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REVISITER LA MAISON NATALE DE JEANNE D'ARC À DOMREMY Ivan FERRARESSO Archéologue, INRAP Lorraine Université de Lorraine, Hiscant-MA D'aucuns peuvent se demander pourquoi revISIter la maison natale de Jeanne d'Arc si x cents ans après la naissance de l'héroïne alors qu'aucune enquête n'a récemment été menée sur le site. Il est vrai qu'un énième discours archéologique sur le monument sans l'appui de nouvelles preuves matérielles pourrait susciter bien des interrogations. Gageons que la curiosité suffise à entretenir l'intérêt des lecteurs car l'essentiel a déjà été dit sur l'édifice. En effet, la bâtisse a fait l'objet d'une littérature abondante et, en tout cas, suffisante pour éluder la question de son authenticité. Que dire de plus aujourd'hui, sinon qu'il s'agit probablement de l'un des rares bâtiments domestiques du monde rural médiéval à faire l'objet d'une littérature aussi ancienne que prolifique l . Mais aussi que la plus grande érudition a su compiler assez d'indices depuis le début du XIX e siècle pour révéler un lien de parenté entre l'édifice et l'une des principales figures historiques françaises. 1 - Une douzaine de contributions entre le XIX' et le xx' siècle évoque de près ou de loin la maison natale de Jeanne d'Arc. Les prin cipal es entrées sont référencées dans l'article.

Revisiter la maison natale de Jeanne d'Arc à Domremy

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REVISITER LA MAISON NATALE DE JEANNE D'ARC À DOMREMY

Ivan FERRARESSO

Archéologue, INRAP Lorraine

Université de Lorraine, Hiscant-MA

D'aucuns peuvent se demander pourquoi revISIter la maison natale de Jeanne d'Arc six cents ans après la naissance de l'héroïne alors qu'aucune enquête n'a récemment été menée sur le site. Il est vrai qu'un énième discours archéologique sur le monument sans l'appui de nouvelles preuves matérielles pourrait susciter bien des interrogations. Gageons que la curiosité suffise à entretenir l'intérêt des lecteurs car l'essentiel a déjà été dit sur l'édifice. En effet, la bâtisse a fait l'objet d'une littérature abondante et, en tout cas, suffisante pour éluder la question de son authenticité. Que dire de plus aujourd'hui, sinon qu'il s'agit probablement de l'un des rares bâtiments domestiques du monde rural médiéval à faire l'objet d'une littérature aussi ancienne que prolifique l

. Mais aussi que la plus grande érudition a su compiler assez d'indices depuis le début du XIXe siècle pour révéler un lien de parenté entre l'édifice et l'une des principales figures historiques françaises.

1 - Une douzaine de contributions entre le XIX' et le xx' siècle évoque de près ou de loin la maison natale de Jeanne d'Arc. Les principales entrées sont référencées dans l'article.

À dire vrai, la demeure bat un nombre de records non négligeable en raison de son ascendance johannique. Elle est d'abord la première maison médiévale protégée au titre du patrimoine national avant la création de la liste des Monuments historiques. C'est ensuite le premier site qui acquiert ce statut, non pas au regard de ses caractéristiques architecturales intrinsèques, mais selon l'identité du primo­accédant à sa propriété. Enfin, aucune autre maison médiévale ne semble avoir été si fortement restaurée avant sa proposition de classement2

• Autant de distinctions qùi soulignent, s'il fallait encore le démontrer, la porosité du bâtiment à l'Histoire de France. Quasiment personnifié, le monument s'est rapidement transformé en un lieu de mémoire, au point d'occulter sensiblement sa dimension architecturale. Aussi, une question peut légitimement se poser : quelle place occupe cette construction dans l'histoire de l'architecture privée de la fin du Moyen Âge?

Pour répondre à cette interrogation, nous reviendrons, dans un premier point, sur les conditions de conservation d'un monument longtemps déconsidéré par la recherche architecturale. Ce tableau historique contrasté permettra de mieux saisir, dans un second temps, les spécificités architecturales d'une construction maintes fois modifiée. Les vestiges en présence pourront alors être confrontés, dans un dernier point, à un corpus de bâtiments lorrains des XIIIe-XVIe siècles, de façon à déterminer la valeur anthropo-historique de cette maison natale.

2 - Aux alentours de 1838-1840.

1 - LE SITE ET SON CONTEXTE DE CONSERVATION

Proportionnellement au nombre d'édifices religieux ou militaires qui ont pu être conservés, une majorité de bâtiments civils ou privés du Moyen Âge n'a pas résisté au temps et aux évolutions socioculturelles. La découverte de vestiges demeure peu fréquente, à tel point que chaque construction est, à l'image de la maison natale de Jeanne d'Arc, un cas d'espèce3• Il faut bien reconnaître que l'histoire du secteur de Domremy-la-Pucelle leur est assez peu favorable.

D'une manière générale, l'architecture privée des :xV-XVIe siècles en Lorraine sud-occidentale apparaît relativement mal conservée4• Le Bassigny, pays duquel dépend Domremy-la-Pucelle, est une zone de contact, aux frontières du domaine royal et des terres lorraines, entre Champagne, Barrois et diocèse de Toul. Comme toute la frange est de la Lorraine, le territoire est assez disputé. Linstabilité gagne le secteur dès le milieu du XIV siècle et jusque dans la seconde moitié du :xV siècle, au moment des conquêtes bourguignonnes5• Linsécurité pèse dans les campagnes car la guerre est devenue endémique. Le monde rural affronte de mauvaises récoltes, encore mentionnées autour de 1436-1438, &s épisodes de famine et des épidémies de peste.

La récession, constatée de 1348 à 1445, impose une mutation économique et des innovations pour espérer un relèvement local. Parmi les nouveaux marchés, la laine connaît un élan remarqué au début du :xV siècle. Sa production est alors assurée au sein des villages. Lévolution économique se traduit, dans les campagnes, par une régression de la population et une réorganisation des terres au profit des laboureurs. Certains d'entre eux accèdent au titre de propriétaires exploitants. Les plus riches deviennent même de véritables « coqs de villages », des créanciers qui assument parfois des responsabilités administratives ou juridiques, au même titre que les bourgeois et les clercs. Sur ces bases, la reconstruction du paysage rural est en marche à partir des années 1445-1470. Les remembrements engagés provoquent le resserrement des communautés villageoises. Les agglomérations se concentrent et augurent très vraisemblablement la physionomie postmédiévale et traditionnelle du village-rue lorrain, rythmé par des habitations loties et de plus en plus souvent mitoyennes. A priori, la marginalité des villages tels que Domremy est profitable. Certaines communautés se sont parfois jouées des multiples influences politiques ou administratives en s'affranchissant des différentes sujétions localesG• Comment ne pas faire un parallèle entre ce tableau historiq ue et Jeanne d'Arc, fille d'un laboureur aisé, dont une part de l'activité est soutenue par le pastoralisme, et qui vit aux confins d'un territoire où les initiatives individuelles sont sans doute plus instrumentalisées qu'au cœur des domaines seigneuriaux.

