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  • BIBEBOOK

    CHARLES BARBARA

    HLOSE

  • CHARLES BARBARA

    HLOSE1857

    Un texte du domaine public.Une dition libre.

    ISBN978-2-8247-1181-2

    BIBEBOOKwww.bibebook.com

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    Sources : B.N.F. fl

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    Lecture

    Fontes : Philipp H. Poll Christian Spremberg Manfred Klein

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  • HELOISE

    C font lhistoire de ceux qui sen vont: cest danslordre. Ils ont la mmoire pour perptuer les souvenirs funbres,des yeux pour traduire en larmes les douleurs des existencesteintes. Vainement ils essayent dloigner deux la tristesse de cettetche: la pense les y ramne par un chemin que jalonnent des tombes.La part des absents nest-elle pas prfrable? Est-il donc si doux de voiragoniser ceux quon aime et le vide se faire autour de soi?

    Je trouve sur un cahier de notes, tout jaune force dtre vieux, cettepense que jai recueillie, cause de lapprobation que jy donnais il y adj bien du temps: Pour moi, jen fais le serment, Dieu me donnerait lepouvoir de retourner dans le sein de ma mre et de revenir sur cette terrepour y jouir de ce quon appelle un sort heureux, que je ne le voudraispas.

    Lpitaphe de Yorick me conviendrait assez; vous vous en souvenez:Hlas! pauvre Yorick!

    Jai t souvent tax de duret faute dun peu dhypocrisie. Je nai ja-mais su mapitoyer sur des douleurs imaginaires ou factices. En tout, maisnotamment en fait de sentiment, le conventionnel et le faux mont tou-jours t odieux.Quun homme gesticule, jette les hauts cris, se proclame

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  • Hlose

    le plus malheureux dentre ceux qui sourent, sil arrive que la blanchis-seuse oublie de lui apporter un faux col ou que le fer trop chaud imprimeun mauvais pli son gilet, javoue que cela ne mmeut gure, sinon depiti. Je sais que cet homme me trouvera sans entrailles

    En butte aux caprices du hasard, contre lequel chouent si frquem-ment mme les eorts dune volont puissante, javais d quitter Parispour sjourner provisoirement ailleurs. Lincident est vulgaire. Je nenparlerais pas, peinemen souviendrais-je, sans un pisode touchant dontlimpression a laiss en moi un durable souvenir.

    De mon logement, travers les graniums et les longs cinraires quimasquaient en partie ma fentre, japercevais, se dveloppant sur un planoblique, les faades pauvres et irrgulires de tout un ct de rue. Javaisun picier pour vis--vis, langle dune rue latrale. On voit dici ladcoration de sa devanture couleur chocolat. Ce ntait que girandolesdponges, de bottes de celles, que grappes de plumeaux, de brosses enchiendent, de raquettes, de volants, que faisceaux de balais en jonc, quepaniers pleins de lige, que barils combls de pruneaux ou de colle de pte,vritables water closets des chiens du quartier. Derrire les vitres, sur desrayons en verre, taient entasses des marchandises dont les enveloppesaux couleurs crues semblaient dcoupes dans un habit darlequin. Dsle matin, devant la porte, un garon, mal veill encore, brlait la grainede caf dans le cylindre noirci quil faisait tourner indolemment sur laamme des copeaux. Les environs semplissaient dune fume odorantedont personne ne songeait se plaindre.

    A ct, il y avait une mercire. Le colombage zbrait la faade troitede la maison. Au rez-de-chausse, la montre de la boutique verte, sevoyaient de la menue mercerie et des bonnets en tulle, dont les rubansroses ou bleus attiraient lil des jeunes lles en passant.

    Venaient ensuite un doreur avec son attirail de chandeliers et dencen-soirs en cuivre suant le vert-de-gris; puis un serrurier, dont lintrieur, lesoir, retentissait des bruits rhythmiques de lenclume et resplendissait desclairs de la forge; puis un boucher, puis un chocolatier, puis un brocan-teur, marchand de vieux meubles. Javouerai combien ltal du bouchermtait agrable voir. Les les de gigots, de quartiers de moutons sus-pendus et aligns la faon des soldats, les veaux ventrs avec leur ta-

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  • Hlose

    blier de graisse, les culottes et autres pices de bufs pares comme pourun sacrice, toutes ces nuances de rose et de rouge si fraches et si vivesne rjouissaient pas moins mon il que les grosses joues de la bouchre,qui peine trouvait de la place dans son comptoir pour ses formes exu-brantes, et semblait, avec lodeur des viandes, respirer la sant.

    De lendroit o jtais accoutum demasseoir, je nen voyais pas plus.Il y avait un march au bout de la rue, et, par suite, dans la matine,

    il sy faisait une procession de mnagres qui passaient vide et senrevenaient le corps pli en deux pour faire quilibre leurs paniers pleinsjusque par-dessus les bords de lgumes, de fruits, de beurre, de fromage,dufs, de viande ou de poisson.

    Aux nombreuses fentres du pan de rue qui faisait ma perspective, jevoyais en outre bien souvent des ttes de femmes et de jeunes lles.

