432
exique biopolitique L de Les pouvoirs sur la vie Renata Brandimarte, Patricia Chiantera-Stutte, Pierangelo Di Vittorio, Ottavio Marzocca, Onofrio Romano, Andrea Russo, Anna Simone Sous la direction de

Lexique de biopolitique. Le pouvoirs sur la vie

Embed Size (px)

Citation preview

Sous

ladire

ction

de

R.B

rand

imar

te,P.C

hian

tera

-Stu

tte,

P.Di

Vitto

rio,

O.M

arzo

cca,

O.Rom

ano,

A.R

usso

,A.S

imon

eLe

xiqu

ede

biop

olitique

L

L a crise de la vache folle et le débat sur les organismes génétiquementmodifiés ; les libertés individuelles face aux nouvelles politiques de

santé publique ; le droit à la vie et le droit à la mort (procréation assistée,utilisation des cellules souches, euthanasie) ; la peur de nouvelles pandé-mies ; le réchauffement de la planète et la difficulté à faire émerger nette-ment une « question environnementale » ; la nouvelle équation entremaladie mentale et dangerosité sociale comme effet de la vague sécuritairequi a investi la psychiatrie et la santé mentale après le 11 septembre ; ledémantèlement de l’État social et la précarisation du travail ; les ambiguï-tés de la raison humanitaire et de la tendance à transformer le sujet de droiten « victime » ; la montée des pouvoirs extrajuridiques et la fonction dessavoirs experts... : l’apparition de phénomènes et de problèmes à caractèreclairement « biopolitique » nous interpellent aujourd’hui dans tous lesaspects de notre vie quotidienne et sociale.

Véritable manuel permettant d’affronter sciemment les défis du présent, leLexique de biopolitique constitue une sorte de boussole critique et analy-tique, offrant des points de repère utiles à tous. À travers les 60 termes qu’ilsdéveloppent en leur restituant toute leur profondeur historique, les auteursdressent un bilan des implications sociales, éthiques et politiques des diffé-rentes formes de biopouvoir qui s’affirment dans le gouvernement deshommes, dans la redéfinition des droits, dans les pratiques médicales, dansle développement technologique, dans les nouvelles formes d’exclusion,dans la gestion des risques et des alertes sociales.

Ouvrage introduit par Ottavio Marzocca

Imprimé en FranceISBN : 978-2-7492-1118-3Prix : 28 €

www.editions-eres.com

exiquebiopolitiqueL

de

Les pouvoirs

sur la v ie

Renata Brandimarte, Patricia Chiantera-Stutte,Pierangelo Di Vittorio, Ottavio Marzocca,Onofrio Romano, Andrea Russo, Anna Simone

Sous la direction de

Lexique de biopolitique+2 4/06/09 8:52 Page 1

00 1° pages Lexique 1/10/09 15:07 Page 2

Lexique de biopolitique

00 1° pages Lexique 1/10/09 15:07 Page 3

Ont collaboré à cet ouvrage

Carlo AltiniClaudio Bazzocchi

Alain BeaulieuPaola Borgna

Renata BrandimartePatricia Chiantera-Stutte

Roberto CiccarelliPaolo Filippo Cillo

Mario ColucciAntonella Cutro

Alessandro De GiorgiSarah Delucia

Pierangelo Di VittorioBeppe Foglio

Andrea Fumagalli Ottavio Marzocca

Dario MelossiAntonella Moscati

Maria MuhleRoberto NigroDario Padovan

Vincenzo PavoneAntonello Petrillo

Pietro PolieriOlivier Razac

Onofrio RomanoAndrea RussoAnna SimoneMáximo SozzoSalvo Vaccaro

Benedetto Vecchi

00 1° pages Lexique 1/10/09 15:07 Page 4

Sous la direction de

Renata Bandimarte, Patricia Chiantera-Stutte, Pierangelo Di Vittorio, Ottavio Marzocca,

Onofrio Romano, Andrea Russo, Anna Simone

Lexique de biopolitique

Les pouvoirs sur la vie

Coordination de Ottavio Marzocca

Traduit de l’italien par Pascale Janot

00 1° pages Lexique 1/10/09 15:07 Page 5

ISBN : 978-2-7492-1118-3CF - 1500

© Éditions érès 200933, avenue Marcel-Dassault, 31500 Toulouse

www.editions-eres.com

Conception de la couverture :Anne Hébert

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées àune utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partiellefaite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de sesayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articlesL. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.L’autorisation d’effectuer des reproductions par reprographie doit être obtenue auprèsdu Centre français d’exploitation du droit de copie (CFC), 20, rue des Grands-Augus-tins, 75006 Paris, tél. : 01 44 07 47 70 / Fax : 01 46 34 67 19

« Tous mes remerciements vont à Danièle Faugeras pour sa relecture etses suggestions sans lesquelles la traduction de cet ouvrage n’aurait puêtre menée à bien. »

Pascale Janot

Édition orignale :Lessico di biopolitica

© Manifestolibri, Rome, 2006.

Ouvrage traduit avec le concours du ministère des Affaires étrangères italien

Publié avec le soutien du département des sciences philosophiquesde l’Université de Bari (Italie)

00 1° pages Lexique 1/10/09 15:07 Page 6

Introduction

Il faut sans aucun doute un certain manque de pudeur pourprétendre « faire le point » sur la biopolitique, qui plus est aumoyen d’un Lexique. Cependant, nombreuses sont les raisonspour lesquelles on peut, on doit, peut-être, tenter une entreprisede ce genre, à condition que pareille tentative soit proposéecomme la prétention qu’elle aurait elle-même pour but deremettre en question. Parmi ces raisons il en est une, élémentaire,qui prévaut entre toutes : « faire le point » sur la biopolitique nesignifie pas nécessairement croire que l’on peut offrir au lecteur unvade-mecum précis et exhaustif qui lui permettra d’« établir » àcoup sûr tous les sens et tous les aspects de la thématique. Il estévident que ce serait là une prétention bien naïve face à un pano-rama comme celui que l’on pourra facilement apercevoir à traversla lecture des différents mots car, depuis plus d’une décennie, labiopolitique est un terrain de réflexion et de discussion sur notreépoque tellement sondé que cela rend vain, voire contre-produc-tif, tout effort visant à reconduire ses spécifications à une déclinai-son univoque. Cela non seulement parce que toute discussion surun concept peut produire les interprétations les plus diverses maisaussi parce que l’intérêt croissant pour le thème en questionsemble aller de pair avec la réélaboration, l’actualisation, la multi-plication de ses acceptions. À plus forte raison, il va de soi, donc,que la quantité et le type d’entrées, de pistes de recherche et depositionnements présentés ici ne répondent nullement à un désird’exhaustivité encyclopédique ou à une interprétation authentiquedes différents aspects et sens de la biopolitique, mais avant tout à

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 7

Lexique de biopolitique8

une volonté de témoigner de la fécondité du sujet et de la vivacitédu débat le concernant, visant dans le même temps à proposer desquestionnements et des angles d’approche considérés comme plusimportants que d’autres.

Le projet de ce Lexique naît de la convergence vers le thèmede la biopolitique de parcours de recherche – ceux des respon-sables du projet en premier lieu – qui ont, pour la plupart, mûriindépendamment les uns des autres, en rapport avec le récentchangement d’époque (années 1990), marqué par la chute dusocialisme réel, la crise de l’État-nation, l’avènement de la mondia-lisation télématique et économique et autres événementsanalogues qui permettent d’emblée de définir l’air du temps. Ces« tournants » semblent en effet contenir en eux l’explication aussibien de ce qui les aurait causés que de ce qui les a suivis. Ilssemblent confirmer, en les accentuant et parfois même en lesaccélérant, certaines tendances que l’on a, depuis des décennies,perçues ou préconisées au travers des perspectives de la « sociétépostindustrielle », de la « condition postmoderne », de la « déma-térialisation » des activités économiques et des relations sociales etpolitiques : d’un côté, la banqueroute ou la crise de la souverai-neté de l’État – socialiste ou pas – et de l’autre, le développementvertigineux de la communication et des flux économiques plané-taires semblent marquer l’aboutissement des processus amorcés,depuis au moins une trentaine d’années, par la fin de la centralitédu travail manuel et de la grande usine, par la multinationalisationfinancière de l’économie, par le déclin des formules et des mouve-ments politiques les plus liés à la matérialité des conditionssociales. Alors pourquoi cette émergence – ou réémergence –inattendue d’une idée de la politique et du pouvoir se référant à lavie ? Les tendances fondamentales des transformations en coursn’induisent-elles pas à penser que, dans la compréhension denotre temps, l’on puisse faire abstraction justement de ce quiconcerne la « viscosité » de la vie concrète ? N’a-t-on pas « mis auclair » depuis longtemps que les systèmes sociopolitiques, dumoins les plus avancés, fonctionnent et se reproduisent par auto-poïèse communicative, résistant ainsi aux dangers de la mer decomplexités sur laquelle ils naviguent ?

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 8

Introduction 9

En réalité, les choses sont bien différentes. Les systèmesmodernes de pouvoir, notamment, ont toujours pris l’eau detoutes parts et cependant ils fonctionnent – en admettant qu’ilsfonctionnent – surtout quand ils réussissent à avoir prise sur la vie.C’est ce que l’on peut supposer si l’on a la patience tout d’abordde revenir à un auteur comme Michel Foucault, comme le fontnombre des auteurs de ce Lexique depuis au moins une décennie,c’est-à-dire depuis l’époque où le philosophe français pouvaitencore passer pour l’un des auteurs les plus intempestifs, puisque,auparavant, on en avait usé et abusé au point de le banalisercomme crypto-structuraliste ou métaphysicien du pouvoir. Aussion ne se référera pas ici à n’importe quel Foucault de secondemain, mais à celui qui, pour réagir aussi aux faciles malentendusdont il était victime, se plongea, tout au long des années 1970,dans un travail approfondi de généalogie du lien entre pouvoirs etsavoirs et des formes de gouvernement des hommes. C’est unFoucault qu’il est devenu plus facile aujourd’hui de saisir et demettre en relation avec ses parcours les plus connus, depuis quecertains Cours inédits tenus au Collège de France ont été récem-ment publiés. C’est parmi ces derniers que figurent en effet lesmatériels les plus consistants et utiles pour comprendre pourquoile caractère biopolitique des relations, des discours et despratiques de pouvoir de la modernité est si important. Il suffit devoir les conclusions auxquelles il est arrivé dans certains Cours surla puissance normalisatrice du savoir-pouvoir médical (Le pouvoirpsychiatrique ; Les Anormaux) ou alors de mesurer l’importancehistorico-politique que, dans d’autres Cours, il a su donner auxformes modernes de gouvernement de la vie des populations etdes individus (Sécurité, territoire, population ; Naissance de labiopolitique). Mais, dans les années 1990 – au moment où furentamorcés la plupart des nombreux parcours qui convergent dans ceLexique – il fallait être à même de saisir les traces biopolitiques,déjà consistantes mais quelque peu dispersées, que le philosopheavait disséminées, justement, dans le plus discuté de ses ouvragessur la sexualité (La volonté de savoir), dans son Cours, publié avantles autres, sur les races et sur le racisme (« Il faut défendre lasociété ») et dans ses nombreux Dits et écrits, rassemblés etpubliés en France en 1994.

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 9

Lexique de biopolitique10

Ce sont là les principaux « outils » qui encouragent celui quisait les appréhender à analyser les événements et les processusactuels en évitant de se laisser emporter par la compulsion quitend à les cataloguer comme les résultats banals de l’effondre-ment, de la crise, de l’état post- ou de l’avènement d’une époque.Naturellement, cet exercice est toujours possible, mais il n’est pastoujours décisif. En tout cas, il ne change pas grand-chose au faitque l’on peut considérer comme des questions biopolitiques lesproblèmes soulevés par l’éclatement des conflits interethniquesdes ex-Républiques socialistes, par la multiplication, à l’échelleplanétaire, des urgences sanitaires, par l’inquiétude croissanteavec laquelle on regarde les nouveaux flux migratoires, par l’ag-gravation récurrente de la question écologique, par le développe-ment impérieux des biotechnologies, par la multiplication despolitiques sécuritaires, par l’imposition d’une sollicitude humani-taire visant à protéger militairement des populations désarmées,qui fait dans le même temps des quantités indéfinies de victimessans défense.

S’agit-il seulement d’effets, plus ou moins pervers, des tempsnouveaux ou bien s’agit-il aussi de nouveaux résultats du fonc-tionnement de mécanismes enracinés dans notre histoire ? Voilà,en définitive, quels types de questionnements ont motivé le projetde ce Lexique et ont inspiré l’élaboration d’une grande part desarticles qui le constituent. Dans leur ensemble, ils tentent d’appor-ter des instruments permettant aussi bien de reconstruire la prove-nance des différentes formes de la biopolitique que decomprendre comment ces dernières tendent à se reproduire, à serecycler ou bien à se transformer en autre chose.

Pour poursuivre ces objectifs, nous avons mis côte à côteFoucault et de nombreux autres auteurs, lesquels sont souventappelés à dialoguer de façon critique avec lui. Nous n’en signalonsici – une fois n’est pas coutume – que quelques-uns, et laissons aulecteur le soin de les retrouver dans les textes, avec tous les autres.Il s’agit d’auteurs classiques – mais pas seulement – allant d’Aris-tote à Marx, de Malthus à Beck, de Darwin à Lewontin, de Schmittà Habermas, de Arendt à Negri, de Bateson à Deleuze, de Basagliaà Butler, de Luhmann à Castel, de Irigaray à Haraway, de Canguil-hem à Agamben, de Baudrillard à Rifkin.

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 10

Introduction 11

1. Pour que cet effort soit rendu visuellement aussi plus efficace, les termes ci-aprèscorrespondant aux entrées du Lexique sont, quand ils sont utilisés pour la premièrefois, reportés en majuscules.

Les lignes thématiques autour desquelles se développent lesdifférentes contributions contenues dans ce Lexique sont, commeon pourra le constater, extrêmement nombreuses. En outre,chaque auteur interprète bien évidemment à partir de sa propreexpérience et de sa propre sensibilité l’approfondissement desconcepts dont il s’occupe. D’où l’impossibilité de proposer unequelconque grille de lecture globale qui baliserait des parcours ettracerait des perspectives. Cependant, nous pouvons au moinssignaler quelques-uns des liens entre thèmes et problèmes qui,dans la définition du projet, nous sont apparus comme remar-quables et auxquels nous avons essayé de donner corps à traversle choix même des entrées 1.

Parmi les toutes premières exigences auxquelles nous avonsvoulu répondre, il y a sûrement celle qui consiste à faire émergerla spécificité de la BIOPOLITIQUE en tant que forme de gouvernementdes hommes distincte des expressions canoniques du pouvoirsouverain. Elle se présente avant tout comme un ensemble de stra-tégies qui, poursuivant le but du bien-être collectif, comblent,surtout à partir du XVIIIe siècle, les carences que la souveraineté juri-dico-territoriale de l’État présente sur ce point, donnant lieu àl’une des lignes maîtresses du développement de la GOUVERNEMEN-TALITÉ moderne. Dans ce processus, le gouvernement de la vie deshommes, justement, acquiert une position centrale : il est en géné-ral pratiqué à travers des formes d’individualisation et de totalisa-tion de l’exercice du pouvoir, récupérant cette aptitude à « prendresoin » de tout un chacun, typique du POUVOIR PASTORAL exercétraditionnellement par les autorités religieuses chrétiennes. C’estainsi que la biopolitique, dans ses phases historiques initiales, usede systèmes de gouvernement individuel et général, telles les DISCI-PLINES et la POLICE, à travers lesquelles elle intervient sur la vie descorps-organismes et du corps-espèce, en développant une gestionglobale des phénomènes biologiques, démographiques et écono-miques concernant la POPULATION.

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 11

Lexique de biopolitique12

En gagnant le domaine des nécessités et des cycles naturelsqui, dans l’Antiquité gréco-romaine, restait généralement à l’écartde la sphère publique, la biopolitique se distingue radicalementdes formes classiques de la politique. Elle donne ainsi une impul-sion décisive à la transformation de cette dernière en OÏKONOMIE

politique, autrement dit, au débordement du cadre privé du foyer(oïkos) des activités de conservation de la vie qui s’y déroulaienttraditionnellement. Le concept moderne de CITOYENNETÉ lui-mêmese définit dans une relation étroite avec la garantie de la part del’État de protéger la vie des individus qui en constituent le corpscollectif. La biopolitique semble donc compromettre définitive-ment la possibilité de concevoir la politique comme une forme de« vie qualifiée » (bíos) dans laquelle le citoyen agit non pas pourconquérir mais pour réaliser sa liberté vis-à-vis des conditionne-ments de la « vie naturelle » (zôé), qu’il a déjà atteinte dans lasphère privée et prépolitique de la reproduction de ses ressourcesvitales.

L’un des thèmes de réflexion philosophique les plus impor-tants autour de la biopolitique consiste donc dans la question del’applicabilité au contexte de la société moderne de la distinctionclassique ZÔÉ/BÍOS. Ce qui est sûr c’est que, dans notre société, l’ac-tivité oïkonomique du travail, ayant originellement comme finalitéla satisfaction des besoins naturels, a acquis une position de privi-lège absolu et tend à assimiler tout autre activité à son irréfrénableexpansion selon une logique comparable à celle de l’incessantecyclicité des processus biologiques. En outre, avec l’idée qui s’im-pose de plus en plus de DÉVELOPPEMENT en tant que processus decroissance indéfinie des capacités productives de la société, letravail modifie continuellement ses finalités et multiplie sesdomaines matériels et immatériels, rendant même méconnaissablela différence TRAVAIL/NON-TRAVAIL. C’est pour ces mêmes raisonsqu’il ressort d’un certain nombre d’articles l’exigence plus oumoins explicite de relier la critique de la biopolitique et la contes-tation du biopouvoir à une problématisation de l’hégémonie quela forme travail exerce sur les sphères « naturelles » et « artifi-cielles », individuelles et collectives, de l’existence, de l’éthique etde la politique.

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 12

Introduction 13

Le caractère biomédical des savoirs et des pratiques, indicatif,semble-t-il, pour une grande part, de la spécificité du biopouvoir,constitue un autre axe fondamental des recherches présentéesdans le Lexique. Si, dans la modernité, la vie est devenue l’objet dupouvoir de façon non générique et davantage qu’à d’autresépoques, cela est dû avant tout aux relations qui se sont crééesentre les nouvelles exigences politiques, les changements survenusdans les savoirs et les pratiques médicales et les déblocages épis-témologiques qui se sont opérés dans le champ des sciences biolo-giques. C’est ainsi que nous pouvons parler d’une centralitéinévitable des processus de MÉDICALISATION, qui ont progressive-ment touché tout un ensemble de problèmes dans la sphère indi-viduelle aussi bien que collective. D’un côté, ces processus ont faitévoluer la socialisation de la médecine, imposant le problème de laSANTÉ PUBLIQUE comme quelque chose d’inéluctable ; de l’autre, ilsont amorcé une tendance à la NORMALISATION des comportementset des formes de vie à travers l’application courante de la distinc-tion NORMAL/PATHOLOGIQUE et parfois même à travers l’adoption del’idée de MONSTRE en tant que modèle général des déviations.

De ce point de vue, la PSYCHIATRIE représente une formeemblématique du biopouvoir, dans la mesure où la médicalisationde la folie crée les conditions pour conjuguer diagnostic et exclu-sion, thérapie et contrainte, aspiration à la santé et stigmatisationde l’anomalie. En outre, la psychiatrie fait parfaitement bien émer-ger la tendance à transformer la diversité en danger et à projeterle problème du soin sur l’horizon plus vaste de la prévention géné-ralisée et de la DÉFENSE SOCIALE contre les tendances criminogèneset les facteurs de DÉGÉNÉRESCENCE. Mais, sur ce terrain, la contribu-tion que les savoirs strictement biologiques ont apportée à lapromotion de politiques résolument orientées vers le RACISME etl’EUGÉNISME, dans la poursuite de finalités biopolitiques de défenseet de renforcement du corps collectif, y compris par des instru-ments thanato-politiques, est encore plus significative.

C’est surtout relativement à ces problèmes que, dans leLexique, l’analyse des rapports que le pouvoir biopolitique de« faire vivre » entretient ou rétablit avec la souveraineté entenduecomme pouvoir de « faire mourir » prend une importance consi-dérable, trouvant dans le TOTALITARISME les conditions pour instau-

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 13

Lexique de biopolitique14

rer un ÉTAT D’EXCEPTION permanent qui, à travers l’utilisation desCAMPS, peut rendre systématique le renversement du biopouvoiren thanato-pouvoir, jusqu’à la limite extrême du GÉNOCIDE.

Bien évidemment, si nous avons voulu insister sur les aspectsbiopolitiques des savoirs médicobiologiques, ce n’est certainementpas pour les marquer d’infamie. Notre tâche a consisté, plutôt, àmettre au jour, en les précisant quelque peu, certains rapports entresavoir et pouvoir qui peuvent toujours s’instaurer dans un domaineoù la vie et la mort, la santé et la souffrance, la liberté et la dépen-dance sont continuellement en jeu. Néanmoins, des liens de cegenre, entre discours scientifiques et pratiques politiques, ne doiventpas être recherchés nécessairement dans les plis cachés de l’histoire,puisqu’il n’est pas rare qu’ils soient ouvertement souhaités ou, pourainsi dire, qu’ils dérivent spontanément de conceptions théoriquesplus ou moins innocentes. Dans ce sens, le cas du projet d’un« eugénisme progressiste », esquissé il n’y a pas si longtemps parl’HUMANISME SCIENTIFIQUE, est exemplaire ; mais les implications dumariage entre théorie de la société et évolutionnisme biologiqueproposé par la SOCIOBIOLOGIE n’en sont pas moins significatives.

Naturellement, c’est justement parce que de pareilles théori-sations sont souvent tout aussi transparentes que stériles que nousavons pris le parti de privilégier, dans le Lexique, les implicationsbiopolitiques des savoirs plus immédiatement tournés vers desapplications concrètes. En définitive, c’est ce que nous avons cher-ché à faire à propos des recherches actuelles sur la matière vivante,en mettant en relation les questions épistémologiques et les ques-tions juridiques et économiques qui marquent tout particulière-ment les développements des BIOTECHNOLOGIES et la production desOGM, ou bien en considérant, relativement à ces thèmes ou àd’autres, les problèmes qui contribuent à accroître l’importance dela BIOÉTHIQUE. Cela permet, entre autres choses, de discuter despossibilités effectives qu’offre le techno-optimisme de certainesformes d’expression ce qu’on appelle le POSTHUMAIN, non seule-ment quant au dépassement des limites de l’humanisme, maiségalement quant à la critique des formes mises à jour du biopou-voir. De même émerge-t-il de certains articles le besoin d’allerexplorer les implications biopolitiques dans les façons mêmes

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 14

Introduction 15

d’aborder les problèmes du MILIEU ou de la BIODIVERSITÉ, à la lueurnotamment des tentations technocratiques auxquelles semblentexposées certaines versions de l’ÉCOLOGISME. Dans tous les cas,nous pouvons peut-être indiquer au moins un critère minimald’évaluation des effets politiques de ces entrelacements de savoirset de pouvoirs, que nous verrions dans le degré plus ou moins hautd’attention qu’ils garantissent à la multiplicité des formes de vie età la complexité de leurs contextes humains et non humains.

Quelle que soit l’importance que l’on attribue à ces questions,les différents parcours du Lexique font apparaître que l’on ne peutpas négliger la crise des politiques du WELFARE, dans le contexte delaquelle ont lieu la plupart des métamorphoses actuelles de labiopolitique. C’est donc sur les formes néolibérales du biopouvoirque de nombreuses entrées appellent de fait à développer ulté-rieurement la recherche. D’où, aussi, le besoin de reconsidérer lerôle que le libéralisme a joué dans l’histoire de la gouvernementa-lité moderne, en remettant en question l’idée qu’il est substantiel-lement protégé du biopouvoir dans la mesure où il est réfractaireà l’étatisme. L’une des erreurs à éviter, en effet, est de lier étroite-ment le sort du biopouvoir à celui de l’État. C’est justement l’hé-térogénéité des sources principales de savoir dans lesquellespuisent respectivement le biopouvoir (savoir biomédical) et lasouveraineté de l’État (savoir juridique) qui permet de percevoir lesvastes possibilités que le premier a de s’affranchir, de façon plus oumoins nette, des politiques étatocentriques. Dans tous les cas, lavocation biopolitique du libéralisme semble se fonder surtout surune attention particulière à la SÉCURITÉ qui, dès le départ, s’est réso-lument affirmée dans ses pratiques de gouvernement. La gestiondu problème du RISQUE, en particulier, devient bien vite l’autre facede la promotion des libertés et c’est dans son cadre que se déve-loppe petit à petit une très riche technologie de gouvernementbiopolitique (système d’assurances, de prévoyance, de prévention,de surveillance, de détention, etc.) dont profiteront, selon desorientations et intensités diverses, le libéralisme lui-même, lewelfare state et le néolibéralisme.

Et c’est justement dans un scénario comme celui qui sedessine aujourd’hui, marqué par la crise de la souveraineté de

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 15

Lexique de biopolitique16

l’État, que l’on peut repérer les effets d’anciennes et de nouvellesformes de cette logique sécuritaire qui s’exprime non seulementdans les domaines strictement sanitaires (pensons à l’importancecroissante attribuée au « risque génétique ») mais également auniveau du traitement du problème des MIGRATIONS au moyen d’ins-truments de détention administrative, comme le CENTRE DE DÉTEN-TION TEMPORAIRE, au niveau de l’incarcération arbitraire et illimitéede « terroristes potentiels » dans des structures de détention,comme celle de GUANTANAMO, au niveau du contrôle de l’identitéet de la mobilité des personnes par les moyens de la BIOMÉTRIE, auniveau de la restriction générale de droits consolidés pourcombattre le TERRORISME, au niveau de la fonction préventive, quel’on attribue désormais aussi à la GUERRE.

Relativiser le lien du biopouvoir avec les politiques étatocen-triques est important aussi pour d’autres raisons que celles quenous avons rappelées plus haut. Le fait que la biopolitique appar-tienne historiquement davantage à la sphère de la gouvernemen-talité qu’à celle de la souveraineté sert surtout à comprendre quele rapport biopolitique entre stratégies de pouvoir et PRATIQUES DE

RÉSISTANCE va au-delà de l’espace défini par les coordonnées juri-dico-institutionnelles. Le biopouvoir est une forme de CONTRÔLE

SOCIAL qui repose normalement sur un autre type de relations quele rapport « souverain »/« sujets » ou État/citoyens. C’est égale-ment pour cela qu’il ne faut pas le confondre avec les tendancesnégatives et les conséquences thanato-politiques qui peuvent endériver. Les raisons fondamentales de sa « modernité » résidentprécisément dans une approche positive des phénomènes de la vieet c’est pour cela que, dans un certain sens, son approfondisse-ment analytique devrait se situer toujours « au-delà du bien et dumal », autrement dit il devrait aller de soi qu’il peut les produiretous les deux. Il ne s’agit évidemment pas de se retrancher derrièreune cynique acceptation de l’ambivalence des choses humainesmais, avant toutes choses, d’admettre que le pouvoir – et à plusforte raison celui qui est exercé sur et à travers la vie – constituetoujours un problème, même s’il est rarement insoluble et neproduit pas nécessairement d’oppression. De ce point de vue,avant même de se demander si et comment la biopolitique est à

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 16

Introduction 17

même de s’affranchir du biopouvoir ou pourquoi ce pouvoir de vietend à se changer en pouvoir de mort, il faudrait se demander cequi transforme sa force en quelque chose à quoi on ne peut sesoustraire.

Si, sur la base du Lexique, on peut esquisser ici une réponse àune telle interrogation, elle ne peut pas ne pas partir de l’hypo-thèse que cette force se fonde avant tout sur l’implication deshommes dans un jeu d’ASSUJETTISSEMENT/SUBJECTIVATION. Ce qui veutdire, de manière toute foucaldienne, que dans le gouvernementbiopolitique des hommes, la sphère de la vie est toujours interpel-lée en même temps que la sphère de l’ethos, au sens le plus largedu terme, c’est-à-dire au sens à la fois éthique et éthologique. Etc’est dans cet entrelacement de zôé et ethos (bien avant zôé etbíos) que l’augmentation des forces vitales des hommes, toutbénéfique qu’elle soit, peut se muer plus ou moins ouvertementen limitation de leur liberté. Bref, nous pouvons considérer que lebiopouvoir est toujours le fruit d’une convergence entre l’imposi-tion pratico-discursive d’une vérité sur la vie et un conditionne-ment des comportements.

Dans ce sens, les pratiques d’EMPOWERMENT peuvent sûrementêtre vues comme des stratégies biopolitiques au moyen desquelleson tente aujourd’hui de convertir aux modèles éthiques occiden-taux des populations qui y sont restées étrangères, en partant dela redéfinition des problèmes de l’hygiène personnelle, de la santé,de la procréation, etc. Les stratégies néolibérales de valorisationindividuelle et collective du CAPITAL HUMAIN, dans ses composantesaussi bien psychophysiques que biogénétiques, peuvent êtreconsidérées de la même manière. Enfin, les phénomènes généra-lement associés à l’idée de BODYBUILDING semblent renvoyer à unesorte de biopouvoir autogéré et diffus.

Pour toutes ces raisons, la recherche en biopolitique nedevrait pas se limiter au domaine des rapports entre savoir etpouvoir, elle devrait investir aussi celui des stratégies politiques delibération et des pratiques éthiques de liberté. C’est l’importancede ces questions qui rend nécessaire, par exemple, une réflexionsur l’indocilité des CORPS, qui cherchent à se soustraire à la natura-lisation de leur condition mise en œuvre par les dispositifs deSEXUALITÉ. D’une façon plus générale, il s’agit de comprendre si une

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 17

Lexique de biopolitique18

libération – que même la bienveillance d’un biopouvoir peutprocurer – suffit à garantir et à rendre notre liberté effective oubien si les DIFFÉRENCES dans lesquelles nous nous reconnaissons ousommes amenés à nous reconnaître, doivent de toute façon fairel’objet d’une lutte politique et d’une pratique éthique qui lesconstitue en SINGULARITÉS. Dans un pareil parcours, nous pourrionsnous retrouver à mettre en place une simple SÉCESSION ou à expé-rimenter des relations avec le monde s’inspirant de la DURABILITÉ.Mais le pire qui pourrait nous arriver, peut-être, c’est de finir ànotre insu dans la TÉLÉRÉALITÉ de la compétition entre des viescontraintes à être spontanées et des comportements librementstéréotypés.

Ottavio Marzocca

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 18

ASSUJETTISSEMENT/SUBJECTIVATION

Les notions d’assujettissement et de subjectivation sont deplus en plus récurrentes dans le débat philosophique contempo-rain. D’un point de vue sémantique, elles renvoient, explicitementet implicitement, à la double étymologie latine du mot sujet : duneutre subjectum (considéré par les philosophes, dès l’époque dela Scolastique, comme la traduction du grec hypokeimenon) déri-verait une tradition de sens logico-grammaticaux et ontologico-transcendentaux, qui aurait amorcé le début de la problématiquede la subjectivité ; du masculin subjectus (mis en relation, auMoyen Âge, avec le terme subditus) descendrait une tradition desens juridiques, politiques et théologiques, qui aurait conduit à laproblématique de l’assujettissement. Certes, dans la réflexionphilosophique, les deux traditions ne seraient pas restées étran-gères l’une à l’autre mais se seraient articulées problématique-ment, surtout à partir du moment où, avec Kant, la philosophie sedéfinit comme théorie du sujet constituant.

Au cours des siècles, la notion de sujet s’est chargée d’une sigrande variété d’acceptions que cela a rendu difficile son articula-tion philosophique. Pour en simplifier l’interprétation, nous pour-rions essayer de distinguer ici trois groupes principaux de sens,présents notamment dans la philosophie contemporaine. Dans unpremier groupe dominerait l’idée de « subjectité » (notion richedont il faudrait rechercher l’origine dans le néologisme allemandSubjektheit, probablement forgé par Heidegger). Dans undeuxième dominerait l’idée de « subjectivité » (qui fait du sujetl’antonyme de l’objet, dès lors qu’il s’agit de délimiter la sphère dupsychique ou du mental en rapport à celle de l’« objectivité »). Untroisième, enfin, se référerait à l’idée de « sujétion » (qui comporteune idée de dépendance et de domination).

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 19

Lexique de biopolitique20

Les notions d’« assujettissement » et de « subjectivation »introduisent cependant une nuance importante dans ce panoramainterprétatif. Elles empêchent de poser le problème de la subjecti-vité en termes d’essence et impliquent l’idée d’un devenir, d’unprocès, exprimant un mouvement vers l’« état » de sujétion et desubjectivité. L’enjeu de ces notions est d’ordre politique et renvoieà des rapports de force.

Pour situer ces problèmes dans la philosophie moderne etcontemporaine, il serait utile de se référer à Nietzsche et à sa critiquedu sujet comme fiction et du moi comme illusion. L’hypothèse deNietzsche est qu’il n’y a pas de sujet du connaître ni du vouloir, qu’iln’y a pas d’âme ni plus généralement de centre permanent. Lasphère du sujet se transforme continuellement. Le sujet est unefiction obtenue en isolant un élément d’un ensemble de facteurs quiconstituent un procès. Le moi est une illusion atteinte grâce à lafusion entre elles de composantes dont nous ignorons les procès, demême que le sujet est une construction se basant sur des élémentsdont nous ignorons les connexions (Nietzsche, 1886). Le sujet est lerésultat d’une représentation et d’une simplification, pour indiquerune force qui agit de façon multiple et qui est irréductible à l’unité(Nietzsche, 1974).

La critique de l’unité et de l’univocité du sujet, inaugurée parNietzsche, va devenir l’axe autour duquel va tourner la probléma-tique du sujet dans la philosophie du XXe siècle.

Si nous suivons ce parcours, nous ne pouvons éviter de citerHeidegger puisque, dans la pensée du XXe siècle, son interprétationfonctionne comme une tête de Janus : d’un côté, elle permet de saisirles styles allemands de l’herméneutique du sujet, de Adorno àHorkeimer et à Marcuse, de Benjamin à Arendt et à Habermas ; del’autre, elle permet de comprendre les modifications de ces notionsen relation avec la tradition aristotélicienne, scolastique, augusti-nienne, cartésienne et kantienne. Heidegger essaie de situer ladoctrine nietzschéenne de la volonté de puissance dans le contextede l’histoire de l’être, caractéristique de la métaphysique occidentale.Nietzsche se placerait dans la continuité de la métaphysique établiepar Descartes : en substituant le corps à l’âme et à la conscience entant que substance de la pensée, il aurait identifié cette dernière à lasubjectivité et aurait fait de la définition de l’homme comme sujet le

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 20

Assujettissement/subjectivation 21

critère de la vérité (Heidegger, 1961). La question que pose Heideg-ger concerne la détermination, à travers une enquête généalogiquesur la métaphysique en tant qu’histoire de l’être, des conditions et dumoment de la conversion ontologique (liée aussi à la mutation del’idée de vérité), qui a fait du subjectum, considéré par les Latinscomme la traduction de l’hypokeimenon aristotélicien, le présupposéde la puissance de la pensée, d’où procèdent toutes les représenta-tions. Dans l’instauration de la souveraineté du sujet, dont nousserions encore dépendants, l’œuvre de Descartes serait fondamen-tale (Heidegger, 1950).

Le sillage laissé par Nietzsche aurait pris une orientation diffé-rente chez Georges Bataille, lequel aurait défini le sujet par sa« souveraineté », c’est-à-dire par son non-assujettissement. Le sujetdont parle Bataille n’a rien d’assujetti. Le souverain, le sujet non assu-jetti, est celui pour qui l’instant, l’instant miraculeux, est la mer oùvont se perdre les ruisseaux du travail (Bataille, 1976, 1949 ; Agam-ben, 1987). L’importance de la réflexion bataillienne, surtout pour ledéveloppement de la philosophie française contemporaine, reste unchapitre ouvert auquel il conviendrait d’accorder la plus grande consi-dération. Dans un certain sens, Bataille pousse jusqu’à la limite del’impossible une réflexion dans laquelle, une fois renversé l’obstacledu commencement, il sera possible de reconnaître le point de départde la nouvelle aventure théorique d’Althusser, Lacan et Foucault.

Presque en même temps que Bataille, Althusser a lui aussiinsisté sur le paradoxe de la souveraineté. Comme chez Bataille, lepoint de départ de sa réflexion a été le texte de Hegel et l’inter-prétation de la liberté hégélienne en tant que mouvement quilibère le sujet de son assujettissement et convertit sa servitude enrègne (Althusser, 1995).

Cependant, c’est avec Lacan et Foucault que le spectre de lasubjectivité en tant que processus d’assujettissement sera déve-loppé de façon plus systématique. Pour Lacan, le sujet n’est jamaisoriginel mais toujours dépendant ; le moi, qui est un épiphéno-mène du sujet, n’est ni le fondement de lui-même ni celui du sens.Le sujet existe comme effet de retour de la parole qui le constitueen un univers symbolique de discours et d’institutions, dont il n’apas, par définition, le contrôle (Lacan, 1966).

Foucault, de son côté, repère dans les méthodes de la confes-sion (qui vont de la religion à l’Inquisition, à la psychologie et à la

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 21

Lexique de biopolitique22

psychiatrie) le modèle du rapport entre subjectivité, apparence etvérité (Foucault, 1976a, 1984b) ; le sujet ne préexistant pas auxpratiques sociales dans lesquelles il est inséré, il se constitue dans età travers les jeux de vérité et les relations de pouvoir qui traversentun champ social déterminé. Foucault reconnaît dans le modèle duPanopticon de Bentham le diagramme idéal de toutes les relationsfictives (mais matérialisées dans le jeu des institutions de la norma-lisation sociale) d’où naît mécaniquement un assujettissement réel(Foucault, 1975). Son programme d’enquête peut donc se résumerà une tentative de produire une histoire des différents modes de« subjectivation » de l’être humain dans notre culture (Foucault,1982a). Pour Foucault, la question du sujet devient la question duprocessus de « subjectivation » et d’« assujettissement » de l’indi-vidu à des règles et à des constructions du rapport de soi à soi selondiverses modalités pratiques. Une telle interprétation débouche surune politique (essayer de libérer les individus de certaines disciplineset de certains types d’individualité) et sur une éthique (inventer despratiques de liberté, de nouvelles relations de pouvoir, des formesd’ascèse ou de conscience de soi).

Les concepts d’« assujettissement » et de « subjectivation », sicentraux dans l’œuvre de Foucault, trouvent leur écho le plus fortdans l’œuvre de Deleuze et Guattari, que l’on peut considérercomme l’une des réflexions les plus pointues sur la modernité dusujet capitaliste. Distinguant la notion de servitude – ou asservisse-ment machinique – de celle de sujétion – ou assujettissementsocial –, Deleuze et Guattari, dans Mille plateaux, montrent jusqu’àquel point l’État moderne a substitué à l’asservissement machiniqueun assujettissement social de plus en plus fort. Le capital agit donc entant que point de subjectivation en constituant les hommes en sujets,mais les capitalistes sont comme les sujets de l’énonciation quiforment la subjectivité privée du capital, tandis que les prolétairessont comme les sujets de l’énoncé, assujettis aux machines tech-niques où l’on produit le capital constant (Deleuze et Guattari, 1980).

Nous pourrions trouver dans la philosophie française contem-poraine d’autres orientations théoriques qui insistent sur le para-digme subjectivation/assujettissement. Par exemple, Derrida, dansDe la grammatologie, reconnaît à l’« écriture » une fonction deconstitution des sujets (Derrida, 1967a). Se référant à Lévinas, il

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 22

Assujettissement/subjectivation 23

affirme en outre que la subordination implique certes une sujétiondu subjectum mais qu’il s’agit d’un assujettissement qui, au lieu del’en priver, donne au sujet sa naissance et sa liberté (Derrida, 1997).

Ce n’est certes pas là le lieu adéquat pour approfondir tout ceque ce débat peut présenter comme implications. Qu’il nous soitpermis de signaler néanmoins, en guise de conclusion, quelques-unes des très nombreuses pistes de recherche possibles qui méri-teraient, pour approfondir cette thématique, qu’on leur accordeune attention particulière. D’un côté, il serait utile de considérer lamanière dont cette problématique a été accueillie et articulée dansle débat philosophique récent : dans le contexte allemand, parHabermas et Honneth, interprètes et critiques, entre autres, de laphilosophie française (Habermas, 1985 ; Honneth, 1985) ; dans lecontexte américain, notamment avec Judith Butler, qui a repris laréflexion sur l’assujettissement et la subjectivation en s’inspirantdes œuvres de Freud, Althusser et Foucault (Butler, 1997) ; dans lecontexte italien, par Negri (Negri, 1992), et italo-américain, parHardt et Negri (2000, 2004), où la reprise de la réflexionmarxienne, se mêlant à des instances ontologiques spinoziennes,a produit quelques-uns des exemples de réflexion les plus impor-tants sur les processus de subjectivation et de constitution de lamultitude dans la modernité et la postmodernité capitaliste, dansle sillage d’un débat postfoucaldien et postdeleuzien centré, entreautres, sur la notion de biopolitique.

Bien évidemment, parmi les nombreuses et les plus importantestraditions qu’il nous faut inévitablement négliger ici, nous nousdevons au moins de rappeler celle qui constitue le terreau de l’ex-périence décrite dans ces pages, une tradition qui va de Rousseau àHegel en passant par la césure révolutionnaire, et qui a créé lesconditions historiques et politiques d’une possible subversion durapport entre souveraineté et subjectivité, telle qu’elle s’accomplitchez Bataille et dans le parcours de réflexion qu’il a amorcé.

Roberto Nigro

Voir : Biopolitique, Bodybuilding, Capital humain, Contrôle social, Corps,Différences, Disciplines, Empowerment, Normalisation, Pouvoirpastoral, Psychiatrie, Singularités, Travail/non-travail.

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 23

BIODIVERSITÉ

Le terme « biodiversité » apparaît pour la première fois en1986 dans un document rédigé pour le Congrès des États-Unis. Ilest mieux précisé, l’année suivante, par l’OTA (Office of TechnologyAssessment) : « La biodiversité se réfère à la variété des orga-nismes vivants et à la variabilité existant aussi bien entre euxqu’entre les complexes écologiques dont ils font partie. Elle peutêtre définie comme le nombre et la fréquence relative d’objetsdifférents, organisés à de nombreux niveaux, qui vont des écosys-tèmes complets aux structures chimiques qui constituent la basede l’hérédité. Le terme englobe donc les divers écosystèmes,espèces, genres et leur abondance relative » (Massa, 2005).

Cette définition a pour implication fondamentale que labiodiversité est reconnue comme valeur, aux différents niveaux oùelle est présente : de la diversité génétique (le gène en tant qu’unité de base dans laquelle est contenue l’information molécu-laire nécessaire à la formation de l’organisme) à la diversité desespèces, des communautés et des paysages. Par conséquent, labiodiversité, qui est le résultat de la longue aventure évolutive desorganismes vivants, devient une ressource qu’il faut conserver etprotéger sur la base de certains paradigmes biologiques (ibid.).

Les organismes internationaux ont à de nombreuses reprisesratifié la valeur, à tous les niveaux, de la biodiversité, à commencerpar la FAO, qui proclame que la biodiversité est un « patrimoinecommun de l’humanité » (Résolution de la FAO, Juin 1981)jusqu’au Traité international sur les ressources génétiques végé-tales pour l’agriculture et l’alimentation (IT-Pgrfa : InternationalTreaty on Plant Genetic Resources for Food and Agriculture, 2001),dont l’« objectif est de défendre le statut public et internationaldes collections de germoplasme » (Fonte, 2004).

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 24

Biodiversité 25

En 1992, au Sommet mondial de Rio, est signée la Conven-tion sur la biodiversité qui adopte un concept plus large que ladéfinition de l’OTA, puisqu’elle inclut également la vie des hommeset prévoit leur droit de bénéficier des ressources environnemen-tales. En outre, la Convention de Rio propose non seulement laprotection et la conservation de la biodiversité mais égalementl’utilisation durable de ses ressources et le partage des bénéficesqui peuvent en dériver. Enfin, la Convention souligne que pouratteindre de tels objectifs, une vision holistique est importante,selon laquelle la diversité culturelle aussi a un rôle fondamental(Convention de Rio sur la biodiversité, 1992).

C’est suite à cette Convention que, début 2000, le Protocolesur la biosécurité de Carthagène a été adopté avec l’objectif deprotéger la biodiversité des organismes génétiquement modifiés,relativement aux déplacements et/ou transits de ces derniers surles différents territoires nationaux, en fixant des règles et des para-mètres rigoureux. Néanmoins, la définition même de biosafety afait l’objet de débats au sein des groupes d’experts du Protocolede Carthagène. L’accord entre les scientifiques est, semble-t-il, lerésultat de médiations qui expriment une sorte de réinterprétationdes significations « locales » en des termes supranationaux qui nese basent pas sur des considérations techniques et sur la neutralitédes valeurs (Gupta, 2004).

L’article 1 du Protocole dit : « Conformément à l’approche deprécaution consacrée par le Principe n° 15 de la déclaration de Riosur l’environnement et le développement, l’objectif du présentprotocole est de contribuer à assurer un degré adéquat de protec-tion dans le transfert, la manipulation et l’utilisation sans dangersdes organismes vivants modifiés résultant de la biotechnologiemoderne, qui peuvent avoir des effets défavorables sur la conser-vation et l’utilisation durable de la diversité biologique, comptetenu également des risques pour la santé humaine, en mettantplus précisément l’accent sur les mouvements transfrontières. »(Protocole de Carthagène, 2000). Les effets défavorables dont ilest question dans le Protocole se réfèrent à l’éventualité que desorganismes génétiquement modifiés soient émis dans l’environne-ment, avec pour conséquence une érosion de la biodiversité quiferait prévaloir les espèces modifiées. Par exemple, des gènes résis-

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 25

Lexique de biopolitique26

tant aux insectes ou aux herbicides qui se transfèreraient à desespèces nuisibles pourraient transformer ces dernières en espèces« supernuisibles », ce qui favoriserait leur développement invasif audétriment d’autres espèces et dégraderait de ce fait l’écosystèmetout entier (Rifkin, 1998 ; Sorlini, 2001). La même éventualité pour-rait se vérifier avec le transfert des gènes résistants à des espècesaffines, modifiant ainsi l’écosystème à l’avantage des variétés mani-pulées (Fonte, 2004). Quoi qu’il en soit, il faut souligner que laperte de la biodiversité au niveau des espèces végétales, imputableégalement au choix de cultiver les variétés les plus productives, estun phénomène qui s’est particulièrement accentué ces dixdernières années (Sorlini, 2001 ; Fabbri, 2002). Par exemple, en1959, on cultivait en Inde quelque 30 000 variétés différentes deriz, tandis qu’en 1992, 75 % de la production provenaient d’unpeu moins de dix espèces différentes (Buiatti, 2001).

Le Protocole sur la biosécurité se réclame explicitement del’« approche de précaution » (mieux connue sous le nom de« principe de précaution ») ratifiée par le Principe 15 de la Décla-ration de Rio de Janeiro ainsi que par le Préambule de la Conven-tion sur la biodiversité, selon lequel les États, face à des menacesde dommages sérieux et irréversibles, ne peuvent pas utiliser lemotif du « manque de pleine certitude scientifique » (lack of fullscientific certainty) pour reporter l’adoption de mesures préven-tives de protection de l’environnement (Déclaration de Rio deJaneiro, 1992). Le principe de précaution a également été accueillipar l’Union européenne dans la Directive 2001/18/CE sur l’émis-sion délibérée des organismes génétiquement modifiés et, bienavant encore, par le Traité de Maastricht, dans le Livre Blanc sur laSécurité alimentaire (2000), de même que dans la Communicationde la Commission européenne sur le principe de précaution(2000). Dans ce dernier document, la précaution devient le prin-cipe général des politiques de l’Union européenne et concerne,outre l’environnement, la santé humaine, animale et végétale(Tallacchini et Terragni, 2004).

Si la protection et la conservation de la biodiversité semblentreprésenter un domaine classique d’intervention de la biopolitique,il faut cependant souligner que certains des instruments désignéspour la poursuite de ces objectifs manquent quelque peu de clarté

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 26

Biodiversité 27

et ne proposent pas toujours de solutions adéquates ou contrai-gnantes pour tous (comme dans le cas des conventions interna-tionales, qui doivent être ratifiées par chaque gouvernementnational). Le bref excursus que nous venons de présenter semblefaire ressortir deux problèmes dans toute leur ambivalence : leprincipe de précaution et la question de la « propriété » de labiodiversité.

Le principe de précaution, tel qu’il est formulé et adopté,présente des niveaux d’ambiguïté considérables : tout d’abord, laréférence au lack of full scientific certainty « admet implicitementque la certitude est la condition « normale » de la science et quel’incertitude est toujours circonstancielle et temporellementcirconscrite » (ibid.). Tôt ou tard, la science éliminera l’incertitude,en la réduisant presque à une étape temporaire dans le progrès dela connaissance.

Le principe de précaution représente une stratégie méthodo-logique permettant de répondre à la nécessité de prendre des déci-sions dans des conditions d’incertitude : le développement de laconnaissance scientifique n’engendre pas un développement égaldes conditions de certitude quant à ses applications ; par consé-quent, la question principale glisse de « que » décider à« comment » décider (Pannarale, 2003). Dans ce sens, le principede précaution déplace l’obligation de la preuve du régulateur àl’innovateur, lequel doit démontrer que la nouvelle technologie neproduira aucun dommage, alors qu’il est pratiquement impossiblede prouver qu’une nouvelle technologie ne pourra jamais compor-ter de risques. Le principe de précaution devient de cette façon uninstrument politique dans les mains des régulateurs (Meldolesi,2001 ; Miller, H.I. 2003). D’après Goklany (2001), le principe deprécaution, utilisé pour interdire l’emploi d’organismes génétique-ment modifiés en agriculture, finirait par avoir des conséquencesplus graves sur l’érosion de la biodiversité, puisque l’utilisationmassive de fertilisants et de pesticides produirait des dommagesplus graves que l’utilisation de semences manipulées. Enfin, leprincipe de précaution semble ne pas tenir compte de lacomplexité croissante de la connaissance scientifique (surtout enmatière environnementale), alors que la définition de postnormalscience (Funtowicz, 2001 ; Ravetz, 1999 ; Ravetz et Funtowicz,

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 27

Lexique de biopolitique28

1999) fait ressortir comment, dans la science contemporaine, cesont l’incertitude et la controverse des valeurs qui prévalent : « […]les enjeux sont importants et les décisions urgentes ».

L’attribution d’une valeur économique à la biodiversité– implicite dans l’Article 1 de la Convention de Rio qui prévoit « unpartage équitable des bénéfices de l’utilisation des ressourcesgénétiques, ces bénéfices incluant l’accès approprié à ces mêmesressources et le transfert de technologies importantes, comptetenu des droits hérités du passé tant sur les ressources que sur lestechnologies » – est particulièrement évidente dans la question dubrevetage des espèces végétales et de ce qu’on appelle la « biopi-raterie ». Comme nous le savons, la biodiversité s’est mieuxpréservée dans les pays du Sud du monde, qui représentent devéritables mines d’espèces végétales et animales. Par conséquent,le prélèvement (sans autorisation) de variétés végétales dans ceszones de la planète est appelé biopiraterie. Les espèces sontensuite brevetées, grâce à une petite intervention visant à lesmodifier génétiquement, à extraire ou à purifier le principe actifqu’elles contiennent, les variétés originales étant de cette manièreécoulées en dehors du marché et tous les profits détournés àl’avantage du détenteur du brevet. Par exemple, si une industriepart d’une variété de riz et qu’elle la modifie génétiquement pourfaire en sorte qu’elle résiste à certains parasites ou pour obtenirdes rendements plus élevés, tous ceux qui ne s’adapteront pas àcette nouvelle variété manipulée finiront par être expulsés dumarché. En fait, l’adoption de la variété manipulée et brevetéepourrait expulser du marché les espèces locales, moins produc-tives, avec en prime une plus grande homogénéité des récoltes etune perte de diversité au niveau des espèces (Ricolfi, 1998 ; Sorlini,2001). Ce qui entraînerait non seulement l’appauvrissement desvariétés génétiques (érosion de la biodiversité) mais aussi unaccroissement de l’échange inégal entre Nord et Sud du monde(Rocolfi, 1998 ; Rifkin, 1998 ; Shiva, 2001). À preuve les plainteset les protestations de plus en plus nombreuses contre la biopira-terie de la part des pays du Sud du monde (Rifkin, 1998 ; Taminoet Pratesi, 2001 ; Fonte, 2004).

L’attribution d’un droit de « propriété sur la biodiversité » etdonc, consécutivement, sur les bénéfices économiques qui

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 28

Biodiversité 29

proviennent de son « exploitation » (par exemple les brevets) n’estpas encore clairement définie. Une communauté peut-elle êtretitulaire d’un pareil droit ? À qui doit-on reconnaître le droit dedisposer des ressources génétiques d’un territoire, surtout quandplusieurs États sont présents sur ce même territoire ? Ou encore, labiodiversité ne devrait-elle pas être considérée comme un « biencommun », comme un patrimoine de l’humanité tout entière ? Leproblème reste ouvert à cause d’un enchevêtrement compliqué etpeu clair de réglementations et d’accords internationaux concer-nant la validité des brevets et la reconnaissance que la Conventionsur la biodiversité attribue aux pays qui ont mieux su préservercette dernière (Ricolfi, 1998, 2001 ; Lungagnani, 2002). Il fautcependant préciser qu’une première réponse, qui n’en est pasmoins ambiguë, dans son domaine de compétence est présentedans le Traité international sur les ressources génétiques végétalespour l’agriculture et l’alimentation (IT-Pgrfa, 2001) qui considèreles ressources génétiques agricoles comme « des biens publicsinternationaux » (Fonte, 2004).

L’accessibilité des ressources entraîne une forme de droit à lanon-exclusion : « Dans un monde de plus en plus complexe et“globalisé”, la forme la plus importante de propriété pourra êtrele droit des individus et des collectivités de ne pas être exclus del’utilisation des ressources de production rendues disponibles parl’ensemble des biotechnologies » (Lungagnani, 2002). À moins derecourir au type de solution adopté il y a quelques années auCosta Rica, où une grande compagnie pharmaceutique (Merck etCo) a signé un accord avec un organisme de recherche local(National Biodiversity Institute) en s’engageant à verser un peuplus d’un million de dollars en échange de la reconnaissance desdroits sur les échantillons de plantes, micro-organismes et insectesintéressants du point de vue scientifique et commercial (Rifkin,1998).

Renata Brandimarte

Voir : Bioéthique, Biotechnologies, Durabilité, Écologisme, Milieu, OGM,Risque.

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 29

BIOÉTHIQUE

Même s’il existait déjà, dans le passé, des codes déontolo-giques pour la profession de médecin – songeons au Sermentd’Hippocrate, au Code de Percival (1833), au Code de Beaumont(1847) – la bioéthique ne voit le jour et ne se développe réellementqu’à l’époque contemporaine, avec l’évolution des sciences de lavie et la nécessité de protéger les malades et les « sujets expéri-mentaux ».

Au cours du développement de la science du début duXXe siècle puis pendant le nazisme, le pouvoir politique et lepouvoir médical prétendirent déterminer ceux d’entre les maladesqui, parce qu’incurables, pouvaient être utilisés pour le bien de lacommunauté des bien-portants, voire supprimés. De nombreuxêtres humains furent ainsi privés de leur statut de personne, dégra-dés au rang d’« êtres humains indignes de vivre », enfermés dansdes camps de travail, utilisés à des fins productives et expérimen-tales (main d’œuvre et cobayes à coût zéro) pour les « personnesdignes de vivre ». Ce qui rendit cela possible, c’est la confiancegénérale dans l’appareil politique et dans l’appareil médico-scien-tifique, ainsi que l’absence d’un code péremptoire qui eut puempêcher les médecins d’agir de façon arbitraire.

Par la suite, pour éviter que le savoir et le pouvoir décident del’essence de la vie – allant même parfois jusqu’à établir, sur la basede certains paramètres d’utilité sociale ou de productivité, quecelle-ci était indigne d’être vécue –, on essaya de répondre à unbesoin de règles protégeant les personnes malades. C’est ainsi quefut rédigé le Code de Nuremberg, issu du célèbre procès contre leschefs et les médecins nazis (1946), code qui établissait la nécessitéde demander et de respecter le consentement libre du sujet impli-qué dans des procédures expérimentales, en l’informant préala-

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 30

Bioéthique 31

blement des risques éventuels et des finalités des expérimentations(De Franco, 2001).

De l’avis général, c’est justement le procès de Nuremberg quia marqué la naissance de la bioéthique contemporaine, laquelle,en tout cas, s’est affirmée aussi grâce à la démocratisation despratiques médicales et aux luttes contre le paternalisme médicalqui se sont développées entre les années 1950 et 1970. Dans lesannées 1970, le biologiste américain Van Rensselaer Potter forgele néologisme « bioéthique », entendant par là une morale écolo-gique qui se sert de la contribution des sciences biologiques.Aujourd’hui, la bioéthique est une discipline qui affronte l’en-semble des questions éthiques engendrées par les changementsque les sciences de la vie ont provoqués relativement à la nais-sance, aux soins et à la mort des êtres humains. Elle entretient desrapports avec la médecine, le droit, la biologie, la bio-ingénierie,les sciences sociales et la philosophie morale (Lecaldano, 1999).

À partir des années 1970, des mouvements commencent às’exprimer, qui vont se battre pour la reconnaissance légale denouvelles pratiques et pour que soit proposée une solution juri-dique à des problèmes médicaux anciens comme nouveaux (avor-tement, euthanasie, liberté des soins). Les requêtes de cesnouveaux mouvements donnent matière à des codes juridiquesqui accueillent, légitiment ou interdisent les différents choix de vie.Depuis ces années, le droit des différents États fait l’objet d’unajustement continuel à cause des innovations techniques de plusen plus fréquentes dans les pratiques médico-scientifiques et desdemandes de légitimation qu’elles suscitent (Agamben, 1995 ;Santosuosso, 2003). C’est ainsi que sont créés, dans de nombreuxpays, ce qu’on appelle les « Comités de bioéthique », constituésde représentants du monde politique, scientifique et philoso-phique, et dont le but est de mettre fin aux problèmes juridico-moraux soulevés par les nouvelles technologies et méthodologiesmédicales.

À notre époque, le rôle des instances juridico-politiquessemble fortement conditionné par les connaissances technico-scientifiques. Certaines découvertes biomédicales (relatives auxtechniques de réanimation, de greffe, de fécondation artificielle,d’intervention sur la vie prénatale) permettent notamment de

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 31

Lexique de biopolitique32

redéfinir en permanence la frontière entre personne et non-personne, entre vie et mort, qui cessent d’être des phénomènesnaturels et aléatoires pour devenir le résultat politico-juridique dedéterminations technico-scientifiques et d’intérêts économiques(Agamben, 1995 ; Testart et Godin, 2001).

Aujourd’hui, le débat bioéthique s’articule autour de deuxorientations principales. La première se base sur la sacralité et lanon-disponibilité de la vie ; sa matrice, clairement théologique,s’oppose aux interventions visant à forcer ou modifier le coursnaturel des processus vitaux – elle peut à la rigueur les accepter àcondition qu’elles contribuent à protéger la valeur absolue de lavie et de la personne (Tettamanzi, 2002). Cette bioéthiquesubstantialiste implique des risques biopolitiques lorsqu’elle tend,par exemple, à sauvegarder toujours et coûte que coûte la vieprénatale et qu’elle transforme ainsi le corps de la femme en un« lieu public » à contrôler (Duden, 1991 ; Punzo, 2000). De plus,les bioéthiques liées à l’idée de sacralité sous-évaluent le plussouvent le fait que leurs thèses dérivent de visions et de connais-sances scientifiques historiquement déterminées et variables.

La seconde orientation se fonde au contraire sur la qualité etsur la disponibilité de la vie. Elle exclut que la morale découle dethèses éternelles et absolues et place au centre de la réflexionéthique les désirs et les besoins de l’homme. Cette approche, bienévidemment laïque, s’articule selon différentes positions, d’oùémerge la bioéthique conséquentialiste ou utilitariste, souventappliquée aussi dans le domaine médico-sanitaire public quand onest confronté à un problème de nature allocative. Contrairement àla bioéthique déontologique ou des principes (Beauchamps, Chil-dress, 1994 ; Jonas, 1979, 1985 ; Habermas, 2001), qui tente unesolution univoque des problématiques bioéthiques homogènes etqui, pour y mettre fin, se sert des mêmes principes qui se sontauparavant avérés valables dans des cas analogues, l’approcheutilitariste se concentre plutôt sur les conséquences de choix oud’actions déterminés (Rachels, 1986). Cependant, en se basant surle critère de l’utilité (comparaison entre coûts et profits, individuelset sociaux, à la recherche d’un maximum de bonheur pour unemajorité de personnes) et en tentant de maximaliser les avantageset de réduire les gaspillages et les dommages selon une optique

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 32

Bioéthique 33

qui se fonde sur l’efficacité et la rationalisation, cette approcheimplique des risques biopolitiques, notamment celui de distinguerdes sujets auxquels il est préférable de refuser et limiter les soinset les ressources au bénéfice d’un nombre plus important d’autresindividus. Elle accorde une importance particulière à la différencepersonne/être humain – non-personne, théorisée par la bioéthiquelaïque tant dans sa version utilitariste que dans sa version plusstrictement individualiste et libéralo-contractualiste. Cette théori-sation prévoit que toute pratique médicale et technico-scientifiquesoit légitimée par le consentement donné par le malade – ou parla personne qui en tient lieu, dans le cas où l’être humain n’estplus ou n’est pas encore une personne et « appartient » donc àquelqu’un d’autre, selon une logique typique du libéralisme quin’admet comme « titulaire de la liberté » que l’individu adulte,capable d’entendre, de vouloir et de respecter les normes. C’estcomme s’il y avait des individus (par exemple, l’« inconscient » oul’« immature ») à l’égard de qui le droit et le principe d’égalitépouvaient éventuellement être suspendus. Envers de tels sujets,incapables de faire un choix autonome et responsable, il pourraity avoir, à la rigueur, une attitude de bienfaisance (par exemple, unnouveau-né anencéphale, que le système sanitaire public pourraitdécider de ne pas soigner par manque de fonds, pourrait êtremaintenu en vie grâce aux investissements privés d’un géniteurnanti). Mais, en général, la décision sur son sort reviendrait de faitau savoir-pouvoir biomédical, et c’est de celui-ci que s’inspireraitde plus en plus le choix des citoyens (Acocella, 2000).

Même l’appel, de plus en plus fréquent aujourd’hui, à unebioéthique libéralo-contractualiste, fondée sur le libre choix indivi-duel et sur le consentement libre et informé établis par un contrat(Engelhardt, 1995), n’est pas exempt d’implications biopolitiques.En effet, la liberté de recourir à toute pratique médico-scientifiqueprend la forme, avant tout, d’une liberté réservée à certains seule-ment. Certes, les découvertes médicales, scientifiques et biotech-nologiques permettent aujourd’hui à un nombre considérable depersonnes de vivre mieux et plus longtemps mais, dans le mêmetemps, elles exacerbent l’inégalité des soins et des espérances devie à cause des difficultés que rencontrent les masses dès lors qu’ils’agit d’en bénéficier.

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 33

Lexique de biopolitique34

Plus généralement, les orientations bioéthiques qui prévalentactuellement risquent de se limiter à avaliser idéologiquement lespratiques médicales et biotechnologiques – si ce n’est lespratiques économiques et politiques dominantes – issues desdéveloppements de la recherche, en déterminant la frontière entrepersonne et non-personne de façon parfois dangereuse etexcluante, et en faisant abstraction de tout impératif de contex-tualisation historique, politique et économique ou de problémati-sation épistémologique des présupposés de la recherche même.

En outre, ces orientations semblent répondre avant tout auxexigences morales et à l’optique individualiste de l’homo œconomi-cus postmoderne qui, étant généralement plongé dans ses affairesprivées, est enclin à accueillir sans la moindre critique les opportuni-tés technologiques que la réalité lui propose et se laisse gouvernerpar les savoir-pouvoirs dominants sans opposer de résistance. C’estce type de sujet qui devient alors l’interlocuteur privilégié desgouvernements contemporains, de plus en plus conditionnés parl’hégémonie politico-culturelle du néolibéralisme, lequel considèretoute innovation s’imposant pour son efficacité et sa rentabilitéimmédiate comme automatiquement et évidemment valide.

C’est avec les bioéthiques qui mettent l’accent sur l’indépen-dance individuelle et le critère utilitariste que dialogue critique-ment la bioéthique sociale qui ne cesse de préconiser de passer dudroit à la vie – entendu comme la revendication de nouvellesoptions pour la vie matérielle – au droit de la vie – selon lequelcette dernière n’est pas considérée comme un fait purement biolo-gique soumis à des décisions reposant avant tout sur des évalua-tions performantes, des définitions technico-scientifiques et desopportunités politiques. Il faudrait problématiser en permanence lalégalisation de certains critères et de certaines pratiques afin qu’ilsne deviennent pas – même de façon imprévisible – des instru-ments de discrimination ou d’élimination des indésirables et des« inutiles », garantissant le bien-être de certains au détrimentd’autres (Acocella, 2000).

Indépendamment des positions théoriques spécifiques, ilsemble utile, pour conclure, d’émettre l’hypothèse que la vie nepourra retrouver son sens que si elle s’oublie et redécouvre l’exis-tence, le fait de vivre pour quelque chose qui vaille la peine de

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 34

Bioéthique 35

sacrifier éventuellement aussi sa santé, en dépassant cette obses-sion du bien-être et de la survie (Hersch, 1973 ; 1986).

Enfin, nous voyons une autre possibilité qui pourrait être leretour à une éthique du souci de soi, au sens existentiel plus quemédico-biologique, qui impliquerait une attention constante auxdangers dérivant de l’exercice du pouvoir et une culture de laliberté contre les abus du savoir-pouvoir (Foucault, 1983c, 1984b,1984c, 1984d, 1984e).

Sarah Delucia

Voir : Biodiversité, Biopolitique, Biotechnologies, Camps, Capital humain,Citoyenneté, Corps, Eugénisme, Génocide, Humanisme scientifique,Médicalisation, Normal/pathologique, Psychiatrie, Racisme, Sexua-lité, Zôé/bíos.

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 35

BIOMÉTRIE

On entend par biométrie le stockage et l’utilisation, à des finsidentificatoires, de données identitaires que l’on extrait du corpshumain. Son présupposé implicite est que dans le corps résident,de façon univoque et permanente, des éléments irremplaçables etsignificatifs de l’identité de chaque être humain, dont le chiffreessentiel devient donc un mot de passe d’accès. Et quand bienmême ces éléments changeraient avec le temps, le croisement dedifférentes données confère un degré de certitude identitaire à cequ’il serait plus correct de placer dans la catégorie de l’inférencestatistique.

Depuis les premières techniques d’identification, telles que laprise des empreintes digitales, jusqu’à l’analyse sophistiquée deséquences d’ADN particulières prélevables sur différentes tracescorporelles (qu’elles soient solides, comme un fragment de peau,d’ongle ou de cheveu, ou bien liquides, comme des secrétions nonvolatiles telles que le sang, l’urine, le sperme) il existe une gammede technologies biométriques qui sont à même de saisir une repré-sentation véridique et validée de l’identité, en utilisant des instru-ments de mesure du corps plus ou moins invasifs. Le scan optiquede l’iris et de la rétine, l’image numérique du visage, capable demémoriser pas moins de 1800 détails visuels, la transformation del’empreinte vocale en spectre numérique, la géométrie de la mainet de son faisceau de lignes et de nervures, les lignes dynamiquesd’une signature au moment de son apposition, sont aujourd’huiautant de dispositifs, pas encore totalement fiables mais quipeuvent sûrement être perfectionnés, auxquels la science est parve-nue grâce à l’utilisation des techniques informatiques de réductionalgorithmique. Ces techniques sont non seulement capables de direla vérité quant à l’identité qu’il faut contrôler (puisqu’une simple

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 36

Biométrie 37

présentation de soi, qu’elle soit physique ou rhétorique, n’est passuffisante) mais elles peuvent également la contenir dans dessupports technologiquement avancés (micropuces pour tags, smartcards, bases de données) de façon à pouvoir être reproduite chaquefois que sa re-présentation est jugée nécessaire à des fins desurveillance et de contrôle identitaire.

Certaines de ces technologies peuvent se conjuguer avecd’autres techniques de surveillance à distance, comme les circuitstélévisés fermés, les scanners à rayons X, les détecteurs capablesde capter le battement du cœur, le repérage par satellite de corpssur le sol (Ground Positioning System), grâce aussi à la densitécalorique de leur masse, l’interception de messages sur différentsmédias (téléphone fixe et portable, messagerie électronique), laRadio Frequency Identification (active et à champ illimité dès lorsqu’elle est alimentée par des batteries, passive et à champ déli-mité, de quelques centimètres à quelques dizaines de mètres, sielle est dotée d’antennes pour émettre et capter des ondes radio).Chacune de ces technologies se greffe sur un ou plusieurs dispo-sitifs de vérification d’identité qui sont, à leur tour, au service desstratégies de contrôle. Ils fonctionnent grâce à ces technologiesqui automatisent, par exemple, les vérifications d’identité auxpostes frontières mais qui n’annulent pas totalement le facteurhumain de leur implémentation, notamment dans le cadre de laréglementation et des normes d’acquisition et d’utilisation desdonnées (sur base volontaire ou pas, centrées ou décentrées).

L’applicabilité de telles mesures est variée : passeports etcartes d’identité électroniques qui intègrent différentes donnéescorporelles et biométriques, lisibles aux postes frontières grâce àdes appareils appropriés ; badges qui permettent de suivre àdistance, pas après pas, ceux qui le portent en reconstruisant leursmouvements, même de façon différée ; puces sur les cartes decrédit qui fournissent le vaste répertoire des préférences deconsommation de chaque acheteur ; micropuces sous-cutanéesqui transforment le corps de l’individu en une prothèse d’un dispo-sitif d’identification et de surveillance ; logiciels pouvant intercep-ter des milliards de messages électroniques à partir de mots cléspréétablis et acontextualisés (Carnivore du FBI, Echelon) ou contrô-ler des data images à des distances satellitaires, de façon à fixer la

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 37

Lexique de biopolitique38

mobilité de mots et de corps en une grille rigide de discernementunivoque et fragmenté. L’adaptabilité de ces dispositifs qui inner-vent une multiplicité de réseaux infrastructurels est telle qu’elledevient avantageuse pour diverses fonctions et divers acquéreurs,aussi bien publics (gouvernements) que privés (entreprises).

Les dispositifs biométriques, au sens large, fonctionnent d’uncôté comme des instances d’identification, de l’autre comme desvecteurs de surveillance. La mécanique de la reconnaissance iden-titaire se lie au dispositif de souveraineté selon lequel l’exercice dupouvoir légitime se met en place à l’égard d’individus que l’on atransformés en citoyens confiants, autrement dit, loyalement inté-grés aux appareils de l’État. À une époque où les mobilitésglobales et les droits de l’homme franchissent les frontières réelleset symboliques (de loyauté) qui surveillent le territoire en tant quedomaine réservé, reconnaître les sujets veut dire les assujettir entant qu’individus libres de s’adapter aux compatibilités systé-miques du domaine de l’État lui-même. L’opération de territoriali-sation typique d’une capture étatique du devenir-monde a besoinnon seulement de fixer les corps et les esprits (se sentir loyal) ausol délimité, en se combinant avec des appareils disciplinaires, maisaussi de souder cette sédentarité à une efficacité scientifique,représentée par la vérification identitaire qui, d’ailleurs, attribuedes rôles et des appartenances sociales. La technique qui forme etconforme l’agir humain se prolonge en une technologie de véritésur soi qui trouve dans la reconnaissance de l’authenticité uneconfirmation publique erga omnes, en instaurant un regard sur soiqui rende transparent aux yeux du pouvoir. La potentielle ubiquitématérielle et imaginaire de chaque être humain par rapport auxorganisations politiques qui l’obligent à des liens sociaux étatique-ment institués se transforme ainsi en ubiquité du regard dupouvoir qui surveille et contrôle de toute part, minant à la baseune confiance latente sur la capitalisation de laquelle repose lalégitimité du rapport citoyen/État.

Ce qui prouve en effet le manque d’ouverture du bloc dereconnaissance identitaire, c’est qu’il rend vain le privilège de la vieprivée qui devrait, en principe, non seulement préserver un espacede liberté individuelle dans son intangibilité, mais aussi freinertoute ingérence gouvernementale dans l’exercice de l’individualité

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 38

Biométrie 39

de chacun. Tandis que la première face de la vie privée tend àprotéger une transparence absolue de soi-même pour soi-même,sans permettre aux autres aucune visibilité, la seconde met enplace des procédures d’opacification visant à empêcher un regardintrusif. L’identification biométrique au sens large altère on nepeut plus cette double face de la vie privée, en tant que le stoc-kage centralisé de données relatives à l’identité de l’individu établitune appartenance du corps du sujet au souverain, allant mêmejusqu’à empêcher, dans les situations administratives et judiciaires,l’accès correctif des données identitaires à leur « titulaire » et, pireencore, à en refuser l’utilisation, de la part de ceux-là mêmes quigèrent le stockage des données.

Généralement, de tels systèmes de stockage des donnéessont encouragés par les autorités gouvernementales, comme dansle cas du Schengen Information System (SIS II) et du Visa Informa-tion System européens, du Multi-State Anti-Terrorism InformationExchange (MATRIX) et du Total (par la suite Terrorism) InformationAwareness (TIA) américains. Dans d’autres cas, au contraire, ils sontgérés par des organismes administratifs auxquels, sournoisement,on sous-traite des fonctions de governance afin de soustraire leurrégulation à l’examen politique : c’est le cas, par exemple, de l’In-ternational Civil Aviation Organization qui détient des centaines dedonnées concernant les passagers de l’aviation civile des paysdotés d’une flotte aérienne, dans des banques de données où ellessont conservées et souvent cédées à des organismes gouverne-mentaux, et du Passenger Name Recorder, fonctionnant dans lecadre de programmes de sécurité tels que le Computer AssistedPassenger Pre-Screening System (CAPPS I et II) ou le Secure Flight, saversion évoluée (tous les deux de conception américaine). Dansd’autres cas encore, ces données sont mises à disposition par desentreprises privées dont le but est de construire des matrices préfé-rentielles de consommation ou par des entreprises de banques dedonnées, qui les revendent au plus offrant – comme BAE etSiemens en Europe, Lockheed Martin, Lexis-Nexis, Acxiom, ChoicePoint aux États-Unis, des entreprises qui font toutes partie du NewCorporate Security System, dont le core business est constitué pardes données biométriques en tout genre à acquérir, accumuler,croiser, implémenter et revendre au meilleur prix. En l’absence

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 39

Lexique de biopolitique40

d’un pouvoir de contrôle public et démocratique de telles opéra-tions, il est presque superflu de souligner qu’elles sont utilisées àdes fins opportunistes, que les clauses qu’elles prétendent respec-ter sont souvent purement verbales, que les différents ordresbureaucratiques, nationaux et internationaux qui devraient régle-menter la gestion de banques de données se court-circuitent juri-diquement, que les potentialités des infrastructures se répandentpartout de façon quasi irréversible. Transparence et opacité sepervertissent radicalement, la première au désavantage total desindividus, la seconde en tant que repaire du biopouvoir et d’unétat de police permanent (symétrique de la preventive and pre-emptive war on terror).

Dans le même temps, les dispositifs biométriques au senslarge font fonction de vecteurs de surveillance des individus dontla simple existence fait qu’ils deviennent la proie d’une biopoli-tique visant à dévorer la vie, selon une dynamique de régulationpostdisciplinaire, dans laquelle l’incertitude contingente de la viemême doit être domestiquée par le biais d’un contrôle continuelet permanent. Le mythe de la sécurité qui, de Hobbes à Beck,obsède l’État moderne en l’obligeant à digérer – non sanspeine – les instruments de garantie juridique conflictuellementarrachés au fil du temps et auxquels on reproche d’ailleurs aujour-d’hui de trop bien protéger des « terroristes potentiels », atteint,avec les technologies biométriques, son paroxysme. La suspicionde tout agir humain consentant à la « dataveillance » accentue, aulieu de la réduire, l’insécurité qui tenaille chaque individu,conscient non seulement d’être une cible permanente, alors qu’ilignore les critères selon lesquels il peut être considéré « à risque »pour la communauté, mais aussi d’être identifié, à l’intérieur d’unemasse ou d’une collectivité informe, comme le porteur insaned’une caractéristique particulière de désocialisation – ce qui, juste-ment, induit l’insécurité comme leitmotiv global des sociétés,désormais dépourvues de dynamiques solidaires, exemptées ducode du soupçon. Fragilité et précarité des identités sont du resteemblématiques des nouvelles formes du travail, qui dénotent laprocessualité matérielle du changement organique de l’homme enune seconde nature virtuellement artificielle, oublieuse désormaisde son simulacre originel. Et puis, imaginons l’effet de discrimina-

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 40

Biométrie 41

tion perverse qui se produirait si, du fait d’une quelconquedéfaillance technique, le système de contrôle et de vérificationbiométrique venait à ne plus fonctionner ou s’il donnait lieu à uneerreur d’interprétation autoritaire divergente ou, pire, s’il niait lacertification de l’unique identité « vraie » : le dispositif, qui auraitdû intégrer, dés-intègrerait en excluant drastiquement une non-personne de son authentique id-entité !

La vérification identitaire, accrue par les dispositifs biomé-triques de contrôle, révèle combien la sécurité est carrémentdevenue un « dépistage » : des programmes d’enregistrementde masse, tels les cartes d’identité, les numéros d’immatricula-tion fiscale, etc., prennent l’individu pour cible, non pas pour cequ’il fait ou peut faire, mais pour ce qu’il est, associé à des profilspolitiques, sociaux, ethniques, religieux, de genre, rendant ainsipossible toute politique de discrimination : rappelons que legénocide juif, dans l’Allemagne nazie, avait commencé, dans lecadre d’un fichage collectif, par une simple apposition d’un signede reconnaissance pour distinguer les citoyens des non-citoyens – mais résidents – d’origine juive. C’est ainsi que seprolonge à l’échelle « domestique » le topos classique du divideet impera, précurseur à son tour de la distinction, propre à lapolitique, ami/ennemi. Et cela bien au-delà du seuil fatal du11 septembre 2001, qui n’a fait qu’accélérer des stratégies debiocontrôle déjà engagées auparavant, exploitant plus la rhéto-rique que l’émotivité déclenchée par cet événement – même sice n’est qu’après le 11 septembre, c’est-à-dire en 2005, que leRoyaume-Uni a institué une carte d’identité pour ses citoyens etque les États-Unis ont limité les visas d’accès pour les voyageurs(le gigantesque programme US VISIT entend créer un dossier pourchaque voyageur qui effleure le sol américain, en le mettant àjour pendant cent ans !) et ont mis en place l’inquiétant NationalSecurity Entry-Exit Registration System, adressé notamment auxressortissants des pays désignés comme musulmans. En réalité,aucune mesure de biocontrôle n’a de prise sur les racines géo-politiques et géoéconomiques du terrorisme international ni nedissuade sérieusement qui que ce soit d’y adhérer, pas plusqu’elle n’immunise magiquement territoires et individus contreses coups.

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 41

Lexique de biopolitique42

La fragmentation de la vie privée entraîne une transparencequi est l’antichambre de la sujétion totale. Face à cette éventualité,il faut aller au-delà du droit libéral et revendiquer l’anonymat :tandis que le droit libéral, aujourd’hui à son déclin, valorise la vieprivée en tant qu’espace-temps de contrôle individuel sur la façonde se représenter à l’autre dans la société, livrant donc le pouvoird’accès régulateur et correctif aux données individuelles à offrir àla socialité, la valeur particulière de l’anonymat approfondit cetteforme individuelle en permettant de réclamer non seulement ledroit de créer ses propres données corporelles à montrer lemoment venu, ou bien à stocker temporairement auprès des orga-nismes gouvernementaux ou des agences administratives, maisaussi et surtout la prérogative de choisir par un acte de volitionpleine et entière la forme de relation entre soi et le pouvoir, entresa propre existence et les échanges de réciprocité que l’on peutnouer dans l’espace sociétaire. Ce qui est tout compte fait uneautre façon de nommer la liberté.

Salvo Vaccaro

Voir : Biopolitique, Bodybuilding, Capital humain, Contrôle social, Corps,Dégénérescence, Disciplines, Eugénisme, Humanisme scientifique,Médicalisation Normal/pathologique, Normalisation, Police, Popula-tion, Santé publique, Sociobiologie, Zôé/bíos.

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 42

BIOPOLITIQUE

C’est certainement à Michel Foucault que revient le mérited’avoir attiré l’attention sur le thème de la biopolitique, offrant àla pensée critique de notre temps la possibilité de reconnaître etanalyser une dimension inéluctable de l’exercice du pouvoir. Selonle philosophe français, la biopolitique est la pratique en laquellecet exercice se traduit dès lors que les êtres humains, en tantqu’espèce vivante, deviennent l’objet d’une stratégie politiquegénérale. C’est alors que nous nous trouvons face au biopouvoir,c’est-à-dire à l’une des principales expressions du gouvernementdes hommes qui est à son tour une forme de pouvoir différente dela souveraineté (Foucault, 2004a).

Historiquement, la biopolitique peut tout d’abord être identi-fiée dans les pratiques de gouvernement tendant à garantir etrenforcer la santé du corps collectif, qui se réfèrent surtout àquatre grands champs d’intervention au centre desquels on trouveautant de problématiques cruciales : natalité, morbidité, habilité,milieu. Elle est donc, en premier lieu : contrôle sur les phénomènesde la fécondité, de la longévité, de la mortalité ; gestion statistiqueet administrative de ces mêmes phénomènes ; politique de déve-loppement et de régulation démographique. En second lieu, elleest attention sanitaire à l’égard des maladies endémiques maisaussi des maladies épidémiques, de sorte que la morbidité est trai-tée non seulement comme un facteur possible de diffusion incon-trôlable de la mort dans la vie individuelle et collective mais surtoutcomme un facteur de diminution des énergies, de réduction desprestations, d’augmentation des coûts sociaux et économiquesdes soins, qui requiert des systèmes permanents de gestion médi-cale des forces de la société. Troisièmement, la biopolitiqueest contrôle des événements et des phénomènes qui compromet-

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 43

Lexique de biopolitique44

tent plus ou moins gravement l’habilité et l’activité des individus :accidents, infirmités, anomalies, vieillesse. Dans ce cas, elle s’ex-prime le plus souvent à travers des formes d’assurance et des tech-niques de prévoyance appelées à constituer le répertoire de lasécurité sociale. La biopolitique est, en outre, intervention sur lerapport entre les hommes et leur milieu en tant que système natu-rel (géographique, climatique, hydrographique) et en tant quecontexte résultant surtout de processus d’urbanisation ; exerçantune influence inéluctable sur la vie de la population et des indivi-dus, le milieu suppose le contrôle des effets de cette influence.Enfin, la caractéristique générale de la biopolitique est qu’elle sepratique sur deux niveaux, c’est-à-dire tant sur le plan individuelque sur celui de la société dans son ensemble, grâce, respective-ment, à l’application des disciplines au corps-organisme de l’indi-vidu et à celle des politiques de régulation au corps-espèce de lapopulation (Foucault, 1976a, 1997).

Même si le terme ne sera explicitement utilisé qu’auXXe siècle, des formes historiques de biopolitique sont repérables,déjà, dans les pratiques de gouvernement mises en place parl’État absolutiste au moyen de la police, qui intervient sur diversproblèmes, parmi lesquels on distingue le bien-être et la santécollective (Foucault, 1976b, 1981, 2004a ; Panseri, 1980 ; Napoli,2003). Le libéralisme lui-même s’ouvre à la possibilité d’exercer unbiopouvoir, puisqu’il poursuit lui aussi comme objectif, pard’autres moyens, le bien-être de tout un chacun et qu’il est parti-culièrement attentif au problème, notamment, de la sécurité(Foucault, 2004a, 2004b). De plus, on peut reconnaître desformes totalitaires et thanato-politiques de biopouvoir dans lebiologisme raciste pratiqué par le nazi-fascisme ou dans les« purges » et la psychiatrisation de la dissidence mises en placepar le socialisme réel (Foucault, 1997). D’autre part, il est tout àfait évident que même dans les politiques contemporaines d’as-sistance et de welfare social, on peut trouver les formes d’unbiopouvoir qu’il faut considérer comme tel, même s’il ne tend pasà se traduire par des pratiques coercitives et opprimantes.

L’attention que l’on a accordée ces dernières années auxproblèmes de la biopolitique a permis de reconstruire l’histoire dece concept, dont on a pu relever un emploi explicite, mais nulle-

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 44

Biopolitique 45

ment critique, tout au long du XXe siècle (Tiqqun, 2003 ; Esposito,2004 ; Cutro, 2004, 2005). C’est au début de ce même siècle quesont créées, pour la toute première fois, les conditions de cetemploi, au moment où la théorie géopolitique de l’espace vital(Lebensraum) ébauche une conception biogéographique de l’État(Ratzel, 1901) ; et ce n’est que plus tard que s’affirmeront desvisions organicistes et vitalistes de la communauté politique. En seréférant directement au savoir biologique et médical, ces visionscréent de fait les prémisses pour l’approche eugénique – raciste etmanipulatrice – de la vie de la société et de ses membres, que labio-thanato-politique nazie poussera à ses conséquencesextrêmes. Le grand zoologue et biologiste von Uexküll (1920), parexemple, conçoit l’État comme un organisme doté d’une anatomieet d’une physiologie propres, lesquelles sont continuellementmenacées par des facteurs pathologiques et des présences parasi-taires contre lesquelles la médecine d’État se doit d’agir. Mais noussommes presque certains que c’est un savant anglais qui, lepremier, va voir dans la biopolitique une filière d’études qui doitexaminer les risques organiques et les pathologies du corps social,mettant également en évidence les mécanismes de défense immu-nitaire sur lesquels il faut s’appuyer politiquement (Roberts, 1938).

Après les applications totalitaires catastrophiques de cesconceptions, l’utilisation du concept de biopolitique va se réaffir-mer, au cours des années 1960, dans le cadre d’un certain néohu-manisme, qui, se démarquant du très fort penchant naturaliste desvisions précédentes, ne va que très rarement au-delà d’une accep-tion générique du concept lui-même. Dans certains cas, cettetendance relève l’existence dans la société de « forces purementorganiques », considérées le plus souvent comme aveugles etdestructrices, et elle prône contre celles-ci l’intervention biopoli-tique des « forces constructrices et conscientes » en vue de l’uni-fication de l’humanité (Starobinski, 1960). Dans d’autres cas, labiopolitique est proposée comme un savoir et comme une straté-gie nécessaires afin de répondre aux échecs de la technique, ducapitalisme comme du socialisme, se fixant le retour aux « lois dela vie » et à la « coopération avec la nature » pour rétablir un« ordre organique » afin de garantir santé et qualité de vie augenre humain (Cahiers de la biopolitique, 1968).

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 45

Lexique de biopolitique46

La reprise, récemment, dans les pays anglo-saxons en particu-lier, de l’idée de biopolitique en tant qu’étroitement liée auxsciences de la vie, semble être plus cohérente. Elle est entendue,dans ce cas, en termes tout à fait positifs, comme une orientationprécise de la science politique qui, en référence à l’évolutionnismedarwinien et à l’éthologie, analyse les besoins et les comporte-ments humains influencés biologiquement pour en faire émergerles dynamiques naturelles auxquelles la politique, pour être effi-cace, devrait substantiellement se conformer (Somit, 1976 ; Somitet Peterson, 2001). Dans l’application de cette approche au casdes sociétés postcommunistes par exemple, on soutient que labiopolitique peut servir à valoriser les aptitudes humaines allantdans le sens de la coopération pour régénérer un tissu social lacérépar l’échec du socialisme réel (Oleskin, Masters, 1997). Enfin, onretrouve une orientation très semblable, mais avec une forte inspi-ration œcuménique, dans les élaborations théoriques de la BIO

(Biopolitics International Organization) qui conçoit la biopolitiquecomme une stratégie mondiale pour rétablir une relation decompatibilité entre le genre humain et le milieu biologiquedégradé par les abus de la modernité (Vlavianos-Arvanitis, 1985 ;Oleskin et Vlavianos-Arvanitis, 1992).

Totalement différente et résolument plus problématique estévidemment l’orientation des réflexions actuelles qui se basent surles recherches de Michel Foucault et prétendent aussi en dépasserles limites. Dans cette tendance, Agamben (1995, 1998, 2003)soutient que Foucault n’aurait pas su reconnaître le lien structurelentre biopouvoir et pouvoir souverain, présentant ces deux entitéscomme profondément différentes alors qu’elles peuvent s’intégrerl’une l’autre. Schmitt, par contre, nous permettrait de comprendreque la souveraineté est originellement biopolitique en voyant lesouverain comme celui qui décide de l’état d’exception et qui peutdonc aussi bien imposer que suspendre la loi, puisqu’il dispose plei-nement de la vie elle-même. Par conséquent, le paradigme de labiopolitique serait le camp, vu que c’est en lui que s’exercerait, àdes degrés extrêmes, la décision souveraine sur la « valeur » et surla « non-valeur » de la vie. Relativement à ces thèses, on peut enfait se demander pourquoi la souveraineté absolutiste ou la souve-raineté nazie ont dû à tout prix se doter de systèmes de savoir-

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 46

Biopolitique 47

pouvoir et de police médicale appropriés pour exercer pleinementleur emprise sur la vie. En effet, si cela était secondaire par rapportà l’inconditionnalité structurelle du pouvoir souverain, le véritableprésupposé du biopouvoir serait un pouvoir de mort pur et simple.

De leur côté, Hardt et Negri (2000, 2004) distinguent leconcept de biopolitique de celui de biopouvoir, entendant par cedernier les structures et les fonctions du pouvoir sur la vie, et par lepremier les résistances et les expériences de subjectivation libre quimûriraient, aujourd’hui surtout, sur le terrain d’une centralité dutravail renouvelée. Les caractéristiques relationnelles, affectives,linguistiques et communicationnelles du travail postmoderne déter-mineraient une implication productive permanente de la corporéitéet des énergies vitales de la « multitude » sociale. Ainsi, la biopoli-tique serait la dimension à l’intérieur de laquelle la vie s’affirmecomme un contre-pouvoir qui crée une subjectivité en s’appuyantsur sa puissance productive. Les deux auteurs voient donc dans lecaractère biopolitique du travail d’aujourd’hui une condition immé-diate d’autonomie éthico-politique des nouvelles subjectivités. Ils semontrent donc particulièrement insensibles à la méfiance fondéede Foucault à l’égard des hypostatisations du travail, comme, dureste, face à l’inéluctable exigence foucaldienne de ne pas tenirpour acquise la continuité entre processus de libération (objectiveou subjective) et pratiques éthiques de liberté (Hardt et Negri,1994 ; Negri, 2003 ; Foucault, 1978a, 1984c).

Esposito (2000, 2004), au contraire, examine surtout latendance qu’a le biopouvoir à se transformer en thanato-pouvoir.Reconnaissant que c’est Foucault qui a mis cette tendance enévidence, cet auteur soutient quand même que le philosophe n’ena pas clarifié efficacement les raisons, n’ayant pas su repérer defaçon précise le lien qui, dans la modernité, met en relationpouvoir de vie et pouvoir de mort. Ce lien consisterait dans lecaractère immunitaire de la politique moderne qui, conçue juste-ment et avant tout comme une immunisation de la vie de lasociété contre les facteurs « pathogènes » et de « contagion »,finirait par produire non seulement des formes d’exclusion homi-cide et génocide des « étrangers » et des « différents » mais aussiune possible autodestruction, par excès de défense, du corpssocial. Selon Esposito, c’est dans la bio-thanato-politique pratiquée

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 47

Lexique de biopolitique48

systématiquement par le nazisme que l’on peut voir le point culmi-nant de cette logique. L’auteur semble néanmoins négliger le faitque c’est justement avec le nazisme que la manipulation active dela vie (eugénisme, expérimentation médicale sur les internés,programme d’euthanasie) s’annonce comme l’orientation princi-pale du biopouvoir contemporain, lequel, bien que sous des formespas nécessairement catastrophiques, tend désormais à faire de lamatière vivante un objet de modification et de recombinaison,allant désormais au-delà des limites de l’approche immunitaire.

Dans ce débat, le problème de la distinction entre politique etbiopolitique acquiert une importance particulière. Agamben(1995) notamment, se laissant peut-être conditionner par l’identi-fication de la sphère de la politique avec celle d’un pouvoir souve-rain voué à se traduire par un bio-thanato-pouvoir, soutient que ladistinction classique, revalorisée par Hannah Arendt, entre lasphère de la vie politique et la sphère de la vie naturelle impliquede toute façon une vocation de la politique occidentale à faire dela vie même l’objet de son intervention de qualification et de déci-sion, autrement dit, de biopolitisation.

A. Heller (1996) attribue au contraire un caractère très actuelà la distinction arendtienne entre l’action politique et les pratiquesconcernant la vie biologique. C’est ainsi que l’auteure critique leféminisme et l’environnementalisme, en tant qu’ils politiseraientimmédiatement et abusivement, en terme d’oppositionami/ennemi, l’appartenance biologique à un genre ou la référenceà l’écosystème naturel. Cependant, Heller n’accepte pas l’idéearendtienne selon laquelle le travail, en tant qu’il a originairementpour finalité la satisfaction des besoins naturels, est inapte à fonderune action politique au sens propre du terme. En se développantsocialement, le travail trouverait justement dans la dimensionsociale dont Hannah Arendt se méfiait, la possibilité de s’affranchirde la biopolitique. D’une manière plus générale, les problèmesbiopolitiques (santé, condition féminine, minorités, migrations,milieu) pourraient être libérés de la biopolitique s’ils étaient traitéscomme des questions sociales dans le cadre d’un débat pluraliste.Pour ce qui est de ces aspects, la position de Heller semble reflétercelle de Hardt et Negri (2000), lesquels trouvent justement dans lefait que la dimension biopolitique prévaut sur la dimension sociale

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 48

Biopolitique 49

les raisons pour considérer les positions arendtiennes commedépassées et pour envisager une déclinaison positive de la biopoli-tique. Quoi qu’il en soit, dans le premier cas, la politique ne semblereconnaissable comme telle que sur la base d’un partage decertaines règles et de certains langages ; dans l’autre, la valeur poli-tique de la biopolitique semble dépendre étroitement de la pleinemanifestation d’une puissance de production de la vie même.

Dans tous les cas, le débat philosophico-politique ne prête quetrès peu d’attention aux questions cruciales liées aux développe-ments de la génétique et des biotechnologies. C’est en revanchedans le champ sociologique, anthropologique et philosophico-juridique que l’on peut trouver des auteurs attentifs à de tellesquestions. La plupart montrent comment le fait de reconduire desproblèmes biopolitiques primaires (natalité, morbidité, habilité) àdes microfacteurs génétiques permet aujourd’hui de reconsidéreren profondeur les contextes sociopolitiques et environnementauxet comment cela déstabilise le schéma « classique » du biopouvoirfondé sur la double référence à l’individu et à la population (Rose,2000 ; Iacub, 2001 ; Lemke, 2005, 2006). Cependant, seloncertains spécialistes, cette nouvelle perspective n’est pas simple-ment caractérisée par le réductionnisme ou par le déterminismebiologique, qui ne doivent toutefois pas être sous-évalués (Wehlte,2003). L’approche génétique doit avant tout être considéréecomme étant indissociable de ses finalités, lesquelles visent à latransformation technique du matériel biologique qu’elle inves-tigue ; son sens principal tient donc au fait qu’elle définit unchamp tout à fait nouveau d’intervention sur la vie (Rabinow,1999 ; Rose, 2000 ; Lemke, 2005, 2006). Dans cette perspective,l’individu semble retrouver son propre rôle de porteur potentiel ouactuel de risques génétiques qu’il est encouragé à contrôler etgérer au moyen des biotechnologies. Mais évaluer cette situationuniquement en termes de nouvelles opportunités, de nouveauxdroits ou de nouvelles libertés, semble insuffisant et incongru dansla mesure où cela tend à faire abstraction du contexte néolibéraldans lequel cette situation mûrit. En se combinant avec le renon-cement de la part de l’État à son rôle assistantiel, l’accessibilitétechnique accrue des facteurs génétiques par rapport aux facteurssociaux, économiques et environnementaux, plus complexes,

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 49

Lexique de biopolitique50

conduit à une rapide conversion des libertés en nécessités et desdroits en devoirs : l’individu, puisqu’il est à même d’intervenir surles risques dont il serait intrinsèquement porteur, est chargé denouvelles contraintes éthico-politiques et juridiques envers lui-même et envers les autres (partenaires, descendants, famille),contraintes auxquelles il se sentira de plus en plus obligé derépondre en s’informant, en informant, en prévoyant et, en défi-nitive, en s’en remettant avec confiance au nouveau savoir-pouvoirbiopolitique (Lemke, 2006).

En outre, le danger de nouvelles formes d’eugénisme sembleinéluctable : même si celles-ci n’ont plus rien à voir avec les vieillesstratégies étatocentriques, elles pourraient bien être favorisées tantpar les différentes possibilités économiques d’accès aux nouvellestechnologies que par des processus éthiquement controversés(Wehlte, 2003). Mais, d’une manière plus générale, l’éventualitéd’un nouvel eugénisme devrait être considérée indépendammentdes intentions des sujets impliqués. Elle dériverait, en effet, objecti-vement du fait même que la prévention génétique des pathologiesles plus variées s’impose comme référence stratégique de lanouvelle médecine sociale : si tout le monde peut potentiellementêtre considéré « à risque », tout le monde peut en quelque sorteêtre objet de sélection (Lemke, 2005). Même parmi les auteurs quinient ces possibilités, il en est qui relèvent quand même le dangerque les recherches ayant pour finalité l’identification des différencesgénétiques entre les hommes créent les conditions pour denouvelles formes de discrimination de type raciste, en raison juste-ment de la motivation biopolitique qui les inspire, c’est-à-dire lapoursuite d’un meilleur état de santé de l’humanité sur la base desa diversité intrinsèque (Rabinow et Rose, 2003).

Ottavio Marzocca

Voir : Bioéthique, Biométrie, Biotechnologies, Camps, Corps, Défensesociale, Dégénérescence, Développement, Disciplines, Eugénisme,Exception (état d’), Génocide, Gouvernementalité, Humanismescientifique, Médicalisation, Milieu, Normal/pathologique, Normali-sation, Oïkonomie, Police, Population, Psychiatrie, Racisme, Risque,Santé publique, Sécurité, Sexualité (dispositif de), Sociobiologie,Totalitarisme, Welfare, Zôé/bíos.

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 50

BIOTECHNOLOGIES

Les biotechnologies ont fait, au cours des dernières décen-nies, beaucoup de « bruit » dans le débat public. Elles sont deve-nues l’un des objets préférés d’une nouvelle filière d’étudesempiriques (Public Understanding of Science) qui étudie lesfacteurs influençant la perception publique de la science et lerapport entre opinion publique et connaissance scientifique (Baueret Gaskell, 2002 ; Borgna, 2001). Elles sont également devenuesl’objet de mouvements de protestation (notamment les biotech-nologies agro-alimentaires), de réglementations parfois ambiva-lentes, de réflexion bioéthique, de gros profits, d’interventionspubliques très spectaculaires de la science, de peurs irrationnelleset d’ouvertures inconditionnelles.

Par conséquent, les biotechnologies représentent un territoireminé par l’impossibilité de fixer un modèle de « certitude irréfu-table » des connaissances scientifiques et par les dimensionsinédites de risque qu’elles génèrent. En effet, l’obsolescencerapide des connaissances biologiques et génétiques a alimenté,ces dernières décennies, la perception de l’incertitude du savoirscientifique, surtout quant à ses implications sur la vie quotidiennedes acteurs individuels et collectifs, implications qui vont des choixenvironnementaux à la question alimentaire, de la définition duconcept de santé au rapport avec tous les systèmes vivants.

On définit comme « biotechnologies » au sens large toutesles technologies qui utilisent des organismes vivants pour laproduction de biens. Dans cette définition entrent égalementcertaines activités, pratiquées déjà dans l’Antiquité, qui utilisentpar exemple des levains ou des moisissures pour réaliser d’autresproduits (vin, bière, fromages, etc.). C’est ce type de définition quia été adopté en 1984 par l’OTA (Office of Technology Assessment

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 51

Lexique de biopolitique52

des États-Unis) : « Toute technologie utilisant des organismesvivants (ou une partie d’entre eux) pour réaliser ou modifier desproduits, pour améliorer des plantes et des animaux ou dévelop-per des micro-organismes destinés à des usages spécifiques »(Fonte, 2004). Il existe deux autres définitions plus restrictives,qui sont celle de l’OCDE (1982) : « Application des principes de lascience et de l’ingénierie au traitement de matières par desagents biologiques dans la production de biens et de services. »et celle de la Fédération européenne des biotechnologies(1981) : « Utilisation intégrée de la biochimie, de la microbiolo-gie et des sciences de l’ingénieur en vue de permettre une appli-cation technologique (industrielle) des capacités desmicro-organismes, des cultures de cellules tissulaires et de partiesde ceux-ci » (ibid.).

Ces définitions mettent en évidence la « vocationproductive » des biotechnologies et leur naissance pluridiscipli-naire ; de plus, elles font ressortir une différence radicale parrapport aux techniques d’amélioration génétique traditionnelles,comme la sélection des caractères ou le croisement entre espècesdifférentes affines (pratiqués dès l’Antiquité de façon rudimen-taire) qui se sont perfectionnées au début du XXe siècle après laredécouverte des lois de Mendel et la naissance de la génétique.

Cependant, le terme le plus approprié pour se référer à cequ’on appelle les « nouvelles biotechnologies » ou « biotechnolo-gies avancées » est « génie génétique » (Buiatti, 2001). L’emploide cette expression permet de mettre au jour une rupture métho-dologique fondamentale d’avec les techniques utilisées dans lepassé (l’amélioration génétique traditionnelle) et de souligner unevision des organismes vivants entendus comme machines : « Parlerde génie génétique signifie donc implicitement considérer les êtresvivants comme des machines construites selon un projet déposédans leur ADN, dont les « morceaux » (les gènes) sont indépen-dants les uns des autres et arbitrairement remplaçables une foisqu’en est connue la fonction » (ibid.).

Assimiler des organismes vivants à des machines construitesselon un projet signifie ranger implicitement le génie génétique ducôté du déterminisme biologique : le projet de la vie est intégrale-ment contenu dans le patrimoine génétique que l’organisme a

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 52

Biotechnologies 53

hérité, dont l’unité élémentaire d’information est constituée degènes qui peuvent être déplacés, remplacés, éliminés une fois queles connaissances sur leurs fonctions sont disponibles. De plus,lorsqu’on parle d’organismes vivants, on se réfère à tous les orga-nismes vivants, qui vont de la drosophile (le célèbre moucheron duvinaigre, qui fut l’objet de tant d’expériences) aux espèces végé-tales et à l’organisme humain. La conséquence la plus immédiatesemble donc être la perte de centralité de la créature humaine ausein de l’ordre naturel (fin de l’anthropocentrisme). Dans cedomaine, l’expression « projet » s’affiche comme un mot clé de lacosmologie du siècle biotech et l’« auteur du projet » est l’artisand’une construction qui peut aller des différentes expressions indi-viduelles (la vie de chaque homme) à la possibilité de reprojetertout le milieu naturel (Rifkin, 1998), au moment où la perte de lacentralité de l’organisme humain semble représenter l’autre facede l’immense pouvoir que les biotechnologies attribuent àl’homme.

On peut voir dans la mise au point de la technique de l’ADN

recombinant, qui permet de transférer des gènes d’une espèce àl’autre, l’acte de naissance des nouvelles biotechnologies avancées(génie génétique). En 1972, Paul Berg construit la première molé-cule d’ADN recombinant. S’ensuit alors une période d’autosuspen-sion de la recherche, à cause de la panique que provoque dans lacommunauté scientifique ses possibles conséquences, laquelleaboutit en 1975 à la Conférence de Asilomar, première conférenceinternationale sur les risques des nouvelles technologies et sur lespropositions de réglementation.

Comment fonctionne la technique de l’ADN recombinant ? Enbref, le transfert de gènes se produit tout d’abord grâce à l’isole-ment du gène que l’on veut transférer, c’est-à-dire de son ADN (aumoyen de différentes techniques d’isolement). Une fois isolé, onaccole à ce gène un « interrupteur » (appelé « promoteur » car « ildit au gène quand, combien de temps et où il doit fonctionner »).Les promoteurs aussi peuvent être de différents types et mettre enaction différentes modalités de fonctionnement. À partir de là, legène de départ, accolé au promoteur grâce à une enzyme (autre-ment dit, une espèce de « colle naturelle »), est inséré dans unemolécule d’ADN, appelée vecteur, qui le conduira à l’organisme

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 53

Lexique de biopolitique54

d’accueil. Le gène qui doit être transféré est inséré dans le vecteurde façon stable, en utilisant la technique de l’ADN recombinant quipermet de « couper-coller » les fragments d’ADN. C’est de cettefaçon que l’on construit une nouvelle séquence d’ADN qui n’existepas dans la nature (Buiatti, 2001).

L’exemple le plus fréquemment cité pour expliquer cette tech-nique est celui de la production d’insuline : une fois que le gènehumain de l’insuline est isolé, il est transféré dans une bactérie oùil est à même de se reproduire et donc de s’intégrer parfaitementdans l’organisme hôte pour produire de l’insuline. Les bactériesainsi modifiées puis cultivées produiront de l’insuline qui seratransformée en médicament. C’est ce type d’insuline qui, ces vingtdernières années, a remplacé l’insuline animale. Ce n’est pas unhasard si la production de médicaments comme l’insuline, l’hor-mone de croissance, l’interféron, etc., a été le premier champd’application le plus significatif du génie génétique. Dans le cas dela production de médicaments, de tests diagnostics et de vaccinsavec les instruments du génie génétique, on n’a pas enregistré demouvements de protestation ou de refus de la part du public(Tamino et Pratesi, 2001), ce dernier s’étant montré accueillant vis-à-vis des produits biotechnologiques nécessaires à la santé(Borgna, 2001 ; Cerroni, 2003). Même la réglementation juridiquede ces produits s’est inspirée de systèmes normatifs, de contrôle etde sécurité déjà existants et les problèmes relevés durant lapremière phase d’application ont été facilement surmontés sansqu’il y ait eu besoin d’élaborer de nouveaux paramètres de risque.Ces produits ont apporté de tels avantages qu’on les range aujour-d’hui parmi « les progrès normaux de la technique manufactu-rière » (Lungagnani, 2002).

Mais les applications des biotechnologies sont nombreuses :de l’agro-alimentaire à la biomédecine, de la production d’ani-maux transgéniques à la production d’armes biologiques (Bazzi,Vezzoni, 2000 ; Buiatti, 2001 ; Tallacchini et Terragni, 2004). Deplus, les biotechnologies semblent attribuer un rôle inédit à labiodiversité : « Avec le développement du génie génétique, l’im-mense biodiversité, ce catalogue d’espèces, se transforme en unrépertoire de qualités structurelles et fonctionnelles qui peuventêtre transférées d’une espèce à l’autre » (Marchesini, 2002a). Font

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 54

Biotechnologies 55

partie des biotechnologies médicales : les techniques de reproduc-tion assistée, la recherche sur les cellules souches, le clonage repro-ductif et thérapeutique, l’intervention sur les cellules germinales etsur les cellules somatiques. La production d’animaux transgé-niques a pour objectif la recherche dans divers secteurs : méde-cine, zootechnie, production de médicaments, xénogreffes (lesanimaux modifiés pourraient devenir des donneurs d’organes àgreffer sur les hommes).

Ces types d’applications posent certains problèmes, surtoutsur le plan de la bioéthique. Le premier à trait à la définition de lafrontière entre intervention thérapeutique et intervention méliora-tive. Il semble plutôt difficile de définir cette frontière surtout sil’on considère, en dernière instance, que n’importe quelle inter-vention thérapeutique est aussi une intervention méliorative del’espèce vivante en question. Le fantôme de l’eugénisme refaitsurface dans la littérature (Rifkin, 1998 ; Marchesini, 2002a ;Habermas, 2001) à travers la distinction entre l’intervention sur lescellules somatiques (qui ne produit des résultats que sur le sujet surlequel on intervient) et l’intervention sur les cellules germinales(qui produit des résultats sur les générations futures) et à proposde l’utilisation de plus en plus fréquente des tests génétiques et durisque, qui pourrait en découler, d’une discrimination croissante dela part de compagnies d’assurance ou d’entreprises par exemple.Les biotechnologies permettent des interventions sur toute lagamme des vivants, aussi cela implique-t-il un « élargissement »de l’eugénisme. Ce n’est pas un hasard si, sur le plan de la bio-éthique, la réflexion sur les « droits des animaux » – notammentde ceux d’entre eux qui font l’objet d’expériences et de brevets – aeu un certain poids (Tallacchini et Terragnini, 2004).

La production d’armes biologiques n’est pas une invention dugénie génétique mais les nouvelles biotechnologies ont amplifié lepotentiel destructeur de ces armes, les possibilités de risque, et enont rendu la production extrêmement simple : on peut utiliser unebactérie habitant dans l’organisme humain (par exemple l’escheri-chia coli), que le système immunitaire ne reconnaît pas comme unennemi, et y insérer un gène prélevé sur une bactérie toxique (parexemple le bacille botulique). Il s’agit là d’un mécanisme de baseque l’on peut perfectionner davantage par l’introduction d’autres

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 55

Lexique de biopolitique56

gènes contenant d’autres informations. La bactérie construite decette façon peut être congelée, se multiplie rapidement, a un coûtde production minime et, avec les connaissances adéquates, seprépare en un an de travail (Buiatti, 2001).

Nombre d’applications des biotechnologies posent leproblème de la propriété de la connaissance, en d’autres termes, dela propriété intellectuelle reconnue grâce aux brevets qui permet-tent l’utilisation industrielle d’une invention. C’est là un problèmefondamental puisque, dans ce cas, l’invention concerne le matériaubiologique. On emploie souvent, en effet, l’expression « brevetabi-lité du vivant » ou « brevets sur la vie ». Les cas que l’on trouvedans la littérature concernent souvent les demandes ou l’obtentionde brevets sur des lignes biologiques entières, des parties de tissus,des micro-organismes, des séquences d’ADN, des animaux, desespèces végétales, etc. Le premier problème que pose ce type debrevets est la difficulté de distinguer entre découverte et invention.La législation aux États-Unis est, dans ce domaine, beaucoup pluspermissive qu’en Europe, car elle permet de breveter des inventionset des découvertes, à condition que celles-ci soient utilisables indus-triellement. En Europe, il est impossible de breveter les découvertessi n’intervient pas un procédé technique (c’est-à-dire une valeurajoutée) en mesure de produire un matériau biologique, même sicelui-ci est identique au matériau naturel.

Les brevets sur la vie sont réglementés par un réseaucomplexe de mesures qui, parfois, se superposent et sont incom-patibles, tels l’accord sur les aspects commerciaux des droits depropriété intellectuelle, ADPIC (le fameux TRIPS), souscrit dans lecadre de l’Organisation mondiale pour le Commerce, diversesconventions internationales et européennes, la directive euro-péenne 44/98, enfin, les lois nationales qui, outre que ratifier desaccords internationaux, peuvent dans certains cas, en toute auto-nomie, réglementer la matière (Barzanti, 2001 ; Lungagnani,2002 ; Buiatti, 2001). Les brevets, y compris ceux qui concernentle vivant, font référence au régime de droit privé et donc au droitd’exclusion lié à la propriété privée. Or, le développement desbiotechnologies rend cet aspect de la législation sur les brevetsplutôt problématique car il complexifie la décision établissant lafrontière entre ce qui doit devenir l’objet de la tutelle de brevet

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 56

Biotechnologies 57

(c’est-à-dire, être privatisé pour la durée reconnue par la loi) et cequi doit être considéré comme le patrimoine de tout le monde(Lungagnani, 2002).

Enfin, la naissance et les développements du génie génétiqueont parachevé les changements qui sont survenus dans la science etdans la communauté scientifique après la Seconde Guerremondiale. Tout d’abord, les équilibres entre les disciplines ont étéredessinés : la nouvelle big science n’a plus pour centre la physiquemais la biologie. Cela implique de nouvelles modalités de produc-tion, de distribution et d’utilisation de la connaissance scientifique. Ilsuffit de penser à l’affaire du projet Génome (Bucchi, 2002). Ladistinction traditionnelle entre science pure et science appliquée estdéfinitivement devenue obsolète. Le passage « de l’Université à laBourse », la nécessité de trouver des fonds pour la recherche que lesgouvernements ne sont souvent plus capables de garantir, la courseaux brevets, au profit et à la notoriété personnelle, ont ultérieure-ment alimenté la compétition et les « intérêts » au sein de lacommunauté scientifique : ils ont contribué à l’opération de déman-tèlement de la vision idéalisée et normative de la science proposéepar Merton (1968), une opération engagée, entre autres, par Mitroffqui, à côté des normes de l’ethos mertonien, avait mis en évidencel’existence de « contre-normes » (Ancarani 1996).

Les biotechnologies alimentent la complexité des relationsscience-éthique-droit-économie. Ainsi la question de la governancede la science est-elle posée comme un défi : « L’impossibilité dedémêler les composantes strictement scientifiques des composantesressortissant davantage à la sphère publique et politique rend néces-saire la mise au point de nouveaux instruments et de procédures àmême d’inclure les dimensions de l’incertitude et du risque, de lapluralité des points de vue, de la précaution, de la responsabilité etdu progrès scientifique » (Tallacchini et Terragni, 2004).

Renata Brandimarte

Voir : Biodiversité, Bioéthique, Biométrie, Bodybuilding, Capital humain,Contrôle social, Corps, Défense sociale, Eugénisme, Humanismescientifique, Médicalisation, Normalisation, Posthumain, Santépublique.

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 57

BODYBUILDING

L’expression est employée ici comme une métaphore généraledes dispositifs, des politiques et des pratiques visant à entretenir,dompter, modeler, renforcer, transformer, construire le corps(bodybuilding). Dans ce contexte, elle ne renvoie donc pas à lafameuse discipline sportive et au cortège subculturel qui l’accom-pagne.

Traditionnellement, dans les sciences sociales, victimes d’undualisme cartésien originel, le corps ne suscite qu’indifférence.Dans la subdivision des compétences disciplinaires, ce sont lessciences naturelles qui se sont emparées de toute la chaîne« nature-corps-milieu », déléguant aux sciences de l’esprit lecontinuum « société-esprit-culture » et imaginant les acteurssociaux comme une conscience désincarnée pure et simple, àl’existence immatérielle (Turner, 1992 ; Corrigan, 1997).

Les pionniers en la matière sont des auteurs marginaux, horsdisciplines et sans école (Mauss, Elias, Foucault), et ce n’est pas unhasard si, plus récemment, c’est la pensée féministe qui a replacé lecorps au centre du débat philosophico-sociologique (Borgna, 2005).

Selon Mauss (1936), le disciplinement du corps n’est pas lepropre de la modernité ; même en l’absence d’institutions spéciali-sées, celui-ci est consubstantiel à toutes les formes de la vie collec-tive. Les techniques du corps – entendues comme des instructionstraditionnellement consolidées en vue de l’utilisation de l’instru-ment-corps, transmises aux membres du groupe en suivant le discri-minant sexuel – sont disséminées dans toutes les phases du cycle devie et informent dans le détail les modalités obstétriques, les soinsmaternels et l’alimentation de l’enfant, le sevrage et le postsevrage,l’initiation à l’adolescence, le sommeil, la veille et le repos, le mouve-ment (marcher, courir, danser, sauter, escalader, descendre, nager,

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 58

Bodybuilding 59

pousser, lancer, soulever), les soins (toilette, hygiène), la consomma-tion (manger, boire), la reproduction, etc.

