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Un balcon en forêt de Julien Gracq, Atlande (2007)

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S. Bikialo, Julien Gracq. Un balcon en forêt ; La Presqu'île, Atlande, 2007, p. 169-219

LE TRAVAIL DU TEXTE

Julien Gracq. « Quelques aspects de l’écrivain ».

Par ce titre emprunté à l’ouvrage de Gracq sur André Breton (André Breton. Quelques aspects de l’écrivain), onveut souligner l’importance de la réflexion métadiscursive de Gracq, dans ses nombreux essais, sur le styled’autres écrivains, en particulier Proust, Breton, Stendhal, Flaubert… On lira ainsi attentivement son étude surAndré Breton (en particulier les pages sur la phrase p. 481-487) mais aussi En lisant en écrivant (en particulier lasection « Langue » où se trouvent de stimulantes façons d’évoquer la langue, le mot et la phrase et laponctuation), Lettrines, Préférences, Entretiens (en particulier les entretiens avec J.-L. de Rambures etJ. Roudaut, centrés sur le « travail du texte »). Il convient d’autant plus de prendre en compte ce pan de sonœuvre qu’en plus de la stimulante réflexion globale sur l’écriture dont il témoigne, les éléments posés chezd’autres auteurs dessinent en creux des éléments de sa propre poétique.Cette poétique met en avant, que ce soit au niveau du mot ou de la phrase, le mouvement. C’est ainsi que Gracqouvre la section consacrée à « Stendhal – Balzac – Flaubert – Zola » dans En lisant en écrivant par l’idée selonlaquelle « il y a pour chaque époque de l’art un rythme intime, aussi naturel, aussi spontané chez elle que peutl’être le rythme de la respiration » (Pléiade II, 567) ; il aime Stendhal qui « réside tout entier dans sonmouvement » (O.C. II : 587), et au contraire regrette chez Flaubert la « fatalité de retombement » de sa phrase,« morne dans sa monotonie » (O.C. II : 608) : « chez Flaubert, c’est comme le bref effort d’un enlisé pours’arracher à sa glu, mais qui rapidement se paralyse dans sa fascination de l’inerte » (Ibid. : 595).« Je crois que le rapport utile de l’écrivain avec la langue est d’une nature double. D’abord pragmatique ; uneconstante fréquentation de la langue, bien sûr, par l’écriture et par la lecture, est essentielle. Ensuite un sens, quis’affine par la pratique, mais qui est toujours partiellement donné, dès le début – un sens tactile du mot, de sesharmoniques et des ses correspondances cachées, de ce que j’appelle ses « liaisons enterrées ». Ce qu’on nommeun style est pour une part essentielle une mise en résonance des mots entre eux » [Entretiens, O.C. II : 1217]On pourrait avoir confirmation de ce dynamisme loué et revendiquée par l’évocation des deux points, signemajeur de l’écriture de Gracq notamment dans Un balcon en forêt, qui marque un « mini-effondrement dudiscours », un « menu court-circuit » [En lisant en écrivant, O.C. II, p. 737].

Présentation des épreuves et remarques sur le « programme restreint » de l’épreuve de français moderne

La grammaire intervient explicitement dans plusieurs épreuves, même s’il va de soi que le « travail du texte »qu’a à mener le candidat ne se limite pas à la préparation de ces épreuves et que l’approche lexicologique,syntaxique et stylistique est au fondement de la lecture et de l’analyse des œuvres.- A l’écrit : l'épreuve écrite de l'agrégation externe (coefficient 4, durée : 2h30) se divise en trois grandesquestions : lexicologie (4 points), morpho-syntaxe (8 à 10 points), étude de style (6 à 8 points). On rappelleraque depuis les aménagements de l’épreuve en 2005 (détaillés dans le rapport du jury 2003), la question delexicologie peut consister non plus seulement en un traitement de mots ou de syntagmes isolés mais en unequestion synthétique (la question pouvant être mixte avec 2 points consacrés à des expressions et 2 points à unequestion de synthèse). Dans la question de morpho-syntaxe peut être ajoutée explicitement une perspectivediachronique (d'histoire de la langue). L'étude de style enfin ne consiste plus en un "commentaire stylistique"mais en un commentaire d'un trait ou fait de style (aspect rhétorique ou discursif, problématique générique, miseen perspective de deux notions).- A l’oral : la grammaire intervient explicitement lors de l’épreuve orale d’explication de texte de l’agrégationexterne (coefficient 12, durée de préparation : 2h ; durée de passage : 40mn) et interne (coefficient 8, durée depréparation : 3h ; durée de passage : 40mn) qui comprend une question de grammaire indiquée sur le billet depassage (donc à préparer en lui réservant au moins 30mn) et dont la liste est indiquée chaque année dans lerapport de jury. Le candidat est libre de traiter avant ou après l'explication proprement dite, en lui réservantenviron 10 à 12 minutes. On ne peut que conseiller de commencer par la question de grammaire, aussi bien lorsde la préparation (pour être sûr d’avoir le temps de la préparer et donc de ne pas froisser le toujours trèssusceptible « grammairien » en improvisant la réponse, et lors du passage, pour réinvestir dans une perspectivestylistique les phénomènes grammaticaux décrits dans l’explication de texte, en faisant référence rapidement àleur traitement grammatical.- L’épreuve écrite de français moderne de l’agrégation externe porte sur un « programme restreint » qui s’étenddes pages 9 à 151 dans l’édition de référence (Corti). On peut constater que ce découpage est justifiédiégétiquement puisqu’il correspond au retour de la permission de Grange et qu’à partir de la section suivante

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commence le compte à rebours. Scène de la sortie du « toit » et d’une sorte de sortir provisoire de la fiction.L’analyse des formes se fera de manière privilégiée dans cette partie du récit.

Conseils méthodologiques

S’il peut être utile (voire nécessaire) que le traitement du fait de grammaire soit mis en relation avec lecommentaire stylistique ou l'explication littéraire, il convient de traiter strictement la question d’un point de vuegrammatical, sans aller trop vite vers l’interprétation des formes aux dépens de leur description grammaticaleprécise. La réponse à la question de grammaire doit être organisée (les articulations peuvent apparaître) etproblématisée dans une perspective grammaticale. La structuration et la problématisation doivent s’appuyer surles occurrences du corpus et non sur une fiche de grammaire préétablie : c'est toujours en fonction d'un extraitdonné que seront répertoriées les occurrences, choisis les classements et effectuées les analyses. On ne proposeradonc pas une partie voire une sous-partie de l’explication grammaticale en indiquant que le texte n’en comportepas d’occurrences mais on se contentera d’évoquer cette possibilité absente. L’examen des occurrences ducorpus doit être détaillé et nuancé (permettant précisément la problématisation, notamment grâce aux casproblématiques).Les concepts d’analyse doivent être maîtrisés et définis avec rigueur et précision (l’agrégation reste d’abord unconcours de recrutement d’enseignants !). Il est nécessaire que les candidats maîtrisent les différents niveaux del'analyse linguistique (de la phonétique à la linguistique textuelle en passant par la morphologie, la lexicologie, lasyntaxe, l'énonciation, la grammaire de texte) et les différents modes d'approche : linguistique de la langue,linguistique de l'énonciation, rhétorique, pragmatique. Non seulement des compétences sont requises à tous cesniveaux mais il convient que le passage d'un niveau à l'autre dans les différentes analyses soit raisonné chez lescandidats. Si les compétences requises peuvent être acquises grâce à des grammaires (en particulier Riegel,Pellat, Rioul [1994] et Tomassone (dir.) [2001]) ou des ouvrages d'approche de la stylistique (en particulierHerschberg Pierrot [1993/2003]), le jury apprécie que les connaissances linguistiques soient aussi de premièremain et que les candidats soient familiarisés avec certaines approches linguistiques. C'est dans cet esprit que sontrédigées les fiches grammaticales et stylistiques qui suivent.Les champs d'application grammaticaux et stylistiques ont été choisis pour leur récurrence et leur pertinencedans l'approche du style d’Un balcon en forêt, afin de permettre un réinvestissement d'un texte à l'autre.

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LEXICOLOGIE

« Le mot pour un écrivain est avant tout tangence avec d’autres mots qu’il éveille à demi de proche en proche :l’écriture, dès qu’elle est utilisée poétiquement, est une forme d’expression à halo » [Lettrines 2, O.C. II : 299)].Le lexique chez Julien Gracq doit faire l’objet d’une attention particulière. Il y a d’abord les mots rares(« épaissement », p. 100), des mots récurrents et significatifs comme « bizarre », des sortes d’incongruitélexicales : « amazones » (p. 28), « frayaient » (p. 12), « rimer le menton » (p. 52), un vocabulaire technique de laflore, un vocabulaire technique de l’armée, un vocabulaire parfois archaïsant (« mie »), le rôle des italiques(comme ouverture à la polysémie ou sélection d’un sens spécifique), la Modalisation autonymique, les« baptêmes lexicaux » [Rannoux, 2007] comme « ce qu’il appelait » (p. 33, 39…), les métaphores, lesmétonymies et surtout les relations entre les mots. On recommandera donc aux candidats de vérifierrégulièrement le sens de certains termes appartenant à des vocabulaires techniques, mais plus généralement d'êtreattentifs aux termes polysémiques. Gracq est encore une fois de bon conseil : « ce qui commande chez unécrivain l’efficacité dans l’emploi des mots, ce n’est pas la capacité d’en serrer de plus près le sens, c’est uneconnaissance presque tactile du tracé de leur clôture, et plus encore de leurs litiges de mitoyenneté. Pour lui,presque tout dans le mot est frontière, et presque rien n’est contenu. » (En lisant en écrivant, O.C. I : 736)

REMARQUES MÉTHODOLOGIQUES ET CONSEILS GENERAUX

Les compétences lexicologiques du candidat doivent être de deux ordres : en morphologie lexicale (principes deformation des mots) et en sémantique lexicale (sens dénotatifs et connotatifs, relations lexicales au sein dusystème de la langue). Morphologiquement, on distingue les mots simples et les mots complexes (construits etnon construits). Au sein des mots complexes construits, on retient deux grands types de construction : ladérivation (par préfixation, suffixation, parasynthétique, impropre et inverse) et la composition (savante,populaire, hybride). A ces deux grands modes s’ajoutent d’autres principes de formation des mots etd’accroissement du lexique (d’une langue comme d’une œuvre singulière) qui sont les mots-valise, l’abréviation(ou troncation), la siglaison et l’emprunt. Sémantiquement, on sera tout particulièrement attentif aux relations quistructurent le lexique (polysémie / homonymie, sens propre / sens figuré, hyperonymie / hyponymie,synonymie / antonymie). C’est dans l’un de ces deux grands domaines d’analyse du lexique que pourront êtreprises les questions synthétiques. On travaillera sur le Trésor de la Langue Française (dont la versioninformatisée est consultable sur http://atilf.atilf.fr/tlf.htm) ou du Robert historique de la langue française ; maisaussi sur Apothéloz, La Construction du lexique en français, Ophrys, 2002, Mortureux, La Lexicologie entrelangue et discours, SEDES, 1997 ; Lehmann et Martin-Berthet, Introduction à la lexicologie, Dunod, 1998, ainsique la préface du Grand Larousse de la Langue Française par Guilbert.

MOTS OU EXPRESSIONS

Cette étude doit s'organiser en plusieurs temps : une étude morphologique (qui mentionne, si elle est connue eten évitant les étymologies fantaisistes sanctionnées par le jury, l'étymologie et les principes de formation du motdans le cas d'un mot complexe), une étude sémantique du vocable en langue puis dans le texte (contexte étroit etétendu). En ce qui concerne le sens en langue, on précisera que doivent être évoqués au maximum les différentssens et les différents emplois (en locution notamment) du vocable concerné. Au niveau du sens contextuel, il doitlui aussi s'opérer en plusieurs temps, par la prise en compte du contexte étroit (insertion du vocable dans laphrase) puis du contexte élargi (paragraphe, chapitre, voire ensemble de l'œuvre). Les mots sont choisis en raisonde leur intérêt particulier sur l'un ou l'autre de ces plans d'analyse, et la première question que doit se poser lecandidat devant ces mots est "pourquoi ce mot a-t-il été choisi ?". A vrai dire, la question doit intervenir dès lalecture et la préparation de l'épreuve et permettre d'attirer l'attention sur certains mots, par lesquels le texte peut"tenter" tout lecteur. Une grande partie des termes en italique ou entre guillemets crée cette tentation dans Unbalcon en forêt

« Maison Forte » (p. 15) et sa chaîne de référence

L’expression n’est pas attestée dans les dictionnaires, mais elle fonctionne néanmoins comme syntagmelexicalisé, qui alterne avec d’autres dénominations proches, comme « la maison » ou « la maison des Falizes »

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(p. 26, 37, 90). Le mot comporte une quinzaine d’occurrences dans le récit (p. 29, 30, 51, 90, 101, 131, 133, 140,172, 201, 204, 238, 239, etc.), et il semble directement importé des Communistes d’Aragon, dans un passageauquel se réfère explicitement Gracq comme source d’Un Balcon en forêt : « le déclic, je crois, a été quelqueslignes d’Aragon dans Les Communistes, où il parle des maisons fortes de l’Ardenne, dont je ne connaissais pasl’existence. Alors le livre s’est enclenché, probablement. » [« Entretien avec J.-L. de Rambures », 1970, dansEntretiens, O.C. II : 1191]. Rappelons le texte d’Aragon : « Un peu au-dessous d’un carrefour où une longueligne droite rejoint cette route venant de Sugny au nord comme un coup de boutoir de sanglier, Sugny déjàoccupé par les Allemands, il y a une de ces ingénieuses inventions de l’état-major, qui ont fait l’objet de débatsdans les commissions parlementaires de l’Armée. C’est un chalet comme un jouet d’enfant, où peut vivre unpetit ménage bien gentil qui a trouvé ça tout mignon de venir faire sa lessive, et mettre ses enfants à s’ébattre enplein no man’s land de la frontière, à un croisement de routes stratégiques dans la forêt. […] On appelle ça unemaison forte et ça en a fait couler de l’encre ! Trois hommes et un aspirant sont là-dedans avec leurs armesautomatiques, seuls, après le repli des postes. Il n’y avait qu’une chose à quoi on n’avait pas pensé : que deséléments avaient pu s’infiltrer en arrière par une sente, et tandis que les quatre hommes surveillaient en avant parles fentes du blockhaus, un allemand a jeté par une des embrasures arrière une grenade à l’intérieur de la maisonforte. » [cité par Boie, O.C. II : 1281]. Au-delà du schème narratif global, ce sont certains mots mêmes qui sontdirectement empruntés à Aragon comme « maison forte » et « chalet ». On se livrera à une étude du mot dansl’esprit du concours, avant d’élargir à la chaîne référentielle (en C).

A) Morphologie et sens en langue

Il s’agit d’une « lexie complexe » (B. Pottier), d’une séquence en voie de lexicalisation, ce dont témoigne l’unitéréférentielle (le fait que l’ensemble de l’expression renvoie à un seul référent), l’autonomie sémantique de lalocution (le sens de la locution ne se réduit pas à la somme des mots qui la composent) et l’unité syntaxique (lasubstitution porte forcément sur l’ensemble par « blockhaus » par exemple, et il est impossible d’avoir unmodificateur qui ne porte que sur l’un des segments : *une maison très forte). On ne peut aller jusqu’à parler demot composé (populaire) en raison de l’absence de soudure graphique (hormis dans l’occurrence de la page 15qui comporte une trait d’union, corrigée dans l’édition de la Pléiade). Il est composé d’un nom + adjectif,l’adjectif s’accordant en genre avec le nom. Le mot « maison » est issu du latin mansionem (lieu où l’on demeure, halte) ; il désigne un bâtiment servant delogis, avec les connotations d’intimité (le chez soi), d’hospitalité (la maison de dieu), avec le sens métonymiquerelatif aux domestiques (la maison = « gens de maison ») ou relatif à la descendance (« être de bonne maison »pour être noble ; et dans la Bible, la maison d’Israël) ou plus étroitement à la famille (« être de la maison »). Lemot entre dans un certain nombre de synapsies [Benveniste, 1974 : 172, désigne ainsi un groupe de lexèmes liésentre eux de manière syntaxique grâce à des joncteurs comme de et à, selon l'ordre déterminé / déterminant etavec absence d'article devant le déterminant, principe de composition relativement productif que l'on retrouvedans « caveau de famille », p. 79 ou « Tour de France », p. 69] qui spécifient son utilisation « maison decampagne ; ces spécifications sont le plus souvent relatives à une collectivité et en particulier : des lieux dedétention (« maison de correction », « maison centrale », « maison d’arrêt », « maison de force », cette dernièrelocution étant apparue en 1704 pour désigner une prison pour les femmes de mauvaise vie), des lieux deprostitution (« maison de passe », « maison close », « maison de tolérance »), des locaux commerciaux ouassociatifs (« maison de la culture », « maison de repos », « de retraite »).L’adjectif « fort » (mot simple) exprime la puissance, le pouvoir physique, et par un lien logique de conséquencel’idée de résistance, et peut s’appliquer à des animés (force musculaire) comme à des inanimés. Appliqué à unechose, il désigne quelque chose « capable d’exercer une action puissante, doué d’une grande efficacité »(Explosif fort; remède fort; colle forte), ou « qui présente une grande résistance, possède une grande solidité (Fil,papier, ruban, tissu fort; forte muraille, forte poutre). Il entre dans certaines locutions comme « terres fortes »(terres compactes, difficiles à labourer), « coffre-fort » ou « chambre forte », et dans des locutions spécialiséesdans le domaine militaire pour désigner une chose « en état de résister aux attaques de l’ennemi » comme « villeforte », « château fort », « place forte ».Dans la locution « maison-forte », il s’agit d’un lieu fort au sens de fortifié.

