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Publié par :Published by :Publicación de la :
Faculté des sciences de l’administrationUniversité LavalQuébec (Québec) Canada G1K 7P4Tél. Ph. Tel. : (418) 656-3644Fax : (418) 656-2624
Édition électronique :Electronic publishing :Edición electrónica :
Céline FrenetteVice-décanat à la recherche et au développementFaculté des sciences de l’administration
Disponible sur Internet :Available on InternetDisponible por Internet :
http ://www.fsa.ulaval.ca/[email protected]
DOCUMENT DE TRAVAIL 1999-006
MONDIALISATION, COMPÉTITION, RÉSEAUTAGE ET DÉCISION
COLLECTIVE
Muhittin Oral, Diane Poulin, Ossama Kettani
Centre de Service, d’Orientation et de Recherche sur lacompétitivité internationale et l’ingénierie de l’entrepriseréseau (SORCIIER)
Version originale :Original manuscript :Version original :
ISBN – 2-89524-076-0ISBN -ISBN -
Série électronique mise à jour :One-line publication updated :Seria electrónica, puesta al dia
03-1999
1
MONDIALISATION, COMPÉTITION, RÉSEAUTAGE ETDÉCISION COLLECTIVE*
Muhittin Oral, Diane Poulin et Ossama Kettani
RÉSUMÉ
Sont présentées ici quelques réflexions portant sur la dynamique de la mondialisation, de la
compétition, du réseautage et du processus décisionnel collectif. Cette dynamique est étudiée au
regard des systèmes humains et, plus spécifiquement, au regard du processus décisionnel
collectif. La mondialisation et la compétition sont des phénomènes étroitement liés, et leur
interaction détermine l’établissement de réseaux mondiaux entre entreprises, organisations et
gouvernements. Le réseautage modifie considérablement la nature de la dynamique de groupe
des détenteurs d’intérêts, tout comme il influence les relations individuelles entre interacteurs
stratégiques. Les changements les plus importants sont sans doute ceux amenés au processus
décisionnel. Il devient indispensable, à présent, d’établir un processus décisionnel consensuel qui
puisse rendre compte des valeurs et des intérêts de tous les détenteurs d’intérêts. Quoique
l’interaction entre mondialisation, compétition et réseautage soit analysée ici de façon assez
détaillée, les auteurs portent une attention particulière au phénomène de la décision collective et
consensuelle, pour enfin suggérer les lignes essentielles d’un agenda de recherche.
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2
1. INTRODUCTION
Les deux dernières décennies ont été marquées par des bouleversements profonds, et ce à
l’échelle mondiale. Pensons au développement foudroyant des technologies des communications
et de l’information, aux efforts déployés en vue d’instaurer un nouvel ordre économique
mondial, à la généralisation mondiale du libre-échange, à l’émergence de nouvelles puissances
économiques régionales, à la fin de la guerre froide et à la démocratisation de systèmes
politiques ou d’organisations de tout ordre. Tous ces événements entraînent des mutations
structurelles majeures, lesquelles n’ont de cesse de transformer le monde dans lequel nous
vivons. Ce « nouveau monde » ressemble déjà à un « village global » regroupant six milliards de
citoyens. Saisi dans une telle perspective, le concept de mondialisation revêt une importance de
tout premier ordre.
La conjoncture actuelle peut sembler paradoxale. Effectivement, la mondialisation est
menaçante à bien des égards. Pourtant, les individus, les organisations, les gouvernements et les
entreprises dotés d’une volonté et d’un savoir-faire suffisants ont maintenant l’unique occasion
non seulement d’affronter les nouvelles réalités liées à la mondialisation, mais aussi de les
façonner. Afin de survivre, de réussir, de prospérer ou d’atteindre ses objectifs et ses prévisions,
il faut savoir s’adapter continuellement et savoir allouer ses ressources de façon intelligente et
efficace. Toutefois, les individus ou les organisations ne disposent pas de ressources illimitées, et
leurs objectifs ou leurs attentes émergentes ne sont pas forcément convergents. Il en résulte
naturellement une atmosphère de rivalité, et donc de compétition, dans ce village global qui est
le nôtre.
Pour relever les défis de la mondialisation, les entreprises doivent sans cesse développer
des stratégies leur permettant d’établir, de consolider, voire d’améliorer leur position
compétitive. Une des stratégies les plus prometteuses, à cet égard, semble être la constitution de
réseaux d’entreprises. En effet, dans de tels réseaux, chaque entreprise partenaire peut se
concentrer sur les activités de la chaîne de valeur dans lesquelles elle excelle; ainsi chaque
entreprise maximise ses propres valeurs ajoutées. Dans le village global de la mondialisation, le
concept canonique de compétition—rendu par la formule « une seule entreprise contre les
3
autres »—est périmé. L’enjeu compétitif d’aujourd’hui se déplace vers une lutte « réseau contre
réseau », tel que l’illustre l’adage suivant : « ma force est la force de mon réseau » [24]. De fait,
nous assistons maintenant à la transition d’une économie de masse à une économie à valeur
ajoutée. Dans un tel contexte, les entreprises doivent absolument élaborer leurs missions en
fonction de leurs domaines de compétence de base; elles se doivent également de former leurs
réseaux selon les mêmes critères.
La dynamique de la mondialisation, de la compétition et du réseautage influe
considérablement sur la structure et sur la nature même des organisations et des entreprises. Les
structures organisationnelles ont graduellement abandonné le modèle pyramidal au profit du
modèle horizontal et, conséquemment, ont remplacé des systèmes décisionnels centralisés par
des systèmes décentralisés. De plus, ces nouvelles structures supposent un nombre accru de
détenteurs d’intérêts, qui participent à présent au processus décisionnel d’une façon différente.
Les réseaux créés afin d’assurer une plus grande compétitivité sur les marchés mondiaux
appellent à leur tour une approche particulière du processus décisionnel collectif. Celle-ci veut
que les valeurs et les préférences de tous les partenaires soient respectées, considérées de façon
équitable, et exprimées par les décisions finales.
Dans cette optique, il semble indispensable d’analyser les retombées de la mondialisation,
de la compétition et du réseautage sur la gestion des ressources humaines et, plus
particulièrement, sur le processus décisionnel collectif. Aussi porterons-nous ici une attention
particulière à ces questions, tout en suggérant un cadre conceptuel qui pourra sous-tendre un
agenda de recherche.
Cet article est structuré en fonction de la dynamique de la mondialisation, de la
compétition, du réseautage et du processus décisionnel collectif, dynamique illustrée par la figure
1. Il va sans dire qu’une telle dynamique ne saurait être cernée par l’étude discrète, voire isolée,
de ses composantes. Toutefois, chaque section de cet article aborde une des parties constituantes
de cette dynamique, afin d’en rendre la présentation plus simple et plus claire. La section 2
examine le processus de mondialisation et en évalue l’impact sur la nature de la compétition et
du réseautage. La partie 3 est consacrée au phénomène de la compétition et, en particulier, à son
évolution face à la nouvelle donne de la mondialisation et du réseautage. La section 4 explore la
4
topique du réseautage, abordée encore une fois en fonction des autres composantes de la
dynamique globale, soit la mondialisation et la compétition. Les incidences de l’interaction entre
mondialisation, compétition et réseautage sur le processus décisionnel collectif sont cernées à la
section 5. La partie 6 présente quelques conclusions et suggère quelques pistes de recherche
future.
2. LA MONDIALISATION
On pourrait définir la mondialisation comme étant un processus découlant soit (1) de la
poursuite d’activités conjointes, (2) du partage de valeurs ou d’intérêts, (3) de la collaboration en
vue d’atteindre des objectifs similaires ou (4) de l’instauration de formes organisationnelles
collectives afin d’atteindre, en collaboration avec d’autres acteurs, des buts ou des idéaux
similaires, et ce à l’échelle mondiale. Toutefois, dans le cadre restreint de cette étude, nous nous
appliquerons à cerner la mondialisation au regard de certaines de ces formes spécifiques. Seront
évoquées ainsi la mondialisation du produit, la mondialisation des marchés, la mondialisation de
la production et la mondialisation des capitaux. Il est entendu que toute forme de mondialisation
repose sur la levée des contraintes liées à la distance et au temps, contraintes qui d’ordinaire
éloignent participants et partenaires au lieu de les rapprocher. Ces difficultés se sont atténuées
grâce aux fulgurantes percées technologiques dans les domaines du transport, des
communications, de l’informatique, et surtout, dans le domaine des systèmes d’information.