Mais au sein de la continuité anthropologique, il est possiblede repérer les failles épistémiques génératrices de transformationsparticulières et d’intensifications des injonctions constructives àl’égard du corps. Pour Elias, un premier seuil critique coïncide avecle processus de monopolisation de la force qui se développe enOccident entre le XIe et le XVIIe siècle (Elias, 1939). L’intégration descommunautés médiévales dans des territoires pacifiés aux dimen-sions toujours plus vastes, l’allongement des chaînes d’actionsinterdépendantes, la progressive différenciation des fonctions,imposent à l’individu d’intervenir dans la nouvelle machine socialeau moyen d’actes sélectionnés avec précision et épurés de toutmouvement instinctif. Cela n’est possible qu’au prix d’un pénibleexercice d’autorégulation des impulsions et des agressivités spon-tanées, d’un déplacement décisif au-delà des seuils de pudeur etde répugnance : le disciplinement du « corps interne » (Turner,1992) constitue le passage obligé vers la voie de l’individualisationet c’est la « vie de cour » qui fournit les lignes prototypiques de lanouvelle posture psychosociale (Elias, 1969).

À partir du XVIIe siècle, le corps individuel devient le lieu privilé-gié d’un investissement politique (Foucault, 1976a) ; le « laisservivre » pur et simple, accordé par le souverain et révoqué par des« actes de prélèvement » uniquement en cas de menaces contre sonpouvoir souverain, est assujetti aux protocoles disciplinaires détaillésde l’anatomo-politique (laquelle rejoindra par la suite les biopoli-tiques du corps-population). Les institutions panoptiques – l’école,l’hôpital, la caserne, la prison, l’usine, etc. – font du corps unematière docile, soumise, normalisée, transformée, renforcée,produite au bénéfice de multiples destinations fonctionnelles allantdes appareils domestiques aux appareils productifs (Foucault, 1975).Il ne s’agit plus de conserver ou de réprimer mais de produire desforces, d’en favoriser la croissance tendanciellement illimitée pour,dans le même temps, les gouverner et les discipliner.

L’avènement de la chronologie (à partir du XVIIIe siècle) perfec-tionne le modèle en faisant du corps un objet de mesure subor-donné au temps de la machine. À travers la division du travail,l’organisation productive subsume l’objet-corps, qui sera redéfini

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 59

Lexique de biopolitique60

dorénavant comme une simple « machine biologique » qu’il fautmaintenir, en tant que telle, en parfait état de fonctionnementgrâce à des régimes alimentaires équilibrés et des exercicesphysiques. Le robot représente, dans ce sens, l’idéal de la libéra-tion fonctionnelle du corps comme force de travail (Baudrillard,1976). L’éducation du corps est indissociable du perfectionnementmoral que poursuit la première bourgeoisie capitaliste, fille dupuritanisme, qui promeut la fondation des clubs de gymnastique(Sassatelli, 2000). Cependant, c’est l’État qui est le principalproducteur du corps-machine, y compris à travers la promotionimpositive des activités gymniques dans les lieux de formation etde travail. Une exagération qui deviendra obsessionnelle dans lesrégimes autoritaires de la première moitié du XXe siècle ainsi quedans les patries du socialisme réel, où l’activité physique remplit lerôle de prière matinale dans tous les ateliers de l’homme nouveau.

À la suite de ces changements, l’individu va faire l’expériencede la séparation ; en d’autres termes, un glissement s’opèrede être un corps à avoir un corps (Turner, 1992) doté d’une exis-tence autonome, exproprié et donc livré à la connaissance desexperts qui trouve à se concrétiser dans les institutions socialesconsacrées à l’articulation du pouvoir-savoir. Le discours médical etle discours religieux en fournissent les architectures de vérité etédictent les règles du comportement privé.

Avec l’après-guerre et l’avènement de l’ère de la consomma-tion, la dissolution de la souveraineté, déjà décrétée par les tech-niques anatomo-biopolitiques, s’intensifie et finit par masquer lerôle des machines administratives publiques. Paradoxalement, celadonne à l’objet corps un éclat nouveau. En l’absence de discourshégémoniques et d’entités politico-sociales unificatrices de l’hu-main, le corps se présente en effet comme l’ultime résidu utilisablepour un potentiel collationnement universaliste. Le corps, s’inscri-vant dans la nature, est l’universel par excellence, il demeure en deçàde toute segmentation politique et sociosymbolique fictive. Sonuniversalisme, cependant, se traduit immédiatement et prosaïque-ment par le généralisme de la culture de masse qui, comme le souli-gnent de nombreux auteurs, trouve sa plus haute expression dansces non-lieux où le corps se façonne (la « salle de gym » – Sassatelli,2000) et s’autoreprésente (la discothèque – Torti, 1997). C’est

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 60

Bodybuilding 61

justement dans les domaines de la culture de masse que se forgentles rhétoriques qui sont à la base des nouveaux dispositifs d’em-prise sur le corps.

Comme Riesman l’avait pressenti déjà à la fin des années1940, un type d’individu other-directed apparaît sur la scène,dirigé vers les autres – et, en retour, par les autres – qui remplaceprogressivement la singularité inner-directed propre à l’ère de laproduction (Riesman, 1950). Ce qui prédomine, c’est le soucid’être conforme, adapté au groupe (des semblables, en premierlieu, et donc de tous les contemporains), la recherche de l’appro-bation d’autrui. Dans la mesure où elle doit se mener entre incon-nus, cette recherche s’accomplit essentiellement en exposant soncorps, qui doit donc être doté de signes socialement« appropriés ». On abandonne progressivement la régulation du« corps interne » (l’autocontrôle pulsionnel) pour entreprendre lerefaçonnement du « corps externe » (Turner, 1992). Les espacessociaux typiques de la postmodernité sont restructurés en vertu decette exigence, celle d’une représentation perpétuelle, qui s’inten-sifie proportionnellement à l’expansion de l’économie immatériellede la représentation (Featherstone, Hepworth et Turner, 1991). Lesmodèles de corps dont on s’inspire défilent sur les affiches publici-taires, sur les grands et les petits écrans des médias de masse.Mauss, déjà dans les années 1930, constatait une uniformité destyle entre l’allure des infirmières new-yorkaises et celle despassantes parisiennes, uniformité qu’il attribuait à la diffusion desfilms hollywoodiens (Mauss, 1936). L’utilisation rétrospective, àdes fins personnelles, de la photographie (Grassi, 1995) et, plusrécemment, de la cassette vidéo fournit à l’individu la possibilité decomparer l’adéquation de son corps aux modèles circulants, enintervenant sur celui-ci ponctuellement grâce à l’intériorisation depratiques alimentaires, gymniques, cosmétiques voire chirurgicales.

Le souci d’uniformisation n’empêche pas que les pratiques enquestion soient mises en œuvre à l’intérieur du cadre imaginaire del’individualisation, de l’autonomie de l’individu, dans le travail defaçonnement de son propre corps, considéré comme une formefondamentale d’expression de soi, d’autopromotion, de recherchede bien-être personnel. Certains auteurs, en ratifiant ce cadre eten l’intégrant dans le discours scientifique, émettent l’hypothèse

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 61

Lexique de biopolitique62

d’une « dépolitisation » du corps et donc de sa tendancielle« privatisation », qui mettrait à mal les modèles de docilité de typefoucaldien (Giddens, 1991, 1992 ; Borgna, 2005). L’individuprojette l’incorporation de son propre soi à partir de la vaste plura-lité de styles de vie qui s’offrent à lui dans le spectre social. Onpasse de avoir un corps à faire un corps (Turner, 1992).

Dans ce travail, le sujet est pris dans l’oxymore de l’exaltationprométhéenne individualiste et de la responsabilité solitaire envue de la conformation au modèle. Le corps est investi defantasmes illimités de refaçonnement qui défient continuellementses limites et ses déterminations (Bordo, 1993), restant toujoursdans la trajectoire longue de la modernité (individualisation, auto-nomie, autocontrôle, etc.). La demande atteint son acmé dans lesformes d’altération et de marquage du corps propres au body art(du painting au piercing, du tattooing au shaping en passant parles scarifications, etc.) ou au carnal art (pensons aux perfor-mances d’Orlan et Sterlac qui se soumettent à des interventionsde chirurgie plastique ou d’hybridation biologico-artificielle àscène ouverte, faisant de leur propre corps une sculpture vivante)(Borgna, 2005). La condition d’insaisissabilité anomique induitepar la poussée globaliste (la sensation qu’a l’individu de ne pluscontrôler les sources de détermination de la réalité) renforcel’acharnement sur le corps. Celui-ci devient en effet l’un des raresespaces contrôlables, un avant-poste à l’intérieur duquel il estencore possible de donner libre cours à la tentation promé-théenne qui est ailleurs définitivement frustrée. Toutefois, cettevolonté prométhéenne n’est pas sans être exposée à de multiplesdéferlements d’angoisse. Reste, en effet, l’obligation non écritede se conformer aux modèles circulants, obligation face à laquellele sujet devant obtempérer se retrouve en situation de solitude. Laresponsabilité du travail d’adaptation aux schémas produits dansle monde social retombe complètement sur les individus(Bauman, 1999), du moment que les techniques de conformations’articulent selon le code de la liberté individuelle (Pitts, 2002). Lamise à mal simultanée des appareils de sécurité sociale détermineen outre un souci inédit quant au maintien prolongé de l’étatd’autosuffisance personnelle : se concentrer sur sa formephysique devient un enjeu inéluctable au moment même où la

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 62

Bodybuilding 63

responsabilité de la protection est déchargée sur ses bénéficiaires(Sassatelli, 2000).

Les pratiques de la chirurgie plastique et du bodybuilding sontl’expression paradigmatique de l’oxymoron en question. Dans lesdeux cas on constate une oscillation entre ferveur autopoïétique etdemande de conformité. De la seconde attitude, notamment, onpeut dire – sans adhérer pour autant à ces analyses sociologiquesqui attribuent aux bodybuilders des carences physiques, écono-miques et culturelles que compenserait l’amplification musculaire(Klein, 1993) – qu’elle vise à une fusion parfaite entre une attitudeascétique tendant à cet autoperfectionnement illimité caractéris-tique de l’individu moderne et une adhésion passive à un modèlede masculinité hors norme (quoique ambigu).

L’exacerbation naturiste typique du fitness est apparemmentune alternative à la rhétorique du corps flexible (Borgna, 2005)évoquée jusque-là. Le corps, dans ce cas, devient la clé de la récon-ciliation avec son être « naturel », vengeant la sédentarité contem-poraine et suturant la schize dans un « esprit » distancié etgouvernant. La plasticité potentielle du corps est condamnée auprofit d’une éthique de l’adhésion à sa substance authentiquerepérable dans la nature, qui restitue harmonie, équilibre, bien-être. On n’aspire pas à être « autre » mais à être « soi-même » ;on renonce volontiers à la liberté de refaçonnement pour s’adon-ner aux vertus du bon gouvernement d’une unité existentielleretrouvée.

La recherche fébrile d’un « style de vie » (calqué sur lescaprices du goût personnel et de la pulsion de distinction) dans levaste catalogue offert par la culture de masse cède la place àl’adoption d’un « régime de vie » entendu comme la ratificationdes normes repérables dans la nature, comme poursuite d’unevérité propre (Sassatelli, 2000).

Selon Baudrillard (1976), l’idéologie « nudiste » qui se trouveà la base de ces comportements sociaux ne représente rien d’autreque l’évolution spécifique du rationalisme libéral, déjà générateuren son temps du corps-machine productif. La libération du corpsen tant que sujet-objet de travail et/ou en tant que sujet-objet deplaisir-désir est vouée à l’échec, comme toutes les opérationsempreintes de substantialisme fonctionnel. Ce qui est à l’ordre du

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 63

Lexique de biopolitique64

jour, en revanche, c’est la « nudité seconde » qui fait du corps unsignifiant pur. Le corps censuré, nié dans son ambivalence-diffé-rence est donc redoublé, grâce aux signes d’un code reposant surl’équivalent général du culte phallique : le phallus exchange stan-dard. Le modèle des modèles coïncide avec l’érectilité figée d’uncorps asexuel, produit d’une fantasmatisation phallique générale.

Onofrio Romano

Voir : Assujettissement/subjectivation, Biométrie, Biotechnologies, Capitalhumain, Contrôle social, Corps, Disciplines, Écologisme, Gouverne-mentalité, Médicalisation, Santé publique, Posthumain, Psychiatrie,Sexualité (dispositif de), Travail/non-travail.

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 64

CAMPS

L’expression « camp de concentration » est forgée à Cubapendant la guerre de 1895 qui confirme la possession de l’île à lacouronne d’Espagne. Elle indique un lieu délimité et contrôlé parles forces de l’ordre où sont amenés et concentrés certainsgroupes de la population – les paysans.

L’idée de constituer des camps pour l’élimination – autre-ment dit la « mise en dehors de la limite » – des éléments dange-reux pour l’ordre politique et social remonte à Filippo Buonarroti,qui, dans sa Conspiration pour l’égalité, dite de Babeuf écrite en1828, propose l’instauration de campements pour maintenirl’ordre public et permettre le lancement des réformes des Répu-blicains. Initialement, les camps renfermèrent les militaires enne-mis pendant la guerre de Sécession américaine. Mais avecl’émergence, au XXe siècle, de la guerre totale impliquant mili-taires et civils – lesquels fournissent un soutien passif (grâce auravitaillement et à l’omerta) et actif (par la guérilla) à l’une desforces en action – on commence à enfermer dans les camps aussila population non armée. Des camps pour les ennemis on passeaux camps pour les peuples colonisés et, enfin, aux camps pourles « ennemis internes ». C’est en 1904 que sont institués lespremiers camps de concentration, qui prévoient non seulementl’exploitation du travail des internés mais également leur anéan-tissement par épuisement : ce sont les camps des Herero, popu-lation habitant aux confins de l’actuelle Namibie et victime dupremier génocide du XXe siècle, commis par l’Allemagne impé-riale. En 1918, l’utilisation du camp en tant que lieu de mise àl’écart et de punition pour les ennemis internes est décrétée parTrockij, qui ordonne la création des camps de Murom, Arzamas etSvijazsk pour les agitateurs suspects, les officiers contre-révolu-

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 65

Lexique de biopolitique66

tionnaires, les saboteurs, les parasites et les spéculateurs (Soljenit-syne, 1974 ; Applebaum, 2003).

C’est avec les goulags et, par la suite, les camps de concen-tration nazis que ce formidable instrument de contrôle et deterreur à l’encontre des ennemis externes et de la population seperfectionne. Le système concentrationnaire devient ainsi unmoyen supplémentaire, et parallèle aux moyens de répressionlégaux et officiels, créé afin d’emprisonner des individus qui nesont responsables d’aucun crime et qui, partant, ne peuvent êtresoumis au jugement des tribunaux (Wormser-Migot, 1973). End’autres termes, on concentre dans le camp les groupes depersonnes qui, sur la base de critères raciaux, sociaux ou natio-naux, sont nuisibles par définition ou bien par appartenance : lecamp ne prévoit pas d’acte criminel qui justifierait la détentionmais il est plutôt le règne de la responsabilité collective, de lapersécution non motivée, autrement dit, causée non pas par unacte mais par une « qualité » ou plutôt par une « caractéristique »collective. Le camp massifie tandis que la prison individualise :dans le camp, l’individu disparaît dans la masse alors qu’en prison,chacun est incriminé pour un acte individuel qu’il a commis contrela loi de l’État (Kotek, Rigoulot, 2000). De plus, la condamnation àla réclusion dans les camps émane de décisions policières et nonde mesures judiciaires et de procès.

Selon Mosse (1990), c’est la Première Guerre mondiale qui, endurcissant les comportements de ceux qui ont le pouvoir, auraitcréé des conditions favorables aux camps de concentration sovié-tiques, allemands puis chinois. Ce serait cependant commettre unegrave erreur que de confondre les spécificités historiques et idéo-logiques des camps, lesquels doivent être replacés dans leurscontextes respectifs. Si tous les camps des régimes totalitairesvisent à la transformation de l’homme et à la création d’un« nouveau type d’humanité », les Konzentrationslager nazisentraînent les soldats SS à une mission de conquête de la terre etse fondent sur la hiérarchie raciale, tandis que le modèle du goulagest la société égalitaire et productive, et celui du laogai la sociétédu contrôle psychologique dont les fondements sont la « réformementale » et la productivité. Les fonctions des camps sont classéescomme suit : isolement d’individus ou de groupes jugés suspects ;

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 66

Camps 67

punition et correction de ces derniers par des mesures éducativespositives (l’ordre et l’hygiène pour le nazisme, la réforme mentalepour les camps chinois) ou négatives (la peur) ; exploitation de lamain d’œuvre non rémunérée ; reconstitution du social (Kotek,Rigoulot, 2000). Selon les fonctions qu’on privilégie, les campspeuvent globalement être divisés en trois types : les camps d’in-ternement, qui visent à isoler temporairement des individussuspects ou dangereux – par exemple, les camps pour isoler descitoyens d’un pays ennemi ; les camps de concentration, structuresdurables qui conduisent à l’abrutissement, à la rééducation et àl’anéantissement par le travail ; enfin, les camps d’exterminationqui sortent, en réalité, de la catégorie spécifique des camps.

Les camps nationaux-socialistes, qui correspondent aux deuxderniers types, sont devenus un archétype pour l’imaginaire collec-tif. Ils sont dus à l’initiative de Göring – qui institue Dachau, lepremier camp pour opposants politiques, en 1933 – et se fondentsur une procédure juridique, la détention préventive (Schutzhaft),qui crée un espace légal pour l’action arbitraire des unités militari-sées SS. Lorsqu’Himmler remplace Göring à la tête des camps, lecamp commence à accueillir des catégories de population de plusen plus vastes. En 1935, le Schutzhaft a pour rôle d’empêchertoute tendance (Bestrebung) susceptible de troubler l’ordre et lasécurité internes : c’est ainsi que le camp, jadis instrument deterreur politique, devient un instrument de terreur sociale (Kogon,1946 ; Broszat, 1967 ; Kaminski, 1982 ; Kotek et Rigoulot, 2000).Seront désormais internés dans les camps, les objecteurs deconscience, les témoins de Jéhovah, les homosexuels et les Juifs,coupables de polluer la race arienne. En 1937, on décrète l’inter-nement préventif des criminels ; en 1938, celui des réfractaires autravail et des asociaux. Avec la guerre, les camps nazis finissent parêtre principalement occupés par des Juifs, des Tsiganes et desétrangers. La condition des internés va s’aggraver ultérieurement :aux fonctions liberticides (répression et correction des opposantset des marginaux ariens) s’ajoute une fonction politiquementrépressive (élimination des opposants politiques occidentaux),l’une visant l’assujettissement d’un peuple tout entier (la nationpolonaise) et l’autre le génocide, dirigé contre Juifs et Tsiganes. En1942, à la conférence de Wannsee, l’extermination des Juifs est

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 67

Lexique de biopolitique68

officiellement programmée ; de fait, le début des exécutions demasse et de l’organisation de la « mort industrielle » remonte à1941 (Kotek et Rigoulot, 2000). La création des centres d’extermi-nation voit son prodrome dans l’opération d’euthanasie T4, quicondamne à la mort « miséricordieuse » (Gnadentod) les maladesmentaux et les incurables.

La catégorie des « vies indignes d’être vécues » s’étend ainsi,progressivement, des enfants ayant des problèmes mentaux et desmaladies incurables aux malades mentaux adultes, pour finir parenglober les homosexuels, les ressortissants de certaines races (Juifset Tsiganes) et nations (Polonais). La définition de ces catégories etleur discrimination par rapport à l’idéal de l’« Allemand arien » estune étape fondamentale de ce qu’Hannah Arendt appelle la« préparation de la victime » (Arendt, 1951). L’assassinat de lapersonne morale, la transformation de l’homme en un exemplaired’une espèce, l’élimination de la différence entre bourreau etcondamné, sont autant de procédés au moyen desquels le pouvoirtotalitaire forge ses victimes. L’élément pivot du processus quiconduit un homme à se dépouiller de son individualité et de saspontanéité pour devenir bourreau sans scrupule ou interné sanspossibilité de rébellion est ce décalage total entre la détention dansles camps et l’absence de délit, qui justifie la peine et la gratuitéabsolue du phénomène concentrationnaire. Les camps n’ont pas àl’origine de fonction économique et productive : ils sont le règne du« tout est possible », où le sentiment partagé de la communautédes citoyens est suspendu. Le gaspillage de moyens pour le gazagedes Juifs pendant la phase critique des années 1942-1943, toutcomme la hiérarchie interne qui impose aux victimes elles-mêmes lalogique de la violence et les convainc d’employer la violence contreleurs compagnons sont autant d’exemples de l’absurdité descamps. Ces derniers ont, partant, une double valeur : l’anéantisse-ment moral des victimes et l’endoctrinement des futures élites,c’est-à-dire des SS à qui l’on impose un code tout a fait étranger àun quelconque principe de compassion et de moralité. SelonHannah Arendt, c’est à travers la création de ces conditionsextrêmes, de cet enfer créé par l’homme, que le pouvoir peut seposer en domination totale sur l’homme, en réalisant la transfor-mation profonde de la nature humaine.

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 68

Camps 69

Lire Hannah Arendt qui, la première, dénoue une série deproblèmes concernant aussi bien la continuité entre les formesmodernes de domination et les camps que la nature et le fonc-tionnement de ces derniers, permet d’avoir un élément de compa-raison de toutes les interprétations qui viendront après. Tandis queFoucault voit dans l’extermination nazie le moment où se réalisentle plus pleinement les tendances thanato-politiques du pouvoirbiopolitique, ultime métamorphose des formes du pouvoirmoderne (Foucault, 1997), Zygmunt Bauman y lit une radicalisa-tion de deux tendances typiques du développement de la menta-lité moderne : la rationalité bureaucratique qui encourage uneconduite libre de toute considération morale et personnelle, etl’application de la technologie industrielle pour construire lesusines de mort (Bauman, 1989 ; Peukert, 1987).

À l’analyse historique des camps, qui les appréhende dans lacontinuité des formes de domination modernes, s’opposent deslectures anthropologiques (Sofsky, 1993) et de type économique(Aly et Heim, 1991). Le camp est vu dans le premier cas comme leparadigme de l’éternel dilemme auquel est vouée la sociétéhumaine, traversée par la violence et dans le même temps aspirantà l’ordre et au contrôle violent du chaos. On voit affleurer, avec lecamp, ce mécanisme universel sur lequel repose la société poli-tique : la violence comme signe de prééminence et comme critèreélémentaire pour survivre ; celle-ci acquiert ainsi ouvertement cesens social qui, dans la société démocratique, est seulementocculté (Sofsky, 1993). Heim et Aly, en revanche, attribuent auxcamps une valeur purement productive : c’est au moyen et autravers, d’une part, de l’assistance et des contrôles publics desnaissances et de la mobilité de la population, et, d’autre part, del’extermination, que le pouvoir politique réussit à diriger et régulercontinuellement la composition et le nombre de la population.Quoi qu’il en soit, la signification du camp en tant qu’exemplifica-tion du perfectionnement du pouvoir biopolitique est indubitable :il constitue le « paradigme même de l’espace politique au momentmême où la politique devient biopolitique et où l’homo sacer seconfond virtuellement avec le citoyen. » (Agamben, 1995) L’homosacer est, pour Agamben, la figure qui dévoile le fondement dupouvoir souverain : en tant que personne placée hors du droit, que

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 69

Lexique de biopolitique70

quiconque peut tuer et qui, partant, est bannie par le souverain,elle renvoie à l’institution du pouvoir. Ainsi, la « vie nue », entant qu’« exception originaire », est toujours référée à la déci-sion souveraine, qui peut soustraire toute vie à la « tuabilité »inconditionnelle. L’homo sacer est alors le Juif des camps nazismais aussi une figure paradigmatique qui finit par occuper deplus en plus le lieu de la politique, laquelle, à partir du début dela modernité, se trouve devoir intervenir de plus en plusfréquemment dans des situations de marginalité afin de discipli-ner la « vie nue » et de l’inclure dans la réglementation juridiqueet dans la pratique politique.

Mais le camp n’est pas seulement le lieu de l’« animalisation »de l’homme, il renvoie de façon spéculaire à un ordre, à un modèleà mettre en place en dehors des camps (Levi, 1986). La structuredu camp et ses principes renvoient en effet à l’idée d’une sociétémodèle : les citoyens à l’extérieur des camps ne sont pas seule-ment terrorisés par ceux-ci, ils sont disciplinés grâce à l’applicationdes mêmes principes qui décrètent la mort de certains de leursconcitoyens. C’est seulement à partir du moment où l’enfer ducamp va être pris en considération parallèllement au « paradis »de l’ordre politique et social – que le totalitarisme entend réaliseren dehors du camp – que l’on pourra évaluer sa signification etson efficacité dans la prévention de la dissidence et dans la réali-sation de l’« homme nouveau ». En d’autres termes, le camp est,comme l’affirme Hannah Arendt, le règne de l’absurde, du renver-sement des principes qui fondent l’idée d’humanité. C’est juste-ment pour cette raison qu’il confirme l’humanité de ceux qui sonten dehors : le Juif comme catégorie en marge de l’humain présup-pose l’arien et sa nécessaire pureté ; l’ennemi du peuple dans legoulag resoude le peuple lui-même et le confirme dans sa missionen vue de la victoire du communisme. C’est là qu’il faut distinguerentre les camps d’internement temporaires des démocraties et lescamps typiques du totalitarisme : si, dans le premier cas, la ségré-gation est momentanée et ne vise pas à l’anéantissement ou à la« transformation » totale de l’interné, dans le second cas, le campa pour signification la reconstitution de l’ordre social et politique.

Aujourd’hui, de nombreux chercheurs constatent la diminutiondu nombre et de l’incidence des camps de concentration. Cette

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 70

Camps 71

tendance ne serait pas nécessairement le signe d’un plus grandrespect des droits des individus et des peuples mais pourrait être l’ef-fet d’une transformation plus complexe des mécanismes de contrôlede la population. L’institution de prisons comme Guantanamo et lerenforcement du contrôle sur le déplacement des populations et surles informations pourrait indiquer une autre transformation desformes de normalisation et de maintien de l’ordre.

Patricia Chiantera-Stutte

Voir : Biopolitique, Citoyenneté, CDT, Dégénérescence, Défense sociale,Disciplines, Exception (état d’), Eugénisme, Génocide, Gouverne-mentalité, Guantanamo, Normal/pathologique, Racisme, Santépublique, Sécession, Sécurité, Totalitarisme.

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 71

CAPITAL HUMAIN

Parmi les théories que la culture néolibérale a produites aprèsla Seconde Guerre mondiale, celle du capital humain, élaborée parquelques économistes américains à partir des années 1950(Mincer, 1958, 1974 ; Schultz, 1961, 1963, 1971 ; G. Becker,1964) est particulièrement significative. Elle se présente comme lapremière tentative systématique de combler une carence histo-rique de la pensée économique, considérée comme étant substan-tiellement incapable d’appréhender comme il se doit l’un desfacteurs les plus importants du développement, ces « ressourcesintangibles » que représentent les capacités humaines. Ce sont eneffet ces mêmes ressources qui, selon ces auteurs, permettentd’expliquer la prééminence de certains pays comme les États-Unisdans la compétition économique (Schultz, 1963).

L’un des préalables fondamentaux sur lesquels repose cettethéorie est la définition générale de l’économie formulée parLionel Robbins dans son ouvrage le plus célèbre (1932), où ilrejette la vision classique selon laquelle le comportement écono-mique des hommes serait tout simplement déterminé par la pour-suite du bien-être matériel. Selon Robbins, ce n’est pas tant lamatérialité des fins que la rareté des moyens qui a une valeur déci-sive. Il définit donc l’économie comme « la science qui étudie lecomportement des individus face à la gestion des fins et moyensrares à usage alternatif » (ibid.). Ainsi peut-on parler de compor-tement économique dans tous les cas où les hommes, disposantde moyens rares qu’ils pourraient employer dans différents buts,choisissent un de ces buts auquel ils vont attribuer ces moyens defaçon efficace.

Les théoriciens du capital humain, qui se proposent ensubstance d’analyser précisément les moyens rares que les

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 72

Capital humain 73

hommes utilisent le plus dans le cadre de leurs choix économiques,observent que parmi ceux-ci les capacités de travail occupent uneposition centrale. En outre, ils relèvent que parmi les motivationsprincipales qui orientent l’utilisation de ces capacités il y a sansaucun doute la possibilité d’en tirer un revenu. Et c’est cet élémentprimaire et basique qui leur permet de considérer ces capacités etle travail lui-même comme un capital humain.

À ce propos, une autre référence cruciale de la pensée écono-mique contemporaine à jouer, semble-t-il, un rôle important, est lathèse de Fisher (1906) selon laquelle toute source de revenu peutêtre définie comme un capital. Ce que cette thèse implique avanttout, en effet, c’est que le concept permet bien évidemment deconsidérer comme capital les capacités de travail elles-mêmes,précisément parce que, parmi les motivations qui orientent leur« affectation », c’est celle de la recherche d’un revenu qui prévaut.

Ce sur quoi insistent à cet égard les théoriciens du capitalhumain, c’est que la valeur de ce dernier dérive des caractéris-tiques spécifiques des capacités qui permettent à chacun d’obte-nir et d’accroître son revenu. Le capital humain apparaît donccomme étant indissociable des individus et de leurs aptitudes etcompétences effectives : « Humain car incorporé à l’homme capi-tal car source de satisfactions à venir » (Schultz, 1971). Cesauteurs basent leurs études sur une considération : les différencesentre les capacités de produire du revenu peuvent être mises enrelation avec les différences d’investissement en capital humain. Etc’est à partir de ce point de vue qu’ils analysent avec une attentionparticulière les investissements réalisés dans l’instruction et dans laformation au sens large. Ainsi, selon Mincer (1984) par exemple,le capital humain peut être étudié en examinant les « habilitésacquises », c’est-à-dire les compétences et les connaissances obte-nues grâce à l’« éducation formelle et informelle » mais aussigrâce à l’expérience et à la mobilité sur le marché du travail. Tousles choix concernant ces domaines peuvent être analysés commedes décisions économiques d’investissement en capital humain.

Il est important de souligner que la théorie en question, quiconsidère le travail non pas tant comme une contrepartie du capi-tal mais comme son incarnation immédiate, transforme l’individuen un entrepreneur de lui-même, qui investit dans ses propres

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 73

Lexique de biopolitique74

capacités pour obtenir des bénéfices en termes monétaires etpsychiques (G. Becker, 1964). Il ne faudrait pas voir là qu’une« conception » parmi d’autres, plus ou moins valable ; il y a làaussi une description, toute « schématique » qu’elle soit, d’un deseffets les plus importants que les politiques néolibérales cherchentà obtenir, et obtiennent souvent, sur les comportements del’homme contemporain. En d’autres termes, l’identification entrecapacité de travail et capital humain devrait être vue comme lerésultat important d’une rationalité spécifique et d’une techniquede gouvernement précise, résultat qui fait suite et se superpose àl’affirmation moderne du travail en tant que modèle éthique etmoyen d’identification sociale (Foucault, 1961 et 1972, 1975,2004b).

De plus, il est pertinent de réfléchir sur le fait que la théoriedu capital humain voit dans les processus de formation intellec-tuelle les facteurs fondamentaux du développement de ce dernier.Cette donnée, bien que tout à fait banale, indique peut-être queles partisans de cette théorie – dont Becker peut être considérécomme le chef de file – ont entraperçu dans l’autovalorisation del’intelligence individuelle et sociale un vecteur décisif de l’intériori-sation de l’ethos capitaliste de la part de l’homme contemporain.Cela rend plausible l’idée qu’ils ont peut-être anticipé, à différentstitres, les réinterprétations actuelles du general intellect marxien,entendu comme puissance productive fondamentale de la sociétépostmoderne. Cela invite en outre à traiter avec prudence l’hypo-thèse selon laquelle cette puissance ouvrirait en soi la voie àl’émancipation politique du capitalisme contemporain (Marx,1953 ; Virno, 1994, 2001a ; Gorz, 1997).

Quoi qu’il en soit, les théoriciens du capital humain analysentcomme investissements dans les ressources de ce dernier, outrel’instruction et la formation, de nombreux autres domaines d’ini-tiative privée ou publique, comme les soins médicaux, l’hygiène,l’émigration, l’acquisition d’informations sur le marché du travail.De plus, Becker surtout accorde une très grande attention auxrapports familiaux : un mariage peut être analysé selon lui commeune manière de rendre plus rentables les ressources humaines dedeux personnes qui, seules, n’arriveraient pas à produire la quan-tité de revenu personnel qu’elles arrivent à produire ensemble, en

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 74

Capital humain 75

se partageant les tâches, par exemple, et en économisant surcertaines dépenses. Même la procréation et l’éducation desenfants peuvent être vues comme des investissements en capitalhumain qui produisent des bénéfices économiques et psychiques(G. Becker, 1960, 1973-1974).

Bien évidemment, c’est surtout de ces cadres d’analyse quel’on peut faire émerger les implications strictement biopolitiquesd’une théorie aussi représentative de la culture libérale contempo-raine. En analysant en termes d’investissements économiques laprolificité variable des couples, Becker explique la tendance desparents de milieu aisé à avoir peu d’enfants par les coûts considé-rables que comporte l’éducation de ces derniers, à partir dumoment où ces parents se fixent pour but de doter leurs enfantsd’un capital humain du même niveau au moins que le leur, lequelest – si l’on en juge d’après leur revenu – de très haute qualité(G. Becker, 1992). Ainsi, cet auteur propose-t-il une sorte deraisonnement opposé à celui de Malthus (1798 et 1826), quiproposait de ne pas assister les pauvres car l’assistance risquait deles encourager à être plus prolifiques qu’ils ne l’étaient normale-ment, aggravant une tendance à l’augmentation de la populationéconomiquement dangereuse. Il souhaitait que les pauvres soientéduqués à une plus basse prolificité. Becker dessine au contraireun cadre où l’éducation (en tant que composante essentielle ducapital humain) a d’une part des effets sur la fécondité, en rendantplus malins et prévoyants ceux qui ont déjà atteint un niveau satis-faisant, d’autre part, elle a des effets économiques positifs sur lesenfants que d’aucuns prennent la précaution d’engendrer ennombre limité. En résumé, les pauvres de Malthus avaient uneespèce de vocation à être toujours plus pauvres du fait même deleur prolificité, tandis que les riches de Becker ne développent passeulement la capacité d’être toujours plus riches, en tant quedétenteurs d’un capital humain de haute qualité, mais égalementune habilité spéciale, en tant que malthusiens, qui leur permet degarantir l’enrichissement futur de leurs enfants.

Il est intéressant de remarquer en outre que, même s’il insistesurtout sur les capacités acquises, Becker n’oublie pas de considé-rer également les caractéristiques héréditaires du capital humaindes enfants. Prenant en compte la race, l’intelligence et la taille, il

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 75

Lexique de biopolitique76

soutient que « les traits héréditaires sont des compléments pourréduire l’incertitude sur ses enfants ». Et il ajoute : « L’accouplementde personnes ayant des caractéristiques héréditaires similairesaugmente l’utilité du produit total, si l’on recherche une plusgrande certitude sur la qualité des enfants » (G. Becker, 1973-1974). On pourrait penser qu’il se limite, au fond, à formaliserscientifiquement les conséquences d’une propension évidente despersonnes à choisir leurs propres partenaires en fonction descaractéristiques physiques évaluées positivement. Mais dans lamesure où de telles caractéristiques sont ramenées d’un côté à uncritère strictement génétique et, de l’autre, à une évaluation entermes de rentabilité économique de la procréation, il est évidentque son discours peut avoir des implications inquiétantes.

Dans ses analyses consacrées au néolibéralisme américain,Michel Foucault ne perd pas l’occasion de mentionner certaines deces implications, prévoyant que le développement de la recherchegénétique pourra permettre de repérer les personnes risquantaussi bien de contracter certaines maladies que d’engendrer desenfants porteurs d’un risque éventuellement aggravé par l’unionavec d’autres personnes à risque. Il pense cependant qu’il ne fautpas se limiter à relever les dangers de nouvelles formes de racismepouvant dériver de la combinaison entre théorie du capital humainet applications de la génétique. Ce qui lui paraît être digne deréflexion, c’est plutôt la possibilité que certains patrimoines géné-tiques non considérés à risque ou bien considérés à bas risquesoient traités un jour comme des moyens rares à insérer systéma-tiquement dans le jeu des choix alternatifs à des fins économiques(Foucault, 2004b).

À la lueur de notre actualité, il semble en effet inopportun devoir dans de telles hypothèses les symptômes d’une incorrigiblepropension à l’alarmisme. Elles doivent plutôt être considéréescomme les scénarios substantiellement réalistes de nouvellesorientations que pourraient prendre aussi bien l’exercice dupouvoir que le gouvernement des hommes en général, dans lecadre d’une société fortement imprégnée de rationalité écono-mico-politique néolibérale. En d’autres termes, on pourrait direque, dans la mesure où la génétique commence à faire partied’une rationalité politique axée sur l’idée de capital humain, elle

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 76

Capital humain 77

peut aussi devenir le facteur essentiel de stratégies biopolitiques,formelles et informelles, de production, accroissement, accumula-tion et amélioration du capital humain individuel et collectif (ibid.).

De quelque manière qu’on évalue ce type de scénarios, ce quiest sûr, c’est que la théorie du capital humain permet de considé-rer non seulement les formes individuelles d’acquisition et deproduction de capacités mais également les stratégies politiquesgénérales comme des investissements visant à l’amélioration decelui-ci. Sur cette base, les différences économiques entre les payspeuvent elles aussi être ramenées à la qualité et à l’efficacité desinvestissements globaux réalisés dans le capital humain ; c’est pourcela que cette théorie peut constituer une hypothèse solide pourles stratégies d’empowerment les plus variées, surtout à l’égarddes populations encore fortement étrangères aux modèles decomportement des sociétés néolibérales.

Ottavio Marzocca

Voir : Biopolitique, Biotechnologies, Développement, Disciplines, Empo-werment, Eugénisme, Gouvernementalité, Médicalisation, Popula-tion, Psychiatrie, Santé publique, Travail/non-travail.

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 77

CDT (CENTRE DE DÉTENTION TEMPORAIRE)

Les CDT (Centres de détention temporaire) apparaissent pourla première fois sous ce nom en Italie avec la loi 40 de 1998, diteloi Turco-Napolitano. C’est par cette mesure législative qu’on allaiten effet légaliser, institutionnaliser et gérer l’accueil des migrants« clandestins » grâce à l’utilisation de systèmes de rétention etsuivant les préceptes de la reconfiguration des frontières del’Union européenne et de ce qui reste des États-nations qui lacomposent. Tous les CDT italiens et européens fondent leur exis-tence sur l’institution juridique de la détention administrative(jusqu’à 60 jours, en Italie, selon la loi Bossi-Fini actuellement envigueur) au moyen de laquelle on détient les migrants sans papiersqu’on ne peut pas expulser immédiatement pour cause d’« indis-ponibilité de transporteur ». La détention des migrants ne s’ex-plique pas par la violation d’une norme pénale mais par laprétendue irrégularité de leur entrée et de leur séjour. En résumé,on est détenu dans les CDT non pas pour ce qu’on fait mais pource qu’on est (Rigo, 2003). Quand un migrant sans permis, sansvisa ou bien sans papiers est arrêté en Italie ou sur tout le territoirede l’UE, s’il ne peut pas être immédiatement expulsé, il se retrouveau CDT le plus proche. L’article 7 de la loi 40/1998 précise que « lepréfet de police, se prévalant de la force publique, adopte desmesures de surveillance efficaces afin que l’étranger ne s’éloignepas illicitement du centre et procède sans plus tarder au rétablis-sement de la mesure dans l’éventualité où elle serait violée ». Bienévidemment, il y a, à la base de ce dispositif, une philosophie« gestionnaire » des migrations et de la mobilité de la populationglobale, qui en fait un problème d’« ordre public ». Quant auxformes possibles de répression et de rétention de la populationjugée « de trop » ou « déviante » etc., on peut citer une très vaste

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 78

CDT (Centre de détention temporaire) 79

littérature. Mais, comme il n’existe pas de littérature sociologiqueou philosophico-politique spécifique, il ne nous reste qu’à nousréférer à des textes à caractère plus général pour tenter d’esquis-ser des ressemblances et des différences entre les CDT et les autresappareils de rétention, plus simples à connoter. Il ne fait aucundoute que l’un des thèmes les plus proches de celui des CDT actuelsest celui de la « forme-camp ».

Dans Homo sacer, en 1995, Agamben repérait dans la forme-camp le paradigme biopolitique de l’Occident. Les camps auxquelsAgamben fait référence sont : les campos de concentracionesinstitués à Cuba en 1896, où l’on enfermait les populations quis’insurgeaient contre les colons ; la détention de protection(Schutzhaft) de l’Allemagne nazie, qui donnera par la suite lescamps de concentration puis les lieux d’extermination pour lesJuifs, les homosexuels, les Tziganes, les témoins de Jéhovah, etc. ;les zones d’attente internationales d’aujourd’hui, établies le plussouvent dans les zones frontalières mais aussi dans les aéroportsou les gares ferroviaires, où les migrants sans papiers sont retenustemporairement. Cette dernière actualisation de la forme-camp sesitue toutefois dans la continuité d’autres formes historiques ayantdonné lieu à une conditio inumana : la « vie nue » des personnesconnotées comme « dangereuses » aussi bien par les États colo-niaux que par l’Allemagne nazie est exposée au libre arbitre dupouvoir souverain, à tel point que la dimension sacrée – sacer – dela vie elle-même est niée (Agamben, 1995). Mais si le camp est leparadigme biopolitique de la modernité, la proclamation de l’étatd’exception en est l’origine gouvernementale (Agamben, 2003).Les camps sont donc des lieux d’exception à l’intérieur desquelssont enfermées des figures sociales, elles aussi exceptionnelles ouexcédentaires, dans le cadre d’un état de suspension du droit,comme cela se produit avec la proclamation de l’état d’exception.L’exception s’accompagne toujours d’une légitimation, c’est-à-direde la « nécessité » de mettre de l’ordre dans le chaos juridique etsocial créé par les situations d’urgence, lesquelles, par définition,perturbent l’ordre établi. C’est cette même ligne interprétative quesuit, dans Vies perdues, Bauman (2004), dont l’explication a plus àvoir, toutefois, avec une critique du néolibéralisme et de ce qu’ilappelle la « société liquide » moderne. Mais quelques questions

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 79

Lexique de biopolitique80

restent ouvertes, ne serait-ce que parce que cette littérature n’ar-rive pas à connoter précisément les différentes définitions desmigrants proposées à la fois par les mesures législatives et par lesaccords bilatéraux (réfugié, clandestin, irrégulier, demandeurd’asile, etc.). Ces définitions plutôt aberrantes, en tant qu’ellessont liées à des formes de racisme d’État, sont à leur tour signifi-catives de la manière dont la géographie de la détention ou del’exclusion fonctionne sur des bases gestionnaires et extrêmement« différenciantes ».

La forme-camp, pour autant qu’on veuille la considérercomme une typologie d’endiguement de l’excédent humaindésormais devenue la norme et la règle, ne peut que se teinterd’un caractère provisoire, si bien qu’elle reste très clairement liée àdes cas d’urgence et d’exception – Guantanamo par exemple(Paye, 2004). En outre, l’hypothèse selon laquelle les camps fonc-tionneraient comme des espaces d’endiguement de la « vie nue »ne nous dit rien sur la façon dont la vie même du migrant peutconstituer une base pour pouvoir mettre en place un processus desubjectivation allant au-delà non seulement de l’ordre de l’Étatfondé sur la dialectique inclusion/exclusion mais également au-delà du simple concept de « personne » auquel il est souvent faitréférence.

Contrairement aux camps, les CDT ressemblent à des disposi-tifs de sécurité institués pour normaliser, gérer et réglementer les« flux migratoires » des « clandestins », grâce à des dispositifslégislatifs « normaux » qui empêchent de fait l’accès de plein droità la subjectivité. Les camps, en revanche, sont aménagés sur labase de l’urgence, de la proclamation de l’état d’exception ou pardes accords bilatéraux stipulés entre des États membres de l’UE etdes États situés hors des frontières établies par le Traité de Schen-gen. Ils ne sont presque jamais institués par la loi. Ainsi les campsimplantés en Lybie, dont la fonction est bien évidemment liée àl’« endiguement » a priori de la population migrante, qui choisitcette route pour pouvoir accéder dans un deuxième temps auterritoire européen, à commencer par l’italien. La construction denouveaux CDT et l’utilisation actuelle de vieux bâtiments commezones de détention pour migrants tendent, au contraire, davan-tage à normaliser et régulariser l’urgence, en élaborant une sorte

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 80

CDT (Centre de détention temporaire) 81

de cartographie des frontières internes, qui engendre à son tourune véritable géographie systémique, stable et fonctionnelle de ladétention administrative des « clandestins ».

Le pouvoir de détenir les migrants dans les CDT, de les identi-fier et de les expulser ou bien, dans un deuxième temps, de lesrapatrier, repose donc sur un contrat social normatif et normalisant(contrairement à ce qui se passe, en revanche, avec la proclama-tion de l’état d’exception) qui, à son tour, devient loi : en bref, onpourrait dire que, dans le cas des CDT, on établit un rapport directentre contractualité sociale, processus d’identification et exclusion.Ainsi les CDT servent-ils à discipliner et « gérer » les « flux migra-toires » et pas seulement à créer des zones d’endiguement d’unepopulation généralement définie comme excédentaire. De plus, ilsdéclenchent une répartition stricte et binaire des individus, enlocalisant les « non-citoyens clandestins » à l’intérieur d’un espacetemporaire mais définitif du point de vue de l’organisation desemplacements fonctionnels. D’après Foucault, les techniquesgestionnaires des CDT mises en place à l’égard des migrants sanspapiers pourraient être résumées comme suit : 1) utilisation de laclaustration et spécification d’un lieu « hétérogène » au regard detous les autres et clos sur lui-même ; 2) utilisation de localisationsdifférenciantes supplémentaires dans l’espace de la claustration– « à chaque individu sa place et à chaque emplacement un indi-vidu » – qui, dans le cas des CDT, se réalise à travers un critère departage ethnique ; 3) utilisation et application de la règle des« emplacements fonctionnels » (Foucault, 1975) qui, dans le casdes CDT, se concrétise par la construction de nouveaux édifices oupar l’utilisation d’anciens asiles, d’anciennes maisons de repos, etc.De plus, nous pouvons dire que la dynamique qui sous-tend laconstruction de ces types d’appareils de rétention est toujoursfondée sur une logique sociale de type binaire, qui individualise etidentifie la population sur la base d’un ordre social reposant surdes catégorisations telles que normal/anormal, citoyen/non-citoyen, gentil/méchant, etc.

Le migrant « clandestin » est perçu comme un « danger » àplusieurs titres : un danger pour la reproduction sociale de laculture occidentale, un danger pour la sécurité des États quant au« risque » d’éventuelles attaques terroristes, un danger pour le

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 81

Lexique de biopolitique82

marché du travail, quand bien même ce dernier se base surtout, enréalité, sur l’exploitation inconditionnée de la force de travailmigrante (Moulier-Boutang, 1998 ; Mezzadra, 2004).

Les CDT sont donc le résultat le plus immédiat du modèle« sécuritaire » de chirurgie sociale, qui se donne désormais pour leseul ordre du discours apte à construire de nouvelles pratiquesgouvernementales. Les « dispositifs de sécurité » se mettent enplace pour contrôler et pour normaliser la population et sa mobi-lité ; ils dépassent le régime des systèmes juridico-disciplinaires dela modernité mais n’ont rien d’exceptionnel. Ils deviennent, beau-coup plus simplement, des « technologies sociales » et des formesde « gouvernementalité » qui tendent à rationnaliser le risque(Foucault, 2004a).

Une chose est sûre : ce « gouvernement des vivants », quilibère (par les processus de mondialisation) et dans le même tempsconstruit des frontières, empêche la population migrante d’accé-der à un droit à la subjectivité, que celui-ci soit lié à la narration deson soi (Sossi, 2002) ou qu’il soit lié à la constitution d’une subjec-tivité autonome, désirante et non assujettie (Simone, 2003).

Anna Simone

Voir : Biopolitique, Camps, Citoyenneté, Défense sociale, Disciplines,Exception (état d’), Gouvernementalité, Guantanamo, Migrations,Monstre, Police, Racisme, Sécurité.

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 82

CITOYENNETÉ

La théorie de la citoyenneté s’élabore durant la période depassage du modèle disciplinaire au modèle sécuritaire, aumoment où l’objectif de l’État moderne devient le gouvernementde la population, l’augmentation de ses richesses et la régulationde ses conditions de santé. La théorie de la citoyenneté modernese base sur la corrélation entre sécurité politique de l’État etsécurité personnelle du citoyen. La sécurité politique de l’Étatconsiste dans le contrôle de l’existence du citoyen à travers l’ins-titution du service militaire, dans le contrôle de la force de travail,dans la surveillance des « éléments indésirables » (sur la base deraisons ethniques, nationales, raciales, économiques, religieuses,idéologiques ou médicales), dans le contrôle de la croissancedémographique, de la composition sociale et de la distributionspatiale des populations sur un territoire spécifique. Le citoyentire de cette corrélation l’avantage d’être inséré dans un réseaude pouvoirs qui gèrent ses conditions de santé, d’hygiène, sasexualité, son éducation. Le modèle sécuritaire du gouverne-ment, issu de la consolidation de l’État de droit dans les payseuropéens entre le XVIIIe et le XIXe siècle, se base sur la mise enplace de techniques administratives coercitives mais « légitimes »et sur la rationalisation de la vie de la population (Foucault,2004a ; Zolo, 2002).

La tradition juridique voit elle aussi dans la condition ducitoyen une dualité. La citoyenneté se réfère aux personnes juri-diques tandis que la nationalité se réfère aux personnes physiques.Mais elle exprime plus précisément le procès d’un statut (statuscivitatis) dérivant du lien organique entre les individus et le terri-toire de l’État (Mortati, 1969). Le citoyen a donc une doublepersonnalité : en qualité de personne physique, le civis exprime

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 83

Lexique de biopolitique84

précisément le procès dérivant du lien organique des individusavec le territoire de l’État ; en qualité de personne juridique, lecitoyen est lié à une série de droits fondamentaux que l’on recon-naît à tous les hommes. La tradition juridique distingue en effet lacitoyenneté du statut, le concept de status civitatis (ou citoyen-neté) de celui de status personae (personnalité ou subjectivité juri-dique). Cette distinction a été solennellement établie par laDéclaration des droits de l’homme et du citoyen approuvée le26 août 1789, qui abolissait le statut féodal. Depuis lors, l’hommeet le citoyen forment deux statuts objectifs qui sont liés à deuxclasses de droits fondamentaux : les droits de l’homme et les droitsde citoyenneté. Les premiers sont reconnus à tous les êtreshumains, les seconds uniquement aux citoyens. Les droits del’homme reconnaissent les individus en qualité d’« êtreshumains » tandis que les droits de citoyenneté reconnaissent lesindividus comme « citoyens ». De 1789 jusqu’à nos jours, toutesles constitutions modernes ont assimilé les droits de l’homme auxdroits du citoyen (Costa, 1999).

Après le déclin des dispositifs médiévaux de régulation dumarché du travail, comme le servage ou l’esclavage, l’État libéralprend le contrôle de la mobilité des individus en leur garantissantl’autonomie par rapport à tout « supérieur féodal ». La gestionde l’identification des individus acquiert, dans le gouvernementde la population, une importance particulière. Grâce aux papiersd’identité, on examine tout signe distinctif dont la formuleessentielle est au cœur de tous les systèmes modernes d’identifi-cation ; on soumet les individus à une surveillance constante eton fixe leur identité dans une masse de documents (Foucault,1975). Le contrôle de l’État sur la mobilité des personnes permetde définir un autre dispositif de la gouvernementalité : la distinc-tion entre citoyens « nationaux » et citoyens « non nationaux »,qui constitue la raison même de la citoyenneté, celle de l’appar-tenance à une même communauté d’un certain nombre demembres. La carte d’identité devient un instrument fondamentalpermettant d’enregistrer les déplacements, les transactionséconomiques, les liens familiaux, les maladies, bref, une grille desavoirs/pouvoirs au moyen de laquelle les individus sont classéset constitués en tant que sujets administrés par l’État. C’est

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 84

Citoyenneté 85

ensuite que la régulation de la mobilité de la force de travailprend de l’importance. La circulation des personnes et desmarchandises devient le paradigme d’un gouvernement de typenouveau : l’État cherche à gouverner une offre de main d’œuvreet à éliminer la concurrence des fournisseurs étrangers en suivantune orientation protectionniste sur le marché du travail (Moulier-Boutang, 1998).

Entre le XVIIIe et le XIXe siècle, on assiste à l’incorporation dela population dans une citoyenneté nationale sous l’autoritéquasi exclusive de l’État-nation qui a tout pouvoir de soumettrecette même population à son modèle de gouvernement. Lacitoyenneté devient, avec la formation des États-nations enEurope, l’un des principaux dispositifs juridiques, et ce, grâce à lapénalité et à la fiscalité, qui agissent sur l’ensemble de la popu-lation nationale et non nationale dans le sens du contrôle socialmais aussi de l’intégration politique sur le territoire d’apparte-nance. Au XXe siècle, au moment où le marché du travail serapensé différemment par rapport au modèle classique de la loi del’offre et de la demande, l’État jouera un rôle déterminant lors-qu’il s’agira de garantir les droits du travail et les droits sociauxgrâce à une discipline juridique spécifique. C’est avec lespremières luttes pour les droits politiques et sociaux que lacitoyenneté prend une forme universelle à l’intérieur des fron-tières de l’État (Marshall, 1950).

Le point critique de la citoyenneté moderne se situe au niveaude la nature de ce qu’on appelle les « droits sociaux », si différentsdes droits civils et politiques qu’ils sont difficilement assimilables auchamp juridique (Barbalet, 1988). Cette difficulté devient de plusen plus évidente après la fin du « compromis politico-écono-mique » qui, après 1945, permet la création du welfare state enEurope et aux États-Unis. Si, pendant les Trente Glorieuses (1945-1975), l’État avait en effet la charge de régler les coûts des servicessociaux au moyen de la fiscalité publique – résultat obtenu grâceaussi aux luttes du mouvement ouvrier pour la citoyenneté – aprèsla crise fiscale de l’État (O’Connor, 1973) et la contre-révolutionnéolibérale qui s’ensuivit, l’accès aux services sociaux (et au droitd’en jouir) ne fut plus garanti par l’État mais par le marché. Cen’est pas par hasard que Barbalet définit les droits sociaux comme

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 85

Lexique de biopolitique86

des conditional opportunities et non comme de véritables droits,car ils sont sujets à la conjoncture politique du compromis fordiste-keynésien.

Les théories les plus importantes concernant la citoyennetéont depuis longtemps commencé à réfléchir sur l’affaiblissementdu lien entre citoyenneté et appartenance, entre État et terri-toire, en concevant une appartenance multiculturelle et unecitoyenneté cosmopolite qui tendent à rendre la citoyenneté plusuniverselle, au-delà même des différences nationales, en recon-naissant la légitimité des particularité de celles-ci (Kymlica 1997).La citoyenneté est devenue postnationale. Elle ne semble pas sefonder sur une unité politique aussi consolidée que celle del’État-nation (Schnapper, 2003) mais seulement sur une unitémorale fondée sur l’entrelacement entre le droit commun despeuples (jus gentium), les droits individuels fondamentaux (lesdroits de l’homme) et les droits civils, politiques et sociaux. Lenouveau modèle de la citoyenneté serait donc le résultat de l’en-trelacement de ces droits, qui permettrait, sur le plan internatio-nal, de fournir un droit commun externe aux États et, dans lemême temps, un droit des peuples interne à la communautésupranationale (Ferry, 2000).

Après avoir constaté la crise de la citoyenneté moderne, cesauteurs vont même jusqu’à élaborer un nouveau modèle social(intégration des migrants internationaux établie par la culturemorale publique au niveau supranational et intégration descultures dans des unions supranationales d’États) sans toutefoisaffronter le paradoxe constitutif de la citoyenneté, celui quioppose la logique de la sécurité individuelle à la logique de la sécu-rité politique. D’autres interprètes relèvent au contraire dans cesthéories une différence entre l’universalité de la citoyenneté et laparticularité du statut juridique, c’est-à-dire entre le contenu réelde la citoyenneté, qui n’attribue qu’à quelques sujets l’égalité et laliberté de la condition de citoyen, et la forme universelle de lacitoyenneté, qui élimine la condition matérielle des citoyens eux-mêmes (Balibar, 2001). Pour celui qui n’appartient pas à unecommunauté nationale et qui ne jouit donc pas du statut decitoyen, de même que pour celui qui, même s’il peut se prévaloirdu statut universel de citoyen, ne jouit pas des garanties politico-

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 86

Citoyenneté 87

sociales réservées à tous ceux qui appartiennent à une commu-nauté nationale, la citoyenneté montre toute son ambiguïté. Deplus en plus enserrée dans le paradoxe d’un statut qui régule juri-diquement les inégalités socio-économiques et les différencesd’appartenance nationale, la citoyenneté révèle toute sa naturegouvernementale, qui consiste dans l’inclusion différentielle dessujets dans un ordre politico-social.

Ce dispositif biopolitique permet en même temps d’intégreret d’exclure les individus à partir de leur appartenance nationaleou de leur condition socio-économique. La citoyenneté moderneest une structure paradoxale, qui instaure un espace non juridiquepour ce qui est à l’extérieur d’elle-même (là où il n’existe pas decitoyens mais seulement des citoyens d’autres pays : des étrangers)mais aussi un espace non politique à l’intérieur, qui établit les diffé-rences sociales de fait dans la communauté d’appartenance touten revendiquant une égalité de statut pour tous.

Cette ambiguïté retombe sur le « statut épistémique »(Foucault, 1966) et sur l’anthropologie politique du « citoyen »comme sujet de droit, qui se fonde, depuis la Déclaration desdroits de l’homme, sur une énigmatique unité des contraires :double détermination du concept de droit comme liberté etcomme coercition, coexistence au sein de la même personned’une souveraineté universelle et d’une finitude radicale (Balibar,1996). La citoyenneté est à la fois condition et entrave de lareconnaissance des individus en tant que sujets de droit. Lecritère qui affirme l’égalité entre les sujets de droit établit égale-ment leur différence, fondée sur diverses propriétés individuelleset collectives de même que sur des appartenances nationalesdisparates.

Dans la crise actuelle de la citoyenneté, les sociétés ducontrôle n’ont plus le souci d’une intégration stable de la popula-tion, si ce n’est pour la gouverner sur la base d’intérêts – politiqueset sociaux – conjoncturellement productifs au regard de la sécuritépolitique de l’État, des intérêts contraires à ceux que manifeste lapopulation pour la sécurité personnelle des citoyens. Le vieux« pacte de citoyenneté » est mort. Une reconstitution de lacitoyenneté devrait préférer, à la vieille enveloppe juridique, unepratique politique fondée sur la reconnaissance et la négociation

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 87

Lexique de biopolitique88

des droits. Les « conflits de citoyenneté » peuvent, dans cetteoptique, conduire à l’instauration de droits à partir de la base,autrement dit, à partir des demandes et des désirs des sujets quiles revendiquent (Balibar, 2001).

Roberto Ciccarelli

Voir : Gouvernementalité, Migrations, Population, Racisme, Sécurité,Travail/non-travail, Welfare.

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 88

CONTRÔLE SOCIAL

La question de ce qu’on appelle le « contrôle social » a faitson apparition au sein de la société nord-américaine – en mêmetemps qu’au sein des sciences sociales – au début du XXe siècle.C’est une idée qui est étroitement liée à l’émergence de sociétésde type « démocratique » – entendons par là un type de sociétéoù l’ordre se fonde sur une participation formalisée des masses etsur l’élaboration en leur sein d’un consensus. Le lien particulierentre l’expérience de ce type de démocratie et le concept (et lespratiques) du contrôle social est donc apparu tout d’abord auxÉtats-Unis et a été exporté, à partir de là, dans le monde entier dèsaprès la Seconde Guerre mondiale puis, plus récemment, après cequ’on a appelé la « guerre froide ». Aux États-Unis, l’émergencede ce concept s’est doublé simultanément d’une obsolescence desconcepts traditionnels de la philosophie politique européenne,notamment de ceux d’« État » et de « souveraineté » (Bentley,1908 ; Passerin d’Entrèves, 1967). Se désintéressant de plus enplus – du fait aussi d’une orientation philosophique pragmatiste –du « devoir être » de l’ordre social, la pensée nord-américaine s’esttournée au contraire vers des conceptualisations qui semblaientfavoriser une « construction » pratique du contrôle social et quiinsistaient donc sur le concept d’« ingénierie sociale » (Melossi,1990 ; 2002).

C’est au sein de la première « école » de sociologie toutaméricaine, l’« École de Chicago », que le concept de contrôlesocial fut élevé au rang de l’un des principaux concepts organisa-teurs du point de vue général de l’école. Déjà, dans la thèse dedoctorat de Robert E. Park, Masse und Publikum (1904) – écritedurant ses études en Allemagne sous la direction de Georg Simmelet Wilhelm Windelband – l’idée de « foule » qui, au siècle des

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 89

Lexique de biopolitique90

révolutions, avait troublé le sommeil de bien des écrivains sociaux-conservateurs, de Gustave le Bon (1892) au positiviste italien ScipioSighele (1891), était opposée à celle de « public ». En d’autrestermes, l’incapacité à aborder le problème de l’ordre social par lebiais des moyens propres à la tradition étatique et juridique euro-péenne était opposée à l’idée simmelienne de « donner forme » àla foule au moyen des instruments qui influent sur la constitutiond’une « opinion publique », grâce essentiellement aux moyens decommunication de masse. Cette position sera ensuite reprise dansl’Introduction to the Science of Sociology, où le contrôle social estpointé comme « le problème central de la société ». (Park, Burgess,1921) Toutefois, c’est George Herbert Mead qui affinera ultérieure-ment ce concept. S’inscrivant en faux, de manière franchementpolémique, contre la tradition du dualisme cartésien, il affirma quela constitution de la « société » et celle du « soi » faisaient partiedu même processus d’interaction sociale, dans le sens où le déve-loppement du soi se fonde sur une habilité humaine toute spéci-fique à adopter le point de vue de l’« autre » qui, dans sa forme laplus développée, est un « autre généralisé » (Mead, 1925 ; 1934).Ce processus d’acquisition du point de vue de l’autre – processusfondamental dans toutes les formes de socialisation, de celles del’enfance à celles de la maturité (nous songeons surtout au phéno-mène de l’immigration !) – est l’essence du processus de contrôlesocial, car notre aspiration à communiquer avec l’autre nous oblige,en quelque sorte, à en adopter le point de vue. L’« autre » nous« contrôle » donc, qu’il s’agisse d’un parent pour ce qui est de lapériode de la socialisation infantile, ou du destin d’une classe,d’une nation ou de l’humanité tout entière pour ce qui est desformes de socialisation les plus complexes et les plus universalistes(d’autres auteurs recourront plus tard à des concepts différents,allant de celui de « vocabulaires » ou « grammaire » des« motifs » – Mills, 1940 ; Burke, 1945 – à celui de « groupes deréférence », Shibutani, 1962).

Faire reposer la constitution du soi et de la société sur la ques-tion de l’interaction sociale signifie cependant placer à la base leprocessus de communication, qui est « plus universel que la reli-gion universelle ou que le processus économique universel dans lesens où il fonde ces deux derniers » (Mead, 1934). Cela veut donc

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 90

Contrôle social 91

dire placer au centre de l’attention également la question desmoyens de communication de masse. Tout particulièrement parrapport à l’« autre généralisé » de Mead : en effet, le processus decommunication devient central et l’interaction en face-à-face doitcéder le pas à des formes de communication plus générales,universalistes, mais en même temps aussi standardisées (Wirth,1938). L’optimisme suscité par les développements de la démocra-tie commença à laisser la place à un désenchantement progressif.L’hypothèse initiale de Dewey, Park et Mead avait été, en effet,que le développement de la démocratie dans un sens universelpourrait déclencher une véritable « phénoménologie de l’esprit »,dans la mesure où le soi de l’individu habiterait progressivementdes cercles sociaux, des horizons, des groupes de référence de plusen plus vastes, pouvant s’étendre à l’humanité tout entière (Joas,1980). Mais bien vite se fit jour la réalité d’une situation danslaquelle la perte de la dimension primaire, informelle – en face-à-face – du contrôle social, si elle pouvait, d’un côté, signifier l’in-troduction de l’individu dans une réalité urbaine « métropolitaine »où l’on respirait un « air de liberté », voulait dire aussi que cespotentialités étaient récupérées et confisquées, encore une fois,par des élites puissantes capables de prendre de plus en plus lecontrôle des moyens de communication de masse ; un parcoursdésenchanté, qui va des écrits du scientifique de la politique etjournaliste Walter Lippman (1922) à l’ouvrage classique deC. Wright Mills, L’élite du pouvoir (1956), en passant par Publicand its problems de John Dewey (1927).

Cette sensibilité renouvelée et désenchantée pour les thèmesde la politique, et surtout pour le rapport entre démocratie et« contrôle social », deviendront centraux dans l’expérience duNew Deal de Franklin Delano Roosevelt. Transféré de la sphère dela sociologie, et de la sociologie des rapports primaires, à la sphèrede la politique, le concept de contrôle social finit par se charger deplus en plus du sens de contrôle exercé par la régulationsociale – spécialement celle de nature publique – sur les phéno-mènes de l’économie. Dans une série de travaux de grande enver-gure allant du Social Control of Business de John M. Clark (1926)en passant par The Modern Corporation and Private Propertyd’Adolf A. Berle Jr. et Gardiner C. Means (1932) jusqu’au Social

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 91

Lexique de biopolitique92

Control Through Law de Roscoe Pound (1942), le concept decontrôle social fut lié de plus en plus à la création d’un capitalismeprofondément régulé par le pouvoir public, tendanciellementkeynésien et caractérisé par des politiques de welfare, où lesconcepts de « contrôle social » et de « contrôle public » tendaientde plus en plus à se rapprocher. Cependant, il ne deviendra jamaisun contrôle « étatique » aux États-Unis, lesquels resterontsubstantiellement fidèles au choix qui fut le leur, au début duXXe siècle, de répudier le concept européen d’« État ». Le contrôlepublic de l’économie ne deviendra donc jamais « nationalisation »mais restera essentiellement régulation publique par le biais depolitiques ad hoc, de l’utilisation d’« agences » particulières, etc. Ilest significatif de voir en revanche comment, dans le cadre euro-péen, continental surtout, une familiarité de longue date avec uneidéologie étatique favorisera l’absorption, en quelque sorte, duconcept de contrôle social par la sphère de l’État, ce qui fera ducontrôle social lui-même une espèce de fonction de l’État, surtoutdans les années 1960-1970 ; une lecture confirmée par l’intensitédu conflit social de cette période (en Italie, le concept de contrôlesocial fera sa première apparition dans le débat sur le « plan » etsur la possibilité de voies intermédiaires entre capitalisme et socia-lisme, aux débuts du centre-gauche – Trentin, 1962).

Le changement dans la nature et le sens du concept decontrôle social est dû également, à cette époque, à l’émergencede la théorie « structuro-fonctionnaliste » de Talcott Parsons,lequel, dans deux ouvrages qui allaient révolutionner le cours de lasociologie, sépara le concept de contrôle social de celui de « socia-lisation », réservant à cette dernière la fonction d’intégrationsociale des jeunes et redéfinissant par conséquent le contrôlesocial comme un concept de type réactif, passif, « homéosta-tique » comme on dit, auquel était réservé la tâche de rétablir unéquilibre compromis par l’apparition de formes de déviances(Parsons, 1937 ; 1951). La rupture avec Chicago dans le domainede l’étude de la déviance et du contrôle social ne pouvait être plusradicale. La déviance, loin d’être conçue comme un produitpossible du contrôle social, acquérait alors le statut de désordreoriginel causé par le dysfonctionnement du corps ou par desprocessus de socialisation manqués ou incomplets. Le problème

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 92

Contrôle social 93

central est bien, pour Parsons, « le problème de Hobbes », à savoircomment construire l’ordre social, mais contrairement à Hobbesqui avait apporté une réponse juridico-politique au problème,Parsons voit dans le consensus social la meilleure garantie de cetordre, ce concept se basant – grâce aussi à la comparaison avecFreud – sur l’introjection des normes sociales. Ainsi, l’ordre social,avant d’être établi par l’épée du Léviathan, est établi par l’ordre dupère, selon cette relecture particulière du mythe du contrat socialà la lumière de l’anthropologie culturelle que Freud a proposéedans ses travaux « métapsychologiques », notamment dans Totemet tabou (Freud, 1913).

Cette lecture du concept de contrôle social, fondée sur desprémisses de type moniste et consensuel, ainsi que, plus générale-ment, le « structuro-fonctionnalisme » de Parsons, auraient étémis à mal par la subversion générale qui a caractérisé le passagedes années 1960 aux années 1970. Cela a conduit aussi à unereprise de la tradition de Chicago. En se situant dans la traditionamorcée par Mead, C. Wright Mills Jr et Edwin Lemert – précur-seur, dès les années 1940, de ce qu’on appelle les « théories del’étiquetage » – conçurent une nouvelle fois le contrôle socialcomme un processus « actif », « tourné vers la réalisation d’objec-tifs et de valeurs » (Lemert, 1942), un processus apte à produireaussi bien de la « normalité » que de la « déviance ». Ce point devue allait ensuite être officialisé, dans les années 1960, par unevaste série de contributions à une « sociologie de la déviance et dela réaction sociale » : l’affirmation la plus typique fut probable-ment celle d’Howard Becker, selon lequel « le comportementdéviant est celui auquel la collectivité attache cette étiquette. »(H. Becker, 1963). Cela faisait ressortir le caractère complètementtautologique de la définition de la déviance, un processus consti-tué en grande partie par ceux qui ont le pouvoir social de sa défi-nition, et que Becker appelle les « entrepreneurs moraux ».

Peu après, David Matza complètera cette révision profonde dela communis opinio parsonsienne grâce à une mise au pointcritique de la lecture beckerienne, allant vers une doctrine plusradicalement attentive à la politique et à ce qu’il appelle « le bandu Léviathan » (Matza, 1969). Dans le processus de radicalisationdes années 1970, la prise de conscience que le concept de

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 93

Lexique de biopolitique94

contrôle social est lié à ses racines interactionnistes du point de vuethéorique et démocratiques du point de vue politique fut en partierefoulée, et c’est alors que se construisit en revanche un imaginaireoù Léviathan et contrôle social étaient de plus en plus indistincte-ment liés. Une sorte de rêve « distopique », comme l’appela Stan-ley Cohen (1985), qui prit pied notamment en Europe. Cettedistopie était liée également à une vision pessimiste de type frank-fortien et à l’idéologie particulière qui se développa dans les années1970 sur les campus universitaires et dans la culture des jeunes, queFoucault condensa dans le concept d’« hypothèse répressive »(Foucault, 1976a). Foucault opposa à cette vision totalisante le sensd’une vision du pouvoir enracinée dans la quotidienneté et dans labanalité de la vie, affranchie du « macroanthrope » étatique(Kelsen, 1922 ; Foucault, 1978c). Mais surtout, il opposa une visionnietzschéenne du pouvoir comme quelque chose qui construit,constitue, crée, s’active, donne forme (Foucault, 1976a) plutôt quecomme quelque chose qui dénie, censure, réprime. Curieusement,cette lecture foucaldienne fait profondément écho à la lecture duconcept de contrôle social dérivant de la tradition de Chicago, tantpour ce qui est de l’élision du rôle dudit « État » que pour ce quiest de l’accent mis sur les aspects constitutifs du contrôle social enrelation aussi avec les phénomènes « déviants » – ainsi, dans ladeuxième partie de Surveiller et punir (Foucault, 1975) parexemple, semblent résonner les thèmes de la tradition de Chicago.Peut-être, dans un monde de plus en plus globalisé, et de plus enplus globalisé dans le sens indiqué pour la première fois par leXXe siècle nord-américain, de telles convergences répondent-elles àla construction, dans le dernier quart du XXe siècle européen, d’ex-périences de vie et d’institutions sociales moins éloignées de ce sens(Melossi, 2005).

Dario Melossi

Voir : Assujettissement/subjectivation, Biopolitique, Bodybuilding, Camps,Dégénérescence, Défense sociale, Disciplines, Empowerment, Eugé-nisme, Gouvernementalité, Médicalisation, Normalisation, Police,Population, Pouvoir pastoral, Résistance (pratiques de), Santépublique, Sécurité.

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 94

CORPS

L’expérience du corps dans les luttes politiques constitue unsegment considérable de l’analyse que Michel Foucault a déve-loppée à propos des relations de pouvoir. Et c’est peut-être pourcette raison que sa recherche apparaît paradoxalement contem-poraine de toute la série des « mouvements de minorités » desannées 1960 et 1970 (femmes, homosexuels, détenus, maladesmentaux) qui ont ouvert autant de fronts de lutte contre « lesagents de la politique du corps » (le psychiatre, le directeur deprison, le travailleur social, le pédagogue, etc.). Si chaque livre deFoucault semble avoir eu un rôle dans toutes les luttes qui ontprécédé et suivi sa publication, cela tient au fait que ce dernier atoujours tenté de relier, le plus étroitement possible, l’analysehistorique et théorique des relations de pouvoir, des institutionset des connaissances, aux mouvements, aux critiques et auxexpériences qui les remettent en question dans la réalité. Le lienentre les luttes spécifiques et l’expérience de la transformationde soi à travers la recherche est une ligne pratique de penséeabsolument centrale chez le philosophe français (Revel, 2002).C’est justement et très probablement ce type de courant expé-rientiel – qui s’est créé entre les mouvements antisystémiques etses ouvrages, entre la pratique et la théorie – qui s’avère indi-geste pour tous les intellectuels qui ont pensé et pensent pouvoirrester extérieurs au travail qu’ils font, un travail de hauts fonc-tionnaires du consensus, qui devrait les préserver, en tant quesujets moraux, de toute modification d’eux-mêmes. Le problèmede tout intellectuel révolutionnaire semble au contraire être celuide l’immanence de sa propre singularité au collectif, et seulecette communauté d’idée trace la ligne de démarcation d’avec laculture officielle (Tarì, 2004).

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 95

Lexique de biopolitique96

Quand, au cours de certains entretiens, Foucault est invité àréfléchir sur la révolte mondiale de 1968 ou, plus généralement,sur les mouvements de ces années-là, il met toujours l’accent surle fait qu’on assiste, dans de nombreuses sociétés, à l’émergencede luttes et de savoirs locaux où le problème du corps apparaîtavec une insistance de plus en plus marquée, selon une modalitéqui recoupe de très loin la perspective marxiste. L’oppositioncontre le pouvoir des hétérosexuels sur les gays et les lesbiennes,contre l’appareil carcéral sur les détenus, contre la psychiatrie surles malades mentaux, contre la médecine sur la population, contrel’administration sur les modes de vie des gens, a été menée enmettant en jeu une série de stratégies qu’on ne peut pas ramenerimmédiatement aux notions de structure-économie/superstruc-ture-idéologie, de lutte et de justice de classe. Au contraire,chaque fois que les avant-gardes externes ont essayé de récupérerces mouvements en les ramenant à ces notions globales, c’estcomme si la critique locale avait subi un temps d’arrêt, perdantainsi son efficacité à faire émerger le fonctionnement concret de lamécanique du pouvoir, aussi bien sur le versant des technologiesdisciplinaires que sur celui des technologies biopolitiques. Et c’estainsi, en effet, que cela s’est passé lorsque les détenus, parexemple, ont commencé à engager la lutte en s’attaquant augardien, au travailleur social, au psychiatre, au directeur de prison.Ils ne l’ont pas fait parce qu’ils voulaient critiquer un intérêt écono-mique ou pour agresser le système pénal en tant qu’appareil derépression d’une classe sur une autre, mais bien parce que cesprofessionnels de la discipline et de la normalisation exerçaient unpouvoir incontrôlé sur leurs corps, sur leur santé, transformantainsi leur vie quotidienne en un véritable enfer. Cependant, malgrél’obstacle représenté par la tradition marxiste – et malgré le particommuniste – ces mouvements ont réussi à faire entrer dans lechamp de l’analyse politique les thèmes de l’internement psychia-trique, de la normalisation des individus, des institutions pénales,prouvant dans la pratique que le contrôle sur les individus ne seréalise pas seulement à travers la conscience et l’idéologie maisaussi dans et par le corps. En réalité, rien n’est plus matériel, rienn’est plus physique que le pouvoir biopolitique-disciplinaire,lequel, au cours de la modernité, a pris la vie en charge, normali-

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 96

Corps 97

sant dans le même temps le corps individuel et la population(Foucault, 1997 ; Trombadori, 1999).

Foucault a affirmé que ce n’est qu’après 1968 qu’on a pucommencer à analyser « la mécanique du pouvoir » – la façondont on l’exerce concrètement et dans le détail, avec sa spécificité,ses techniques et ses tactiques – c’est-à-dire à partir des luttesquotidiennes de ceux qui se débattaient dans les mailles les plusfines de sa toile. La méthode grâce à laquelle Foucault avance vers« une nouvelle économie des relations de pouvoir », qui consiste àprendre comme point de départ les formes de résistance contre lesdifférentes formes de pouvoir, s’est sans aucun doute construiteen partie sur la base des luttes des mouvements des minorités etsur la base de son expérience personnelle de militant du Grouped’information sur les prisons (GIP) (Deleuze, 1986 ; Eribon, 1989 ;Boullant, 2003 ; Artières et coll., 2003). Bien évidemment, il nes’agit pas d’affirmer que, sans l’émergence de ces mouvements, lephilosophe français n’aurait pas écrit ses œuvres les plus impor-tantes, mais plutôt de faire remarquer que, sans ces luttes, seslivres ne se seraient pas chargés de ce sens politique renouvelé etplus subtil qu’on leur connaît. L’intellectuel peut élaborer uneenquête historico-critique qui permet de tracer avec une extrêmeprécision la « topographie du pouvoir », repérant ainsi les pointsfaibles, les lignes de force, les liens entre pouvoirs et savoirs, lestechniques qui ont prise sur les corps. Cependant, produire denouvelles analyses n’est pas suffisant pour renverser l’économie desavoir et de pouvoir que renferme le circuit institutionnel et scien-tifique de la psychiatrie ou de la pénalité. Dans le fond, sans lesluttes de base contre la prison et l’asile, les enquêtes généalo-giques de l’Histoire de la folie et de Surveiller et punir auraient pu,tout au plus, constituer des prolégomènes pour une nouvelle théo-rie du pouvoir. La découverte selon laquelle des institutions margi-nales comme l’asile et la prison sont essentielles pour comprendrele fonctionnement général des engrenages du pouvoir n’est pas,même si elle est décisive, la pièce manquante qui permet de trans-former le travail de déconstruction historique en une critiqueeffective. Concrètement, ce qui a permis de faire la critique« effective » de l’asile tout comme de la prison, ce n’est certaine-ment ni une sémiologie de la vie asilaire ni une sociologie de la

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 97

Lexique de biopolitique98

délinquance, mais l’insurrection des savoirs-corps des psychiatriséset des délinquants contre le régime scientifico-institutionnel qui aproduit leur exclusion. Par conséquent, si un intellectuel veutcomprendre ce qui se passe dans le cadre de ces institutions, il doittourner son regard vers le corps de ceux qui subissent la pratiquede l’emprisonnement et de l’hospitalisation contrainte. Ce sont lescorps que le système psychiatrique et pénal produisent comme« malades mentaux » et comme « délinquants » qui peuvent révé-ler la distance subsistant entre l’idéologie (l’hôpital et la prisonsont des institutions de soin et de réhabilitation) et la pratique(l’hôpital et la prison sont des lieux qui ne soignent pas et ne réha-bilitent pas, dans la mesure où ils produisent une population desujets dangereux dont la seule utilité consiste à faire accepter parla société la présence constante du contrôle policier et psychia-trique). Ainsi, en traçant la topographie du pouvoir, l’intellectuelpeut-il également diagnostiquer dans l’actualité du régime institu-tionnel psychiatrique ou pénal des lignes de force, des points deconflit, des tensions, qui lui permettront de saisir les points faiblessur lesquels s’appuyer en vue d’un changement possible. Mais celaveut dire que son hypothèse est conditionnée par l’ici et mainte-nant de ces luttes. C’est seulement si des luttes se développent,comme celles du psychiatrisé ou du délinquant, que l’enquêtehistorico-critique pourra prétendre attaquer efficacement le dispo-sitif de savoir-pouvoir sur lequel se fonde l’institution. On peut direque le problème de l’intellectuel est d’œuvrer dans le sens d’uneinterprétation du réel qui produise des « effets de vérité » et queces effets deviennent des instruments à l’intérieur de possiblesluttes (Foucault, 1978b).

Rétrospectivement, la grande prolifération de mouvementsdans et contre les institutions disciplinaires (famille, école, univer-sité, usine, hôpital, prison, asile) peut être analysée comme unegrande crise de l’expérience de la subjectivité et comme unerévolte contre le type de pouvoir disciplinaire et biopolitique qui adonné forme, à partir du XVIIIe siècle, à cette subjectivité. Si le butde la « société de normalisation » (Foucault, 1997) a consisté àproduire une subjectivité assujettie dotée d’un corps bien régle-menté et obéissant, la lutte antidisciplinaire a dû nécessairemententraîner un lourd travail de « dé-subjectivation » pour que cette

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 98

Corps 99

subjectivité assujettie devienne autonome. D’une façon générale,la lutte s’est employée sur une vaste échelle à soustraire le corpsaux structures de l’identité, de l’assujettissement et de l’exploita-tion. Les appareils institutionnels disciplinaires ont été combattusau moyen d’une stratégie généralisée de refus, de défection, dedésobéissance. Mais l’« exode » du régime disciplinaire soustoutes ses formes n’a pas été une réaction négative ; cela a étéavant tout un acte créatif, c’est-à-dire une invention de pratiquesd’autovalorisation pleinement constituantes et antinormatives,quelque chose de très semblable à une « transévaluation » nietz-schéenne de toutes les valeurs (Hardt et Negri, 2000).

Foucault n’a, paraît-il, jamais soutenu l’idée que le pouvoirest toujours vainqueur sur toute forme de résistance. Si, au coursde la modernité, la biopolitique – grâce au double jeu d’une partdes technologies de la discipline et de l’autre des technologies derégulation – a pris la vie en charge, en effectuant des contrôlesmacroscopiques et minutieux sur toute la surface qui s’étend ducorps individuel à la population, cela ne signifie pas pour autantque la vie a été intégrée de manière exhaustive à des techniquesqui la dominent et la gèrent. Il s’avèrerait plutôt que celle-ci leuréchappe sans répit, et l’irréductibilité du corps, en tant que réserveinépuisable de force et de résistance, en est la preuve la plusremarquable.

Andrea Russo

Voir : Assujettissement/subjectivation, Biométrie, Biotechnologies, Bodybuil-ding, CDT, Dégénérescence, Défense sociale, Disciplines, Eugénisme,Guantanamo, Médicalisation, Migrations, Normal/pathologique,Normalisation, Population, Posthumain, Résistance (pratiques de),Psychiatrie, Santé publique, Sexualité (dispositif de), Travail/non-travail.

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 99

DÉFENSE SOCIALE

La métaphore de la « défense sociale » est un outil intellectuelqui a connu depuis le XVIIIe siècle plusieurs emplois liés à diversproblèmes de « gouvernement des êtres humains ». Parmi ceux-cila question criminelle, qui a vu cette métaphore devenir l’instru-ment fondamental de technologies très différentes les unes desautres convergeant dans la construction des stratégies« modernes » de gouvernement du délit.

Au XVIIIe siècle, en Europe et en Amérique, avec la naissancedu libéralisme – « art de gouvernement frugal » qui tente d’éviterle risque de « gouverner trop » – on invente la société commeentité d’une certaine manière autonome – avec ses propres« lois » –, qui se présente comme la condition, l’objet et la finultime de l’activité de gouvernement (Foucault, 2004b). Cetteinvention a eu pour terrain privilégié la transformation de la théo-rie classique de la souveraineté fondée sur l’idée de « contratsocial ». C’est là – dans les textes de Rousseau (1762) et de Becca-ria (1764) – qu’apparaît un premier emploi, approximatif et frag-mentaire, de la métaphore de la défense sociale liée à la questioncriminelle.

La « société » y est imaginée comme le produit artificiel – paropposition à la « nature – d’un contrat entre individus libres etrationnels, qui abandonnent l’« état primitif » et se transformenten « citoyens », titulaires d’une sphère intangible de liberté qu’ilspossèdent « naturellement » et qui leur est garantie dans lamesure où ils en cèdent en échange une toute petite portion, afinde constituer un « dépôt public ». Ainsi faut-il défendre le « dépôtde la santé publique » des usurpations privées de tout homme enparticulier (Beccaria, 1764). Le délit, en tant que violation ducontrat social, est défini par la loi – expression quant à elle de la

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 100

Défense sociale 101

« volonté générale » –, et représente un « dommage contre lasociété », contre l’ensemble et chacun des citoyens. Le délinquantest considéré comme l’ennemi de la société, l’ennemi de tous,comme un « traître » que tous ont intérêt à poursuivre (Foucault,1975). La conservation de l’État étant incompatible avec le salut ducriminel, il est nécessaire que l’un des deux périsse, et la peine demort est imposée à ce dernier considéré comme un ennemi plusque comme un citoyen (Rousseau, 1762). Dans le libéralisme,cependant, la défense sociale s’est heurtée fréquemment à l’obs-tacle de l’humanité du condamné, produit d’un calcul politiqueque l’on observe également chez Rousseau. Selon celui-ci, « Il n’ya point de méchant qu’on ne pût rendre bon à quelque chose. Onn’a droit de faire mourir, même pour l’exemple, que celui qu’on nepeut conserver sans danger. » (ibid.) Mais cet obstacle est beau-coup plus évident dans l’ouvrage de Beccaria, lequel invoque àmaintes reprises la nécessité de n’exercer le « droit de punir » quelorsque c’est indispensable, et ce, proportionnellement au« dommage public » provoqué par le délit, en évitant la cruauté etl’atrocité (Beccaria, 1764).

Ce premier emploi de la métaphore de la défense sociale lié àla question criminelle se trouve à la base de la souveraineté en tantque technologie du pouvoir. La souveraineté met au centre duthéâtre politique le « droit de vie et de mort » (ce n’est pas du toutun hasard si c’est sous ce titre que Rousseau traite des thèmesmentionnés plus haut), la capacité du souverain de faire mourir etde laisser vivre, « symbolisée par l’épée » (Foucault, 1976a). Mais ils’agit d’une souveraineté traversée par la gouvernementalité libé-rale, qui porte en elle un « processus de disqualification progressivede la mort » (Foucault, 1997). La mort se transforme graduellementen quelque chose à éviter pour mieux gouverner – c’est ce quiressort de la position critique de Beccaria sur la peine de mort,injuste et inutile dans un « gouvernement bien organisé » (Becca-ria, 1764). Dans le même temps, il s’agit d’une souveraineté quidevient « populaire », qui s’éloigne progressivement du Princecomme figure vindicative et qui s’oriente au contraire vers unesociété qu’il faut défendre (Foucault, 1975).

Le second emploi de la métaphore de la défense sociale estapparu à un moment très différent, dans le discours positiviste sur

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 101

Lexique de biopolitique102

le délit et sur la peine qui s’est développé dans le dernier quart duXIXe siècle en Italie et qui s’est ensuite rapidement répandu enEurope et en Amérique. Dans les textes d’« anthropologie crimi-nelle », de « criminologie » ou de « sociologie criminelle », le délitdevient un « phénomène naturel et social » qu’il faut expliqueravec les instruments de la « méthode scientifique ». Cette concep-tion est présentée sous sa forme la plus radicale par Garofalo : le« délit naturel » est une action qui viole un des « sentimentsaltruistes fondamentaux, c’est-à-dire la pitié et la probité » surlesquels repose « le sens moral d’un agrégat humain » (1885).Une telle conception s’articule parfaitement avec la vision deLombroso, qui est à la base de cette tradition intellectuelle. DansL’uomo délinquente, Lombroso soutient que le délit est un« phénomène naturel », car il est la manifestation d’un individuqui possède une nature anthropologique spécifique, reconnais-sable dans des traits corporels et comportementaux déterminésressemblant à ceux de l’homme primitif (Lombroso, 1876). Cettenature congénitale révèle que le « délinquant-né » est un être« atavique », le produit d’un « retour en arrière » dans l’évolutionde l’espèce humaine (ibid.). Dans les éditions suivantes de sonouvrage, Lombroso conserve cette conception du « délinquant-né », mais il introduit déjà dans la seconde édition de 1878,d’autres « types » comme les « délinquants par passion ou parexcès », dont les étiologies ne sont pas associées à l’« atavisme »(Frigessi, 2003). Dans la mesure où le vocabulaire criminologiquepositiviste se transforme petit à petit, différentes classifications destypes de délinquants se configurent, de nouveaux équilibres sestructurent entre les différents facteurs de cause de la criminalité,et les éléments « psychologiques » et « sociologiques » acquièrentprogressivement de plus en plus d’importance. Mais nombre decriminologues positivistes n’abandonnèrent jamais le « fondlombrosien », qui supposait la reconnaissance du facteur anthro-pologique comme élément déterminant ou prédisposant selon lestypes de délinquants. Ainsi Ferri (1900) distinguait-il cinq catégo-ries : les criminels « nés », « fous », « habituels », « passionnels »et « occasionnels » – les premiers étant héréditairement prédesti-nés à commettre un crime, sauf conditions environnementalesextraordinairement favorables, contrairement aux derniers. Ce

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 102

Défense sociale 103

regard plus complexe sur les « délinquants » considérés commedes « anormaux » de diverses espèces n’empêcha pas la crimino-logie positiviste – non sans contradictions et ambivalences – deconstruire un lien explicite entre « race » et « criminalité », surtoutà partir de 1890 (Frigessi, 2003).

Face aux délinquants, la société avait besoin de se défendre.Les criminologues positivistes avaient une idée de la société biendifférente de celle qui ressortait de la théorie du contrat social.Contre ce qu’ils considéraient comme un « excès d’individualisme »,la société devenait une entité ayant les traits d’un « organismenaturel et vivant », qui précédait l’individu et le formait commel’un de ses « membres ». C’est dans ce sens que Ferri (1900)reconstruit la vieille idée de « responsabilité » à travers la notionde « responsabilité sociale » : les individus sont responsables par« le seul fait de vivre en société » et cette dernière a le « besoinnaturel » de se défendre contre leur criminalité. Pour de nombreuxcriminologues positivistes, les mécanismes de cette défense socialene devaient pas, si l’on voulait vraiment neutraliser les « élémentsd’infection et de contagion » dans le « corps social », se réduire àla peine. Ferri, par exemple, proposait de développer les « peinesde substitution », une série d’interventions sociales et de réformeslégislatives, des « antidotes contre les facteurs sociaux de la crimi-nalité », allant de l’« adoption du principe de la propriété collec-tive des moyens de production » à l’« acceptation du divorce »(ibid.). Ferri était sceptique quant à « toutes les armes surranéesdes arsenaux de la vieille pénalité » mais il croyait qu’ellespouvaient se transformer en « une clinique pour préserver lasociété de la maladie du délit » (ibid.). La société devait réagir faceà l’individu qui avait commis un délit pour éviter qu’il n’encommette un autre par la suite. Dans ce sens, la classification desdélinquants était très importante car les différents types présen-taient plusieurs degrés de « redoutabilité » et de « dangerosité »,et en fonction de ceux-ci, il fallait imposer différents types depeine. Les peines avaient pour but de « corriger » les délinquantsau moyen de techniques « scientifiquement » testées à l’intérieurde différents espaces institutionnels – prison, asile criminel,etc. – où ils devaient être « isolés » pendant un temps indéter-miné. Quant aux délinquants « incorrigibles » – les « criminels-

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 103

Lexique de biopolitique104

nés » et les « fous » de la classification de Ferri – la défense socialedevait rechercher leur « élimination » (ibid.). Ainsi Garofalo (1885)justifie-t-il la peine de mort : selon lui, le pouvoir social produit arti-ficiellement une sélection analogue à celle qui se crée spontané-ment dans l’ordre biologique par la mort des individus nonassimilables aux conditions particulières du milieu dans lequel ilssont nés. L’État ne fera qu’imiter la nature.

Ce second emploi de la métaphore de la défense sociale futaccueilli également, à la fin du XIXe siècle, au sein des positionséclectiques des pénalistes de l’« Union internationale de droitpénal », comme Prins et von Liszt. Cette synthèse d’élémentstypiques des discours classique/néoclassique et positiviste a juste-ment été définie comme un « mouvement de la défense sociale ».Son innovation la plus radicale fut de proposer d’intervenir defaçon coercitive sur les individus anormaux et dangereux avantqu’ils ne commettent un délit, au moyen d’internements à duréeindéterminée – lesdites « mesures de sécurité prédélictuelles »(Digneffe, 1998). Dans le sillage de cet « éclectisme », la méta-phore fut encore employée pendant une bonne partie duXXe siècle. Les textes de Gramatica, qui ont orienté les colloquesinternationaux sur la défense sociale à partir de 1947 jusqu’à lanaissance, en 1949, de la Société internationale de défensesociale, en sont un bon exemple. Au 3e colloque de 1954, ses posi-tions, plus proches de la tradition de l’École positive, s’infléchirentdans le sens de l’orientation modérée et « humaniste » d’Ancel,qui caractérisa ce qu’on a appelé le « Mouvement de la nouvelledéfense sociale » et influença de façon significative, à partir desannées 1950, l’activité des Nations unies pour ce qui est du « trai-tement du délinquant et la prévention du délit ».

Ce second emploi n’est pas en discontinuité pure et simpleavec le premier, mais il en découle en partie. Ils sont liés tous lesdeux par un fil très fin qui unit les deux moments fondamentauxde la construction d’une « rationalité pénale moderne » en tantque rationalité gouvernementale de la question du crime (Pires,1998). D’autres formes de gouvernement des êtres humains appa-raissent au XVIIIe siècle, simultanément à la transformation de lasouveraineté en tant que technologie de pouvoir – avec laquelleelles s’entrelacent globalement : « discipline » et « régulation »,

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 104

Défense sociale 105

« anatomopolitique » et « biopolitique », qui ont pour objetsrespectifs le corps et l’espèce humaine et qui mettent en place, àces deux niveaux différents, un « pouvoir de faire vivre » fonction-nant à travers une « logique de normalisation » (Foucault, 1975 ;1997). Le second emploi de la métaphore de la défense socialefacilita l’introduction de ces nouvelles technologies de pouvoirdans les stratégies « modernes » de gouvernement du délit. Mais,paradoxalement, par sa plasticité il a contribué à son tour àréveiller dans le champ de la question criminelle le « côté obscur »de ce « pouvoir sur la vie » (Dean, 1999) en le structurant sur labase d’un « racisme moderne », c’est-à-dire sur la constitution, ausein de la « population », de groupes qui, par leurs caractéris-tiques particulières, doivent être éliminés pour fortifier cettedernière comme entité biologique. Il s’agit d’une extrapolationbiologique de l’ennemi politique qui rend l’acte de tuer acceptabledans une société de normalisation (Foucault, 1997). Ainsi lesecond emploi de la métaphore de la défense sociale a-t-ilsubstantiellement contribué à faire en sorte que le « pouvoir defaire mourir » dans le champ de la question criminelle n’ait pas delimites, en produisant un renversement du projet de la gouverne-mentalité libérale et en renforçant des éléments qui étaient déjàprésents en lui (Dean, 2002). Les expériences du fascisme et dunazisme en ont été les expressions « paroxystiques » (Foucault,1976a ; 1997) – une ombre qui, malgré la modération qui a suivi,n’a plus quitté l’emploi de la métaphore de la défense sociale.

Máximo Sozzo

Voir : Biopolitique, Camps, Contrôle social, CDT, Dégénérescence, Disci-plines, Exception (état d’), Gouvernementalité, Médicalisation,Monstre, Normal/pathologique, Normalisation, Police, Population,Psychiatrie, Racisme, Santé publique, Sécurité.

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 105

DÉGÉNÉRESCENCE

Avec la théorie de la dégénérescence, exposée par Bénédict-Augustin Morel dans son Traité des dégénérescences physiques,intellectuelles et morales de l’espèce humaine (1857), la psychia-trie se dote de l’étrange pouvoir de ne plus guérir (Foucault,1999). Les dégénérescences sont des déviations pathologiques du« type humain normal » transmises héréditairement. Les causespeuvent être variées, physiques ou morales, individuelles ou collec-tives : intoxications de différents types, influences du milieu socialet de l’hérédité, infirmités congénitales ou acquises. Ces causes,par le biais d’une accumulation héréditaire, constituent un état defragilité appelé « prédisposition ». Les prédispositions peuventconduire à la folie si des « causes déterminantes » se manifestent,qui font sombrer les individus prédisposés dans diverses formes dedégénérescence (Bing, 1994). La théorie de Morel fut ensuitesystématisée par Valentin Magnan, lequel en proposa, en 1895,une définition qui la rangeait dans le contexte biologique évolu-tionniste : « La dégénérescence est l’état pathologique de l’êtrequi, comparativement à ses générateurs les plus immédiats, estconstitutionnellement amoindri dans sa résistance psychologiqueet ne réalise qu’incomplètement les conditions biologiques de lalutte héréditaire pour la vie. Cet amoindrissement, qui se traduitpar des stigmates permanents, est essentiellement progressif, saufrégénération intercurrente ; quand celle-ci fait défaut, il aboutitplus ou moins rapidement à l’anéantissement de l’espèce »(Magnan et Legrain, 1895).

C’est en contredisant sa vocation thérapeutique originale, surlaquelle le mouvement aliéniste avait construit son succès dans lapremière moitié du XIXe siècle, que la psychiatrie commence à seprojeter résolument hors des asiles. Elle peut ainsi répondre à une

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 106

Dégénérescence 107

autre vocation – sociale et politique – qu’elle a en fait cultivéedepuis le début. Les aliénistes furent également parmi les princi-paux promoteurs de l’hygiénisme en France. Leur alliance avec lesréformateurs philanthropes fut essentiellement un « pacte desécurité ». Comme le dit le ministre de l’Intérieur exposant lesmotivations de la loi de 1838 sur les aliénés : « […] il s’agit deprévenir des accidents analogues à ceux que la police administra-tive embrasse dans sa sollicitude, en vue desquels elle a été insti-tuée, tels que les inondations, les incendies, les fléaux de toutgenre, les dangers qui menacent la salubrité publique ou même lerepos des citoyens » (Castel, 1976). La loi de 1838 fut donc une loide « police ». À travers la médecine mentale, qui réussissait à arti-culer intervention thérapeutique et intervention sociale, l’assis-tance aux fous était reliée circulairement à la prévention du dangerdont on considérait qu’ils étaient porteurs. En attendant, les« accidents » de la folie faisaient la une des journaux avec lesgrands crimes monstrueux, comme ceux commis par Pierre Rivière,ce jeune paysan qui, en 1835, avait égorgé une sœur, un frère etsa mère, devenant subitement l’objet d’une « sollicitude » déme-surée de la part du gotha de la psychiatrie française (Foucault,1973a).

Du point de vue théorique, c’est avec les recherches sur laparalysie générale et le Traité des maladies du cerveau et de sesmembranes de Bayle (1826) qu’avait commencé l’exode de lapsychiatrie de la médecine psychologique, qui conduira, au débutdu XXe siècle, à l’affirmation définitive de l’idéologie neuropsychia-trique (Postel, 1994a). Le développement de l’organicisme et del’idée d’une « incurabilité » substantielle de la maladie mentaledoit être mis en relation avec l’émergence d’une nouvelle percep-tion de la « dangerosité ». La nature perverse du malade mentalest un stigmate indélébile qui perdure y compris en présence dessignes extérieurs de la guérison et de la normalité (Castel, 1976).Ce double mouvement, au point de convergence duquel se trouvela théorie de la dégénérescence, a pour effet un « pessimismethérapeutique » qui fera imploser le dispositif asilaire. Une fois quele contrat thérapeutique qui avait permis à l’aliéniste de régnersans conteste sur le monde de la folie a volé en éclats, les asiles setransforment en usines d’incurables à enfermer à vie pour garan-

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 107

Lexique de biopolitique108

tir la sécurité de la société. La théorie de la démence précoce deKræpelin, qui fait de la chronicité l’issue obligée des psychoses,fournit une justification scientifique à la dérive répressive de lapsychiatrie asilaire (Postel, 1994b).

La théorie de la dégénérescence marque un point de rupturedans la médecine mentale, équilibre précaire entre les raisons del’humanitarisme thérapeutique et celles de l’hygiénisme. Lepsychiatre est un médecin qui va de moins en moins être appelé àguérir mais aura de plus en plus pour tâche de contrôler la sociétéet de la protéger des dangers attribuables à la maladie qui lamenacent de l’intérieur. En médicalisant la folie, le mouvementaliéniste avait pour la première fois rendu possible sa codificationen termes sociaux et sa prise en charge par l’État. Mais le rôlesocial et politique des aliénistes restait lié à la spécificité de la mala-die qu’ils s’étaient donné pour tâche de guérir. L’idée de l’incura-bilité s’était déjà répandue, mais on la définissait toujours parrapport au rôle principal de la médecine mentale, qui était deguérir, autrement dit, concrètement, de résorber le délire, en tantqu’il en était le signe distinctif, grâce à cette forme de technologiedisciplinaire qu’était le traitement moral (Foucault, 2003 ; Castel,1976). Avec la médicalisation de l’anormal, dont le maillon théo-rique fondamental fut la théorie de la dégénérescence, un chan-gement décisif s’opère dans le dispositif psychiatrique : l’élément« dominant » ne se trouve plus au niveau thérapeutico-discipli-naire mais se réorganise le long de l’axe social-politique.

Rupture également à caractère épistémologique : parallèle-ment à l’affirmation de l’étiologie organique, la maladie mentalen’est plus identifiée à des troubles de l’entendement mais ellecommence à être envisagée dans le contexte plus vaste destroubles de l’instinct et de la volonté. C’est notamment avec lanotion d’instinct que la psychiatrie est non seulement tout à faitintégrée au modèle médical, que l’aliénisme avait tout à la foispromu et négligé, mais qu’elle peut également s’inscrire dans lemodèle biologique, devenant ainsi perméable à l’idéologie évolu-tionniste et à toute sa conception du pathologique. La théorie dela dégénérescence n’a fait que reconduire l’enjeu biologique auproblème de la transmission héréditaire des anomalies, ouvrant unvaste domaine d’intervention au niveau de la sexualité familiale,

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 108

Dégénérescence 109

du contrôle de la reproduction, de l’eugénisme (Foucault, 1999,1976a ; Esposito, 2004). Dès lors que le délire cède la place auxperversions de l’instinct et que toutes les déviations de la conduitepeuvent être rapportées à un état d’anomalie à la fois héréditaire,définitif et virtuellement dangereux, guérir n’a plus de sens. Inver-sement, la psychiatrie peut accomplir pleinement sa fonction de« dispositif biosécuritaire » : science de la protection biologique del’espèce, défense scientifique de la société contre les dangers dontsont porteurs les individus présentant un état d’anomalie.

La psychiatrie acquiert ainsi un droit d’ingérence dans lechamp de la sexualité familiale. Avec la notion d’hérédité, le sexeest en effet chargé d’une « responsabilité biologique » à l’égardde l’espèce. Outre les maladies spécifiques dont il est affecté, ilpeut, s’il n’est pas contrôlé, les transmettre ou les créer par ladescendance. Le problème du sexe, médical et politique à la fois,croise le processus de médicalisation et d’étatisation du problèmedes anormaux dangereux, en s’y superposant. La nouvelle psychia-trie biopolitique s’est constituée à cheval sur une médecine desperversions sexuelles et la gestion étatique du sexe (mariage, nais-sances, etc.), aboutissant ainsi aux programmes eugéniques. C’estjustement la théorie de la dégénérescence qui articule ces deuxplans, permettant un renvoi constant de l’un à l’autre (Foucault,1976a). En évoluant dans l’espace de connexion entre une méde-cine politique du sexe et une médecine politique de l’anormal, lapsychiatrie, à la fin du XIXe siècle, a acquis le pouvoir maximumauquel elle pouvait aspirer à ce moment historique. En tant quescience et technique des anomalies individuelles, elle a pu mettreen avant la prétention de se substituer non seulement à la justicemais aussi à l’hygiène publique, à partir de laquelle elle s’étaitdéveloppée comme branche spécialisée et, d’une manière plusgénérale, à toutes les formes de contrôle social. Reine des sciencesbiosécuritaires, elle s’est imposée en tant que dispositif généraliséde défense sociale, accouchant d’une nouvelle forme de racismed’État contre les anormaux, spécifique du XXe siècle et différentedu racisme traditionnel de type « ethnique » : il s’agit non pas deprotéger un groupe contre un autre mais de défendre ce mêmegroupe de ceux qui peuvent transmettre leur non-normalité à leursdescendants (Foucault, 1999).

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 109

Lexique de biopolitique110

Mais comment la médecine mentale, retranchée dans leshôpitaux pour aliénés, a-t-elle pu concrètement s’ouvrir un champd’intervention aussi vaste et diffus ? En d’autres termes, quelprocessus historique a permis à la psychiatrie d’étendre son rayond’action ? Foucault et Castel s’accordent à voir dans la croisadepour la « pathologisation du crime » (avec la problématisationpsychiatrique de l’enfance) le principal agent de la généralisationdu pouvoir psychiatrique ou, plus précisément, de l’affirmation desa dominante biopolitique. Le premier débordement des aliénisteshors de l’asile a consisté à s’imposer en tant qu’engrenage fonda-mental de la machine judiciaire par le biais de la pratique de l’ex-pertise légale (Castel, 1973, 1976). Le docteur Vastel, auteur de laseconde expertise psychiatrique sur Pierre Rivière, écrit en 1835 :« La société a donc le droit de demander, non la punition de cemalheureux, puisque sans liberté morale il ne peut y avoir deculpabilité, mais sa séquestration par mesure administrative,comme le seul moyen qui puisse la rassurer sur les actes ultérieursde cet aliéné » (Foucault, 1973a). Non seulement la reconnais-sance de Rivière comme malade mental n’est pas en contradictionavec le besoin de garantir l’ordre public, mais il n’y a aucune réfé-rence à son éventuelle guérison ni à la possibilité de le soigner. Ladéresponsabilisation médicale de l’auteur du crime ne va pas dansle sens d’une intervention thérapeutique. Elle requiert en plus unemesure de privation de la liberté, comme le confirme Leuret, l’undes signataires de la troisième expertise : « On aurait dû séquestrerPierre Rivière, ce jeune homme était trop malade pour jouir de saliberté » (ibid. ; Castel, 1973).

Souhaitant une intervention médicale « préventive » contre ledanger potentiel de la folie, Leuret ébauche la solution qui seraadoptée, quelques années plus tard, avec la loi de 1838. Les alié-nistes, après s’être appliqués à dissoudre la parenté entre crimina-lité et folie, se lancent donc dans une croisade en faveur de lapathologisation du crime, qui risque de compromettre leur statutde médecins spécialistes au moment même où ils entendent l’af-firmer. D’autre part, la justice qui, à partir des réformes de laseconde moitié du XVIIe siècle, avait fondé le droit de punir sur lasupposition d’une rationalité calculatrice, source des actes délic-tueux, se trouvant exposée à la nécessité de trouver la raison du

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 110

Dégénérescence 111

crime dans la « nature » du criminel va solliciter, même si elle estrécalcitrante, l’expertise des spécialistes. Le terrain sur lequelexplosent les contradictions est celui des grands crimes, commeceux que commettent Henriette Cornier et Pierre Rivière. Crimesdomestiques, monstrueux, qui violent les liens sacrés de la naturehumaine. Le caractère exceptionnel de ces crimes pose problèmetant à la médecine mentale – vu qu’il s’agit de crimes « sansdélire » et donc coupés des signes distinctifs de la folie – qu’à lajustice – puisqu’il s’agit de crimes « sans motif », incompréhen-sibles et donc se dérobant à la responsabilité pénale.

Avec la théorie de la monomanie homicide proposée parEsquirol et perfectionnée par Marc, on invente une entité totale-ment fictive : le crime-folie. Il s’agit d’un crime qui est entière-ment folie et d’une folie qui n’est autre que crime (Foucault,1978b). De cette façon, on réalise deux conditions : d’une part,le pathologique est étendu à une aire du comportement quiéchappe à l’identification traditionnelle de la folie au délire, en laconnotant de plus en plus en termes de danger potentiel. Del’autre, la justice peut s’adresser aux aliénistes, en tant que« spécialistes du motif », pour établir un lien psychologiqueintelligible entre le crime et le criminel et leur déléguer l’enfer-mement des fous. Plus que résoudre les contradictions de lamédecine mentale et de la justice, la monomanie homicide révèleque celles-ci convergent obscurément dans le contexte desnouvelles formes de gouvernement des populations. La psychia-trie se projette vers la justice à cause de sa fonction d’hygiènepublique, qui la conduit à prendre en charge la folie en tant quedanger social (à la fois parce qu’elle est liée à des conditions devie malsaines et parce qu’elle est elle-même une source dedanger). La justice se fait pénétrer par la psychiatrie dès lors quela punition fonctionne comme une technique de transformationindividuelle et que la responsabilité pénale requiert une détermi-nation psychologique de l’individu.

En posant les prémisses d’un continuum entre médecine etjustice, l’apparition fugace de la monomanie homicide a eu desconséquences importantes sur le rapport entre biopouvoir et droit,qui reste l’un des nœuds fondamentaux de notre temps. Morel,l’un des pionniers de la médecine légale, attaqua la notion de

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 111

Lexique de biopolitique112

monomanie. Mais, avec la théorie de la dégénérescence, il ne fitqu’amplifier sa fonction stratégique dans un sens pleinementbiopolitique, ouvrant la voie aussi bien aux législations eugéniquesqu’à la banalisation de l’expertise psychiatrique à tous les niveauxde l’échelle pénale et, plus généralement, de la vie quotidienne.Les grands ogres à la Pierre Rivière accouchèrent de la foule despetits anormaux (Foucault, 1999). Les pathologiser, sur la based’une dangerosité virtuellement inscrite dans leur état d’anomalie,endémique source de menace pour la société et pour l’espèce, arendu possible une analyse causale de toutes les conduites, délin-quantes ou pas, ouvrant pour la médecine un champ d’interven-tion social et politique généralisé.

La théorie de la dégénérescence a donc permis de codifiertout le champ des infractions en termes de danger et de protec-tion sociale. Avec la notion de délinquant-né, due à Lombroso(1876) et à l’école italienne d’anthropologie criminelle, cette thèses’est radicalisée. Le problème n’est pas la responsabilité de l’indi-vidu mais le degré de danger qu’il représente pour la société. C’estpour cela qu’il faut « dépénaliser » le crime pour y répondre enmodulant les mesures de protection sociale (mort, internement àvie, stérilisation, etc.). Cela risque de soustraire définitivement lacriminalité au droit pénal. Mais ce serait commettre une erreur quede penser que le rapport entre médecine et droit s’est développéen sens unique, comme une sorte d’hégémonie de la première surle second. Il s’est agi au contraire d’une interaction entre le savoirmédico-psychologique et la justice, qui a produit un nouveauchamp d’objets et de concepts (Foucault, 1978b). C’est d’abord ledroit civil, à travers la notion de probabilité causale et de risque,qui a repris l’idée d’une défense « non pénale » contre les dangerset qui a proposé la possibilité d’un dédommagement de type nonpunitif. Mais, si la société doit se défendre contre les risquesd’ordre civil, elle doit de la même manière se défendre contre ceuxde nature délictueuse, dont les délinquants-nés et les dégénéréssont porteurs à un haut degré de probabilité. La sanction serviraalors non pas à punir le sujet de droit qui a volontairement trans-gressé la loi mais à réduire le risque de criminalité inné chez l’indi-vidu. La théorie de la défense sociale en tirera les conséquences,transférant les acquisitions du droit civil au droit pénal.

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 112

Dégénérescence 113

C’est ainsi que la justice criminelle, par le biais de l’élabora-tion de l’idée d’individu dangereux et de la notion charnière derisque, finira par intérioriser les positions les plus radicales de lapsychiatrie criminelle et pourra fonctionner aussi comme uneprotection « scientifique » de la société. Tandis que la psychiatrie,de l’intérieur du droit qu’elle a colonisé, rejoindra la défensesociale et pourra fonctionner comme une sanction « légale » desindividus dangereux. Les différentes législations eugéniques et lesprogrammes d’euthanasie sauvage du nazisme ne laissent aucundoute à ce propos. Mais peut-être n’avons-nous pas encore finid’évaluer les conséquences d’une médecine qui fonctionnecomme loi et d’une justice qui s’exerce non pas sur ce que l’on faitmais sur ce que l’on est (Foucault, 1978b, 1977e).

Pierangelo Di Vittorio

Voir : CDT, Défense sociale, Eugénisme, Médicalisation, Monstre,Normal/pathologique, Normalisation, Police, Population, Psychiatrie,Racisme, Risque, Santé publique.

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 113

DÉVELOPPEMENT

Si l’idéologie du développement a une genèse incertaine– puisque sont incertaines les origines mêmes de l’économie poli-tique dont elle est consubstantielle – le développement, en tantque dispositif biopolitique de contrôle des populations, a une datede naissance presque unanimement reconnue : le 20 janvier 1949.C’est ce jour-là que le président Truman, lors de son discours d’ins-tallation au Congrès des États-Unis, désigna le « sous-développe-ment » comme la plaie principale de son temps et promit aumonde entier que sa mission suprême serait dorénavant de dévierles peuples retardataires sur la voie du développement, de diffuser,donc, à une échelle planétaire, le style de vie américain, ennoblipar le progrès technologique et par l’industrialisation.

Le dispositif de développement sélectionne dans la complexitéde l’être une substance vivante – réductible à la sphère biolo-gique – vouée, par sa physiologie même, à la croissance, sansqu’aucune main intentionnée ait besoin de l’assister. En favoriserla culture illimitée signifie seconder un processus qui tire sa validitédu simple fait qu’il s’inscrit dans l’ordre naturel, ce qui le renduniversalisable et équivalent à une progression infinie sur la trajec-toire de dévoilement de l’authenticité de l’homme – mesurabledésormais sur l’échelle du PIB (Romano, 2003).

La « prétention de naturalité » implicite dans cette option(bio)politique se manifeste dans le postulat d’autodynamisme dessystèmes économiques, repérable aussi bien dans l’économie clas-sique (a fortiori néoclassique) que chez Marx et dans le marxisme(Latouche, 1986). Une fois archivée la base épistémologique parta-gée, le problème autour duquel tournent toutes les théories dudéveloppement est de savoir comment faire en sorte que lapropension innée des peuples à se développer se manifeste,

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 114

Développement 115

comment permettre au flux autodynamique de jaillir, en repérantles facteurs de déclenchement ainsi que les contraintes systé-miques, les freins politiques, les incrustations sociosymboliques quien empêchent l’épiphanie. Il émerge de ce cadre cinq déclinaisonsprincipales : le big-push, le paradigme de la modernisation, lesthéories de la dépendance, les approches pragmatiques, la critiquedu modèle occidental.

