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Le corbeau et le Renard
Quand il ouvrit le quatrième sceau, j'entendis la voix du quatrième être vivant qui disait:
Viens. Je regardai, et voici, parut un cheval d'une couleur pâle. Celui qui le montait se
nommait la mort, et le séjour des morts l'accompagnait.
Apocalypse de Jean, 6
« Faut pas jouer avec les allumettes.»
Pale Rider (le prêtre, the preacher).
Cette fois-ci un livre lu au lance-pierres. Qui pour manier la
fronde ? L'auteur, Yannick Haenel ? Le lecteur ? En ce qui me
concerne, je l'ai lu en deux soirées pour en sortir groggy. Un
livre-molotov qui n'a pas la bigarrure du cocktail mais la robefauve et fuyante du chacal. Les Renards pâles. Ça commence
comme L'étranger de Camus :
Aujourd'hui, maman est morte. Une
phrase sèche, brutale comme un
constat, une écriture neutre et blanche : « C'est l'époque où je
vivais dans une voiture. » Mais aussitôt on se retrouve dans
Gros-Câlin d'Emile Ajar/Romain Gary, par un phénomène de
perte de contrôle du langage, au point que celui-ci finit par
dire autre chose que ce qu'on voulait dire. Cette autre chose
se révélant être une vérité jusque là indicible. Comme si, sous
le pouvoir divinatoire du Renard, ce qui était secret (de
polichinelle) affleurait à la surface des mots.
C'est l'époque où je vivais dans une voiture. Au début,
c'était juste pour rire. Ça me plaisait d'être là, dans la
rue, sans rien faire. Je n'avais aucune envie de démarrer.
(p. 15)
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Démarrer... Non pas la voiture, mais son propre rôle social,
démarrer dans la vie, comme on dit. Force brute de la polysémie
prétendument incontrôlée. Les mots vous échappent comme
prolifèrent anarchiquement les cellules d'une tumeur
cancéreuse. On pourrait ici répéter mot pour mot cecommentaire sur l'écriture de Gros-Câlin (au hasard, cette
citation : « Chacun de nous est entouré de millions de gens, c’est
la solitude ») : « Le retournement du langage est un dévoilement.
Un dévoilement de ce qu’est la société, de la place de l’homme dans cette société, de
l’absurdité d’être au monde dans un monde absurde. » : (Christine Bini dans son blog
"La cause littéraire" : http://www.lacauselitteraire.fr/gros-calin-romain-gary ).
Le protagoniste, dont on apprendra page 30 qu'il s'appelle Jean Deichel
(dans la dèche ?), est mis à la porte de chez lui avec plante (un papyrus) et
quelques bagages. Il a cessé d'aller pointer aux Assedic : de toute façon,
sans téléphone, il est injoignable. Coupé de tout, vidé de toute substance
sociale, le voilà devenu apte à vivre une expérience dont il n'avait même pas l'idée.
Ici, il se souvient des derniers jours passés dans sa chambre de bonne avant que son
bailleur ne l'en expulse : recroquevillé dans un coin, il attend qu'un rai de soleil
vienne lui auréoler la tête.
Une flamme déchire les lignes ; elle fait tourner votre solitude dans la
lumière. Qu'est-ce qui m'arrivait dans cette chambre ? Est-ce que je faisais déjà
de la place en moi pour les Renards pâles ? Mon désœuvrement était une
expérience. Je me préparais. (p.30)
A ces lignes, je me suis souvenu de l'épilogue du film de Jacques Rivette, L'amour
fou (1969), avec Jean-Pierre Kalfon prostré dans l'encoignure d'une mansarde tandis
que le soleil envahit la pièce. Souvenir aussi du roman de Georges Perec, Un homme
qui dort (1967). Perec lui-même évoquant, dans un entretien avec Pierre Desgraupes,
le souvenir d'un film, La vie à l'envers d'Alain Jessua (1964).
http://www.ina.