B) Sens contextuel (contexte étroit)

Le référent est le lieu central du texte où vont vivre les personnages (et qui va donner cette dimension de huitclos au récit) : il désigne donc un « blockhaus » (dénomination concurrente la plus fréquente), un lieu militaire,ayant pour but de retarder les allemands dans leur avancée, prévu pour apporter une résistance à l’ennemi (le mot« fortification » apparaît quelques lignes plus bas). On peut noter que, par paronomase, le substantif fait échoavec « main-forte » qui désignait initialement une troupe armée (sens vieilli que l’on trouve au XVIIIème siècle

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chez Rétif) et qui a donné lieu à l’expression « prêter main-forte » sens quasi-ironique toutefois car la maisonn’aura rien de forte et sera anéantie en très peu de temps.L’expression est en italique dans le texte et dans le cadre d’un discours direct de Grange ; l’italique renvoie à sonstatut autonyme, de citation puisque Grange reprend le mot utilisé par le colonel (« je vous affecte à la maisonforte des Hautes Falizes », p. 14). Le mot est explicitement perçu comme énigmatique par Grange qui va selivrer à une réflexion sémantique sur le mot, réflexion qui réinvestit en particulier les connotations pénitentiairesfréquentes de la « maison » : « quelque chose de peu rassurant qui faisait songer à la fois à la maison d’arrêt et àla Force, qui était aussi une prison ». Grange se livre ici à une véritable « rêverie sur les noms » digne de celleque l’on trouve chez Proust dans Du côté de chez Swann (« Nom de pays : le nom ») sur Florence notamment« ville miraculeusement embaumée et semblable à une corolle, parce qu’elle s’appelait la cité des lys et sacathédrale, Sainte-Marie-des-Fleurs. ». Ici grange mène le même type de rêverie étymologique, en trouvant aumot « quelque chose de peu rassurant qui faisait songer à la fois à la maison d’arrêt et à la Force, qui était aussiune prison ». On le voit, c’est davantage le sème de /lieu de détention/ que celui de /lieu de résistance/ qui estactivé par Grange. L’accentuation sur ce trait fait écho à la manière dont le lieutenant de passage dénomme lamaison forte, ironiquement d’abord (« ils feront le tour. Ils viendront toquer à votre coffre-fort », p. 81), puiscyniquement (et de manière prémonitoire) : « Cette machinette qu’on vous a louée en forêt, savez-vous commentj’appelle ça ? Sans vouloir vous vexer, j’appelle ça un piège à cons. Vous serez fait là-dedans comme un rat »(p. 82). La maison forte est un lieu d’isolement, à la fois de rétention et de protection. La maison forte est un lieuaux significations multiples et ambiguës, elle concentre une grande partie des éléments développées dans leroman : lieu militaire justifiant l’arrivée de Grange et son rôle dans cette « drôle de guerre », lieu de l’attente,lieu de l’isolement heureux, de vie collective et solidaire (Grange parlera de « sa maison » p. 109), lieu du piègeet de la mort, lieu magique aux connotations médiévales… enfin. Si en effet la lexie n’est pas répertoriée dansles principaux dictionnaires, son référent est transparent voire notoire. On notera toutefois que le terme « maisonforte » s’applique surtout pour des bâtiments du Moyen Age (à partir du XIIème siècle) aux abords des bourgsou des seigneuries et où logent en général les parents ou alliés du seigneur. Le terme est donc fortement empreintd’une connotation médiévale qui entre en résonance avec des nombreuses expressions d’Un balcon en forêt. Onprécisera ces valeurs multiples et ce caractère ambigu de la « maison forte » en comparant le terme à ses para-synonymes dans le récit, dans l’esprit prôné par Gracq d’une « mise en résonance des mots entre eux ».

C) Contexte étendu et chaîne de référence

« On appelle chaîne de référence une suite d’expressions linguistiques qui, dans le texte, désignent le mêmeréférent, ou, plus précisément, entre lesquelles l’interprétation établit une identité référentielle » [Neveu,2000 :16]. Le mot « maison forte », apparu pour la première fois à la page 14, il sera repris (et son référentdécrit) quelques pages plus loin : « la maison forte des Hautes Falizes était un des blockhaus qu’on avaitconstruit en pleine forêt pour interdire aux blindés l’accès des pénétrantes descendants de l’Ardenne belge versla ligne de la Meuse. C’était un bloc de béton assez bas, où on accédait vers l’arrière par une porte blindée et unsentier en chicane qui traversait une petite plantation de barbelés serrée contre le blockhaus à la manière d’uncarré de choux. […] L’avant du blockhaus était troué de deux embrasures » (p. 20-21). Cette description proposedeux dénominations concurrentielles du syntagme « maison forte » qui seront reprises régulièrement dans lerécit : « blockhaus » et « bloc de béton ».Le mot « blockhaus » est intéressant non seulement par son utilisation massive (trente occurrences environ),mais également par son origine allemande transparente pour tout lecteur et réactivée lors de l’occupationallemande de la seconde guerre mondiale. Par ce mot, le texte subit une sorte d’occupation lexicale. Le motdésigne un ouvrage défensif d’abord en bois puis en béton armé et blindé. Le mot « blockhaus » (formé de« Block » = « bloc » et de « Haus » = « maison ») se présente comme une traduction possible de « maisonforte », et renvoie par son étymologie au « bloc de béton »,. Si ces termes peuvent renvoyer à l’ensemble de la« maison forte », on peut relever dans le texte certains emplois qui favorisent la répartition en deux espaces àlaquelle Gracq a été sensible : « il y avait pour moi dans cette image un symbole très simple, un condensésignificatif qui me parlait beaucoup : la guerre au sous-sol, la paix au premier étage » [entretien avec J.-L. deRambures, Pléiade, p. 1191]. Cette distinction est explicite dès la première description : « Sur ce bloc trapureposait comme sur un socle trop étroit l’étage débordant d’une maisonnette, où on accédait latéralement par unescalier de fer ajouré » (p. 21). Et de fait, si « blockhaus » peut renvoyer à l’ensemble (« Quand il revenait aublockhaus par la laie », p. 103, et 183, 204, 210, 215, 216, 220, 227-228, 229-230, 234), il renvoie aussi à ce blocen sous-sol (p. 21, 24, 33, 79, 134, 136, 140, 201, 208, 219). Il connaît aussi des emplois métonymiques pourrenvoyer aux occupants du blockhaus comme dans « l’exode des Falizes assombrit brusquement le blockhaus,fort excité le matin » (p. 177). Cette partie défensive en sous-sol est souvent évoquée par le syntagme « bloc debéton » ou « dé de béton » (p. 34, 219, 235, 236), mais elle connaît aussi deux formulations restreintes : « lebloc » (p. 33, 34, 79, 81, 82, 206, 222, 237, 238), ou « le béton » (p. 221, 226). Ce mot « béton » est parfois

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utilisé pour renvoyer à l’ensemble de la maison forte (« ce béton vacant », p. 29) ou au seul bloc en sous-sol(« Depuis que l’obus avait éclaté dans le béton », p. 237), mais, en dehors de ces emplois synecdochiques, ilrenvoie à la matière, sorte de ciment : « ses longs pleurs de rouille qui zébraient le béton », p. 139, et p. 235-236). Le mot « fortin » est enfin utilisé régulièrement comme para-synonyme de « maison forte » : « on eût ditque l’existence au fortin avait trouvé son rythme » (p. 26, et p. 131, 174, 193, 198, 200), ou pour le seul « blocde béton » : « il manquait rarement de descendre dans le fortin » (p. 33). Ce mot, emprunté à l’italien « fortino »,renvoie par polyptote à la « maison forte », « fort » se retrouvant dans l’appellation ironique « coffre-fort »(p. 81) déjà évoquée. En tant que diminutif italien de « forte », il comporte le sème de /petitesse/ que l’on a déjàrencontré dans « dé de béton », et qui est présent dans une autre dénomination relativement fréquente, dérivée de« maison », « maisonnette » (207-208, 216, 225) : « cette maisonnette de Mère Grand » (p. 22), « la maisonnettede fées » (p. 25). La dérivation en « -ette » évoque certes la petite taille mais a aussi une dimensionhypocoristique et magique, d’où les allusions au conte et au monde de l’enfance qu’on retrouve dans ladénomination métaphorique « château magique » (p. 229). On retrouve le même suffixe diminutif dans un autremot dérivé employé pour référer à la maison forte, le mot « machinette » (p. 82) à connotation ici dévalorisante.,mais aussi dans « guinguette » (p. 21), substantif issu de l’adjectif « guinguet » (« étroit »), lui-même issu d’unverbe signifiant « sauter » puis « danser », d’où le sens de café où l’on danse. Les termes dévalorisants sont aureste assez nombreux, en particulier le mot « chalet » (mot originaire de Suisse romande), employé à deuxreprises : dès la première vision de la maison forte, Grange la décrit comme « une sorte de chalet savoyard » (p.20), où l’enclosure « une sorte de » connote le terme péjorativement, terme directement repris à Aragon dans lepassage des Communistes cité précédemment, et que l’on retrouve dans le syntagme péjoratif « le chaletminable » (p. 139). Les mots « bungalow » (p. 78), d’origine indienne, et « turne » apparaissent dans la bouchedu lieutenant ironique : « Drôle de turne !... fit le lieutenant avec une grimace » (p. 79) et Grange s’en souviendraplus tard : « « sa langue remuait dans sa bouche un goût de moisi. « Drôle de turne ! » songea-t-il, atterré » (p.220) : ce mot, emprunté à l’alsacien « türn » signifiant « prison », est une forme dialectale de l’allemand« Turm » (= « tour » et « prison »), est très nettement péjoratif, non seulement en raison du registre de languefamilier, mais en ce qu’il désigne une maison sale, sans confort, nuance de sens que l’on retrouve dans ladénomination « gourbis » (p. 22), emprunt à l’arabe d’Algérie et désignant une chaumière puis une habitationsommaire, puis sale et misérable, ayant un sens spécialisé militaire pour désigner un abri des tranchées. Onretrouve avec « turne » le sème d’/enfermement/ par la référence à la prison, sème qu’on retrouve également,croisé plus nettement au sème de la /mort/, dans les dénominations « caveau de famille » (p. 79) et « mastaba »(p. 21). On rappellera que ce dernier terme renvoie, en archéologie, à un « tombeau égyptien privé de l'AncienEmpire, de forme quadrangulaire, abritant une chapelle réservée au culte du mort et surplombant le caveauaménagé au fond d'un puits où l'on déposait le sarcophage » (Trésor de la Langue Française), lieu sur deuxniveaux comme l’est la maison forte.La phrase dans laquelle intervient ce dernier terme pourrait résumer à elle seule l’impression qui se dégage de lachaîne référentielle de cette « maison forte » : « le bizarre accouplement de ce mastaba de la préhistoire avec uneguinguette décatie de la pire banlieue » (p. 21-22). Ce qui ressort en effet de cet ensemble de dénominations,c’est le caractère hétéroclite, déjà entrevu pour le seul nom « maison forte » : caractère hétéroclite desnationalités : allemand (« blockhaus », « turne »), suisse (« chalet »), italien (« fortin »), égyptien (« mastaba »),algérien (« gourbis »). Ce caractère hétéroclite est manifeste également dans les sèmes multiples et parfoiscontradictoires convoqués par cette « maison forte » : lieu de d’emprisonnement (« turne », « maison forte »), demort (« caveau », mastaba »), d’inconfort (« gourbis », turne »), mais aussi de vie heureuse, magique(« maisonnette », « château »), lieu de la puissance défensive (« maison forte », « fortin », « blockhaus », « blocde béton ») mais aussi lieu fragile, petit (« fortin », « maisonnette », « machinette », « dé de béton »). Ce lieu estparfaitement révélateur de la technique descriptive chez Gracq [v. Etude de style, Description et récit poétique]et il condense une grande partie des significations multiples de ce qu’est ce « balcon en forêt » pour Grange.

QUESTIONS SYNTHÉTIQUES

Présentes depuis la session 2005, ces questions répondent au constat fait par les rapports du jury d'une absencede maîtrise chez les candidats des grands principes de formation des mots et des relations qui structurent lelexique en langue. Depuis leur apparition, ces questions sont tout naturellement prisées par le jury, comme entémoignent les sujets donnés en 2006 (Duras) où était demandé d’étudier « les noms qui sont à la fois préfixés etsuffixés », et en 2007 (Molière) où une question de lexicologie portait sur « la préfixation des verbes ». Dans Unbalcon en forêt, on sera tout particulièrement attentif aux cas de dérivation (à la fois propre et impropre), ainsiqu’au phénomène de l’autonymie, traité ici. La question synthétique peut avoir également une perspective non

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pas morphologique mais sémantique et porter sur un champ notionnel. On rappellera que les champssémantiques peuvent être analysés dans une perspective sémasiologique (on part d'un signe pour accéder auconcept) comme ce que l’on a fait lors de l’élargissement au récit entier et aux dénominations concurrentes dansl’analyse de « maison forte », ou dans une perspective onomasiologique (on part du concept pour atteindre lesigne) comme l’analyse possible dans Un balcon en forêt du champ notionnel de l’eau ou de la métaphoreaquatique, ou encore du charme, de l’enchantement. Ainsi, "les champs onomasiologiques opèrent desregroupements lexicaux déterminés en fonction de l'univers référentiel auquel renvoient les unités en question. Ils'agit de champs conceptuels, ou notionnels, marquant un domaine d'expérience, auquel on fait correspondre unensemble structuré de mots" [Neveu, 2000 : 16]. Les unités se regroupent et s'organisent selon des relationsd'inclusion (hyperonymie, hyponymie) et de synonymie. On distingue le "champ lexical" (lorsque les unitésappartiennent à la même classe grammaticale) et le "champ associatif" (lorsque les unités appartiennent à descatégories grammaticales hétérogènes).

L’autonymie.

Entrée dans le champ de la linguistique il y a trente ans avec l’ouvrage de J. Rey-Debove, Le Métalangage(1978), avant d’être étudié dans des contextes énonciatifs multiples par Authier-Revuz [Ces mots qui ne vont pasde soi. Boucles réflexives et non-coïncidences du dire, 1995], l’autonymie est un fait linguistique majeur,renvoyant à la possibilité pour le langage de se prendre pour objet, de « parler des mots » pour reprendre le titrede l’ouvrage collectif dirigé par Authier-Revuz, Doury, Reboul-Touré [2003] consacré au « fait autonymique ».L'autonymie (ou la « mention » en logique) correspond a un fonctionnement spécifique du signe linguistique quiconsiste à faire de ce signe – dans sa matérialité, comprenant un signifié et un signifiant – l'objet du dire. Lesignifié du signe autonyme est le signe tout entier : signifiant et signifié, son référent est un référent langagier (vsmondain). Ce statut autonymique du signe s'oppose – plus précisément est homonyme de – à son l'emploiordinaire du signe (ou "en usage"), où ce n'est pas le signe qui est l'objet du dire mais le monde, le réel, que lesigne permet de désigner en en faisant un référent. Alors que dans l'emploi ordinaire, le signe s'efface dans safonction de médiation, dans l'emploi autonyme, le signe est l'objet même du dire. Les formes autonymes saturentle récit de Gracq, qu’elles soient ou non marquées par des mots métalinguistiques ou par des signauxtypographiques comme les guillemets ou l’italique. La prégnance de l’italique dans le récit de Gracq révèle ainsiune prégnance de l’autonymie.