Selon la théorie du big-push (Rosenstein-Rodan, 1964), unedose massive d’investissements infrastructurels guidés par la mainpublique suffit en soi à déclencher l’explosion développementiste.Une fois qu’elle a eu lieu, la machine économique avance parautodynamisme et veille simplement à ce que le taux d’épargnesuive le rythme du besoin en capitaux (Harrod, 1948). Rostow(1960) porte le modèle théorique à son point culminant en propo-sant une vision évolutionniste établie sur un déterminisme techno-logique substantiel : en ce sens, toutes les sociétés humainespeuvent être réordonnées suivant une trajectoire unique scandéepar cinq stades de développement (la société traditionnelle, le pré-take off, le take off, le passage à la modernité, la consommationde masse).

Si les résultats de la reconstruction européenne donnent del’éclat à cette première famille de théories, les insuccès flagrantsdes politiques de développement dans les pays extra-occidentauxsusciteront de profonds changements d’opinion. Le paradigme dela modernisation – de type libéral – réduit le développement à unequestion endogène. Priorité est donnée à la lutte culturelle contreles instances sociosymboliques de la tradition, désignées commeétant les principales responsables de l’épanouissement développe-mentiste avorté. Le jeu théorique se résout donc par le repérage :1) des caractères traditionnels qui empêchent à la substance bioé-conomique de proliférer librement ; 2) de l’architecture imaginaire(anti)culturelle permettant de tolérer joyeusement les processus decroissance et les aspérités de la mise en valeur illimitée ; 3) desfacteurs qui contribuent le plus efficacement à répandre et enraci-ner ce genre d’architecture. Un modèle dichotomique s’imposequi, avec ses différentes accentuations, va s’installer dans leschéma parsonsien des variables structurelles : universalisme,spécificité, neutralité affective, esprit acquisitif, connotant l’anti-

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 115

Lexique de biopolitique116

culture moderne, opposées aux attitudes de particularisme, diffu-sion, affectivité, attribution, propres au régime traditionnel (Hose-litz, 1960 ; Germani, 1969).

Sur le terrain, les sociologues de la modernisation ont mâchéla besogne aux départements gouvernementaux pour la coopéra-tion internationale à travers des formes de « recherche-action »ante litteram. Ils s’emploient à la construction de thermomètrespsychosociaux grâce auxquels on peut repérer les facteurs institu-tionnels épidémiques qui contribuent le plus efficacement àrépandre dans la population le syndrome de modernité. Parmi lesexemples les plus connus : l’échelle d’empathie (Lerner, 1958), leNeed for achievement (McClelland 1961) et la OM-overall moder-nity-scale (Inkeles et Smith, 1974).

Bendix (1964), Moore (1967), Eisenstadt (1973) – pour n’enciter que quelques-uns – contribuent à épurer le paradigme de lamodernisation de ses rigidités dichotomiques excessives enmontrant, à travers une approche historique comparée, que lesprocessus de développement peuvent également être secondéspar des formes positives d’hybridation entre modernité et culturestraditionnelles : le décideur politique acquiert donc une impor-tance fondamentale (Hirschman, 1958).

Polémiquant avec la sociologie de la modernisation, les théo-riciens de la dépendance – de tendance post-marxiste – rétablis-sent la primauté de l’économique et des variables exogènes dansles processus de développement. Le sort d’un territoire est déter-miné par la place qu’occupe celui-ci dans le système internationalde division du travail. On ne reconnaît donc pas d’autonomie aupeuple : son caractère et son action deviennent insignifiants. Ladimension du conflit est ainsi transférée du rapport entre lesclasses à l’intérieur d’un pays au rapport entre les différents terri-toires de la planète. Les théories de la dépendance hébergent unegrande métaphore, celle des vases communicants : la richesse yfigure comme substance circulant au gré des parcours créés politi-quement au niveau du système-monde. Wallerstein (1974) donneun bon aperçu de l’approche, révélant la structure hiérarchique(centre, semi-périphérie, périphérie) de l’économie-monde ;Emmanuel (1972) dénonce l’escroquerie de l’« échange inégal »dérivant de la rémunération inégale des facteurs de production

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 116

Développement 117

(travail en tête) ; Frank (1969) pointe le doigt contre le piège de ladépendance technique.

Face à ce type de diagnostic, les thérapies proposées vont dela recherche de formes d’une interdépendance non hiérarchique(Brandt, 1979) à des hypothèses plus radicales de décrochage(Amin, 1985) du système-monde, qui annoncent la constructionde sociétés fondées sur la self-reliance (nous nous référons notam-ment à l’idée de progressive society développée par Galtung etcoll., 1977), c’est-à-dire sur un développement autonome, popu-laire, et avec des technologies « appropriées », qui réintègre defaçon créative les apports des communautés locales en vue d’unhorizon autogestionnaire.

Sous l’aura du contenu progressiste, critique et conflictuel, lesthéories de la dépendance donnent une nouvelle splendeur auxpostulats économicistes, rationalistes et évolutionnistes du déve-loppement, partiellement remis en question dans les théories de lamodernisation.

Avec la fin des Trente Glorieuses en Occident et après avoirconstaté l’effet désastreux des politiques de développement dansles pays tiers (révolutions socialistes comprises), on assiste, entreles années 1970 et 1990, à une implosion des grands paradigmesdu développement. De ces ruines émerge l’approche pragma-tique, composée de stratégies faites d’un bricolage théorico-poli-tique au profil bas, anesthésiées idéologiquement, qui puisentdans le grand patrimoine de réflexion accumulé au cours desannées précédentes. Parmi les propositions les plus significatives,on compte l’import-substitution (Leela, 1984), qui consiste pourl’État à créer les conditions d’une forte augmentation de laproduction industrielle de biens stratégiques, qui pèsent en entréesur les balances commerciales et dont le marché intérieur s’em-ploie à redistribuer les bénéfices auprès de la population grâce autrickle down effect (effet du « goutte-à-goutte »). Dans la triste-ment célèbre révolution verte (Randhawa, 1974), en revanche, laplace d’honneur est occupée par la question alimentaire, à laquelleon essaie, sous la conduite de l’État, de trouver une solution grâceà des interventions dans le domaine agricole, caractérisées par uneinnovation technologique sans scrupules qui mine lourdement lesrapports d’équilibre socio-environnementaux (Shiva, 1991). L’out-

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 117

Lexique de biopolitique118

ward looking est la stratégie adoptée avec succès dans les pays duSud-Est asiatique (Tomasi, 1991) : elle se base sur un libéralismeeffréné sur le marché intérieur (libéralisme qui se double d’undumping social et d’un autoritarisme politique) et sur des formesde protectionnisme dans les rapports avec l’étranger. L’État, enoutre, encourage les exportations grâce à des accords politico-commerciaux avec d’autres pays. Cela produit un phénomène de« croissance sans développement », c’est-à-dire une simpleaugmentation de la quantité des biens produits au détriment duprogrès civil et de la justice sociale. Le renoncement aux ambitionsoriginelles du développement est particulièrement flagrant dans lastratégie des basic needs : la foi dans un destin magnifique etprogressif cède le pas à des tentatives bien plus douces visant àassurer à chaque individu un bagage minimum de nourriture,habillement, logement, etc. L’acharnement biopolitique se mani-feste à un degré extrême dans le recrutement de nutritionnistespour établir la quantité de calories nécessaires à la survie humainedans les différents contextes environnementaux. La stratégies’auto-ennoblit en prévoyant un autre niveau d’intervention sur lesentitlements, c’est-à-dire les droits d’accès aux services publics,l’insertion dans les processus décisionnels démocratiques. C’estdans ce cadre que se situe la prolifération des formes adjectivalespour le terme de développement (Latouche, 2004) : durable (il faitréférence, dans un premier temps, à la sauvegarde du bien-êtredes générations futures – Commission mondiale sur l’Environne-ment et le Développement, 1987), humain (il tient compte denouvelles dimensions comme la santé, l’éducation, l’alimentation,synthétisées par l’UNDP dans le Human development index), écolo-gique (ultérieurement décliné sous la formule de « développementsans croissance » – Daly, 1996) et encore social, solidaire, local,autonome, etc.

En opposition aux replis pragmatiques interviennent les filonsd’une critique radicale contre le modèle de développement occi-dental. Paradoxalement, ce sont surtout les économistes qui inau-gurent ce climat. Hirsch (1976) en dénonce la vocationautodestructive : la centralité de l’éthique du succès expose lemodèle à des paradoxes insurmontables. La promesse d’unevictoire pour tous ne peut être réalisée à cause de ce qu’il appelle

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 118

Développement 119

lui-même la rareté sociale. Quand bien même le problème de larareté économique serait résolu, en effet, il est impossible degarantir à tous l’accès aux biens positionnels, condition sine quanon du prestige social. Le prix Nobel Amartya Sen (1997) seconcentre sur l’insuffisance de l’idéologie utilitariste dans l’acqui-sition des biens collectifs. L’agir social égoïste ne permet pas d’ob-tenir et de sauvegarder les biens publics. Il suggère un typed’altruisme fonctionnel, non normatif, qui implique un retour àdes formes limitées et volontaires de contrainte. Sur ce versant, lacritique anti-utilitariste proposée par le groupe du MAUSS

– Mouvement anti-utilitariste dans les sciences sociales –(Romano, 2005a) et incarnée, pour ce qui est du thème spéci-fique du développement, par Serge Latouche (1986 ; 1989), estplus radicale. Celui-ci met l’accent sur le concept de décultura-tion, le processus par le biais duquel les sociétés extra-occiden-tales sont privées de leur propre habitus culturel, par lequel ellesdécouvrent qu’elles sont incapables de gérer de façon autonomele rapport avec la nature et qu’elles sont réfractaires à touteforme de dynamisme. Plus récemment, ce même auteur a encou-ragé la stratégie de décroissance (Latouche, 2004) qui vise à uneréversion radicale du processus de croissance économique àtravers la création de cellules de simplicité volontaire fondées surle principe de convivialité (Illich, 1973).

Onofrio Romano

Voir : Biopolitique, Capital humain, Disciplines, Durabilité, Empowerment,Gouvernementalité, Normalisation, Oïkonomie, Population, Pouvoirpastoral.

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 119

DIFFÉRENCES

Parmi les multiples constellations de concepts qui, dans laseconde moitié du XXe siècle, ont caractérisé le développement dessciences humaines et sociales et de l’histoire des idées – qui se sontsouvent traduites par des pratiques gouvernementales, par despratiques de résistance contre le pouvoir de l’État aux niveaux natio-nal et supranational ou par des pratiques de contre-conduite – ontrouve bien évidement la question controversée de la « différence »,qu’elle s’exprime en termes généraux ou sous ses deux formes lesplus explicites : la forme sexuelle et la forme culturelle.

S’il faut tracer une généalogie, mieux vaut partir de troistextes (publiés en France mais très vite traduits dans denombreuses langues) qui ont constitué la matrice philosophiqueoriginale et générale du concept de différence. Nous nous réfé-rons, par ordre chronologique, à L’écriture et la différence deJacques Derrida (1967b), Différence et répétition de Gilles Deleuze(1968) et Marges de la philosophie, également de Derrida (1972).Pour ces deux auteurs, la « différence » se produit à partir d’unmouvement linguistique, à partir d’un glissement sémantique etphilosophique qui conduit au-delà du Sujet entendu comme iden-tité fixe (qu’elle soit individuelle ou collective), cristallisée et immo-bile. Cependant, ils prennent tous les deux appui sur des traditionsphilosophiques très différentes les unes des autres et leurs théma-tisations auront elles aussi des résultats très disparates, que ce soiten Europe ou aux États-Unis. Derrida se range en effet, du moinsdans cette phase de sa production, parmi les interprètes européensde la pensée de Martin Heidegger, de la psychanalyse freudienne,mais aussi de la tradition phénoménologique, allant jusqu’àtraduire cette tradition d’études par un nouveau courant épisté-mologique connu sous le nom de « déconstructionnisme ». Ce

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 120

Différences 121

déplacement conduira Derrida à dépasser la tradition métaphy-sique, dont il était lui-même parti, pour tenter une lecture de sonétat de dissolution actuel, du moins pour ce qui est des idéologieset des traditions philosophico-culturelles qui avaient dominé lapremière moitié du XXe siècle et qui en avaient irrémédiablementmarqué le cours. En effet, à partir d’un certain moment, le décons-tructionnisme deviendra une éthique outre qu’une philosophie dulangage tendant plutôt à investiguer les interstices théoriques etsociaux de l’ère postcommuniste et postmoderne.

Deleuze, en revanche, lorsqu’il écrit Différence et répétition, acomme compagnons de voyage les plus grands auteurs du struc-turalisme français (Althusser, Foucault, Lacan) mais c’est aussi etsurtout de Nietzsche que son œuvre se nourrit et tire son énergievitale. Deleuze, contrairement à Derrida, ne sortira jamais de lapolitique, ne traduira pas la fin des idéologies universalistes en uneéthique du fragment. Presque à l’opposé, sa production théoriquesemble s’être orientée vers la consolidation d’une ontologie del’actualité faite de concepts et d’affects appelés à demeurer au-delà de l’« Histoire », au-delà de la modernité et au-delà de ses« Sujets » principaux, sans toutefois devoir nécessairement lesdissoudre ou les déconstruire.

L’enjeu de la différence lue et thématisée par Derrida est àrechercher, comme nous l’avons déjà dit, dans L’écriture et la diffé-rence (1967b). Cependant, ce n’est qu’en 1972, avec la publica-tion de Marges de la philosophie, que l’on aura une thématisationplus approfondie du concept en question. « Le mot différence(avec un e), écrit-il, n’a jamais pu renvoyer ni au « différer »comme temporisation ni au « différend » comme polemos. C’estcette déperdition de sens que devrait compenser – économique-ment – le mot différance (avec un a) […]. Le a provenant immé-diatement du participe présent (« différant ») et nous rapprochantde l’action en cours du « différer », avant même qu’elle ait produitun effet constitué en « différent » ou « différence » (avec un e) »(Derrida, 1972). La différance ne se produit donc que dans lamesure où elle provoque un déplacement, un sursis, une tempori-sation, un espacement, un glissement actif et passif qui remet enquestion le système linguistique, « l’autorité de la présence ou deson simple contraire symétrique » (ibid.). C’est un mouvement

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 121

Lexique de biopolitique122

linguistique qui produit des effets de différence, mais ces diffé-rences ne sont pas codifiables. Selon Derrida, les différencesproduites par le mouvement de la différance ne peuvent être quedes traces, jamais des symboles qui, au contraire, renverraient àune organisation systémique et close du langage, des tracesconscientes et inconscientes. En résumé, la différance, quand bienmême elle resterait liée au rapport dedans/dehors ouconscient/inconscient, ne se déploie que si elle ouvre, que si elleproduit des traces qui diffèrent sans se constituer en différencessymboliquement et constitutivement données.

La différence entendue comme produit du rapportdedans/dehors ou conscient/inconscient ne subsiste pas dans l’éla-boration que fait Deleuze du concept dans Différence et répéti-tion. Pour lui aussi, la différence est plutôt un signe qu’unsymbole, mais qui est seulement déplacé sur la puissance imma-nente du « dehors ». Le symbolique qui, dans la psychanalyse laca-nienne (dans laquelle Deleuze lui-même puisera souvent au coursde ces années-là), intervient comme troisième élément à côté duréel et de l’imaginaire, risque cependant de rester endigué dans lalogique du pour-soi s’il ne devient pas signe, c’est-à-dire, s’il nedevient pas un mouvement tendu vers le « dehors », au-delà de laconception statique de l’être. Et le mouvement n’est ici ni opposi-tion ni médiation mais mouvement en soi.

Le signe – contrairement au symbole – est corps, chose,instance positive et affirmative qui devient sans être, car il ne semanifeste pas pour s’opposer au négatif ou pour le transcender.Sa fugacité, son insaisissabilité ne peut que se faire capturer ettransporter par le dehors, nous dirions même qu’il est le dehors,car aucune pensée ni même aucun signe ne peut « se précéder lui-même » (Deleuze, 1968). Pour Deleuze, la différence ne peut doncpas se codifier dans la constitution d’un ordre symbolique dudiscours, parce qu’à travers celui-ci et avec celui-ci on peut seule-ment se représenter comme dans la meilleure tradition de lapensée transcendantale. La différence est immanence, elle est unobjet=x, un signifiant fluctuant et excédentaire, un signe-événe-ment qui, en se déployant, outrepasse toute forme opposante,binaire et dialectique jusqu’à devenir singularité. La différence estsurtout la production de rapports différentiels et multiples en-soi

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 122

Différences 123

et non pour-soi, qui échappent continuellement à la Loi et au prin-cipe d’Autorité, lequel voudrait, en revanche, les réduire et les plierà l’ordre donné par les savoirs-pouvoirs ou à une conception natu-raliste et originelle de l’homme et de la femme. Ces rapportspeuvent aussi se répéter, revenir, mais uniquement selon la logiquede l’éternel retour : « Le caractère sélectif de l’éternel retour appa-raît nettement dans l’idée de Nietzsche : ce qui revient, ce n’estpas le Tout, le Même ou l’identité préalable en général. Ce n’estpas davantage le petit ou le grand comme parties du tout nicomme éléments du même. Seules reviennent les formesextrêmes – celles qui, petites ou grandes, se déploient dans lalimite et vont jusqu’au bout de la puissance, se transformant etpassant les unes dans les autres. Seul revient ce qui est extrême,excessif […] » (ibid.).

Immédiatement après la publication de ces textes, la diffé-rence s’est traduite et déclinée en pratiques de contestation et derésistance contre l’ordre capitaliste et patriarcal (Negri, 2005), enéthiques, en formes de vie (dans le sens de Bìos), allant mêmejusqu’à contaminer la politique et le statut épistémologique depresque toutes les sciences humaines et sociales.

Pour ce qui est de la différence sexuelle, Éthique de la diffé-rence sexuelle de Luce Irigaray peut sans aucun doute être consi-déré comme le texte fondateur par excellence. Publié en1984-1985 en France et en Italie, empreint de l’heureux heideg-gerianisme de l’époque et polémique envers la dialectique dumaître et de l’esclave de Hegel, ce texte s’impose immédiatementsur la scène comme un projet philosophique, social et politique degrande importance. Le saut paradigmatique qu’accomplit LuceIrigaray outrepasse l’émancipationnisme théorisé et pratiqué parSimone de Beauvoir et devient, justement, éthique de la différencesexuelle, c’est-à-dire appropriation d’un nouvel horizon de valeurscapable de révolutionner la pensée et les pratiques politiques :« Tout est à réinterpréter dans les relations entre le sujet et lediscours, le sujet et le monde, le sujet et le cosmique, le micro etle macrocosme » (Irigaray, 1984). Selon Luce Irigaray, la différencesexuelle est « féconde », elle renvoie autrement dit à cette enve-loppe-corps féminine qui est capable de créer, de mettre aumonde et de construire des relations d’amour « terrestres et

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 123

Lexique de biopolitique124

célestes ». La conformation physique du corps de la femme est àelle seule, de par sa nature et sa culture, ouverte à l’autre mais,pour qu’il puisse y avoir aussi déploiement dans le monde commeprojet politico-culturel il faut, selon Luce Irigaray, que cette diffé-rence réalise le saut de la prise de parole directe des femmes :Socrate ne doit plus donner la parole à Diotime, c’est Diotime quidoit la prendre (ibid.). C’est ainsi que le corps, la vie nue (Zôé)devient aussi forme de vie (Bíos). Cependant, c’est toujours d’unedifférence biologique et originelle des femmes (dans le sens dugeste originel biblique ou naturaliste) que part Luce Irigaray pourpenser aussi une façon différente de gérer les rôles sociaux et lesmodalités d’échange avec les hommes et le reste du monde.

L’une des plus fidèles interprètes de la pensée de Luce Irigarayen Italie a sans aucun doute été Luisa Muraro. Ses textes les plusimportants, ainsi que le projet philosophico-politique Diotima, ontaffiné et élargi une partie des thématiques soulevées par l’œuvreirigarayenne pour se traduire, à leur tour, par une nouvelle façond’entendre le langage, la philosophie, la culture et la politique, quel’on peut plus ou moins condenser dans les points suivants : lafemme entendue comme « autorité », qui s’accomplit à partir dece qu’elle ressent à l’intérieur d’un « ordre symbolique » attri-buable à la figure de la Mère ; la « connaissance du “partir desoi” », un soi qui, « mettant le monde au monde », prévaut surl’ordre social patriarcal lequel, en revanche, ne se donne quecomme projet culturel et social, même s’il continue, de ce faitmême, à marquer les étapes fondamentales de l’histoire, surtoutde celle qui est liée au marxisme ; la recherche continuelle d’uneliberté et d’un ordre transcendantal allant au-delà des processusde libération dont est imprégnée, au contraire, la pensée émanci-pationniste (Muraro, 1991 ; Diotima, 1990, 1992, 1995, 1996). Ilexiste une interprétation de l’éthique de la différence sexuellerésolument plus décalée vers une analyse des métamorphosessociales et culturelles de notre présent, fortement hybridée par lapensée de Deleuze et Guattari et radicalement éloignée de touttype de dérive « essentialiste » ou transcendantale : c’est cellequ’a proposée Rosi Braidotti. Pour elle, le féminin se situe aujour-d’hui au même niveau que la figure du migrant mais aussi dessubjectivités hybrides et métisses, tant du point de vue du corps

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 124

Différences 125

transformé par les biotechnologies (Haraway, 1991) que de celuide l’hybridisme et du nomadisme culturel (Braidotti, 2002a). L’ex-cédent féminin et nomade, dans le monde globalisé actuel, nepeut se « présenter » que s’il cesse de se « représenter » à traversune figure précise de l’être et s’il commence à devenir, sans perdrede vue l’irréductible matérialité de son propre corps et de sa propreexpérience (Braidotti, 2002b ; Posse, 2003). Le devenir, pourDeleuze comme pour Rosi Braidotti, n’implique pas la fuite abso-lue hors du genre ; au contraire, comme au jeu de dés, le corpsdifférent, vivant et excédentaire, ne se déploie que s’il active (ets’active dans) un processus multiple et pluriel, exactement commedans le modèle lacanien de la case vide ou de l’objet=x (ibid.). La subjectivité féminine, « multicentrique et différenciée en sonsein » même si elle ne tombe pas dans le relativisme ou la frag-mentation (Braidotti, 2005), est toujours « mère », mais son corpsacquiert une valeur biopolitique dans la mesure où il prend àcontre-pied et excède l’ordre symbolique du dualisme originel etnaturaliste. Le corps porteur de vie n’est pas un corps éthique etmoral. Il ressemble davantage à un corps monstrueux qui excèdeen soi, par sa puissance immanente, joyeuse et désirante, toutordre donné ; un corps hors norme qui, en tant que tel, viole lesrègles de la domination, produisant ainsi un exode de celle-ci(ibid. ; Bascetta, 2004).

Le débat sur la différence culturelle, quant à lui, a surtoutimpliqué la sociologie et l’anthropologie culturelle, qui sont appe-lées aujourd’hui à lire et interpréter les signes des sociétés globaleset postcoloniales. Mais, la différence culturelle en tant que « parti-cularisme » qui résiste aux valeurs universalistes de l’Occident enrevendiquant des formes spécifiques de reconnaissances identi-taires, n’est pas exempte de critiques. Bien au contraire. La cultured’appartenance est toujours une identité sociale qui, au cours dela dernière décennie surtout, a souvent été utilisée pour construiredes « modèles » de société politiquement corrects, comme c’est lecas, par exemple, avec ce qu’on appelle le « multiculturalisme ».Le concept d’identité culturelle, qu’il soit individuel ou collectif, esttoujours lié à un « essentialisme » de fond, qui suppose unesubstance ou quelque chose de fixé, de stable qui, à son tour,suppose toujours une construction sociale à travers laquelle on se

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 125

Lexique de biopolitique126

raconte et on raconte les autres (Melucci, 2000). Même si lesmodèles « multiculturels » présentent aujourd’hui un certainnombre de nuances – qui vont du modèle radical et différentialisteau modèle modéré, selon lequel la reconnaissance culturelle nepeut pas ne pas tenir compte de l’universalisme de certains droitsfondamentaux, jusqu’au modèle communautariste et sécession-niste –, il reste une interrogation de fond : est-il possible de défi-nir statiquement les cultures qui participent de la vie politiqued’une société ? Et surtout, quelles possibilités peuvent avoir lesindividus, les formes excédentaires de l’être au monde, d’échapperà une appartenance culturelle donnée ? De nombreux auteurs,parmi lesquels Bauman, Balibar, Wiewiorka et bien d’autresencore, sont intervenus dans le débat en cours pour soulignercomment le multiculturalisme risque aujourd’hui de devenir uneforme d’autoghettoïsation, une légitimation des dérives commu-nautaristes, une tentative sournoise de mettre en place les formesd’un racisme culturaliste ou différentialiste.

Là aussi, comme dans le cas de la différence sexuelle et degenre, le problème serait posé de manière tout à fait différente sil’on partait de la supposition que les cultures sont différentes ensoi et non pas pour soi. Toujours différentes, car inévitablementinsérées dans un processus dont les stratifications historico-sociales ne peuvent que s’hybrider et se métisser (Petrosino, 2004).De ce point de vue, l’œuvre, entre autres, de Gayatri ChakravortySpivak : A Critique of Post-Colonial Reason (1999), peut paraîtreexemplaire. L’auteure, Indienne émigrée aux États-Unis, est uneféministe qui critique le féminisme d’origine eurocentrique etl’époque postcoloniale dans laquelle nous sommes plongés ; sestravaux ont toujours pour hypothèse méthodologique l’interdisci-plinarité associée à une prise de parole directe extrêmement radi-cale et politique (du côté des luttes et non pas des pratiquesgouvernementales) quant à ce qu’elle définit elle-même commeun « présent en dissolution (Vanishing Present) ». G. C. Spivak partelle aussi du langage, et elle est également marxiste, d’unmarxisme qui va au-delà de Marx lui-même dès lors qu’il se greffesur les textes de Derrida et de Foucault. Son œuvre – et elle-mêmefinalement – font encore une fois la « différance », qui n’estentendue ici, cependant, que comme pratique de résistance au

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 126

Différences 127

biopouvoir global et aux innombrables signes de la dominationqui, aujourd’hui contrairement à hier, sont « de toutes lescouleurs » (Spivak, dans Mezzadra, 2003) et, ajouterons-nous, detous les sexes. La différence ne peut redevenir révolutionnaire quesi elle réussit à abandonner une partie de son passé en se trans-formant en un excédent-monstre ou en s’hybridant avec les milledérivations théorico-pratiques ouvertes par le présent.

Anna Simone

Voir : Assujettissement/subjectivation, Corps, Racisme, Résistance(pratiques de), Singularités, Zôé/bíos.

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 127

DISCIPLINES

Une abondante littérature de commentaire de la pensée deMichel Foucault s’accorde à voir trois phases dans la trajectoireintellectuelle complexe du philosophe (Sorrentino, 2005 ; DalLago, 1997 ; Dreyfus et Rabinow, 1984).

La première phase s’oriente vers une reconstruction archéolo-gique des pratiques discursives qui définissent historiquement lesconditions rendant possible la construction de formes spécifiquesde savoir sur la société. À l’opposé, la dernière phase s’articuleautour du thème de l’éthique et des « pratiques de soi » grâceauxquelles les individus se produisent eux-mêmes comme sujets.Mais c’est le moment intermédiaire de la biographie intellectuellede Foucault – plus précisément la période entre 1970 et1979 – qui nous intéresse ici ; c’est dans ces années-là, en effet,que la recherche foucaldienne se tourne vers une enquête généa-logique sur le pouvoir, au cours de laquelle mûriront ses hypo-thèses sur la société disciplinaire. Il s’agit non pas d’une« histoire » – narration linéaire et dense de changements histo-riques sous l’égide d’une raison progressiste et qui assigne à dessujets universels (la bourgeoisie, le prolétariat) la tâche de trans-former le monde – mais d’une généalogie « grise, méticuleuse,patiemment documentaire » du pouvoir, capable de « repérer lasingularité des événements, hors de toute finalité monotone »(Foucault, 1971).

La généalogie permet d’interroger les transformations desdispositifs d’assujettissement des individus en retrouvant le fil quilie chaque « économie » implicite aux modalités historiques del’exercice du pouvoir, et cela non pas en partant de ce que l’histo-riographie considère comme suffisamment important pour êtreinclus dans la partition d’une mémoire historique partagée, mais,

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 128

Disciplines 129

au contraire, en suivant « le discours anonyme, le discours de tousles jours, toutes ces paroles écrasées, refusées par l’institution ouécartées par le temps […] ce langage à la fois transitoire et obstinéqui n’a jamais franchi les limites de l’institution littéraire […] »(Foucault, 1973b).

Pour déchiffrer le singulier entrelacs de stratégies, de tech-niques et de rationalités qui définit la trame de la domination, une« théorie » du pouvoir n’est pas nécessaire, puisque, comme le ditFoucault, « le pouvoir, ce n’est pas une institution, et ce n’est pasune structure, ce n’est pas une certaine puissance dont certainsseraient dotés : c’est le nom qu’on prête à une situation stratégiquecomplexe dans une société donnée » (Foucault, 1976a). Non pasune théorie, donc, mais une analytique du pouvoir : reconstructiongénéalogique – tournée vers le passé certes, mais dans le but d’in-terroger de façon critique le présent – du déploiement des diffé-rentes technologies de l’exercice du pouvoir et des façons dontcelui-ci multiplie les asymétries entre les individus, en s’insérant àl’intérieur d’institutions déterminées qui, toutefois, n’en épuisentpas le sens. Le noyau du projet foucaldien consiste alors en unetentative de tracer une « cartographie » des technologies depouvoir permettant de déchiffrer l’économie interne des différentesformes d’assujettissement qui ont marqué la modernité.

Cette analytique du pouvoir prend forme dans Surveiller etpunir (1975), travail qui représente une systématisation desréflexions développées depuis longtemps par l’auteur dans sescours au Collège de France. On a dit que Foucault réfutait toutethéorisation globale du pouvoir dont il considérait les transforma-tions comme autant de chapitres d’une plus vaste philosophie del’histoire. Cependant, l’analyse du pouvoir – et notamment de ladisciplinarité en tant que technologie politique particulière ducorps – n’absolutise pas l’approche généalogique au point d’ex-clure de son propre horizon les grands événements de la moder-nité, plaçant presque les pouvoirs dans une dimensiondés-historicisée : au contraire, des conditions historiques spécifiquesrendent possible le déploiement de pratiques de pouvoir détermi-nées, en en reconfigurant l’économie et la rationalité internes.

Ainsi Foucault place-t-il l’affirmation de la disciplinarité dansle contexte d’une transition plus large qui, entre les XVIIe et

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 129

Lexique de biopolitique130

XVIIIe siècles, a vu se dissoudre un modèle de pouvoir « souve-rain » – articulé, en fait, autour d’un principe d’autoconservationdu monarque qui se maintient en détruisant quiconque attente àl’absoluité de ses prérogatives – au bénéfice d’une nouvelle« science de gouvernement » tournée vers la gestion productivedes populations, des ressources et des territoires. Foucault définitce nouvel art de gouvernement comme « l’ensemble constitué parles institutions, les procédures, analyses et réflexions, les calculs etles tactiques qui permettent d’exercer cette forme bien spécifique,bien que complexe, de pouvoir, qui a pour cible principale la popu-lation, pour forme majeure de savoir, l’économie politique, pourinstrument technique essentiel les dispositifs de sécurité » (1978c).La transition de la souveraineté-pouvoir (qui interdit) à la gouver-nementalité et à la biopolitique en tant que pouvoir (qui régule,ordonne et dispose) esquisse donc un changement fondamental :la transcendance du souverain est supplantée par l’immanenced’un gouvernement capable d’agir de l’intérieur sur les processusqu’il régule.

C’est dans ce contexte que prend forme la microphysique dupouvoir disciplinaire : la « raison punitive » – dont Foucault entenddessiner généalogiquement les vicissitudes historiques à partir dela molécularité des pratiques et des stratégies – s’inscrit dans lesillage de la transition de la souveraineté à la gouvernementalité età la biopolitique, participant de leurs économies de pouvoirrespectives. Ainsi la rationalité punitive du pouvoir souverain secondense-t-elle dans la brutalité du supplice consommé sur laplace publique : un rituel punitif guidé par un minutieux « codejuridique de la douleur » qui permet de mettre en scène l’étrange« art de retenir la vie dans la souffrance » (Foucault, 1975). Dansle supplice, le corps du condamné s’offre en tant que surface devisibilité totale du pouvoir : la violence s’y exerce, libre de toutelimite, en le martyrisant afin que dans les signes du corps marquéresplendisse l’absoluité du pouvoir et que résonne dans les plaintesdu supplicié la vengeance du souverain. Le corps, au cours d’unecérémonie aux cadences liturgiques, est savamment détruit : lavérité du crime – acte qui, lésant les sujets ou leurs biens, est uneoffense directe faite au roi puisque les uns et les autres sont sespropriétés – émerge d’une lente agonie démultipliée en « mille

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 130

Disciplines 131

morts » (ibid.), dont chacune en appelle à la foule des sujets, quidoivent être les témoins de la lutte inégale entre pouvoir et corps.

Mais ce rituel – faisant écho aux vicissitudes du système depouvoir sur lequel il repose – révèle progressivement une « dés-économie » interne : comme le pouvoir souverain dont il émane,le supplice est discontinu et lacunaire ; il suscite des réactionsimprévisibles dans les foules qui se pressent aux pieds du bour-reau ; il dissipe des ressources, puisqu’il détruit des corps qui pour-raient être utilisés différemment ; il n’arrive pas à s’insinuer dans lafine trame des rapports entre les individus, puisqu’il reste aucontraire en dehors de la population et de ses dynamiques ; il selimite à imprimer dans l’esprit des sujets des images terrifiantes quis’évanouissent facilement. Mais, surtout, ce rituel punitif estinadéquat face aux processus de transformation susmentionnés : àla fois excessif et inefficace, aussi bien quant aux changementséconomiques en cours (la lente mais inexorable affirmation ducapitalisme) que du point de vue de la rationalité gouvernemen-tale émergente, le supplice cède du terrain en faveur d’une tech-nologie politique du corps différente, qui va redéfinir l’économiedu châtiment.

Selon Foucault, c’est presque subrepticement que les indivi-dus à punir ne vont plus être suppliciés : d’une manière bien plusdiscrète et efficace, ils vont être incarcérés. En effet, ils formentune population que les technologies naissantes de la disciplinepeuvent façonner, modeler, transformer en sujets utiles, c’est-à-dire en une force de travail prête être injectée dans le dispositif dela production capitaliste : « Le corps n’a plus à être marqué ; il doitêtre dressé et redressé ; son temps doit être mesuré et pleinementutilisé ; ses forces doivent être continûment appliquées au travail »(Foucault, 1973c).

C’est à l’intérieur des lieux d’internement que s’effectuera lepassage du « code de la douleur » à une très raffinée « anatomiepolitique du détail ». Les dispositifs disciplinaires vont encore unefois se fixer sur le corps mais en des termes radicalement différentsde ceux qui prévalaient sur la scène du supplice : « Le momenthistorique des disciplines, c’est le moment où naît un art du corpshumain qui ne vise pas seulement la croissance de ses habiletés, ninon plus l’alourdissement de sa sujétion mais la formation d’un

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 131

Lexique de biopolitique132

rapport qui dans le même mécanisme le rend d’autant plus obéis-sant qu’il est plus utile, et inversement » (Foucault, 1975). Dansl’affirmation de la disciplinarité et de ses pratiques d’observation etde correction, entre violemment en jeu la surveillance qui, dans lerituel punitif du supplice, détermine un renversement de l’écono-mie de visibilité implicite. Ce n’est plus le corps qui rend visible lepouvoir mais ce sont, au contraire, les mesures disciplinaires quivont transformer le corps en une surface complètement obser-vable, capturant ses gestes, ses positions et ses attitudes dans undispositif de visibilité absolue – le Panopticon.

Beaucoup plus qu’une simple structure architecturale – dontle projet remonte à Jeremy Bentham, un projet qui, du reste, ne futjamais réalisé comme l’auteur l’aurait souhaité – le Panopticon,« c’est le diagramme d’un mécanisme de pouvoir ramené à saforme idéale […] ; c’est en fait une figure de technologie politiquequ’on peut et qu’on doit détacher de tout usage spécifique »(Foucault, 1975). Il n’y a donc pas que les prisons ou les autresinstitutions totales, dans lesquelles il s’agit de contenir des popu-lations déterminées, qui seront panoptiques. C’est la société dansson ensemble qui sera panoptique – une société innervée par unetrame carcérale qui multiplie les « maisons d’inspection ». Usines,écoles, hôpitaux, asiles et hôpitaux psychiatriques sont autantd’éléments d’un quadrillage de l’espace, à l’intérieur duquel lestechnologies disciplinaires peuvent disposer, distribuer et organiserles corps selon un principe d’accroissement des forces. En s’entre-mêlant avec l’économie singulière de visibilité que le dispositifpanoptique imprime aux espaces délimités – en premier lieul’usine –, les technologies disciplinaires s’allient aux processus deconsolidation de l’économie capitaliste pour plier les corps auxespaces et aux temps de la valorisation économique : « Lapremière fonction était d’extraire le temps, en faisant que le tempsdes hommes, le temps de leur vie se transformât en temps detravail. La seconde fonction consiste à faire que le corps deshommes devienne force de travail » (Foucault, 1974).

La constitution de la société disciplinaire entretient donc unrapport d’interdépendance solide avec l’affirmation de la société-usine, c’est-à-dire, avec le développement d’un appareil productiffondé sur la répartition rationnelle de la force de travail à l’intérieur

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 132

Disciplines 133

d’un espace de production rigidement délimité. La synchronisationdes gestes, la régulation des masses d’individus, le rapportcorps/machine sont des éléments qui illustrent la rationalité écono-mico-disciplinaire particulière qui s’affirme avec la consolidation ducapitalisme industriel.

Reste alors à se demander si – face aux transformations quifrappent l’économie capitaliste depuis la fin du XXe siècle, sous lesigne de la mondialisation et de la simultanéité, induisant uneprofonde reconfiguration spatio-temporelle de la production et dela vie elle-même, qui fait voler en éclats le quadrillage de lasociété – ne sont pas en train d’émerger des technologies poli-tiques inédites qui projettent les pouvoirs, mais également les résis-tances qui s’y opposent, dans une dimension « postdisciplinaire ».

Alessandro De Giorgi

Voir : Assujettissement/subjectivation, Biopolitique, Bodybuilding, Camps,Contrôle social, Corps, Empowerment, Gouvernementalité, Norma-lisation, Résistance (pratiques de), Sécurité, Travail/non-travail.

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 133

DURABILITÉ

Le concept de durabilité est habituellement mis en relationavec celui de développement durable, qui s’affirme à partir dumoment où l’on constate une crise globale de l’environnement,et il semblerait qu’il soit apparu pour la première fois dans lefameux Rapport Brundtland où il est défini comme « un mode dedéveloppement qui répond aux besoins du présent sans compro-mettre la capacité des générations futures de répondre auxleurs » (Brundtland 1987).

La stratégie du développement durable consiste à ajuster lemodèle économico-financier actuel afin qu’il puisse continuer àprogresser. La durabilité du développement dans le temps estpoursuivie grâce à un ensemble de moyens – technologiques,économiques, politiques – et de stratégies, dont fait partie unecertaine sauvegarde de la nature, entendue comme un réservoir deressources à utiliser de façon plus rationnelle afin d’augmenterl’efficacité économique elle-même. Ainsi le développementdurable pourrait-il être vu comme une perspective qui accueille lessuggestions de l’écologisme scientifique et son « éco-efficien-tisme » en utilisant un « quota » de progrès technique pour conte-nir les dégâts du développement et réaliser des technologies« douces » (par exemple des équipements qui réduisent l’émissionde gaz toxiques ou des supports informatiques qui limitent legaspillage de papier) pour pouvoir en somme perpétuer les stylesde vie actuels sans détériorer l’environnement.

Cette vision semble être partagée par un certain nombre deforces politiques et économiques, au niveau international etnational : Conférence mondiale de Stockholm sur l’Environne-ment Humain (1972) ; Commission mondiale sur l’Environne-ment et le Développement (1987) ; Conférence mondiale sur

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 134

Durabilité 135

l’Environnement et le Développement de Rio de Janeiro (1992) ;Sommet mondial sur le Développement durable de Johannes-burg (2002) ; partis des Verts ; management éthique et écolo-gique, pour lequel la défense de l’environnement est un pointde force d’entreprise et une stimulation pour les affaires (Marra,2002).

L’approche théorique officielle du développement durable estcritiquée pour ses ambiguïtés par ceux qui opposent à ce conceptcelui de durabilité tout court. Selon ce point de vue, les ressourceslimitées rendent impensable la production indéfinie des modes devie occidentaux fondés de toute façon sur l’utilisation de grandesquantités de matières et d’énergie. Afin que le développementpuisse se perpétuer dans le temps, il est donc plus ou moins impli-citement nécessaire de le limiter au niveau spatial, géographiqueou social, en excluant certains peuples et en en privilégiantd’autres. Dans les documents officiels, le développement n’estdéfini comme durable que s’il respecte des paramètres de crois-sance économique, de justice sociale et de défense de l’environ-nement (World Bank, 1992). Mais, selon les critiques, on se rendbien vite compte qu’il est difficile de satisfaire pleinement et simul-tanément les trois paramètres, si bien qu’au total, on finit inévita-blement par sacrifier le deuxième et le troisième pour ne respecterque le premier, en protégeant partiellement les ressources natu-relles, en encourageant le développement pour certaines sociétésseulement et en en négligeant d’autres, dont les ressources serontpillées de toute façon. L’exemple que les critiques invoquent estcelui concernant la fabrication des instruments « éco-efficients »requérant l’utilisation de minerais souvent extraits dans des paystrès pauvres qui, bien que fournissant ces matières premières,restent presque toujours exclus non seulement du développementmais aussi de la sauvegarde de l’environnement et de l’utilisationmême des produits finals. Par exemple, la production d’instru-ments de haute technologie (PC, micro-puces) demande l’utilisa-tion de métaux souvent toxiques (cadmium, plomb, mercure,chrome) et de combustibles fossiles (pétrole, gaz naturels) le plussouvent extraits et travaillés dans des pays du Sud et de l’Est,lesquels, même s’ils ne profitent pas ou ne profitent que dans unemoindre mesure de ces produits sophistiqués, subissent des

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 135

Lexique de biopolitique136

dommages environnementaux (pollution, maladies) et sociaux(appauvrissement, étouffement des mouvements de libération pardes multinationales qui financent des gouvernements fantoches etcomplaisants).

De ce point de vue, donc, le développement durablecomporte le risque que se crée un biopouvoir écologiste et « effi-cientiste » capable de ne défendre, en vérité, avec ses technolo-gies « éco-efficientes », que certaines sociétés. Partant, lespromoteurs de la durabilité tendent à élaborer moins un ajuste-ment du modèle économico-financier actuel et de ses hautsniveaux de vie qu’une perspective éthico-politique où il seraitpossible de mesurer la richesse et le bonheur au nombre de chosesque l’on est capable de laisser tomber. Ils proposent de « résisterau développement » et de s’autolimiter pour garantir un accèsplus égalitaire et plus large aux biens nécessaires à la survie et deplus grands espaces d’autonomie sociale. Relativement à cetteidée de durabilité, ce qui joue un rôle fondamental c’est le soucide donner aux communautés locales la possibilité de disposer deleurs propres ressources et de conserver leurs propres cultures, endéfendant la diversité et la richesse de leurs écosystèmes et deleurs savoirs, en élaborant et renforçant des formes autonomes dedémocratie, d’auto-organisation et de coopération (Sachs, 1999 ;Shiva, 1990, 1993, 2002).

Une élaboration plus poussée du concept de durabilité verraitdans cette dernière un « état stationnaire » remplaçant la « crois-sance sans développement », c’est-à-dire la croissance (démogra-phique, économique, technologique, financière) quantitative etillimitée propre à la re-production économiciste de la société, parun « développement sans croissance », c’est-à-dire un développe-ment (humain, moral, technico-écologiste) qualitatif (Daly, 1996).Les stratégies à adopter dans ce sens consisteraient à mettre deslimites à la production et aux consommations (éco-suffisance), à ladistribution inique de la richesse et à la surpopulation, au bénéficed’une économie éco-cohérente, frugale et solidaire. Il s’agiraitd’une économie dont on ne mesurerait pas le cours en se basantsur le Produit intérieur brut (PIB) – indice abstrait qui ignore la situa-tion concrète de la planète, des peuples et des personnes – maisen se basant sur la capacité effective de la terre de soutenir la

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 136

Durabilité 137

production et d’absorber les déchets, en utilisant des ressourcesrenouvelables et en prenant en considération la possibilité effec-tive de satisfaire les besoins humains sans compromettre les équi-libres écosystémiques et les perspectives des générations actuelleset futures (Latouche, 1989, 1991).

Pour certains auteurs, la durabilité demande une « nouvellealliance » entre savoirs technico-scientifiques, connaissanceshumanistes et réalité socio-économique. En ce sens, l’extension duconcept thermodynamique d’entropie à la sphère de la productionet de la consommation représente une contamination entre desdomaines différents ayant une importance fondamentale pourl’idée de durabilité. La thermodynamique démontre que toutprocessus de transformation provoque de l’entropie, c’est-à-direun passage irréversible d’un état d’ordre relatif à un désordre et àun gaspillage d’énergie qui, cependant, reste dans l’environne-ment sous la forme d’une pollution. Plus une société est complexeet met en place des processus de production sans laisser à l’éco-système la possibilité de réabsorber ce surplus de rebuts, plus l’en-tropie augmente. Certains spécialistes ont repris le conceptd’entropie et les lois de la thermodynamique et les ont utilisés pourmettre en garde contre une économique débridée et une produc-tion excessive. Ils ont critiqué l’optimisme technologique et écono-mique de ceux qui considèrent que le bien-être présent et futurpourra augmenter indépendamment des niveaux élevés d’entro-pie, voire grâce à eux (Georgescu-Roegen, 1976 ; Daly, 1996 ;Rifkin, 1980).

D’après d’autres auteurs, la foi dans la technologie humaineserait victime d’une confusion entre temps historiques et tempsbiologiques : le temps historico-technologique, durant lequell’homme perfectionne ses conditions d’existence, avance à unrythme plus élevé que celui exigé par le cycle biologique de l’éco-système pour évoluer tout en maintenant un équilibre dynamique.Si la transformation de l’énergie et de la matière dépasse la capa-cité de régénération et d’absorption de la planète, on va vers unecrise irréparable sur le plan environnemental et social, car les avan-tages immédiats en termes de bien-être et de satisfaction desbesoins se paieront à long terme par une augmentation de l’ex-ploitation et de l’injustice (Tiezzi, Marchettini, 1999 ; Tiezzi, 2001).

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 137

Lexique de biopolitique138

L’augmentation de la complexité de la condition de l’espècehumaine ou de certaines de ses composantes se traduit, en défini-tive, par le risque biopolitique de sacrifier ou limiter d’autresespèces, d’accroître l’instabilité de tout l’écosystème et de la réalitésociopolitique, de multiplier les conflits provoqués par la tentativeconstante, individuelle et collective, de s’accaparer des ressourcesde moins en moins disponibles.

Sarah Delucia

Voir : Biodiversité, Développement, Écologisme, Empowerment, Milieu,Risque, Sécession.

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 138

ÉCOLOGISME

Depuis les années 1960, le débat concernant l’épuisementdes ressources naturelles, le risque d’extinction de certainesespèces végétales et animales, la pollution, le problème démogra-phique, est de plus en plus animé. Le mot écologiste entre dans levocabulaire politique avec l’apparition des premiers mouvementsde défense de l’environnement, la formation des partis nationauxdes Verts et les premières concessions, en faveur de l’environne-ment, de la part d’institutions nationales et internationales (1982 :adoption par les Nations unies de la Charte mondiale de la nature).

La pensée écologiste s’affirme avec l’aggravation de la criseenvironnementale liée à l’accroissement des rythmes de produc-tion du système économique actuel. Mais c’est justement cesystème avancé qui, avec ses connaissances et ses technologies,rend possible un écologisme scientifique c’est-à-dire une protec-tion de l’environnement assurée par une attention systématique etune intervention programmée sur la nature, cette dernière deve-nant, de ce fait, un objet problématique à contrôler technologi-quement et à gérer rationnellement. Fille de la perspectivethéorico-scientifique inaugurée par Haeckel et Darwin, nourrieaujourd’hui aux nouvelles technologies (astronomie, satellites etinformatique), cette tendance de l’écologisme propose une sortede médicalisation préventive de la planète dont l’état de santédevrait être constamment contrôlé, mesuré et fait l’objet de prévi-sions et de thérapies (Malone, 1986 ; Nisbet, 1991).

Cette approche rencontre l’opposition de certains mouve-ments qui, adhérant au point de vue des populations pauvres duSud du monde, se posent le problème du rapport entre protectionde l’environnement et justice sociale ou bien élaborent la perspec-tive d’une économie écologique. La rationalisation technoscienti-

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 139

Lexique de biopolitique140

fique de l’intervention sur la nature ne serait possible, selon eux,qu’au moyen d’un surplus de technologie et, par voie de consé-quence, d’une érosion supplémentaire de l’environnement lui-même (il suffit de penser à la pollution provoquée par lesinnombrables satellites-sentinelles hors-service qui continuent àgraviter dans le cosmos, à l’extraction incessante de matièrespremières pour la création d’instruments de plus en plus sophisti-qués qui permettent de tester le pouls de la terre ou de réaliser desprojets de réparation biophysique et biotechnologique des dégâtsenvironnementaux).

Selon cette optique, comme cela s’est déjà produit avec lepréservationnisme et le conservationnisme qui, au début duXXe siècle, ont encouragé la création des premiers parcs nationauxaméricains, l’écologisme technoscientifique lui aussi, loin deréduire la consommation industrielle de la nature, finirait paraccroître son asservissement à l’homme, en l’exploitant à des finsesthétiques, récréatives, touristiques, en la protégeant partielle-ment comme un bassin de ressources utiles pour nos descendantsou en faisant d’elle l’objet de véritables commercialisation et priva-tisation (Sachs, 1999 ; Sfez, 2001).

En outre, nombreux sont ceux qui s’interrogent sur la portéeidéologique de l’approche éco-scientifique qui, paradoxalement,manifeste dans certains cas un fort penchant religieux, élevant lavie biologique de la planète au rang d’objet de quasi-vénération etdélaissant les problématiques politiques et sociales des peuples quil’habitent (Lovelock, 1979).

Ceux qui critiquent cette approche, quant à eux, proposentd’une part la protection de la vie dans sa diversité biologiquemais également le respect de la variété des styles de vie, descomportements et des rapports sociaux. Quoi qu’il en soit, lacontestation porte principalement sur le risque de voir s’affirmerune sorte d’éco-impérialisme qui se dessine déjà dans certainesstratégies politico-économiques, lesquelles, derrière une atten-tion apparente pour l’environnement et la justice sociale (luttecontre la faim et la pauvreté au moyen de la « révolution verte »et, aujourd’hui, au moyen des biotechnologies), léseraient à lafois les équilibres éco-systémiques et les savoirs et les styles devie qui permettent aux communautés locales de gérer de façon

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 140

Écologisme 141

durable et communautaire leurs propres ressources (Shiva, 1990,1993, 2002). D’une manière plus générale, il s’agirait d’éviter deremettre la question écologique entre les mains d’une sorted’éco-biopouvoir qui finirait par contrôler, manipuler et protégerpartialement certaines ressources, espèces et formes de sociétéau détriment d’autres, en provoquant une concentration despouvoirs et des richesses dans les mains de quelques-uns, ce quiconduirait à l’appauvrissement fonctionnel et à l’expropriationdes autres (Crosby, 1972 ; Ponting, 1991). La contestation de lastratégie éco-scientifique s’accompagne donc de la propositiond’une utilisation commune et autogérée des ressources natu-relles et d’un retour à des styles de vie plus simples, plus sobreset plus lents.

Il y aurait, de même, derrière les politiques écologiquesqui protègent les environnements locaux, un risque éco-bio-politique, dans la mesure où les moyens adoptés et leurs réper-cussions globales ne sont pas problématisés. C’est ce qu’onappelle la politique du NIMBY (not in my backyard : « pas dansma cour ») avec la pratique qui en découle du PIBBY (place inblack’s backyard : « mets-le dans la cour du Noir »), attitudestypiques des sociétés et des classes aisées, qui se dotent detechnologies amies de l’environnement pour vivre de façonnaturelle et salutaire, sans se demander si les conforts dontelles bénéficient sont synonymes d’appauvrissement, de pollu-tion, de déséquilibre pour d’autres personnes ou régions dumonde (Molocchi, 1998).

L’éco-terrorisme est, quant à lui, motivé par la volontéextrême de défendre l’environnement, qui se traduit par unetentative subversive de modifier l’ordre existant. Il est, bienévidemment, tout aussi éloigné de ceux qui agissent au moyend’actions symbolico-spectaculaires ou de manifestations sociales(Greenpeace, Legambiente, WWF) que des politiques « vertes »institutionnelles. L’éco-terrorisme réagit en effet à un systèmeconsidéré comme violent et injuste à l’égard de la nature et despauvres par des attentats contre les symboles du contrôle envi-ronnemental et social. Mis à part d’autres considérationsévidentes, on peut aisément reprocher à l’éco-terrorisme d’êtreanimé par un esprit éco-fasciste ou éco-dictatorial. Bref, il n’est

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 141

Lexique de biopolitique142

qu’un exemple extrême de la réactivation du mécanisme bio-thanato-politique qui tend à sacrifier les uns au profit des autres,même si ce qu’il entend sacrifier au rétablissement d’un rapportplus « harmonieux » avec la nature, du moins en théorie, c’est leprivilège d’une minorité.

Sarah Delucia

Voir : Biodiversité, Biotechnologies, Durabilité, Développement, Milieu,Risque, Sécession.

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 142

EMPOWERMENT

Empowerment peut être traduit par l’expression « attributionde pouvoirs » ; c’est le fait de « donner les moyens de », de« renforcer les possibilités d’action ». Ce terme se réfère à des indi-vidus dans un cadre thérapeutique et à des groupes sociaux dansle domaine de l’aide humanitaire ou de la promotion sociale. Leconcept d’empowerment a fait son apparition dans la littératurepolitologique américaine entre les années 1950 et 1960, à l’occa-sion des luttes pour l’affirmation des minorités et de celle dumouvement des femmes. À partir de la fin des années 1980, ildevient l’un des mots clés dans le domaine de l’aide humanitaireégalement, et c’est ce domaine que nous allons considérer ici.

La fin de la guerre froide marqua le déclin du concept tradi-tionnel de sécurité qui avait caractérisé les relations internationalesaprès la Seconde Guerre mondiale. Comme nous le savons, cetteforme de sécurité était centrée sur l’équilibre entre les deux blocset sur le rôle de l’État et de ses bureaucraties dans les politiques dedéveloppement et de modernisation. Ainsi, la sécurité était-ellegarantie par l’appartenance à l’un des deux blocs et par les poli-tiques de développement et de modernisation caractérisées par lerôle central de l’État.

Les premiers plans d’ajustement structurel eurent pour effetde remettre en question certains principes fondamentaux dusystème des relations internationales. Le premier d’entre tous futle principe d’intangibilité de la souveraineté des États. L’ajustementstructurel comportait en effet l’ingérence massive des agences deBretton Woods dans les politiques économiques et sociales despays qui faisaient l’objet de l’intervention. De plus, la privatisationsubstantielle que proposaient ces politiques désavouait l’autregrand principe selon lequel c’était l’État qui, grâce à la program-

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 143

Lexique de biopolitique144

mation économique, était l’agent principal du développement etde la modernisation. Ce fut le début de la privatisation des poli-tiques de développement, dès lors que les gouvernements occi-dentaux, à travers la Banque mondiale et le Fonds monétaireinternational (FMI), commencèrent à attribuer à la libéralisation desmarchés et à la coupure des dépenses sociales le rôle de moteurdu développement de ce qu’on appelait les pays sous-développés.Cette privatisation des politiques d’assistance au développementfit que, pour la première fois, le développement fut associé auxpolitiques sociales et à des secteurs cruciaux de la vie despersonnes, de la santé à l’éducation.

Au début des années 1990, l’introduction du droit d’ingé-rence humanitaire paracheva les processus de privatisation de l’as-sistance au développement et la désagrégation du principed’intangibilité des États. Gouvernements occidentaux, Nationsunies et ONG occidentales durent se mettre d’accord sur les prin-cipes du globalisme juridique (Zolo, 1998) et admirent que les poli-tiques d’Aide publique au développement (APD) n’étaient pasefficaces dans le cadre international transformé de l’après-guerrefroide. C’est en effet dans les années 1990 que l’objectif de lasécurité se déplaça des États – et du fait qu’ils étaient « en sécu-rité » dans l’un des deux blocs – aux populations qu’ils abritaienten leur sein. Depuis lors, la sécurité est devenue une « sécuritéhumaine » – human security – et tient compte des risques quedoivent affronter les populations qui habitent une région détermi-née, bref, des dangers qui caractériseraient ce qu’on appelle lesÉtats faibles (weak) ou en déliquescence (failed).

La sécurité humaine représente donc l’ensemble des activitésvisant à réduire la pauvreté, à satisfaire les besoins essentiels, àcréer de nouvelles institutions démocratiques, à protéger lescouches les plus vulnérables, à promouvoir les droits de l’hommeet une société civile active, à partir du renforcement des groupessociaux les plus faibles. Ces activités, confiées à des acteurs nonpublics, comme les ONG et les différentes agences humanitaires,sont également classées sous le terme de human development,« développement humain ». C’est ainsi que politiques de dévelop-pement et de sécurité humaine se rejoignent. Il ne s’agit plus demoderniser, par le biais des bureaucraties publiques, les pays en

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 144

Empowerment 145

voie de développement – tâche dévolue jusqu’alors à la coopéra-tion au développement – mais de réformer les mentalités despopulations qui vivent dans les pays frappés par les conflits, par lapauvreté et l’instabilité généralisée. Ces problèmes ne dépen-draient plus de causes économiques et politiques mais de l’in-adaptation de la mentalité des populations et des classesdirigeantes avides et corrompues qui les gouvernent. Ils seraient,en somme, la conséquence d’un mélange d’ignorance, d’institu-tions faibles et de manque d’aptitude au marché et à la démocra-tie. La réponse des gouvernements occidentaux consiste donc àintervenir avec le cocktail : résolution de conflits, développementdurable et promotion de la société civile.

On comprend alors que des activités de ce genre ne puissentêtre menées directement par les États occidentaux : le fait de consi-dérer les États des zones périphériques non plus comme souverainsmais comme des corps sociaux instables dont il faut réformer lescomportements, suppose en effet une privatisation équivalente despratiques de développement et de sécurité. Les intermédiaires privéssont effectivement capables de déployer des pratiques conceptuelleset discursives essentielles pour le travail requis, qui consiste essen-tiellement à diviser le corps social en secteurs de risque séparés,lesquels peuvent dès lors être l’objet de l’intervention des sujetsprivés. Les populations se trouvent réduites à un ensemble de vulné-rabilités touchant la santé, l’emploi et l’éducation, qui peuvent êtreà leur tour ultérieurement subdivisées en genres, travail, positionlégale, etc. La société est ainsi disséquée du fait de la privatisationde la vie naturelle mise en place par les différents sujets privés dusystème humanitaire (Duffield, 2001).

C’est dans cette perspective qu’émergent, dans toute leurampleur, les nouvelles formes de biopouvoir qui s’affirment avec lacommutation de l’axe du contrôle des populations du terrain despolitiques étatocentriques à celui des agences transpolitiques del’ère globale.

Dans cette nouvelle gouvernance à distance, rendue possiblepar les réseaux du public-privé, les peuples périphériques ne sontplus seulement analysés au moyen des catégories classiques dudéveloppement de type démographique, économique et épidé-miologique. La privatisation des politiques de développement

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 145

Lexique de biopolitique146

permet aux sujets de l’humanitaire d’entrer jusque dans lesfamilles. Les guerres seront ainsi attribuées à la culture violente desmâles, la plupart du temps alcooliques, qui oppriment les femmeset les enfants. Il faudra donc lancer des programmes pour l’éman-cipation des femmes, pour les droits des mineurs et, bien évidem-ment, contre l’alcoolisme. La pauvreté d’une certaine zonepériphérique sera provoquée, par exemple, par l’indolence de lapopulation masculine qui ne laisse aucune place à l’initiative fémi-nine, ou bien par l’absence d’éducation d’une population donnéequi ne disposerait pas des ressources culturelles et des techniquesnécessaires pour faire réseau, faire circuler les informations desorte que chacun devienne entrepreneur de soi-même, grâce aucapital qui circule enfin dans la société. Social capital (« capitalsocial ») est l’un des mots clés du développement et de la sécurité,dès lors que la promotion de la société civile, des groupes et desassociations civiques devient l’instrument pour faire émerger lesdifférents secteurs de risque parcellisés du corps social : lesfemmes, les handicapés, les personnes âgées, les étudiants, lesmalades du sida, les réfugiés, les sans-logis, les alcooliques, etc.

La parcellisation du corps social permet au système humanitaireoccidental de pénétrer dans les plus petits plis de la société pourmettre en place une éducation de la population qui va mêmejusqu’à domestiquer les sentiments et donc le rapport entre lessexes, l’éducation des enfants, la perception de l’autre (qu’il soitd’une ethnie différente, homosexuel ou handicapé) ou la vie asso-ciative (en coopératives par exemple ou en groupes de travail, visantà l’instauration d’une confiance réciproque entre parties rivales).

Cette mise en place de nombreux secteurs sociaux, avec lespouvoirs et les instruments d’organisation qui leur sont attribués(associations, coopératives, groupes d’entre-aide mutuelle, forumspour les droits de l’homme, groupes d’usagers de services ougroupes de consommateurs, etc.), c’est ce qui s’appelle l’empo-werment. À ce terme est lié un autre mot clé des nouvelles poli-tiques de développement : ownership (« titularité »). JosephStiglitz, ancien vice-président senior de la Banque mondiale (et PrixNobel d’économie 2001), affirmait dans une conférence (Stiglitz,1998) qu’un nouveau paradigme du développement devrait avoircomme objectif de changer et transformer une société dans sa

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 146

Empowerment 147

globalité : pour ce faire, il faudrait agir dans une perspective detransformation des institutions et de création de nouvelles capaci-tés ; dans certains cas, il faudrait même aller jusqu’à remplacer lesinstitutions traditionnelles, qui sortiront inévitablement affaibliesdu processus de développement. Titularité et participation devien-nent ainsi les mots clés d’une stratégie libérale de création duconsensus : ce qui est demandé, selon Stiglitz, c’est la participationà un processus capable de construire de nouvelles formes institu-tionnelles, y compris différents types d’incitations. Institutions,incitations, participation et titularité doivent en effet être considé-rées comme complémentaires, aucune n’étant autosuffisante.Social capital (et civil society), empowerment et ownership sont lestrois mots clés de la liberal peace, où c’est un nouvel humanita-risme politique qui définit l’agenda radical de développement dela transformation sociale (Duffield, 2001).

Nous nous trouvons à l’intérieur d’un impérialisme light detype coopératif et consenti, où on fait passer des pratiques néo-coloniales et de contrôle à distance des périphéries instables pourdes politiques de renforcement des groupes faibles et d’inclusionsociale. Il s’agit du déploiement de ce que Joseph Nye (2004) aappelé le pouvoir soft, où les sujets bénéficiaires de l’aide adoptenteux-mêmes les normes libérales de conduite politique et écono-mique. En résumé, le pouvoir soft propose aux exclus d’être« libres » par le biais de l’inclusion.

Nous pouvons réfléchir enfin sur le fait que le mot empower-ment ne signifie pas, en réalité, le renforcement des groupessociaux, objets de l’aide humanitaire, mais leur déclassement aurang de sujets faibles à réformer dans leurs coutumes et senti-ments, désormais privés des droits politiques de transformation dela société et de ses dispositifs politiques et économiques. Le déve-loppement qui se transforme en human security est en effet conçucomme une série de techniques et pratiques qui impliquent depetites parties du corps social allant des familles aux associationsde femmes, des associations de consommateurs à celles desusagers des services, à l’écart des grands sujets collectifs de lamodernité. On assiste à la disparition de l’État, des politiquesfiscales, d’une lecture de la société dans laquelle sont mises enœuvre d’éventuelles conditions d’exploitation interne et interna-

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 147

Lexique de biopolitique148

tionale qui maintiendraient les citoyens dans la pauvreté. À l’inté-rieur du cadre immuable de l’économie de marché et de ses méca-nismes, il reste tout simplement des pratiques exécutives, si bienque la politics se transforme en policy. L’individu est considérécomme potentiellement faible et exposé aux risques d’un cadresocio-économique immuable capable, quoi qu’il en soit, de garan-tir bien-être et richesse pour tous à condition qu’on l’aborde avecle bon esprit et la détermination nécessaire.

Les droits du citoyen ne consistent plus à changer le cadresocio-économique dans le sens d’une plus grande équité et àpouvoir construire des significations sociales à chaque fois diffé-rentes, qui établissent des besoins, des visions du monde, des désirs,des mesures de la valeur de l’action de chacun au sein de la société.Les droits sont liés désormais à la possibilité d’obtenir des conseils etdes soutiens psychologiques adéquats pour affronter les nouveauxrisques. Comme l’a écrit Pupavac (2003), l’objectif thérapeutique quivise à assurer la stabilité émotionnelle est atteint grâce à la recon-ceptualisation des droits en termes d’enquête psychologique et deprotection plutôt que de liberté, c’est-à-dire de protection provenantdes corps de l’État, plutôt que contre les corps de l’État. Le sujetporteur de droits n’est plus, désormais, celui auquel les droitspermettent de se renforcer lui-même – comme dans les mouve-ments politiques et civils de l’époque moderne – mais il est celui quiest protégé par une tierce partie qui lui indique en même tempsaussi ses modèles de comportement et ses cadres sociaux de réfé-rence. L’intervention du système humanitaire occidental agitsubstantiellement contre l’idée traditionnelle de la politique tellequ’elle est défendue par les mouvements sociaux progressistes. Elleagit contre la politique comme projet de société et de création d’es-paces sociaux où les individus et les groupes conquièrent des droitset développent leur propre pouvoir pour repousser toujours plus loinl’horizon du bien-être et de l’équité.

Claudio Bazzocchi

Voir : Biopolitique, Capital humain, Durabilité, Développement, Gouver-nementalité, Guerre, Humanisme scientifique, Police, Psychiatrie,Racisme, Risque, Santé publique, Sécurité, Welfare.

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 148

EUGÉNISME

Eugenics est le terme forgé par Galton en 1883 pour désignerla « science de l’amélioration de l’espèce humaine » qui devaitgarantir « aux lignées (strains of blood) de « bonne naissance »une meilleure opportunité de prévaloir sur celles de moins bonnenaissance » (Galton, 1883). Si l’idée d’une société à venir fondéesur la sélection des individus est présente depuis Platon et s’épa-nouit avec l’humanisme scientifique, c’est seulement avec la théo-risation de l’emploi de moyens scientifiques permettantd’atteindre un tel objectif que cette utopie prend l’aspect d’unprogramme eugénique.

La conception eugénique s’appuie sur deux théories scienti-fiques qui se sont répandues à la fin du XIXe siècle : la théoriedarwiniste de l’évolution et la théorie de la dégénérescence. Plusprécisément, c’est à travers le darwinisme que se crée le lienlogique et historique entre eugénisme et dégénérescence : substi-tuer à la sélection naturelle la sélection artificielle évite, selon leseugénistes, la dégénérescence provoquée dans la société modernepar le manque d’efficacité des mécanismes sélectifs naturels, dû aubien-être et au progrès médical.

La pensée eugénique se développe dès le départ à partir dedeux approches : la première, théorique et sélective, vise à la trans-formation des institutions sociales selon les fonctions eugéniques(la préparation au mariage par exemple) ; la seconde, médico-génétique, a comme finalité l’élimination de la maladie héréditaire(la stérilisation ou la réalisation de types « supérieurs »). C’estsurtout la seconde approche, c’est-à-dire l’approche médico-géné-tique, qui est développée au début du XXe siècle et qui provoque labiologisation de la description des comportements individuels :l’hérédité de la valeur adaptative (fit) ou inadaptative (unfit)

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 149

Lexique de biopolitique150

devient la cause des prestations sociales, comme le succès ou l’in-succès – ce processus étant défini comme une logique de « stabi-lisation » par Lewontin (1991).

Dans ce cadre, la théorie proposée en 1886 par Weissmann,dans Über den Rückschritt der Natur, à propos de la continuité du« plasma germinal » entre les générations, vient justifier l’idée del’hérédité des caractères génétiques et renforce, avec le darwi-nisme, la plausibilité scientifique des projets eugéniques. C’estgrâce au postulat de l’existence et de l’hérédité du « plasmagerminal » qu’est repéré le principe permettant la transmissionhéréditaire. L’idée de sélection en est donc renforcée et avec elle lecaractère inéluctable de l’hérédité.

L’eugénisme est utilisé, dès la naissance du terme, commeune technologie sociale qui, à partir de la définition de caractèreshéréditaires évalués de façon binaire – bons et mauvais, fit etunfit – et au diagnostic de la mutation et de la qualité de l’héré-dité génétique, va donner lieu aux théorisations sur la dégénéres-cence et sur les catégories d’infériorité (Weingart, 1996). C’estainsi que se configure ce qu’on appelle la « logique d’ostracisa-tion », sur la base de laquelle on attribue aux catégories les plusfaibles une fonction et des caractéristiques inférieures, en institu-tionnalisant leur non-adaptabilité au modèle social « idéal » (Fried-lander, 1995 ; Weiss, 1987 ; Foucault, 1997). Dans la sociétéoccidentale de la fin du XIXe siècle, secouée par le développementdu prolétariat urbain et par une urbanisation désordonnée, lathéorie qui fait endosser aux classes subalternes la responsabilitéde leurs propres conditions de vie en biologisant et donc en accor-dant une valeur attributive à leur comportement « dégénéré »,fonctionne comme modèle pour une politique de la population quinormalise et stabilise l’ordre social et politique.

La biologisation du comportement humain, caractéristique duparadigme eugénique, s’accompagne au début du XXe siècle de laréduction de l’individu à une valeur économique et publique(Weingart, 1996 ; Weiss, 1987) : la quantification du sang « dégé-néré » qui circule au sein des catégories inférieures se transformeainsi, grâce aux théories du sociologue autrichien Rudolf Gold-scheid, en un calcul du poids économique qu’une personne « nonadaptée » peut représenter pour la société.

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 150

Eugénisme 151

L’anthropologie criminelle et raciale – les élaborations deLombroso notamment – ainsi que les théories sur le racisme contri-buent à renforcer le paradigme eugénique, qui se situe à un pointnodal du développement des disciplines scientifiques au début duXXe siècle : la psychiatrie, l’anthropologie, la biologie sont alors lessavoirs autorisés quant à la définition et la reproduction des caté-gories de la population. Ces savoirs se renforcent l’un l’autre etgénèrent un processus de professionnalisation, utilisant le modèleeugénique d’amélioration de l’espèce. La rationalisation scienti-fique (c’est-à-dire l’autonomie de la logique scientifique parrapport au jugement moral) et la professionnalisation (c’est-à-direla création d’un paradigme scientifique à travers l’attribution auxeugénistes d’un pouvoir de définition des interventions politiquessur la population) sont les conditions indispensables du paradigmeeugénique au XXe siècle.

Selon Foucault (1997), le lien qui s’établit entre savoir biolo-gique et discours politique, à partir du début du XIXe siècle, montrebien les nouvelles modalités de fonctionnement du pouvoir, lequeldouble le modèle disciplinaire de contrôle du corps individuel d’unpouvoir de définition et d’assujettissement de la population, del’« homme espèce ». Ce biopouvoir institue une relation de typebiologique entre une partie saine et une partie malade de la popu-lation, de telle façon que la première ne peut pas prospérer sansque l’autre devienne un objet à éliminer.

L’eugénisme se situe en outre à l’intersection entre le savoirscientifique et la politique : la « vocation pratique de l’eugénisme »(Weingart, 1996) est évidente dans l’analyse de sa relation avec lesmouvements politiques. À cet égard, de nombreux spécialistes,loin de voir dans le national-socialisme un pervertissement de lascience génétique, observent dans l’Allemagne des années 1930et 1940, une collaboration volontaire des scientifiques et la réali-sation politique de leur projet d’amélioration de la population(Proctor, 1988 ; Kühl, 1994 ; Agamben, 1995 ; Weingart, 1996 ;Esposito, 2004).

Les premières lois sur la stérilisation d’office des « attardés »,des porteurs de maladies transmissibles, des alcooliques et descriminels habituels sont promulguées dans l’État de l’Indiana, enAmérique du Nord, entre 1905 et 1907. Les réglementations

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 151

Lexique de biopolitique152

eugéniques se répandent progressivement dans presque tous lesÉtats américains, au point de concerner trente États en 1944. Lesuccès de l’eugénisme, soutenu par le président américain Theo-dore Roosevelt, doit être resitué par rapport à certaines donnéespolitiques, sociales et culturelles, telles que l’avènement de l’Étatrégulateur, la peur des classes supérieures devant la menace quereprésentent une immigration croissante et la montée en puis-sance des classes inférieures, la diffusion du racisme scientifique,la « professionnalisation de la science sociale » (Fuschetto, 2004 ;Leonard, 2003 ; Berlini, 2004) et la diffusion des études sur ladégénérescence de la race américaine de Charles Benedict Daven-port et Henry H. Goddard.

En Allemagne, le fondateur de l’« hygiène raciale » (traduc-tion allemande du terme eugénisme) est Alfred Ploetz, qui attribueà l’eugénisme un caractère médical : il devient une branche de lamédecine qui prévient et combat les tendances dégénérativesdans toute la population, en en élevant le niveau moyen (Ploetz,1895). Dans les écrits de Ploetz et dans ceux des représentants deson école (parmi lesquels Eugen Fischer et Fritz Lenz), l’hygièneraciale se mêle étroitement à une croyance dans la supériorité dela race nordique. La référence au savoir médical et à sa vocationpolitique apparaît clairement à travers la fonction de « médecin del’hérédité génétique » (Erbartz), qui consiste à soigner non pas l’in-dividu mais tout le corps social (Verschuer, 1941), et à travers latâche requise de tous les médecins, en 1937, de surveiller l’hy-giène raciale du peuple allemand.

La discussion scientifique arrive à un point de radicalisation en1920, lorsque le pénaliste Karl Binding et le professeur en méde-cine Alfred Hoche publient Die Freigabe der Vernichtung leben-sunwerten Lebens (« L’autorisation de supprimer la vie indigned’être vécue ») : une définition juridico-médicale de la « vieindigne d’être vécue » la rend disponible pour n’importe quelleintervention politique. En d’autres termes, la dignité d’une viedépendait de sa valeur pour la société et cette valeur dépendait àson tour de critères établis par le savoir médical et juridique.

La transformation de l’idéal eugénique de la sélection de larace supérieure en un projet politique se réalise complètementavec la réglementation national-socialiste. En 1933 est promul-

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 152

Eugénisme 153

guée la loi pour la prévention de la reproduction des malades héré-ditaires (Gesetz zur Verhütung erbkranken Nachwusches), quiprescrit la stérilisation d’office de certains types de malades héré-ditaires (des malades mentaux notamment) et la loi qui impose lastérilisation obligatoire des criminels habituels dangereux. Ces loisinstituent également des tribunaux (Erbgesundheitsgerichte) dontl’objectif est de décider de l’imposition de telles mesures : ils sontcomposés de deux médecins et d’un juge. En 1935, onpromulgue, d’une part, la loi pour la protection du sang et del’honneur allemands (Gesetz zum Schutze des deutschen Blutesund der deutschen Ehre), qui interdit les mariages et les rapportssexuels de ceux qui ont « le sang allemand ou apparenté » avecdes Juifs ou des ressortissants de races inférieures (Tziganes etNoirs) et d’autre part, la loi sur la citoyenneté du Reich (Reichsbür-gergesetz), qui distingue le Reichsbürger – citoyen ayant tous lesdroits – du Staatsbürger – citoyen sans droits politiques, auquelcorrespondent les ressortissants de races et de certaines catégories« inférieures », comme les femmes non mariées. C’est la mêmeannée encore que la loi pour la santé du mariage (Ehegesundheit-gesetz) est promulguée, qui interdit le mariage aux porteurs demaladies héréditaires, mentales, contagieuses, en instituant lecertificat obligatoire d’aptitude matrimoniale. En 1937 sont stérili-sés tous les Rheinlandbastarde, c’est-à-dire les enfants nés defemmes allemandes et de soldats français noirs ayant occupé laRhénanie après la Première Guerre mondiale. La suppression de la« vie indigne d’être vécue », qui est justement amorcée par lathéorisation de Binding et Hoche, débute, en 1939, avec leprogramme d’euthanasie des enfants malades incurables, se pour-suit avec l’euthanasie des patients adultes psychiatriques, épilep-tiques et neurasthéniques (Opération T4) et atteint son combleavec la création des camps de concentration et d’extermination. Ladivision des citoyens sur la base de caractères raciaux, la stérilisa-tion de ressortissants des catégories dites « asociales », improduc-tives et malades, l’extermination de malades mentaux et degroupes « racialement inférieurs » (Juifs, Tziganes) sont complé-tées par des mesures pour le développement des éléments eugé-niques – qui vont du contrôle des mariages, avec l’émission decertificats d’aptitude génétique à se marier, jusqu’à la création

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 153

Lexique de biopolitique154

d’archives génétiques, à la criminalisation de l’avortement quand ils’agit de progéniture arienne, au projet de créer la race desLebensborn par l’accouplement de « types racialement purs ».

En Suède, la législation eugénique a une vie plus longue – lespremières mesures remontent à 1757 et toutes les mesures eugé-niques ne seront révoquées qu’en 1973 (Colla, 2000) – et desmotivations qui ne sont pas toutes raciales : le gouvernementsocial-démocrate, dans les années 1930, justifie certaines règleseugéniques par le danger de la pression démographique desclasses défavorisées et la négativité du milieu éducatif qu’offrentles familles dysgéniques. La logique qui sous-tend ces mesures està rechercher non seulement dans les « coûts » que représententles couches faibles pour l’État, mais surtout dans le projet de« normalisation » de la vie de la population (Colla, 2000 ; Berlini,2004) : les mesures eugéniques, malgré les intentions apparem-ment non racistes de la législation suédoise, ont de fait fini parfrapper les Tziganes et les classes les plus pauvres et marginalisées.

Après la Seconde Guerre mondiale, le modèle d’un eugé-nisme clinico-humain utilisé pour soigner les maladies héréditairesva prendre le pas sur l’eugénisme darwiniste, qui intervient sur lapopulation. La génétique s’adapte aux canons des démocratieslibérales, lesquelles, s’astreignent à respecter les droits individuels,refusant l’intervention d’« en haut » d’un État stigmatisé aprèsl’expérience du national-socialisme, et déniant en même tempstout fondement aux théories raciales. Mais, ce qu’on appelle lagénétique libérale, c’est-à-dire l’intervention méliorative promuelibrement par les parents, n’est pas exempte de certains risqueséthiques et politiques, que Jürgen Habermas, entre autres, a misen évidence. Elle pourrait léser aussi bien le principe d’autodéter-mination individuelle que le principe de symétrie dans les relationsentre parents et enfants (Habermas, 2001) : permettre aux parentsde décider des caractéristiques génétiques de leurs enfantsmettrait en danger le caractère de non-instrumentalité de lapersonne humaine, elle subvertirait le rapport actuel d’indisponibi-lité des caractéristiques génétiques fondamentales du corps etenfin, elle suspendrait cette qualité essentielle de l’individu qui faitqu’il est l’« origine » de ses actions. Autrement dit, avec l’utilisa-tion de la génétique dite libérale, le « caractère indisponible du

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 154

Eugénisme 155

bien de la vie, qui est en relation avec nos idées par lesquelles nousnous concevons en tant que personnes morales » (ibid.) serait misà mal. Ces doutes s’accompagnent d’interrogations quant à lacommercialisation et à l’exploitation économique des recherchesgénétiques et au développement futur d’une éventuelle formed’inégalité génétique : non seulement l’emploi de technologiesgénétiques pourrait discriminer riches et pauvres et conduire à unesociété où les disparités génétiques seraient la nouvelle frontièresociale, mais les nouvelles applications de la génétique alimententdéjà aujourd’hui un marché – les banques du sperme et desovules – qui se développe sur la base de croyances douteusesconcernant l’hérédité génétique et sur de nouvelles formes deracisme (Duster, 2003). Le racisme ne semble donc pas voué àdisparaître avec la fin de l’idée de l’existence de races ; pour mieuxdire, la division et la hiérarchisation entre « hommes normaux » et« anormaux » pourraient probablement évoluer à l’avenir le longd’une nouvelle frontière, non pas fixée par l’État mais par les indi-vidus eux-mêmes, libres concurrents sur le marché de l’améliora-tion de l’espèce.

Patricia Chiantera-Stutte

Voir : Biométrie, Biopolitique, Camps, Dégénérescence, Génocide, Huma-nisme scientifique, Médicalisation, Monstre, Normal/pathologique,Normalisation, Population, Psychiatrie, Racisme, Sécurité, Sociobio-logie, Totalitarisme.

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 155

EXCEPTION (ÉTAT D’)

L’état d’exception est une catégorie juridique extrêmementcomplexe et controversée. Le terme désigne à la fois un conceptjuridique et une condition juridique c’est-à-dire, un état.

Du point de vue conceptuel, et donc pour ce qui concerne lathéorie du droit, l’état d’exception a été défini comme un« concept limite » du droit lui-même (Schmitt, 1922 et 1934). Eneffet, alors que la caractéristique particulière du droit, et notam-ment du droit positif, est d’établir des normes, c’est-à-dire, deréguler les rapports entre les individus (droit privé) et les rapportsentre les individus et l’État (droit public), de fixer par conséquentles conditions ordinaires des rapports sociaux et politiques, leterme « exception » renvoie explicitement à l’extraordinaire d’unesituation juridique. Ainsi a-t-on affirmé que l’état d’exceptionrenverrait à l’origine même du droit, puisque c’est un concept juri-dique qui représente une situation non normative (non normale),extra-ordinaire et donc non juridique. La définition de l’exceptionrenvoie donc à l’acte originaire de positionnement de la norme(règle/exception) autrement dit, au problème de la source du droitet à la légitimité du titulaire de l’acte juridique fondamental. Dansla théorie et dans l’histoire du droit occidental, on a donné à cettenotion (source, titulaire et sujet du droit) le nom de souveraineté.

Le droit moderne positif a opposé diverses théories à ladoctrine théologique traditionnelle de la souveraineté, pour quitout droit et toute autorité dérivait de Dieu. Dans la doctrine dudroit pur de Hans Kelsen, par exemple, le droit dérive d’un actepositivo-normatif fondamental qui est en lui-même juridique(Grund-norm) et donc, la notion substantialiste de souveraineté,caractéristique de la doctrine théologique, s’en trouve « radicale-ment éliminée » (Kelsen, 1920). Le concept d’exception est dans

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 156

Exception (état d’) 157

ce cas supprimé de la théorie juridique justement parce qu’il estnon normatif (la règle pose l’exception).

Dans la théorie décisionniste de Carl Schmitt, en revanche,l’état d’exception réintègre pleinement la doctrine du droit, où ilest carrément considéré comme le fondement même de celui-ci.C’est en lui en effet que serait révélée la nature effective de lasouveraineté elle-même en tant qu’elle a le pouvoir de « déciderde l’état d’exception » (Schmitt, 1922 et 1934) c’est-à-dire desauver l’ordre juridique en en suspendant l’application. L’état d’ex-ception représenterait dans ce cas ce qui reste de l’« État quand ledroit fait défaut » (Schmitt, 1922 et 1934) et restaurerait dans lemême temps la primauté de la politique sur le droit et la primautélogique et ontologique de l’exception sur la règle.

Selon Schmitt, la caractéristique particulière de l’état d’excep-tion ne serait pas d’indiquer tout simplement un état d’urgence,qui demanderait des mesures extraordinaires motivées, comme lesoutient la doctrine, par l’état de nécessité et ayant pour conditionl’urgence (administration extraordinaire d’un commissaire) commeen cas d’état de siège ou de calamité, voire en cas de coup d’État.Dans ces cas-là, il s’agit en effet de suspendre l’ordre temporaire-ment et localement et de conférer des mandats exécutoires (etnon pas libres, comme le sont les mandats politiques représenta-tifs) aux personnes qui ont exclusivement pour mission de rétablirl’état normal. L’état d’exception renverrait au contraire au pouvoirpermanent de suspension de l’ordre in extenso, sans limitation,mais dans le but de sauver l’ordre lui-même. Il renverrait donc aupouvoir souverain entendu comme pouvoir constituant, qui peutrévoquer à tout moment le mandat des pouvoirs constitués. C’estdans ce sens seulement que l’état d’exception peut être considérécomme un état juridique et distinct d’un pur état de fait.

Cependant, il émerge de cette définition une relation directeentre le pouvoir politique (souveraineté), le droit et la vie. L’État-race national-socialiste est le cas limite de ce lien. Comme chacunle sait, il reposait entièrement sur le Décret pour la protection dupeuple allemand du 28 février 1933 (Agamben, 2003), par lequelfurent suspendus (mais jamais abolis) les articles de la Constitutiondu Reich relatifs aux droits des citoyens, et que vint compléter parla suite le Décret sur l’attribution des pleins pouvoirs au Chancelier

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 157

Lexique de biopolitique158

du Reich (Adolf Hitler) du 28 mars 1933, par lequel furent suspen-dus (mais jamais abolis) les articles de la Constitution du Reich rela-tifs aux pouvoirs et aux organes de l’État.

C’est dans l’État national-socialiste, que l’on pourrait à justeraison qualifier de véritable État d’exception totale et non passeulement d’État de police (de dictature ou État autoritaire, oubien encore de régime ou État totalitaire), que se serait donc leplus clairement manifesté le lien originaire entre le pouvoir poli-tique (souveraineté) et la vie (biopolitique) (Agamben, 1995 ;2003). Sous le Troisième Reich, en effet, à la suspension des droits,de la séparation des pouvoirs et de la représentativité du pouvoirpolitique lui-même au nom de la protection de la race allemandeest venue s’ajouter – avec le même objectif – la planification de la« guerre pour l’espace vital allemand » (Lebensraum) et pour la« domination mondiale du peuple allemand » (deutsche Volk)ainsi que pour l’assujettissement et l’extermination des individus etraces inférieurs.

L’État d’exception national-socialiste serait donc un Étatbiopolitique (Esposito, 2004). En lui, en effet, le pouvoir sur lescorps et sur les âmes, objet traditionnel du pouvoir d’abord reli-gieux (pastoral) puis gouvernemental (Foucault, 2004a), mais pasde la souveraineté, devient le fondement même du pouvoir poli-tique : la vie des corps et des âmes (esprit du peuple) est considé-rée comme objet et sujet de la souveraineté (Führerprinzip). Dansla définition traditionnelle, la souveraineté (imperium sur lespersonnes) se distinguait nettement du gouvernement (adminis-tration des choses) (Foucault, 2004a ; Schmitt, 1922 et 1934). Lepouvoir souverain avait pour objet le territoire et c’est pour celaqu’il s’exerçait sur les personnes, en requérant l’obéissance et engarantissant la protection. Le pouvoir religieux, en revanche, s’oc-cupait des personnes, de leur bien-être physique et spirituel(pastorale chrétienne) sur le modèle de la signification originairede l’art économique (gestion du foyer, c’est-à-dire, bonne admi-nistration de la famille et de ses biens). Avec la naissance de lasociété moderne sécularisée, ce gouvernement des personnes estdevenu l’objet de la raison d’État (Foucault, 2004a) contribuant àla grandeur de l’État à l’époque de l’absolutisme et du mercanti-lisme. L’ensemble de ces fonctions publiques constituait, à

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 158

Exception (état d’) 159

l’époque, l’objet de la police (Polizeistaat), laquelle intégrait lasouveraineté sans toutefois s’identifier avec elle. Au XVIIIe siècle, legouvernement s’est en effet progressivement autonomisé parrapport à la souveraineté, se liant de plus en plus aux véritéséconomiques, qui sont devenues de véritables principes d’autoré-gulation de la société selon la maxime : laissez faire. Ainsi, dansl’État libéral qui a donné naissance à l’État de droit moderne, nonseulement l’état d’exception n’existe pas mais la gouvernementa-lité prévaut sur la souveraineté, comme autorégulation de lasociété et donc comme absence de guide, de gouvernement ausens strict. La garantie et l’amélioration des conditions de l’écono-mie deviennent ainsi les critères de l’action publique. La réductionde la souveraineté à l’économie limite l’action publique à uncontrôle des conditions optimales de l’économie, dont l’objet prin-cipal est la population entendue comme organisme collectif avecson propre métabolisme et ses propres risques.

Dans le libéralisme, la tâche de l’action publique se concentredonc sur les conditions de fait (gouvernement des choses) et nonsur les conditions de droit (gouvernement des personnes).

L’État libéral se présente par conséquent comme le gouverne-ment de la société et non pas comme la souveraineté sur le terri-toire, et ne se base pas sur des modèles normatifs mais sur desprocessus de normalisation entendus comme critères de contrôleet de régulation de la vie sociale. Le pouvoir de normalisation nes’exerce pas sous des formes discriminantes, comme le fait lasouveraineté, mais définit, grâce à l’apport de savoirs écono-miques et sociaux, des vérités élevées au rang de modèles denormalité, d’où proviennent des critères d’action publique visant àmaintenir la réalité sociale dans un équilibre entre les extrêmesd’un maximum et d’un minimum par rapport à la valeur normale.

Il est clair que, de ce point de vue, l’histoire semblerait suivreun cours unidirectionnel de la souveraineté vers le gouverne-ment, à l’intérieur duquel la disparition de la souveraineté seraitinévitablement suivie de la raréfaction de l’état d’exception. Bienévidemment, le processus de mondialisation lui aussi jouerait enfaveur de cette tendance, lequel compte parmi ses caractéris-tiques les plus importantes ce que de nombreux observateursappellent la fin de l’État.

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 159

Lexique de biopolitique160

Mais peut-on vraiment soutenir qu’entre exception et norma-lisation il n’existe aucun lien de quelque type que ce soit ?

À travers au moins trois aspects fondamentaux du processusde globalisation on peut voir qu’il existe, au contraire, une inquié-tante continuité entre exception et normalisation : 1) l’indistinctionentre intérieur et extérieur qu’implique la suspension des frontièresde l’État ; 2) la plus récente révolution technologique qu’impli-quent les technologies de l’information et de la communication ;3) les nouvelles possibilités d’intervention sur la vie liées à la tech-noscience (génie génétique, microbiologie, biomédecine, etc.).

Avec l’abolition de la distinction entre intérieur et extérieur, onassiste à une imbrication profonde entre état d’exception etguerre, qui non seulement bouleverse les aspects formels de larégulation moderne de la guerre – en tant qu’elle remet à l’ordredu jour la guerre d’anéantissement – mais lui réattribue paradoxa-lement le rôle de fondateur et de garant de l’ordre politique. Lestechnologies de l’information et de la communication ne suspen-dent pas exclusivement les fonctions représentatives du langage,et avec elles le concept même de vérité, mais elles déterminent unrégime inédit de l’information qui devient progressivement lefondement de la norme (linguistique et juridique). Dans la bio-médecine, enfin, n’apparaît pas seulement le pouvoir qu’a la technoscience de modifier la vie mais aussi un nouveau régime dela vie avec son propre statut normatif non naturel.

Ces nouveaux systèmes de normalisation sont donc potentiel-lement de nouveaux régimes épistémiques capables de fournirégalement un nouveau fondement normatif. Dans les processusde normalisation de la vie, l’exception réémergerait donc à l’inté-rieur du risque immanent d’une normativisation du fait et, réci-proquement, d’une factualisation de la norme (Esposito, 2004).

Beppe Foglio

Voir : Biopolitique, Camps, CDT, Génocide, Gouvernementalité, Guanta-namo, Guerre, Police, Totalitarisme.

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 160

GÉNOCIDE

Le concept de génocide (composé à partir du grec genos,race, et du latin caedere, tuer) a été formulé pour la première foisen 1944 par Raphael Lemkin, un spécialiste polonais en droit inter-national. Jusqu’alors, les différents actes d’anéantissement degroupes spécifiques – nationaux, religieux, ethniques, raciaux –avaient été catalogués sous des concepts généraux (massacre,destruction, carnages, extermination, etc.) qui indiquaient généri-quement des manifestations de violence de masse. Par « géno-cide », Lemkin entend la destruction ciblée et consciente de toutou partie d’un groupe humain accomplie par l’autorité qui est aupouvoir ; destruction qui évolue selon un plan coordonné dediverses actions dont le but est d’éliminer les caractères essentielsde ce groupe (institutions, culture, langue, religion, coutumes) etdes individus qui y appartiennent (sécurité personnelle, liberté,dignité, santé) : l’élimination physique des membres du groupes’avère être le moment culminant, mais non le seul, de la planifi-cation du génocide. Le concept formulé par Lemkin voit sapremière application juridique au procès de Nuremberg, où estinstituée une nouvelle catégorie juridique, celle de crime contrel’humanité qui admet le droit d’ingérence dans les affaires internesd’un État et fonde le principe de rétroactivité du droit pénal inter-national. En 1948, les Nations unies – suite, surtout, aux horreursde l’Holocauste – approuvent la Convention sur la prévention et larépression du génocide (entrée en vigueur à partir de 1951). LaConvention marque, d’un côté, l’introduction sous une formestable, quoique « virtuelle », de la fonction pénale dans la commu-nauté internationale, fonction qui, à Nuremberg, avait été exercéeexceptionnellement et post factum ; de l’autre, cependant, ellen’affirme pas la supériorité du principe de protection des

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 161

Lexique de biopolitique162

personnes sur le principe de non-ingérence. À partir de 2002, laConvention sur le génocide est intégrée « de fait » par l’institutionofficielle de la Cour pénale internationale (qui siège à La Haye), untribunal permanent et indépendant des Nations unies qui a pourtâche d’incriminer, juger et condamner non pas les États mais lesindividus (indépendamment de leur autorité et de leur fonctionpolitique), qu’ils soient responsables d’un génocide, de crimes deguerre ou de crimes contre l’humanité (déportation, réduction àl’esclavage, torture, élimination clandestine, séquestration poli-tique, etc.), outrepassant ainsi le principe de non-ingérence. Dupoint de vue juridique, le génocide – sanctionné par la Cour inter-nationale – est le résultat d’une série d’actions intentionnelles,délibérées et coercitives menées par des individus (appartenantgénéralement à un gouvernement autoritaire ou totalitaire, oubien aux forces armées, régulières ou irrégulières, de ce gouverne-ment), aussi bien en période de paix que de guerre, visant àdétruire un « groupe indélébile » en tant que tel (auquel les indi-vidus appartiennent « par naissance » – il s’agit donc de groupesnationaux, ethniques, raciaux ou religieux) au moyen d’uneattaque diffuse et systématique contre la population. La Courpénale internationale s’emploie à juger les actions des individus (etnon des gouvernements ou d’autres institutions dans leurensemble) justement parce qu’elle poursuit les responsabilitéspénales individuelles et non celles des États, qui tombent sous lajuridiction de la Cour internationale de Justice.

La définition juridique de « génocide » s’avère toutefois insuf-fisante pour une analyse historique, sociologique et empirique duphénomène. Même sans procéder à la classification des carnagesperpétrés dans l’Antiquité, au Moyen Âge et à l’époque moderne(il suffit de penser aux actions des conquistadors espagnols enAmérique latine et aux massacres des Indiens en Amérique duNord), il est très problématique – et pas seulement du point de vuede l’action pénale – de limiter le génocide uniquement aux« groupes indélébiles », ce que font la Convention sur le génocideet la Cour pénale internationale pour mettre en place les procé-dures d’incrimination ; dans ce sens, les actes de destructioncontre des groupes politiques, sociaux, économiques ou d’unautre type (c’est-à-dire contre des groupes auxquels on « choisit »

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 162

Génocide 163

d’appartenir) ne sont pas classifiables comme génocide. La défini-tion de génocide adoptée par les Nations unies est donc, d’uncôté, trop large, vu qu’elle comprend des comportements crimi-nels hétérogènes (par exemple, le contrôle forcé des naissances),de l’autre, trop étroite, vu qu’elle ne comprend que les « groupesindélébiles », alors qu’il est évident qu’historiquement, des actesde génocide ont eu lieu justement contre des « groupes non indé-lébiles ». Le débat sur la définition de « génocide » ne peut doncpas se limiter à l’analyse de sa dimension juridique, de même qu’ilne peut pas se limiter à l’analyse de son acception commune, quil’assimilerait à un carnage de masse commis par un gouverne-ment. Généralement, les différentes définitions du « génocide » seregroupent en deux grandes « familles » conceptuelles. D’un côté,nous avons un concept de génocide qui considère l’intention detuer des individus déterminés en raison de leur appartenance à ungroupe envisagé comme élément caractérisant ; de l’autre, legénocide consiste à tuer intentionnellement des individus sansdéfense, indépendamment des motivations de l’acte criminel. Cesclassifications comportent des retombées immédiates et concrètesau niveau de l’analyse politique. Au cours de l’histoire, denombreux épisodes d’une barbarie diffuse comme intentionnelleont eu lieu contre les populations, mais combien d’entre euxpeuvent-ils être définis comme « génocides » ? Si l’on s’en tientaux différentes définitions, on ne peut en effet classer de la mêmefaçon les carnages commis, par exemple, en Turquie contre lesArméniens, en Allemagne par Hitler, en Union soviétique parStaline, en Chine par Mao Tse Tung, au Cambodge par les Khmersrouges, en Amérique latine par les brigades de la mort, en Irak parSaddam Hussein et, plus récemment, à Timor Est, au Soudan, auRwanda et en ex-Yougoslavie (notons que pour ces deux dernierscas, les Nations unies ont créé des tribunaux pénaux internatio-naux spécifiques). Pour éviter d’élargir démesurément la portée duconcept de génocide (élargissement qui, naturellement, affaibliraitson poids moral et politique de dénonciation), on a alors introduitle concept de « démocide » (Rummel, 1994), de façon à distinguerentre les carnages accomplis généralement par une autorité et levéritable génocide, qui est ainsi réservé aux carnages commis enraison de l’appartenance des victimes à un groupe donné.

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 163

Lexique de biopolitique164

La dynamique du génocide s’articule en quelques phasesspécifiques : a) classification des citoyens en différentes catégoriesphysiques et morales ; b) imposition symbolique au groupe quisera victime du génocide d’étiquettes et de caractères négatifs ; c)déshumanisation et démonisation des membres du groupe àtravers des formes de renforcement idéologique des oppositionsphysiques et morales de type « primaire » (humain/non-humain,interne/externe, ami/ennemi, pur/impur, etc.) ; d) identification desindividus qui devront être soumis aux mesures de coercition ;e) organisation programmée et préméditée des procéduresd’anéantissement ; f) mise en place intentionnelle du génocide,non seulement par l’élimination physique mais aussi par despratiques de contrôle forcé des naissances, de déplacement forcéd’enfants, de viols de masse, de création de conditions de vie (parexemple, alimentaires et sanitaires) visant à diminuer le nombre etl’intégrité psychique des membres du groupe victime du géno-cide ; g) négation publique du génocide. Dans la littérature scien-tifique, à côté de celle de Lemkin (1944), d’autres définitions dugénocide ont été produites qui ont essayé d’en reconstruire l’his-toire, la structure, les causes et les conditions, afin d’en repérer laspécificité par rapport à tous les autres crimes contre l’humanité.Le débat s’est focalisé sur quelques aspects essentiels : les groupesvictimes ; l’intention de détruire, globalement ou en partie ; lesauteurs du génocide ; la durée temporelle des actions criminelleset bien d’autres choses encore. Le génocide a alors été définicomme un meurtre de masse unilatéral, par lequel une autoritéentend détruire un groupe qui est pointé comme tel par l’agres-seur (Chalk et Jonassohn, 1990). Cependant, le génocide a égale-ment été défini comme un massacre d’État ayant d’énormespotentialités technico-organisatrices, orchestré par un gouverne-ment qui applique, sur une base idéologique, une politique crimi-nelle à l’égard de ses propres citoyens (Ternon, 1995). D’une façonplus générale, le génocide est une destruction de masse subie pardes personnes désarmées, accomplie en l’absence d’actions mili-taires déclarées et indépendamment de facteurs d’intentionnalitéexplicite (Charny, 1999). En revanche, pour d’autres auteurs, legénocide ne peut être défini que grâce à l’entrecroisement de troisfacteurs : le meurtre de masse, la grande quantité de morts, la

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 164

Génocide 165

durée de la persécution (Harff et Gurr, 1994). Et le génocide peutêtre défini encore comme un acte systématique et intentionnelvisant à éliminer physiquement une collectivité, en empêchant lareproduction biologique et sociale de ses membres (Fein, 1990 ;Katz, 1994). Pour d’autres auteurs au contraire, le critère de l’in-tentionnalité est un obstacle à la démonstration des pratiques degénocide ; ils proposent alors de n’analyser que le résultat desactions humaines et arrivent ainsi à formuler les concepts de géno-cide « par imprudence », d’écocide (c’est-à-dire, destruction dumilieu naturel où vit une population) et de génocide culturel (ouethnocide), ce dernier dérivant de l’assimilation forcée (Verhoeven,2002). Enfin, la distinction entre génocides domestiques qui sesont développés sur la base de divisions internes (qui, à leur tour,peuvent être des génocides contre des groupes indigènes, contredes adversaires politiques, contre des groupes entendus comme« bouc émissaires »), génocides consécutifs à des conflits interna-tionaux et génocides consécutifs à des politiques de décolonisa-tion, peut être déterminante (Kuper, 1981).

Mais au-delà des disputes classificatoires, il semble utile desouligner au moins un aspect problématique du concept de géno-cide : il présuppose en effet, dans une certaine mesure, une idéeoriginaire de « pureté » identitaire du groupe (que celle-ci soitraciale, ethnique, religieuse, culturelle, etc.), souvent conçue àpartir d’un langage de type « sanitaire ». Cependant une tellepureté n’existe pas dans la nature et elle n’a jamais existé ; demême est-il impossible de faire correspondre identité et territoire.L’idée de pureté est tout simplement le fruit d’une déformationidéologique qui, grâce à des projets « totaux » de transformationde la société, a savamment utilisé les moyens de la propagandepour couvrir, d’une part, une volonté anthropologique d’extermi-nation de l’ennemi et du « différent », de l’autre, une volontéévidente de pouvoir et d’appropriation économique. Le conceptmême de génocide serait donc un produit, formalisé au sein desthéories scientifiques, de cette idéologie de « pureté » (un produitnaturellement involontaire dans les intentions de tous ceux qui onttravaillé pour combattre ces abominables formes d’extermination).L’erreur de fond des théories du génocide consiste donc àcombattre les dégénérescences politico-idéologiques des idées de

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 165

Lexique de biopolitique166

race et d’ethnie en utilisant ce même paradigme théorique qui sefonde plus généralement sur l’idée de « groupe indélébile ». Aucontraire, ce paradigme devrait être drastiquement rejeté enfaveur d’une argumentation théorique émanant des droitshumains, civils et sociaux universels : pour sortir – au niveau dulangage s’entend – du génocide, il faut donc dépasser l’idée de« groupe indélébile », idée qui exprime une obsession identitairepathologique et paranoïaque, et qui entre de plein droit dans lescatégories de la biopolitique et du biopouvoir.

Carlo Altini

Voir : Biopolitique, Camps, Dégénérescence, Défense sociale, Exception(état d’), Eugénisme, Guerre, Monstre, Normal/pathologique, Popu-lation, Psychiatrie, Racisme, Santé publique, Sécurité, Totalitarisme.

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 166

GOUVERNEMENTALITÉ

La gouvernementalité est un concept que Foucault introduitet utilise dans le cadre de la généalogie de la biopolitique en enmodulant le sens afin d’ouvrir des domaines d’investigation plusvastes. La fécondité de ce concept n’est plus à démontrer, semble-t-il, tant il est devenu depuis longtemps l’objet, notamment, denombreux parcours de recherche (Meyet, 2005) : dans les paysanglophones, par exemple, il a fait naître le phénomène majeurdes Governmentality studies (Burchell, Gordon, Miller, 1991 ;Barry, Osborne, Rose, 1996 ; Dean, 1999 ; Bratich, Packer, McCar-thy 2003) ; des recherches importantes ont été menées égalementen Allemagne (Lemke, 1997 ; Bröckling, Krasmann, Lemke, 2000).

Le concept de gouvernementalité désigne avant tout unemodalité générale et un ensemble de savoirs et de techniques depouvoir qui présupposent nécessairement de faire une distinctionentre l’idée de gouvernement et celle de souveraineté. Le gouver-nement ne constitue pas une application immédiate du pouvoirsouverain, mais il est plutôt, dans la modernité tout particulière-ment, une condition essentielle de son fonctionnement puisqu’ilcompense les limites de ses instruments traditionnels – principale-ment juridiques, militaires et fiscaux – en tendant directement àdiriger les hommes et leurs comportements. Dans ce sens, les« arts du gouvernement » de la modernité naissent et se formentdans l’espace, pas strictement politique, de ce que l’on entend pargouvernement des enfants, de la famille, de la communauté, desâmes, des fous, des pauvres, des ouvriers, etc. La définition la plusappropriée du gouvernement est, de ce point de vue-là,« conduite des conduites » (Foucault, 1982a, 2004a).

Le pouvoir disciplinaire est un mécanisme exemplaire dugouvernement entendu dans ce sens qui voit, au début de la

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 167

Lexique de biopolitique168

modernité, sa première structuration massive dans les pratiques desurveillance des habitants des villes pestiférées au moyen d’uneorganisation hiérarchique et parcellisée de leur espace, et dont lesapplications les plus « avancées » et durables mûriront par la suitedans l’école, l’hôpital, la prison, l’atelier (Foucault, 1975, 1999,2003). Cependant, l’idée de gouvernement ne peut être circons-crite au cadre des techniques disciplinaires, qui sont précisémentdes arts du gouvernement dans la mesure où elles ont pour fina-lité essentielle la détermination positive des comportements deshommes, une finalité à laquelle peuvent répondre égalementd’autres techniques.

D’un point de vue général, le paradigme du gouvernementcorrespond plutôt au pouvoir pastoral qui s’affirme commemodèle dans la tradition juive et qui est exercé systématiquementpar le pastorat chrétien en vue de la direction des consciences, desâmes et des conduites. Le modèle du pouvoir pastoral est uninstrument décisif de déchiffrage de la rationalité politique quis’affirme à travers la « gouvernementalisation » de l’État moderne(Laborier et Lascoumes, 2005) : le pastorat s’occupe moins d’unterritoire que d’une multiplicité d’hommes, prenant soin d’eux etse fixant pour objectif le salut de leur ensemble (le troupeau) et dechacun d’entre eux (chaque brebis). De même, mais sur uneéchelle et un terrain différents, le gouvernement de l’État n’aura-t-il pas comme finalité immédiate la possession ou la conquêted’une terre et le prélèvement de ses richesses, mais la bonnegestion des forces du corps collectif (Foucault, 1981, 2004a).

Dans ce contexte, c’est la population qui apparaîtra commeétant la ressource fondamentale de la puissance de l’État, à l’égardde laquelle seront développées des formes spécifiques de savoir etdes techniques d’administration appropriées. D’autre part, l’individului-même sera nécessairement l’objet essentiel du savoir et dupouvoir de gouvernement, dans la mesure où il pourra contribuer àla conservation et au développement de la puissance de l’ensemble.D’où l’importance que Foucault accorde à la dualité des modesd’exercice de ce pouvoir qui correspondent à son individualisation età sa totalisation. D’où, également, l’élévation de la vie, de la santé,du bien-être matériel et moral de tout à chacun au rang de réfé-rences centrales des pratiques de gouvernement (Foucault, 1981,

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 168

Gouvernementalité 169

1982a, 1988b, 2004a, 2004b). Ainsi peut-on dire que la biopoli-tique, en tant que gouvernement de la vie, constitue une expressionessentielle de la gouvernementalité moderne. Mais, si nous pouvonsle dire c’est aussi parce que, comme Foucault le montre avant mêmed’approfondir ce dernier sujet, le biopouvoir s’affirme justementgrâce à la double modalité d’exercice qui caractérise la pratique degouvernement, l’approche individualisante, typique des techniquesdisciplinaires appliquées aux corps des individus, se combinant avecl’approche totalisante de la régulation des phénomènes biologiquesde la population (Foucault, 1976a, 1997). Quoi qu’il en soit, ce quiémerge de l’enquête foucaldienne sur la gouvernementalité, c’estque cette dernière, sous ses diverses expressions modernes, consti-tue certainement une condition de possibilité du biopouvoir(Foucault, 2004a, 2004b).

C’est sur ces bases que nous pouvons soutenir que le conceptde gouvernementalité indique avant tout la rationalité politiquequi se forme à travers la transposition et le développement dugouvernement des hommes, de la sphère éthico-religieuse jusqu’àla sphère politique. D’autre part, le concept peut également êtreutilisé pour indiquer les combinaisons particulières entre la ratio-nalité et les techniques concrètes de gouvernement qui se formentet s’affirment dans les contextes et les régimes les plus divers de ladirection des hommes : État absolutiste, libéralisme, welfare state,totalitarismes, néolibéralisme, pouvoirs transpolitiques, etc.

De plus, en ce qui concerne le terrain du conflit politique,nous devons considérer que les différentes rationalités et techno-logies de gouvernement se forment, pour la plupart, à partir despratiques de résistance et se transforment par réaction à des« contre-conduites », c’est-à-dire à des tentatives de la part desgouvernés de se dérober aux façons courantes de gouverner oud’en expérimenter d’autres en remettant en question, éventuelle-ment, leurs propres modes d’existence et de conduite (Foucault,1982a, 2004a).

Nous pouvons comprendre comment le rapport étroit entreles pratiques de gouvernement et la sphère de la vie et descomportements implique une extension ultérieure du sens duconcept de gouvernementalité. Bien évidemment, ce concept a àvoir également avec la sphère de l’éthique. Nous entendons par là

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 169

Lexique de biopolitique170

bien moins le domaine de la moralité définie par un ensemble depréceptes préétablis que l’espace de l’ethos vu comme l’attitude àlaquelle l’individu lui-même peut consacrer, de façon autonome,son attention et un travail de formation et de transformation.C’est en général le sens que Foucault attribue au concept de« souci de soi » qui constitue une autre expression fondamentalede la gouvernementalité, dans le sens précisément de « gouverne-ment de soi » ou d’autogouvernement en général. De ce point devue, l’éthique, même si elle ne s’identifie pas immédiatement avecl’action et la lutte politique, représente une pratique au moyen delaquelle l’homme tente de se constituer comme sujet relativementlibre, en problématisant la rationalité et les pratiques hétéronomesde gouvernement. Sur cette base, le terme « gouvernementalité »désigne donc aussi l’interaction entre les techniques du gouverne-ment exercé par les autres et sur les autres, et les techniques dugouvernement de soi (Foucault, 1984b, 1984c, 1988a, 1994c,2001a ; Schürmann, 1986).

Pour revenir à la gouvernementalité en tant que mélange entrerationalité et technologies politiques, il est important de soulignerqu’une distinction s’esquisse dans l’analyse foucaldienne entredeux grandes phases historiques. La première va à peu près de lafin du XVIe siècle à la moitié du XVIIIe, et est caractérisée par diffé-rents savoirs-pouvoirs de gouvernement, au nombre desquels lesthéories de la raison d’État, la science de police (Polizeiwissen-schaft), la statistique comme connaissance de l’État (Staatwissen-schaft), l’« arithmétique politique », les théories économiquesmercantilistes. Durant cette phase, les arts du gouvernementsemblent suivre le mouvement d’une expansion indéfinie desappareils, des systèmes de surveillance, d’administration et deréglementation. La seconde phase est au contraire celle de lagouvernementalité libérale, dans laquelle c’est l’économie poli-tique qui s’impose comme principal savoir de gouvernement : ellese différencie de la première surtout parce que le problème estcontinuellement posé de la limitation de l’action de l’État pour enconjurer les excès, caractéristiques de la phase précédente(Foucault, 2004a, 2004b ; Senellart, 1993, 2003).

Dans les deux cas, la richesse et le bien-être collectifs sontpoursuivis comme des finalités générales liées entre elles. De ce

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 170

Gouvernementalité 171

point de vue, les deux périodes sont certainement en continuitémais, avec la gouvernementalité libérale, l’économie gagne uneautonomie inédite qui lui est propre, et ce dans deux directionstrès précises : autonomie pratico-épistémique de l’économie poli-tique par rapport aux exigences immédiates du gouvernement,auxquelles était soumise en revanche l’analyse mercantiliste desrichesses de l’État absolutiste ; autonomie de l’économie dans lesens d’une indépendance et d’une incoercibilité du comportementéconomique des individus par rapport au gouvernement. Le libé-ralisme recourt, bien évidemment, lui aussi au savoir et aux prin-cipes juridiques pour définir et garantir cette indépendance, maisce qui le caractérise comme pratique de gouvernement, c’estsurtout la référence aux libertés des sujets économiques, vuescomme un instrument décisif dans la poursuite de la prospéritégénérale. Il en découle que la tâche primaire du gouvernement estde garantir activement les libertés au lieu de poursuivre d’impro-bables projets d’enrichissement et d’amélioration directe de l’exis-tence collective. Pour ce faire, le libéralisme récupère et relance lesouci de la sécurité qui obsédait déjà l’État de police, mais au lieude le rapporter immédiatement à la conservation du bien-être, il letraduit avant tout en une protection sécuritaire des libertés, vuescomme des moyens efficaces pour garantir le bien-être. Ce faisant,toutefois, il finit souvent par protéger certaines libertés au détri-ment d’autres, ou bien par en limiter certaines au bénéficed’autres, sur la base de critères d’économicité ou de dangerositévariables. De plus, son souci constant pour la sécurité devient leprésupposé principal pour que soient produites, dans le libéra-lisme, les conditions du biopouvoir (Foucault, 2004a, 2004b).

L’analyse foucaldienne du libéralisme a été un stimulantmajeur pour le développement des études sur la gouvernementa-lité, plus particulièrement l’idée que le libéralisme aurait histori-quement réussi à concilier sa radicale individualisationéconomique des libertés avec les exigences de totalisation poli-tique du pouvoir du gouvernement, en jouant surtout sur l’utilisa-tion du concept de société. Selon Foucault, initialement du moins,l’exaltation de l’indépendance de l’homo œconomicus auraitexposé le libéralisme au risque de délégitimer radicalement le rôledu gouvernement et de désintégrer profondément le corps collec-

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 171

Lexique de biopolitique172

tif. Mais l’« invention » de la société, justement, aurait permis depenser et pratiquer la combinabilité des destins des individus avecceux de la collectivité, sans toutefois réduire cette dernière aucorps unitaire de l’État ou à la simple somme des intérêts privés(Foucault, 2004b).

