................................... ¡Error! Marcador no definido.

CHAPITRE 1 : IMAGES ET REPRESENTATIONS DOMINANTES DES SHOPPING CENTERS¡ERROR! MARCADOR NO DEFINIDO.

1. L'utopie de la consommation dans le discours publicitaire ........... ¡Error! Marcador no definido.

1.1. Constitution d'un corpus de textes ............... ¡Error! Marcador no definido.

1.2. Les images des centres commerciaux dans le discours publicitaire¡Error! Marcador no de

1.3. Fonction idéologique et fonctionnement du discours¡Error! Marcador no definido. 2. Sémiologie de l'espace architectural des shopping centers ........... ¡Error! Marcador no definido.

2.1. Les catégories utilisées par l'espace architectural postmoderne dans les

shopping centers centraux............................................ ¡Error! Marcador no definido.

2.2. Le pouvoir dans l'espace architectural postmoderne¡Error! Marcador no definido.

2.3. Élargissement de l'analyse aux autres shopping centers¡Error! Marcador no definido.

CHAPITRE 2 : CLIENTELES ET STRATEGIES SOCIO-SPATIALES....................... ¡ERROR! MARCADOR NO DEFINIDO.

1. La crise sociale à Buenos Aires ..................................................... ¡Error! Marcador no definido.

1.1. Le mythe argentin de la classe moyenne ..... ¡Error! Marcador no definido.

1.2. Le laminage de la classe moyenne............... ¡Error! Marcador no definido. 2. Des fréquentations aux stratégies socio-spatiales des shopping centers¡Error! Marcador no definido.

2.1. L'appropriation de l'espace commercial par les usagers¡Error! Marcador no definido.

2.2. Fréquentations et stratégies socio-spatiales des usagers¡Error! Marcador no definido.

Conclusion .......................................................... ¡Error! Marcador no definido.

CONCLUSION ........................................................................................................................................414

480

1. Originalité du paysage commercial porteño et du développement des shopping centers à Buenos

Aires ...........................................................................................................................................................414

2. Logiques politiques, économiques, spatiales de la production des shopping centers et de la

modernisation commerciale .......................................................................................................................418

3. Modèles de ville et espaces-modèles ...........................................................................................425

4. La ville latino-américaine : vers un modèle de ville néo-libérale ?............................................431

Bibliographie ..................................................................................................................................435

Index bibliographique .....................................................................................................................470

481

Bibliographie Nota bene : afin de faciliter la lecture, nous avons retenu le système de classification et de renvoi bibliographique anglo-saxon, qui nous semblait plus clair. La bibliographie présente donc un ordre alphabétique qui peut, certes, avoir des inconvénients. Nous joignons cependant un index thématique, classé par auteur et par année, abordant les principaux sujets traités dans cet ouvrage. Acevedo Manuel, Basualdo E. M., Khavisse Miguel (1990). ¿Quién es quién? Los dueños del poder económico (Argentina, 1973-1987). Buenos Aires : Editora/12, col. Pensamiento Jurídico Editora, 185 p. Achard Pierre (1993). Sociologie du langage. Paris : PUF, col. Que sais-je?, 126 p. Althabe Gérard, dir. (1984). Urbanisation et enjeux quotidiens : terrains ethnologiques de la France actuelle. Paris : Anthropos, 198 p. Altimir Oscar (1986). "Estimaciones de la distribución del ingreso en la Argentina, 1953-1980". Dans Desarrollo económico, vol. 25, n° 100, Buenos Aires, CEDES, pp. 521-565. Ambassade de France en Argentine (1990). La distribution des produits de grande consommation. Buenos Aires : Ambassade de France, poste d'expansion économique, 75 p. Andrade Hugo A., Orzi Ricardo (1991). "La ciudad y el nuevo modelo de acumulación". Dans Cambios, n° 2, Buenos Aires, Municipalidad de la Ciudad de Buenos Aires, pp. 6-13. d'Anna Elena B., d'Anna Salvador (1988). Supermercados argentinos. Buenos Aires : Moreno, t.1, 318 p. Les Annales de la recherche urbaine (1981). "Consommation, commerce, urbanisme", n° 12, Paris, Dunod, 133 p. Anquez Marie-Claude (1983). "L'offensive des hard-discounts en France". Dans Bulletin de l'Association des Géographes Français, n° 3, "Commerce et aménagement", Paris, Association des Géographes français, pp 248-259. Apertura (1992, 1993). Numéros hors-série sur la franchise en Argentine, Buenos Aires. Arroyo Daniel, Peñalva Susana (1991). "Cambios en la regulación estatal y crisis de la política social : los actuales dilemas de la gestión municipal". Dans Cambios, n° 2, Buenos Aires, Municipalidad de la Ciudad de Buenos Aires, pp. 31-40. Atelier Parisien d'Urbanisme (1993). Paris projet (1993), "Espaces publics". Paris : APUR, n° 30-31, 270 p. Augé Marc (1989). "L'autre proche". Dans L'Autre et le semblable : regards sur l'ethnologie des sociétés contemporaines, Paris, CNRS, col. CNRS +, pp. 19-33.