    Tout cela tait trs-vivant et trs-gai.Un dimanche de fvrier, en ouvrant ma fentre pour me chauer au

    soleil, japerus, au second de la maison occupe par la mercire, unejeune lle, ou plutt une jeune femme, car jignorais alors si elle taitmarie ou non, et de ma place je jugeais seulement quelle avait une jolieexpression de tte. Je vis des cheveux bruns, un il trs-doux, un visageple et un peu allong, un ensemble mlancolique. Elle me parut assezgrande et bien faite. Elle regardait droite et gauche, et semblait sereposer des fatigues de la semaine.

    Je my intressai tout de suite. Si je ne sais pas prcisment pourquoi,je sais au moins que ce ntait par aucun sentiment de convoitise. Tousles curs ne prennent pas feu comme la poudre sous le simple regarddune femme. Mon isolement, aprs cela, entrait peut-tre pour beaucoupdans lintrt que me causait cette jeune lle. Je prsumai quelle tenaitle magasin du bas. Jaurais bien voulu savoir si elle tait marie

    Je voyais souvent aller et venir une vieille petite femme, toute contre-faite, dans laquelle je reconnus bientt la mre. Ses faons dagir, unevague ressemblance, ce quon appelle lair de famille, ne me laissrent au-cun doute l-dessus. Des observations analogues nie rent deviner le predans un homme en blouse bleue dune cinquantaine dannes. Il fumaitsa pipe avec un grand egme et avait lair dun homme qui sennuie dene rien faire, et qui cependant na pas hte de se procurer du travail. Des

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  • Hlose

    jeunes gens, qui, je pense, taient ouvriers, frquentaient dans la maison.Il y en avait un parmi eux qui venait plus rgulirement et qui passait desheures entires la fentre o javais vu la jeune femme pour la premirefois. Je ne doutai pas dabord que ce ne ft son mari.

    Aprs des observations moins supercielles, je nen fus rien moinsque certain. Les manires du jeune homme taient rserves, mme unpeu froides. Jexpliquai cela en supposant quils ntaient pas maris, maisquils le seraient un jour, quoiquils ne saimassent que modrment. Jelaissai bientt cette opinion pour revenir la premire, puis celle-ci pourrevenir la seconde, et passai ainsi quelque temps de lune lautresans russir garder vingt-quatre heures la mme. Il est malais de com-prendre comment je souris dtre ballott des semaines entires entreces deux alternatives, quand il met t si facile de sortir dincertitude.

    Javais pour htelire la plus excellente femme du monde, pas tropintresse, ce qui est rare, et qui avait pour moi des attentions mater-nelles. Elle avait toujours un prtexte pour venir dans ma chambre quandjy tais. Elle ne demandait qu causer. Par malheur je nosais linterro-ger sur le sujet en question, et je manquais du talent de lamener enparler delle-mme. Cest ici quil faudrait manalyser, si je ntais pourmoi-mme une nigme. Je lisais lautre jour dans un crivain trs-srieux:Quune personne soit bien connue pour tre timide, on peut dire quellea une inclination naturelle lavarice, la mesquinerie; quelle est arti-cieuse, dissimule; que la crainte la fait parler avec douceur et soumis-sion; quelle est souponneuse, dante, incrdule, mauvaise amie, etc.,parce que tous ces vices sont des eets de la timidit, qui est elle-mmeun eet de la faiblesse. Il y a bien un peu de mon fait l dedans. Je disun peu, car ceux qui ont rajeuni cette opinion, aussi vieille que la pre-mire observation physiognomonique, ne se sont pas aperus quil y adeux sortes de timidits, lune inne, invincible, do rsulte bien ce quiest prcit plus haut, lautre accidentelle, qui tient uniquement ldu-cation et qui noccasionne quune profonde dance de soi-mme. Ayezle malheur davoir un pre despote et brutal, qui ne soure pas que vous

    1. Cest bien mal sexprimer. Je ne sais jusqu quel point la dance, lincrdulit sontdes vices. Bentham a dit dj que lenvie et la jalousie ne sont pas des vices, mais des peines.

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    ouvriez la bouche devant lui, qui ne cesse de vous traiter en idiot et vousincruste dans lesprit, par lautorit, ses opinions, vraies ou fausses, etvous nirez par avoir peur du son de votre voix, par vous faire une ideprodigieuse des autres hommes, et vous serez humble et timide devanteux, et vous aurez du bonheur si, plus tard, lexprience et lobservationvous aidant les apprcier ce quils valent, vous parvenez vaincre cetteinrmit desprit et retrouver votre aplomb. Javoue que de ce ct, quoique jaie pu faire, je nai jamais obtenu une gurison radicale. Jajoute-rai quen ce qui concerne les femmes et les sentiments quelles causent,jtais, par le fait de mon humeur, dune rserve qui, bien sr, et faitsourire la plus gauche pensionnaire. Cet t une chose bien simple dequestionner ma matresse dhtel: Quelle est cette jeune femme? est-elle marie? Ou bien: Le jeune homme que je vois entrer dans la mai-son doit-il tre son mari? etc. Mais, bon Dieu, comment et-elle traduitma curiosit? Ah! il sy intresse donc. Ah! elle lui plat sans doute.Il en veut peut-tre faire sa matresse. Vraiment, ce monsieur nest pasgn Et lide seule de ces hypothses earouchait mon esprit et ytouait toute vellit dpanchement. Quelle et seulement souponnmes proccupations, et je neusse plus os la regarder en face.