Notre étude se penchera sur ces développements technologiques en autant qu’ils se rapportent à
la mondialisation.
La mondialisation du produit. On appelle l’adoption et l’utilisation mondiale d’un produit
la « mondialisation du produit ». Si le produit est associé à un nom de marque, on parlera alors
de « mondialisation des marques ». Il n’existe aucune méthode ou procédure établie qui permette
de mesurer le niveau de mondialisation d’une marque ou d’un produit. On ne peut nier pour
autant que plusieurs marques ou produits dominent le marché mondial. Mentionnons seulement,
avec leurs domaines respectifs, les marques Coca-Cola (boissons non alcoolisées), Christian Dior
(parfums), Levi’s (jeans), Rolex (montres), Malboro (cigarettes) et McDonald’s (restauration
5
Figure 1. Systèmes humains : le processus décisionnel collectif et son environnement
rapide). Pour qu’un produit ou qu’un nom de marque soit mondialisé, les conditions suivantes
doivent être réunies : (1) demande ininterrompue pour le produit à l’échelle mondiale,
(2) capacité constante de produire et de distribuer le produit, (3) maintien d’un rapport
qualité/prix favorable pour les clients, (4) association du produit et du nom de marque à une
certaine image et à un certain style et (5) capacité de travail et de coopération avec des
entreprises ou des partenaires locaux. La dernière condition s’avère essentielle si l’on cherche à
investir des marchés et des régions marqués par des cultures, des valeurs, des goûts, des moyens
Processusdécisionnel
collectif
6
et des habitudes de consommation distincts. De plus, la mondialisation du produit et de la
marque ne peut s’effectuer sans coopération et partenariat locaux. Il est impératif d’établir avec
les entreprises et les organisations locales une relation d’affaires du type « gagnant-gagnant ».
Cette forme de réseautage suppose l’existence d’une confiance et d’un entendement mutuels
entre partenaires, ainsi que l’instauration d’un processus décisionnel collectif efficace.
La mondialisation des marchés. Un marché peut être une ville, un pays, une région ou un
continent. Un marché est mondial si des produits de tout genre et de toute provenance peuvent
facilement y être importés, adoptés et achetés, soit par la population locale, soit par des visiteurs.
Un marché ne saurait être qualifié de « mondial » s’il ne remplit pas les conditions suivantes : (1)
accès politique et économique au marché pour tous les producteurs de toutes les nations, (2)
règles pratiques (et peu nombreuses) régissant les transactions d’import-export sur le marché, (3)
taxes ou droits de douane faibles ou nuls, (4) habitants et visiteurs du marché caractérisés par une
disposition favorable à l’achat de produits originaires de tout pays, (5) pouvoir d’achat élevé des
habitants et des visiteurs du marché, (6) devises étrangères convertibles acceptées facilement, (7)
systèmes bancaires et financiers efficaces et efficients et (8) accès facile par voie aérienne,
maritime ou terrestre. Ces huit conditions pourront servir de lignes directrices en ce qui concerne
l’élaboration éventuelle de décisions ou de politiques générales par des détenteurs d’intérêts ou
des participants.
La mondialisation de la production. Il s’agit d’un autre type de mondialisation qui est
devenu prépondérant au cours des deux dernières décennies. Il est devenu très rare, de nos jours,
qu’un produit soit fabriqué de A à Z dans la même usine, voire dans la même région ou le même
pays. Cette situation est sans doute imputable, avant tout, au souci de rentabiliser les entreprises
par le développement d’un avantage concurrentiel par les coûts. Parmi les conséquences de ce
phénomène figurent la relocalisation d’usines (qui se spécialiseront alors dans la production de
certaines pièces ou de certains produits) et la sous-traitance au niveau des intrants, pratiquée à
l’échelle mondiale. Toutes les formes de mondialisation reposent sur l’érosion des entraves
temporelles et géographiques; cette constante s’applique particulièrement à la mondialisation de
la production, puisque celle-ci suppose la circulation des biens dans des délais opportuns, grâce à
l’évolution rapide des nouvelles technologies de l’information. Encore une fois, certaines
conditions sous-tendent la mondialisation de la production : (1) le produit final est constitué de
7
composantes ou de pièces qui peuvent être produites à plusieurs endroits du monde, (2) le
transport des composantes ou des pièces entre entreprises partenaires peut s’effectuer « juste-à-
temps », efficacement, et à des coûts favorables, (3) le réseau informationnel entre firmes
partenaires est efficace et efficient, (4) les entreprises partenaires ne sont pas mal à l’aise quant
au travail ou quant aux décisions communes concernant la conception des produits, la
planification, la fabrication, la distribution et l’impartition au niveau des intrants et (5) il y a
synergie et compatibilité technologiques et administratives entre entreprises partenaires en
termes de capacités, de qualité, d’intrants et d’extrants, et finalement en termes de domaines de
compétence de base. Peut-être ce genre de mondialisation fait-il appel à la prise de décision
collective encore plus que ne le font les autres formes de mondialisation, simplement à cause du
nombre élevé de détenteurs d’intérêts concernés, lesquels doivent coordonner leurs activités
communes pour atteindre leurs objectifs ou leurs prévisions de production.
La mondialisation des capitaux. La circulation transfrontalière des capitaux—effectuée
grâce à l’achat et à la vente d’actions, de contrats à terme, d’obligations et de titres dans des
institutions financières ou sur des marchés boursiers de par le monde—sous-tend la
mondialisation des capitaux. Les investissements directs dans les pays étrangers contribuent
également à cette forme de mondialisation. Les hommes d’affaires des pays moins industrialisés
achètent souvent de grands pourcentages d’actions des firmes prestigieuses des pays
industrialisés; de même, il n’est pas rare de voir des entreprises établies dans des pays
industrialisés investir de fortes sommes dans des pays en voie de développement. Il n’est pas
rare, non plus, de voir une institution financière internationale ouvrir un bureau important dans
un pays en voie d’industrialisation, et ce pour garder le pouls sur les marchés des capitaux
émergents. Non seulement la circulation des capitaux par-delà des frontières nationales devient-
elle de jour en jour plus facile, elle constitue aujourd’hui une forme de transaction économique
tout à fait établie et fort répandue. Les quelques pays qui ne participent pas encore à part entière
à ce processus seront probablement forcés de le faire rapidement pour éviter de se placer dans
des positions économiques désavantageuses à long terme. Parmi les conditions qui déclenchent
ou qui facilitent la mondialisation des capitaux, retenons les suivantes : (1) des systèmes
bancaires et financiers sophistiqués, (2) la liberté d’effectuer des transferts de fonds
transfrontaliers, (3) des marchés des capitaux dynamiques, (4) l’accès interne et externe aux
marchés des capitaux et (5) des privilèges et avantages fiscaux offerts aux investisseurs étrangers
8
et locaux. Encore une fois, ces conditions façonnent le contexte décisionnel des interacteurs
stratégiques des milieux financiers.
Les types de mondialisation discutés ci-dessus présentent autant d’occasions que de défis.