fr/video/I08261
871 G. Perec
http://www.arte.tv/fr/vous-avez-vu-l-amour-fou-
de-rivette /3482046,CmC=7849298.html
http://www.1kult.com/2010/08/17/la-vie-a-lenvers-alain-jessua/
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Jean Deichel, 43 ans. Un étranger habite maintenant ce corps vêtu d'un
sempiternel manteau gris, quelqu'un qui se fout complètement de l'« actualité »,
et n'est sensible qu'aux lisières, aux bordures, aux inflexions des nuages, aux
herbes folles qui couvrent les derniers terrains vagues de Paris.
Un poète ? Je crois que le mot le ferait rire. Méfiez-vous : les solitaires ont
peut-être du charme, mais aussi une dureté qui vous éloigne. (p.30)
Le récit de Yannick Haenel oblige aux références, délibérées ou celles qu ’y met le
lecteur : Camus, Ajar, Rivette, Perec et maintenant Olivier Adam (Les lisières) et Alain
Resnais (Les herbes folles). A quoi il faut ajouter En attendant Godot de Beckett, livre
que Deichel trouve dans la boîte à gant de la voiture où il habite désormais (comme
la Louise Wimmer, du film de Cyril Mennegun). Ça fait beaucoup, je le reconnais.
Mais abondance de biens ne nuit pas, dit-on. Désormais Jean Deichel est celui qui
attend. Quoi ? Il ne le sait pas encore : Godot ? Non. Un ‘dog’ ? On en croisera un
(avec le souvenir d’une lecture de Jack London, L’amour de la vie).
Au carrefour du Père-Lachaise, je croisai un chien. Il était noir, du genre chien-
loup. Il semblait épuisé. Le chien perdait du sang. J'ai continué à suivre le chien.
Il s'est dirigé vers ce terrain vague, légèrement surélevé, qui abrite les
réservoirs d'eau des Tourelles. […]
Le chien s'était couché dans l'herbe. Je m'allongeai à ses côtés. Les
battements de cœur du chien, je les entendais dans mon ventre. Couché dans l'herbe à ses côtés, j'ai compris qu'en mourant ce pauvre chien
me faisait cadeau d'une voix que seul le silence est capable d'accueillir.
Voici les premières lueurs de l'aube. Je vais dormir maintenant. L'herbe
remue, il fait jour. Le chien est passé en moi. (p. 48 sqq)
Godot, dog, God… On y arrive, le dieu Dogon, le Renard pâle. Haenel le dit
textuellement à la page 53 : Ce récit est l'histoire des signes qui mènent aux Renards
pâles. Il y aura en effet d’autres signes, d’autres rencontres : un petit chacal
représenté sur une frise décorant un restaurant, des noms de rue, des slogans taguéssur les murs, deux éboueurs maliens (avec lesquels on improvise une cérémonie
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d'offrandes à la mémoire d’un SDF broyé par le camion de ramassage des ordures
ménagères : ficelle, brindilles et libation d'un fond de vodka), d’autres compagnons
d’errance en cheville avec le groupe de Tarnac, une femme surnommée la Reine de
Pologne (et qui descend du général communard Walery Wroblewki)…
Je ne vais pas raconter tout ce qui m'est arrivé à l'époque ; d'autres en
feraient volontiers un roman - pas moi. Je l'ai dit, ce récit n'a qu'un but :
raconter l'histoire des Renards pâles. (p.84)
Un autre moment qui fait signe : un soir, le narrateur se retrouve exactement là où
Jean-Jacques Rousseau a eu son célèbre accident, le 24 octobre 1776, quand il se fit
renverser par un chien danois à la barrière de Ménilmontant (décidément, encore un
chien).Ce que Rousseau rencontre, ce n'est pas seulement un chien, mais l'existence
elle-même. Ce n'est pas par-dessus un chien qu'il saute, il fait un saut dans
l'existence. Car l'existence est quelque chose qui arrive sur vous comme un
animal en pleine course : elle vous précipite avec elle dans son élan, et alors
vous vous mettez à vivre.
