8
Un des objectifs du programme ANR Euploia était d’identifier les particularités culturelles, au sens large du terme, qui auraient permis, ou non, à la Carie et à la Lycie antiques de s’intégrer dans une plus vaste communauté méditerranéenne. Il s’agissait donc d’explorer toutes les pistes archéologiques et, parmi elles, de s’interroger sur le problème très concret de l’architecture et de l’urbanisme de cités indigènes plus ou moins soumises tout au long de leur existence à l’influence perse, grecque et, enfin, romaine. Le site antique connu aujourd’hui sous le nom d’Alazeytin kalesi, occupé depuis la fin du VIII e siècle jusqu’à la fin de l’époque classique, nous a paru fournir un cas d’étude particulièrement intéressant. Situé dans la péninsule d’Halicarnasse, à quelques kilomètres de cette cité, soit au cœur du pays des énigmatiques Lélèges, le bourg fortifié d’Alazeytin n’a, jusque ici, guère retenu l’attention des archéologues. A la fin du XIX e siècle, Paton et Myres ont visité le site 1 , suivis par A. Maiuri, dans les années 20 2 , puis, plus récemment par G. E. Bean 3 . Enfin, W. Radt a entrepris, à la fin des années 60 une vaste étude archéologique de la péninsule d’Halicarnasse 4 , plus particulièrement centrée sur la période archaïque. Les résultats de ce travail consi- dérable, dont une importante partie est consacrée à l’étude du bourg d’Alazeytin, ont été publiés en 1970 et ont servi de base à notre réflexion. La colla- boration entre les spécialistes d’architecture de l’Asie Mineure et la cellule de transfert technologique d’Ausonius est déjà ancienne, mais, jusqu’ici, nous n’avions travaillé que sur des restitutions virtuelles d’édifices d’époque romaine qui mettaient en œuvre des techniques de construction familières. A Alazeytin, nous étions en terre inconnue et d’autant plus que nous ne connaissions le site qu’à travers les travaux précédemment cités. A partir de descriptions anciennes, obligatoirement subjectives, et des plans, relevés et observations effectués par W. Radt, et après une visite sur place, nous avons essayé de reconstruire virtuellement cette ville indigène. Cette journée d’études étant conçue comme un atelier, les hypothèses que nous allons présenter doivent être considérées comme autant de points de départ de discussion. LA METHODE Avant de modéliser les édifices, il nous a fallu modéliser le terrain. La ville s’est installée, de façon agglutinante, sur une petite colline dont les pentes peuvent être parfois assez prononcées et c’est en grande partie à ce relief que la ville doit sa physio- nomie particulière (Fig. 1). Pour cette première étape, nous avons utilisé le plan topographique établi par W. Radt (Beilage 1). A l’aide du logiciel Autodem, les courbes de niveaux ont été vectorisées puis in- terpolées de manière à obtenir une image en niveaux de gris utilisée pour restituer les élévations actuelles du terrain actuel. Nous avons ensuite modélisé les murs en élévation partielle à partir des tracés portés sur le plan, correspondant selon W. Radt aux murs des maisons, des édifices publics et du rempart. Il a fallu enfin “décaisser” le modèle numérique de terrain pour tenter de restituer le niveau de sol an- tique. Afin de faciliter la compréhension, nous avons pris le parti de distinguer par des couleurs les diffé- rentes composantes de la ville, telles que W. Radt les a identifiées : fortifications, citadelle, espace public, habitations (Fig. 2). Nous avons également matérialisé par des flèches les accès et les “rues”, notamment celle qui mène de la porte principale à *) Ausonius, Université de Bordeaux 3. **) PFT3D, Ausonius, Université de Bordeaux 3. 1) W. R. Paton et J. L. Myres, “Karian Sites and Inscriptions”, JHS 20 1896 : 57-81. 2) A. Maiuri, “Viaggio di esplorazione in Caria, part. II.B. Monumenti Lelego-Carii”, ASAA, 4-5, 1921-1922 : 397-488. 3) G. E. Bean et J. M. Cook, “The Halicarnassus Peninsula”, ABSA, 1955, 50 : 86-170. 4) W. Radt, Siedlungen und Bauten auf der Halbinsel von Halikarnassos, 3. Beih. IstMitt (1970), ci-après Radt. Anatolia Antiqua XIX (2011), p. 377-384 Laurence CAVALIER * et Pascal MORA ** PRESENTATION DU MODELE 3D D’ALAZEYTİN