    Je ntais pas dans ma nouvelle position depuis trois semaines que jemen plaignais dj vivement. Mon histoire est celle de bien dautres. Unemoiti du jour et une partie des nuits, jtais riv un travail qui ne meconvenait point. Toutes mes penses tournaient lamertume; lhypo-condrie menvahissait comme une gangrne. Je ne savais plus ce qutaitune nuit calme, sans cauchemar. Je me rveillais en sursaut, le cur gon-, les pleurs aux yeux, touant. Mon esprit avait, dans ces moments,une lucidit merveilleuse. Je nentrevoyais dans lavenir que des chosesnavrantes. Le matin, quand jouvrais les yeux, il tait bien rare que cetteboutade, moiti comique, moiti funbre, neme vnt pas lesprit: Lve-toi, misrable, et rabote une planche de ton cercueil

    Dans cette situation desprit, il ntait pas tonnant que je moccu-passe tant de ma voisine. Lpier, lapercevoir, tudier son entourage et,au moyen de cela, savoir sa vie et surprendre des dtails que je nosaisdemander, tait toute ma joie. Sans le secours de personne, jtais devenucertain que le jeune homme qui mavait tant inquit tait son frre. Cette

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  • Hlose

    certitude mavait caus un grand bonheur, bien que je naimasse pas cettejeune lle, et que je neusse aucun projet sur elle. A dater de ce jour, lin-trt que je lui portais avait gagn sensiblement en vivacit et en profon-deur. La vie quelle menait, dans lensemble, ressemblait beaucoup lamienne. Elle ne bougeait pas de son comptoir du jour entier, et y passaiten outre trs-souvent une partie des nuits. Je ne rentrais jamais avanttrois ou quatre heures du matin, et il tait bien rare que je naperussepas de la lumire au travers des croissants dcoups dans les volets dumagasin. Elle ne se reposait gure que le dimanche, dans laprs-midi. Sielle se promenait, ctait un hasard: elle le devait un sacrice de sonfrre. La plupart du temps, elle saccoudait sur sa fentre ou causait sur lepas de porte avec les gens du voisinage qui semblaient laimer beaucoupet avoir pour elle une considration particulire.

    Ce que jaurais souhait, cet t chez elle moins dindirence; mon gr, elle ne regardait dansma direction que dunemanire trop vagueet trop distraite. On ne dsire pas toujours dtre aim dune femme, maisce quon ne supporte pas volontiers, ce qui chagrine toujours, cest sonindirence. A vrai dire, lindirence a des degrs. Entre regarder unepersonne mme, machinalement et nen tenir pas plus compte que si ellenexistait pas, il y a des nuances linni. Jen tais rduit peser cesdlicatesses. Ses yeuxmemesuraient la joie ou la peine selon quils taientou non chargs dun peu de sympathie.

    Le bonheur se manifeste en moi par des envies tranges. Jaspire me plonger dans la musique et les couleurs, cest--dire rassasier deleur nourriture passionnment aime mes oreilles et mes yeux. Soit abusde ces deux organes, soit organisation vicieuse, une chose bizarre, cestque mon oreille peroit des couleurs et que mon il entend des sons.Telles symphonies sont pour moi des peintures blouissantes et tels ta-bleaux dadmirables symphonies. Jusque dans les lignes dune statue etdune glise je vois de la musique, et je me suis persuad parfois que cer-taine cathdrale est lhymne ge dun grand orgue souterrain. Je ne peuxpas men gurir. Tout chante pour moi, et le bleu de lair, et le vert desarbres, et les reets changeants de leau, et les eurs, et les contours dunefemme

    En revanche, quelles penses spulcrales, quel got pour le cercueil,

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    quand je ne surprenais dans ses yeux que le vague du dsuvrement sansla plus lgre teinte dintrt!

    Jeus un beau jour. Il existe, non loin de la ville, une petite rivire, duncours trs-limit, qui donne son nom au dpartement. Les bords, sans trepittoresques, sont jolis et gais. Dans les eaux profondes, bleues comme leciel, se retent les grands arbres, les sepes, les massifs, les jardins et lesconstructions de toutes sortes, plus ou moins bourgeoises, qui sont sur lapente des rives. En t, le dimanche surtout, leau est laboure par unemultitude de barques qui vont, viennent et se croisent, jasant, riant ouchantant.

    Un dimanche matin, on vint me chercher pour aller me promener encet endroit. Le ciel tait dune puret parfaite; lair trs-vif tait adouci parle soleil dj chaud; tout prsageait une belle journe, rare surtout dansle mois o lon tait. Cette invitation contrecarrait mes arrangements. Jefus quelques instants indcis. Je craignais dchanger le plaisir de voir mavoisine contre une promenade ennuyeuse. Toutefois, lide dchapper ltreinte nervante des murs dune ville, de respirer le grand air, de voirdes horizons, et puis je ne sais quelle annihilation de ma volont devantlinsistance sincre de mon ami, me dcidrent accepter.

