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Théories féministes : différentes voies vers l’émancipation des femmes1
Par Valérie Leduc,
Professeure en science politique, Collège de Valleyfield et au Collège Lionel-Groulx
(1) L’objectif ici est de présenter les différents cadres théoriques féministes ainsi que
certaines catégories d’analyse qui nous aide à mieux comprendre les fondements de ces
idées politiques. Nous présenterons les féminismes libéral, matérialiste et queer, qui
proposent une compréhension des rapports entre les hommes et les femmes et différentes
(5) façons de pallier à ces rapports inégalitaires.
Avant toute chose, il est impératif de définir ce qu’est le féminisme, qui est :
Une prise de conscience individuelle et collective de l’oppression et de
l’exploitation des femmes comme groupe, qui mène à se révolter contre
la subordination des femmes dans la société, contre le patriarcat et les
(10) différents systèmes d’oppression, producteurs d’inégalités
sociales.2
Le féminisme est souvent utilisé au pluriel désignant ainsi les féminismes puisqu’à partir
de cette prise de conscience, il y a plusieurs théories qui tentent d’expliquer pourquoi et
de quelles façons les femmes sont oppressées au sein de la société3.
Avant de présenter les trois cadres théoriques, nous souhaitons présenter deux concepts
(15) qui transcendent les théories féministes présentées. D’abord, les féministes
s’intéressent à la notion de rapports sociaux de sexe qui sont caractérisés par des tensions
entre les hommes et les femmes4. Pourquoi parler de rapport plutôt que de relation? En
fait, le concept de rapport, contrairement au concept de relation, est associé à une tension
1 Texte étudié dans le cadre du cours Pouvoir, démocratie et liberté au Collège Lionel-Groulx 2 Elsa Beaulieu, Notes personnelles prises lors du cours POL4022-10, Femmes et développement, Université du Québec à Montréal, Été 2011 3 LouiseToupin, Les courants de pensée féministe. En ligne. http://archivesfemmes.cdeacf.ca/documents/
courants0.html#qqf. Page consultée le 12 avril 2013 4 Les féministes matérialistes affirmeront qu’on observe des tensions entre la « classe des hommes » et la
« classe des femmes ».
2
qui se cristallise autour d’enjeux5. Il est important de mentionner que « ces rapports
(20) sociaux reposent d’abord et avant tout sur un rapport hiérarchique entre les sexes; il
s’agit bien là d’un rapport de pouvoir, […] et non d’un simple principe de classement »6
selon les sexes. Deuxièmement, les féministes étudient et critiquent l’idée de production
d’un discours biologisant c’est-à-dire que le système patriarcal, « où les hommes
détiennent le pouvoir »7 attribue des caractéristiques et des qualités aux femmes
(25) selon leurs caractéristiques naturelles8. Ainsi, les féministes critiquent ardemment
cette production de discours biologisant et avancent que les rapports sociaux de sexes
« ne sont pas le produit de destins biologiques, mais sont d’abord des construits sociaux
[qui] se construisent par tension, opposition, [et] antagonisme autour [d’enjeux] »9. Bref,
nous associons ces deux concepts aux trois cadres théoriques féministes; matérialiste,
(30) queer et libéral et c’est pourquoi nous jugions pertinent de les présenter en guise
d’introduction.
Féminisme libéral
Le féminisme libéral, qu’on appelle aussi libéral égalitaire émane des revendications
féministes au lendemain de la Révolution française, des suffragettes et des mouvements
antiracistes américains10
. Ces adhérent-e-s « revendique[nt] l’égalité de droit pour toutes
(35) les femmes au nom de droit inaliénable de chaque individu à l’égalité et à
l’autodétermination »11
. Ce n’est pas le seul courant à prononcer cette revendication, mais
5 Danièle Kergoat, « Le rapport social de sexe. De la reproduction des rapports sociaux à leur subversion »,
In Les rapports sociaux de sexe coordonné par Annie Bidet-Mordel, Paris : Presses Universitaires de
France, Actuel Marx, n°30, 2010, p. 62 6 Guillaumin dans Kergoat, « Le rapport social de sexe. De la reproduction des rapports sociaux à leur
subversion » p. 63 7 Christine Delphy, « Patriarcat ». Dictionnaire critique du féminisme par Helena Hirata et al. Paris :
Presses Universitaires de France. 2000, p. 154 8 Colette Guillaumin, « Pratiques du pouvoir et idée de Nature. (I) L’appropriation des femmes ».