Présentation du modèle 3D d'Alazeytin

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Un des objectifs du programme ANR Euploiaétait d’identifier les particularités culturelles, ausens large du terme, qui auraient permis, ou non, àla Carie et à la Lycie antiques de s’intégrer dans uneplus vaste communauté méditerranéenne. Il s’agissaitdonc d’explorer toutes les pistes archéologiques et,parmi elles, de s’interroger sur le problème trèsconcret de l’architecture et de l’urbanisme de citésindigènes plus ou moins soumises tout au long deleur existence à l’influence perse, grecque et, enfin,romaine. Le site antique connu aujourd’hui sous lenom d’Alazeytin kalesi, occupé depuis la fin duVIIIe siècle jusqu’à la fin de l’époque classique,nous a paru fournir un cas d’étude particulièrementintéressant. Situé dans la péninsule d’Halicarnasse,à quelques kilomètres de cette cité, soit au cœur dupays des énigmatiques Lélèges, le bourg fortifiéd’Alazeytin n’a, jusque ici, guère retenu l’attentiondes archéologues. A la fin du XIXe siècle, Paton etMyres ont visité le site1, suivis par A. Maiuri, dansles années 202, puis, plus récemment par G. E.Bean3. Enfin, W. Radt a entrepris, à la fin des années60 une vaste étude archéologique de la péninsuled’Halicarnasse4, plus particulièrement centrée sur lapériode archaïque. Les résultats de ce travail consi-dérable, dont une importante partie est consacrée àl’étude du bourg d’Alazeytin, ont été publiés en1970 et ont servi de base à notre réflexion. La colla-boration entre les spécialistes d’architecture de l’AsieMineure et la cellule de transfert technologiqued’Ausonius est déjà ancienne, mais, jusqu’ici, nousn’avions travaillé que sur des restitutions virtuellesd’édifices d’époque romaine qui mettaient en œuvredes techniques de construction familières. A Alazeytin,nous étions en terre inconnue et d’autant plus quenous ne connaissions le site qu’à travers les travaux

précédemment cités. A partir de descriptions anciennes,obligatoirement subjectives, et des plans, relevés etobservations effectués par W. Radt, et après unevisite sur place, nous avons essayé de reconstruirevirtuellement cette ville indigène. Cette journéed’études étant conçue comme un atelier, les hypothèsesque nous allons présenter doivent être considéréescomme autant de points de départ de discussion.

LA METHODE

Avant de modéliser les édifices, il nous a fallumodéliser le terrain. La ville s’est installée, de façonagglutinante, sur une petite colline dont les pentespeuvent être parfois assez prononcées et c’est engrande partie à ce relief que la ville doit sa physio-nomie particulière (Fig. 1). Pour cette premièreétape, nous avons utilisé le plan topographique établipar W. Radt (Beilage 1). A l’aide du logiciel Autodem,les courbes de niveaux ont été vectorisées puis in-terpolées de manière à obtenir une image en niveauxde gris utilisée pour restituer les élévations actuellesdu terrain actuel. Nous avons ensuite modélisé lesmurs en élévation partielle à partir des tracés portéssur le plan, correspondant selon W. Radt aux mursdes maisons, des édifices publics et du rempart. Il afallu enfin “décaisser” le modèle numérique deterrain pour tenter de restituer le niveau de sol an-tique.

Afin de faciliter la compréhension, nous avonspris le parti de distinguer par des couleurs les diffé-rentes composantes de la ville, telles que W. Radtles a identifiées : fortifications, citadelle, espacepublic, habitations (Fig. 2). Nous avons égalementmatérialisé par des flèches les accès et les “rues”,notamment celle qui mène de la porte principale à

*) Ausonius, Université de Bordeaux 3.**) PFT3D, Ausonius, Université de Bordeaux 3.1) W. R. Paton et J. L. Myres, “Karian Sites and Inscriptions”, JHS 20 1896 : 57-81.2) A. Maiuri, “Viaggio di esplorazione in Caria, part. II.B. Monumenti Lelego-Carii”, ASAA, 4-5, 1921-1922 : 397-488.3) G. E. Bean et J. M. Cook, “The Halicarnassus Peninsula”, ABSA, 1955, 50 : 86-170.4) W. Radt, Siedlungen und Bauten auf der Halbinsel von Halikarnassos, 3. Beih. IstMitt (1970), ci-après Radt.