    Contre mes prvisions, je trouvai la campagne le bonheur quejeusse vainement attendu en restant chez moi. Je fus peine dans leschamps, que je ressentis un bien-tre inexprimable. Quand je glissai surleau, ce bien-tre ne t que saccrotre. Le paysage avait un charme toutparticulier. Les arbres, bien que sans feuilles encore, ntaient dj plustristes comme en hiver; les troncs noirs prenaient par endroit des teintesvertes. Une multitude de bourgeons, dgouttants de sve, dj normes,prts crever sous le dveloppement des nouvelles feuilles, brillaient ausoleil. Les haies dpines verdissaient certaines places cause des ar-bustes prcoces qui y taient mls. Les prs, dun vert ple, tremps parun brouillard que le soleil avait bu en se levant, dveloppaient droiteet gauche des perspectives blouissantes de fracheur et de lumire. Lavgtation tait dj ce point active quon pouvait, pour ainsi parler,suivre des yeux le travail qui sy fait au printemps. Par-dessus cela, unciel tout bleu, un air la fois vif et doux, un calme pntrant, ce calmequi est des choses quon sent, mais quon nexprime pas. Enn, javais

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    pour guide un homme silencieux, qui ramait doucement et semblait souslinuence des mmes impressions.

    Une partie de notre journe se passa sur la rivire. Nous allions auhasard, ramant tour de rle, parlant peu, mais en revanche rvant toutnotre saoul. Nous nous tions loigns le plus possible, an dviter lesbarques bruyantes qui auaient toujours quand il faisait soleil. En eet, notre retour, au fur et mesure que nous approchions du point de d-part, nous tions croiss par des barques dont le nombre augmentait chaque coup de rames. Presque toutes prenaient pied un cabaret quunpcheur tient sur le bord. La terrasse de cette guinguette, qui baigne dunct dans la rivire, et sappuie de lautre sur la colline, tait couvertede promeneurs, les uns assis et buvant, les autres debout et regardantle mouvement qui se faisait sur leau. Nous passions au pied de cette ter-rasse sans prendre garde aux gens qui sy pressaient, quand je mentendisappeler.

    Japerus dans la foule mon htelire, en socit de son mari, de sonpetit enfant et de ma voisine.

    Ma stupfaction occasionna une assez longue pause.Je ne mattendais pas, dis-je, vous rencontrer ici, Madame.Ma foi, ce matin, me rpondit lexcellente femme, nous ne pensions

    gure non plus venir.Le soleil vous aura sans doute dcide.Et puis, il y a longtemps que nous ne sommes sortis!Cette promenade vous fera du bien.Quant moi, je ne me sens pas

    daise.Vous vivez si renfermNous ne pouvions causer plus longtemps. Bien que le mouvement de

    la barque et t ralenti, les rames navaient cependant pas cess de mar-cher. Nous tions dj assez loin de la terrasse. Jenvoyai mon htelireun adieu qui sadressait galement la jeune lle. Mon contentementtait profond. Il faudrait soi-mme avoir de ces mlancolies funbres quicoulent dans la chair comme le sang, et enveloppent les ides dun crpe,pour apprcier mon bonheur. Persuad que je ne verrais pas ma jeunevoisine, je lavais aperue au moment mme o jtais le plus attrist parcette certitude. Jen tirai le meilleur augure. Pour comble de joie, javais

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    cru lire dans ses yeux moins dindirence que je ne lui en supposais.Elle mavait regard aussi curieusement que moi-mme je lavais exami-ne. Javais eu le temps ncessaire pour bien tudier son extrieur. Elletait jolie; ses traits gagnaient tre vus de prs. Je doute quun visage r-gulier ait jamais eu plus de physionomie. Ses yeux noirs, voils demi parde longs cils, ses joues ples, ses lvres qui souriaient tristement, nindi-quaient pas seulement de la fatigue, mais encore une habitude sourante.

    Elle tait bien faite, quoique lgrement courbe. Elle tait vtue dunerobe de mrinos brun, dun chle vert, et coie dun bonnet rubansviolets. Ces couleurs lui allaient merveille. On ne voyait pas en elle latrace dune recherche. Ce quon appelle coquetterie chez les femmes, nedoit pas plus sapercevoir que lart dans un livre bien fait.

    Sa pense, dater de cette rencontre, devait me laisser moins tran-quille que jamais.

    Je souhaitais vivement de connatre la cause de ses douleurs, et ce-pendant, toujours le mme avec ma matresse dhtel, je me contentaisdinterroger mes seules observations. Dans les dehors de la mre, je -nis par dmler labsence de cur et lavarice; dans les traits ennuys dupre, une apathie incurable; dans les habitudes du frre, cette amiti ba-nale qui sarrte juste en de du sacrice. Je fus certain que la pauvre llequi versait des ots de tendresse par les yeux, touait entre cette trinitdgostes, et se laissait gagner par cette tristesse maladive que cause lemanque daection. Et je me disais: Qua-t-elle fait pour tre clotre-dans ce milieu mortel? A quoi bon lui avoir donn une sensibilit qui,faute davoir sur quoi se rpandre, se concentre en elle et la tue? Et jesentais chaque jour ma sympathie saccrotre pour elle; et je lui recon-naissais insensiblement tant de charmes, tant de qualits, que jestimaisfort heureux celui qui laurait pour femme. Je me faisais dailleurs partmoi une thorie particulire sur le mariage. Je pensais quil ntait pasmal que la passion en ft exclue; que la soumission dun ct, la justicede lautre, une certaine conformit dans les gots, susaient faire unmnage heureux. Cest ainsi que, sans ressentir damour pour ma voisine,je venais rver complaisamment au mariage, quand jusqualors je nyavais jamais song quavec rpugnance. Mais je me bornais la spcu-lation. Mon peu daudace, ma dance de moi-mme, minterdisaient de

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    faire un pas, ou de prononcer une parole pour amener un dnoment qui,dans ma conviction, et fait mon bonheur.