Est-il possible que les expériences
circulent à travers le temps, et qu'elles se
transmettent par le réveil de la mémoire ?
Peut-on hériter d'une extase ? Je riais tout
seul en me répétant ces mots : hériter
d'une extase. Moi qui n'avais rien, c'était
bien mon seul héritage : et, après tout, y en
a-t-il de plus beau ? (p.87)
« C'est l'époque où je vivais dans une voiture. » Cette époque, ce temps
d’intervalle, constitue la première partie des Renards pâles, partagée en 20 courts
chapitres, chacun ayant son titre.
Dessin de Tsunehiko KuKuwabara
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L'intervalle - Papyrus - XX e arrondissement - Les suicides - Ferrandi - Myriam -
Comme un chien - Impasse Satan - Godot - Ecce homo cadaver - L'horreur -
Sortir les offrandes - Garde à vue - La solitude est politique - Tout est en
aventures - Godot revient - La reine de Pologne - La guerre civile en France -
Père-Lachaise - Le Griot
Dans le dernier de ces chapitres, Deichel tombe sur un tag qui
dit ceci : « IDENTITÉ = MALÉDICTION ». Puis il débarque dans un squat
où il rencontre un griot, immigré clandestin :
J'interrogeai le Griot sur le sens de l'inscription que je
venais de découvrir dans la rue, en bas de chez lui.
- Personne ici n'a de papiers, dit-il. La société a besoin
que nous ayons une identité pour nous contrôler. Il faut en
finir avec cette logique. (p.109)
Le griot l’éclaire sur la nature magique et subversive de Yurugu, le Renard pâle
dogon. Les jours du vieux monde sont comptés :
Le vieux rêve occidental de la révolution avait moisi ; et j'entrevoyais que, si
quelque chose devait avoir lieu - si un réveil était possible -, c'était à partir du
Renard.
J'ai traversé l'appartement, il y avait de la lumière qui venait
d'une pièce : le Griot était à son bureau. Je lui ai tendu ma carte
d'identité. On s'est regardé en silence. Avec des ciseaux, il l'a
coupée en petits morceaux, puis les a jetés dans un cendrier où il
a mis le feu. Les flammes étaient rouge et noir, comme les
masques. Nous avons souri. (p.112)
Deichel, qui jusqu’à cette page 112 était resté dans un entre-deux, un « intervalle »,comme il dit, vient de faire le pas et, avec lui, nous pouvons basculer dans la
deuxième partie du roman, soixante pages d'un seul tenant, sans titre.
Haenel y raconte une nuit d’incendie, une nuit de fête, la nuit des masques.
Souvenir d’une pièce de théâtre :
Ohne, en allemand, veut dire ‘sans’
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Il a suffi de quelques heures
pour que Paris devienne le lieu
d'une folle émeute […] Nous
n'avons pas eu grand-chose à
faire pour allumer ce brasier : il
est facile d'envoyer aux
flammes un monde qui se consume depuis si longtemps dans son chaos.
Que vous le vouliez ou non : un spectre hante la France, c'est l'Afrique.
La continuité des supplices, il paraît que vous
appelez ça l'Histoire. Nous avons cru comprendre
que vous excluez l'Afrique d'une si précieuse
construction. En un sens, vous voyez juste : elle n'a
rien à faire avec vous. (p.115 à 117)
Nous avons mis le feu à Paris afin que vos
yeux s'ouvrent : vous avez, paraît-il, besoin de
lumière, le ciel est si gris au-dessus de vos têtes.