En développant cette thèse, Burchell (1991) soutient que laformation d’une gouvernementalité se fondant sur l’idée desociété civile a permis de faire mûrir une nouvelle forme decitoyenneté, parce que l’oscillation, typique du début de lamodernité, entre la nostalgie pour un modèle classique de l’en-gagement public fondé sur la vertu civique et les nouvelles formesde subjectivité civile fondées sur les droits individuels et les inté-rêts privés, a pu être surmontée. D’après Procacci (1978, 1986,1987, 1993), pour une autre définition de cette dimensionsociale, l’élaboration d’une économie sociale – dans le sens d’uneapproche alternative ou intégrative par rapport à l’économie poli-tique – et la promotion d’une « politique de la misère » – qui aaffronté le problème du paupérisme comme danger social auquelon peut remédier grâce à des instruments de moralisation, éduca-tion, assistance, assurance, hygiène, etc. – sont très importantesau XIXe siècle. Le « libéralisme réel », tel que Gordon (1991) ledéfinit, a donc dû penser et constituer le « social » comme unespace distinct de l’espace juridico-politique et de l’espaceéconomique. Devant faire face, au demeurant, dans la secondemoitié du XIXe siècle, aux poussées insurrectionnelles du proléta-riat, il en est venu à une définition stratégique de la « questionsociale » en tant que multiplicité de différents problèmes (acci-dents, chômage, maladies, vieillesse, etc.) susceptibles d’êtrerésolus grâce à une législation de type social-assistantiel prévue àcet effet et au moyen d’instruments de compensation solidairedes risques causés par l’économie (Donzelot, 1984, 1991). D’unefaçon plus générale, la notion de risque semble avoir été la véri-table pierre angulaire des différents régimes gouvernementauxqui se sont formés à travers la définition de la dangerosité et dela défense sociale (Pasquino, 1991) ou dans le cadre de la gestiondes problèmes de la santé (Castel, 1981, 1991) de même,d’ailleurs, que dans le champ plus vaste de l’imprévisibilité del’existence individuelle et collective.

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 172

Gouvernementalité 173

C’est sur ce dernier terrain que s’annonce de fait, à la fin duXIXe siècle, dans l’Allemagne bismarkienne mais également dans laFrance de la Troisième République, la rationalité gouvernementaledu welfare state. Dans ce contexte, le risque est admis moinscomme une donnée objective que comme un instrument technico-politique permettant de penser la réalité d’une façon nouvelle, en larendant gouvernable grâce au calcul probabiliste des événements età la définition de techniques d’assurance pour en réduire les consé-quences. Cela redéfinit du reste le rapport des individus avec lasphère économico-financière à travers l’épargne, leur attitudemorale à l’égard de l’avenir à travers la prévoyance et l’idée deresponsabilité individuelle au moyen de la redistribution collectivedes charges des imprévus (Ewald, 1986, 1987, 1991 ; Defert, 1991).

Les évolutions néolibérales récentes des arts du gouvernementinduisent enfin à souligner l’extrême fluidification en cours de lafrontière entre sphère étatique et sphère sociale, et la pluralisationdes régimes de gouvernementalité qui, en traversant cette fron-tière, relativisent la centralité même de l’État en tant qu’agence degouvernement (Gordon, 1991). Certains auteurs cherchent à faireapparaître également les formes d’autogouvernementalisation quefait mûrir une autonomie exacerbée et l’incitation des individus etdes groupes à s’autoresponsabiliser dans la gestion des risques etdes problèmes sociaux (Rose et Miller, 1992 ; Rose, 1996). Cepen-dant, il faut, selon d’autres points de vue, éviter d’orienter l’ana-lyse de ces tendances dans le sens d’une évolution linéaire de larationalité gouvernementale. Il faut savoir reconnaître que cetterationalité peut fonctionner y compris avec ses incohérences, seséchecs et les résistances qu’elle suscite. En outre, on ne peut passe contenter de diagnostiquer le « retrait » de l’État ou de la poli-tique comme une donnée caractéristique de la situation actuelle. Ilfaut supposer sérieusement que ce retrait est un aspect essentield’une nouvelle politique. Quoi qu’il en soit, l’État n’est pas néces-sairement voué à un déclin irréversible mais tend plutôt, semble-t-il, à modifier et à assouplir ses fonctions, de même que lesindividus et les groupes sociaux sont appelés à être plus souples,plus flexibles et plus responsables de leur propre conduite, en larendant compatible avec la rationalité libérale (Lemke, 2000,2002). Enfin, le « social » lui-même n’est pas voué à une « mort »

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 173

Lexique de biopolitique174

inéluctable. S’il est juste de parler de crise profonde du welfarestate, il faut également reconnaître que, dans les formes actuellesde « gouvernement libéral avancé », la culture libérale, tout enrestant dominante, s’articule avec d’autres rationalités politiques(communautarisme, néoconservatisme, etc.) produisant des post-welfarist regimes of social government plutôt que des formes depostsocial government. Dans cette perspective, le social sembledonc se reconfigurer comme un « quasi-marché » de services et deconseils, où les gouvernés n’apparaissent pas simplement commedes assistés ou comme des usagers mais aussi comme des clientset des consommateurs (Dean, 1999).

Ottavio Marzocca

Voir : Assujettissement/subjectivation, Biométrie, Biopolitique, Capitalhumain, CDT, Citoyenneté, Contrôle social, Corps, Défense sociale,Développement, Disciplines, Empowerment, Médicalisation, Norma-lisation, Police, Population, Pouvoir pastoral, Psychiatrie, Résistance(pratiques de), Risque, Santé publique, Sécurité, Totalitarisme,Welfare.

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 174

GUANTANAMO

Une différence fondamentale entre la guerre moderne et laguerre postmoderne tient au fait que cette dernière implique laformation d’ordres juridiques. Si, durant toute une phase de lamodernité, la guerre a été considérée comme une forme d’actionet/ou de sanction politique encadrée et réglementée par le droitinternational westphalien, aujourd’hui, au début du XXIe siècle,c’est elle qui réglemente sa propre structure juridique, en construi-sant et en imposant au reste de la société ses tribunaux, sa défini-tion de l’ennemi et ses nouvelles institutions pénales. Les dernièresmesures de lutte contre le terrorisme, adoptées tout d’abord parles États-Unis à la suite des attaques du 11 septembre 2001 contrele Pentagone et le World Trade Center, et qui se sont répanduesensuite sur le continent européen, rendent cette connotation post-moderne de la guerre parfaitement visible. Dans le fond, on pour-rait affirmer que, dans notre présent historique, le pouvoir-guerrea enveloppé l’État, proposant les institutions et les pratiques mili-taires comme des sources de réglementation du rapport social(Hardt et Negri, 2004).

De la lecture des décrets et des règlements promulgués entre lemois de novembre 2001 et l’été 2003 par l’administration Bush pourgérer l’urgence terroriste, il ressort clairement qu’a été attribué audépartement de la Justice – lequel travaille conjointement avec lesservices administratifs de l’Armée – un pouvoir de vie et de mort quine trouve à se définir qu’au-delà et par opposition aux cadres juri-diques existants, qu’ils soient civils, militaires ou internationaux. Ilémerge sans équivoque de ce contexte que la souveraineté s’estdésormais définitivement détachée du système constitutionnelmoderne qui, pour en réglementer l’exercice, l’avait divisée en fonc-tion législative, exécutive et judiciaire (Fioravanti, 1999).

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 175

Lexique de biopolitique176

La « guerre au terrorisme » se caractérise par le refus, de lapart des autorités gouvernementales, de reconnaître le statut deprisonnier de guerre aux quelque 600 personnes détenues dans labase navale de Guantanamo, à Cuba. La thèse selon laquelle lesconventions de Genève ne pourraient pas s’appliquer aux prison-niers capturés en Afghanistan se base sur le fait qu’il ne s’agiraitpas de soldats appartenant à une armée régulière, puisqu’ils neportaient aucun uniforme ou autre signe visible les rendant recon-naissables à distance et qu’ils n’étaient soumis à aucun comman-dement central responsable de leurs actions. L’absence dereconnaissance de l’adversaire en tant que justus hostis conduit àla définition de « combattant irrégulier » et à son traitement horsde l’ordre juridique international (Bonini, 2004).

Le Pentagone s’est toujours opposé à l’éventualité que lesdétenus de Guantanamo puissent contester leur incarcération enleur refusant le statut de prisonniers de guerre et donc la possibi-lité de faire valoir les droits garantis par la troisième Convention deGenève, à savoir le droit à l’assistance légale, le droit de faire appelet le droit au rapatriement. L’administration n’a pas voulu se réfé-rer non plus au droit pénal américain, qui aurait placé les prison-niers sous la tutelle de la Constitution. Ces personnes ont donc étéincarcérées sans avoir reçu aucun jugement ni même, en général,aucune accusation précise. Ce ne sont pas des prisonniers deguerre ni des criminels de droit commun ni des prisonniers poli-tiques mais des detainees, c’est-à-dire des détenus en attente,pour qui l’attente peut n’avoir jamais de fin.

Après les attaques du 11 septembre 2001, durant la phaseaiguë de la crise de sécurité nationale, la justification du gouver-nement, en l’absence de procès, se basait sur le fait que la basemilitaire de Guatanamo se trouvait en dehors de la souveraineté etdu territoire états-unien. Cependant, le 28 juin 2004, la Coursuprême, acceptant de se prononcer sur un recours présenté par16 prisonniers, a reconnu que la base se trouvait sous le contrôleet l’entière juridiction des États-Unis. Au bout de deux ans et demi,cette même Cour, chargée de garantir le respect des normesconstitutionnelles, a promulgué une sentence particulièrementsignificative : se prononçant sur le cas « Shafiq Rasul vs Bush »,elle a établi que les « combattants irréguliers » pouvaient présen-

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 176

Guantanamo 177

ter un recours devant une juridiction civile et contester l’accusationqui leur était adressée. Ce faisant, la Cour a établi que les tribu-naux des États-Unis avaient la faculté d’examiner la légalité de ladétention des combattants étrangers capturés à l’étranger aucours des hostilités.

L’annonce de la décision prise par la plus haute instance juri-dique a été saluée comme une victoire par les organisations dedéfense des droits de l’homme. Cependant, le problème est bienloin d’être réglé. En effet, la sentence de la Cour suprême n’a pasremis en question le pouvoir qu’a l’exécutif de capturer et incarcé-rer les personnes soupçonnées de terrorisme mais le seul fait de lesgarder prisonnières pendant une durée indéterminée. Elle asimplement reconnu aux prisonniers le droit de faire appel auxjuges fédéraux, sans leur garantir l’accès à un avocat. Si, d’un côté,la décision de la Cour suprême indique clairement que le pouvoirexécutif ne peut agir en dehors de l’ordre juridique, de l’autre, illégitime les initiatives de l’exécutif en affirmant que la détentionde ces personnes doit être acceptée comme une conséquence dela guerre au terrorisme, dont la spécificité est d’être une guerreindéterminable contre un ennemi indéfinissable.

La détention, comme l’a déclaré Donald Rumsfeld, est lemoyen le plus opportun pour éloigner des routes et des centralesnucléaires ceux qui pourraient commettre des actes de terrorisme.Pour le Secrétaire du département de la Défense, ce qui est impor-tant, c’est de prévenir les conséquences qui pourraient naître dufait que des assassins potentiels circulent librement et non lerespect de normes qui régulent la détention légitime de prison-niers. La loi n’est donc pas ce à quoi le département de la Défenseest assujetti, elle n’est pas ce qui fait la différence entre action légi-time et action illégitime de l’État mais, pour des raisons de sécu-rité nationale, elle est vue expressément comme un instrument depouvoir que l’on peut suspendre ou appliquer à son gré. De fait,la loi cesse de fonctionner comme un terrain de légitimation, deve-nant un moyen pour démanteler une menace virtuelle. Dans cecontexte, la détention est une action de type préventif.

À ce sujet, il est extrêmement intéressant de faire remarquerque face aux protestations réitérées des associations de protectiondes droits humains, le département de la Défense des États-Unis,

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 177

Lexique de biopolitique178

pour justifier la légitimité de la détention sans chef d’accusationpénal a cité comme précédent l’ensemble des législations qui,entre le XIXe et le XXe siècle, ont réglé l’hospitalisation d’office desmalades mentaux dans les asiles. Dès lors que le nouvel ennemi deguerre est le terrorisme, à savoir un ennemi « spécial », unique-ment enclin à tuer, le gouvernement, se basant sur cette violenceirrationnelle, a eu beau jeu de proposer une analogie entre lapersonne soupçonnée de terrorisme et le malade mental. De leurcôté, les médias mainstream, en vertu de leur alliance avec legouvernement, ont confirmé cette hypothèse en présentant unesérie d’histoires dans lesquelles le profil biographique des terro-ristes présentait un caractère pathologique marqué. Médias etgouvernement, dans un jeu de miroirs, ont créé le stigmate duterrorisme en reproduisant indirectement le discours scientifiquede la psychiatrie et de la criminologie qui absolutise le phénomènepathologique, si bien que l’individu qui l’exprime n’est réduit qu’àcela. Le terroriste devient, indistinctement, totalement fou et/outotalement criminel ; et c’est justement sur sa réduction à unetotalité négative qu’est appliquée la quarantaine de détention. Lanouvelle forme d’emprisonnement de guerre doit, pour être effi-cace, mimer le modèle d’enfermement psychiatrique préventif. Et,à y regarder de plus près, en effet, Guantanamo est un hybride oùdes aspects de la vie en détention carcérale et des aspects asilairesse mêlent de manière inquiétante. Au fond, nous ne prenonsaucun risque à affirmer que Guatanamo est une sorte d’« asilepostmoderne pour terroristes ».

Le gouvernement des États-Unis, en construisant artificielle-ment une identité entre terroriste et malade mental, cache sousl’alibi de la maladie mentale les contradictions sociopolitiques dontl’existence du terrorisme est l’expression. En pathologisant le terro-riste, c’est-à-dire en le réduisant à un simple réservoir de violence,on entend montrer à l’opinion publique que son action irration-nelle n’a aucun but politique. Ce que l’on veut nier, c’est que chezcette nouvelle génération islamique qui a grandi avec les imagesde la torture et de l’humiliation devant les yeux, la vocation ausuicide terroriste est devenue un phénomène de masse. C’est pources raisons que la connotation psychopathe du terroriste devientun support très efficace pour délégitimer la vaste gamme de

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 178

Guantanamo 179

formes de résistance mises en place par des subjectivités politiquesnon étatiques (Bonanate, 2004).

Pour certains spécialistes, la détention préventive, à l’époquede la guerre contre le terrorisme, n’est plus une circonstanceexceptionnelle mais un dispositif qui, en se généralisant, montre satendance à s’affirmer comme une pratique durable de gouverne-ment, pour gérer toute la population. Elle est une sonnetted’alarme qui laisse clairement entendre que l’état d’exception – etnon l’état de droit – est la forme juridique à laquelle l’Amériqueentend recourir pour gouverner une société globalisée (Agamben,2003 ; Butler, 2004 ; Paye, 2004).

Cependant, si l’on voulait être précis – sans vouloir pourautant nier que l’état d’exception est en vigueur – il faudrait affir-mer qu’il existe aussi une autre rationalité de gouvernement quipréside à la formation de cette nouvelle forme de détention et quel’on pourrait définir, sur les traces de Foucault, comme un « étatde prévention généralisé » ou un « état biosécuritaire ». Un telétat peut être considéré comme une nouveauté dans la mesure oùil extrémise, banalise et généralise ces éléments qui ont constituéle substrat de l’instauration du libéralisme classique du XIXe siècle :« culture du danger », « technologies de sécurité », « racismed’État », « politique de santé publique » (Foucault, 2004a ; DiVittorio, 2005a).

Le terrorisme est devenu, à notre époque, le principal vecteurde la culture du danger. Il devient l’occasion et le moyen à traverslequel on répand le soupçon que le comportement dangereux secache partout. À tous les risques d’instabilité et d’insécurité que leterrorisme comporte au niveau local et global doit correspondre,point par point, une intensification des stratégies sécuritaires, afind’exclure préventivement ce qui pourrait menacer la vie de lasociété. Au nom de la lutte contre le terrorisme, toute restrictiondes libertés individuelles devient légitime, allant jusqu’à la limiteextrême où il devient possible d’envisager la mise à mort del’autre. Selon cette optique, on peut voir une certaine continuitéfonctionnelle entre le racisme d’État et la lutte contre le terrorismed’aujourd’hui.

Foucault, lorsqu’il esquisse une analyse du biopouvoir,souligne que celui-ci est le pouvoir de « faire vivre », qu’il est une

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 179

Lexique de biopolitique180

prise en charge de la vie par le pouvoir. Mais alors, se demandele philosophe, dans une technologie de pouvoir qui a pour objetet pour objectif la vie, de quelle manière le droit de tuer et lafonction meurtrière seront-ils exercés ? S’il est vrai que sondessein est essentiellement de renforcer la vie, d’en prolonger ladurée, d’en éviter les accidents, comment est-il possible, dansces conditions, qu’un tel pouvoir politique puisse exercer lepouvoir souverain de faire la guerre, de suspendre l’État de droitet de nier les droits de citoyenneté ? Comment un pouvoir dontl’objectif est essentiellement de « faire vivre » peut-il « laissermourir » ? C’est là que le racisme devient une ressource indis-pensable de l’État moderne, du moment qu’il permet de rendrela fonction de tuer cohérente avec le biopouvoir, c’est-à-dire avecla défense et l’amélioration de la vie : la mort de l’autre, la mortde la mauvaise race, de la race inférieure (ou de l’anormal ou dusujet dangereux) est, en général, ce qui rendra la vie plus saine.Plus saine et plus sûre. En somme, à partir du moment où l’Étatdevient le garant de la vie, de la santé et de la sécurité, « lacondition d’acceptabilité de la mise à mort » – entendue commeexécution directe mais aussi, plus simplement, comme mort indi-recte ou comme exposition à la mort (mort politique, exclusion,expulsion, rejet) – ne peut être assurée que par le racisme(Foucault, 1997).

La pratique de la détention préventive, à savoir la nouvellefrontière de l’expiation sans condamnation, c’est justementcela : une forme de mise à mort indirecte. En annonçant unedétention indéfinie pour certains prisonniers « spéciaux », l’Étataméricain s’arroge le pouvoir de démultiplier, pour quelques viesindignes d’être vécues, le risque de la mort. Dans un pénitenciernormal, les détenus passent le plus clair de leur temps à calcu-ler et recalculer la durée de leur peine, le temps qui les séparede la première liberté conditionnelle, les choses à faire et à nepas faire pour écourter leur séjour en prison. Chaque jour quipasse représente un petit pas vers ce but. Connaître la longueurdu tunnel aide à supporter l’obscurité et la durée. Tout celan’existe pas à Guantanamo. Les prisonniers ne savent pas si etquand ils seront relâchés, ils n’ont pas d’avocat en qui remettreleur espoir. Au fond, la fatale discipline préparée ad hoc pour

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 180

Guantanamo 181

ces prisonniers sui generis ne semble avoir qu’un but unique :l’injonction au suicide.

Selon Foucault, nous assistons avec le racisme à une sorted’« extrapolation biologique du thème de l’ennemi ». Dans lesystème du biopouvoir, la mise à mort directe ou indirecte n’estlégitime que si elle tend non pas à la victoire sur l’adversaire poli-tique mais à l’élimination du danger biologico-social externe ouinterne, en rapport avec la population et pour la population. Àpartir de la seconde moitié du XIXe siècle, le racisme a installé larelation militaire dans celle de type biologique. Avec ce déplace-ment, l’herméneutique traditionnelle de la guerre symétriqueentre États souverains, justus hostis l’un vis-à-vis de l’autre, voleen éclats. Avec l’émergence du biopouvoir, le racisme est inscritdans les mécanismes de l’État, pour exploser dans les momentscritiques où le droit de faire mourir est revendiqué comme unenécessité. Dans une telle perspective, le 11 septembre 2001 estl’un de ces moments. Après cette date, nous avons affaire à un« racisme de la guerre » (Foucault, 1997) qui permettra d’établirentre la vie du peuple américain et la mort de la populationirakienne ou afghane une relation qui n’est pas la relation guer-rière, du type conflit entre pairs, mais la relation biologique, dutype : la mort de l’autre, dans la mesure où elle représente masécurité, est une nécessité. Et, en effet, comment interpréter lestonnes de bombes qui sont lâchées sur les villes et villagesirakiens ou afghans si ce n’est comme un acte chirurgical hygié-nico-sanitaire nécessaire ?

Le racisme, disait Michel Foucault il y a plus de trente ans,consiste à introduire une séparation entre la vie digne d’êtrevécue et celle qui, au contraire, peut être tuée, exposée à lamort, expulsée, incarcérée, séquestrée, mise en état de ne pasnuire. Le racisme est la condition d’acceptabilité de la mise àmort, la condition sur la base de laquelle on peut exercer le droitde tuer. C’est justement la condition qui nous permet de tolérer,voire d’applaudir, les nouvelles guerres de ces dernières annéesavec peu de pertes en vies humaines de notre côté et des milliersde victimes innocentes – perçues, bien entendu, comme infé-rieures – dans les pays bombardés (Ferrajoli, 2003). Dans laguerre préventive, tout se passe comme si les Occidentaux répan-

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 181

Lexique de biopolitique182

daient de l’insecticide dans les coins de leurs habitations (c’est déjàce que les opérations de mapping up au Vietnam voulaient juste-ment dire : passer la serpillière sur le sol pour le laver de ses impu-retés). Seul le sentiment d’une radicale asymétrie entre « nous » et« eux » permet de pratiquer et de promouvoir tout cela. Racismesignifie tuer en continuant à sentir qu’on est bon, parce que ceuxque l’on tue sont moins humains que nous.

Andrea Russo

Voir : Biopolitique, CDT, Camps, Dégénérescence, Exception (état d’),Guerre, Monstre, Psychiatrie, Racisme, Sécurité, Terrorisme.

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 182

GUERRE

Au cours des quinze dernières années, la guerre a connu unetelle série de transformations d’ordre catégoriel et politique que lescaractéristiques qu’on lui reconnaissait durant toute l’époquemoderne s’en sont trouvées radicalement modifiées. Cette trans-formation est devenue palpable à la suite des interventions mili-taires qui se sont produites après la fin de la guerre froide, quanddiverses coalitions occidentales composites menées par les États-Unis sont intervenues dans différentes parties du monde au nomde la « légalité internationale » (Koweit, 1991), de l’« humanité »et des « droits de l’homme » (Somalie, 1993, Bosnie, 1995,Kosovo, 1999), de la liberté « durable » (Afghanistan, 2001), de la« recherche d’armes de destruction de masse », de la « luttecontre le terrorisme » ou tout simplement de l’hégémonie (Irak,2003). La première grande transformation de la guerre a eu lieu auplan stratégique. Contrairement aux années 1990, où l’on proje-tait l’utopie d’une guerre technologique capable d’anéantir toutennemi sans subir de pertes dans ses propres rangs – c’est cequ’on appelle la Revolution in military affaire (Joxe, 2002) – laguerre impose aujourd’hui un retour sur le terrain. Cependant, ilne s’agit pas d’un retour aux guerres napoléoniennes mais d’uneguerre où l’on considère que les instruments militaires sontcapables de gouverner une population présente sur le « théâtre dela guerre » selon la chirurgie propre à une politique de police.

Le second indice de la transformation en cours est lié à la justi-fication de la guerre. La récurrence marquée de conflits militairesimpliquant les États occidentaux, en particulier les États européens,a fait apparaître une grande différence par rapport à une époqueoù la compétition stratégique entre l’empire américain et l’empiresoviétique avait laissé l’Europe dans une situation relativement

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 183

Lexique de biopolitique184

pacifique. Après la fin de l’équilibre bipolaire marquée par lesdramatiques attaques terroristes du 11 septembre 2001 à New Yorket à Washington, il n’a pas manqué de définitions visant, par lesqualificatifs employés, à justifier les interventions militaires : guerrehumanitaire, guerre préventive, guerre contre le terrorisme, pourl’exportation de la démocratie, contre les « États canailles » qui nerespectent pas les droits de l’homme, etc. Ces définitions ne peuventêtre distinguées les unes des autres, puisqu’elles ne sont pas lessignes d’époques différentes (avant et après le 11 septembre, parexemple) mais les volets d’une seule et même affaire, d’un seul etmême type de guerre, qui ne se limite plus aux frontières des États-nations et des différentes sociétés mais suit au contraire une orien-tation transétatique et transnationale.

La guerre globale a donc pour caractéristique la dissolution desfrontières entre la guerre et la paix. Ainsi peut-on conclure que,après les mesures juridiques adoptées par le gouvernement desÉtats-Unis dans le cadre de la « guerre au terrorisme » – comme lePatriot Act de 2002, le Domestic Security Enhancement Act de 2003(le Patriot II) – et la directive européenne concernant la lutte contrele terrorisme (Décision cadre du Conseil européen du 13 juin 2002),la guerre ne se déroule plus seulement entre entités étatiques maisaussi entre États et entités non étatiques – transformation quidevient de plus en plus intelligible (Galli, 2001, 2002). De tellesmesures tendent à affirmer la priorité de la guerre préventive contredes groupes ou des États intégrés dans un « réseau terroriste » parrapport à la guerre internationale menée par des groupes politiquesou des États soumis à l’ordre international. En particulier, la guerreasymétrique contre des entités non étatiques dissocie la catégorie del’hostilité des relations entre États, modifiant de ce fait la naturemême de la qualité d’« ennemi », qui impliquait encore une série deprérogatives de nature juridique.

Aujourd’hui, la chasse à un ennemi comme le terrorisme isla-mico-fondamentaliste d’Al Qaïda, dont l’identité et l’idéologie sontcontinuellement redéfinies, non seulement modifie de façon radi-cale les paramètres à l’aide desquels on mesure la durée de l’état deguerre, mais ne permet pas de se mettre d’accord sur la propor-tionnalité de la réponse à une attaque (Clausewitz, 1832-1834). Dèslors que font défaut ces deux paramètres, qui constituent la colonne

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 184

Guerre 185

vertébrale de la théorie clausewitzienne, la guerre globale impose ladissolution progressive du caractère exceptionnel du conflit belli-queux, lequel devient alors un état d’urgence permanent. Après laconsolidation de la guerre globale, qui a tracé les nouvelles cartesdes frontières entre sécurité interne et externe, militaire et civile, lesréflexions de Foucault peuvent être comprises dans toute leur inté-gralité. Prolongeant sa fameuse paraphrase clausewitzienne, « lapolitique est la guerre permanente et silencieuse continuée pard’autres moyens » (Foucault, 1997), on peut dire que l’après-guerreest la guerre continuée par d’autres moyens.

La logique de la guerre globale correspond de plus en plus àcelle de la police : cette dernière ne cherche pas, en effet, à anéan-tir un « ennemi », elle tend au contraire à isoler un « criminel » ;elle ne prétend pas créer un ordre à partir de rien, elle gère direc-tement le désordre en tant que bouleversement d’un ordreprésumé. La guerre globale, dans ce sens, relie l’ordre politiqueaux exigences de la sécurité et de la stabilité internationale chro-niquement menacée par des entités qui ont pour objectif sa démo-lition (Dal Lago, 2003). L’utilisation de ce pouvoir de police se faità travers des modalités biopolitiques, c’est-à-dire à travers legouvernement de la sécurité et de la vie des populations soumisesau désordre que provoque le conflit militaire. La biopolitique liée àla guerre globale redéfinit le « politique » tel qu’il s’est développédans les sociétés modernes. Le « politique » ainsi redéfini necorrespond pas exclusivement à la théorie juridique de la souverai-neté, il consiste aussi en la création de « mécanismes de sécurité »qui deviennent des instruments indispensables pour gouverner etgarantir la liberté de la population (Foucault, 2004a, 2004b).

Il faut accorder une attention particulière aux nouveauxinstruments de contrôle du désordre adoptés à partir de l’après-guerre au Kosovo jusqu’à l’après-guerre en Irak. Il s’agit d’instru-ments provenant d’une utilisation policière des moyens militaireset ayant pour objectif d’affronter la « menace » indéterminée d’unennemi non étatique qui adopte, quant à lui, des positions terro-ristes et conspiratrices. La nécessité du contrôle de la vie des popu-lations transforme l’après-guerre en une guerre à basse intensité,caractérisée par un mélange d’opérations d’espionnage, de policeet de combat classique. Dans ce contexte, les armées mènent devéritables opérations de chirurgie sociale, en repérant dans la popu-

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 185

Lexique de biopolitique186

lation les ennemis potentiels, les « terroristes », mais en mobilisantégalement la « partie saine » de celle-ci, à l’intérieur d’une plusvaste « offensive idéologique » contre le « néototalitarisme isla-mique », pour soutenir l’« exportation de la démocratie » (Lobe,Olivieri, 2003 ; Di Leo, 2004 ; Borgognone, 2004). La mêmeapproche chirurgicale est à l’œuvre dans ces opérations internatio-nales, couvertes par les services secrets et par les polices locales, quisont réalisées à l’intérieur des frontières des États dans le but deprévenir d’éventuels actes terroristes. Le résultat de ces opérationsest l’identification de l’ennemi sur une base ethnico-religieuse(notamment les musulmans sympathisants de la cause du fonda-mentalisme islamique) et la dissolution des droits fondamentaux deces personnes, sujettes à des enlèvements dans leurs pays de rési-dence et à des déportations avec la complicité des gouvernementsqui participent à la « guerre contre le terrorisme ». Les nombreux casenregistrés à partir de 2001 prouvent le déclin de la souveraineté desÉtats-nations en faveur d’un système plus complexe, interconnecté,d’actions politiques, économiques, juridiques et militaires qui visentà renverser les autorités constituées et à réécrire informellement lessources mêmes du droit pénal international.

La sécurité n’est donc plus gérée par les États de manière exclu-sive, comme une question d’ordre public interne, mais elle demandeque soit adoptée une série de politiques militaires et de policecommunes (les pratiques de contre-insurrection) pour neutraliser lesmenaces au niveau international et, dans le même temps, sauve-garder les conditions de vie de leurs populations et de celles desautres pays. Par conséquent, si la guerre humanitaire au Kosovo aproduit une relation entre militaires et civils pour la gestion de l’ur-gence, dont les lignes fondamentales sont à rechercher aussi dans ladoctrine actuelle de la guerre préventive, aujourd’hui, pour affronterles objectifs établis par la politique de contre-insurrection, il est deplus en plus nécessaire d’impliquer les militaires dans les actionsciviles, ainsi que le réseau dense des ONG sur le terrain de l’après-guerre mais aussi dans les activités de la « société civile » locale. Lesarmées sont actuellement impliquées dans des activités de peace-keeping et ont, par rapport aux sociétés et aux États locaux, un rôlede suppléance. La doctrine de la guerre préventive contient doncdes éléments défensifs explicites mais il est vrai également que, dansce qu’on appelle la mission d’exportation de la démocratie, l’esprit

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 186

Guerre 187

de l’humanitarisme survit : l’interventionnisme est l’idée qu’il estpossible d’implanter dans les sociétés locales un tissu social, écono-mique et politique grâce à une intervention armée des puissancesoccidentales – ce qu’on appelle la théorie du Nation and State-buil-ding (Fukuyama, 2004). La théorie de la « guerre préventive »contre les menaces potentielles visant la sécurité et les intérêts natio-naux des États dominants trouve une confirmation logique dans lefinancement du développement et dans la théorie du National buil-ding, la reconstruction des sociétés civiles moyen-orientales et deleurs « États en faillite » en utilisant l’instrument de l’armée pourmener une activité de police internationale.

L’ubiquité de la guerre globale trace donc de nouvelles fron-tières entre la sécurité interne et externe des États et modifie ladistinction même entre la paix et la guerre, mais elle fait émergerdans le même temps une contradiction dans laquelle se trouveaujourd’hui le pouvoir. Le nouveau type de guerre poursuit aujour-d’hui deux exigences. La première vise à garantir les libertés indivi-duelles de ceux qui vivent sous des régimes autoritaires ; laseconde à neutraliser toute menace contre la sécurité interne desÉtats qui entendent défendre les droits de l’homme partout où ilssont menacés mais qui recourent à une série de mesures juridiquestendant à nier les droits fondamentaux de ceux qui sont identifiéscomme ennemis. Il en résulte que l’impératif éthique de la défensedes droits de l’homme est exposé à l’invocation de l’interventionmilitaire des États contre ceux qui ne les appliquent pas. Les droitsà défendre sont de cette manière violés et ignorés dans leuruniversalité. Voilà une lancinante contradiction au sein du droitinternational, lequel, même s’il affirme l’universalité de la citoyen-neté et de la protection des droits de l’homme, est, pour diffé-rentes raisons, inadéquat (Zolo, 2002).

Comme c’est le cas dans tous les changements de paradigmeil subsiste, même dans la guerre globale, quelque chose de ceuxqui ont été dépassés ; en effet, tout comme Clausewitz l’affirmait,la décision de la guerre est toujours aujourd’hui du ressort dudéfenseur et non de l’attaquant, dans les actions duquel on nereconnaît plus du reste – comme dans le cas du 11 septembre – lesraisons d’État (par exemple, l’occupation militaire du territoire quiprésuppose une vraie déclaration de guerre). Par contre, onconstate un écart par rapport à la théorie clausewitzienne pour ce

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 187

Lexique de biopolitique188

qui est de la nature de la défense. La « guerre préventive » peutêtre redéfinie, en effet, comme une défense projective, unedéfense qui cherche à garantir à l’étranger la sécurité et l’intérêtnational (américain) à travers une série d’attaques précomman-dées contre des États ou des individus. Contrairement à la théorieclausewitzienne de la défense et de l’attaque, donc, le concept dedéfense projective opère un renversement significatif : pour sedéfendre, il faut attaquer toujours et partout, éliminant ainsi dumême coup le problème de la durée des hostilités et donc de lacodification de celles-ci à l’intérieur du droit international.

Ainsi s’annulent progressivement les différences entre guerreabsolue, où l’on vise à la destruction totale de l’adversaire, et guerrelimitée (appelée guerre réelle par Aron (1962), qui est l’instrumentde la poursuite d’un dessein particulier. En effet, la guerre globaleélimine tous les paramètres traditionnels de la diplomatie entre lesÉtats en faveur d’une diplomatie secrète et d’une guerre d’espion-nage où la négociation n’est pas l’alternative à l’utilisation de laforce mais son application logique. L’objectif de la guerre globaleest, en somme, l’annulation de l’adversaire par sa réduction de l’étatd’« ennemi » à celui de « criminel » auquel ne sont reconnues ni lesgaranties de la convention de Genève ni celles, minimales, prévuespar les codes pénaux (Paye, 2004). Et c’est ainsi que la guerrepréventive dissout l’un des piliers du jus contra bellum moderne : ladéfinition négociée des actes d’agression (Bobbio, 1979 ; Bonanate,1998). L’ennemi n’étant pas une entité étatique dont les intentionsbelligérantes sont proclamées par une déclaration de guerre, leconstat de l’agression devient une entreprise entièrement confiée àdes composantes subjectives du pouvoir exécutif. Dès lors que lesconditions pour la légitimité du recours à la guerre font défaut, onpeut dire que les doctrines de la guerre préventive et de la guerrecontre le terrorisme constituent les premiers pas décisifs vers la défi-nition d’un nouveau jus in bello.

Roberto Ciccarelli

Voir : Camps, Défense sociale, Exception (état d’), Guantanamo, Police,Psychiatrie, Santé publique, Sécurité, Terrorisme.

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 188

HUMANISME SCIENTIFIQUE

L’humanisme scientifique est une version de la pensée huma-niste dont les origines sont concomitantes à la naissance de lascience elle-même. En général, l’humanisme croit à l’existence decaractéristiques universelles de la nature humaine, indépendantesdes circonstances temporelles et spatiales. Considérant qu’il estpossible de trouver ces caractéristiques grâce aux capacités intel-lectuelles, les humanistes cherchent à élaborer une vision univer-selle de la vie, de l’homme, de la morale et de la politique quitrouve ses prémisses dans cette nature commune.

Tous les exemples historiques d’humanisme s’accordent sur cepostulat initial, mais c’est par des formes de connaissance diffé-rentes que les humanistes ont cherché à comprendre la naturehumaine. Dans l’histoire de la pensée occidentale, on peut distin-guer trois traditions d’humanisme différentes : l’humanisme chré-tien, l’humanisme classique et enfin, l’humanisme scientifique. Lepremier recherche les caractéristiques de la nature humaine aumoyen d’une étude anthropologique des Saintes Écritures et desécrits des Pères de l’Église. L’humanisme classique, plus connucomme humanisme tout simplement, tire son origine du mouve-ment de redécouverte des classiques de la littérature romaine etgrecque qui a eu lieu entre la fin du XVe et la première moitié duXVIe siècle. Parmi ses auteurs les plus célèbres, on peut compterÉrasme de Rotterdam, Machiavel, Francesco Guicciardini.

L’humanisme scientifique, qui s’est développé au cours de lapériode immédiatement consécutive à l’apogée de l’humanismeclassique, se détache des deux autres traditions humanistes en tantqu’il considère la science comme la forme de connaissance la plusapte à repérer les caractéristiques universelles de la naturehumaine. Anticipant les premières expressions de l’humanisme

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 189

Lexique de biopolitique190

scientifique, certains « mages » de la Renaissance, inspirés par laredécouverte d’un corpus d’écrits ésotériques, le Corpus Hermeti-cum, tentèrent de démontrer l’existence d’une concordance fonda-mentale entre le monde naturel et les vérités révélées dansl’Écriture, par l’expérimentation magique et alchimique. Étanttoutes deux des œuvres de Dieu, Nature et Écritures n’avaientaucune raison d’être discordantes : ils pensaient donc qu’en cas dediscordance, il fallait en attribuer la cause à une interprétation erro-née des Écritures plutôt qu’à une erreur de l’observation empirique.

Ce regain d’intérêt pour la philosophie naturelle ne tarda pasà encourager magie, alchimie et spéculations cabalistiques,comme dans le cas de Bruno, Campanella et Dee. Par la suite, lesécrits rosicruciens réélaborèrent ces thèmes, proposant, à l’étatembryonnaire, les éléments essentiels de ce qui allait bientôt deve-nir le premier exemple achevé de l’humanisme scientifique. Pourles Rose-Croix, le monde, qui avait atteint la limite extrême duchaos et du désordre, était au seuil d’une nouvelle époque. Cettenouvelle ère allait être caractérisée par une nouvelle religion et unenouvelle philosophie basée sur l’alchimie et la magie. La confra-ternité secrète de la Rose-Croix avait donc pour objectif depromouvoir une grande avancée de la connaissance, laquelle, àson tour, conduirait l’humanité vers l’ère de la perfection spiri-tuelle, physique et cognitive (Yates, 1972).

C’est dans pareil contexte qu’évoluait parallèlement FrancisBacon, lequel refusa cependant les spéculations hermétiques et lesexpérimentations alchimiques en faveur de ce qu’il appelait lui-même la philosophie expérimentale (Rossi, 1978). Ce n’est pas unhasard si c’est précisément en Angleterre que débuta l’humanismescientifique, mais avec des philosophe formés dans des universitésallemandes protestantes. Samuel Hartlib, John Dury et Amos Come-nius s’étaient en effet formés en Allemagne entre Heidelberg etHerborn durant les années qui précédèrent la bataille de laMontagne Blanche (Webster, 1975). Ils participèrent aux nouveauxmouvements qui refusaient la philosophie scolastique et s’employè-rent à trouver, grâce à la science, la voie pour ramener l’harmonieentre l’homme (microcosme) et la nature (macrocosme). En 1642,Hartlib s’associa à Dury et Comenius pour fonder à Londres unCollège Universel dont l’objectif premier était de faciliter la réalisa-

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 190

Humanisme scientifique 191

tion de l’Âge d’Or grâce au progrès de la science et de la philoso-phie. Les scientifiques qui y participèrent, de confession puritainepour la plupart, pensaient que la science était un instrument accordépar la grâce de Dieu pour se réapproprier des connaissances de lanature qu’Adam possédait à l’origine. Les Puritains croyaientqu’avec ces connaissances, il était possible d’améliorer la santé del’homme au point de lui restituer l’éternité. Ils croyaient de mêmeque, grâce à la science, il serait possible de réorganiser la sociétésous une forme parfaite, de diffuser un modèle éducatif et philoso-phique universel et, enfin, de ramener toutes les nations sous lamême conduite politique et spirituelle (Webster, 1975). Comeniussoutenait en effet que si tous les hommes avaient la possibilité d’ex-périmenter cette régénération, ils embrasseraient spontanément lanouvelle spiritualité, surmontant tout obstacle religieux et idéolo-gique. À cette perfection spirituelle ferait suite une perfectionsociale et politique, les gouvernements du monde entier s’unissantpour former un gouvernement mondial. Enfin, la tâche reviendraitaux scientifiques d’assister l’œuvre des gouvernants, grâce à un« collège de la lumière » où les choix politiques de fond seraientdéfinis à partir de thèmes scientifiques.

Au cours des siècles suivants, l’humanisme scientifique prouvason importance et sa vitalité en se reproposant également dans uncontexte philosophique immanent, comme ce fut le cas parexemple avec la Religion de l’Humanité de Comte et le Catéchismeindustriel de Saint-Simon. Mais, la version de l’humanisme scienti-fique la plus complète, moderne et radicale, est celle que le biolo-giste anglais Julian Huxley a proposée entre les années 1930 et1970. On peut voir en Huxley aussi bien l’idéologue de l’huma-nisme scientifique contemporain que l’un des pères de l’eugénismemoderne. Il a été à la fois le premier directeur général de l’UNESCO,membre fondateur de l’International Humanist Ethical Union, et unmembre distingué de la Société mondiale de l’eugénisme.

Tentant de concilier les principes de la science, de l’évolutionet de l’humanisme, Huxley proposa un humanisme évolutionniste.À l’intérieur de ce projet, c’est à l’eugénisme qu’il revenait de réali-ser la perfection physique de l’espèce humaine. Considérant quel’Europe traversait une période de « dégénérescence raciale »,Huxley proposa de recourir à l’eugénisme pour rétablir et accélérer

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 191

Lexique de biopolitique192

le cours de l’évolution humaine (Huxley, 1939). Il fut le premier àélaborer la distinction entre eugénisme positif et eugénisme néga-tif, mais il distingua aussi l’eugénisme à court terme, qui devaitrétablir et augmenter la proportion d’individus doués, de l’eugé-nisme à long terme, qui devait produire une nouvelle forme d’hu-manité, capable progressivement d’atteindre la perfection (Huxley,1947). L’humanisme d’Huxley proposait, par exemple, la stérilisa-tion obligatoire non seulement de ceux qui présentaient desdéfauts physiques et mentaux mais de ceux qui ne semblaient pasprésenter des dons intellectuels remarquables, comme lesmembres des classes ouvrières. Plus tard, les politiques eugéniquessélectionneraient les individus les meilleurs pour la reproduction,en modifiant ultérieurement leurs caractéristiques génétiques.Enfin, la science allait avoir la possibilité de sélectionner des quan-tités appropriées d’individus pour accomplir les différentes tâchesque requérait la société. En d’autres termes, la science allait four-nir à la société un nombre approprié de poètes, de peintres, d’ou-vriers, d’intellectuels, et ainsi de suite. Dans ce sens, l’eugénismese présentait comme l’avant-garde de toutes les sciences, étantcapable d’aider le genre humain à réaliser son vieux rêve de domi-nation totale sur le destin de l’homme et sur celui de la planète.

Selon Huxley, l’eugénisme devait se doubler d’une réforme dela société pour permettre aux nouveaux individus de développer aumaximum leurs potentialités. Dans un milieu socioculturel favorable,les individus les plus doués feraient de l’ombre aux moins doués, cequi faciliterait le repérage de ces derniers pour en empêcher lareproduction. De même était-il nécessaire d’abolir aussi bien lewelfare state – car l’assistance sanitaire gratuite freinait la reproduc-tion et la propagation des individus doués – que le capitalismepur – car celui-ci ne serait pas capable d’absorber efficacement lenombre croissant d’individus génétiquement supérieurs. Sur le longterme, cette double action, génétique et sociale, devait augmentersensiblement la rapidité du processus d’évolution. Ces réformessocioculturelles présupposaient l’élimination de tout nationalisme etl’institution d’une autorité internationale qui devrait contribuer àélever le seuil des capacités physiques et intellectuelles des individusles plus doués. Huxley reformula aussi, au sens eugénique, le rapportentre démocratie et égalité. Puisque la démocratie insistait tellement

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 192

Humanisme scientifique 193

sur l’aspect quantitatif des suffrages, une plus grande attentionportée aux qualités des individus dotés d’excellence aurait dû rééqui-librer le principe d’égalité démocratique. Enfin, Huxley encourageala communauté internationale à choisir ses propres paramètreséthiques relativement à l’orientation prévisible de l’évolutionhumaine, harmonisant ainsi moralité publique et connaissancescientifique. En fait, si l’on sait que la science génétique moderne enétait à ses débuts quand Huxley écrivait, on pourrait presque affir-mer qu’il a inspiré le développement de la science génétique. Enoutre, Huxley montre clairement comment l’eugénisme n’est pasforcément associé au nazisme. Son projet s’adressait en effet à lacommunauté mondiale et se fixait pour but, grâce à l’utilisation dela propagande, de convertir l’opinion publique mondiale.

En conclusion, l’humanisme scientifique peut être définicomme une pensée utopique qui croit dans la possibilité d’unesociété universelle parfaite, se basant sur une philosophiecommune d’origine scientifique. Il vise, à travers son propre modèled’éducation universelle et grâce à l’évolution de la science et de latechnologie, à la réalisation de la perfection physique, spirituelle etpolitique. La perfection physique implique l’amélioration des condi-tions physiques de l’espèce humaine, la réduction progressive desmaladies et l’augmentation correspondante de l’espérance de vie.Par conséquent, l’humanisme scientifique a toujours soutenu lanécessité d’adopter des mesures eugéniques. La perfection spiri-tuelle implique la conversion mondiale de l’humanité à cette uniquepensée religieuse qui, réconciliant science et humanisme, seraitcapable de satisfaire les besoins spirituels de l’homme et derésoudre le dualisme entre âme et corps. La perfection politique,enfin, implique la création d’une communauté humaine gouvernéepar un seul gouvernement mondial assisté par le travail des scienti-fiques, dans laquelle les conflits sociaux, politiques et idéologiquesseraient résolus grâce à une éducation humaniste commune.

Vincenzo Pavone

Voir : Capital humain, Dégénérescence, Eugénisme, Génocide, Médicali-sation, Normalisation, Posthumain, Racisme, Santé publique, Totali-tarisme.

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 193

MÉDICALISATION

Parler de médicalisation veut dire avant tout parler d’unprocessus de débordement de la part d’une science, la médecine,qui outrepasse ses limites : elle n’est plus seulement l’art de guérirl’individu ou une systématisation de connaissances permettantd’affronter la maladie de l’individu mais un développement enva-hissant de savoirs et de pratiques que l’on commence, à partir duXVIIIe siècle, à appliquer aux problèmes collectifs qui, historique-ment, ne sont pas considérés comme des problèmes médicaux.Elle évolue dans le sens d’une protection, sur une vaste échelle, dela santé du corps social. Le bien-être physique de la population, laprotection et l’amélioration de son niveau de santé deviennentl’un des principaux projets du pouvoir politique, non seulement envue de la prise en charge de la marginalisation sociale et de lapauvreté pour les rendre productives, mais aussi de « l’aménage-ment de la société comme milieu de bien-être physique, de santéoptimale et de longévité » (Foucault, 1976b).

Cependant, cette sortie des frontières de la relation individuellene peut se réaliser que si, auparavant, l’individu a été impliqué dansle processus de médicalisation. Cette implication part d’une identifi-cation et conduit à une attente. L’identification naît lorsque la sépa-ration entre « psyché » et « soma » fait du corps un Körper, uncorps purement physique, un objet comme n’importe quel objet dela nature et non plus un corps vivant (Leib) tel qu’il peut être appré-hendé dans une perspective phénoménologique (Husserl, 1931). Lesujet s’identifie à un objet malade, comme le prétend le médecinauquel il s’est fié. Médicaliser veut dire en premier lieu créer unconsensus sur la nature objective du corps malade et sur la nécessitéd’une distance entre soignant et soigné. L’attente naît plus tard, decette prémisse, et elle est la forme que revêt la médicalisation à

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 194

Médicalisation 195

notre époque : il s’agit de l’attente – publique – que la médecine, entraitant les symptômes pathologiques des personnes, puisse nousaffranchir de plus vastes problèmes sociaux (Rapport du HastingsCenter 1997 ; Ehrenberg, 1998). La médecine est investie dupouvoir de tout résoudre, au prix toutefois d’une simplification,d’une réduction du besoin à la maladie, avec tout ce que celaentraîne, c’est-à-dire « la traduction en termes médicaux deproblèmes qui devraient être affrontés par des mesures sociales ;l’instrumentalisation en vue d’une domination de la dépendance del’aide du médecin ; l’utilisation du savoir en termes de pouvoir sur lemalade » (Ongaro Basaglia et Bignami, 1982).

Deux stratégies ont permis à cet « impérialisme médical » des’affirmer : cacher le corps mort, mettre en lumière le corps misé-rable. Le corps mort est le corps de l’anatomie pathologique, lefondement du savoir médical moderne, qui voit le jour au momentoù l’on passe de l’observation clinique des symptômes au regardautoptique sur le cadavre, faisant de la mort la source de la véritésur la vie. La médicalisation, en outrepassant toute limite, masquela limite ; en dissimulant le corps mort, elle cache la coupure quiblesse en profondeur la médecine occidentale, la mort comme« point de vue du haut duquel la maladie s’ouvrait sur la vérité »(Foucault, 1963). Car la médicalisation est invasion et colonisationde la vie : « C’est sur la vie maintenant et tout au long de sondéroulement que le pouvoir établit ses prises ; la mort en est lalimite, le moment qui lui échappe » (Foucault, 1976a). Son objetdevient le corps misérable (Ongaro Basaglia et Bignami, 1982),celui des hospices et des asiles, le corps des hommes infâmes(Foucault, 1977d), des existences perdues dans les institutionstotales, la masse sans nom des corps reclus dans les HôpitauxGénéraux, sur laquelle va se constituer un savoir fait de sépara-tions et de classifications, d’assujettissements et de disciplines.

La naissance de la médecine mentale en est un exemple mani-feste : elle constitue un extraordinaire appareil de pouvoir et desavoir car elle doit, en quelque sorte, suppléer à son vice originel,le manque d’un corps anatomique. Même s’il y a aussi, dans lesasiles, des salles autoptiques et même si les théories organicistess’y sont également implantées, ce n’est pas sur le corps mort etdisséqué que se fondent les pratiques de l’asile. L’édifice reste

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 195

Lexique de biopolitique196

disciplinaire, le traitement de type « moral » : sa tâche est de fairedu corps misérable un corps docile. La répartition nosographiquen’a aucun poids dans l’organisation de l’espace asilaire, les distinc-tions n’étant faites que sur la base du comportement des inter-nés : agités/tranquilles, sales/autosuffisants, inaptes/aptes autravail, sous haute/basse surveillance (Foucault, 2003). Il s’agit dupremier vrai détachement du modèle clinico-expérimental inci-pient de la médecine, auquel la psychiatrie tente de remédier enprofitant de l’aide de la neurologie. Mais l’illusion de pouvoir trou-ver les fondements organiques de la volonté dans les traces super-ficielles du corps neurologique a la vie courte. La réaction à cettetentative de somatiser l’instinct entraîne une médicalisation encoreplus insidieuse, celle du corps en tant que corps sexuel (ibid.). Cen’est pas un hasard si, aujourd’hui, les thèmes de la sexualité et dela génération font partie des domaines les plus féconds du biopou-voir médical, qui vont du déchiffrage des comportements amou-reux à une inflation de conseils de spécialistes, de la prétenduelibéralisation de la conduite sexuelle aux cris d’alarme concernantles transgressions de la norme, en passant par l’aide à la fertilitéjusqu’au contrôle des naissances avec tout son cortège de débatssur la génétique (fécondation in vitro, perfectionnement de lamédecine prénatale, embryons et cellules souches, manipulationdu génome et clonage).

En d’autres termes, c’est justement cette absence de corpsanatomique qui fait de la médecine mentale une médecinespéciale avec des lieux d’exercice spéciaux, grâce à laquelle il estpossible de retrouver les passages initiaux du processus de médi-calisation, à savoir la transformation d’un pouvoir disciplinaire enun biopouvoir. Cela commence par la médicalisation de l’hospice,c’est-à-dire par la réduction de la misère et de la folie à des mala-dies : la loi française de 1838 sur les asiles fait paradoxalement deces derniers des lieux sans loi, dans le sens où le droit n’y accèdepas, si ce n’est par la médiation de la médecine. Extraterritorialitéjuridique, suspension du droit de citoyenneté : Pinel est« citoyen » face à Couthon en visite à Bicêtre mais lesinternés qu’il voudrait libérer ne sont que des « animaux »(Foucault, 1961 et 1972). Pinel fera de ces « animaux » des « alié-nés » : il leur ôte leurs chaînes mais ne les libère pas, les séques-

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 196

Médicalisation 197

trant dans un isolement « thérapeutique » qui fait du corps misé-rable un corps sans histoire, détaché du corps social auquel il appar-tient. « La raison d’être de l’asile tient au fait qu’il rend rationnell’irrationnel. Quand quelqu’un est fou et entre à l’asile, il cesse d’êtrefou pour se transformer en malade. Il devient rationnel en tant quemalade » (Basaglia, 2000). Médicaliser veut dire naturaliser unproblème social et se substituer à la souveraineté politique pour l’af-fronter. Médicaliser veut dire dompter un corps et en faire le lieu élusur lequel exercer un pouvoir disciplinaire : le corps de l’interné seraalors un « corps à normaliser » (pédagogisation et psychologisationde masse) ; un « corps à surveiller » (préjugé de dangerosité, straté-gies de prévention et mise sous tutelle) ; un « corps à mesurer »(fichage physionomique et récolte statistique).

C’est le long de ces trois lignes que la psychiatrisation, en tantque processus exemplaire de médicalisation, va s’étendre aussi au-delà des murs de l’institution totale, se répandant de façon illimi-tée dans le corps social et colonisant la souveraineté politique parle biais de stratégies de normalisation. Affirmation d’une autoritémédicale générale qui s’installe tentaculairement au sein de lasociété en tant que centre de pouvoir décisionnel pour la santéd’une communauté. Si la séquestration dans l’espace institution-nel a fonctionné sur l’illusion thérapeutique de l’isolement, renfor-cée par le préjugé de dangerosité du malade et par la nécessité desa mise sous tutelle, la sortie dans le tissu social peut correspondreà une forme de contrôle différente. Conçue au départ comme uneexpropriation des corps, c’est-à-dire comme un internement pourdéfendre la société au détriment du corps misérable spolié de toutdroit, la tutelle se transforme en un modèle perfectionné d’invali-dation assistée, c’est-à-dire d’aide à la marginalité improductive– sans que soit touché le nœud profond de l’inégalité sociale ;c’est donc une réduction de l’autonomie, de l’autogouvernement,de la responsabilité de l’individu à l’égard à lui-même, de sa proprevie et de la collectivité (Ongaro Basaglia, 2001).

Médicaliser veut dire par conséquent adopter un modèle deprévention généralisée au sein du corps social (face à l’anormalitédans son sens le plus large, jusqu’au risque épidémique), modèlequi se fonde sur une invalidation du droit de citoyenneté masquéepar un besoin assistantiel. L’extrémisation perverse de cette straté-

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 197

Lexique de biopolitique198

gie préventive conduira à des manifestations aberrantes, où larationalité biopolitique explosera sous la forme d’une puissancehomicide, comme dans le cas des politiques eugéniques duXXe siècle : de la stérilisation de masse aux États-Unis à l’extermi-nation des malades mentaux, en passant par les expérimentationsmédicales sur les déportés dans l’Allemagne nazie (Castel, 1976,1981 ; von Platen, 1948 ; Lallo et Toresini, 2001).

Mais la médicalisation est également mesure, estimation,évaluation, projection ; gouvernement des populations grâce à unprojet d’hygiène publique ; organisation d’appareils administratifspour l’enregistrement et la conservation de données sanitaires envue d’une comparaison statistique et épidémiologique ; déplace-ment de l’attention de l’objet maladie à d’autres champs d’inter-vention : hygiène du milieu urbain, salubrité des constructions etdes espaces, qualité de l’air et des eaux (Foucault, 1976c) ; totali-sation d’un « impératif de santé », considéré comme un devoir dela société, outre que comme un devoir de chacun. L’individu singu-lier n’a de sens qu’en tant que détail, c’est-à-dire en tant qu’élé-ment de connaissance dans la mosaïque générale de lapopulation. La médecine, encore accréditée sur la scène publiquegrâce à l’image qu’elle donne d’une lutte noble et pieuse contre lephénomène morbide, cache la réalité d’une médicalisation qui estdéjà l’imposition méticuleuse et généralisée d’une discipline. C’estle triomphe silencieux d’un régime collectif de santé de la commu-nauté, qui « implique de la part de la médecine un certain nombred’interventions autoritaires et de prises de contrôle » (Foucault,1976b), contre lequel il est vain de faire valoir un idéal de proxi-mité soucieux du corps du malade ou de connaissance synthétiquebio-psycho-sociale du patient et de son milieu. Un tel humanismeest lui-même impliqué dans l’assujettissement pastoral des savoirsinsurgés contre le biopouvoir des technosciences modernes(Foucault, 1981, 1982a, 1997 ; Pascual, 2005).

La médicalisation est donc le processus de formation d’une« médecine du corps social », présence constante dans le travailde transformation capitaliste de la société. Trois modèles sontexemplaires dans le contexte de la réalité européenne : la « méde-cine d’État » allemande, la « médecine urbaine » française, la« médecine de la force de travail » anglaise (Foucault, 1977c).

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 198

Médicalisation 199

En Allemagne, au début du XVIIIe siècle, le développement duprogramme Medizinischepolizei (police médicale) correspond àune étape dans l’élaboration d’un savoir autour du fonctionne-ment de la machine politique de l’État : création d’un appareil decontrôle non seulement de la santé publique, en vue d’unesurveillance plus efficace des phénomènes morbides à caractèreépidémique, mais également de la pratique médicale, en vued’une normalisation du savoir et du pouvoir médical et de leurintégration totale à la machine étatique. Au niveau de la forma-tion, on rend homogène l’enseignement disciplinaire dans ledomaine universitaire ; au niveau de l’enregistrement et de laconservation documentaire, on réalise une centralisation adminis-trative ; au niveau de l’organisation du personnel de santé, onencadre les médecins dans une hiérarchie de dirigeants. Ce phéno-mène d’étatisation de la médecine, qui précède sa réorientationthéorique de type clinique au XIXe siècle, révèle un projet decontrôle et de renforcement des ressources du corps social, prisdans son acception de « force de l’État » bien avant encore que deforce de travail, avec son poids économique mais surtout politiqueet militaire.

En France, l’affirmation d’un projet de médecine sociale dansla seconde moitié du XVIIIe siècle est avant tout déterminée parl’exigence de surmonter le manque de coordination des pouvoirsadministratifs citadins face à un processus d’exode rural rapide etchaotique. La médicalisation y joue un rôle important à travers desprojets spécifiques de répartition et de contrôle des espaces : lesstratégies de surveillance sanitaire des dangers épidémiques oscil-lent entre un modèle d’exclusion, de rejet hors du milieu urbain(comme dans le cas de la lèpre), qui s’abattra successivement surd’autres couches marginales de la population (comme les fous, lescriminels, les déviants, les pauvres), et un modèle d’inclusion(comme dans le cas de la peste) à travers la mise en quarantainede la ville (Foucault, 1999). Il ne s’agit plus d’exclure les personnesinfectées mais de soumettre la population tout entière à un régimediffus de surveillance du territoire. La division de l’espace urbainreprésente un formidable système d’observation, d’enregistre-ment, de sélection et de séparation du corps de la citoyenneté,afin de saisir les différences subtiles entre les individus. Le modèle

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 199

Lexique de biopolitique200

de la quarantaine comme idéal d’organisation sanitaire d’une villeest le préambule des politiques de médicalisation urbaine de laseconde moitié du XVIIIe siècle, qui poursuivront des objectifs spéci-fiques d’hygiène publique au moyen de stratégies de contrôle :d’un côté, des lieux d’entrepôt et d’entassement de tout ce qui estsupposé être une cause ou un vecteur de maladie, du cadavre audéchet urbain (déplacement de cimetières, ossuaires, décharges,abattoirs, etc.) ; de l’autre, contrôle de la circulation de l’air et deseaux dans l’espace de la ville (réorganisation des lieux de construc-tion publique, des fontaines, des lavoirs, des égouts, etc.). Méde-cine des objets, donc, des lieux de vie et de travail, du milieu et deséléments, plutôt que médecine de l’homme et de son corps : lanotion de salubrité, entendue comme état du milieu, précède lanotion de santé qui se réfère à l’homme en tant qu’organismevivant. Et si cet organisme finit par intéresser le médecin, c’estjustement à la suite des transformations de ses fonctions et deseffets produits par le milieu lui-même.

En Angleterre, les processus de médicalisation relatifs auxpolitiques de contrôle des couches indigentes de la population sedéveloppent plus tardivement : c’est au début du XIXe siècle,conséquemment à la Révolution française, qui a mis en évidencele potentiel politique des grandes masses de peuple, et aux turbu-lences sociales liées aux concentrations ouvrières caractéristiquesde l’ère industrielle, que commence à s’insinuer un climat de suspi-cion – de peur parfois – envers les pauvres. Les législations sani-taires se posent principalement le problème de la santé des classesnécessiteuses de la population : c’est ainsi que se développent despolitiques d’assistance médicale gratuite ou à très bas prix qui,dans le même temps, ont pour but de préserver l’intégrité de laforce de travail et d’exercer un contrôle sur l’hygiène publique descouches de population à risque, afin de protéger du danger decontagion les classes les plus aisées. Paradoxalement, l’extensiond’un service sanitaire gratuit à toute la population provoque descontestations et des révoltes, car la mise en place d’interventionsde prophylaxie généralisée (campagnes de vaccinations, vérifica-tion de la salubrité environnementale, enregistrement et isolementdes cas de pathologies infectieuses) est vécue comme une médi-calisation prévaricatrice et coercitive qui touche les privilèges des

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 200

Médicalisation 201

circuits assistanciels religieux et affaiblit les pratiques de soin indi-vidualisées au bénéfice de stratégies de prévention collective.

C’est le modèle anglais qui a inspiré les systèmes sanitairesactuels, grâce à sa capacité de conjuguer prévoyance pour lesclasses travailleuses (protection de la capacité de production),extension de l’assistance à toute la population (socialisation de lamédecine) et prophylaxie généralisée (contrôle social par le biaisde la médicalisation), en marquant précisément la frontière entrepublic et privé, individuel et collectif. L’apparition de la notion de« droit à la santé » (Foucault, 1976c) à la place des notions d’in-tégrité de la puissance physique, de capacité productive ou deforce de travail, indique un changement dans les attentions poli-tiques de l’État et une destination différente des ressourceséconomiques : du devoir d’être sain, à travers l’obligation pour lesindividus de se maintenir en bonne santé et au service de l’État,on passe au droit d’être malade à travers l’obligation pour l’Étatde garantir aux individus, quand ils sont malades, soin, assistanceet congés. On peut parler de régime nosopolitique de l’État – lasanté comme finalité principale de l’action de gouvernement –, cequi explique la puissance omni-envahissante, dans le mondeactuel, des processus de médicalisation en tant qu’instances denormalisation du corps-population : « Le contrôle de la sociétésur les individus ne s’effectue pas seulement par la conscience oupar l’idéologie mais aussi dans le corps et avec le corps. Pour lasociété capitaliste, c’est le biopolitique qui importait avant tout, lebiologique, le somatique, le corporel. Le corps est une réalitébiopolitique ; la médecine est une stratégie biopolitique »(Foucault, 1977c).

Mario Colucci

Voir : Biopolitique, Biotechnologies, Bodybuilding, Contrôle social, Corps,Dégénérescence, Eugénisme, Gouvernementalité, Milieu,Normal/pathologique, Normalisation, Police, Psychiatrie, Santépublique, Sexualité, Sécurité, Sociobiologie.

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 201

MIGRATIONS

La littérature, tant nationale qu’internationale, désormais trèsvaste sur les migrations traverse le sujet à partir de points de vuetrès différents. Cela va d’une remise en question du concept decitoyenneté lié à l’État-nation et à la modernité (Balibar, 2001), desdiverses nuances des modèles multiculturels et interculturels quis’apprêtent à dessiner les scénarios futurs plus ou moins assimila-tionnistes, intégrationnistes ou ghettoïsants des sociétés occiden-tales (Leghissa, Zoletto, 2002 ; Colombo, 2001 ; Papastergiadis,2000 ; Piccone Stella, 2003 ; Semprini, 2000), jusqu’au rapportentre migrations, mobilité du travail et globalisation des marchés(Moulier-Boutang, 1998 ; Mezzadra, 2001), aux analyses plusétroitement liées au rapport entre processus de constitution, dereconfiguration des frontières et de sécurité de l’Union euro-péenne (Walters, 2004), en passant par l’analyse des nouveauxappareils spécifiques de surveillance pour migrants, comme lesCentres de détention temporaire. Cependant, si la majorité desréférences théoriques susmentionnées partent de l’hypothèse qu’ilfaut repenser les dynamiques d’inclusion et d’exclusion surlesquelles se fondent la plupart des théories y compris welfaristes,les analyses de migrations, réalisées grâce à l’appareillage théo-rique des dispositifs de sécurité, de la critique radicale des para-digmes intégrationnistes, ainsi que de de la reconfiguration desfrontières, nous conduisent directement à aborder le thème d’unpoint de vue biopolitique. Mais qu’entendons-nous par cetteexpression ?

Bien évidemment, si l’accélération des processus de déplace-ment des populations migrantes vers ce que Saskia Sassen (1996)a défini comme la « Forteresse Europe », a acquis davantage devisibilité – par rapport aux migrations des siècles derniers – c’est

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 202

Migrations 203

justement du fait de la construction de nouvelles frontières,internes et externes. Le déplacement des populations, leur mobi-lité, a en effet toujours été intrinsèque à la vie et aux formes dereproduction sociale ; elle a simplement changé d’aspect en fonc-tion des phases historiques et des formes de gouvernement desÉtats. Le colonialisme, par exemple, a sans aucun doute représentél’un des points forts de la thèse selon laquelle les migrationscorrespondent à la structuration de stratégies politiques et mili-taires liées à la souveraineté des États modernes. Les politiquesactuelles de rejet des migrants de la part de la « ForteresseEurope » correspondent au contraire à de nouvelles stratégies,plus proches du besoin de reconfigurer les frontières – alors queces dernières semblent de plus en plus érodées par les processusde dé-souverainisation des différents États (Chemillier-Gendreau,1998 ; Sassen, 1996) –, des frontières qui sont gérées presqueexclusivement par les forces de police européennes.

Ces formes d’une progressive dé-souverainisation des Étatsnous induisent immédiatement à lire les migrations contempo-raines également sous l’aspect biopolitique, puisqu’une série debiopouvoirs qui réglementent et gèrent les populations se mettenten place aujourd’hui. La biopolitique et le biopouvoir correspon-dent en effet à cette forme de « gouvernement des hommes » quiremplace l’« ancien droit de faire mourir et laisser vivre » par le« pouvoir de faire vivre ou de rejeter dans la mort » (Foucault,1976a). Cela signifie qu’on intervient par des formes de gestion etde réglementation des vivants – la population-espèce –, par desdispositifs de sécurité et des technologies sociales, plutôt que pardes modalités liées aux systèmes juridiques classiques spécifiquesde l’organisation de n’importe quel État souverain.

En 1979 – l’année même où il tenait son cours sur la Nais-sance de la biopolitique, après celui intitulé Sécurité, territoire etpopulation (Foucault, 2004a) – Michel Foucault accordait unentretien sur les événements du Vietnam, dans lequel il soulignaitcombien les premiers boat people chargés de réfugiés étaientselon lui un « présage de la grande migration du XXIe siècle »(Foucault, 1979). Au-delà du caractère prophétique évident de cespropos, l’intérêt de cette prévision de Foucault tient au fait qu’ilvoit dans le pouvoir de vie ou de mort des États, notamment dans

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 203

Lexique de biopolitique204

celui de l’État vietnamien, l’une des matrices de lecture fondamen-tales de la gestion des phénomènes migratoires (ibid.). Lire biopoli-tiquement les migrations signifie en effet repérer au moins deuxpoints utiles à notre raisonnement : 1) en interdisant l’accès au soleuropéen par l’instauration de nouvelles frontières internes etexternes, on exerce un pouvoir qui rejette dans la mort les corpsmigrants (pensons aux camps institués en Libye par des accords bila-téraux, aux cadavres des migrants abandonnés dans le désert et auxnaufragés des « épaves flottantes ») ; 2) en appliquant les politiquesd’intégration proposées par ce qui reste des systèmes de welfare àceux qu’on appelle les migrants « réguliers », on exerce au contraireun pouvoir de faire vivre qui, cependant, modèle et normalise lescorps migrants au moyen de pratiques d’assujettissement en toutgenre, qui vont de l’exploitation de la force de travail à l’impositionde modèles culturels liés à la prétendue « bonne conduite » univer-selle de la culture occidentale et libérale (Ong, 2003).

Cependant, parler de biopolitisation des frontières ne signifiepas seulement repérer le pouvoir qui rejette dans la mort. Les fron-tières, en effet, grâce aux dispositifs de sécurité, deviennent « uninstrument privilégié pour la régulation systématique de la popu-lation, pour ses aspects nationaux et transnationaux – mouve-ment, santé et sécurité » (Walters, 2004). À ce propos, pensonstout simplement aux innombrables dispositifs de contrôle ordi-naires et « spéciaux » (liés aux mesures antiterroristes, anti-SRAS,anti-grippe aviaire, etc.) qui marquent la vie de la populationmigrante. Cela va d’un vaste éventail de typologies de visas, decertificats de santé, de cartes d’identité, de permis de séjour entout genre, etc., jusqu’à l’utilisation des données biométriques etdes bases de données – une sorte de géographie du contrôle quiréglemente les formes d’accès au territoire avant d’exercer lepouvoir de rejeter dans la mort.

Sur le versant intégrationniste, en revanche, les analyses réali-sées par Aihwa Ong (2003) sont extrêmement utiles et éclairantesquant aux pratiques gouvernementales mises en place aux États-Unis à l’égard des migrants-réfugiés cambodgiens. Au-delà des casethnographiques spécifiques examinés, les analyses d’Aihwa Ong,réalisées en appliquant certaines thèses de Foucault, sont égale-ment utiles à l’analyse des migrations européennes.

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 204

Migrations 205

Selon l’auteure, les différents domaines de l’administration etde la construction du « social » – comme le welfare, l’Église, leshôpitaux, le système judiciaire, la vie au travail, etc. – mettent enplace, grâce à leurs propres technologies rationnelles et à leurspropres opérateurs, des pratiques de gouvernement des migrantsvisant à assujettir ces derniers et à les normaliser selon les valeurspartagées par la majorité de la population blanche. Cette formed’assujettissement est essentiellement sous-tendue par deuxthèses : la première identifie la population migrante au moyend’une nouvelle idéologie qui définit les formes de vie à travers lanotion de « capital humain » ; la seconde envisage la réalisationde ce processus à partir de la reconnaissance de la différence« raciale » de la population migrante. En résumé, on stigmatise,on pointe la différence, puis on normalise et on assimile aux stan-dards moraux et économiques du modèle de gouvernement, enfaisant en sorte, toutefois, que la différence elle-même reste« fonctionnelle en vue de la construction de sujets-citoyens parti-culiers ». Selon le modèle intégrationniste, les migrants doiventêtre soumis au modelage et au dressage de leur différence, maisils doivent dans le même temps restés différents devant l’accès àla citoyenneté ou à d’autres formes de protection qui leur donne-rait le plein droit à la subjectivité, et donc, une capacité de déci-sion. En résumé, la possibilité de prendre la parole leur est niée, ycompris pour ce qui est d’exprimer leurs propres désirs et espé-rances de vie.

À ce propos, il est utile de rappeler au moins deux thèsesprésentes dans le débat sociologique et politique contemporainqui s’est développé autour des migrations. La première, très utili-sée ces dernières années, considère les migrations comme une« fonction miroir » (Sayad, 1999) des sociétés occidentales etcomme une politique d’exclusion et de différenciation entre« personnes » et « non-personnes » (Dal Lago, 1999) ; la secondethèse, au contraire, part de l’hypothèse selon laquelle il y auraitune « autonomie » des migrations, qui se constitue indépendam-ment des systèmes institutionnels et de leurs pratiques de gouver-nement (Mezzadra, 2004).

La première thèse, qui utilise le concept de « non-personne »emprunté à Goffman, aboutit à avaliser l’existence de formes de

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 205

Lexique de biopolitique206

welfare qui incluent ou excluent, et revendique sur le plan globall’application des droits de l’homme ou de la citoyenneté. Laseconde thèse, au contraire, remet en question la littérature quiinsiste sur les processus d’exclusion, de stigmatisation et de discri-mination, soupçonnée d’être intégrationniste et par conséquent,incapable de remettre en question le système capitaliste, les méca-nismes d’exploitation de la force de travail migrante et les théoriessur la justice. Pour Mezzadra, en effet, l’autonomie des migrationsest à considérer à un double niveau : en tant qu’« irréductibilitédes mouvements migratoires contemporains aux lois de l’offre etde la demande » (ibid.) et en tant qu’excédent subjectivé ou désirde subjectivation des migrants eux-mêmes.

Réussir à faire ce saut qualitatif par rapport à l’analyse desmouvements migratoires signifie, en résumé, abandonner l’hypo-thèse interprétative selon laquelle les migrants sont et restent desindividus de « seconde catégorie », puisque, s’ils le sont – commel’ont été et, dans certains cas, continuent à l’être les homosexuels,les femmes, les fous, etc. – c’est uniquement parce que l’État et lesdynamiques culturelles de la « conduite des conduites » font ensorte qu’ils le soient. Mais leur nier la parole – et, partant, la libertéde choisir – ne veut pas dire qu’ils n’en possèdent pas une et qu’ilsne puissent pas la prendre envers et contre tout. Comme nouspouvons la prendre, nous.

Anna Simone

Voir : Assujettissement/subjectivation, Biométrie, Biopolitique, Capitalhumain, CDT, Citoyenneté, Contrôle social, Police, Population,Racisme, Santé publique, Sécurité, Terrorisme, Welfare.

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 206

MILIEU

Ce qui fait l’importance du concept de « milieu » pour uneréflexion sérieuse sur la biopolitique c’est, selon certaines indica-tions de Foucault (2004a), qu’il suppose une distinction entrel’approche qu’a le biopouvoir de l’espace et l’approche qu’en ontla souveraineté et le pouvoir disciplinaire. Tandis que la souverai-neté s’exerce traditionnellement sur un territoire géographiquerigoureusement centré autour d’une ville-capitale et que lepouvoir disciplinaire s’accomplit le plus souvent dans un espacearchitectural structuré fonctionnellement pour la surveillance descorps individuels, le biopouvoir – du moins dans certaines de cesformes historiques – se rapporte à un milieu, c’est-à-dire à unespace où des éléments et des événements naturels et artificielsentrent dans une relation dynamique complexe. Le milieu estsurtout la spatialité spécifique qui permet de considérer leshommes en tant que population, c’est-à-dire comme « unemultiplicité d’individus qui sont et qui n’existent que profondé-ment, essentiellement, biologiquement liés à la matérialité à l’in-térieur de laquelle ils existent » (Foucault, 2004a ; Cavalletti,2005). D’autre part, il y a un changement épistémologique précisdes sciences de la vie dans cette même direction : la biologie, àpartir de Lamarck (1809), évolue en grande partie autour del’analyse du rapport entre les êtres vivants et le monde extérieur,trouvant enfin dans la population, avec Darwin (1859), « lemédium entre le milieu et l’organisme » (Foucault, 2004a). Toutcela rend possible une première considération élémentaire : lapopulation – et non pas le milieu – est historiquement l’objetfondamental auquel se réfère la totalisation de l’exercice dubiopouvoir, de même que chaque être humain est, naturelle-ment, l’objet de l’individualisation de cet exercice. Vice versa, le

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 207

Lexique de biopolitique208

milieu est le contexte externe de la multiplicité des hommes qu’ils’agit de gouverner biopolitiquement.

Même s’il tarde à être explicitement utilisé dans le langagebiologique et politique, le concept de milieu est, selon Foucault,déjà opérationnel à partir de la fin du XVIIIe siècle, moment où lasécurité commence à représenter le problème principal dugouvernement des hommes (ibid.). La naissance de la gouverne-mentalité libérale est donc le contexte historico-politique danslequel va se déterminer l’orientation biopolitique du milieu. Eneffet, bien qu’étant une préoccupation commune à différentesformes de gouvernement, cette préoccupation pour la sécuritécaractérise de manière tout à fait particulière le libéralisme, puis-qu’il est le seul système à considérer comme un problème inéluc-table et, dans le même temps, jamais complètementcontournable, la « riscosité » inhérente à toute initiativehumaine, en tant qu’effet nécessaire de la liberté qui doit êtreaccordée à celle-ci (Foucault, 2004a ; 2004b). Cependant, enmontrant le lien historique qui existe entre le problème de lasécurité et celui du milieu, Foucault n’évoque pas une impro-bable préfiguration libérale d’une tendance actuelle à uncontrôle diffus des risques provoqués par l’abus de l’écosystème.Il se réfère plutôt au rêve du libéralisme naissant, qui vise à défi-nir et à faire fonctionner une corrélation sûre et bénéfique entrela « naturalité » des mécanismes du marché et les « processusnaturels » qui interviennent dans le rapport entre population etmonde extérieur. Le milieu auquel se réfère la gouvernementalitélibérale est, dès le départ, une « nature » économicisée, quitrouve son ultime vérité dans les flux de la circulation desmarchandises et des personnes, des éléments et des choses. Onpeut dire que les « processus naturels » et les libertés libéralestrouvent dans le dynamisme de la circulation le paradigme deleur affinité et dans la sécurité le critère commun de leur contrôleet de leur régulation. Les uns et les autres sont, dans un certainsens, les deux faces de la même « naturalité ». Ainsi, le rôlefondamental que jouent les économistes physiocratiques dans lelibéralisme classique s’explique-t-il précisément par l’importancequ’ils accordent à la physis, à la nature entendue comme« réalité effective » des choses, qui ne peut être gouvernée effi-

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 208

Milieu 209

cacement que si l’on fait circuler et jouer ses composantes lesunes en rapport aux autres, sans les contraindre artificieusement(Foucault, 2004a).

Selon cette vision, ce qui est repensé comme milieu, c’estsurtout l’espace urbain, à partir du moment où le développementet le dynamisme des villes imposent des exigences précises de sécu-rité : faire circuler l’air, les miasmes, les eaux, éviter les accumula-tions, les stagnations, les foules, conjurer les contaminations,contrôler les trafics de marchandises sans les entraver, réguler lamobilité et la présence des personnes. Le principal but biopolitiquede ce genre de préoccupations est de garantir la salubrité du milieuurbain, dont le contrôle politico-scientifique répond à la définitiontechnique d’« hygiène publique » (Foucault, 1977c, 2004a).

Mais quelle a été l’efficacité opérationnelle d’une telleapproche ? En réalité, selon Foucault lui-même, elle a été relative-ment limitée. Les pratiques en médecine sociale qui, à partir dumilieu du XVIIIe siècle, ont essayé de concrétiser cette biopolitiquedu milieu urbain, n’ont pas su se développer sur une vaste échelleni n’ont jamais pu disposer d’un pouvoir supérieur à celui des inté-rêts privés avec lesquels elles entraient en opposition. Ce qui estsûr, c’est qu’elles n’ont pas donné lieu à une politique de défensedu milieu, entendu comme espace commun, contre la dégradationprovoquée en de nombreux endroits par les activités industrielles.D’autre part, ces pratiques ont été bien vite marginalisées par despolitiques de médecine sociale tournées surtout vers l’assistance etle contrôle des pauvres, vers la protection immunitaire contre lespathologies les plus répandues socialement et vers le maintiend’un rapport de complémentarité entre médecine publique etmédecine privée (Foucault, 1977c). En tout cas, la biopolitique dela médecine urbaine est restée enfermée dans les limites d’unesorte d’asepsie de la relation entre population et milieu. C’est pourcette raison qu’elle est bien loin d’avoir assumé cette relation dansle sens d’une adaptation réciproque qui aurait supposé de dépas-ser les blocages de la réciprocité produits par le développement del’intervention unilatérale de l’homme sur le milieu (Bateson, 1972).C’est à cause de tout cela que les problèmes globaux de la dégra-dation et de l’abus des ressources naturelles ont longtemps étéignorés, éludés ou confinés dans les limites des controverses

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 209

Lexique de biopolitique210

privées entre responsables et personnes endommagées par diffé-rents épisodes de pollution (Aggeri, 2005).

Cette situation s’explique sans doute indirectement par laformidable, insondable et imprévisible surabondance de facteurssusceptibles de produire le bien-être commun que suppose le libé-ralisme grâce à la théorie de la « main invisible » élaborée par AdamSmith. Loin de comporter une problématisation tout aussi radicaledes activités humaines qui interfèrent avec la complexité du milieuanthropique et non anthropique, cette surabondance induit le libé-ralisme à pousser à ses extrêmes conséquences la promotion de l’in-térêt individuel en tant qu’unique critère sûr pouvant orienterl’initiative des individus et l’action de gouvernement (Smith, 1776).L’externalisation globale des conséquences de l’abus des ressourcesn’en est que plus nécessaire. C’est donc justement dans ce cadreque l’interaction entre nature environnementale et naturalité del’économie mercantile peut tout aussi facilement continuer à êtrepensée comme potentiellement « vertueuse ». D’après Kant, parexemple, les hommes trouvent même dans les milieux géogra-phiques les plus pauvres et les moins hospitaliers les stimulations etles ressources pour développer leurs activités de production et leursrelations commerciales : le chameau dans les déserts, le renne, lesanimaux à fourrure ou les baleines dans les zones glaciales. Leur« utilisation » illimitée est elle-même porteuse de bénéfices, si bienque « les hommes sont tellement occupés à faire la guerre contre lesanimaux qu’ils vivent en paix entre eux » (Kant, 1795).

Cette externalisation de la question des limites des ressourcesnaturelles se poursuit y compris lorsque la confiance dans le fonc-tionnement bénéfique du marché, déjà au XIXe siècle, est remise enquestion et doit être compensée au moyen de la valorisation de ladimension sociale des problèmes de gouvernement (Donzelot,1984, 1991 ; Procacci, 1986, 1993). Dans ce cadre, les politiquesde sécurité sont développées à travers le traitement en termes deprévoyance et d’assurance des pertes et des dommages causés auxindividus par les activités dans lesquelles ils sont impliqués (Ewald,1986). De toute façon, il n’y a pas de place ici pour la gestion desdangers environnementaux dérivant de l’abus des ressources : ilsne sont perçus ni comme des dangers effectifs ni comme desrisques indemnisables selon un plan d’assurance.

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 210

Milieu 211

Faut-il enfin souligner que l’externalisation de ces problèmesest soutenue également par le marxisme, qui voit dans le travail lasource principale de la production de richesses et l’objet primairede l’exploitation capitaliste ? Cette vision empêche évidemmentde reconnaître pleinement les conséquences de l’exploitationextensive et intensive du milieu naturel, qui continuerait à seproduire même dans le cas d’un renversement révolutionnaire desrapports entre capital et travail. Du reste, les représentants dumouvement ouvrier (Podolinskij, Bogdanov, Stanchinsky) qui onttenté de promouvoir une relation moins agressive avec le milieuont pratiquement tous été sommairement disqualifiés et margina-lisés par le productivisme dominant (Weiner, 1988 ; Deléage,1991 ; Gare, 1995).

En général, tout cela se passe malgré le développement trèsimportant des sciences naturelles, au sens écologique, qui se profileau début du XIXe siècle. Depuis les études en géographie botaniqued’Alexander von Humbolt (1807) jusqu’à la théorie des écosystèmesde Tansley (1935) et de Lindeman (1942) en passant par l’élabora-tion scientifique de concepts comme « habitat », « niche »,« biotope », « biosphère », « biocénose » ou « communautébiotique », la spécification circonstanciée des relations entrecontextes physiques et espèces vivantes reste une branche fonda-mentale de ces sciences (Drouin, 1993 ; Deléage, 1991). Pendantune très longue période historique, c’est donc à une sorte derendez-vous manqué entre gouvernement biopolitique et écologiescientifique que nous assistons, plus qu’à une véritable évolution dubiopouvoir au sens purement écologique. Il semble attesté que lemilieu, en tant que globalité de processus de dégradation diffus, nedeviendra un objet d’attention politique qu’à la fin des années1960. C’est donc probablement depuis lors que l’exercice dubiopouvoir tend à s’étendre à l’ensemble de l’écosystème et à laglobalité du vivant (Ewald, 1985 ; Lascoumes, 1994).

Cependant, même pareille hypothèse devrait être considéréeavec beaucoup de prudence, surtout à la lueur de la remise enperspective que subit actuellement le rôle de la principale agencebiopolitique de la modernité, c’est-à-dire l’État. Cette nouvelleremise en perspective renvoie moins à la crise ou au déclin dubiopouvoir qu’à des modalités et à des formes de son exercice

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 211

Lexique de biopolitique212

« hégémonisées » par l’approche néolibérale, laquelle exclut queles pouvoirs publics doivent prendre en charge, sur une grandeéchelle, les problèmes collectifs et, à plus forte raison, la protectiondes équilibres complexes du milieu (Ungaro, 2003). D’une façongénérale, parmi les politiques environnementales les plus récentes,ni les stratégies de fixation normative des limites de tolérance d’in-nombrables substances polluantes ni les pratiques – plus ou moinsconcertées socialement – de limitation de l’impact et de promo-tion de la durabilité des productions et des consommations nesemblent ouvrir de perspectives sûres pour un gouvernement éco-biopolitique (Aggeri, 2005).

Il est vrai, également, que la conceptualisation actuelle del’idée de milieu à travers la notion d’écosystème semble convenirà la dimension planétaire à l’intérieur de laquelle se déploient lespouvoirs transpolitiques de l’ère de la globalisation. Cette notionsemble avoir trouvé sa formulation définitive grâce à la superposi-tion, à l’approche bio-évolutionniste, d’une orientation thermody-namique de l’analyse des problèmes de la dégradation et d’uneconception cybernétique du « fonctionnement » du milieu(Odum, 1953). On atteint alors un degré de scientisme qui suffit àramener la question environnementale dans les limites d’uneconservation technocratique et économiciste de la nature en tantque « fonds utilisable » ou « capital naturel » (Russo N., 2000 ;Sachs, 1992a, 1992b).

Le concept d’écosystème, cependant, est également exposéaux représentations les plus problématiques et variables, tant surle plan de sa délimitation spatiale que sur celui de la quantité et dela qualité de ses composantes : une haie, un lac, une ville, unpaysage, un océan peuvent, tous autant qu’ils sont, être considé-rés comme des écosystèmes (Drouin, 1993 ; Saragosa, 1998 ;Pizziolo, 1998). En outre, grâce au caractère holistique qui lecaractérise, ce concept semble conserver en lui une irréductiblecomposante « antimoderne » (Sachs, 1992b). En tout cas, il peutêtre affranchi de son acception purement énergétique et placédans une perspective où le rapport dualiste entre espèces vivanteset monde extérieur aussi bien que la capacité d’autorégulationcybernétique présumée de l’écosystème s’avèrent moins impor-tants que la relationnalité entre les parties, que l’ouverture

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 212

Milieu 213

constante et la configurabilité variable qui le caractérisent (Bate-son, 1972, 1979 ; Bateson G. et M.C., 1987).

C’est justement ce problème de codification univoque et dedélimitation sûre qui fait apparaître le concept d’écosystèmecomme étant irrémédiablement en contraste avec l’idée même desystème et incompatible avec les langages dominants de lacommunication sociale (Luhmann, 1986). Il est donc tout à faitplausible que les formes dominantes de gouvernementalité puis-sent substantiellement tendre aujourd’hui à exclure la complexitéécosystémique de leur champ d’observation. Dans ce sens, l’ap-proche génétique et biotechnologique des risques et desproblèmes de la vie semble être plus appropriée que l’approcheécologique du renouvellement du biopouvoir, du moins à condi-tion que la première se base sur une définition nette et circonscritede sa sphère d’intervention (Lemke, 2006).

Aujourd’hui en tout cas, le traitement consensuel en termesde risques calculables des « événements catastrophiques » attri-buables à la dégradation du milieu s’avère de plus en plus problé-matique, aussi bien pour celui qui pense que « décideurs » et« personnes frappées » tendent à voir subjectivement des aspectsdifférents (le risque ou le danger) du problème (Luhmann, 1991)que pour celui qui considère que notre société produit désormaisobjectivement des « menaces incalculables » et globales (Beck,1986, 1999). On peut donc tout à fait admettre que l’indétermi-nabilité même des dangers environnementaux soit la raisoncentrale de la reconversion postmoderne des technologies desécurité dans le sens d’une préparation systématique au « casextrême », d’une gestion efficace du day after, comme le montrel’importance croissante que prennent les systèmes de protectioncivile. C’est par le biais de ces derniers que les aspects naturels etartificiels du milieu sont réarticulés en un spectre de « grandsrisques » (allant des tremblements de terre aux éboulements, desavalanches aux pénuries d’eau, des incendies de forêts auxcoupures d’électricité, des tsunamis aux nuages toxiques, deséruptions volcaniques aux pandémies), par rapport auxquels ilrevient à tout un chacun de « savoir s’informer », de « savoirdemander de l’aide », voire de définir son propre « plan familial deprotection civile » (Presidenza del Consiglio dei Minisitri 2006).

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 213

Lexique de biopolitique214

Inversement, les problèmes de la dépollution, de la protectionet de la durabilité du milieu semblent appelés à rester encore long-temps des terrains de confrontation-conflit politique entre intérêtspublics et intérêts privés, entre jeux de vérité divergents, entre stra-tégies technocratiques et pratiques de résistance.

Ottavio Marzocca

Voir : Biodiversité, Biopolitique, Biotechnologies, Durabilité, Écologisme,Gouvernementalité, Médicalisation, OGM, Population, Risque, Santépublique, Sécurité.

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 214

MONSTRE

Le monstre est originairement une créature mythique issue dumélange des espèces humaine et animale. Il peut être constituéd’une partie humaine et d’une partie animale ou bien de plusieursparties d’animaux différents : le centaure, le cyclope ou le mino-taure en sont des exemples classiques. Le monstre est un être quia une conformation contre-nature, traditionnellement caractériséepar sa taille démesurée. Tout en étant un être naturel, il est enmême temps contraire aux lois de la nature : « Il est la forme natu-relle de la contre-nature » (Foucault, 1999). Mais la figure dumonstre, et son rôle dans notre société, sont soumis à des chan-gements importants qui sont liés à l’évolution des sciences biolo-giques et médicales d’un côté, à la reconfiguration des relations depouvoir de l’autre : du Moyen Âge, où l’on voit les fous vivre ensociété et les gens normaux avec les monstres, à l’émancipationdes mœurs du XIXe siècle, qui a relégué le fou à l’asile et le monstreau bocal de l’embryologiste, la figure du monstre et sa plus oumoins grande visibilité sont le reflet fidèle du développement de laconfiguration politique des sociétés occidentales.

Le monstre et les nombreuses figures qui en dérivent sont lefond conceptuel sur lequel Michel Foucault étudiera ce qu’ilappelle « la grande famille indéfinie et confuse des “anormaux”,dont la peur hantera la fin du XIXe siècle » (ibid.) et qui se consti-tue à partir de trois figures : le monstre humain, l’individu à corri-ger et l’onaniste, qui surgissent à des moments historiqueslégèrement différents et dont la diachronie reflète les change-ments qui s’opèrent au niveau du pouvoir. La figure du monstrefonctionne, selon les mots de Foucault, comme le principe d’intel-ligibilité de toutes les figures de l’anomalie. « On peut dire que lemonstre est le grand modèle de tous les petits écarts » (ibid.). La

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 215

Lexique de biopolitique216

figure du monstre se présente alors, aux XVIIIe et XIXe siècles, sur sonversant biologique et politique, en opérant un partage entre lasimple infirmité (naturelle) et la « vraie » monstruosité, juridico-naturelle, nécessairement issue de l’impact de l’infraction à la loinaturelle sur le domaine juridique (loi canonique, divine, des gens).Vers la fin du XVIIIe siècle, il va se produire une inversion de cettefigure du monstre juridico-naturel, qui deviendra monstre moral,comportemental, et qui sera le point de départ de l’effacement dela figure du monstre traditionnel au sein d’un discours politiquemoderne : la recherche, tout au long du XIXe siècle, d’un fond demonstruosité derrière les petites anomalies, les petites déviances,les petites irrégularités, fait de l’anormal un monstre quotidien, unmonstre banalisé, un monstre pâle, contrairement au monstrenaturel-antinaturel des siècles antérieurs.

La première figure du monstre, le monstre juridico-naturel,se scinde donc en deux versants, dont la paradoxale conjonctionfait toute l’importance de la figure du monstre jusqu’auXIXe siècle. Le monstre « biologique » est cet être nécessairementorganique qui est déformé, dont la nature est imparfaite. Lemonstre est un « raté morphologique » qui renvoie l’homme à lacontingence fondamentale de son propre être, à son instabilitéen tant qu’homme et au peu d’écart qui existe entre l’homme etle monstre. « La monstruosité », dit Canguilhem, « c’est lamenace accidentelle et conditionnelle d’inachèvement ou dedistorsion dans la formation de la forme, c’est la limitation parl’intérieur, la négation du vivant par le non-viable » (Canguilhem,1962). Le monstre est une menace bien plus difficile à gérer quela menace de mort, car elle met en évidence la possibilité dedéformation, de retardement dans le développement quimenace l’homme en permanence ; le monstre montre la poten-tielle monstruosité propre à chaque homme. La nature du vivantdans la définition du monstre est ce qui le rapproche et l’éloigneà la fois de l’homme en tant qu’être vivant. L’apparent oxymoredu « monstre humain » foucaldien est alors fondamental pour lacompréhension du mécanisme éminemment politique quitraverse cette même figure. L’anthropomorphisme du monstresouligne la déformation physique de l’être humain, issue d’uneperversion de l’espèce.

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 216

Monstre 217

Si le monstre humain est l’incarnation imaginaire de ce quimenace l’homme de l’intérieur, c’est néanmoins le fait d’être prisdans un cadre de référence relevant des structures de pouvoir clas-siques – la loi au sens large, c’est-à-dire aussi bien les lois de lasociété que les lois de la nature – qui donne à la figure du monstreson effectivité politique. Car en contredisant la loi naturelle, lemonstre contredit la loi au sens juridique. Pourtant le vrai paradoxeréside ailleurs : dans le fait que la loi ne répond pas à cette infrac-tion, ou bien qu’elle y répond sur un mode différent. « Au fond,ce que suscite le monstre, au moment même où par son existenceil viole la loi, ce n’est pas la réponse de la loi elle-même mais c’esttout autre chose. Ce sera la violence, ce sera la volonté de suppres-sion pure et simple, ou encore ce seront les soins médicaux, ouencore ce sera la pitié » (Foucault, 1999).

Ce lien établi entre la nature et la loi par voie négative àtravers la figure du monstre juridico-naturel est la principaleproblématique politique qui se décline dans les oppositions quiscandent la modernité politique, telle l’opposition entre l’état denature et le contrat social. C’est aussi la question fondamentale dela biopolitique foucaldienne : comment se fait-il que le pouvoir (laloi) se réfère à la vie en en disposant de manière à la faire vivre ouà la faire mourir ?

Cependant, on assite à cette inversion fondamentale dont il aété parlé plus haut : la figure du monstre juridico-biologique s’ef-face pour donner lieu à une autre figure du monstre, renduepossible par l’étonnant mécanisme de la loi qui répond par desmécanismes autres que juridiques à la présence du monstre. Lemonstre moral qui se constitue à partir de la fin du XVIIIe siècle n’estplus marqué par le mélange des règnes, des sexes, des espèces,des formes mais, au contraire, par le désordre dans le comporte-ment : par la perversion. Le monstre n’est pas monstre par essenceni par nature, et la question à laquelle Foucault essaie de répondreen faisant référence à sa réarticulation de la vieille question huma-niste : « Qu’est-ce que l’homme ? » en : « Comment l’hommeest-il fait homme, produit en tant qu’homme ? » pourrait doncs’articuler de la façon suivante : « Comment le monstre est-ilproduit, et perçu en tant que monstre ? Quel comportement faitde l’homme un monstre ? » « […] jusqu’au XVIIe-XVIIIe siècle, on

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 217

Lexique de biopolitique218

pouvait dire que […], la monstruosité comme manifestation natu-relle de la contre-nature, portait avec soi un indice de criminalité.[…] Puis à partir du XIXe siècle […] il y aura ce qu’on pourrait appe-ler le soupçon systématique de monstruosité au fond de toutecriminalité » (ibid.).

En empruntant un autre vocabulaire, on pourrait comprendrecette figure du monstre comme la personnification d’un événe-ment hyperviolent, fondateur du politique à la manière dont CarlSchmitt comprend la décision souveraine comme fondatrice del’espace politique. Cette figure du monstre est par essence coupéede la communauté des hommes : « L’hyperviolence […] », ditBrossat, « est solitaire, elle fait le vide – détruisant notammenttoute figure du lien » (Brossat, 1998). Le tyran, incarnation dumonstre, de la brute, figure bestiale à visage humain, est coupé dela communauté par ses actes hyperviolents, il ne fait plus partie dela communauté des hommes, de son espèce, car il a transgresséses lois de façon barbare. Aristote, déjà, insiste sur la possibilité demonter ou descendre sur l’échelle de l’humanité de l’animal :« Car de même qu’un homme, quand il est accompli, est lemeilleur des animaux, de même aussi, séparé de la loi et de lajustice, il est le pire de tous » (Politique, I, 2).

La figure du monstre est donc placée, ou se place elle-même,en dehors de la communauté des hommes par le bas – le crimi-nel – ou par le haut – le roi ou le tyran. Ainsi l’exécution du régi-cide Damien de même que l’exécution de Louis XVI sont deuxmoments de la réalisation de cette rhétorique du monstre. Ni l’unni l’autre ne sont récupérables pour la communauté des hommescar et l’un et l’autre ont commis un acte monstrueux : attentercontre la vie du roi et trahir le peuple. L’un et l’autre doivent êtresupprimés sans pouvoir revenir dans la sphère de la loi relevant dela communauté humaine. La loi répond donc à la monstruosité pardes moyens surprenants : par la violence exagérée des supplicesexemplaires et en refusant un procès du roi. Le double jeu entrelois biologiques et lois juridiques qu’avait localisé Foucault prendici la direction opposée : en violant les lois juridiques, l’hommes’animalise (il viole les lois de la nature) et s’exclut de la commu-nauté des hommes au sens biologique, il ne fait plus partie de leurespèce, il peut être supprimé, exterminé… ou bien pris en charge

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 218

Monstre 219

par des mesures médicales, de salut – non pas public mais hygié-nique –, des mesures disciplinaires tendant vers l’investissement(absolu) de la vie.

Ce qui se dessine alors, c’est le passage de cette figure dumonstre, radicalement exclue de la communauté, homo sacer etvie nue en même temps qu’exception souveraine, à une autrefigure du monstre, normalisée, incluse dans la communauté etpacifiée par l’implacable logique d’inclusion démocratique, parune logique de l’inclusion du « malgré tout » : « Ce n’est plus lerégime du même et de l’autre qui régit le rapport des habitants dela Cité à l’hyperviolence, mais celui du même au même “malgrétout” » (Brossat, 1998). Car la politique démocratique moderne,qui surgit de l’effondrement des systèmes absolutistes, ne peut pasaccepter la figure du monstre et tente à tout prix d’éliminer lesmoments hyperviolents de son histoire récente en recourant à uneinclusion forcée mais possible de la figure du monstre hypervio-lent : « Ce qu’il faut penser, ce n’est plus l’écart extrême d’un“nous” familier à des êtres différents inconcevables (des canni-bales, des sauvages hérissés de plumes et aux mœurs scanda-leuses…), mais bien le rapport intime de l’humain ordinaire à sapropre altérité monstrueuse » (ibid.).

La pensée foucaldienne de la biopolitique se constitue alorsdans l’entre-deux des deux versants – juridico-biologique etmoral – de la figure du monstre. Car si la normalisation et la disci-plinarisation, qui transforment l’éclat brillant, symbolique, du régi-cide en petites anomalies, en existences cachées d’« hommesinfâmes », soumis non plus à la fureur souveraine mais aux méca-nismes de dressage et de correction, sont des traits caractéristiquesdu régime biopolitique, la rhétorique du « même malgré tout »doit néanmoins continuer à faire face à une sorte d’« autre » diffi-cilement intégrable dans la communauté des hommes et qui, àl’âge de la démocratie biopolitique, se définit encore et toujourspar des critères biologiques enfreignant les mécanismes de la loi :ces critères biologiques fonctionnent comme un indice de vie plusfacilement réductible à la vie nue, susceptible de balancer plusfacilement du côté de l’animalité. La formule foucaldienne selonlaquelle le monstre humain cesse d’être biologique pour devenirun monstre moral, purement comportemental, prend ici tout sons

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 219

Lexique de biopolitique220

sens : la « vie » d’un sujet « faible » est animalisée, mais le mons-trueux se trouve plutôt du côté du pouvoir, des vainqueurs quiviolent les lois éthiques universelles. Foucault définit le racismecomme étant ce nouveau mécanisme qui permet de tracer uneligne de partage entre l’humain et le non-humain : le surgissementdu racisme au cours du XIXe siècle en tant que mécanisme deprotection de la race est un point d’inflexion de la modernité poli-tique, car il permet d’intégrer la thanato-politique, le droit demort, à la politique pacifiée occidentale : « D’une part, en effet, leracisme va permettre d’établir, entre ma vie à moi et la mort del’autre, une relation qui n’est pas une relation militaire et guerrièred’affrontement mais une relation de type biologique : […] Autre-ment dit, la mise à mort, l’impératif de mort n’est recevable dansle système de bio-pouvoir, que s’il tend non pas à la victoire sur lesadversaires politiques, mais à l’élimination du danger biologique etau renforcement, directement lié à cette élimination, de l’espèceelle-même ou de la race » (Foucault, 1997). La mort de l’autreperd son éclat monstrueux mais garde sa fonction au sein durégime biopolitique : l’exclusion de l’autre, qui a hanté le XXe sièclesous la forme de racismes de toutes sortes est la preuve que lepouvoir, en majorant ses effets, trouve des mécanismes qui s’exer-cent sans lacune sur le principe du « même malgré tout », tandisque la figure du monstre juridico-biologique est réactivée àvolonté : certes, l’exclusion contemporaine de l’autre s’expliquepar des mécanismes économiques et sociaux, par la pauvreté duTiers Monde ou l’hermétisme de l’Islam, par le comportementbizarre, en somme, d’un certain groupe d’hommes. Mais ce sontbizarrement encore et toujours les indices biologiques qui permet-tent de localiser la ligne de partage entre l’homme et l’animal,entre la vie nue et la monstruosité humaine ; la tératologie poli-tique moderne est toujours en train de s’écrire.

Maria Muhle

Voir : Camps, Défense sociale, Dégénérescence, Différences, Génocide,Médicalisation, Migrations, Normal/pathologique, Posthumain,Psychiatrie, Racisme, Sécurité, Singularité, Téléréalité, Terrorisme.

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 220

NORMAL/PATHOLOGIQUE

Le concept de « normal », lorsqu’il renvoie à l’homme en tantque vivant, indique la régularité de ses fonctions vitales. L’idée dela normalité fonctionnelle d’un organisme vivant est un produit dela pratique médicale. La normalité est, en fait, une valeur déduitede son opposé, le pathologique. Il n’existe donc pas une normalitéen soi et pour soi : c’est le dysfonctionnement d’un organisme quirévèle sa fonctionnalité normale (Canguilhem, 1966). Le patholo-gique est donc premier par rapport au normal. L’inversion de l’an-técédence logique du normal sur le pathologique dénote unecritique contre l’attitude théorico-pratique de la médecinemoderne. Cette dernière considère le vivant comme une matière àlaquelle on peut imposer des normes anonymes établies sur labase de critères statistiques et de probabilité. La « normemoyenne », par exemple la réponse la plus commune d’un orga-nisme à un médicament ou à une situation déterminée, est unepure fiction et ne correspond aucunement à la réalité du vivant.Cependant, c’est justement sur cette fiction que la médecineassied sa conception de la thérapeutique. On peut opposer à lanorme objective, quantitative, une conception « subjective » etqualitative de la normalité à partir d’une évaluation non réduc-tionniste de l’état pathologique. Ce dernier n’est pas « l’absencede norme biologique, c’est une autre norme » (ibid.), une normeque l’on peut dire réduite dans la mesure où elle indique un étatdans lequel on n’a pas la capacité d’exercer au mieux ses fonctionsvitales. Le vivant dans son état normal est, en revanche, défini parsa capacité même d’imposer au milieu et aux conditions danslesquelles il se trouve sa propre norme vitale. Ainsi, le fait que levivant réagisse à une lésion, à une anomalie fonctionnelle, signifieque la vie est, de fait, une activité normative, c’est-à-dire « [qui a]

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 221

Lexique de biopolitique222

la capacité d’instituer de nouvelles normes en réponse à des situa-tions nouvelles » (ibid.). Une définition subjective de la normalitévitale implique d’un côté, une remise en question du thérapeu-tique en tant que simple traitement pharmacologique qui faitabstraction du fait que la norme vitale n’est pas impersonnellemais qu’elle concerne toujours la singularité de l’individu ; d’unautre côté, cette conception subjective de la norme vitale conduitaussi à remettre en question le rôle de la médecine comme modèleet technique de rationalisation sociale, non seulement à cause deseffets à long terme des politiques médicales sur l’espèce, maiségalement du fait de la nature du rapport normes sociales/normesvitales.

On ne peut donner du rapport entre norme vitale et normesociale, en tant que problématique inhérente à la question biopo-litique, une interprétation de type organiciste. L’analogie entrevivant et social sur laquelle se fonde l’hypothèse organiciste est enfait une fiction. En distinguant l’organisation sociale de celle duvivant, sur laquelle se fonde l’idée présumée du fonctionnementnormal de la société, Canguilhem montre que le social est unensemble de règles dont il faut se soucier, tandis que le vivant est,de fait, un ensemble de règles vécues sans problèmes. Pour levivant, le fait d’exister témoigne parfaitement de l’efficacité desappareils régulateurs – comme le montre l’homéostasie –, tandisque l’organisation sociale est une tentative de régulation d’unprocessus en cours. Chez le vivant, organe et fonction sont dansun état de totale cohésivité, tandis qu’il ne peut y avoir dans lasociété qu’un effort de normalisation correspondant à la rationali-sation des besoins. La société humaine est en effet composéed’éléments hétérogènes, d’hommes différents par leurs valeurs.Ce qui empêche la société humaine de fonctionner comme unerégulation organique, c’est l’impossibilité de réduire à zéro cefacteur différentiel. La norme vitale ne peut être un critère d’actionpolitique. Il n’existe pas de fonctionnement normal de la sociétécomme il existe, de fait, un fonctionnement normal, c’est-à-direrégulier, de l’organisme vivant. Le discours qui fonde un certain« fonctionnement » de la société sur un état de fait immuable,autrement dit sur le fonctionnement organique, est fortementrégulatif, autoritaire et discriminatoire.

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 222

Normal/Pathologique 223

Le rapport entre norme de vie et norme sociale est plutôt unproblème qui a à voir avec le développement des techniques degouvernement des vivants, dont l’origine remonte à l’épidémiolo-gie. La sortie de la médecine de l’espace thérapeutique qu’est larelation médecin/patient et son entrée dans le champ des affairesde l’État est un phénomène qui remonte à la Révolution française(Foucault, 1963). La naissance de l’anatomie pathologique et laformation d’institutions cliniques sont contemporaines. La médi-calisation de la société est une première forme de rationalisationsociale du biologique, qui a son origine dans l’analyse des phéno-mènes pathologiques collectifs. Cette dernière réagit en élabo-rant des savoirs qui ont pour objet les vivants, en prétendant fixerquelles sont les conditions de vie normales et optimales, notam-ment en rapport avec le milieu et les ressources. C’est ainsi que lapopulation, justement à travers ses modes de vie matériels etsociaux, commence à se constituer comme objet de calcul degouvernement, c’est-à-dire comme sujet biopolitique (Foucault,2004a).

L’hygiène sociale du XIXe siècle représente en ce sens unepremière forme de rationalisation de la vie et des modes de vie,dont la matrice et les modèles proviennent de la psychiatrie(Foucault, 2003). Cette dernière se constitue en tant que science del’hygiène publique et de la protection sociale précisément parcequ’elle greffe son fonctionnement sur l’axe normal/pathologique.Le concept de norme, étant double par nature, se prête en effet àune double interprétation : la norme est régularité fonctionnellemais aussi règle de conduite. Par conséquent, la psychiatrie duXIXe siècle peut distinguer les individus normaux des individus anor-maux car elle lie, sans solution de continuité, la régularité fonction-nelle à la normalité du comportement en faisant dériver la conduitesocialement dangereuse de l’irrégularité physiologique (Foucault,1999). Ce critère partitif continue à être opérationnel dans lesformes de racisme biologisant et ce jusqu’au nazisme. Le conceptde norme vitale, dès lors qu’il est transféré sur le plan politique,active des critères de sélection sur la base desquels s’organisent lespolitiques raciales. La question de la sécurité sociale reste liée en cesens, même si ce n’est pas là son seul et unique champ de signifi-cation, à celle de la défense contre les éléments pathogènes.

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 223

Lexique de biopolitique224

Le fait que le concept de norme de vie acquière une impor-tance politique montre également que l’individuation du sujetpolitique n’est plus pensable en termes exclusivement juridiques.Le pouvoir, pour s’exercer sur l’individu en tant qu’unité et espèce,devra « se placer au niveau de la vie même » (Foucault, 1976a).S’il peut s’exercer, il le doit donc au développement de savoirs quiont pour objet les vivants et leurs normes de vie. Les pratiquesbiopolitiques actuelles continuent d’avoir pour champ de constitu-tion et de légitimation les savoirs biomédicaux, mais elles fonc-tionnent moins selon l’axe normal/pathologique commediscriminant anthropologico-politique que selon l’axe identité/différence (Haraway, 1988). La normalité du vivant – entendonspar là son fonctionnement régulier mais aussi ce qui rend possiblecette même régularité – est devenue objet de science et par làmême objet politique, dans la mesure où les découvertes concer-nant les formes de la vie ont un effet immédiat sur les formes-de-vie (Rabinow, 1999).

Antonella Cutro

Voir : Dégénérescence, Défense sociale, Différences, Exception (état d’),Médicalisation, Monstre, Normalisation, Psychiatrie, Racisme, Santépublique, Sécurité.

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 224

NORMALISATION

Dans la langue latine, norma désigne un outil de mesure(l’équerre) et normalis signifie perpendiculaire (Canguilhem,1966 ; Rousset, 2002). Étant composée de deux règles (verticale ethorizontale), la norma ou l’équerre permet de dresser un angledroit dans un plan. Elle est l’instrument par lequel une droite peutêtre élevée à partir d’un plan horizontal là où la simple « règle »ne sort jamais de la ligne. La norma n’a été que tardivement trans-posée de la géométrie à la morale et au droit. La critique foucal-dienne de l’institution d’un ordre normatif renoue avec cet aspectinstrumental de la norme pour en montrer l’arbitraire. Après avoiranalysé l’historicité des processus de normalisation (amorcés auXVIIIe siècle), le dernier Foucault en viendra à défendre la créationdes règles de conduites particulières et antidisciplinaires (les tech-niques de soi) soustraites à l’entreprise de normalisation. Dans cequi suit, nous nous contenterons de présenter quelques modalitésdu pouvoir de normalisation, pour ensuite illustrer son actualité etson effectivité pour la médicalisation sociale des patients psychia-triques qui effectuent un retour dans la communauté.

L’ère du panoptisme annonce la fin de la Loi souveraine et lamise en place des procédures immanentes de normalisation auto-gérées par les populations. « Comme la surveillance et avec elle, lanormalisation devient un des grands instruments de pouvoir à lafin de l’âge classique » (Foucault, 1975). Par la suite, Foucaultdécrira cette situation dans les termes d’un passage allant du« droit de mort » au « pouvoir sur la vie » (Foucault, 1976a). Enoutre, il présente le pouvoir de normalisation sociale comme unedémocratisation du pouvoir de souveraineté (Foucault, 1997). Lessociétés modernes exercent ainsi un pouvoir d’autorégulation plustolérable que l’ancien pouvoir royal. Cette autoproduction de la

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 225

Lexique de biopolitique226

population est fondée sur la création de normes au sein dusystème institutionnel (hospitalier, scolaire, carcéral, juridique, etc.)normes qui peuvent ensuite circuler librement dans l’espace social.L’entreprise de normalisation du corps social vient corriger lesdéviances en rendant la population homogène. La société sedéfend ainsi contre l’anormalité (ou ce qu’elle a défini comme tel)à la faveur d’un état considéré comme normalisé. Avec la mise enplace d’un ensemble de mécanismes de standardisation, il nes’agit plus d’éliminer les « anormaux », mais de les faire vivre enramenant leur existence à une commune mesure. La biopolitiquedevient alors une médecine sociale qui gère le développement dela vie des populations au nom de la distinction vitaliste établieentre le normal et le pathologique. C’est pourquoi la médicalisa-tion demeure paradigmatique dans l’explication foucaldienne desprocessus de normalisation, qui ne sont rien d’autres que les effetsou la finalité des appareils disciplinaires (Foucault, 1999).

Pour illustrer notre propos, nous prendrons l’exemple de lapopulation constituée par les personnes classées maladesmentales qui effectuent un retour dans la communauté, dans lecadre de l’application des politiques de désinstitutionnalisation (oude déréglementation) des services de soins psychiatriques mises enplace dans tous les pays industrialisés à partir des années 1980(Corin et coll., 1986).

Cette nouvelle situation ne prône ni le renfermement des« anormaux » ni leur prise en charge par la médecine convention-nelle. Elle accorde plutôt une priorité aux déterminants sociaux durétablissement, en cherchant à favoriser l’intégration des ex-patients psychiatriques à la vie dite normale. Mais les politiques dedésinstitutionnalisation ne sont pas aussi « neutres » qu’elles leprétendent. En réalité, elles ouvrent sur de nouvelles techniques denormalisation extra muros, plus subtiles que les anciennespratiques de contrôle intra muros et qui deviennent aussi plus tolé-rables aux yeux du public en s’infiltrant et en circulant dans le tissusocial aux niveaux des attitudes, des croyances, des comporte-ments et des représentations. Nous présenterons brièvement troisde ces mécanismes de normalisation issus de la désinstitutionnali-sation des soins psychiatriques : le zonage urbanistique, la ramifi-cation de l’hôpital psychiatrique et la continuité des soins.

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 226

Normalisation 227

Certaines pratiques de zonage se confondent avec des tech-niques de contrôle social en obéissant à des principes de ghettoï-sation des populations marginalisées. À des fins d’« hygiènepublique », des HLM dédiés aux personnes considérées commeanormales sont, par exemple, construits dans des espaces excen-trés, tandis que l’implantation d’organismes communautairesœuvrant en santé mentale est interdite dans certains quartiersbien nantis. Cette mainmise sur la localisation des populations estune pratique courante, mise en œuvre à travers des stratégiesmunicipales et urbanistiques qui trient littéralement les popula-tions par le biais d’une légifération sur les divisions spatiales, assu-rant du même coup un espace homogène et normalisé. À titred’exemple, des données de recensement indiquent que sur leterritoire de la Ville de Montréal, 45,5 % des lits dédiés à la clien-tèle psychiatrique sont concentrés sur seulement 5,5 % du terri-toire (Morin, 1993).