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Carte n° 3 : les districts scolaires de Buenos Aires, unités de recensement intermédiaires

utilisées par l'INDEC

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N20

Carte n° 9 : carte des nodules commerciaux Source : MCBA, 1986

Carte n° 10 : densité commerciale (nombre de commerces par hectare)

Densité commerciale dans le GBA

0.30 1.50 3.00 5.70

11.9018.0019.70

- - - - - - -

1.50 3.00 5.70

11.9018.0023.0023.00

source : élaboration personnelle. À partir du recensement économique INDEC, 1985

Carte n° 11 : le commerce dans le centre de Buenos Aires et localisation des shopping

centers Dessin n° 1 : L'imaginaire commercial argentin. Manolito, fils de don Manolo, l'épicier

de quartier (Quino, Les histoires de Mafalda, Glénat, n°1, p. 40) Photo n° 1 : les contrastes de la modernisation. Un local commercial dans la banlieue de

Buenos Aires. Carte n° 12 : localisation des hypermarchés dans l'agglomération de Buenos Aires

(1994)

Carte n° 13 : répartition des ménages paupérisés dans l'agglomération de Buenos Aires.

Répartition des ménages paupérisés dans le GBA

Part des ménages NBI dans chaque municipeSource: IPA, INDEC, 1988

N

Echelle

Répartition des ménages paupérisés dans le GBA

7.3% - 14.1%

14.2% - 23%

23.1% - 26.1%

26.2% - 30.3%

30.4% - 37.5%

Carte n° 14 : taux de croissance démographique dans l'agglomération de Buenos Aires

entre 1980 et 1991 (%)

La croissance démographique dans l'agglomération de Buenos Aires (1980-1991)

Taux de croissance démographique (%) par commune et par district scolaire dans la capitaleSource: recensement INDEC, 1992

Taux de croissance démographique 1980-1991

-7-2 21025 0

- - - - - -

-2 2102550 0

Carte n° 15 : évolution du nombre et de la taille des shopping centers Carte n° 17 : valeur architecturale des bâtiments. Centre / périphérie. Carte n° 18 : évolution des coûts de construction des shopping centers dans

l'agglomération de Buenos Aires Carte n° 19 : nature de la locomotive dans les shopping centers Carte n° 25 : politiques spatiales des différents types de promoteurs commerciaux.

Centre / périphérie. Carte n° 26 : zones d'influence des shopping centers dans l'agglomération de Buenos

Aires (pour la définition et la délimitation des zones d'influence, se reporter aux tableaux n° D1, D2 et D3 de l'annexe n° 3 et aux commentaires qui les accompagnent).

