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Compte-rendu de la soirée débat du 29 juin 2011 au Collège des Bernardins « France-Allemagne, une convergence énergétique est-elle possible ? » Ouverture : Hervé de VAUBLANC, Secrétaire général du Collège des Bernardins Guillaume KLOSSA, Président d’EuropaNova Thématiques : Des mix énergétiques opposés ou complémentaires ? Quel est l’impact de l’abandon du nucléaire en Allemagne ? Quelle articulation avec la politique européenne de l’énergie ? Quel est l’impact des événements récents dans les pays arabes et au Japon ? L’interconnexion des réseaux électriques, l’épine dorsale d’une future vision commune ? Une convergence énergétique est-elle possible ? Interventions : Barbara SELLIER, DG Energie de la Commission Européenne Dominique MAILLARD, Président du directoire RTE Alain GEST, Député de la Somme et Secrétaire National de l’UMP en charge des énergies Christian HEY, Secrétaire Général du German Advisory Council on the Environment Le débat était modéré par le Professeur Jan Horst KEPPLER, directeur du master « Energie, Finance et Carbone » à Dauphine et économiste spécialisé sur le nucléaire pour l’OCDE. « C’est un sujet d’intérêt général pour l’Europe car c’est un sujet de civilisation : l’Europe se destine à devenir le continent du développement durable. » (G. Klossa) Le débat a été introduit par Guillaume KLOSSA, Président d’EuropaNova, soulignant l’importance de la question de la convergence énergétique entre la France et l’Allemagne dans la mesure où le Bundestag vient de valider le retrait du nucléaire en Allemagne. Il est donc indispensable à l’heure actuelle de réinventer le mix

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Compte-rendu de la soirée débat du 29 juin 2011 au Collège des Bernardins

« France-Allemagne, une convergence énergétique est-elle possible ? » Ouverture : Hervé de VAUBLANC, Secrétaire général du Collège des Bernardins Guillaume KLOSSA, Président d’EuropaNova Thématiques :

Des mix énergétiques opposés ou complémentaires ? Quel est l’impact de l’abandon du nucléaire en Allemagne ? Quelle articulation avec la politique européenne de l’énergie ? Quel est l’impact des événements récents dans les pays arabes et au Japon ? L’interconnexion des réseaux électriques, l’épine dorsale d’une future vision commune ? Une convergence énergétique est-elle possible ?

Interventions : Barbara SELLIER , DG Energie de la Commission Européenne Dominique MAILLARD, Président du directoire RTE Alain GEST, Député de la Somme et Secrétaire National de l’UMP en charge des énergies Christian HEY, Secrétaire Général du German Advisory Council on the Environment Le débat était modéré par le Professeur Jan Horst KEPPLER, directeur du master « Energie, Finance et Carbone » à Dauphine et économiste spécialisé sur le nucléaire pour l’OCDE.

« C’est un sujet d’intérêt général pour l’Europe car c’est un sujet de civilisation : l’Europe se destine à devenir le continent

du développement durable. » (G. Klossa)

Le débat a été introduit par Guillaume KLOSSA, Président d’EuropaNova, soulignant l’importance de la question de la convergence énergétique entre la France et l’Allemagne dans la mesure où le Bundestag vient de valider le retrait du nucléaire en Allemagne. Il est donc indispensable à l’heure actuelle de réinventer le mix

énergétique, de trouver de nouveaux modes de consommation, de maîtriser le coût de l’énergie et surtout de se préoccuper du problème de la compétitivité pour demain. En effet, la problématique énergétique est un élément moteur à la fois pour la compétitivité d’aujourd’hui

et pour le développement durable de demain.

Le Professeur Jan Horst KEPPLER, a ensuite expliqué qu’une complémentarité était plus envisageable qu’une véritable convergence énergétique entre les deux grands de l’Europe. La décision de l’Allemagne post-Fukushima de sortir du nucléaire d’ici 2022 représente une question à la fois pour l’Allemagne, pour la France et pour l’Europe. Il souligne les questions suivantes :

Mais est-ce un pas courageux vers le futur ou plutôt un retour peureux vers un passé idéalisé ? Qu’est-ce que cette décision signifie pour la France ? Le sujet va-t-il s’inviter aux élections présidentielles

? Quelle signification ces évènements ont-ils pour l’Europe ?