La technique de ramification des hôpitaux psychiatriques dansla communauté constitue un autre mécanisme de normalisationissu des politiques de désinstitutionnalisation. Concrètement, celasignifie que les hôpitaux bloquent le transfert dans la communautédes sommes économisées par la fermeture de lits. Plusieurs hôpi-taux conservent ainsi cet argent, gérant dans la communauté desrésidences d’accueil avec lesquelles ils passent des contrats deservice. Pour illustrer ce phénomène, nous avons comparé lesrapports annuels de l’hôpital Louis-H. Lafontaine (l’un des plusgros asiles psychiatriques au Canada) pour la période 1991-2000(HLHL, 1991 ; 2000) pour constater que le budget de l’hôpital estdemeuré sensiblement le même en dépit du fait que le nombre depatients a été réduit pratiquement de moitié ! Le budget consacréaux soins des anciens patients aurait du suivre les ex-patients dansles communautés, mais l’hôpital maintient un contrôle financier enutilisant les sommes économisées du fait de la fermeture de litspour administrer des ressources d’hébergement dédiées aux « ex-patients psychiatriques » vivant dans la communauté. L’organisa-tion concrète de la vie (activités, horaire, médication, etc.) de cettepopulation « désinstitutionnalisée » demeure ainsi secrètementsubordonnée au modèle asilaire.

Cette machination dépasse aussi le simple cadre hospitalierpour envahir la société toute entière jusqu’à produire un modèle

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 227

Lexique de biopolitique228

rationnel de continuité des soins. Ce que Foucault annonce lors-qu’il affirme : « Les juges de normalité sont devenus présentspartout. Nous sommes dans la société du professeur-juge, dumédecin-juge, de l’éducateur-juge, du travailleur social-juge, tousfont régner l’universalité du normatif ; et chacun au point où il setrouve y soumet le corps, les gestes, les comportements, lesconduites, les aptitudes, les performances » (Foucault, 1975). Lenouveau paradigme d’intégration sociale placé sous le titre géné-rique d’« intersectorialité » (White et coll., 2002) répond ainsi auxnouveaux impératifs de normalisation de la vie des personnes clas-sées malades mentales. L’action intersectorielle en santé mentalepeut être définie comme la mise en place d’un réseau de concer-tation réunissant les usagers des services et les professionnels dedifférents secteurs (logement, travail, hôpital, éducation, etc.) envue de définir la meilleure manière d’intégrer socialement lespersonnes aux prises avec des troubles mentaux. Le but avoué decette concertation consiste à éviter la logique de sectorisation endéveloppant des « stratégies intersectorielles » à la faveur de diffé-rents réseaux de coopération favorables à une meilleure commu-nication entre les secteurs d’activité pour ainsi maximiser la qualitéde l’intégration sociale. Mais cette bonne volonté manifeste aussiun potentiel de rigidification ou de « fonctionnarisation » quiempêche les personnes directement concernées (ici les ex-patientsinstitutionnalisés) d’effectuer un choix véritable. Les psychiatres,dont la profession demeure survalorisée même dans le contexte dedésinstitutionalisation des soins psychiatriques, les gestionnaires,qui conservent à n’en pas douter une puissance décisionnelle etfinancière, les travailleurs sociaux, qui favorisent l’intégration dansune société normalisée en secondarisant la question du biopou-voir, etc., en viennent ainsi à exercer une subtile « dictature dupartenariat » (Damon, 2002). Loin de manifester un « réalismepolitique », l’intersectorialité se présente plutôt comme une« utopie sociale » ou un progressisme naïf fondé sur un idéalconsensuel (Bibeau, 2002). Les gestes, comportements, conduites,aptitudes et performances des ex-patients psychiatriques sontalors normalisés en obéissant à des idéaux déterminés autourd’une table de concertation par les « professionnels de l’intégra-tion sociale ».

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 228

Normalisation 229

Ces trois stratégies de contrôle constituent autant de nouvellespratiques de normalisation rationnelles des existences à travers desjeux de savoir/pouvoir ; elles sont autant de « petites ruses » réali-sées hors de la gouvernance étatique ou en-deça de l’appareillagejuridique ; elles favorisent l’émergence et le développement destechniques décentrées de domination exercées de manière conti-nue sur la vie des individus ; et elles opèrent de manière silencieuseet muette sous le couvert des politiques faussement émancipatoiresen étant animées par un nouvel idéal d’humanisme intégral – lemême type d’humanisme qui avait incité Pinel à libérer les fous desasiles parisiens pour mieux rendre homogène leurs attitudes etcomportements par la science médicale.

Foucault nous enseigne que les pratiques de normalisationexigent sans cesse l’invention de nouveaux modes d’expressionpour se conformer au seuil de tolérance des populations. Ces tech-niques de contrôle de la vie des populations prennent place horsdes institutions, c’est-à-dire de manière générale entre les indivi-dus et les groupes d’individus, et plus particulièrement entre les ex-patients psychiatriques et les professionnels de la continuité dessoins à l’extérieur des murs hospitaliers. L’intégration et la protec-tion sociales des populations sont ainsi prises en charge par desréseaux de forces que l’on peut qualifier de policiers. En outre, lesnouvelles stratégies de normalisation de la vie des populationssont d’autant plus coercitives et pernicieuses qu’elles demeurentmasquées.

Alain Beaulieu

Voir : Biométrie, Contrôle social, Défense sociale, Disciplines, Empower-ment, Gouvernementalité, Médicalisation, Monstre, Normal/patho-logique, Police, Psychiatrie, Santé publique, Sécession, Sécurité.

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 229

OGM (ORGANISMES GÉNÉTIQUEMENT MODIFIÉS)

Les organismes génétiquement modifiés à usage alimentairefont partie des produits que les biotechnologies avancées ontrendus disponibles. Si nous avons choisi d’accorder une placeparticulière à la question des biotechnologies alimentaires c’estparce que ce thème a pris une grande importance dans le débatpublic et scientifique, de même que dans les différents mouve-ments de protestation qui ont accompagné l’introduction et lacommercialisation des variétés génétiquement modifiées.

Les biotechnologies alimentaires peuvent être considéréesdans le cadre du processus d’industrialisation de l’agriculture quia débuté avec ce qu’on appelle la révolution verte, et semblentposer encore et toujours le même type de problèmes, liés surtoutà la présence de certains groupes internationaux ayant des posi-tions de quasi-monopole (Tallacchini et Terragni, 2004). Le grosbusiness des plantes génétiquement modifiées est sûrement l’undes aspects les plus préoccupants des biotechnologies agricoles :le marché mondial des semences est entre les mains de quelquesgrandes compagnies qui, ces dernières années, par une séried’accords, de ventes et de fusions, contrôlent à la fois le marchéet les licences de brevet.

La plupart des plantes génétiquement modifiées qui sontactuellement cultivées et commercialisées sont classées selonquatre espèces : soja, maïs, colza et coton. Les productions sontconcentrées aux États-Unis, mais aussi en Argentine, au Canada,au Brésil, en Chine et en Afrique du Sud. Quant aux caractèresmodifiés, ils sont principalement au nombre de deux : la résis-tance aux herbicides (75 % environ en 2002) et la résistance auxinsectes. Les produits commercialisés aujourd’hui ne présententd’avantages que pour les cultivateurs des pays caractérisés par la

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 230

OGM (Organismes génétiquement modifiés) 231

présence d’une agriculture de type extensif et ayant un hautsavoir-faire. D’après les données fournies par l’ISAAA (Internatio-nal Service for the Aquisition of Agribiotech Applications), en2003, les surfaces cultivées en plantes génétiquement modifiéescorrespondaient à 67,7 millions d’hectares dans le monde. Deplus, sur la globalité des productions mondiales, en hectares,51 % du soja sont génétiquement modifiés, de même que 20 %du coton et 9 % du maïs (Buiatti, 2001 ; Fonte, 2004 ; Tallacchiniet Terragni, 2004).

Il semblerait que les avantages et les risques des biotechno-logies agro-alimentaires n’aient pas été intégralement mis aujour. Dans la communauté scientifique, le débat sur ces thèmesest encore ouvert, surtout à cause de la difficulté de fixer desparamètres de toxicité, puisque les organismes présententdiverses modalités de réaction et que chaque organisme utilisépour l’expérimentation peut présenter des seuils de tolérancedifférents. De plus, l’expérimentation sur des cobayes animauxne permet pas d’administrer des aliments entiers à dosesmassives, puisque cela ne serait pas compatible avec le principed’un régime équilibré, ce qui rend difficile le repérage des effetstoxiques indépendamment de la quantité administrée. Il s’agitd’une difficulté complexe, qui sape, semble-t-il, la possibilitémême d’obtenir par l’expérimentation des résultats sûrs :« Ainsi, identifier les potentiels effets nocifs d’un aliment entieret les mettre en relation avec ses différentes caractéristiques esttrès difficile, voire impossible. D’où la difficulté de tester lesaliments OGM qui, comme nous le savons, transforment la struc-ture génétique de l’aliment » (Fonte, 2004 ; Fabbri, 2002). Cettedifficulté semble laisser aux chercheurs une marge d’interpréta-tion considérable. Ce n’est pas un hasard si de nombreux articlesconcernant les effets toxiques produits au détriment de certainesespèces, qui ont été publiés et ont eu un grand retentissementmédiatique, ne sont toutefois pas étayés par des preuves scienti-fiques valables (Meldolesi, 2001).

Les risques relatifs à la santé humaine, sur lesquels insistentceux qui s’opposent à l’introduction des agrobiotechnologies(Tamino et Pratesi, 2001 ; Hansen, 2001), posent une série deproblèmes qui, à ce jour, n’ont pas été résolus à cause d’un

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 231

Lexique de biopolitique232

manque de vérifications expérimentales solides capables d’enconfirmer l’existence. Dans les hypothèses formulées, les risquespour la santé de l’homme tiendraient à d’éventuelles propriétésallergisantes et à une possible toxicité des nouveaux produits. Deplus, il faut tenir compte de l’imprévisibilité des systèmes biolo-giques, qui ne permet pas d’établir à l’avance les conséquencesd’un transfert génique, à savoir où il s’insèrera et quels interrup-teurs il allumera (Fonte, 2004 ; Tallacchini et Terragni, 2004 ;Fabbri, 2002).

Les risques ayant fait l’objet de vérifications expérimentalesplus importantes sont ceux qui sont liés à la perte de la biodiver-sité qui pourrait dériver d’un flux génique incontrôlé, d’unepollution génétique et de la formation d’espèces plus fortes qued’autres (Fabbri, 2002 ; Fonte, 2004 ; Tallacchini et Terragni,2004).

Les biotechnologies agricoles semblent avoir pulvérisé lesfrontières de l’expérimentation, laquelle ne se limite plus auxquatre murs du laboratoire mais s’étend au monde entier, dansune dimension inédite d’« expérimentations à l’échelle 1 »(Latour, 2001). De plus, tous les organismes vivants prennentpart à cette expérimentation : « Comme le nucléaire et l’indus-trie chimique, l’agriculture transgénique introduit une transfor-mation radicale de la pratique scientifique : ce n’est plus lemonde que les scientifiques enferment dans leurs laboratoires,mais le monde lui-même devient laboratoire. Tout ce qui vitdevient cobaye » (Berlan, 2001b).

Les avantages de l’utilisation des OGM en agriculture pour-raient consister dans une utilisation moins importante d’herbi-cides et d’insecticides, en fonction du type de modificationintroduite. Cependant, puisque la tolérance aux herbicides estl’une des modifications les plus répandues, il s’ensuit que l’utili-sation de produits chimiques s’intensifie. Chez les partisans desbiotechnologies agro-alimentaires, l’hypothèse qui prévaut estque les aliments ainsi obtenus sont plus sûrs que les alimentsconventionnels, car les nouvelles technologies reproduisent nonseulement des processus qui existent déjà dans la nature mais, cefaisant, elles permettent d’obtenir des résultats plus prévisibles etplus sûrs (Sala, 2005 ; Meldolesi, 2001). De plus, la surrégle-

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 232

OGM (Organismes génétiquement modifiés) 233

mentation et les contrôles plus importants auxquels ces alimentssont soumis par rapport aux aliments conventionnels auraient dûrassurer les consommateurs quant à leur sécurité. De fait, lasurréglementation a eu l’effet pervers d’alimenter la méfiancedes consommateurs (Meldolesi, 2001).

Pour les partisans des nouvelles technologies, les OGM

présentent un double avantage : d’une part, ils pourraient repré-senter une solution aux problèmes de la production alimentairemondiale et du développement des zones rurales ; d’autre part,ils permettraient d’utiliser des « territoires difficiles » (zones trèschaudes ou ayant peu d’eau par exemple) pour l’agriculture(Meldolesi, 2001 ; Cascioli et Gaspari 2004 ; Sala, 2005). Lesarguments utilisés pour soutenir ces positions semblent plutôtcontroversés. Les champs d’application les plus intéressants pourle futur pourraient probablement être ceux qui concernent ledéveloppement de la nutriceutique, la « science des substancesnourrissantes et de leur action thérapeutique », à laquelle legénie génétique semble fournir de nouvelles opportunités(Tallacchini et Terragni, 2004).

La réglementation sur les OGM prend également commepoints de référence les accords passés dans le cadre de l’OMC :l’Accord sur les mesures sanitaires et phytosanitaires (SPS) et l’Ac-cord sur les barrières techniques au commerce (accord BTC). Leséventuelles différences au niveau de la réglementation nationalepeuvent avoir un impact significatif sur les coûts de productionet se basent sur des évaluations de risque inégales, à cause del’incertitude scientifique quant à la dangerosité des OGM. L’adop-tion de certains paramètres plutôt que d’autres repose sur desévaluations de risque très différentes entre les États-Unis etl’Union européenne, vu que le premier est l’un des principauxproducteurs et que le second est un importateur potentiel desproduits (Fonte, 2004).

La réglementation des États-Unis se base sur l’adoption duprincipe d’« équivalence substantielle », autrement dit sur l’hy-pothèse selon laquelle les aliments génétiquement modifiés neprésentent pas de différence substantielle par rapport auxaliments conventionnels pour ce qui est de leur composition etde leur valeur nutritive, sauf introduction de nouvelles fonctions.

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 233

Lexique de biopolitique234

C’est sur ces dernières que devrait se concentrer l’analyse durisque. En ce sens, le principe d’« équivalence substantielle » estmoins un instrument d’évaluation du risque sanitaire qu’uneprémisse pour l’analyse de l’aliment biotechnologique (Fonte,2004 ; Tallacchini et Terragni, 2004). Ainsi, sur la base de ce prin-cipe, l’étiquetage aux États-Unis n’est-il obligatoire que lorsqu’ilfaut signaler au consommateur la possibilité d’un risque avérépour la santé ou une modification nutritionnelle importante duproduit.

La réglementation en vigueur dans l’Union européenne sebase en général sur l’approche de précaution : depuis 1998, l’Eu-rope a bloqué la délivrance d’autorisations supplémentaires pourla culture de plantes génétiquement modifiées. À vrai dire, cemoratoire semble être le résultat de l’application désastreuse desréglementations promulguées en 1997, notamment à cause dela difficulté à mettre en œuvre les contrôles des paramètresétablis. En 2003, l’Union européenne a approuvé deux nouveauxrèglements qui disciplinent également, en réordonnant et enclarifiant la réglementation précédente, la question des orga-nismes génétiquement modifiés à usage alimentaire. Le Règle-ment 1829/2003 (Denrées alimentaires et aliments pour animauxgénétiquement modifiés) et le Règlement 1830/2003 (Traçabilitéet étiquetage des organismes génétiquement modifiés et traça-bilité des denrées alimentaires et aliments pour animaux produitsà partir d’organismes génétiquement modifiés) établissent, entreautres choses, que tous les aliments produits par des modifica-tions génétiques doivent être étiquetés. En ce qui concerne lesaliments conventionnels, un seuil de contamination accidentelleest fixé 0,9 %, seuil au-delà duquel l’étiquetage est obligatoire.De plus, les règlements ont garanti le fonctionnement du méca-nisme de la traçabilité : toutes les informations sur le parcours duproduit depuis son origine doivent arriver au consommateur(Tallacchini et Terragni, 2004 ; Fonte, 2004).

Les tentatives d’introduire les OGM sur le marché alimentaireont été accompagnées de nombreux mouvements de protesta-tion, en Europe surtout. Le refus et la méfiance du public se sontconcentrés sur les biotechnologies alimentaires, comme lemontrent les enquêtes réalisées ces quinze dernières années (les

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 234

OGM (Organismes génétiquement modifiés) 235

sondages de l’Eurobaromètre notamment). De plus, il ne faut pasnégliger l’impact des « crises alimentaires » de ces dernièresannées : de la vache folle aux poulets à la dioxine, en passant parle vin au méthanol et, récemment, par la grippe aviaire. Cesévénements, amplifiés par l’utilisation des médias pour lacommunication du risque, ont radicalisé le scepticisme du publicquant à l’efficacité des contrôles sanitaires, ont sapé la crédibi-lité, et de la communauté scientifique quant à sa capacité defournir des données sérieuses et sûres, et des gouvernementsquant à leur capacité d’endiguer les situations d’urgence (Bucchi,1999 ; Meldolesi, 2001 ; Bucchi, 2002 ; Borgna, 2001 ; Bauer etGaskell 2002 ; Tallacchini et Terragni, 2004).

À cet égard, il ne faudrait pas négliger les éléments symbo-liques et identitaires qui sont liés à la consommation alimentaire.Le refus des OGM semble également porté par des raisons de type« éthique et esthétique », puisque qu’ils apparaissent commequelque chose qui réalise une violation fondamentale de l’ordrenaturel, presque comme des « monstres », en tant que ce sontdes aliments qui contiennent des gènes provenant d’espècesdifférentes (Meldolesi, 2001). La violation des barrières entre lesespèces évoque le « danger de la contamination ». MaryDouglas (1966) a largement démontré comment les règles decontamination sont inhérentes aux systèmes symboliques. Laréaction classique à la contamination consiste à condamner lesanomalies qui sèment la confusion et la contradiction dans lesclassifications et les schémas auxquels nous sommes habitués ouque nous avons intériorisés. Vu la place centrale accordée à lanourriture dans notre culture et l’ambivalence à son égard, l’idéede la contamination liée à la nourriture se charge d’une valeursymbolique : elle représente le lien profond avec le « règne dubiologique » et, dans le même temps, la définition identitaired’une communauté, dont les rites et les liturgies sont intimementliées au champ du sacré (Marchesini, 2002a).

Ces dix dernières années, l’attention portée à la sécurité età la qualité alimentaire s’est beaucoup accrue dans les pays occi-dentaux. Cela semble être non seulement un problème typiquedes sociétés qui ont surmonté la « phase de la pénurie », maisaussi l’indicateur d’un changement global plus général concer-

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 235

Lexique de biopolitique236

nant les thèmes de la santé et du bien-être individuel, au seinduquel la valorisation du naturel semble être devenu un lieucommun : « L’équation “naturel = sûr = inoffensif” fonctionnedésormais comme une sorte de mantra qui est en train d’hypno-tiser toute une société, laquelle, en fait, a réussi à progresserjusqu’à des niveaux que nous vivons quotidiennement enprenant souvent pour vrai exactement le contraire » (Corbellini,2003, 114).

C’est sur ce qu’on appelle la « nourriture de Frankenstein »(expression courante de la protestation contre les OGM) querepose la thèse de Turney, lequel soutient et argumente que lemythe de Frankenstein est au cœur de l’histoire de la biologiemoderne et montre comment il a contribué à déterminer nombrede comportements à l’égard de la science contemporaine(Turney, 1998).

Renata Brandimarte

Voir : Biodiversité, Biotechnologies, Durabilité, Écologisme, Milieu.

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 236

OÏKONOMIE

Le terme « oïkonomie » (de oïkos, « maison » et nomos,« loi ») qualifie à l’origine la gestion productive de la sphère privée.L’oïkìa (sphère domestique) désigne un organisme complexe etpolyarticulé au sein duquel s’entrelacent des rapports divers, quivont de ceux de nature exclusivement parentale à ceux de typemaître-esclave ; il assure en outre la gestion de productions agri-coles sur une vaste échelle. Le fil qui tient ensemble ces rapportsmultiples et pluridirectionnels est un paradigme que l’on pourraitdéfinir comme domestico-managérial. Ce qui ressort de cettesingulière « topologie administrative » est donc, semble-t-il, unprocédé de gouvernement – « gouvernement » étant entenducomme un pouvoir affectif visant à diriger la conduite des hommes(gouvernement des âmes, gouvernement d’une maison, gouver-nement d’un système de production) – et qui, bien loin de consti-tuer une science en tant que telle, fait intervenir, au contraire, desdispositifs technico-exécutifs à chaque fois différents pour faireface à des problèmes spécifiques. Pour Aristote, l’oïkos et la polis,l’économie et la politique, sont résolument distincts qualitative-ment et substantiellement. En effet, le caractère distinctif de lasphère oïkonomique réside dans le fait qu’en son sein, les hommesvivent ensemble poussés par le besoin et par la nécessité. La forcesous-jacente de ce régime n’est rien d’autre que la vie elle-mêmequi, afin de se conserver individuellement et de survivre comme viede l’espèce, a besoin de la présence de différentes personnes et deleur coopération productive. L’anthropologie de l’oïkos est,partant, entièrement sous le signe de la nécessité, et c’est cettedernière qui donne un sens à toutes les activités qui s’y déroulent.Dans cette perspective, la nécessité est avant tout un phénomèneprépolitique qui se manifeste là où l’emploi de la force et de la

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 237

Lexique de biopolitique238

violence est pleinement justifié, puisque celles-ci représentent lesseuls moyens capables de dépasser l’état de besoin originel danslequel se trouve la vie biologico-naturelle de l’oïkìa. La polis repré-sente en revanche le domaine de la liberté dans la mesure où laliberté, pour les philosophes grecs, s’accomplit dans la sphèrepublico-politique. Au sein d’une telle organisation axiologique, lapolitique représente, en toute circonstance, bien plus qu’unmoyen de protéger la société ou, qui plus est, de reproduire lasimple vie et sa subsistance immédiate.

En référence à ce que nous venons de dire, la simple vie natu-relle en tant que vie de travail et de reproduction, a donc tendanceà être exclue de la polis de façon péremptoire et incontestable.Être libre à l’intérieur de la cité politique signifie justement ne pasêtre assujetti aux nécessités de la vie et de la conservation ni mêmeà la volonté de la potestas de l’autre (Arendt, 1958).

L’action politique en tant qu’expression de la « bonne vie »,entendue comme la recherche de ce que doit être le bien (Aristote,Éthique de Nicomaque), n’est pas, à la rigueur, simplement préfé-rable à la vie ordinaire, parce qu’elle est, de façon axiomatique etévidente, différente de cette dernière (Arendt, 1958 ; 1993). Elleest « bonne » justement parce qu’elle n’a rien à voir avec le régimede nécessité de la vie naturelle et de ses moyens de subsistance etde travail. C’est dans cette optique que la conscience politique desGrecs conçoit avec une indéniable clarté la distinction entre la zôé,qui concerne le fait tout simple de vivre et que tous les êtresvivants ont en commun, et le bíos politicós, instaurant ainsi unepuissante dichotomie ontologique entre dimension domes-tique – instituée sur la nécessité, la force, le besoin, le travail etl’inégalité – et dimension politique – érigée sur la liberté en tantque condition structurelle pour l’accomplissement du bonheur etsurtout en tant que vie politiquement qualifiée. La polis vient« avant », en tant qu’elle est la condition de la poursuite, de lapart de l’individu, de son propre telos ; elle est, en un mot, lapleine réalisation de l’homme.

À partir de l’âge moderne, suivant une nouvelle stratégieéconomique et sociale, on assiste à l’affirmation et à l’extensionradicale de l’administration oïkonomique et de ses instrumentsd’organisation. L’obscure intériorité de la maison et de ses affaires

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 238

Oïkonomie 239

fait irruption dans la sphère publique, dans le sens où elle concourtdirectement à la possibilité de contrôler et de modifier la vie elle-même. À partir de là, la distinction radicale sur laquelle reposait lapensée politique antique – c’est-à-dire la séparation entre les acti-vités directement imputables à un monde publico-politique, libérédu joug de la nécessité et du besoin, et les activités relatives à laconservation-production pure et simple de la vie-espèce – perdtout son sens. « L’avènement du ménage, de ses activités, de sesproblèmes, de ses procédés d’organisation […] n’a pas seulementeffacé l’antique frontière entre le politique et le privé ; elle a si bienchangé le sens des termes, leur signification pour la vie de l’indi-vidu et du citoyen qu’on ne les reconnaît presque plus » (Arendt,1958). L’espace limité de la sphère domestique, réglé selon lestemps et les modalités de subsistance nécessaires à la vie indivi-duelle et à la continuité de l’espèce (dans la mesure où l’homme,justement, existe non pas tant comme être humain que commeespèce animale du genre humain) devient, dans l’ingénierie socio-économique moderne, la seule forme d’existence capable demonopoliser tout le champ de la participation politique. C’estprécisément la vie naturelle en tant que « travail » et en tant que« faire » répétitif et prévisible (et jamais en tant qu’« agir ») quioccupe désormais la position que détient le bíos politicós en tantque tel. Il est probable que « pour la première fois sans doute dansl’histoire, le biologique se réfléchit dans le politique ; le fait de vivre[…] passe pour une part, dans le champ de contrôle du savoir etd’intervention du pouvoir » (Foucault, 1976a).

Le pouvoir prend la vie comme objet de son exercice à traversune nouvelle dynamique de forces et de relations qui fait « del’homme moderne un animal dans la politique duquel sa vie d’êtrevivant est en question » (Foucault, 1976a). Arrivés à ce point, lecœur du problème, l’événement décisif de la modernité, quiconduit à une transformation extrême des catégories politiques dela pensée classique, semble donc être l’entrée de l’oïkos (et de lazôé) jusqu’au cœur de la sphère de la polis. C’est à partir de cetteimpossibilité de distinguer entre zôé et bíos que l’image bidimen-sionnelle de l’homme comme simple vivant et comme sujet poli-tique prend forme. Ainsi naissent une technique de gouvernementet une stratégie économique définies dans le sens d’une adminis-

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 239

Lexique de biopolitique240

tration rationnelle des phénomènes propres à un ensemble d’êtresvivants constitués en population (Foucault, 1976a ; 1997).

La source première des nouvelles techniques de pouvoir puisde la flexion de l’espace politique vers la forme oïkonomique appa-raît à partir du moment où l’économie (le gouvernement de l’oï-kos) et la politique (le gouvernement de la polis) s’interpénètrentet se confondent continuellement. Les nouveaux dispositifs depouvoir naissent à partir du moment où le problème se présentede réglementer les activités des individus et de la collectivité poli-tique de la même manière méticuleuse que le chef de famille gèrel’économie interne de l’oïkos. La relation d’inclusion de l’oïkìa dansla polis conduit à la constitution d’un pouvoir-savoir qui place aucentre de son attention le problème de la population et desmoyens nécessaires pour en réglementer les phénomènes. Bienloin d’être une simple collection de sujets de droit, celle-ci apparaîtà présent comme un ensemble de facteurs lié au régime des êtresvivants. Et c’est justement la consubstantialité du rapport entrepopulation et richesse qui crée les conditions pour la naissance del’économie politique au sens propre. Ainsi configurée, elle ne seprésente pas comme un simple savoir économique mais elleimplique tout un ensemble pratico-politique de relations, de forceset de stratégies d’intervention coextensives au corps social lui-même. Dans ce domaine, l’économie politique finira par adopterpour critères d’efficacité et de rationalité le marché et la croissancede production, y trouvant son principal lieu de véridiction. D’oùl’importance qu’a prise le libéralisme, non pas tellement ni seule-ment en tant qu’idéologie mais en tant que pratique de rationali-sation du gouvernement, liée comme les doigts de la main auxprocessus de maximalisation économique.

Avec la non-distinction entre oïkos et polis, l’activité de travailcoïncide avec la croissance biologique du corps humain, dont lemétabolisme est lié à la nécessité développée au cours du proces-sus vital par l’activité de travail elle-même. Le corps vivant devientl’objet à gouverner en tant que force de travail, puissance deproduction en tant que telle, « l’ensemble des aptitudes physiqueset mentales existant dans le corps » (Marx, 1867-1894, I). Dansune telle situation, la vie en tant que nature pure et simple passede l’adaptation des processus biologiques aux dynamiques de

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 240

Oïkonomie 241

l’économie et de la production. Le nœud politique fondamental dela modernité oïkonomique n’est plus celui d’un pouvoir unique etsouverain mais celui d’une pluralité de fonctions de gouvernementconcentrées sur la vie d’un ensemble d’êtres vivants qui présententdes traits biologiques et pathologiques particuliers et qui, consé-quemment, dépendent de procédés et de savoirs spécifiques. Ils’agit d’un nouveau pouvoir, qui individualise et totalise à la fois,au moyen d’un déploiement inconditionnel de l’oïkonomie, dansle sens d’une prise en charge de la vie biologico-productive commetâche politique/non-politique par excellence. Nous nous trouvonsface à une nouvelle pratique de gouvernement qu’il faut interpré-ter comme un dispositif de savoirs et de techniques se chargeantde guider la conduite des individus par le biais d’une superpositionindéfinie de la communauté économico-domestique à tout autreaspect de la vie collective. L’oïkonomie en tant que système degestion biopolitique de la vie-espèce tend à déterminer le social del’intérieur, en l’englobant et en l’unifiant. Le processus sous-jacentà cette fonction occupe toute la sphère qui s’étend de l’organiqueau biologique, du corps à la population, de l’individualisation à latotalisation, à travers un double fonctionnement de stratégies decontrôle synoptique et de mécanismes de régulation politico-économique.

Reconnaître les modalités les plus caractéristiques de la« production » de l’homo œconomicus signifie, à bien y regarder,remonter jusqu’au point de conjonction irréductible entre l’indi-vidu et l’espèce, la puissance de travail pure et simple et les proces-sus de vie. Et c’est justement la vie en tant que capacitéindéterminée de produire et, pour cette raison, indifférente à saforme particulière (force de travail), qui dirige l’attention du para-digme gestionnaire et normatif moderne distinguant la construc-tion oïkonomique très particulière.

Paolo Filippo Cillo

Voir : Biopolitique, Capital humain, Développement, Empowerment,Gouvernementalité, Normalisation, Police, Travail/non-travail,Zôé/bíos.

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 241

POLICE

La notion de police est difficile à définir car c’est un terme quifait référence à des formes d’organisation multiples et hétéro-gènes. Traditionnellement, lorsqu’il était utilisé sans autres préci-sions (police administrative, de sécurité, de prévention, etc.), leterme police désignait souvent l’ensemble des activités administra-tives et des appareils au service des fonctions de gouvernement ;à tel point qu’on identifiait la police avec l’ensemble des presta-tions administratives de l’État. Pour définir l’objet examiné, il fautdonc tenir compte du fait que les formes d’organisation de lapolice suivent les transformations historiques du gouvernementlui-même et de ses appareils administratifs.

C’est à partir, justement, de cette référence générale à l’ad-ministration et au gouvernement en tant que fonctions présentesdans toute société que l’on peut parvenir à la première – et la plusclaire – définition de la police. Le terme police, comme le montreson étymologie, renvoie en effet au terme grec polis et plus préci-sément à la notion classique de politeia. Le concept de police estdonc lié à la cité, avec ses exigences administratives particulières,et il a son origine dans la notion classique de politeia en tant quedessein général du bon gouvernement de l’État, en tant quedevoir être de la polis.

Le concept de politeia, tel qu’il apparaît ici, se trouve naturel-lement chez Aristote (Politique, Éthique de Nicomaque, Constitu-tion des Athéniens), bien qu’il y ait dans la pensée aristotélicienneune certaine différenciation entre le bon fonctionnement desorganes politiques (politeia) et la bonne administration (bongouvernement), dont la mission publique dérive du domaine privé.Aristote voit en effet dans le « bon gouvernement » l’extension audomaine public de valeurs et d’objectifs propres à l’économie

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 242

Police 243

(oïkonomia), entendue généralement comme le bon gouverne-ment de la famille et non pas immédiatement comme une activitépolitique (Foucault, 1984b ; Marzocca, 2001).

On peut donc déjà distinguer dans le concept de police deuxcaractéristiques particulières : 1) un sens idéal – qui n’est pas pure-ment descriptif – de politeia, qu’il faut entendre comme devoirêtre de l’État et non comme une branche de l’administration ;2) une distance relative qui sépare le domaine désigné par le termepolice de la vie proprement politique de l’État.

On peut bien sûr repérer ces caractéristiques de la police aucours de l’évolution historique de l’État. C’est-à-dire que l’on peutvoir comment la police s’est éloignée ou rapprochée du pouvoirpolitique (souveraineté), en renforçant ou diminuant sa présence(ou ingérence) dans la vie des sociétés. En particulier, il est possibled’appliquer ce critère au rapport entre police et État moderne, entant que c’est dans l’histoire de ce dernier que cette tradition aexplicitement été rappelée.

Dans tous les cas, la police est une organisation, et touteanalyse la concernant ne saurait se limiter à une réponse séman-tique ou conceptuelle mais devrait prendre en compte égalementles formes historico-concrètes du phénomène d’organisation quece thème indique.

Avant de rappeler brièvement les axes essentiels de l’histoirede la police, il nous faut préciser qu’on lui attribue traditionnelle-ment trois activités fondamentales, même si elles se présententsous des formes diverses et des rapports réciproques changeants :une activité de surveillance et d’observation, visant à contrôler laconduite des citoyens quant au respect des limites imposées parles lois et les actes administratifs (police administrative) ; une acti-vité de prévention, qui a pour objectif de prévenir les dangers quimenacent spécifiquement la sécurité publique et d’éliminer lestroubles de l’ordre public (police de sécurité) ; une activité derépression visant à contrôler les violations des normes pénales quiont déjà eu lieu et à en empêcher, éventuellement, les effets ulté-rieurs (police judiciaire).

Au Moyen Âge, le développement des fonctions et des orga-nisations de la police s’est réalisé dans le cadre de deux conditionsfondamentales : 1) ce que l’on peut désigner à cette époque

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 243

Lexique de biopolitique244

comme police a suivi les événements généraux de l’histoire de lacité en se développant pendant les phases de croissance de lasociété urbaine et en se rétractant durant les périodes de reféoda-lisation. Au cours de ces phases, de nombreuses fonctions depolice, comme la sécurité publique (ordre public, contrôle desroutes et des transports, etc.) ou bien certaines fonctions de policejudiciaire, étaient à nouveau confiées aux organisations militaires ;2) dans la science de gouvernement médiévale, la référence àl’idéal antique de la politeia était encore vivace, et c’est sur cettebase que toute l’administration publique se voyait chargée deveiller au bon fonctionnement général de l’État, ce qui favorisaitune dispersion des fonctions de police entre les différents secteursde l’administration.

En particulier, au Moyen Âge, les fonctions de police sontnettement séparées des prérogatives du souverain. Le caractèrediscriminatoire du pouvoir souverain, qui requiert l’obéissance dessujets en échange de sa protection (surtout contre les ennemisexternes), ne prévoit pas du tout de devoirs de gouvernementenvers la population au sens général. C’est avec l’absolutisme,c’est-à-dire avec la naissance de l’État moderne, que ces fonctionsdeviennent des objectifs déterminés de la vie de l’État. Les proces-sus contemporains de centralisation du pouvoir politique (fin desguerres de religion) et de développement de l’économie capitalistemoderne (Weber, 1922 ; 1904-1905 ; Foucault, 2004a) ontproduit des pratiques et des savoirs adaptés aux transformationsde la vie sociale. La métamorphose des villes qui a fait suite à l’ex-plosion démographique du XVIe siècle (Braudel, 1981 ; 1949), lenouveau rapport entre ville et campagne, le nouveau régime del’économie agricole lié à ces transformations ainsi que le processusde sécularisation de la vie culturelle, plus général et impalpable,ont chargé le pouvoir politique et ses organes administratifs derôles et de fonctions qui n’existaient pas au Moyen Âge.

Ainsi, les attributions souveraines traditionnelles se sont-ellesdoublées d’une série de fonctions de gouvernement matériel de lasociété et de l’exigence d’une nouvelle légitimation autonome del’autorité politique indépendamment de l’investiture religieuse. Lerôle décisif de maintien de la cohésion sociale que jouait la pasto-rale chrétienne dans l’Antiquité et au Moyen Âge doit à présent

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 244

Police 245

être assuré par le pouvoir laïc (Foucault, 2004a), dans le cadred’une affirmation stable du pouvoir des rois.

Avec la définition des nouveaux équilibres géopolitiques infra-européens – établis par le Traité de Westphalie en 1648 – et avecle mercantilisme, considéré comme un grand pacte entre lesmonarques et l’élite économique pour assurer à la fois un régimeéconomique interne et un support solide en vue de la compétitioncoloniale au niveau mondial, vont apparaître un certain nombre depratiques et de fonctions de gouvernement de la société qui netardent pas à constituer un véritable modèle politique. Celui-ci, quitire son nom – Polizeistaat (Stolleis, 1988-1992) – de la formalisa-tion de ce processus dans la zone allemande, a pour particularitéqu’un des aspects fondamentaux du phénomène – à savoir laformation d’un État national centralisé dans les mains d’un souve-rain absolu – en est absent.

Si, dans la zone allemande, c’est précisément l’absence d’unsouverain moderne qui fait que se développent les fonctions degouvernement de la société en vue du bien-être physique et moralde la population, en France et en Angleterre, l’idéal de police, entant que gouvernement complexe de la société, est associé à laformation d’un État souverain fort, capable de mener une poli-tique coloniale à l’échelle mondiale. Les Poor Laws en Angleterre,à partir de l’époque élisabéthaine, mais surtout la codificationfrançaise, par le fameux Delamare (1722 ; Foucault, 2004a), desfonctions de la police, représentent la manifestation la plus orga-nique de la police moderne en tant que partie intégrante de lasouveraineté. La police médicale est une figure emblématique desfonctions biopolitiques de la police aux XVIIIe et XIXe siècles. Systé-matisée dans l’œuvre monumentale de J. P. Frank (1779-1819) – médecin et responsable, dans différentes villes allemandeset italiennes, de la santé publique –, la police médicale représenteprobablement le moment le plus fort du projet de bon gouverne-ment du despotisme éclairé, en tant qu’elle est explicitementorientée vers la prévention et le traitement des causes environne-mentales et sociales des maladies. Avec la police médicale, leprojet du Polizeistaat lui-même constitue un chapitre parmi les plusimportants de la santé comme problème public et de gouverne-ment dans l’État moderne.

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 245

Lexique de biopolitique246

Le modèle du Polizeistaat a traversé l’époque de l’absolutismeet du despotisme éclairé, participant de l’édification des appareilsde gouvernement propres à l’État moderne. Son histoire s’inter-rompt devant les impératifs de l’économie de marché : ce modèleavait créé les conditions structurelles d’existence de cette dernière,avec laquelle il était pourtant fondamentalement en opposition. Leprincipe libéral du laissez faire relève d’une règle de gouvernementexactement contraire au Polizeistaat : « gouverner le moinspossible » versus le « tout gouverner » qui caractérise les XVIIe etXVIIIe siècles.

Le libéralisme impose des formes d’autogouvernement del’économie et introduit parmi les critères de la bonne administra-tion la création de régimes de contrôle plutôt que la gestion de lasociété en vue de la splendeur de l’État (Foucault, 2004a ;Marzocca, 2001). De même, le principe libéral de la séparation despouvoirs impose-t-il non seulement une séparation juridique etorganisationnelle stricte entre forces militaires et forces de police,mais également une distinction claire entre les différentes activitésde police : police administrative, police de sécurité et police deprévention. Dans l’État de droit moderne (dérivé de l’État libéral)notamment, les fonctions de police judiciaire ont été séparées desfonctions plus strictement liées à l’exécutif (ordre public et préven-tion) qui, sous l’absolutisme, étaient directement contrôlées par lesouverain titulaire des trois pouvoirs de l’État.

Mais l’affirmation de l’État de droit et, simultanément, desÉtats démocratiques après l’époque des totalitarismes et dans laphase actuelle de conflit ambigu avec les dictatures, non seule-ment n’a pas déterminé la disparition de tous les aspects dupouvoir de police qui sont le plus étroitement liés à la souverainetéabsolue, mais elle a vu des savoirs produits par le Polizeistaat (Poli-zeiwissenschaft) s’intégrer au sein des sciences administratives etde gouvernement modernes.

Il faut rappeler notamment trois phénomènes qui ont carac-térisé l’histoire de la police contemporaine : 1) l’activité plus oumoins formelle des polices et des services de sécurité militaires etcivils en vue de la défense active de l’ordre politique interne dessociétés contemporaines qui, d’une façon générale, peut êtrerattachée à la catégorie du bonapartisme inspirée de la leçon

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 246

Police 247

marxienne (Marx, 1852 ; 1871) mais que la théorie politiquecontemporaine n’a en vérité pas suffisamment approfondie ;2) l’extension systématique des régimes de contrôle et de sécuritéà tous les aspects de la vie sociale, de l’environnement à l’urba-nisme, de la santé publique au contrôle des communications etdes flux migratoires (police de frontière, postale, informatique) ;3) enfin, avec les transformations récentes de la guerre, onconstate un renforcement des activités de sécurité préventive etd’espionnage de la part des polices du monde entier, qui, avec lararéfaction actuelle des frontières d’État, se traduit par une recon-version progressive et réciproque des fonctions policières en fonc-tions militaires (Palidda, 2000) ; ce qui, dans certains cas, met endanger les modèles de garantie des droits.

Beppe Foglio

Voir : Biopolitique, Contrôle social, Défense sociale, Disciplines, Exception(état d’), Gouvernementalité, Guantanamo, Guerre, Médicalisation,Migrations, Normalisation, Oïkonomie, Santé publique, Sécurité,Terrorisme.

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 247

POPULATION

La catégorie « population » s’est tout d’abord répandue dansles discours politiques et économiques traitant du processus deformation de la société capitaliste occidentale entre le XVIIe et leXVIIIe siècles, surtout grâce au travail de philosophes commeThomas Hobbes, David Hume et d’économistes comme AdamSmith. Pour Hobbes, la population est tout simplement la matièrebrute, la multitude désorganisée et éternellement en guerre queseule une autorité peut transformer en société, autorité à laquelleles individus ont cédé une partie de leurs droits naturels pour queleur sécurité et leur stabilité puissent être assurées. Chez Hume, leterme « population » se réfère techniquement au nombre d’habi-tants dans un lieu et un temps bien définis. Pour Smith, la popu-lation prend le sens économique d’une marchandise composée debras et d’une force de travail soumise aux lois de l’offre et de lademande. Quand les salaires augmentent, la populationaugmente, mais s’ils baissent, la croissance démographique s’ar-rête (Smith, 1776).

Le point de vue de Smith eut une influence explicite sur laréflexion de Thomas Malthus. Malthus soutenait, dans son célèbreessai, que le pouvoir de reproduction de la population était indéfi-niment plus grand que le pouvoir de la planète de produire lesressources nécessaires à la subsistance de l’espèce humaine, préci-sément parce que si on ne met pas de frein à la croissance de lapopulation, elle augmente selon une progression géométrique,tandis que les ressources progressent arithmétiquement (Malthus,1798 et 1826). Nous savons très bien que le pronostic établi parMalthus en vue d’éviter l’augmentation progressive des pauvresdans une société supposait un contrôle serré des naissances,surtout sur les classes sociales dépourvues de sens moral et ration-

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 248

Population 249

nel quant à leur puissance et désir de reproduction. Ce qui, néan-moins, nous intéresse le plus ici, c’est le fait que la population soitconçue comme un corps biologique régulé par des lois de crois-sance prévisibles, lois inférées sur la base d’une évaluation del’(im)moralité des classes les plus populeuses et reproductrices. Lasélection sociale suggérée par Malthus répondait principalement àla préoccupation suscitée par le nombre trop élevé de la popula-tion par rapport aux moyens de subsistance ; cela n’empêchait pasde conseiller explicitement de limiter les politiques de contrôlepositif des naissances aux couches les plus basses de la société.Ainsi, apparaissait déjà la tendance bien connue à vouloir trans-former les politiques de contrôle démographique de la masse de lapopulation (niveau quantitatif, donc) en politiques eugéniques desélection de sa qualité biologique, génétique et raciologique. Riend’étonnant à ce que Marx ait qualifié le livre de Malthus de« calomnie sur la race humaine ».

Adolphe Quételet ne s’écartait pas beaucoup de la définitionmalthusienne. Il considérait la population comme un corpsgouverné par des lois biologiques immuables. « Le grand corpssocial a sa physiologie comme le dernier des êtres organisés ; noustrouvons des lois fixes, tout aussi immuables que celles qui régu-lent les corps célestes ; même les phénomènes humains rentrentdans les phénomènes de la physique où le libre arbitre de l’hommedisparaît pour laisser prédominer l’œuvre du Créateur » (Quételet,1835). L’ensemble de ces lois, indépendantes du temps et de lavolonté des hommes, fut constitué en une science spéciale àlaquelle Quételet donna le nom de physique sociale.

Quételet transposa le déterminisme mathématique appliqué àl’étude des phénomènes astronomiques à la mesure physique etmorale des êtres humains, afin d’en prévoir les régularités de déve-loppement et de changement. Il eut le coup de génie d’inventerune entité statistique capable d’expliquer les erreurs dans lesmesures individuelles : l’homme moyen. Selon Quételet, l’hommemoyen est un être nouveau mais très réel, repérable dans unensemble d’individus complètement différents les uns des autres.L’homme moyen constitue la « cause constante » de la distributiondes caractéristiques des individus, autrement dit il est cet être dotédes caractères « les plus probables » de la population et corres-

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 249

Lexique de biopolitique250

pond à la moyenne de tous les caractères observés. Mettre enévidence les régularités permettait de faire des prévisions, appor-tant ainsi une réponse aux demandes de connaissance en prove-nance des gouvernements administratifs. L’étude des régularitéssociales fut possible précisément grâce à la publication, à partir de1830, des premières statistiques administratives, appelées àl’époque « statistiques morales », qui prenaient en considérationdes événements comme les naissances, les mariages, les suicides,les délits, les maladies. Les bureaux de statistiques apparurent auxyeux de Quételet comme quelque chose de comparable aux obser-vatoires astronomiques, lesquels permettent d’enregistrer desphénomènes stables et donc prévisibles.

Le développement de la statistique appliquée à la mesure desphénomènes de population permit, au cours des décennies quisuivirent, d’établir un lien de cause à effet entre le bien-être écono-mique d’une nation et la qualité biologique du corps social oupopulation (Foucault, 2004a). De nouvelles méthodes mathéma-tiques et statistiques furent mises au point pour l’étude des varia-tions et des régularités des caractères de la population. Vers la findu XIXe siècle, un célèbre sociologue, Guillaume de Greef, pouvaitaffirmer qu’il était possible par « la méthode des variations conco-mitantes, par la méthode d’élimination, par la méthode de diffé-rence et par celle des résidus, d’utiliser les matériaux fournis par lastatistique pour créer des expériences idéales ou artificiellespermettant, d’une façon suffisamment certaine, d’aboutir à desprévisions sociales, c’est-à-dire de conclure que certaines condi-tions déterminées produisent un phénomène social égalementdéterminé » (De Greef, 1893).

Un tel zèle dans la compréhension des phénomènes sociauxagrégés, des comportements et des caractéristiques moyennes dela masse de la population, allait s’accentuer avec le temps. L’étudedes populations atteignit une certaine compétence, si bien qu’elledonna naissance à des savoirs spécialisés capables d’aider les poli-tiques publiques relatives à la population. La politique du bìos, oubiopolitique, devint possible précisément grâce au développementdes capacités de l’analyse statistique de grandes masses de popu-lation. À partir du début du XXe siècle, le concept de populationdésigna une variable indépendante dont dépendaient presque

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 250

Population 251

toutes les transformations sociales. La redéfinition de la catégorie« population » dans le langage scientifique et public agissait dansune double direction. D’une part, elle déplaçait le fondement del’ordre social du contrat entre individu et société vers lasurveillance de la régularité biologique, économique et politiquede l’évolution des phénomènes sociaux au niveau de la masse.D’autre part, elle neutralisait le potentiel subversif de la structuresociale que représentait la « foule », endiguant dans le détermi-nisme biologique l’énergie dissolvante des normes sociales mani-festée par les individus rassemblés et rendus égaux dans la masse(Canetti, 1960). La séparation théorique des concepts de« peuple » et de « population » marquait donc l’abandon à la foisdu contractualisme et du volontarisme antipositiviste pour aboutirà une vision organiciste et systémique de la société et du« social ». Il était alors possible de prévoir les comportements indi-viduels et collectifs sur la base d’indicateurs macrosociaux relatifsaux changements internes et externes à l’organisme social.Contrôler la densité et les qualités physiques, psychologiques etmorales du corps social, prévoir et guider le cours normal du déve-loppement de l’organisme, inféré sur la base d’estimations statis-tiques et de mesures globales, signifiait renforcer l’équilibrehoméostatique de la société en général.

La sociologie contribua ouvertement à cette séparation entre« peuple » et « population » en agissant aussi bien dans unedirection subjectiviste que dans une direction organiciste. MaxWeber avait défini le peuple comme une communauté politiquedotée de ses propres cadres, avec ses propres finances et sa propreconstitution militaire, autrement dit un État dans l’État. Le peupleétait le premier groupe politique « consciemment illégitime etrévolutionnaire » (Weber, 1922). Dans une optique historiciste etévolutionniste, Francesco Cosentini avait souligné le rôle de lasociologie qui, renversant l’objectif de l’investigation historique,mettait enfin le peuple au centre de ses intérêts : « La filière socio-logique a pleinement rendu justice au peuple, elle a ôté tout privi-lège aux personnalités marquantes, elle a fait voir l’œuvre d’unemultitude dans ce que l’on croyait être l’œuvre d’un petit nombre,elle a montré que même ce que l’on considérait comme l’effet del’individualité supérieure est au contraire une élaboration lente du

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 251

Lexique de biopolitique252

milieu social sur plusieurs générations, la conséquence logiqued’une période historique donnée » (Cosentini, 1912).

Cependant, après la Première Guerre mondiale, c’est unedéclinaison bio-organiciste et raciologique du concept de peuplequi prévalut, si bien que celui-ci finit par se confondre avec celuide population. Sous le fascisme, la notion de peuple renvoyaitencore à quelque chose d’intentionnel, de subjectif, à une entitédotée de volonté politique et de droits, à « une unité politiqueconstituée pour des raisons d’intelligence et de volonté qui obéit àl’ordre juridique » (Bortolotto, 1933). Cette définition du peuplereposait cependant sur la présence d’un social déjà ordonné dansun système biologiquement et psychiquement défini et fondudans la nation. L’ensemble des forces destinées à construire unpeuple devenaient une particularité nationale, ethnique, anthro-pologique déjà mise en lumière par Max Weber.

Ce dernier avait démontré que c’était l’agir de la commu-nauté politique qui produisait l’idée de parenté de sang. Lesnotions de population, de lignée et de peuple, considérées commela « communauté de sang » constituant les différents niveaux dela subdivision et de la délimitation d’un corps politique, alimen-taient une sémantique en grande partie créée artificiellement parla communauté politique (Weber, 1922). La naissance d’un senti-ment commun spécifique qui réagissait dans le sens de la commu-nauté de sang correspondit à ce phénomène, particulièrementclair sous le fascisme, de la « production du peuple », peuple quireproduisait les caractères composites et indistincts de la commu-nauté de lignée et de la communauté raciale.

Giuseppe Sergi fut l’un des premiers à identifier peuple etrace (Squillace, 1905). À la vision des anthropologues furent égale-ment associés des savoirs et des disciplines comme l’hygiène, lamédecine, la biologie, qui abandonnèrent l’approche individualistedes pathologies pour traiter la maladie comme un fait collectif denature sociologique (Ilvento, 1923). Pour l’hygiéniste et neuropa-thologiste Ettore Levi, l’objet de l’action thérapeutique n’était plusle corps individuel mais des populations entières d’individus avecleur intime constitution héréditaire (Levi, 1923). L’accent était missur la masse, sur la population, sur la collectivité tout entière, dontla qualité devait être constamment passée au crible et surveillée.

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 252

Population 253

Guido Bortolotto était convaincu que l’homogénéité de la massesociale était l’une des conditions de sa vitalité. Plus les éléments quila constituaient étaient homogènes, plus le degré d’équilibre et decohésion que la masse-peuple atteignait était élevé. L’homogénéitésociale et psychique de la masse, bien différente de l’égalité, étaitle milieu où se constituait la hiérarchie des valeurs (Bortolotto,1933). Formulée en termes psychosociologiques, dans cette situa-tion on pouvait alors entrevoir l’hypothèse d’une sélection qualita-tive des membres de la société en vue de renforcer la stabilité dusystème. Le concept de « masse des gouvernés », tel qu’il avaitsouvent été utilisé par les sociologues corporativistes, était doncidentique au concept de « population » utilisé par les démographeset par les autres scientifiques sociaux. Qu’il s’agît de masse ou depopulation, celles-ci représentaient une plate-forme biopsychiquesur laquelle ériger une société corporative et un État totalitaire.

Le glissement de sens du terme « peuple » vers une concep-tion biopsychosociologique fut possible grâce à la prééminence duparadigme sociologique organiciste, qui assimilait l’organismesocial à l’organisme vivant. La frontière entre démographie etsociologie se fit ici encore plus incertaine et imperceptible : lapopulation était le primum movens des dynamiques sociales, lefonds biologique de ce corps social étayé par des lois communes àtous les êtres vivants (Livi, 1934). Au début, c’était l’économie poli-tique qui, dans une optique malthusienne, devait s’occuper de lapopulation et de son rapport avec les moyens de subsistance,comme nous l’avons vu plus haut. À la fin du XIXe siècle, la socio-logie en avait déjà usurpé la responsabilité, construisant autour dece concept tout un ensemble de théories sociologiques qui allaientbien au-delà des fonctions explicatives de l’économie poli-tique – ce qui allait permettre à Niceforo de parler, plutôt que dethéories démographiques, de « théories générales de la popula-tion » parmi lesquelles il distinguait celles de type sociologique,celles de type démographique et celles de type purement écono-mique (Niceforo, 1924-1925).

Pendant longtemps, le terme « population » avait désigné,dans une perspective hobbesienne, les habitants d’un lieu tenusensemble par un ordre politique. La sociologie organiciste et ladémographie attribuèrent un sens générique au terme « popula-

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 253

Lexique de biopolitique254

tion », qui identifiait la masse des individus ou des collectivités, leséparant des sens admis de « peuple ». Pour Angelo Messedaglia,la population était « l’homme en masse », c’est-à-dire « un orga-nisme ou système organique […] où chaque partie est en corres-pondance avec toutes les autres » (Messedaglia, 1887). Ladéfinition d’Alfredo Niceforo était plus articulée : « Par “popula-tion” la démographie entend, plutôt que tel ou tel ensembledonné d’habitants […] la collectivité des hommes que l’on peutpenser indépendamment de toute référence à un territoire ou à unordre particulier ; la grande unité des individus, donc, laquelle estformée d’éléments qui sont tous soutenus par un système généralde rapports et par un système de lois biologiques et sociolo-giques » (Niceforo, 1924-1925).

La définition de Niceforo impliquait certaines questions socio-logiques importantes. Il apparaissait, d’une part, que la populationpouvait être pensée comme un objet indépendant de n’importequelle référence spatiale et juridique, un domaine d’étude sociolo-giquement autonome et adapté à la réflexion scientifique ; d’autrepart, on tendait à construire un système de rapports et de loisdéterminé et déterministe, qui fondait les individus en une grandeunité biosociale dont la nature était différente de celle de ses diffé-rents composants.

Mais c’est le sociologue Corrado Gini qui a le plus influencé ladéfinition sociobiologique de la « population », en la substituant àcelle de « peuple » et de « nation ». Pour Gini, les population sont« un groupe de personnes ayant une individualité propre, nonseulement du point de vue politique et culturel, mais aussi dupoint de vue biologique », personnalités collectives obéissant à deslois biogénétiques (Gini, 1930 ; Padovan, 1998).

La population constituait donc un objet, un corps sans tête,un organisme régulé par des lois biologiques et sociales prévisibles.La catégorie « population » indiquait la multitude, la masse orga-nique, sociologique et biologique, la totalité des individus dépour-vus d’une qualification particulière (Bortolotto, 1933), la ressourceprioritaire et renouvelable de l’État et de l’économie, un « capitalhumain » privé de soins et abandonné à lui-même. Elle reliait fonc-tionnellement les phénomènes démographiques au développe-ment économique, dont l’interdépendance fut signalée par des

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 254

Population 255

démographes, des économistes et des sociologues qui voyaientdans la baisse de la population et dans la réduction des consom-mations en découlant les causes de la crise du travail. Elle était« l’un des facteurs de la production, et ses consommations […]l’objectif de la production elle-même. […] Celui qui meurt avant ledébut de la période de production non seulement ne laisse pasd’économies mais il constitue pour la collectivité une perte corres-pondant à ce qu’il a coûté pour être élevé » (Vergottini, 1930 ;Tagliacarne, 1934 ; Vinci, 1934).

En combinant utilitarisme et atavisme, la démographiepouvait donc prendre un caractère ouvertement sociologique et sechanger en « science de l’ordre social des faits biologiques de lapopulation, l’ordre social étant ces liens qui existent et qui ont étéfaits par des forces qui se trouvent en l’homme, par le sens de l’in-térêt et les forces de conservation » (Coletti, 1928).

Les scientifiques sociaux du fascisme proposèrent de recom-poser les forces sociales et productives, la « masse desgouvernés », en fonction d’un nouvel ordre, provoquant « unprocessus biologique dans lequel tous les éléments, bien que sépa-rés, repérables et distincts, concourent à la bonne formationproportionnée du tout, qui doit présenter, contenir, et dans lemême temps, dépasser les caractéristiques de chaque élément »(Bortolotto, 1931).

De cette façon, ils allaient ébaucher les nombreuses théoriesfonctionnalistes et systémiques de l’époque, qui faisaient de lamétaphore chimique du « tout », en tant qu’entité complètementdifférente de la simple somme de chaque partie qui le compose,l’un des thèmes centraux de leur réflexion. Surtout, le fascismefournit au concept de population une identité biologique essen-tialiste, comparable à celle de la race (Padovan, 1999a, 1999b,2003), identité qui s’est en partie maintenue jusqu’à nos jours.Selon le démographe Hervé Le Bras, il existe dans de nombreusessociétés nationales une « idéologie démographique » qui se cris-tallise sur une « conscience de la population » capable de déve-lopper des préjugés et des sentiments de refus à l’égard desétrangers immigrés. Cette conscience de la population rappelle enpartie la conscience de classe, mais « au contraire de celle-ci, quirepose sur des situations objectives d’exploitation, elle se nourrit

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 255

Lexique de biopolitique256

d’une histoire, d’une généalogie et d’un récit des origines imagi-naires et fantasmatiques » (Le Bras, 1998).

En d’autres termes, il s’agit de la croyance en l’existence depopulations nationales dotées de caractères biologiques, géné-tiques, psychologiques et culturels inchangés dans le temps,comme si ces populations incarnaient un corps de la nationpresque éteint, un corps biologique dont l’homogénéité ethnora-ciale serait mise en danger par l’arrivée d’étrangers et de migrants.

Parmi les nombreuses facettes qui composent la mosaïquecomplexe de la biopolitique, les politiques populationnistes jouentencore aujourd’hui un rôle important, la première entre toutesétant la politique dite de « régulation » des flux migratoires et lespolitiques de « soutien aux familles », qui vise clairement à l’aug-mentation du taux de natalité des autochtones.

Dario Padovan

Voir : Biopolitique, Capital humain, Contrôle social, Dégénérescence,Défense sociale, Empowerment, Eugénisme, Génocide, Gouverne-mentalité, Médicalisation, Migrations, Normalisation, Psychiatrie,Racisme, Santé publique, Sécurité, Totalitarisme.

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 256

POSTHUMAIN

Le post-humanisme succède à l’humanisme au moment oùsont éliminées les distinctions traditionnelles entre homme etmachine, organique et inorganique, naturel et artificiel et que setransforme, sous l’effet de leur dissolution, la conception de l’êtrehumain que le grand mouvement culturel des XIVe et XVe siècles avaitplacée en son centre. Si mécaniser l’homme et vitaliser la machinesont des objectifs qui traversent toute l’histoire de la science et de latechnologie, c’est à la fin du XXe siècle que des philosophies et desprojets aussi nombreux que variés, influencés par ces objectifs, expri-ment le besoin d’une reconceptualisation de la relation entrehumains et machines fondée sur le dépassement de leur distinction.On a parlé à ce propos de dépassement de la quatrième disconti-nuité – après celle entre les êtres humains et le cosmos, celle entreles êtres humains et les autres formes de vie, et celle entre les êtreshumains et leur inconscient, que respectivement Copernic, Darwinet Freud ont fait tomber (Gray et coll., 1995).

D’une façon plus générale, on peut considérer le terme« posthumain » comme le synonyme d’une autre série determes – tels, par exemple : « cyborg », « post-organique »,« système bionique », « vital machine » – auxquels une littératurede plus en plus vaste a recours pour désigner la convergence, lemélange et l’indistinguabilité croissante entre homme et machine.Cela dit, le terme a connu des emplois dans des domaines trèsdivers, allant du domaine artistique – où il est utilisé pour indiquerdes expériences dites de technomutation des performances,pratique limite du body art – en passant par le domaine de laspéculation économique et philosophique sur les conséquences dela révolution biotechnologique, jusqu’à la futurologie. Quoi qu’ilen soit, l’entrée dans le langage courant des termes susmention-

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 257

Lexique de biopolitique258

nés pour se référer à différentes formes d’hybridations entre l’or-ganique et l’inorganique est due au succès de la littérature descience-fiction cyberpunk et à ses transpositions cinématogra-phiques, au début des années 1980.

Avant de passer à des considérations sur certains sens spécia-lisés dans lesquels est utilisé le terme « posthumain », il nous fautapporter une précision sur chaque emploi – même large – de cemême terme. Que l’on décrive comme posthumains les « TechnoMères » ou les « cyborgs fœtaux » des technologies de la repro-duction assistée, les « post-corps » du cyberpunk, les téléopéra-teurs de l’ingénierie aérospatiale et de la chirurgie télérobotiqueou les corps virtuels du cyberspace, toute occurrence du terme« posthumain » renvoie à des corps plus ou moins renforcés,réparés, reprogrammés par les technologies de la réalité virtuelleet de la communication, de la robotique et de la prostéthique, desréseaux neuraux et de la vie artificielle, des nanotechnologies, destechnologies biomédicales (moléculaires, etc.). Chacune d’ellesest le lieu de l’érosion systématique des frontières entre hommeet machine. Cela se vérifie par exemple dans les systèmes de laréalité virtuelle : pensons aux systèmes qui incluent le corps(parmi lesquels, les simulateurs de vol utilisés pour l’entraînementdes pilotes), aux systèmes de téléprésence qui permettent d’ac-complir en temps réel des actions dans un lieu éloigné de celui oùl’on se trouve physiquement (comme explorer un fond marin) ouaux systèmes de réalité amplifiée, qui créent pour l’usager, grâceà des vidéocasques, une vision composite où les éléments virtuels,générés par l’ordinateur, se superposent à des éléments réels.Rappelons, entre parenthèses, que c’est aux études militaires desannées 1960, destinées à l’exploration spatiale, que l’on doit uneformulation originale de la définition de cyborg – « self-regula-ting man-machine system » – pour se référer à un hommerenforcé – littéralement « augmenté » : enhanced – capable desurvivre dans des milieux extraterrestres. En outre, la mêmeérosion systématique des confins entre homme et machine s’ac-complit avec les technologies biomédicales comme les greffesd’organes, les implants de prothèses électroniques, la reproduc-tion assistée, le génie génétique.

À cause du nombre et de la variété des niveaux où technolo-gie et organique s’interpénètrent et s’adaptent réciproquement,

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 258

Posthumain 259

on a observé qu’à la fin du XXe siècle, « nous ne sommes quechimères, hybrides de machine et d’organismes théorisés puisfabriqués ; bref, des cyborg » (Haraway, 1991).

Au sens strict, cependant, nous ne sommes pas des posthu-mains : être posthumain signifierait avoir dépassé les limites biolo-giques, neurologiques et psychologiques que le processusd’évolution nous a imposées. Celui qui aspire à devenir posthu-main est plutôt un trans-humain, c’est-à-dire un humain en transi-tion. C’est là la perspective des activistes de ce qu’on appelle letranshumanisme, un mouvement culturel fondé sur l’hypothèseselon laquelle l’espèce humaine sous sa forme actuelle représenteune phase relativement primitive, qu’il est possible – et qui plus estsouhaitable – de dépasser, grâce à une utilisation créative de lascience et de la technologie. Dans un avenir que les transhuma-nistes estiment proche, c’est la convergence des nano-bio-info-neurotechnologies dans les applications de l’IntelligenceArtificielle, des nanotechnologies moléculaires et de ce qu’onappelle l’uploading (la cartographie sur ordinateur des réseauxneuraux des cerveaux individuels) qui devrait permettre ce dépas-sement. En l’état actuel des choses, la transformation de la condi-tion humaine est déjà profondément engagée, si l’on en croit lestranshumanistes, à travers les diagnostics génétiques préimplant,les médicaments et les drogues qui augmentent fonctions et pres-tations, les médicaments anti-âge, la chirurgie esthétique, la modi-fication chirurgicale des caractères sexuels, les interfaceshomme-machine – à quoi il faut ajouter les réalités virtuelles déjàcitées, le génie génétique et la prosthétique.

Si l’emploi du terme « transhumain » pour désignerl’« homme transitionnel », maillon de l’évolution vers le post-humain, remonte aux années 1960 (c’est le futurologue FereidounM. Esfandiary, devenu par la suite FM 2030, qui le premier l’utilisadans ce sens), ce n’est que depuis les années 1990 que le trans-humanisme s’y réfère en tant que catégorie philosophique :« Philosophie de la vie […] entièrement consacrée à la poursuite età l’accélération de l’évolution de la vie intelligente au-delà de l’hu-main et de ses limites actuelles grâce à la science et à des techno-logies, guidée par des principes et des valeurs favorables à la vie »(More, 2003). La combinaison entre technologie et responsabilité

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 259

Lexique de biopolitique260

personnelle distingue le transhumanisme moderne de toutedescription antérieure du dépassement des limites de la naturehumaine, comme on a pu définir, depuis l’époque de DanteAlighieri, l’aspiration à « transhumaner ».

Les deux organisations transhumanistes internationales lesplus connues sont l’Extropy Institute (ExI) et la World Transhuma-nist Association (WTA), respectivement fondées en 1992 par MaxMore et Tom Morrow et, en 1998 par Nick Bostrom et DavidPearce. La première des deux rappelle dans sa dénomination unprincipe – celui de l’extropie : ensemble de forces qui s’opposent àl’entropie (à ne pas confondre avec la néguentropie) – sur lequelelle fonde sa philosophie spécifique. Plus récemment, l’activitéd’un grand groupe d’organisations (aux noms souvent éloquents :Alcor Life Extension Foundation, Forsight Institute, Singularity Insti-tute for Artificial Intelligence, par exemple) est venue s’adjoindre àcelles de l’ExI et de la WTA, laquelle se targue d’avoir des milliersd’adhérents dans le monde entier.

Pour ce qui est des formes et des capacités du posthumain, leraisonnement des transhumanistes prend le contre-pied desformes et des capacités humaines. Certains pensent qu’il est toutà fait plausible que les posthumains soient également, totalementou partiellement, post-biologiques, dans la mesure où le corps etle cerveau devraient être graduellement remplacés par des disquesdurs plus durables, modifiables, rapides et puissants ; en tant quetels, les posthumains sont parfois également décrits commepotentiellement immortels.

Dans l’emploi spécialisé (et ésotérique) du terme « posthu-main » par les philosophies transhumanistes, le mélange de l’or-ganique et de l’artificiel – que le terme rappelle toujours – estdonc le résultat d’actions entreprises volontairement afin dedépasser les limites imposées par notre nature biologique. L’idéede base est que nos corps et nos cerveaux limitent nos capacités,en un mot qu’ils sont obsolètes. Les modifications technologiquesles plus radicales envisagées par les transhumanistes pour dépas-ser ces limites rendraient même le corps superflu, comme lepromet par exemple l’uploading déjà cité : « Le processus seconclurait par le transfert sur ordinateur du cerveau original, dontla mémoire et la personnalité seraient intactes, où ce dernier exis-terait alors en tant que logiciel. Il pourrait ensuite habiter le corps

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 260

Posthumain 261

d’un robot ou vivre dans une réalité virtuelle » (Bostrom, 2005).Avec cette perspective méliorative (improvement) de l’espècehumaine, le techno-optimisme transhumaniste irait même au-delàde sa matrice humaniste et éclairée.

On voit clairement la distance qu’il y a entre les définitions destermes « post-humanisme » et « posthumain », telles qu’elles sontélaborées par le transhumanisme et telles que nous les avonsanalysées dans notre introduction – et qu’une grande part desactivistes transhumanistes critiqueraient.

Enfin, il faut rappeler un autre emploi des termes « post-humanisme » et « posthumain », que nous distinguerons des défi-nitions mentionnées plus haut – qu’il recoupe, bien évidemment –,lequel nous amène à signaler l’existence d’une littérature qui,partant de la constatation qu’il existe une convergence croissanteentre homme et machine, s’oriente vers une réélaboration radicaledu sujet libéral de la tradition humaniste occidentale (réélabora-tion qui se fonde sur des hypothèses sensiblement différentes decelles des perspectives analysées jusque-là) sans décréter pourautant que l’humain est obsolète : « Le posthumain ne signifie pasdu tout la fin de l’humanité. Il signale plutôt la fin d’une certaineconception de l’humain, une conception qui pouvait s’appliquerau mieux à la fraction d’humanité qui avait la richesse, le pouvoiret le plaisir de se concevoir comme étant constituée d’êtres auto-nomes exerçant leur propre volonté à travers des choix et des actesindividuels. Ce qui est létal, ce n’est pas le posthumain en tant quetel mais le fait qu’il se greffe sur une conception humaniste libé-rale du soi. » (Hayles, 1999) Le posthumain, dans cette optique,encourage certes à repenser les modes d’articulation entre hommeet machines intelligentes, mais il n’autorise pas la formulation desprévisions apocalyptiques qui négligent cette différence fonda-mentale et irréductible entre homme et machines consistant dansle fait que les hommes ont un corps et une « histoire sédimentée,incarnée dans leur corps » (ibid.).

De ce point de vue, le corps posthumain – qu’il soit cyborg,queer ou virtuel – est l’épicentre et le sismographe d’une série dechangements épistémiques qui remettent en question la philosophiehumaniste et ses taxonomies (Halberstam et Livingston, 1995).

Parmi les penseurs auxquels se réfère le plus fréquemment cettelittérature, citons Friedrich Nietzsche, considéré comme le premier

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 261

Lexique de biopolitique262

penseur radical non-humaniste de notre époque ; Michel Foucault,pour son intuition de l’homme en tant que thèse historique, « inven-tion dont l’archéologie de notre pensée montre aisément la daterécente. Et peut-être la fin prochaine » (Foucault, 1966) ; les modèlesdéstructurants de Gilles Deleuze et Félix Guattari.

On a fait observer qu’il vaudrait mieux réserver le nom depost-humanisme au type de réflexion que nous avons décrit endernier, considérant le rôle mélioratif de l’anthropocentrismequ’elle attribue à la technologie, plutôt qu’à la réflexion techno-optimiste « à la transhumaine », qu’il vaudrait mieux appelerhyper-humanisme (Marchesini, 2002b).

Dans les différentes littératures sur le posthumain (dont nousavons jusqu’ici cherché à dégager les traits fondamentaux), lethème du biopouvoir n’a généralement fait l’objet, jusqu’à ce jour,que d’une bien maigre formalisation. Une des rares à faire excep-tion dans ce sens est la pensée féministe, qui a produit uneréflexion articulée sur la combinaison entre corporéité naturelle etcorporéité artificielle en termes de « biopolitique ». Du fait qu’ilest intermédiaire, hybride, ambivalent – monstre incarnant ladifférence par rapport à la norme de l’humain de base – le post-humain est proposé par les courants post-modernistes du fémi-nisme comme le fondement de la réflexion sur le statut de ladifférence à l’intérieur de la pensée occidentale. Selon l’une despositions les plus connues à ce sujet, celle de ce qu’on appelle lecyberféminisme, il y a là « d’énormes richesses, pour les fémi-nistes, explicitement constituées par les possibilités inhérentes àl’effondrement des distinctions claires entre l’organisme et lamachine et les distinctions similaires qui structurent le moi occi-dental. C’est la simultanéité des effondrements qui casse lesmatrices de la domination et qui ouvre les possibilités géomé-triques » (Haraway, 1991). « Les corps », met-on en garde à partird’une telle perspective, « sont les cartes du pouvoir et de l’iden-tité. Les cyborgs n’y font pas exception » (ibid.).

Paola Borgna

Voir : Bioéthique, Biométrie, Biotechnologies, Bodybuilding, Capitalhumain, Corps, Différences, Humanisme scientifique, Monstre.

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 262

POUVOIR PASTORAL

La locution « pouvoir pastoral », ou « pastorat », est géné-ralement utilisée par Foucault pour désigner un ensemble detechniques visant à soigner, assister et défendre, et au moyendesquelles chaque homme ou institution « gouverne » et« guide » un ensemble d’autres hommes, tant dans sa totalitéqu’individuellement, et en détermine la conduite. Par « pouvoirpastoral », l’auteur entend donc avant tout une forme historiquede relation entre les hommes, selon laquelle un individu qui sesent et/ou est reconnu par d’autres comme étant divinementinvesti d’une autorité, prend soin, comme un berger avec lesbrebis de son troupeau, d’une multitude d’hommes rassemblésen « peuple » (Foucault, 1981, 2004a). Le pouvoir pastoral neserait rien d’autre que la manière dont certains rois ou guides dupeuple en général, à commencer par les anciennes sociétésorientales, Égyptiens et Hébreux en tête, auraient « interprété »,et non pas nécessairement « exercé », leur pouvoir politique oureligieux sur une multitude d’hommes. Ce n’est qu’avec l’affir-mation du christianisme que s’imposa, en revanche, la volontéprécise de configurer le pouvoir dans un sens effectivementpastoral (Bellentani, 1997 ; Bosetti, 1990, 1992 ; Jeremias,1959 ; Lizzi, 1987, 1989 ; Manacorda, 2003 ; Mor et Schmidin-ger, 1979 ; Pollastri, 1985 ; Rumianek, 1979 ; Runciman, 1977 ;Scipioni, 1977 ; Soggin, 1976).

Les traits fondamentaux du pouvoir pastoral seraient lessuivants (Foucault, 1981, 2004a) :

1) Détermination exogène de la légitimité du pastorat : cen’est pas en eux-mêmes ou dans le peuple que le chef ou le guidetrouvent la légitimation suprême de l’exercice de leur pouvoir maisdans la volonté de Dieu. Pour qu’un homme puisse être reconnu

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 263

Lexique de biopolitique264

comme « chef-pasteur » il doit admettre sa dépendance et sasubalternité vis-à-vis de Dieu.

2) Orientation essentiellement « assistantielle/oblative » dupouvoir pastoral : un chef-pasteur n’a pas le souci – caractéris-tique de la souveraineté – de démontrer sa propre force, qu’ilexerce également sur son propre peuple mais, au contraire, il« prend soin » du peuple dont Dieu lui a confié la « garde » en enentretenant la vie, en le nourrissant comme il se doit et en lepréservant de tout danger. Par conséquent, le pasteur ne considèrepas ses intérêts comme prioritaires mais place au premier planceux du peuple-troupeau – en premier lieu la survie. Le chef-pasteur, s’il veut garantir la vie du peuple-troupeau dans sa « tota-lité », doit contextuellement trouver les formes de nourriture et deprotection adéquates pour chaque individu-brebis, ce qui luidemande une connaissance détaillée des spécificités des individus.D’où le caractère paradoxal d’un pouvoir visant à prendre soin de« tous » et de « chacun », qui fait que lorsque le chef-pasteur estsollicité dans l’intérêt d’un seul, cela risque de mettre en danger lavie de la totalité. D’où l’idée foucaldienne, également, d’une capa-cité du pastorat de produire un effet « individualisant », qui seréalise sur la base d’un dévouement et d’une attention particulièreà l’égard de chaque élément du peuple-brebis.

3) Attention du pouvoir pastoral portant plus sur un grouped’hommes (= peuple) que sur le territoire : le chef-pasteur exerceson pouvoir de sauvegarde de l’existence de son peuple indépen-damment du fait que ce dernier est lié à un territoire, c’est-à-direà un espace entendu comme principe d’unité du peuple lui-mêmeet comme condition de limitation du pouvoir du chef-pasteur.C’est justement parce qu’il est exercé sur « un groupe qui sedéplace » que le pouvoir pastoral voit dans le « mouvement »même la condition de possibilité de son existence et la particula-rité de sa propre expression. Il est mobile, comme ce sur quoi ils’exerce, bien que le rapport entre les deux termes de la relationde pouvoir reste « immobile ». C’est pour cette raison que l’onpeut affirmer de bon droit que le pouvoir pastoral est « ultratellu-rique », « supraterritorial ».

4) Identification du chef-pasteur comme garantie de l’unitédu peuple-troupeau : c’est une prérogative du chef-pasteur que de

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 264

Pouvoir pastoral 265

réunir tous les individus en un rassemblement homogène au seinduquel, cependant, ceux-ci conservent inaltérée leur « idioticité » ;ils s’individualisent même, ultérieurement, au sein de cette relationétroite avec la volonté du chef-pasteur de prendre soin de chacun.Et c’est justement à cause de la permanence de cette singularitéque les individus-brebis ne perçoivent le lien qui les unit qu’« enprésence » de celui qui en est le garant et du fait de sa volontéconcrète de « les tenir ensemble ». En d’autres termes, on ne peutdonner une unité supérieure aux différents sujets du peuple-trou-peau que si un autre individu « est présent », qui détient lepouvoir – pastoral justement – d’« uni-fier », d’« appeler àl’unité », de réunir les individus disséminés.

Dans le cadre grec classique, le thème du pastorat prend unaspect herméneutique tout à fait différent, qui est pourtant déter-minant pour une compréhension totale du rapport entre lepouvoir politique, tourné vers les sujets juridiques, et le pouvoirpastoral, voué à intervenir sur la vie de chaque individu. Bienqu’absente de la littérature politique la plus importante, la ques-tion de l’interprétabilité du pouvoir du roi sous un angle pastoraldevient centrale dans Le Politique de Platon. Le philosophe grec sepropose de vérifier dans quelle mesure la tâche du roi peut corres-pondre à celle du pasteur d’hommes. Et après avoir enquêté sur laspécificité des activités pastorales (nourrir, soigner et éduquer lesdifférents membres du troupeau), il affirme qu’il existe des figuresqui, dans le domaine social, peuvent assumer de telles tâches,lesquelles peuvent a fortiori être définies comme pastorales. Le roi,au contraire, qui est seul lui aussi à la tête de son peuple commeun berger, ne se comporte pas pour le reste comme ce dernier,c’est-à-dire qu’il ne s’occupe pas providentiellement de chaquecitoyen mais il est engagé dans l’harmonisation/association desdifférentes activités et des tempéraments et vertus diversifiés descitoyens. La tâche du roi consiste à fonder et préserver l’unité dela cité et non à prendre soin de la vie des individus. Ainsi le pouvoirpolitique ne peut-il pas s’exprimer – du moins chez Platon – àtravers la métaphore pastorale (Foucault, 1981, 2004a).

Selon Foucault, c’est le christianisme qui produit les transfor-mations les plus significatives du pastorat, dans le sens d’unecomplexification du rapport entre berger et brebis, rapport qui

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 265

Lexique de biopolitique266

s’est affranchi désormais – en apparence du moins – de touteimplication d’ordre politique et qui est donc de plus en plus définipar une certaine intimité personnelle et un côté privé jamais expé-rimentés auparavant, et par un remarquable perfectionnement destechniques d’exercice du pouvoir d’un homme sur l’autre. En lisantcertains textes de la littérature chrétienne antique, le philosopheremarque les mutations que le pouvoir pastoral a subies à partir dumoment où il a été thématisé par les Pères de l’Église :

1) Moralisation de la relation entre le berger et la brebis : ens’affirmant dans un domaine strictement spirituel-privé au coursdes premiers siècles du christianisme, le pouvoir pastoral est conçucomme une responsabilité personnelle du pasteur non pas tant àl’égard du troupeau-peuple chrétien en général qu’à celui dechaque brebis-fidèle et, tout particulièrement, de chacune de sesactions. En résumé, le pasteur répond devant Dieu des mérites etsurtout des péchés du fidèle, afin de gagner non seulement lesalut pour ce dernier mais aussi pour lui-même, ce qui montrejusqu’à quel point le destin du pasteur et celui de chaque brebissont liés l’un à l’autre.

2) Intérêt du pasteur, certes, pour la vie terrestre « totale » dechacune de ses brebis, avec l’objectif non pas de sauver cettedernière en tant que telle mais d’assurer à chaque chrétien, par la« purification », justement, de sa vie mondaine, l’éternité de la viesupraterrestre. Il s’ensuit que le pouvoir pastoral est une forme de« bio-pouvoir » qui n’est pas directement « politique », danslaquelle l’attention pour la conservation et la sauvegarde de la viebiologique des individus-brebis relève de l’acte de prendre soin deleur « vie morale », en tant qu’attention pour les habitudes et lespenchants corporels, dans le but suprême de garantir l’accès à lavie bienheureuse et éternelle dont, toutefois, le seul juge et artisanest Dieu. À ce propos, Foucault caractérise la spécificité du pasto-rat comme une économie de mérites et de démérites ayant sapropre technologie.

3) Intérêt du pasteur à « déloger », par tous les moyens, lepéché du cœur des fidèles, avec pour conséquence l’affinementdes techniques d’« extraction » de la vérité des fidèles eux-mêmes.Ce qui suppose : a) que le rapport entre le pasteur et le fidèle soitposé en termes d’obéissance du second au premier, c’est-à-dire de

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 266

Pouvoir pastoral 267

sous-position acritique déterminée par l’acceptation passive de lacoercition « naturelle » de la volonté du pasteur ; b) que le pasteurait une connaissance détaillée et précise de son sujet, tant sur leplan de ses exigences matérielles que sur celui de ses besoins spiri-tuels, afin qu’en dernière instance le sujet qui lui est soumis soitcomplètement « transparent », dépourvu de secrets à la fois pourlui, pasteur et guide terrestre, et pour Dieu. Ainsi, soucieux deconnaître à tout instant la pureté de l’âme de sa chère brebis etd’en mesurer le progrès moral, le pasteur chrétien s’en remet àdeux techniques particulières : l’examen de conscience et la direc-tion de conscience, revers de cette même médaille qu’est lasoumission absolue d’un homme « pieux » à son propre pasteur.En effet, l’examen de conscience ne consiste en rien d’autre queconfier temporairement au fidèle lui-même le contrôle de son étatintérieur, un contrôle habituellement exercé par le pasteur aumoyen de la confession dans le cadre de la direction de laconscience de son subordonné. C’est ainsi que le fidèle se retrouveassujetti à un traitement spirituel continu, méticuleux et perma-nent qui ne peut que susciter en lui une forte dépendance àl’égard de son guide ; c) que le sujet, désormais conscient que sonsalut dépend du taux de transparence véridique qu’il est capablede montrer, développe une relation avec lui-même le poussant àinstituer une identité « mortifiée », basée sur le renoncement à lamondanité et à l’autodétermination, et à accepter en définitiveune référence fondatrice externe – Dieu ou le pasteur – commecondition de possibilité de sa propre identité singulière (Foucault,1981, 1988a, 2004a ; Rusconi, 2002 ; Société internationaled’études franciscaines 1996).

La thèse foucaldienne a fait l’objet de nombreux commen-taires : Brambilla, 2000 ; De Boer, 2001 ; Delumeau, 1983 ; Kelle-benz et Prodi, 1989 ; Lavenia, 2004 ; Le Goff, 1981 ; LucàTrombetta, 2005 ; Muzzarelli, 2001 ; Polieri, 2005 ; Prodi, 1994 ;Prosperi, 1996 ; Turchini, 1996 ; Turrini, 1991. Selon cette thèse,c’est à partir du XVIIe siècle, au sortir d’une crise qu’aurait connuele pastorat entre le Moyen Âge et l’époque moderne, qu’auraitcommencé à prendre forme une véritable science laïco-politiquedu soin de chaque citoyen et de chacune de ses activités avec uneretombée sociale. Foucault distingue opportunément à ce propos

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 267

Lexique de biopolitique268

la rationalité spécifique de l’État de l’ensemble des techniques quecelui-ci concocte et utilise pour garantir la conservation de sapropre existence. Il relève que l’État n’emprunte pas sa rationalitéà d’autres expériences de gouvernement, comme l’expériencedivine, familiale ou monastico-communautaire, mais qu’il enélabore une qui lui est propre, configurée comme un systèmeautonome de règles de gouvernement. Ce discours, loin d’êtreune tautologie, est d’une logique convaincante et c’est justementdans la mesure où il apparaît comme une tautologie qu’il a lepouvoir de démolir toute une tradition invétérée de sciences de lapolitique. En effet, avec l’affirmation de la centralité de l’État entant que telle dans la configuration et la modulation des règles quiservent à le gouverner, on obtient pour la première fois, à partir decertaines œuvres de la fin des XVIe et XVIIe siècles, un renversementdes théories du gouvernement jusqu’alors fondées sur le modèlechrétien du guide et de la gestion divine du monde, avec tout cequ’elles supposaient en termes d’hétérofondation, de conforma-tion de la pratique de gouvernement à un ordre qui n’était passpécifiquement politique et, enfin, d’acceptation d’un « finalisme »ultramondain, le plus souvent en conflit avec celui de l’État. Ainsi,grâce à un processus de déthéologisation et d’autoréférentialisa-tion, la raison politique trouve-t-elle dans son objet spécifiqueinterne, l’État, son fondement et son principe d’organisation etd’articulation. Par conséquent, elle décrète que son intérêt princi-pal consiste à élaborer des stratégies tendant à assurer la vie, laplus durable possible, de l’État. Au lieu d’augmenter le pouvoir duPrince et de défendre son territoire contre les ennemis – selon latradition machiavélienne établie – la nouvelle doctrine laïque dugouvernement s’emploie à renforcer le pouvoir de l’État en soi, àaccroître sa force intrinsèque. Et cela suppose, en premier lieu, unedépersonnalisation du pouvoir de l’État et une affirmation simul-tanée de sa centralité. Le pouvoir se concentre dans les mains del’État plutôt que dans celles du roi, et cela, paradoxalement, dansla mesure où il devient délocalisé et non-localisable. En secondlieu, c’est justement en tant que Raison d’État ayant comme fina-lité la survie de ce même État, que la nouvelle rationalité ne peutfaire abstraction d’une connaissance exhaustive, directe etconcrète de la puissance de ce dernier, dont elle fonde et légitime

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 268

Pouvoir pastoral 269

elle-même le gouvernement (Foucault, 1981, 1988a, 2004a ; Chit-tolini, Molho et Schiera 1994 ; De Maddalena et Kellenbenz,1984).

Quant à l’ensemble des pratiques tendant à sauvegarder etrenforcer la vie de chaque sujet pour mieux conserver et accroîtrecelle de l’État, Foucault montre comment, à partir du XVIIe siècle,dans certains pays européens, fleurit une littérature qui range sousle nom de police un ensemble de « techniques » de gouvernementdes hommes. Chacun des auteurs des traités de police fait ressor-tir divers aspects particuliers de ce nouveau secteur de l’adminis-tration publique en en soulignant les différentes fonctions decontrôle et d’accroissement des forces : 1) promouvoir la moralitéde la vie des citoyens, l’occupation de leur temps et leurs relationsde travail, le commerce et l’assistance mutuelle afin de produire unsurplus de vie pour les citoyens et de force pour l’État ; 2) prendresoin des classes sociales les plus défavorisées ; 3) montrer de l’in-térêt pour la religion, la culture, la sécurité, pour l’immobilier, pourles grands travaux et les infrastructures urbaines.

Selon Foucault, la police, initialement conçue comme instru-ment de surveillance et de promotion, complément de la justice,de l’armée et de l’« échiquier » (de la gestion des entrées et dessorties de l’État), tend à empiéter sur ces derniers – ce qui vadéterminer le caractère englobant de la police, considérée de plusen plus comme un instrument de surveillance de toutes les activi-tés des hommes. C’est pour cela que l’on peut dire que l’État viseà soigner, contrôler et gérer totalement et ponctuellement la« vie » de l’homme, dans ses aspects biologiques, matériels etspirituels. Pas la vie de n’importe quel homme, cependant, mais decelui qui vit côte à côte avec les autres hommes dans un espaceprécis. Et c’est précisément avec l’émergence de la relation entrepopulation et territoire que se définit pleinement le rayon d’actionet d’intervention de la police, science et appareil administratif : lapolice est l’ensemble des connaissances et en même temps la tech-nologie dont l’État se sert pour surveiller la population qui vit surson territoire, c’est-à-dire pour contrôler et déterminer la conduitede vie de tout à chacun (Foucault, 1981, 1988a, 2004a).

Il n’est donc pas difficile de reconnaître comment, à partir dece moment-là, la police de l’État laïc/athée moderne, malgré la

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 269

Lexique de biopolitique270

volonté du pouvoir étatique de séparer les domaines politique etecclésiastique, a pu s’articuler sur le modèle du pouvoir pastoralexercé par l’Église. On peut même soutenir que la police est le vrairésultat, au niveau politique, de la « sécularisation » du pastoratchrétien, c’est-à-dire de ce pouvoir pastoral de l’Église catholique,désormais plus que rodé et efficace, capable d’arriver aux individuset de contrôler non seulement leur vie spirituelle et matérielle maisaussi le territoire sur lequel ils vivent. Et pourtant, le passage de ladimension religieuse à la dimension politique du pouvoir pastoral(cela ne signifie pas pour autant que l’Église n’en a pas jalouse-ment conservé un) suppose une transformation radicale. En effet,c’est sous la forme de la « police » que le pouvoir pastoral tend àradicaliser une tendance – qui existait déjà dans le christianisme –à la désubstantialisation et à la « dissémination », qui a produitnon pas tant un affaiblissement du « centralisme » qu’une exten-sion et une multiplication de la présence du « centre » en toutpoint d’application du pouvoir. Autrement dit, tout croisement deslignes directrices du pouvoir de l’État devient l’« un » des multiples« centres » de ce même pouvoir. Avec la formation de l’Étatmoderne, l’idée d’une « centralisation » du pouvoir sur les indivi-dus et le territoire ne se réfère donc pas à sa « concentration » enun seul point mais à l’« extension intensive » de son exercice et deson application.

La police, récupération, imitation et transformation sous uneforme laïque et politique du pouvoir pastoral et individualisant del’Église, en vertu justement de ce processus de sécularisation et dedéthéologisation, se présente comme la technologie opération-nelle la plus appropriée au type de rationalité à travers laquelle ilse régule et fonctionne, et la seule à laquelle il réponde.

Pietro Polieri

Voir : Assujettissement/subjectivation, Biopolitique, Contrôle social, Corps,Développement, Disciplines, Empowerment, Gouvernementalité,Médicalisation, Normalisation, Oïkonomie, Police, Résistance(pratiques de), Santé publique, Sexualité, Welfare.

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 270

PSYCHIATRIE

Le racisme contre les anormaux, propre au XXe siècle, est issude la psychiatrie (Foucault, 1999). Affirmation importante quecelle-là, pour différentes raisons. Tout d’abord, parce que lapsychiatrie n’est pas considérée que du point de vue des techno-logies « disciplinaires » (Foucault, 2003) mais aussi de celui desdispositifs de « sécurité », et notamment « biopolitiques », dèslors qu’elle touche, comme la médecine sociale et l’hygiènepublique, aux phénomènes biologiques des populations propre-ment dits (Foucault, 2004a). Mais l’importance de la psychiatriecomme dispositif biosécuritaire ne dépend pas seulement du faitqu’elle a couvé une nouvelle forme de racisme, mais de la fonctionque le racisme lui-même revêt dans les « sociétés de normalisa-tion ». Si la rationalité politique qui le sous-tend inclut les individusdans une masse de population dont les agissements doivent êtregouvernés si l’on veut protéger et améliorer la vie des espèces, leproblème se pose de savoir comment l’État peut maintenir lesconditions traditionnelles de la souveraineté politique. De quel« droit » un système politique fondé sur le pouvoir de « fairevivre » peut-il par exemple coloniser, exterminer des populationsentières ? Ou bien faire la guerre, en tuant ses ennemis et en expo-sant à la mort des millions de citoyens ? Comment peut-il déciderd’envoyer à la mort ou d’éliminer des opposants politiques, descriminels, des fous, des anormaux ? Avec l’émergence du biopou-voir, le racisme est inscrit dans les mécanismes de l’État et exploseaux points critiques où le droit de « faire mourir » est aussi néces-saire qu’injustifié. Le racisme marque une césure immanente dansle continuum biologique de l’espèce humaine et traduit en termesbiologiques la relation guerrière mors tua vita mea : dans lamesure où les races inférieures disparaîtront, les anormaux seront

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 271

Lexique de biopolitique272

éliminés et il y aura moins de dégénérés, l’espèce humaine devien-dra dans son ensemble plus saine et plus pure (Foucault, 1997).

C’est donc au nom de la biologie que l’on peut exercer lafonction de mort dans les sociétés de sécurité, plus précisément aunom de cette forme de souveraineté biologique que le racismeintroduit et qui permet de « décider » quelles sont les vies dignesd’être vécues et quelles sont celles qui peuvent, au contraire, êtretuées, exposées à la mort, éliminées, séquestrées, mises en état dene pas nuire et de ne pas se reproduire. Un pouvoir qui se présentecomme le garant de la vie, de la santé et de la sécurité peut exer-cer le pouvoir de tuer, de faire la guerre ou de nier les droits fonda-mentaux, simplement en faisant fonctionner la souveraineté surun autre registre, non pas juridique mais naturel. Sur la base de cestatut « scientifique », la souveraineté politique ne fonctionne pluscomme une condition de l’autorité ou de la loi, mais comme unesorte de politique immanente à la nature biologique de l’espèce.C’est la nature qui décide, il suffit de la laisser faire, et tuer est deson droit. Le problème est qu’en se naturalisant, la souveraineté sedépolitise radicalement et inexorablement. Elle se place sur unautre niveau par rapport au jeu politique et juridique, qu’elle érodeet vide en fonctionnant toujours « ailleurs ». La vérité scientifiquefait exception et fait fonctionner l’exception dans le droit. Cela nesignifie pas que la souveraineté soit vouée à se dissoudre, bien aucontraire, elle intensifie son pouvoir de mort en tant qu’« art degouvernement ». Ce dernier utilise des technologies de pouvoirextrajuridiques qui tendent toutefois à être transcrites dans lesformes du droit (Foucault, 1976a). Le racisme permet justement ce« jeu » entre une naturalisation du pouvoir de souveraineté et unelégalisation des pouvoirs de normalisation. Bien que le gouverne-ment biosécuritaire des populations soit actuellement la technolo-gie politique dominante, nos sociétés n’ont pas renoncé àl’exercice du pouvoir de souveraineté : il suffit de penser à lasurenchère de guerres, d’arbitraires administratifs, de dérogationsaux principes constitutionnels, de mesures d’exception, depratiques diffuses d’exclusion et de rejet de l’autre (Di Giovine,2005).

Avons-nous donc besoin du racisme ? Ou plutôt, le racismefonctionne-t-il encore ? Quel est le destin de la « fonction-

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 272

Psychiatrie 273

racisme » dans nos sociétés ? Les métamorphoses historiques de lapsychiatrie peuvent nous aider à répondre à ces questions. Sapremière métamorphose, qui correspond en réalité à sa naissance,est la réforme du grand enfermement. Au XVIIe siècle, on avait crééles grandes maisons d’internement comme l’Hôpital général deParis. Emprisonnés également dans les prisons d’État, les fous yétaient confondus avec les criminels, les mendiants, les vagabondset on ne les considérait pas comme des malades (Foucault, 1961et 1972). De plus, la folie était surtout une « affaire de famille »,du moment que le pouvoir judiciaire et le pouvoir administratifétaient interpellés soit à sa demande soit en son absence. Laséquestration des fous était réglée par les ordres de justice et parles ordres du roi, les redoutables lettres de cachet. Le pouvoirabsolu du souverain intervenait dans la vie de tous les jours à lademande de l’autorité policière pour des raisons d’ordre public, leplus souvent à la demande des familles elles-mêmes (Castel,1976). Dans le système lettres de cachet-internement, le pouvoirdu roi fonctionnait comme la courroie de transmission du pouvoirpunitif des familles qui, cependant, se transcendait lui-même,allant jusqu’à décider du destin d’une vie (Foucault, 1977d ; Fargeet Foucault, 1982).

Avec la Révolution et l’avènement d’un nouvel ordre socialfondé sur le « contrat », le problème se posa de savoir commenton allait justifier, du point de vue du droit bourgeois et libéral, laséquestration des fous. Contrairement au criminel, le fou nepouvait pas être considéré comme « responsable » et donc puni.Irresponsable, donc, mais dangereux. Que faire ? La folie repré-sentait un défi pour la société libérale naissante. Comment légali-ser la séquestration des fous, c’est-à-dire leur « exception » parrapport au formalisme juridique ? Comment continuer à les inter-ner en évitant les arbitraires du pouvoir souverain ? Bref, commentexercer la souveraineté politique dans le cadre de la légalité libé-rale ? Voilà un problème qui peut paraître anachronique aujour-d’hui, mais seulement parce que l’affirmation d’autres modalitésde contrôle et d’assujettissement a rendu inutile le recours au codepour l’exercice de la souveraineté politique (Castel, 1976). Le prin-cipe pilote de la médecine mentale est formulé par Esquirol :« Une maison d’aliénés est un instrument de guérison entre les

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 273

Lexique de biopolitique274

mains d’un médecin habile ; c’est l’agent thérapeutique le pluspuissant contre les maladies mentales. » La théorie de l’isolementthérapeutique permet de sortir de l’impasse juridique et ouvre lavoie à la loi de 1838 sur les aliénés. Après un parcours parlemen-taire long et controversé, le sauvetage médical de l’« institutiontotale » sera en effet décrété (Goffman, 1961). Par le biais desmédecins, le pouvoir administratif peut garantir l’ordre public, àl’abri de toute accusation d’arbitraire. Le droit de séquestrer lesfous commence à fonctionner grâce à une souveraineté d’un autretype : il apparaît « comme une mesure presque naturelle, humaineen tout cas, parce que la nécessité de l’isolement est fondée sur lanature de la maladie » (Castel, 1976).

Le passage à l’assistance médicalisée des fous se réalise donccomme une naturalisation médicale de la souveraineté politique.La loi de 1838 marque la victoire du mouvement aliéniste : les fousdoivent être soignés dans des instituts spéciaux, par des médecinsspéciaux qui sont aussi les directeurs de ces instituts. Tous les filsmènent au médecin et c’est à partir de lui qu’ils rayonnent,comme les savantes articulations de son programme thérapeu-tique. Mais, en réalité, cela veut dire qu’en entrant à l’asile, lemalade devient un « aliéné », une personne définie par le réseauindémêlable de ses dépendances. La médicalisation de la folien’est rien d’autre qu’une « mise sous tutelle unilatérale à tous lesniveaux » (ibid.). Cependant, la solution apportée par la loi de1838 aura un prix. Colonisée par un pouvoir de normalisation quifait référence à la « nature humaine » et qui fonctionne commeun « contre-droit » (Foucault, 1975), la loi commence à dépendrede la vérité scientifique et les juges sollicitent de plus en plussouvent l’aide des experts. Mais il est important de saisir le « jeu »entre la norme naturelle et la norme juridique : « La loi de 1838 enfaveur des aliénés est sans aucun doute une loi d’exception, maisc’est bien une loi, et votée en respectant les procédures les plusdémocratiques de l’époque » (Castel, 2003 ; Foucault, 1978b). Ense médicalisant, l’exception se légalise, ce qui détermine un renfor-cement réciproque et paradoxal du pouvoir de normalisation et dupouvoir de souveraineté. Quoi qu’il en soit, pour fonctionnersouverainement, le droit libéral a besoin de se fonder ailleurs :c’est là le sens de la « législation spéciale » que, pour la première

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 274

Psychiatrie 275

fois, le défi de la folie a rendu possible. Mais plus la souverainetéde la loi survit à travers sa naturalisation, plus elle érode lesfondements de la souveraineté elle-même. D’où la spirale desmandats du pouvoir à une « fonction-experte » qui, en se banali-sant, finira par revêtir le corps social d’une seconde peau (méde-cins, psychologues, travailleurs sociaux, éducateurs, associationsdu privé social, agences humanitaires, organisations non gouver-nementales, etc.).

Les psychiatres également paieront un prix. La loi qui leurattribuait un capital énorme de pouvoir les obligeait à réduire lespectre de leur intervention à tel point qu’il se concentrait en ununique point : l’internement. Le savoir et la technique des alié-nistes sont restés enchaînés à la logique des instituts spéciaux, del’intérieur desquels ceux-ci s’employaient à renforcer leur poidssocial et politique, et c’est ainsi que la médecine mentale a accruson retard par rapport aux modèles d’une médecine qui avaitdésormais emprunté la voie de l’organicisme. Le paradigme théra-peutique du traitement moral s’est développé dans un isolementexplicite par rapport à la médecine scientifique de l’époque. Onouvrait les cadavres dans les asiles aussi, mais le savoir qu’on endistillait n’établissait aucun lien avec la pratique aliéniste qui fonc-tionnait en autarcie, comme une technologie disciplinaire : régle-mentation méticuleuse de tous les aspects de la vie quotidienne,ensemble de manœuvres et de tactiques ayant pour finalité desubjuguer le délire et d’imposer le pouvoir pédagogique de laréalité sur la folie (Foucault, 2003 ; Castel, 1976).

Très tôt, les psychiatres durent se rendre compte que leurpouvoir était grand mais limité du point de vue de son expansionsociale. L’aliénisme fut l’une des premières expérimentations de médecine sociale et d’État, dès lors qu’il offrait une « couver-ture » médicale tant aux politiques d’assistance promues enFrance par les réformateurs philanthropes qu’aux exigences poli-cières de l’administration. Dans le contexte des politiques desanté publique, les aliénistes s’imposèrent comme de grandsconseillers-experts du gouvernement. Principaux promoteurs del’hygiénisme, ils fondèrent en 1829 la première revue psychia-trique spécialisée de France : Annales d’hygiène publique et demédecine légale. Il semble en effet que la psychiatrie se soit essen-

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 275

Lexique de biopolitique276

tiellement institutionnalisée en tant que branche spécialisée del’hygiène publique (Foucault, 1978b, 1999 ; Castel, 1976). Leproblème est que l’aliénisme était fondé sur un dispositif – lebinôme internement-traitement moral – qui entrait immédiate-ment en contradiction avec les ambitions d’une médecine sociale.Quant à une prévention efficace et généralisée contre des mala-dies qui menaçaient la société, l’intervention des psychiatres s’avé-rait très limitée.

La « réforme » du dispositif psychiatrique suivra alors deuxdirections : l’une scientifique, qui verra l’affirmation du modèleorganiciste, allant des études sur la paralysie générale à la neuro-logie ; l’autre sociale, avec l’affirmation de la psychiatrie commedispositif biosécuritaire, réalisée au moyen d’une profonde réorga-nisation du rapport entre sa vocation thérapeutico-disciplinaire etson ambition sociopolitique. La psychiatrie déplace son barycentrede l’hôpital au milieu de vie, atteint la dimension somatique etbiologique des phénomènes pathologiques et développe unetechnologie ayant comme objectif la prévention et la prophylaxieplutôt que le soin et la guérison. Ancrée dans la médecine par lebiais de la neurologie, affranchie du délire en tant que symptômespécifique de la maladie mentale, elle devient une vraie sciencemédicale mais qui peut s’occuper de toutes les conduitespossibles, de toutes les déviations par rapport à une norme enten-due à la fois comme comportement « social » conforme et commefonctionnement « organique » normal (Foucault, 1999).

L’organicisme et l’hygiénisme – les deux voies de la médicali-sation de la psychiatrie – vont finalement converger en théorie dela dégénérescence, qui peut être considérée comme le tournantdu processus de naturalisation biologique de la souveraineté poli-tique. Porte-drapeau de la protection biologique de l’espèce, lascience psychiatrique couve le racisme d’État contre les anormaux.Avec la « chasse aux dégénérés », les hôpitaux psychiatriques seremplissent, mais il est de plus en plus évident que l’internementn’est pas le moyen le plus adéquat pour répondre à une missionqui ne consiste pas à soigner la maladie mais à prévenir les dangersprétendument inhérents à tout état d’anormalité. C’est par cettevoie que l’on arrive aux politiques eugéniques du début duXXe siècle. Même dans des pays libéraux comme les États-Unis, la

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 276

Psychiatrie 277

stérilisation se présentera comme une forme de prophylaxie plusefficace et économique, capable de couvrir un champ plus vasteque celui de la maladie mentale, et elle sera largement légalisée(Castel, 1976, 1981, 1983 ; Rifkin, 1998). En greffant le racismecontre les anormaux sur le racisme ethnique et notamment anti-sémite, le nazisme produira une vaste législation de type biopoli-tique, avec une intensification des politiques eugéniques quidéboucheront sur des programmes d’euthanasie sauvage(Foucault, 1999 ; Chiantera-Stutte, 2003). La psychiatrie nagecomme un poisson dans les eaux du nazisme et des milliers demalades mentaux partageront le sort des Juifs et d’autres viesconsidérées comme indignes ou dangereuses pour la race (vonPlaten, 1948 ; Lallo et Toresini, 2001 ; Fontanari et Toresini, 2001).

Indépendamment du racisme biologique, la psychiatrie paie leprix de son succès biopolitique avec la crise de l’aliénisme et l’en-clenchement d’un processus de dépsychiatrisation que l’on peutpartager en deux branches : d’un côté, la psychiatrie chirurgicale,pharmacologique et la psychanalyse ; de l’autre, les mouvementsde ce qu’on appelle l’« antipsychiatrie » (Szasz, Cooper, Basaglia),qui dénoncent le rapport de force sur lequel repose la psychiatrieet qui remettent en question la neutralité politique de son inter-vention (Foucault, 2003 ; Basaglia, 1968, 1981-82). C’est ici qu’onpeut situer la seconde métamorphose du système psychiatrique,un processus complexe que Castel a réussi à analyser (Castel,1981). Après la disparition de la synthèse aliéniste, la psychiatrie sedécompose en différents mouvements de modernisation, contra-dictoirement entrelacés, qui ont produit les grandes réformes insti-tutionnelles et législatives du siècle passé jusqu’à la loi italienne180 de 1978 (Pirella, 1999 ; Tranchina et Teodori, 2003). Dans ceprocessus, la psychiatrie est radicalement transfigurée, mais ellesurvit aux poussées centrifuges qui ont effacé son visage familier.Malgré d’importantes expériences de nouvelle psychiatrie et desanté mentale enracinées dans différents contextes nationaux, lepanorama international semble aujourd’hui dominé par d’autresthéories et d’autres dispositifs : théories biochimiques et neuros-ciences ; systèmes de diagnostic statistique ; Evidence-BasedMedecine ; thérapies pharmacologiques et comportementalistes ;consommation de techniques psychologiques pour le développe-

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 277

Lexique de biopolitique278

ment du potentiel humain ; gestion différentielle des populationsproblématiques ; élaboration informatique des facteurs de risquepour la programmation de l’efficacité sociale (Gabriele, 2005 ;Castel, 1981).

On ne peut comprendre toutefois la métamorphose extrêmede la psychiatrie si on ne l’insère pas dans le contexte de la bio-politique et de la gouvernementalité « néolibérales ». La naturali-sation produite par les dispositifs de sécurité, en effet, ne concernepas uniquement les phénomènes biologiques mais aussi lesphénomènes économiques. Le libéralisme est un naturalisme quiutilise la naturalité du marché pour vérifier continuellement l’actede gouvernement. Naturalisation économique de la souverainetépolitique qui réussit même à échapper à la nécessité de légaliserses exceptions. Et ce n’est pas tout. Avec la théorie du capitalhumain, le néolibéralisme colonise les sciences humaines, enimposant le paradigme économique aux domaines les plus diversde la vie sociale et individuelle (Foucault, 2004b ; Marzocca,2000a). La doctrine du capital humain n’est autre qu’une écono-micisation politique de la vie humaine. Bio-économico-politique.Qui décide, par exemple, comment sélectionner et distribuer lespopulations (Morin, 2005), celles qu’il faut faire vivre et prospéreret celles qu’il faut exposer à la mort, surveiller ou « liquider » ? Quia le droit de dire : toi dedans et toi dehors ? Personne, c’est undroit de la nature. C’est le marché qui décide, l’économie.

Il s’agit là certainement d’un « racisme économique » maisc’est aussi une redoutable économie du racisme, une rationalisa-tion du racisme. Surtout parce qu’elle s’appuie non pas tant surl’autorité et sur la coercition que sur des pratiques de « subjecti-vation ». C’est nous qui sélectionnons les comportements, lespenchants, les désirs, les relations, c’est-à-dire, en général, la viequotidienne : d’un côté, la quotidienneté de la « bonne race », quifait que nos performances se développent dans le cadre de lanaturalité biologique et économique ; de l’autre, la quotidiennetéde la « mauvaise race », qui nous fait dévier d’un schéma deconduite rationnel en produisant un gaspillage insensé de vie etd’argent (Ehrenberg, 1991, 1995, 1998). C’est comme cela quefonctionnent les nouvelles campagnes sanitaires pour la réductiondes « comportements à risques », et ce n’est pas un hasard si les

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 278

Psychiatrie 279

savoirs psychologiques et psychosociologiques, à partir du beha-viorisme, y ont joué un rôle important (Berlivet, 2004).

La biopolitique néolibérale a une base éthique, c’est-à-direqu’elle repose sur un projet de liberté et sur une technologie dusoi. Qu’est-ce qu’être entrepreneur de soi-même, manager de sapropre vie ? Cela veut dire être libre de répondre systématique-ment oui aux stimuli positifs et non aux stimuli négatifs. Libre,donc, d’être gouverné par une rationalité bioéconomique quis’identifie à la nature elle-même et qui, en se psychologisant,devient une ressource et une technologie subjective. L’éthiquenéolibérale est un bricolage comportementaliste de masse. C’estpour cela que nos sociétés ressemblent à des zoos de normalité etque les vraies tribunes politiques sont la téléréalité. Le premieracteur et la première victime du racisme bioéconomique est le soi :la fonction-psy (Foucault, 2003) s’est installée au cœur de l’indi-vidu comme une sorte de génie-expert qui détermine souveraine-ment le tri sélectif de la vie quotidienne.

Point de soudure élastique entre l’homme biologique etl’homme économique, le sujet psychologique est le nouveaumanager d’une sélection rationnelle vouée à la sauvegarde et àl’amélioration de son capital humain : conserver et développer cequi est bon, écarter, éliminer, éradiquer ce qui est mauvais. S’il estvrai que la souveraineté politique survit en se déployant dans lanaturalité biologique et économique, elle s’optimalise en devenantschéma de conduite et pratique de subjectivation. Le maximum de« souveraineté naturelle » s’obtient par la psychologisation : le soicomme noyau de vérité du gouvernement bioéconomique de soi-même. Le racisme est désormais lui aussi une ligne de rationalisa-tion psychologique qui coupe en deux la vie de tous les jours, et lelong de laquelle nous nous constituons comme sujets vrais, libreset entreprenants.

Pierangelo Di Vittorio

Voir : Capital humain, CDT, Dégénérescence, Empowerment, Eugénisme,Gouvernementalité, Médicalisation, Normal/pathologique, Normali-sation, Population, Résistance (pratiques de), Racisme, Santépublique, Téléréalité.

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 279

RACISME

Le concept de racisme qui, sous les formes de la « guerre desraces » et du « racisme d’État » (Foucault, 1997), se charge d’unesignification fondamentale pour la définition du pouvoir biopoli-tique, est difficilement délimitable, à cause aussi bien de la diver-sité de ses connotations que de la valeur à la fois politique,scientifique et « mythologique » qu’il a acquise dans l’histoire. Etpourtant, l’apparition du mot « racisme » est récente, elle remonteau début du XXe siècle.

Les analyses des idées de racisme ont commencé avec laréflexion sur les formes les plus extrêmes du racisme d’État auXXe siècle : celles du nazisme, celles d’Amérique avec ses lois deségrégation raciale et celles d’Afrique du Sud. Et pourtant, leracisme d’État ne dit pas tout sur l’ampleur d’un phénomène qui,selon Pierre-André Taguieff, n’est compréhensible que de manièreplus large, comme « une idéologie, incorporée dans certainespratiques ou incarnée dans certains comportements, implicitedans certains « préjugés » ou explicite dans certains actes dediscours » (Taguieff, 1988). Les points fondamentaux de cetteidéologie, que l’on peut décrire comme des « actes mentaux »,résident : 1) dans le refus de l’universel ; 2) dans la catégorisationdéfinitive des individus ; 3) dans l’absolutisation des différencescollectives ; 4) dans la naturalisation de ces différences, soit parbiologisation scientiste, soit par ethnicisation ou bien figement« culturaliste » ; 5) dans l’interprétation inégalitaire de ces diffé-rences, projetées sur une échelle universelle de valeurs (ibid.).

Ce n’est qu’à partir d’une description large que l’on peutcomprendre et classifier les différentes formes de racisme demême que les deux modes principaux sur lesquels le racisme d’Étata fonctionné : le « racisme d’exploitation » ou racisme de l’inclu-

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 280

Racisme 281

sion, typique du rapport entre les puissances coloniales et les sujetscolonisés, et le « racisme d’extermination », que le régime nazi adéveloppé de manière plus évidente. La première permet l’incor-poration de l’Autre (le « racisé ») à travers la référence à unehiérarchie, c’est-à-dire à une échelle idéale sur laquelle on disposeles races, tandis que la seconde vise à l’élimination totale de l’autrerace, pour garantir le maintien de la pureté d’une identité. Si leslois ségrégationnistes d’Amérique du Nord, promulguées à partirde la fin du XIXe siècle jusque dans les années 1960 – lois dites deJim Crow – correspondent au premier type de racisme, l’antisémi-tisme national-socialiste correspond au second modèle.

Des études complexes des théories et des pratiques racistes,prenant en compte le rôle des institutions, le terreau idéologiqueculturel, les élaborations scientifiques de la supériorité raciale etle parcours historique qui conduit aux théorisations du racisme,sont entreprises pendant et après la Seconde Guerre mondiale,d’abord avec les travaux de Hirschfeld (1937) puis avec ceux deBarzun (1937), lesquels se concentrent toutefois sur l’antisémi-tisme. Ce n’est qu’avec l’étude de Myrdal (1944) que la politiquediscriminatoire contre les Noirs et contre les pays colonisés estpleinement dénoncée et analysée, au même niveau que la poli-tique antisémite. L’étude du racisme en tant que produit etcondition de la colonisation et du développement du capitalismeavancé est développée aujourd’hui par Balibar et Wallerstein(1988) notamment.

Des études récentes (Poliakov, 1955-1977 ; Mosse, 1978 ;Fredrickson, 2002) voient dans la production des stéréotypesnégatifs utilisés contre les Juifs dans le domaine religieux, les discri-minations qui annoncent le vrai racisme. Mais, l’antisémitismecatholique n’est pas encore un racisme, surtout si l’on considère lathèse fondamentale de la monogenèse de l’humanité et de l’ac-ceptation, de la part de l’Église, des convertis : en effet l’Églisen’admet pour les diverses races humaines aucune origine diffé-rente et tend à les considérer toutes égales devant Dieu.