Carte n° 27 : espaces "libres" (espaces verts, terres fiscales, délaissés portuaires et

ferroviaires) dans la capitale Carte n° 28 : plan d'occupation des sols simplifié de Buenos Aires (code de l'urbanisme,

version de 1984). Source : à partir de Súarez O., 1986. Carte n° 29 : zones où l'implantation des shopping centers est permise (selon la

définition de 1993 du code de l'urbanisme) Source : ibid., op. cit.. Carte n° 30 : parcellaire et occupation des sols autour d'Alto Palermo Carte n° 31 : évolution du zonage dans le quartier d'Abasto (1986-1987)

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dessin n° 1 : Mafalda et son ami Manolito, le fils de l’épicier don Manolo. L’imaginaire commercial argentin et la figure-type du commerçant d’origine espagnole dessins n° 2, 3, 4 et 5 : sémiologie visuelle à Alto Palermo Plan n° 1 : Patio Bullrich Plan n° 2 : coupe du Patio Bullrich Plan n° 3 : plan du rez-de-chaussée des Galerías Pacífico Plan n° 4 : plan du sous-sol des Galerías Pacífico Plan n° 5 : plan du premier étage d’Alto Palermo Plan n° 6 : plan du niveau intermédiaire d’Alto Palermo m km km quartier spécialisé dans le commerce de gros prédominance du commerce de luxe et des meubles design zone à très forte concentration d’activités financières shopping centers Rio de la Plata Légende cinémas des shopping centers Source : Digesto municipal de la municipalité de Buenos Aires Source : Boletín municipal de la MCBA, n° 17.437 du 21/01/85 Source : Boletín municipal de la MCBA, n° 17.963 du 03/02/87 Part cumulée des revenus Part cumulée des cas Source : EPH, INDEC 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 31 32 33 34 35 36 37 38 39 40 41 42 43 44 45 46 47 48 49 50 51 52 53 54 80 81 82 83 84 85 86 87 88 89

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Lexiques

Principaux sigles utilisés

Pour cette liste, nous nous sommes limité aux nombreux sigles utilisés en urbanisme ainsi

qu'aux noms d'organismes publics et privés argentins, afin de ne pas l'étendre inutilement. La

plupart de ces sigles et de ces termes ont déjà été expliqués dans le développement. Il ne

s'agira souvent que d'un rappel. Le lexique du commerce permet par ailleurs de faire le point

sur des notions couramment utilisées en géographie commerciale.

Urbanisme

France

CDUC : commission départementale d'urbanisme commercial (devenue CDEC, commission départementale d'équipement commercial en 1993))

COS : coefficient d'occupation des sols IAURIF : institut d'aménagement et d'urbanisme de la région Ile-de-France (1960) LOF : loi d'orientation foncière (1967) PADOG : plan d'aménagement et d'organisation générale de la région parisienne PAZ : plan d'aménagement de zone PLD : plafond légal de densité POS : plan d'occupation des sols SCI : société civile immobilière SDAURP : schéma directeur d'aménagement et d'urbanisme de la région parisienne (1965) SICOMI : société immobilière pour le commerce et l'industrie TLE : taxe locale d'équipement ZAC : zone d'aménagement concerté

États-Unis

UDAG : Urban Development Action Grant

Argentine

CPU : codigo de planificación urbana (code de l'urbanisme) FOS : factor ocupación del suelo (équivalent du COS) FOT : factor ocupación total (coefficient d'occupation de la parcelle)

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Noms d'organismes publics et privés

AAM : Asociación Argentina de Marketing BCRA : Banco Central de la Republica Argentina CASC : Cámara Argentina de Shopping Centers CEAMSE : Cinturón Ecológico Area Metropolitana Sociedad del Estado CONADE : Consejo Nacional del Desarrollo del Area Metropolitana CPU : Consejo de Planificación Urbana DGI : Dirección General de Impuestos HCD : Honorable Consejo Deliberante IASC : International Association of Shopping Centers INDEC : Instituto Nacional de Estadísticas y Censos MCBA : Municipalidad de la Ciudad de Buenos Aires ORDAM : Oficina Regional del Area Metropolitana ORPBA : Oficina del Plan Regulador

Lexique des termes en espagnol

almacen : épicerie, magasin d'alimentation générale. asado : type de morceau de viande, et par extension, barbecue. asentamiento : quartier illégal auto-construit et auto-urbanisé. bailanta : discothèque où l'on passe de la musique tropicale, avec le plus souvent, des concerts

en vivo. centro de compras : type de centre commercial. chuño (Andes) : pomme de terre déshydratée confitería : salon de thé. contratista : adjudicataire. conventillo : forme d'habitat populaire collectif pour les immigrants du quartier colonial de San