Questions féministes, no 2, 1978, p. 27 9 Kergoat, Op cit., p. 63 10 Francine Descarries, « Le projet féministe à l’aube du XXIe siècle : un projet de libération et de solidarité
qui fait toujours sens ». Cahiers de recherche sociologique, no 30, 1998, p. 186 11 Ibid.
3
il se distingue des autres courants féministes de par les stratégies qu’il propose pour y
arriver12
.
Pour les féministes libérales, ce sont « les rôles socialement imposés dans la division
(40) sexuelle du travail qui constituent la principale source de discrimination et de conflits
entre les sexes »13
. En fait, l’égalité entre les sexes sera possible uniquement par
« l’abolition des conditions discriminatoires vécues par les femmes dans les sphères de
l’éducation, du travail et de la politique »14
. Dans cette optique, il est primordial de lutter
afin de modifier « la socialisation et l’éducation des filles, de réaménager les tâches
(45) domestiques au sein de la famille et de favoriser l'accès des femmes aux lieux de
savoir et de pouvoir économique ou politique »15
. Le féminisme libéral égalitaire vise à
transformer les mentalités et les pratiques sociales au sein de la famille et dans l’espace
public16
.
Ultimement, le féminisme libéral a pour objectif de rendre chaque individu libre par des
(50) réformes politiques et juridiques. Deux concepts intéressant, mis de l’avant par ce
cadre théorique sont l’éducation et la socialisation. En fait, ce concept s’intéresse à la
socialisation différentielle selon les sexes, c’est-à-dire que dans la société, les filles et les
femmes ainsi que les garçons et les hommes reçoivent une éducation différente selon leur
(55) sexe. Ainsi, la société, rappelons patriarcale, inculque des rôles aux jeunes selon leur
sexe par l’éducation et la socialisation et plus particulièrement enferme les filles et les
femmes dans la sphère domestique et privée. Ainsi, l’éducation des enfants
« s’appuierait sur une différence naturelle, une bi-catégorisation d’ordre biologique
impliquant la complémentarité des rôles sociaux »17
et dicterait les comportements
(60) attendus dans la société. Il y aurait donc des comportements spécifiquement féminins
et d’autres masculins. Les féministes libérales sont particulièrement optimiste par rapport
au potentiel transformateur du système patriarcal puisqu’elles croient qu’en transformant
12 Toupin, Op cit. 13 Descarries, Idem., p. 186 14 Descarries, Op cit., p. 187 15 Ibid. 16 Ibid., p. 186-187 17
Claude Zaidman, « Éducation et socialisation » In Dictionnaire critique du féminisme par Helena Hirata
et al. Paris : Presses Universitaires de France. 2000, p. 51
4
la socialisation différenciée selon les sexes, le système intégrera les femmes,
actuellement victime de préjugés et de stéréotypes18
. Selon le féminisme libéral,
(65) l’éducation non sexiste des filles contribuera à changer les mentalités afin de
reconnaître l’égalité entre les sexes19
. Ce concept est intéressant afin de problématiser les
rapports sociaux de sexes « par rapport au savoir et l’accès des femmes aux carrières
scientifiques, sur les modalités de la mixité scolaire à différentes étapes de la scolarité
[et] la mise en perspective des trajectoires scolaires en fonction du sexe »20
.
Féminisme matérialiste
(70) Nommé en référence au matérialisme historique de Karl Marx, Christine Delphy
propose le féminisme matérialiste dans son texte Pour un féminisme matérialiste21
en
1975. Cette théorie découle du marxisme, théorie qui selon ces féministes ne s’intéresse
pas à l’oppression commune des femmes, mais plutôt sur les conséquences de cette
oppression sur la classe prolétarienne.22
Bref, le féminisme matérialiste rejette le postulat
(75) marxiste pour qui la lutte des classes est principale et qui avance que l’oppression des
femmes sera résolue avec l’abolition des classes sociales et le renversement du
capitalisme. C’est à partir de cette effervescence des idées de gauche dans les années
soixante et soixante-dix en France que les mouvements de femmes ont pris conscience de
la double exigence de leur lutte : théorique puisqu’elles devaient « trouver les raisons
(80) structurelles qui font que l’abolition des rapports de production capitaliste en soi ne
suffit pas à libérer les femmes »23
et qu’il est nécessaire de considérer d’autres
composantes dans ce rapport inégalitaire et politique puisqu’elles devaient « se constituer
en force politique autonome », dissocié du marxisme24
. En fait, le féminisme matérialiste
cherche les causes de l’oppression spécifique des femmes dans les rapports entre la classe
(85) des hommes et la classe des femmes et particulièrement à travers l’accaparement de
18 Toupin, Op cit. 19 Ibid. 20 Zaidman, Op cit., p. 53 21
Christine Delphy, « L’ennemi principal [1970]», dans L’ennemi principal. Économie politique du
patriarcat. Paris: Éditions Syllepse, 1998, pp. 31-55. 22 Ibid., p. 33 23 Ibid., p. 34 24 Ibid.