À partir du XVIIe siècle le contexte politique a influé sur les conditions de conservation du site. Au moment de la guerre de Trente Ans, les différents sièges de La Mothe ou de Neufchâteau se sont accompagnés de scènes de pillages et de dévastations dans les environs de Domremy-la-Pucelle. À l'issue du conflit, les historiens enregistrent une baisse de la population d'environ soixante pour cent dans l'extrême

3 - Les spécificités architecturales de ces vestiges, souvent en pierre, sont sans doute à mettre en relation avec la capacité de résistance de leurs matériaux. Rien ne présage qu'une habitation conservée soit tout à fait représentative de son époque.

4 - Les possibilités de préservation d'habitats ruraux médiévaux en élévation y sont toutefois plus fortes que dans d'autres territoires lorrains, tels que le Plateau Lorrain mosellan ou le Pays-Haut, des secteurs malmenés par les guerres ou la révolution industrielle par exemple.

5 - Alain Girardot, « Entre France, Empire et Bourgogne (1275-1508) ", dans Michel Parisse (éd.), Histoire de la Lorraine, Toulouse, Privat, 1977, p. 200-226.

6 - Jean Coudert, « Le siècle d'Or de la Lorraine indépendante ", dans Michel Parisse (éd.), Histoire de la Lorraine, Toulouse, Privat, 1977, p. 230-231.

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ouest vosgien pour le troisième tiers du XVII' siècle'- Le relèvement des terroirs es t alors très progressif Les remises en culture s'accompagnent d'une nouvelle planification des campagnes et d 'une reconstruction de l'habitat, souvent ruiné. Bien plus tard, à l'hiver 1944-1945, la « campagne de Lorraine », affecte quelques localités du secteur de Neufchâteau et Vaucouleurs par le passage des troupes et quelques phases de batailles .

l:habitat rural, qui n'est pas uniquement meurtri par les guerres et leu rs conséquences, connaît aussi une mutation quasi-permanente. Sa transformation est due aux évolutions démographiques, aux transformations agraires comme aux progrès industriels. Autant de fac teurs qui engagent des modifications profondes dans les habitudes et les pratiques domestiques, se traduisant in fine par des changements significatifs du paysage architectural. Ainsi, les édifices médiévaux qui ont pu être préservés constituent une source documentaire de premier ordre. Compte tenu de sa réputation, la maison de Jean ne d'Arc aurait pu être régulièrement mentionnée dans les travaux ayant trait à l'architecture domestique du Moyen Âge, mais à lire la bibliographie spécialisée, l'édifice ne paraît pas avoir gagné sa place dans les synthèses du XIX' et du xx' siècle.

Rien de fondamental n'est écrit à propos du bâti ment domremois, ne serait-ce que dans les quatre grandes publications traitant de l'architecture domestique du Moyen Âge. La demeure est par exemple absente de l'abécédaire qu'Arcisse de Caumont dédie en partie à l'architecture civile et militaireS. Viollet­le-Duc, qui consacre une section d'article à la maison des champs dans son Dictionnaire raisonné de l'architecture, ne l'appréhende pas plus? l:auteur préfère, au contraire, retenir un bâtiment vosgien diamétra lement opposé, tant par sa forme que par sa localisation géographique. Il s'est attaché à la description d'une demeure de la moyenne montagne vosgienne, localisée aux alentours de Gérardmer, qui associe un solin en pierre et des élévations réalisées par empilement de madriers. Au début du xx' siècle, la maison natale de Jeanne d 'Arc est roujours absente du tome « Architecture civile du Moyen Âge et de la Renaissance Il du Manuel d'archéologiefrançaise1o. En 1998, le désintérêt paraît encore perdurer quand l'ouvrage coordonné par Yves Esquieu et Jean-Marie Pesez porte à la connaissance cent maisons médiévales en France sans prêter une notice à l'éd ifice vosgien 11

Voilà donc un bâtiment dont la dimension hisrorique es t singulière. Il est à la foi s doté d 'une valeur patrimoniale évidente et, pour autant, déconsidéré sur un plan architectural. C'est à cro ire que la maison est devenue un objet historique exempté de toute réa li té tangible. Les travaux de mise en valeur du site, engagés en 1820 sur la base de démolitions importantes, ont certainement décrédibilisé l'oeuvre. En cherchant à faire coïncider l'existant avec le passé révolu du site, en tentant de fa ire renaître la sphère quotidienne de « Jeannette », les premières muséographies ont involontairement amoindri la part architecturale du lieu. Pourtant, de rares intéressés ont constaté, dès le XVIII ' siècle, l'ampleur des évo lutions subies par la construction. Au lieu de mettre en valeur la temporalité du site et du mythe qu'il véhicule 12

, plusieurs séquences de restauratio n, censées rétab lir l'ex istant, ont fin i par réin venter les espaces originels. Ces chantiers ont malheureusement débuté vingt ans avant les premières enquêtes

7 - Philippe Manin, Une guerre de Trente Ans en Lorraine, / 631-1661, Metz, Serpeno ise, 2002, p. 335-34 1.

8 - Arcisse de Caumonr, Abécédaire ou rudiment d'archéologie (architecture civile et militaire), Paris, Derachc, vo l. 2, 1858.

9 - Eugène Viollet-le-Duc, Diction1laire raùollné de l'nrchitecture firlll fll ise du xf ((ft xvf siècle, Pa ris. Morel , vol. 6, 1868, p. 289-300.

10 - Cami lle Enlar(, Manuel d'archéologie firlllftlisc : depuis les temps mérovingiens jusqu'à III Renaissance. Première partie, Architecture. 11, Architecture civile et militaire, Paris, A. Picard, 1904.

Il - Yves Esquieu, Jean-Ma rie Pesez (dir.), Cem maisom médiévales en France (du Xlf 1111 milieu du xvf siècle) : 1111 corpus et une esquisse, Monographie du CRA 20, Paris, CN RS édirions, 1998.

12 - La muséographie actuelle es t aujourd'hui d'avanrage rournée en ce sens.

ou synthèses sur le bâti médiéval lorrain l3. En somme, l'édifice, restauré trop tôt, sans doute pour

des raisons politiques et en l'absence de données référentielles, n'a pas suscité l'intérêt des chercheurs en histoire de l'architecture. La construction véhicule pourtant quantité d 'informations tout à fait significatives.

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Fig. 1 : Une maison médiévale vosgienne mise en évidence par Viollet-le-Duc en 1868.

13 - Emre 1836 et 1846, voir Ernest Grille de Beuzelin, Rapport à monsieur le ministre de l'instruction publique sur les monuments

historiques des arrondissements de Nancy et de Toul (département de la Meurthe), accompagné de cartes, plans et dessins, collection de documems inédits sur l'histoire de France, 3e série, Archéologie, Statistiques monumentales, Paris, Crapelet, 1837, 159 p. et Auguste Prost, « Appendice à la visite des monuments de Metz », Congrès archéologique de France, séances générales tenues à Metz,

à Trèves, à Autun, à Chalons et à Lyon en 1846, n013, Paris, Derache, 1847, p. 162-1 73.

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Fig. 2 : Vestiges d'architecture civile repérés par Grille de Beuzelin dans le diocèse de Toul autour de 1836.

