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© MASSON Rev Neurol (Paris) 2005 ; 161 : 12, 1221-1224 1221 B. BODAGHI et coll. Brève communication Baisse visuelle sévère liée à une occlusion artérielle rétinienne au cours du syndrome de Susac : à propos d’un cas* B. Bodaghi 1 , B. Wechsler 2 , R. Adam 1 , D. Galanaud 3 , C. Fardeau 1 , T. Papo 4 , P. LeHoang 1 , J.-C. Piette 2 1 Service d’Ophtalmologie, CHU Pitié-Salpêtrière, Paris. 2 Service de Médecine Interne, CHU Pitié-Salpêtrière, Paris. 3 Service de Neuroradiologie, CHU Pitié-Salpêtrière, Paris. 4 Service de Médecine Interne, CHU Bichat-Claude Bernard, Paris. Reçu le : 23/03/2005 ; Reçu en révision le : 21/06/2005 ; Accepté le : 25/07/2005. RÉSUMÉ Introduction. Les occlusions artérielles rétiniennes représentent un des éléments de la triade clinique du syndrome de Susac. Elles sont de sévérités variables et régulièrement associées à une microangiopathie cérébrale et cochléaire. La physiopathologie de cette atteinte demeure inconnue. Observation. Nous rapportons le cas d’une patiente caucasienne, âgée de 57 ans, prise en charge en 1999 pour une atteinte cérébrale, rétinienne et cochléo-vestibulaire sévère. L’imagerie angiographique rétinienne et l’IRM cérébrale ont permis de confirmer le dia- gnostic de syndrome de Susac. Une baisse d’acuité visuelle sévère unilatérale est survenue un mois après le début de la corticothérapie générale. Il s’agissait d’une occlusion des branches de l’artère temporale supérieure. La gravité de l’atteinte a justifié une intensification thé- rapeutique par l’utilisation de plusieurs bolus de cyclophosphamide associés aux anticoagulants. La récupération visuelle ad integrum a été rapidement obtenue et aucune récidive n’a été notée avec un suivi total de 54 mois. Conclusion. Le traitement du syndrome de Susac n’est actuellement pas codifié. Une attitude agressive prolongée paraît justifiée en présence d’une occlusion vasculaire responsable d’une baisse visuelle profonde. Le pronostic neuro-sensoriel de cette affection semble favorable en l’absence d’ischémie prolongée et symptomatique. Mots-clés : Baisse visuelle • Corticoïdes • Immunosuppresseurs • Occlusion artérielle rétinienne • Syndrome de Susac SUMMARY Severe visual loss due to retinal artery occlusion associated with Susac’s syndrome: a case report. B. Bodaghi, B. Wechsler, R. Adam, D. Galanaud, C. Fardeau, T. Papo, P. LeHoang, J.-C. Piette, Rev Neurol (Paris) 2005; 261: 12, 1221-1224. Introduction. Susac’s syndrome consists of the clinical triad of cerebral microangiopathy, branch retinal artery occlusions, and hearing loss. The pathogenesis of the disease remains unknown. The severity of retinal vasculopathy remains variable. Case report. A 57-year- old Caucasian woman presented in 1999 for the diagnostic and therapeutic management of a severe and complete form of the disease. Fluorescein angiography and cerebral MRI were contributive in this case and confirmed the diagnosis. A severe unilateral visual loss occurred one month after the initiation of systemic corticosteroids. Funduscopy disclosed a temporal retinal artery occlusion with major ischemia. Therefore, cyclophosphamide and anticoagulants were added to corticosteroids and total visual recovery was achieved within 2 weeks without any relapse after a follow-up period of 54 months. Conclusion. Therapeutic management of Susac’s syndrome is still controversial. Major immunosuppressive regimens are mandatory in the face of severe visual loss associated with central or branch retinal artery occlusions. The final prognosis of the disease seems favorable in the absence of prolonged and symptomatic retinal ischemia. Keywords: Visual loss • Corticosteroids • Immunosuppressors • Retinal artery occlusion • Susac syndrome INTRODUCTION Le syndrome des micro-infarctus rétiniens, cochléaires et cérébraux, est une affection rare associant des occlusions des branches de l’artère centrale de la rétine et des artérioles terminales cochléaires et cérébrales (Susac et al., 1979 ; Petty et al., 2001). Finalement baptisée syndrome de Susac, cette affection touche habituellement la femme jeune (Susac, 2004). L’âge de survenue est compris entre 8 et 59 ans avec un pic moyen à 32,2 ans. Plus de 75 cas ont été répertoriés dans la littérature avec un sex-ratio (F/H) de 3,16. Les patients caucasiens semblent être plus fréquemment Tirés à part : B. BODAGHI, Service d’Ophtalmologie, CHU Pitié-Salpêtrière, 47-83, boulevard de l’Hôpital, 75651 Paris Cedex 13. E-mail : [email protected] * Ce texte est tiré de la communication orale présentée en novembre 2004 lors de la réunion de la SFN consacrée à la Neuro-Ophtalmologie.