La circulation des capitaux des pays industrialisés vers les pays en voie de développement
permet certes de combler partiellement les besoins financiers de ceux-ci. La mondialisation de la
production génère principalement des emplois dans les pays en voie de développement,
permettant ainsi d’entrevoir un partage équitable des bienfaits d’une économie mondiale. Une
telle économie, si elle profite à tous plutôt qu’à une minorité d’acteurs, promouvrait
considérablement la dépendance mutuelle, la compréhension entre peuples, la tolérance, le
respect, et pourrait même annoncer une paix mondiale durable. La mondialisation du produit et
des marchés, encore, mène à des habitudes de consommation communes et, conséquemment, à
une forme de convergence culturelle. Ce phénomène pourrait également contribuer à rapprocher
les peuples de la planète. Tout ceci ne signifie pas, malheureusement, que les chemins de la
mondialisation ne soient pas semés d’embûches. Les effets négatifs potentiels du phénomène ne
sont pas négligeables. Pensons à la domination possible que pourraient exercer quelques blocs
économiques, quelques pays ou quelques corporations transnationales. Mentionnons brièvement
d’autres possibilités inquiétantes : l’exploitation accrue des moins bien nantis, qu’il s’agisse de
pays, d’organisations ou d’individus; des dommages irréversibles causés à l’environnement; des
conflits entre intérêt politique et intérêt économique; l’homogénéisation de l’éducation et de la
culture [1]; la subversion du processus démocratique par des accords internationaux tels le
GATT et l’ALENA [14]; la création de corporations transnationales totalement indifférentes aux
intérêts des localités qu’elles investissent [7]. Il va sans dire que les occasions et les défis que
charrie la mondialisation sont de la toute première importance pour l’avenir de l’humanité et,
plus particulièrement, pour les systèmes humains. Dans le cadre de cet article, toutefois, nous
tenterons de mesurer les retombées de ce phénomène sur une seule activité spécifique aux
systèmes humains, soit le processus décisionnel.
La mondialisation impose une nouvelle approche du processus décisionnel, et modifie
même la façon dont on peut envisager celui-ci. Premièrement, les détenteurs d’intérêts concernés
par ce processus—qu’il s’agisse de partenaires, de clients, de créditeurs ou de fournisseurs—sont
dispersés aux quatre coins du monde. Quel que soit leur degré d’éloignement géographique, on
9
doit tenir compte de leurs besoins, de leurs valeurs, de leurs préférences et de leur culture.
Deuxièmement, à cause du nombre accru de partenaires et de relations d’affaires qu’implique la
mondialisation, le processus décisionnel devient nécessairement un processus collectif. Une
entreprise ne peut plus se permettre de dicter ses choix à autrui si elle désire établir ou maintenir
des relations de travail harmonieuses et durables. Les entreprises doivent travailler de concert,
prendre des décisions équitables, justifiables, des décisions qui répondent à une logique
démocratique. Troisièmement, dans un tel processus, il n’est pas assuré que tous les détenteurs
d’intérêts partagent les mêmes valeurs ou qu’ils poursuivent les mêmes objectifs; ils pourraient
même viser des buts antithétiques. Il faut donc prévoir une marge de manœuvre qui permette
d’accommoder valeurs, préférences et objectifs divers afin de recueillir un consensus.
Quatrièmement, le processus décisionnel collectif se doit d’être démocratique; la décision finale
doit refléter l’avis de chaque membre du groupe. En résumé, la mondialisation insère le
processus décisionnel dans un contexte multicritère marqué notamment par la croissance du
nombre d’interacteurs stratégiques, interacteurs qui peuvent avoir des valeurs et des préférences
divergentes, voire des objectifs contradictoires. De plus, l’efficacité et l’efficience imposent un
processus décisionnel qui puisse dépasser les contraintes posées par l’éloignement géographique
et par le temps.
3. LA COMPÉTITION
De nombreux économistes, cadres et universitaires d’allégeances disciplinaires diverses—
stratégie des organisations, comportement organisationnel, gestion des opérations, finance,
marketing—se sont intéressés de nouveau au concept de compétition. Ce phénomène
relativement récent est particulièrement manifeste aux États-Unis. De fait, depuis les années 80,
bon nombre de revues scientifiques ou professionnelles ont consacré articles et numéros spéciaux
à ce concept. Plusieurs livres récents prônent diverses stratégies pour faire face à la concurrence
« étrangère »—parfois qualifiée de déloyale—amenée par des firmes japonaises ou coréennes, ou
parfois européennes. On a élaboré des plans d’action pour assurer une plus grande compétitivité
internationale pour diverses nations; de même, on publie régulièrement des rapports annuels qui
évaluent la position compétitive des pays. Dans la même foulée, on proclame maintenant qu’il
s’agit moins de savoir si les nations devraient se joindre à la course vers la compétitivité
10
mondiale, que de savoir quand et comment elles pourraient le faire : des questions essentielles,
qui visent à assurer la bonne performance et parfois la survie même des entreprises sur les
marchés internationaux. Les études les plus probantes sont celles de Porter [22, 23]. Le
« National Diamond » de ce dernier a servi à étudier la compétitivité de plus de 10 pays et a
suscité un intérêt considérable tant dans les cercles universitaires que dans les milieux d’affaires.
Néanmoins, les recherches de Porter ont également essuyé de sévères critiques. L’autre étude
majeure portant spécifiquement sur la compétitivité des pays est l’œuvre de deux organismes
établis en Suisse, soit le Institute of Management Development et le World Economic Forum. Le
World Competitiveness Yearbook (WCY) et le Global Competitiveness Report (GCR) produisent
un classement annuel de la position compétitive des pays, effectué en fonction d’un ensemble de
plus de 350 critères d’analyse. Contrairement aux études de Porter, celles du WCY et du GCR ne
suggèrent aucun plan d’action aux pays concernés. Elles se contentent de présenter quelques
idées générales quant à la compétitivité des nations selon les différents niveaux d’agrégation de
critères utilisés. Quelques études portent plus particulièrement sur la compétitivité de pays
spécifiques. Porter [21] a ainsi soumis un rapport détaillant les forces et les faiblesses
compétitives du Canada. De même, Martel et Oral [9] ont mené une étude qui identifiait les
déterminants de la compétitivité des entreprises canadiennes et québécoises sur les marchés
internationaux. Les auteurs y formulent une série de défis à aborder de façon prioritaire.
L’étude de la compétitivité des pays s’impose pour deux raisons : (1) la formulation de la
stratégie de l’entreprise et (2) la formulation des politiques publique et gouvernementale. La
nation, avec ses ressources naturelles, ses ressources humaines, ses régimes politiques, ses
organismes gouvernementaux, ses instituts de recherche et d’éducation, ses systèmes financiers,
ses valeurs culturelles et sociales, forme l’environnement compétitif où sont créées, organisées et
administrées les entreprises. L’environnement compétitif qu’offre une nation ou un pays
influence la performance de ses entreprises tant sur son territoire qu’à l’étranger. Ainsi, il est
primordial que les cadres connaissent et comprennent l’environnement compétitif dans lequel ils
travaillent, tout comme il est impératif qu’ils saisissent l’environnement de leurs compétiteurs.
Notons qu’au niveau macro-économique, le gouvernement s’implique également dans le
développement de l’environnement compétitif. À cet égard, son rôle est de formuler une
politique d’État qui promeuve la prospérité des citoyens par la garantie d’un environnement
compétitif avantageux pour les entreprises œuvrant dans le pays. Ce qui revient à dire que les
11
gouvernements même se font concurrence pour la création et le maintien de tels environnements.
L’environnement compétitif d’un pays est façonné par ses politiques en divers domaines :
taxation, finance, législation et régulation, dépenses gouvernementales (ainsi que la nature de ces
dépenses), éducation, science et technologique, infrastructure, santé, etc. Afin de mettre au point
de meilleures politiques, les responsables politiques doivent comparer l’environnement
compétitif de leur pays à celui des autres nations.
Dans les domaines de la politique de fabrication et de la planification stratégique, on porte
également une attention particulière à l’analyse de la compétitivité au niveau de l’entreprise.