Le début d’un processus d’utilisation de la catégorie de racedans le discours politique est différemment situé par les spécia-listes : selon Poliakov (1955-1977), il s’enracine dans l’antisémi-tisme des Espagnols envers les conversos des XVe et XVIe siècles ;

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 281

Lexique de biopolitique282

pour Foucault (1997), la « guerre des races » apparaît commediscours historico-politique en Angleterre et en France auXVIIe siècle ; pour Mosse (1978) et pour Fredrickson (2002), leracisme est un phénomène moderne issu de la Révolution fran-çaise, que l’on peut retrouver en premier lieu dans les écrits duXIXe siècle, en particulier de Gobineau et de Vacher de Lapouge ;d’après Bauman (1989), le racisme ne peut se déployer dans saforme la plus complète qu’à un stade assez avancé du capitalisme,profitant des formes développées de la technologie et de lamentalité bureaucratique qui font que le sentiment de responsabi-lité individuelle se relâche. Indépendamment des différences, tousles spécialistes s’accordent à voir dans le régime national-socialiste,dans l’Amérique ségrégationniste et dans l’Afrique du Sudquelques-uns des exemples les plus complets du racisme d’État.

Le racisme de l’État hitlérien surgit à la confluence de diversfilons de pensée : l’interprétation sur un mode agressif et exclusi-viste du nationalisme de Herder ; la science de la race ; les tradi-tions ésotériques représentées par Langbehn, Guido von List etLiebenfels ; et enfin l’antisémitisme catholique (Burleigh etWippermann 1991 ; Mosse, 1978). Le racisme du régime hitlérienculmine avec ses nombreuses lois et mesures. Parmi celles-ci, il fautprendre en compte les lois de Nuremberg de 1935, parmilesquelles la Reichbürgergesetz, qui divise les Allemands en sujetsjouissant de leurs pleins droits de citoyenneté (Reichsbürger) et lessujets sans droits, soumis aux lois de l’État (Staatsbürger). Fontpartie de cette catégorie les Juifs, les races non-ariennes et lesfemmes non mariées. Les lois de 1938 complètent l’exclusion desJuifs de toutes les professions ; en 1939, s’achève ce qu’on appellel’« arianisation » de l’économie, c’est-à-dire l’aliénation despropriétés des Juifs. La conférence de Wannsee (1942) décrètel’extermination de la race juive, ratifiant ainsi une pratique quiavait déjà commencé en 1941 avec l’élimination massive des Juifsà Minsk, Riga et Chelmo. Toutes ces mesures doivent être repla-cées dans le cadre du souci de la pureté de la race et d’une vastediffusion des idées eugéniques dans le domaine des discours scien-tifiques, journalistiques et propagandistes. Par rapport à la radica-lité du racisme allemand, les mesures fascistes italiennes à l’égardde la race furent moins virulentes : elles ne prévoyaient pas l’ap-

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 282

Racisme 283

plication de principes eugéniques mais s’inséraient dans la législa-tion raciale coloniale qui avait précédé (Maiocchi, 1999).

Contrairement à l’Allemagne national-socialiste, les loisapprouvées par les divers États du Sud, dans l’Amérique ségréga-tionniste, ne visaient pas à une véritable élimination des Noirs maisà une séparation complète : les lois en question allaient de l’inter-diction des mariages interraciaux à la prohibition d’une fréquenta-tion commune des lieux culturels, institutionnels et récréatifs. C’estde ce même principe de séparation, avec néanmoins une élabora-tion culturaliste et différentialiste de l’idéologie raciste, que s’ins-pire le régime sud-africain après la Seconde Guerre mondiale : àpartir de 1948 va s’institutionnaliser le principe du développementdifférentiel et séparé des cultures des ethnies, d’ailleurs élaboré enEurope, y compris par certains interprètes de ce qu’on appelle laNouvelle droite, dont le porte-parole est Alain de Benoist, repré-sentant majeur d’une conception différentialiste du racisme. Celle-ci utilise, en le renversant et en le radicalisant, l’argumentantiraciste de l’exaltation du développement des différencesethniques et culturelles en en faisant le fondement du nouveauracisme culturaliste (Taguieff, 1988).

L’analyse historique et sociologique de la naissance desrégimes racistes, même si elle permet une description des condi-tions de possibilité du racisme, ne l’intègre pas aux processus dechangement des structures de pouvoir et des mécanismes decontrôle sur l’individu exercés par l’État. C’est là, au contraire, lebut de l’analyse foucaldienne (Foucault, 1997), qui retrace lagénéalogie du racisme à partir de la naissance du discours histo-rico-politique sur la guerre des races en Angleterre et en France auXVIIe siècle. À cette époque, à travers les œuvres de Boulainvillierssurtout, la guerre entre de plain-pied dans la constitution dupouvoir politique comme moteur principal qui institue l’ordre etl’État – et la vérité les concernant.

La transcription biologique de ce thème se fait au début duXIXe siècle et donne lieu à une bifurcation fondamentale dans lapensée politique, historique et scientifique, avec d’un côté lemodèle dialectique, qui récupère la forme de la lutte entre lesraces, et de l’autre la théorie de l’évolution et de la lutte pour lavie. Seule cette seconde option donne lieu au racisme biologico-

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 283

Lexique de biopolitique284

social. Avec la biologisation du conflit entre les races se produitune incorporation de la race étrangère et ennemie, présente dansla théorie du XVIIe siècle, à la « sous-race ». Nous n’avons plus àl’origine de l’ordre politique la lutte entre deux races différentespour la domination, comme c’est le cas chez Boulainvilliers, maisnous avons, au contraire, la protection, par l’État centralisé etcentralisateur, du développement de la race saine contre leséléments dégénérés qui la menacent de l’intérieur et contre lessous-races qui en violent la pureté. De cette façon, la théorie de lasouveraineté de l’État s’approprie la lutte des races, donnant ainsiune tournure biologique à la norme juridique étatique.

Foucault voit dans cette transformation un changementessentiel qui concerne les technologies du pouvoir : du pouvoir devie et de mort – celui du souverain médiéval, précisément – aupouvoir de faire vivre et de laisser mourir. Le contrôle sur l’individuexercé par les appareils disciplinaires, qui, à la fin du XVIIe siècle,était venu se greffer, en le modifiant, sur le droit souverain de vieet de mort, est à son tour, dans la seconde moitié du XVIIIe siècle,pénétré et intégré par un nouveau pouvoir non disciplinaire : lepouvoir biopolitique. Celui-ci vise l’homme-espèce et non l’indi-vidu ; il a comme objet la population et ses phénomènes et non lecorps, produisant ainsi la massification de l’être vivant. CommeHannah Arendt l’avait déjà fait remarquer dans ses considérationssur le totalitarisme national-socialiste, le nouveau pouvoir désindi-vidualise et personnalise, ramenant l’homme à l’état de représen-tant d’une espèce (Arendt, 1951). Le racisme devient, selonFoucault, ce à travers quoi le droit souverain de vie et de mort estréintroduit dans les mécanismes de fonctionnement de l’Étatmoderne : il permet d’instituer une césure, à l’intérieur du corpsbiologique et politique – la population –, entre ce qui doit vivre etce qui doit mourir, deux catégories étroitement dépendantes l’unede l’autre. En d’autres termes, ce qui doit être renforcé – la racesaine – est dépendant pour sa croissance de l’élimination du néga-tif, de la sous-race.

Il est utile de reconsidérer ces réflexions de Foucault, qui n’alaissé que quelques notes fragmentaires et embryonnaires sur lenational-socialisme, pour relever – comme l’ont fait, entre autres,Proctor (1988), Burleigh et Wippmann (1991) ainsi que Weingart

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 284

Racisme 285

(1996) – que le racisme implique toujours une valeur à développeret à protéger et pas seulement un danger à anéantir : la politiquenazie hygiéniste, les incitations à la croissance démographique dela race « saine », l’éducation et la valorisation des éléments raciaux« purs », le souci de la santé de la population, sont l’autre face del’anéantissement et de la ségrégation. Cette considération pour-rait fournir une perspective pour affronter le questionnement quiouvre aux analyses actuelles concernant les formes de racisme quise développent à une époque postcoloniale et postindustrielle.Nous entendons par là l’apparition possible d’un « racisme sansraces », pour lequel la catégorie de culture et d’ethnie a une fonc-tion discriminatoire et, d’autre part, la récupération d’argumentset de modèles eugéniques, non pas imposés par l’État, mais auto-imposés par les citoyens eux-mêmes, suggestionnés qu’ils sont pardes modèles culturels et scientifiques.

Patricia Chiantera-Stutte

Voir : Camps, CDT, Défense sociale, Dégénérescence, Différences, Excep-tion (état d’), Eugénisme, Génocide, Humanisme scientifique,Migrations, Monstre, Normal/pathologique, Population, Psychiatrie,Santé publique, Sécurité, Terrorisme, Totalitarisme.

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 285

RÉSISTANCE (PRATIQUES DE)

En général il existe, selon Foucault, trois types de luttes : cellesqui s’opposent aux formes de domination (ethnique, sociale et reli-gieuse) ; celles qui dénoncent les formes d’exploitation qui sépa-rent les individus de ce qu’ils produisent ; celles qui résistent contrele pouvoir de normalisation qui lie, d’une manière forcée, l’individuà son identité. Chacune de ces luttes a en quelque sorte « hégé-monisé » une période historique déterminée : la lutte contre ladomination, le Moyen Âge, celle contre l’exploitation, le XIXe siècle,celle contre le pouvoir de normalisation, notre présent (Foucault,1983a).

Dans les années 1960 et 1970, des mouvements de contesta-tion de la norme se sont développés (femmes, homosexuels,étudiants, détenus, immigrés, malades mentaux), qui ont réussi àpolitiser une série de thèmes (médecine, sexualité, délinquance,fonctionnement des institutions, droits de citoyenneté) que latradition marxiste et les partis communistes avaient pour la plupartignorés. En soulignant que ces mouvements avaient « hégémo-nisé » notre présent, Foucault ne voulait pas du tout affirmer queleur apparition coïncidait avec une éclipse totale des luttes contreles formes de domination et d’exploitation. En somme, pour lephilosophe, il n’était pas question d’attribuer à ces mouvementsune valeur absolue ; et il ne croyait pas davantage qu’il étaitpossible, sur le plan stratégique, logique et politique d’en récupé-rer les thématiques et les formes de lutte, du moment que celles-ci avaient fait émerger quelque chose de décisif pour comprendrele fonctionnement général des engrenages du pouvoir dans notresociété actuelle (Di Vittorio, 1999 ; Russo, A. 2004).

Les mouvements des minorités ont introduit, par rapport à lathéorie du pouvoir de type marxiste, un nouvel acquis que l’on

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 286

Résistance (pratiques de) 287

peut résumer comme suit : notre société n’est pas dominée ethiérarchisée seulement et exclusivement par un ordre économiquedéterminé mais plutôt par un enchevêtrement de discours scienti-fiques et d’appareils institutionnels qui produit des « régimes devérité » spécifiques (la sexualité, la maladie mentale, la délin-quance). Ces régimes, dont l’objectif est l’assujettissement – c’est-à-dire : fixer l’individu, au moyen d’un système de contraintes etd’interdictions, à son identité – ne sont pas simplement idéolo-giques ou superstructurels ; au contraire, ils sont une condition deformation et de développement de l’économie occidentale, que cesoit dans sa version capitaliste ou dans sa version socialiste. Dansle cadre des mouvements des minorités, le schéma de fonctionne-ment du pouvoir, fondé sur la dichotomie classique entre structureéconomique et superstructure idéologique, est un automatismequi a été démenti par l’histoire. L’exemple de l’Union soviétique està cet égard décisif. Dans ce pays, il ne fait aucun doute qu’aprèsla Révolution, les rapports de production ont changé. Néanmoins,il est tout aussi vrai que les rapports microphysiques de pouvoir enUnion soviétique, que ce soit à l’intérieur de la famille, de la sexua-lité, à l’usine, entre les travailleurs, sont restés les mêmes que dansles pays occidentaux. Dans le fond, la subjectivité ne change paspour autant parce que la lutte de classe a transformé globalementles processus économiques. À la rigueur, c’est le contraire qui estvrai : sans des pratiques diffuses de résistance, sans une produc-tion, émanant de la base, de formes de subjectivités moins assu-jetties, un changement n’est probablement pas possible, pasmême sur le plan moral, c’est-à-dire qu’il est stratégiquementimpossible de mettre en marche une transformation économiqueet politique de la société et de nous-mêmes (Foucault, 1978a).

Les mouvements contre l’internement psychiatrique, les insti-tutions disciplinaires, la discrimination sexuelle des gays et deslesbiennes ont placé au centre du discours et de la lutte politiquela subjectivité de ceux qu’on appelle les « anormaux ». Dans cecontexte, subjectivité signifie capacité de résistance aux effets denormalisation et de contrôle social inévitablement présents danstoutes les formes de savoir scientifique. Le problème commun àtous ces mouvements réside dans la façon dont circule et fonc-tionne le savoir et ses rapports avec le pouvoir. C’est la vérité scien-

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 287

Lexique de biopolitique288

tifique dans sa fonction de pouvoir normalisant, de règle decomportement, de principe de conformité et d’identité qui consti-tue la cible de la critique. L’objectif principal de ces luttes consisteà remettre en question la condition de l’individu. D’une part, ellesaffirment le droit d’être différent ; de l’autre, elles attaquent toutce qui renferme l’individu en lui-même et le lie à sa propre identitéd’une manière forcée. Ces luttes, en refusant le type d’individua-lité qui nous a été imposé pendant des siècles, essaient depromouvoir l’ouverture d’espaces sociaux non normatifs où il estpossible d’expérimenter la production d’identités différentes, l’éla-boration de nouvelles modalités de relation entre les individus, ledéveloppement de formes culturelles inédites (Butler, 1990).

Le principe fondamental de la tactique des mouvements desminorités consiste à renverser les positions de sujet et d’objet de laconnaissance attribuées par des dispositifs de pouvoir-savoir auxdominants et aux dominés. Ceux qui ont été classés comme fous,délinquants ou pervers sexuels au moyen de formes spécifiques deconnaissance comme la psychiatrie ou la criminologie ont subi unedisqualification et une infériorisation de leurs expériences subjec-tives. C’est sur la base de cette infériorisation physico-épistémolo-gique que le pouvoir n’a eu de cesse de mettre en œuvre uneséparation entre le fou et l’homme normal, entre le délinquant etle bon citoyen, entre l’hétérosexuel et homosexuel. Ces pratiquesde division de l’humain ont produit, au cours de la modernité, uneverticalisation de la relation sociale : en haut, l’homme normal, lebon citoyen, l’hétérosexuel ; en bas, le malade mental, le délin-quant, le pervers. Au sein de cette relation hiérarchique, l’anormala été privé de son droit de parole, réduit au silence, relégué austatut d’objet sans voix du discours scientifique. L’histoire desluttes des minorités a consisté en une longue bataille pour renver-ser la tyrannie du discours scientifique, avec ses effets d’exclusion,de discrimination, d’assujettissement. Cela a signifié faire passer lanormalité, la rationalité, l’hétérosexualité, de la position de sujetuniversel du discours à une position d’objet de questionnement etde critique. Celui qui a été classé comme « homosexuel », « crimi-nel » ou « fou », en réussissant à confisquer le pouvoir de la paroleà l’expert scientifique de service, a réussi à prouver à la société quesa « forme de vie » n’est pas un donné attribuable au nom d’une

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 288

Résistance (pratiques de) 289

espèce naturelle, mais le produit d’une construction discursive quin’acquiert de réalité comme objet qu’à l’intérieur du cadre d’uneépistémologie particulière. Les discours scientifiques servent avanttout et pour une grande part à fixer en termes absolus les objetsde leur compétence en les transformant en accidents naturelscontre lesquels la société peut ce petit rien que peut la science. Demême que les institutions ont pour tâche de confirmer concrète-ment l’irréversibilité de ces phénomènes naturels. Si folie, délin-quance, homosexualité ne sont que des phénomènes naturels (onnaît délinquant et homosexuel, la folie est le produit d’une altéra-tion biologique) et non des produits historico-sociaux, lasurveillance, l’internement sont la seule réponse possible ; lasuspension des droits, l’institution répressive, la ségrégation, laseule alternative face à un phénomène contre lequel la société doitseulement se protéger. L’individu devient totalement fou, totale-ment pervers ou totalement délinquant, et même si cette totaliténégative est construite artificiellement par l’absolutisation de l’unet l’autre des éléments en quoi l’homme a été artificiellementdécomposé par la médecine clinique, par la psychiatrie, par lacriminologie, c’est ensuite sur cette totalité négative – que l’on faitpasser pour une anomalie naturelle – que se mettra en place et seconfirmera l’exclusion sociale. Réduire à un fait de nature n’im-porte quel style de vie peu enclin au conformisme social est unescamotage de la rationalité scientifique pour défendre les fron-tières normatives définies par l’organisation politico-sociale. Grâceaux naturalisations scientifiques – à une assimilation artificielle dela violence de certains phénomènes naturels à certaines conduites,pratiques, postures anormales – le droit se sent légitimé pour révo-quer, partiellement ou totalement, les libertés des dits anormaux.Si la rationalité scientifique constitue une ressource stratégiquefondamentale pour le maintien de l’ordre social, cela doit êtreattribué au fait qu’elle préside à la production du plus efficace desdispositifs pour neutraliser le développement des libertés : laproduction de « sujets spéciaux » dangereux par nature, qui repré-sentent les légitimes exceptions à l’état de droit. En se réappro-priant le droit d’exprimer un savoir sur leur propre condition, lesgays, les lesbiennes, les délinquants, les fous ont mis au jour lesstratégies par le biais desquelles les discours médicaux, juridiques,

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 289

Lexique de biopolitique290

scientifiques, religieux délégitiment et disqualifient leurs conduites.À partir de la dénaturalisation de leurs propres formes de vie, lesminorités ont engagé une lutte politique contre le système social quicrée exclusion et stigmatisation. C’est entre dénaturalisation et poli-tisation des régimes de vérité que se joue, pour ces mouvements, lapossibilité d’une résistance au pouvoir (Halperin, 1995).

Foucault a découvert, en réélaborant les contenus desmouvements des minorités, que la vérité pouvait être utilisée poli-tiquement selon deux modalités différentes. Selon la première, lavérité scientifique fait en sorte d’instituer des hiérarchies et desdissymétries insurmontables, de provoquer une verticalisation etune fermeture de l’espace politique, en articulant des énoncés dutype : la vérité est un « hors-discours » ; s’il y a, partant, quelquechose qui ne peut pas être politiquement remis en question, cequelque chose, c’est la vérité. Pour un gay, une lesbienne, undélinquant, un malade mental, la vérité est ce qui ôte la possibilitéde dire au pouvoir : « Très bien, tu veux que mon expérience soitpathologique et dangereuse pour la société, parlons-en. » Dans cecontexte, la vérité immunise le pouvoir contre toute forme desymétrie, de réciprocité, de négociabilité. Dans la seconde moda-lité, la vérité fonctionne comme une ouverture d’un espace poli-tique, à condition que sa production implique une rupture desdissymétries, une remise en question des hiérarchies établies parun régime de vérité donné. En ce sens, l’ouverture d’un espacepolitique est l’effet d’un contre-discours qui est énoncé à partir du« bas » et adressé vers « le haut » : puisque la vérité scientifiqueempêche que les rapports de pouvoir puissent couler de façonsymétrique – parce qu’il s’agit d’un système d’oppositions binairesorganisées par une hiérarchie violente où le terme qui est en hautcontrôle le terme qui est en bas, selon la logique de la disqualifi-cation, de l’infériorisation, de la pathologisation – il faut alors,pour rééquilibrer la relation sociale, « horizontaliser » la vérité et lacontraindre à devenir elle-même un champ de discussion et deconfrontation.

Chaque société se dote de son propre régime de vérité, quiconsiste à produire des discours vrais, des règles de formation deces discours et des institutions, et des sujets qualifiés pour dire etadministrer ces discours. Ce diagramme serré de « discours vrais »

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 290

Résistance (pratiques de) 291

et d’« institutions légitimes » préside à la normalisation de l’exis-tence de l’homme moderne en assujettissant son corps, en diri-geant ses gestes, en déterminant son comportement : est normalcelui qui est capable de se conformer à un certain modèle denorme, est anormal celui qui n’y arrive pas. Il est possible d’affir-mer, par une formule synthétique, que le trait distinctif du dispo-sitif pouvoir-savoir consiste dans le fait que certains hommespeuvent déterminer la conduite d’autres hommes, bien que ce nesoit jamais sous une forme complètement exhaustive et coercitive.Foucault, lorsqu’il a tracé l’analytique des relations de pouvoir, atenu compte de la donnée – généralement ignorée – que, à part latorture, l’exécution capitale et le camp de concentration, quirendent impossible toute forme de résistance (si ce n’est lesuicide), quel que soit le degré d’infériorisation, de disqualification,de pathologisation provoqué par un système donné, il y a toujoursdes possibilités de résistance, de désobéissance et de création degroupes d’opposition. Dans la mesure où nous nous trouvons faceà des pouvoirs de normalisation qui n’exercent pas la domination,n’exploitent pas, mais « conduisent » en en appelant aux régimesde vérité de la sexualité, de la délinquance, de la maladie mentale,corrélativement surgiront des mouvements spécifiques de révoltede la conduite où l’on affirmera : nous ne voulons pas être prisdans ce système de vérité, nous ne voulons pas être pris dans toutce système de contrôle perpétuel qui nous contraint à une règle decomportement, qui nous juge, en nous disant que nous sommesprofondément sains ou malades, hétérosexuels ou homosexuels,etc. Il s’agit de mouvements qui se donnent pour objectif uneautre conduite, dans le sens où ils veulent se conduire ou êtreconduits d’une autre manière, par d’autres conducteurs, avecd’autres procédés et d’autres méthodes. Ce qu’il faut souligneravec vigueur c’est que les pratiques de résistance à la norme nesont pas des « contre-conduites » réactives et négatives, mais descontre-conduites positives et créatives (Foucault, 2004a). Ceux quiles pratiquent affirment, à travers la lutte, le droit de ne plus seplier à des codes de conduite établis, pour en fabriquer d’autresauxquels se soumettre volontairement. Les pratiques de résistancesont des contre-conduites créatrices de nouveaux comportementset formes de vie, de nouvelles manières de faire et d’être.

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 291

Lexique de biopolitique292

Foucault a dit et redit qu’en général, lorsqu’il y a pouvoir il ya résistance, et que c’est justement pour cela que cette dernièren’est jamais en position d’extériorité par rapport au pouvoir. Cenouveau fonctionnement de la mécanique du pouvoir considèreson expansion à partir des différentes formes de résistance dissé-minées dans sa trame. En résumé, les pratiques de résistance sontla limite des relations de pouvoir ; elles sont ce qui répond àchaque avancée du pouvoir par un mouvement pour s’en déga-ger ; elles sont ce qui motive tout développement du réseau depouvoir. Si la résistance est la limite et l’inverse des relations depouvoir ou, du moins, ce qui en limite l’exercice, elle est aussi l’élé-ment nécessaire à la vie même du pouvoir, la force qui permet qu’ilpuisse continuer à se développer, en favorisant l’ouverture denouvelles relations de pouvoir. Il n’y a pas de pouvoir sans refus ourévolte en puissance (Foucault, 1976a).

Andrea Russo

Voir : Assujettissement/subjectivation, Corps, Différences, Disciplines,Monstre, Normal/pathologique, Normalisation, Pouvoir pastoral,Psychiatrie, Sécession, Sexualité (dispositif de), Singularités, Terro-risme.

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 292

RISQUE

La notion de risque, dès sa première apparition, montre clai-rement ses liens avec la société moderne et fait émerger des diffé-rences significatives d’avec le monde prémoderne : le risque prendla place du destin et de la divination pour éviter la colère des dieux(Giddens, 1990 ; Luhmann, 1991).

De nombreux auteurs ont établi un lien entre la naissance de lanotion de risque et les voyages maritimes et le commerce, les expé-ditions navales des premiers explorateurs occidentaux (Luhmann,1991 ; Giddens, 1999 ; Ewald, 1991). La notion de risque a à voiravec quelque chose qui concerne l’incertitude quant au futur. Audébut, elle a le plus souvent une référence spatiale, désignant « lanavigation sur des eaux inconnues, non signalées sur les cartes ». Cen’est que par la suite que cette notion prendra une connotationtemporelle, dont les investissements économiques (donner etemprunter de l’argent) constitueront l’objet (Giddens, 1999).

La naissance du concept de risque est intimement liée à cellede la société moderne, elle en représente l’indispensableprémisse : « Le risque présuppose une société activement engagéedans une rupture d’avec son passé : caractéristique fondamentale,en effet, de la civilisation industrielle moderne » (ibid.). « Une priseen charge positive de risque » (le risque de l’entrepreneur deSchumpeter, par exemple) est à la base de la création des richessesdu capitalisme, elle en constitue l’élément dynamique.

Le concept de risque se double de la notion d’assurance, quinaît elle aussi en rapport avec les expéditions maritimes : l’assu-rance « est la base de sécurité dont le destin est dépossédé enfaveur d’un engagement actif vers le futur » (ibid.). Cependant,l’assurance est, au début, le résultat des évaluations fondées surl’expérience des voyages précédents : « contrat sur la chance »,

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 293

Lexique de biopolitique294

ainsi furent définies les assurances par les premiers critiques, undéfi au sort. Ce n’est que par la suite que les calculs mathéma-tiques et statistiques serviront à quantifier l’éventuel dédommage-ment : « Sous l’effet de sa monétarisation, le risque est devenuune espèce de marchandise d’échange : argent en échange desécurité » (Sofsky, 2005). Selon Ewald (1991), l’assurance peutêtre définie, au départ, comme une « technologie du risque », uneforme de rationalité se basant sur le calcul des probabilités. Dansle monde contemporain, au contraire, l’assurance « produit desrisques » en attribuant à certains événements le caractère de« risque », les transformant ainsi, d’« obstacles » qu’ils étaient en« possibilités ». Dans ce sens, n’importe quel événement pourraitdevenir un risque pourvu que le type de menace soit compatibleavec la technologie d’assurance, à savoir qu’il soit un risque calcu-lable, collectif (renvoyant à une population) et capitalisable, c’est-à-dire quantifiable en argent.

Dans les sciences sociales, le concept de risque se décline àtravers diverses approches théoriques. Un point de départ peutêtre la distinction classique que fait Frank Knight (1921) entrerisque et incertitude : le risque renvoie à une forme d’indétermi-nation calculable, l’incertitude à une forme d’indéterminationincalculable. Si, dans les sciences économiques, la distinction deKnight s’est « cristallisée en une sorte de dogme » (Luhmann,1991), d’autres disciplines comme l’ingénierie, la statistique, lesmathématiques, la psychologie, l’épidémiologie définissent lerisque à l’intérieur de modèles de calculs de probabilité précis, deparamètres de gravité des effets possibles, d’estimations, demesures et de modèles prédictifs (Lupton, 1999). Cependant,selon Reddy (1996), la distinction faite par Knight entre risque etincertitude est potentiellement radicale puisque Knight postulel’existence d’un « surplus d’instabilité » (volatility) qui, par sanature même, ne peut être ramené à aucune forme de contrôlerationnel. Reddy considère que l’existence de cette volatility désta-bilise les revendications de connaissance des experts, lesquels« anticipent, règlent et contrôlent le futur », transformant cedernier en un « champ politique ouvert ».

Dans Risk : A Sociological Theory, Luhmann propose deconceptualiser le risque en l’appréhendant à travers la distinction

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 294

Risque 295

entre risque et danger plutôt qu’à travers la distinction entre risqueet sécurité. Cette dernière distinction peut être située à l’intérieurdu modèle de la calculabilité : toutes les décisions, « en principe »,peuvent être calculées « du point de vue de leur risque ». Ladistinction entre risque et sécurité, selon Luhmann, a eu le mérited’universaliser la conscience du risque : « Ce n’est alors pas unhasard si, à partir du XVIIe siècle, les thématiques de la sécuritéinteragissent avec celles du risque » (Luhmann, 1991) ; mais dansle monde contemporain, cette distinction ne semble pas la plusidoine pour expliquer le degré d’envahissement du concept derisque. La distinction entre risque et sécurité présuppose que l’onpuisse choisir entre des alternatives risquées et des alternativessûres, mais il s’agit d’une alternative « illusoire », car « si l’onprend des risques en considération, chaque variante du répertoiredécisionnel (c’est-à-dire toutes les alternatives) est risquée, neserait-ce qu’à cause du risque de ne pas percevoir des opportunitésreconnaissables qui se montreront probablement avantageuses »(ibid.). En revanche, la distinction entre risque et danger part de laprémisse de l’incertitude par rapport à des dommages futurs : lerisque est la conséquence d’une décision, le danger est l’expositionaux « facteurs externes » (le milieu). Le risque implique une déci-sion, tandis qu’« on est exposé » aux dangers. Cette distinction vade pair avec la distinction entre « décideurs » et « impliqués » : un« décideur » court des risques qui deviennent des dangers pourceux qui sont impliqués dans la décision. De plus, en reconsidérantles deux distinctions (risque et sécurité, risque et danger), Luhmannaffirme : « Pour les deux distinctions, on peut considérer égalementqu’il n’existe aucun comportement qui soit exempt de risques. Pourla première forme, cela signifie qu’il n’y a aucune sécurité absolue.Pour l’autre, cela signifie que si l’on prend des décisions, on ne peutpas éviter les risques » (ibid.).

Luhmann soutient que bien que la calculabilité puisseproduire des résultats sans équivoque et aider la décision, cela nese traduit pas par une possibilité d’éviter les risques liés à une déci-sion et « dans le monde moderne, naturellement, même une non-décision est une décision » (ibid.). En ce sens, la recherche et laconnaissance ne représentent pas des moyens pour augmenter lasécurité ; au contraire, l’expérience démontre qu’une plus grande

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 295

Lexique de biopolitique296

connaissance augmente la conscience de ce qu’on ne connaît paset donc du risque. Les modèles de calcul quantitatif du risque sont,selon Luhmann, tournés vers une « attente subjective d’utilité »qui ne tient pas compte de ce qu’il appelle le seuil de catastrophe.Accepter la calculabilité du risque est possible tant que ce seuiln’est pas dépassé, c’est-à-dire tant qu’un dommage n’est pasperçu comme une catastrophe. Cependant, Luhmann soutientqu’une distinction supplémentaire doit être fixée selon qu’on estdécideur ou impliqué : cela place le seuil de catastrophe demanière plutôt différente pour les deux groupes, rendant difficilesles possibilités d’un accord consensuel sur la valeur à attribuer aucalcul des risques (ibid.).

L’étude du risque est également l’objet de l’approche symbo-lico-culturelle dont la référence fondamentale est le travail de l’an-thropologue Mary Douglas (1985 ; 1992). Selon l’auteure, ladéfinition, la sélection et l’acceptabilité sociale des risques sontdifférentes selon les cultures et, au sein d’une même culture, ellespeuvent varier dans les différents groupes. Ces mécanismes consti-tuent une ressource politique pour l’attribution de fautes et deresponsabilités, surtout de la part des groupes qui se sententmenacés par les dangers (Douglas, 1992). D’après cette anthropo-logue, l’accent mis par la société contemporaine sur le concept derisque est en partie lié à la formation d’une « société globale » quiincorpore les communautés locales dans des systèmes de relationsplus vastes et, dans le même temps, crée une plus grande vulné-rabilité, qui impose d’autres systèmes de protection. Dans ce sens,selon Mary Douglas, le concept de risque, par son langage univer-sel, abstrait, synthétique et scientifique, pourrait être considérécomme une création ad hoc : « Ses emplois judiciaires, surtout, enfont l’instrument adapté à la construction d’une culture apte àintégrer une société industrielle moderne » (Douglas, 1992).

Un autre courant d’études fait référence au concept degouvernementalité de Michel Foucault. Il s’agit d’un conceptcomposite dont l’un des traits fondamentaux renvoie à l’ensembledes technologies de gouvernement de la population et de l’indi-vidu qui s’affirment à partir de la fin du XVIe siècle (Foucault,2004a ; Gordon, 1991). Dans ses recherches, Foucault n’a jamaisexplicitement thématisé la question du risque, mais récemment,

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 296

Risque 297

un groupe de chercheurs qui se réclame de sa pensée (Burchell,Gordon et Miller, 1991) a inauguré les Governamentality Studies etdéveloppé le thème du risque en rapport avec le concept degouvernementalité. Parmi eux, Robert Castel (1991) a souligné lepassage de l’utilisation du concept de « dangerosité » à l’utilisa-tion du concept de « risque », le premier dénotant une potentia-lité pouvant ou non s’exprimer, le second étant le résultat de laprésence de certains « facteurs de risque » qui peuvent êtrecontrôlés et calculés. Le passage de la dangerosité au risqueimplique de nouvelles formes de contrôle et de surveillance, etamorce le nouveau cours de la « gestion préventive et administra-tive de la population à risque » (Rabinow, 2001).

La société contemporaine semble être obsédée par l’idée durisque même si dans le langage quotidien, le terme est utilisé avecune acception plutôt générale, comme synonyme de danger,dommage ou menace. Selon Deborah Lupton, « l’obsessioncontemporaine pour le concept de risque plonge ses racines dansles changements liés à la transformation de la société qui est passéede prémoderne à moderne, puis à postmoderne » (Lupton, 1999).

Le Risikogesellschaft d’Ulrich Beck, publié en 1986, inaugureune nouvelle phase de réflexion dont le but est de rendre comptedes changements intervenus dans le passage de la première à laseconde modernité. Selon Beck (1986, 1999), les risques et lesdangers du monde contemporain se distinguent de ceux dumonde moderne par leur nature globale et parce qu’ils sont lerésultat du même processus de modernisation. Le passage à lasociété de la seconde modernité est marqué par le passage d’unesociété dans laquelle prédomine le problème de la distribution dela richesse à une société dans laquelle prédomine le problème dela distribution des risques. Ce qu’on appelle les « sociétés de lapénurie » sont caractérisées par la lutte des classes provoquée parla distribution de la richesse, tandis que dans la société du risque,se superposent à ces luttes les nouvelles inégalités provoquées parla distribution des risques. Les risques sont des risques inhérent ausavoir, ce sont des risques produits par la connaissance scientifiqueet par la technique. À partir de là Beck argumente le fait querisque et perception du risque peuvent parfaitement se superpo-ser : « Est-ce que les risques se sont accrus ou est-ce le regard que

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 297

Lexique de biopolitique298

nous portons sur eux qui fait préciser, la question reste ouverte.Ces deux visages coïncident, se déterminent et se renforcentmutuellement ; ils constituent, parce que les risques ne sontrisques que dans le domaine du savoir, non pas deux mais uneseule et même chose » (ibid.).

Si, au premier stade de la modernité, les risques et la percep-tion des risques sont des « conséquences non voulues » de lalogique de contrôle de la modernité elle-même, cette mêmelogique, dans la seconde phase de la modernité, échoue dans sonobjectif puisque la capacité de calcul et de contrôle de la part desexperts s’avère être une modalité d’amplification des dangers etdes incertitudes. Partant, la société du risque peut devenir unesociété autocritique, elle peut thématiser comme problématique lamodernisation elle-même, devenant de cette manière réflexive. Leconcept de modernisation réflexive (Beck, Giddens, et Lash 1994et 1996) devient complémentaire de celui de la société du risque.

Le concept de réflexivité est central dans l’œuvre d’AnthonyGiddens, bien qu’il ait un sens différent, de type plus cognitif, decelui que Beck propose. Selon Giddens (1990), la réflexivité de lamodernité permet à tous les acteurs sociaux, individuels et institu-tionnels, de revoir constamment et de modifier le cours desactions, les pratiques sociales établies, à la lueur des nouvellesconnaissances qui deviennent progressivement disponibles. Lemonde contemporain est entièrement structuré selon ce méca-nisme réflexif : aucune forme de savoir ne peut en être exclue.Selon Giddens, « aucune connaissance, dans le contexte de lamodernité, n’est la connaissance au sens “ancien” du terme, danslequel le fait de “savoir” doit être certain » (ibid.).

Le « profil de risque de la modernité » se compose de risquesde plus en plus globaux qui sont le résultat de la nature socialisée(du milieu créé par l’intervention de l’homme), dont la quantité etl’intensité mettent en évidence les limites du « savoir expert ». Cedernier ne pourra jamais exercer une forme de contrôle totale surles effets causés par ses principes eux-mêmes. Giddens introduit,de cette façon, le rôle de la confiance comme mécanisme fonda-mental dans le fonctionnement des institutions modernes. Laréflexivité du savoir rend le futur de plus en plus ouvert et cela estpossible sur la base de la confiance attribuée au savoir expert qui

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 298

Risque 299

engendre un sentiment de sécurité, mais pas seulement. SelonGiddens, « c’est une affaire de calcul du profit-risque dans descirconstances où le savoir expert ne se contente pas d’assurer cecalcul mais crée (ou reproduit) véritablement l’univers d’événe-ments, ceci étant le résultat de la mise en œuvre réflexive continuede ce savoir même » (ibid.). Partant, le rapport entre confiance etsavoir expert, entre confiance et compétence, devient de plus enplus problématique et chargé d’ambivalences. Dans ce sens,Giddens réélabore certaines dictinctions, en reprenant certainsthèmes de Luhmann, lequel avait souligné le rôle de la confiancecomme dispositif pour réduire la complexité indéterminée dufutur, dont le manque peut miner les bases de l’action dans desconditions de risque et d’incertitude (Luhmann, 1968 et 2001 ;Luhmann, 1988).

Sécurité et danger, confiance et risque : Giddens propose dedéfinir la sécurité comme une condition dans laquelle la présencedes dangers est « neutralisée » ou « minimisée ». S’il existe unerelation entre risque et danger, elle ne réside pas dans l’attributiond’une décision mais dans le fait que le risque présuppose l’exis-tence d’un danger (plus ou moins conscient). Le danger est « unfacteur qui menace les résultats voulus », quiconque décide d’as-sumer un risque « défie le danger ». Risque et confiance « s’inter-pénètrent », affirme Giddens, là où le problème de la confiance sepose dans des conditions de manque d’informations complètes,elle « sert à réduire ou minimiser les dangers » (Giddens, 1990).

Selon Giddens, le risque dans la seconde modernité ne parti-cipe plus du calcul pour contrôler le futur, comme c’était possibledans la première partie de la modernité : « À partir du moment oùla nature est envahie, voire – pourrait-on dire – vidée par la socia-lisation humaine et que la tradition est dissoute, c’est alors qu’onassiste à l’apparition de nouvelles sortes d’incalculabilités » (Beck,Giddens, Lash, 1994 et 1996). Giddens utilise comme exemple laquestion du réchauffement de la planète : il s’agit d’une hypo-thèse partagée par certains scientifiques et contestée par d’autres.Cela aboutit seulement à une « conclusion au conditionnel » et àl’impossibilité de calculer le risque avec exactitude. Selon Giddens,il reste une possibilité : « La description d’une série de scénariosdont la plausibilité sera influencée, entre autres choses, par le

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 299

Lexique de biopolitique300

nombre de personnes qui se convaincront que la températureglobale augmente et qui se comporteront en conséquence. Dansle monde social, où la réflexivité institutionnelle est devenue unélément central, la complexité des scénarios est encore plusmarquée » (ibid.).

Parler de scénarios signifie, en quelque sorte, libérer les déci-deurs du lien que le régime de la calculabilité leur imposait, maiscela amplifie le potentiel de risque de chaque décision puisque celales contraint à décider quelle autorité est la plus fiable et quelleforme de savoir est plus crédible qu’une autre. Dans ce sens, lesformes de dépendance de la connaissance (et des savoirs) devien-nent, outre que plus réflexives, également plus sournoises : ellesne dépendent plus de calculs rationnels, statistiques, mathéma-tiques, mais de formes de savoir diversifiées, où les régimes devérité semblent acquérir à leur tour d’autres aspects imprévisibles.Dans ce contexte transformé, même les stratégies rhétoriques dela technoscience semblent devenir décisives, à travers les acteursqu’elle arrive à mobiliser pour supporter sa propre position, àtravers la capacité de convaincre le public et de créer des véritésautour de ses propres hypothèses (Latour, 1987).

Les nouveaux scénarios de risque de la seconde modernité (lesconséquences du génie génétique et le problème de l’environne-ment par exemple) semblent désormais projetés dans la dimensionde l’« incalculabilité radicale ». Malgré cela s’insinue en eux le« danger de la sécurité », c’est-à-dire la possibilité de concevoir lesnouveaux scénarios de risque en termes de calculabilité. Ce dernierconcept s’avère désormais inadéquat pour saisir la dimensionenvahissante du risque et les nouveaux et multiples statuts de laconnaissance.

Renata Brandimarte

Voir : Milieu, Biopolitique, Biotechnologies, Dégénérescence, Gouverne-mentalité, Santé publique, Sécurité.

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 300

SANTÉ PUBLIQUE

« Dans une société totalement saine, la folie est la seuleliberté », lit-on dans les romans de J.G. Ballard, Sauvagerie etSuper-Cannes (1988 ; 2000). Assertion sombre et à première vueénigmatique mais que l’on pourrait lire comme une synthèsefulgurante du rapport entre les politiques de santé et les pratiquesde liberté dans l’histoire moderne. L’histoire de la santé publiqueest traversée par une opposition entre une tendance totalisante etune tendance individualisante. Il y a, d’un côté, une tendance tota-lisante, l’idée d’un contrôle parfait de la société visant au dévelop-pement maximal de ses potentialités vitales (Foucault, 1977a). Lamédecine sociale est apparue dès le départ comme un dispositifprodigue d’interventions autoritaires : quarantaines, cordons sani-taires pour protéger les populations privilégiées, politiques d’assis-tance publique ayant pour objectif le contrôle et la normalisationdes classes défavorisées. Son institutionnalisation se fait parallèle-ment à l’émergence de nouvelles formes de résistance populaire.À ce propos, il est significatif que les luttes des groupes dissidentsprotestant contre l’ingérence de l’État en matière religieuse aientensuite pris la forme d’« insurrections antimédicales » et se soientfocalisées sur des questions concernant la vie et la mort, le droit detomber malade et éventuellement de se soigner suivant sa proprevolonté (Foucault, 1977a). S’il est vrai que le projet politique d’unemédicalisation de la santé incarne une sorte de « religion sécu-laire » du monde moderne (La Berge, 1992), on ne devrait pass’étonner si les luttes antipastorales du Moyen Âge, en se sécula-risant à leur tour, ont laissé la place à des formes de lutte politiquecontre les excès de la gouvernementalité médicale (Foucault,2004a). L’histoire de la santé publique ne peut donc pas être sépa-rée de celle des mouvements anti-hygiénistes, lesquels ont noué

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 301

Lexique de biopolitique302

avec le libéralisme des rapports complexes et variés selon lescontextes nationaux et régionaux (Ramsey, 2001).

Même la centralité du libéralisme ne devrait pas étonner,malgré ou peut-être à cause des paradoxes qui l’ont caractériséeaussi bien dans la promotion que dans le refus de la santé publiqueet de la gouvernementalisation de la médecine. En effet, ce n’estpas la France mais l’Angleterre, pays de l’État faible et de la libertéindividuelle, qui a décrété l’obligation du vaccin en 1853, qui alégalisé, avec les poor laws, les dispositifs médico-hygiénistes, quia parachevé enfin la législation sanitaire grâce à l’institution deHealth Offices – services publics chargés de faire appliquer lesrèglements de salubrité et de surveiller l’état de santé de la popu-lation – centralisés par la suite dans un Central Board of Health(Foucault, 1977c ; Ramsey, 2001 ; Berlivet, 2001). D’une manièreplus générale, il est assez évident qu’aujourd’hui, un secteurimportant de la critique contre la santé publique est de marqueanglo-saxonne. Il s’agit d’un vaste univers qui embrasse des posi-tions très hétérogènes. Dans son livre, La guerre des nazis contrele cancer (1999), l’Américain Robert N. Proctor, historien de lascience, analyse avec une précision documentaire la découvertepar des chercheurs allemands des effets cancérigènes du taba-gisme, actif et passif, et le rôle que ces chercheurs ont joué dansla promotion de la croisade antitabac du IIIe Reich, laquelle s’ins-crivait dans le contexte plus vaste des mesures hygiénistes etécologiques du nazisme, complément prosaïque de ses mons-trueuses politiques eugéniques. Malgré la prudence de Proctor,son œuvre apporte de l’eau au moulin de ceux qui contestent radi-calement les mesures de santé publique. Jacob Sullum, représen-tant des libertarians rassemblés autour de la Reason Foundation, apublié un livre à succès, intitulé For Your Own Good : The Anti-Smoking Crusade and the Tyranny of Public Health (1998), danslequel il soutient qu’un gouvernement doté des pleins pouvoirspour maximaliser la santé des citoyens est un gouvernement« totalitaire » (Ramsey, 2001).

La rébellion contre les effets totalitaires des politiques desanté publique a donc une longue histoire, dans laquelle lespratiques de résistance contre la gestion médico-politique deshommes se sont exprimées pour des raisons et sous des formes

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 302

Santé publique 303

différentes. Il n’est certes pas nécessaire d’embrasser les positionsdes libertaires nord-américains pour se rendre compte de la façondont la médecine est allée bien au-delà des limites qui auraient dûdéfinir son intervention : les maladies et les demandes de soin desmalades. L’extension de son rayon d’action, de plus en plus exor-bitante par rapport à une fonction purement thérapeutique,reconfigure l’horizon de la souveraineté dans le passage d’unesociété de la loi, théologique et politique, à une société de lanormalisation (Foucault, 1976c, 2004a). Cependant, ce serait faireune lecture partielle que de considérer les politiques de santépublique d’aujourd’hui comme le point d’arrivée d’une incursionautoritaire de la médecine, fidèle instrument d’un État qui entendpousser la colonisation du social au-delà du seuil des comporte-ments individuels et des styles de vie. L’expansion sociale de lasanté publique pourrait en revanche être interprétée aussi commel’effet d’une explosion de la gouvernementalité médicale : passeulement, donc, une médicalisation du social et de l’individuel,mais aussi une socialisation et une individualisation de la méde-cine, laquelle, de cette manière, se dépasse elle-même et se trans-figure radicalement. Le « gouvernement des corps » déborde ducadre de la santé et de la profession médicale et ne saurait y êtreenfermé (Fassin, Memmi 2004b). Les politiques de santé publiquefont désormais partie d’une nébuleuse qui, en en dissolvant lescontours familiers, en embrasse les fragments muables et épars.Stigmatiser le dispositif de la médecine d’État ou le « fascisme dela santé » représente la critique la plus datée contre les politiquesde santé publique et aussi la plus insidieuse, justement parcequ’elle provient du monde libéral.

Le libéralisme est en effet l’art de gouvernement qui a su leplus efficacement réinterpréter sur un mode politique le pouvoirpastoral, dont la maxime est omnes et singulatim : le salut du trou-peau présuppose une attention à l’égard de chacune des brebis. Lepouvoir pastoral est une technique tournée vers les individus, quiest exercé sur la vie elle-même, c’est-à-dire sur les individus consi-dérés non pas comme des sujets juridiques mais comme des êtresvivants. Le libéralisme ne renonce pas du tout au projet de gouver-ner la totalité des individus mais au lieu de le livrer au pouvoircentralisateur et tendanciellement totalitaire de l’État, il le relie à

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 303

Lexique de biopolitique304

un projet de liberté individuelle, à une technologie éthique du soi,à une pratique de subjectivation (Foucault, 1981, 1988b, 2004a,2004b). Le stade optimal de l’art de gouvernement est que chacunse gouverne soi-même. Le libéralisme tend à réaliser cette condi-tion, du moment que c’est une technologie de l’autogouverne-ment, plus précisément de la gouvernementalisation de soi àtravers soi-même : s’administrer comme individu vivant à traversdes schémas de conduite massifiés et normalisés, dont la rationa-lité est à la fois biologique et économique. En tant que l’une desprincipales transfigurations du pouvoir pastoral dans le contextepolitique moderne (Pascual, 2005), de même que l’un des princi-paux vecteurs du passage de la société de loi aux sociétés denormalisation, la médecine, le management médico-politique deshommes, est fortement impliquée dans ce processus. Mais au lieude n’en considérer que l’autoritarisme et les dérives totali-taires – qui continuent à exister, à côté des différentes formes d’ex-clusion et de sanction – il faut aujourd’hui surtout s’attarder sur lesaspects individualisants et sur les pratiques de subjectivation qui letraversent. La santé est l’un des domaines et des schémas géné-raux de conduite du management de soi-même.

La tendance individualisante est donc le second aspect fonda-mental de la santé publique, dont l’histoire est marquée par latension paradoxale qui caractérise la technologie politique desindividus et peut être contenue en définitive entre la naissance dela « biopolice » et l’apparition de la « biolégitimité ». À partir duXVIIIe siècle, les médecins se professionnalisent dans le cadre d’unepolitique sanitaire qui se forme au point de convergence entre unenouvelle économie de l’assistance et une gestion globale du corpssocial. Cette dernière, théorisée dans les termes d’une « science depolice », est une technologie qui prend soin de la « matérialité »de la population, en tenant compte de ses phénomènes biolo-giques, et qui trouve une application concrète dans les politiquesdu Caméralisme et du Mercantilisme. Comme le pouvoir pastoral,la police veille sur le vivant, elle est une intervention rationnellevisant à extraire un surcroît de vie des individus et, de ce fait, àaccroître la force globale de l’État. Dans ce cadre, la médecinecommence à fonctionner comme prévention et hygiène publique :elle intervient autoritairement au niveau de l’alimentation, du

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 304

Santé publique 305

milieu de vie, de la pédagogie familiale, elle réalise, pour le comptede l’administration, des enquêtes pour déterminer les variablescaractéristiques d’une population. De cette façon, elle s’enracinedans les principales instances de gouvernement et devient unengrenage fondamental du système administratif dont l’objectifest le bien-être et la santé de la population.

La médecine d’État se développe en Allemagne, au début duXVIIIe siècle, s’enracinant sur le terrain de la Staatwissenschaft, lastatistique comme connaissance de la force des différents États, etde la Polizeiwissenschaft, théorisée par J.H.G. von Justi en 1756 ;tandis qu’en France et en Angleterre, la médecine sociale se déve-loppe respectivement comme médecine urbaine et comme méde-cine de la force de travail. L’imposant traité, en 6 volumes et3 suppléments, de J.P. Frank : Système d’une police médicalecomplète (1779-1819) peut être considéré comme la premièretentative de fournir à l’État moderne un programme systématiquede santé publique (Foucault, 1976b, 1977c, 1981, 1988b, 2004a).Partant de l’hypothèse d’une santé naturelle détruite par le proces-sus de socialisation du genre humain, Frank confie le projet derétablir les lois de la nature au fusionnement de la médecine et dela politique par le biais de l’institution d’une police médicale. Dumoment que la science ne possède pas les instruments politiquespour défendre la société de ses propres vices, il est nécessaire queles lois de l’État, informées par les préceptes de la médecine, pour-voient par la force à la défense de la santé naturelle et à l’amélio-ration de l’espèce humaine (Hick, 2001).

Encouragé par la peur des épidémies, après la terrible diffu-sion du choléra en 1830-1832, l’hygiénisme, qui fut un mouve-ment international, se développa au point de convergence entrel’invention d’une technologie d’intervention sur les populations etla poussée réformatrice induite par le paupérisme, effet desprocessus d’urbanisation et d’industrialisation (Bourdelais, 2001b ;Rasmusen 2001 ; Nonnis-Vigilante, 2001 ; Fassin, 2001). EnFrance, c’est en perfectionnant le schéma de la quarantaine que lamédecine urbaine s’était spécialisée dans l’étude des lieuxmalsains, dans le contrôle de la circulation de l’air et de l’eau, dansl’organisation des éléments nécessaires à la vie collective commeles sources d’eau potable – dont la distribution était considérée

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 305

Lexique de biopolitique306

comme l’une des principales causes d’épidémies – et les égouts.L’objet de cette police médicale urbaine était le milieu de vie despersonnes, plus que les personnes elles-mêmes : avec l’apparitiondu concept de « salubrité » – base matérielle et sociale capabled’assurer l’état de santé optimal de la population – l’hygiènepublique devient un dispositif de contrôle politico-scientifique dece milieu. Mais c’est en Angleterre que la démographie et la statis-tique mathématique trouvèrent un terrain propice pour être appli-quées à une technologie de gestion de la santé publique,parallèlement à la progression de programmes de réforme socialequi avaient pour objectif l’assistance et le contrôle des populationspauvres et ouvrières (Foucault, 1977c).

En ce qui concerne les rapports entre hygiène publique etréformes sociales, il faut rappeler l’œuvre de E. G. Toulouse, cepsychiatre marseillais qui, s’inspirant de l’exemple américain de lalutte contre la tuberculose, promut en France la prophylaxie mentaleet donna vie à la première expérience de l’hôpital ouvert et de lapsychiatrie territoriale. Son personnage est révélateur de la crise del’aliénisme du XIXe siècle en tant que dispositif thérapeutico-discipli-naire, et de l’affirmation sur le plan institutionnel aussi d’unepsychiatrie des populations, c’est-à-dire d’un dispositif biosécuritairede prophylaxie et d’hygiène publique. Journaliste, fondateur de laLigue française d’hygiène mentale, conseiller technique d’unesuccession de gouvernements de gauche, Toulouse cultiva son enga-gement social sous le signe d’une « science du gouvernement despeuples et de la conduite individuelle » dénommée biocratie(Huteau, 2002 ; Wojciechowski, 1997 ; Castel, 1981).

Pour revenir à l’épidémiologie, même si l’expérience britan-nique en étendit le champ d’étude des maladies épidémiquesjusqu’aux maladies endémiques (variole, typhus, tuberculose), elleresta substantiellement liée à une étiologie « environnementaliste »et, à la fin du XIXe siècle, elle fut remise en question par le succèsde la microbiologie, qui voyait dans la contagion bactérienne lavraie cause des maladies infectieuses. L’épidémiologie connut unepériode d’effacement pour renaître ensuite, après la SecondeGuerre mondiale, comme analyse mathématique des étiologiescomplexes. Dans le contexte de la « transition épidémiologique »– relativisation des maladies infectieuses attribuable en partie à

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 306

Santé publique 307

l’amélioration des conditions de vie et à l’apparition des antibio-tiques –, ce qu’on appelle l’« épidémiologie moderne » s’estimposé dans l’espace de la santé publique comme analyse despathologies non infectieuses et non transmissibles mais de typechronico-dégénératif, comme le cancer et les maladies cardiovas-culaires. La nouvelle épidémiologie produit une représentationprobabiliste de la maladie s’articulant autour de la catégorie derisque sanitaire et permet de focaliser l’attention sur les « styles devie » considérés comme particulièrement « risqués » pour la santé :tabagisme, excès d’alcool, régime alimentaire caractérisé par uneforte consommation de gras d’origine animale, etc. (Berlivet, 2001 ;Gaudillière, 2001). La renaissance de l’hygiénisme au XXe siècle,plutôt que produit de la peur de nouvelles maladies infectieusesqui, du reste, sont constamment signalées pour évoquer le scéna-rio d’une « crise épidémiologique » (Virus Ebola, sida, encéphalitespongiforme, hépatite, jusqu’au SRAS et à la grippe aviaire), peutêtre interprétée comme la reconfiguration du rapport entre la santépublique et la question sociale : convergence entre une nouvellestatistique sociale – l’épidémiologie du risque sanitaire – et unenouvelle conscience des inégalités sociales produites par l’augmen-tation de la précarité et par le démantèlement du welfare (Fassin,2001 ; Castel, 1995). Après le choléra et la tuberculose, le para-digme de la nouvelle santé publique est la réduction des risquesdans le domaine de la toxicomanie (Fassin, 2001).

En conclusion, on peut relever qu’aujourd’hui, la santépublique, technologie scientifico-politique en tension perpétuelleentre une mécanique totalisante et une mécanique individuali-sante, est caractérisée par un mouvement qui la redéfinit profon-dément et que l’on peut exprimer dans ces termes : plus elledevient une pratique de gestion de soi-même et une technologiede subjectivation, plus la dimension politique tend à coïncider avecla donnée biologique sur laquelle elle insiste. En d’autres termes,la « santé » publique se dissout dans la « santé » des individusvivants (Blais, 2005a, 2005b). L’exemple des nouvelles campagnesde prévention contre les effets nocifs du tabac et de l’alcoolmontre assez clairement le passage d’une éducation sanitaire àune éducation à la santé : il ne s’agit pas d’inspirer la peur de lamaladie en utilisant les instruments de la coercition paternaliste ou

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 307

Lexique de biopolitique308

du victim blaming, mais de stimuler une subjectivation fondée surune image positive de la santé, de motiver les individus à devenirles managers d’eux-mêmes en adoptant un style de vie qui fassel’économie des comportements à risque. D’où le rôle des analysessur les « motivations humaines » et l’importance croissante, àpartir du behaviorisme, des savoirs psychologiques et psychosocio-logiques dans la définition des nouvelles campagnes éducatives desanté publique (Berlivet, 2004).

Tout cela détermine une série de contrecoups dont nousn’avons pas encore mesuré la portée. À la déresponsabilisationpolitique de l’État en matière d’assistance sanitaire, effet massifdes politiques néolibérales, correspond en effet une progressiveresponsabilisation éthique des individus dans la gestion de leurpatrimoine biologique et de leur santé (Lemke, 2006). D’autrepart, le développement de ces obligations biologiques individuellesest allé de pair avec l’attribution à l’État d’une bioresponsabilité,comme cela arrive, à partir de la seconde moitié du XIXe siècle, avecles plaintes portant sur l’insalubrité des logements à Paris (Bourde-lais, 2001b ; Kalff, 2001) et comme cela arrive, en général, aujour-d’hui avec les crises sanitaires, la diffusion du sang contaminé, lesintoxications alimentaires, au plomb, à l’amiante, etc. Facescontradictoires et complémentaires d’un nouveau « droit à lasanté ». Il semble en tout cas que les injustices sociales ne puissentêtre reconnues qu’à travers leur codification en termes biopoli-tiques. Songeons par exemple à l’épidémie de saturnisme infantilequi a éclaté en France dans les années 1980. Les conditions delogement des populations immigrées ne sont devenues unproblème qu’au moment où, avec la mort ou les complicationsneurobiologiques des enfants touchés, le problème lui-même s’esttrouvé brutalement transposé dans le langage de la santé. Grâceau rôle que joue la « médecine humanitaire » dans la sensibilisa-tion des autorités publiques et avec l’inscription des mesures sani-taires dans une législation sur l’exclusion, le saturnisme a enfin finipar entrer, en tant que problème de santé publique, dans le raison-nement politique et le droit. Même si – effet ou circonstance à nepas négliger – l’intervention de l’administration n’a pas affronté laquestion de l’habitat insalubre des immigrés se limitant à prodi-guer des conseils « hygiéniques » aux parents (Fassin, 2001).

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 308

Santé publique 309

L’autre aspect du « droit à la santé » que ce cas met enévidence est que, pour obtenir ou faire valoir certains droits, il fautcesser de se présenter comme des sujets politiques et s’offrir aucontraire comme des corps souffrants, chair, vie nue ou semblantsde vie, et entrer ainsi dans un réseau serré d’obligations disquali-fiantes, dans un système de « mise sous tutelle » radicale. C’est cequi se passe, plus généralement, par rapport au « droit à la vie »dont on a longuement disserté en Italie à l’occasion du référen-dum sur la procréation médicalement assistée. Certains soutien-nent la nécessité de reconnaître ce droit à l’embryon, mais onoublie de considérer qu’aujourd’hui il faut ressembler le pluspossible à des embryons pour avoir accès aux droits. Certainesétudes menées à la fin des années 1990 sur des populations indi-gentes et immigrées de la Seine-Saint-Denis montrent d’un côtécomment le corps est utilisé politiquement pour obtenir des droitsautrement inaccessibles ; de l’autre, elles montrent comment cettebiolégitimité – fondée sur le droit « supérieur » à la vie et à lasanté – finit inévitablement par dépolitiser les individus, produisantdes schémas de conduite et des pratiques de subjectivation forte-ment réduits à la donnée médico-biologique et, de ce fait, dégra-dés. Les supplications des chômeurs et des précaires adressées à laDirection des Affaires sanitaires et sociales, tout comme lesdemandes de permis de séjour présentées au préfet se basent surl’exposition du corps souffrant à travers un « récit de soi » quiexploite toute la rhétorique du malheur : besoins vitaux, compas-sion, mérite, tandis que la justice n’est que rarement mentionnée.Sur la base d’une loi française de 1997, la nécessité de soins médi-caux urgents, répertoriée sous le titre « raisons humanitaires »,permet de déroger à l’ordre d’expulsion des immigrés irréguliers etdonne droit non seulement à un permis de séjour mais aussi à untravail (Fassin, 2004).

Le corps fait loi, mais dans la mesure seulement où sa médi-calisation tend à le maintenir en deça du seuil d’une possible quali-fication politique et juridique : « Souffre, végète et tu auras desdroits ». Dans ce cas également, ce qui importe, ce n’est pas tantce qui est dit pour obtenir des droits ni que l’embryonisation del’existence soit ou pas efficace pour les obtenir. L’aspect qu’il fautsouligner, c’est que ce processus fonctionne comme un schéma de

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 309

Lexique de biopolitique310

conduite et une technologie de soi : dans une société totalementsaine, être des corps malades est la seule liberté qui soit restée.Mais peut-être sommes-nous tous impliqués dans ce processus desécession individualiste, qui n’offre à la liberté que le destin d’unpurgatoire biologique.

Pierangelo Di Vittorio

Voir : Biopolitique, Biotechnologies, Capital humain, Dégénérescence,Empowerment, Eugénisme, Gouvernementalité, Guerre, Médicali-sation, Normalisation, Police, Population, Pouvoir pastoral, Psychia-trie, Résistance (pratiques de), Risque, Sécession, Sécurité,Sociobiologie, Téléréalité, Terrorisme, Travail/non-travail.

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 310

SÉCESSION

Le concept de sécession s’apparente à celui, plus répandudans les sciences politico-sociales, qui fait référence à la menaced’effritement des États au bénéfice de circonscriptions territorialesintra et transétatiques, dont l’autonomie est revendiquée par desmouvements ethnonationalistes producteurs de rhétoriques seréclamant de traditions identitaires (De Fiores et coll., 1996 ; Petro-sino, 1997). Cependant, il est évoqué ici en rapport avec unprocessus plus spécifique, apparu à un stade virale à l’époque dela globalisation d’après la chute du mur : la réclusion volontaire àl’intérieur de micrototalités biopolitiques artificielles et potentielle-ment autosuffisantes, sortes de bunkers communautaires, qui fontsécession – réellement, virtuellement ou tendanciellement – de latotalité sociopolitique dans laquelle ils résident, instituant une exis-tence orbitale, sans territoire. L’expérience de Biosphère II – unecoupole de verre dans le désert de l’Arizona, dans laquelle estmuséifiée à une échelle infinitésimale la vie de la planète et de seshabitants – en représente la perfection fantasmatique (Baudrillard,1992) qui s’est vue plus récemment redupliquée par l’avènementde la téléréalité.

Pour une généalogie de la sécession, il faut remonter, enpremière instance, à la crise des dispositifs universalistes d’unifica-tion politique, qui correspond à la chute des régimes du socialismeréel et, dans l’Occident libéral, à la déstructuration du modèlefordiste et du welfare state. Au niveau intellectuel, la situations’accompagne d’une euphorie suscitée par la disparition imagi-naire de toute forme de souveraineté politique, qui laisse le champlibre au triomphe planétaire du marché, c’est-à-dire à un systèmed’universalisation sans universalisme. En dépit de ce que soutien-nent Hardt et Negri (2000), la nouvelle situation détermine la

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 311

Lexique de biopolitique312

réémergence autoritaire de subjectivités présociales, d’altéritésradicales incoercibles à tout ordre biopolitique valable pour lagénéralité de l’espèce humaine (Zizek, 1999 ; Baudrillard, 2001).

Bien qu’étant de l’ordre du simulacre, ces altérités restent detoute façon injouables, à cause de l’absence d’une arène politiqueuniversaliste où mettre en scène la confrontation/conflit. C’estdans ces conditions que prend le dessus le dispositif de sécession.Sa finalité implicite est de retourner le silence et l’absence devisage du marché-système, ainsi que la violence de l’immédiatetéde l’Autre, débridée par l’impossibilité du Politique. Les produitsspontanés de l’effervescence de la nature et de l’interdépendanced’individus formellement libres sont tout d’abord redomestiquéssous anesthésie en faux-semblants auxquels on va ensuite redon-ner sens grâce à l’élection d’un code syncrétique.

Le dispositif de sécession comporte un large éventail depratiques, instituées dans les domaines sociaux les plus disparates,souvent incompatibles en apparence. Cependant, il est possible dereconnaître un schéma opérationnel commun, dont le prototypehabite les « temples de la consommation » (Ritzer, 1999). Lapremière hypothèse est l’enceinte : il s’agit de mondes introvertis,à fermeture étanche, dans lesquels est imaginairement interdite laperméabilité de la frontière, l’osmose avec le « monde » extérieur.

Dans les centres commerciaux sont reprojetés les lieux de lasocialité ordinaire – rues, places, espaces publics – expurgés toute-fois du négatif. La variété des saisons, par exemple, est synthétiséedans la climatisation perpétuelle à température constante(Baudrillard, 1970 ; Romano, 2005b). À Dysneyland, le dispositifatteint des sommets avec la production d’une nouvelle subjectivitéhybride, tout aussi éloignée de la discipline rationelle-fonctionnelletypique de l’individu moderne que de l’injonction à laisser librecours aux pulsions libidinales et agressives. Le parc institue desparcours programmés pour l’articulation de simulacres de pulsionsà inoculer ex post aux visiteurs de service : la communauté-machine s’insinue dans les corps à travers l’occupation sans restesde tous les récepteurs sensoriels (odorat, ouïe, toucher, vue, goût).Sur cette voie, le guest agit « comme si » il était en harmonieparfaite avec ses propres résidus pulsionnels, dans un climat depacification (qui, miraculeusement, ne demande pas d’exercices de

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 312

Sécession 313

modération) et de réconciliation avec la nature et avec le collectif(Romano, 2005a). Dans le « village touristique », le moteur dusentiment communautaire est en revanche assuré par l’équipe desanimateurs – une stratégie d’hétérodirection qui se retrouve àl’œuvre sous des déclinaisons différentes dans toutes les pratiquesde sécession : le mobile fondamental est la recherche d’uneambiance à laquelle s’abandonner, instituant un mouvement auto-matique garanti par l’homogénéité communautaire, débarras-sée de la complexité du réel, de la nécessité de la médiationpolitique, de l’intellectualisme autocontrôlant. Que l’on seconvoque entre pairs ou que l’on délègue à la machine l’œuvred’assimilation, l’important est que la menace de l’altérité soitannulée.

Dans le même contexte, la discothèque se pose comme unehétérotopie parallèle, qui subvertit et réunifie les séparations fonc-tionnelles en vigueur dans le monde diurne (Torti, 1997). Lesrituels de sélection des invités (le PR-appât, l’attente, le filtre, l’en-trée) constituent un premier procédé d’homogénéisation, qui vatrouver à s’accomplir dans les cycles immédiatement enchaînés dela transe (hyperstimulation des sens au moyen du flux musical in-interrompu, exposition érotique des corps dansants, stroboscopieet stupéfiants empathogènes) et de l’extase (sortie de soi, dissolu-tion de l’individu dans le corps communautaire) au nom de l’im-pératif du loose yourself (Thornton, 1997).

Bien que temporaires, les formes de sécession qui viennentd’être évoquées se réalisent avec une fréquence galopante. L’inva-sion en quantité annonce un changement de statut, conséquencede l’abandon progressif de la fonction purement récréative : ceslieux sont candidats pour encadrer la vie même, soit par rayonne-ment soit par perdurance. Pour ce qui est du cas Disney, nouspouvons citer l’aménagement urbain de l’aire de Times Square, àNew York (méthode par rayonnement), ainsi que la fondation dela ville-modèle de Celebration (méthode par perdurance), tardiveet partielle réalisation du grand rêve du père de Mickey, exposédans le projet Epcot (Experimental Prototype Community ofTomorrow). Le parc à thème Celebration devient une communautéréelle pour vingt mille reclus volontaires, obéissant à une disci-pline de fer (Codeluppi, 2000).

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 313

Lexique de biopolitique314

Le modèle est reproduit aujourd’hui sous une forme viraledans l’expérience des CID (Common-interest developments) : ils’agit de communautés résidentielles de grande taille, clôturées,dirigées par des gouvernements privés dont la souveraineté s’op-pose souvent à la régulation par l’État (Rifkin, 2000). Les hôtesachètent non simplement une unité d’habitation mais une formede vie, garantie par la sélection des copropriétaires sur la base deleur patrimoine, de leur situation sociale, de leur âge, de leurs inté-rêts, etc. La régie des CID (dont participent les vastes règlementsinternes, les conseils de propriétaires, les entreprises de construc-tion) met en scène la vie collective dans les moindres détails, défi-nissant non seulement les modalités d’utilisation des espacescommuns mais aussi celles des parts d’habitations privées (de la couleur des murs au style des jardins, jusqu’aux modalitésd’accueil des invités : les normes concernant les visiteurs externessont en effet celles qui font l’objet du plus grand soin).

Le CID est reproduit à une échelle plus vaste dans l’expériencedes new towns, véritables citadelles privées dans lesquelles leniveau des services offerts aux hôtes arrive à couvrir presquetoutes les exigences de vie (écoles, cabinets médicaux, bureaux,centres commerciaux, structures récréatives, etc.).

Le fin du fin de l’expérience de sécession réside dans lesbateaux de croisière permanente. En mai 2002, le très luxueuximmeuble transatlantique The World a pris le large : en plus del’achat en propriété d’un appartement à bord, les retraités en orqui l’ont choisi comme ultime résidence déboursent des « frais decopropriété » exorbitants étant donné les nombreux services trèscoûteux dont ils peuvent jouir. C’est le prix pour échapper défini-tivement à la barbarie de la terre ferme et s’abandonner dans unmilieu sous contrôle total, adhérant aux dictats panoptiquesbenthamiens.

Jusque-là, les expériences de sécession que nous avonsévoquées étaient transparentes, explicites et non politiques. Ilexiste toutefois un vaste éventail de pratiques dont la substancesécessionniste – avec une recherche simultanée d’hétéronomie –est mêlée à des valeurs humanistes d’autodétermination et dejustice sociale. L’« action politique » ne vise plus à déterminer deschangements dans les mécanismes systémiques mais à se retirer

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 314

Sécession 315

de l’arène où demeure la généralité pour se consacrer à la fabri-cation de mondes parallèles, projetés entre homogames sociaux.On peut retrouver des traces de cette trajectoire dans certainesexpériences menées par ce qu’on appelle le « troisième secteur »et par le « mouvement des mouvements » (Mance, 2000). Nousn’en citons que quelques-unes à titre d’exemples. Les DES

(Districts d’économie solidaire) représentent un cas paradigma-tique : de petites nébuleuses de producteurs et consommateurs,à l’intérieur d’un territoire circonscrit, s’adonnent à la recherchecommune d’une autosuffisance bioalimentaire, guidée par desprotocoles hygiénistes, naturistes, solidaristes. À l’origine du DES,il y a le GAS (Groupe d’achat solidaire), c’est-à-dire un consortiumde consommateurs qui catalyse la demande de biens déterminéset en commandite la satisfaction à des producteurs dotés, norma-lement, d’une certification biologique et organisés en coopéra-tive. GAS et DES s’articulent à l’intérieur d’un RES – Réseaud’économie solidaire – qui, obéissant à une logique systémiquede réseau, agglomère les différents foyers d’expérience sur leterritoire à l’intérieur de configurations solidaristes plus vastes(Saroldi, 2003). Pour supporter financièrement les nouveauxcircuits socio-économiques, interviennent souvent les MAG

(Mutuelles d’Autogestion), coopératives de crédit attentives àl’évaluation du contenu éthique et solidaire des projets d’entre-prise ou d’autres genres qui leur sont soumis (Prette, 2001).Souvent, les enclaves écosolidaires se dotent de leur propredevise, dite monnaie complémentaire, sociale ou locale (unphénomène dont la version non politique et prosaïque seretrouve, et ce n’est pas un hasard, dans les villages touristiques)et/ou une banque du temps, dans laquelle les participantss’échangent réciproquement des services comptabilisés en heure-homme, sans médiations monétaires (Coluccia, 2001 et 2002).Des déclinaisons différentes du même schéma sécessionniste sontapparues dans de nombreuses parties du monde. Pour n’en citerque quelques-unes : les LETS (Local exchange trading system) auRoyaume-Uni, les SEL (« système d’échange local ») en France, lesTauschring (« anneaux » ou « cercles d’échange ») en Allemagne,etc. Des expériences qui se répandent également dans le Sud dumonde (par exemple, les SEC au Sénégal et les RGT en Argentine)

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 315

Lexique de biopolitique316

où, toutefois, elles se configurent comme des réactions auxéchecs des politiques de développement.

L’approche autogestionnaire s’étend aussi aux pratiques d’ha-bitation. L’initiative américaine des CLT (Community land trusts),version alternative des CID susmentionnés, est dans ce sens signifi-cative : sa finalité est de soustraire le logement au jeu de l’offre etde la demande par le biais d’un mécanisme complexe qui recon-naît à la CLT la propriété du terrain et aux résidents celle de lamaison, en imposant de fortes contraintes à l’achat-vente, pourassurer des prix fixes en marge de ceux qui se pratiquent sur lelibre marché. Dans la même mouvance on trouve le projet italiendu Nuovo municipio, pensé comme une cellule originale qui sesoustrait à l’étranglement du global afin d’acquérir une souverai-neté autogestionnaire exclusive, s’inspirant expressément desstatuts communaux médiévaux (Magnaghi, 2004). Dans ce nouvelespace, les stratifications et le conflit social sont réarticulés enformes corporatives maintenues ensemble par l’organismecommunal.

Onofrio Romano

Voir : Camps, Durabilité, Écologisme, Gouvernementalité, Résistance(pratiques de), Psychiatrie, Santé publique, Sécurité, Téléréalité,Welfare.

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 316

SÉCURITÉ

Entre la fin du XXe siècle et l’aube du nouveau millénaire, leterme « sécurité » s’est chargé petit à petit de significationsdenses et fortement symboliques qui l’ont progressivement éloi-gné du domaine traditionnel de la protection sociale(sécurité=welfare) pour le faire radicalement passer dans la dimen-sion criminologico-privée de la protection des biens et de lapersonne (Castel, 2003). La sécurité, en effet, devenue désormaisun « paquet » à s’échanger, touche des domaines bien plus vastesque ceux de la simple policy. Ce qui est en jeu, ce ne sont passeulement les aspects organisationnels de l’appareil étatique (fonc-tions de police), mais la nature profonde de la politique en tantque politics.

La forme contemporaine de cet agencement de la politiques’est dessinée progressivement au cours de trente années caractéri-sées par une vaste accumulation de savoirs et de techniques degestion de l’urgence, période à l’intérieur de laquelle on peut distin-guer clairement au moins quatre phases : la crise du terrorisme« interne » dans les années 1970, la crise des « toxicomanies » dansles années 1980, la crise « migratoire » dans les années 1990 et lacrise du terrorisme « global » au début du nouveau siècle. Chacunede ces phases a naturellement puisé dans un réservoir spécifique eta mobilisé des imaginaires spécifiques : des théories du complotinternational, typiques de la guerre froide, aux théories épidémiolo-giques, en passant par les pratiques d’infériorisation de l’orienta-lisme portant la marque coloniale jusqu’à l’idéologie neo-con(« néoconservatrice ») du « conflit des civilisations ».

Du point de vue de la prévention et de la répression des délits,la torsion que subissent actuellement les institutions semble sansprécédent dans l’histoire des démocraties libérales. Et pourtant, les

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 317

Lexique de biopolitique318

mesures mises en place par les gouvernements occidentaux à lasuite des événements internationaux les plus récents n’ont pasmûri dans le vide : les cages extraterritoriales et extrajuridiction-nelles de Guantanamo, les Patriot Acts américains, les décrets anti-terrorisme anglais de l’après 11 septembre et le D.L. 374 de 2001en Italie, de même que la réglementation post-attentats deLondres, s’inscrivent dans une ligne de continuité forte avec lesorientations législatives poursuivies depuis longtemps, avec unegrande cohérence, par ces mêmes gouvernements en matière derégulation du conflit interne. La privation de la liberté personnelleen l’absence d’un délit spécifique, le glissement de l’imputabilitédu principe de « responsabilité pénale » (en cela « personnelle »et liée au fait) à celui de « dangerosité sociale » (fondée sur l’ap-partenance à une identité collective, en cela nécessairement indé-terminée), de même que la classification (indifféremmentalimentée, que ce soit dans les masses-médias ou dans les lieuxparlementaires) de phénomènes typiques de la catégorie « sécuritépublique » (microcriminalité, etc.) sous le nom d’« ordre public »ou l’« administrativisation » des procédures de décision (la respon-sabilité d’actions pouvant impliquer des mesures de restriction dela liberté personnelle étant transférée aux préfets, aux commis-saires de police, aux juges administratifs, etc.), avaient déjà reçu unaccueil très favorable auprès de nombreuses législations euro-péennes, par exemple, en matière de « Centres de rétention admi-nistrative (CRA) », de « Communauté pour toxicomanes » ou demesures urbaines de tolérance zéro (Paye, 2004).

Les migrations, le régime économico-politique de leur gestionnotamment, ont constitué un « laboratoire » crucial pour ledémarrage d’une phase de réécriture profonde de la citoyennetélibérale telle qu’elle s’était configurée au cours des décenniesaprès le second conflit mondial, permettant une remise en ques-tion radicale des piliers fondamentaux de l’édifice pénal, tels quele principe de légalité et celui de l’habeas corpus (la gestion duterrorisme des années 1970 et des toxicomanies voyait, en effet,dans le trait « citoyens internes » des acteurs sociaux qui étaientl’objet de l’intervention une limite drastique, contrairement auxmigrants, privés ab origine d’un statut juridique propre et infério-risés par un ensemble de pratiques discursives ethnoculturalistes).

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 318

Sécurité 319

Ce processus a été capable d’impliquer non seulement lesystème des règles – sous la forme du dépérissement de l’Étatsocial de droit – mais aussi les lieux eux-mêmes où la citoyennetésociale, marshallienne, s’était déversée tout au long du XXe siècle.Avec l’État social classique – sous les coups d’une peur croissantede la relation – se défait, jour après jour, le tissu même des villes.Les paniques morales et identitaires restructurent l’espace selonde nouvelles cartographies : les agences immobilières promettent– sur des tons directement empruntés à la propagande deguerre – une sécurité sans fin à l’intérieur de Privatopias et deGated Communities qui concèdent bien peu au vieil « espritpublic » des villes.

L’insistance d’une grande part de la littérature contemporainesur les éléments formels de césure par rapport au projet duXXe siècle pour une participation horizontale et progressive à la viepublique (État social), soutenue par les garanties cardinalespropres aux démocraties libérales (État de droit) ne doit cependantpas nous détourner de la généalogie complexe de la peur.

Des auteurs classiques comme Machiavel, Bodin, Grozio,Hobbes, Locke et – plus problématiquement – Spinoza, se sontemployés très tôt à montrer le rôle fondamental de la peur au seindes instruments de gouvernement : peur en tant qu’expositiondirecte de la disparité de force du gouvernement légitime ; peur entant qu’activité de production, capacité manipulatoire de susciterindirectement des sentiments de loyauté envers cette force protec-trice. Ce sentiment, tout à fait marginal dans la philosophie poli-tique du monde antique – où il est ramené le plus souvent auxdégénérescences de la tyrannie – et au Moyen Âge, est cultivéavec succès en revanche durant la longue phase d’incubation et dedéveloppement de l’absolutisme monarchique. Le Caméralisme,les Polizeiwissenschaften, allaient bien vite imprimer un nouveautrait caractéristique à la peur politique, à la saveur clairementscientifique, en la transformant en insécurité : von Justi – l’un desprincipaux théoriciens de l’État de police – réinscrira le concept debonum commune (mis au point des siècles auparavant par la Scolas-tique) dans les limites d’une grammaire minutieuse de gouverne-ment capable de doser opportunément Sicherheitspolizei etWohlfartspolizei, « police de sécurité » (« externe » et « interne »)

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 319

Lexique de biopolitique320

et « police du bien-être » (qui doit garantir des conditions opti-males pour la production et la circulation de la richesse du pays).Le long parcours de la sécurité pour s’affranchir d’une lourde tradi-tion – augustinienne d’abord, luthérienne ensuite – qui avait relé-gué ce sentiment parmi les sentiments les moins nobles (la sécuritéassoupissait les consciences, suscitant un état de paisible béatitudequi allait détourner l’homme de sa lutte perpétuelle contre le mal),peut ainsi résoudre – comme nous l’a magistralement montréDelumeau (1992) – sa signification subjective : la « sécurité » entant que sentiment individuel « d’une personne qui se croit à l’abridu danger », s’exprime dans les différentes langues européennespar sicurezza, security, seguridad, sicherheit, sécurité, chronologi-quement antérieur au concept de sécurité sociale. Sécurité, donc,en tant qu’« absence de danger » mais aussi en tant qu’organisa-tion matérielle et institutionnelle de la société qui vise à créer etmaintenir cette absence de danger : sicurtà, safety, seguranza,sicherung, sûreté. Ce nœud, associé à l’autre, qui lie ensemblebien-être et protection contre le crime, est destiné à infiltrerprofondément la pensée des Lumières, constituant le passage àtravers lequel le soin biopolitique de la population pourra se perpé-tuer à l’intérieur de la tradition libérale et de sa pratique degouvernement.

Entre le XVIIIe et le XIXe siècle, la demande politique de sécuritéest appelée, en effet, à une envolée exponentielle : au fur et àmesure que décolle l’industrialisation, le territoire des villes attiredes foules croissantes d’individus qui fuient les campagnes. Pourbeaucoup, les promesses de la ville seront de pures illusions et leuréchec remplira fatalement le panorama urbain de « plèbes dange-reuses ». La réponse incubée par les Lumières est de type produc-tif et inclusif : la politique doit circonscrire les lieux de la socialitédu travail et prédisposer des espaces adaptés à la célébration deses rituels ; surtout, elle doit inscrire la variété difforme des corpset des formations sociales dans les limites d’une géographieurbaine à mailles serrées et sensibles, elle doit délimiter solidementles aires pour l’enfermement des quotas de population urbaineencore non disciplinés. Ainsi, hôpitaux, asiles, orphelinats, workhouses, prisons accueilleront dans leurs murs une foule d’expertset un ensemble articulé de savoirs, de techniques, de dispositifs

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 320

Sécurité 321

capables de prendre en charge les corps urbanisés (Foucault,1975). Cependant, si aucun « sujet dangereux » ne doit pouvoiréchapper au regard d’une société qui a désormais élevé lasurveillance au rang de régime politique, les institutions de séques-tration ne peuvent certainement pas suffire, à elles seules, à conju-rer le crime. C’est justement Bentham, l’inventeur du Panopticon– et ce n’est pas un hasard –, qui sera parmi les premiers à faire lelien entre la praticabilité effective de la protection de l’ordre et dela propriété et la nécessité d’une intervention efficace dans lesecteur des pauvretés les plus extrêmes, source quotidienne demenace pour les possesseurs de biens et pour l’État lui-même : deslois prévues à cet effet et des institutions ciblées devront, doréna-vant, prendre en charge les plus pauvres.

De la Prusse bismarckienne à Weimar, de l’Angleterre de LordBeveridge au modèle scandinave – à travers des hauts et des bas,des poussées discordantes et de rudes conflits entre les partiessociales – c’est ainsi que les gouvernements étendront leur propreintervention au social. Ce qui maintient cette poussée solidementancrée au châssis de l’État libéral – qui a l’air si excentrique parrapport aux principes non interventionnistes que soutiennent seséconomistes – ce sont les notions de « risque » et de « danger ».Comme l’a efficacement souligné Ewald (1986), la sublimation dudanger dans le risque a eu d’énormes effets sur le plan social :penser le danger en termes de probabilité du risque signifiaitaccepter l’impossibilité que celui-ci puisse être totalement conjuré,une bonne fois pour toutes.

Dans le domaine des politiques criminelles, la notion derisque, reliée à celle de « prévention », allait permettre d’évaluerles conduites des citoyens bien au-delà des limites propres à lapoursuite des délits, en en admettant la « dangerosité intrin-sèque » et en ouvrant la voie au positivisme du XIXe siècle tardif età l’idée de « défense sociale ».

Le risque devient de ce fait la base technologique de la trian-gulation du pouvoir caractéristique de la gouvernementalité libé-rale. Foucault (2004a et 2004b), en ce sens, place parmi les« dispositifs de sécurité » toutes les techniques visant à assurer àl’État le contrôle de la mobilité des populations. Un contrôle qui nefait pas abstraction de l’exercice d’une économie politique libérale.

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 321

Lexique de biopolitique322

La critique des dérives sécuritaires contemporaines s’estsouvent focalisée sur leur inefficacité opérationnelle : la sécurité– dit-on – alimente une nouvelle insécurité : une rafle d’irréguliersen ville, un quartier militarisé, un immeuble sous surveillance vidéon’apaisent pas les sentiments d’insécurité subjective, mais lesrenforcent au contraire. Cela ne va pas mieux du point de vue dela sécurité dite objective : des attentats spectaculaires semblentnous montrer du doigt périodiquement la vanité de tout effortpour réduire notre vulnérabilité.

À la lueur des considérations exprimées jusque-là, cet échecapparent a tout l’air d’être un échec éloquent. De nombreuxjuristes parlent, à propos de la législation sécuritaire, de « lois-manifeste », une sorte de panacée illusoire à laquelle confier lecontrôle de sentiments d’insécurité aux causes souvent complexes(facteurs urbanistiques, sociaux, liés au travail, etc.), en soulignantpar là une utilisation fortement symbolique du droit pénal quiconstituerait l’exact contraire de l’efficacité opérationnelle entermes de sécurité « objective ». En fait, dans les « sociétés de l’in-sécurité », c’est par cette voie qu’est renouvelée la soudure entreles formes de l’intervention étatique (en matière de fonctions decontrôle et de répression, de politiques criminelles, de politiquesurbaines, de gestion de l’immigration, etc.) et l’opinion publique(alerte sociale, paniques morales, paniques identitaires, etc.).

Une savante floraison de discours sur l’insécurité, alimentéepar une élite stable d’« experts » qui prolifère dans des cours deformation ad hoc et des mastères, dans des colloques publics etdes débats télévisés, se charge alors de mettre constamment à jourla carte des nouveaux « sujets dangereux », en circonscrivant sanscesse un domaine énonciatif doté désormais d’une consistance suigeneris.

Antonello Petrillo

Voir : Biopolitique, Camps, CDT, Contrôle social, Défense sociale, Disci-plines, Gouvernementalité, Guantanamo, Guerre, Médicalisation,Migrations, Monstre, Normal/pathologique, Normalisation, Police,Racisme, Risque, Santé publique, Sécession, Terrorisme, Welfare.

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 322

SEXUALITÉ (DISPOSITIF DE)

En élaborant la notion de dispositif de sexualité, dans Lavolonté de savoir, Foucault réfute l’« hypothèse répressive » attri-buable à Freud, Reich et Marcuse, selon laquelle, dans la sociétémoderne, le pouvoir aurait gouverné le sexe toujours et seulementà travers la forme négative de l’interdiction, de la censure et de larépression. Le philosophe n’entend pas démontrer que l’interdic-tion du sexe est une illusion mais relever, grâce à l’analyse histo-rique, la présence d’une véritable « technologie du sexe »beaucoup plus complexe et surtout beaucoup plus positive que lesimple effet d’une interdiction. Le pouvoir « produit du réel »avant de réprimer. La forme générale du veto, partant, n’expliquerien, mais présuppose toujours un enchaînement ou un dispositifdans le cadre duquel elle opère.

Le terme « dispositif » apparaît dans le vocabulaire concep-tuel foucaldien pour délinéer l’entrelacement serré qui se créeentre savoir et pouvoir. Le pouvoir ne devient effectif, c’est-à-direqu’il ne produit de nouveaux niveaux de réalité, que s’il est relié àla rationalité des discours scientifiques, aux vérités abstraites etglobales, à tout un régime théorique, spéculatif. Dans cette pers-pective, le sexe n’est pas repérable dans la dimension prépolitiqueet extra-historique de l’état de nature et dans le corps. En somme,le pouvoir produit le savoir sur le sexe – au sens strict : la scientiasexualis – mais aussi le sexe lui-même. Il ne faut donc pas se lais-ser tromper par une représentation du sexe qui serait une réalitéexterne, naturelle et objective ; au contraire, le sexe n’est qu’un« point plus idéal », « plus spéculatif », rendu nécessaire, c’est-à-dire produit par le dispositif de sexualité et par son fonctionne-ment. Dans le fond, la sexualité est comme la folie autrement dit,l’instrument nécessaire et l’effet particulier d’un ensemble de stra-tégies discursives et politiques.

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 323

Lexique de biopolitique324

À partir de la fin du XVIe siècle, il y a eu autour et à propos dusexe une véritable « explosion discursive », qui démonte l’évidencehistorique de sa répression. Les premiers grands agents de la« mise en discours du sexe » sont les manuels qui, après le Concilede Trente, ont codifié la pratique de la confession, en tant qu’exa-men et direction de conscience. Si, dans le catholicisme prétriden-tin, la confession du péché de luxure était organisée sur la based’un examen centré principalement sur le « filtrage » des infrac-tions concernant « la loi de l’union légitime » – comme, parexemple, l’adultère, la sodomie, l’inceste, la bestialité –, à partir duXVIe siècle, l’examen dans la pratique de la confession portera aucontraire sur les gestes, les désirs et les plaisirs du corps du péni-tent (Foucault, 1999). Dans ces manuels, un nouvel impératif estétabli pour chaque bon chrétien : non seulement confesser lesactes contraires à la loi mais chercher à transformer chaque petittrouble de son propre désir en discours. La nouvelle pratique deconfession, en déplaçant l’axe de l’examen de l’infraction à laconduite sexuelle à la « volupté du corps », a contraint le sexe àune existence discursive. Or, il est bien possible qu’au cours de cepassage il y ait eu une épuration très rigoureuse du vocabulaireautorisé et que toute une rhétorique de l’allusion et de la méta-phore ait été codifiée. Mais, ce qui est sûr, selon Foucault, c’estque l’instauration de cette économie restrictive n’est autre qu’uneffet secondaire de l’injonction à tout dire sur le sexe et non pas lacause de son exclusion historique du discours.

La confession, en expérimentant des méthodes d’interroga-tion et d’enquête, est devenue, dans les sociétés occidentales,l’une des techniques les plus importantes pour produire « la véritédu sexe ». À travers cette pratique, les individus ont été contraintsde se déchiffrer, se reconnaître et se déclarer en tant que « sujetsde désir », faisant ainsi de ce dernier la pierre de touche, c’est-à-dire la vérité, de leur être naturel ou corrompu, bon ou méchant.La force de cette technique théorisée dans le cadre de la pastoralechrétienne a été de réussir, d’une manière de plus en plus minu-tieuse, à pénétrer dans les corps des individus pour en gouvernerla conduite. Et c’est justement grâce à cette efficacité fonction-nelle qu’entre les XVIIe et XIXe siècles, on la voit s’étendre inexora-blement à des territoires différents de celui de la spiritualité

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 324

Sexualité (dispositif de) 325

religieuse. On peut en repérer les effets dans la justice, la psychia-trie, la pédagogie, les relations amoureuses, les rapports familiaux.C’est à partir de ce moment-là que nous sommes devenus, selonFoucault, une société particulièrement « confessante ».

Mais c’est surtout au XVIIIe siècle, avec l’arrivée sur la scènepolitique et économique de la population et de ses variables, quela mise en discours du sexe, outre l’institution ecclésiastique,commence à intéresser l’État : le sexe n’est pas seulement quelquechose qu’il faut condamner moralement mais c’est surtout unepotentialité qu’il faut « administrer » et « réguler » pour le bien detous. C’est à ce moment-là que naît une biopolitique de la popu-lation, c’est-à-dire une économie politique qui se propose de ratio-naliser, à travers les pratiques de gouvernement, tous lesphénomènes concernant la population : la naissance, la mortalité,la fécondité, l’état de santé, l’habitat (Foucault, 1976a). Et c’estjustement pour résoudre cette série de problèmes que la médecinecommence à exercer une fonction d’« hygiène sociale » (Foucault,1976b). Va se développer alors tout un savoir qui interdit moinsqu’il ne régule le sexe sous forme de discours publics utiles, dediscours sur la santé, sur la propreté et les maladies. Le sexedevient, durant toute cette période, un problème de police, ausens plein et fort que les théoriciens absolutistes donnaient à cemot, c’est-à-dire non pas de répression du désordre mais de déve-loppement fortement réglementé des forces individuelles et collec-tives. Sous cet angle, on pourrait affirmer que le sexe devient unproblème de police médicale (Foucault, 1981).

C’est au moment où l’élaboration du problème population-richesse devient centrale pour le développement de la puissancede l’État et où les coûts d’une politique de la santé deviennent unchapitre important du budget public, que commence l’ère dubiopouvoir. La sexualité a constitué pour l’affirmation de ce régimemoderne, que Foucault définit en termes d’« administration descorps » et de « gestion calculatrice de la vie », un domaine d’ap-plication d’une importance stratégique considérable. D’un côté,en effet, elle a conduit, en tant que comportement spécifiquementcorporel, à l’invention de technologies disciplinaires déléguées à sasurveillance permanente ; de l’autre, par ses effets de procréation,importants pour ce qui est du contrôle biologique de la population

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 325

Lexique de biopolitique326

ou de la race, elle a été l’intermédiaire pour le développement detechnologies de régulation (statistique, démographie, eugénisme,stérilisation). La sexualité, en se situant précisément au point d’in-tersection du corps et de la population, a permis au pouvoir, àtravers l’affinement des technologies des disciplines et des tech-nologies de régulation, de prendre possession de la vie, en contrô-lant tout le champ qui s’étend de l’organique au biologique(Foucault, 1997).

Ce qu’il faut souligner, c’est que c’est le paradigme organico-biologique de la « perversion-hérédité-dégénérescence » élaborépar la pensée médico-psychiatrique entre le XVIIIe et le XIXe sièclequi a fourni la base de légitimation pour le développement destechnologies disciplinaires et de régulation. En somme, c’est decela qu’il s’agit. La sexualité, quand elle est indisciplinée et irrégu-lière, a toujours deux types d’effets. Le premier sur le corps indivi-duel, sur le corps indiscipliné, lequel est immédiatement frappé partoutes les maladies que le perverti sexuel attire sur lui. L’exempleclassique est celui de l’enfant qui se masturbe trop et qui seramalade toute sa vie durant. Le second sur le corps de l’espèce, entant que l’on présume que celui qui est dévoyé sexuellement peuttransmettre des maladies aux générations futures. En résumé,cette théorie explique comment une lourde hérédité de maladiesproduit un pervers sexuel, mais elle explique également commentune perversion sexuelle produit un épuisement de la descendancegénérationnelle. Dans la mesure où la sexualité se trouve être àl’origine des maladies individuelles et, dans le même temps, enposition de « responsabilité biologique » à l’égard de la collecti-vité, elle est définie par la rationalité médico-psychiatrique commeun territoire qui est « par nature » ouvert à des processus patho-logiques. Vu ces conditions, on comprend pourquoi la sexualité aété perçue comme quelque chose d’extrêmement dangereux pourla santé publique, demandant des interventions disciplinaires etrégulatrices de normalisation de plus en plus diffuses et de plus enplus globales.

Si la religion chrétienne a contrôlé la sexualité à travers ladistinction entre bien et mal, récompense et châtiment, le savoirmédical, quant à lui, a expérimenté le gouvernement de la sexua-lité en appliquant la distinction entre le normal et le pathologique.

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 326

Sexualité (dispositif de) 327

Au cours du XIXe siècle, la science médicale, plutôt que de s’em-ployer à guérir, a eu pour fonction de déterminer les comporte-ments « normaux », de définir les limites de la norme et d’encontrôler les déviations à travers la thérapie, la surveillance et laréclusion.

C’est en se basant sur la norme, entendue comme règle natu-relle de comportement et principe de conformité, qu’on classe,fixe et divise les identités sexuelles. Pour la rationalité médico-psychiatrique, le phénomène négatif, c’est-à-dire le comporte-ment anomal, est isolé de sorte que l’individu qui l’incarne setrouve privé d’histoire, et qu’il est réduit à ce phénomène (Basa-glia, Ongaro Basaglia et Gianichedda, 1975). Dans ce cadre derationalité, par exemple, l’homosexuel, la lesbienne et la nympho-mane, à cause de leurs conduites, ne sont plus considérés commedes individus comme les autres mais comme des créatures impro-bables appartenant à une autre espèce. Ils sont à la fois despersonnes désadaptées, des monstres qui enfreignent les lois de lanature et de la morale, des pervers sexuels. À l’égard de ces sujets« spéciaux », dangereux par nature, dont les conduites sontincompréhensibles et ingouvernables, qui sont probablementporteurs de graves pathologies cérébrales, la société doit seule-ment se garantir et se protéger, en demandant une intervention detype politico-juridique qui révoque partiellement ou totalementleurs libertés et leurs droits. Dans le fond, les « anormaux » consti-tuent de légitimes exceptions à l’État de droit.

À partir du XIXe siècle, il s’est formé autour de la sexualité undispositif hétérogène – comprenant des discours, des institutions,des lois, des mesures administratives, des énoncés scientifiques,des technologies disciplinaires et de régulation – qui a, à son tour,produit un redoutable système de normalisation des existences,des comportements et des affects.

L’histoire moderne de la normalisation sociale, qui a engendréexclusion et stigmate, a quand même été ponctuée d’insurrectionsdes « savoirs-corps » desdits anormaux. Comme Foucault l’a lui-même affirmé plusieurs fois, sans l’émergence des « savoirs assu-jettis » des gays et des lesbiennes contre les effets du savoir et dupouvoir du discours scientifique médico-psychiatrique qui lesavaient infériorisés jusqu’à les déshumaniser, tracer la généalogie

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 327

Lexique de biopolitique328

historico-critique du dispositif de sexualité n’aurait pas étépossible. Bien évidemment, il ne s’agit pas d’affirmer banalementque, sans les mouvements contre la discrimination sexuelle, lephilosophe n’aurait pas écrit La volonté de savoir, mais de noterplutôt que, sans la reprise de ces formes de savoir qui se sontformées dans ces contextes, cet ouvrage n’aurait pas aussi bienréussi dans son intention de rendre visible le substrat de normesnaturalistes (d’origine biopolitico-disciplinaire) sur lesquelles repo-sent de façon aveugle et incohérente le système des identitéssexuelles qui hiérarchise l’espace social.

Les mouvements des minorités sexuelles des années 1960jusqu’à aujourd’hui ont trouvé dans La volonté de savoir un instru-ment valable pour « dénaturaliser » et « politiser » le sexe. Pour denombreux activistes du mouvement gay et lesbien, ce livre consti-tue la seule réflexion théorique originale produite après le freudo-marxisme, la principale ressource intellectuelle pour unapprentissage d’une politique des minorités sexuelles à la hauteurdes temps (Halperin, 1995).

Andrea Russo

Voir : Bodybuilding, Corps, Dégénérescence, Eugénisme, Gouverne-mentalité, Normal/pathologique, Police, Population, Pouvoir pasto-ral, Psychiatrie, Résistance (pratiques de), Santé publique.

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 328

SINGULARITÉS

Le terme singularité peut renvoyer soit à quelque chosed’unique et isolé (singularis) soit à quelque chose qui se distinguepar sa différence en soi de quelque chose d’autre (singuli). Le singu-lier peut donc être tout aussi bien l’unique et sa propriété que l’unen relation avec le plus grand nombre – le plus grand nombre étantentendu comme un large éventail de concepts abondamment utili-sés par la sociologie, l’anthropologie et la philosophie politiquepour définir les différents domaines touchant à la mise en relation,plus ou moins organisée, des individus et des subjectivités : société,communauté, classe, multitude, population, collectif, culture, etc.Mais, ce n’est qu’à partir de 1958, avec la publication de La Condi-tion de l’homme moderne d’Hannah Arendt, que le concept desingularité subit une première forme de dédouanement tant desthéories de l’individualisme libéral et des théories stirneriennes del’unique et sa propriété que des théories de l’individu-espèceentendu comme naturellement et biologiquement différent. Si,dans la pratique, le singulier crée une condition humaine avecd’autres, c’est à travers la liberté d’agir qui lui est propre qu’il créeune condition pour lui-même – être unique et non reproductible –,condition qui, en tant que telle, va au-delà de la nécessité detravailler à la conservation de soi et de l’espèce. Chacun est uniqueen son genre en ce sens qu’il est différent à partir du moment où ilnaît : « Le domaine des affaires humaines proprement dit consistedans le réseau des relations humaines, qui existe partout où leshommes vivent ensemble » (Arendt, 1958). Car les êtres humainsne sont pas jetés au monde par le hasard, mais naissent en êtreshumains dans un monde humain qui existe déjà.

L’être humain et sa condition ne peuvent être réduits à unepartie du tout ; au contraire, selon H. Arendt, c’est à partir de la

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 329

Lexique de biopolitique330

pluralité inhérente au genre et à la condition humaine que seproduit, comme une sorte d’heureux écart, une singularité, uneunicité en son genre. La tentative que fait l’auteure d’affirmer lasingularité suivant ce schéma doit bien évidemment être contex-tualisée en tenant compte de sa biographie de femme juive endiaspora. En effet, elle ne cherche pas à construire une théoriepolitique sur le sujet mais tente plutôt de construire une sorte dethéorie biographique du témoignage à partir d’une histoire qui,étant donné la conjoncture temporelle, ne peut être racontée quepar celui qui naît dans un motif déjà tissé mais aussi en transfor-mation et dont il est bien évidemment partie active, agent, à telpoint qu’il modifie et en « dit » toutes les trames avec lesquelles ilentre en contact : « Si ces fils sont tissés jusqu’à la fin, ils devien-nent de nouveaux motifs clairement reconnaissables pouvant êtreracontés comme des histoires de vie » (Moscati, 2004, ibid.).

La vie racontée est donc toujours, selon Hannah Arendt, uneforme de vie irréductible à l’essentialisme de la différence biolo-gique et a comme seul enjeu politique sa narration même.

Si Hannah Arendt s’interroge sur le concept de singularitépour redonner un sens et témoigner des vies meurtries par lenational-socialisme, Gilles Deleuze – à travers le personnage fémi-nin d’Alice inventé par Lewis Caroll, qui arrive à aller toujours et enmême temps dans les deux sens, à leur tour subdivisés, du Paysdes Merveilles, qui perd son identité et celle du monde, quidéconstruit tout ce qui relève du sens commun justement parce quecelui-ci n’a plus de « bon sens » – élabore une théorie de la singula-rité qui échappe totalement au rapport dual « Un/Multitude » et del’idée même d’« histoire de vie » entendue comme processus deconstitution de la subjectivité singulière.

Pour Deleuze, la singularité est individuante mais pas indivi-duelle, elle est une variation, un mouvement qui se produit en tantque différence excédentaire. Elle n’est attribuable à aucune iden-tité historiquement et biographiquement définie et encore moinsà un sujet. La singularité est seulement ce qui permet la démolitionet l’ouverture de tout ordre donné, elle est ce qui réussit à combi-ner toujours de nouvelles rencontres : « Loin que les singularitéssoient individuelles ou personnelles, elles président à la genèse desindividus et des personnes ; elles se répartissent dans un « poten-

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 330

Singularités 331

tiel » qui ne comporte par lui-même ni Moi ni Je mais qui lesproduit en s’actualisant, en s’effectuant, les figures de cette actua-lisation ne ressemblant pas du tout au potentiel effectué. C’estseulement une théorie des points singuliers qui se trouve apte àdépasser la synthèse de la personne et l’analyse de l’individu tellesqu’elles sont (ou se font) dans la conscience » (Deleuze, 1969). Lasingularité est donc une énergie potentielle qui, une fois incarnée,peut produire des processus de subjectivation impersonnels oupréindividuels, indéterminés car ils sont introduits sur un pland’immanence constitué seulement d’une multitude de pointssinguliers et rhizomatiques. La métaphysique et les philosophiestranscendentales, au contraire – selon Deleuze – « s’entendentpour ne concevoir de singularités déterminables que déjà empri-sonnées dans un Moi suprême ou un Je supérieur » (ibid.). Il estévident que Deleuze s’appuie dans ce texte sur le concept desingularité exprimé par les gestes d’Alice plus que par le person-nage-individu Alice, pour commencer à rompre la logique structu-raliste dont il s’était jusqu’alors servi pour élaborer une partie desa pensée. Cependant, le concept de singularité lui sera égalementtrès utile plus tard, après sa rencontre avec Guattari et l’élabora-tion du concept de devenir qui, décliné pour déconstruire l’iden-tité dominante dans le système capitaliste du travailleur mâle– trente-cinq ans, blanc – père de famille, finira par prendre l’as-pect d’un féminin sans féminisme, d’une animalité sans anima-lismes, autrement dit d’une communauté, d’un commun sanscommunautarismes, ou communismes, au sens que lui a donné lesocialisme réel de l’ex-Union soviétique. Pour Deleuze, la singula-rité est donnée par la convergence des différences dans le mouve-ment qui devient ainsi un « grand corps sans organes »,c’est-à-dire un grand corps constituant qui échappe aux partis, auxsyndicats et à toutes les corporations constituées qui en mortifientle potentiel énergétique et révolutionnaire (Deleuze et Guattari,1980) ou qui tentent de le subsumer pour le transformer en unesimple partie d’un tout déjà donné et établi. Seul l’enchaînementmultiple en soi des singularités peut réussir à esquiver les trousnoirs, seule cette mise en variation continuelle peut produire unegrammaire mineure capable de déconstruire et d’ouvrir demultiples lignes de fuite permettant d’échapper aux grammaires

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 331

Lexique de biopolitique332

majeures ou à l’ordre du discours constitué (linguistique, étatique,œdipo-patriarcal, etc.).

Gilbert Simondon s’interroge lui aussi sur la singularité enten-due comme quelque chose de préindividuel mais à partir d’uneanalyse plus complexe, qui greffe la théorie matérialiste de Marxsur l’ontogenèse et sur le double espace nature/milieu (milieubiotique et social, milieu psycho-cognitif individuel). L’espècespécifique de l’animal humain, une fois introduite dans la sociétéet dans son réseau complexe fait de devenir, ne développe passimplement un rapport entre ce qui est individu et ce qui estsociété, groupe ou collectif. Chaque être individué et non indivi-duel se situe sur une ligne de frontière entre l’in-group et l’out-group (Simondon, 1989), entre un milieu de participation et unmilieu de non-participation, entre un groupe d’extériorité et ungroupe d’intériorité. Simondon ne substantialise ni l’individuel/singulier ni le social mais propose plutôt l’idée d’un « vital » quiinclurait l’homme a priori. Cet élément vital est une sorte depotentiel qui comprend les émotions, les tendances, les tensionsde toute réalité structurable mais non encore structurée produitepar les relations. Sans ce potentiel psychique, il existerait des socié-tés et des relations constituées de monades, d’individus singuliers,qui seraient capables uniquement de mettre sur pied des formescontractuelles du vivre ensemble. Des monades qui seraient inca-pables de construire des relations ou des groupes. La relation ou legroupe ne se fonde donc pas entre l’individu/monade et la sociétémais sur un processus d’« individuation simultanée des êtres indi-viduels et du groupe » (ibid.). C’est le groupe, la relation elle-même qui met en œuvre un processus ultérieur d’individuation surl’individu/singulier. Néanmoins, le processus d’individuation – telque Simondon le voit – ne passe pas seulement à travers le filtrede la culture ou de la constitution de potentiels énergétiquesdisposés sur un plan d’immanence strictement social ou politique.Le processus d’individuation est quelque chose qui n’est pasencore individuel (Virno, 2001b), c’est un ensemble de préindivi-duels : tout d’abord, la perception sensorielle, la motilité, le fondsbiologique de l’espèce ; en second lieu, la « langue historico-natu-relle » de sa propre communauté d’appartenance ; enfin, lerapport de production dominant ou une sorte de préindividuel

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 332

Singularités 333

historiquement qualifié qui – selon Virno –, précisément parcequ’il implique, aujourd’hui plus que jamais, les qualités de l’espèceanimal-homme, comme les perceptions, le langage, la mémoire,les affects, produit une sorte de pensée collective que l’on peutdéfinir comme un general intellect (ibid.). C’est à partir de cettehypothèse que Virno, traducteur de Simondon, trace les lignes durapport existant entre singularité et multitude, un rapport qui faitdu collectif de la multitude un processus d’individuation du gene-ral intellect et du « fonds biologique de l’espèce ». Mais cettethèse, bien qu’importante et complexe, ne tient pas compte desindications données par Michel Foucault dans ses travaux sur lefonctionnement des techniques et des tactiques de dominationmises en œuvre par les biopouvoirs et les pratiques gouvernemen-tales exercées sur la population et sur les individus pour les assu-jettir et les normaliser. Elle ne nous dit rien non plus quant à depossibles pratiques de résistance ou de contre-conduite.

D’après le philosophe, c’est au moyen des processus d’indivi-dualisation voulus par la « raison d’État » et par le pouvoir pasto-ral que l’on assujettit les subjectivités – par l’exercice de lasouveraineté étatique dans le premier cas, et par une « directionde conscience » imposée par le pasteur chrétien à son « trou-peau » dans le second (Foucault, 1981). Ce type d’analyse desdispositifs socio-politiques et socio-culturels est en revanche trèsutilisé par Hardt et Negri (2004) pour définir à la fois le rapportexistant entre ce qui est singulier et ce qui est commun, et l’ordredicté aujourd’hui par les biopouvoirs. Se refusant à recourir à touteforme d’invariant biologique, les deux auteurs utilisent directe-ment le concept de « forme-de-vie », dans le sens de bíos ou devie qualifiée, pour lire les nouvelles formes du travail immatériel, etréservent le concept de singularité à ce qui se trouve au-delà detoute dynamique duale (songeons au fameux couple identité/alté-rité). En ce cas, la singularité, si elle est mise en commun, peutmettre en marche une machine biopolitique multitudinaire et affir-mative, capable de résister aux biopouvoirs ou de renverser l’étatde chose présent. Son potentiel n’est pas seulement un potentielénergétique, c’est une puissance toujours constituante. La singu-larité s’incarne alors dans la figure du travailleur précaire produitpar le postfordisme, dont la vie elle-même, continuellement appâ-

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 333

Lexique de biopolitique334

tée et subsumée par le système capitaliste contemporain, peut dela même façon être capable de renverser sa propre condition d’ex-ploité en un processus d’affirmation du soi singulier et collectif.

Nous pourrions dire en conclusion que la singularité, indé-pendamment de toutes les thèses construites autour de sonpotentiel de liberté et de libération, peut acquérir un sens serapprochant de formes d’ouverture et de vitalité à conditionqu’elle ne se traduise pas par un monadisme, qu’elle refuse de semettre en relation en activant des mécanismes propriétaires àl’égard de son propre soi.

Anna Simone

Voir : Assujettissement/subjectivation, Corps, Différences, Résistance(pratiques de), Zôé/bíos.

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 334

SOCIOBIOLOGIE

La sociobiologie est d’ordinaire définie comme l’étude desbases biologiques du comportement social. Le néodarwinisme (la« synthèse moderne ») en est la référence explicite, où les phéno-mènes sont considérés pour leur sens adaptatif et sont mis en rela-tion avec les principes de la génétique des populations (Wilson,1975). Le néodarwinisme fait glisser la sélection naturelle de ladimension individuelle à la dimension du groupe en accentuant lerôle du génotype par rapport au phénotype (Salvati, 2004), c’est-à-dire qu’il postule l’existence d’une relation entre l’évolution par voiede sélection naturelle et l’influence prédominante du génotype surle phénotype : selon la théorie néodarwinienne, la sélection natu-relle a eu lieu à travers des gènes sélectionnés positivement parl’évolution et ce sont ces gènes qui guident les comportements desorganismes (Gallino, 1980).

Le génotype est défini comme la constitution génétique (héri-tée) d’un organisme et le phénotype comme l’état physique et/oul’aspect extérieur résultant de son développement dans un certainmilieu (Boncinelli, 2001). En ce qui concerne l’espèce humaine, lecouple génotype/phénotype se réfère plus communément auxfacteurs héréditaires (génétiques) et aux facteurs dérivant de l’ap-prentissage environnemental, synthétisés par les deux couples :hérédité/milieu et nature/éducation.

La sociobiologie considère que les comportements des orga-nismes vivants sont l’expression du génotype et, de ce fait, la relationgénotype/phénotype prend la forme d’une relation gène/comporte-ment, à un degré différent en fonction du type d’espèce examiné(d’un maximum chez les insectes à un minimum chez les humains).

En général, la sociobiologie met en avant une vision de lanature humaine selon laquelle les caractères du comportement

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 335

Lexique de biopolitique336

humain ont évolué par voie de sélection naturelle : des groupes degènes conditionnent certains comportements, de la mêmemanière que les preuves supportant les variations présentes dansle comportement humain dérivent des différences génétiquesentre les individus (Wilson, 1978). Partant, les organismes cher-chent par différentes stratégies et sur la base de leur dotationhéréditaire (résultat de la sélection naturelle) à maximiser leur apti-tude (fitness) globale (Gallino, 1980 ; Dawkins, 1976). Enfin, selonWilson, l’une des fonctions de la sociobiologie est de permettrel’entrée des sciences sociales dans la « synthèse moderne » enreformulant (en biologisant) les fondements de ces disciplines(Wilson, 1975).

La sociobiologie a eu un impact controversé dans les sciencessociales, donnant lieu à une série d’incompréhensions et decritiques dues à un manque de clarté dans la question cruciale durapport entre gène et comportement (Gallino, 1980). Ses déve-loppements successifs se sont orientés vers la psychologie évolu-tionniste, discipline qui considère comme centraux les mécanismespsychologiques qui produisent les comportements humains, méca-nismes entendus comme des « unités d’adaptation » résultantd’un événement sélectif spécifique (Pievani, 2005).

Cependant, au cours des dernières décennies, le génie géné-tique et les progrès des neurosciences, mais aussi la production denouvelles générations de neuromédicaments à l’impact socialsignificatif ont, de fait, complexifié la définition de la sociobiologie,puisque cette dernière s’étend et dans le même temps se déploiesur une série de territoires inexplorés par les sciences sociales.C’est dans la zone d’intersection entre sciences biologiques etsciences sociales que la question de la biopolitique semble se décli-ner selon des modalités inédites.

Selon Rifkin (1998), la sociobiologie (ou sociologie du gène)est sortie des couloirs de Harward et est en train de devenir l’unedes « matrices » du siècle biotech, en tant qu’elle contribuerait àla création d’un climat intellectuel favorable à l’acceptation desnouvelles technologies et des politiques sociales et éducatives quien découlent. Cette vision de la sociobiologie – laquelle a d’abordété une discipline dont le but était de refonder les sciences socialespuis s’est transformée en un style de pensée plus général –, se

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 336

Sociobiologie 337

double d’une expansion du territoire de la sociobiologie, qui sepropose d’étudier la base génétique du comportement humain, desuggérer des politiques sociales en conséquence et de convergervers un mainstream de modèles culturels performatifs.

