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E - Nouvelles données sur l’habitat du premier âge du Fer en Alta Rocca p. 103 Nouvelles données sur l’habitat du premier âge du Fer en Alta Rocca 2 e partie : Kewin Peche-Quilichini*, Thibault Lachenal & Giulia Pretta** * LAMPEA UMR 6636 (Université de Provence, ** Università degli studi di Padova Les fouilles de Cuciurpula (2008-2011) : une fenêtre ouverte sur les habitations du premier âge du Fer en Alta Rocca Présentation du site et de l’intervention archéologique L e site protohistorique de Cuciurpula est implanté entre 955 et 1085 m sur le versant méridional de la Punta di a Cuciurpula (1164 m), point de vigie sur la haute vallée du Rizzanese et les routes vernaculaires de l’estive du Cuscionu. Sa découverte, réalisée par D. Martinetti en 2003, a été suivie d’une visite en 2007 et d’une carac- térisation (prospection et tests d’une structure bâtie et d’un abri) en 2008. A partir de 2009, les travaux effectués sur le site ont pris la forme d’une fouille programmée menée, depuis 2010, en collaboration avec le Dipartimento di

Nouvelles données sur l’habitat du premier âge du Fer en Alta Rocca (Corse)

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Nouvelles données sur l’habitat du premier âge du Fer en Alta Rocca

2e partie : Kewin Peche-Quilichini*, Thibault Lachenal & Giulia Pretta**

* LAMPEA UMR 6636 (Université de Provence, ** Università degli studi di Padova

Les fouilles de Cuciurpula (2008-2011) : une fenêtre ouverte sur les habitations du premier âge du Fer en Alta Rocca

Présentation du site et de l’intervention archéologique

Le s it e p r oto h i s to r i q u e d e Cuciurpula est implanté entre 955 et 1085 m sur le versant méridional de la Punta di a

Cuciurpula (1164 m), point de vigie sur la haute vallée du Rizzanese et les routes vernaculaires de l’estive du Cuscionu.

S a d é c o u v e r t e , r é a l i s é e p a r D.  Martinetti en 2003, a été suivie d’une visite en 2007 et d’une carac-térisation (prospection et tests d’une structure bâtie et d’un abri) en 2008. A partir de 2009, les travaux effectués sur le site ont pris la forme d’une fouille programmée menée, depuis 2010, en collaboration avec le Dipartimento di

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Quoi de neuf en archéologie ?13e Rencontres

du Musée départemental de l’Alta Rocca » 

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Etruscologia e di Studi Italici de l’Uni-versité de Rome I « La Sapienza » dans le cadre d’une opération tri-annuelle intégrée à la programmation nationale « Les formes de l’habitat » (P13).

Ces travaux ont permis de déter-miner la fonction principale du site, un habitat, et la chronolo-

gie de son occupation/utilisation pro-t o h i s t o r i q u e , e nt r e u n e p h a s e ancienne/médiane du Bronze final et un moment assez ancien au sein du second âge du Fer. Le remarquable état de conservation des architec-tures, couplé à une extrapolation pro-posée à partir des données issues des fouilles, permet à ce jour d’inventorier et interpréter 34 à 36 constructions comme des habitations. En plus de ces éléments particulièrement structu-rants dans un espace lâche de 12 hec-tares en situation de pendage à 20 %, on recense un bâtiment circulaire de plan a ssez similaire à celui de Nuciaresa (fig. A), deux tronçons d’en-ceinte (au nord-ouest : à double pare-ment ; au nord-est : en file de blocs), de multiples terrassements, de petites

structures circulaires en plate-forme, des cheminements aménagés de deux types (voir étude de S. Delvaux dans : Milletti et al., 2011) et des centaines d’abris-sous-roche de disposition et dispersion chaotiques, dont beaucoup ont probablement servi de caveaux sépulcraux (fig. B). Enfin, une zone de replat au sud-est du site, dégagée de tout chaos de blocs, est interprétée comme un espace anciennement dédié aux activités agricoles, ce qui est sug-géré par la fréquence de meules sur bloc mobile de leucogranite à cet endroit. L’attractivité de cette rupture de pente, déjà soulignée par la topony-mie (Pian’di Monte), est renforcée par l’implantation de la cabane des char-bonniers du XXe siècle.