Quoique ce concept « restreint » de compétition ne soit pas nouveau (son analyse mathématique
remonte effectivement à l’époque de Cournot), l’intérêt accru qu’il suscite est sans doute
imputable à la mondialisation de la compétition. Mentionnons, parmi les études les plus
concluantes, celles de Porter [19, 20], d’Oral [15, 16], d’Oral et Kettani [17], de Karnani [4-6] et
de Dutta et King [3]. La littérature consacrée à cette topique présente une panoplie de cadres et
de modèles formels conçus pour analyser la compétitivité et pour formuler des stratégies
compétitives au niveau de l’entreprise. Immanquablement, chaque théorie promet d’augmenter la
compétitivité des entreprises sur les marchés locaux et internationaux. L’importance qu’on
accorde à l’analyse de la compétitivité repose sans doute sur le credo qui veut que la survie des
organisations, des entreprises et des nations dépende de leur robustesse dans un environnement
de compétition mondiale.
Les avis sont partagés quant aux conséquences de la compétition mondiale. Les partisans
du phénomène font grand cas de ses nombreux avantages virtuels ou potentiels. Leurs arguments
sont résumés dans les lignes qui suivent. Premièrement, la compétition mondiale oblige les
entreprises à assurer leur rentabilité en relocalisant leurs sites de production et en révisant leur
logistique à l’échelle mondiale. Ceci permet aux pays moins industrialisés de s’intégrer au
système de production mondial, en faisant appel à leurs ressources inexploitées (il pourra s’agir
notamment d’une main d’œuvre bon marché ou encore de ressources naturelles). Deuxièmement,
grâce à la relocalisation des sites de production, le savoir-faire technologique et administratif se
propage à travers le monde. Ainsi se résorbe l’écart technologique entre pays industrialisés et
pays en voie d’industrialisation, du moins dans les industries matures. Troisièmement, la
compétition mondiale encourage les partenariats et alliances entre entreprises à travers le monde
12
et favorise ainsi la rencontre harmonieuse de cultures ou de styles administratifs différents.
Quatrièmement, ce phénomène profite aux consommateurs, qui disposent d’un plus grand choix
de produits et de services et, conséquemment, qui jouissent de meilleurs rapports qualité/prix.
Cinquièmement, l’économie mondiale repose inéluctablement sur les entreprises les plus
efficaces et efficientes, puisqu’elles seules peuvent satisfaire aux exigences de la compétition
mondiale. Sixièmement, la compétition mondiale commande la coopération et le réseautage entre
entreprises de pays divers. Ainsi se créent des occasions de travailler et de prendre des décisions
ensemble, d’initier des projets conjoints, de se comprendre et de se compléter.
Les adversaires de la compétition mondiale dénoncent les vices du phénomène. En tout
premier lieu, selon eux, la compétition est par définition inhumaine et amorale, puisque son seul
objectif est l’élimination des faibles et des défavorisés. Elle génère diverses formes
d’exploitation des peuples, des nations et des régions moins bien nantis. Deuxièmement, elle
mène à la détérioration, sinon à la spoliation de l’environnement naturel, hypothéquant ainsi
l’avenir des générations futures. Troisièmement, la compétition mondiale favorise l’émergence
de firmes transnationales. En général, celles-ci se soucient fort peu des localités qu’elles peuvent
investir et restent indifférentes aux besoins, aux valeurs et aux préférences de leur environnement
immédiat. Quatrièmement, ne devient pas mondialement compétitif qui le veut : sans
préparation, sans un minimum d’infrastructures, une économie ne se précipite vers la
mondialisation qu’à ses risques et périls. Plusieurs pays, plusieurs économies émergentes sont
mal préparées pour la compétition mondiale et paieront un lourd prix pour leurs efforts de
mondialisation, du moins à court terme. Cinquièmement, la compétition mondiale sépare le
producteur du client, le fermier de la cuisine, la centrale de l’appareil électrique, le banquier du
déposant et, inévitablement, le gouvernement des citoyens. Par là, se disjoignent l’autorité et la
responsabilité; ceux qui prennent les décisions ne sont pas ceux qui les subissent [13].
Sixièmement, il n’est pas rare que des ressources soient mal allouées au nom des impératifs de la
compétition mondiale; de fait, on encourage les économies locales ou nationales à se structurer
en fonction de la compétition sur des marchés étrangers parce que l’on considère que le principal
objectif, voire le seul objectif des activités économiques est « l’exportation ». Le Brésil offre un
exemple frappant de ce phénomène. Dans ce pays, la production par personne de produits
alimentaires de base (riz, fèves noires, manioc et pommes de terre) a chuté de 13% de 1977 à
1984; tandis que la production par personne de produits alimentaires exportables (graines de
13
soja, oranges, coton, arachides et tabac) a augmenté de 15%. Aujourd’hui, bien que 50% des
Brésiliens souffrent de malnutrition, un agronome brésilien réputé soutient encore que la
promotion de l’exportation est « une question de survie nationale ». Il semblerait que dans le
village global un pays survive en affamant ces citoyens [13]!
La mondialisation agit sur la nature même de la compétition. La compétition traditionnelle,
locale, autorisait une certaine intimité, ou du moins un contact personnel, entre producteurs et
consommateurs. Le modèle mondial n’accorde, entre producteurs et consommateurs, qu’une
forme aseptisée—mais systématisée—de communication, réalisée au moyen de vecteurs
impersonnels, tels les téléphones, les ordinateurs, les représentants, les fournisseurs et les agents.
De nos jours, aucun client ne peut contacter personnellement les administrateurs ou les
producteurs responsables des produits ou des services offerts. Pour obtenir le moindre
renseignement, le client devra s’introduire dans un labyrinthe de systèmes presque
impénétrables. On comprend que ce phénomène ait suscité la création de nombreuses
associations vouées à la défense des droits des consommateurs, associations particulièrement
militantes en Amérique du Nord. Celles-ci ont réussi à faire adopter des lois et des règlements
gouvernementaux qui protègent les clients et l’environnement; aussi peut-on dire que ces
associations exercent une certaine pression sur les producteurs.
La compétition mondiale repose sur la coopération globale. Certes, il n’y a pénurie ni
d’accords internationaux (GATT, ALENA, PAC) ni d’institutions internationales (FMI, Banque
mondiale, OCDE, Parlement européen). Pour autant, les règles de la coopération internationale
demeurent parfois vagues. Sont floues, en particulier, les modalités de participation
d’organisations ou d’entreprises individuelles à l’élaboration des politiques ou des décisions de
ces entités internationales. Bien souvent, les détenteurs d’intérêts concernés sont tenus à l’écart
du processus décisionnel et de la formulation des politiques, d’où des ententes non
démocratiques, parfois même injustes. Qui plus est, quelques pays—et parfois quelques
individus—exercent une influence indue sur les institutions et les accords internationaux. Les
pays (et leurs organisations) doivent tous s’impliquer, en tant que détenteurs d’intérêts, dans la
définition des règlements de la coopération internationale. Les modalités—par ailleurs fort
complexes—de tels engagements doivent être abordées de façon pressante. On pourrait cerner
cette problématique à plusieurs niveaux distincts, par exemple au niveau régional,
14
gouvernemental, sectoriel, puis corporatif—toujours dans le cadre d’un processus décisionnel
collectif.
4. LE RÉSEAUTAGE
Tout comme la mondialisation transforme la nature même de la compétition internationale,
le réseautage, établi entre organisations et entreprises pour assurer ou développer leur
compétitivité, contribue considérablement au processus de mondialisation. Certains [24]
soutiennent que le réseautage est au cœur même de la dynamique de la mondialisation et de la
compétition internationale. Effectivement, les réseaux permettent à leurs membres de s’intégrer à
des groupes d’organisations et d’entreprises et ainsi de s’insérer dans les rouages de la
mondialisation.
Le réseautage est un mode stratégique de coopération entre entreprises, organisations et
gouvernements. Le réseautage entre entreprises se fonde sur le concept de compétence de base.
