Barbarin Georges - Les Reincarnations de Dora

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  • 7/29/2019 Barbarin Georges - Les Reincarnations de Dora

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    GEORGES BARBARIN

    LESREINCARNATIONS

    DEDORA

    roman

    G& 5'5 _ ,I!I(O

    _ ~~~!~~ ~ .m_nadoo.'18150 Germigny rexempt lf!J Tel: 02 48 7406 09www.aeoraesbarbarin.com

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    OUVRAGES de Georges BARBARIN dits actuettementTARIF Jan 2008 disponible en librairie, l'association ,et lou famille de l'auteurTitres

    Editions ASTRALaclEditions COURRIER DU LIVREL'Invisible et MoiLes Cls de la SantLes Cls du BonheurEditions DANGlES 1DG DiffusionComment vaincre peurs et angoissesL'Optimisme CrateurLa Vie commence 50 ansAffirmez et vous ObtiendrezAL:AS$OClATION (reditions prives)Faites des MiraclesDemande et tu recevras car Il y a un Trsor en toiSois ton propre Mdecin, le Docteur Soi MmeCl du SuccsLe Mysticisme exprimentalDieu mon copain (indit)Le Jeu Passionnant de la VieCalendrier SpirituelComment le PROTECTEUR INCONNU devint l'AMIVous tes jeunes mais vous ne le savez pasLe rgne de l'Amour (ex le rgne de l'agneau)Le Seigneur m'a ditComment on soulve les montagnesSois un AsLIVRET: rsum du site sous plastique 40 p. avec PhotosLa gurison par la foiFAMILLE DE L'AUTEUR (fin de srie)L'Aprs Mort grand formatVivre avec le Divin (ex Vivre Divinement)Le Livre de la Mort DouceLa Nouvelle ClLe livre de chevet (l'ami des heures difficiles)Je et MoiJ'ai Vcu 100 Vies *Voyage au Bout de la Raison *20 Histoires de BtesFrance Fille Ane de l'EspritQuelques Photocopies relies de livres puiss (liste sur demande)* vieilles ditions dont il faut dcouper les reliures de pages

    Ref 1 Poids PrixGB7

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    TITRE ANNEEefDITIONSGENRE 1926B1lammarionposie 1926B2rix de la Femmeoman 1927B3lammarionnature 1928B4lammarionhumour 1929BSlammarionroman 1931B6lammarionroman 1935B1azainville 1 Astrapirituel 1936B8alman-Lvyoman 1936B9 Stocknature 1936B10dyar 1 J'ai Lusotrique 1937B11Danglespirituel 1937B12 Plonsotrique 1938B13ourrier du Livrepirituel 1938B14 Advarsotrique 1939B15a Sourcerieocit 1939B16.Olivenf AGBpirituel 1939B11alman-Levvoman 1942B18 AstrasotriQue 1942B19ourrier du Livrepirituel 1943B20Danglespirituel 1943B21ourrier du Livrepirituel 1944B22Niclausocit 1945B23J.Olivenocit 1946B24dvar 1 J'ai Lusotrique 1946B25u Roseaupirituel 1946B26 Astrasotrique 1947B21u Roseaupirituel 1947B28Aillaudvcu 1949B29mnium 1 AGBpirituel 1949B30iclaus 1 AGBpirituel 1949B31Danglespirituel 1949B32 ErmitesotriQue 1950B33DanQlespirituel 1950B34stra 1 Danglesfpirituel 1950B35 Ermiteature 1950B36Niclausocit 1950B31Du Rocherpirituel 1951B38u Rochersotrique 1951B39angiesfAGBpirituel 1951B40 DervysotriQue 1953B41ubanel fDanglesocit 1953B42mour et vie 1AGBocit 1953B43Niclausocit 1954B44iclaus 1AGBpirituel 1954B45Danglespirituel 1954B46 Astrasotrique 1954B66Auteurocit 1955B41Aubanelpirituel 1955B48 Adyarsotrique 1955B49 Nizetpirituel 1956B50stra 1 AGBpirituel 1956BS1 Nizetocit 1957B52 Astrapirituel 1958B53u Roseaupirituel 1959B54repin-Leblondature 1960B55lammarionoman 1961B56Niclausocit 1962B51Age d'orpirituel 1963B58iclaus 1 AGBpirituel 1963B59ubanel 1 AGBpirituel 1963B60ge d'orl AGBpirituel 1964B61ge d'orl AGBpirituel 1964B62ubanel 1 AGBpirituel 1966B63stral AGBcu 1966B64ubanel IAGBpirituel 1968B65J.Meyersotrique 2002B68 AGBpirituel

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    Droits de traduction, de reproduction et d'adaptationrservs pour tous les pays. 1960 by ERlST FLAMlIARIOlf.Printed in France ..