Cet événement constitue le dernier acte marquant d’époque historique à Cuciurpula après le développement

Figure A : Planimétrie de la structure circulaire de Nuciaresa

Figure B : Plan du site de Cuciurpula. Chiffres rouges : habitations ; lettres rouges :

tronçons d’enceinte ; étoile rouge : plate-forme ; cercle rouge : structure circulaire ;

lettres bleus : tronçons de chemin amé-nagé ; traits bleus : sentiers hypothétiques ;

chiffres noirs : abris fouillés ; aire jaune : zone agricole ? ; étoile noire : cabane des charbon-niers et charbonnières en acier ; étoile bleue :

fontaine ; tour noire : castrum médiéval

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de l’édifice castral sommital entre le XIIIe et le XVIe siècle, la multiplication des aires de charbonnage « tradition-nelles », l’aménagement de construc-tions agropastorales passées dans la mémoire collective comme i Vaccili et i Purcili près du sommet et l’utilisation des grottes par une poignée de résis-tants lors du dernier conflit mondial.

À première vue, l ’en semble des constructions protohistoriques pré-sente un remarquable degré d’homo-généité, ce qui suggère l’hypothèse d’un habitat à durée de vie relative-ment courte et un certain degré de contemporanéité entre elles. L’apport des données issues des fouilles a permis une révision et permet de nuancer de ce postulat.

Nou s avon s ju squ’ ici mené des recherches dans et autour des habi-tations 1, 3, 6 et 21 et dans les abris 1, 2 et 3. On ne présentera ici que les résultats obtenus dans les structures 1, 3 et 6 ; les données de la structure 21 (Milletti et al., 2011) étant trop frag-mentaires pour permettre de définir un modèle précis.

Figure C : Habitation 1 de Cuciurpula : matrice stratigraphique, insertion des datations radiométriques (1 σ), phasage et planimétrie des phases 1 et 2

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L’habitation 1

L’architecture et la stratigra-phie de cette structure située au nord-est du site et fouillée entre 2008 et 2010 ont déjà

fait l’objet de plusieurs commentaires (Milletti et al., 2011 ; Peche-Quilichini, 2010a, 2010b, 2011 ; à paraître 1, 2 ; Peche-Quilichini et al ., 2011). Son orientation nord-sud reprend celle du développement rocheux sur laquelle elle s’implante. Sa longueur est de 11,80 m pour une largeur maximale de 3,80 m. Sa couronne de pierre emploie une trentaine de blocs présentant une face d’éclatement disposée vers l’intérieur afin de former un fil régu-lier. L’espace interne ainsi défini est d’environ 22 m². Les longs côtés légè-rement courbés sur l’extérieur sont globalement symétriques à l’axe lon-gitudinal. Ils se rejoignent au sud dans une abside où ont été disposés les blocs les plus hauts, corrigeant ainsi le pendage naturel vers le sud. Au nord, une file de blocs forme une abside en avancée par rapport à la largeur de la structure. Cet aménagement doit être

considéré comme un vestibule menant à une entrée resserré située à l’opposé du chevet absidal et matérialisée par un seuil surélevé monté en assises.