On peut observer une divergence dans la dynamique entre les deux pays lorsque l’on compare la loi Nome (qui fixe le prix de cession pour la production nucléaire en France) et la loi EEG en Allemagne, relative aux énergies renouvelables. Les deux idéologies diffèrent. Et ces lois posent notamment problème pour la création d’un marché intégré de l’électricité en Europe.

Des mix énergétiques opposés ou complémentaires ?

Christian HEY a débuté son intervention sur la question de la nouvelle politique énergétique allemande. En effet, l’Allemagne vient de prendre une décision courageuse pour demain selon les rapports publiés par le Conseil allemand d’experts sur l’environnement allemand. Celui-ci œuvre pour mettre en place une électricité 100% renouvelable d’ici 2050.

Le dernier rapport du Conseil a défini un modèle énergétique en calculant les besoins et les coûts de manière optimale. Il en ressort que les résultats sont encourageants pour l’ensemble de l’Europe. Non seulement, le projet d’une électricité 100% renouvelable (éolien et solaire) est possible mais il est surtout réaliste : l’enjeu est de développer un système de stockage ainsi qu’un réseau d’électricité performants. Alors, pourquoi ne pas choisir ce modèle énergétique plus économique et plus écologique pour les générations futures ? C’est dans cette optique que le gouvernement allemand a décidé de passer à l’électricité renouvelable d’ici 2050 et surtout d’abandonner le nucléaire.

A cela, Dominique MAILLARD a répondu que la décision allemande avait lieu dans un état souverain de compétence souveraine. Effectivement, la liberté des pays membres de l’Union européenne sur les décisions par rapport au mix énergétique est quasi-totale. Il n’y a pas de consultation des voisins et donc pas vraiment de connotation européenne concernant la question énergétique. Certes, le pari pour une électricité 100% renouvelable représente une option forte et réaliste mais en contrepartie, il doit y avoir un développement de technologies maîtrisables et stockables ainsi qu’un développement d’interconnexions entre les

différents pays européens. Le problème des énergies renouvelables est qu’elles sont intermittentes : elles fluctuent en fonction de l’eau et du soleil.

Plus on va développer les énergies renouvelables, plus le renforcement des inter-solidarités sera nécessaire. Tel est le modèle du futur tel que Dominique MAILLARD l’a décrit : d’ici 40 ans, on aura des outils de stockage efficaces et acceptés par l’ensemble des pays européens, les interconnexions seront efficaces. Dans ce processus, la nécessité de l’acceptation de ce nouveau modèle est primordiale.

Quelle articulation avec la politique européenne de l’énergie ?

Barbara SELLIER s’est exprimée sur la politique européenne de l’énergie concertée entre les Etats membres, qui a pour objectif d’assurer la sécurité de l’approvisionnement, de combattre le changement climatique et d’assurer malgré tout la compétitivité des Etats membres. Ainsi, les objectifs principaux de cette politique sont d’une part, la création du marché intérieur de l’énergie européen et d’autre part une politique énergie-climat avec des objectifs d’ici 2020 (réduire les émissions de C02, 20% supplémentaires d’énergie renouvelable…).Néanmoins, il est important de savoir que les décisions sur le bouquet énergétique restent entre les mains des pays comme cela est inscrit dans le traité. L’énergie est donc un sujet politique et stratégique qui implique de nombreux choix démocratiques.

Quel impact de l’abandon du nucléaire en Allemagne ?

Alain GEST a réagi sur les réactions « épidermiques » qui ont pu être observées en France suite à la décision allemande. Certes, la France prend acte de cette prise de position qui est le reflet d’une politique souveraine d’un état souverain qui a fait un choix. Cependant, elle a été surprise car la position de la chancelière Angela MERKEL a été singulièrement différente à seulement quelques mois d’intervalles, élections locales et accident de Fukushima obligent ! Il y a donc une impression de réaction allemande dans l’urgence et dans la peur, légitime, des évènements au Japon bien que la sismicité soit très différente entre Japon et Europe.