    Jtais fort satisfait de ne lui voir, dans son infortune, ni chien ni moi-neau. Je ne vois rien que de naturel dans rattachement quon peut avoirpour un chat ou un perroquet. Mais que cet attachement prenne les pro-portions dune passion vritable, mais quon y trouve des consolations une grande douleur, cest ce que je ne mexplique plus.

    Le sentiment est une chose trop prcieuse pour lparpiller sur destres incapables den sentir le prix.

    Mes heures de libert taient tout entires ma voisine, et cela, je lerpte, sans que jeusse ce quon appelle de lamour. Je saisissais de sa viece quil mtait possible den saisir. Depuis quelque temps, je la voyaisbeaucoup moins. Il se faisait chaque jour quelque changement dans seshabitudes. Elle ne veillait plus gure quune nuit par semaine, celle dusamedi au dimanche. Une veilleuse ne discontinuait pas de brler la nuit,derrire le rideau de la fentre du second. Puis une autre jeune lle, queje navais pas encore vue, venait ds le matin dans la maison et ne senallait que le soir fort tard. La jeune mercire me sembla ne plus quitter sachambre que rarement. Je la surpris deux ou trois fois, vers le milieu de lajourne, accoude sur la margelle de sa fentre. Elle tait entortille dansun grand chle. Ses joues me parurent avoir beaucoup pli et ses yeuxtre devenus plus brillants. Je notais ces dtails avec un soin scrupuleux.Un autre sen ft alarm. Malgr ma dance, je recueillais tranquille-ment ces symptmes. Je pensais: Elle est momentanment indispose.Le travail des nuits lpuise. Lennui y est peut-tre aussi pour quelquechose. Il nest pas rare non plus dtre malade au printemps. Il est pro-bable quavant peu elle sera rtablie. Et lide dun mariage me trottaitde nouveau, mais plus srieusement, dans la cervelle. Jtais convaincude ne pouvoir trouver une meilleure femme. Je minquitais des voies suivre; jallais jusqu prciser lpoque. Ma timidit habituelle faisaitplace une hardiesse peu ordinaire; je ne me reconnaissais plus. Mais,hlas! ce ntait toujours quune pure ction que je laissais se dvelop-per dans mon esprit et dont je me faisais volontiers la dupe, parce que jytrouvais un vif plaisir.

    Ce ntait rien encore. Je ne vis plus ma voisine. Les mdecins ne ces-

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    srent plus daller et de venir dans la maison. Il se t dans cette maisonun mouvement inusit de voisines qui entraient et sortaient dun air sou-cieux. Il tait impossible aux faits de parler un langage plus clair. Cepen-dant, je ne malarmais pas; jtais persuad que je reverrais prochaine-ment la jeune mercire mieux portante et plus belle que jamais. Jatten-dais ce jour avec impatience, mais sans inquitude. Je mtais si bellementpris de mon rve, je lavais si bien log dans tous les coins de mon es-prit, je me voyais si compltement priv dautre joie, que je ne doutais pasmme un instant que la ralit, pour ainsi dire, ne se moult exactementdessus.

    Et vraiment jeusse eu tort de me dsesprer. Un jour ma voisine, queje navais pas vue depuis trois semaines au moins, reparut dans le cadrede sa fentre. La rsurrection dun absent ador ne met pas caus unsaisissement de joie aussi nergique. Je savais bien quelle reviendrait la sant! Une lle chaste, qui a cet il limpide, ces paules larges, cetteapparence de force, ne languit pas dans les maladies longues. La jeunesse,remplie de sve, a aisment raison, mme dun mal cruel. Les sourancessans doute avaient d tre vives, car elles avaient laiss des traces pro-fondes sur le visage et le corps de cette belle enfant, que javais peine reconnatre, tant elle avait pli encore et tait devenue maigre. Mais ennelle allait mieux, puisquelle se levait; elle entrait videmment en conva-lescence. Les beaux jours aideraient encore sa gurison. Comme il arrive cet ge, o les maladies ne sont souvent que des transformations, elleallait revivre plus jolie, plus sduisante quelle ne lavait jamais t.

    Ce procs-verbal de mon me, exact comme un calque, je lcris souslinuence des plus vivants souvenirs. A cette heure, je me demande com-ment jai pu ce point manquer de sagacit. Javais donc bien besoin deme mentir moi-mme! Il a fallu que le fait brutal sen vienne me leverla paupire et se fourrer de force dans ma tte. Mes observations conte-naient des avertissements qui ne russissaient mme pas entamer maconance. On ne voyait plus la jeune lle qui semblait jamais clouedans son lit, et je me disais quune convalescence a besoin de mnage-ments excessifs, et quune rechute est plus dangereuse quune maladie.Mon htelire passait les nuits auprs delle, et ctait mes yeux uni-quement pour lui faire paratre le rtablissement moins long. Si le mde-

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    cin ne revenait plus qu de rares intervalles, je ne voyais rien l que derassurant: sa prsence devenait de moins en moins ncessaire. Et, chosetrange, cette ide de mariage que je caressais chaque jour avec plus depassion! Je cherchais dj des yeux lami qui recevrait mes condences etmpargnerait lennui des prliminaires. Mon cur se serrait aussi par-fois, car je songeais la possibilit dun refus. Je me demandais ce queje ferais une fois mari. Je laisserais l tout le clinquant des rves de jeu-nesse pour vivre enn de la vie positive. A lexistence en quelque sortearithmtique que jemarrangeais, je ne pouvais mempcher de dire: Onprtend que le mariage met du plomb dans la tte. Il me semble que, plusvraiment, il en met dans les pieds.