5
la force de travail des femmes par les hommes25
. Ces féministes reprennent les théories
marxistes et l’appliquent, non pas aux rapports de classe entre les bourgeois et les
prolétaires, mais entre la classe des femmes et la classe des hommes.
Ainsi, cette théorie :
« Analyse [l]’oppression des femmes sur leur participation spécifique à
la production (et non seulement à la reproduction) : par le travail
domestique et l’élevage des enfants, analysés comme tâche productive.
[…] Ces essais montrent que la famille est le lieu d’une exploitation
économique : celle des femmes »26
.
(95) Le féminisme matérialiste propose la division sexuelle du travail qui signifie « […]
[l’]assignation prioritaire des hommes à la sphère productive et des femmes à la sphère
reproductive ainsi que, simultanément, la captation par les hommes des fonctions à forte
valeur sociale ajoutée (politiques, religieuses et militaires, etc.) »27
. Cette division est
basée sur le principe de séparation, c’est-à-dire qu’il y a des travaux pour les hommes
(100) et d’autres pour les femmes et sur le principe hiérarchique, à savoir qu’un travail
d’homme vaut plus qu’un travail de femme28
. Cette division sexuelle du travail a pour
conséquences l’attribution des tâches domestiques aux femmes, celles-ci n’étant pas
valorisées socialement29
.
Ainsi, le travail domestique est défini par « l’ensemble des tâches liées aux soins aux
(105) personnes [qui sont] accomplies dans le cadre de la famille – foyer conjugal et
parentèle »30
. Le « travail gratuit effectué essentiellement par les femmes »31
est la
principale caractéristique du travail domestique. Pour les féministes matérialistes, ce
25
Colette Guillaumin, « Pratiques du pouvoir et idée de Nature. (I) L’appropriation des femmes ».
Questions féministes, no 2, 1978, p. 9 26 Delphy, Op cit., p. 35-36 27 Danièle Kergoat, « Division sexuelle du travail », Dictionnaire critique du féminisme par Helena Hirata et al. Paris : Presses Universitaires de France. 2000, p. 36 28 Kergoat, « Le rapport social de sexe. De la reproduction des rapports sociaux à leur subversion », p. 64 29 Ibid., p. 66 30 Ibid., P. 249 31 Ibid. p. 249
6
travail domestique est au cœur de la condition des femmes puisqu’il est organisé par le
patriarcat notamment « […] à travers les relations sexuelles, l’éducation des enfants [et]
(110) les services domestiques […] »32
et qu’il représente l’exploitation économique des
femmes. Lorsque le travail est effectué en dehors de la sphère privée c’est-à-dire à
l’extérieur du domicile (service d’entretien ménager, service de garde des enfants, etc.), il
est valorisé et rémunéré tandis que lorsqu’il est effectué à l’intérieur du foyer il est gratuit
et non reconnu. Pour Christine Delphy, la famille est le lieu de l’appropriation
(115) matérielle de la force de travail des femmes par les hommes qu’elles soient l’épouse,
la mère, la fille ou la sœur au sein de la famille33
. À vrai dire, les femmes doivent être
disponibles en tout temps au service et au bien-être de la famille. L’obtention d’une
profession à l’extérieur pourrait garantir l’émancipation des femmes direz-vous? C’est
tout le contraire répondrons les féministes matérialistes. En fait, lorsque les femmes
(120) exercent des activités professionnelles, les rapports de domination qu’elles
connaissent au sein du foyer ne sont pas remis en cause. À l’inverse, leur assignation au
travail domestique implique une gestion du temps plus rigide et exigeante en même
temps qu’on leur assigne des normes d’excellence insérées dans une double tâche
professionnelle et domestique. Cette conception du travail domestique nous amène à
(125) traiter du prochain concept qui est l’appropriation des femmes.