La France n’est pas hostile à l’idée de production d’électricité 100% renouvelable. Mais, il y a des risques à plusieurs échelles. Le risque le plus immédiat est couru par l’Allemagne qui va devoir payer son électricité plus cher dans les prochains mois (+ 20% d’ici 2012) et surtout faire appel à des énergies de substitution carbonées, qui vont nuire à la volonté de développement durable européen.

Christian HEY a rebondi sur cette notion de « risque » de la décision allemande : « l’Allemagne n’est pas un pays révolutionnaire », cette décision renvoie au consensus conclu il y a 10 ans. Dans la société allemande, la question du nucléaire a souvent divisé la population, créé un conflit social majeur et surtout bloqué le pays il y a plusieurs années d’où

le soutien de l’opinion à cette décision aujourd’hui. L’idée de consensus politique est très forte en Allemagne. Les futurs investissements dans l’électricité renouvelable ainsi que l’existence d’un véritable consensus national rendent les coûts acceptables.

L’Europe du nucléaire est-elle envisageable ?

Dominique MAILLARD s’est exprimé sur le terme de « consensus » qui a un sens très fort en Allemagne et qui n’a pas d’équivalent en France. Un tel consensus n’a jamais existé en France : il existe toujours une opinion publique dissidente et les médias soutiennent souvent ces positions.

L’Allemagne est un partenaire privilégié de la France comme la Suisse et l’Italie, qui ont aussi décidé de sortir du nucléaire. La France, de par sa position singulière, semble donc isolée dans sa politique mais elle peut compter sur le soutien ferme du Royaume-Uni, de la Chine ou encore des Etats-Unis, 1ère puissance nucléaire mondiale. En conséquence des incidents de Fukushima, le nucléaire est maintenant redouté sans pour autant être remis en cause. Le nucléaire va devoir faire plus preuve de sa robustesse face aux aléas climatiques et il ne pourra en sortir que plus fort s’il y parvient.

Selon A. GEST, l’Allemagne va bientôt devoir importer de l’énergie nucléaire et notamment de la France. La question reste de savoir quel sera le prix fixé. De plus, il n’y a jamais eu de consensus sur la question nucléaire en France. On a plutôt observé une forme d’assentiment sur le nucléaire car les retombées financières ne sont pas négligeables, notamment pour les villes accueillant des centrales.

Quel impact des évènements récents dans les pays arabes et au Japon ?

Jan KEPPLER a ensuite soulevé l’idée d’un débat sur l’énergie qui impliquerait plus les citoyens.

Sur ce sujet, Alain GEST a assuré qu’il existe des débats de la sorte mais entre politiques. Car la banalisation de grands débats publics sur des sujets majeurs comme l’énergie entraînerait l’abandon de la démocratie représentative au profit d’une démocratie participative. Mais les élections présidentielles seront l’occasion d’amener l’énergie au cœur du débat public.

Barbara SELLIER a elle souligné que les discussions avec la population sur les infrastructures sont aujourd’hui indispensables car l’opinion publique représente un réel frein au niveau local pour l’obtention de permis de construire. La notion de demande est centrale à travers la réduction des coûts, le développement d’un marché intérieur de l’énergie pour une meilleure coordination vis-à-vis de

l’extérieur et surtout pour plus de sécurité. Il faut savoir qu’en Europe, 14 pays sur 27 utilisent le nucléaire et la moitié sont des nouveaux Etats membres de la « génération élargissements ». On compte environ 150 réacteurs au sein de l’Union européenne.

Après Fukushima, une volonté d’organiser des tests de résistance (Stress Tests) s’est affirmée: les Etats membres les gèrent eux-mêmes sous le contrôle d’un mécanisme d’évaluation européen. Le choix du nucléaire reste aujourd’hui national, même si certaines obligations communes demeurent comme la sûreté de l’approvisionnement par exemple.

En ce qui concerne le marché franco-allemand de l’électricité, qu’en est-il des interconnexions déjà existantes et qu’en est –il pour l’avenir (dans 5 à 10 ans) ?