Quatre phases permettent de résumer l’interprétation stra-tigraphique de la structure  1

(fig. C). La fouille montre que la cou-ronne de blocs de granit blanc local est posée au fond d’une tranchée peu pro-fonde et doublement calée par un rem-blai et des blocs disposés obliquement pour la plupart (début de la phase 1). Les charbons de bois prélevés dans ce niveau ont fait l’objet d’une datation dont la calibration induit plusieurs interprétations chronologiques pos-sibles au sein du premier âge du Fer1. La tranchée n’est pas creusée dans le substrat mais dans un horizon sédi-mentaire antérieur à la structure qui livre un mobilier du premier âge du Fer de tradition Bronze final ainsi qu’une structure en creux excavée dans le

1. US 117b – Wk.25973 : 2448 ± 30 BP soit 760-680 Cal. BC (24,4 %) ou 600-400 Cal. BC (59,1 %).

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Figure D : Habitation 1 de Cuciurpula, phases 0 et 1 : planimétrie du secteur du vestibule, coupe stratigraphique est-ouest et vue verticale du four US 164

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substrat et dont le fond est tapissé de tessons, pour laquelle on suppose une utilisation en tant que four en meule dans le cadre familial d’un ate-lier de poterie (fig. D ; phase 0 : IX/VIIIe siècle ? ; Peche-Quilichini, à paraître 2).

Probablement de façon contempo-raine à la construction de la maison, un terrassement faisant intervenir de très gros blocs est mis en place à quelques mètres à l’est, suivi de peu par la constitution d’un radier de forme allongée et de fonction indéter-minée implanté horizontalement à l’intérieur de la zone terrassée. A l’ouest, des empierrements et des vides, de distribution bien discriminée, permettent, grâce à plusieurs effets de paroi, de documenter un espace de circulation menant au vestibule depuis le sud/sud-ouest. Directement au contact du niveau d’implantation se

trouve le premier sol construit , conservé uniquement et très partiel-lement dans le centre de la partie absi-dale. Comme tous les aménagements de ce type, il est constitué d’une chape d’argile épaisse de 5 à 8 cm dont la surface supérieure est parementée d’éléments de vaisselle cassée intro-duits dans la matrice argileuse à la manière d’une mosaïque (fig. E), dans une optique de régularisation des sur-faces à dessein pratique et hygiénique. Juste au-dessus se trouve le principal niveau d’occupation (US 105) de l’es-pace interne de la structure (fin de la phase 1). Cet horizon fonctionne avec un foyer circulaire (fig.  F ) dont les vidanges (?) ont fait l’objet d’analyses anthracologiques qui ont fourni de précieuses indications sur l’environne-ment végétal du gisement (Peche-Quilichini et al., 2011). Ces charbons de

Figure E : Habitation 1 de Cuciurpula, phase 1 : portion du sol US 106d parementé de tessons

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bois ont également donné une data-tion radiocarbone2.

Parmi les éléments immobiliers appartenant à la phase 1, il faut mentionner la présence d’un

bloc parallélépipédique à sommet horizontal posé dans la partie orien-tale du vestibule, à quelques centi-mètres du parement interne de la couronne de blocs. Sa forme, ainsi que sa position stratégique pour observer l’accès à la maison ainsi que l’intégra-lité de l’espace interne, permettent de proposer une utilisation en tant que siège. D’autres sols d’argile sont dis-posés au sommet de l’US 105 et ont ainsi contribué à sa protection par scellage (phase 2). A ce moment, la terrasse située immédiatement à l’est

2. US 105 – Fonctionnement du foyer 106f – Poz.26553 : 2495 ± 35 BP soit 700-540 Cal. BC (55,3 %) ou 790-500 Cal. BC (93,5 %).

d e l ’ h a b i t a t i o n a c c u e i l l e u n e construction non pérenne (?) de forme trapézoïdale dans laquelle trois fosses ont été individualisées. L’une d’entre elles contenait une proportion impor-tante de charbon de bois. Le dernier sol archéologique reconnu dans l’es-pace interne est directement au contact de pavements mosaïqués de tessons et est constitué d’un dallage de pierres plates, aux côtés parfois retouchés pour l’emboîtement, et de meules remployées. Tous les niveaux antérieurs sont percés par trois réseaux de poteaux dont seules les traces négatives subsistent. Leur organisation permet de proposer une hypothèse de reconstitution des élé-ments aériens (fig. G). Ceux-ci s’orga-nisent autour d’une poutre faîtière, soutenue par une colonnade longitu-dinale centrale de cinq gros poteaux équidistants distribuant un toit à