2 - LES VESTIGES D'UN BÂTIMENT DES XV-XVIe SIÈCLES

Différentes sources manuscrites, compilées de longue date, permettent de retracer une partie de l'existence de la maison l4. La première mention d'une demeure associée à Jeanne d'Arc apparaît dès 1551 , sous les termes « d'hostel et maison »15. D 'aucuns pourraient imaginer que ces descripteurs renvoient à une architecture de haut rang social. Cependant, cette terminologie, usitée de manière circonstanciée et, pour le moins, biaisée par la pratique de l'écrit, n'apparaît pas assez discriminante l 6

• En revanche, cette mention prouve qu'un édifice associé à la famille de Jeanne d'Arc existe à Domremy-la-Pucelle au milieu du XVIe siècle. C'est encore ce que constate Montaigne en 1580, au cours de son voyage vers l'Italie. Un des édifices du village est réputé pour être la maison natale de Jeanne d'Arc. rauteur évoque, de son point de vue, une « maisonnette » dont la façade, dégradée, conserve un décor peint représentant les gestes de l'héroïne1? Aucun indice ne nous est parvenu à propos de ce décor et, d'une façon générale, les enduits extérieurs des maisons médiévales lorraines demeurent méconnus l8

• Néanmoins, la présence d'une fresque prouve, en tout état de cause, que l'édifice revêt déjà un sens historique. Ce décor pourrait aussi témoigner d'une première séquence de modification du bâti qui se caractérise par la réécriture de son ornement en façade. Un acte de vente, daté de 1586, livre enfin une description exploitable d'un b'àtiment dit « maison de la pucelle »19. Il paraît à cette époque isolé au sein d'une parcelle, avoisinant le cimetière d'un côté et des habitations de l'autre. La demeure est environnée d'« usoirs », un ensemble d'espaces libres habituellement dévolus à l'exploitation agricole et au stockage. Ces lieux de transition entre le domaine public et l'habitation, déjà mentionnés au Moyen Âge central, seront presque systématiquement présents aux abords immédiats des habitations vernaculaires de Lorraine20. La composition générale de l'édifice semble relativement simple puisqu'elle ne compterait qu'un rez-de-chaussée, au moins un étage carré et des espaces de stockage au dernier niveau21. La « maison de la pucelle » est encore évoquée dans différents documents rédigés en 1611, 1612, 1614, 1620 et 1632, sans qu'aucun texte n'en fasse une description architecturale plus approfondie22

• Elle ne réapparaît finalement dans les documents d'archives qu'en 170723.

14 - En l'absence de nouvelles investigations de terrain, nos sources documentaires proviennent de recherches et d'études anciennement publiées, entre 1817 et 1975.

15 - Ernest de Bouteiller, Gabriel de Braux, Nouvelles recherches sur la famille de Jeanne d'Arc: enquêtes inédites, généalogie, Paris, A. Claudin, 1879, p. 44-45, également cité dans Jacques Choux, « L'authenticité de la maison de Jeanne d'Arc ", Le Pays lorrain, 55' année, n° l , 1974, p. 6.

16 - La terminologie évoque toujours un champ très vaste de construction, éminemment variable, voir dans Jean Mesqui, «Avant-propos », Bulletin monumental, n0157/l, 1999, p. 9-10 et Pierre Garrigou Grandchamp et al., « Doyennés et granges de l'abbaye de Cluny. Exploitations domaniales et résidences seigneuriales monastiques en clunisois du XI' au Xlv" siècle », Bulletin monumental, n01 5711 , 1999, p. 71-113.

17 - Michel de Montaigne, Anne-Gabriel Meusnier De Querlon,Journal du voyage de Michel de Montaigne en Italie, par la Suisse et l'Allemagne en 1580 et 1581, Rome-Paris, Chez Le Jay, 1774, p. 8-9, cité et repris par de nombreux travaux menés par la suite.

18 - Au regard de la documentation consultée, le seul cas répertorié en Lorraine appartient à une maison urbaine des XIII' ­

Xlv" siècles à Metz, voir dans Marie-Paule Seilly, Metz, Il, rue de la Fontaine, rapport dactylographié, Metz, SRA de Lorraine, 1993,3 p.

19 - Ernest de Bouteiller, Gabriel de Braux, La famille de Jeanne d'Arc: documents inédits, généalogie, lettres de Jean Hordal et de Claude Du Lys à Charles Du Lys, Paris, A. Claudin, 1878, p. 182, cité dans Henri Lepage, Jeanne d'Arc est-elle lorraine ?, Nancy, Grimblot et Veuve Raybois, 1852,5' année, p. 79-8 1 et dans Jacques Choux, art. cit., p. 2.

20 - Entendues fermes rurales à travées des XVIII' et XIX' siècles, voir pour les mentions médiévales dans Alain Girardot, Le Droit

et/a terre: le Verdunois à la fin du Moyen Âge, Nancy, Presses universitaires de Nancy, vol. l, 1992, p. 227-230.

21 - Le document manuscri t décrit « Une maison bastie en chambre bas et haulte, deux greniers dessus lesdictes chambres, deulx petitte corselles devant icelle maison, avec ung petit voilier. Ensemble les usuaires d'icelle de tous costé et comme le tout se contient, sans en rien retenir, et icelle maison di ct et apellé vulgairement la maison de la Pucelle ».

22 - Henri Lepage, op. cit., pp. 82-84 et dans Jacques Choux, op. cit., p. 8.

23 - Jacques Choux, art. cit., p. 9.

Un tel hiatus se confond évidement avec la guerre de Trente Ans et la désorganisation administrative qui s'en est suivie. Cette phase marque d'ailleurs la seule rupture dans la chronologie de ses détenteurs, dont la propriété, certifiée depuis au moins 1481, est à nouveau perçue à partir du XVIIIe siècle. En 1756, Dom Augustin Calmet, érudit motivé par la rédaction d'une importante notice historique de la Lorraine, évoque une maison dite « de Jeanne d'Arc » . Elle est, selon lui, clairement discernable de la rue grâce à la présence d'un linteau de porte qui fait figurer les armes des familles Du Lys et Thiesselin, héritiers de Jeanne d'Arc24

.

Partie conservée et restaurée à partir de 1820

Habitations détruites en 1820

Vestiges bâti reconnu en sous-sol

Limites parcellaires actuelles

Bâti actuel

JOrn

Fig. 3 : Le contexte bâti de Domremy-la-Pucelle.

À partir du XIXe siècle, la physionomie de l'édifice se précise. Elle apparaît cependant distincte de l'image véhiculée depuis la fin du XVIe siècle. Tout porte à croire que le bâtiment a connu une seconde séquence de modification. En 1817, Charles Le Brun de Charmettes évoque une petite maison à l'architecture

24 - Dom Augustin Calmet, Notice de La Lorraine, Nancy, Beaurain, 1756, t. l, p. 372, également cité dans Jacques Choux, art. cit., p. 9.

rustique25 . Les premiers relevés, réalisés aux alentours de 1820, permettent de visualiser la composition générale des lieux26• La maison dépend d'un îlot relativement dense d'habitations mitoyennes. Lurbanisme y apparaît spontané, c'est-à-dire façonné sans planification, ou simplement déterminé au cas par cas, selon les règles locales du droit coutumier. Les propriétés semblent toutes construites en maçonnerie de moellons. Les élévations sont équipées de baies appareillées en pierre de taille calcaire. Le bois est alors réservé à la fabrication des planchers et des charpentes. La couverture est très certainement agencée en tuile canal. Cette bâtisse, possédée depuis plusieurs générations par la famille Gérardin, est devenue mitoyenne sur trois côtés. Elle comporte deux corps de bâtiment implantés en profondeur, uniquement séparés par une cour.