    Au Paradou, le 19..

    Monsieur le Juge d'Instruction,. Bien que' j'aie rpondu c} toutes vos questions et quetaie fait connatre en dtailles circonstances matriellesdu drame dont nous avons t les victimes il m'a sembl,tant donn l'inefficacit des recherches poursuivies jus-qu'c} ce jour, que la Justice s'garait en ne tenant comptedans son enquete que des conjonctures positives alorsqu'c} la base de tout cela existe un ensemble d'vne-ments purement subjectifs.J'ai donc pens qu'il tait utile de retracer, noir surblanc, les pisodes de ma propre vie pour vous permettred'en saisir la signiJjcation implicite et le sens cach.Je ne me dissimule pas qu'en dpit de votre espritd'quit, vous serez choqu par la seule exposition desfaits tel le que j'ai t conduit, c} l'entreprendre. Toutefoislorsque je vous aurai expliqu le droulement successifde mes tats d'Ome et que vous vous serez adapt auclimat psychologique de mon enfance, puis de monadolescence, j'ose croire que vous envisagerez le pro-blme sous une lumire diffrente et que vous serezamen orienter votre quete dans une autre direction.Je dirais sur un au~re plan si je ne craignais de vousindisposer avant la lettre. Mais mon rcit luimeme sechargera de votre diJjcation. Sans doute la logique, quiest une qualit de juge, n'est pas traite dans ce quisuit avec toute la dfrence habituelle. La faute en estC}, la logique qui n'a pu ~rouver de rationnelle explication.

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    6 LES RINCARNATIONS DE DORAC'est, par consquent, un autre instrument de l'espritque requiert une conjoncture irrationnelle. Il vousappartiendra de la dcouvrir si vous me laites l'honneurde lire la conlession ci-

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    8 LES RINCARlIlATIONS DE DORA DORA 9basse caverneuse m'inspira toujours de l'effroi. J'ai peugard la mmoire de ma mre qui mourut peu de tempsaprs m'avoir mis au monde, donc avant l'heure o secristallisent les souvenirs. Somme toute, l'un et l'autrem'apparaissaient alors comme des entits nbuleusesplutt que comme des tres rels.Mes parents, d'origine alsacienne, taient relativementgs lorsque je fus conu. Mon pre avait cinquantecinq ans et ma mre trente. Je ne sais de cette dernireque ce que m'en dit par la suite ma vieille Catherine,alors jeune bonne du mnage et qui ne me quitta plusjusqu' sa mort. Mon pre tait receveur des Contributions Indirectes et sa fonction l'obligeait des tournescontinuelles qu'il effectuait en voiture hippomobile avecun commis principal. Etait-ce l 'austrit de sa profession,J'espce de mentalit propre aux gens dont la mission estde traquer la fraude, qui rendaient mon pre misanthrope? Je l'ignore. En tout cas il ne souriait jamais.Ma venue, loin de le drider, avait accru son horreur deshommes et des choses, de sorte que j'arnvais pointpour endosser la responsabilit de son humeur; Parbonheur, je n'en savais rien, au commencement, t't c'estseulement partir de l'ge de raison que j'eus le sentiment d'tre indsirable, ce qui, aprs tout, ne me surpritpas autrement. Il est vrai que je gardais prs de moicette brave et bonne Catherine, qui s'attacha moi avecd'autant plus d'intrt et de tendresse qu'elle m'envoyait sevr.Il est peu probable que mon pre et support levoisinage immdiat d'une fille aussi gnreuse s'il n'avaiteu besoin de ses services pour la maison et pour moi.Nous habitions alors une petite ville du Berry, auxmaisons bossues et aux rues tourmentes. Pendant longtemps je n'eus d'autre horizon que ses boulevards solitaires, son canal et ses jardins maratchers. La demeureque nous occupions tait situe l'extrmit d'Un faubourg et le jardin, qui tait grand et touffu, donnaitpresque immdiatement sur la campagne. Nous tionscependant entours de maisons hautes comme la ntre,J~quelle avait deux tages et un grenier. Le logis paternel~tait l'image de son possesseur. Les murs suintaient

    l'ennui, la tristesse. Des fentres, troite~ et mal distribues, y laissaient entrer un jour avare dont je mecontentais, faute de mieux. Ce n'est que bien plus tardque je m'avisai de l'injustice du sort qui fait natre etvivre certains dans des pays de fleurs et de lumire alorsque d'autres sont claustrs dans des paysages sans joieet sans douceur.