Figure F : Habitation 1 de Cuciurpula, phase 1 : vue zénithale du secteur du foyer US 106f

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double pente et divisant l’espace interne en deux nefs d’égale superfi-cie. Les poteaux internes situés à quelques centimètres de la face plane des blocs de la couronne servaient vraisemblablement à bloquer une élé-vation contre ces derniers. En l’état actuel des données, il paraît vraisem-blable d’imaginer des murs constitués de rondins de bois disposés horizon-talement et superposés plutôt que des panneaux de torchis posé sur claies. Les poteaux externes participent à supporter les poussées de la char-pente tout en gagnant un aplomb en préau sur l’extérieur afin d’éloigner les ruissellements des soubassements, ce à quoi semble d’ailleurs associée la couronne pérenne de blocs. Si l’on peut raisonnablement penser à l’exis-tence d’une mezzanine, notamment dans le secteur absidal où le niveau de circulation est particulièrement bas, l’aspect originel du couvrement et de la couverture reste à déterminer. Les horizons superficiels, parmi lesquels il a été possible d’identifier un sol de cir-culation, sont la probable résultante de l’oscil lation des activités de

charbonnage modernes et sub-contemporaines (phase 3). On notera enfin que les structures 14 et 15, de plan et orientation assez similaires av e c to ute foi s de s d i m e n sio n s moindres, sont implantées en proxi-mité immédiate de la maison 1. Deux test réalisés dans la première rendent compte de processus sédimentaires parallèles à la structure 1 et per-mettent d’envisager la contempora-néité de l’ensemble des constructions de ce qui peut dès lors être qualifié d’îlot.

L’organisation interne de l’habita-tion 1 est marquée par la dévolu-tion particulière du secteur absi-

dal au stockage alors que d’autres activités semblent se concentrer autour du foyer. Cette observation est faite a partir des données fournies par la distribution des tessons céramiques, qui montre une concentration dans la nef orientale et le vestibule avec des vases de plus grande taille près de l’abside (fig. H), et de la répartition des objets en hématites avec des nucleus dans l’abside et des nodules facettés

Figure G : Hypothèse de restitution de la charpente de l’habitation 1 de Cuciurpula (DAO : L. Bergerot)

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p r è s d u f e u ( P e c h e - Q u i l i c h i n i , 2011, fig.  476). En corollaire, la nef

occidentale de l’habitation a pu servir d’espace de circulation.

L’habitation 6

La maison 6 se trouve à l’extré-mité nord-ouest du site, à peu de distance des maisons 2, 9 et 10, ainsi que de l’enceinte occiden-

tale et d’autres aménagements dont la fonction reste à déterminer. Sa fouille a débuté en 2011. La longueur maximale est d’environ 11 m pour une largeur maximale de 3,5 m. Le côté absidal est à l’ouest, ce qui permet de proposer une

disposition de l’entrée à l’est. Cette déduction, établie par l’observation des h a b i t a t i o n s f o u i l l é e s j u s q u ’ à aujourd’hui, n’a pu être vérifiée durant la fouille à cause d’un chêne dont les racines se diffusent dans cette partie de la maison. Il est probable que les affleurements naturels et aériens du substrat ont été au moins partielle-ment intégrés à l’architecture de la

Figure H : Répartition des vases dans l’habitation 1 de Cuciurpula (phase 1)

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Figure I : Habitation 6 de Cuciurpula : matrice stratigraphique, insertion des datations radiométriques (1 σ), phasage et planimétrie des phases 1, 2 et 3