Selon ce concept, chaque partenaire dans un réseau d’entreprises se concentre sur ses
compétences de base en ce qui a trait à ses activités principales, tout en profitant des
compétences de base de ses partenaires en ce qui concerne les activités secondaires. Distinguons
quelques-uns des principes du réseautage : (1) les activités complémentaires sont menées en
fonction de la logique du « faire », du « ne pas faire », du « faire faire » ou du « faire ensemble »,
(2) d’étroites relations se nouent entre partenaires pour garantir une position « gagnant-gagnant »
pour tous et (3) des structures et des mécanismes administratifs souples et adaptables sont mis
sur pied. Moyennant ce genre de coopération, tous les membres du réseau, qu’il s’agisse de
partenaires individuels ou d’un groupe d’entreprises réseautées, peuvent aspirer à une
compétitivité accrue. Il est généralement admis que le réseautage constitue une question de
survie, face à la compétition internationale et à la mondialisation.
Le réseautage est une décision stratégique qui vise à augmenter la capacité de l’entreprise
au regard de
• réaliser des économies d’échelle en améliorant l’utilisation efficace et efficiente des
ressources existantes; développer une masse critique de ressources; réduire les coûts
15
administratifs; et créer un effet de synergie qui mène à l’utilisation optimale des
ressources disponibles,
• minimiser la complexité en stabilisant certaines relations d’affaires, en partageant les
risques des marchés incertains, en freinant l’entrée de nouveaux compétiteurs potentiels
ou éventuels et en levant les contraintes qui bloquent l’accès aux nouveaux marchés,
• augmenter la variété et la flexibilité des activités en facilitant l’accès aux ressources
critiques ou nouvelles, grâce à la mobilisation de ressources humaines dotées de
nouvelles compétences et grâce au partage, entre membres du réseau, d’équipement ou
de machines de haute technologie ou d’équipement dont la technologie a été mise à
jour,
• simplifier les structures internes des entreprises membres en externalisant certaines
activités secondaires non compétitives,
• s’adapter rapidement et efficacement aux nouvelles réalités et aux nouvelles occasions
offertes par la mondialisation, moyennant le partage d’information pertinente entre
entreprises membres.
Les réseaux d’entreprises adoptent des formes différentes en fonction de (1) la nature du
partenariat, (2) la situation des partenaires, (3) la raison d’être du réseau et finalement (4) la
structure du réseau. La nature du réseau peut être formelle ou informelle, selon le niveau de
confiance mutuelle créé et selon les ressources engagées. Certains réseaux sont ponctuels, c’est-
à-dire qu’ils ne se forment que pour conclure un seul marché. On dit d’un réseau au sein duquel
les relations évoluent au fil du temps qu’il est dynamique. Quand la nature du partenariat reste
sensiblement la même pendant une longue période, le réseau est qualifié de stable. Au regard de
la situation des partenaires dans le réseau, on peut distinguer les relations horizontales (entre
membres qui sont des concurrents) des relations verticales (quand les partenaires sont des
fournisseurs, des sous-traitants ou des clients). Finalement, quand les partenaires sont des
organisations de soutien, on parlera de réseau diagonal. En analysant les réseaux en fonction de
leur chaîne de valeur dans un secteur d’activités donné, on identifiera des secteurs soit locaux,
soit nationaux, soit internationaux. Moyennant l’instauration d’alliances stratégiques, tactiques
16
ou opérationnelles, le réseautage renforce la compétitivité des entreprises. De telles alliances
supposent non seulement une dynamique de collaboration mais aussi une dynamique
d’apprentissage mutuel. La structure du réseau s’établit en fonction des facteurs suivants. (1) La
répartition du pouvoir : est hiérarchique un réseau au sein duquel un partenaire a plus de pouvoir
de négociation ou de décision en raison de son avance technologique ou de l’abondance de ses
ressources. Dans un réseau hétérarchique, le pouvoir est distribué de façon égale entre
partenaires. (2) Le type d’interaction entre membres : une entreprise « vedette », c’est-à-dire une
firme de calibre mondial, pourra devancer et mener les autres; dans la situation inverse, tous les
membres du réseau auront les mêmes privilèges. La structure du réseau peut encore être
identifiée en fonction (3) des investissements financiers (partage de la contribution financière et
du risque). Finalement, notons qu’il est important de déterminer (4) la structure même de l’entité
créée en tant que réseau : il peut s’agir aussi bien d’une nouvelle firme que d’un système partagé
par tous.
On peut associer bien d’autres caractéristiques et bien d’autres buts aux réseaux
d’entreprises. Il faut noter, toutefois, que ces réseaux sont presque toujours uniques, puisqu’ils
composent avec des membres et des buts fort variés, et puisque la dynamique ainsi créée peut
changer d’une conjoncture à une autre. Par delà du caractère singulier de tout réseau, perdure
l’ambition unifiante du réseautage, à savoir l’établissement d’un processus décisionnel collectif
et consensuel, et d’une relation « gagnant-gagnant » entre chaque membre individuel. Ainsi, le
processus décisionnel collectif et consensuel demeure un facteur déterminant dans tout réseau,
depuis sa création jusqu’à sa dissolution éventuelle.
5. LE PROCESSUS DÉCISIONNEL COLLECTIF
La dynamique de la mondialisation, de la compétition et du réseautage, telle que nous
l’avons décrite précédemment, admet l’élaboration d’un cadre d’analyse qui permet la saisie
formelle du processus décisionnel collectif. Dans ce cadre, la mondialisation et le réseautage
imposent un contexte de prise de décision collective, tandis que le concept de compétition est
utilisé pour définir un ensemble de critères à retenir en vue du processus de sélection. Nous nous
pencherons brièvement sur ces deux questions, et ce pour suggérer une approche particulière du
processus décisionnel collectif.
17
5.1 Le contexte du processus décisionnel collectif
Le processus de mondialisation s’accomplit essentiellement grâce à la poursuite d’activités
diverses menées en réseau. Le principe premier du réseautage est de créer pour tous les membres
du réseau une position « gagnant-gagnant ». Ainsi est écartée, ou du moins peu indiquée, toute
décision isolée qui ne profiterait qu’à certains membres du réseau. De fait, la généralisation d’un
tel comportement décisionnel mènera, tôt ou tard, à la dissolution du partenariat ou à la fin de la
collaboration effective. Ainsi, pour garantir la survie du réseau, il est impératif d’instaurer un
processus décisionnel collectif. Il faudra alors tenir compte des facteurs suivants : (1) le nombre
et la nature des détenteurs d’intérêts, (2) les valeurs et les préférences des détenteurs d’intérêts,
(3) les buts et les objectifs des détenteurs d’intérêts, (4) les causes possibles du ressentiment
parmi les interacteurs stratégiques, (5) le niveau consensuel auquel aspirent les détenteurs
d’intérêts, (6) l’inclusion et la considération équitable des opinions des détenteurs d’intérêts dans
le processus, (7) la distribution des bénéfices entre détenteurs d’intérêts et (8) l’efficacité et le
facteur « juste-à-temps ».
(1) Les détenteurs d’intérêts. Le réseautage multiplie le nombre de détenteurs d’intérêts parce
que tous les partenaires du réseau constitué deviennent également des détenteurs d’intérêts.
Conséquemment, il y a un plus grand nombre de décideurs engagés dans le processus. Qui
plus est, il y a un ensemble flottant de détenteurs d’intérêts, en fonction du domaine
décisionnel ou du projet conjoint en évaluation, tel un partenariat en R&D, des projets
d’investissement conjoints ou des systèmes de distribution et de marketing partagés.
(2) Valeurs et préférences des détenteurs d’intérêts. Un réseau est un groupe d’entreprises :
sont en jeu, donc, un grand nombre de valeurs, de cultures, de préférences et de
comportements organisationnels différents. Notons que ceux-ci peuvent varier
considérablement d’une organisation à une autre. Pour qu’une décision soit acceptable pour
tous les intéressés, elle doit tenir compte de toutes ces différences organisationnelles qui
caractérisent les détenteurs d’intérêts.
(3) Buts et objectifs des détenteurs d’intérêts. Les objectifs et les buts des firmes constituantes
d’un réseau peuvent également varier de façon considérable. Certaines entreprises voudront
majorer leurs profits et accroître leur part du marché, d’autres voudront développer leurs
18
capacités technologiques et leur compétence de base. Les décisions finales se doivent de
refléter et de respecter la diversité de ces buts et de ces objectifs.