    Sous linuence de ces ides, qui, malgr la prcision avec laquelle jeles ajustais, ntaient que de pures rveries, je lisais les Lieds deWolfgangGoethe, le colosse allemand, qui toujours conservait un il libre poursobserver jusque dans les accs frntiques de la passion. Je me rappelle, et cest ce qui prouve combien mon positivisme tait peu solide, jusqu quel point jtais choqu de ce passage: Je ne puis loublier, etpourtant je puis dner tranquillement. En revanche, je nen admirais queplus la chute de la dernire strophe: Libre de toute crainte, trop grandpour tre jaloux, je laime et je laime ternellement.

    Il rsulte de la sympathie un uide dont les eets miraculeux ontt bien des fois constats. Deux personnes saimant, qui habitent centlieues ou plus lune de lautre, seront aectes, au mme moment, de lamme douleur ou de la mme joie.

    Un tranger atteint de nostalgie me contait:Jai un frre loin duquel je suis contraint de vivre. Notre amiti mu-

    tuelle ne sest jamais dmentie. Des touements me tirrent une foisbrusquement du sommeil. Jtais en larmes. Je maperus avec stupeurque ce qui les faisait couler tait prcisment le souvenir de ce frre. In-quiet, je lui crivis sur-le-champ ce qui mtait arriv. Je lui marquai lanuit, lheure et les autres dtails. Il me rpondit: Dans la mme nuit, lamme heure, dans les mmes circonstances, jai prouv exactement lesmmes impressions.

    Or, la nuit du jour o je lisais les Lieds de Goethe, mon sommeil futtroubl par de douloureux pressentiments. Je me rveillai plusieurs fois

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    en pleurs. Ds que jouvrais les yeux, le souvenir de ce qui mavait eraysen allait, mais non pas leroi. Je me rappelle confusment que jenten-dis des cris, des dchirements, des sanglots. Au jour, je me rendormis delassitude, et je ne me rveillai plus qu dix heures du matin.

    Jouvris ma fentre, et je fus trs-tonn de voir la boutique de la mer-cire ferme comme si cet t un dimanche, A chaque instant, des per-sonnes du voisinage entraient ou sortaient de la maison. Jen suis encore concevoir comment je nen dduisis rien dinquitant. Jtais si plein demon roman, il me tenait si fort au cur, que mon entendement en taitbouch et que la vrit ne sy pouvait faire jour, faute de la plus troitessure. Mais ce qui est plus trange, cest la manire dont jexpliquai lafermeture du magasin. Je pensai quelle tait compltement rtablie etquelle ftait son rtablissement par une promenade la campagne. Quisait mme, ajoutai-je, si elle nest pas alle quelque noce? Et je sortisdans un tat de calme parfait.

    De retour vers quatre heures du soir, je vis entrer chez la mercirele mdecin commis par la municipalit au soin de constater le dcs despauvres. Ne semble-t-il pas que lodeur rpandue autour de ce personnagemortuaire et d dissoudre lcaille de mes yeux et la ralit mtreindrede ses tenailles cruelles? Il nen fut rien. Un conte ridicule me poussa danslesprit avec la rapidit de ltincelle lectrique. Sans lments probables,je me persuadai quune vieille femme je ne lavais jamais vue quihabitait le premier ce premier paraissait vacant stait teinte la nuitdernire, et que le mdecin qui sen allait tait venu constater sa mort. Jenavancerais pas un fait pareil, si, dailleurs, il navait sa source dans unsentiment trs-commun. Bien des hommes se ressemblent quant ceci. Ilssaccrochent des rves avec un dsespoir de noy et arrivent si bien seconvaincre de leur ralisation prochaine, que leurs facults et leurs sensen sont troubls accidentellement, et quils nont pas dans limaginationdhypothses assez folles pour arrondir cette conviction quils poussentparfois bien au del de labsurde, et quils jouent enn le rle que je joueici bien plus souvent quils ne le pensent.

    Le lendemain, je commenai mmouvoir. Il se passait la fentrede la jeune mercire une chose trs-simple et aussi trs-sinistre. A cettefentre, une femme, dont je ne voyais que les bras nus, tendait au soleil

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    des matelas, des draps, des couvertures, enn tout un lit. Je regardai celaavec stupfaction. Cette fois, je me prtai aux hypothses les plus cruelles.Serait-ce possible? Jaurais t dupe au point Non, non! CependantAh! jy suis on prote de son absence pour mettre ses matelas lair.Je cherchais encore mementir! Mais je ne parvins pas me rassurer; unlevain dinquitude gonait, gonait dans mon esprit. Jeus un sommeilpnible, durant lequel je fus poursuivi de craintes analogues celles quime tourmentaient veill. Je me levai bien avant lheure habituelle, tantjtais impatient

    Je ny pouvais plus tenir. Des pressentiments funbres rongeaient enmoi les esprances au fur et mesure que ma volont les y faisait natre.Je commenais entrevoir comme possible ce que jusqu prsent javaisrelgu dans les conjectures les plus invraisemblables et les plus ridicules.Mon imagination, puise de mensonges, me livrait pieds et poings lis datroces inquitudes. Il me fallait sortir de cette anxit et connatrela vrit entire. Je savais lheure laquelle ma matresse dhtel montaitdans ma chambre. Je lattendis. Ds quelle parut:

    Madame, dis-je en meorant dtre calme, et je lui dsignais laboutique de la mercire, pourriez-vous me dire ce qui se passe l? Cettejeune lle?