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maison 6, dont la superficie interne (état ancien) est d’environ 24 m². La fouille a permis d’observer une strati-graphie que l’on peut diviser en cinq phases chronologiques de durées non encore précisées (fig. I). La phase 0 constitue l’épisode chronologique pré-cédant l’installation. L’arénisation du leucogranite et la formation d’un front d’altérites ont engendré la formation d’un mince niveau gravilloneux dont le sommet correspond au sol du futur niveau d’installation. La phase 1a est marquée par la construction de la structure 6 et son premier niveau d’oc-cupation. Une terrasse est alors amé-nagée au sud afin de contenir le futur espace habité ; ce dernier étant rendu plat par des remblais rapides dont le dernier a été daté de façon radiomé-trique vers le début du Bronze final3. Ces niveaux contiennent un mobilier rare mais homogène. Ce terrassement accueille la couronne de blocs (pierres dressées à face interne plate) posée puis légèrement enfoncée dans le rem-blais, apparemment sans tranchée d’implantation. Cette construction

3. US 624 – Poz-42563: 2975 ± 35 BP soit 1265-1153 Cal. BC (58.7 %) ou 1316-1111 Cal. BC (89.8 %).

originelle est de forme ovale et s’inter-cale parfaitement entre les affleure-ments de substrat dont certains ont pu être utilisés pour participer à la struc-ture-même de l’habitation. Le grand foyer circulaire (fig. J et K) et un sol constitué d’une masse d’argile corres-pondent à un même niveau de circula-tion appartenant à cette phase. L’US 622, qui marque le moment à partir duquel ce foyer n’est plus utilisé, a éga-lement fait l’objet d’une datation, per-mettant de replacer sa formation à la fin du Bronze final (phase  1b)4. La phase 2 se caractérise par une structu-ration de l’espace interne médian. Cette zone voit l’aménagement d’une cloison interne transversale incluant une porte rotative sur axe maintenue par un dispositif de crapaudine. A proximité sont également aménagés un foyer (qui sera partiellement détruit lors de la phase 3) et une construction en forme d’hameçon où sont remployés trois fragments de meules (fig. L), dont la fonction reste à déterminer avec précision. A cette phase appartiennent aussi la plupart des aménagement liés

4. US 622 – Poz-42562: 2805 ± 30 BP soit 997-921 Cal. BC (68.2 %) ou 1046-895 Cal. BC (93.9 %°).

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Figure K : Planimétrie du foyer US 630 de la phase 1a de l’habitation 6 de Cuciurpula

Figure J : Photographie zénithale du foyer US 630 de la phase 1a de l’habitation 6 de Cuciurpula

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à des trous de poteau, même si on sup-pose qu’il s’agit pour l’essentiel de simples renforcements de structures portatives déjà présentes lors de la phase 1. Il est remarquable de noter que nombre de ces éléments sont consti-tués d’outils lithiques pondéraux en remploi, comme cela était déjà le cas dans la maison 1. Durant la phase 3, qui semble intervenir rapidement après le début de la phase 2, une réduction de l’espace est particulièrement évidente et spectaculaire. La cloison interne devient plus massive et permanente ; elle remploie probablement des blocs récupérés dans les parties orientales de la structure primitive, devenues obso-lètes ou annexes. La superficie interne est alors réduite de moitié pour tomber à 12 m². Un seuil élaboré avec trois pierres plates alignées souligne la nou-velle entrée et est à rapprocher de celui découvert dans la structure 1. Par la

suite (phase 4), l’abandon est caracté-risé par une sédimentation lenticulaire plus ou moins rapide en fonction du rythme des jachères charbonnières d’époque moderne. Plusieurs effondre-ments thermoclastiques de la structure primitive ont permis d’observer des niveaux de sol postérieurs à l’époque protohistorique.

Du point de vue de l’organisa-tion spatiale interne, l’infor-mation principale tient en la

fréquence beaucoup plus importante des éléments pondéraux de broyage et de mouture (fragments de meules, molettes et broyons) dans la partie centro-septentrionale de l’état ancien. Au même moment, il faut noter la nette concentration d’un mobilier carpologique composé de à 99 % de

Figure L : Habitation 6 de Cuciurpula : crapaudine et structure en forme d’hameçon (phase 2) et réduction de l’espace (phase 3)

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glands de chêne5 carbonisés dans la partie centro-méridionale. L’analyse

5. 1 % d’orge (étude : L. Martin).

spatiale de distribution des formes et des volumes des récipients n’a pas encore été menée à terme.