1. La désignation autonymique

Pour Bosredon et Tamba [1998], il s'agit même d'un mode de désignation spécifique, la "désignation citative" ou"désignation autonymique", qui se distingue de la désignation nominale par le biais d'une dénomination, de ladésignation par nom propre ou par description définie et de la désignation déictique. D'un point de vuesémiotique, on opposera ainsi l'emploi ordinaire du mot et son emploi autonyme. Tout signe de langue peut être"autonymisé", du graphème au paragraphe ou au texte entier (par exemple le paragraphe sur les journaux p. 91).Un item ou segment est autonyme non pas en langue mais en discours, contextuellement. Par ailleurs, l'autonymeprésente un certain nombre de propriétés syntaxiques et sémantiques qui permettent de l'identifier et d'affiner sadescription : l'autonymie repose sur le principe du blocage de la synonymie, ce qui s'explique simplement par lefait le signifié du signe autonyme comprend un signe entier (signifiant et signifié) ; en outre l'autonymefonctionne comme un nom ou un syntagme nominal, soit qu'il soit déterminé, soit en raison de sa fonction. On leconstate dans cet extrait, où il est question du pronom « vous » précédé du déterminant défini « le » : « letutoiement ne surprit même pas Grange : il était clair que le « vous » dans sa langue était d’un maniement plusinsolite et plus fatigant que le pluriel de majesté… » (p. 64). Les signes typographiques (comme l'italique ou lesguillemets présent ici) ne sont qu'un surmarquage, jamais nécessaires pour déterminer le statut autonyme. Onpeut faire précéder les autonymes d’une expression métalinguistique comme « le mot » ou « ce qu’on appelle »,ce qu’on constate dans l’extrait suivant : « Les mots : « un père », « un mari » ne s’accrochaient pas à elle »(p. 59).

2. La modalisation autonymique

A ces deux modes simples du dire (usage ou mention) s'ajoute un troisième cas, emploi mixte, relevant de ce queRey-Debove [1978] a nommé la "connotation autonymique" qui se définit comme la présence d'un signe enusage auquel vient s'ajouter une référence au signe, l'emploi d'un signe en usage et en mention. Dans le cadred’un discours, c'est toutefois moins la connotation autonymique que le "modalisation autonymique", mise enavant par Authier-Revuz [1995] qui sera pertinente, dans la mesure où la modalisation autonymique vise à rendrecompte du travail dans le champ énonciatif mais aussi des fréquents cumuls (et non seulement succession) en

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une seule expression, de l'emploi ordinaire et de l'emploi autonyme. L’énonciateur fait donc dans ces cas à la foisusage du mot pour renvoyer à une chose (standard) et fait mention du mot comme mot (autonyme). Lamodalisation autonymique peut être explicitée par un commentaire réflexif et/ou signalée par des guillemets.Authier-Revuz [1995 : chap. 3 et 4] distingue trois agencements syntactico-sémantiques possibles :a) la succession sur la chaîne de la nomination X et de sa représentation X' (modalisation autonymique) que l’onrencontre dans : « – Eh, oui, fit le capitaine, qui regardait par-dessus l’épaule de Grange. Ils commencent àdevenir un peu sérieux… Dans le langage du capitaine, ils ne désignaient jamais les Allemands, mais seulementles régions orageuses de la puissance, les grands chefs, contre lesquels il aiguisait son intime sécession d’esprit »(p. 137). Le « ils » est d’abord employé en usage (l’italique marquant juste un accent d’insistance ou de mise àdistance) puis en modalisation autonymique, commenté comme mot.b) la superposition en un point de la nomination et de sa représentation (X et X’ sont confondus) : « le Toit(c’était le nom que donnait Grange à ce haut plateau de forêts suspendu au-dessus de la vallée), » (p. 39),« comme on passe une fleur à sa boutonnière le matin du plus beau jour de sa vie » (p. 43), « Puis venait lesentiment – Grange songeait combien le mot était expressif – du bloc étanche, soudé autour de vous » (p. 34).Dans ces extraits, le recul sur l’expression utilisée met en jeu sa dimension autonymique sans que disparaisse sa de la façon de dire collective, semble se distinguer celle qu’invente Grange pour évoquer cette vie singulière en marge de la communauté des hommes. La plupart MA sont attribués à Grange, et tous sont en lien avec l’expérience singulière de la vie à la maison forte.c) le détour par une expression comme « ce que j'appelle X' » : « J’appelle ça une ligne mange-tout » (p. 18),« Quand il s’était colleté un moment avec ces pensées sans joie que la nuit rameutait dans le blockhaus et qu’ilappelait ses Larves » (p. 127), « c’était ce qu’il appelait « jeter un coup d’œil au blockhaus ». » (p.33), « quegrange appelait le carré de l’équipage » (p. 38), « qu’on avait surnommé le Prévoyant de l’Avenir » (p. 43). Dansces différents cas (où on notera la diversité des marquages : guillemets, italique, majuscule ou rien). Onsoulignera l’importance de la relative périphrastique, fréquente dans ces configurations, comme mise en avant dufait que la nomination ne se fait pas directement, mais est montrée dans son processus même.La modalisation autonymique, en tant que mode du dire complexe, dédoublé, opacifié – par rapports aux deuxmodes diversement simples que sont l'emploi en usage et en mention –permet de renvoyer à du réel tout enrenvoyant aux mots mêmes employés pour dire ce réel. Elle est donc fondamentale dans l’écriture de Gracq pourrenvoyer à ce rapport au réel distant des personnages, et de Grange en particulier, et est à mettre en relation avecle sentiment du personnage d’être en marge du monde (« le monde lui paraissait soudain inexprimablementétranger », p. 151), dans un décor de théâtre, d’une part, et de tous les phénomènes de discours autre etd’intertextualité (comme rapport au monde filtré par « l’épaisseur culturelle » [Descotes] du personnage), d’autrepart.

3. Modalisation autonymique et discours autres

On précisera que l’expression « représentation du discours autre » a été proposée par Jacqueline Authier-Revuz[2001] afin de pallier le caractère restrictif de l’expression « discours rapportés » qui ne rend pas compte demodes de renvois à un discours autre que les traditionnels « discours rapportés » (discours direct, indirect,indirect libre). Sans entrer dans le détail de l’analyse de ces discours autres, on se limitera à pointer quelques casparticulier d’autonymie ou de modalisation autonymique, à savoir le discours direct (DD), la modalisation endiscours second autonymique et l’îlot textuel. Le discours direct est, comme l’a montré Authier-Revuz [1996, 2001] un mode hétérogène qui cumule l’emploiordinaire des mots (dans le discours citant) et l’emploi autonyme (dans le discours cité) : « –… Je vous ai vu dema maison. Tous les jours, vous venez prendre votre café aux Platanes… C’est fastueux ! ajouta-t-elle enaccentuant le mot d’un air important ; on eût dit qu’elle venait de l’apprendre » (p. 57). On est là dans le cadred’un dialogue marqué par le tiret en début de ligne, avec du DD de Mona, la rupture entre le mode autonyme (dudébut jusqu’à « fastueux ! » et le mode standard étant marqué énonciativement par le passage du présentd’énonciation au passé simple, d’une part, et de la première à la troisième personne, d’autre part. On constateraqu’à l’intérieur du mode autonyme, la tournure présentative « c’est fastueux ! » en italique relève de lamodalisation autonymique par superposition, MA marquée par l’italique et par le commentaire méta-discursifqui suit. La modalisation en discours second, assertion sur un fait mais modalisé par le renvoi à un discours autre[Authier-Revuz, 2001] peut sur le contenu ou sur les mots mêmes qu’elle intègre, à l’instar du DI. Ces fragmentsentre guillemets – ce qui peut conduire à les confondre avec du DD – intégrés à un DI ou à une MDS ont comme« résisté » à l’opération de reformulation à l’œuvre dans ces deux modes de représentation du discours autre[Authier-Revuz, 1996 : 94], d’où leur nom d’ »îlot textuel ». Lorsqu’elles interviennent dans le cadre d’uneMDS, on parle de « modalisation en discours second autonymique » : « pour ramener au carré la nouvellepacifiante que « le lieutenant avait l’air de bon poil » » (p. 123).

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MORPHO-SYNTAXE

La question de grammaire se divise traditionnellement en deux parties d'inégale importance : une question demorpho-syntaxe et une question portant sur la description d'un segment au sujet duquel il est demandé de faire"toutes les remarques nécessaires" (qui consiste en une sélection d'enjeux linguistiques pertinents et souventdélicats relatifs à un segment). La question de syntaxe consiste en une étude discursive d'un phénomènegrammatical. Il convient d'être tout particulièrement attentif au libellé pour deux raisons : tout d'abord laquestion peut être de syntaxe ou de morpho-syntaxe, la seconde impliquant une réflexion plus détaillée sur lesformes en question (leurs principe de formation, leur histoire). Ensuite la question peut être plus ou moinsdétaillée, précise autour d'un même ensemble de formes : la subordination, les subordonnées, les subordonnéesrelatives… Le commentaire du libellé interviendra en introduction, celle-ci ayant pour objet de définir la notionen question, de poser les restrictions dans le traitement ou non de certaines formes. Cette définition permet deposer une problématique et d'annoncer le nombre d'occurrences qui seront traitées ainsi que le plan qui estjustifié (plan sémantique, syntaxique, voire morphologique).

LES ADVERBES

Introduction

- Les adverbes forment une classe hétérogène du point de vue morphologique comme syntaxique et sémantique,aux frontières incertaines, qui se définit par ses rapports et son opposition à d’autres catégories de termesinvariables comme les prépositions et les conjonctions. Classe reliquat, fourre-tout, défini de manière négative(ce qui est le cas depuis l’apparition même de l’adverbe comme partie du discours dans la grammaire de Denisde Thrace, 100 av. JC). Selon C. Guimier, cela est dû au fait que de nombreux adverbes « sont en fait desopérateurs, c’est-à-dire des outils grammaticaux à valeur aspectuelle, modale, temporelle, discursive […] pourlesquels la grille d’analyse en parties du discours traditionnelles est mal adaptée » [1996 : 1].- L’hétérogénéité est donc d’abord morphologique, puisque l’on distingue les adverbes simples, formeshéréditaires, directement issues du latin (« là », « bien », « loin », « près », ici », « non », « hier », « très »), lesadverbes composés : formes composées en ancien français (« beaucoup », « parfois », « longtemps »,« quelquefois ») ou locutions adverbiales (« au fur et à mesure », « à côté », « en réalité »), les emprunts (« apriori », « in extenso »), et les adverbes dérivés : par dérivation suffixale en –ment (« ardemment »,« gaiement », « vraiment ») ou par dérivation impropre / conversion, issus d’adjectifs ou de noms (« parlerhaut », « couper court »). L’hétérogénéité est aussi sémantique (adverbes de manière, de temps, de lieu, dequantité…). L’hétérogénéité est enfin syntaxique (adverbe de phrase, de mot, d’énonciation…). Etant donnél’hétérogénéité de cette « partie du discours », le classement des adverbes est un problème en soi. Le classementtraditionnel est sémantique (temps, manière…) mais peut-être aussi morphologique (simples, composés, dérivés,empruntés). On proposera ici un classement syntaxique, au niveau de la construction.- On peut poser quatre critères de définition qui doivent tous être réunis : a) l’invariabilité, propriété qu’ilspartagent avec les prépositions et les conjonctions, mais qui les distingue des autres catégories (sauf « tout », etdes cas comme « des portes grandes ouvertes » avec l’adjectif adverbialisé qui porte sur un adjectif); b)l’intransitivité : l’adverbe ne régit pas de complément (c’est ce qui le différencie des conjonctions et desprépositions) ; c) le caractère facultatif (effaçable) ; d) l’incidence (dépendance) à un autre élément de la phrase,en particulier au verbe. Ils peuvent être la tête d’un groupe adverbial. L’incidence est une notion syntaxique,qu’on distinguera de la « portée », notion sémantique [Riegel, Pellat, Rioul, 1994 : 375].

1. les adverbes-phrases

Ils sont équivalents d’une phrase ou d’une proposition, comme la réponse à une interrogation : « non,décidément, il n’y avait rien » (p. 14), l’adverbe intervient ici dans une réponse que Grange s’adresse à lui-mêmedans son cheminement intérieur, dans le cadre d’un discours indirect libre(DIL). « – Des gros ? – Des gros, oui –des généraux, fit Olivon » (p. 74). « – Alors c’est non, reprit Grange. Il fit de la pointe des doigts un geste quibalayait. – Décidément ? – Décidément. » (p. 136), « – Je suis sûr que vous savez l’heure, dit-il. […] – A peuprès… fit le capitaine » (p. 138). On parle sémantiquement d’adverbes de négation ou d’affirmation. Onprécisera que la formation de l’adverbe « décidément » est un peu particulière car elle ne se fait pas sur leféminin de l’adjectif (cas le plus fréquent dans la formation de ces adverbes) mais à partir de « décidé », base duparticipe passé (« décidée ») d’où l’accent.

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2. Adverbes au statut de complément de phrase (adverbe de phrase)

Ces adverbes sont incidents à la phrase entière et ne sont donc pas intégrés à un constituant particulier. Cetteincidence sur l’ensemble de la phrase est sensible par la possibilité de déplacement dans la phrase (en dehors dusyntagme), par le fait que ces adverbes sont souvent en position détachée ou susceptibles de l’être (par « c’est…que »). On dit donc qu’ils sont « extra-prédicatifs » (syntaxiquement) et « exophrastiques » (sémantiquement)car ils ne sont pas intégrés dans la phrase, ils portent sur l’intégralité de la phrase (extra-prédicatifs) et « neparticipent pas à la construction de son sens référentiel, mais représentent des traces de l’intervention dulocuteur » [Guimier, 1996 : 6].

2.1. Valeur de complément circonstanciel

L’adverbe peut avoir une valeur de complément circonstanciel de lieu, de temps, de manière…a) Valeur de complément circonstanciel de manière : « Grange manœuvrait machinalement la vis de pointage : ilamenait lentement la mince croix noire des fils de visée au centre du créneau » (p. 35). Les deux adverbes en –ment sont déplaçables dans l’ensemble de la phrase (« lentement, il amenait la mince croix… ») et peuvent êtreextraits (« c’est machinalement que Grange manœuvrait… »), ce qui confirme leur statut extra-prédicatif.b) Valeur de complément circonstanciel de temps : « qui faisait songer à la fois à la maison d’arrêt et à la Force »(p. 15) : locution adverbiale (remplaçable par l’adverbe « simultanément ») à valeur temporelle qui marque lasimultanéité entre deux procès (penser à la fois à … et à), qui peut être déplacée n’importe où dans lasubordonnée.c) Valeur de complément circonstanciel de lieu : « on sentait que la terre ici crêpelait sous cette forêt drue »(p. 10). L’adverbe est déplaçable dans l’ensemble de la phrase (« ici on sentait… »).

2.2. Adverbe marquant une modalité d’énoncé / d’énonciation

Dans ces cas, l’énonciateur modalise la phrase dans son ensemble. On distingue les adverbes d’énoncé (quiexpriment un commentaire, une opinion sur ce qui est dit, sur le contenu de l’énoncé) et les adverbesd’énonciation (qui expriment une opinion sur le fait du dire, sur l’énonciation elle-même). [v. Riegel, Pellat,Rioul, 1994 : 580]

2.2.1. Modalités d’énoncé.

Elles sont notamment relatives au degré de doute ou de certitude (épistémique), ou peuvent avoir une valeuraffective ou axiologique. « cela devait concerner plutôt » (p. 15) : adverbe composé (« plus tost » > « plustost »> « plutost »> « plutôt » acquis fin XVIIIème siècle) qui signifie « de préférence, par une comparaison impliciteici (« plutôt le code de justice militaire » que le « règlement sur l’emploi des fortifications »). Possibilité de ledéplacer dans l’ensemble de la phrase justifie son statut de complément de phrase même s’il porte plusspécifiquement sur « concerner ». Autre exemple : « qui était aussi une prison » (p. 15) : adverbe héréditaire,signifiant « également » ; dont le déplacement possible souligne le caractère exophrastique.

2.2.2. Les modalités d’énonciation (ou modalités phrastiques)

Elles sont représentées par les adverbes de négation totale (c’est-à-dire portant sur l’ensemble de la phrase), lesadverbes de négation partielle ne portant que sur un élément de la phrase, donc étant classés au point 3.Même si la négation totale peut affecter plus précisément un syntagme verbal (verbe et/ou complément deverbe), on considère qu’elle porte sur l’ensemble de la phrase [v. Riegel, Pellat, Rioul, 1994 : 412].La négation est un morphème discontinu composé de ce que Damourette et Pichon ont nommé un discordanciel(qui crée le mouvement de négation) et d’un forclusif (qui vient confirmer ce mouvement négatif) : « il nevoulait pas la rejoindre trop vite » (p. 53). On soulignera la présence de la formule archaïque « ne…mie » àplusieurs reprises : « l’averse dont elle semblait ne se soucier mie » (p. 53). Cet adverbe est l’abréviation du nomcommun « miette » qui s’employait parfois comme élément de négation (on trouve encore chez George Sand :« de la nuit, elle ne dormit miette »), au sens de « pas une miette, pas une parcelle ». Cet adverbe de négation, demême que le « ne…guère » utilisé par exemple p. 71, est un des « médiévalismes » qui parsèment le récit.On isolera les cas de négation exceptive où le corrélatif « que » vient inverser le mouvement de négation : « iln’y avait plus que la nuit d’étoiles » (p. 16) : On parle de négation exceptive ou restrictive, parce que le « ne…que » équivaut à l’affirmation de ce qui suit ; on pourrait remplacer l’ensemble par « il y avait uniquement ». Lecaractère restrictif visible ainsi : la négation exclut de son champ tout terme autre que celui qu’elle introduit).On inclut aussi dans cette catégorie les adverbes introduisant une phrase et marquant une modalité phrastique(interrogative ou exclamative). Leur rôle d’introducteur fait qu’on les classe parfois à part. On distingue lesadverbes exclamatifs, et les adverbes interrogatifs : « – Pourquoi voulez-vous rester ici ? » (p. 138), « Où sontencore passés Hervouët et Gourcuff ? » (p. 28).