Baisse visuelle sévère liée à une occlusion artérielle rétinienne au cours du syndrome de Susac : à propos d’un cas

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© MASSON Rev Neurol (Paris) 2005 ; 161 : 12, 1221-1224 1221

B. BODAGHI et coll.

Brève communication

Baisse visuelle sévère liée à une occlusion artérielle rétinienne au cours du syndrome de Susac : à propos d’un cas*

B. Bodaghi1, B. Wechsler2, R. Adam1, D. Galanaud3, C. Fardeau1, T. Papo4,P. LeHoang1, J.-C. Piette2

1 Service d’Ophtalmologie, CHU Pitié-Salpêtrière, Paris.2 Service de Médecine Interne, CHU Pitié-Salpêtrière, Paris.3 Service de Neuroradiologie, CHU Pitié-Salpêtrière, Paris.4 Service de Médecine Interne, CHU Bichat-Claude Bernard, Paris.Reçu le : 23/03/2005 ; Reçu en révision le : 21/06/2005 ; Accepté le : 25/07/2005.

RÉSUMÉIntroduction. Les occlusions artérielles rétiniennes représentent un des éléments de la triade clinique du syndrome de Susac. Elles sont desévérités variables et régulièrement associées à une microangiopathie cérébrale et cochléaire. La physiopathologie de cette atteinte demeureinconnue. Observation. Nous rapportons le cas d’une patiente caucasienne, âgée de 57 ans, prise en charge en 1999 pour une atteintecérébrale, rétinienne et cochléo-vestibulaire sévère. L’imagerie angiographique rétinienne et l’IRM cérébrale ont permis de confirmer le dia-gnostic de syndrome de Susac. Une baisse d’acuité visuelle sévère unilatérale est survenue un mois après le début de la corticothérapiegénérale. Il s’agissait d’une occlusion des branches de l’artère temporale supérieure. La gravité de l’atteinte a justifié une intensification thé-rapeutique par l’utilisation de plusieurs bolus de cyclophosphamide associés aux anticoagulants. La récupération visuelle ad integrum a étérapidement obtenue et aucune récidive n’a été notée avec un suivi total de 54 mois. Conclusion. Le traitement du syndrome de Susac n’estactuellement pas codifié. Une attitude agressive prolongée paraît justifiée en présence d’une occlusion vasculaire responsable d’une baissevisuelle profonde. Le pronostic neuro-sensoriel de cette affection semble favorable en l’absence d’ischémie prolongée et symptomatique.

Mots-clés : Baisse visuelle • Corticoïdes • Immunosuppresseurs • Occlusion artérielle rétinienne • Syndrome de Susac

SUMMARYSevere visual loss due to retinal artery occlusion associated with Susac’s syndrome: a case report.B. Bodaghi, B. Wechsler, R. Adam, D. Galanaud, C. Fardeau, T. Papo, P. LeHoang, J.-C. Piette, Rev Neurol (Paris) 2005; 261: 12, 1221-1224.