Telmo. Ancienne maison patricienne transformée à la fin du XIXème siècle. cuadra : l'un des quatre côté de la manzana (voir manzana). empanadas : petits chaussons fourrés à la viande. Spécialité argentine, et plus largement andine

(de Tucuman, en Argentine). esquina : coin de rue. gnocchis : plat italien bien connu, mais aussi, par extension, fonctionnaire absentéiste. hotel de alojamiento : hôtel où l'on loue des chambres à l'heure. impuesto al valor agregado (IVA) : impôt sur la valeur ajoutée (TVA). kiosco : local de très petite dimension pratiquant la vente au détail, donnant directement sur le

trottoir (kiosque de journaux, etc.).

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macrocentro : centre élargi. manzana : îlot de base de l'urbanisation porteña de 100 m X 100 m (dans le centre colonial). microcentro : hypercentre (on dit aussi la City, à Buenos Aires). movida : mouvement culturel madrilène qui s'est développé à la chute du franquisme et qui

marque la montée de l'individualisme contemporain, correspondant à une évolution des mœurs importante.

parrilla : barbecue. parrillada : restaurant où l'on mange de la viande. partido : commune de l'agglomération de Buenos Aires. plata dulce : argent bon marché, argent facile. L'argent est facile et bon marché, quand le dollar

est bas. L'époque de la plata dulce correspond à la fin des années 70. Porteños : Portègnes, les habitants de la ville de Buenos Aires. Littéralement, les habitants du

Port. puchero : plat traditionnel d'origine espagnole. sábado inglés : pratique (et avant, législation sur le travail) qui veut que les commerces baissent

rideau à 13 heures le samedi, jusqu'au lundi. supertienda : forme commerciale intermédiaire entre le magasin populaire et le grand magasin. supermercado total : hypermarché. telenovela : feuilleton télévisé. yuca (Andes) : sorte de patate douce

Lexique commercial

commerce indépendant : commerce qui ne fait pas partie d'une chaîne (voir chaîne commerciale). centro de compras (Argentine) : premier nom donné aux centres commerciaux. La loi de

promotion commerciale 18.425/69 définit comme centre d'achat toute forme de concentration de locaux commerciaux de plus de 25 000 m² qui comprend au moins un hypermarché ou un supermarché et une supertienda, les deux représentant la moitié de la surface de vente. Le centre d'achat doit également avoir une surface de stationnement.

chaîne commerciale : réseau de magasins portant la même enseigne et développant le même concept. En Argentine, la loi de promotion commerciale 18.425/69 définit comme chaîne commerciale, tout réseau d'au moins cinq magasins (dont la surface de vente peut être inférieure à 140 m²), qui ont un lien juridique entre eux, réalisent en commun au moins 70% de leurs achats dans les branches obligatoires (définies par la même loi), fonctionnent en libre-service dans la branche alimentaire (pour les nouveaux locaux) et représentent au total une surface de vente de 3 000 m² et une surface de dépôts de 900 m².

commerce de détail : ensemble des entreprises qui vendent directement au consommateur (par opposition au commerce de gros). Le commerce de détail comporte trois formes juridiques, le

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commerce indépendant, le commerce intégré capitaliste et le commerce intégré associé, en fonction du degré d'indépendance juridique et fonctionnelle des unités de vente.

developers : promoteur immobilier dans les pays anglo-saxons. Le concept n'est cependant pas exactement le même que celui du promoteur immobilier français. Les tâches du developer sont plus étendues que celles du promoteur.

discount : vente en masse avec des marges réduites. enseigne : concept original de produit capable d'être reproduit. festival market place (center) : concept commercial états-unien. Ensemble de locaux sans