Le corps sur la rue possède deux accès, une charretière et une porte piétonne. Ils ouvrent tous les deux sur une travée réservée à!' exploitation agricole. La porte piétonne est couverte d'un linteau qui correspond très probablement à l'exemplaire mentionné au milieu du XVIIIe siècle. Ce couvrement présente un motif principal en arc trilobé doté de deux écoinçons. Il est orné de trois armoiries réparties dans chaque lobe. Les écussons inférieurs évoquent le couple formé par Claude Du Lys, héritier de la famille d'Arc et Nicole Thiesselin, sa femme. Lécu central renvoie très vraisemblablement à la couronne de France. Plusieurs registres d'inscriptions se succèdent, en commençant par la sentence « .VIVE. LABEUR. », puis la date de 148F7 et, enfin, une seconde sentence, en forme d'hommage, « .VIVE. LE. ROY. LOUIS. ». La $,e.conde travée du corps sur rue est dédiée au logement. Elle est accessible depuis la grange. Ce logis se compose d'au moins deux pièces au rez-de-chaussée, avec une première salle implantée sur la rue. Elle est équipée d'une cheminée appuyée sur un mur de refend. Ce dernier délimite une seconde pièce, plus au nord, qui est éclairée par une fenêtre sur cour.

Le second corps de bâtiment, alors urilisé pour l'exploitation agricole, est de plan massé irrégulier. Il se divise en quatre pièces28 et paraît accessible depuis la cour par une porte appareillée en pierre de taille. Ses jambages sont vraisemblablement chanfreinés. Une seconde porte au nord, positionnée latéralement, ouvre sur le jardin. Lélévation sur cour conserve la trace d'une fenêtre à meneau au rez-de-chaussée. Celle­ci est partiellement murée, de même qu'une fenêtre à croisée placée à l'étage supérieur. Les planchers qui séparent le rez-de-chaussée du premier sont en mauvais état, en particulier celui de la première salle servant de cuverie. Seule une poutre longitudinale et deux rives sont conservées. Les solives sont en revanche très dégradées. La première salle renferme quelques équipements domestiques, dont deux niches et les traces d'une cheminée. La pièce immédiatement au nord, séparée par un épais refend, contient les restes d'un conduit d'évacuation des fumées29 . Elle sert alors d'écurie. Les animaux y accèdent par la porte piétonne située sur le mur nord. Les deux dernières pièces, plus à l'ouest, sont employées comme chambre à four et cellier attenant30

. Au regard des données collectées, il apparaît évident, comme le rappelle un article publié en 1837, que les différents propriétaires de cette maison natale ont fait évoluer son architecturë.

25 - Philippe-Alexandre Le Brun de Charmettes, Histoire de Jeanne d'Arc, surnommée la Pucelle d'Orléans, tirée de ses propres

déclarations, de quarante-quatre dépositions de témoins oculaires et des manuscrits de la bibliothèque du roi et de la tour de Londres,

Paris, A. Bertrand, 1817, t. l, p. 243-244.

26 - Jean-Baptiste Jollois, Histoire abrégée de la vie et des exploits de Jeanne d'Arc, surnommée la Pucelle d'Orléans, suivie d'une notice

descriptive du monument élevé à sa mémoire à Domremy, de la chaumière où l'héroïne est née, des objets antiques que cette chaumière

renferme, et de la fête d'inauguration célébrée le 10 septembre 1820, Paris, P Didot l'Ainé, 1821, p. 155-159.

27 - Au regard de la documentation collectée, il s'agit du plus ancien chronogramme lorrain appliqué sur la façade extérieure d'un édifice privé.

28 - Jean-Baptiste Jollois, op. cit., p. 165 à 169 et 17l.

29 - Il équipait vraisemblablement un four détruit en 1818, voir dans Gaston Save, « La maison de Jeanne d'Arc est-elle authentique? », La Lorraine-Artiste, n050, 1892, p. 802-806.

30 - Le four était adossé au parement extérieur du mur nord et a aussi été détruit au moment des travaux de dégagement de 1818-1820, voir dans Gaston Save, op. cit., p. 802-806.

31 - Le magasin pittoresque, 1837, p. 44-45.

3 - POUR UNE ARCHÉO-ANTHROPOLOGIE D'UNE DEMEURE LORRAINE

Le projet de restauration, prescrit par le département des Vosges en 1820, est le point de départ des travaux qui visent à authentifier le site et restituer sa physionomie ancienne. Charles Haldat du Lys établit une parenté entre certains vestiges et la famille de Jeanne d'Arc. L'auteut exploite pour cela les caractéristiques techniques et décoratives du linteau sculpté. Cette pierre de taille, qui figute l'armorial des héritiers de Jeanne d'Arc, semble, selon lui, en situation de réemploi. Il postule, en accord avec Prosper Jollois, l'ingénieut chargé de la restautation du site, que le linteau couvre initialement l'une des portes piétonnes du corps secondaire32

. POut accréditer cette hypothèse, les deux chercheuts insistent sur la similarité des matériaux ainsi que sur la correspondance entre les moulures à la retombée de l'arc et celles taillées sur les jambages de la porte. Une série de relevés vient illustrer et appuyer l'idée que le deuxième corps de bâtiment date du Moyen Âge. D 'autres indices, comme la présence de baies partiellement bouchées sur l'élévation sur cour et les traces de destruction d'une cheminée dans la cuverie, semblent corroborer cette interprétation. La distribution des espaces intérieurs, limitée à quatre pièces au rez-de-chaussée, permet enfin de formaliser le plan au sol. La démonstration de l'antériorité dl;l corps secondaire ne sera plus jamais discutée, ni les limites du bâtiment originel. À l'évidence, tous ou presque s'accordent pour entrevoir le lieu de naissance de Jeanne d'Arc derrière les murs d'un corps de bâtiment fortement dénaturé33 •

Dès lors, seule compte la restitution des espaces anciens avec la cuisine, lieu supposé de la naissance de Jeanne d'Arc, la chambre de Jeanne, celles de ses frères et le cellier de la maison34

• Prosper Jollois fait ainsi démolir l'ensemble des constructions attenantes, laissant à la vue des visiteurs ce que tous jugent être la partie authentique du site. Le paysage architectural est donc fortement modifié. Un seul corps de bâtiment reste érigé aux abords de l'église, se démarquant par sa toiture en appentis. Les baies anciennes sont restituées sur les deux niveaux de la façade principale. La porte piétonne est modifiée pour recevoir le linteau armorié. Une cheminée, provenant du logis sut la rue, est placée au centre de la première pièce. Hors les murs, une annexe en appentis reste adossée à l'élévation sud. Elle est abattue en 1894, lors du réaménagement du jardin environnant l'édificë .