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2.3. Adverbes de liaison

Il s’agit d’adverbes qui servent la cohérence textuelle, marquant un lien logique coordinatif (adverbe conjonctif)ou structurant le texte (adverbe de balisage) [v. Eluerd, 2002 : 141]. Ces adverbes sont fréquents dans Un balconen forêt, mais étant donné la très forte structuration temporelle de ce récit, le sens logique se double souvent d’unsens temporel.

2.3.1. Adverbes conjonctifs

On peut inclure dans cette catégorie « donc », traditionnellement envisagé comme une conjonction decoordination, mais dont plusieurs critères font plutôt un adverbe : il est cumulable avec une autre conjonction (àla différence des autres conjonctions) et avec d’autres adverbes, et il est mobile dans la phrase (alors que lesconjonctions sont souvent fixes en début de phrase). Il note un lien logique de consécution. « – Donc, c’est dit,conclut-il » (p. 139). « Puis » peut jouer ce rôle conjonctif : « Il y avait une poussée de vie brusque et aiguë dansce regard, puis tout de suite les yeux se voilaient » (p. 13).

2.3.2. Adverbes de balisage

« C’était l’exiguïté de cette pièce qui saisissait d’abord […]. Puis venait le sentiment vivant « (p. 33). Les deuxadverbes « d’abord » et « puis » structurent le texte, en l’occurrence la description comme par la suite leslocutions adverbiales « à gauche » et « à droite » : « A gauche étaient rangées des caisses de munition, […]. Adroite étaient scellées à la paroi : rouge, un extincteur… » (p. 34).

3. Adverbes incidents à un constituant de la phrase

On parle aussi d’adverbe de mot ou d’adverbe de constituant : l’adverbe porte dans ce cas sur un constituantparticulier, auquel il est incident, terme employé par le linguiste G. Guillaume pour désigner le fait qu’unélément sert d’apport à un support [v. Neveu, 2000 : 56 et Guimier, 1996 : 4-6]. La position de l’adverbe indiqueà quel élément il est incident, cette incidence ne se limitant pas au verbe. Ces adverbes peuvent être extraits parle présentatif « c’est … que », et ne sont pas mobiles dans la phrase ; ils sont postposés au terme qu’ilsmodifient.

3.1. Incident à un verbe (adverbe de verbe)

En général, l’adverbe est dans ce cas mobile seulement dans les limites du syntagme verbal. La plupart du temps,ce type d’adverbe opère une variation d’intensité du procès dénoté par le verbe : « on entendait seulement »(p. 15) : cet adverbe en –ment, dérivé de l’adjectif au féminin « seule » (cas le plus fréquent et le plus productif)est incident au verbe « entendre » duquel il prédique quelque chose (portée), pourrait être déplacé après le CODmais pas ailleurs. Il est intra-prédicatif et endophrastique. Autre exemple : « et il pensait confusément » (p. 16) :on peut hésiter sur l’incidence, soit à l’ensemble de la phrase, soit plutôt au verbe « pensait ». La portée estdouble : à la fois sur le verbe et sur le sujet « il ». Il s’agit intégré à la phrase donc intra-prédicatif etendophrastique. Morphologiquement, on constate que l’adverbe est un dérivé par suffixation en –ment qui n’estpas formé sur le féminin de l’adjectif comme souvent dans ce cas, car il est formé sur le modèle des adjectifs en« é » dont le –e final a cessé de se prononcée (« assurée » > « assurément », « aveuglée » > « aveuglément ») àl’instar de « précisément », « énormément ».

3.2. Incident à un adjectif ou adverbe

L’adverbe est en général antéposé à l’adjectif ou à l’adverbe. On trouve fréquemment des adverbes d’intensité oude comparaison qui portent sur d’autres adverbes : « Quand il claqua les talons dans le bureau encore très clairdu colonel » (p. 13) : « très » est incident à « clair » qu’il modifie par un degré d’intensité forte, et « encore » estincident au syntagme adjectival « très clair » : on a là un phénomène d’enchâssement des incidences, derécursivité, très fréquent avec les adverbes, qu’on retrouve dans « le silence si peu habituel » (p. 23), « deschoses trop minutieusement prévues » (p. 25).

3.3. Incident à un pronom, un SN ou un SPrép ou propoposition subordonnée

Il est placé en général directement devant. L’adverbe peut donc être incident à un nom, à un pronom, à une proposition subordonnée, à un syntagme prépositionnel : « Il se sentait comme une envie de siffloter » (p. 41). Le « comme est ici un « comme » adverbial d’approximation [v. Bikialo, 2005 : 270].

Conclusion

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Les adverbes sont très fréquents et se présentent dans des configurations syntaxiques très variées (antéposés,postposés, détachés). Cela est lié en particulier à l’importance des divers modes d’amplification par expansion dela phrase de Gracq. On constate en particulier une importance des adverbes en –ment, et des locutionsadverbiales, autant de formes longues, qui contribuent à l’expansion du volume phrastique et sont, partant, unedes expressions stylistiques de l’attente, comme l’a bien noté E. Cardonne-Arlyck [1984 : 37-38]. Par ailleurs,l’importance des adverbes est liée à la présence constante des commentaires méta-énonciatifs, dont les adverbes,indices de la « subjectivité dans le langage » (modalisations épistémiques en particulier) sont des signauxprivilégiés. Ce sont souvent en effet des adverbes qui montrent la subjectivité de Grange dans le discoursintérieur.

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ETUDE DE STYLE

Idéalement l'étude de style tente donc de décrire la manière dont un sujet investit (et est investi par) la langue,l'actualise en un acte d'énonciation singulier – comme tout acte d'énonciation – au sein d'une œuvre. C'est cetteinscription dans une œuvre – donc dans un genre de discours spécifique qu'est la littérature, avec ses codesnotamment génériques – qui contribue à rendre cette énonciation singulière. C'est pourquoi, et comme l'écritSaint-Gérand [1993 : 29-30], "l'analyse du style d'une œuvre littéraire – ou mieux : d'un œuvre global – nesaurait être dissociée d'une triple investigation : a) une étude attentive des conditions historiques posées àl'écriture par la situation d'une certaine épistémè linguistique. Chaque écrivain adhère plus ou moins auxconceptions générales du langage ayant cours à son époque […]. b) une interrogation des modèles théoriques etpratiques auxquels se réfère l'écrivain en matière d'esthétique de la langue et de la littérature. Là où interfèrent lalangue concrète, les genres littéraires, les formulations historiques du Beau […]. c) Enfin, une reconstitutioncritique du sujet de l'écriture, résultant de cette interaction des modèles prégnants de la langue et de la littérature,dans un objet idéologique de communication, dont la qualité esthétique est gagée par l'institution littéraire […],sujet de l'écriture dépendant du sujet de lecture." C'est dire que l'étude de style ne doit pas se résumer en uncatalogue de procédés linguistiques et rhétoriques, permettant de décrire le texte d'un point de vue linguistiquesans déboucher sur une interprétation du texte. L'étude de style est un point de vue sur le texte par lequel onsuppose qu'une approche linguistique précise permet de montrer comment s'opère la construction du ou d'un sensde ce texte et, partant, la construction d'un sujet de l'écriture dans ses rapports avec la langue. Ainsi conçue,l'étude de style, si elle porte sur un texte, sur un discours, nécessite une approche linguistique – et pas seulementune description grammaticale –, les candidats devant, le cas échéant, faire référence à des approches spécifiques.C'est dans cet esprit que sont orientées les fiches qui suivent et les références bibliographiques qui sont données.Devant la difficulté de la tâche en une durée à ce point limitée, et sans doute afin de pallier la réduction descopies à des squelettes descriptifs, les aménagements prévus pour l'année 2005 consistent en une limitation del'approche à un fait de style : "la question de style pourra ainsi porter sur un aspect rhétorique ou discursif:Etudiez les métaphores, l'énonciation, l'ironie, les discours rapportés, l'oralisation, la versification… ou sur letraitement des genres : Etudiez les ressorts du comique, l'expression du tragique, les aspects élégiaques, lefonctionnement dialogal, l'argumentation, la description… Elle pourra aussi porter, selon les spécificités dutexte proposé, sur deux notions mises en perspective : narration et description, argumentation et énonciation, laprose poétique, comique et pathétique…" [v. Rapport de jury, 2003]. Les questions proposées depuis cetaménagement ont été « le burlesque » en 2005 (texte de Louise Labé), « la scène dialoguée » en 2006 (texte deMarguerite Duras), et « le comique » en 2007 (texte de Molière), « le comique ». Si une telle orientation descandidats doit simplifier leur recherche des faits de style pertinents pour l'extrait, elle induit en revanche uneapproche beaucoup plus précise du fait analysé et une capacité à réunir autour de ces notions énonciatives,discursives, rhétoriques ou génériques, un certain nombre de faits de langue par lesquels il se manifeste. DansUn balcon en forêt, on se préparera à des questions comme « le monologue intérieur » ou plus généralement« l’énonciation » ou « la représentation du discours autre », ou un deuxième ensemble autour de « description etnarration » ou « la description » ou « le récit poétique » [v. « Description et récit poétique » par la suite], ouencore « le discours analogique » ou « les images » [v. « La phrase déferlante »].

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DESCRIPTION ET RÉCIT POÉTIQUE

« En littérature, toute description est chemin (qui peut ne mener nulle part), chemin qu’on descend, mais qu’onne remonte jamais ; toute description vraie est une dérive qui ne renvoie à son point initial qu’à la manière dontun ruisseau renvoie à sa source : en lui tournant le dos et en se fiant – les yeux presque fermés – à sa seule véritéintime qui est l’éveil d’une dynamique naturellement excentrée. […] Décrire, c’est substituer à l’appréhensioninstantanée de la rétine une séquence associative d’images déroulée dans le temps » (O.C. II : 564-565)C’est ici la dimension dynamique, linéaire, de la description que met en avant Gracq et, de fait, la descriptionlittéraire problématise ce rapport de « l’appréhension instantanée » et de la « séquence associative d’imagesdéroulée dans le temps », du paradigmatique et du syntagmatique. Rappelons la caractérisation proposée par Ph.Hamon en introduction de son ouvrage, Du descriptif : « Le descriptif, ou : le lieu d’une conscienceparadigmatique dans l’énoncé » [1993 : 5]. Toute description littéraire introduit du paradigmatique dans dusyntagmatique, tout en restant (forcément) dans du syntagmatique. C’est pourquoi l’étude de la description nepeut se faire sans un rapport avec la narration, le récit avec laquelle elle alterne mais qui plus globalementl’intègre.La notion de « récit » est une notion complexe, polysémique sur laquelle il convient de s’arrêter. Le mot « récit »renvoie en effet à la fois : A) à un fonctionnement narratif très général, défini comme « la représentation d’unévénement ou d’une suite d’événements, réels ou fictifs, par le moyen du langage » [Genette, 1969: 49] oucomme « une relation d'événements que l'on raconte et que l'on relie » [Tadié, 1978 : 7]. B) à un « pland’énonciation » selon Benveniste, qui s’oppose au « discours » : « L’énonciation historique, aujourd’hui réservéeà la langue écrite, caractérise le récit des événements passés. Ces trois termes, « récit », « événement »,« passé », sont également à souligner. Il s’agit de la présentation des faits survenus à un certain moment dutemps, sans aucune intervention du locuteur dans le récit. […] Il faut et il suffit que l’auteur reste fidèle à sonpropos d’historien et qu’il proscrive tout ce qui est étranger au récit des événements (discours, réflexions,comparaisons). A vrai dire, il n’y a même plus alors de narrateur. Les événements sont posés comme ils se sontproduits à mesure qu’ils apparaissent à l’horizon de l’histoire. Personne ne parle ici ; les événements semblent seraconter d’eux-mêmes. » [Benveniste, 1966 : 238-241]. C) à un genre historiquement daté (début du XXèmesiècle) se distinguant du « roman », et en particulier au sous-genre du « récit poétique » décrit par J.-Y. Tadiépour rendre compte d’une part importante de la littérature de la première moitié du XXème siècle : « Le récitpoétique en prose est la forme du récit qui emprunte au poème ses moyens d’action et ses effets, si bien que sonanalyse doit tenir compte à la fois des techniques de description du roman et de celles du poème : le récitpoétique est un phénomène de transition entre le roman et le poème […]. L’effacement des personnages laisse àl’espace, au décor, urbains ou naturels, une place privilégiée […]. Parce que récit, il échappe à la contemplationimmobile, qui a de préférence sa place dans le poème – ou le tableau. Tout récit poétique, pour durer au sein dela Nature, doit se faire itinéraire » [Tadié, 1978 :7-9]

Récit et description

Chez Gracq, comme le note M. Murat, « description et récit s’équilibrent […] dans une contestation réciproque :chacun tend à détruire l’autre, mais en vit » [cité par Cardonne, 1984 : 197].

A) Frontières du récit et de la description

La description passe souvent par le regard ou les pensées de Grange [v. Problématiques, Poétique du récit,Structures narratives] en situation de surplomb comme l’illustrent les ouvertures descriptives suivantes :« Couché sur le côté, son regard plongeait sur la Meuse ; la lune s’était levée au-dessus de la falaise ; onentendait seulement le bruit très calme de l’eau qui glissait sur la crête d’un barrage noyé, et les cris deschevêches perchées tout près dans les arbres de l’autre rive. La petite ville s’était dissoute avec ses fumées »(p. 15) ; « Quand le regard plongeait dans les layons, une brume cotonneuse les murait à vingt pas » (p. 52). Lesdescriptions sont souvent l’évocation d’un instant privilégié, un de ces moments où Grange se laisse aller « sur lapente de sa rêverie » (p. 52) dans un « petit halo de conscience tiède » (p. 52). Le statut narratif de ces momentsdescriptifs est assez complexe à établir, si l’on s’appuie sur la distinction bien connue des « vitesses du récité »selon Genette. On rappellera que la vitesse du récit est définie « par le rapport entre une durée, celle de l’histoire,mesurée en secondes, minutes, heures, jours, mois et années, et une longueur, celle du texte, mesurée en lignes eten pages » [Genette, 1972 : 123]. Dans les descriptions d’Un balcon en forêt, on n’a pas vraiment de « pause »,dans la mesure où la longueur du texte n’est pas supérieure à la temporalité diégétique (c’est même plutôt

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l’inverse), ni de « scène » car il n’y a pas d’égalité entre temps de la diégèse et narration. C’est qu’en fait –comme chez Proust selon l’analyse de Genette – la description chez Gracq est « moins une description de l’objetcontemplé qu’un récit et une analyse de l’activité perceptive du personnage contemplant, de ses impressions[…], contemplation fort active en vérité » où « la description se résorbe en narration » [1972 : 136-138]. Cetteactivité perceptive et pensante du sujet relève du « psycho-récit » dans la définition de Dorrit Cohn, psycho-récitqui se caractérise par son « élasticité temporelle » [1978 : 56], pouvant condenser un long espace de temps maispeu aussi étendre les limites de l'instant (alors que les « monologues rapportés » ou « narrativisé » se superposentà la succession temporelle du récit).