Anatolia Antiqua XIX (2011), p. 377-384

Laurence CAVALIER* et Pascal MORA**

PRESENTATION DU MODELE 3D D’ALAZEYTİN

378 LAURENCE CAVALIER et PASCAL MORA

Fig. 1 : Alazeytin Kalesi, vue du Sud.

Fig. 2 : Les différents secteurs de la ville.

l’ “agora” en longeant le soubassement de deux édi-fices publics importants sur lesquels nous reviendronsen détail.

LES DIFFERENTSSECTEURS DE LA VILLE

Le modèle 3D permet de bien mettre en évidencel’organisation spatiale de la ville sur le relief duterrain, et de présenter rapidement les ensembles lesplus caractéristiques du site.

LA CITADELLE

Espace fortifié à l’intérieur du rempart, à la ma-nière d’un diateichisma, la citadelle d’Alazeytin,résidence présumée du “seigneur” comprend despièces à usage d’habitation, qui peuvent posséderun étage, desservies par des cours, ainsi qu’unegrande citerne. L’entrée est défendue par une puissantetour, encore conservée sur une hauteur de 2,50 m etdeux bastions.

L’ESPACE PUBLIC (Fig. 3)

Il s’agit d’un vaste espace artificiellement aplaniauquel W. Radt a donné le nom d’agora, considérantque les édifices qui s’y élèvent ont sans doute desfonctions politiques ou administratives. Ce secteurest limité, à l’Ouest, par des gradins formant unesorte de théâtron que l’on imagine sans peine destinéà des assemblées publiques. Les gradins, d’unehauteur moyenne de 0,30 m, ne sont pas creusésdans le rocher, mais sont faits de grandes plaques de

pierre. Face à cette installation, à l’Est, se trouventles deux bâtiments énigmatiques (30 et 31) citésprécédemment, alors que, au Nord, s’élève un troi-sième édifice de fonction inconnue (E). Ces troisbâtiments se distinguent au premier coup d’œil desensembles à usage d’habitation situés un peu plusbas, sur les pentes ouest de la colline. En effet, cesderniers, se composent en général de plusieurspièces, le plus souvent à étage, ouvrant sur une ouplusieurs cours. Or, les trois édifices qui bordentl’“agora” sont indépendants et de dimensions plusconsidérables. A cause de sa situation en bordure deplace et de ses deux fenêtres qui ouvrent sur celle-ci, W. Radt propose de voir dans l’édifice E un bâti-ment pouvant abriter des réunions qui serait l’équi-valent d’un bouleutérion ou d’un prytanée. La loca-lisation de l’édifice 30 et, surtout, de l’édifice 31 envis à vis des gradins, invite à penser que ces deuxédifices jouaient également un rôle important dansla vie publique ou religieuse de la ville.

L’EDIFICE 30 :“DAS HEILIGTUM (HEROON) 30”

Le bâtiment, qui possède à l’origine deux niveauxnon communicants, est réduit à son soubassement.

Le soubassement (Fig. 4)

La modélisation est faite à partir des plans etcoupes publiés par W. Radt (Abb. 1 : 40)

Le soubassement est intact et conservé sur toutesa hauteur (y compris sa couverture, constituée,comme c’est la règle dans les constructions dites“lélèges” par une couche de pierres faisant saillie etmarquant la séparation entre le soubassement et lerez-de-chaussée. La façade orientale est construiteen appareil cyclopéen. L’intérieur du soubassementétait accessible par deux portes ouvrant sur unesorte de rue aménagée sur une terrasse artificielle.Les déblais obstruent partiellement la terrasse et lesportes de sorte qu’il est difficile de restituer précisé-ment le niveau antique de circulation. Le soubassementcomporte deux pièces qui communiquent entre elleset qui sont couvertes par une fausse voûte constituéede longues plaques de pierre disposées en encorbel-lement. Ce type de couvrement est très répandu enCarie5. Il est utilisé notamment dans les tumulimais aussi dans toutes sortes de bâtiments. (habitation ?stockage ? pour autant qu’on puisse se prononcersur leur destination) Mais, de façon plus surprenante,

5) Une technique qui n’a rien de grec, Radt : 190.