    Ah! monsieur, t la bonne femme en levant les yeux au ciel, elleest morte!

    Morte! et je baissai la tte, et jouvris les yeux dmesurment,et je cherchai ce que ce mot voulait dire.

    Une personne, mme une personne qui nous est indirente, ne passepas subitement de vie trpas sans que nous soyons remus au moinspar un tonnement profond. Pour que la mort ne surprenne pas, il fauten quelque sorte suivre les progrs du mal, assister au dprissement dumalade et son agonie.

    Morte! dis-je encore, et je sentis comme une main qui se faulaitvers mon cur et le broyait dans une crispation toute-puissante, et ce quicentupla ma torture, ce fut leort que je s pour ne pas la laisser voir.Une pudeur farouche empchait les larmes de me monter aux yeux.

    Oui, monsieur, morte, dit mon htelire, qui essuya une larme.Il y eut une pause assez longue. Elle ajouta:

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    On la enterre hier matin. Il est probable que vous dormiez encore.Mais, repris-je, aprs une nouvelle pause, il ny a pas trois jours que

    je lai vue!Ah! monsieur, elle sest dbattue assez longtemps; ce nest pas

    faute davoir eu envie de vivre,Morte! disais-je toujours, tant il mtait dicile de me faire cette

    ide. Mais comment? de quoi?Est-ce quon sait, monsieur?On ne meurt pourtant pas de rienOh! t la bonne femme en secouant la tte, on ne mtera pas de

    lesprit quavec des soins et de laection on laurait sauve.Et sa mre!Peuh! je ne connais pas de femme plus avaricieuse. Il fallait que sa

    lle lui rapporttSon pre?Il ne lui disait jamais un mot. Il fume sa pipe toute la sainte journe.Mais son frre, ennDame! cest un bon garon. Mais, vous savez, un frre, a aime

    mieux tre avec ses amis quavec sa sur.Ainsi, elle tait malheureuseOh! cest comme je vous le dis, monsieur. Cette lle-l se faisait un

    chagrin quil la tue. Si avait t ma lle, je vous jure quelle ne seraitpas morte

    Nous gardmes quelque temps le silence. Mon htelire, supposantque cette conversation mintressait peu, se disposa faire mon lit.

    Pauvre enfant! s-je mi-voix.Lexcellente femme sarrta.Oui, monsieur, vous avez raison, dit-elle, pauvre enfant! Elle carta

    les rideaux, embrassa les matelas; puis, tournant la tte de mon ct: Ehbien! je vous assure, dit-elle, que je ne sais pas sil ne vaut pas mieuxquelle soit morte..

    Je regardai la bonne femme dun il qui lui demandait lexplicationde sa pense. Elle se redressa et saccouda sur le bois de lit. De mon ct,je mappuyai les reins contre unmeuble. Elle parla je ne sais plus combiende temps. Si je ne me rappelle pas exactement toutes ses expressions, au

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    moins ai-je conserv la mmoire du sentiment quelle y mettait. Il mesemble encore assister sa douleur sincre et entendre sa voix pleine delarmes.

    Elle abattait, disait-elle, de louvrage comme deux ouvrires. A lavoir, vous auriez dit que ses minutes lui taient comptes; a labmait;elle changeait vue dil, et sa mre, qui le voyait bien, navait pas lecur dempcher quelle ne passt les nuits. Vous avez tort, madame,lui ai-je dit vingt fois, de laisser votre lle travailler autant; vous verrezquil lui arrivera malheur. Ah bien! oui; elle grognait et me tournait ledos dun air qui voulait dire que a ne me regardait pas. Nous allons voirmaintenant ce quelle va faire sans sa lle; elle ny pense seulement pas cette heure

    Mon htelire consulta mon visage pour voir si je lcoutais; elle ren-contra mes yeux qui la suppliaient de continuer.

    Moi je faisais ce que je pouvais pour distraire cette chre enfant;mais je ne pouvais pas tre toujours l; jai ma maison Lt nous lem-menions le dimanche la campagne. Oh! monsieur, quelle bonne lle!comme elle tait gaie! et aimante donc! Je puis vous dire a, moi, quilai connue toute petite, et qui ne lai pas perdue des yeux seulement uneheure. Il est vrai aussi quelle maimait plus que sa mre Jamais uneplainte. Que de peine pour lui faire avouer les chagrins qui la minaient!Voyez-vous, ce qui la tracassait le plus, ctait de gagner de lge et de nepas se marier. Javais beau lui dire: Mais, ma chre lle, vous ny pen-sez pas: vous navez pas encore vingt ans. Quand on a votre ge et votretournure, on na que lembarras du choix. Rien ny faisait; elle tait per-suade quun homme ne voudrait pas delle, parce quelle navait rien.Ah! monsieur, cest celle-l qui aurait rendu un homme heureux! Dieu!que les hommes sont btes! sans vous compter, monsieur. En place deprendre des, des