Pour comprendre l’idée d’appropriation des femmes, Colette Guillaumin, féministe
matérialiste propose 4 formes d’appropriation de la classe des femmes par la classe des
hommes : l’appropriation du temps, l’appropriation des produits du corps, l’obligation
sexuelle et la prise en charge physique des membres de la famille. Nous souhaitons
(130) souligner et nous attarder sur 2 formes d’appropriations en particulier soit
l’appropriation du temps et l’obligation de prendre soin de la famille. Tout d’abord, la
classe des hommes s’approprie le temps de la classe des femmes et cette appropriation est
le résultat du « contrat » de mariage. Toutefois, comme l’a mentionné Delphy,
Guillaumin fait remarquer que ce n’est pas seulement l’épouse, mais l’ensemble des
(135) femmes qui est sujet à ce contrat. Bien que les mères, les sœurs, grands-mères, filles,
32 Kergoat, Op cit., p. 249 33 Dominique Fougeyrollas-Schwebel, « Travail domestique », Dictionnaire critique du féminisme par
Helena Hirata et al. Paris : Presses Universitaires de France. 2000, p. 250
7
tantes, etc., n’ont passé aucun contrat avec le mari, elles doivent veiller aux bons soins de
celui-ci et de la maison34
. Ainsi,
On attend que les femmes (la femme, les femmes) fassent le nettoyage et
l’aménagement, surveillent et nourrissent les enfants, balayent ou servent le thé,
fassent la vaisselle ou décrochent le téléphone, recousent le bouton ou écoutent les
vertiges métaphysiques et professionnels des hommes, etc.35
De plus, cette charge, imposée aux femmes est socialement « effectuée dans le cadre
d’une appropriation physique directe »36
c’est-à-dire que la classe des femmes est
contrainte d’assurer le bien-être physique et des soins des enfants, des malades et des
(145) personnes âgés37
.
Ces trois concepts s’articulent au sein de la famille. Il est important de mentionner que
nous considérerons la famille d’un point de vue matérialiste et queer, mais nous
reviendrons à cette distinction plus tard. D’abord, concentrons-nous sur la conception
matérialiste de la famille qui considère la famille comme lieu d’exploitation et de
(150) subordination des femmes où plusieurs enjeux économiques et politiques s’articulent
autour de la reproduction et de la production domestique. En fait, « pour Christine
Delphy, [la production domestique] est assurée gratuitement par l’exploitation
économique des femmes par les hommes[,] [qui] s’appuie sur l’institution du mariage [et]
[…] constitue la base économique du patriarcat »38
. Il s’agit donc de reconnaître le travail
(155) socialement invisible des femmes et de remettre en question la division sexuelle du
travail qui confine les femmes à la sphère domestique. Puisque le travail domestique est
effectué par les femmes, les hommes peuvent prétendre à une carrière épanouie,
prometteuse et peuvent prétendre à des avancés plus facilement.
34 Guillaumin, Op cit., p. 10 35 Ibid. 36 Ibid. p. 16 37 Ibid. 38
Anne-Marie Devreux, « Famille ». In Dictionnaire critique du féminisme par Helena Hirata et al. Paris :
Presses Universitaires de France. 2000, p. 73
8
Féminisme queer
La théorie féministe queer ou gender studies provient d’un amalgame entre les
(160) études gaies et lesbiennes, la théorie féministe et la French theory étudiés aux États-
Unis dans les années quatre-vingt-dix. Elle dépasse la sphère homosexuelle en ayant pour
objectif de déconstruire les identités sexuelles. La théorie queer s’intéressent « aux
normes qui gouvernement le genre »39
c’est-à-dire aux constructions des identités
sexuelles ancrées dans un discours dominant sur les plans social, historique et culturel40
(165) et propose de « critiquer et analyser les discours naturels »41
en remettant en
question les normes hétérosexuelles. La théorie queer avance que les humains ne naissent
pas avec un genre naturel, mais que celui-ci se réalise quotidiennement par les normes et
les contraintes. C’est par la réitération de ces normes que le genre est considéré comme
naturel et qu’il établit le cadre hétéronormatif et hétérosexiste de nos sociétés42
. Ainsi,
(170) Judith Butler, auteur de Trouble dans le genre stipule que « le genre devrait être
renversé, aboli ou rendu fatalement ambigu, précisément parce qu’il est toujours un signe
de la subordination des femmes »43
. La théorie queer vise à déconstruire les discours
biologisant qui réitèrent la naturalité de l’hétérosexualité et les discours sur la sexualité
qui s’articulent sous forme de violence des normes sexuelles44
. Par exemple, on considère
(175) comme normes sociales hétérosexistes des pratiques considérées comme féminines;
se maquiller, porter des vêtements féminins, se comporter de manière féminine45
. Le
postulat de cette théorie est que ces normes sont en fait des constructions sociales qui
s’articulent à travers la performativité, c’est-à-dire qui « n’est pas un acte unique, mais
une répétition, un rituel, qui produit ses effets à travers un processus de naturalisation qui
39
Judith Butler, « Introduction [1999] » In Trouble dans le genre. Pour un féminisme de la subversion,
[trad. Française], Paris : La Découverte, 2005, p. 44 40 Marie-Hélène Bourcier, « Foucault et après, théorie et politiques queers entre contre-pratiques
discursives et politiques de la performativité », dans Queer zones. Politiques des identités sexuelles, des
représentations et des savoirs. Paris : Amsterdam, 2006, p. 138 41
Ibid., p. 137 42
Audrey Baril, « De la construction du genre à la construction du « sexe » : les thèses féministes
postmodernes dans l’œuvre de Judith Butler ». Recherches féministes, vol. 20, no 2, 2007, p. 64 43 Butler, Idem., p. 34 44 Ibid., p. 42 45 Baril, Idem., p. 66
9
(180) prend corps, un processus qu’il faut comprendre, en partie, comme une temporalité
qui se tient dans et par la culture »46
.