C'est pour vous réveiller que nous incendions
vos voitures, et que nous ajoutons à ce feu de
joie vos poubelles : poubelles et voitures, votre
monde n'est-il pas résumé dans ces deux mots ?Poubelles et voitures, c'est votre grand œuvre, c'est la « civilisation ». (p. 120)
Vos caméras nous filment à
chaque coin de rue, à chaque
entrée d'immeuble, dans les
parkings, dans la moindre
boutique. Mais que voient-elles ? Rien. Ou plutôt si, elles
voient des chevreuils, des
boucs, des antilopes, des
hyènes, des lièvres, des
guépards, des singes, des chacals, des alligators,
des margouillats, des figures de la brousse au rictus menaçant,
rouge et noir comme l'anarchie, entourées de longues fibres qui s'agitent comme
des collerettes de sang.
Oui, nous portons des masques : ils nimbent notre absence. (p.124)
Courtesy of Prospero Pictures
le « drame de l'Afrique » vient du fait
que « l'homme africain n'est pas assez
entré dans l'Histoire. (Nicolas Sarkozy,
discours de Dakar du 26 juillet 2007)
photo Bernard Godot Gaudin
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Que s'est-il passé à la Bastille ? Qui a allumé le premier feu ?
Personne n'est capable d'identifier le commencement d'une
émeute. En un sens, l'insurrection avait commencé bien avant les
premiers affrontements : dans nos têtes, vous le savez, le feu
brûle depuis toujours et celui qui embrase cette nuit les rues de
Paris, qui les illumine d'éclairs rouges et bleus vient d'aussi loin
que notre mémoire. (p.157)
Cette nuit, le feu ne s'éteindra pas. Nous sommes trop nombreux. Vos forces
d'intervention vont-elles nous massacrer ? C'est trop tard : tout le monde nous
regarde, tout le monde filme avec son téléphone ; et les images de ce qui a lieu
place de la Concorde, centre et symbole de Paris, sont transmises dans le
monde entier : vous n'allez tout de même pas gazer une foule silencieuse, vousn'allez pas lyncher des masques ? (p.172)
Le feu qui s'élevait des brasiers donnait à
l'obélisque l'allure d'un dieu sauvage : ses
feuilles d'or étincelaient dans la nuit, et sa
colonne semblait dressée dans le ciel
comme un sexe qui brise l'ordre établi.
(p.173)
La grande roue du jardin des Tuileries tourne
sur elle-même, elle éclaire à présent notre destin.
A travers tous ces masques rassemblés place de
la Concorde, votre monde se renverse : ceux que
vous avez depuis si longtemps mis au ban de
votre société en occupent le centre, et c'est vous
qui êtes relégués sur les côtés. Alors, bien sûr,vous allez dire que nous sommes encerclés : mais
à travers le cercle que vous dessinez autour de
nous s'écrit une vérité qui vous condamne.
Sous nos masques, un murmure s'élève. C'est la
voix du Renard pâle. Il s'est mis à chanter. Sa parole ouvre en chacun de nous
une espérance, elle transmet son feu à tous les masques, elle salue le ciel et les
étoiles. (p.175)
Vous avez compris ce que j’entendais par roman au lance-pierres et par livre-molotov. Le propos de Yannick Haenel est proprement radical. On aime… ou on
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n’aime pas. La critique a été partagée : à côté d’une belle
double page du Monde des Livres, ce papier, ce long
commentaire incendiaire (un contre-feu ?) qui, dans un
blog, parle d’imposture littéraire et de galimatias :
http://www.juanasensio.com/archive/2013/08/31/les-renards-pales-nouvelle-imposture-de-yannick-haenel.html .
Et mon village de Mosset dans tout cela ? Ne me faites pas
dire ce que je ne veux pas dire : Mosset n’est pas Paris ni
Tarnac. Mais on
essaie d’y faire
avancer à petits
pas la révolution. Comme en témoignentces deux rencontres organisées par
l’association mossétane des Saxifrages ( je
rappelle qu’il y a 300
habitants à Mosset) et sa
participation au récent
Forum des possibles de Fillols.
Et puis j’ai imaginé une relecture de la Bible qui fait de la vallée de Mosset le
berceau du peuple dogon. Accrochez-vous, je remonte au Déluge !