Cependant, il faut préciser que le réductionnisme génétique,implicite dans ce courant de pensée, représente une vulgatesupplémentaire du déterminisme biologique, tel qu’il a transitédans les sciences sociales. La biologie n’est pas une disciplinemonolithique : affirmer que les organismes humains sont détermi-nés par les informations codifiées dans leur ADN (et avec eux, lapauvreté et la richesse, la maladie et la santé, mais aussi la struc-ture de la société dans laquelle ils vivent) représente l’expression laplus achevée de l’idéologie de la biologie moderne (Lewontin,1991). Les organismes vivants présentent différents niveaux decomplexité, tant en ce qui concerne les dynamiques évolutivesqu’en ce qui concerne les interactions entre organismes, gènes etmilieux, ce qui permet difficilement de déterminer a priori leseffets d’un génotype déterminé (Lewontin, 1998 ; Marcus, 2005).En général, le phénotype peut être considéré comme l’un desparcours possibles d’un organisme, dérivant des « instrumentsgénétiques » qui sont en sa possession, c’est-à-dire de l’interactionentre ces derniers et le milieu au sens large (Buiatti, 2004). Lacontroverse « nature versus éducation » se transforme en l’affir-mation nature via nurture : de nombreux gènes peuvent fonction-ner comme des interrupteurs – actionner/ne pas actionnerd’autres gènes –, permettre certaines formes d’apprentissageplutôt que d’autres, dans un rapport coopératif et non antagonisteentre hérédité et milieu (Ridley, 2003 ; Marcus, 2005).

Le succès du réductionnisme génétique, aussi bien à l’inté-rieur de la communauté scientifique que dans la communicationpublique de la science, doit beaucoup aux connaissances de plusen plus approfondies de la recherche scientifique de ces dernièresdécennies, qui vont de la mise a disposition de tests de plus en plusfiables pour le diagnostic précoce de diverses pathologies auxnombreuses études, publiées par de prestigieuses revues interna-tionales, sur l’origine génétique présumée d’une série de compor-tements et/ou aptitudes : du gène de l’homosexualité à celui de latimidité, en passant par le gène qui prédispose aux comporte-

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 337

Lexique de biopolitique338

ments criminels jusqu’à celui qui prédispose à la dépression ou àl’anxiété. Mais, le réductionnisme génétique a été largementalimenté par les déclarations inquiétantes et spectaculaires denombreux scientifiques, relatives surtout au Projet Génome, quiont présenté la vie des organismes comme un « ensemble d’infor-mations », comme un projet que l’on peut construire à partir d’unpetit nombre d’informations de base, comme une « information »que l’on peut manipuler librement (Rifkin, 1998 ; Fukuyama,2002). En outre, le réductionnisme génétique produit un« programme de vérité » grâce à certaines stratégies discursives(par exemple, la construction-définition d’un état de « normalitégénétique » et des écarts, ou insuffisances, relatifs à cet état) quidemandent une enquête appropriée (Lemke, 2004).

La « révolution des neurotransmetteurs », c’est-à-dire uneplus grande connaissance de la nature biochimique du cerveau etde ses processus, a permis au Prozac et à la Ritaline de se trans-former, aux États-Unis, en de véritables phénomènes culturels(Fukuyama, 2002), parallèlement à un intérêt croissant de lapsychiatrie pour la dépression, qui s’accompagne d’un change-ment de ton significatif : la réduction du rôle de la disciplinecomme forme régulatrice du rapport individu/société ayant laisséla place à d’autres formes de régulation, à l’initiative individuelle età la décision, la dépression devient une « pathologie de l’insuffi-sance », et le dépressif, « l’homme en panne », celui qui n’est pascapable d’assumer la responsabilité de sa propre existence (Ehren-berg, 1998).

Le Prozac (selective serotonin reuptake inhibitor, « inhibiteursélectif de la capture de la sérotonine ») agit sur la réabsorption dela sérotonine par les synapses nerveuses en augmentant le niveaude ce neurotransmetteur dans le cerveau. Un bas niveau de séro-tonine est associé à la dépression, à l’agressivité et au suicide. LaRitaline est un médicament utilisé pour le déficit d’attention asso-cié à l’hyperactivité (attention deficit-hyperactivity disorder, ADHD),trouble diagnostiqué chez de jeunes adolescents incapables degarder un comportement discipliné dans les salles de classe, et quiest donc considéré comme un véritable instrument de contrôlesocial (Fukuyama, 2002 ; Rifkin, 1998). Selon Fukuyama (2002) :« Il existe une symétrie déconcertante entre le Prozac et la Ritaline.

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 338

Sociobiologie 339

Le premier est prescrit pour les femmes déprimées manquant d’es-time de soi : il leur donne davantage le sentiment du mâle alpha,qui accompagne les hauts niveaux de sérotonine. La Ritaline, deson côté, est largement administrée aux jeunes garçons qui neveulent pas rester tranquilles en classe, parce que la nature ne lesa jamais programmés à cette fin. »

Les risques implicites et explicites (c’est-à-dire déjà opération-nels pour l’application de décisions de la part des employeurs, desassurances, des responsables des politiques sociales et éducatives,comme le montrent de nombreuses recherches réalisées aux États-Unis) que représente ce type d’approche sont : la discriminationgénétique (employeurs, assurances) découlant de l’utilisation detests diagnostiques pour repérer la présence (ou la possibilité d’undéveloppement) de certaines pathologies (maladies génétiques,tumeurs) ; l’adoption de politiques sociales et éducatives large-ment fondées sur l’utilisation des neuromédicaments pour lecontrôle des comportements ; la médicalisation de la déviance ; lapossibilité d’intervenir sur le patrimoine génétique pour éliminerles « gènes indésirables » (ouvrant la porte au fantôme de l’eugé-nisme) ; la redéfinition du concept de santé (Marchesini, 2002a ;Rifkin, 1998). Cette dernière question présente une dimension derisque inédite, qui se situe entre les modèles culturels performatifsdominants et le déterminisme génétique : les biotechnologiespourraient permettre d’améliorer les performances d’un orga-nisme (surtout par rapport aux pathologies dégénératives) mais ilne faudrait pas négliger l’importance de la diversité génétique despopulations ; la réflexion bioéthique devrait considérer que laprédominance de l’intérêt individuel pourrait menacer la survie del’espèce, en appauvrissant la variabilité génétique de la populationhumaine (Marchesini, 2002a). Habermas a soutenu de son côté, àpropos du diagnostic préimplantatoire et de la recherche sur lescellules souches, que le genre humain s’était engagé sur la voie del’« autotransformation de l’espèce », sur la base de l’auto-instru-mentalisation et de l’auto-optimisation des fondements biolo-giques de l’existence (Habermas, 2001). En fait, le sens del’expression « génétique » change : elle n’est plus synonymed’« inéluctable » (Boncinelli, 2001), elle n’est plus perçue commerenvoyant à un destin immuable mais elle est au contraire enten-

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 339

Lexique de biopolitique340

due comme un autorenforcement possible du sujet-consomma-teur de tests génétiques dont le but est d’obtenir de meilleuresprestations (Lemke, 2004).

D’une façon plus générale, la redéfinition du concept desanté (qui n’est plus définie comme une absence de pathologiesde différentes natures) comporte l’optimisation des prestations ducorps-machine, grâce à l’adoption de toutes les techniques(alimentation, gymnastique, contrôle de l’émotivité, utilisation depsychotropes, de tests génétiques, recours à la chirurgie esthé-tique, etc.) qui permettent d’atteindre pleinement le bien-êtrephysique et psychique. Techniques qui font du corps (c’est-à-diredu phénotype) un territoire sur lequel l’individu exerce une formede contrôle qui semble proposer une version autodirigée, selon lesimpératifs des modèles culturels performants, de la docilité descorps : « Est docile un corps qui peut être soumis, qui peut êtreutilisé, qui peut être transformé et perfectionné » (Foucault,1975). Si « la mesure de l’individu idéal est moins la docilité quel’initiative » (Ehrenberg, 1998), cette même docilité semble setransformer en un instrument de l’initiative individuelle – une doci-lité visant à obtenir des performances plus compétitives à tous lesniveaux identitaires de l’individu : professionnel, affectif, esthé-tique, etc. Déclinaison contemporaine inédite de la maximisationde l’aptitude adaptive de l’organisme humain, version d’unnouveau darwinisme social.

Renata Brandimarte

Voir : Bodybuilding, Bioéthique, Biotechnologies, Eugénisme, Psychiatrie,Risque, Santé publique, Zôé/bíos.

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 340

TÉLÉRÉALITÉ

Depuis une vingtaine d’années, la télévision tend à devenirun grand spectacle de la réalité. Les émissions du type BigBrother filment en permanence les activités banales de gens« comme les autres ». Les talk shows interrogent des « vraiesgens » témoignant de ce qu’ils vivent ou de ce qu’ils sont d’unemanière maladroite et authentique. Les reportages proposent desuivre des situations réelles : la vie d’un quartier sensible, uninterrogatoire dans un commissariat ou le séjour d’un touristesexuel en Asie. Pas une séquence d’un journal télévisé sur unsujet d’information qui ne fasse appel à la parole d’ano-nymes – victimes, usagers ou professionnels. Ce phénomènemassif peut continuer d’étonner parce qu’il rompt avec les méca-nismes classiques du spectacle. La vie des anonymes mise enscène est d’autant plus spectaculaire qu’elle paraît réelle. Cepen-dant, l’idée de mettre en spectacle la réalité n’est pas du toutinédite. C’est une pratique qui s’est développée dans, au moins,trois dispositifs propres au XIXe siècle : le cirque, la foire auxmonstres et le jardin zoologique. Le sport ou les jeux téléviséspeuvent parfois faire penser au cirque et certains reportages àdes freak shows, mais ce que l’on appelle la téléréalité fait plussûrement penser au zoo. En effet, dans ces trois dispositifs onmet en spectacle la réalité d’une manière très différente. Lecirque montre du réel extraordinaire, un vrai tigre qui saute dansun cerceau enflammé, un ours authentique qui fait du vélo,comme les grands sportifs sont des gens réels qui font deschoses hors du commun. Le freak show montre du réel (mêmetruqué) mais du réel anormal : le nain ou le cyclope de Barnum,comme les tueurs en série et les dictateurs, deviennent desmonstres dans le journal télévisé. Mais au zoo comme dans la

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 341

Lexique de biopolitique342

téléréalité proprement dite, on montre du réel ordinaire et normal,et c’est ce qui fait le spectacle ! Karl Hagenbeck, le promoteur dece qui fut peut-être le premier véritable zoo humain ou « exposi-tion ethnographique », est aussi un commerçant d’animaux et lefutur « roi des zoos ». En 1874, il décide d’ajouter une famille delapons au troupeau de rennes qu’il voulait importer. Il installe toutle monde dans son jardin et presque spontanément des centainesde personnes veulent voir ces étranges spécimens qui ne fontpourtant que des gestes pour eux banals – manger, se laver, parler,fabriquer des objets et, parfois, capturer un renne au lasso.« Cette exposition fut un triomphe, justement peut-être parce quetoute l’affaire avait été montée avec une certaine naïveté, unevérité absolue, et présentée de même. Il n’y eut pas, d’ailleurs, dereprésentation proprement dite » (Hagenbeck, 1951). Ce formatest plus ou moins celui des centaines d’expositions analogues quiparcourent l’Europe à la fin du XIXe siècle. Elles sont rapidementremplacées par des spectacles de plus grande envergure directe-ment liés à la politique coloniale des grands États européens. L’ex-position coloniale internationale de 1931 reste le modèle de cesfêtes coloniales. Un site immense où sont construits des décorscensés représenter les habitats-types des différentes coloniespeuplées par des spécimens représentatifs : un village nègre et sespagayeurs chantant, une rue du souk et ses vendeurs excités, untemple khmer et ses travailleurs dociles. Ces individus n’ont pasété capturés. Ils ne sont pas enfermés. Ce sont souvent des sala-riés volontaires. Et ils ont bien compris ce qu’on leur demande :jouer avec ferveur le rôle stéréotypé de ce qu’ils sont censés êtrepour le métropolitain. C’est une constante du zoo, des exhibitionsethnographiques à Big Brother, des individus jouent leur proprerôle vu à travers le prisme des représentations stéréotypées du public.

Cependant, si ces zoos humains ne font que fabriquer desreprésentations, rien ne les distingue des livres, des films, deschansons et des photos relayant l’idéologie coloniale. Or, le zooest une forme de spectacle tout à fait spécial dont l’impact sur lespectateur est spécifique, à la fois plus puissant et plus discret. Ilfonctionne selon un principe que l’on peut appeler « le voir etêtre vu ». Contrairement au théâtre, où « on suit ce qui se passe

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 342

Téléréalité 343

sur scène comme si on était au-delà d’un rideau, d’un quatrièmemur qui permet de voir, sans être vu, le déroulement d’histoiresintimes et privées […] » (Fo, 1990), dans un zoo, le spécimenexposé et le spectateur baignent dans la même lumière, ils sontsur le même plan de réalité. Au théâtre ou dans tout spectacle« classique », le spectateur peut s’identifier aux personnages,aux héros, selon un modèle spéculaire. Son corps plongé dansl’obscurité est mis hors jeu, seul ses yeux traversés par la lumièresont en rapport direct avec le spectacle. Il n’est touché quepsychologiquement. Au zoo, c’est la personne entière du spec-tateur qui est impliquée dans le spectacle. Dans tous les cas lespectateur est amené à jouer une sorte de rôle qui est aussi lui-même en fonction de la mise en scène spectaculaire dont il faitréellement partie. L’imitation suscitée par un spectacle zoolo-gique est immédiate et corporelle, alors qu’elle est médiate etpsychologique au théâtre. Mais alors la téléréalité n’est pas unzoo ! La télévision est un médiat dans lequel on ne peut absolu-ment pas dire que l’on est vu quand on voit. Or, justement, latéléréalité, selon l’aveu même de ses promoteurs, est l’entreprisespectaculaire qui cherche à faire de la télévision un immédiat, unspectacle interactif par les « vraies gens » pour les « vraiesgens ». On peut dire qu’une émission est d’autant plus de la télé-réalité qu’elle peut produire un « voir et être vu ». « La télévi-sion-miroir appartient au passé […]. Il ne s’agit plus aujourd’huide comprendre et d’analyser les comportements mais aussi de lesmodifier » (Charaudeau, Ghiglione, 1997). Et, face à un policier,à un syndicaliste, à un raciste, à une ménagère, à un play-boysurfeur, à un ouvrier au chômage, à une anorexique, à un alcoo-lique, à un jeune immigré des quartiers sensibles – la liste desspécimens est pratiquement infinie –, on n’arrête pas de façon-ner notre propre rôle dans le grand zoo spectaculaire et réel.« [Or] les imitations, si on les accomplit continûment dès sajeunesse, se transforment en façons d’être et en une secondenature, à la fois dans le corps, dans les intonations de la voix, etdans la disposition d’esprit […] » (Platon, 1993). Nous ne cessonsd’être sollicités pour imiter ou nous distinguer d’individus qui nesont que des spécimens d’une espèce et, ce faisant, nous deve-nons nous aussi des spécimens.

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 343

Lexique de biopolitique344

Mais de quel type d’espèce s’agit-il ? Ce n’est pas uneespèce biologique, ce n’est pas un statut social, ce n’est pas unrôle de fiction, c’est tout cela à la fois. On retrouve tout à faitcette typologie hybride dans la téléréalité, où les spécimens sontchoisis en fonction de leur capacité à suivre les règles du spec-tacle, à être facilement inclus dans une catégorie et à divertir lespectateur. Si le zoo animalier montre des spécimens de la vie« sauvage » et l’exposition coloniale des spécimens raciaux, quemontre la téléréalité actuelle ? Rien d’autre, semble-t-il, que lesreprésentations stéréotypées du sens commun. Le spécimen dela téléréalité prouve par sa seule présence à l’écran que le stéréo-type existe bel et bien. Il incarne en chair et en os la constructiontypologique qui consiste essentiellement à fixer les relationsentre les comportements, le caractère et le nom générique d’unindividu. Voilà les espèces que créé le spectacle de la réalité. « Sic’est un X, il a tels traits de caractère, telles habitudes, donc onpeut s’attendre à ce qu’il fasse telle et telle chose. » Inverse-ment : « Si un individu se comporte de telle façon, on peut endéduire qu’il a tel caractère et donc que c’est un X. » Peuimporte le nom, le caractère et les comportements. Tout cela estextrêmement mobile et d’un raffinement presque infini. L’essen-tiel réside dans la ligature entre ces trois niveaux qui enferme l’in-dividu-spécimen dans une personnalité quasi biologique. Lestéréotype est une programmation rassurante du comportementdes individus et le spécimen est la preuve que cette dispositionest naturelle. La téléréalité cherche à montrer que la personnalitédes individus et la structure de leurs relations, qui sous-tendentl’ordre social existant, correspondent à un ordre naturel et nonpas politique.

Humain ou pas, le zoo est un dispositif de l’époque de labiopolitique comme le cirque ou le freak show. Selon Foucault,la biopolitique est une modalité du pouvoir qui se développed’une manière inédite à la fin du XVIIIe siècle. Elle consiste à fairede la vie, en tant qu’ensemble de phénomènes biologiques, lecentre de l’action politique du gouvernement. Si le pouvoirsouverain consiste « à faire mourir et laisser vivre », le pouvoirmoderne sur la vie consiste davantage à « faire vivre et laissermourir ». L’État endosse alors la tâche de gérer la vie de la popu-

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:23 Page 344

Téléréalité 345

lation en vue d’en améliorer les caractéristiques vitales : fertilité,santé, efficacité, etc. Il ne faut pourtant pas croire que les autresfonctions du pouvoir étatique, la souveraineté et la discipline,disparaissent. Elles se sont combinées avec la biopolitique. D’oùle problème : comment l’État peut-il assumer sa fonction souve-raine qui est un droit de mort sur la population dans un régimebiopolitique ? Foucault répond : « La race, le racisme, c’est lacondition d’acceptabilité de la mise à mort dans une société denormalisation. […] La fonction meurtrière de l’État ne peut êtreassurée, dès lors que l’État fonctionne sur le mode du biopou-voir, que par le racisme » (Foucault, 1997). Dans la mesure où lafonction première de l’État est de protéger la population qui lecompose, les individus à éliminer doivent être exclus de cette« communauté biologique ». Il faut donc redéfinir les popula-tions en races plus ou moins compatibles entre elles, qui dessi-nent comme la carte de l’application relative de labiopolitique – de la protection maximale à l’extermination sansmerci. On retrouve ce principe dans le lien entre l’évolution de lapolitique coloniale et les spécimens fabriqués par les zooshumains. En 1891, en pleine guerre coloniale au Dahomey, desguerriers dahoméens sont exposés au Jardin d’acclimatation. Ilsexécutent des danses sauvages et des simulations de combatsmais, en réalité, ils jouent un rôle. Ce sont des représentants depeuples voisins auxquels on a mis les costumes typiques et apprisles exercices caractéristiques des Dahoméens. On cherche claire-ment alors à barbariser l’ennemi contre lequel la France livre uneguerre sans merci. Plus tard, lorsque l’empire est constitué etqu’il s’agit de gérer les territoires conquis, il ne faut plus montrerdes cannibales ou des barbares mais des « grands enfants » qu’ilest possible d’éduquer, même s’il faut parfois les punir.

Tout cela est très bien, mais quel rapport sérieux peut-onétablir entre le racisme colonial et les stéréotypes de la téléréa-lité ? Plus encore, comment relier l’ultraviolence permise par leracisme d’État et la banalité du jeu télévisuel ? Premièrement, enquoi peut-on parler de racisme dans ce cas ? Il ne s’agit pas duracisme dans les représentations télévisuelles mais de la capacitéspécifique de la téléréalité à produire quelque chose de l’ordred’une racialisation. Or, nous l’avons dit, dans la mesure où l’on

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:24 Page 345

Lexique de biopolitique346

accepte que la téléréalité fonctionne sur un modèle zoologique, ilfaut considérer que chaque « acteur » et chaque « spectateur »de ce spectacle devient, dans une certaine mesure, un spécimen,un représentant d’une espèce mixte, à la fois culturelle, sociale,psychologique et spectaculaire. Ce qui reste ici de la race, c’estque les différences qui me caractérisent, ainsi que celles dugroupe auquel j’appartiens, ne sont pas relatives, superficielles,mobiles, psychologiques mais absolues, ancrées, fixes et« comme » corporelles. Il y a évidemment un aspect métapho-rique à parler d’espèces dans la téléréalité mais cela ne veut pasdire que l’analogie n’est pas éclairante. Deuxièmement, en quoicette biologisation des individus est-elle le ferment d’uneviolence extrême ? La première source de violence paraît assezévidente puisqu’elle fait partie de la plupart de ces émissions, ilfaut toujours s’éliminer les uns les autres. On demande aux spec-tateurs de choisir le spécimen défaillant parmi les espèces repré-sentées. Défaillant parce qu’ennuyeux, irritant, choquant,incompatible, minoritaire etc. La sélection et l’élimination spec-taculaires sont à relier à la sélection et à l’élimination sociale dansun contexte de compétition intense. La deuxième forme deviolence extrême que peut susciter la téléréalité est l’intoléranceenvers les autres espèces. La définition de l’autre comme espèce,la vision du monde comme assemblage de stéréotypes quasiraciaux ne peut qu’accentuer les tensions entre les individus etles groupes. D’une part, l’autre est reconnu automatiquement,« inconsciemment », comme autre en fonction de traits typolo-giques partagés par tous, selon l’expression raciste bien connue :« Ils sont comme ça. » D’autre part, les différences qui le carac-térisent sont ancrées au plus profond de son corps. « Ils sontcomme ça et ça ne changera jamais. » Enfin, il y aurait peut-êtreun autre foyer de violence extrême dans la rencontre entre labiopolitique comme protection de la vie et le devenir-espèce dechacun. Finalement, dans la société biopolitique et spectaculaire,chacun crie : « Je suis une espèce en voie de disparition ! » « J’aiun droit à la vie inconditionné ! » « Faites moi survivre coûte quecoûte ! » Or, Elias Canetti nous le précise, vouloir survivre, c’esttoujours vouloir survivre aux autres. D’abord : « Qu’ils meurentavant moi ! » Puis : « Qu’ils meurent plutôt que moi ! » Et

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:24 Page 346

Téléréalité 347

enfin : « Qu’ils meurent pour que je vive ! » Le survivant est unmeurtrier en puissance. « L’instant de survivre est instant de puis-sance. L’effroi d’avoir vu la mort se dénoue en satisfaction,puisque l’on n’est pas soi-même le mort. Voici celui-ci gisant,mais le survivant debout. C’est comme s’il y avait eu combat etque l’on eût soi-même tué le mort. Survivant, chacun est l’ennemide l’autre » (Canetti, 1986). La « communauté biologique » seconstruit contre toute autre forme de communauté. Mais ce n’estévidemment pas une communauté ! Le spectacle de la réalitécoule et puise dans une réalité spectaculaire qui montre des îlotsbiologiques ne désirant rien plus que se survivre les uns aux autres.Adieu la politique.

Olivier Razac

Voir : Bodybuilding, Camps, Monstre, Psychiatrie, Racisme, Santépublique, Sécession.

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:24 Page 347

TERRORISME

L’action terroriste se basait à l’origine sur un acte individuelisolé dont le but était l’assassinat ciblé d’une personnalité repré-sentant la souveraineté de l’État ou du groupe social dominant.Cette activité se développa d’une manière particulière dans laRussie des Tsars du XIXe siècle, avec les anarchistes, les populistes etles nihilistes. Le premier théoricien de l’action armée fut NikolaiMorozov (Narodnaja Volja – « Volonté du peuple ») qui définissaitla « guerre néopartisane » comme une action individuelle menée,toutefois, en vue de défendre un intérêt général – renvoyait bienévidemment à la lutte patriotique contre l’invasion napoléoniennede 1812 (Schmitt, 1932).

Les anarchistes adoptèrent en revanche la définition de« propagande par le fait » ou d’« action directe » (Townshend,2002). Le principal théoricien de l’action directe fut SergejNeãaev, lequel élabora, en 1869, Le programme d’action révolu-tionnaire, dont le but était de construire une organisation révo-lutionnaire clandestine rigidement centralisée, ramifiée ennoyaux relativement autonomes et dirigés par un « comité » quidevait mener l’action à l’échelle européenne. Neãaev faisait de cecomité le centre de la future « révolution sociale ». C’est ainsique naquit la Narodnaja Raspra (la « justice du peuple ») dontles principes et les méthodes étaient exposés dans le Catéchismerévolutionnaire – toujours écrit en 1869 –, une organisation queNeãaev conçut avec Bakounine, en se réclamant des principes lesplus dénués de scrupules de l’amoralisme politique de traditionmachiavélique, jésuite, jacobine et blanquiste, pour combattreles régimes autoritaires de l’Europe bismarckienne, bonapartiste,tsariste et la répression autoritaire de la révolution sociale. Cettetradition connut une suite en Allemagne dans les années 1920,

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:24 Page 348

Terrorisme 349

avec Johannes Most, Karl Plättner et Karl Peuckert (De Feo,1992).

Bakounine reprocha à Neãaev l’immaturité de son projet àune période où le peuple se trouvait dans des conditions socialeset économiques arriérées, mais également parce qu’il envisageaitune révolution sociale fondée sur un communisme tout aussiautoritaire et violent que l’« État bourgeois » qu’il entendaitcombattre. De plus, la militarisation du conflit social faisait dupeuple sa propre armée et de l’avant-garde, qui pratiquait l’ac-tion terroriste, l’instrument amoral d’application des principesrévolutionnaires (Bakounine, 1875 ; Confino, 1976). Marx, luiaussi, de qui Neãaev avait repris la dialectique entre « révolutionsociale » et « révolution politique » (de la Question juive puis duManifeste du parti communiste), critiqua durement Neãaev etutilisa pour qualifier son idée d’« avant-garde » la notion péjora-tive et pittoresque de Lumpen-proletariat. Lénine, par contre,considérait l’action terroriste uniquement comme l’un desmoyens pour lancer l’« assaut décisif » contre le pouvoir et segardait de considérer le terrorisme comme une lutte révolution-naire et « de masse » (Lénine, 1901). Les critiques de Bakounine,de Marx puis de Lénine contre l’action terroriste individuelle oud’avant-garde entendaient maintenir active la dialectique entrerévolution sociale et révolution politique, en la transformant enune action sociale de masse réformatrice des rapports dominantsde pouvoir contre l’idée « souverainiste » de Neãaev, pour qui ladécapitation de la classe dominante devait suffire à conquérir lepouvoir.

La problématique de la dialectique entre révolution sociale etrévolution politique caractérise tout le débat politique sur la luttearmée au XXe siècle, surtout dans le champ marxiste. Dans cedébat, la cause révolutionnaire adoptait la lutte armée pour radi-caliser le conflit de classe et pour essayer de le pousser à ses consé-quences extrêmes. L’utilisation de la terreur politique restait, dumoins dans les intentions, un « instrument » et non le but de lalutte politique. On cherchait, avec des résultats problématiques, àmettre en relation le pouvoir militaire de petites unités combat-tantes avec le pouvoir des masses grâce à la médiation politiquedu parti (armé).

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:24 Page 349

Lexique de biopolitique350

Dans les années 1950, Ernesto Guevara théorisa la lutte arméedans La guerre de guérilla (Guevara, 1959). À la même période, lesactions de guérilla se déroulaient dans des contextes urbains (Mari-ghella, 2000) et furent utilisées initialement surtout dans les luttesanticoloniales (en Algérie et en France, par exemple, par le FLN maisaussi par l’OAS). Ces actions tendaient à toujours maintenir unedialectique avec la « guerre du peuple », c’est-à-dire à obtenir unelégitimation politique au nom d’un objectif universel (la constitutiond’un État anticolonial), bien qu’utilisant des moyens armés qui frap-paient parfois aussi bien des militaires que des civils. La guérilla étaitdonc un concept militaire précis, utilisé dans un théâtre de guerre oùla disproportion entre les unités combattantes était forte, et quiadoptait des instruments asymétriques contre les institutions del’État, lesquelles répondaient à leur tour par l’appareil militaire clas-sique et par la guerre irrégulière (exécutions sommaires, guerre d’es-pionnage, lois spéciales, etc.).

La dialectique classique entre révolution sociale et révolutionpolitique se transformait en une dialectique entre guerre deguérilla et guerre du peuple. La conquête du pouvoir était définietelluriquement, c’est-à-dire qu’elle variait d’un territoire à l’autre,d’une nation à l’autre, mais elle était universellement unifiée par lanécessité de conquérir/libérer le pouvoir pour le mettre à la dispo-sition du peuple (ou des masses).

Ceux qui pratiquaient la guerre de guérilla savaient qu’il étaitimpossible de conquérir le pouvoir, si ce n’est dans un secondtemps, et choisissaient donc une stratégie indirecte qui, actionaprès action, éreintait (ou « terrorisait ») la résistance des appareilsde l’État, en attendant l’extension du conflit à un niveau général.Dans les années 1960, l’objectif final de la conquête du pouvoircommença à vaciller en faveur d’une déstabilisation interne,provoquée par un conflit qui semblait sans issue. Dans la caged’acier de la Guerre froide et de la politique des blocs, l’action poli-tique armée en arriva, ces années-là, à une crise de légitimation, àcause aussi de l’hostilité ouverte des partis communistes etsociaux-démocrates. C’était la dialectique entre révolution socialeet politique, entre guerre de guérilla et peuple qui se brisait.C’était le lien présumé de représentation du « peuple » ou, mieuxencore, du « mouvement », qui disparaissait.

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:24 Page 350

Terrorisme 351

L’Amérique latine et le Moyen-Orient vécurent une paraboleanalogue. Si, dans le premier cas, les groupes armés, quand ilsn’ont pas été battus et dissous par la réaction internationale et parcelle de l’État, sont devenus de véritables armées clandestines,souvent impliquées dans les économies informelles de la drogue,des armes, etc., dans le second cas, la crise de légitimation a prisdes aspects tragiques. En effet, si la dialectique entre guerre deguérilla et guerre du peuple était encore reconnaissable dans lalutte de libération nationale menée par des groupes armés pales-tiniens entre les années 1970 et 1980, à partir des années 1990,la crise se manifeste dans tout son potentiel dévastateur avec leretour à une action individuelle, comme celle du kamikaze.

L’action du kamikaze est une action sociale autoréférentiellefondée sur le sacrifice individuel accompli au nom de sa proprecommunauté. Cette action sociale a une valeur tragiquement anti-nomique : le suicide politique, le pouvoir d’emporter la mort endehors de sa communauté d’appartenance en sacrifiant sa proprevie, a une valeur altruiste. Elle entend par là renforcer le lien socialdu groupe au moyen d’un dommage militaire porté à l’adversaireoutre qu’aux terroristes suicidaires.

Dans le cadre d’une lecture fondamentaliste du Coran, lekamikaze jouit du culte social des martyrs, tire un gain symboliquede son acte d’autodestruction sacrificiel et le transforme en actede propagande. La vie du suicidaire est ainsi transformée en unepuissance destructrice totale qui pousse la guerre à devenir totaleet sans limites. L’acte du suicide n’est plus vu comme un acte privéet individuel, symptôme d’un mal-être social (Durkheim, 1897)mais comme une mort sacrificielle ayant un double objectif : d’unepart, l’anéantissement de l’Autre, de son futur (quand il touchedes femmes et des enfants), d’autre part, la conquête de la vieéternelle pour le suicidaire.

Le pouvoir du kamikaze est le pouvoir de donner la mort, unpouvoir qui s’exerce de façon aveugle, potentiellement sur touteune population. Le martyr sacrificiel tire de la souveraineté del’État le droit prémoderne de faire mourir ou de laisser vivre etacquiert une supériorité stratégique objective sur le combattant-militaire traditionnel : se considérer comme un corps unique avecl’ennemi que l’on veut anéantir, comme une unité antinomique

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:24 Page 351

Lexique de biopolitique352

que l’on n’atteint que par son propre suicide et par la mort del’autre (Cenci et Pozzi, 2005).

La mort sacrificielle obéit aussi à une logique économique : lekamikaze doit rapporter des profits à la communauté « sacri-fiante », à travers le calcul du rapport coûts-profits qui dérive dunombre des victimes. Le chaos qui en découle reflète l’idée d’uneguerre asymétrique opposant la vie de toute une population à lapuissance de la technique militaire et politique des dominants. Uneasymétrie fondée également sur une valeur de la vie différente :pour les dominants, sa conservation est sacrée, pour les kami-kazes, au contraire, le sacré réside dans le sacrifice extrême.

Le terrorisme pratiqué par le réseau Al Qaïda ne peut pas êtreconsidéré comme une attaque contre un État précis ; il a perdu,par là, son élément tellurique, il ne fait plus la différence entre l’in-térieur et l’extérieur d’un État ; il n’est même pas configurablecomme un acte d’hostilité car c’est un acte de destruction pure etsimple. Il n’a plus le projet de prendre le pouvoir ou de libérer le« peuple » d’une oppression vu que, depuis le 11 septembre2001, le combat se situe sur une échelle globale (Burke, 2003 ;Roy, 2002).

Le terrorisme global est une synthèse entre fondamentalismereligieux et ethnonationalisme qui étend la faïda locale à un« conflit de civilisations » au niveau global (Barber, 1992 ; Kepel,2004). La confusion règne, cependant, sur la nature du terrorismeglobal ou international (ONU, 1999). Des douze conventions inter-nationales, de même que des Patriot Act américains qui ont tentéd’édicter des normes sur le sujet, on déduit que le « terroriste » estle membre d’une organisation « privée » non identifiable à l’ap-pareil militaire d’un État. Le terroriste est vu comme un criminelpur et simple, un ennemi « absolu » auquel on ne peut pas garan-tir les droits prévus par les constitutions modernes. En effet, sesactions sont punies par l’utilisation arbitraire de dispositifs destinésà la défense et à la sécurité de l’État.

Les kamikazes tchétchènes, palestiniens et wahhabites d’AlQaïda savent pertinemment que leurs actions atroces n’entraîne-ront aucune victoire politique (Bonanate, 2004). Leur guerre terro-riste présuppose un conflit sans fin, aussi parce qu’ils ont lesmoyens (militaires, politiques et économiques) d’abattre les États.

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:24 Page 352

Terrorisme 353

Cela ne veut pas dire cependant qu’aucun dessein politique ration-nel ne guide leurs actions militaires : il s’agit de re-nationaliser lesrégimes autoritaires moyen-orientaux et boycotter la présence desÉtats-Unis dans le secteur. La particularité de ce projet, quirappelle, d’un côté, la rhétorique des luttes de libération nationalecontre le colonialisme européen et, de l’autre, celle de la luttecontre l’invasion soviétique de l’Afghanistan, est double : organi-ser une guerre non pas au niveau territorial mais transnational etrecourir, pour ce faire, aux instruments financiers des économiesillégales (Napoleoni, 2004).

Roberto Ciccarelli

Voir : Défense sociale, Dégénérescence, Génocide, Guerre, Monstre,Police, Résistance (pratiques de), Sécurité, Totalitarisme.

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:24 Page 353

TOTALITARISME

Si l’on se réfère au fascisme, le concept de totalitarisme naîten Italie entre 1923 et 1925 dans le milieu antifasciste (GiovanniAmendola, Lelio Basso, Antonio Gramsci) pour être utilisé ensuite,avec une connotation bien évidemment positive, par BenitoMussolini et Giovanni Gentile. Plus tard, à l’entrée « État » de l’En-cyclopaedia of the Social Sciences (1934), Georges H. Sabineutilise ce concept pour désigner toutes les dictatures à parti uniquedu XXe siècle, qu’elles soient fascistes ou communistes, tandis quedans les années 1940, Carlton H. Hayes et Sigmund Neumanncommencent à étudier les caractères radicalement innovants duphénomène totalitaire identifiés dans la tendance spécifique qu’ale pouvoir politique à dominer inconditionnellement, de façonhyper-envahissante et monopoliste, la société et les individus.Entre les années 1930 et 1940, des penseurs non politologuescomme Ernst Jünger, Carl Schmitt, Georges Bataille, EmmanuelMounier, Simone Weil et Raymond Aron fournissent en outred’importantes contributions à la définition du totalitarisme duXXe siècle (nettement distinct des catégories traditionnelles d’auto-ritarisme, dictature, despotisme et tyrannie). C’est cependantHannah Arendt (1951) et Carl J. Friedrich et Zbigniew K. Brzezinski(1956) qui formuleront les premières théories achevées sur le tota-litarisme, étant ainsi à l’origine de deux grands courants derecherche qui auront en commun, même s’ils reposent sur despositions différentes, la reconnaissance de la valeur scientifique etopérationnelle du concept qui illustre une forme politique tout àfait nouvelle dans toute la tradition occidentale. À travers uneréflexion radicale sur la genèse du totalitarisme, le premier courant(d’origine arendtienne) cherchera surtout à comprendre l’aspectidéologique et la dimension philosophico-téléologique du phéno-

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:24 Page 354

Totalitarisme 355

mène totalitaire, tandis que la seconde (qui se réfèrera au travailde Friedrich et Brzezinski) cherchera davantage à développer latypologie politique des totalitarismes par l’analyse de leur fonc-tionnement concret et la description du « syndrome totalitaire ».Naturellement, il existe aussi des interprétations critiques duconcept de totalitarisme. Ernst Nolte (1987) notamment, a souli-gné l’inutilité du concept entendu comme modèle interprétatif destransformations des sociétés européennes entre les deux guerresmondiales et comme modèle heuristique pour comprendre lescaractères spécifiques du national-socialisme. Indépendammentdes positions de Nolte, d’autres objections ont été soulevées quantà la dimension scientifique du concept, dont les critiques portentsur trois points principaux : en premier lieu, la prétenduenouveauté historique du totalitarisme (Neumann, 1957 ; Wittfo-gel, 1957) ; en second lieu, la « similitude totalitaire » entrefascisme, nazisme et communisme ; enfin, l’extension du conceptde totalitarisme à tous les régimes communistes d’un côté et àtous les régimes fascistes de l’autre. De plus, autour des caractèresdes régimes totalitaires, d’autres débats ont eu lieu entre spécia-listes relativement au rôle du leader, au rapport entre parti uniqueet organisation étatique, à la définition de l’État totalitaire en tantqu’organisation hiérarchico-monolithique ou en termes de multi-plication des compétences, au caractère révolutionnaire ou conser-vateur du totalitarisme, à la prétendue essentialité de soncaractère organiciste.

Se référant à la fois au nazisme et au stalinisme, HannahArendt souligne la nouveauté absolue des régimes totalitaires parrapport à toutes les formes politiques du passé : la « totalité » necorrespond pas en effet à l’« unité » de l’État (de l’absolutisme,par exemple), mais à la société de masse représentée idéologique-ment et coercitivement « sans classes » et sans le pluralisme desinstitutions qui forment le tissu des relations humaines. L’Étatdevient l’instrument d’une politique « révolutionnaire » promuepar le parti unique de masse lequel, ne reconnaissant aucune arti-culation entre les différents domaines de la vie individuelle et asso-ciative (individus, groupes intermédiaires tels que partis, églises etsyndicats, organes de l’État tels que parlements et cours constitu-tionnelles) utilise coercitivement l’idéologie et la terreur pour

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:24 Page 355

Lexique de biopolitique356

permettre aux détenteurs du pouvoir – et notamment au leaderdictatorial – de créer un mécanisme institutionnel autorisant uneliberté d’agir absolue dans un cadre formel de légalité procédurale(voire, de légitimité). Le totalitarisme est en outre caractérisé, selonH. Arendt, par une « volonté de puissance » typiquementmoderne, c’est-à-dire constructiviste et rationaliste, selon laquellel’idéologie politique fondatrice d’une pratique concrète est capablede transformer jusqu’à la nature humaine. D’où l’image du campde concentration comme symbole du phénomène totalitaire, qui nevise pas simplement à la soumission absolue des individus maisentend expulser, « éliminer », « effacer » de la réalité des catégo-ries entières de personnes (les ennemis « objectifs » de l’État quidoivent avouer leurs « fautes ») qui sont en contradiction au projetidéologique de transformation totale de l’histoire et de régénéra-tion morale de la société visant à produire un ordre complètementnouveau sous le profil politique, social et anthropologique.

Afin de définir le phénomène totalitaire sur des bases empi-riques et quantitatives, certains politologues anglo-saxons, après lafin de la Seconde Guerre mondiale, entendent distinguer lessystèmes autoritaires (avec un gouvernement à parti unique et unestructure pluraliste « résiduelle ») des systèmes totalitaires (domi-nés par un « monisme » absolu, idéologique et institutionnel).Friedrich et Brzezinski, notamment, trouvent six traits caractéris-tiques dont la présence simultanée détermine le totalitarisme :(a) une idéologie officielle organique et totalisante ; (b) un partiunique de masse, structuré hiérarchiquement avec la figure duchef charismatique qui contrôle entièrement l’État ; (c) le mono-pole des moyens de communication et de propagande ; (d) lemonopole des appareils et des instruments de coercition ; (e) laterreur policière absolue, arbitraire et exercée secrètement ; (f) unedirection centralisée de l’économie. De cette manière, le totalita-risme du XXe siècle combine développement technologique et légi-timation de masse dans le but d’institutionnaliser non pas le statuquo (comme cela se passait dans les dictatures du passé) mais un« mouvement révolutionnaire » dont l’intensité et l’ampleur crois-sent justement en même temps que le régime stabilise son pouvoiravec une force de pénétration qualitativement nouvelle parrapport à n’importe quel régime autoritaire. L’union de ces carac-

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:24 Page 356

Totalitarisme 357

téristiques permet à Friedrich et Brzezinski de désigner commerégimes totalitaires non seulement l’Allemagne nazie et l’Unionsoviétique de Staline (comme c’était le cas dans le travail d’HannahArendt), mais aussi l’Italie de Mussolini, les pays communistesd’Europe de l’Est d’après la Seconde Guerre mondiale et la Chinede Mao Tse Tung.

Indépendamment des querelles d’écoles et de points de vue,le totalitarisme peut être défini comme une tendance-limite del’action politique non démocratique, caractérisée par un degrémaximal de pénétration monopoliste, de mobilisation « révolu-tionnaire » et de contrôle terroriste de la société de masse, disci-plinée et organisée (mais qui n’est pas pensée holistiquement).Malgré la relative uniformité structurelle des régimes totalitaires, lephénomène totalitaire peut cependant prendre corps en présenced’éléments constitutifs divers (par exemple, la différence netteentre idéologie communiste et idéologie fasciste, qui produisentdes objectifs sociaux, économiques et politiques différents) etengendrer ainsi des systèmes politiques antagonistes et aux conte-nus différents, bien qu’ils soient structurellement fondés sur deséléments communs (l’idéologie, le parti unique de masse, le leaderdictatorial, la terreur, la pénétration et la mobilisation du corpssocial, l’absence de distinction entre État et société). Le concept detotalitarisme permet en tout cas de mettre en évidence les trans-formations des sociétés européennes entre les deux guerresmondiales, transformations causées par la perte progressive desdistinctions entre vie individuelle, existence sociale et progrès tech-nique. Le régime totalitaire vise en effet à empêcher la distinctionmoderne entre État et société par le biais de la politisation detoutes les « cellules » du tissu social, réalisée grâce à un hautdegré de pénétration idéologique et coercitive. Le surgissementdes phénomènes de massification, de réification, d’atomisation etde rationalisation de la vie individuelle et sociale est strictement liéaux effets produits par la révolution technique, industrielle etbureaucratique de la fin du XIXe et du début du XXe siècles. Et c’estjustement à partir de ces phénomènes d’« aliénation », de« perte », de « corrosion » de la structure sociale traditionnelleque les régimes totalitaires fournissent leurs réponses, lesquellesne visent pas seulement à l’annulation de tout pluralisme et de

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:24 Page 357

Lexique de biopolitique358

tous les droits politiques, mais aussi à la présentation sur un modemessianique et millénariste de la mission idéologique de salut dela société politique. En déterminant une lutte entre bien et mal,entre ami et ennemi, entre dedans et dehors, la perspective de la« rédemption politique » tend à justifier tout type d’oppression etd’action coercitive au nom d’un dessein supérieur vers lequel lerégime totalitaire entend conduire la société politique, entenduecomme masse uniforme, à travers des formes de « révolutionpermanente » et de « mobilisation totale » qui institutionnalisentle désordre. La terreur totalitaire n’a pas pour but exclusif la répres-sion, elle se propose aussi – et ce n’est pas un hasard – comme uninstrument psychologique de coercition préventive et de canalisa-tion rationnelle de l’agir individuel et social. De ce point de vue, lesrégimes totalitaires soutiennent une conception anthropologique« dogmatico-activiste » : ils ne se contentent pas, en effet, del’obéissance passive des individus dont ils attendent une adhésioninconditionnelle et volontaire au projet de transformation radicalede l’ordre des choses tout entier (par exemple, par une pressionpsychologico-coercitive poussant à commettre des actes atroces etsadiques, qui ne sont cependant pas punissables pénalement carils ne sont pas qualifiés de délits par le régime totalitaire). Cetteadhésion est induite également par l’instauration de systèmes depratiques apparemment « communautaires » (tendant à rétablirune unité originelle, archaïque, imaginaire du groupe) mais quisont en réalité tout à fait « sociétaires » de masse en tant quedirectement reliées à l’atomisation moderne : la référence renvoieici à des pratiques ésotériques exercées surtout par le national-socialisme (comme les rites de groupe, les initiations à fond sexuel,les « meutes de chasse », les cultes mystérieux…) dont l’objec-tif – « racheter » l’anonymité de l’individu moderne – est nonseulement voué à l’échec mais surtout à son basculement tragiquedans l’impuissance destructrice, qui mène à la « production » d’in-dividus profondément dissociés. Enfin, le totalitarisme transformele projet rationaliste des Lumières en son contraire : le rationalismen’est plus au service de la liberté, de la dignité humaine et de latolérance, mais il devient un instrument de calcul qui rend possiblel’organisation stratégique de n’importe quel dessein, jusqu’au plusabject, comme le génocide (et voilà que revient une nouvelle fois

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:24 Page 358

Totalitarisme 359

l’image du camp de concentration qui fonctionne « mécanique-ment »). Sur la base de ces caractéristiques, il apparaît évident quele totalitarisme – par-delà les spécificités singulières des différentsrégimes – est un phénomène nouveau, une expérience extrême,typique du XXe siècle, de formation d’un ordre politique nihilistefondé sur une re-collectivisation forcée et sur le contrôle total dela « vie » matérielle et psychique, individuelle et sociale, entendueà la fois comme sujet et comme objet central de l’agir politique.

Carlo Altini

Voir : Camps, Écologisme, Eugénisme, Exception (état de), Génocide,Gouvernementalité, Humanisme scientifique, Police, Racisme, Sécu-rité, Terrorisme.

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:24 Page 359

TRAVAIL/NON-TRAVAIL

Dans l’organisation matérielle qui a occupé la scène pendanttout le XXe siècle, le temps était l’objet d’une querelle aux effetstoujours incertains. D’un côté, il y avait les rythmes scandés parl’usine, qui avaient le pouvoir de conditionner l’ensemble de la viesociale ; de l’autre, il y avait la volonté orgueilleuse et rebelle depouvoir articuler, autour de la question du temps, la revendicationd’une vie messagère de liberté. Une vie qui ne pourrait se manifes-ter que si elle organisait son propre rythme indépendamment deceux qu’imposait la journée de travail. Dans les ateliers de laproduction fordiste, l’oscillation entre communauté désirante etassujettissement à la loi de la valeur était toujours marquée par leconflit mis en œuvre par la force de travail aussi bien lorsque lesalaire s’affirmait comme une variable indépendante du processusde travail que lorsqu’il grignotait des heures et des minutes autravail socialement nécessaire, à travers des habitudes socialementrépandues et acquises. Ces dernières, dans le passage à la sociétéindustrielle, pouvaient aller d’un ralentissement volontaire duprocessus de travail au sabotage, d’un savoir « tacite » sur les« temps morts » de la chaîne de production à un blocage de laproduction pratiqué collectivement. Telle était la règle d’or utiliséepour affirmer en ce monde ce qu’on appelait, dans la critiquecontre l’économie politique, le salaire comme variable indépen-dante. C’était le temps de la vie, mais il devait de toute façon êtrecolonisé en fonction de la journée de travail, comme le soutenaientles émissaires d’Henry Ford quand ils entraient dans les maisons desouvriers pour vérifier que leur comportement était irréprochable.Ces derniers pouvaient consommer, étudier, aimer, mais toujourssuivant une ligne de continuité avec l’éthique du travail. Comme entémoigne une longue liste d’études sur la vie hors des murs de l’en-

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:24 Page 360

Travail/Non-travail 361

treprise, la consommation se chargeait d’une double signification :reproduction de la force de travail, et donc, colonisation du tempslibre mais aussi territoire soustrait à l’éthique du travail. La commu-nauté désirante du travail vivant ne visait rien d’autre que la libéra-tion du temps de travail, tant dans le panopticon de l’usine quedans les temples clinquants de la consommation.

La distinction entre temps de travail et temps de non-travailn’était rien d’autre qu’une convention permettant de fixer lesrapports de force dans la société. Une convention qui, cependant,a manifesté sa puissance ordonnatrice tout au long du sièclepassé, jusqu’au moment où le tunnel creusé par une taupe aussiméthodique qu’entêtée a ouvert des brèches dans la tramecompacte du régime du travail salarié. Des brèches impossibles àrefermer avec les instruments habituels, qui englobaient aussi bienla réduction de l’horaire de travail que l’échange politique entreproductivité individuelle et hauts salaires. Les pendules de la jour-née de travail ont été interprétées arbitrairement par le travailvivant, manquant ainsi à leur fonction de scansion d’une conven-tion socialement acquise.

Bien que délégitimée par la contestation du travail salarié, lafrontière entre travail et non-travail devait être rétablie, à conditiontoutefois d’être radicalement reconfigurée. La bataille menée parle patronat ne pouvait manquer de faire apparaître à quel pointl’éthique du travail était battue en brèche, avec des effets explosifssur le long terme. Pour la rétablir, la voie à emprunter devait êtreparcourue en abandonnant les habits usés de la frugalité et dusacrifice personnel : de manière plus réaliste, l’éthique du travailne pouvait être réexhumée que dans la mesure où elle présuppo-sait la possibilité d’une libre et pleine expression de la subjectivité.Et non plus un travail scandé par des mouvements routiniers,élémentaires, pauvres, qui n’en étaient pas moins synchronisésavec ceux des machines, mais une invitation à des comportementsindéterminés, excentriques, imprévisibles. C’est sur cette puissanceaffirmative du désir que se sont concentrés les efforts analytiques,politiques et sociaux pour remettre de l’ordre là où cessait la domi-nation de l’éthique du travail.

Aujourd’hui, le travail est devenu le lieu où l’on peut mettre àprofit idées et intelligence, que celle-ci soit individuelle ou collec-

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:24 Page 361

Lexique de biopolitique362

tive, à tel point que l’atelier de production a adopté pleinement lescaractéristiques et les apparences d’un laboratoire artistique. Lacontre-révolution néolibérale a appris la leçon et en a tiré partidans l’ordre du discours qu’elle développe entre la fin du siècledernier et le début du nouveau millénaire. Liberté d’initiative, inuti-lité de la hiérarchie, autodétermination individuelle du temps detravail, encouragement à la coopération sociale, voilà les leitmotiveque l’industrie culturelle distribue à foison.

Bien évidemment, la vieille taupe a creusé profondément,pour ne pas dire au-delà, à tel point qu’elle a fait sauter lespendules de la journée de travail, scandée par l’ensemble desprocédés, technologies et fonctions qui trouvaient dans la grandeentreprise leur représentation panoptique. Une représentationscandée par la séparation entre invention et exécution. Cepen-dant, même après ce processus généralement défini comme post-fordisme, le management a été rétabli.

On expérimente tout : de la décomposition du processus detravail à sa configuration réticulaire à un niveau planétaire, coor-donnée grâce aux technologies informatiques, jusqu’à la constitu-tion, le plus souvent dans les pays du Sud du monde, de citadellesfortifiées et contrôlées militairement, qui rappellent davantage lesphalanstères du XVIIIe siècle que les company town du réformismed’entreprise. Pour s’apercevoir ensuite qu’il vaut mieux différencierl’intervention, réamalgamant ainsi plus-values absolue et relative,que la critique de l’économie politique avait toujours penséescomme des facteurs connexes mais distincts. Le nouveau régimed’accumulation est justement flexible, car il prévoit une complé-mentarité entre allongement de la journée de travail, augmenta-tion de la productivité individuelle et formalisation de l’intelligencesociale diffusée grâce aux codes informatiques. L’éthique du travailpeut donc se servir d’une grammaire simple, aussi bien que depropositions linguistiques très articulées. Et si à Silicon Valley s’ex-prime la puissance imaginative et underground de la force detravail, à Bangalore ou dans les districts industriels de la Chinepopulaire, le travail capitaliste n’est rien d’autre que le chas de l’ai-guille à travers lequel on passe pour accéder à la terre promise oùl’on pourra défaire le réseau visqueux de liens sociaux qui nie laliberté.

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:24 Page 362

Travail/Non-travail 363

On peut donc soutenir avec réalisme que la représentationdorée du travail dans les entreprises high-tech s’appuie sur lacritique des hiérarchies et des organisations pyramidales de lagrande entreprise du XXe siècle, évoquant dans le même tempsune conception ludique et joyeuse de la prestation de travail. Lalégende métropolitaine du geek (accro) qui joue avec les codesinformatiques comme s’il s’agissait de petites briques de Lego, estmoins excentrique qu’on ne le pense, car elle sert à légitimer socia-lement l’ambivalence du travail postfordiste : encouragement à lacréativité, stimulations de la capacité innovante des individuscomme des groupes de travail, mais toujours sous les règles de ferdu travail salarié. Les producteurs de programmes informatiques,comme ceux, du reste, qui sont diplômés en informatique, enphysique ou en biologie, expriment une éthique du travail où, à laplace de l’ascétisme et du renoncement aux plaisirs mondains deweberienne mémoire, il y a un « tout tout de suite » anticonfor-miste et séduisant, à condition toutefois qu’il s’inscrive dans lerégime d’accumulation capitaliste en vigueur. Dans le mêmetemps, la version moderne de l’usine panopticon, réalisée dans les« zones spéciales » de Chine, des Philippines, de Malaisie, seprésente comme un univers concentrationnaire, mais où leshommes et les femmes peuvent s’émanciper de l’horizon étroit dela communauté locale et des liens familiaux visqueux. Il ne s’agitdonc plus du paysan confucéen courbé sur son champ par le senti-ment d’appartenir à un monde fermé sur lui-même mais d’unprolétariat urbanisé, turbulent et transgressif qui a coupé lesracines d’avec le passé.

Dans les deux cas, tant à Silicon Valley qu’en Chine, c’est undésir de liberté aussi séduisant que générique qui agit rhétorique-ment sur le management d’entreprise, pour rétablir le contrôle surune forme de coopération sociale qui, du point de vue de sa puis-sance de production, dépasse le schéma disciplinaire du travailsalarié.

L’objection immédiate que l’on peut formuler contre cet« ordre du discours » est que l’incitation à briser des habitudes,des formes et des styles de vie du passé est une constante du capi-talisme. Cependant, dans le cas de la forme que les rapportssociaux de production ont prise, l’invocation d’une discontinuité

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:24 Page 363

Lexique de biopolitique364

d’avec le passé joue sur la nécessité de rendre flexible, « liquides »les organisations du mode de vie associé et, élément beaucoupplus significatif, sur un principe d’individuation où chacun estappelé à donner le meilleur de soi-même afin de franchir la fron-tière du royaume de la liberté. Le phénomène qui illustre le mieuxce véritable changement anthropologique nous est donné parInternet, par l’affirmation du paradigme du réseau à l’intérieur dessciences sociales.

L’histoire du world wide web est empreinte d’une ambiva-lence qui a permis à Internet de devenir le medium par excellencedu capitalisme postfordiste. La toile, née dans des projets coor-donnés par le Pentagone, s’est développée en s’appuyant sur laliberté des chercheurs et leur autonomie par rapport à toutecontrainte économique. Dans le même temps, le paradigme de latoile part du caractère immédiatement social, aussi bien de laproduction de connaissance que de la valeur qu’ont les « liens deproximité » au sein des relations sociales.

La toile devient à la fois une réponse à la crise de l’ancien toutautant que la limite du nouveau régime d’accumulation. Si l’onsuit le déroulement du discours foucaldien, le capital ne peut quedéployer des dispositifs de biopouvoir : le contrôle sur la mobilitédes hommes et des femmes et la réglementation de l’accès auxsavoirs et à la connaissance qui trouvent en Internet une biblio-thèque virtuelle chaotique. Mais, comme cela se vérifie souvent, lebiopouvoir a besoin de normes et de lois à travers lesquelles semanifester. Les lois et les accords sur la réglementation des fluxmigratoires en sont un exemple, de même que ceux concernant lapropriété intellectuelle ou le marché du travail.

L’établissement du rapport entre mobilité et processus capita-liste est récent, mais ce qui est convaincant dans la cartographie quia été mise au point, c’est que les mouvements d’hommes et defemmes sont souvent déclenchés par la recherche d’une possibilitéde se libérer de la nécessité. Cependant, une fois en marche,hommes et femmes ne peuvent pas abandonner les sentiers battus.En effet, quand ils le font, ils deviennent une multitude contrelaquelle il faut mener des opérations de police internationale àbasse intensité. On peut dire la même chose sur les règles de lapropriété intellectuelle. Les savoirs, la connaissance, doivent

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:24 Page 364

Travail/Non-travail 365

pouvoir circuler librement pour devenir des matières premières duprocessus de travail, mais il y a pour cela des gardiens dont la fonc-tion consiste à garantir que tout se passe selon les règles établies.Ce qui compte vraiment, toutefois, ce n’est pas seulement la circu-lation et la distribution de ces savoirs, mais bien leur productionsans phrase. L’école, la formation, les consommations culturelles,les sous-cultures, ce qu’on appelle la « culture de rue », sont pliéesà une logique d’entreprise, au même titre que n’importe quelleproduction de marchandises. L’objet du désir du capitalisme est lacoopération sociale, sur laquelle reposent, afin de garantir l’appro-priation privée de ce qu’elle produit, les savoirs et la connaissance.

La propriété intellectuelle est l’instrument choisi dans ce but,car elle reconfigure la propriété privée et règle les lois de la produc-tion de la connaissance et de l’innovation. Le résultat se caracté-rise par l’ambivalence, là aussi, comme dans le cas où l’on invite àdonner libre cours à la créativité et à la contestation des hiérarchiesdes organisations qui ont marqué le XXe siècle. La production,aujourd’hui, ne peut se faire que dans un régime de coopérationsociale, mais dans le cadre du statut de la propriété privée. Et c’estpour cette raison que les lois sur la mobilité d’hommes et defemmes aussi bien que celles sur le copyright, sur les brevets et lesmarques, sont des lois qui réglementent le marché du travail et laconcurrence et, dans le même temps, qui définissent la liste descomportements licites dans un régime d’accumulation capitaliste,dit postfordiste pour marquer la différence d’avec le passé maisaussi pour enregistrer la persistance du travail salarié entenducomme une convention disciplinaire socialement imposée. Il s’agitdonc toujours de « dispositifs juridiques » qui comprennent desplans différents mais enchevêtrés : des instruments pour contrôlerla force de travail, pour définir les coordonnées sur lesquellesorienter les comportements collectifs et de gouvernement poli-tique du marché. C’est ainsi que l’on redessine ou pour mieux dire,que l’on opacifie totalement la frontière entre travail et non-travail.

Pour décrire le nouveau paysage, il faut s’écarter du langagefroid de l’économie, préférer celui de la critique, qui a besoin desonder les statuts épistémologiques des sciences sociales aussibien que de celles de la nature, vu que la matière première duprocessus de production est l’intelligence sans phrase. Accès au

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:24 Page 365

Lexique de biopolitique366

savoir est synonyme de processus d’acculturation, c’est-à-dire demode de production et de circulation des savoirs. La mobilitéd’hommes et de femmes à l’échelle planétaire intervient, en effet,à la suite d’informations sur les pays « hôtes » et sur la facilité oupas de franchir les frontières, et dans un contexte où l’alternanceentre travail et non-travail – appelée chaque fois « flexibilité » ou« précarité » – est devenue une règle « universelle ». La princi-pale industrie du monde n’est pas, contrairement à ce quesoutient le doyen de la sociologie Zygmunt Bauman, l’éliminationdes rebuts humains excédentaires produits par le développementcapitaliste, mais la mise au travail et la coordination du savoir etdes connaissances dont les hommes et les femmes du présentsont les dépositaires. Le goût musical, la lecture, la socialité – bref,l’entertainment – deviennent non seulement des moments d’au-toformation facilitant l’entrée sur le marché du travail mais aussi lecontexte humain et social où l’on peut réamalgamer allongementde la journée de travail et productivité maximale. En d’autrestermes, on est toujours au travail : ce qui est réglementé c’est l’ac-cès au salaire et au revenu. Ainsi, le nouveau régime du bio-pouvoir représente-t-il aussi bien la plus grande exploitation que lepoint culminant de l’invitation à être libre. La précarité devient lepoint d’arrivée juridico-formel naturel de cette ambivalence desformes d’accumulation actuelles, qui prévoit la suspension del’État de droit mais aussi la superfétation des droits individuels.Mais l’issue de secours ne passe pas par le retour tout autantnostalgique que réactionnaire à la certitude des droits sociaux decitoyenneté. À la rigueur, ces derniers sont-ils encore aujourd’huiun élément de contradiction par rapport aux règles dominantes.Fuir le biopouvoir suppose plutôt une politique qui fasse de l’intel-ligence diffuse et du désir les matières premières de la productiond’une socialité qui répondrait aux objectifs de la pensée radicale :une individualité pleine et riche, tout simplement parce qu’inséréedans un contexte collectif affranchi du travail salarié.

Benedetto Vecchi

Voir : Capital humain, Citoyenneté, Contrôle social, Développement,Disciplines, Résistance (pratiques de), Welfare.

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:24 Page 366

WELFARE

Le terme welfare state, état du bien-être, est utilisé à partirde la Seconde Guerre mondiale pour désigner un système socio-politico-économique dans lequel la promotion de la sécurité etdu bien-être social et économique des citoyens est prise encharge par l’État, dans ses ramifications institutionnelles et terri-toriales, comme l’une de ses prérogatives et responsabilités(Beveridge, 1942). Le welfare state, appelé également « Étatsocial », se distingue par une présence publique considérabledans des secteurs importants tels que la sécurité et l’assistancesociale, l’assistance sanitaire, l’éducation et le logement social.Cette présence s’accompagne généralement d’une attitudeinterventionniste dans la vie économique, que ce soit au niveaulégislatif, au niveau de l’aménagement et de la programmation,ou au niveau des entreprises publiques. Le welfare state a repré-senté, pendant tout l’après-Seconde Guerre mondiale, à desniveaux d’intensité variés, la modalité de gestion de l’Étatcontemporain dans les pays capitalistes à régime démocratique.

Il est le résultat final d’un processus qui s’amorce histori-quement dès lors qu’apparaissent les contradictions de l’écono-mie capitaliste, la destruction de la société paysanne, de lasolidarité familiale et du village, la transformation du prolétariaten classe ouvrière salariée, l’urbanisation, l’émigration, l’exten-sion du droit de vote et le passage du système de production duXIXe siècle au paradigme de production appelé « fordisme ».

Dans les années 1883-1892, en Allemagne, Otto vonBismarck (1815-1898) crée un système de sécurité sociale pourles travailleurs se basant sur l’institution d’une premièreprévoyance sociale, fondée sur l’éthique du travail : « Seul celuiqui donne d’abord, reçoit ensuite. »

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:24 Page 367

Lexique de biopolitique368

Nous pouvons discerner une philosophie plus ou moinsanalogue dans les poor law, « lois pour les pauvres », promul-guées en Angleterre en 1601 et abolies en 1834 ; mais ce n’estqu’à partir de 1920 que ces mesures atteignent une extension etune organicité suffisantes pour que l’on puisse parler de véri-tables politiques sociales. Le Social Security Act, « Acte pour laSécurité sociale », promulgué aux États-Unis en 1935 sous laprésidence de Roosevelt, est une pierre milliaire de l’édificationde l’État social. En Europe, il faut rappeler la politique socialeanglaise consécutive au Rapport Beveridge de 1942, lequeldevient le manifeste théorico-programmatique du welfare state(Conti et Silei, 2007) et qui, par son titre déjà, pousse à uneprotection sociale fondée sur une forte éthique du travail (Beve-ridge, 1942).

Parmi les théoriciens du welfare state, l’économiste Keynesoccupe un rôle de premier rang. Selon lui, il était nécessaire d’in-tervenir dans la distribution du revenu en régulant le rapportentre salaires et profits et entre salaires et productivité. Pour cefaire, il était possible d’intervenir de deux manières : directe-ment, au moyen d’une régulation du rapport contractuel entreles parties sociales grâce au rôle de l’État comme agent superpartes pouvant garantir des augmentations salariales adéquates,ni trop élevées par rapport aux gains de productivité (ce quiaugmenterait trop les coûts de production) ni trop basses (ce quiamènerait une crise de sous-consommation) ; directement, aumoyen d’une politique de redistribution du revenu et de soutienà la demande. C’est dans ce dernier cas que l’on peut effective-ment parler de politiques keynésiennes. La « politique d’inter-vention redistributrice » comprend toutes les mesuresconsidérées comme nécessaires pour faciliter la demande deconsommation des familles (incitations économiques, taxation,politiques sociales de soutien au revenu, sécurité sociale, assis-tance aux maladies, en un mot, les politiques de welfare, etc.) oupour accroître la productivité du système de production (poli-tiques industrielles, construction d’infrastructures, élévation duniveau d’instruction moyen, régulation des flux migratoires, etc.).Avec la locution « politiques de soutien à la demande », on seréfère aux investissements par deficit spending ou à l’interven-

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:24 Page 368

Welfare 369

tion directe de l’État dans la gestion d’entreprises et de secteursconsidérés comme étant d’intérêt national ou dans lesquels ilexiste le risque que des monopoles privés se développent.

Plus il y a eu de cohésion nationale et plus l’État a pu jouird’une autonomie politique, économique et militaire, plus lespolitiques keynésiennes ont été efficaces. Pouvoir décider defaçon autonome du type de politique monétaire, fiscale, indus-trielle et technologique a été la condition fondamentale pourmettre en place des politiques d’intervention de type keynésien.Plus l’État-nation réussissait à se placer au sommet de l’organi-sation hiérarchique mondiale – dans les limites, toutefois, impo-sées par la nécessité de développer des politiques decoordination à l’intérieur des aires ayant une plus grande inté-gration politique et économique –, plus le degré d’autonomieétait élevé.

La crise actuelle des États-nations ou, pour mieux dire, leurcapacité moindre d’influer au niveau international, dépend préci-sément de la réduction de leur autonomie dans un contexte d’in-tégration mondiale croissante, avec une croissance économiquemoindre et une concurrencialité majeure entre les aires suprana-tionales. L’exigence d’une coordination sur la base des organisa-tions des pouvoirs existants prédomine sur la capacitédécisionnelle de chaque État, ce qui rend difficile la mise en placede politiques économiques nationales.

La naissance et le développement, à partir des années 1980,d’accords de libre-échange commercial (NAFTA en Amérique duNord, MERCOSUR en Amérique latine, ASEAN dans le Pacifique) oude processus d’unification monétaire (Europe) ne permettentplus aux différents États nationaux, chacun sur son territoire, dedéfinir son propre processus de régulation sociale, redistributrice,de soutien au compromis keynésien-fordiste.

Mais, la crise du welfare est attribuable moins au dépasse-ment des États-nations (qui est l’un des effets) qu’à la crise duparadigme fordiste de production, qui avait fait du compromissocial entre capital et travail, dans la distribution des profitsélevés de productivité, sa base d’existence.

Avec le passage des technologies tayloristes aux technolo-gies linguistico-communicatives, les fondements qui soutiennent

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:24 Page 369

Lexique de biopolitique370

l’existence même du welfare state viennent à manquer. D’uncôté, les nouvelles technologies favorisent le développement desmarchés financiers et de l’internationalisation de la production,qui réduisent l’espace de l’autonomie politique nationale ; del’autre, la rupture de la centralité de la grande entreprise-usinealimente une diffusion de la production territoriale de type réti-culaire qui favorise la précarisation du travail et le manque decentralité du travailleur salarié à temps indéterminé qui avaitreprésenté le pivot de l’intervention sociale de l’État (Ferrera,1984).

Il s’ensuit que la base fiscale du welfare state (O’Connor,1973), à savoir les cotisations sociales versées par entreprises ettravailleurs, caractérisées par une stabilité contractuelle etspatiale, tend à se réduire. Par conséquent, la crise fiscale del’État favorise l’apparition d’instruments d’assurance socialeprivée (fonds de pension, assurances de différentes sortes) à l’in-térieur des marchés financiers, avec la mise en place d’un puis-sant processus de reconversion de l’épargne privée en faveur desmarchés financiers eux-mêmes. Entre-temps, suite à la crise duparadigme fordiste et à la diffusion d’une idéologie individua-liste, la poursuite de politiques de privatisation du welfare statese généralise, au nom d’une soi-disant efficacité allocativemajeure du libre marché.

Si durant la période fordiste-tayloriste, l’État-nation prenaiten charge les risques et les services sociaux (du chômage ausoutien sanitaire, éducatif et de prévoyance), aujourd’hui, cesont les marchés financiers qui accueillent les instances de sécu-rité, mais de façon privée et donc, uniquement pour ceux quidisposent de la liquidité nécessaire.

Si nous voulons discuter aujourd’hui de relance du welfarestate, il faut partir des facteurs de crise. Nous avons dit qu’ilspouvaient essentiellement être ramenés au nombre de deux,comme effets des transformations du paradigme techno-produc-tif : la disparition des frontières nationales sur base étatique et ledépassement du compromis social keynésien-fordiste entre capi-tal et travail suite à la crise de croissance de la productivité. S’estajouté à ces facteurs économiques et sociaux la disparition destensions solidaristes dans la société. En effet, comme cela se

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:24 Page 370

Welfare 371

passe souvent dans les moments de transformation, les hiérar-chies sociopolitiques sortent considérablement renforcées.

Le welfare state keynésien a été aussi bien la conséquencede nécessités capitalistes, dont l’objectif était de garantir unestabilité du travail et de la consommation pour la valorisation dela production de masse, que le résultat de conflits sociaux quivisaient à garantir des conditions de vie plus dignes et humaines.Les nécessités qui se présentent aujourd’hui doivent être à lahauteur des nouveaux défis économiques et sociaux, comme lerequiert le passage au capitalisme cognitif. Alors que le proces-sus de production se caractérise de plus en plus par des élémentsimmatériels liés à la capacité cérébrale et cognitive (surtout dansle tertiaire pour les entreprises, dans les secteurs à haute tech-nologie dont les processus d’apprentissage sont forts et dans lenouveau type d’économie à échelle postfordiste), il n’y a aucunedifférence substantielle entre travail et chômage, il n’y a que dutravail intermittent, plus ou moins précarisé ou spécialisé. Parprovocation, nous pouvons soutenir que le chômage est dutravail non rémunéré et que le travail est, à son tour, du chômagerémunéré. Nous pouvons soutenir, à juste raison, qu’on n’arrêtejamais de travailler (le temps de travail s’allonge) mais aussiqu’on travaille de moins en moins ou que le travail nécessaire seréduit en moyenne.

L’ancienne distinction entre « travail » et « non-travail » seréduit à celle entre « vie rétribuée » et « vie non rétribuée ». Lafrontière entre l’une et l’autre est arbitraire, changeante, sujetteà décision politique. C’est sur cet élément qu’il faut se confron-ter pour une redéfinition actuelle du welfare state. Celui-ci n’estplus dépendant et, dans le même temps, n’a plus l’objectif decréer les conditions pour entrer sur le marché du travail etétablir le dictat constitutionnel du « droit au travail ». Lenouveau welfare doit créer les conditions pour que soit garanti,inconditionnellement, à chaque individu résidant sur un territoire, un revenu stable et lui permettant de développer sescapacités congnitives-créatives d’un côté, d’avoir, de l’autre, ledroit de choisir le travail qui lui plaît le plus. Le droit de choisirson travail, en effet, n’est pas du tout la même chose que ledroit au travail.

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:24 Page 371

Lexique de biopolitique372

En second lieu, il faut constater que le lieu de la production etde l’activité de travail n’est plus délimitable à l’intérieur d’unespace unique (usine, bureau, maison) mais qu’il est disséminé surun territoire qui est à la fois physique et virtuel. Activité de produc-tion et espace tendent à coïncider et l’activité de travail est de plusen plus une activité de relation et d’interconnexion communicativeen réseau, qui se développe sur des bases rhizomatiques plus oumoins nomades. Cela signifie que l’activité de travail coïncide avecla vie elle-même : outre la distinction entre travail et non-travail,c’est la séparation entre production et consommation, productionet reproduction qui s’estompe également. L’existence des indivi-dus, en tant qu’elle est interne à un processus de connexionsociale de plus en plus contraint (et dont on est de moins en moinsconscient), est englobée dans l’activité de travail qui se dérouledans un cadre de plus en plus coopératif.

Le territoire défini par la coopération sociale est donc lecadre qui définit l’espace du nouveau welfare state. Cet espacepeut être aussi bien représenté par des réalités locales que pardes réalités supranationales. Cela veut dire que le nouveauwelfare, en posant comme pivot central de son action la garan-tie d’un revenu digne et inconditionnel, doit admettre commeréférent un double niveau spatial : le niveau supranational (dansnotre cas, il est représenté par l’Europe) et le niveau local. Ledéveloppement de welfare municipaux, ou au niveau régional,est une condition nécessaire car les réalités productives intéres-sées, qui varient en fonction des particularités, de l’histoire et del’anthropologie du territoire d’appartenance, bénéficient d’inter-ventions adaptées à leurs caractéristiques, dans les limites d’uncadre normatif et social tout aussi général que commun.

Il faut enfin considérer que le développement du paradigmecognitif d’accumulation tend de plus en plus à se baser sur l’ex-ploitation de biens « communs » (Illumanati, 2003 ; Hardt etNegri, 2004), à savoir ces biens et ces ressources qui sont le fruitde l’agir social humain : nous ne nous référons pas uniquementaux biens primaires de la terre, comme l’eau ou l’énergie, maissurtout aux biens comme la connaissance (knowledge), lescommunications, les informations qui sont le résultat des inter-connexions sociales se trouvant à la base de la coopération

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:24 Page 372

Welfare 373

sociale productive et dont l’expropriation par les pouvoirs privésde l’économie représente le vecteur principal de la création desrichesses. Il s’agit de biens qui sont à la fois individuels etsociaux. Dans un pareil contexte, la dichotomie privé/publicsemble être dépassée au bénéfice du concept de propriétécommune. La préservation de ces biens communs et la distribu-tion sociale des profits que suppose leur exploitation sont lenouvel objectif d’un possible welfare adapté à la structureproductive actuelle.

Et puisque ces biens sont inaliénables par les personnes,puisqu’ils sont le fruit, au contraire, de leur capacité existentielle,le nouveau welfare ne peut que se poser sur le plan de la critiquecontre la biopolitique de l’existant.

Andrea Fumagalli

Voir : Citoyenneté, Contrôle social, Disciplines, Empowerment, Oïkonomie,Sécurité, Travail/non-travail.

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:24 Page 373

ZÔÉ/BÍOS

C’est Giorgio Agamben (1995, 1998) qui, dans la littératureet le vocabulaire « biopolitique », a introduit le couple termino-logique par lequel les Grecs indiquaient la « vie ». Mais, avant luidéjà, la polysémie que renferme le terme « vie » avait attiré l’at-tention de Michel Foucault et d’Hannah Arendt, même si c’étaiten marge d’une possible lecture biopolitique.

Bien évidemment, cette reprise et relecture de la différenceentre les deux façons d’entendre la « vie » ne pouvait que trans-former, du moins en partie, le sens qu’une telle différence avaitdans le monde grec, et les lectures récentes tendent, dans l’en-semble, à accentuer l’opposition entre les deux termes, qui étaità l’origine plus nuancée. Disons immédiatement, en effet, quezôé et bíos ont une étymologie commune et qu’ils dérivent tousdeux d’une seule racine indo-européenne, la même dont dérivele latin « vita » (Chatraine, Robert). Il semble qu’il y ait surtout audépart une différence d’emploi : comme verbe, zên est beau-coup plus fréquent que bioûn, tandis que comme substantif,bíos est plus fréquent que zôé (tòn bìon zên signifie par exemple« vivre la vie »). Cependant, si les deux verbes zên et bioûn sontpresque synonymes, au point que les formes d’un verbe peuventremplacer les formes défectives de l’autre, les deux substantifsprésentent une différence bien plus marquée. Le substantif zôé,contrairement à bíos, ne s’emploie pas au pluriel et cette diffé-renciation nous oriente déjà vers ce que sera la distinctionsémantique en vigueur surtout à l’âge classique : le verbe zên etle substantif zôé indiquent le fait de vivre, d’être animé, qui s’op-pose à être mort ; bíos indique en revanche la vie et le vivrecomme espace-temps qui se situe entre la naissance et la mort,et la façon dont on se comporte pendant cet espace-temps. Zôé

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:24 Page 374

Zôé/Bíos 375

est, dans ce sens, la vie indéterminée et générique, la vie de l’es-pèce humaine mais aussi des dieux et des animaux, tandis quebíos est la vie humaine et de quelqu’un, du philosophe commedu politique ou de l’homme s’adonnant au plaisir, mais aussi deSocrate ou de Caton, comme dans les Vies parallèles (Bioi paral-leloi) de Plutarque ou les Vies, doctrines et sentences des philo-sophes de Diogène Laërce.

Que ce soit chez les tragédiens ou chez Platon, le verbe zênest aussi attribué à des êtres inanimés, avec les sens d’« êtrevigoureux » ou « en vigueur » : dans Agamemnon, on le dit detempêtes, dans Antigone d’édits, et dans Phèdre on parle du« discours de l’homme qui sait, de ce discours vivant et animé ».Chez Aristote, en revanche, tout le lexique lié au zên et à la zôése réfère aux animaux, aux hommes et aux dieux, et il estsouvent en rapport avec la veille, la perception et la sensation,voire avec la sagesse (phrònesis) (Brague, 1988). Dans unpassage de la Méthaphysique, on parle de la « vie (zôé) excel-lente et éternelle » de l’acte de l’intellect et de dieu, tandis quedans De anima l’équivalence est affirmée, dans le cas des vivants,entre vivre et être. Pas très différemment, dans le Sophiste déjà,Platon disait que l’être avait « intellect (noûn), vie (zoén) et âme(psychén) ». Et c’est probablement de ce domaine sémantiqueque l’emploi chrétien dérive qui, résolument, privilégie la zôé etle zên par rapport au bíos. Zôé est la vie éternelle obtenue àtravers le Christ, la vie qui s’oppose à la mort du péché, ainsi quela vie du Christ lui-même (par exemple Paul). Zôé est aussi la viedu Logos dans l’Évangile de Jean.

C’est dans le vocabulaire de l’éthique et de la politique queles deux termes se distinguent le plus nettement : dans Philèbe,le bíos est ce qui peut être choisi, et on distingue la vie de plai-sir (bíos edonés) de la vie d’intelligence et de sagesse (bíos noûkai phronéseos). Dans l’Éthique de Nicomaque d’Aristote, noustrouvons la célèbre distinction entre les trois bíoi, la vie vouée auplaisir (bíos apolaustikòs), la vie politique (bíos politikòs) et la viecontemplative (bíos theorikòs). Cependant, toujours dansl’Éthique de Nicomaque, le vivre, zên, est défini comme « unbien en soi et une chose plaisante », tandis que la vie, zôé, est« un bien par nature ». La zôé revient avec force dans la Poli-

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:24 Page 375

Lexique de biopolitique376

tique : elle n’indique pas seulement la sphère de la nécessité dela vie qui correspond à la sphère privée de la maison (oïkìa) maistouche l’organisation même de la polis. Puisque l’homme est parnature « un vivant sociable (zòon politikòn) », la polis naît dudésir de « vivre ensemble (suzén) » et comme « communauté devie (koinonìa tés zôés) ». Et c’est là qu’Aristote fait une distinc-tion entre la finalité la plus haute de la politique, qui consistedans un vivre modalisé, le « vivre heureux ou bien » (eu ou kalòszén) et une finalité initiale ou d’ordre inférieur qui est le « vivretout simplement ». Ainsi, la polis « née pour vivre, existe pourvivre bien » et les êtres humains, qui pourtant se réunissent envue « de leur part de vie heureuse », se réunissent aussi « dansle simple but de vivre ».

Dans la pensée d’Hannah Arendt, la dichotomie quecontient le terme « vie » acquiert une importance décisive :avec une référence explicite au couple grec, celle-ci se trans-forme en une disjonction entre la vie elle-même (Life itself ouLeben selbst), en tant que vie naturelle et supra-individuelle del’espèce, et la vie humaine singulière qui naît et meurt dans lemonde. La « vie elle-même » est la condition de la première desactivités fondamentales qui caractérisent la vie active, le travail(labor/Arbeit). Activité qui « correspond au processus biolo-gique du corps humain », le travail tend à produire des objetsde consommation immédiate qui satisfont les nécessités de lavie biologique et doit donc être distingué de la production (arti-sanale et manuelle) d’objets durables, qui caractérise aucontraire la seconde des activités humaines, l’activité poïétique,produire/fabriquer (work/Herstellen). La « vie elle-même »– revisitée, d’ailleurs, à la lumière du modèle de l’éternel retournietzschéen – évolue selon un mouvement circulaire qui neconnaît pas la mort, car il réussit à la réinsérer dans le cyclevital. S’y oppose la vie singulière et de la singularité qui naît etmeurt une fois pour toutes, c’est-à-dire qu’elle apparaît etdisparaît du monde humain suivant un cours linéaire. Cette vie,« par nature dépaysée dans la nature », est chez elle et à sonaise dans le monde (Arendt, 1960). C’est dans ce second sensque la vie est la vie de « quelqu’un » et qu’insérée dans cetespace politique qu’est l’espace de l’apparaître, elle peut deve-

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:24 Page 376

Zôé/Bíos 377

nir l’objet d’une narration ou d’une biographie se tissant avec lesfils d’autres vies.

Récemment, on a beaucoup parlé du rapport entre les caté-gories biopolitiques et la pensée d’Hannah Arendt. En effet, sinombre de ses intuitions peuvent sans aucun doute être rappor-tées à un « horizon biopolitique », le modèle positif de politiquesemble pour beaucoup (Heller, Esposito et Agamben lui-même)encore trop lié à celui de la polis grecque, qui reléguait à lasphère privée du foyer la vie sous sa composante biologique. Or,s’il est vrai que le développement et l’hypertrophie de la sociétéet du social, qui caractérisent la modernité et qui marquent ainsila sortie de la sphère privée de la vie biologique et de sa néces-sité, sont considérés avec une certaine méfiance par HannahArendt, laquelle y oppose au contraire l’idée d’une politiquefondée sur la liberté et sur la spontanéité, il est vrai égalementque dans sa pensée, différents concepts politiques ayant uneorigine biopolitique très claire acquièrent une dignité politique.L’un d’eux est la « naissance » qui, non sans une référence polé-mique à Heidegger et à son être-pour-la-mort, devient le para-digme de la spontanéité et de la capacité, source que tout agir,en tant qu’agir politique, doit porter en lui. « Avec chaque nais-sance nouvelle, c’est un nouveau début qui est venu au monde,c’est un nouveau monde qui est virtuellement venu à être »(Arendt, 1951). Un autre exemple nous est donné par le conceptde « condition humaine » que l’on oppose à celui de naturehumaine. La condition humaine – pourrait-on dire – est précisé-ment le fait que chaque bíos, c’est-à-dire chaque vie singulièrehumaine à laquelle revient, grâce à la naissance, la faculté d’agir,s’enracine dans la zôé, dans la vie biologique de l’espèce. Maiselle peut s’en détacher, au point de remettre complètement enquestion la provenance naturelle de la vie (à travers les nouvellestechniques de fécondation ou l’abandon de la planète terre) et,surtout, de mettre en danger l’existence de l’espèce humainetout entière. Comme on peut surtout le déduire à partir des frag-ments de son livre jamais écrit sur la politique (Arendt, 1993), lapossibilité de détruire toute la vie humaine sur la terre, possibi-lité que l’invention et l’utilisation de la bombe atomique ontrendue praticable, pose des problèmes nouveaux et inouïs à la

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:24 Page 377

Lexique de biopolitique378

politique contemporaine, y introduisant l’alternative – impen-sable dans un modèle comme celui de la polis grecque – entre letout et le rien.

Cependant, déjà bien avant le projet du livre sur la politiqueet la rédaction de Vita activa, la disjonction entre bíos et zôé,entre vie singulière et vie de l’espèce se profilait dans Les originesdu totalitarisme. Les camps de concentration sont, en effet, lelieu et l’instrument dans et par lequel le pouvoir totalitaire réus-sit à détruire toute forme de singularité et de spontanéité, enréduisant les individus à de simples représentants de l’espèce auxréactions automatiques et tous pareillement superflus, puisqu’ilssont parfaitement remplaçables les uns par les autres (Arendt,1951). Cette réduction va néanmoins bien au-delà d’une réduc-tion à la simple vie biologique, car il est impossible d’éliminertoute trace de spontanéité de la vie biologique. Elle ne s’accom-plit parfaitement que dans la production en masse de cadavresou de ces « hommes inanimés » qui vivent – ou plutôt ne viventpas – dans cette zone d’indistinction entre la vie et la mort qui« reste hors de la vie et de la mort » (ibid.). Cadavres vivants oumorts ambulants.

Foucault fait allusion à la distinction entre zôé et bíos dansun contexte qui n’a à voir qu’indirectement avec la biopolitiqueet qui concerne les techniques de la vie, les moyens et les formesau moyens desquels la vie peut être guidée, dirigée. Dans ce cas,c’est le bíos qui est décisif, c’est-à-dire la vie humaine en tantque corrélative d’une technique et en tant qu’objet de tech-niques possibles, et non la zôé, simple qualité d’être vivant. Lepassage du bíos, comme corrélatif d’un art ou des arts de vivre(téchnai perì bíon) au bíos comme exercice, expérience etépreuve de soi, est un point crucial du processus de subjectiva-tion dans la philosophie moderne, qui s’accompagne d’ailleursd’une transformation analogue et inverse du concept de monde(Foucault, 2001a).

La possibilité de séparer, chez l’être humain, un élémentpurement biologique naturel (zôé) de la forme de vie spécifiqueque les êtres humains peuvent mener (bíos) est, chez Agamben,la condition pour que la vie devienne, dans sa nudité, ce àl’égard de quoi s’exerce le pouvoir. La politisation de la vie, ou

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:24 Page 378

Zôé/Bíos 379

plutôt, de la « vie nue », terme qu’Agamben reprend de Benja-min, « constitue l’événement décisif de la modernité et marqueune transformation radicale des catégories philosophico-poli-tiques de la pensée classique. » (Agamben, 1995) Mais, parrapport à Foucault, Agamben élargit le concept de biopolitiqueet retarde l’entrée de la vie dans la politique, jusqu’à en faire lecorrélatif du pouvoir politique de la modernité. Ainsi s’estompela distinction entre pouvoir souverain et biopolitique, entremodèle juridico-institutionnel et modèle biopolitique du pouvoir.« L’implication de la vie nue dans la sphère politique constitue lenoyau originaire – quoique occulté – du pouvoir souverain. Onpeut dire en fait que la production d’un corps politique est l’acteoriginal du pouvoir souverain » (ibid.). C’est cependant sous lenazisme, et surtout dans le camp de concentration, que la vienue se montre sous sa qualité de vie bannie et de vie tuable sansque cela constitue un délit de la part du tueur. Elle trouve sonexpression la plus extrême dans le « musulman », cette figure, àla limite entre la vie et la mort, dans laquelle la zôé elle-mêmefait défaut car, tout impliquée qu’elle est dans la politique, ellen’a plus rien de « naturel ». Le « musulman », qui n’est pluscapable de faire la distinction entre « les morsures du froid et laférocité des SS », indique cette vie/non-vie dans laquelle « fait etdroit, vie et norme, nature et politique » sont inséparables (ibid.)Paradigme d’un dépassement de la distinction entre bíos et zôé,la figure du musulman a pour envers l’utopie d’un bíos qui neserait que sa zôé ou d’un bíos (forme ou essence) qui ne demeu-rerait que dans sa zôé (existence).

Dans son ouvrage intitulé : Bíos, qui cherche à reconstruirele développement de la notion de biopolitique sans en éluder lesquestions encore ouvertes et les apories, Roberto Espositomontre comment le terme bíos s’est « naturalisé », perdant sonsens originel de « forme de vie » ou de « vie qualifiée ». S’il y aencore une référence à la terminologie grecque, c’est plutôt avecla zôé que le bíos s’identifie désormais, mais avec une zôé qui,aujourd’hui ou peut-être depuis toujours, est intimement modi-fiée par la technique. « La politique pénètre directement dans lavie mais, entre-temps, la vie est, d’elle-même, devenue autre »(Esposito, 2004). Bíos veut dire aujourd’hui vie générique, corré-

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:24 Page 379

Lexique de biopolitique380

lat et substrat d’une politique/technique dans laquelle certainesquestions « biologiques » deviennent immédiatement politiqueset vice versa. Mais bíos veut dire aussi et surtout vie qui n’est plusattribuable à aucun sujet, « vie du monde » qui ne s’exprimeplus dans le paradigme du corps, encore trop lié à des conceptscomme nation ou peuple, mais dans celui de la chair et de l’in-carnation, comme contagion et possibilité du deux-en-un, oucomme « possibilité biopolitique de la transmutation, ontolo-gique et technologique, du corps humain » (ibid.).

Antonella Moscati

Voir : Biopolitique, Capital humain, Différences, Génocide, Gouverne-mentalité, Oïkonomie, Monstre, Singularités, Sociobiologie.

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:24 Page 380

Bibliographie

A.A. V.V. 1970. Quaderni rossi, Milano, Sapere edizioni.A.A. V.V. 1978. Sociobiologia e natura umana, Torino, Einaudi, 1980.A.A. V.V. 1997. Totalitarismo, Filosofia politica, XI/1.A.A. V.V. 2005. Pouvoir psychiatrique et biopolitique, Actes du colloque

« Le sujet qui n’est pas », Michel Foucault 1984-2004, Trieste 5-6 novembre 2004, Rivista Sperimentale di Freniatria, 3.

ACOCELLA, G. 2000. Elementi di bioetica sociale. Verso quale « mondonuovo » ? Napoli, ESI.

AGAMBEN, G. 1987. « Bataille et le paradoxe de la souveraineté », Liberté,Montréal (CA), n° 225, 1996, p. 87-95.

AGAMBEN, G. 1995. Homo Sacer. I, Le pouvoir souverain et la vie nue,Paris, Le Seuil, 1997 (trad. Marilène Raiola).

AGAMBEN, G. 1998. Ce qui reste d’Auschwitz : l’archive et le témoin, Paris,Payot, 1999 (trad. Pierre Alferi).

AGAMBEN, G. 2003. Homo Sacer II/1. L’État d’exception, Paris, Le Seuil(trad. Joël Gayraud).

AGGERI, F. 2005. « Les régimes de gouvernementalité dans le domaine del’environnement », dans A. Hatchuel, E. Pezet, K. Starkey, O. Lenau(sous la direction de), Gouvernement, organisation et gestion : l’hé-ritage de Michel Foucault, Saint-Nicolas/Québec, Les Presses del’université Laval.

ALTHUSSER, L. 1995. Sur la reproduction, Paris, PUF.ALY, G. ; HEIM, S. 1991. Vordenker der Vernichtung. Auschwitz und die

deutschen Pläne für eine neue europaïsche Ordnung, Hambourg,Hoffmann und Campe.

AMATO, P. (sous la direction de). 2004. La biopolitica. Il potere sulla vita ela costituzione della soggettività, Milano, Mimesis.

AMIN, S. 1985. La déconnexion. Pour sortir de la crise mondiale, Paris, LaDécouverte.

ANCARINI, V. 1996. La scienza decostruita. Teorie sociologiche della conos-cenza scientifica, Milano, Franco Angeli.

APPLEBAUM, A. 2003. Goulag : une histoire, Paris, Grasset, 2005 (trad.Pierre-Emmanuel Dauzat).

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:24 Page 381

Lexique de biopolitique382

ARENDT, H. 1951. Les origines du totalitarisme, Paris, Le Seuil, 1998 (trad.Micheline Pouteau).

ARENDT, H. 1958. Condition de l’homme moderne, Paris, Presses pocket,2008 (trad. Georges Fradier).

ARENDT, H. 1960. Vita activa : oder Vom tätigen Leben, München-Zürich,Piper, 2002.

ARENDT, H. 1993. Qu’est-ce que la politique ? Paris, Le Seuil, 2001 (trad.S. Courtine-Denamy).

ARMIERO, M. ; BARCA, S. 2004. Storia dell’ambiente. Una introduzione,Roma, Carocci.

ARON, R. 1962. Paix et guerre entre les nations, Paris, Calmann-Lévy.ARON, R. 1965. Démocratie et totalitarisme, Paris, Gallimard. Article 29 Data Protection Working Party, Opinion 4/2004 on the Proces-

sing of Personal Data by means of Video Surveillance, 1175/02/ENWP 89, 11/1/2004.

ARTIÈRES, Ph. ; QUÉRO, L. ; ZANCARINI-FOURNEL, M. (sous la direction de).2003. Le groupe d’information sur les prisons. Archives d’une lutte(1970-1972), Paris, Imec.

ASHBOURN, J. 2005. The Social Implications of the Wide Scale Implemen-tation of Biometric and Related Technologies, Background paper fotthe Institute Prospective Technological Studies, DG JRC Sevilla, Euro-pean Commission.

Associazione Italiana Transumanisti, http://www.transumanisti.it/BAKOUNINE, M. A. 1873. Étatisme et anarchie, Anthony, Éditions Tops-

Hervé Trinquier (trad. Marcel Body).BALIBAR, E. 1996. La crainte des masses. Politique et philosophie avant et

après Marx, Paris, Galilée.BALIBAR, E. 2001. Nous, citoyens d’Europe ? Paris, La Découverte.BALIBAR, E. ; WALLERSTEIN, I. 1988. Race, nation, classe : les identités ambi-

guës, Paris, La Découverte, coll. « Poche », 2007.BALLARD, J.G. 1988. Sauvagerie, Auch, Tristram 2008 (trad. Robert Louit).

Précédemment paru chez Belfond (1992) sous le titre Le massacre dePangbourne.

BALLARD, J.G. 2000. Super-Cannes, Paris, Livre de Poche, 2004 (trad.Philippe Delamare).

BARBALET, J. M. 1988. Citizenship: rights, struggles and class inequality,London, Open University Press.

BARBER, B. 1992. « Jihad Vs. McWorld », Atlantic Monthly, march, p. 53-63.

BARRY, A. ; OSBORNE, T. ; ROSE, N. (sous la direction de). 1996. Foucault andPolitical Reason. Liberalism, Neoliberalism and Rationalities ofGovernment, Chicago, The University of Chicago Press.

BARZANTI, R. 2001. « La direttiva europea in materia di biotecnologia »,dans M. Volpi (sous la direction de), Le biotecnologie : certezze einterrogativi, Bologna, Il Mulino.

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:24 Page 382

Bibliographie 383

BASAGLIA, F. (sous la direction de). 1968. L’institution en négation : rapportsur l’hôpital psychiatrique de Gorizia, Paris, Le Seuil, 1982 (trad.Louis Bonalumi).

BASAGLIA, F. 1981-1982. Scritti, 2 vol., sous la direction de F. Ongaro Basa-glia, Torino, Einaudi.

BASAGLIA, F. ; ONGARO BASAGLIA, F. ; GIANICHEDDA, M.G. 1975. « Il concettodi salute e malattia », dans F. Basaglia, Scritti, op. cit., vol I.

BASAGLIA, F. 2000. Psychiatrie et démocratie : conférences brésiliennes,Toulouse, érès, 2007 (trad. Patrick Faugeras).

BASCETTA, M. 2004. « La fabbrica del vivente », dans Id. La libertà dei post-moderni, Roma, Manifestolibri.

BATAILLE, G. 1949. La part maudite, Paris, Éditions de Minuit, 1967.BATAILLE, G. 1976. Œuvres complètes VIII (L’Histoire de l’érotisme – Le

Surréalisme au jour le jour – Conférences (1951-1953) – La Souve-raineté – Annexes), Paris, Gallimard.

BATESON, G. 1972. Vers une écologie de l’esprit, Paris, Le Seuil, 1995 (trad.Ferial Drosso, Laurencine Lot et Eugène Simion).

BATESON, G. 1979. La nature et la pensée : esprit et nature, une uniténécessaire, Paris, Le Seuil, « Points Essais »,1990.

BATESON, G. ; BATESON, M.C. 1987. La peur des anges : vers une épisté-mologie du sacré, Paris, Le Seuil, 1989.

BAUDRILLARD, J. 1970. La société de consommation : ses mythes et sescultures, Paris, Gallimard.

BAUDRILLARD, J. 1976. L’échange symbolique et la mort, Paris, Gallimard.BAUDRILLARD, J. 1992. « La Biosphère II », dans A.M. Eyssartel, B. Rochette

(sous la direction de), Des mondes inventés. Les parcs à thème, Paris,Éditions de la Villette.

BAUDRILLARD, J. 2002. L’esprit du terrorisme, Paris, Galilée.BAUER, M.W. ; GASKELL, G. (sous la direction de). 2002., Biotechnology.

The Making of a Global Controversy, Cambridge (UK), CambridgeUniversity Press.

BAUMAN, Z. 1989. Modernité et holocauste, Paris, Éditions Complexe2008 (trad. Paule Guivarch).

BAUMAN, Z. 1999. La solitude du citoyen global, Paris, Le Seuil, 2007 (trad.L. Bury).

BAUMAN, Z. 2000. Liquid Modernity, Cambridge (UK), Polity Press.BAUMAN, Z. 2004. Vies perdues, Paris, Payot-Rivages, 2006 (trad. Monique

Bégot).BAZZI, A. ; VEZZONI, P. 2000. Biotecnologie della vita quotidiana, Roma/Bari,

Laterza.BEAUCHAMP, T.L. ; CHILDRESS, J.F. 1994. Les principes de l’éthique biomédi-

cale, Paris, les Belles Lettres, 2008 (trad. Martine Fisbach).BEAULIEU, A. (sous la direction de). 2005. Michel Foucault et le contrôle

social, Saint-Nicolas/Québec, Presses de l’université de Laval.

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:24 Page 383

Lexique de biopolitique384

BEAULIEU, A. ; GABBARD, D. (sous la direction de). 2006. Michel Foucault etPower Today. International Multidisciplinary on the History of OurPresent, Lanham, Lexington Books.

BECCARIA, C. 1764. Des délits et des peines, Paris, Flammarion, 2006 (trad.Maurice Chevallier).

BECK, U. 1986 et 1999. La société du risque : sur la voie d’une autremodernité, Paris, Flammarion, 2008 (trad. Laure Bernardi).

BECK, U. ; GIDDENS, A. ; LASH, S. 1994 et 1996. Reflexive Modernisierung :eine Kontroverse, Frankfurt am Main, Suhrkamp.

BECKER, G. 1960. « An economic analysis of fertility », dans Id. Demogra-phic and Economic Change in Developped Countries, Pinceton, Prin-ceton University Press.

BECKER, G. 1962. « Investment in Human Capital: A Theoretical Ana-lysis », Journal of Political Economy 70 (5) oct, 9-49 ; repris dans Id.The economic approach of Human Behavior, Chicago, University ofChicago Press, 1976.

BECKER, G. 1964. Human Capital. A Theorical and Empirical Analysis, withSpecial Reference to Education, New York, National Bureau ofEconomic Research, Chicago, University of Chicago Press.

BECKER, G. 1973-1974. « A theory of Marriage » I et II, Journal of PoliticalEconomy 81 (4) et 82 (2) ; repris dans Id. The economic approach ofHuman Behavior, Chicago, University of Chicago Press, 1976.

BECKER, G. 1983. « Nobel Lecture : The Economic Way of Looking at Beha-vior », Journal of Political Economy 101 (3), p. 385-409.

BECKER, G. 1992. « Fertility and the Economy », Journal of PopulationEconomics.

BECKER, G. 1998. Accounting for Tastes, Cambridge (Mass), HarvardUniversity Press.

BECKER, H. 1963. Outsiders : études de la sociologie de la déviance, Paris,A.-M. Métaillé, 1985.

BELLENTANI, F. 1997. « Episcopus… est nomen suscepti officii : il vocabola-rio del servizio episcopale in alcuno testi agostiniani », dans A.A.V.V., Vescovi e pastori in epoca teodosiana.In occasione del XVIcentenario della consacrazione episcopale de S. Agostino, XXVincontro di stusiosi dell’antichità cristiana, Institutum PatristicumAugustinianum, Roma.

BENDIX, R. 1964. Nation-building and Citizenship. Studies of our ChangingSocial Order, New York,Transaction Publishers, 1996.

BENTLEY, A.F. 1908. The Process of Government, Chicago, Chicago Univer-sity Press.

BERLAN, J.P. (sous la direction de). 2001a. La guerre au vivant : organismesgénétiquement modifiés et autres mystifications scientifiques,Marseille/Montréal, Agone/Comeau et Nadeau.

BERLAN, J.P. 2001b. « Économie politique des OGM et leurs enjeux »,Passant n° 33, février-mars.

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:24 Page 384

Bibliographie 385

BERLE, A.A. ; MEANS, G.C. 1932. The Modern Corporation and PrivateProperty, New York, MacMillan.

BERLINI, A. 2004. Il filantropo e il chirurgo. Eugenetica e politiche di steri-lizzazione tra XIX e XX secolo, Torino, L’Harmattan Italia.

BERLIVET, L. 2001. « Déchiffrer la maladie », dans P. Dozon, D. Fassin (sousla direction de), Critique de la santé publique. Une approche anthro-pologique, op. cit.

BERLIVET, L. 2004. « Une biopolitique de l’éducation à la santé. La fabriquedes campagnes de prévention », dans D. Fassin, D. Memmi (sous ladirection de), Le gouvernement des corps, op. cit.

BEVERIDGE, W.H. 1942. Full Employment in a free Society, London, G. Allenet Unwin.

BIDEAU, G. 2002. « L’intersectorialité, une utopie mobilisatrice ? », dansD. White et coll., Pour sortir des sentiers battus : l’action intersecto-rielle en santé mentale, op. cit.

BIDUSSA, D. 2001. La mentalità totalitaria. Storia e antropologia, Brescia,Morcelliana.

BING, F. 1994. « La théorie de la dégénérescence », dans J. Postel,C. Quétel (sous la direction de), Nouvelle histoire de la psychiatrie,op. cit.

BLAIS, L. 2005a. « Pouvoir et domination chez Foucault. Balises pour(re)penser le rapport à l’autre dans l’intervention », dans A. Beaulieu(sous la direction de), Michel Foucault et le contrôle social, op. cit.

BLAIS, L. 2005b. « Il soggetto che non c’è e la verità (che non è) creduta »,dans AA. VV., Potere psichiatrico e biopolitica, op. cit.

BOBBIO, N. 1979. Il problema della guerra e le vie della pace, Bologna, IlMulino.

BOELLA, L. (sous la direction de). 2003. « Bioetica dal vivo », aut aut, 318.BOLTANSKI, L. ; CHIAPPELLO, E. 1999. Le nouvel esprit du capitalisme, Paris,

Gallimard.BONANATE, L. 1998. La guerra, Roma/Bari, Laterza.BONANATE, L. 2004. La politica internazionale tra terrorismo e guerra,

Roma/Bari, Laterza.BONCINELLI, E. 2001. Genoma : il grande libro dell’uomo, Milano, Monda-

dori.BONINI, C. 2004. Guantanamo. USA, viaggio nella prigione del terrore,

Torino, Einaudi.BORDO, M. 1993. « The Bretton Woods International Monetary System:

A Historical Overview », dans M. Bordo et B. Eichengreen (sous ladirection de), A Retrospective on the Bretton Woods System;Lessons from International Monetary Reform, Chicago, University ofChicago Press.

BORGNA, P. 2001. Immagini pubbliche della scienza, Torino, Edizioni diComunità.

BORGNA, P. 2005. Sociologia del corpo, Roma/Bari, Laterza.

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:24 Page 385

Lexique de biopolitique386

BORGOGNONE, G. 2005. La destra americana. Dall’isolazionismo aineocons, Roma/Bari, Laterza.

BORTOLOTTO, G. 1931. Lo Stato e la dottrina corporativa, Bologna,Cappelli.

BORTOLOTTO, G. 1933. Governanti e governati del nostro tempo. Sociolo-gia e politica fascista, Milano, Hoepli.

BOSETTI, E. 1990. Il pastore. Cristo e la chiesa nella prima lettera di Pietro,Bologna, Edizioni Dehoniane.

BOSETTI, E. 1992. La tenda e il bastone. Figure e simboli della pastoralebiblica, Cinisello Balsamo Paoline.

BOSTROM, N. 2005. A History of Transhumanist Thought, http://www.jetpress.org/volume14/bostrom.htlm.

BOULLANT, F. 2003. Michel Foucault et les prisons, Paris, PUF.BOURDELAIS, P. 2001a. Les hygiénistes, enjeux, modèles et pratiques, Paris,

Belin.BOURDELAIS, P. 2001b. « Les logiques du développement de l’hygiène

publique », dans Id. Les hygiénistes, op. cit.BRAGUE, R. 1988. Aristote et la question du monde, Paris, PUF.BRAIDOTTI, R. 2002a. In metamorfosi. Verso una teoria materialista del

divenire, Milano, Feltrinelli, 2003.BRAIDOTTI, R. 2002b. Nuovi soggetti normali, Roma, Luca Sossella Editore.BRAIDOTTI, R. 2005. Madri mostri e macchine, Roma, Manifestolibri.BRAMBILLA, E. 2000. Alle origini del Sant’Ufficio. Penitenza, confessione e

giustizia spirituale dal medioevo al XVI secolo, Bologna, Il Mulino.BRANDT, W. 1979. Nord-Sud : un programme de survie, Rapport de la

Commission indépendante sur les problèmes de développementinternational, Paris, Gallimard,1980.

BRATICH, J.Z. ; PACKER, J. ; MCCARTHY, C. 2003. Foucault, Cultural Studies,and Governmentality, Albany, State University of New York Press.

BRAUDEL, F. 1949. La Méditerranée et le monde méditerranéen à l’époquede Philippe II, Paris, Armand Colin, 1990.

BRAUDEL, F. 1981. La dynamique du capitalisme, Paris, Flammarion, 2008.BRÖCKLING, U. ; KRASMANN, S. ; LEMKE, T. (Hg). 2000. Governementalität

der Gegenwart, Frankfurt am Main, Suhrkamp.BROSSAT, A. 1996. L’épreuve du désastre. Le XXe siècle et les camps, Paris,

Albin Michel.BROSSAT, A. 1998. Le corps de l’ennemi, hyperviolence et démocratie,

Paris, La fabrique.BROSZAT, M. 1967. « Nationalsozialistische Konzentrationslager 1933-

1945 », dans H. Burchheim et coll. (Hg), Anatomie des SS Staates,2 vol., Munich, DTV.

BROWN, P. 1992. Pouvoir et persuasion dans l’Antiquité tardive. Vers unempire chrétien, Paris, Le Seuil, coll. « Des travaux », 1998.

BRUNDTLAND, G.H. 1987. Rapport Brundtland : « Notre vie à tous »,Commission mondiale sur l’environnement et le développement.

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:24 Page 386

Bibliographie 387

BUCCHI, M. 1999. Vino, alghe e mucche pazze. La rappresentazione tele-visiva delle situazioni di rischio, Roma, ERI.

BUCCHI, M. 2002. Scienza e società, Bologna, Il Mulino. [édition anglaise :Science in society: an introduction to the social studies of sciences,London/New York, Routledge 2004].

BUIATTI, M. 2001. Le biotecnologie, Bologna, Il Mulino.BUIATTI, M. 2004. Il benevolo disordine della vita, Bologna, Il Mulino.BURCHELL, G. ; GORDON, C. ; MILLER, P. (sous la direction de). 1991. The

Foucault Effect. Studies in Governmentality, Chicago, The Universityof Chicago Press.

BURCHELL, G. 1991. « Peculiar Interest: Civil Society and Governing “TheSystem of natural Liberty” », in G. Burchell, C. Gordon, P. Miller(sous la direction de), The Foucault Effect. Studies, op. cit.

BURKE, J. 2003. Al-Qaeda. Casting a Shadow of Terror, London, I. B. Tauris.BURKE, K. 1945. The Grammar of Motives, New York, Prentice Hall.BURLEIGH, M. ; WIPPERMANN, W. 1991. The racial state. Germany 1933-

1945, Cambridge (UK), Cambridge University Press.BUTLER, J. 1990. Trouble dans le genre : le féminisme et la subversion de

l’identité, Paris, La Découverte, 2006 (trad. Cynthia Kraus).BUTLER, J. 1997. La vie psychique du pouvoir : l’assujettissement en théo-

ries, Paris, Léo Scheer, 2003 (trad. Brice Matthieussent).BUTLER, J. 2004. Vie précaire : les pouvoirs du deuil et de la violence après

le 11 septembre 2001, Paris, Éditions Amsterdam, 2005 (trad.Jérome Rosanvallon et Jérome Vidal).

Cahiers de la biopolitique (1968), 1 et 2.CANETTI, E. 1960. Masse et pouvoir, Paris, Gallimard, 1990 (trad. Robert

Rovini).CANGUILHEM, G. 1962. « La monstruosité et le monstrueux », dans La

connaissance de la vie, Paris, Vrin.CANGUILHEM, G. 1966. Le normal et le pathologique, Paris, PUF. CARSON, R. 1962. Silent Spring, New-York, Houghton Mifflin.CASCIOLI, R. ; GASPARI, A. 2004. Le bugie degli ambientalisti, Casale

Monferrato, Edizioni Piemme.CASSIN, B. 2004. Vocabulaire européen de Philosophie, Paris, Le Seuil/Le

Robert.CASTEL, R. 1973. « Les médecins et les juges », dans M. Foucault (sous la

direction de), Moi, Pierre Rivière, ayant égorgé ma mère, ma sœur etmon frère : un cas de parricide au XIXe siècle, Paris, Gallimard/Julliard.

CASTEL, R. 1976. L’ordre psychiatrique : l’âge d’or de l’aliénisme, Paris,Éditions de Minuit.

CASTEL, R. 1981. La gestion des risques. De l’antipsychiatrie à l’après-psychanalyse, Paris, Éditions de Minuit.

CASTEL, R. 1983. « De la dangerosité au risque », Actes de la Rechercheen sciences sociales, p. 47-48.

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:24 Page 387

Lexique de biopolitique388

CASTEL, R. 1991. « From dangerousness to Risk », dans G. Burchell,C. Gordon, P. Miller (sous la direction de), The Foucault Effect,op. cit.

CASTEL, R. 1995. Métamorphoses de la question sociale, Paris, Fayard.CASTEL, R. 2003. L’insécurité sociale : qu’est-ce qu’être protégé, Paris, Le

Seuil.CAVALLETTI, A. 2005. Città biopolitica. Mitologie della sicurezza, Milano,

Bruno Mondadori.CEDRONI, L. ; CHIANTERA-STUTTE, P. (sous la direction de). 2003. Questioni di

biopolitica, Roma, Bulzoni Editore.CENCI, C. ; POZZI, E. 2005. « Dieci tesi sul Kamikaze », Il Corpo, XI/12.CERRONI, A. 2003. Homo transgenicus. Sociologia e comunicazione delle

biotecnologie, Milano, Franco Angeli.CHALK, F. ; JONASSOHN, K. 1990. The History and Sociology of Genocide,

New Haven et Londres, Yale University Press.CHARAUDEAU, P. ; GHIGLIONE, R. 1997. La parole confisquée. Un genre télé-

visuel : le talk-show, Paris, Dunod.CHARNY, I. W. (sous la direction de). 1988-1997. Genocide, 4 vol., London,

Mansell/Transaction Publishers.CHARNY, I.W. (sous la direction de). 1999. Encyclopedia of Genocide,

2 vol., Santa Barbara, ABC/CLIO Press.CHEMILLIER-GENDREAU, M. 1998. L’injustifiable. Les politiques françaises de

l’immigration, Paris, Bayard.CHIANTERA-STUTTE, P. 2003. « la “distopia” biopolitica : la rappresentazione

della comunità nelle strategie biopolitiche del Terzo Reich », dansL. Cedroni, P. Chiantera-Stutte (sous la direction de), Questioni dibiopolitica, op. cit.

CHITTOLINI, G. ; MOLHO, A. ; SCHIERA, P. 1994. Origini dello Stato. Processidi formazione statale in Italia fra medioevo ed età moderna ; Conve-gno storico (Chicago 26-29 avril 1993), Bologna, Il Mulino.

CLARK, J.M. 1926. Social Control of Business, New York, Whittlesey House.CLAUSEWITZ, K. von 1832-1834. De la guerre, Paris, Éditions de Minuit,

1998 (trad. Denise Naville).CODELUPPI, V. 2000. Lo spettacolo della merce, Milano, Bompiani.COHEN, S. 1985. Visions of Social Control, Cambridge (UK), Polity Press.COLETTI, F. 1928. « Il carattere sociologico della demografia », Conférence

du 7 mai 1928 à l’université de Trieste, Bollettino dell’Istituto statis-tico-economico, IV/5-6.

COLLA, P.S. 2000. Per la nazione e per la razza. Cittadini ed esclusi nel« modello svedese », Roma, Carocci.

COLOMBO, E. 2001. Le società multiculturali, Roma Carocci.COLUCCI, M. ; DE VITTORIO, P. 2001. Franco Basaglia, portrait d’un

psychiatre intempestif, Toulouse, érès, 2005 (trad. Patrick Faugeras).COLUCCIA, P. 2001. La banca del tempo, Torino, Bollati Bolinghieri.

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:24 Page 388

Bibliographie 389

COLUCCIA, P. 2002. La cultura della reciprocità. I sistemi di scambio localenon monetari, Bologna, Arianna.

COMENIUS, J.A. 1938. Via Lucis, Liverpool, Liverpool University Press.COMMONER, B. 1971. The closing Circle, New-York, Alfred Knopf Inc.Communication de la Commission européenne sur le principe de précau-

tion 2000), hppt ://europa.eu.int/eur-lex/it/com/cnc/2000/com2000_0001it01.pdf#search=Comunicazione%20della%20Commissione%20europea%20sul%20principio%20di%20precauzione’

CONFINO, M. 1976. Il catechismo del rivoluzionario. Bakunin e l’affareNecaev, Milano, Adelphi.

CONSEIL DE L’UNION EUROPÉENNE, Council Conclusions on the Inclusion ofBiometric Data on Visa and Residence Permits, ST 6492/05, Brussels17 février 2005.

CONTI, F. ; Silei, G. 2007. Breve storia dello stato sociale, Roma, Carocci.Convention de Rio de Janeiro. 1992. http://www.agenda21.it/ita/

A21verde/Documenti/biodiver.htm ; http://www.biodiver.org/convention/default.shtml.

CORBELLINI, G. 2003. « Cultura scientifica, biotecnologie e democrazia. Iconflitti tra percezione pubblica e natura della scienza », dansP. Donghi (sous la direction de), Il governo della scienza, Roma/Bari,Laterza.

CORIN, E. et coll., 1986. Sortir de l’asile ? Avis sur les services de santémentale de la France, de la Grande-Bretagne, de l’Italie et des États-Unis, Québec, Les Publications du Québec.

CORRIGAN, P. 1997. The Sociology of Consomption, London, SAGE Publica-tions.

COSENTINI, F. 1912. Sociologia. Genesi ed evoluzione dei fenomeni sociale,Torino, UTET.