B) Description, instant et attente

Dans ces moments descriptifs, tout se passe en effet comme si étaient étendues les limites de l’instant, cet instantqui a pu être vu en philosophie comme la seule réalité du temps ce dont Bachelard rend compte dans L’Intuitionde l’instant [1931 : 13] : « Le temps n’a qu’une réalité, celle de l’instant. Autrement dit, le temps est une réalitéresserrée sur l’instant et suspendue entre deux néants. […] L’instant c’est déjà la solitude […]. Le temps seprésente comme l’instant solitaire, comme la conscience d’une solitude ». Ces « instants » sont vécus dans unesorte de béatitude par Grange, béatitude précisément de cet instant solitaire : il entrait dans un monde racheté,lavé de l’homme, collé à son ciel d’étoiles de ce même soulèvement pâmé qu’ont les océans vides. « Il n’y a quemoi au monde », se disait-il avec une allégresse qui l’emportait » (p. 97). Ces moments épiphaniques sont narrésà l’imparfait, temps qui permet – en raison de son aspect non-sécant, ne fixant pas les limites temporelles duprocès – de diluer l’instant présent.Par cette dilation de l’instant, c’est un style de l’attente qui est mis en œuvre : en plus d’être un thème etd’engager une structure, une « dramaturgie » [v. Thématiques, Une dramaturgie de l’attente], l’attente donne lieuchez Gracq à une écriture, un style spécifique : « La terre baignait encore à hauteur d’homme dans une mareverdâtre d’huile lourde, mais la pointe des arbres se dessinait déjà sur le ciel plus clair ; à quelques pas de lui, ildiscernait une tâche d’obscurité plus dense, plus ramassée, qui était le contour de la maisonnette. Le calme étaitabsolu – le silence et le froid au cœur pénétrant du petit jour donnaient à l’aube qui se levait une teinte bizarre desolennité : ce n’était pas le jour qui pénétrait la terre, mais plutôt une attente pure qui n’était pas de ce monde, leregard d’un œil entr’ouvert, où flottait vaguement une signification intelligible » (p. 225). De nombreuxéléments convergent ici pour exemplifier – au sens de N. Goodman – ce moment d’« attente pure » qui est iciattente de la fin imminente : les nombreuses notations de formes (« pointe », « contour »), de couleurs(« verdâtre », « clair », « obscurité »), de matières (« terre », « mare », « huile ») non seulement mettant en jeules différents sens (la vue avec « discernait » et « l’œil entr’ouvert », l’ouïe avec le « silence », mais créent unesaturation phrastique qui relève de la catalyse telle que l’a définie Barthes [v. Bikialo, 2004 : 212-224] : lesadjectifs, les adverbes, les subordonnées relatives créent un mouvement d’expansion catalytique de la phrase[v. La « phrase déferlante » d’Un balcon en forêt], auquel contribuent également l’italique comme formeouverte, arrêtant le lecteur, et la ponctuation qui favorise les relances et l’inachèvement. Ces descriptions quicréent une sorte d’instant épiphanique baignent dans une forme d’« irréalité » (p. 37).

Réalisme et flottement référentiel

Cette irréalité peut être due au fait que la description est issue d’une sorte de rêverie du personnage, mais elletouche plus profondément le référent, qu’il s’agisse de la guerre (et l’expression complète de la page 37 est bien« l’irréalité de la guerre ») ou du cadre géographique. Il convient ainsi de s’interroger sur le caractère « réaliste »de ce récit, cette notion n’allant évidemment pas de soi (elle ne va jamais de soi, chez Gracq comme chezBalzac) en particulier chez un auteur se revendiquant du surréalisme. Le surréalisme, et Breton en particulier,s’est en effet fermement opposé au réalisme, comme le rappelle Grossman dans Julien Gracq et le surréalismeen citant le Manifeste du surréalisme de Breton : « l’attitude réaliste inspirée du positivisme, […] m’a bien l’airhostile à tout effort intellectuel et moral. Je l’ai en horreur, car elle fait des médiocrité, de haine et de platesuffisance » [1980 : 78-79]. Si l’indétermination (rendue par des atmosphères nocturne notamment comme à lapage 15, mais aussi plus ponctuellement par les nombreuses « enclosures » comme « une sorte de », « uneespèce de ») qui règne dans les récits de Gracq s’inscrit dans cette filiation surréaliste, le cas d’Un balcon enforêt est particulier, comme en témoigne ces phrases de J. Gracq lors d’un entretien avec G. Ernst : « Je n’avaispas besoin d’imaginer un sujet puisque l’histoire s’était trouvée un moment ressembler à la situation danslaquelle je me trouve par préférence en imagination. Alors ce roman est réaliste. Il se situe dans le cadre de laguerre, dans un endroit en effet fixé et reconnaissable, tout simplement parce que l’imagination était en sommede trop. La réalité fournissait trop, elle allait trop dans mon sens » [Ernst, 1972 : 214].

A) Référence réelle et fictionnelle

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L’ouverture du « récit » permet d’analyser ce rapport entre fiction et réalité. Le récit s’ouvre sur un toponyme« réel » (même si fortement connoté en rapport à Rimbaud) : « Charleville » (p. 9), préfectures des Ardennes. Etpar la suite de nombreux noms propres font référence à des lieux existants, à commencer par « la Meuse » (p. 9),mais aussi les « Fraitures », ville de Belgique de même que « Spa » (p. 117), la « Belgique » (p. 171, 188, 199,208), « l’Ardenne » (p. 195), et: « Bouillon » et « Florenville » (p. 197), deux localités belges,. Par ailleurs, ladescription du cheminement du train (p. 9-10) comporte une très forte dimension référentielle (le cours sinueuxde la rivière, la falaise, les forêts), à tel point que Boie précise dans une note de La Pléiade : « il s’agitmanifestement de la ligne Charleville-Grivet qui suit la vallée encaissée de la Meuse. Le cours de la rivière estici très sinueux ; la voie passe souvent d’une rive à l’autre et coupe parfois un méandre en empruntant un tunnel.Gracq avait pris ce train en 1955 » [O.C. II : 1313]. Dès la page 11 toutefois, avec l’arrivée en « gare deMoriarmé », la référence réelle se mue progressivement en référence fictionnelle : On sait en effet que si« Moriarmé » n’existe pas, ce nom propre est une sorte de contraction de deux noms « réels », comme Gracq lui-même l’a indiqué : « Apporter à la fiction des éléments de réalité non transformés doit se faire le moins possible.Tous ces paysages de romans sont des paysages synthétiques. Evidemment, ils se souviennent de paysages réelsmais ils sont recomposés, souvent fondus l’un dans l’autre. Dans le Balcon en forêt, Moriarmé, c’est Monthermé,mais c’est Revin aussi par certains côtés. La route qui va vers l’Ardenne est la route qui part de Revin, mais lavue de la boucle est plutôt celle de Monthermé et aussi de Morialmé, qui est un village au bord de l’Ardenne,cette fusion des deux noms est assez typique. » [Entretien avec J.-L. Tissier, O.C. II : 1207]. Le lien parparonomase qui unit les deux villes et qui aboutit la contraction, la manière dont le signifiant de « Moriarmé » sefait évocateur à la fois de la mort et de l’armée montre que l’on entre là dans un « roman des noms propres »[Murat, 1983] où la fonction poétique est déterminante dans l’emploi du nom propre. Mais la référence « réelle »montre que le récit ne quitte pas immédiatement la réalité, que l’entrée dans la fiction est progressive. Ce n’estqu’ensuite, une fois arrivé au « Toit » que la fiction prendra le dessus. L’itinéraire de l’arrivée à la maison fortepar Grange s’avère donc être symbolique du mouvement d’entrée en fiction, avec un passage progressif de lieuxréférentiels à des lieux fictionnels. Ainsi, à la différence du Rivage des Syrtes notamment, où les lieux fictionnelsdominent et où la référence extra-textuelle se contente d’être « effet de réel », dans Un balcon en forêt, le lieufictionnel (le Toit) est encadré par le monde réel : cet encadrement est sensible lors de la permission de Grange(section 12, p. 141-151), où les lieux réels reviennent (Paris, Chinon), comme signe d’une sortie provisoire de lafiction. Il y a là une manière de souligner l’isolement des personnages dans leur maison forte, coupés du monde,en marge du monde réel. Mais cette marginalité n’est toujours que relative, d’où les jeux sur les noms propresdont les signifiants rappellent, évoquent des noms réels même s’ils n’y renvoient pas directement : c’est ainsique si aucun lieu-dit ou aucune maison forte ne porte le nom des « Falizes », en revanche il existe un bourg dunom de « Flize » sur la Meuse et un défilé de la « Falizette ». Si le récit n’est pas réaliste, il s’ancre ainsi dans ununivers crédible, et se situe dans un espace en marge entre fiction et réalité qui est tout à fait représentatif de lasituation des personnages.

B) « L’effet d’irréel »

La plupart des descriptions ont une dimension irréelle, ne serait qu’en raison de l’atmosphère, de la luminositécrépusculaire et automnale puis hivernale qui dominent. Un agrégatif 2007 ne manquera pas de penser à Verlaineet à ses atmosphères de « Clair de lune » (dans Fêtes galantes) en lisant : « Quand il eût soufflé la bougie, toutchangea. […] La lune s’était levée au-dessus de la falaise […]. « A la belle étoile… » songea-t-il, et il pensaitconfusément à d’étroites routes blanches sous la lune » (p. 15-16) ; « Quand il se trouvait dans la rue, il luisemblait que la lumière avait baissé : un marge croissant d’ombre brusquement froide qui tombait de la falaisemordait déjà au-delà de la Meuse » (p. 49) ; « la lune se levait et rendait à perte de vue la terre guéable aussidoucement qu’une embellie sèche les chemins » (p. 99). Mais au-delà de cette atmosphère, l’effet d’irréel reposedans ce récit sur une technique descriptive aux antipodes du réalisme objectif (en partie mythique), permettant derendre compte avec précision des objets ou des lieux décrits. Comme le souligne Tadié : « L’inventaire du réel,les listes de détails techniques, professionnels, géographiques sont remplacés par des défilés d’images qui sedéploient dans l’imaginaire ; l’effet d’irréel succède à l’effet de réel » [1978 : 56].La description de la chambre de Mona est tout à fait emblématique de ce « détournement du topos descriptif »[Cardonne, 1984 : 203] : « La pièce assez vaste où Grange entra donnait une impression de tiédeur confortable etpresque de luxe qui surprenait dans ce hameau perdu après les cantonnements boueux de la Meuse. A en jugerpar les solives grossières, l’énorme cheminée sans jambages, avec la plaque d’ardoise de son foyer, la portepaysanne […], c’était une ancienne ferme qu’on avait dû réaménager pour des estivants. […] Dans un angle, onvoyait un lit-divan, et au-dessus des étagères couvertes de livres ; au milieu de la pièce, une table marocainebasse, faite d’un grand plateau de cuivre repoussé. […] sur ces meubles massifs, cette ordonnance lourde, étaitjeté le désordre charmant d’une nursery. Des disques dans leur enveloppe froissée et des livres gisaient pêle-mêlesur le tapis, des billes de verre roulaient dans le fond des fauteuils, aux murs étaient épinglés des cartes postales

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galantes, des portraits d’acteurs, des coupures de journaux. Sur une corde tendue de l’espagnolette à la clef del’armoire s’égouttaient de menues lingeries de femme – au-dessus du lit, un système compliqué de ficelles et depinces à linge soutenait une grosse lanterne d’écurie. Dans l’angle opposé au lit, […] traînaient une litière demagazines de mode, un harmonica, une paire de mules de cuir rouge, des ciseaux à ongles, un éventail et ungrand peigne de corne espagnol ouvragé comme une châsse. Sur le désordre de campement indigène flottait uneodeur légère et stimulante » (p. 62-63).Ce qui domine c’est l’impression d’hétéroclite, de « pêle-mêle » (le mot est dans l’extrait, si l’on veut biencorriger la coquille de l’édition Corti qui écrit « pêle-même »). Le « luxe » évoqué à l’ouverture va se faire« luxe textuel » [Hamon, 1993 : 44], ce dont rendent compte les énumérations qui débordent parfois versl’accumulation : « tant que les mots défilent sagement, que la mémoire conserve les images successivementévoquées et donne une pertinence à leur enchaînement, la liste est énumération. A partir du moment où la suitede mots fait perdre pied, où l’enchaînement semble aléatoire, où le sens le cède aux sons, la lecture devient jeu etl’énumération accumulation » [Chisogne, 1998 : 289]. Le « désordre » de la chambre mine, ou est mimé par, laphrase, qui fait alterner en position frontale les éléments descriptifs ou les compléments circonstanciels de lieu,avec un enchaînement qui semble aléatoire, fondé autant sur la volonté de signifier le caractère hétéroclite quesur les signifiants (allitérations en [i] notamment qui permettent de passer du « cuivre » aux « meubles massifs »à la « nursery », aux « disques », au livres » qui « gisaient » sur le « tapis », aux « billes »…) : « la descriptiondevient le lieu de l’aléatoire, de l’amplificatio infinie, de la non-clôture et de la non-structure, de la proliférationlexicale à saturation imprévisible » [Hamon, 19993 : 44]. Ce « désordre » textuel est également sensible dans ladimension hybride de la chambre, entre « ferme » et maison de vacances « pour des estivants » ; la dimension de« ferme » est réactivée par une métaphore comme « litière de lit » et des mots comme « lanterne d’écurie », lesautres éléments (« magazines de mode », disques ») étant davantage à relier au côté maison de vacances. Cettehybridité est aussi celle des pays convoqués – déjà analysée pour la maison forte [v. Lexicologie], que ce soit parl’origine des mots (« nursery », « espagnolette ») ou par une évocation plus directe : « espagnol », « campementindigène ». Cette hybridité est enfin celle de Mona, femme-enfant comme en témoigne le contenu de sa chambre.Comme l’écrit Cardonne, les « tensions sémantiques multiples » de cette description, qui se rapproche à bien deségards de la description flaubertienne de la casquette de Charles Bovary – objet irreprésentable par son caractèrehétéroclite, description en mouvement – « en assurent le dynamisme » [1984 :204], en accord avec la recherchedu mouvement chez Gracq aussi bien au niveau du récit en général que de la phrase [v. Julien Gracq. Quelquesaspects de l’écrivain et La phrase déferlante].

Récit poétique : esapce, temps et personnage

Le récit poétique comme genre s’appuie sur les éléments relatifs à la description évoqués précédemment. Maisplus généralement il articule temporalité, espace et personnages de manière tout à fait singulière.

A) Lieux d’élection et chronotopes.

Le récit poétique a « des lieux d’élection » [Tadié, 1978 : 58] qui peuvent être le château, la forêt, la route, larue, et la chambre (il n’est qu’à rappeler Proust ou des Forêts avec La Chambre des enfants). Dans Un balcon enforêt, la maison forte est un de ces lieux d’élection, de même que la chambre, la chambre de Mona dans laquellegrange se réfugiera à la fin, mais aussi cette chambre où il ne dort qu’une fois, comme Perec se plaisait à lesénumérer, lors de son arrivée à Moriarmé : « La chambre était un grenier assez étroit dont les fenêtres donnaientsur la Meuse ; dans l’angle opposé au lit de fer, des fruits séchaient, étalés sur de vieux journaux qui tapissaientune commode bancale : l’odeur obsédante et douceâtre des pommes sûres était si agressive qu’il eût un haut-le-cœur. Il ouvrit les fenêtres toutes grandes et s’assit sur une malle, complètement dégrisé » (p. 14-15). Lachambre est ici négative, envisagée comme lieu clos qui s’oppose au lieu ouvert qu’est la nature et la Meuse. Acette opposition entre intérieur et extérieur, très fréquente chez Gracq s’ajoute l’opposition entre l’ombre et lalumière : à la lumière artificielle de la bougie succède en effet la lumière des étoiles : « Quand il eût soufflé labougie, tout changea[…] Grange pensa que la moitié de sa vie allait lui être rendue : à la guerre, la nuit esthabitée « A la belle étoile… » songea-t-il » (p. 15-16). Comme l’écrit Tadié, « l’espace du récit poétique n’estjamais neutre : il oppose un espace bénéfique à un espace neutre, ou maléfique » [1978, 61]. La plupart du tempsdans Un balcon en forêt toutefois l’espace n’est pas bénéfique ou maléfique en soi, il l’est selon le moment : lamaison forte est à la fois lieu de plaisir, de convivialité lieu où Grange se plait (p. 138) et lieu « si laid » (p. 90)selon Mona, « piège à cons » selon le lieutenant. De la même manière la forêt est à la fois un lieu magique et unlieu de danger.La plupart des descriptions s’opèrent à partir d’un déplacement, un promenade de Grange : dans ces moments seconcilie parfaitement espace (comme cadre de la promenade et lieu décrit), temporalité (par le mouvement de la

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marche, le dynamisme) et personnage (par le regard décrivant, la vision subjective). On est là face à ce queBakhtine appelle un "chronotope" : "Nous appellerons chronotope, ce qui se traduit, littéralement, par « temps-espace » : la corrélation essentielle des rapports spatio-temporels" [1975 : 237] évoquant par exemple le« chronotope du seuil » défini comme "Le chronotope de la crise, du tournant d’une vie ». [Ibid. : 389]. C’est dechronotope du seuil que l’on retrouve dans la description de la chambre p. 15-16 ou lors de la rencontre de Monap. 52. Dans une des promenades de Grange apparaît parfaitement cette corrélation des rapports entre temps etespace : « Avant d’arriver aux Falizes, maintenant, il quittait la route à l’entrée de la clairière et prenait unchemin de terre qui se glissait entre la lisière des taillis et les clôtures d’épines des jardinets […]. Quand ilarrivait très tôt, un étang de brouillard traînait encore sur les prairies, d’où sortaient seulement les maisons, lacrête des haies et les touffes des pommiers ronds. Des cheminées glissait déjà un filet de fumée ; quelquefois unefemme, qui suivait à gué dans le brouillard une allée invisible, étendait, dès la première heure, sa lessive à sécherentre les carrés de légumes » (p. 84) : les noms communs renvoyant à des lieux sont très nombreux (« route »,« clairière », « chemin de terre », « taillis », « prairies », « maisons », « haies »…) mais sont encadrés par desnotations temporelles permanentes, adverbiales le plus souvent, qui font de cette description autant (ou moins) ladescription d’un lieu que celle d’un moment, cette heure vide qui précède l’aube : « avant », « maintenant »,« très tôt », « encore », « déjà », « quelquefois », « dès la première heure ». Au lieu d’élection correspond biensouvent un instant d’élection [v. récit et description].