(4) Causes du ressentiment. Il arrivera tôt ou tard que certaines décisions déplaisent à quelques
membres du réseau. On peut s’attaquer à ce problème en formulant un ensemble de
principes visant à prévenir le ressentiment, principes qui devront être avalisés par tous les
membres. Cet ensemble pourra varier de réseau en réseau—et même au sein d’une seule
entreprise si elle s’implique dans plusieurs réseaux.
(5) Création d’un consensus. La prévention du ressentiment représente une condition
nécessaire, mais non suffisante, à l’obtention d’un consensus complet parmi les membres
d’un réseau. Il faut développer une approche qui permette aux membres d’atteindre un
niveau consensuel maximal, tout en respectant les principes présentés en (4), et tout en
tenant compte de contraintes légitimes, telle la disponibilité de ressources humaines ou
budgétaires.
(6) Équité et démocratie. Ce sont des principes indispensables au bon fonctionnement du
processus décisionnel collectif, surtout si l’on vise un niveau consensuel optimal. Par
démocratie on entend la possibilité d’exprimer sans entraves, au sein du processus
décisionnel, ses idées, ses valeurs, ses préférences et ses objectifs. Est équitable un
processus qui accorde une importance appropriée à chaque membre du réseau. Définie
ainsi, l’équité est un concept qu’on peut mesurer, notamment en fonction du poids accordé
à chaque membre dans le système de « suffrage ».
(7) Partage des bénéfices entre détenteurs d’intérêts. Un des buts principaux du réseautage est
de créer de la valeur pour les membres concernés, grâce à une compétitivité accrue à court
ou à long terme. Le partage de la valeur ainsi créée est une condition indispensable à la
survie du partenariat. Non seulement chaque membre devra-t-il profiter de tels gains, mais
leur partage devra être équitable et proportionnel aux niveaux de contributions des
membres.
(8) Efficacité et facteur « juste-à-temps ». Les membres d’un réseau sont souvent dispersés aux
quatre coins du monde. Ainsi doivent-ils adopter des mécanismes décisionnels rapides,
19
« juste-à-temps », efficaces et efficients pour s’assurer de la collaboration et des bénéfices
escomptés. Pour atténuer les problèmes afférents au temps et à la distance, il serait
envisageable de recourir à des réseaux décisionnels assistés par ordinateur.
5.2 Une approche décisionnelle collective
Nous suggérons ici une approche applicable au contexte décisionnel collectif décrit plus
haut. Elle est issue de notre expérience accumulée lors d’applications pratiques dans des
contextes ou des environnements similaires. Toutefois, afin de mieux présenter cette approche,
nous décrirons ici un contexte décisionnel collectif plus concret.
Supposons que quelques entreprises pensent s’organiser en réseau afin d’augmenter leur
compétitivité. À cette fin, chaque entreprise membre doit faire une contribution financière pour
créer le budget conjoint du réseau. Admettons que les entreprises, d’un commun accord, décident
que ce budget sera affecté à des projets qui accroissent la compétitivité individuelle ou collective
des entreprises membres. Chaque partenaire a le droit de soumettre un projet de financement. Si
le budget du réseau ne permet pas de financer tous les projets, il faudra évidemment en sacrifier
certains. Les entreprises membres doivent alors s’engager dans un processus décisionnel qui
réponde de façon acceptable aux intérêts de chacun.
Nous nous référerons souvent, pour expliquer l’approche proposée, à la situation fictive
que nous venons de décrire. Celle-ci peut être saisie en fonction de trois concepts fondamentaux
illustrés par la figure 2, soit (1) l’autoévaluation, (2) l’interévaluation et (3) la création d’un
consensus. Suit une brève description de chaque concept.
L’autoévaluation. Par ce procès s’expriment les soucis et intérêts premiers d’une entreprise
lorsqu’elle se met en réseau. Or le souci principal de celle-ci est de tirer profit du réseautage
quels que soient les critères retenus. Une entreprise pourrait vouloir améliorer sa compétitivité,
augmenter sa part du marché, introduire un nouveau produit sur un marché international, adopter
une nouvelle technologie avancée, s’intégrer à un nouveau système de distribution, etc. Pour
conclure un marché avec ses partenaires potentiels (et ainsi atteindre ses objectifs), l’entreprise
doit leur offrir une valeur quelconque en échange de leur collaboration. En d’autres termes,
chaque entreprise s’attend à offrir certaines choses et à en gagner d’autres. Il est tout à fait
naturel, alors, qu’une entreprise évalue les occasions de réseautage selon ses propres intérêts, et
20
ce pour déterminer la valeur de telles alliances. Dans cette optique, l’évaluation nécessite
l’identification de critères qui serviront à estimer les gains escomptés, ainsi que les contributions
à faire aux partenaires. La comparaison des gains et des contributions indique le bénéfice net que
l’entreprise compte réaliser. On parle alors d’autoévaluation, car il s’agit d’une analyse et d’une
évaluation auto-orientées de la situation.
Examinons un second cas hypothétique, toujours à la lumière de notre modèle du processus
décisionnel collectif. Supposons qu’une entreprise songe à s’affilier à un réseau d’entreprises à
des fins de coopération. Elle est prête à verser une contribution financière; en retour, elle propose
un projet et demande à son tour des fonds. Dans un tel type de relation coopérative, l’entreprise
en question évaluera ses propres gains en les contrastant avec ce qu’elle doit offrir en retour.
Encore une fois, il est tout naturel qu’elle tende à surévaluer ses propres contributions et à sous-
évaluer celles qu’elle espère obtenir de ses partenaires. L’entreprise tentera effectivement de tirer
un bénéfice ou un gain net maximaux de toute entente coopérative. Cette ambition du gain net
maximal dictera l’importance accordée à chaque critère d’évaluation retenu par l’entreprise. En
d’autres termes, en utilisant un processus d’autoévaluation, une entreprise s’autorise à apprécier
fort favorablement sa position et, qui plus est, à la juger selon ses propres valeurs. De fait, elle
s’arroge le droit de déterminer l’importance relative des facteurs qui servent à estimer le gain de
l’entreprise. Également, seront affectés à ces facteurs des poids qui favoriseront la position de
l’entreprise. Le processus d’autoévaluation peut être mené par le biais de procédures
descriptives; si tel est le cas, administrateurs ou détenteurs d’intérêts se réuniront pour s’accorder
sur les modalités d’évaluation du projet ou de la position de l’entreprise. On pourra aussi recourir
à certains modèles analytiques qui permettent une évaluation extrêmement favorable de
l’entreprise. Sur ce dernier point, le lecteur pourra consulter l’étude d’Oral et al. [18].
L’interévaluation. Dans un processus décisionnel collectif, il faut tenir compte des
opinions qu’ont tous les décideurs et tous les détenteurs d’intérêts de leurs pairs. Un projet
réalisable : il suffirait que chaque détenteur d’intérêts exprime son évaluation de tous ses pairs,
considérés un par un. Ce qui revient à dire que chaque entreprise évaluerait toutes les autres
entreprises selon ses propres valeurs et ses propres procédures. Avec l’autoévaluation,
l’interévaluation produit une « matrice d’évaluation » représentant les évaluations de l’entreprise.
Dans cette matrice, une rangée contient les évaluations qu’a effectuées une entreprise des autres
21
firmes; une colonne fournit les évaluations de l’entreprise menées par les autres firmes. Ainsi la
matrice rend de façon transparente la façon dont les partenaires potentiels s’apprécient. Son
utilisation est indispensable dans le cadre du processus décisionnel collectif.
Offrons encore un exemple concret de l’usage de l’interévaluation et de la matrice
d’évaluation. Admettons qu’un groupe d’entreprises compte former un réseau. Par un processus
d’autoévaluation, chaque entreprise a déjà déterminé, selon ses valeurs et ses intérêts,
l’importance de chaque critère ou facteur jugé essentiel au réseautage.