La construction ainsi dégagée va faire l'objet de plusieurs phases de restauration. En 1830, son état sanitaire nécessite un entretien dont l'ampleur nous échappe. En 1839, la toiture est refaite et la porte piétonne est surmontée d'une niche à statue. Le projet d'installation d'un musée, entre 1893 et 1896, engage de nouveaux travaux à l'étage. Au terme de ces chantiers, un nouvel escalier donne accès au niveau supérieur, tandis qu'une baie à meneau équipe le rez-de-chaussée de la façade principale. Les pieds de murs sont assainis grâce à un drainage périphérique. Les travaux mettent alors au jour des vestiges enfouis, dont les fondations d'un bâtiment préexistant, ainsi que des traces de reprises de maçonnerie et des rehaussements des niveaux de sol. Ces nouvelles observations sont assez mal reçues, pour ne pas dire vivement critiquées. L'analyse de Gaston Save, inventeur des découvertes, souffre de quelques confusions36,

mais insinue tout de même que le corps de bâtiment conservé n'est pas homogène. Le bâti primitif ne lui apparaît délimité que par quatre murs très épais, situés dans la partie nord de l'habitation. La chronologie de ces différentes phases de construction est aussi débattue sur la base de critères styliques. Et Gaston

32 - Charles Haldat du Lys, Relation de la fête inaugurale célébrée à Domremy, le 10 septembre 1820, en l'honneur de Jeanne d'Arc,

suivie de deux dissertations sur l'authenticité de la maison de l'héroïne et sur les monuments anciennement érigés à sa gloire dans

la p rovince de Lorraine, N ancy, imprimerie de c.-J. Hissette, 1820, p. 268 ; Jean-Baptiste Jollois, op. cit., p. 159.

33 - Nicolas Villiaumé est l'un de ceux qui présente les plus franches critiques à l'encontre de cette hypothèse, considérant que l'édifice n'est pas authentique, mais simplement reconstruit avec des éléments pris sur place et provenant de la maison originelle, voir dans Nicolas Villiaumé, H istoire de Jeanne d 'Arc et réfutation des diverses erreurs publiées j usqu'à ce jour, Paris, E. D entu, 1863, p. 49.

34 - Nombre de publications relayeront ces informations sans préjuger de leur surinterprétation.

35 - Pierre Marot, op. cit., p. 56-57.

36 - Notamment sur l'orientation des vestiges.

Save, rajeunissant l'édifice, de dater les baies et équipements divers, au plus tôt, des XVIe-XVIIe siècles. Il ouvre ainsi, à la fin du XIXe siècle, un débat sur l'authenticité de l'architecture en présence. Le sujet est délicat, au point d'aiguiser la sensibilité des autorités et des passionnés locaux, mais les erreurs descriptives décrédibilisent son enquête. Les enjeux politiques liés à l'unité nationale et la Première Guerre mondiale finiront par éteindre l'âpreté du débat au début du xxe siècle.

Le postulat retenu depuis envisage que l'édifice n'a pas stricto sensu abrité la naissance de Jeanne d'Arc. La construction est, au mieux, fortement modifiée à la fin du xv< siècle par les héritiers de Jacques d'Arc, frère aîné de Jeanne. À moins que sa construction n'intervienne que dans la première moitié du XVIe siècle, sur les lieux de l'habitation familiale, ou à forte proximité. Malgré ces incertitudes, l'architecture est emblématique car elle a connu les premières tentatives d'archéologie appliquée au bâti civil médiéval. Les diverses opérations menées sur le site prouvent que la construction rurale lorraine, parfois profondément stratifiée, conserve des témoignages de l'évolution de l'habitat régional depuis le xv< siècle. D 'autres architectures palimpsestes, offrant une diachronie structurelle ou décorative, sont ponctuellement découvertes en Lorraine37 . Larchitecture de la maison natale de Jeanne d'Arc n'est pas un cas isolé. Un corpus de bâtiments lorrains38

, dont l'importance numéraire commence seulement à être perçue39,

offre de multiples points de comparaison. Lhistoire veut que le site puisse être rattaché à une cin quantaine de cas datés des XV<-xvre siècles40 dans les cantons périphériques41

• Ces référentiels, augmentés d'exemples issus du diocèse de Toul, suffisent à réévaluer la place de l'architecture johannique dans le paysage bâti du Moyen Âgé 2

• Il est ainsi possible de réviser les spécificités relatives à son implantation, ses matériaux de construction, son parti de composition en façade et ses principaux équipements domestiques.

37 - Le phénomène de pétrification des vestiges des XY"-XVIe siècles a notamment été démontré dans un canton de la plaine sous vosgienne, cf. Ivan Ferraresso, « Architecture civile médiévale et Renaissance en pays castinien », dans Jean-Paul Rothiot, Jean-Pierre Husson (éd.), Pays de Châtenois, la ruralité dans la plaine des Vosges, Journées d'Études Vosgiennes, Épinal, Société d'Emulation des Vosges, 2007, p. 89-118.

38 - Les limites régionales de ce corpus sont en partie liées au découpage administratif actuel. En effet , l'enquête menée en Lorraine se base sur des fonds documentaires établis par les services régionaux de l'archéologie et du patrimoine. Il eut été intéressant d'étendre ce corpus au département de la H aute-Marne, mais les rares enquêtes menées sur l'architecture médiévale privée ne se sont pas tournées vers les territoires en marge de Domremy-la-Pucelle. Aucun bâtiment rural n'a clairement été mis en évidence dans les can tons de Bourmont, Clefmont, Poisson et Saint-Blin-Sémilly. En revanche, le potentiel révélé à l'occasion d'un travail universitaire dans le sud haut-marnais laisse à penser que des vestiges existent peut-être, voir dans Julien Marasi, Étude de l 'habitat civil médiéval en Haute-Champagne, Mémoire de D EA, Nancy, Université de Nancy II, Laboratoire d'Archéologie Médiévale de l'Est, 2001, 64 p.

39 - Quelques centaines de sites actuellement répertoriés d'après nos recherches en Lorraine.

40 - Il est entendu que le corpus réunit des édifices médiévaux ou postmédiévaux et des éléments architecturaux en réemploi ou isolés .

4 1 - Canton de Coussey (3 1 bâtiments dans 10 agglomérations rurales : Autigny-la-Tour, Brancourt, Clerey-la-Cote, Fruze, H armonville, Maxey-sur-Meuse, Moncel-sur-Vair, Ruppes, Punero t et Soulosse-sous-Saint-Elophe), canton de Neufchâteau (10 bâtiments dans 7 agglomérations rurales: Bazoilles-sur-Meuse, Beaufremont, Grand, H archéchamp, H ouéville, Lemecourt, Pompierre), canton de Vaucouleurs (7 bâtiments dans 4 communes : Burey-la-Cote, Goussaincourt, Sauvigny et Ugny-sur­Meuse) , canton de Gondrecourt-le-Château (3 bâtiments dans deux communes: Mauvage, Demange-aux-Eaux) . Sont exclus de l'inventaire les édifices urbains reconnus principalement à Neufchâteau, mais également à Gondrecourt-le-Château ou Vaucouleurs.

42 - En effet, le secteur n'est pas sous-représenté, à la différence d'autres zones régionales telles que le Plateau lorrain ou le Pays­H aut. Les caractéristiques architecturales intrinsèques de l'édifice domremois sont par ailleurs assez nombreuses pour débattre des aspects techniques et es thétiques de la construction .

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Fig. 4 : Relevés d'architecture effectués en 1820, in Jean-Baptiste-Prosper Jollois, Histoire abrégée de la vie et des exploits de Jeanne d'Arc, surnommée la Pucelle d'Orléans, suivie

d'une notice descriptive du monument élevé à sa mémoire à Domremy, de la chaumière où l'héroïne est née, des objets antiques que cette chaumière renferme, et de la fête d'inauguration

célébrée le 10 septembre 1820, Paris, P. Didot l'Aîné, 1821, planche 5 hors texte.