C) Espace et personnage

Comme l’illustre le passage précédent, dans le récit poétique, « ou bien les choses se présentent d’elles-mêmes,ou bien le protagoniste prend en charge la description » [Tadié, 1978 : 50]. Au « il quittait » initial, où Grangeest sujet syntaxique et sémantique, succèdent un certain nombre de procès dont le sujet est l’espace (« unechemin de terre qui se glissait » », « un étang de brouillard traînait », « des cheminées glissaient »). Le paysageest ici actif, les prédicats notant tous un procès dynamique et, significativement, de l’ordre du glissement.(déjàp. 15 « l’odeur des grands bois glissaient »). Grange et la nature se rejoignent dans les actions qu’ils font, dansles métaphores qui les caractérisent. Selon Tadié, en effet, « Gracq […] voit le personnage comme un végétal,comme un organisme qui fait corps avec la planète, ou plutôt comme la terminaison de l’organisme de laplanète » [1978 : 78) et, de fait, Gracq évoque dans Préférences sa conception du rapport homme/nature ouespace/personnage : « je me fais de l’homme l’idée d’un être constamment replongé : si vous voulez l’aigretteterminale, la plus fine et la plus sensitive, des filets nerveux de la planète. Le côté fleur coupée du romanpsychologique à la française me chagrine par là beaucoup » [Œuvres complètes I : 844]. Les références auxCosaques de Tosltoï (p. 37 et 94) s’inscrit au reste dans cette conception. Pour Gracq, Tolstoï est un des « grandsvégétatifs » qui sont les vrais poètes, et comme il l’écrit dans « Pourquoi la littérature respire mal » : « Une pagede Tolstoï […] nous rend à elle seule le sentiment perdu d’une sève humaine accordée en profondeur auxsaisons, aux rythmes de la planète, sève qui nous irrigue et nous recharge de vitalité, et par laquelle, davantagepeut-être que par la pointe de la lucidité la plus éveillée, nous communiquons entre nous » [O.C. I : 879]. C’estaussi un des traits qui rapproche Gracq du surréalisme [Grossman, 1980 : 8].La relation de Gange à l’espace, à la nature passe essentiellement par la métaphore aquatique, métaphore filée àl’échelle du roman, à tel point que l’on peut parler de « métaphore continuée » selon l’expression par laquelleDumarsais définit l’allégorie dans son traité Des tropes [v. Dürrenmatt, 2002 : 18] : « son regard plongeait sur laMeuse » (p. 15), « il s’endormit, sa main pendant de son lit au-dessus de la Meuse comme du bordage d’unebarque » (p. 16), « il abordait à la lisière des bois comme au rivage d’une île heureuse » (p. 84) ; jusqu’à ladernière page : « la vie retombait à ce silence douceâtre de prairie d’asphodèles, plein du léger froissement dusang contre l’oreille, comme au fond d’un coquillage le bruit de la mer qu’on n’atteindra jamais » (p. 253). Atravers des comparaisons et des métaphores, c’est en tant que « songeur d’eau », « homme du fluide tendre »[Bellemin-Noël , 1995 : 23] que Grange apparaît tout au long de ce récit. Ainsi chez Gracq, le personnage nes’efface pas, comme dans le récit poétique plus moderne, mais il apparaît totalement déterminé par l’espace [v.Bikialo, 2003]. S’il est le foyer de la description, il est un foyer sensible aux mouvements de la nature (laprédication sur Grange comme sujet s’effectue souvent par des verbes de perception ou de sensations liées à lanature environnante). Personnage souvent en surplomb géographique, Grange est un guetteur mélancolique, surlequel pèse le « silence assourdissant » (p. 252) qui se referme sur lui « comme une eau tranquille » (p. 252). Onne reviendra pas sur la métaphore du sommeil, de l’endormissement, liée à l’attente et bien évoquée par Francis[1979 : 37-52]. Rappelons simplement que le récit se clôt sur le verbe « s’endormit » comme la première section(p. 16), et que cette dimension du personnage est mise en valeur tout au long du récit par un « psycho-récit » queCohn nomme « consonant », qui passe « par l'intercession d'un narrateur qui reste effacé, et qui se laisse absorberpar la conscience qui fait l'objet de son récit » [1981 : 43]. La corrélation étroite entre espace, temps etpersonnage sont la condition d’existence du personnage, en marge du monde et des autres, mais s’efforçant de

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coïncider à lui-même et à son existence végétative, voire végétale, le « carré de l’équipage », p. 38, faisant échoà ce « carré de légumes » qui entoure la maison forte (p. 20).

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LA « PHRASE DÉFERLANTE » D’UN BALCON EN FORET

« La phrase est […] à chaque fois un événement différent ; elle n’existe que dans l’instant où elle est proférée ets’efface aussitôt ; c’est un événement évanouissant » [Benveniste, 1974 : 227]. Dans son essai sur André Breton,Gracq s’attache avec une grande précision (métaphorique) à la caractérisation de la phrase, qui n’est pas sansrappeler celle proposée par Benveniste comme « événement évanouissant » : « Armature de la phrase, le liensyntaxique dessine la courbe d’un mouvement » [O.C. I : 482]. Et il précise : « Ce que nous avons appelé lecourbe d’une phrase se décompose en deux segments dont il y aurait grand intérêt par rapport à un certain pointcritique, qui en constitue le sommet, à souligner les sens diamétralement opposés. Dans le début de la phrase, lemouvement de la pensée, que guide ou que reproduit (peu importe) la syntaxe, apparaît comme un pursurgissement : c’est toujours d’une espèce de coup de vent d’une liberté extrême qu’il dépend que noussurmontions le vertige d’inertie, d’un caractère proprement stupéfiant, que dégage « le vide papier que sablancheur défend ». Dans le prolongement de cet élan initial, que les mots qu’il appelle à lui n’arrivent pas àrejoindre suffisamment vite, se creuse comme un appel d’air, un vide précurseur, qui somme, encoreindistinctement, les combinaisons verbales d’avoir à être, à sa bousculer en remous derrière son passageextrêmement pressé. […] Mais si le génie a son siège dans ce mouvement d’éclosion et fertilité aveugle dudépart, passé le sommet de la courbe c’est l’art qui se charge de tirer le meilleur parti possible de sonretombement : l’approche de la fin de la phrase, son freinage progressif signifie un ressaisissement des pouvoirsde contrôle et de choix sur une matière verbale qui tend maintenant, répondant après coup à l’éréthisme violentqui soulevait la phrase à son début, à proliférer avec excès » [O.C. I : 483-484].Cette description à la fois précise et métaphorique de la genèse phrastique mérite d’être prise au sérieux dansl’analyse de la phrase de Gracq, phrase le plus souvent « déferlante » qui repose sur le principe de la catalyse [v.Bikialo, 2004 et 2007].

Phrase « conclusive » et phrase « déferlante »

Derrière son évidence dans le sens commun, la notion de phrase ne va pas de soi : non seulement sagrammaticalisation est relativement récente, puisqu’elle date du XVIIIème siècle (le mot « phrase » désignaitavant un syntagme), mais ses critères de définition sont multiples, au point qu’« il n'existe évidemment nullepart, ni en 1670, ni en 1993, ni en plein cœur du XVIIIe siècle, une vérité de la phrase » [1993 : 3]. On peuts’appuyer sur deux définitions : celle à la fois syntaxique et sémantique proposée par Gary-Prieur: « Une phrasesimple est une unité linguistique constituée par une structure formelle centrée sur le verbe, véhiculant uneproposition douée de sens, et pourvue d'une intonation spécifique » [1985 : 43] ; celle, syntaxique et énonciative,proposée par Le Goffic : « La phrase est un faisceau de dépendances hiérarchisées, une structure syntaxiquecomplète et autonome, autour d’un centre de dépendance unique lié à un acte. La phrase est donc,inséparablement, une réalité à la fois syntaxique (prédicative) et énonciative » [2005 : 56-57]. Par la dimensionénonciative, cette définition de la phrase met l’accent sur l’acte d’un sujet énonciateur. Par la dimensionprédicative s’ouvre une analyse de la phrase qui implique de réfléchir aux éléments essentiels (de la phrasenominale) et accessoires (de la phrase catalysée).Comme l’a souligné Barthes en effet, « la phrase peut être pourvue à l'infini d'incises et d'expansion : le travailcatalytique est théoriquement infini ; même si la structure de la phrase est en fait réglée et limitée par desmodèles littéraires […] ou par des contraintes physiques […], il n'en reste pas moins que l'écrivain, affronté à laphrase, éprouve la liberté infinie de la parole, telle qu'elle est inscrite dans la structure même du langage ».[1967 :135]. Cette définition de la catalyse se rapproche de très près de la caractérisation par Gracq lui-même (ausujet de Breton) de la « phrase déferlante » : « Son utilisation consiste – à la manière de ces « surfs-riders » quise maintiennent portés en équilibre vertigineux sur une planche à la crête d’une vague jusqu’à l’écroulementfinal – à se confier les yeux fermés à l’élan de vague soulevée qui emporte la phrase, à se maintenir coûte quecoûte « dans le fil », à se cramponner à la crinière d’écume avec un sentiment miraculeux de liberté, à la suivrepartout où la mène un dernier sursaut de vie, un influx privilégié de propulsion, en s’en remettant d’avance, etsans plus y penser, à sa propre souplesse et à son instinct de bon nageur pour émerger, le moment venu, aumoindre dommage de la catastrophe finale » [O.C. I : 485].A cette phrase « déferlante », Gracq oppose, selon la nature de la retombée, la phrase « conclusive » : « le typede la phrase conclusive se caractérise par une sclérose contagieuse et régressive qui gagne de proche en proche lastructure de la phrase à partir de sa section la moins mobile, la plus morte, qui est sa terminaison. A la limite, untel type de phrase peut même finir par se trouver à ce point pétrifié par la considération de sa fin, que le premier

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jet de caractère spontané s’en trouve entièrement exclu : le dessin de phrase se trouve alors conditionné de toutesparts par le contour rigide et pressenti de ses voisines et ne cherche plus qu’à s’imbriquer dans le contexte – àrésoudre un problème mécanique d’emboîtement. » [Ibid. : 484]. Cette phrase existe chez Gracq, même si lesdéveloppements qui suivent insisteront sur la phrase « déferlante », plus courante et emblématique du style d’Un balcon en forêt. Ainsi : « Quelquefois, quand la patrouille tardait, il s’endormait un peu malgré la faim surl’herbe gelée, et presque aussitôt il rêvait. C’était presque toujours un rêve de routes. Il rêvait de chars glissantvers le fortin, par la longue trouée devant l’embrasure. Il rêvait de ce qui serait. » (p. 101). La brièveté desphrases n’est là qu’un indice d’un schéma phrastique conclusif plus profond, où chaque phrase est orientée verscelle qui précède et celle qui suit, « conditionné de toutes parts par le contour rigide et pressenti de sesvoisines ». La reprise en polyptote de « rêve » (nom commun et verbe) de phrase en phrase, ainsi que le rythmerend compte de ce caractère conclusif. Lisons avec Gracq : la première phrase s’ouvre sur un « surgissement »par une double notation temporelle créant cet « appel d’air » qui est sensible par le sémantisme du verbe« s’endormait » renforcé par l’aspect non sécant de l’imparfait, mais aussi par l’expansion du volume phrastique,qui donne le sentiment que la phrase s’ouvre à la catalyse, se creuse : au rythme 3/6 des deux premierscirconstants succède en effet un rythme en 6/4/4. Mais la phrase retombe immédiatement (« et presque aussitôt ilrêvait », avec 8 syllabes) créant un effet de chute, de clausule qui va se confirmer dans les phrases suivantes. Laphrase suivante est brève (10 syllabes) tout entière tournée vers ce qui précède et annonçant l’anaphorerhétorique du « il rêvait » qui va structurer les deux phrases suivantes, dont le rythme (11/10 puis 8) retombeprogressivement dans un effet global de cadence mineure.A ces éléments structurant la phrase conclusive va donc s’opposer le travail catalytique de la phrase déferlantequ’on peut analyser à plusieurs niveaux (subordination, ponctuation et discours analogique).

Expansion catalytique (subordination et détachement) et attente

La phrase de Gracq progresse par amplifications successives et emboîtées les unes dans les autres, les différentesformes d'amplification apparaissant comme des moyens d'accroître la densité phrastique : « l'amplificationdésigne le mode par lequel une production discursive est développée pour rassembler le plus grand nombred'idées possibles en liaison avec son sujet » [Gardes Tamine et Pellizza, 1998 : 15]. Ce qui frappe ainsi dans laphrase suivante, c’est à la fois la très grande unité des notations perceptives, spatiales et temporelles et lamanière dont la phrase se fait mimétique, par la subordination et le détachement le « suspens étrange » quirègne : « Grange regardait, le front tiré par l’attention et par le sentiment d’un suspens étrange. Il y avait uncharme puissant à se tenir là, si longtemps après que minuit avait sonné aux églises de la terre, sur cette gâtinesans lieu épaissement saucée de flaques de brumes et toute mouillée de la sueur confuse des rêves, à l’heure oùles vapeurs sortaient des bois comme des esprits. » (p. 100). Dès l’ouverture est posée une phrase minimale(sujet / verbe) mais le verbe transitif « regarder » est ici employé de manière intransitive, restant commesuspendu en attente, en « équilibre vertigineux » pour reprendre l’expression de Gracq au sujet de la phrasedéferlante. La construction détachée qui suit, marquée par la virgule, se présente comme un satellite, unconstituant périphérique [Combettes, 1998], syntaxiquement effaçable, mais entretenant avec les éléments del'unité minimale textuelle une relation d'interdépendance sémantique. Le syntagme apposé est lui-même expansépar deux compléments prépositionnels coordonnés par « et », le second SP étant lui-même expansé par uncomplément du nom, au sein duquel le nom est expansé par un adjectif qualificatif. On est là dans la catalyse ausens de Barthes, qui consiste en la saturation de toutes les places syntaxiques de la phrase. Syntaxiquement etrythmiquement (4/8/11), la phrase suit donc un mouvement d’expansion. A l’instar de Leiris [v. Bikialo, 2004 et2007], Gracq ici « arrondit la bedaine de son texte » (Langage tangage). Ce mouvement d’expansion, de catalyseest significatif du « suspens » diégétique et va se poursuivre : l’adverbe de lieu « là » est en effet placé justeavant une expansion par subordination, et est repris par un complément circonstanciel de lieu ensuite : « sur cettegâtine sans lieu ». Il y a là un redoublement d’un poste syntaxique qui relève de la catalyse, dont Barthes amontré qu’elle a un lien étroit avec la description et l’attente [1977 : 48]. Cette reprise du complémentcirconstanciel de lieu est emblématique du mouvement de la phrase par la suite, qui semble s’ouvrir sansprévision de sa fin, par les nombreuses expansions : participes passés adjectivés coordonnés auxquels sontincidents des adverbes, puis subordonnée relative adverbiale et enfin comparaison qui clôt la phrase de manièreun peu abrupte. Cette catalyse est permanente et elle passe aussi par la subordination récursive (une subordonnéeen intègre une autre). Ainsi, presque au hasard : « « les automobiles belges, qui roulaient dans la paix d’un autremonde au travers des clairières plus aérées où l’Ardenne peu à peu se morcelait » (p. 39). D’un syntagmeprépositionnel à un autre, d’une relative à une autre, la phrase progresse par emboitement, hiérarchisationssuccessives. La saturation phrastique met donc en scène une volonté d'épuisement des places syntaxiquescatalysables, qui fait de la phrase de Gracq une phrase en constante attente, se tenant sur la « crête » en un« équilibre vertigineux ».

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La ponctuation : deux-points, virgules et tirets doubles

Les deux-points ont un rôle essentiel dans ce mouvement de la phrase déferlante, ainsi que les parenthèses et lestirets doubles, signes de ponctuation à valeur énonciative et rythmique, le rythme étant conçu ici comme"l’organisation du mouvement de la parole par un sujet" [Dessons, Meschonnic, 1998 : 28]. Ces signes deponctuation sont des signes visuels de la catalyse phrastique.