Premièrement, élément central de cette théorie : le genre. Pour tout dire, le genre est une
« identité stable ou lieu de la capacité d’agir à l’origine des actes; le genre consiste
davantage en une identité tissée avec le temps par des fils ténus, posée dans un espace
(185) extérieur par une répétition stylisée d’actes »47
. L’important ici est de soulever que
l’idéal du genre, masculin et féminin est ancré dans nos actes, gestes et mouvements
courants au quotidien et que c’est la présentation et la répétition de ces comportements
normatifs qui leur permettent d’exister48
. Judith Butler parle ainsi de performativité.
Ce concept de genre est très lié aux autres catégories mobilisées dans le but d’atteindre
(190) les objectifs de notre recherche finale c’est-à-dire l’hétéronormativité, la maternité et
la famille. Commençons d’abord par le concept d’hétéronormativité qui découle de la
perspective poststructuraliste des théories queer émergeant au tournant des années quatre-
vingt-dix qui vise à comprendre « l’infériorisation des sexualités non hétérosexuelles et
[les] genres non conventionnels à travers les gestes et les discours au quotidien,
(195) qu’ils soient négatifs ou positifs »49
. Hétéronormativité pour normes hétérosexuelles
qui résulte d’un idéal de cohérence hétérosexuel entre le sexe « mâle » et le genre
« masculin » ou le sexe « femelle » et le genre « féminin ». Ainsi, ces normes
socialement construites dénigrent toutes personnes ambigües : intersexe, transsexuel-le en
(200) transition, transgenre, efféminé-e et tomboys et ceux et celles qui ne sont pas
hétérosexuel-le-s : les personnes homosexuelles, gaies et lesbiennes, bisexuelles et queer.
Nous proposons de lier le concept d’hétéronormativité au concept famille dans une
perspective queer puisqu’il remet en question l’idée d’un modèle unique c’est-à-dire la
famille conjugale, hétérosexuelle et nucléaire traditionnelle. Ainsi, cette approche
46 Butler, Op cit., p. 36 47 Butler dans Baril, Op cit., p. 64 48 Baril, Op cit., p. 65 49
Janik Bastien Charleboi, « Au-delà de la phobie de l’homo : quand le concept d’homophobie porte
ombrage à la lutte contre l’hétérosexisme et l’hétéronormativité ». Reflets : revue d'intervention sociale et
communautaire, vol. 17, n° 1, 2011, p. 130
10
(205) théorique nous permettra de considérer la remise en question ou la réitération de
cette institution qui assigne des rôles selon les natures masculine et féminine des
membres de la famille. Nous souhaitons associer la famille au concept de maternité qui
se définit comme étant le « pouvoir de donner la vie-, une fonction sociale au nom de
laquelle [certains mouvements féministes] revendiqu[ent] des droits politiques et sociaux
(210) et [qui affirment qu’elle constitue] l’une des sources de l’oppression »50
. Nous
accorderons donc une importance à la maternité puisqu’elle est au cœur d’enjeux qui
préoccupent les féministes et les femmes : elle implique de choisir entre le désir d’avoir
des enfants et la carrière professionnelle et peut redéfinir les rôles et les rapports sociaux
des membres de la famille biparentale soit homosexuelle ou hétérosexuelle et la famille
(215) monoparentale.
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