« Les pluies diluviennes cessent. L'arche de Noé flotte au-
dessus du Conflent, là où les eaux confluent. Le patriarche
amarre sa nef au roc de Caraut. La décrue se confirmant, une
partie des animaux embarqués quitte l'arche : beaucoup
s'installeront aux abords de la Jonquéra de
Corbiac (Corbiac, parce que s'y posa le corbeau lâché par Noé –
voilà le corbeau de mon titre ! (Genèse 8:7 ) ; et Jonquère, parceque c'est là, sur un rocher, que s'était posée une colombe de
l'arche, ( jônah, la colombe en hébreu + -quer/-ker/-car , racine
indo-européenne signifiant 'rocher', comme dans Caraut/Caralt,
le rocher haut). Le chat préfère s'installer à Mosset, dont il
deviendra l'emblème (et s'il croque une alose, c'est pour rappeler
le déluge). Noé prévoit de s'installer dans le Conflent et fonde
Nohèdes. Ses fils, Japhet, Sem et Cham, pensent aussi à s'établir.
Japhet, père des Ibères, ira fonder Getafesur la meseta madrilène. Son fils Tubal,
http://forumdes
possibles.wordpress.co
m/
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cherchant à se rapprocher de ses frères, reviendra créer la petite cité de Thu-balls
(Thuès-entre-Valls). Un autre Tubal, Tubal-Caïn, passe d’ailleurs pour avoir inventé
l'art de travailler le fer et l'airain. Au chapitre 4 verset 22 du livre de la Genèse, il est
indiqué que Cilla enfanta Tubal-Caïn : il fut l'ancêtre de tous les forgerons en cuivre
et en fer . Sem, le second fils de Noé, se rendra en Ariègepour y fonder Sem (et Sentenac, communes du Vicdessos).
Quant à Cham, il érigera un temple à Chamos, dieu des Ammonites et Moabites
(second livre des Rois 3:27 ), à proximité du roc de Caraut où l'arche a abordé.
Autour de ce temple, une cité finit par
s'établir : Cha-Mossed, le 'Collège du
Chat' (mossed ou mossad , en hébreu
מ ס signifiant "collège institué"). En
aval, s'édifiera un autre lieu de culte àune divinité ammonite, Moloch
(catalanisé en Molich). Entre Molich et
Cha-Mossed, Cham établira le hameau
de Champomarium (c-à-d Campôme,
le verger de Cham). »
Affabulation ? Peut-être mais pas
moins plausible que la théorie de Michel Sauvant avec son Stevi codex. « Orbus solis,
novus Deus, mos est : Fini la divinité soleil, un nouveau Dieu, c'est notre rite. » : Stevus,un romain de la première moitié du IVe siècle, aurait, par cette phrase
apocryphe, baptisé chrétiennement Arboussols, Nohèdes et Mosset ! Et Michel
Sauvant imagine une semblable origine onomastique pour 132 villages du Roussillon !
Finalement Noé réembarquera pour voguer vers le mont Ararat. Quant à son fils
Cham, la tradition en fait l'ancêtre des populations africaines. Après avoir fondé
Mosset, quittant la vallée de la Castellane, il gagnera le continent africain pour
s'installer, dans le pays Dogon du Mali actuel, via les hauteurs de Belleville, à en
croire Yannick Haenel. Et ce choix n'est certainement pas dû au hasard. Nous
soulignerons ci-après les similitudes géo-culturelles entre la vallée de la Castellane et
la falaise de Bandiagara, plus évidentes qu'avec le vingtième arrondissement
parisien. Mon propos est donc de compléter en l'expansant
ce que dit le roman de Yannick Haenel à la page 111 :
- Avez-vous remarqué, me dit le Griot, qu'ici, à
Belleville, nous sommes sur une falaise ? Nous
sommes accrochés à ces pentes comme les Dogon
s'agrippent à la pierre rouge de leurs montagnes.Les carrières de Belleville, tranformées
en 1863 en parc des Buttes-Chaumont
http://www.acg66.org/010STEVI _%20CODEX _a
rticle_080607. df
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Car je prétends que le territoire mossétan est le vrai berceau de la culture dogon.