L’habitation 3

La structure 3 fait partie des habitations les plus méridio-nales du site de Cuciurpula, en l’état actuel des prospections,

elle marque d’ailleurs la limite sud-est du village de l’âge du Fer. Elle est implantée sur un replat de faible extension présentant notamment l’in-térêt d’être à faible distance de la fon-taine constituant le point d’eau prin-cipal reconnu dans l’enceinte du site. Sa fouille est toujours en cours, mais certains résultats peuvent d’ores et déjà être évoqués. La structure pro-prement dite, telle qu’elle a été déga-gée pour le moment, mesure 8,80 m de longueur pour 3,70 m de largeur maxi-male. Elle est constituée de 9 blocs principaux placés de chant et présen-tant une face d’éclatement disposée vers l’intérieur, comme c’est le cas

pour la plupart des structures d’habi-tats recensées sur le site. Elle s’en dis-tingue cependant par l’emploi de pierres de dimensions plus impor-tantes. Au sud, quatre blocs forment une abside fermée par une dalle de chevet dont la hauteur supère toutes les autres. L’ensemble de la couronne de pierre délimite un espace interne d’un peu plus de 12 m², ce qui est rela-tivement réduit par rapport à la struc-ture 1. Cependant, au nord de la struc-ture, on remarque un espace libre d’une quarantaine de mètres carrés délimité au nord par des blocs de subs-trats, disposés en arc de cercle, ayant peut-être subi un aménagement volontaire (fig. M).

Un premier sondage de 4  m² a été réalisé afin de tester la structure, de

Figure M : Planimétrie de l’habitation 3 de Cuciurpula et de l’aménagement semi-circulaire situé en amont

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garantir la conservation des niveaux archéologiques, de vérifier sa data-tion et de disposer d’une première lecture des remplissages permettant un meilleur contrôle lors de la fouille planimétrique des unités sédimen-taires. Il a révélé une stratigraphie que l’on peut corréler avec 4 phases de vie de la structure (fig. N). La fouille de l’espace interne, non encore achevée, confirme pour le moment cette subdi-vision (fig. O).

La phase 0 précède l’installation de la structure en pierre. Elle corres-pond à un niveau d’arénisation du

leucogranite dans lequel du mobilier protohistorique a été découvert, sans que l’on puisse préciser pour le moment s’il provient des niveaux supérieurs où s’il signale une fréquen-tation avant la construction de l’habi-tat. La première hypothèse est toute-fois la plus vraisemblable. Dans ce niveau, des tranchées de fondation ont été creusées pour la mise en place des grandes dalles appartement à la couronne de pierre, dans lesquelles ont été disposés quelques blocs de calage

de petite dimension (phase 1). Dans le même temps, dans la partie nord-est de la structure, a été construit un aménagement de blocs posés à plat, stabilisés par des pierres de calage (US 404) (fig. P). L’espace aménagé par cette structuration, accolé à la cou-ronne de dalles, a été comblé par un blocage de pierres de moyen module (US 403). Cette construction permet de réduire l’espace au nord de la struc-ture tout en conservant la rectitude de la paroi externe à l’est. Il joue vraisem-blablement un rôle dans l’aménage-ment de l’entrée, qui pouvait présenter un dispositif similaire à celui observé sur l’habitation 1. Les rapports strati-graphiques mont rent que cet te construction est contemporaine de la mise en place de la couronne de bloc périphérique de la structure. Elle était donc prévue dans le programme archi-tectural de la maison.

La fouille de l’espace interne a permis de mettre en évidence, dans la partie orientale de la structure, une accu-mulation de pierres de moyen module. Elles semblent appar tenir à une

Figure N : Habitation 3 de Cuciurpula : implantation du sondage 2009 et relevé stratigraphique étendu

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structuration interne, peu-être une banquette, en partie érodée (US 408). À proximité se trouve une grosse dalle posée à plat, reposant sur le niveau de base de fonctionnement de l’habitat et calée par des pierres de petites dimen-sions, dont la fonction reste énigma-tique (fig. P).