22
Figure 2. Le cadre du processus décisionnel collectif.
Dans l’interévaluation, les pondérations d’une entreprise sont utilisées pour évaluer ses
partenaires. On peut, par exemple, multiplier les résultats qu’a obtenus chaque entreprise au
AUTOÉVALUATION
MATRICED’ÉVALUATION
MATRICE D’ÉVALUATION
- PRÉVENTION DU CONSENSUS- ÉQUITÉ- DÉMOCRATIE
DÉCISIONCOLLECTIVE
A B
C D
A B
C D
INTERÉVALUATION
23
regard de ses gains et de ses contributions par les pondérations de l’entreprise qui produit
l’évaluation. Ce calcul remplit une rangée de la matrice d’évaluation. Si toutes les entreprises du
groupe répètent le même procédé, cela remplira la matrice d’évaluation au complet. Par un tel
processus d’interévaluation, une entreprise peut juger la position d’autres entreprises selon ses
propres valeurs. En d’autres termes, chaque entreprise peut se prononcer formellement sur
l’intérêt que revêtent ses partenaires pour elle. Comme dans le cas de l’autoévaluation, le
processus d’interévaluation peut être régi soit par des procédures descriptives (administrateurs et
détenteurs d’intérêts s’entendent sur la façon d’évaluer la position de la firme), soit par le recours
aux modèles analytiques qui suggèrent une manière d’interévaluer la position des firmes. Sur ce
dernier point, le lecteur pourra consulter l’étude d’Oral et al. [18].
La matrice d’évaluation fournit de l’information importante concernant la position relative
de chaque entreprise dans le groupe. Notamment, si l’on compare les entreprises par paires, on
Figure 3. Deux principes de prévention du ressentiment
peut déterminer la « valeur » et la « performance » d’un partenaire par rapport à un autre.
Prenons l’exemple des entreprises A et B. Certains partenaires jugeront que A est supérieur à B,
d’autres soutiendront le contraire. D’une telle comparaison résulte un niveau de « concordance »
pour chaque paire d’entreprises; par exemple, l’entreprise A pourrait être jugée supérieure à la
Situation 1
A B
CD F
E
Situation 2
A B
C
D
E
F
24
firme B selon 90% des entreprises concernées. Lors de la formulation de décisions collectives,
on ne saurait négliger ce niveau de concordance. On appelle « matrice de concordance » la
matrice qui inclut les niveaux de concordance de toutes les paires. Une telle matrice pourrait très
bien servir à établir des relations de « surclassement » entre paires. Par exemple, si l’on veut
établir une relation de surclassement entre partenaires à un niveau consensuel de 70%, seules
seront retenues pour analyse les paires dont le niveau de concordance est de 70%. Les autres
paires—celles dont le niveau de concordance est inférieur à 70%—seront exclues (voir, à la
figure 4, la seconde relation de surclassement dans le cadre inférieur). Nous reviendrons sur ce
point plus loin lorsque nous aborderons le lien entre niveau consensuel et relation de
surclassement.
Création d’un consensus. Dans un processus décisionnel collectif, il est impératif de
recueillir un consensus : son absence interdit, ou du moins handicape, le fonctionnement en
réseau. Cependant les niveaux de consensus peuvent varier; aussi établit-on une distinction entre
niveaux consensuels complets, minimaux et maximaux. Si les partenaires sont d’accord à 100%,
on parlera d’un niveau consensuel « complet ». Est « minimal » le niveau consensuel en bas
duquel aucun partenariat ne peut se former entre détenteurs d’intérêts. Un niveau consensuel dit
« maximal » se situera entre ces deux extrêmes et traduira la prise en compte des contraintes.
Pour atteindre le niveau consensuel espéré, voire le niveau maximal, il faut tenir compte de
certaines règles et contraintes. Nous en analysons ici quelques-unes, dont (1) les principes de
prévention du ressentiment, (2) la démocratie, (3) l’équité et (4) les contraintes financières et
administratives.
La formation d’un niveau consensuel quelconque suppose le respect de certains principes
qui minimisent les possibilités de malentendus ou de ressentiment entre partenaires. Sont à
éviter, donc, parmi les marchés conclus dans un réseau, ceux qui pourraient générer de
l’animosité. La formulation de ces principes est une affaire délicate. De fait, cette formulation
doit être adaptée et au contexte où s’appliqueront les principes et à l’environnement décisionnel.
L’inclusion des propositions ou des projets des partenaires dans un réseau pourrait être fondée,
par exemple, sur les principes suivants, principes qui visent à prévenir le ressentiment : (i) un
projet ne doit pas être rejeté s’il n’est pas « surclassé » par au moins un des projets retenus et (ii)
aucun projet retenu ne devrait être « surclassé » par les autres projets choisis ou jugé moins
25
intéressant que ceux-ci. Toute violation de ces principes pourrait générer du ressentiment.
Prenons comme exemple les situations illustrées par la figure 3. La première correspond à la
violation du principe exprimé en (i). Dans un tel contexte, l’entreprise F pourrait à juste titre
contester la décision collective, puisque son propre projet a été rejeté, même s’il n’était éclipsé
par aucun des autres. L’entreprise concernée serait en droit d’exiger une explication
convaincante. La seconde situation illustre une violation du principe explicité en (ii), car il y a
une relation de dominance entre les projets retenus. Dans ce cas, l’entreprise C pourrait en toute
logique condamner la façon dont s’est prise la décision collective. Son argument, basé seulement
sur l’examen des projets retenus (et non sur celui des projets exclus) serait le suivant : « Le projet
de l’entreprise B est retenu, mais non le mien. Or les deux projets sont dominés par un seul, celui
de l’entreprise A. Comment peut-on justifier pareille chose? » Il s’agit bien évidemment d’une
situation qui provoque du ressentiment, et donc d’une situation à éviter. Oral et al. [18] ont
élaboré une formulation mathématique de ces deux exemples de principes de prévention du
ressentiment.
Dans le processus de l’évaluation des partenaires, la prise de décision collective n’est
valable et démocratique qu’en autant qu’elle s’appuie sur la voix de tous les détenteurs
d’intérêts. On peut démocratiser ce processus en utilisant la matrice de concordance mentionnée
plus haut. Rappelons qu’elle présente les nombres correspondant aux votes que tel partenaire a
reçus par rapport à ses pairs, et par là, indique la valeur que lui attribue le groupe. Rappelons
encore que cette matrice peut servir à déterminer des relations de surclassement entre partenaires
dans le réseau, et ce à différents niveaux consensuels. La figure 4 peut servir d’exemple à cet
égard. Dans la situation qu’elle illustre, il y a quatre partenaires potentiels; chaque partenaire
compare une paire de partenaires entre eux, au moyen de l’auto- et de l’interévaluation, en vue
de déterminer le partenaire le plus indiqué. Les résultats de cet exercice sont présentés du côté
gauche de la figure. Par exemple, le partenaire A, ou plus précisément le projet soumis par le
partenaire A, est supérieur à celui soumis par le partenaire B, le tout selon l’évaluation du
partenaire C. Pour un groupe de 4 partenaires, il y a 24 constats ou préférences de ce type. En se
basant sur ces préférences, on peut établir une relation de surclassement. Supposons qu’à chaque
partenaire soit accordé un vote et que le niveau consensuel souhaité soit de 100%. Dans le cas de
la paire formée par les partenaires A et B, 3 partenaires sur 4 estiment que A est meilleur que B;
un seul (le partenaire C) soutient le contraire. En d’autres termes, à un niveau consensuel de
26
75%, le groupe préfère le partenaire A au partenaire B. Si l’on cherche à établir une relation de
surclassement entre les partenaires à un niveau consensuel de 100%, on en arrive à la relation de
dominance présentée du côté gauche du cadre inférieur de la figure 4. À un niveau consensuel
complet, le partenaire D est jugé supérieur aux autres, mais il n’y a aucune indication de
préférence entre A, C et C. Autrement dit, tous sont d’accord que le partenaire B est le meilleur.