La preuve par les paysages :
Vous me suivez ? Sauf que, si la photo (merci Google earth!) est véridique, le
croquis lui propose une légende usurpée parce qu'il dessine la topographie dehameaux dogon, constituant le village d'Endé, adossés à la falaise de Bandiagara.
Voici ce même croquis légendé comme il doit l'être :
On comprend que Cham ait choisi ce nouveau point de chute en ce qu'il ne ledépaysait pas. Endé est un parfait exemple de village de falaise aujourd'hui délaissépar ses habitants... C'était un village d'artisans : forgerons, cordonniers ettisserands... ( ferrer, sabater, teixidor : mêmes professions que l'on trouvait à Mosset).
Molitg
Campôme
Corbiac
Mosset
la Castellane
Molitg
Campôme
Mosset
Corbiac
Brèzes
Brèzes
Toro
WoOgodengo
Guinékanda
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Autre coïncidence : la tradition dogon raconte que le village d'Iréli a été fondé pardeux frères venant de Torobéré, un village de la plaine du Seno. Le plus jeune, unchasseur nommé Abourou, trouve la source grâce à son chien. La légende de lasource thermale de Molitg ne dit pas autre chose : un chasseur, un chien, une
source...
Et, bien sûr, accrochées au flanc de la falaise, des grottes qui, jadis, au pays dogoncomme sur les hauteurs de la Castellane, ont servi de refuge, de carrière et desupport à diverses peintures et inscriptions dont beaucoup restent énigmatiques.
En couleur, au Mali ; en noir et blanc, à Mosset : la cova de les Encantades (la grotte
des fées) qui domine le hameau (veïnat ) de Sant Bartomeu (saint Barthélémy) peint
en blanc, aujourd'hui ruiné... Au Mali, le fantôme du Renard pâle ; dans la grotte
mossétane, la présence spectrale et batmanesque du grand-murin.
Traditionnellement les dogonssont des forgerons réputés. Une étuderécente a mis en évidence la productionde fer et d'outils en fer forgé du tempsdes Tellems au 6e siècle. Il apparaîtque diverses techniques de récupéra-tion du fer, à partir du minerai trouvé endivers endroits de la falaise deBandiagara, aient été mises au pointdans différents villages parfois séparésde quelques dizaines de kilomètres.Cette production, déjà avérée sur le sitede la falaise pendant plus de 1.300 ans(à raison d'environ 15 tonnes par an),
permet de mieux comprendre le statutparticulier et respecté des forgeronschez les dogons.
Traditionnellement lesCatalans sont des forgerons
réputés, connus pour la productionde fer et d'outils en fer forgé. Ilapparaît que diverses techniquesde récupération du fer, à partir duminerai trouvé en divers endroitsdes hauteurs du Pla-de-Pons,aient été mises au point dansdifférents villages parfois séparésde quelques dizaines dekilomètres. Cette production, déjàavérée sur le site de la valléependant des lustres, permet de
mieux comprendre le statutparticulier et respecté desforgerons chez les Catalans.
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Plus précisément, à Mosset, il y avait six forges en 1600, quatre en 1848 et trois en1855. En 1848 les quatre forges pouvaient traiter 20000 quintaux métriques deminerai et fournir 7000 quintaux de fer. La dernière a fermé en 1865.
forge dogon forge catalane
On notera aussi que Miquel Barceló, plasticien né à Majorque, cautionne ce jumelage entre vallée catalane et vallée dogon dans le choix qu'il a fait de vivrequelque temps au Mali (à Gogoli) et d'en rapporter une inspiration que l'on a pureconnaître dans un certain nombre d'oeuvres exposées l'été dernier au musée d'artmoderne de Céret.