"locomotive" dans lequel la part des loisirs et de la restauration est importante. food court : dans les centres commerciaux nord-américains, terrasse centrale où l'on consomme

librement un choix de spécialités fournies par les différents stands de restauration rapide. franchise : forme juridique de contrat entre un franchiseur, qui offre, des techniques de vente,

une image de marque et un savoir-faire commercial, et un franchisé, qui, en échange, acquitte des royalties. Pour le franchiseur, c'est un mode d'expansion rapide et à moindre frais, sans perte de contrôle sur son enseigne comme dans le cas d'une simple licence. Il n'apporte qu'une fraction du capital pour l'ouverture d'un nouveau local. Pour le franchisé, la possibilité d'ouvrir un local commercial, avec un certain degré d'autonomie, tout en rentrant dans un cadre commercial préexistant, celui d'une image de marque et de techniques de commercialisation éprouvées, tout en minimisant les risques. Le franchiseur forme le candidat à l'ouverture d'un local, qui paie en échange des royalties (pourcentage pris sur les ventes ou montant fixe) et éventuellement un droit d'entrée et d'autres frais supplémentaires comme des frais de publicité, tout en acquittant un montant minimal d'investissement de départ. Le contrat de franchise impose au franchisé des techniques et certaines règles de présentation, de décoration, de commercialisation, afin de respecter l'image de marque de l'enseigne.

HORECA : branche commerciale comprenant les hôtels, les restaurants, les cafés. hypermarché : magasin de détail à rayons multiples d'au moins 2 500 m² de surface, avec un

assortiment très complet (25 000 à 40 000 références) dont 3 000 à 5 000 en produits alimentaires et 20 000 à 35 000 en produits non-alimentaires. L'hypermarché possède une surface de stationnement (LSA, "Panorama de la distribution française", 1992). En Argentine, la définition donnée par la loi de promotion commerciale 18.425 de 1969 (au niveau national) et par le code de l'urbanisme de Buenos Aires (au niveau local) impose une surface de vente minmale plus grande, de 5 000 m², ainsi que 1 000 m² pour les surfaces d'entreposage, de conditionnement et les chambres frigorifiques.

libre-service : technique de distribution. Au lieu d'être servi directement par un vendeur, l'acheteur passe dans les rayons et se sert lui-même. En Argentine, selon la loi de promotion commerciale, les libres-services (alimentaires ou non) doivent disposer d'une surface de vente d'au moins 140 m².

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"locomotive" : surface qui sert d'accroche dans un centre commercial et tire le reste des commerces. Dans le concept originel du centre commercial, le centre commercial était composé de deux "locomotives" (grande surface alimentaire ou grand magasin) disposée à chaque bout d'un mail commercial, que remontaient les chalands. Au départ, donc, la "locomotive" était destinée à attirer les clients. Aujourd'hui, les concepts commerciaux ayant évolué, la "locomotive", dans certains cas, sert surtout à attirer les distributeurs et les commerçants. Elle donne en effet son image et son dynamisme au centre commercial.

magasin de proximité : magasin de dimension petite ou moyenne, dont l'assortiment est composé de produits de consommation courante ou d'achats fréquents, principalement alimentaires, et dont la clientèle vient à pied de son lieu de résidence (d'après Tarondeau J. C., Xardel D., 1985).

merchandising : organisation des agencements linéaires dans un magasin selon des techniques de présentation qui favorisent l'achat.

outlet mall factory : magasin d'usine. Forme de concentration spatiale de magasins pratiquant la vente directe d'usine. Concept commercial états-unien créé à la fin des années 70 qui permet de réduire les coûts intermédiaires et donc de peser sur les prix finals.

parties communes : surface du centre commercial non affectées aux boutiques, les charges y afférant étant en principe réparties entre les propriétaires et les locataires.

petit commerce / grand commerce : la différenciation entre le petit commerce et le grand commerce est fonction de la taille, de la concentration spatiale des établissements, de celle du capital.

révolution commerciale ou mutation de l'appareil commercial : la première expression est d'A. Metton, tandis que la seconde revient à M. Coquery. Les deux désignent le passage d'un appareil commercial traditionnel à un appareil moderne caractérisé par la concentration du capital et la concentration spatiale des établissements spécialisés dans la vente alimentaire, par des techniques de vente et de gestion rationalisées, etc.