Chaque évolution du niveau consensuel entraîne un pareil changement de la relation de
surclassement. L’objectif visé ici est la sélection d’un ensemble de projets qui maximise le
niveau consensuel. Cette sélection se fera en fonction des principes susmentionnés de prévention
du ressentiment et des diverses contraintes afférentes à l’administration ou aux ressources.
Le niveau consensuel que nous venons d’évoquer supposait qu’à chaque partenaire ou qu’à
chaque projet soit accordé un « vote ». Un tel procédé est « équitable » dans bien des
circonstances, mais ne convient pas à toutes les situations envisageables. Il peut même être
contre-indiqué quand les partenaires se distinguent considérablement par leur taille, par leur
savoir-faire technologique ou par quelque autre caractéristique saillante. Si une distribution
inégale du pouvoir de vote est justifiée ou légitime, le niveau consensuel correspondant s’établira
en fonction de ces différences. Retournons à notre exemple précédent, et supposons que les votes
soient distribués de la façon suivante : partenaire A = 2 votes, partenaire B = 1, partenaire C = 3
et partenaire D = 1. La supériorité du partenaire A sur le partenaire B devient de l’ordre de 4/7,
au lieu du 3/4 précédent. Ce nouveau système de scrutin jette un nouvel éclairage sur les
relations de surclassement entre partenaires. Toutefois, la méthodologie prônant un classement
conceptuel des partenaires demeure la même.
27
Figure 4. Relations consensuelles et relations de surclassement
A
C
B
D
COMPARAISON PAR PAIRES
RELATION DE SURCLASSEMENT
Relation de surclassement à unniveau consensuel de 100%
C
A
D
B
Relation de surclassement àun niveau consensuel de 75%
C
A
D
B
ABCD
Légende
θ = niveau consensuel
28
La décision collective. Dans le contexte précédent, la décision collective correspondait à un
choix entre alternatives proposées par les partenaires dans le réseau. Un tel choix constitue en
fait un problème d’optimisation combinatoire. De fait, il faut alors d’une part prendre en
considération chaque combinaison possible d’alternatives afin d’en déterminer l’impact sur
l’efficacité du réseau et, d’autre part, retenir les alternatives les plus prometteuses. L’évaluation
de chaque combinaison d’alternatives ou de projets s’effectue dans le contexte décrit dans les
sections précédentes. Ainsi la décision collective se caractérisera par la démocratie, l’équité, la
prévention du ressentiment et le consensus. Le processus de sélection reposera soit sur des
séances de travail participatives sous-tendues par des modèles formels [18], soit sur des
procédures ou des cadres informels et descriptifs d’aide à la décision [25, 26].
6. RÉFLEXIONS FINALES ET RECHERCHE FUTURE
Le caractère même du processus décisionnel est bouleversé par la dynamique de la
mondialisation, de la compétition et du réseautage. Non seulement le processus décisionnel
centralisé est-il de plus en plus délaissé au profit de son pendant décentralisé, mais le processus
décisionnel collectif est en train de s’imposer dans les réseaux comme élément déterminant de la
compétitivité mondiale. Bien que nous ayons abordé ici de façon concise quelques questions
liées à cette problématique, il reste encore beaucoup à faire. Effectivement, les termes tels la
mondialisation, la compétition, le réseautage et la prise de décision collective sont bien plus que
de simples mots à la mode. Et les retombées des phénomènes qu’ils tentent de circonscrire sont
bien réelles. À cet égard, il semble indispensable de consacrer des recherches plus poussées à ces
phénomènes, afin de mieux les comprendre et de mieux les conceptualiser, à la lumière d’une
conjoncture en constante évolution.
Premièrement, la conceptualisation présente de la mondialisation et de la compétition
gagnerait à être sérieusement examinée, voire révisée. Le processus de mondialisation—et plus
particulièrement son incidence sur les divers détenteurs d’intérêts—forme un sujet plutôt
complexe; il faut donc l’étudier selon toutes les perspectives possibles. À cet égard, il ne suffit
pas de se déclarer péremptoirement partisan ou encore adversaire de la mondialisation et de la
compétition. Il est indispensable de formuler une théorie de la mondialisation qui indique
clairement les avantages ou les désavantages qu’entraîne la compétition mondiale pour chaque
29
groupe d’interacteurs stratégiques, et qui en explicite les retombées sur l’environnement à court
ou à long terme. Par ailleurs, il serait indiqué d’élaborer une théorie « unifiée » de la
mondialisation, c’est-à-dire une théorie qui saisisse simultanément le phénomène depuis les
environnements naturel, social, culturel, politique et économique. En d’autres mots, le concept
de mondialisation doit être mieux cerné et formalisé en termes de théories, de modèles et de
cadres d’analyse. Peu importe la formalisation retenue, elle ne pourra jamais susciter l’unanimité
quant au sens précis ou quant aux répercussions du phénomène. Certains continueront de penser
que la mondialisation et la compétition internationale sont des vecteurs de prospérité universelle
au regard de certaines valeurs ou de certains critères, tandis que d’aucuns soutiendront le
contraire.
Deuxièmement, de nos jours, on ne compte plus les alliances stratégiques et les
collaborations entre entreprises des quatre coins du monde. De fait, à l’échelle mondiale, la
stratégie des entreprises s’oriente de plus en plus vers les occasions compétitives internationales
qu’offre le réseautage. Bien des articles abordent cette problématique, mais le font le plus
souvent selon une approche descriptive. Parfois l’on se contente de suggérer quelques lignes
directrices, habituellement issues des expériences concrètes de l’auteur. Aussi s’impose la
formulation d’une « théorie de l’entreprise réseau » qui rende compte des nouvelles réalités des
alliances et collaborations stratégiques en ce qui a trait à la compétition mondiale. À cette fin,
l’agenda de recherche devrait inclure des études descriptives, empiriques et théoriques de tout
ordre et de toute ampleur.
Troisièmement, il est prévisible que l’importance du processus décisionnel collectif
croisse, non seulement dans les entreprises en réseau, mais aussi au sein d’agences ou
d’organismes nationaux et internationaux. Tant au niveau de l’entreprise qu’au niveau national,
les détenteurs d’intérêts ne peuvent plus être tenus à l’écart des décisions majeures, surtout
quand elles agissent sur les économies des nations ou sur le processus de mondialisation même.
Ainsi s’imposent des façons de prendre des décisions collectives qui soient participatives,
démocratiques, équitables, efficaces et réalisables; des processus décisionnels, finalement, qui
permettent d’atteindre un niveau consensuel souhaitable parmi les détenteurs d’intérêts. Quoique
cet article suggère une approche du processus décisionnel collectif dans un tel contexte, il ne
30
constitue qu’une seule contribution à un domaine de recherche qui devrait être exploré de façon
beaucoup plus soutenue.
Finalement, il faut remettre en question et réévaluer le rôle de l’éducation, et examiner en
particulier l’enseignement dispensé dans les écoles de commerce. Cette évaluation sévère des
instituts d’enseignement témoigne simplement de la nécessité de former ces politiciens,
administrateurs, cadres et citoyens qui seront certes des experts dans leurs domaines respectifs,
mais qui seront également sensibles aux valeurs et aux préférences d’autrui, responsables et
redevables de leurs décisions et de leurs actions, ouverts aux autres cultures et nationalités, et
engagés à respecter et à protéger l’environnement naturel pour les générations à venir.
RÉFÉRENCES
[1] Barlow, M. et H-J. Robertson, (1996), « Homogenization of Education » dans The CaseAgainst the Global Economy and For a Turn Toward the Local, de J. Mander et E.Goldsmith (Eds), Sierra Club Books, San Francisco.
[2] Cournot, A., (1838), Mathematical Principles of the Theory of Wealth, Augustus M. Kelly,Publ. 1971
[3] Dutta, B. K. et W. R. King, (1980), « A Competitive Scenario Modeling System »,Management Science, Vol. 26, no 3, pp. 261-273.
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