Limplantation de la maison au sein d'un îlot densément occupé n'a, semble-t-il, jamais suscité de débat. Pourtant, ce contexte témoigne de contraintes parcellaires peu fréquentes en milieu rural. En l'état actuel de nos recherches, aucun village du Bassigny et des Vosges occidentales ne présente cette configuration43 .

Elle n'est peut-être pas sans rapport avec la proximité d'une église car les aÎtres ont parfois attiré, dans un espace restreint, un habitat concentré. Quelques villages lorrains conservent ce type d'établissements dont l'existence est motivée, au Moyen Âge, par les protections juridiques et parfois physiques de l'espace sacré. Dans le diocèse de Toul, notamment dans la vallée du Rupt-de-Mad, plusieurs villages, comme Bayonville, présentent ce genre de parcellaire fossile. Lexistence d'un aÎtre habité à Domremy-la-Pucelle est une hypothèse qui n'aurait pu être confirmée que par des investigations archéologiques au voisinage de l'église et des habitations44

. Pour autant qu'elle puisse être rattachée à une protection religieuse, la maison dite de Jeanne d'Arc est aussi apparue, au milieu du XVIe siècle, isolée de tous les côtés. Cette configuration, devenue moins fréquente dans les villages de la fin du Moyen ÂgéS, est toujours visible à Battigny. Cette autre paroisse du diocèse s'est développée sur un versant des côtes de Moselle. Dominant le village, la demeure, presque accolée à l'église Saint-Germain, possède une esthétique qui la rapproche des architectures nobles. Son plan massé irrégulier est d'une superficie légèrement supérieure à l'actuelle maison johanniqué6• Le bâtiment, construit en moellon et pierre de taille, comporte des espaces de stockage. Il possède par ailleurs des caractéristiques décoratives qui s'apparentent à celles rencontrées 'i"Domremy et qui permettent de dater l'ensemble du XVIe siècle47 . Ce genre architectural, vraisemblablement promu par l'élite rurale, semble se détacher du paysage villageois grâce à sa forme architecturale ou sa mise en valeur topographiqué8

43 - Elle est en revanche plus souvent associée à des phénomènes de densification de l'habitat urbain (bourg castraI, agglomération secondaire ou ville épiscopale). Lorganisation des village-tas, qui caractérisent assez souvent les habitats lorrains implantés en revers de côte, pourraient aboutir à ce genre de matrice parcellaire, mais les exemples consultés ne correspondent en rien à l'exemple de Domremy-la-Pucelle.

44 - Le projet de construction du centre d'interprétation johannique à 50 m au nord-ouest du site a permis d'observer, dans le cadre d'un diagnostic archéologique, deux caves voûtées datées de l'époque contemporaine. Lune d'entre elles était équipée d'un puits. Aucun vestige médiéval n'a été rencontré dans ce secteur, voir dans Rémy Jude, Centre d'accueil, Domremy-la-Pucelle,

rue de Derrière-l'Église (Vosges), rapport de diagnostic archéologique, avril 1997, Metz, SRA Lorraine, Afan Grand-Est, 1997,

8 p.

45 - Les sources écrites du verdunois et les découvertes archéologiques récentes à Demange-aux-Eaux livrent une vision parfois aérée du bâti villageois du Moyen Âge central dans le bassin versant de la Meuse, voir dans Alain Girardot, op. cit., 1992,

p. 27-230 pour le verdunois et Franck Gérard, La structuration du village pour une économie agraire planifiée à la fin du /)( siècle

en Lorraine, les sites de Vitry-sur-Ornes et Demange-aux-Eaux, Archéopage, n034, Inrap, Juillet 2012, p. 38-47. Néanmoins, quelques vestiges de bâtiments de l'extrême fin du xv< siècle ou du XVI' siècle supposent une progression de l'architecture pensée pour être mitoyenne, où seuls les usoirs au devant de la maison sont préservés. Ces formes prévues pour lotir le village dans des parcelles en profondeur sont par exemple reconnues à Beaufremont, au 8, voie du Cerf ou Houéville, dans la rue de l'Église, mais aussi à Aingeray, au Il, rue du Vau, Thuilley-aux-Groseilles, au 3, rue du Château, voir pour ces deux derniers exemples dans Ivan Ferraresso, « Larchitecture domestique du Moyen Âge et des débuts de la Renaissance en Meurthe-et-Moselle (XI' ­XVI' siècles), Monuments de Nancy et Lorraine méridionale, Congrès archéologique de France, n0164, Paris, Société Française

d'Archéologie, 2008, p. 279-282.

46 - Ses dimensions seraient sensiblement équivalentes en restituant les deux pièces ouest détruites en 1820. Il s'agit des seules parties où les murs respectent relativement bien l'orientation des vestiges conservés.

47 - Des éléments architecturaux, datant de la fin du xv< siècle, sont aussi réemployés, en particulier un linteau décoré d'un arc

en accolade redentée.

48 - Le voisinage immédiat d'un lieu de culte est longtemps resté un argument fondamental, tant pour l'authentification de la maison natale de Jeanne d'Arc que pour expliquer le mysticisme de l'héroïne. À Battigny, une enquête archivistique approfondie permettrait peut-être de retracer le parcours de ses détenteurs. En tout cas, l'histoire ne nous dit pas si la dizaine d'habitants condamnés pour cause de sortilège entre le XVIe et le XVII' siècle à Battigny ont assidûment fréquentés la demeure, voir dans Henri Lepage, Communes de la Meurthe, journal historique des villes, bourgs, villages, hameaux et censes de ce département, Nancy, A. Lepage, 1853, vol. l, p. 106. D'autres sites ruraux possèdent ce genre architectural pour la première moitié du XVI' siècle, notamment à Damblain, au 12, rue des François ou à Frémonville, voir pour ce dernier exemple dans Ivan Ferraresso, « Larchitecture domestique ... », op cit., p. 279-280.

Alors que l'implantation tend à différencier l'édifice domremois, les matenaux utilisés pour sa construction, en particulier le moellon et la pierre de taillé9, paraissent autrement significatifs. En effet, l'utilisation de la maçonnerie a laissé des traces suffisamment pérennes dans le paysage bâti pour suggérer son développement à partir des xV-XVIe siècles en milieu rural. Dans le Bassigny, l'exploitation des fronts de taille calcaires et des affleurements de pierres à bâtir semble alimenter très progressivement la construction privée au cours du second Moyen Age. Le rythme d'apparition des matériaux lithiques dans l'économie du chantier demeure encore incertain, mais il apparaît que leur usage n'est déjà plus seulement réservé aux classes sociales les plus aisées. Ainsi, certains des bâtiments édifiés en pierre, dans un faible rayon autour de Domremy-la-Pucelle, à l'image de BeaufremontSO, intègrent les principaux équipements associés au monde rural, tels que les espaces d'engrangement, le logement des animaux ou les zones à vocations artisanales. Ces nouveaux édifices témoignent alors des différents segments de la société rurale. Dans ce contexte, les bâtisseurs de la maison natale font sans doute appel à des matériaux considérés comme une valeur sûre, en pleine progression sur le marché de la construction. Pour autant, l'architecture résidentielle de bois, qui n'est aujourd'hui plus une réalité dans l'ouest vosgien, devait être encore très largement usitée jusque dans un passé plus récentSl . Sa répartition sociale comme sa valeur marchande est, en revanche, totalement ignorée en contexte rural.