succursale : magasin détenu en propriété par une chaîne commerciale. supérette : magasin de détail à rayons multiples de 120 à 400 m² de superficie. En Argentine, la

surface de vente minimale est de 140 m², et la surface maximale de 1 000 m². supermarché : magasin de détail à rayons multiples d'au moins 400 m² de superficie, avec un

assortiment de 3 000 à 5 000 références, dont 500 à 1 500 non-alimentaires. En Argentine, le seuil de superficie est fixé à 350 m², et le nombre de références à 5 000 produits (définition de la loi de promotion commerciale 18.425 de 1969, reprise dans le code de l'urbanisme de Buenos Aires).

supertienda (Argentine) : magasin de détail d'au moins 2 500 m² de surface de vente et de 500 m² de dépots, vendant des produits spécialisés dans l'équipement de la personne, l'équipement de la maison, la pharmacie-parfumerie. Forme intermédiaire entre le magasin populaire et le grand magasin.

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surface de vente : surface affectée à la vente et à l'exposition des marchandises à l'exception des réserves et des parties communes.

surface GLA (gross leasable area) : en Argentine, la surface GLA est traduite surface ABL, c'est-à-dire area bruta locativa. La surface locative effectivement louée et directement rentable comprend la surface de vente et les réserves, ainsi qu'en Argentine, dans certains cas (sans que cela ne soit vraiment précis), la surface du food court louée au prorata. C'est la mesure qui est la plus couramment utilisée par les spécialistes pour mesurer la superficie d'un centre commercial. C'est à partir de la surface GLA que se bâtit le bilan prévisionnel.

tenant mix : affectation des surfaces locatives par branches, répartition de l'offre commerciale. zone de chalandise : territoire dans lequel se situent les clients potentiels dont la probabilité

qu'ils se rendent dans le point de vente envisagé n'est pas nulle. On distingue à l'intérieur de la zone de chalandise une zone primaire, une zone secondaire et une zone tertiaire, en fonction de la part de la clientèle susceptible d'être attirée.

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Cartes, plans, dessins et photos Liste des cartes Carte n° 1 : nomenclature. Centres commerciaux et municipalités ........................................... 2 Carte n° 2 : les quartiers de Buenos Aires.................................................................................. 3 Carte n° 3 : les districts scolaires, unités spatiales de référence des recensements démographiques et économiques ............................................................................................... 4 Carte n° 4 : les différents centres. Délimitation dans le code de l'urbanisme de Buenos Aires (version de 1989) et principales tendances d'évolution ............................................................. 5 Carte n° 5 : les différents centres. Délimitation en fonction de l'âge, des formes et des fonctions urbaines ...................................................................................................................... 6 Carte n° 6 : les principaux axes de l'hypercentre ....................................................................... 7 Carte n° 7 : un exemple de "recentrage" de fonctions urbaines : les cinémas ........................... 8 Carte n° 8 : un exemple de centralisation des fonctions culturelles : les théâtres...................... 8 Carte n° 9 : les nodules commerciaux à Buenos Aires .............................................................. 9 Carte n° 10 : la densité commerciale dans l'agglomération de Buenos Aires.......................... 10 Carte n° 11 : le commerce dans le centre de Buenos Aires et localisation des shopping centers11 Carte n° 12 : localisation des hypermarchés dans l'agglomération de Buenos Aires (1994)... 14 Carte n° 13 : répartition des ménages paupérisés dans l'agglomération de Buenos Aires....... 15 Carte n° 14 : taux de croissance démographique dans l'agglomération de Buenos Aires entre 1980 et 1991 (%) ...................................................................................................................... 16 Carte n° 15 : évolution du nombre et de la taille des shopping centers ................................... 17 Carte n° 16 : hiérarchie des shopping centers .......................................................................... 18 Carte n° 17 : valeur architecturale des bâtiments. Centre / périphérie..................................... 19 Carte n° 18 : évolution du coût de construction des shopping centers .................................... 20 Carte n° 19 : nature de la "locomotive" des shopping centers ................................................. 21 Carte n ° 20 : types de shopping centers. Centre / périphérie .................................................. 22 Carte n° 21 : facteurs de localisation des shopping centers. Les modes d'accès ..................... 23 Carte n° 22 : facteurs de localisation des shopping centers. La densité de population ........... 24 Carte n° 23 : facteurs de localisation des shopping centers. Le niveau socio-économique de la population................................................................................................................................. 25 Carte n° 24 : "anciens" et "nouveaux" centres dans l'agglomération de Buenos Aires ........... 26 Carte n° 25 : politiques spatiales des différents types de promoteurs. Centre / périphérie...... 27 Carte n° 26 : zones d'influence des shopping centers .............................................................. 28 Carte n° 27 : espaces "libres" (espaces verts, terres fiscales, délaissés portuaires et ferroviaires) dans la capitale .................................................................................................... 29