Enfin, est-ce toujours pour avouer cette parenté entre mondes dogon et mossétanque, ces dernières années, on a vu d'étranges figures rapidement dessinées à la
chaux sur les murs de Mosset, rivalisant avec les multiples apparitions de l'image duRenard pâle et de ses avatars à la fois sur la terre ocre du pays de Bandiagara et surles murs de Belleville ? Comme si des génies malins se livraient à une joute àdistance... Mais à Mosset, pas plus d'image de Renard que de signe de zorro... C'estun autre symbole de subversion que de mystérieux individus répandent sur lesfaçades à coups de pinceaux et de pochoirs : la silhouette de Polichinelle.
ci-dessus, Miquel Barceló chez lui, à
Gogoli.
A gauche, une de ses œuvres
exposées à Céret (la paret seca)
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Je propose l’hypothèse que Polichinelle soit un avatar du Renard pâle.
Un dernier mot : pour le Nordiste que je suis, Polichinelle se ditPorichinelle, comme l’atteste notre hymne du P’tit Quinquin :
J’t’acatrai, l’jour d’eul’ducasse, un porichinelle cocasse
Un turlututu, pour juer l’air du capieau pointu…
J’espère ne pas avoir été trop indigeste mais je signe et persiste à conseiller la lecturede ce roman que vous trouverez dans notre bibliothèque mossétane :
Les Renards pâles, de Yannick Haenel, L'Infini, Gallimard (2013) - 175 pages
Village au fond de la vallée (comme égaré, presque ignoré), le 26 août 2014
Dans la cosmogonie dogon,
Yurugu, le Renard pâle, naît
de l'union du dieu premier etde la Terre qu'il a créée. Le
Renard pâle, unique et donc
imparfait, principe de désordre,
commit l’inceste avec sa mère
parce qu’il ne trouvait pas de
compagne. Errant sans cesse
à la recherche d’une épouse, il
ne connaît que la parole
première, celle qu’il révèle aux
devins. Sorte de divinité
déchue et proscrite, il a pu être
assimilé à Lucifer. Rebelle à la
loi divine et paternelle, Yurugu,
facteur de désordre, n'a de
cesse d'amener le chaos.
Cependant les dogons savent
qu'il leur est nécessaire : le
chaos n'est-il pas un élément
de la vie ?
Polichinelle est un personnage type de la commedia dell'arte. Tirant
sans doute son origine des atellanes, pièces du théâtre latin,
subversives et licencieuses, c'est un semeur d'intrigues, impertinentet bouffon. Il est souvent représenté sous l'aspect d'un valet
d’origine paysanne, rusé, grossier, simple, disgracieux, spirituel et
gourmand. Vêtu de blanc, il est caractérisé par son fameux
maschera (masque) avec son nez en bec de corbin, sa bosse, son
gros ventre et son parler imitant le cri des oiseaux. Si chez les dogons
l'esprit malin s'est incarné dans un renard, dans la tradition italique il
a préféré prendre corps sous la forme d'un "petit poulet"
(pulecenella, en napolitain, d'où son nom italien Pulcinella). Du
poulet, il a la gloutonnerie, l'arrogance, la bêtise, l'agressivitéhargneuse, la voix piaillante et... la lubricité d'un petit coq. Comme
son frère dogon, il est aussi celui qui révèle les vérités cachées, le
fameux secret de Polichinelle. Comme on le voit, un autre facteur de
chaos. Mais quel est ce chaos promis à Mosset ? Certains disent que
c'est celui de la fête lyrique où triomphe la Reine de la nuit (celle de
Mozart), ou la reine Mab (celle qui brouille les esprit de Juliette et
Roméo), ou les sorcières de Carthage qui détruisent l'amour d'Enée
et de Didon... Ce chaos secrètement désiré qui vous renverse le
temps d'une soirée d'opéra.