Introduction. Susac’s syndrome consists of the clinical triad of cerebral microangiopathy, branch retinal artery occlusions, and hearingloss. The pathogenesis of the disease remains unknown. The severity of retinal vasculopathy remains variable. Case report. A 57-year-old Caucasian woman presented in 1999 for the diagnostic and therapeutic management of a severe and complete form of the disease.Fluorescein angiography and cerebral MRI were contributive in this case and confirmed the diagnosis. A severe unilateral visual lossoccurred one month after the initiation of systemic corticosteroids. Funduscopy disclosed a temporal retinal artery occlusion with majorischemia. Therefore, cyclophosphamide and anticoagulants were added to corticosteroids and total visual recovery was achieved within2 weeks without any relapse after a follow-up period of 54 months. Conclusion. Therapeutic management of Susac’s syndrome is stillcontroversial. Major immunosuppressive regimens are mandatory in the face of severe visual loss associated with central or branch retinalartery occlusions. The final prognosis of the disease seems favorable in the absence of prolonged and symptomatic retinal ischemia.

Keywords: Visual loss • Corticosteroids • Immunosuppressors • Retinal artery occlusion • Susac syndrome

INTRODUCTION

Le syndrome des micro-infarctus rétiniens, cochléaires etcérébraux, est une affection rare associant des occlusionsdes branches de l’artère centrale de la rétine et des artériolesterminales cochléaires et cérébrales (Susac et al., 1979 ;

Petty et al., 2001). Finalement baptisée syndrome de Susac,cette affection touche habituellement la femme jeune(Susac, 2004). L’âge de survenue est compris entre 8 et59 ans avec un pic moyen à 32,2 ans. Plus de 75 cas ont étérépertoriés dans la littérature avec un sex-ratio (F/H) de3,16. Les patients caucasiens semblent être plus fréquemment

Tirés à part : B. BODAGHI, Service d’Ophtalmologie, CHU Pitié-Salpêtrière, 47-83, boulevard de l’Hôpital, 75651 Paris Cedex 13.E-mail : [email protected]* Ce texte est tiré de la communication orale présentée en novembre 2004 lors de la réunion de la SFN consacrée à la Neuro-Ophtalmologie.

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atteints. Le mode de début est extrêmement variable. Fré-quemment, le début est neurologique (37,3 p. 100 des cas),mais il peut être cochléo-vestibulaire (16 p. 100), rétinien(9,3 p. 100), cérébral et rétinien (12 p. 100) ou encore céré-bral et cochléaire (8 p. 100). Le délai d’apparition du syn-drome de Susac défini par la triade complète est variable.Elle peut être présente d’emblée (13,3 p. 100 des cas) ou seconstituer en plusieurs mois ou plusieurs années.

Les manifestations neurologiques sont observées dès ledébut de la maladie dans 72,9 p. 100 des cas (Papo et al.,1998 ; Petty et al., 1998). L’atteinte est variable avec dans50,6 p. 100 des cas un tableau d’encéphalopathie aiguëavec syndrome confusionnel. Les formes sévères peuventsimuler une urgence neurologique ou psychiatrique. Descéphalées sont présentes dans 46,6 p. 100 des cas avecsouvent un passé de migraine ophtalmique. Des troublesmnésiques (49,3 p. 100) avec diminution des facultés intel-lectuelles et des troubles psychiatriques (44 p. 100) avecpossible comportement psychotique sont associés de façonvariable. Une ataxie avec marche instable est présente dans50,6 p. 100 des cas. Hémiparésies, signe de Babinski,dysarthrie et paresthésies ne sont pas rares. Des troublessphinctériens ont été décrits dans quatre cas (O’Halloran etal., 1998). Des manifestations neuro-ophtalmologiquessont possibles à type de diplopie, de nystagmus et de ptosis.