PRESENTATION DU MODELE 3D D’ALAZEYTİN 379

Fig. 3 : L’“agora” et les gradins.

on le retrouve en Grèce, en particulier en Attique eten Eubée. La comparaison architecturale entre desédifices de ces deux régions est le thème d’un pas-sionnant article de J. Carpenter et D. Boyd6. LesDragon-Houses grecques, dont la fonction n’est pasétablie – construites par des carriers, à des fins à lafois domestiques et religieuses ? –, pourraient daterde la fin de l’époque hellénistique ou du début del’époque romaine. L’hypothèse de l’importation,puis de la persistance d’une tradition architecturalecarienne ou plutôt lélège en Grèce reste à démontrer.La fonction du soubassement de l’édifice 31 d’Ala-zeytin n’est pas davantage claire. Pour W. Radt, ilpourrait s’agir d’une sorte de crypte en rapport avecdes cultes chthoniens  (?). Une autre interprétationsera proposée ailleurs par R. Descat.

La modélisation durez-de-chaussée de l’Edifice 30

A la différence de son soubassement, le rez-de-chaussée de l’édifice 30, qui se trouve en très légèresurélévation par rapport au niveau antique de l’“agora”est complètement ruiné (Fig. 5). Il possède un planrectangulaire de près de 12 m sur 6,4 m. La façadeprincipale de l’édifice, construit en calcaire grissombre, donne à l’Est. On peut repérer, sous les dé-blais, les restes d’une “crépis”.

Deux chapiteaux éoliques, aujourd’hui conservésau Musée de Bodrum, ont été dégagés de l’effon-drement de la façade, près de l’angle sud-est del’édifice. D’autres éléments architectoniques qui

permettent la restitution ont été retrouvés : des blocsportant un kymation ionique devant être superposésà des blocs d’astragale de perles et pirouettes  ; unbloc de geison.

Les chapiteaux éoliquesLa modélisation des chapiteaux éoliques est réa-

lisée à partir des dessins publiés par W. Radt(Abb. 22 : 239 et Abb. 23 : 241) et de photosréalisées au musée de Bodrum.

Les deux chapiteaux, de type proto-ionique ouéolique, sont taillés dans le même calcaire gris queles blocs composant les murs de l’édifice 30. Datéssur la base de considérations stylistiques des années545-540, ils sont de mêmes dimensions en ce quiconcerne la hauteur totale et la profondeur del’abaque. En revanche, les dimensions des volutessont différentes, ainsi que la longueur de l’abaque.Par ailleurs les décors entre les volutes ne sont pasles mêmes : palmette pour l’un (Fig. 6 : Palmetten-kapitell) et spirales en forme de cœur (Fig. 7 :Herzspiralen-Kapitelle) pour l’autre. Le chapiteauà palmettes est d’une exécution plus soignée que lechapiteau à spirales, ce qui, d’après W. Radt, traduiraitune différence de main, un des sculpteurs étant plus“conservateur” que l’autre7. On peut aussi se demanders’il ne s’agirait pas de blocs remployés, auquel casils ne pourraient fournir qu’un terminus post quempour la datation de l’édifice.

Modéle de l’édifice 30 (Fig. 8)La modélisation du bâtiment a été faite à partir

du plan (Abb. 2 : 46) et des restitutions graphiques(Abb. 4 : 54 et Abb. 5 : 56). Elle est conçue pour quele spectateur puisse accéder à l’intérieur du bâtiment.Les textures ont été obtenues après une campagnephotographique menée sur place en 2008. L’imagevirtuelle montre un édifice d’ordre éolique, si onpeut employer ce terme8, que l’on peut placer stylis-tiquement à l’époque archaïque.

Précédé par une marche basse, l’édifice est ac-cessible par une porte de grandes dimensions dontle linteau, en saillie à l’extérieur comme à l’intérieuren raison de la profondeur moindre de la “frise” quile surmonte9, est porté par deux chapiteaux éoliques.

Les chapiteaux sont placés perpendiculairementpar rapport au linteau. Ce choix de restitution découledu fait que les deux chapiteaux sont travaillés diffé-

6) Dragon Houses : Euboia, Attica, Caria, AJA, 81, 1977 : 179-215. 7) Radt : 240.8) J. des Courtils, REA 100, 1998 : 125 s.9) Frise constituée de deux blocs servant d’appui pour les poutres du toit.

380 LAURENCE CAVALIER et PASCAL MORA

Fig. 4 : Edifice 30, soubassement.

PRESENTATION DU MODELE 3D D’ALAZEYTİN 381

Fig.