Ces aménagements sont en rela-tion avec un niveau riche en c é r a m i q u e s d u f a c i è s d e

Nuciaresa (US 402b), que les premières observations permettent dater aux alentours du VIIe siècle av. J.-C. Cette phase 1 correspond à l’unique période d’occupation de l’habitation, qui semble donc avoir une durée de vie courte par rapport aux autres unités fouillées (structures 1 et 6). En effet, elle est scel-lée par un sol (US 406) matérialisé par un épandage de pierres de moyen module et de fragments de céramiques posées à plat, qui semble correspondre au niveau d’abandon de la maison. La phase 2 est matérialisée par une unité sédimentaire contenant du mobilier protohistorique roulé de faible dimen-sion (US 402a), avec laquelle aucune

structuration ne peut être corrélée. Elle correspond donc vraisemblablement à la phase de destruction de l’habitation. En outre, il est probable que le mobilier qui a été récolté dans cette couche soit issu d’un remaniement des niveaux sous-jacents dû à l’activité racinaire.

La phase 3, correspondant à l’époque subactuelle, est matérialisée par un niveau d’humus de faible épaisseur, dans lequel un épandage diffus de charbons concentrés à l’ouest de la structure, non loin du chevet, peut correspondre à la vidange d’un foyer récent ou à la proximité des activités de charbonnage6. Quelques blocs pou-vant avoir été liés à l’aménagement de l’habitation protohistorique gisaient également sur ce niveau moderne dans l’abside.

Concernant l’organisation spatiale interne, l’analyse des vaisselles n’ayant pas été menée à terme, son interpré-tation reste encore temporaire. On

6. La maison du charbonnier qui s’est installé sur le site dans les années 1930 est à quelques dizaines de mètres plus au nord de la structure 3.

Figure O : Habitation 3 de Cuciurpula : matrice stratigraphique et phasage

Figure P : Planimétrie de l’habitation 3 de Cuciurpula avec ses structures internes

E - Nouvelles données sur l’habitat du premier âge du Fer en Alta Rocca

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constatera néanmoins que le mobi-lier céramique le mieux conservé est concentré dans la partie sud-est de l’habitation, à proximité de l’aménage-ment interprété comme une banquette (US 408). Cette zone pouvait donc être dévolue au stockage ou a des activi-tés domestiques. En revanche, dans la partie ouest de la structure, le mobilier

est plus roulé et de dimension infé-rieure, ce qui évoque un espace de cir-culation. Cela correspondrait d’ailleurs avec le positionnement de l’entrée de l’habitation et permettrait d’établir un parallèle particulièrement flagrant avec la structure 1, où un phénomène superposable a pu être observé (fig. H).

Apport de Cuciurpula à la compréhension de l’espace domestique de la transition Bronze/Fer

Les travaux menés ces quatre dernières années à Cuciurpula offrent une vision neuve sur les habitats et les habitations des

environs de l’an Mil avant J.-C. Par ses caractères propres, ce site fournit d’emblée un fort potentiel d’observa-tion sur des groupes considérant l’es-pace montagnard comme un élément important au sein du territoire, pour des raisons qui ne sont cependant aujourd’hui qu’effleurées mais ne sem blent pa s cor rélaires d’une

situation de contrainte. La stratégie d’implantation sur un emplacement a priori inhospitalier, en particulier à cause de l’altitude mais aussi et sur-tout de l’encombrement et de l’inten-sité des pendages sur ce versant sud du massif, est d’ailleurs un signe fort de la volonté du groupe d’installer et de développer un lieu de vie, fut-il seu-l e m e nt s a i s o n n i e r, e n c e l i e u . L’adaptation a conduit les construc-teurs des habitations à imaginer et matérialiser des stratagèmes pour y