    Je s un hlas! qui interrompit quelques instants la bonne femme.Ce quil y a de sr, continua-t-elle, cest que cest cettemaladie-l qui

    la emporte. a la proccupait toujours, quoiquelle nen parlt jamais. Etje men suis encore aperue le jour o vous nous avez rencontrs. La joiedes autres, en lui rappelant sa triste vie, ajoutait sonmal. Et puis, commeje vous le disais, elle passait trop de nuits. Une lle mme plus forte ny

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    aurait pas rsist. Croyez-vous quil ny a pas encore quinze jours, bienquelle ne pt dj presque plus se soutenir, elle a voulu absolument pas-ser la nuit du samedi pour que ses pratiques ne crient pas aprs elle? Etdire que cette mre ne sy est pas oppose! Oh! Mais quest-ce que cestque le courage, quand il ny a plus de forces? Elle dprissait vue dilet devenait maigre faire peur. Quand je la changeais, elle me montraitses ctes qui allaient lui percer la peau. Ses reins ntaient plus quuneplaie force de rester couche. Je ne savais que lui dire. Javais bien de lapeine ne pas pleurer

    Dans ces derniers temps, je nai pas cess de veiller prs delle, car jesavais que a lui faisait plaisir. Elle na pas perdu un instant la tte. Nouscausions, ou plutt je parlais et elle mcoutait. Comme elle ne pensaitpas du tout la mort, et quelle avait toujours le mariage en tte, je faisaismon possible pour la bercer dans ces ides-l et lui viter de se voir mou-rir. Je lui disais: Un peu de patience, ma chre Hlose, les beaux joursviennent, vous allez reprendre vos forces et nous irons la campagne.Et puis, je ne sais ce qui me dit que vous trouverez un brave ouvrier quivous pousera et vous aimera bien. Allez, croyez-moi, ne vous dsesprezpas. Elle hochait la tte. a nest pas bien sr, allez, rpondait-elle,Vous savez, je nai rien. Ah! tout de mme, comme je laimerai!

    Il y avait tant de passion dans sa voix que a me faisait un mal hor-rible. Mais elle sendormait l-dessus et mourait sans trop sourir. Je pleu-rais pendant ce temps-l

    Mercredi dernier, le mdecin ma prise part et ma dit quil ntaitpas ncessaire quil revnt, attendu quelle ne passerait pas la nuit. Ah!monsieur, je savais bien quelle nen reviendrait pas, et pourtant!.. Jaivoulu la veiller jusquau bout. Un prtre est venu le soir. Elle ne savaitdj plus o elle tait. Elle na rien vu ni rien entendu. Elle se remuait faire croire que lagonie commenait dj. Au matin, elle redevint tout fait calme. Elle mappela pour membrasser. Elle parut ensuite vouloirdormir. Moi, de mon ct, je tombais de fatigue et de sommeil. Je massisdans un fauteuil. Aumme instant, jentendis un glou-glou-glou, je tournaila tte, je mapprochai, elle tait morte!..

    La bonne femme suoquait. Elle se reposa unmoment; aprs quoi elletermina ainsi lhistoire de la jeune lle:

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    Ah! monsieur, il faut bien quil y ait un paradis. O donc cette chreenfant serait-elle paye de ses peines?

    Cette croyance nave qui ne permet pas de concevoir un crime sanschtiment et une douleur immrite sans rmunration, ntait pas pourmoi, comme elle semblait ltre pour la bonne femme, une source deconsolations ecaces.

    Je sanglotais en dedans. Tout mon corps pleurait. Mon sang devenugoutte deau, ainsi me semblait-il, sacheminait vers mon cur trop pe-tit pour contenir tant de larmes. Ce que je sourais, je ne puis le dire.Eh bien! je me reprochais encore de navoir pas une assez large capacitpour la sourance, et jaurais voulu agrandir mon individu pour sourirdavantage. Je ne pensais pas pouvoir jamais expier assez cruellement lecrime davoir jou avec cette jeune lle et den avoir fait lhrone dunefantaisie que je neusse sans doute jamais os raliser. Jaurais d percerces murs, deviner le drame qui se passait dans cette chambre et sauvercette enfant de la mort. Ne le venais-je pas dentendre? Avec des soinset de laection, on laurait sauve. Javais prfr mendormir dans unenonchalance goste, me perdre dans les dtours dun rve o je cherchaisbien plus mon bonheur que le sien. Et peut-tre, cette heure, pleur-je plutt ma jouissance vanouie que sa mort, et trouv-je en outre unamer plaisir raconter mes tortures. Oh! que du moins je ne profane passa tombe de mes dclamations. Je lai peine entrevue. Je ne lai jamaisaime damour. Jignore mme jusqu quel point jai jamais veill sasympathie. Cependant, que cette enfant abme sous le poids de douleursdont le sens chappe, prenne place dans mon souvenir ct de ceux quejaime et respecte le plus. Jusqu lheure o je ne respirerai plus montour, mes regrets les plus tendres ne cesseront pas de faire cortge autourde son ombre.

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  • Une dition

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    Achev dimprimer en France le 11 juin 2015.