Le renforcement de l'art de bâtir en pierre entre l'extrême fin du Moyen Âge et les débuts de l'époque moderne laisse augurer l'émergence et la propagation de compositions architecturales pérennes. Pourtant, la façade principale de la maison de Domremy-la-Pucelle, dont la partie supérieure est rampante, souffre clairement d'un manque de comparaisons. Ce profil d'élévation, peu conventionnel, voire unique, est peut­être lié à un arasement post-médiéval. Sa disposition initiale nous échappe mais l'éventualité d'une façade à pignon partiellement détruite ne peut être totalement écartée52 • Ce dispositif, qui est reconnu pour cinq bâtiments situés à moins de 20 km de Domremy-la-Pucelle, reste tout de même marginal dans le Bassigny53 . La forme des baies semble également renforcer, de prime abord, la singularité de la demeure johannique. En tout cas, la fenêtre à meneau n'est a priori pas un module plébiscité dans l'architecture rurale du début du XVIe siècle54. La fenêtre à croisée, à peine plus fréquente, peut être mise en relation avec des édifices dotés d'un étage carré d'habitation55 . Ainsi, la typologie des baies semble rapprocher la maison natale des bâtiments détenus par les couches supérieures de la société rurale. Pour autant, le vocabulaire décoratif usité à Domremy-la-Pucelle s'inscrit dans un environnement culturel plus étendu. Larc trilobé qui décore le linteau de la maison natale, au-delà de ses attributs nobiliaires, paraît d'un usage assez fréquent. Dans le secteur domremois, ce motif est au moins attesté depuis les XIV-xV sièclesS6.

Il se décline encore à l'entrée de quelques exploitations rurales aux alentours de la première moitié

49 - Les gisements en pierre sont réputés de bonne qualité à Domremy, voir dans Charles Haldat du Lys, op. cit., p. 270.

50 - 274, Voie du Cerf, les autres exemples se situent à Autigny, 5, rue Dargonel ; Bazoilles-sur-Meuse, l , rue de l'Abreuvoir; Brancourt, 4, rue de la Chalade ; Houéville, rue de l'église.

51 - Les secteurs boisés de Darney conservaient encore au XVII ' siècle 130 maisons forestières faites de terre et de bois, voir dans Charles Augustin Piroux, Moyens de préserver les édifices d'incendies et d'empêcher le progrès des flammes, Strasbourg, Chez les frères Gay, 1782, p. 32, note a.

52 - Au regard de cette seconde hypothèse, l'édifice aurait pu compter, comme cela a déjà été évoqué dans une note précédente, deux pièces détruite en 1820 et situées plus à l'ouest. Il s'agissait des seules parties apparaissant dans l'axe des vestiges conservés jusqu'à présent.

53 - Brancourt, 18, Grande rue ; Moncel-sur-Vair, 12, Grande rue ; Soulosse-sous-Saint-Elophe, 24, Route Nationale; Rouvres-la-Chétive, rue de Béatisé (détruit) et l, rue de Landaville. Pour autant, aucune investigation n'a permis de confirmer leur cohérence architecturale ou leur datation, souvent estimée, en première intention, aux alentours du XVI' siècle.

54 - Autigny, à l'étage du 10, rue Dargonel, et au-delà du secteur qui nous intéresse, à Rouvres-la-Chétive, au rez-de-chaussée du l , rue de Landaville et Vouxey, à l'étage d'un bâtiment de la rue du Han.

55 - Les principaux points de comparaison sont situés à Punerot, à l'étage du 14, rue de la Banvoie; à Grand, à l'étage du 44, Grand rue et à Harchéchamp, au rez-de-chaussée et à l'étage du l, place de la Libération.

56 - Un seul exemple semble dater de cette période, à Bazoilles-sur-Meuse, rue d'Haréville.

du XVIe siècle et dans le cadre de réemplois bien plus tardifs57. Pour autant, la stylistique des couvrements de baie à l'entrée de l'époque moderne apparaît plus variée encore. Les principaux exemples conservés donnent à voir des modèles à petite accolade sur linteau droit58 et des formes à large accolade redentée59•

Autrement, de rares spécimens se composent d'un plein cintre bilobé à écoinçons6o pendant que d'autres intègrent des bas-reliefs ou des motifs en rosace, voire même une table rentrante à remplage flamboyant61

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Fig. 5 : Localisation des vestiges d'architecture domestique des XIIIe-XVIe siècles aux environs de Domremy-la-Pucelle.

57 - Maxey-sur-Meuse, 22, Grande Rue; Beaufremont, rue de l'église (deux exemplaires dont l'un possède un écu dans le lobe. central) ; Punerot, 6, Grand rue ; Pompierre, 13, rue Président Kennedy; Mauvages, 65, rue Basse, avec une niche centrale; Burey-la-Côte, 14, La Grande Rue.

58 - Autigny, 5, rue Dargonel et 8, rue de la Roche; Beaufremont, 274, Voie du Cerf, Brancourt, 4, rue de la Chalade, 18,64 et non numéroté, Grande rue ; Fruze, 17, route de Fruze ; Moncel-sur-Vair, Il et 12, Grande rue ; Punerot, l, place de l'Église; Soulosse-sous-Saint-Elophe, 24 et non numéroté, Route Nationale.

59 - Clerey-la-Cote, 2, rue de l'Eglise (avec deux écus et une niche centrale) ; Harmonville, rue de la Chapelle (avec niche centrale) ; MaXey-sur-Meuse, 8, rue du Four; Mauvages, 57, rue Basse (avec un socle à statue centrale) ; Burey-la-Côte, 36, La Grande Rue (ensemble pour la porte à haute accolade, niche centrale et armoirie, dite la maison de l'oncle de Jeanne d'Arc et sur le linteau de la fenêtre accolée).

60 - Maxey-sur-Meuse, 2 rue de Bourgogne (accompagné d'une niche centrale).

61 - À Savigny, respectivement au 5, Grande Rue, 26, rue du Bois et 3 Grande Rue.

La représentation sociale du bâtiment peut également être estimée au travers des équipements domestiques tels que la cheminée. Les traces observées dans la maison natale supposent que le système de chauffage est adossé à un mur portant le faîte de la toiture. Cette implantation demeure, à l'image du profil de la façade, un cas isolé. En revanche, plusieurs exemples, implantés au centre du bâti, disposent d'un conduit de cheminée sortant le long du faîté2

• Ce genre de cheminée est plus souvent intégré à un mur de cloisonnement du logis. Elle possède dans ce cas un long coffre qui traverse le niveau d'engrangement ou de stockage pour atteindre les parties hautes du toit. D'autres techniques ou choix d'implantation se côtoient à la même époque. Certains s'appuient sur un refend transversal situé au premier tiers du bâti63

,

d'autres sont placés au centre d'un mur pignon latéra164. Le modèle, sans doute le plus ancien conservé in situ, certainement daté de la fin du xv" siècle, donne à voir un équipement de chauffage sur deux niveaux65 • Le rez-de-chaussée présente un foyer intégré dans l'épaisseur de la maçonnerie et un coffre débordant à l'extérieur du pignon latéral. À l'étage, la cheminée est adossée et le conduit d'évacuation se raccorde au coffre extérieur en traversant progressivement l'épaisseur du mur. L'ensemble de ces points de comparaisons suggère que l'usage de la cheminée à foyer ouvert intéresse différentes couches de la société puisqu'ils sont présents dans des bâtiments résidentiels comme dans des édifices à vocation agricole ou artisanalé6• Du point de vue stylistique, Gaston Save avait émis, en son temps, des doutes sur l'origine médiévale de la cheminée restituée dans la cuisine. En l'état actuel des connaissances, sa typb logie, faite d'un manteau porté par deux piédroits pénétrants à profil concave, semble employée depuis au moins le début du xvre sièclé7• Cependant, le manteau à entablement correspond à un vocabulaire stylistique qui renvoie à une esthétique de la Renaissance, mieux cernée autour de 155068

. Une cheminée, bien plus décorée, présente un manteau du même ordre à Houévillé9, en 1575, mais il est dorénavant porté, comme à Autigny70, par des piédroits à profil galbé.