    Un peu plus tard, je fus mis l'cole et ne m'y distin-. guai pas outre mesure. Je fus un lve mdiocre .etn'obtins gure de rsultats. J'aimais l'histoire mais sansles dates. Je ne dtestais pas la gographie conditiond.'oublier les noms des lieux. L'arithmtique ne m'taitpas autrement dsagrable et les problmes de robinetsre\'taient une certaine posie en raison de ma faonde les considrer.~Ies matres portaient sur moi ce jugement dfinitif:- Il est toujours dans la lune!.\Ialgr cette incomprhension de mon tat intrieur,mon pre en remarquait assez pour condamner l'extrieur de ma jeunesse. Cet homme l'apparence d'ordre,de tradition mticuleuse et de consigne troite me considrait comme une sorte d'anarchiste et d'illumin. Peuttre n'avait-il pas tout fait tort car depuis j'ai toujoursmen une existence particulire comme on le verra parla suite de cette confession. Etais-je en avance sur monmon sicle ou le milieu dans lequel je vivais retardait-ilsur l'poque? J'ai tendance croire que si j'avais tmon propre auteur j'aurais peut-tre prouv le mmedsarroi que celui-ci.

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    JO LES RINCARNATIONS DE DORA DORA Il

    CHAPITRE II

    Il est superflu de dire que si j'tais entour de camarades, je n'avais pas d'amis.Devant la pauvret de mes notes, on me retira del'cole laque pour me confier en qualit d'externe ~un tablissement religieux. L'atmosphre diffrait dutout au tout en ce sens qu'au lieu d'tre laiss dansl'indiffrence, chaque lve tait attentivement suividans son comportement de tous les jours. J'y vis d'abordune sollicitude paternelle dont. on le conoit, j'taissingulirement priv. Mais je ne tardai pas m'apercevoir du caractre inquisitorial de mes martres et deleurs tendances tout ramener au confessionnal. Sousce dernier rapport, j'tais combl. Les invocations succdaient aux prires sous une forme d'autant plus hors denotre porte qu'elles taient gnralement mises enlatin.J'avais alors dix ans et je faisais ma sixime. Mespremires versions ne m'avaient pas encore dou dusens de la latinit.Mon caractre se fat adapt assez volontiers lanature particulire de ce programme en dpit d'un culteexcessif du formel. n existait malheureusement dansl'tablissement, comme sans doute dans tous ceux dumme genre. un climat indfinissable de suspicion.Mes gestes taient interprts. mes intentions dnatures, et je me serais trouv affreusement seul siStphane, l'un de mes condisciples, issu d'Alsace, commema famille, n'avait ds le dbut marqu une inclination mon endroit. C'tait un garon grand et froid, avecun menton volontaire, aussi strict que j'tais dispers.aussi calme que j'tais nerveux. Est-ce la communautd'origine qui l'avait sollicit ou le jeu d~s complmen-

    taires ? Toujours est-il qu'il prit sans cesse ma dfen~et s'interposa entre la perscution et moi. Son temprament mesur, sa physionomie grave et austre luiconfraient une autorit que les surveillants eux-mmessubissaient. Nous pouvions rarement nQus parler curouvert car un grand principe des maisons d'ducationreligieuse est d'interdire aux lves d'tre deux ou dese confiner dans la solitude, la rgle exigeant la prsenceconstante d'un troisime, destin surveiller les deuxpremiers.Grouper deux tres comprhensifs et de mme attitudespirituelle reprsente dj une sorte de miracle et celui-cis'tait ralis. Runir trois tres du mme tage eGtconstitu un inou prodige. Aussi ne rencontrmes-nousjamais le tiers idal. Bien loin de l, il fallait nous mfierdu mouton apost dans nos parages et que nous changions sans cesse pour plus de sGret. Nanmoins noschanges d'ides seraient devenus presque impossibles si,avec la complicit de Catherine, je n'tais parvenu aursultat que voici. Stphane tait orphelin et interne.Mme durant les grandes vacances, personne ne lerclamait. Son tuteur et correspondant, officier ministriel qui le connaissait peine. ne s'occupait de luique pour rgler les trimestres et pourvoir son habillement. Je persuadai facilement Catherine, laquelle persuada moins facilement mon pre, que la socit deStphane avait sur moi une salutaire influence et m'amnerait plus de srieux. Ma bonne ne demandait pasmieux que de se prter au jeu. Elle revint inlassablement la charge jusqu'au jour o M. Vogel demanda lui-mme voir Stphane Was. Le visage grave de mon ami etses rponses mesures exercrent leur influence habituelle et mon pre fut convaincu de son action bie~faisante sur son fils. Il fit une dmarche auprs de l'autoritecclsiastique et celle-ci, aprs adhsion du tuteur, autorisa Stphane effectuer une sortie mensuelle sous laresponsabilit de M. Vogel. De mme il nous fut donnd'tre runis plusieurs jours Nol et Pques.Je pense que mon amiti ne fut pas malfaisante pourStphane. En tout cas l'amiti de Stphane fut unimmense bienfait pour moi.