L’atteinte rétinienne se caractérise par des occlusionsbilatérales multiples des branches de l’artère centrale de larétine (Gass et al., 1986 ; Notis et al., 1995). Le retentisse-ment sur la vision dépend de la topographie des lésions.L’atteinte est symptomatique lorsque l’ischémie intéressele pôle postérieur. On note alors des anomalies à type deflou visuel, de scotome ou d’amputation du champ visuel.Souvent le retentissement se limite à la présence de petitsscotomes périphériques. L’atteinte est asymptomatiquelorsque l’occlusion intéresse la périphérie rétinienne. Enoutre, si la microangiopathie cérébrale est sévère, le patientne se plaint pas de ces symptômes visuels et seul un bilanophtalmologique systématique peut dépister d’éventuellesanomalies rétiniennes. Il est donc important de réaliser unexamen ophtalmologique en présence de manifestationsneurologiques d’apparition récente et rapidement progres-sives. Au moindre doute et si l’état du patient le permet, unrelevé du champ visuel et une angiographie à la fluores-céine seront réalisés.

L’atteinte cochléo-vestibulaire se manifeste par unehypoacousie de perception endocochléaire, le plus souventbilatérale, asymétrique et prédominant sur les fréquencesgraves (Petty et al., 1998). Les vertiges sont liés à l’atteintedes canaux semi-circulaires.

Le diagnostic repose sur un faisceau d’arguments clini-ques, l’élimination de plusieurs diagnostics différentiels, enparticulier infectieux, et l’analyse des données de l’image-rie angiographique rétinienne et de l’IRM cérébrale. Laprise en charge thérapeutique n’est pas actuellement codi-fiée et dépend de la sévérité de l’atteinte et de l’aggravationsecondaire neurologique, rétinienne ou cochléaire.

OBSERVATION

Cas n

° 1. — Une femme, âgée de 57 ans, a été adressée ennovembre 1999 aux urgences hospitalières pour la suspiciond’une méningo-encéphalite herpétique rapidement évolutive.L’interrogatoire n’a pas mis en évidence d’antécédent et de fac-teurs de risque particuliers, hormis une hypercholestérolémie trai-tée et une aphtose bipolaire. L’histoire de la maladie avait débutéune semaine avant l’hospitalisation par une otalgie droite apparueau réveil, avec céphalées bitemporales sans photophobie et endehors de tout contexte fébrile. Des troubles neurologiques à typed’amnésie antérograde, de manque du mot, de paresthésies fluc-tuantes de la main droite et d’un vertige étaient apparus après undélai de 3 jours. À l’examen, la patiente était apyrétique, avec unbilan cardiovasculaire et pulmonaire normal. L’examen neuro-logique ne montrait pas de désorientation temporo-spatiale. Lesréflexes ostéo-tendineux étaient présents et symétriques, sansdéficit sensitivo-moteur associé. À l’hémogramme, il existait7 900 leucocytes/mm3, une hémoglobine à 12,3 g/dl et263 000 plaquettes/mm3. La VS était de 8 mm à la premièreheure. Il n’y avait pas de troubles de la coagulation. La tomoden-sitométrie cérébrale sans injection était normale. La ponctionlombaire mit en évidence une hyperprotéinorachie à 1,67 g/l,490 éléments/mm3 dont 92 p. 100 de lymphocytes et une normo-glycorachie. Un traitement antiviral et antibiotique d’épreuve futinstauré, mais ne modifia pas l’évolution. Les examens virologi-ques et bactériologiques étaient négatifs. Des anomalies bitempo-rales à l’EEG ne permettaient pas d’exclure une encéphalite. LeTPHA-VDRL, la sérologie VIH et les sérologies des borrélioseset de la leptospirose étaient négatives. L’IRM cérébrale mit enévidence des lésions périventriculaires en rapport avec uneatteinte méningée, associées à des lésions des noyaux gris cen-traux. L’atteinte du corps calleux était en faveur du syndrome deSusac (Fig. 1). L’évolution fut marquée par l’apparition d’unehypoacousie gauche avec un syndrome cérébelleux cinétique etune paralysie faciale droite à minima faisant suspecter une vascu-lite cérébrale. L’association de l’atteinte neurologique et del’aphtose bipolaire fit évoquer une forme neurologique de maladiede Behçet et la patiente fut adressée en Médecine Interne pourprise en charge thérapeutique. Cependant, plusieurs éléments,comme l’existence d’une hypoacousie bilatérale et les données del’imagerie cérébrale plaidaient contre ce diagnostic.