Au terme de notre enquête, il apparaît que de nouvelles investigations archéologiques seraient à prescrire. Elles offriraient des réponses définitives sur les composantes architecturales de la maison médiévale de Domremy-la-Pucelle. En effet, plusieurs points demandent encore à être vérifiés, comme les limites exactes du bâti primitif, la synchronie des différentes salles, l'existence de structures toujours dissimulées dans les élévations et sous le sol, le nombre de remaniements ou encore les origines de la façade à l'arase rampante7!. En attendant, le site a pu être revisité en confrontant les données monumentales avec un corpus architectural principalement issu des Vosges occidentales et de l'extrême sud meusien. Dans ce contexte, la maison domremoise, en partie désincarnée au contact d'autres formes bâties,

62 - Grand, deux exemplaires au 44, Grande rue, avec placard chauffant à l'arrière; Harchéchamp, l, place de la Libération.

63 - Beaufremont, 274, voie du Cerf.

64 - Houéville, rue de l'Église; Autigny, 10, rue Dargonel ou plus éloigné dans le diocèse, à Thuilley-aux-Groseilles, 3, rue du Château.

65 - Aulnois, 4, rue du Han, l'édifice appartient à l'architecture de l'élite rurale.

66 - Les exploitations agricoles peuvent également posséder un type de cheminée dite au large, où une partie du plafond est ouverte pour permettre l'évacuation des fumées dans un large conduit trapézoïdal, un exemple conservé daté du milieu du XVIe siècle à Loromontzey, diocèse de Toul, doyenné d'Épinal, au 18, rue Principale.

67 - Principaux exemples à Harchéchamp, l, place de la Libération et Grand, 44, Grande Rue.

68 - Un exemple relativement proche à Maxey-sur-Meuse, au 2, rue de Bourgogne.

69 - Rue de l'église.

70 - 10, rue Dargonel.

71 - Il est possible que la datation absolue du site demeure impossible. En tout cas, l'étude dendrochronologique des vestiges semble peu engageante. Les bois, de faibles sections, semblent présenter un nombre à peine suffisant de cernes pour échantillonner la courbe, s'ils n'ont tout simplement pas été remplacés entre le XVIe et le XIXe siècle. En outre, Gaston Save rapporte avoir observé des changements importants des niveaux de sol et des hauteurs de plafond.

est maintenant replacée au sein d'une aire culturelle de référence. Selon toute vraisemblance, l'édifice appartient à un genre architectural qui émaille ponctuellement la frange ouest de l'ancien diocèse de Toul. Pour une part, ses correspondances techniques ou esthétiques peuvent intéresser l'histoire car elles insinuent que le paysage architectural aux environs de Domremy-la-Pucelle forme une unité culturelle aux rr-xvre siècles. Ce fait contraste avec le morcellement domanial, administratif ou juridique du secteur et va même à l'encontre d'une lecture parfois trop francocentrée de l'identité johannique. Il est évident que la construction privée est un repère culturel qui façonne les références individuelles ou collectives des habitants au même titre que les facteurs politiques.

Du point de vue de l'histoire matérielle, l'architecture renforce notre perception du niveau social des individus et de leur milieu d'appartenance. D 'ascension nobiliaire récente, les premiers détenteurs connus de la maison de Domremy-la-Pucelle semblent véhiculer, au travers de leurs choix architectoniques, les symboles de leur corps social. Lisolement de la parcelle, le choix des matériaux, le bénéfice d'un étage d'habitation, la forme et la stylistique des baies trahissent le rang des propriétaires bien qu'il manque encore des éléments de compréhension fondamentaux, tel que le système de circulation vers l'étage72

ou la destination exacte des lieux73• La fonction du bâtiment demeure un point de questionnement particulièrement important car la réponse n'est pas seulement à chercher dans la forme du bâ-ti. La sentence « .VIVE. LABEUR.» inscrite sur le linteau de porte74, à l'image de celle présente sur le manteau de cheminée d'une exploitation d'Houéville, où il est inscrit « .NASC!. LABORARE./. MORI. », fait clairement référence à l'une des valeurs essentielles des classes supérieures laborieuses du monde rural. Cependant, les vestiges n'indiquent pas, en tant que tel, les activités développées au sein de l'édifice.

Face au diagramme des possibles architecturaux de l'époque75, l'identité des résidents se formalise également de façon latente. Gaston Bachelard suggérait que la maison natale « inscrit en nous la hiérarchie des diverses fonctions d'habiter » et que « toutes les autres maisons ne sont que des variations d'un thème fondamental » (Bachelard [1957J 1972 : 32-33). Ainsi, la maison natale qui nous intéresse doit être entendue comme un espace phénoménologique et une référence patrimoniale pour ses occupants. Bien qu'aucune donnée matérielle ne nous soit parvenue sur sa maison d'enfance, il est évident que Jeanne d'Arc a également façonné son sentiment d'appartenance culturelle à l'occasion de ses voyages. Très tôt, à Neufchâteau, puis à Vaucouleurs, la future héroïne est confrontée à des pratiques résidentielles différentes, marquées par la vie urbaine, celles des hautes caves voûtées et soutenues par des piliers, des ruelles étroites, des logements concentrés ou des premiers immeubles de rapport. Un climat résidentiel distinct des campagnes avoisinantes. Ainsi, au cours du périple de l'héroïne, différents espaces d'habitation ont probablement renforcé sa perception identitaire. Le souvenir de sa maison natale, de ses origines, a construit sans nul doute son individualité: française pour les Anglais et lorraine pour les Français. Mais en définitive, si l'architecture domestique semble avoir une capacité structurante, à l'échelle historique, la force et l'image du personnage de Jeanne d'Arc l'est tout autant. Pour s'en convaincre, il suffit de décompter les autres maisons médiévales attribuées à Jeanne d'Arc hors de la Lorraine.

72 - Présence d'un escalier droit interne ou d'une tourelle d'escalier en vis adossée sur une élévation.

73 - Architecture uniquement résidentielle ou dotée de corps d'exploitation annexes.

74 - En un sens plus signifiante que l'armorial.

75 - Avant même d'évoquer des typologies architecturales précises, plusieurs solutions techniques sont disponibles à l'époque : cabane excavée; bâtiment à poteaux plantés, sur solins, élevé par un empilement de madriers, un pan de bois ou construit en maçonnerie, avec ou sans fondations profondes.