A) Les deux-points

Les deux-points sont considérés comme une marque de ponctuation faible ou moyenne, intermédiaire entre lavirgule et la point final : l’italien oppose le « punto fermo », point final, au « punto mobile », point mobilereprésenté par les deux points [Catach, 1994 :69]. Ce « point mobile » si bien nommé est essentiel chez Gracq etcontribue précisément au dynamisme de sa phrase, comme il l’a lui-même explicité dans une riche réflexionmétalinguistique : « Dans le groupe des signes de ponctuation, il en est un qui n’est pas tout à fait de mêmenature que les autres : les deux points. Ni tout à fait ponctuation, ni tout à fait conjonction, il y a longtemps qu’ilme pose des problèmes d’écriture. Tous les autres signes, plus ou moins, marquent des césures dans le rythme,ou des flexions dans le ton de voix ; il n’en est aucun, sauf lui, que la lecture à voix haute ne puisse rendreacceptablement. Mais dans les deux points s’embusque une fonction autre, une fonction active d’élimination ; ilsmarquent la place d’un mini-effondrement du discours, effondrement où une formule conjonctive surnuméraire adisparu corps et biens pour assurer aux deux membres de phrase qu’elle reliait un contact plus dynamique etcomme électrisé : il y a toujours dans l’emploi des deux points la trace d’un menu court-circuit. Ils marquentaussi, à l’intérieur du discours lié, un début de transgression du style télégraphique […] Tout style impatient,soucieux de rapidité, tout style qui tend à faire sauter les chaînons intermédiaires, a spécialement affaire à luicomme à un économiseur, péremptoire et expéditif [En lisant en écrivant, O.C. II : 737]. Si Gracq insiste ici surla dimension elliptique des deux-points (sa « fonction active d’élimination » permettant d’évacuer une formuleconjonctive), il n’en reste pas moins que les deux-points contribuent à l’allongement phrastique, par leur capacitéà relancer la phrase : « On voit les concierges par les soirées d’été, s’établir à califourchon sur leur chaise basse,au bord du trafic qui s’écoule sur la chaussée : à leur manière, ils fuyaient eux aussi leur loge sans air : un peu devent du large passait sur la route avec ces troupes qui roulaient vite et loin. » (p. 71). Les deux-points en cascadejouent là leur rôle d’annonce, de relance présentative, que Claude Simon formule métaphoriquement en parlantdes deux-points comme d’un « rideau de théâtre qui s’écarte de chaque côté de la scène pour dévoiler unspectacle » [Libération, 29/08/1981]. C’est bien cette valeur de rideau qui permet dans la phrase précédente derelier les deux éléments comparatifs (concierges / habitants du Toit) puis d’introduire une nouvelle métaphore(« vent du large »). Les deux-points ont chez Gracq une valeur de relance de la phrase par expansion etréorientation de la thématique ou du statut de l’énonciation (introduction fréquente, conforme à sa valeur enlangue de discours rapportés). Ils sont un des traits stylistiques de cette « phrase déferlante » chère à Gracq.

B) Les "détours de la langue" : parenthèses et tirets

Les parenthèses et tirets doubles, "détours de la langue" [Pétillon-Boucheron, 2003] donnent également à voircette catalyse par leur la « ramification du dire », la « complexification de l'énoncé » qu’ils impliquent : « celui-ci n'est plus strictement monolinéaire mais exhibe un lieu autre, une autre ligne (et parfois plusieurs) grâce àlaquelle la monolinéarité linguistique peut être 'vécue' sur un mode pluriel » [Ibid. : 3]. Si les parenthèses sontassez peu fréquentes dans Un balcon en forêt, les tirets en revanche sont fréquents pour introduire un élémentdécroché sur le plan énonciatif : « Puis venait le sentiment vivant – Grange songeait combien le mot étaitexpressif – du bloc étanche » (p. 34) : les tirets on le voit introduisent un commentaire méta-énonciatif quiannonce la modalisation autonymique sur le mot mis en italique « bloc » ; « On voyait l’enfilade de la laie quimontait vers l’horizon en pente très douce – « étroitement corsetée par les murailles de branches des taillis –d’une couleur rêche de pierre cassée » (p. 35) : les tirets doubles introduisent là un élément descriptifsupplémentaire. Qu’il s’agisse d’éléments sur un autre plan énonciatif – discours autres, commentaires méta-énonciatifs en incidente – ou sur un autre plan narratif – éléments descriptifs – les tirets signalent un élémentcomme accessoire syntaxiquement mais pourtant présent, affichant ainsi la catalyse phrastique. Selon le principede "l'extraction" en effet (dynamique énonciative permettant d'extraire des segments accessoires maisparfaitement homogènes sur le plan morpho-syntaxique avec la phrase insérante) mis au jour par Pétillon-Boucheron [2003 : 181-182], la mise en avant du caractère accessoire syntaxique du segment se double d'unemise en valeur de son contenu sémantique. L'extraction fait ainsi ressortir une double hiérarchisation : celle de lasyntaxe (les éléments accessoires sont des satellites) et celle de l'énonciation (qui fait saillir les accessoiressyntaxiques). Gracq a au reste souligné cette valeur du tirets comme contribuant au mouvement d’expansion dela phrase : « J’ai toujours eu tendance, quand j’écris à user de l’élasticité de construction de la phrase latine, neme souciant que de façon très cavalière, par exemple de la proximité du pronom relatif et du substantif auquel il

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renvoie. Et guère davantage du certificat d’état-civil, au sens étroitement grammatical, qu’on exige du pronompersonnel il ou elle. C’est le libre mouvement orienteur de la phrase qui me guide, et non les solides sutures de lasyntaxe française, qui veut qu’on rapproche toujours étroitement les deux bords avant de coudre. […] Et si mapente naturelle est de donner à chaque proposition, à chaque membre de la phrase le maximum d’autonomie,comme me le signale l’usage croissant des tirets, qui suspendent la constriction syntaxique, obligent la phrase àcesser un instant de tendre les rênes ? » [En lisant en écrivant, O.C. II : 734-735].

Le discours analogique

La catalyse et la phrase déferlante apparaissent enfin à travers le discours analogique qui sature Un balcon enforêt comme l’ensemble des récits de Gracq. On rappellera que la comparaison, très fréquente se distingue de lamétaphore par "pouvoir de retardement" syntaxique [Meschonnic, Pour la poétique, Gallimard, 1970 : 121-122],que Breton formulait en écrivant, dans Signe ascendant : « l’une et l’autre constituent le véhiculeinterchangeable de la pensée analogique et que si la première offre des ressources de fulgurance, la seconde [...]présente de considérables avantages de suspension. » Comme l’a montré M. Murat sur Le Rivage des Syrtes, cequi frappe dans l’écriture de Gracq, outre la prolifération du discours analogique, c’est la multiplicité desmoyens syntaxiques par lesquels il est mis en œuvre. Tous les cadres interviennent, qu’il s’agisse de lamétaphore nominale (« le cœur du monde », « le sommeil de l’hiver », p. 93, ici dans un cadre appositif), ouverbale (« la guerre brasillait, charbonnait », p. 92) ou adjectivale (« cette ruée brutale, longuement piaffantederrière la ligne blanche, et lâchée d’un seul coup », p. 92-93), ou encore de tous les systèmes comparatifs(« comme », « pareil à », « on eût dit que », « comme si »…). Si la comparaison est elle-même procédéd’expansion phrastique, procédé catalytique, d’attente, la comparaison va davantage dans le sens du « court-circuit » (à l’instar des deux-points) en raison de ses « ressources de fulgurance ». C’est que chez Gracq, leséléments stylistiques ne sont jamais univoques : comme les deux-points relèvent à la fois de l’ellipse et de lacatalyse [v. Bikialo, Pétillon, 2007], la métaphore permet à la fois la condensation et l’expansion : cetteexpansion est notamment permise par la métaphore filée, figure dominante de l’analogie gracquienne. La"métaphore filée", notion employée "quand la matrice sémique fondamentale de l'image est reprise et continuée,développée, au-delà du mot porteur, dans une séquence large, phrase, paragraphe, texte" [Bordas, 2003 : 22].Cardonne analyse ainsi le « système complexe » de « relai de la comparaison par la métaphore » qui passe par lavirgule marquant une pause de la figuration et la conjonction de coordination qui en indique la reprise, déviée, deson élan [1984 : 30] dans l’exemple suivant : « on eût dit que sur le cœur de l’Europe, sur le cœur du monde,était descendue une énorme cloche à plongeur, et on se sentait pris sous cette cloche, dont l’air mou serrait lestempes et faisait bruire les oreilles d’un bourdonnement léger » (p. 92). Dans cette image digne de ClaudeSimon, l’angoisse, l’étouffement de Grange apparaît par le déplacement de la comparaison modale à lamétaphore qui amène à se demander si les tempes serrées et le bourdonnement des oreilles est à mettre sur lecompte de la figure ou est une sensation physique concrète ressentie par Grange.Outre sa polyvalence, c'est la réflexivité inhérente à la métaphore qui apparaît, en ce qu'elle "oblige à envisagerle langage en tant que production, création et non plus seulement vecteur de représentation. Le langage se metainsi en scène dans la métaphore" [Dürrenmatt, 2002 : 48]. Murat a ainsi souligné l’importance de ce qu’ilnomme les « figures modalisées » [1983 : 171] : « on eût dit », « on dirait », « il (lui) semblait ». Le « on eûtdit » est particulièrement intéressant en ce qu’il peut ou non introduire une métaphore. L’ensemble de l’énoncésuivant « que » est modalisé ; le modalisateur signifie à la fois une façon de dire les choses et de les voir, à lafois la virtualité et l’approximation, la modalité n’étant par ailleurs pas assumée par le locuteur qui s’effacederrière le « on » [v. Murat, 1983 : 173] : « on eût dit parfois d’un cerveau débranché par le sommeil, maisobsédé d’une rumination pensante, qui faisait passer de temps en temps jusqu’au bout des nerfs de petitsfourmillements » (p. 124). Si le « on » eût dit » est métaphorique, la modalisation implique que l’on peutinterpréter la métaphore dans le sens plutôt de l’irréel ou au contraire plutôt d’un réel pas encore totalementadmis et advenu. Outre sa dimension catalytique, outre la mise en scène subjective qu’elle permet, cette figuresignifie ainsi non seulement le leurre du « suspens magique » (p. 107) de Grange, « ce souhait magique qu’on leseût oubliés là pour longtemps – pour toujours » (p. 109) mais encore la dimension tragique de ce suspensprovisoire. Il est une des figures de la dissonance qui innerve ce récit [v. Rannoux, 2007]. Le passage de la figuremodalisée à la comparaison plus actualisante dans l’extrait qui suit signale bien à la fois l’atermoiementphrastique révélateur du désir de Grange, et en même temps l’imminence de la mort : « Il semblait à Grange quela terre même jaunissait d’un mauvais teint, que le temps la travaillait d’une fièvre lente : on marchait sur ellecomme un cadavre qui commence à sentir » (p. 122).

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BIBLIOGRAPHIE

ŒUVRES DE JULIEN GRACQ

Tous les livres de Julien Gracq ont été publiés chez José Corti, éditeur auquel l’auteur est toujours resté fidèle, refusant toutepublication en collection de poche.

Au château d’Argol, 1938.Un beau ténébreux, 1945.Liberté grande, 1947 (édition augmentée en 1958 et 1969).André Breton. Quelques aspects de l’écrivain, 1948.Le Roi pêcheur, 1948.La Littérature à l’estomac, 1950 (repris dans Préférences).Le Rivage des Syrtes, 1951.Préférences, 1961 (édition augmentée en 1969).Un Balcon en forêt, 1958.Préférences, 1961 (édition augmentée en 1969).Lettrines, 1967.La Presqu’île, 1970.Lettrines II, 1974.Les Eaux étroites, 1976.En lisant en écrivant, 1981.La Forme d’une ville, 1985.Autour des sept collines, 1988.Carnets du grand chemin, 1992.Entretiens, 2002.

Les Œuvres complètes de Julien Gracq ont été publiées dans la Bibliothèque de la Pléiade, aux Éditions Gallimard, éditionétablie par Bernhild Boie (avec la collaboration de Claude Dourguin pour le second volume), en 1989 pour le volume I, en1995 pour le volume II où figurent Un Balcon en forêt et La Presqu’île.Dans le présent ouvrage, l'édition Corti est utilisée pour les textes au programme et tous les romans de Gracq, l'édition de laPléiade (tomes I et II) pour les autres textes, en particulier les essais critiques, à l'exception de En lisant en écrivant dont lesréférences seront données dans l'édition Corti.

ÉLÉMENTS BIOGRAPHIQUES

BOIE B., “Chronologie”, Œuvres complètes de Julien Gracq, Bibliothèque de la Pléiade, p. LIX-LXXXIV.CARRIÈRE J., Julien Gracq, Qui êtes-vous ?, La Manufacture, coll. “Qui êtes-vous ?”, n° 15, 1986.COELHO A., LHOMEAU F., POITEVIN, J.-L., Julien Gracq, écrivain, Laval, Éd. Siloe, coll. “Le Temps singulier”, 1988.HADDAD H., Julien Gracq. La Forme d’une vie, Le Castor astral, 1986.LE GUILLOU Ph., Julien Gracq. Fragments d’un visage scriptural, La Table ronde, coll. “Essais littéraires”, 1991.LE GUILLOU Ph., Le Déjeuner des bords de Loire, suivi de Monsieur Gracq, Gallimard, coll. “Folio”, 2007 (version

augmentée d’un livre paru en 2002 au Mercure de France).PELLETIER J., Julien Gracq, coll. “Vérité et légende”, Éditions du Chêne, 2001.POITEVIN J.-L., Julien Gracq, Marval, coll. “Lieux de l’écrit”, 1990 (avec des photographies d’Yves Guillot).

OUVRAGES CRITIQUES SUR L’ŒUVRE DE GRACQ

Livres

AMOSSY R., Les Jeux de l’allusion littéraire dans “Un beau ténébreux” de Julien Gracq , Neuchâtel, La Baconnière, coll.“Langages”, 1980.

AMOSSY R., Parcours symboliques chez Julien Gracq : “Le rivage des Syrtes”, Paris, CDU-SEDES, 1982.BELLEMIN-NOËL J., Une balade en galère avec Julien Gracq, Toulouse, Presses universitaires du Mirail, coll. “Cribles”,

1995.BERTHIER Ph., Julien Gracq critique : d’un certain usage de la Littérature, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1990.BORGAL C., L’écrivain et les sortilèges, Paris, PUF, coll. “Écrivains”, 1993.BRIDEL Y., Julien Gracq et la dynamique de l’imaginaire, Lausanne, L’Âge d’homme, coll. “Lettera”, 1981.

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S. Bikialo, Julien Gracq. Un balcon en forêt ; La Presqu'île, Atlande, 2007, p. 169-219

CARDONNE-ARLYCK E., Désir, figure, fiction. Le “domaine des marges” de Julien Gracq, Paris, Minard, coll. “Archives deslettres modernes” n° 199, 1982.

CARDONNE-ARLYCK E., La métaphore raconte. Pratique de Julien Gracq, Paris, Klincksieck, coll. “Bibliothèque du XXe

siècle”, 1984.DENIS A., Julien Gracq, Paris, Seghers, coll. “Poètes d’aujourd’hui”, n° 234, 1978.DOBBS A.-C., Dramaturgie et liturgie dans l’œuvre de Julien Gracq, Paris, José Corti, 1972.1973.GROSSMANN S., Julien Gracq et le surréalisme, Paris, José Corti, 1980.GUIOMAR M., Principes d’une esthétique de la mort, Paris, José Corti, 1967.LEUTRAT J.-L., Julien Gracq, Paris, Seuil, coll. “Les contemporains”, 1991.MAROT P., La Forme du passé. Écriture du temps et poétique du fragment chez Julien Gracq , Paris-Caen, Lettres modernes,

Minard, 1999.MORTAL A., Le chemin de personne. Yves Bonnefoy, Julien Gracq, L’Harmattan, coll. “Critiques littéraires”, 2000.MURAT M., “Le Rivage des Syrtes” de Julien Gracq. Étude de style. Vol. 1 : Le Roman des noms propres. Vol. 2 : Poétique

de l’analogie, Paris, José Corti, 1983.MURAT M., Julien Gracq, Paris, Belfond, coll. “Les dossiers Belfond”, 1991.Réédition remaniée : L’enchanteur réticent. Essai sur Julien Gracq, Paris, coll. “Les essais”, José Corti, 2004.NOËL M., L'éclipse du récit chez Julien Gracq, Lausanne, Delachaux et Niestlé, coll. “Sciences des discours”, 2000.PEYRONIE A., La Pierre de scandale du Château d’Argol de Julien Gracq , Paris, Minard, coll. “Lettres modernes”, février

1972).ROUSSEAU L., Images et métaphores aquatiques dans l’œuvre romanesque de Julien Gracq, Paris, Minard, coll. “Archives

des Lettres modernes”, n° 200, 1981.VOUILLOUX B., De la peinture au texte. L’image dans l’œuvre de Julien Gracq , Genève, Droz, coll. “Histoire des idées et

critique littéraire”, 1989.VOUILLOUX B., Mimesis, sacrifice et carnaval dans la fiction gracquienne, Paris, Minard, coll. “Archives des Lettres

modernes”, n° 248, 1991.

Chapitres de livres et articles (en ouvrages collectifs)

ANZIEU D., “Julien Gracq, les figures de la position dépressive et le procès de la symbolisation”, Études philosophiques, n° 3,1971.