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    12 LES RINCARNATIONS DE OORA OORA 13- Ne craignez pas, dit un jour mon pre mon ami,de ramener ce garon sur la terre ..- Je n'y suis que trop moi-mme, monsieur, rponditStphane. Bruno m'apprend voler.- N'allez pas plus haut, profra M. Vogel, que vingtou trente centimtres. C'est comme cela qu'on se cassela figure et qu'on abime le matriel.

    La vrit est que sous sa carapace de froideur, Stphanecachait une me ardente et que mes pires imaginationsne suscitient aucune rprobation en lui.A la suite de je ne sais quelle sance donne par unAmricain dans notre ville et au cours de laquelle desgens avaient t endormis, j'achetai en secret un petitlivre sur l'hypnotisme et me persuadai que, moi aussi,j'avais des pouvoirs. Nous n'avions d'autre public quenous et nous nous prmes, tour tour, comme sujetsd'exprience. Quand mon pre tait de service, la maisonentire tait nous. Catherine suivait nos jeux avecune admiration craintive.- Est-ce bien permis? demandait-elle. N'y a-t-il pasquelque diablerie l-dedans?Cela dura jusqu'au jour o, tant moi-mme endormi,je pris, me dit-on, une attitude horrifie et dcrivis enmots hachs un accident de voiture dont j'avais lavision. C'tait, parait-il, si poignant que Catherine objurgua Stphane de me rveiller, ce qu'il fit presque tout'de suite. Quand j'ouvris les yeux je fus surpris de leursmines effares et m'enquis du motif de leur agitation .Qu'on juge de notre surprise tous lorsque, trois heuresplus tard, nous vmes rentrer mon pre dans un tatinhabituel de dsordre. Ses vtements taient lacrs,boueux, et il dit Catherine en peu de mots que lajument s'tait emballe dans une descente et qu'auvirage elIe avait tourn trop court. Le vhicule s'taitrenvers et le commis principal- se plaignait de douleursinternes. Pour mon pre, cela se bornait quelquesgratignures qui furent panses aussitt.Nous nous regardions tous avec effroi et Catherine

    avec plus d'effarement que nous autres. C'tait la rptition, trait pour trait, de mon rve et du drame queje leur avais dcrit. Mon pre prit notre dsarroi pourune marque excessive de sympathie et y coupa courten demandant manger.Par la suite, Catherine, effraye, nous adjura de renoncer nos expriences qui lui semblaient sentir le fagot.Bien que ne partageant pas cette manire de voir nousconmes quelque apprhension de notre incursion dansle mystre, car aprs tout nous n.'tions encore quedes enfants. Il en demeura pourtant cette impressionqu'il existait en moi des zones inconnues dont l'exploration pouvait tre dangereuse tant donn notre inexprience de ce temps-I. Stphane m'assura que je disposaisde facults particulires et m'engagea ne pas les dvelopper moi-mme mais attendre un guide expriment.Celui-ci ne pouvait tre Catherine et encore moins monpre dont je prsume qu'il nous eOt spars brutalement,Stphane et moi, s'il avait souponn la nature de nosdistractions.Nous gard~mes le silence sur ce qui s'tait pass etnous fmes bien, surtout vis-vis de nos suprieursecclsiastiques qui auraient vu dans notre aventure unpige du, dmon. Mais le sentiment subsista en nousque l'homme ne connat qu'une rgion trs petite del'Homme et que celui-ci, s'il s'en avise, a de grandespossibilits. Je fus certain, partir de ce moment, quevirtuellement orphelin dans la vie j'tais accompagn deprsences invisibles qui ne demandaient qu', se manifester; '.