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établir leurs maisons ; la recherche et l’optimisation systématiques des replats, l’aménagement des nombreux terrassements et les quelques témoi-gnages d’adaptation des architectures aux formes des affleurements en sont des indices évidents. Sur le plan chro-nologique, le principal intérêt du site est de proposer un modèle de maison au final assez peu évolutif malgré plus d’un demi-millénaire de présence marqué par plusieurs évolutions d’ordre technique dont l’introduction de la métallurgie du fer n’est pas la moindre. En revanche, ce qui change et doit en ce sens être souligné, c’est le passage peut-être graduel entre un noyau ancien en situation de semi-per-chement et partiellement fortifié par une enceinte typique de l’âge du Bronze et un habitat ouvert se distri-buant peu à peu sur les pentes à des altitudes moindres. Cette translation verticale et socio-culturelle de l’habi-tat, peut-être amplifiée par un vecteur climatique caractérisé par la dégrada-tion subatlantique, marque en fait le passage entre le modèle du castellu du Bronze final et celui du village ouvert

si typique des ambiances méridionales du premier âge du Fer. En termes de chronologie relative, les travaux réa-lisés notamment dans les structures 1 et 6 démontrent la non-contempora-néité des maisons. Les habitants du Bronze final évoluaient donc dans un site où le nombre d’habitations était probablement assez restreint alors que les populations du premier âge du Fer devaient côtoyer (et exploiter du matériau de récupération ?) de façon quotidienne les ruines des lieux de vie de leurs aïeux (fig. Q). Prises individuel-lement, ces habitations permettent d’observer les mécanismes d’organi-sation de l’espace, avec comme élé-ment de base le foyer, source de lumière, de chaleur et de connexion symbolique entre des habitants proba-blement peu nombreux, formant au mieux une petite entité familiale. En fonction des époques, certaines par-ties de la maison ou de l’environne-ment proche étaient vraisemblable-ment dévolues au x activités du quotidien avec, en premier lieu, la sphère de l’économie de subsistance, ou plutôt celle qu’on appellerait

Figure Q : Chronologie hypothétique comparée des différents secteurs étudiés à Cuciurpula

E - Nouvelles données sur l’habitat du premier âge du Fer en Alta Rocca

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aujourd’hui le « secteur secondaire » (transformation des denrées : bouche-rie, charcuterie, laiterie, meunerie, tor-réfaction, cuisine, tannage, vannerie, menuiserie, poterie, travail de la corne, fusion des minerais, obtention de pigments, etc.). Du point de vue des techniques, on notera l’intérêt que pré-sentent certains savoir-faire. On pense par exemple au mode d’élaboration des sols de circulation et à l’idée de stockage et de valorisation des déchets céramiques qui leur est asso-ciée. D’autres manifestations tech-nico-culturelles, telles la fabrication d’adhésifs au moyen d’écorce de bou-leau traitée par thermolyse ou la fabri-cation de parures en labradorite ou en stéatite polie, permettent d’aborder des problématiques liées aux terri-toires d’approvisionnement et aux éventuels réseaux de distribution. Le dernier point documenté est celui de

la partie périssable des architectures, qui faisait intervenir essentiellement du bois, même si des panneaux de tor-chis ont localement pu être utilisés de façon complémentaire. Les quelques éléments mis en évidence permettent de reconstituer des maisons probable-ment assez hautes et dont la forme est adaptée aux aléas climatiques.

Cuciurpula renvoie donc l’image d’un grand village dont l’état de conser-vation permet une observation selon des focales diversifiées. Dans tous les cas, la complexité des mécanismes en jeu ne permet plus de considérer ces époques de la Préhistoire récente de la Corse comme de simples phases de perduration dégénérative du plein âge du Bronze, encore par beaucoup inconsciemment considéré comme un âge d’or.

p. 122 2e partie : K. Peche-Quilichini, T. Lachenal & G. Pretta

Quoi de neuf en archéologie ?13e Rencontres

du Musée départemental de l’Alta Rocca » 

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du Musée départemental de l’Alta Rocca

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