COSTA, P. 1999. Civitas. Storia della cittadinanza in Europa. 1. Dalla civiltàcomunale al Settecento, Roma/Bari, Laterza.

CROSBY, A. 1972. The Columbian Exchange, Westford (Conn.), Green-wood Publishing Company.

CUTRO, A. 2004. Michel Foucault, tecnica e vita. Bio-politica e filosofia delbios, Napoli, Bibliopolis.

CUTRO, A. (sous la direction de). 2005. Biopolitica. Storia e attualità di unconcetto, Verona, Ombre corte Edizioni.

DAL LAGO, A. 1997. « Foucault : dire la verità del potere », dansM. Foucault, Archivio Foucault, op. cit., vol. 2.

DAL LAGO, A. 1999. Non-persone. L’esclusione dei migranti in una societàglobale, Milano, Feltrinelli, 2005.

DAL LAGO, A. 2003. Polizia globale, Verona, Ombre corte Edizioni.DALY, H. E. 1996. Beyond growth: the economics of sustainable develop-

ment, Boston, Beacon Press.DAMON, J. 2002. « La dictature du partenariat », Futuribles, 273.

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:24 Page 389

Lexique de biopolitique390

DARWIN, C. 1859. L’origine des espèces, au moyen de la sélection naturelleou la présevation des races favorisée dans la lutte pour la vie, Paris,Flammarion, 2008 (trad. Edmonde Barbier).

DAWKINS, R. 1976. Le gène égoïste, Paris, Odile Jacob, 2003 (trad. LauraOvion).

DEAN, M. 1999. Governementality. Power and Rule in Modern Society,New Delhi, Thousand Oaks/London, SAGE Publications.

DEAN, M. 2002. « Liberal government and authoritarianism », Economyand Society, 31, 1.

DE BOER, W. 2001. The Conquest of the Soul: Confession, Discipline, andpublic Order in Counter-Reformation, Milano, Leiden/Boston (Mass.),Brill.

DE CAPRIO, L. 2000. Medicina e sopravivenza. Un invito alla bioetica,Napoli, ESI.

DE FEO, N.M. 1992. L’autonomia del negativo tra rivoluzione politica erivoluzione sociale, Manduria/Bari/Roma, Lacaita.

DEFERT, D. 1991. « “Popular Life” and Insurance Technology », dansG. Burchell, C. Gordon, P. Miller (sous la direction de), The FoucaultEffect, op. cit.

DE FIORES, C. ; PETROSINO, D. 1996. Secessione, Roma, Ediesse.DE FRANCO, R. (sous la direction de) 1998. Bioetica e tolleranza. Questioni

di medicina e morale per il terzo millenio, Bari, Levante Editori.DE FRANCO, R. 2001. In nome di Ippocrate. Dall’“olocausto medico”

nazista all’etica della sperimentazione contemporanea, Milano,Franco Angeli.

DE GREEF, G. 1893. Les lois sociologiques, Paris, Félix Alcan.DE HERT, P. 2005. Biometrics: Legal Issues and Implications, Background

paper for the Institute of Prospective Technological Studies, DG JRC

Sevilla, European Commission.DELAMARE, N. 1722. Traité de la police, 2e éd., Paris, M. Brunet.DELÉAGE, J.P. 1991. Une histoire de l’écologie, Paris, Le Seuil, 1994.DELEUZE, G. 1968. Différence et répétition, Paris, PUF.DELEUZE, G. 1969. Logique du sens, Paris, Éditions de Minuit.DELEUZE, G. 1986. Foucault, Paris, Éditions de Minuit, coll « Critique ».DELEUZE, G. ; GUATTARI, F. 1980. Mille plateaux, Paris, Éditions de Minuit.DELUCIA, S. 2004. « Biopotere, biopolitica, bioetica. Foucault dopo

Foucault », dans O. Marzocca (sous la direction de), Michel Foucault,vent’anni dopo, op. cit.

DELUMEAU, J. 1983. Le péché et la peur : la culpabilisation en occident,XIIIe-XVIIIe siècles, Paris, Fayard.

DELUMEAU, J. 1989. Rassurer et protéger : le sentiment de sécurité dansl’Occident d’autrefois, Paris, Fayard.

DE MADDALENA, A. ; KELLENBENZ, H. 1984. Finanzen und Staatsräson inItalien und Deutschland in der frühen Neuzeit, Berlin, Dunker etHumblot 1992.

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:24 Page 390

Bibliographie 391

DERRIDA, J. 1967a. De la grammatologie, Paris, Éditions de Minuit.DERRIDA, J. 1967b. L’écriture et la différence, Paris, Le Seuil.DERRIDA, J. 1972. Marges de la philosophie, Paris, Éditions de Minuit.DERRIDA, J. 1997. Adieu à Emmanuel Lévinas, Paris, Galilée.DERSHOWITZ, A. 2002. Why Terrorism Works: Understanding the Threat,

Responding to the Challenge, New Haven, Yale University Press.DERY, M. 1996. Escape Velocity: Cyberculture at the end of the century,

New York, Grove Press.DEWEY, J. 1927. Le public et ses problèmes, Œuvres philosophiques II, Pau,

Publication de l’université de Pau, 2003 (trad. Joëlle Zack).Déclaration de Rio de Janeiro sur l’environnement et le développement

1992. hppt ://www.un.org/documents/ga/conf151/aconf15126-1annex1.htm

DI GIOVINE, A. (sous la direction de). 2005. Democrazie protette e prote-zione della democrazia, Torino, Giappichelli.

DIGNEFFE, F. 1998. « L’école positiviste et le mouvement de la défensesociale », dans A. Pires, Histoire des savoirs sur le crime et la peine,op. cit.

DI LEO, R. 2004. Lo strappo atlantico. America contro Europa, Roma/Bari,Laterza.

DI LUZIO, G. 2004. I fantasmi dell’Enichem, Milano, Baldini Castoldi Dalai.DIOTIMA. 1990. Mettere al mondo il mondo, Milano, La Tartaruga.DIOTIMA. 1992. Il cielo stellato dentro di noi. L’ordine simbolico della

madre, Milano, La Tartaruga.DIOTIMA. 1995. Oltre l’uguaglianza. Le radici femminili dell’autorità,

Napoli, Liguori.DIOTIMA. 1996. La sapienza di partire da sé, Napoli, Liguori.DI VITTORIO, P. 1999. Foucault e Basaglia. L’incontro tra genealogie e movi-

menti di base, Verona, Ombre corte Edizioni.DI VITTORIO, P. 2002. « Soggetti “speciali”. I paradossi del governo libe-

rale », Fogli di informazione, 194.DI VITTORIO, P. 2004a. « Marges du pouvoir », Sud/Nord « Folies et

cultures », Toulouse, érès, p. 20.DI VITTORIO, P. 2004b. « Biopolitica e psichiatria », aut aut, 323.DI VITTORIO, P. 2004c. « La parabola della follia », dans O. Marzocca (sous

la direction de), Moltiplicare Foucault, vent’anni dopo, op. cit.DI VITTORIO, P. 2005a. « De la psychiatrie à la biopolitique, ou la résistance

de l’État biosécuritaire », dans A. Beaulieu (sous la direction de),Michel Foucault et le contrôle social, op. cit.

DI VITTORIO, P. 2005c. « Che cos’è il radicalismo ? », dans Michel Foucaulte la Rivoluzione iraniana, La Rosa di Nessuno/La Rose de personne, 1.

DI VITTORIO, P. 2006a. « From Psychiatry to Bio-Politics or the Birth of theBio-Security State », dans A. Beaulieu, D. Gabbard (sous la directionde), Michel Foucault et Power Today, op. cit.

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:24 Page 391

Lexique de biopolitique392

DI VITTORIO, P. 2006b. « For Your Own Good. La biopolitica raccontata daJ. G. Ballard », Journal of Science Communication, JCOM 5(1), March,hppt ://jcom.sissa.it.

DONGHI, P. (sous la direction de). 2003. Il governo della scienza, Roma/Bari,Laterza.

DONZELOT, J. 1984. L’invention du social, Paris, Fayard.DONZELOT, J. 1991. « The Mobilization of Society », dans G. Burchell,

C. Gordon, P. Miller (sous la direction de), The Foucault Effect,op. cit.

DOUGLAS, M. 1966. Purity and danger. An analysis of concepts of pollutiontaboo, London/Boston, Routledge et Kegan Paul.

DOUGLAS, M. 1985. Risk Acceptability according ti the social Sciences,New York, Russel Sage Foundation.

DOUGLAS, M. 1992. Risk and Blame: Essays in Cultural Theory, London,Routledge.

DOZON, P. ; FASSIN, D. (sous la direction de). 2001. Critique de la santépublique. Une approche anthropologique, Paris, Balland.

DREYFUS, H.B. ; RABINOW, P. 1984. Michel Foucault. Un parcours philoso-phique : au-delà de l’objectivité et de la subjectivité, Paris, Gallimard,coll. Folio « Essais ».

DROUIN, J.M. 1993. L’écologie et son histoire, Paris, Flammarion.DUDEN, B. 1991. L’invention du fœtus ; Le corps féminin comme lieu

public, Paris, Éditions Descartes et Cie, 1996 (trad. J. Etoré).DUFFIELD, M. 1998. « Post-Modern Conflict: Warlords, Post-adjustment

States and Private Protection, Civil Wars vol.1, n° 1, p. 66-102.DUFFIELD, M. 2001. Global Governance and the New Wars, New York, Zed

Books.DURKHEIM, E. 1897. Le suicide : étude de sociologie, Paris, PUF, 2007.DUSTER, T. 2003. « The Hidden Eugenic Potential of germ-Line Interven-

tions », dans A.R. Chapman, M.S. Frankel (sous la direction de),Designing our Descendants: The Promises and Perils of geneticModifications, Baltimore/London, John Hopkins University Press.

EHRENBERG, A. 1991. Le culte de la performance, Paris, Calmann-Lévy.EHRENBERG, A. 1995. L’individu incertain, Paris, Calmann-Lévy.EHRENBERG, A. 1998. La fatigue d’être soi : dépression et société, Paris,

Odile Jacob.EISENSTADT, S.N. 1973. Tradition, change and modernity, New York, John

Wiley et Sons.ELIAS, N. 1939. La dynamique de l’Occident, Paris, Press Pocket, 2003

(trad. Pierre Kamnitzer).ELIAS, N. 1969. La société de cour, Paris, Flammarion, 2008 (trad. Pierre

Kamnitzer et Jeanne Etoré).EMMANUEL, A. 1972. L’échange inégal : essai sur les antagonismes dans les

rapports économiques internationaux, Paris, F. Maspéro, 1978.

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:24 Page 392

Bibliographie 393

ENGELHARDT, H.T. 1996. The Foundations of Bioethics, New York/Oxford,Oxford University Press.

ERIBON, D. 1989. Michel Foucault, Paris, Flammarion.ESPOSITO, R. 2002. Immunitas. Protezione e negazione della vita, Torino,

Einaudi.ESPOSITO, R. 2004. Bíos. Biopolitica e filosofia, Torino, Einaudi.ESTROPICO, hppt ://www.estropico.com/European Parliament, STOA (Scientific and Technological Options Assess-

ments), An Appraisal of technologies of Political Control, WorkingDocument PE 166 499, Luxembourg 6/1/1998.

EWALD, F. 1985. « Le bio-pouvoir », Magazine Littéraire, 218.EWALD, F. 1986. L’État providence, Paris, Grasset.EWALD, F. 1987. « Risk, Insurance, Society », History of the Present, 3.EWALD, F. 1991. « Insurance and Risk », dans G. Burchell, C. Gordon,

P. Miller (sous la direction de), The Foucault Effect, op. cit.Extropy Institut, hppt ://www.extropy.org/FABBRI, F. 2002. OGM per tutti, Milano, Jaca Book.FARGE, A. ; FOUCAULT, M. 1982. Le désordre des familles. Lettres de cachet

des Archives de la Bastille, Paris, Gallimard/Julliard.FASSIN, D. 2001. « Les scènes locales de l’hygiénisme contemporain. La

lutte contre le saturnisme infantile : une biopolitique à la fran-çaise », dans P. Bourdelais (sous la direction de), Les Hygiénistes,op. cit.

FASSIN, D. 2004. « Le corps exposé. Essai d’économie morale de l’illégiti-mité », dans D. Fassin, D. Memmi (sous la direction de), Le gouver-nement des corps, op. cit.

FASSIN, D. ; MEMMI, D. (sous la direction de). 2004a. Le gouvernement descorps, Paris, Éditions de l’École des Hautes Études en SciencesSociales.

FASSIN, D. ; MEMMI, D. 2004b. « Le gouvernement de la vie, mode d’em-ploi », dans D. Fassin, D. Memmi (sous la direction de), Le gouverne-ment des corps, op. cit.

FEATHERSTONE, M. ; HEPWORTH, M. ; TURNER, B.S. 1991. The Body. Socialprocess and cultural theory, London, SAGE Publications.

FEIN, H. 1990. Genocide. A Sociological Perspective, London, SAGE Publi-cations.

FERRAJOLI, L. 2003. « La guerra e il futuro del diritto internazionale », dansL. Bimbi (sous la direction de), Not in my name. Guerra e diritto,Roma, Editori Riuniti.

FERRERA, M. 1984. Il Welfare State in Italia : sviluppo e crisi in prospettivacomparata, Bologna, Il Mulino.

FERRI, E. 1900. La sociologie criminelle, Paris, Dalloz, 2004 (trad. par l’au-teur).

FERRY, J.M. 2000. La question de l’état européen, Paris, Gallimard.FIORAVANTI, M. 1999. Costituzione, Bologna, Il Mulino.

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:24 Page 393

Lexique de biopolitique394

FISHER, I. 1906. The Nature of Capital and Income, New York, MacMillan.FISICHELLA, D. 1987. Totalitarismo, Roma, Nuova Italia Scientifica.FLORES, M. 1998. Nazismo, fascismo, comunismo. Totalitarismi a

confronto, Milano, Bruno Mondadori.FM 2030. 1989. Are you a Transhuman ? London, Warner Books.FO, D. 1990. Le gai savoir de l’acteur, Paris, L’arche.FONTANARI, D. ; TORESINI, L. (sous la direction de). 2001. « Psichiatria e

nazismo. Atti del convegno Internazionale, San Servolo 9 ottobre1998 », Fogli di informazione, 191.

FONTE, M. 2004. Organismi geneticamente modificati. Monopolio e diritti,Milano, Franco Angeli.

FORTI, S. 2003. Il totalitarismo, Roma/Bari, Laterza.FORTI, S. (sous la direction de). 2004. La filosofia di fronte all’estremo.

Totalitarismo e rilfessione filosofica, Torino, Einaudi.FOUCAULT, M. 1961 et 1972. Histoire de la folie à l’âge classique, Paris,

Gallimard.FOUCAULT, M. 1963. Naissance de la clinique, Paris, PUF, 2003.FOUCAULT, M. 1966. Les mots et les choses, Paris, Gallimard.FOUCAULT, M. 1971. « Nietzsche, la généalogie, l’histoire » dans A.A. V.V.,

Hommage à Jean Hyppolite, Paris, PUF.FOUCAULT, M. (sous la direction de). 1973a. Moi, Pierre Rivière, ayant

égorgé ma mère, ma sœur et mon frère : un cas de parricide auXIXe siècle, Paris, Gallimard/Julliard, coll. « Archives ».

FOUCAULT, M. 1973b. « De l’archéologie à la dinastique », dans Dits etécrits II, 119, Paris, Gallimard, 1994, p. 405-416.

FOUCAULT, M. 1973c. « La société punitive », dans Michel Foucault :Résumé des cours au Collège de France 1970-1982, Paris, Julliard,1989.

FOUCAULT, M. 1974. « La vérité et les formes juridiques », Dits et écrits II,139, Paris, Gallimard, p. 538-646.

FOUCAULT, M. 1975. Surveiller et punir. Naissance de la prison, Paris, Galli-mard.

FOUCAULT, M. 1976a. La volonté de savoir, Paris, Gallimard.FOUCAULT, M. 1976b. « La politique de la santé au XVIIIe siècle », dans Dits

et écrits II,168, Paris, Gallimard, p. 13-27.FOUCAULT, M. 1976c. « Crise de la médecine ou crise de l’anti-

médecine ? », dans Dits et écrits III, 170, Paris, Gallimard, p. 40-58.

FOUCAULT, M. 1977a. Microfisica del potere. Interventi politici, a cura diA. Fontana e P. Pasquino, Torino, Einaudi.

FOUCAULT, M. 1977b. « L’œil du pouvoir », dans Dits et écrits III, 195, Paris,Gallimard, p. 190-207.

FOUCAULT, M. 1977c. « La naissance de la médecine sociale », dans Dits etécrits II, 196, Paris, Gallimard, p. 207-227.

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:24 Page 394

Bibliographie 395

FOUCAULT, M. 1977d. « La vie des hommes infâmes », dans Dits et écritsII, 198, Paris, Gallimard, p. 237-252.

FOUCAULT, M. 1977e. « L’asile illimité », dans Dits et écrits II, 202, Paris,Gallimard, p. 271-274.

FOUCAULT, M. 1978a. « Dialogue sur le pouvoir », dans Dits et écrits III,221, op. cit., p. 464-477.

FOUCAULT, M. 1978b. « L’évolution de la notion d’“individu dangereux”dans la psychiatrie légale du XIXe siècle », dans Dits et écrits III, 220,Paris, Gallimard, p. 443-464.

FOUCAULT, M. 1978c. « La gouvernementalité », dans Dits et écrits III, 239,Paris, Gallimard, p. 635-657.

FOUCAULT, M. 1978d. « Précisions sur le pouvoir. Réponses à certainescritiques », dans Dits et écrits III, 238, Paris, Gallimard, p. 625-635.

FOUCAULT, M. 1979. « Le problème des réfugiés est un présage de lagrande migration du XXIe siècle », dans Dits et écrits III, 271, Paris,Gallimard, p. 798-800.

FOUCAULT, M. 1981. « “Omnes et singulatim”. Vers une critique de laraison politique », dans Dits et écrits II, 291, Paris, Gallimard, p. 953-980.

FOUCAULT, M. 1982a. « Le sujet et le pouvoir », dans Dits et écrits II, 306,Paris, Gallimard, p. 1041-1061.

FOUCAULT, M. 1982b. « Conversation avec Werner Schroeter », dans Ditset écrits II, 308, Paris, Gallimard, p. 1070-1079.

FOUCAULT, M. 1983a. « Pourquoi étudier le pouvoir : la question dusujet », dans Dreyfus, L. Hubert et Paul Rabinow, Michel Foucault, unparcours philosophique, op. cit.

FOUCAULT, M. 1983b. « À propos de la généalogie de l’éthique : un aperçudu travail en cours », dans Dits et écrits IV, 326, Paris, Gallimard,p. 383-411.

FOUCAULT, M. 1983c. « Un système fini face à une demande infinie », dansDits et écrits IV, 325, Paris, Gallimard, p. 367-383.

FOUCAULT, M. 1984a. L’usage des plaisirs, Paris, Gallimard.FOUCAULT, M. 1984b. Histoire de la sexualité, 3. Le souci de soi, Paris, Galli-

mard.FOUCAULT, M. 1984c. « L’éthique du souci de soi comme pratique de la

liberté », dans Dits et écrits IV, 356, Paris, Gallimard, p. 708-729.FOUCAULT, M. 1984d. « Le retour de la morale », dans Dits et écrits IV, 354,

Paris, Gallimard, p. 696-707.FOUCAULT, M. 1984e. « Une esthétique de l’existence », dans Dits et écrits

IV, 357, Paris, Gallimard, p. 730-735.FOUCAULT, M. 1988a. « Les technologies de soi », dans Dits et écrits II,

363, Paris, Gallimard, p. 1602-1631.FOUCAULT, M. 1988b. « La technologie politique des individus », dans Dits

et écrits IV, 364, Paris, Gallimard, p. 813-828.

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:24 Page 395

Lexique de biopolitique396

FOUCAULT, M. 1990. « Qu’est-ce que la critique ? (Critique etAufklärung) », Paris, Bulletin de la Société Française de Philosophie,vol. 84, n° 2, p. 35-63.

FOUCAULT, M. 1994a. Dits et écrits, 4 vol., Édition établie sous la directionde Daniel Defert, et François Ewald avec la collaboration de JacquesLagrange, Paris, Gallimard, coll. « Quarto ».

FOUCAULT, M. 1994b. Poteri e strategie. L’assoggettamento dei corpi el’elemento sfuggente, a cura di P. Della Vigna, Milano, Mimesis.

FOUCAULT, M. 1994c. « Subjectivité et vérité », dans Michel Foucault :Résumé des cours au Collège de France 1980-1981, Paris, Julliard,1989.

FOUCAULT, M. 1997. Il faut défendre la société. Cours au Collège de France1975-1976. F. Ewald et A. Fontana (sous la direction de), Paris, Galli-mard/Seuil, coll. « Hautes études ».

FOUCAULT, M. 1999. Les anormaux. Cours au Collège de France, 1974-1975, F. Ewald et A. Fontana (sous la direction de), Paris, Galli-mard/Seuil, coll. « Hautes études ».

FOUCAULT, M. 2001a. L’herméneutique du sujet. Cours au Collège deFrance, 1981-1982, F. Ewald et A. Fontana (sous la direction de),Paris, Gallimard/Seuil, coll. « Hautes études ».

FOUCAULT, M. 2003. Le pouvoir psychiatrique. Cours au Collège de France,1973-1974, F. Ewald et A. Fontana., Paris, Gallimard/Seuil, coll.« Hautes études ».

FOUCAULT, M. 2004a. Sécurité, territoire, population. Cours au Collège deFrance (1997-1978), F. Ewald et A. Fontana (sous la direction de),Paris, Gallimard/Seuil, coll. « Hautes études ».

FOUCAULT, M. 2004b. Naissance de la biopolitique. Cours au Collège deFrance (1978-1979), F. Ewald et A. Fontana, Paris, Gallimard/Seuil,coll. « Hautes études ».

FRABETTI, F. 2004. « Postumano », dans M. Cometa, R. Coglitore,F. Mazzara (sous la direction de), Dizionario degli studi culturali,Roma, Meltemi.

FRANK, A.G., 1969. Capitalisme et sous-développement en Amériquelatine, Paris, F. Maspéro, 1977 (trad. Guillaume Carle et ChristosPassadéos).

FRANK, J.P. 1779-1817. System einer vollständigen medizinischen Polizey(« Système d’une police médicale complète »), 6 vol., Manheim.

FREDRICKSON, G.M. 2002. Racisme, une histoire, Paris, Liana Levi, 2007(trad. Jacqueline Carnaud).

FREUD, S. 1913. Totem et tabou, Paris, Payot, 2005 (trad. Serge Jankélé-vitch).

FRIEDLANDER, H. 1995. The origin of Nazi genocide: from euthanasia to thefinal solution, Chapel Hill (NC)/London, The University of CarolinaPress.

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:24 Page 396

Bibliographie 397

FRIEDRICH, C.J. ; BRZEZINSKI, Z.K. 1956. Totalitarian Dictatorship and Auto-cracy, Cambridge (Mass.), Harvard University Press.

FRIGESSI, D. 2003. Cesare Lombroso, Torino, Einaudi.FUKUYAMA, F. 2002. La fin de l’homme : les conséquences de la révolution

biotechnique, Paris, La Table ronde, 2002 (trad. Denis-ArmandCanal).

FUKUYAMA, F. 2004. State-Building : gouvernance et ordre du monde auXXIe siècle, Paris, La Table ronde, 2005 (trad. Denis-Armand Canal).

FUNTOWICZ, S. 2001. « Post-Normal Science. Science and Governanceunder Conditions of Complexity », dans M. Tallacchini, R. Doubleday(sous la direction de), « Politica della scienza e diritto : il rapporto traistituzioni, esperti e pubblico nelle biotecnologie », Politeia XVII, 62,p. 77-85.

FUSCHETTO, C. 2004. Fabbricare l’uomo. L’eugenetica tra biologia e ideo-logia, Roma, Armando.

GABRIELE, G. (sous la direction de). 2005. « Psicofarmaci e malattiamentale. Atti del convegno internazionale, Roma 14 maggio 2004 »,Fogli di informazione, 202.

GALLI, C. 2001. Spazi politici. L’età moderna e l’età globale, Bologna, IlMulino.

GALLI, C. 2002. La guerra globale, Roma/Bari, Laterza.GALLINO, L. 1980. « Oltre il gene egoista », dans A.A. V.V., Sociobiologia e

natura umana, Torino, Einaudi.GALTON, F. 1883. Inquires into Human Faculty and its Development,

London, MacMillan et Co.GALTUNG, J. ; O’BRIEN, P. ; PREISWERK, R. (sous la direction de). 1977. Self-

reliance. A strategy for development, London, Bogle/L’OuverturePublications, 1980.

GAMBETTA, D. (sous la direction de). 1988. Trust, New York, B. Blackwell.GARE, A.E. 1995. Postmodernism and the Environmental Crisis,

London/New York, Routledge.GARLAND, D. 2001. The culture of Control: Crime and Social Order in

Contemporary Society, Oxford, Oxford University Press.GAROFALO, R. 1885. La criminologie : étude sur la nature du crime et la

théorie de la pénalité, Paris, Félix Alcan, 1905 (trad. par l’auteur).GAUDILLIÈRE, J.-P. 2001. « Hérédité, risque et santé publique », dans

P. Dozon et D. Fassin (sous la direction de), Critique de la santépublique. Une approche anthropologique, op. cit.

GEORGESCU-ROEGEN, N. 1976. Energy and economic myths, New York,Pergamon Press.

GERMANI, G. 1969. « Sociologie de la modernisation », dans Politique,société et modernisation, Paris, Duculot, 1972 (trad. de l’espagnol).

GIDDENS, A. 1990. Les conséquences de la modernité, Paris, L’Harmattan,2000 (trad. Olivier Meyer).

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:24 Page 397

Lexique de biopolitique398

GIDDENS, A. 1991. Modernity and self identity, Cambridge (UK), PolityPress.

GIDDENS, A. 1992. La transformation de l’intimité : sexualité, amour etérotisme dans les sociétés modernes, Paris, Hachette, 2006 (trad.Jean Mouchard).

GIDDENS, A. 1999. Runaway world: how globalisation is reshaping ourlives, London, Profile Books.

GINI, C. 1930. Nascita, evoluzione e morte delle nazioni, Roma, Libreriadel Littorio.

GOFFMAN, E. 1961. Asiles. Études sur la condition sociale des maladesmentaux et autres reclus, Paris, Éditions de Minuit, 1972 (trad.Liliane et Claude Lainé).

GOKLANY, I.M. 2001. The Precautionary Principle. A Critical Appraisal ofEnvironment Risk Assessment, Washington DC, Cato Institute.

GORDON, G. 1991. « Governmental Rationality: An Introduction », dansG. Burchell, C. Gordon et P. Miller (sous la direction de), The FoucaultEffect, op. cit.

GORZ, A. 1997. Misères du présent, richesse du possible, Paris, Galilée.GRASSI, C. 1995. Sociologie du dispositif photographique, thèse de docto-

rat, 2 vol., Paris V.GRAY, C.H. ; MENTOR, S. ; FIGUEROA-SARRIERA, H.J. 1995. « Cyborgology.

Constructing the Knowledge of Cybernetic Organisms », dansC.H. Gray, H.J. Figueroa-Sarriera, S. Mentor (sous la direction de),The Cyborg Handbook, London/New York, Routledge.

GREENPEACE, www.greenpeace.orgGUEVARA, E. 1959. La guerre de guérilla, Paris, Mille et une nuits, 2008

(trad. Laurence Villaume). GUPTA, A. 2004. « When Global is Local: Negociating Safe Use of Biotech-

nology », dans S. Jasanoff, M. Long Martello (sous la direction de),Earthly Politics, op. cit.

HABERMAS, J. 1985. Le discours philosophique de la modernité : douzeconférences, Paris, Gallimard, 1988 (trad. Christian Bouchindhommeet Rainer Rochlitz).

HABERMAS, J. 2001. L’avenir de la nature humaine. Vers un eugénisme libé-ral ? Paris, Gallimard, 2002 (trad. Christian Bouchindhomme).

HABERMAS, J. 1994. « Struggles for Recognition in the Democratic Consti-tutional State », dans C. Taylor, Multiculturalism and the Politics ofRecognition, Princeton, Princeton University Press.

HAGENBECK, K. 1951. Cages sans barreaux, Paris, Nouvelles éditions deParis.

HALBERSTAM, J. ; LIVINGSTON, I. (sous la direction de). 1995. PosthumanBodies, Bloomington/Indianapolis, Indiana University Press.

HALPERIN, D. 1995. Saint Foucault, Paris, EPEL, 2000 (trad. Didier Eribon).

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:24 Page 398

Bibliographie 399

HANSEN, M. 2001. « Santé publique, environnement et aliments transgé-niques », dans J.P. Berlan (sous la direction de), La guerre au vivant,op. cit.

HARAWAY, D.J. 1991. Manifeste cyborg et autres essais. Sciences-fictions – féminismes, Paris, Exils, 2007.

HARAWAY, D.J. 1988. « Situated Knowledges. The Science Question inFeminism as a Site of Discourse on the Privilege of Partial Perspec-tive », dans D. Haraway, Simians, Cyborgs, and Women: The Rein-vention of Nature, New York, Routledge, 1991.

HARDT, M. ; NEGRI, T. 1994. The Labor of Dionysus: a critique of the state-form, Minneapolis, University of Minnesota Press.

HARDT, M. ; NEGRI, T. 2000. Empire, Paris, Exils, 2000 (trad. Denis-ArmandCanal).

HARDT, M. ; NEGRI, T. 2004. Multitude : guerre et démocratie à l’âge del’Empire, Paris, La Découverte, 2004 (trad. Nicolas Guilhot).

HARFF, B. ; GURR, T.R. 1994. Ethnic Conflict in World Politics, Boulder,Westview Press.

HARROD, R.F. 1948. Toward a dynamic economics, London, CambridgeUniversity Press.

HATCHUEL, A. ; PEZET, E. ; STARKEY, K. ; LENAU, O. (sous la direction de),Gouvernement, organisation et entreprise : l’héritage de MichelFoucault, Saint-Nicolas/Québec, Les Presses de l’université de Laval.

HAYLES, N.K. 1999. How we became posthuman. Virtual Bodies in Cyber-netic Literature, and Informatics, Chicago/London, The University ofChicago Press.

HEIDEGGER, M. 1950. Chemins qui mènent nulle part, Paris, Gallimard(trad. Wolfgang Brokmeier).

HEIDEGGER, M. 1961. Nietzsche, Paris, Gallimard, 1980 (trad. Pierre Klos-sowski)

HEIDENRICH, J. G. 2001. How to Prevent Genocide: a guide for a policyma-kers, scholars, and the concerned citizens, Westport, GreenwoodPublishing Group.

HELLER, A. 1996. « Has Biopolitics Changed the Concept of Political ? »dans A. Heller et S. Puntscher Rickmann, Biopolitics: The Politics ofthe Body, Race and Nature, Avebury, Aldershot and Brookfield.

HERSCH, J. 1973. « Nouveaux pouvoirs de l’homme, sens de vie et desanté », dans A.A. V.V. The Challenge of Life-Biomedical Progressand Human Values (1997), Basel-Stuttgart, Roche AnniversarySymposium, Birkhäuser Verlag.

HERSCH, J. 1986. « Le grand âge aujourd’hui : menaces, chances, séréni-tés », Société Suisse de Gérontologie.

HICK, C. 2001. « “Arracher les armes aux enfants”. La doctrine de lapolice mécicale chez Johann Peter Frank et sa fortune littéraire enFrance », dans P. Bourdelais (sous la direction de), Les hygiénistes,op. cit.

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:24 Page 399

Lexique de biopolitique400

HIRSCH, F. 1976. Social limits to growth, Cambridge (USA), Harvard Univer-sity Press.

HIRSCHMAN, A.O. 1958. Stratégie du développement économique, Paris,Éditions ouvrières, 1974 (trad. Françoise Pons).

HLHL. 1991. Rapport annuel de l’Hôpital Louis-H. Lafontaine 1990-1991,Montréal.

HLHL. 2000. Rapport annuel de l’Hôpital Louis-H. Lafontaine 1999-2000,Montréal.

HONNETH, A. 1985. Reflexionstufen einer kritischen Gesellschaftstheorie,Frankfurt am Main, Suhrkamp.

HOROWITZ, I.L. 1997. Taking Lives. Genocide and State Power, New Bruns-wick Transaction, Publishers.

HOSELITZ, B.F. 1960. Aspects sociologiques de la croissance économique,Strasbourg, Istra, 1971 (trad. Geneviève Bru).

HUMBOLDT, A. von (1807. Essais sur la géographie des plantes, Paris,Schoell.

HUNTINGTON, S.P. ; MOORE, C.H. (sous la direction de). 1970. AuthoritarianPolitics in Modern Society, New York, Basic Books.

HUSSERL, E. 1931. Méditations cartésiennes, Paris, J. Vrin, 1996.HUTEAU, M. 2002. Psychologie, psychiatrie et société sous la Troisième

République. La biocratie d’Édouard Gaston Toulouse (1865-1947),Paris, L’Harmattan.

HUXLEY, J. 1939. Le problème « racial » en Europe, Oxford University Press(Études internationales).

HUXLEY, J. 1941. Religion without Revelation, London, Watts and co.HUXLEY, J. 1944. Humanism, London, Watts and co.HUXLEY, J. 1947. Man in the Modern World, London, Chatto and Windus.HUXLEY, J. 1964. Essays of a Humanist, London, Chatto and Windus.IACUB, M. 2001. « Les biotechnologies et le pouvoir sur la vie », dans

D. Eribon (sous la direction de), L’infréquentable Michel Foucault,Paris, Epel.

ILLICH, I. 1973. La convivialité, Paris, Le Seuil, 1990.ILLICH, I. 1975. Némésis médicale : l’expropriation de la santé, Paris, Le

Seuil, 1975 (trad. par l’auteur avec la collaboration de J.-P. Dupuy).ILLUMINATI, A. 2003. Del comune. Cronache del general Intellect, Roma,

Manifestolibri.ILVENTO, A. 1923. « L’avvenire della sanità pubblica e la formazione dei

medici negli Stati Uniti », Difesa sociale, II/9.INKELES, A., ; SMITH, D.H. 1974. Becoming Modern – Individual change in

six developping countries, Cambridge (Mass.), Harvard UniversityPress.

International Campain Against Mass Surveillance, The Emergence of aGlobal Infrastructure for Mass Registration and Surveillance, June2005.

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:24 Page 400

Bibliographie 401

IOVINO, S. 2004. Filosofie dell’ambiente. Natura, etica, società, Roma,Carocci.

IRIGARAY, L. 1984. Éthique de la différence sexuelles, Paris, Éditions deMinuit.

IT-Pgrfa (International Treaty on Plant Genetic Resources for Food andAgriculture 2001), http://www.fao.org/ag/cgrfa/default.htm

JASANOFF, S. ; LONG MARTELLO, M. (sous la direction de). Earthly Politics andGlobal in Environmental Governance, Cambridge, MIT Press.

JEREMIAS, J. 1959. « poimhn », dans G. Kittel, G. Friedrich (sous la direc-tion de), Grande lessico del Nuovo Testamento, vol. X, Paideia, Bres-cia 1975, coll. « 1193-1236 ».

JOAS, H. 1980. George Herbert Mead : une réévaluation contemporainede sa pensée, Paris, Economica, 2007 (trad. Didier Renault).

JONAS, H. 1979. Le principe de responsabilité : une éthique pour la civili-sation technologique, Paris, Flammarion, 2008 (trad. Jean Greisch).

JONAS, H. 1985. Le principe responsabilité, Paris, Cerf, 1990 (trad.Jean Greisch).

JOXE, A. 2002. L’empire du chaos : les Républiques faces à la dominationaméricaine dans l’après-guerre froide, Paris, La Découverte.

KALFF, E. 2001. « Les plaintes pour l’insalubrité du logement à Paris (1850-1955), miroir de l’hygiénisation de la vie quotidienne », dans P. Bour-delais (sous la direction de), Les hygiénistes, op. cit.

KAMINSKI, A. 1982. Konzentrationslager 1896 bis heute : eine analyse,Stuttgart, W. Kohlhammer.

KANT, I. 1795. Vers la paix perpétuelle : un projet philosophique, Paris,Vrin, 2007.

KATZ, S.T. 1994. The Holocaust in Historical Context, 2 vol., New York,Oxford University Press.

KELLENBENZ, H. ; PRODI, P. 1989. Fisco, religione, stato nell’età confessio-nale, Bologna, Il Mulino.

KELSEN, H. 1920. Das Problem der Souveränität und die Theorie desVölkerrechts, Tübingen, J.C.B. Mohr/P. Siebeck.

KELSEN, H. 1922. « Der Begriff des Staates und die Sozialpsychologies »,Imago, 8.

KEPEL, G. 2004. Fitna. Guerre au cœur de l’islam, Paris, Gallimard, 2007.KEYNES, J.M. 1932. « Saving and Usury », dans E. Johnson,

D.E. Moggridge (sous la direction de), The Collected Writings of JohnMaynard Keynes, vol. XIII, Cambridge (UK), Cambridge UniversityPress.

KEYNES, J.M. 1936. Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de lamonnaie, 3 vol, Paris, Payot, 1942.

KLEIN, A.M. 1993. Little big men. Bodybuilding subculture and genderconstruction, Albany, State University of New York Press.

KNIGHT, F.H. 1921. Risk, uncertainty and profit, Mineola/New York, DoverPublications 2006.

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:24 Page 401

Lexique de biopolitique402

KOGON, E. 1946. L’État SS : le système des camps de concentration alle-mands, Paris, Le Seuil, coll. « Points Histoire », 1993 (trad.) (1re éd.française 1947 sous le titre L’Enfer organisé).

KOTEK, J. ; RIGOULOT, P. 2000. Le siècle des camps : détention, concentra-tion, extermination : cent ans de mal radical, Paris, J.C. Lattès.

KRAIN, M. 1997. « State-Sponsored Mass Murder », The Journal ofConflict Resolution, XLI/3.

KÜHL, S. 1994. The Nazi Connection. Eugenics, American Racism andGerman National Socialism, New York, Oxford University Press.

KUPER, L. 1981. Genocide. Its Political Use in the Twentieth Century, Newhaven, Yale Univesity Press.

KYMLICKA, W. 1997. La citoyenneté multiculturelle, Paris, La Découverte,2001.

LA BERGE, A. 1992. Mission and Method. The Early-Nineteenth-CenturyFrench Public Health Movement, Cambridge (UK), Cambridge Unvi-versity Press.

LABORIER, P. ; LASCOUMES, P. 2005. « L’action publique comprise commegouvernementalisation de l’État », dans S. Meyet, M.-C. Naves,T. Ribemont (sous la direction de), Travailler avec Foucault, op. cit.

LACAN, J. 1966. Écrits, Paris, Le Seuil.LALLO, A. ; TORESINI, L. 2001. Psichiatria e nazismo, Portogruaro, Ediciclo

editore.LAMARCK, J.-B. 1809. Philosophie zoologique ou exposition des considéra-

tions relatives à l’histoire naturelle des animaux, Paris, Flammarion,1994.

LASCOUMES, P. 1994. L’éco-pouvoir. Environnements et décisions, Paris, LaDécouverte.

LATOUCHE, S. 1986. Faut-il refuser le développement ? Paris, PUF.LATOUCHE, S. 1989. L’occidentalisation du monde, Paris, La Découverte,

2005.LATOUCHE, S. 1991. La planète des naufragés, Paris, La Découverte, 1993.LATOUCHE, S. 2004. Survivre au développement : de la décolonisation de

l’imaginaire économique à la construction d’une société alternative,Paris, Éditions Mille et une nuits.

LATOUR, B. 1987. La science en action, Paris, La Découverte, 2005.LATOUR, B. 2001. « From “matters of facts” to “states of affairs”. Which

protocol for the new collective experiments ? » article pour leColloque de Darmstadt, http://www.ensmp.fr/~latour/poparticles/poparticle/P-95%20MAX%20PLANK.html.

LAVENIA, V. 2004. L’infamia e il perdono. Tributi, pene e confessione nellateologia morale della prima età moderna, Bologna, Il Mulino.

LE BON, G. 1892. Psychologie des foules, Paris, PUF.LE BRAS, H. 1998. Le démon des origines, La Tour d’Aigues, Éditions de

l’Aube.

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:24 Page 402

Bibliographie 403

LEGHISSA, G. ; ZOLETTO, D. (sous la direction de). 2002. « Gli equivoci delmulticulturalismo », aut aut, 312.

LE GOFF, J. 1981. La naissance du purgatoire, Paris, Gallimard.LECALDANO, E. 1999. Bioetica. Le scelte morali, Bari, Laterza.LEELA, P. 1984. Import-substitution and economic efficiency: a micro level

study, Bombay, Himalaya Publishing House. LEGAMBIENTE, www.legambiente.it.LEMERT, E. 1942. « The Folkways and Social Control », American Sociolo-

gical Review, 7.LEMKE, T. 1997. Eine Kritik der politischen Vernunft. Foucault Analyse der

moderne Gouvernementalität, Hamburg/Berlin, Argument.LEMKE, T. 2000. « Neoliberalismus, Staat und Selbsttechnologien », Poli-

tische Vierteljahresschrift, 41 (1).LEMKE, T. 2002. « Foucault, Governmentality and Critique », Rethinking

Marxism, 3.LEMKE, T. 2004. « Disposition and determinism – genetic diagnostics in

risk society », The Sociological Review, vol. 52, 4.LEMKE, T. 2005. « From Eugenics to the Government of Genetic Risk »,

dans Bunton R., Petersen A. (eds), Genetic Governance, London/NewYork, Routledge.

LEMKE, T. 2006. « Genetic Responsability and Neo-Liberal Governmentality:Medical Diagnosis as Moral Technology », dans A. Beaulieu,D. Gabbard (sous la direction de), Michel Foucault et Power Today,op. cit.

LEMKIN, R. 1944. Axis Rule in Occupied Europe, Washington, Endowmentfor International Peace.

LÉNINE, V. I. 1901. « Par où commencer ? » dans Œuvres complètes vol. 5,Paris, Éditions sociales, 1965 (trad. sous la direction de RogerGaraudy).

LEONARD, T.C. 2003. « “More merciful and not less effective”. Eugenicsand America Economy in the progressive Era », History of PoliticalEducation, 35, 4.

LEOPOLD, A. 1949. A Sand County Almanac, New York, Oxford UniversityPress.

LERNER, D. 1958. The Passing of Traditional Society. Modernizing theMiddle-East, New York, The Free press.

LEVI, E. 1923. « L’eugenetica e le organizzazioni di igiene sociale », Difesasociale, II/9.

LEVI, P. 1986. Les naufragés et les rescapés : quarante ans après Ausch-witz, Paris, Gallimard, 1989 (trad. André Maugé).

LEWONTIN, R. 1991. Biology as ideology: the doctrine of DNA, New York,Harper, 1993.

LEWONTIN, R. 1998. La triple hélice : les gènes, l’organisme, l’environne-ment, Paris, Le Seuil, 2003 (trad. Nicolas Witkowski).

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:24 Page 403

Lexique de biopolitique404

Libro bianco sulla sicurezza alimentare 2000, http://europa.eu.int/eurlex/it/com/wpr/1999/com 1999_0719it01.pdf

LINDEMAN, R. 1942. « The Trophic-Dinamic Aspect of Ecology », Ecology,23.

LIPPMAN, W. 1922. Public opinion, New Brunswick, Transaction Publishers,1998.

LIVI, L. 1934. Lezioni di demografia, Padova, Cedam.LIZZI, R. 1987. Il potere episcopale nell’Oriente romano. Rappresentazione

ideologica e realtà politica (IV-V secolo d. C.), Roma, Edizionidell’Ateneo.

LIZZI, R. 1989. Vescovi e strutture ecclesiastiche nella città tardoantica.L’Italia annonaria nel IV-V secolo d. C., Como, New Press.

LOBE, J. ; OLIVIERI, A. 2003. « Gli architetti del mondo », dans J. Lobe,A. Olivieri (sous la direction de), I nuovi rivolzionari. Il pensiero deineoconservatori americani, Milano, Feltrinelli.

LOMBROSO, C. 1876. L’uomo delinquente studiato in rapporto all’antropo-logia, alla medicina legale e alle discipline carcerarie, Milano, Hoepli.

LOVELOCK, J. 1979. La Terre est un être vivant, Monaco/Paris, Éditions duRocher.

LUCÀ TROMBETTA, P. 2005. Le confessioni della lussuria. Sessualità ederotismo nel cattolicesimo, Milano, Costa et Nolan.

LUHMANN, N. 1968 et 2001. La confiance : un mécanisme de réduction dela complexité, Paris, Economica, 2006 (trad. Stéphane Bouchard).

LUHMANN, N. 1986. Ecological Communication, Chicago, University ofChicago Press.

LUHMANN, N. 1988. Die Wirtschaft der Gesellschaft, Francfort am Main,Suhrkamp 1999.

LUHMANN, N. 1991. Risk: A Sociological Theory, New York, W. de Gruyter,1993.

LUNGAGNANI, V. 2002. Biotecnologie. Norme e regolamenti, Torino, UTET. LUPTON, D. 1999. Risk, London/New York, Routledge.LYON, D. 2003. Surveillance after September 11, Cambridge (UK), Polity

Press.MAGNAGHI, A. 2004. « Il nuovo municipio : un laboratorio di democrazia

partecipativa per una economia sociale », dans A. Caillé, A. Salsano(sous la direction de), Quale « altra mondializzazione » ? Torino,Bollati Boringhieri.

MAGNAN, V. ; LEGRAIN, M.B. 1897. Les dégénérés, état mental etsyndromes épisodiques, Paris, Ruef.

MAIOCCHI, R. 1999. Scienza italiana e razzismo fascista, Firenze, la NuovaItalia.

MALONE, T.E. 1986. « Mission to planet earth », Environment, 28 (8).MALTHUS, T. 1798 et 1826. Essai sur le principe de population, Paris, Flam-

marion, 1992 (trad. P. et G Prévost).

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:24 Page 404

Bibliographie 405

MANACORDA, M.A. 2003. Cristianità o Europa ? Come il cristianesimo salìal potere, Roma, Editori Riuniti.

MANCE, E.A. 2000. La révolution des réseaux, Paris, Descartes etCie/C.L. Mayer 2003 (trad. Marjorie Yerushalmi).

MARCHESINI, R. 2002a. Bioetica e biotecnologie, Bologna, Apeiron.MARCHESINI, R. 2002b. Post-human. Verso nuovi modelli di esistenza,

Torino, Bollati Boringhieri.MARCUS, G. 2005. « La costruzione della mente », Micromega, 4.MARIGHELLA, C. 2000. Minimanual del guerrillero urbano, Marxist Internet,

http://www.marxists. org/archive/noneng/espanol/maringh/obras/mensaj.htm. « Minimanual del guerillero urbano », dans Accíonlibertadora, Paris, F. Maspéro, 1970.

MARRA, A. 2002. L’etica aziendale come motore di progresso e successo.Modelli di organizzazione, gestione e controllo : verso la responsabi-lità sociale delle imprese, Milano, Franco Angeli.

MARSHALL, T.H. 1950. Citizenship and Social Class, Cambridge (UK),Cambridge University Press.

MARTINEZ, Alier J. 1987. Ecological Economics. Energy, Environment andSociety, Oxford (UK) et Cambridge (USA), Blackwell.

MARX, K. 1852. Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte, Paris, Libraire géné-rale française, 2007 (trad. Marcel Ollivier).

MARX, K. 1867-1894. Le capital, 3 vol., Paris, Éditions Sociales, 1977 (trad.Joseph Roy).

MARX, K. 1871. La guerre civile en France, Montreuil-sous-Bois, Éditionsdes Sciences marxistes, 2008.

MARX, K. 1953. « Principes d’une critique de l’économie politique », dansŒuvres : économie, Paris, Gallimard, 1972-1977.

MARZOCCA, O. 1998. « Foucault e la ragione politico-pastorale », Tellus,20.

MARZOCCA, O. 1999. « Il sistema in pericolo. Luhmann e il rompicapoecologico », Oikos, 7.

MARZOCCA, O. 2000a. « Foucault, l’economia e l’arte del minorgoverno », Tellus, 22.

MARZOCCA, O. 2000b. « La parabola della politica oikonomica », Mille-piani, 16.

MARZOCCA, O. 2001. « Introduzione » a Foucault M., Biopolitica e libera-lismo, op. cit.

MARZOCCA, O. 2003. « Lo spazio a-topico del potere », Millepiani, 24-25.MARZOCCA, O. (sous la direction de) 2004a. Moltiplicare Foucault,

vent’anni dopo, Millepiani, 27.MARZOCCA, O. 2004b. « La stagione del potere come guerra », dans

Michel Foucault, vent’anni dopo, op. cit.MARZOCCA, O. 2005. « Al di sotto della storia, a ridosso della politica. Un

filosofo reporter tra rivolte spirituali e governi senza limiti », La Rosede Personne/la Rosa di Nessuno, 1.

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:24 Page 405

Lexique de biopolitique406

MASSA, R. 2005. Il secolo della biodiversità, Milano, Jaca Book.MATZA, D. 1969. Becoming deviant, Englewood Cliffs (NJ), Prentice-Hall.MAUSS, M. 1936. « Les techniques du corps », dans M. Mauss (1950),

Sociologie et anthropologie, Paris, PUF, 1973.MC CLELLAND, D.C. 1961. The Achieving Society, New York, The Free Press.MCKNIGHT, S. A. 1998. « The Wisdom of the Ancients and Francis Bacon’s

New Atlantis », dans A.G. Debus, M.T. Walton (sous la direction de),Reading the Book of Nature, Kirskville, Sixteenth Century Journalpublishers.

MEAD, G.H. 1925. « The Genesis of the Self and Social Control », dansG.H. Mead, Selected Writings, Indianapolis, Bobbs-Merrill, 1964.

MEAD, G.H. 1934. L’esprit, le soi et la société, Paris, PUF, 2006 (trad. DanielCefaï et Louis Quéré).

MELDOLESI, A. 2001. Organismi geneticamente modificati. Storia di undibattito truccato, Torino, Einaudi.

MELOSSI, D. 1990. State of Social Control: A Sociological Study ofConcepts of State and Social Control in the Making of democracy,Cambridge (UK)/New York, Polity Press/St.Martin’s Press.

MELOSSI, D. 2002. Stato, devianza, controllo sociale. Teorie criminologichee società tra Europa e Stati Uniti, Milano, Bruno Mondadori.

MELOSSI, D. 2005. « Security, Social Control, Democracy and Migrationwithin the “Constitution” of the UE », European Law Journal, 11.

MELUCCI, A. 2000. « Costruzione di sé, narrazione, riconoscimento »,dans D. Della Porta, M. Greco et A. Szakolczai (sous la direction de),Identità, riconoscimento, scambio, Roma/Bari, Laterza.

MERTON, R.K. 1951. Éléments de théorie et de méthode sociologique,Paris, A. Colin, 1997 (trad. Henri Mendras).

MERTON, R.K. 1968. Social Theory and Social Structure, New York, FreePress.

MESSEDAGLIA, A. 1887. « La scienza statistica della popolazione », Archiviode statistica, II/2.

MEYET, S. ; NAVES, M.-C. ; RIBEMONT, T. (sous la direction de). 2005.Travailler avec Foucault. Retours sur le politique, Paris, L’Harmattan.

MEYET, S. 2005. « Les trajectoires d’un texte : “La gouvernementalité” deMichel Foucault », dans S. Meyet, M.-C. Naves, T. Ribemont (sous ladirection de), Travailler avec Foucault, op. cit.

MEZZADRA, S. 2001. « Migrazioni », dans A. Zanini, U. Fadini (sous ladirection de), Lessico postfordista, op. cit.

MEZZADRA, S. (sous la direction de). 2003. « Movimenti postcolonialisti »,DeriveApprodi, 23.

MEZZADRA, S. 2004. « Capitalismo, migrazioni e lotte sociali. Appunti peruna teoria dell’autonomia delle migrazioni », dans S. Mezzadra, Iconfini della libertà. Per un’analisi politica delle migrazioni contem-poranee, Roma, DeriveApprodi.

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:24 Page 406

Bibliographie 407

MILLER, H.I. 2003. « Contro il principio di non sperimentazione », dansP. Donghi (sous la direction de), Il governo della scienza, op. cit.

MILLS, C.W. 1940. « Situated Actions and Vocabularies of Motive », dansC.W. Mills, Power Politics and People, New York, Oxford University1963.

MILLS, C.W. 1956. L’élite du pouvoir, Paris, F. Maspéro, 1977 (trad. AndréChassigneux).

MINCER, J.A. 1958. « Investment in Human Capital and personal IncomeDistribution », Journal of Political Economy, 66.

MINCER, J.A. 1974. Schooling, Experience and Earnings, New York, Colum-bia University Press.

MINCER, J.A. 1984. « Human Capital and Economic Growth », Economicsof Education Review, 3.

MOLOCCHI, A. 1998. Non nel mio giardino, Napoli, CUEN.MOORE, B. 1967. Les origines sociales de la dictature et de la démocratie,

Paris, F. Maspéro, 1979 (trad. Pierre Clinquart).MOR, G.C. ; Schmidinger, H. (sous la direction de). 1979. I poteri temporali

dei vescovi in Italia e in Germania nel medioevo, Bologna, Il Mulino.MORE, M. 1990 et 1996. Transhumanism. Toward a Futurist Philosophy,

http://www.maxmore.com/transhum.htm.MORE, M. 2003. Lextropicon. Neologisms of Extropy, http://www.extropy.

com/neologo.htm.MOREL, B.-A. 1857. Traité des dégénérescences physiques, intellectuelles

et morales de l’espèce humaine, et des causes qui produisent cesvariétés maladives, Paris, J.B. Baillière.

MORIN, P. 1993. Espace urbain montréalais et processus de ghettoïsationdes populations marginalisées (thèse), Montréal, Université duQuébec à Montréal.

MORIN, P. 2005. « Habitat, santé mentale et contrôle social », dansA. Beaulieu (sous la direction de), Michel Foucault et le contrôlesocial, op. cit.

MORTATI, C. 1969. Istituzioni di diritto pubblico, Padova, Cedam.MOSCATI, A. 2004. « Il paradosso della condizione umana : categorie della

vita in Hannah Arendt », Forme di Vita, 1.MOSCATI, A. 2005. « “Biopolitica” e singolarità in Hannah Arendt », aut

aut, 328.MOSSE, G.L. 1978. Toward the final solution: a History of European racism,

New York, Howard Fertig.MOSSE, G.L. 1990. Fallen Soldiers. Reshaping the Memory of the World

Wars, New York, Oxford University Press.MOULIER-BOUTANG, Y. 1998. De l’esclavage au salariat, Paris, PUF.MURARO, L. 1991. L’ordre symbolique de la mère, Paris, L’Harmattan, 2003

(trad. Francesca Solari et Laurent Cornaz).MUZZARELLI, M.G. 2001. Il denaro e la salvezza. L’invenzione del Monte di

Pietà, Bologna, Il Mulino.

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:24 Page 407

Lexique de biopolitique408

NAPOLEONI, L. 2004. « The new Economy of Terror: How Terrorisme isfinanced », dans United Nations Forum on Crime and Society, n° 1et 2, dec.

NAPOLI, P. 2003. Naissance de la police moderne, Paris, La Découverte.NEGRI, A. 1980. Marx oltre Marx, Milano, Feltrinelli.NEGRI, A. 1992. Le pouvoir constituant : essai sur les alternatives de la

modernité, Paris, PUF 1997 (trad. Étienne Balibar et François Mathe-ron).

NEGRI, A. 2003. Guide. Cinque lezioni su impero e dintorni, Milano,Raffaello Cortina.

NEGRI, A. 2005. La differenza italiana, Roma, Nottetempo.NERI, D. 1995. Eutanasia. Valori, scelte morali, dignità delle persone,

Roma/Bari, Laterza.NEUMANN, F. ; MARCUSE, H. 1957. The democratic and the authoritarian

State: Essays in political and legal Theory, New York, Free Press.NICEFORO, A. 1924-1925. Lezioni di demografia, Napoli, Gennaro Maio

Editore.NIETZSCHE, F. 1886. « Par delà le bien et le mal », dans Œuvres, Paris,

Laffont, 1993.NIETZSCHE, F. 1974. Fragments posthumes : automne 1885 – automne

1887, Paris, Gallimard, 1979 (trad. Julien Hervie).NISBET, E.G. 1991. Leaving Eden: to protect and manage the earth,

Cambridge (UK), Cambridge University Press.NOLTE, E. 1987. Le guerre civile civile européenne 1917-1945 : National-

socialisme et bolchevisme, Paris, Éditions des Syrtes, 2000 (trad.Stéphane Courtois).

NONNIS-VIGILANTE, S. 2001. « Idéologie sanitaire et projet politique. Lescongrès internationaux d’hygiène de Bruxelles, Paris et Turin (1876-1880), dans P. Bourdelais (sous la direction de), Les hygiénistes,op. cit.

NYE, J. 2004. Soft power: the means to success in world politics, NewYork, Publicaffairs.

O’CONNOR, J. 1973. Fiscal Crisis of the State, New York, St. Martin’s Press.ODUM, E.P. 1953. Fundamentals of Ecology, Philadelphia, WB Saunders

and Co.OLESKIN, A.V. ; MASTERS, R.D. 1997. « Biopolitics in Russia: History and

prospects for the Future », dans S.A. Peterson, A. Somit (sous ladirection de), Research in Biopolitics, Greenwich (Conn.), JAI Press,vol. V.

OLESKIN, A.V. ; VLAVIANOS-ARVANITIS, A. (sous la direction de). 1992. Biopo-litics – The Bio-Environment, Athens, BIO.

ONG, A. 2003. Buddha is hiding: refugees, citizenship, the new America,Berkeley/London, University of California Press.

ONGARO BASAGLIA, F. 2001. Tutela di diritti e saperi disciplinari, Lectiodoctoralis in occasione del conferimento dalla laura Honoris causa in

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:24 Page 408

Bibliographie 409

Scienze Politiche, Università di Sassari, Facoltà di Scienze Politiche,27 aprile.

ONGARO BASAGLIA, F. ; BIGNAMI, G. 1982. « Medicina/medicalizzazione »,dans F. Ongaro Basaglia, Salute/Malattia. Le parole della medicina,Torino, Einaudi.

ONU. 1999. Convention internationale sur la répression des finacementsau terrorisme, http://untreaty.un.org/English/Terrorism/Conv12.pdf.

PADOVAN, D. 1998. « Organicismo e neo-organicismo nelle scienze socialitra le due guerre : il contributo di Corrado Gini », Sociologia, 1.

PADOVAN, D. 1999a. « Bio-politica, razzismo e scienze sociali », AltreRagioni, 8.

PADOVAN, D. 1999b. Saperi Strategici. Le scienze sociali e la formazionedello spazio pubblico italiano tra le due guerre mondiali, Milano,Franco Angeli.

PADOVAN, D. 2003. « Bio-politics and the Social Control of the Multi-tude », Democracy et Nature, vol. 9, 3.

PALIDDA, S. 2000. Polizia postmoderna. Etnografia delle nuove forme dicontrollo sociale, Milano, Feltrinelli.

PANNARALE, L. 2003. « Scienza e diritto. Riflessioni sul principio di precau-zione », Sociologia del Diritto, 3.

PANSIERI, G. 1980. « La nascita della polizia medica : l’organizzazione sani-taria nei vari Stati italiani », dans Micheli (sous la direction de), Storiad’Italia. Annali 3, Torino, Einaudi.

PAPASTERGIADIS, N. 2000. The Turbolence of Migration. Globalization,Deterritorialization and Hybridity, Cambridge, Polity Press.

PARK, R.E. 1904. La foule et le public, Lyon, Parangon-VS 2007 (trad. RenéA. Guth).

PARK, R.E. ; BURGESS, E.W. 1921. Introduction to the Science of Sociology,Chicago, 1969, The University of Chicago Press.

PARSONS, T. 1937. The Structure of Social Action: a study in Social Theorywith Special Reference to a Group of recent European Writers, NewYork, McGraw-Hill.

PARSONS, T. 1951. The social system, Glencoe (Ill.), Free Press.PASCUAL, P. 2005. « La généalogie foucaldienne de la médecine familiale

en Amérique du Nord », dans A. Beaulieu (sous la direction de),Michel Foucault et le contrôle social, op. cit.

PASQUINO, P. 1991. « Criminology: The Birth of a Special Knowledge »,dans G. Burchell, C. Gordon, P. Miller (sous la direction de), TheFoucault Effect, op. cit.

PASSERIN D’ENTRÈVES, A. 1967. La notion de l’État, Paris, Sirey 1969 (trad. J.-R. Weiland).

PAYE, J.C. 2004. La fin de l’État de droit, Paris, La Dispute.PEPPEREL, R. 1995. The Posthuman Condition, Oxford (UK), Intellect Books.PETROSINO, D. 1997. « Secessione », Rassegna Italiana di Sociologia, 2.

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:24 Page 409

Lexique de biopolitique410

PETROSINO, D. 2004. « Pluralismo cutlurale, identità ibridismo », RassegnaItaliana di Sociologia, 3.

PEUKERT, D. 1987. « Alltag und Barbarei. Zur Normalität des drittenReiches », dans D. Diner (Hg.), Ist der NationalsozialismusGeschichte ? Zu Historisierung und Historikerstreit, Frankfurt,Fischer.

PICCONE STELLA, S. 2003. Esperienze multiculturali, Roma, Carocci.PIEVANI, T. 2005. Introduzione alla filosofia della biologia, Roma/Bari,

Laterza.PIRELLA, A. 1999. Il problema psichiatrico, Pistoia, Centro di Documenta-

zione di Pistoia.PIRES, A. ; DIGNEFFE, F. ; DEBUYST, C. (sous la direction de). 1998. Histoire des

savoirs sur le crime et la peine, 2 vol., Bruxelles, De Boeck.PIRES, A. 1998. « Aspects, traces et parcours de la rationalité pénale

moderne », dans A. Pires, F. Digneffe, C. Debuyst (sous la directionde) (1998), Histoire des savoirs sur le crime et la peine, vol. 2., op. cit.

PITTS, V. L. 2002. « Le donne e i progetti di trasformazione fisica : femmi-nismo e tecnologie del corpo », Rassegna Italiana di Sociologia, 3.

PIZZIOLO, G. 1998. « L’architettura del paesaggio : uno strumento per losviluppo autosostenibile », dans A. Magnaghi (sous la direction de),Il territorio degli abitanti : Società locali e autosostenibilità, Milano,Dunod.

PLATEN, A. R. von 1948. L’extermination des malades mentaux dans l’Alle-magne nazie, Toulouse, érès, 2001 (trad. Patrick Faugeras).

PLOETZ, A. 1895. Die Tüchtigkeit unserer Rasse und der Schwachen, Berlin,S. Fischer.

POLIAKOV, L. 1955-1977. Histoire de l’antisémitisme, Paris, Le Seuil, 1991,4 vol.

POLIERI, P. 2005. « Antropologia culturale e politica della “cura”. Sullanozione di “potere pastorale” nel pensiero di Michel Foucault »,Nicolaus, Rivista di Teologia Ecumenico-Patristica, 2005, 1-2.

POLLASTRI, A. 1985. « Rapporto tra Gv 10 ed Ez 34 : l’interpretazionepatristica del “pastore”. Aspetti esegetici, storici, teologici », Annalidi Storia dell’Esegesi, 2.

PONTING, C. 1991. A Green History of the World, New York, PenguinBooks.

POPKIN, R.H. 1992. The Third Force in the Seventeenth Century Thought,Leiden, E.J. Brill.

POSSE, 2003. « Le devenir-femme de la politique », Multitudes, n° 12,mars.

POSTEL, J. ; QUÉTEL, C. (sous la direction de). 1994. Nouvelle histoire de lapsychiatrie, Paris, Dunod.

POSTEL, J. 1994a. « La paralysie générale », dans J. Postel, C. Quétel (sousla direction de), Nouvelle histoire de la psychiatrie, op. cit.

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:24 Page 410

Bibliographie 411

Postel, J. 1994b. « La démence précoce et la psychose maniaco-dépres-sive. Kræpelin », dans J. Postel, C. Quétel (sous la direction de),Nouvelle histoire de la psychiatrie, op. cit.

POUND, R. 1942. Social Control Through Law, New Haven, Yale UniversityPress.

Presidenza del Consiglio dei Ministri – Dipartimento della protezioneCivile 2006. Protezione civile in famiglia, Roma, Protezione CivileNazionale.

PRETTE, M.R. 2001. MAG 4 e MAG 6, Roma, Sensibili alle Foglie.PROCACCI, G. 1978. « L’economia sociale e il governo della miseria », aut

aut, 167-168.PROCACCI, G. 1986. « Il governo del sociale », dans P.A. Rovatti (sous la

direction de), Effetto Foucault, Milano, Feltrinelli.PROCACCI, G. 1987. « Notes on the Government of the Social », History of

the Present, 3.PROCACCI, G. 1993. Gouverner la misère : la question sociale en France

(1789-1848), Paris, Le Seuil.PROCTOR, R.N. 1988. Racial Hygiene. Medicine under the Nazis,

Cambridge (Mass.), Harvard University Press.PROCTOR, R.N. 1999. La guerre des nazis contre le cancer, Paris, Les belles

Lettres, 2001 (trad. Bernard Frumer).PRODI, P. 1994. La disciplina dell’anima, disciplina del corpo e disciplina

della società tra medioevo ed età moderna, Bologna, Il Mulino.PROSPERI, A. 1996. Tribunali della coscienza. Inquisitori, confessori, missio-

nari, Torino, Einaudi.Protocole de Carthagène, 2000, http://www.biodiv.org/biosafety/

default.asp.PUNZO, C. 2000. La bioetica e le donne, Napoli, ESI.PUPAVAC, V. 2003. The International Children’s Rights Regime, dans

D. Chandler (sous la direction de), Rethinking Human Rights,London, Palgrave.

QUÉTELET, A. 1835. Sur l’homme et le développement de ses facultés ouEssai de physique sociale, Paris, Bachelier.

RABINOW, P. 1999. French DNA. Trouble in Purgatory, Chicago, The Univer-sity of Chicago Press.

RABINOW, P. 2001. « Artifices et lumières : de la sociobiologie à la bio-socialité », dans La maladie mentale en mutation, Paris, Odile Jacob.

RABINOW, P. ; ROSE, N. 2003. « Thougths on the Concept of BiopowerToday », http://www.molsci.org/files/Rose_Rabinow_Biopower_Today.pdf.

RACHELS, J. 1986. The end of life: euthanasia and morality, Oxford, OxfordUniversity Press.

RAMSEY, M. 2001. « Mouvements anti-hygiénistes et libéralisme : vers unehistoire comparée », dans P. Bourdelais. (sous la direction de), Leshygiénistes, op. cit.

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:24 Page 411

Lexique de biopolitique412

RANDHAWA, M.S. 1974. Green revolution, Delhi, Vikas Pub. House et NewYork/Ranga (NG), John Wiley et sons 1979.

Rapport Hasting Center 1997. « Gli scopi della medicina : nuove prio-rità », Politeia, XIII/45.

RASMUSSEN, A. 2001. « L’hygiène en congrès (1852-1912) : circulation etconfigurations internationales », dans P. Bourdelais (sous la directionde), Les hygiénistes, op. cit.

RATZEL, F. 1901. « Der Lebensraum. Eine biogeographische Studies », dansA.A V.V., Festgaben für Albert Schäffle, Darmstadt, Wissenschaft-liche Buchgesellschaft.

RAVETZ, J. 1999. « What is Post-Normal Science ? », Futures, 7.RAVETZ, J. ; FUNTOWICZ, S. 1999. « Post-Normal Science – an insight now

maturing », Futures, 7.RAWLS, J. 1971. Théorie de la justice, Paris, Le Seuil, 1987 (trad. Catherine

Audard)REDDY, 1996. « Claims to expert knowledge and the subversion of demo-

cracy : the triumph of risk over uncertainty », Economy andSociety, 2.

Résolution FAO 6/81, http://www.fao.org/documents/show_cdr.asp?url_file=/docrep/x5563e0a. htm.

REVEL, J. 2002. Vocabulaire de Foucault, Paris, Ellipses.REVEL, J. 2002. « Controimpero e biopolitica », dans A.A. V.V., Controim-

pero. Per un lessico dei movimenti globali, Roma, Manifestolibri.RICOLFI, L. 1998. « La direttiva sul brevetto biotecnologico : efficienza allo-

cativa, equità e potere », Quaderni di Sociologia, 18.RICOLFI, L. 2001. « Trasparenza, biotecnologie e brevetto », dans Tallac-

chini M., Doubleday R. (a cura di), Politica della scienza e diritto,Notizie di Politeia, 62.

RIDLEY, M. 2004. The agile gene : how nature turns on nurture, New York,Harper Perennial.

RIESMAN, D. 1950. La foule solitaire, Paris, Arthaud, 1971 (trad. et préf.Edgar Morin).

RIFKIN, J. 1980. Entropy. A New World View, éd. révisée, New York,Bentam Books, 1989.

RIFKIN, J. 1992. Beyond Beef: the Rise and Fall of the Cattle Culture,NewYork, Penguin Books.

RIFKIN, J. 1998. Le siècle biotech : le commerce des gènes dans le meilleurdes mondes, Paris, La Découverte, 1998 (trad. Alain Bories et MarcSaint-Upéry).

RIFKIN, J. 2000. L’âge de l’accès : survivre à l’hypercapitalisme, Paris, LaDécouverte, 2005 (trad. Marc Saint-Upéry).

RIGO, E. 2003. « Razza clandestina. Il ruolo delle norme giuridiche nellacostruzione di soggetti-razza », dans C. Menghi (sous la directionde), Immigrazione. Tra diritto e politica globale, Torino, Giappichelli.

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:24 Page 412

Bibliographie 413

RITZER, G. 1999. Enchanting a disenchanting world: revolutionizing themeans of consumption, Thousand Oaks, Pine Forge Press.

ROBBINS, L. 1932. Essai sur la nature et la signification de la science écono-mique, Paris, Éditions politiques, économiques et sociales, 1947(trad. Igor Krestovsky).

ROBERTS, M. 1938. Bio-Politics. An Essay on the Physiology, Pathology andPolitics of Social and Somatic Organisms, London, Dent.

ROMANO, O. 2003. « Requiem per la sociologia dello sviluppo. Breve storiadi un ossimoro », Voci di Strada, 3.

ROMANO, O. 2005a. « Mondo Disney. L’esistenza in un paradiso delconsumo », La società degli individui, 22.

ROMANO, O. 2005b. « La “vie Auchan”. Reversioni comunitarie dietro lequinte di un ipermercato », Logos, 22.

ROMANO, O. 2005c. « Società civile e antiutilitarismo. L’illusione dell’auto-nomia », dans Mare di Mezzo, Bologna, Editrice il Ponte, 2006,www.editriceilponte.org/default.php?inc= html/documenti.htmettipo=articoloetidDoc=21

ROSE, N. 1996. « Governing “Advanced” Liberal democracy », dansA. Barry, T. Osborne et N. Rose (sous la direction de), Foucault andPolitical Reason, op. cit.

ROSE, N. 2000. The Politics of The Life Itself. Biomedecine, Power, andSubjectivity in the Twenty-First Century, Princeton, Princeton Univer-sity Press, 2007.

ROSE, N. ; MILLER, P. 1992. « Political Power Beyong the State: Problematicof Government », British Journal of Sociology, vol. 43, 2.

ROSENSTEIN-RODAN, P.N. 1964. Capital formation and economic develop-ment, London, G. Allen et Unwin.

ROSSI, P. 1978. Francis Bacon, from magic to science, Chicago, Universityof Chicago Press.

ROSTOW, W.W. 1960. The stages of economic growth, a non-Communistmanifesto, Cambridge (UK), Cambridge University Press.

ROUSSEAU, J.-J. 1762. Du contrat social, Paris, 2007, Hatier.ROUSSET, B. 2002. « La mise en place de l’usage philosophique du mot

“norme”, dans J. Lagrée (sous la direction de), Spinoza et la norme,Paris, Presses Universitaires Franc-Comtoises.

ROY, O. 2002. Les illusions du 11 septembre. Le débat stratégique face auterrorisme, Paris, Le Seuil.

RUMIANEK, R. 1979. Dio pastore d’Israele secondo Ezechiele 34 e l’applica-zione messianica nel angelo di Matteo, Roma, Pontefisio IstitutoBiblico.

RUMMEL, R.J. 1994. Death by Government, New Brunswick, TransactionPublishers.

RUNCIMAN, S. 1977. The byzantine Theocracy, Cambridge (UK), CambridgeUniversity Press.

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:24 Page 413

Lexique de biopolitique414

RUSCONI, R. 2002. L’ordine dei peccati. La confessione tra Medioevo ed etàmoderna, Bologna, Il Mulino.

RUSSO, A. 2004. « Michel Foucault e le lotte delle minoranze », dansO. Marzocca (sous la direction de), Moltiplicare Foucault, vent’annidopo, op. cit.

RUSSO, N. 2000. Filosofia ed ecologia, Napoli, Guida.SACHS, W. 1992a. « L’archéologie du concept de développement », Inter-

culture, Volume XXIII, 4, Cahier 109.SACHS, W. 1992b. The development dictionary: a guide to knowledge as

power, London, Zed Books.SACHS, W. 1999. Planet Dialectics: Explorations in Environment and Deve-

lopment, London, Zed Books.SALA, F. 2005. Gli OGM sono davvero pericolosi ? Roma/Bari, Laterza.SALVATI, A. 2004. Alla ricerca dell’altruismo perduto, Milano, Franco

Angeli.SANTOSUOSSO, A. 2003. « L’incerto e instabile confine della persona

fisica », aut aut, 318.SARAGOSA, C. 1998. « L’ecosistema territoriale : verso il progetto ecologico

dell’insediamento umano », dans A. Magnaghi (sous la direction de),Il territorio degli abitanti, op. cit.

SAROLDI, A. 2003. Costruire economie solidali, Bologna, EMI.SASSATELLI, R. 2000. Anatomia della palestra. Cultura commerciale e disci-

plina del corpo, Bologna, Il Mulino.SASSEN, S. 1996. Migranti, coloni, rifugiati. Dall’emigrazione di massa alla

fortezza Europa, Milano, 1999, Feltrinelli.SAVIGNANO, A. 2002. Un nuovo patto sociale in prospettiva bioetica. Medi-

cina, salute umana e decremento demografico, Napoli, ESI.SAYAD, A. 1999. La double absence : des illusions de l’émigré aux souf-

frances de l’immigré, Paris, Le Seuil.SCHMITT, C. 1922 et 1934. Théologie politique, Paris, Gallimard, 1988

(trad. Jean-Louis Schlegel).SCHMITT, C. 1932. La notion de politique. Théorie du partisan, Paris,

Calmann-Lévy, 1989.SCHNAPPER, D. 2003. La communauté des citoyens. Sur l’idée moderne de

nation, Paris, Gallimard Folio, coll. « Essais ».SCHULTZ, T.W. 1961. « Investment in Human Capital », American Econo-

mic Review, vol. LI, mars 1961.SCHULTZ, T.W. 1963. The Economic Value of Education, New York, Colum-

bia University Press.SCHULTZ, T.W. 1971. Investment in Human Capital. The Role of Education

and Research, New York, Free Press.SCHUMPETER, A.J. 1939. Capitalist Process, 2vols, New York, Mac Graw Hill.SCHUMPETER, A.J. 1927-1949. Histoire de l’analyse économique, 3 vol.,

Paris, Gallimard, 1983.

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:24 Page 414

Bibliographie 415

SCHÜRMANN, R. 1986. « Se constituer soi-même comme sujetanarchique », dans Foucault/recherches, Les Études philosophiques,IV.

SCIPIONI, L. 1977. Vescovo e popolo. L’esercizio dell’autorità della Chiesaprimitiva (III secolo), Milano, Vita e Pensiero.

SEMPRINI, A. 2000. Le multiculturalisme, Paris, PUF.SEN, A. 1997. Resources, values and development, Cambridge (Mass.),

Harvard University Press.SENELLART, M. 1993. « Michel Foucault : “gouvernementalité” et raison

d’État », La pensée politique, 1.SENELLART, M. 2003. « La critique de la raison gouvernementale », dans

G. Le Blanc et J. Terrel (sous la direction de), Foucault au Collège deFrance : un itinéraire, Bordeaux, Presses Universitaires de Bordeaux.

SFEZ, L. 2001. Le rêve biotechnologique, Paris, PUF, 2001.SHAPIRO, L. 1972. Totalitarianism, London, MacMillan.SHIBUTANI, T. 1962. « Reference Groups and Social Control », dans

A.M. Rose (sous la direction de), Human Behavior and SocialProcesses, Boston, Houghton Mifflin.

SHIVA, V. 1990. Terra madre : sopravvivere allo sviluppo, Torino, UTET, 2002.SHIVA, V. 1991. The violence of the Green Revolution: Third World agri-

culture ecology, and Politics, Londres, Zed Books.SHIVA, V. 1993. Monocultures of the mind: perspectives on biodiversity

and biotechnology, London, Zed Books.SHIVA, V. 2001. La vie n’est pas une marchandise : les dérives des droits de

propriété intellectuelle, Paris, Éditions de l’atelier, 2004 (trad. LiseRoy-Castonguay).

SHIVA, V. 2002. Water Wars: privatization, pollution and profit, Cambridge(Mass.), South End Press.

SIGHELE, S. 1891. La foule criminelle : essai de psychologie collective, Paris,F. Alcan, 1901 (trad. Paul Vigny).

SIMONDON, G. 1989. L’individuation psychique et collective, Paris, AubierMontaigne, 2007.

SIMONE, A. 2002. Divenire sans papier. Sociologia dei dissensi metropoli-tani, Milano, Mimesis.

SIMONE, A. 2003. « Gabbie per migranti. Note etnografiche sul desiderionegato nei centri di permanenza temporanea », Millepiani, 26.

SINGER, P. 1975. Animal Liberation. Towards an End to Man’s Inhumanityto Animals, New York, Avon.

SINGER, P. 1993. Pratical Ethics, Cambridge (UK), Cambridge UniversityPress.

SOLTERDIJK, P. 1999. « Regole per il parco umano. Una replica alla lettera diHeidegger sull’umanesimo », aut aut, 301-302, 2001.

SMITH, A. 1776. Recherches sur la nature et les causes de la richesse desnations, Paris, Economica, 2002 (trad. Philippe Jaudel).

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:24 Page 415

Lexique de biopolitique416

SOCIETÀ INTERNAZIONALE DI STUDI FRANCESCANI (sous la direction de), Dallapenitenza all’ascolto delle confessioni : il ruolo dei frati mendicanti,Atti del XXIII Congresso internazionale (Assisi, 12-14 ottobre 1995),Spoleto, Centro Italiano di Studi sull’Alto Medioevo.

SOFSKY, W. 1993. L’organisation de la terreur, Paris, Calmann-Lévy, 1995(trad. Olivier Mannoni).

SOFSKY, W. 2005. Rischio e sicurezza, Torino, Einaudi, 2005. SOGGIN, J.A. 1976. « r’h, “pascolare” », dans E. Jenni, C. Westermann

(sous la direction de), Dizionario teologico dell’Antico Testamento,Vol. II, Marietti, Casale Monferrato, 1982, p. 713-716.

SOLJENITSYNE, A. 1974. Œuvres complètes, Paris, Fayard, 1982-1991.SOMIT, A. 1976. « Biopolitics », dans A. Somit et S.A. Peterson (sous la

direction de), Research in Biopolitics. Recent explorations in Biologyand Politics, Paris, Elsevier, 1997.

SOMIT, A., PETERSON S.A. 2001. « Biopolitics in the year 2000 », dansA. Somit, et S.A. Peterson (sous la direction de), Research in Biopoli-tics, op. cit.

SORLINI, C. 2001. « I rischi ambientali delle biotecnologie », dans M. Tallac-chini et R. Doubleday (sous la direction de), Politica della scienza ediritto, Notizie di politeia, 62.

SORRENTINO, V. 2005. « Le ricerche di Michel Foucault », dans M. Foucault(sous la direction de), Antologia. L’impazienza della libertà, Milano,Feltrinelli.

SOSSI, F. 2002. Autobiografie negate. Immigrati nei Lager del presente,Roma, Manifestolibri.

SPIVAK, G.C. 1999. A Critique of Post-Colonial Reason: Toward a Historyof the Vanishing Present, Cambridge (Mass.), Harvard UniversityPress.

SQUILLACE, F. 1905. entrée « Popolo », dans Dizionario di sociologia,Palermo, Sandron.

STANTON, G.H. 1998. The Eight Stages of Genocide, Washington, Geno-cide Watch.

STAROBINSKI, A. 1960. La biopolitique. Essai d’interprétation de l’histoire del’humanité et de la civilisation, Genève, Ch. Salquin/Imp. des Arts.

STIGLITZ, J. 1998. Towards a New Pradigm for Development: Strategies,Policies and processes, http://www.unctad.org/en/docs/prebisch9th.en.pdf

STOLLEIS, M. 1988-1992. Histoire du droit public en Allemagne, Paris, PUF,1998 (trad. Michel Senellart).

SULLUM, J. 1998. For Your Own Good: The Anti-Smoking Crusade and theTyranny pf public Health, New York, The Free Press.

TAGLIACARNE, G. 1934. « Gli insegnamenti demografici della crisi », dansL. Lojacono (sous la direction de), La forza del pregiudizio. Saggio sulrazzismo e sull’antirazzismo, Bologna, Il Mulino.

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:24 Page 416

Bibliographie 417

TAGUIEFF, P.-A. 1988. La force du préjugé : essai sur le racisme et sesdoubles, Paris, Gallimard/La Découverte, 1992.

TALLACCHINI, M. ; TERRAGNI, F. 2004. Le biotecnologie. Aspetti etici, socialie ambientali, Milano, Bruno Mondadori.

TALMON, J.L. 1952. The Origins of Totalitarian Democracy, London, Seekerand Warburg.

TAMINO, G. ; PRATESI F. 2001. Ladri di geni, Roma, Editori Riuniti.TANSLEY, A.G. 1935. « The Use and Abuse of Vegetarian Concepts and

Terms », Ecology, 16.TARÌ, M. 2004. « Convertirsi alla rivoluzione. Foucault, Negri e oltre »,

dans O. Marzocca (sous la direction de), Moltiplicare Foucault,vent’anni dopo, op. cit.

TERNON, Y. 1995. L’État criminel : les génocides au XXe siècle, Paris, LeSeuil.

TERROSI, R. 1997. La filosofia del postumano, Genova, Costa et Nolan,1997.

TESTART, J. ; GODIN, C. 2001. Au bazar du vivant : biologie, médecine,bioéthique sous la coupe libérale, Paris, Le Seuil.

TETTAMANZI, D. 2002. Nuova bioetica cristiana, Casale Monferrato,Piemme.

THOREAU, H.D. 1854. Walden ou La vie dans les bois, Paris, Gallimard,2008 (trad. Louis Fabulet).

THORNTON, S. 1996. Club Culture: music, media and subcultural capital,Hanover, Wesleyan University Press.

TIEZZI, E. 2001. Tempi storici, tempi biologici, Roma, Donzelli.TIEZZI, E. ; MARCHETTINI, N. 1999. Che cos’è lo sviluppo sostenibile ? Roma,

Donzelli.TIQQUN, 2003. « La comunità terribile », Roma, DeriveApprodi.TOMASI, L. 1991. Teoria sociologica e sviluppo. Il caso del Sud-est asiatico,

Milano, Franco Angeli.TORTI, M.T. 1997. Abitare la notte. Attori e processi nei mondi delle disco-

teche, Milano, Costa et Nolan.TOWNSHEND, C. 2002. Terrorism: a very short introduction, Oxford/New

York, Oxford University Press.TRANCHINA, P. ; TEODORI M.P. (sous la direction de). 2003. « Psichiatria

Democratica trent’anni », Fogli di informazione, 197.TRAVERSO, E. 2001. Le Totalitarisme. Le XXe siècle en débat, Paris, Le Seuil,

coll. « Points Essais ». TRAVERSO, E. (sous la direction de). 1995. Insegnare Auschwitz. Questioni

etiche, storiografiche et educative della deportazione e dello stermi-nio, Torino, Bollati Boringhieri.

TRENTIN, B. 1962. « Le dottrine neocapitalistiche e lideologia delle forzedominanti nella politica economica italiana », dans A.A V.V.,Tendenze del capitalismo italiano, Roma, Editori Riuniti.

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:24 Page 417

Lexique de biopolitique418

TROMBADORI, D. 1999. Colloqui con Foucault. Pensieri, opere, omissionidell’ultimo maître-à-penser, Roma, Castelvecchi.

TRONTI, M. 1966. Ouvriers et Capital, Paris, Christian Bourgois, 1977.TURCHINI, A. 1996. Sotto l’occhio del padre. Società confessionale e istru-

zione primaria nello Stato di Milano, Bologna Il Mulino.TURNER, B.S. 1992. Regulating bodies. Essays in medical sociology,

London, Routledge.TURNEY, J. 1998. Frankenstein footsteps: science, genetics and popular

culture, New Haven, Yale University Press.TURRINI, M. 1991. La coscienza e le leggi. Morale e diritto nei testi per la

confessione della prima Età moderna, Bologna, Il Mulino.UEXKÜLL (von) J. 1920. Staatbiologie. Anatomie, Phisiologie, Pathologie

des Staates, Berlin, Verlag von Gebrüder Paetel.UNION EUROPÉENNE Règlement 1829/2003, http://www.apat.gov.it/

site/_Files/Reg%20_1829_2003%20.pdf#search=’unione%20 europea%20regolamento%201829%2F2003’

UNION EUROPÉENNE Règlement 1830/2003, http://europa.eu.int/eurolex/pri/it/oj/dat/2003/l_268/l_26820031018it240028.pdf#search=’unione% 20europea%20regolamento%201830%2F2003’

UNGARO, D. 2003. « I limiti del liberalismo contemporaneo nella societàdel rischio », La società degli individui, 17.

VACCARO, S. 2005. Biopolitica e disciplina. Michel Foucault e l’esperienzadel GIP, Milano, Mimesis 2005.

VERGOTTINI, M. 1930. « I fenomeni demografici come base di quelli econo-mici », Bollettino dell’Istituto statistico-economico, VI/10-12.

VERHOEVEN, J. 2002. Droit international public, Bruxelles, Larcier.VERSCHUER, O.F. von 1941. Leitfaden der Rassenhygiene, Leipzig, Thieme.VINCI, F. 1934. « Economia e demografia », Rivista italiana di Statistica,

aprile.VIRNO, P. 1994. Miracle, virtuosité et « déjà vu », Combas, Éditions de

l’Éclat, 1996 (trad. Michel Valensi).VIRNO, P. 2001a. « General Intellect », dans A. Zanini et U. Fadini (sous la

direction de), Lessico postfordista, op. cit.VIRNO, P. 2001b. Multitude et principe d’individuation, mise en ligne

décembre 2001 : multitudes.samizdat.net/Multitude-et-principe-d.html

VIRNO, P. 2002. Grammaire de la multitude : pour une analyse des formesde vie contemporaines, Nîmes, Éditions de l’Éclat, 2002 (trad. Véro-nique Dassas).

VLAVIANOS-ARVANITIS, A. 1985. Biopolitics. Dimensions of Biology, Athens,BIO.

VOLPI, M. (sous la direction de). 2001. Le biotecnologie : certezze e inter-rogativi, Bologna, Il Mulino.

WALLERSTEIN, I. 1974. The Modern World-System I, New York, Academicpress.

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:24 Page 418

Bibliographie 419

WALTERS, W. 2004. « Welcome to Schengenland. Per un’analisi critica deinuovi confini europei », dans S. Mezzadra (sous la direction de),I confini della libertà. Per un’analisi politica delle migrazioni contem-poranee, op. cit.

WEBER, M. 1904-1905. L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme,Paris, Flammarion, 2008 (trad. Isabelle Kalinowski).

WEBER, M. 1922. Économie et société, Paris, Pocket, 2003.WEBSTER, C. 1975. The Great Instauration, Science, Medicine, and Reform

1626-1660, London, Duckworth.WEHLTE, C. 2003. « Dalla bioetica alla bioeconomia. Considerazioni sulla

trasformazione della relazione col sé e con gli altri nell’epoca dellarivoluzione genetica », dans L. Cedroni, P. Chiantera-Stutte (sous ladirection de), Questioni di biopolitica, op. cit.

WEINER, D. 1988. Models of nature. Ecology, Conservation and CulturalRevolution in Soviet Russia, Bloomington, Indiana University Press.

WEINGART, P. et coll., 1996. Rasse Blut und Gene, Frankfurt, Suhrkamp.WEISS, S. 1987. Race Hygiene and national Efficiency. The Eugenics of

Wilhelm Schallmayer, Berkeley, University of California Press.WHITE, D. et coll. 2002. Pour sortir des sentiers battus : l’action intersec-

torielle en santé mentale, Québec, Les Publications du Québec.WILSON, E.O. 1975. Sociobiology: the new synthesis, Cambridge (Mass.),

Belknap Press of Harvard University Press, 2000.WILSON, E.O. 1978. L’humaine nature, Paris, Stock, 1979 (trad. Roland

Bauchot).WIRTH, L. 1938. « Urbanism as a Way of Life », The American Journal of

Sociology, 44.WITTFOGEL, K.A. 1957. Le despotisme oriental : étude comparative du

pouvoir total, Paris, Éditions de Minuit, 1977 (trad. MichelinePouteau).

WOJCIECHOWSKI, J.-B. 1997. Hygiène mentale et hygiène sociale : contri-bution à l’histoire de l’hygiénisme, 2 vol., Paris, L’Harmattan.

WORLD BANK, 1992. World Development Report, Oxford-New York,Oxfords University Press. Rapport sur le développement dans lemonde (RDM), Banque Mondiale 2007.

WORLD TRANSHUMANIST ASSOCIATION, http://www.transhumanism.org/.WORMSER-MIGOT, O. 1973. L’Ère des camps, Paris, Union Générale d’Édi-

tions.YATES, F. 1964. Giordano Bruno et la tradition hermétique, Paris, Dervy-

Livres, 1988 (trad. Marc Rolland).YATES, F. 1972. La lumière des Rose-Croix, Paris, Retz ed., 1985 (trad.

D. Delorme).ZANINI, A. ; FADINI, U. (sous la direction de). 2001. Lessico postfordista.

Dizionario di idee della mutazione, Milano, Feltrinelli.ÎIÏEK, S. 1999. L’Intraitable. Psychanalyse, politique et culture de masse,

Paris, Anthropos, coll. « Psychanalyse ».

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:24 Page 419

Lexique de biopolitique420

ZOLO, D. 1998. I signori della pace. Una critica del globalismo giuridico,Roma, Carocci.

ZOLO, D. 2002. « Teoria e critica dello Stato di diritto », dans P. Costa etD. Zolo (sous la direction de), Lo Stato di diritto, Milano, Feltrinelli.

ZUCCHETTI, M. 2003. Guerra infinita, guerra ecologica, Milano, Jaca Book.

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:24 Page 420

Les auteurs

Carlo ALTINI est conseillé à l’École des Hautes études de la Fondation SanCarlo de Modène, dont il coordonne les activités du Centre Culturel.Il est chargé de cours en Histoire de la philosophie politique etHistoire de la philosophie aux universités de Sienne, de Modène etde Reggio Emilia. Il est l’auteur de : Leo Strauss. Linguaggio delpotere e linguaggio della filosofia (Bologne, 2000) ; La storia dellafilosofia come filosofia politica. Carl Schmitt e Leo Strauss lettori diThomas Hobbes (Pise, 2004) ; La fabrica de la soberania. Maquia-velo, Hobbes, Spinoza y otros modernos (Buenos Aires, 2005). Il adirigé les publications italiennes d’œuvres de Leo Strauss, CarlSchmitt et Alexandre Kojève et est l’auteur de nombreux essais parusdans les revues : Filosofia politica, Intersezioni, Iride, La società degliindividui, Comprendre, Barcelona, Res Publica, Murcia.

Claudio BAZZOCCHI est doctorant en Philosophie et Théories socialescontemporaines à l’université de Bari. Il a fondé et dirige l’ICS

(Consorzio Italiano di Solidarietà), pour lequel il a coordonné uncertain nombre de projets de coopération internationale et d’aidehumanitaire dans la zone des Balkans (notamment en Bosnie-Herzé-govine et Albanie). Il a travaillé comme chercheur à l’Observatoire surles Balkans (Trente). Il est actuellement président de l’Associationanti-utilitariste de critique sociale. Il est l’auteur, en particulier, de : Labalcanizzazione dello sviluppo. Nuove guerre, società civile e retoricaumanitaria nei Balcani (Bologne, 2003) ; avec F. Lubonja, Intervistasull’Albania. Dalle carceri di Enver Hoxha al liberismo selvaggio(Bologne, 2004) ; avec M. Deriu et P. Montanari, Guerre private.Subappalto della violenza e ungovernance globale (Bologne, 2004).

Alain BEAULIEU enseigne au Département de Philosophie de l’université deSudbury (Canada). Il a publié Gilles Deleuze et la phénoménologie(Paris, 2004). Il a coordonné l’ouvrage Gilles Deleuze, héritage philo-

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:24 Page 421

Lexique de biopolitique422

sophique (Paris, 2005) et a dirigé Michel Foucault et le contrôle social(Québec, 2005) et, avec D. Gabbard, Michel Foucault et Power Today(Lanham, 2006).

Paola BORGNA est sociologue et enseigne la Sociologie de la connaissance àl’université de Turin. Elle a dirigé la publication de Corpi in azione.Sviluppi teorici e applicazioni di un modello dell’attore sociale (Turin,1995) et, avec P. Ceri, de La tecnologia per il XXI secolo. Prospettive disviluppo e rischi di esclusione (Turin, 1998). Elle est l’auteure de Imma-gini pubbliche della scienza. Gli italiani e la ricerca scientifica e tecno-logica (Milan, 2001) et de Sociologia del corpo (Rome/Bari, 2005).

Renata BRANDIMARTE enseigne la Sociologie à l’université de la Basilicate ettravaille sur les thèmes de l’incertitude et du risque liés aux nouvellesbiotechnologies. Elle a collaboré avec de nombreux instituts derecherche et organismes de formation et poursuit des recherches surles thèmes du marché du travail, du développement et de l’immi-gration. Elle a notamment publié : « Immigrati mauriziani a Torre amare » (Sociologia urbana e rurale, 2004/73) avec D. Petrosino ;« L’imprenditorialità etnica in una città meridionale », G. Scidà (sousla direction de), I sociologi italiani e le dinamiche dei processi migra-tori (Milan, 2000) avec F. Chiarello et D. Petrosino.

Patricia CHIANTERA-STUTTE enseigne l’Histoire des doctrines politiques àl’université de Bari. Elle est l’auteure de Julius Evola. Dal dadaismoalla rivoluzione conservatrice (Rome, 2001) ; Von der Avantgarde zurTradition. Die radikalen Futuristen im Italienischen Faschismus von1919 bis 1931 (Frankfort, 2002) ; Res nostra agitur. Il pensiero diDelio Cantimori (1928-1937) (Bari, 2005). Elle est coauteure, avecL. Cedroni, de l’ouvrage Questioni di biopolitica qui rassemble desessais, entre autres, de A. Heller, C. Offe et Z. Bauman (Rome, 2003).Ses écrits ont été publiés dans les revues : Intersezioni, Trimestre,Quaderni di Sociologia, Democrazia e diritto.

Roberto CICCARELLI est docteur habilité à l’université orientale de Naples. Ilest l’auteur de Potenza e beatitudine. Il diritto nel pensiero diSpinoza (Rome, 2003) ; Immanenza e politica in Spinoza (Rome,2006) ; La cittadinanza. Una prospettiva critica (Rome, 2005). Il colla-bore aux revues Conflitti Globali, Critica Marxista, Posse.

Paolo FILIPPO CILLO a obtenu une maîtrise en Philosophie à l’université de Bariaprès avoir soutenu un mémoire en Histoire de l’historiographie poli-tique qui s’intitule Differenza e astrazione nel pensiero di T.W. Adorno.Il est intervenu à la Journée d’Études sur la pensée de Nicola MassimoDe Feo (Bari, 21 novembre 2005), ce qui a donné lieu à une publica-tion : Sottosuolo, crisi e riappropriazione costitutiva. Il est actuellementinscrit à la SILSIS (Scuola Interuniversitaria lombarda di Specializzazioneall’Insegnamento Secondario – IUFM) à l’université de Milan.

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:24 Page 422

Les auteurs 423

Mario COLUCCI est psychiatre et travaille au Département de Santémentale de Trieste. Il est membre de l’École de Psychanalyse duChamp Lacanien et du Forum Psicoanalitico Lacaniano, avec lequel ilcollabore au niveau des activités du siège de Venise. Il participe auxprogrammes de formation de l’ICLES (Istituto per la Clinica dei LegamiSociali) de Venise. Il collabore avec la chaire de Philosophie contem-poraine de l’université de Trieste (Prof. Pier Aldo Rovatti) où il a tenudes séminaires sur F. Basaglia, M. Foucault et J. Lacan. Il est membrefondateur du Laboratoire de Philosophie contemporaine de Trieste. Ila publié, avec P. Di Vittorio, Franco Basaglia (Milan, 2001), éditionfrançaise : Franco Basaglia. Portrait d’un psychiatre intempestif(Ramonville Saint-Agne, 2005).

Antonella CUTRO poursuit ses activités de recherche à l’université deSalerne. Elle s’est occupée de la pensée politique d’Hannah Arendt,dont elle a publié l’essai « L’ascesa e lo sviluppo del totalitarismo e diforme di governo autoritarie nel XX secolo » (La società degli indivi-dui, 2/2002). Elle est spécialiste en philosophie contemporaine fran-çaise et travaille notamment sur le rapport entre pensée politique etsavoirs biologiques. Elle a publié notamment : Michel Foucault.Tecnica e vita. Biopolitica e filosofia del bíos (Naples, 2004) ;« Deleuze-Guattari e Foucault : la vita “al di là” di Edipo » (L’espres-sione, 1/2003). Elle a dirigé l’anthologie Biopolitica. Storia e attualitàdi un concetto (Vérone, 2005).

Alessandro DE GIORGI a obtenu un PhD en criminologie à l’université deKeeke (Angleterre). Il est l’auteur de Zero Tolleranza. Strategie epratiche della società di controllo (Rome, 2000) ; Il governo dell’ec-cedenza. Postfordismo e controllo della moltitudine (Vérone, 2002).Il collabore aux revues DeriveApprodi et Dei delitti e delle pene.

Sarah DELUCIA a obtenu une maîtrise en Philosophie à l’université de Bariaprès avoir soutenu un mémoire intitulé : Biopolitica, bioetica e libera-lismo. Il biopotere da Foucault ad Engelhardt. Elle a publié « Biopotere,biopolitica, bioetica. Foucault dopo Foucault » (Millepiani, 2004/27).Elle a participé à de nombreuses expériences dans le domaine dubénévolat culturel et écologiste. Elle vit actuellement en Suisse où ellepoursuit ses études et collabore avec le Centro Scuola e Famiglia deZurich à l’élaboration et la réalisation de projets de formation.

Pierangelo DI VITTORIO enseigne le Lexique philosophique en langue fran-çaise à l’université de Bari. Il a publié Foucault e Basaglia. L’incontrotra genealogie e movimenti di base (Vérone, 1999) et, avecM. Colucci, Franco Basaglia (Milan, 2001), édition française : FrancoBasaglia. Portrait d’un psychiatre intempestif (Ramonville Saint-Agne, 2005). Ses essais sur Michel Foucault et sur la biopolitiquesont parus dans les ouvrages Moltiplicare Foucault. Vent’anni dopo

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:24 Page 423

Lexique de biopolitique424

(Milan, 2004), Michel Foucault et le contrôle social (Québec, 2005),Democrazia e guerra (Rome, 2005), Michel Foucault et Power Today(Lanham, 2006) et dans diverses revues : Antasofia, Millepiani, autaut, Sud/Nord. Folies et Cultures, Fogli di informazione, Rivista Speri-mentale di Freniatria, Journal of Science Communication, La Rose dePersonne/La Rosa di Nessuno.

Beppe FOGLIO est docteur habilité et travaille sur les Profils de la citoyennetédans la construction européenne. Il poursuit son activité de rechercheau centre Braudel de l’université de Catane. Il a codirigé, avec AnnaSimone, la publication italienne de l’ouvrage d’Étienne Balibar Noicittadini d’Europa ? (Rome, 2004). Ses essais ont été publiés dans lesrevues Democrazia e Diritto, Conflitti globali, Critica Marxista.

Andrea FUMAGALLI enseigne l’Économie politique à l’université de Pavie. Ils’occupe de thèmes liés à la précarité du travail et à la distribution durevenu. Il est notamment l’auteur, avec S. Bologna, de Il lavoratoreautonomo di seconda generazione (Milan, 1997) ; Dodici tesi sulreddito di cittadinanza (Rome, 2000) ; et avec A. Zanini et C. Marazzide La moneta nell’Impero (Vérone, 2003).

Ottavio MARZOCCA enseigne l’éthique sociale et la philosophie éthico-poli-tique à l’université de Bari. Il travaille en outre sur la pensée françaisecontemporaine, sur la géophilosophie et sur le néomarxisme italien.Il est l’auteur de : Filosofia dell’incommensurabile. Temi e metaforeoltre-euclidee in Bachelard, Serres, Foucault, Deleuze, Virilio (Milan,1989) ; La stanchezza di Atlante. Crisi dell’universalismo e geofiloso-fia (Bari, 1994) ; Transizioni senza meta. Oltremarxismo e antiecono-mia (Milan, 1998) ; Perché il governo. Il laboratorio etico-politico diFoucault (Rome, 2007). Il a dirigé l’édition italienne du recueil detextes de Michel Foucault : Biopolitica e liberalismo. Detti e scritti supotere ed etica. 1975-1984 (Milan, 2001) ainsi que l’ouvrage Molti-plicare Foucault. Vent’anni dopo (Milan, 2004). Il a participé à diversouvrages collectifs et il est l’auteur de nombreux essais parus dansles revues : Giornale critico della filosofia italiana, Millepiani, Oikos,Poleis, Quaderni materialisti, La rose de personne/La Rosa diNessuno, Tellus.

Dario MELOSSI est professeur en Criminologie (sociologie de la déviance etdu contrôle social) à la Faculté de Droit de l’université de Bologne. Il apassé une longue période de recherches et d’enseignement à l’univer-sité de la Californie. Il a publié notamment : The State of SocialControl. A Sociological Study of Concepts of State and Social Controlin the Making of Democracy (Cambridge (UK), 1990) ; Stato, devianza,controllo sociale : teorie criminologiche e società tra Europa e StatiUniti (Milan, 2002).

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:24 Page 424

Les auteurs 425

Antonella MOSCATI est docteur habilité en Philosophie. Elle est l’auteure deModi d’essere. Note sull’incondizionato e la prova ontologica (Siène,1996) ; Verbali (Paris, 2000) ; Una quasi eternità (Rome, 2006). Ellea dirigé la publication italienne de F. Schelling, Dell’Io come principiodella filosofia (Naples, 1991-1997) et publié des articles sur E. Kant,le néokantisme de Marbourg, M. Heidegger, W. Benjamin,H. Arendt. Elle a également traduit des essais de G. Deleuze, J.-L. Nancy et A. Badiou.

Maria MUHLE a fait des études de philosophie et de Sciences politiques àMadrid, Paris et Berlin. Elle prépare actuellement une thèse de docto-rat en co-tutelle sur la biopolitique et sur le concept de vie dans lapensée de M. Foucault et de G. Canguilhem à l’université Paris8/Saint-Denis et l’Europa Universität Viadrina de Frankfurt/Oder. Elleest l’auteure de Biopolitique et pouvoir souverain (« lignes », 2002)et, avec A. Brossat, de « Malaise in Thesis VIII » (Cardozo Law SchollReview 2005).

Roberto NIGRO enseigne la Philosophie au département de Philosophy andEuropean Cultural Studies de l’American University of Paris. Il estnotamment l’auteur de « De la Guerre à l’art de gouverner : un tour-nant théorique dans l’œuvre de Foucault ? » (Labyrinthe, 2005/22) ;« Spiele der Wahrheit und des Selbst zwischen Macht und Wissen »,dans K. Hempfer (Hg.), Macht-Wissen-Wahrheit (Freiburg, 2005) ;« Experiences of the Self between Limit, Transgression and the Explo-sion of the Dialectical System : Foucault as Reader of Bataille andBlanchot » (Philosophy et Social Criticism 2005/31[6]) ; « Foucaultlecteur de Bataille et de Blanchot », dans Ph. Artières (dir.), Foucault,la littérature et les arts (Paris, 2004) ; « Soggettività e verità », dans O.Marzocca (sous la direction de), Moltiplicare Foucault. Vent’anni dopo(Milan, 2004) ; « Immanenz und Produktivität der Normen », dans L.Schwarte u. Ch. Wulf (Hg.), Körper und Recht. AnthropologischeDimensionen der Rechtsphilosophie (München, 2003).

Dario PADOVAN est chercheur en Sociologie à l’université de Turin. Il s’oc-cupe de racisme et de théories de la race, de conflits ethniques, d’in-sécurité et de peur de la criminalité. Il a codirigé, avec A. Alietti,l’anthologie Metamorfosi del razzismo (Angeli, 2005) et, avecG. Mosconi, l’ouvrage La fabbrica dei delinquenti (L’Harmattan,2005). Il est membre de l’International Advisory Board des revuesDemocracy and Nature, Theomai, Cosmos and History et fait partiedu comité de rédaction de Razzismo e Modernità.

Vincenzo PAVONE a obtenu un PhD en Social and Political Sciences à l’Euro-pean University Institute (IUE) de Florence, avec un mémoire intituléGlobalisation, Science and the Mind of Men: Scientific Humanism andthe philosophical foundations of UNESCO (i.c.s.). Actuellement, il

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:24 Page 425

Lexique de biopolitique426

enseigne l’Histoire moderne et contemporaine italienne et les relationsinternationales au Mediterranean Centre for Arts and Sciences (MCAS)de Syracuse où il est responsable du programme d’Histoire et deSciences politiques. Il est l’auteur d’essais publiés dans des ouvragescollectifs et dans des revues scientifiques comme la Review Journal ofPolitical Philosophy et La Rivista del Mulino.

Antonello PETRILLO enseigne la Sociologie générale, la Théorie et lesmodèles de contrôle social et les Topographies de l’espace social àl’université Suor Orsola Benincasa de Naples où il est également lecoordinateur scientifique de la section d’Anthropologie et Sciencessociales du CRIE (Centro di Eccellenza per la Ricerca sulle istitutzioniEuropee). Il est membre de l’European Network of Excellence EOL

(From Trust to Insecurity. Experience and Governance of the Increa-sing Demand for Safety in Europe). Il a publié Burocrazia e Potere(Naples, 2000) et La città delle paure (Naples, 2003).

Pietro POLIERI est chercheur en Anthropologie culturelle du Départementde Langues et traditions culturelles européennes de Bari et chargé decours en Culture et Civilisation hébraïques à l’université de Foggia. Ilest l’auteur, entre autres, des ouvrages : I suoni della Torah.L’ebraismo « letto » attraverso la musica (Cassano delle Murge,1998) ; La voce dell’Inizio. Alla sorgente della musica ebraica(Cassano delle Murge, 2001) ; Il manifesto poetico della donna« riformata ». Una lettura del Cantico dei Cantici (Bari, 2001) ; Lacolpa dell’essere. Il racconto biblico della violazione originaria traricostruzione storico-teologica e analisi filosofica (Bari, 2003).

Olivier RAZAC est docteur habilité en Philosophie à l’université Paris 8. Il apublié Histoire politique du barbelé. La prairie, la tranchée, le camp(Paris, 2000), édition italienne : Storia politica del filo spinato(Vérone, 2001) ; L’écran et le zoo. Spectacle et domestication desexpositions coloniales à Loft Story (Paris, 2002) ; La « grandesanté ». Bien-être médical et vitalité philosophique (i.c.s.).

Onofrio ROMANO enseigne la Sociologie des processus culturels et commu-nicationnels à la faculté de Sciences politiques de l’université de Bari.Ses recherches portent sur les cultures de la postmodernité en Occi-dent, notamment dans les sociétés du Bas-Adriatique. Il a publié L’Al-bania nell’era televisiva (Turin, 1999) et, avec M. Mangini etV. Spadavecchia, Mutamenti levantini (Bari, 2003). Il a participé à desouvrages collectifs : Gli altri Balcani, sous la direction de S. Matteucci(Trieste, 2000), Comuni nuovi, sous la direction de C. Trigilia (Bologne,2003), Europa adriatica, sous la direction de F. Botta et I. Garzia (Rome-Bari, 2004), Lo sviluppo possibile, sous la direction de de F. Cerase(Milan, 2005), Cooperare con lentezza sous la direction de F. Chiarello(Milan, 2005). Il a publié des essais dans de nombreuses revues : Rasse-

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:24 Page 426

Les auteurs 427

gna Italiana di Sociologia, Sociétés, Revue du Mauss, Democrazia eDiritto, La società degli individui, Logos, Nike, Voci di strada.

Andrea RUSSO est docteur en Philosophie et politique à l’Institut Universi-taire Oriental de Naples et auteur d’une thèse intitulée Morfologiadel metodo genealogico e lotte delle minoranze nell’opera di MichelFoucault (février 2004). Il a publié des articles portant sur la penséephilosophique contemporaine dans les revues Millepiani et Deri-veApprodi. A milité dans le réseau No CDT, contre l’ouverture d’uncentre de détention temporaire à Bari.

Anna SIMONE est docteur habilité en Théories du langage et sciences dessignes. Elle a participé au séminaire international post-doctoralPolis e Panico. Topografie sociali tra moltitudine e rischio, avec Y.Moulier Boutang, N. Papastergiadis, R. Castel, à l’Université SuorOrsola Benincasa de Naples où elle enseigne actuellement la Socio-logie de l’environnement et du territoire. Ses activités de rechercheportent sur les CPT, sur les migrations et sur le concept de subjecti-vité dans le domaine de la sociologie et de l’anthropologie cultu-relle. Elle a publié, notamment, Divenire Sans Papiers. Sociologiadei dissensi metropolitani (Milan, 2002) et a codirigé, avecB. Foglio, l’édition italienne d’Étienne Balibar, Noi cittadini d’Eu-ropa ? (Rome, 2004).

Máximo SOZZO enseigne la Sociologie et la Criminologie à la faculté deSciences juridiques et sociales de l’université Nationale du Littoral,Argentine. Il a publié les ouvrages : Seguridad urbana. Nuevosproblemas, nuevos enfoques (Santa Fé, 1999) ; Reconstruyendo lascriminologías críticas (Buenos Aires, 2001) ; Policía, violencia, demo-crazia. Ensayos sociológicos (Santa Fé, 2005).

Salvo VACCARO enseigne la Philosophie politique à l’université de Palerme.Il s’occupe de la pensée contemporaine française, notamment decelle de Foucault et de Deleuze et entend décliner une théoriecritique du savoir et du pouvoir qui, d’Adorno à Benjamin, inspireune réflexion sur les pratiques conceptuelles de la globalisation, dela gouvernance et des droits de l’homme. Il a publié : Globalizza-zione e diritti umani (Milan, 2004) ; Anarchismo e modernità (Pise,2004) ; Biopolitica e disciplina (Milan, 2005).

Benedetto VECCHI dirige les pages culturelles du quotidien Il Manifesto. Ilest l’un des fondateurs de la revue Luogo Comune et a fait partie ducomité de rédaction de DeriveApprodi. Il s’occupe de travail, de post-fordisme, de cultures des jeunes, de technologies numériques et depropriété intellectuelle. Il a écrit quelques essais sur ces thèmes, dansdes ouvrages collectifs publiés aux éditions Manifestolibri et Costa etNolan. Il a dirigé l’ouvrage : Zygmunt Bauman, Intervista sull’identità(Rome/Bari, 2003).

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:24 Page 427

Table des matières

INTRODUCTION. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7Ottavio Marzocca

ASSUJETTISSEMENT/SUBJECTIVATION. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19Roberto Nigro

BIODIVERSITÉ . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 24Renata Brandimarte

BIOÉTHIQUE. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 30Sarah Delucia

BIOMÉTRIE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 36Salvo Vaccaro

BIOPOLITIQUE. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 43Ottavio Marzocca

BIOTECHNOLOGIES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 51Renata Brandimarte

BODYBUILDING. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 58Onofrio Romano

CAMPS. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 65Paricia Chiantera-Stutte

CAPITAL HUMAIN. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 72Ottavio Marzocca

CDT (CENTRE DE DÉTENTION TEMPORAIRE) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 78Anna Simone

CITOYENNETÉ . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 83Roberto Ciccarelli

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:24 Page 428

Table des matières 429

CONTRÔLE SOCIAL. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 89Dario Melossi

CORPS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 95Andrea Russo

DÉFENSE SOCIALE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 100Máximo Sozzo

DÉGÉNÉRESCENCE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 106Pierangelo Di Vittorio

DÉVELOPPEMENT . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 114Onofrio Romano

DIFFÉRENCES. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 120Anna Simone

DISCIPLINES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 128Alessandro De Giorgi

DURABILITÉ . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 134Sarah Delucia

ÉCOLOGISME . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 139Sarah Delucia

EMPOWERMENT . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 143Claudio Bazzocchi

EUGÉNISME . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 149Patricia Chiantera-Stutte

EXCEPTION (ÉTAT D’) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 156Beppe Foglio

GÉNOCIDE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 161Carlo Altini

GOUVERNEMENTALITÉ. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 167Ottavio Marzocca

GUANTANAMO . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 175Andrea Russo

GUERRE. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 183Roberto Ciccarelli

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:24 Page 429

Lexique de biopolitique430

HUMANISME SCIENTIFIQUE. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 189Vincenzo Pavone

MÉDICALISATION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 194Mario Colucci

MIGRATIONS. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 202Anna Simone

MILIEU . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 207Ottavio Marzocca

MONSTRE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 215Maria Muhle

NORMAL/PATHOLOGIQUE. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 221Antonella Cutro

NORMALISATION. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 225Alain Beaulieu

OGM (ORGANISMES GÉNÉTIQUEMENT MODIFIÉS) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 230Renata Brandimarte

OÏKONOMIE. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 237Paolo Filippo Cillo

POLICE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 242Beppe Foglio

POPULATION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 248Dario Padovan

POSTHUMAIN. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 257Paola Borgna

POUVOIR PASTORAL . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 263Pietro Polieri

PSYCHIATRIE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 271Pierangelo Di Vittorio

RACISME . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 280Patricia Chiantera-Stutte

RÉSISTANCE (PRATIQUES DE). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 286Andrea Russo

RISQUE. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 293Renata Brandimarte

SANTÉ PUBLIQUE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 301Pierangelo Di Vittorio

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:24 Page 430

Table des matières 431

SÉCESSION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 311Onofrio Romano

SÉCURITÉ . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 317Antonello Petrillo

SEXUALITÉ (DISPOSITIF DE) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 323Andrea Russo

SINGULARITÉS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 329Anna Simone

SOCIOBIOLOGIE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 335Renata Brandimarte

TÉLÉRÉALITÉ. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 341Olivier Razac

TERRORISME . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 348Roberto Ciccarelli

TOTALITARISME. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 354Carlo Altini

TRAVAIL/NON-TRAVAIL . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 360Benedetto Vecchi

WELFARE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 367Andrea Fumagalli

ZÔÉ/BÍOS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 374Antonella Moscati

BIBLIOGRAPHIE GÉNÉRALE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 381

LES AUTEURS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 421

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:24 Page 431

01 Intérieur Lexique 1/10/09 15:24 Page 432