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Carte n° 28 : plan d'occupation des sols simplifié de Buenos Aires (code de l'urbanisme, version de 1984) ....................................................................................................................... 30 Carte n° 29 : zones où l'implantation des shopping centers est permise (selon la définition du code de l'urbanisme en 1993) ................................................................................................... 30 Carte n° 30 : parcellaire et occupation des sols autour d'Alto Palermo ................................... 31 Carte n° 31 : évolution du zonage dans le quartier d'Abasto (1986-1987) .............................. 33 Plans et coupes Plan n° 1 : Patio Bullrich.......................................................................................................... 43 Plan n° 2 : coupe du Patio Bullrich .......................................................................................... 43 Plan n° 3 : plan du rez-de-chaussée des Galerías Pacífico....................................................... 43 Plan n° 4 : plan du sous-sol des Galerías Pacífico ................................................................... 43 Plan n° 5 : plan du premier étage d'Alto Palermo .................................................................... 43 Plan n° 6 : plan du niveau intermédaire d'Alto Palermo .......................................................... 43 Dessins Dessin n° 1 : L'imaginaire commercial argentin. La figure de don Manolo, l'épicier de quartier12 Dessins n° 2, 3, 4 et 5 : le système sémique d'Alto Palermo. Logos, signes d'identification visuelle et repères ..................................................................................................................... 42 Photos Photo n° 1 : les contrastes de la modernisation. Un local commercial dans la banlieue de Buenos Aires ............................................................................................................................ 13 Photo n° 2 : paysage urbain porteño. Les alentours d'Alto Palermo........................................ 32 Photo n° 3 : le décor futuriste du supermarché de Spinetto ..................................................... 34 Photo n° 4 : le décor futuriste d'Alto Palermo. Les ascenseurs panoramiques ........................ 35 Photo n° 5 : les colonnes suspendues d'Alto Palermo.............................................................. 35 Photo n° 6 : l'un des frontons d'Alto Palermo .......................................................................... 36 Photo n° 7 : la coupole d'Alto Palermo .................................................................................... 36 Photo n° 8 : Patio Bullrich ....................................................................................................... 37 Photo n° 9 : le portail du Patio Bullrich ................................................................................... 37 Photo n° 10 : Patio Bullrich ..................................................................................................... 37 Photo n° 11 : l'architecture victorienne de Spinetto. Verrière.................................................. 38 Photo n° 12 : l'architecture victorienne de Spinetto. Extérieur ................................................ 38 Photo n° 13 : l'architecture extérieure néo-classique des Galerías Pacífico ............................ 39