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7 :

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remment sur leurs faces avant et arrière : sur l’arrièredu chapiteau ne sont représentées que les volutes, lemilieu du bloc ne porte pas de décor mais un grossierpiquetage qui prouve que cette partie du chapiteauétait appliquée contre un mur. De ce fait, seules lesvolutes étaient visibles. On remarquera aussi queles chapiteaux ne possèdent pas de tablette portantecomme c’est le cas pour d’autres chapiteaux éoliquesconnus. Cette particularité s’explique par leur positionen couronnement de jambages de porte. Cette positionnon canonique, en tout cas dans l’architecturegrecque, des chapiteaux éoliques est connue pourles époques hautes en Palestine, à Hazor ouMeggido : dans ces deux cas, les chapiteaux ne pos-sèdent pas non plus de tablette portante. Plus prèsd’Alazeytin, des chapiteaux de même type sont em-ployés à Tamassos (Chypre)10. L’hypothèse d’uneinfluence chypriote dans cette région pourrait êtreappuyée par les statuettes en terre cuite chypriotesreprésentant des cavaliers, datables de la fin du VIIe

et du début du VIe siècle, trouvées en grand nombresur la péninsule d’Halicarnasse11.

En position d’épicranitis court tout autour dubâtiment un astragale sculpté de perles et pirouettessurmonté d’un kymation ionique qui devait êtrepeint. Le bloc de corniche mentionné plus hautpermet de restituer le fronton. Nous avons choisi dereprésenter une couverture de tuiles car on en trouvede nombreux fragments (tuiles corinthiennes) danstout le site.

A l’intérieur de l’édifice, les poutres du toitétaient soutenues par une colonnade axiale faite depiliers : une pierre portant une sorte de mortaise(cassée) de 6 cm de profondeur est peut-être identi-fiable comme une des bases de la colonnade. L’édificeest donc restitué comme un simple “naos” sans pé-ristyle dont le plan serait comparable à celui dutemple “éolique” de Néandria12 en Troade.

L’EDIFICE 31(DAS OFFENTLICHE GEBÄUDE 31)

Comme dans le cas de l’édifice 30, il s’agit ànouveau d’un bâtiment à deux niveaux non commu-nicants entre eux. Le soubassement est accessibledepuis la terrasse par deux portes alors que le rez-de-chaussée est de plain-pied avec l’“agora”.

Le soubassement (Fig. 9)

Construit en appareil  “lélège” fait de grandesplaques de pierre avec, dans les angles, de grosblocs rectangulaires, le soubassement comporte deuxpièces qui ne communiquent pas entre elles. Lesmontants des portes de ces deux pièces sont faitesde genres d’orthostates alternés avec des blocs enposition de boutisse. Les pièces sont couvertes parune fausse voûte.

La modélisation durez-de chaussée

La modélisation est faite à partir des plans etcoupes publiés par W. Radt (Abb. 6 : 58) et de ladescription donnée par Paton et Myres.

Il s’agit d’un bâtiment de plan rectangulaire,orienté à l’Est et qui ouvre sur l’“agora” par sonlong côté est. Trois degrés permettent d’accéder àune sorte de plateforme munie, à son extrémitéouest, de deux autres degrés. Les murs ont totalementdisparu (Fig. 10). Deux plaques moulurées frag-mentaires, peut-être les moulures de base ou decouronnement des murs d’échiffre, ont été retrouvéesà chaque angle de l’escalier. Paton et Myres signalentégalement l’existence de pilastres archaïques à cha-piteau éolique, aujourd’hui conservés au musée deBodrum.

En raison de la maigreur des indices, W. Radtn’a pas proposé de restitution graphique de l’édifice.Nous avons cependant décidé de tenter de produireun modèle de l’édifice (Fig. 11), en nous appuyantsur la description étonnamment précise faite parPaton et Myres, lors de leur passage à Alazeytin,d’un édifice qui ne peut être que l’édifice 31.

“On a superstructure was a portico facing upthe hill, with closed ends. On a stylobate of twosteps, two piers between antae supported theroughly dressed architrave : these piers consistedeach of a single block, or rather slab, rectangularin section, and tapering upwards on the broadfaces : they terminated above in large simplyvoluted capitals, one of which is completely pre-served ; to judge from a socket in the top step inwhich one of them apparently stood, they wereset with the narrow face outwards ; and conse-quently with the volutes facing not the front, butsideways. On the architrave rested roof-beamsof stone, reaching from front to back of the

10) Radt : 244-245.11) Radt : 265-272.12) P.P. Betancourt, The Aeolic Style in Architecture, Princeton 1977 : Figs. 30 et 31.