Selon Christian HEY , la situation ne sera pas dramatique dans les années à venir. Cependant, les réseaux ne sont pas utilisés de manière optimale ce qui limite les interconnexions. La problématique est d’établir le lien difficile entre coût du nucléaire et prix du marché. En Allemagne, il y a une surcapacité de ressources fossiles et donc pas de problème de substitution ni de danger sur l’effet de serre ou encore sur les futures décisions européennes. Dans les années à venir, les énergies renouvelables vont jouer un rôle majeur au niveau européen. A long terme, l’Allemagne et la France finiront par converger vers l’utilisation du

renouvelable et vers le combat contre l’effet de serre.

Une convergence énergétique possible ?

Dominique MAILLARD a axé son intervention sur la nouvelle donne concernant l’énergie face à la décision allemande. Pour lui, elle n’aura pas de conséquences à court terme car il y a peu de demande énergétique en été. Les inquiétudes se portent surtout sur l’hiver car l’énergie photovoltaïque dépend du soleil qui se fait rare en cette saison. Cependant, l’Allemagne connaît une surcapacité de ses moyens de production, en plus d’une capacité d’échange élevée. Mais avec l’abandon du nucléaire, le solde finira par être structurellement exportateur de la France vers l’Allemagne, comme cela a été le cas jusqu’en 2005.

La décision allemande a été très rapide, ce qui limite fortement les méthodes de rattrapage excepté l’optimisation des infrastructures existantes. A moyen terme, des investissements seront nécessaires pour réajuster l’offre à la demande. Cette sortie du nucléaire avait été anticipée certes, mais pas avant 2022. Jusqu’à cette date, les variations entre offre et demande seront donc difficiles à gérer.

Selon Alain GEST, la décision allemande aura des conséquences indéniables sur les problèmes de CO2 car l’énergie de substitution sera cinq fois plus carbonée qu’en France. Il sera alors compliqué de respecter les objectifs en termes d’émissions de C02 fixés par l’Europe. Cependant, une alliance franco-allemande est aujourd’hui indispensable sur la question de l’énergie. Une convergence est possible si elle est calquée sur les objectifs européens comme la réduction des coûts de l’énergie ou le paquet climat européen. Aujourd’hui, une entente franco-allemande sur la question de l’énergie semble tout de même difficile étant donné les velléités existantes sur les appels d’offres pour l’éolien off-shore ou encore la persistance de la France dans le nucléaire, comme l’a annoncé Nicolas Sarkozy dans son plan de « Grand Emprunt ».

Une Interconnexion des réseaux électriques comme épine dorsale d’une future vision commune ?

Pour répondre à cette question, B. SELLIER a fait un panorama de la situation européenne actuelle. Il y a une certaine confiance générale même si le système d’échanges des droits d’émissions est défaillant. La législation prévoit notamment une obligation de cogénération (production simultanée d’électricité et de chaleur) pour économiser de l’énergie et réduire les émissions de CO2. Au niveau des projets, le développement de la séquestration du carbone est central. En effet, les bouquets énergétiques entre les Etats membres sont multiples et face au futur boom de la demande d’énergie, il est nécessaire que chaque pays optimise son bouquet énergétique et développe des réseaux plus intelligents. L’Union européenne travaille actuellement sur une feuille de route pour 2050. Il s’agit d’une simulation de tous les scénarios possibles pour voir comment maintenir l’approvisionnement et la sécurité de l’énergie tout en réduisant son coût. L’objectif est d’en finir avec la« non-Europe »trop coûteuse.

Les Etats membres doivent converger vers un système électrique décarboné d’où l’importance d’initier le débat entre les pays européens sur leurs objectifs en termes de politique énergétique. « La France, l’Allemagne et l’Europe sont d’accord sur les principes pour 2050, mais empruntent des chemins très disparates qui mettent en péril la notion de sécurité. »

Eléments de conclusion

Pour conclure ce débat, Dominique MAILLARD a choisi d’insister sur la nécessité de divergence et de diversité des ressources face à la hantise d’un bouquet énergétique unique en Europe. En effet, la sécurité de l’alimentation énergétique repose sur la complémentarité des réseaux. Les différences de modèles sont une source de richesse : une convergence totale ou une uniformisation n’est donc pas souhaitable.

« La diversité est bien plus enrichissante qu’on le croit ! Le tout est que cette diversification soit organisée pour être une force et non plus un frein dans la

construction européenne. » (J. Keppler)