L’acuité visuelle était de 9/10e à droite et de 10/10e à gauche.La biomicroscopie était normale, mais l’examen du fond d’œilmettait en évidence des occlusions artériolaires rétiniennes bilaté-rales segmentaires, épargnant la région maculaire et confirméespar l’angiographie à la fluorescéine. La présence de nodulescotonneux était associée à l’ischémie rétinienne. L’angiographieau vert d’indocyanine ne révéla pas d’anomalies en faveur d’uneatteinte granulomateuse rencontrée au cours de la sarcoïdose. Lesyndrome de Susac fut alors évoqué devant l’association d’unemicroangiopathie cérébrale, rétinienne et auditive. Cependant, larésistance à la corticothérapie intraveineuse à fortes doses etl’aspect des lésions rétiniennes posaient le problème du diagnosticde lymphome endovasculaire. L’évolution sous corticothérapieorale à 1 mg/kg/j fut favorable dans un premier temps, permettantla stabilisation de l’atteinte neurologique et écartant le diagnosticde lymphome endovasculaire dont la confirmation ne peut êtreobtenue qu’après biopsie cérébrale.

La patiente consulta en urgence en ophtalmologie, le 10 janvier2000, pour une baisse visuelle brutale et importante de l’œil droit,évaluée à 2/10e et associée à un large scotome central. L’examendu fond d’œil et l’angiographie à la fluorescéine mirent en

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évidence des occlusions artériolaires périphériques associées àune occlusion de plusieurs branches de l’artère temporale supé-rieure (Fig. 2). L’atteinte neurologique ne fut pas aggravée lors decet épisode. L’administration rapide de bolus de corticoïdes etd’une héparinothérapie à doses efficaces permirent une récupéra-tion visuelle après deux semaines. La rechute motiva l’instaura-tion d’une immunosuppression par bolus de cyclophosphamide.La dose de corticoïdes fut progressivement réduite jusqu’à 5 mg/j, toujours associée aux anti-vitamines K, et l’immunosuppressionfut interrompue en septembre 2001 après 13 bolus. Aucune symp-tomatologie n’a été notée depuis février 2000 et le suivi actuel estde 54 mois. Les seules séquelles ont été auditives.

DISCUSSION

Le cas clinique décrit ci-dessus a plusieurs particularitéspar rapport à ceux précédemment rapportés dans la littéra-ture. Le tableau clinique et l’âge de survenue tardif ont ini-tialement orienté le diagnostic vers une encéphaliteherpétique ou une forme neurologique de maladie deBehçet. L’examen ophtalmologique et l’analyse neurora-diologique ont permis de redresser le diagnostic étiologi-que. Par ailleurs, la corticothérapie systémique n’a

manifestement pas permis d’enrayer l’évolution et l’indica-tion de l’immunosuppression paraissait alors indiscutable.La récupération visuelle ad integrum et l’absence de réci-dive sévère confortent cette stratégie, mais aucune conclu-sion définitive ne peut être proposée à partir d’un casunique.

Les deux premiers cas de ce syndrome ont été publiés parSusac et al. en 1979. La symptomatologie clinique du syn-drome de Susac, observée initialement, est souventbruyante et généralement inquiétante. L’angiographie à lafluorescéine et l’IRM cérébrale sont indéniablement les élé-ments d’orientation indiscutables dans les formes incom-plètes (O’Halloran et al., 1998 ; Susac et al., 2003). Lapremière est indispensable pour étayer l’examen ophtalmo-logique. Elle confirme l’intégrité du réseau veineux et peutmettre en évidence, en plus des occlusions artérielles et desœdèmes rétiniens ischémiques, des diffusions, des man-chons péri-vasculaires et une hyper-fluorescence segmen-taire des parois artérielles rétiniennes. Ces dernières sontsituées à distance des territoires occlus. Notis et al. (1995)ont été les premiers à les décrire et ont constaté qu’ellessurvenaient avant la véritable occlusion artérielle. L’identi-fication de ces lésions préocclusives est importante