382 LAURENCE CAVALIER et PASCAL MORA

PRESENTATION DU MODELE 3D D’ALAZEYTİN 383

Fig.

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building ; dressed to the form of a very lowgable, so as to support the rafters and the roof-slabs directly. The floor is paved with large rec-tangular slabs, and the lower part of the wallsis adorned with a course of similar slabs setvertically as parastades. The dimensions of thebuilding are length 24 ft. 9 in., front to back 10ft. 2 in”.

Si l’on suit Paton et Myres, l’édifice, qu’ils au-raient vu encore debout, se présentait comme unepetite stoa ouvrant sur l’agora. Deux piliers “éoliques”(on n’en connaît pas d’autre exemple  : les pilierssont monolithes et se terminent par deux volutes)soutenaient l’entablement (réduit à une architrave).Ces piliers étaient placés de façon à ce que lesvolutes soient perpendiculaires à l’architrave. Cettedescription soulève plusieurs problèmes  : Paton etMyres défendent la position peu canonique despiliers en mentionnant une cavité ou genre demortaise (socket ?) dans laquelle pouvait prendreplace la base d’un pilier. Lorsque nous sommesallés sur le site, nous n’avons pas retrouvé trace decet aménagement qui nécessite, s’il a existé, derestituer une cale pour que les piliers ne se retrouventpas en porte-à-faux sur le degré supérieur (L enfaçade à la base = 0,98 m, profondeur du degré su-périeur = ca. 0,52 m).

Passant à la description de la toiture, Paton etMyres font référence à des poutres de pierre qui au-raient reposé sur l’architrave et qui affecteraient laforme d’un fronton bas. Cette dernière observationest difficile à comprendre mais on peut tenter unrapprochement avec le monument des Néréides, àXanthos : on voit en effet sur la restitution graphique13

publiée par P. Coupel et P. Demargne, que les tuilesdu couvrement reposent sur des fermes en pierre etil s’agit, là encore, d’un cas unique. Paton et Myres,qui n’étaient pas spécialistes d’architecture, ont-ilsvu quelque chose de comparable ? Ou faut-il plutôtimaginer un bâtiment à charpente (et couverture ?)

en pierre comme c’est le cas pour les curieux édificesde Gergas14 ? Nous restituons en tout cas un édificeinédit dont on ne connaît pas la fonction et pourlequel on a du mal à trouver des parallèles. Le plan,l’orientation, l’existence de degrés sur le long côtésont des particularités qui font penser à un autel,tentation d’autant plus forte que cet autel se trouveraitjustement placé à côté d’un sanctuaire, si l’on admetcette fonction pour l’édifice 30. De même, la situationde l’édifice 31, face aux gradins, conviendrait par-faitement à un autel. Le seul exemple de bâtimentcomparable, du moins en ce qui concerne son plan,se trouve à Samothrace  : il s’agit d’un curieuxédifice nommé par les archéologues américains altarcourt15, un autel qui daterait du milieu du IVe siècleavant J.-C. Mais la ressemblance s’arrête au plancar l’altar court est un bâtiment hypèthre, ce quin’est pas le cas de l’édifice 31 tel que nous lerestituons d’après la description de Paton et Myres.Alors il semble bien qu’il s’agisse d’un exemplesans précédent d’architecture indigène dont la fonctionnous échappe, à moins que l’on n’apporte aucuncrédit à la description des voyageurs dont la précisionserait alors incompréhensible.

Le programme ANR Euploia Carie-Lycie nousa en tout cas offert la possibilité de donner uneréalité tangible à des édifices qu’il était difficiled’imaginer à partir des documents graphiques et desdescriptions, anciennes ou modernes, en notre pos-session. Les images virtuelles nous montrent desmonuments singuliers, d’architecture indigène oùl’influence grecque est parfois légèrement perceptible(kymation ionique de l’édifice 30), mais dont on nepeut pas dire qu’ils témoignent d’une intégrationculturelle dans le monde grec. A l’époque archaïque,le bourg carien (lélège ?) d’Alazeytin reste un bourgisolé que l’on imagine sans peine attaché à ses tra-ditions.

L.C. et P.M.

13) Fouilles de Xanthos, III, le monument des Néréides, L’architecture, Pl. XCI.14) Sur ce site, W. Held, Gergakome. Ein “altehrwürdiges” Heiligtum im kaiserzeitlichen Karien, Istanbuler Forschungen 49,

2008.15) K. Lehmann et D. Spittle, Samothrace, 4, II, The Altar Court, 1964.

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