BELLEMIN-NOËL J., “Écouter les échos (depuis Un Balcon en forêt de Julien Gracq)”, Le Langage comme défi, Les Cahiersde Paris VIII (dir. Henri Meschonnic), Presses universitaires de Vincennes, 1991.

BERTHIER Ph., “Gracq et Buzzati poètes de l’événement”, Cahiers de l’Herne, n° 20, 1972. Textes réunis par Jean-LouisLeutrat, réédition en livre de poche, coll. “Biblio-essais”, 1987, p. 127-151.

“Faire l'amour, faire la guerre”, “Un balcon en forêt” et “La presqu'île” de Julien Gracq, études réunies par D. Viart, Roman20-50, n° 16, Lille, 1993, p. 17-34.

BESSIÈRE J., “Gracq : fiction et histoire”, série Julien Gracq n° 3, “Temps, histoire, souvenir”, Minard, 1998, p. 151-173.CARDONNE-Arlyck E., “Presque : relations de la métaphore et du récit dans La Presqu’île”, Julien Gracq, visages d’une

œuvre. Actes du colloque d’Angers (21-24 mai 1981), réunis par Cesbron G., Presses de l’université d’Angers, 1981,nouvelle édition 1982, p. 184-192.

CERF J., “Reflets d’André Breton dans l’œil de Julien Gracq”, série Julien Gracq n° 4, “Références et présences littéraires”,Minard, p. 153-173.

COLLOT M., “Les guetteurs de l’horizon”, in série Julien Gracq n° 2, “Un écrivain moderne”, Minard, p. 109-126.COUFFIGNAL R., “La Bible dans l’œuvre romanesque de Julien Gracq”, Julien Gracq, visages d’une œuvre. Actes du

colloque d’Angers, 1981.DEBREUILLE J.-Y., “La poétique romanesque de J. Gracq à partir du Rivage des Syrtes et d’Un Balcon en forêt”, Julien

Gracq, visages d’une œuvre. Actes du colloque d’Angers, 1981, p. 202-211.DENIS A., “L’éternelle imminence”, Cahiers de l’Herne, n° 20, 1972, rééd. Livre de poche, Biblio essais, 1987, p. 191-203.DODILLE N., “Figures et fonctions de la guerre dans Un Balcon en forêt”, Julien Gracq, visages d’une œuvre. Actes du

colloque d’Angers, 1981, p. 84-93.EIGELDINGER M., “La mythologie de la forêt dans l’œuvre romanesque de Julien Gracq”, Cahiers de l’Herne, n° 20, 1972,

rééd. Livre de poche, Biblio essais, 1987, p. 288- 303.ERNST G., “Le mythe de la nuit dans les romans de Julien Gracq”, in Cahiers de l’Herne, n° 20, 1972, rééd. Livre de poche,

Biblio essais, 1987, p. 304-317.ERNST G., “Sur Un Balcon en forêt”, entretien radiophonique entre Julien Gracq et Gilles Ernst, Cahier de l'Herne, 1972, p.

220-221.ERNST G., “Fines transcendam ou la mort dans les romans de Julien Gracq”, in Colloque d’Angers, 1981, p. 318-324.FABRE-LUCE Anne, “Julien Gracq - le degré zéro du mythe”, Givre, 1, Charleville-Mézières, 1976.FABRE LUCE A., “La description chez Julien Gracq : une dialectique des effets textuels”, Julien Gracq, visages d’une œuvre.

Actes du colloque d’Angers, 1981, p. 409-419.FAVRE Y.A., “L'image dans les poèmes en prose de Julien Gracq”, Actes du colloque d'Angers, 1981, p. 177-183.GUIOMAR M., “Images et masques du désir dans l’œuvre de Julien Gracq”, Cahiers de l’Herne, n° 20, 1972, rééd. Livre de

poche, Biblio essais, 1987, p. 391-420.

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S. Bikialo, Julien Gracq. Un balcon en forêt ; La Presqu'île, Atlande, 2007, p. 169-219

HEYNDELS R., “Idéologie et Signification dans un passage d’Un Balcon en forêt”, Colloque d’Angers, 1981, p. 70-83.HELLENS F., “Le paysage dans l’œuvre de Julien Gracq”, Cahiers de l’Herne, n° 20, 1972, rééd. Livre de poche, Biblio

essais, 1987, p. 269-277.LEUTRAT J.-L., “La reine du jardin”, in Cahiers de l’Herne, n° 20, 1972, rééd. Livre de poche, Biblio essais, 1987, p. 360-

389.LIGOT M.-T., “L’image de la femme dans les textes romanesques de Julien Gracq”, Julien Gracq, visages d’une œuvre. Actes

du colloque d’Angers, 1981, p. 337-344.MAROT P., “Une esthétique de la transition dans la description gracquienne”, in L’Ordre du descriptif, université de Picardie,

Presses universitaires de France, 1988.MAROT P., “Plénitude et effacement de l’écriture gracquienne”, in Julien Gracq 1, une écriture en abyme, Minard, “La revue

des lettres modernes”, 1991, p. 125-174.MAROT P., “L’Épais Terreau de la littérature : sur la poétique et l’esthétique des références littéraires dans les fictions

romanesques”, série Julien Gracq n° 4, “Références et présences littéraires”, 2004, p. 11-92.MAROT P., “Adieu à la fiction ?”, “Un Balcon en forêt” et “La Presqu’île” de Julien Gracq, études réunies par Dominique

Viart, Roman 20-50, n° 16, Lille, 1993, p. 139-149.MICHEL J., “La puissance imageante de l’italique”, Julien Gracq, visages d’une œuvre. Actes du colloque d’Angers, 1981, p.

420-430.NÉE P., “Julien Gracq phénoménologue ?”, Julien Gracq 2, un écrivain moderne, Minard, 1994, p. 163-182.PEYRONIE A., “Julien Gracq et le roman noir”, Colloque d’Angers, éd. cit. 1981, p. 220-244.RICHARD J.P., “À tombeau ouvert”, Pages Paysages, Seuil, 1984.RICHARD J.P., “Le roman d’une bulle”, Pages Paysages II, Seuil, 1984, p. 203-210.TADIÉ J.Y., Le Récit poétique, Paris, Gallimard, coll. “Tel”, 1978.TISSIER J.-L., “La carte et le paysage : les affinités géographiques”, Julien Gracq, visages d’une œuvre. Actes du colloque

d’Angers, 1981, p. 96-104.VAN LAERE François, “Le guetteur en posture d’éveil”, Les Cahiers de L'Herne, éd. cit., 1987, p. 318-359.VIART D., “La poétique des signes”, “Un balcon en forêt” et “La presqu'île” de Julien Gracq, études réunies par D. Viart,

Roman 20-50, n° 16, Lille, 1993, p. 7-16.VIERNE S., “Le mythe du Graal et la quête du sacré”, par Simone Vierne, Julien Gracq, visages d’une œuvre. Actes du

colloque d’Angers, 1981, p. 286-297.Cahiers de l’Herne, n° 20, 1972. Textes réunis par Jean-Louis Leutrat (réédition en Livre de poche, coll. “Biblio-essais”,

1987).“Un Balcon en forêt” et “La Presqu’île” de Julien Gracq, études réunies par Dominique Viart, Roman 20-50, n° 16, Lille,

1993.Quatre numéros ont été publiés chez Minard, dans la série Julien Gracq dirigée par Patrick Marot :

N° 1 : Une écriture en abyme, 1991. Textes réunis par Patrick Marot.N° 2 : Un écrivain moderne, 1994. Actes du colloque de Cerisy (août 1991), réunis par Michel Murat.N° 3 : Temps, histoire, souvenir, 1998. Textes réunis par Patrick Marot.N° 4 : Références et présences littéraires, 2004. Textes réunis par Patrick Marot.

Un numéro sur les deux textes au programme est prévu pour l’automne 2007.

Actes de colloques

Deux colloques ont été consacrés à Gracq. Les actes du dernier en date, le colloque de Cerisy d’août 1991, réunis par MichelMurat, ont été publiés dans le n° 2 de la série Julien Gracq, mentionnée plus haut. Ceux du colloque d’Angers (21-24 mai1981) s’intitulent Julien Gracq, visages d’une œuvre, et ont été réunis par Georges Cesbron, Presses de l’université d’Angers,1981, nouvelle édition 1982.

TEXTES DIVERS CITÉS

ARAGON L., Le Paysan de Paris, Gallimard, 1926, coll. “Folio”, 2005.ANZIEU D., “Julien Gracq, les figures de la position dépressive et le procès de la symbolisation”, Études philosophiques,

1971, n° 3.BERRANGER M.-P., Le Surréalisme, Hachette, coll. “Les Fondamentaux”, 1997.BRETON A., Second Manifeste du surréalisme, 1930, Œuvres complètes, Gallimard, coll. “La Pléiade”, tome II, 1988, p. 777-

833.BRETON A., Nadja, 1928, Œuvres complètes, Gallimard, coll. “La Pléiade”, tome I, 1988, p. 645-753.BRETON A., Les Vases communicants, 1932, Œuvres complètes, Gallimard, coll. “La Pléiade”, tome I, 1988, p. 101-215.BRETON A., Arcane 17, 1944-1947, Œuvres complètes, Gallimard, coll. “La Pléiade”, tome III, 1999, p. 37-113.BRETON A., “Trajectoire du rêve”, numéro spécial des Cahiers G.L.M., mars 1938.CHÉNIEUX-GENDRON J., Le Surréalisme et le roman, 1922-1950, Lausanne, L'Âge d'homme, 1983.

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S. Bikialo, Julien Gracq. Un balcon en forêt ; La Presqu'île, Atlande, 2007, p. 169-219

COHN D., La Transparence intérieure, Seuil, coll. “Poétique”, 1981.COLLOT M., La Structure d’horizon, PUF, coll. “Écriture”, 1989.COMBE D., Poésie et récit, une rhétorique des genres, José Corti, 1989.DE GAULLE Ch., Vers l'armée de métier, Berger-Levrault, 1934.DUCHET Cl., Genèse des fins, Presses universitaires de Vincennes, coll. “Manuscrits modernes”, 1996.FREUD S., Le Délire et les rêves dans La Gradiva de W. JENSEN, 1907, Paris, Gallimard, coll. “Folio”, 1986.GOLLUT J.-D., Conter les rêves, Paris, José Corti, 1993.GRIVEL Ch., Production de l’intérêt romanesque, Paris-La Haye, Mouton, 1973.HAMON Ph., “Pour un statut sémiologique du personnage”, in Poétique du récit, Seuil, coll. “Points”, 1977.HEIDEGGER M., Essais et conférences, trad. A. Préau, Gallimard, 1958.JENNY L., L’Expérience de la chute, de Montaigne à Michaux, PUF, coll. “Écriture”, 1997.LECERCLE J.-J., “Combien coûte le premier pas ? Une théorie annonciative de l’incipit”, L’Incipit, dir. Louvel Liliane,

Poitiers, La Licorne, Hors série-Colloques III, DATE, p. 13).MANNONI O., Clefs pour l’Imaginaire ou l’Autre Scène, Seuil, coll. “Points”, 1969.PICHON J.C., Habiter en poète. Essai sur la poésie contemporaine, Champ Vallon, 1995.POE E., Préfaces et marginalia, Aix-en-Provence, Aliéna, 1983.REVERDY P., Plupart du temps, Gallimard, 1945, coll. “Poésie”, 1969.THOUILLOT M., Les Guerres de Claude Simon, Interférences, Presses universitaires de Rennes, 1998.WOLKENSTEIN J., Les Récits de rêves dans la fiction, Klincksieck, 2006.On citera enfin les deux CD intitulés Les Préférences de Julien Gracq, entretiens avec Jean Paget et Jean Daive, Les grandesheures, INA/France Culture/Scam, entretiens enregistrés en 1969 et 1977.

GRAMMAIRE ET STYLISTIQUE

Authier-Revuz J., Ces mots qui ne vont pas de soi. Boucles réflexives et non-coïncidences du dire, Larousse,Paris, 1995.Authier-Revuz J., "Remarques sur la catégorie de 'l'îlot textuel'", Cahiers du français contemporain n° 3, 1996,p. 91-115.Authier-Revuz J., "Le guillemet, un signe de 'langue écrite' à part entière", dans A qui appartient laponctuation ? (dir. J.-M. Defays, L. Rosier, F. Tilkin), Duculot, Bruxelles, 1998.Authier-Revuz J., "La représentation du 'discours autre'", "le champ du discours rapporté", "Discours direct","Discours indirect", "Modalisation par discours autre et bivocalité", dans Une langue : le français (dir. R.Tomassone), Hachette, Paris, 2001, p. 192-201.Authier-Revuz J., Lala M.-C. (dir.), Figures d'ajout. Phrase, texte, écriture, Presses de la Sorbonne Nouvelle,2002.Authier-Revuz J., "Le Fait autonymique : langage, langue, discours. Quelques repères", dans Parler des mots. Lefait autonymique en discours (dir. J. Authier-Revuz, M. Doury, S. Reboul-Touré), Presses de la SorbonneNouvelle, Paris, 2003.Bachelard G., L’Intuition de l’instant, 1931, Stock, Paris, 1992, repris en « Livre de poche ».Bakhtine M., Esthétique et théorie du roman, Gallimard, « Tel », Paris, 1975.Barthes R., « Introduction à l’analyse structurale du récit » (1966), repris dans Poétique du récit, Seuil, "Points",Paris, 1977.Barthes R., « Flaubert et la phrase », Nouveaux essais critiques, Seuil, Paris, 1967.Benveniste E., Problèmes de linguistique générale, tomes 1 et 2, Gallimard, Paris, 1966 et 1974.Bikialo S., « De la frontière à la marge, au non-lieu : C. Simon, J. Gracq, R. Antelme, L. Salvayre... », dans Ecrire lafrontière (dir. N. Martinière et S. Le Ménahèze), P.U. Limoges, 2003, p. 191-210.Bikialo S., Pibarot A., L’Âge d’homme de Michel Leiris, Atlande, Paris, 2004.Bikialo S., « Comme », dans Les Marqueurs de glose (dir. A. Steuckardt et A. Niklas-Salminen), PUP, Aix-en-Provence, 2005.Bikialo S., Pétillon S., « La phrase et le style : des invariants processuels à la variance individuelle », Pratiquesn°135-136 : « Le style en questions » (dir. A. Petitjean, A. Rabatel), décembre 2007 (à paraître).Bordas E., Les Chemins de la métaphore, PUF, Paris, 2003.Bosredon B., Tamba I., "L'autonymie linguistique", Sémiotiques n° 14, 1998, p. 171-187.Catach N., La Ponctuation, PUF, "Que sais-je ?", Paris, 1994.Chisogne S., « Poétique de l’accumulation », Poétique n° 115, 1998, p. 287-303.COHN D., La Transparence intérieure, Seuil, coll. “Poétique”, 1981.Combettes B., Les Constructions détachées en français, Ophrys, Gap, 1998.

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Descotes M., Un balcon en forêt, Bertrand-Lacoste, Paris, 1991.Dessons G., Meschonnic H., Traité du rythme. Des vers et des proses, Dunod, Paris, 1998.Dürrenmatt J., La Métaphore, Champion, Paris, 2002.Eluerd R., Grammaire descriptive de la langue française, Nathan, Paris, 2002.Francis M., Forme et signification de l’attente dans l’œuvre romanesque de Julien Gracq, Paris, Nizet, 1979.Gardes Tamine J., Pellizza M.-A., La Construction du texte. De la grammaire au style, A. Colin, Paris, 1998.Gary-Prieur M.-N., De la grammaire à la linguistique. L'étude de la phrase, Armand Colin, Paris, 1985.GenetteG., Figures II, Seuil, Paris, 1969.Genettte G., Figures III, Seuil, Paris, 1972.Genette G., Palimpsestes. La littérature au second degré, Seuil, "Points", Paris, 1982.GROSSMANN S., Julien Gracq et le surréalisme, Paris, José Corti, 1980.Guimier C., Les Adverbes du français : le cas des adverbes en –ment, Ophrys, Gap, 1996.Herschberg Pierrot A., Stylistique de la prose, Belin, Paris, 1993, réédité en 2003.Le Goffic P., « La phrase revisitée », Le Français aujourd’hui n° 148, février 2005, p. 55-64.Neveu F., Lexique des notions linguistiques, Nathan, "128", Paris, 2000.Rannoux C., « Figures de la dissonance dans Un balcon en forêt », Méthodes 13, PU Pau, novembre 2007.Rey-Debove J., Le Métalangage, 1978, repris chez A. Colin, 1997.Riegel M., Pellat J.-C., Rioul R., Grammaire méthodique du français, PUF, Paris, 1994.Pétillon-Boucheron S., Les Détours de la langue. Etude sur la parenthèse et le tiret double , Peeters, Louvain,2003.Saint-Gérand J.-Ph., Morales du style, P.U. Mirail, Toulouse, 1993.Seguin J.-P., L'Invention de la phrase au XVIIIème siècle, Peeters, Louvain, 1993.

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