Fig. 1. – IRM initiale en séquence FLAIR.Hypersignaux punctiformes diffus touchant à lafois a) les noyaux gris centraux (thalamus bila-téral, capsule interne et pallidum droits) et b) lecorps calleux.Initial MRI (FLAIR) sequence showing hypersig-nals involving a) the central gray nuclei and b) thecorpsus callosum.

a b

Fig. 2. – a) Cliché anérythre du fond d’œilmontrant un œdème ischémique rétinien dansle territoire de l’artère temporale supérieure(flèche). b) Angiographie à la fluorescéine(temps intermédiaire) : occlusion de plusieursbranches de l’artère temporale supérieure.a) Red-free photograph showing ichemic reti-nal edema in the superior temporal artery ter-ritory (arrow). b) Fluoroscein angiography(mid-frame) disclosing the occlusion of multi-ple branches of the superior temporal artery.

a b

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puisqu’elles représentent des signes d’activité de la maladieet un traitement préventif doit être rapidement discuté. Gasset al. (1986) ont décrit les cas de patients présentant deshyperfluorescences segmentaires survenant en associationavec un déficit auditif, tableau pouvant entrer dans le cadrede syndrome de Susac frustre ou encore incomplet aumoment de cette étude. L’aspect étagé que peuvent avoirles occlusions le long des vaisseaux est à l’origine du termede boxcar segmentation utilisé par les Anglo-saxons.L’aspect angiographique est donc plus en faveur d’une vas-culopathie rétinienne. Les examens campimétriques vontmettre en évidence des amputations du champ visuel dansles zones correspondant aux territoires d’occlusions arté-rielles.

L’IRM cérébrale apporte des arguments complémen-taires. En effet, l’atteinte du corps calleux semble êtreconstamment retrouvée (Susac et al., 2003). Les lésionssont typiquement de petite taille, multifocales et fré-quemment rehaussées durant la phase aiguë. L’atteinteintéresse principalement les fibres centrales du corpscalleux et épargnent la périphérie. Cet aspect demeurerelativement caractéristique comparé aux lésions obser-vées au cours de la sclérose en plaques ou à l’encéphalo-myélite aiguë disséminée. Il n’y a pas de corrélationstricte entre la sévérité de l’atteinte clinique et les ano-malies objectivées par l’IRM. Rappelons que l’IRMcérébrale peut être contributive même en l’absenced’atteinte neurologique symptomatique. L’évolution de lamaladie semble être auto-limitée, fluctuante et mono-phasique, durant 2 à 4 ans (6 mois à 5 ans). Une récur-rence a été rapportée après 18 ans (Petty et al., 2001).

Le traitement du syndrome de Susac reste controversé etempirique. Ceci est lié à l’absence d’études comparatives età la faible incidence de l’affection. La corticothérapie sys-témique est généralement utilisée chez 75 p. 100 despatients avec une efficacité relative dans près de 36 p. 100des cas. Les immunosuppresseurs sont indiqués dans lescas sévères, résistant à la corticothérapie. Le cyclophospha-mide a été le plus souvent employé avec des résultats satis-faisants dans 75 p. 100 des cas. Il est actuellement difficile

de juger l’efficacité des inhibiteurs calciques, des anti-agré-gants plaquettaires, des anticoagulants, des immunoglobu-lines intraveineuses, de l’azathioprine, des échangesplasmatiques et de l’oxygénothérapie hyperbare. Unemeilleure compréhension de la physiopathologie du syn-drome de Susac et des études multicentriques permettrontpeut-être de proposer une prise en charge plus codifiée. Enl’absence de données complémentaires, l’agressivité théra-peutique est directement corrélée à la sévérité des lésionsneurologiques, rétiniennes et cochléo-vestibulaires. Labaisse visuelle en rapport avec une atteinte de l’artère cen-trale de la rétine ou de ses branches proximales doit êtreconsidérée comme un facteur de gravité nécessitant l’asso-ciation des corticoïdes et des immunosuppresseurs. Enrevanche, l’atteinte des artérioles rétiniennes périphériquesne s’accompagnant pas de symptomatologie fonctionnellene justifie pas en soi une intensification thérapeutique maisune surveillance ophtalmologique rapprochée.

RÉFÉRENCES

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