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Photo n° 14 : des souvenirs de l'architecture suisse du marché de Corrientes. La Plaza......... 39 Photo n° 15 : coupole et voûte en verre du Patio Bullrich ....................................................... 40 Photo n° 16 : voûte en verre des Galerías Pacífico .................................................................. 40 Photo n° 17 : voûte en verre d'Alto Palermo............................................................................ 40 Photo n° 18 : les lieux publics. La Plaza.................................................................................. 41 Photo n° 19 : la fontaine de Spinetto........................................................................................ 41 Photo n° 20 : une place à Unicenter ......................................................................................... 41 Photo n° 21: l'espace visuel "éclaté" des Galerías Pacífico ..................................................... 44 Photo n° 22 : l'entrée d'Alto Palermo de l'avenue Santa Fe. Vue de loin................................. 45 Photo n° 23 : l'entrée d'Alto Palermo de l'avenue Santa Fe. Vue de près ................................ 45 Photo n° 24 : les entrées d'Alto Palermo de l'avenue Coronel Diaz ........................................ 45 Photo n° 25 : façade du Carrefour de Paseo Alcorta................................................................ 46 Photo n° 26 : l'architecture intérieure de Paseo Alcorta........................................................... 46 Photo n° 27 : vue sur la ville. Le patio de comidas d'Alto Palermo ........................................ 47 Photo n° 28 : les environs de Paseo Alcorta. Les "barraques". Côté face................................ 47 Photo n° 29 : les environs de Paseo Alcorta. Les maisons du quartier de Palermo Chico. Côté pile............................................................................................................................................ 47 Photo n° 30 : façade de Spinetto. La face moderne du commerce........................................... 48 Photo n° 31 : en traversant le trottoir, face à Spinetto, les marchands de quatre-saisons........ 48 Photo n° 32 : Unicenter ............................................................................................................ 49 Photo n° 33 : Buenos Aires Shopping Center .......................................................................... 49 Photo n° 34 : Soleil Factory ..................................................................................................... 49 Photo n° 35 : le shopping de Liniers. Une architecture intermédiaire ..................................... 50 Photo n° 36 : les environs du shopping de Liniers. Un quartier commerçant populaire.......... 50 Photo n° 37 : environs du shopping de Liniers ........................................................................ 50 Photo n° 38 : intérieur de Soleil. Emplacement de l'ancienne patinoire .................................. 51 Photo n° 39 : intérieur de Sur................................................................................................... 51 Photo n° 40 : intérieur de Buenos Aires Shopping Center, juste après son inauguration........ 51 Photo n° 41 : appropriation de l'espace par les jeunes. La place extérieure d'Alto Palermo sur l'avenue Coronel Diaz .............................................................................................................. 52 Photo n° 42 : appropriation de l'espace par les jeunes. La même place, un espace exigu ....... 52 Photo n° 43 : usages de l'espace. Portrait d'une jeune femme au téléphone portatif. Patio Bullrich..................................................................................................................................... 53 Photo n° 44 : usages de l'espace. Les bancs publics de la Plaza .............................................. 53 Photo n° 45 : usages de l'espace. Le patio de comidas d'Unicenter......................................... 53 Photo n° 46 : un magasin de haut standing à Paseo Alcorta .................................................... 54 Photo n° 47 : changement de décor. Un local dans Spinetto ................................................... 54 Photo n° 48 : des locaux de standing à Alto Palermo .............................................................. 54

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Annexes................................................................................................................55 Annexe n° 1 : nomenclature des commerces de détail ............................................................ 56

Annexe n° 2 : liste des sociétés pratiquant la franchise et ayant des locaux dans les shopping

centers en 1993......................................................................................................................... 59

Annexe n° 3 : tableaux sur les shopping centers..................................................................... 60

tableau A .................................................................................................................................. 60

tableau B................................................................................................................................... 61

tableau C................................................................................................................................... 62

tableau D1 ................................................................................................................................ 62

tableau D2 ................................................................................................................................ 62

tableau D3 ................................................................................................................................ 62

tableau E................................................................................................................................... 64

tableau F ................................................................................................................................... 65

tableau G .................................................................................................................................. 65

tableau H .................................................................................................................................. 65

tableau I .................................................................................................................................... 66

tableau J.................................................................................................................................... 68

tableau K1 ................................................................................................................................ 69

tableau K2 ................................................................................................................................ 70

tableau L................................................................................................................................... 71

tableau M.................................................................................................................................. 72

tableau N .................................................................................................................................. 73

tableau O .................................................................................................................................. 73

tableau P ................................................................................................................................... 74

tableau Q .................................................................................................................................. 74

Annexe n° 4 ............................................................................................................................. 76

tableau S ................................................................................................................................... 79

tableau T................................................................................................................................... 79

Annexe n° 5 ............................................................................................................................. 80

Annexe n° 6 ............................................................................................................................. 89

Annexe n° 7 ............................................................................................................................. 96

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Table des matières

Cartes, dessins et photos ............................................................................................................ 2

Annexes.................................................................................................................................... 55

Lexique................................................................................................................................... 102

Index des illustrations ............................................................................................................ 108

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