    Bien que notre secret ellt t gard et que la discrtionde Catherine fOt assure, il faut croire que les vnements et'les choses ont une aura invisible et vont toucherles penses des tiers mme sans notre aveu.On ne peut pas dire que mon pre avait des antennescar c'tait une nature plutt lmentaire. Mais son godtde la mfiance et sa tournure mentale lui confraientune sorte de prescience des choses qu'il apprhendait.Aucun mot, aucun acte ne l'avertit et pourtant il flaira,

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    LES RINCARNATIONS DE DORA DORA 15semble-t-il, quelque chose. Intervint-il auprs de l'tablissement ecclsiastique? Celui-ci prit-il ombrage d'uneamiti qu'II n'approuvait plus? Je ne sais, mais les sortiesde Was furent brusquement supprimes et nos contactssurveills. J'en tais encore me demander pourquoilorsque j'appris que Stphane quittait l'cole. Je ne susque plus tard que son tuteur l'avait rappel. Mon amin'en savait pas plus que moi et c'est peine si nouspQmes changer devant tmoins quelques paroles. Noslvres ne dirent pas grand-chose mais nos regards exprimrent tout.Je me trouvai soudainement en pleine solitude moraleet sans Catherine je ne sais quel geste insens je meserais rsolu. La plaie de l'arrachement demeura vive ctlongtemps brfilante. Ce n'est qu'aprs des mois que jesentis ma douleur dcrotre et s'engourdir. Que peut faire un garon tout seul, sans mre etpresque sans pre? Sans doute Catherine me prodiguaitun ersatz, mais sa manire et en raison des possibilitslimites de son esprit.J'apprciais beaucoup les lgendes berrichonnes. Catherine ne se bornait pas d'ailleurs aux histoires lugubresou bestiales. Son rpertoire contenait des trsors inditssur les fes et les lutins. Il y avait bien de la confusiondans ses souvenirs, soit qu'elle mlanget les rcits venusde diverses sources, soit qu'elle y apportt elle-mme desenrichissements. comme les grands bardes et en vertud'une disposition spciale de son esprit.A des contes rebattus comme ceux du Chat Bott etdu Petit Poucet, ou encore vivants dans tous les foyerscomme celui de la Chatte Blanche, elle mlait deslgendes de divinits champtres dont l'origine paennetait vidente ou d'enchanteurs venus en droite lignedes histoires de chevalerie et du Graal. Elle n'hsitait pas,en bonne chrtienne. utiliser les anges et faisait unegrande consommation de chrubins et de sraphins.Le tout formait un mlange confus mais dont l'ensemble tait crateur d'atmosphre, Il n'est pas niable que

    ces innombrables coups de sonde dans l'univers invisibleavaient fini par marquer mon me d'enfant.

    CHAPITRE III

    Les lignes qui prcdent taient indispensables pourprparer ce qui va suivre et qui serait inexplicable sanscela.J'allai avoir douze ans. J'tais toute sensibilit dansune maison lugubre. L'amour paternel se bornait lajoue tendue au baiser du matin et du soir. Durant lejour j'allais au collge o j'avais fini par tre demipensionnaire. Au dner, je mangeais en face de monpre qui lisait son journal et ne desserrait pas les dents.J'tais donc peu prs seul dans la sombre demeure,entre Catherine, toute bont et faiblesse, et mon. pre,toute scheresse et svrit. Ce n'est pas que mon prem'ait jamais frapp, hors une fois. C'tait quelque chosede pire. Il me couvrait parfois d'un regard de glace quime laissait pouvant.Je glisse sur mes tudes; elles ne furent ni bonnes nimauvaises et me permettaient d'tre libre les dimancheset les jeudis, A partir du jour o Stphane disparut dema jeunesse, je fus pratiquement livr moi-mme.Mon pre svissait, durant la semaine, quelque part dansle canton et disparaissait presque tous les dimanches,Ces jours-l nul n'a jamais su exactement o il allait.Ce qui est certain c'est que personne ne le vit au caf,au spectacle, aux offices religieux, ni dans un lieu publicquelconque. Ma bonne elle-mme ignorait les destinationsdominicales de mon pre et supposait qu'il visitait deloin en loin une proprit abandonne de la famille quis'appelait le Pr Clos.Catherine travaillait sans relche et ne pouvait me

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    16 LES RINCARNATIONS DE DORA IX>RAconsacrer que de rares instants. D'ailleurs j'avais faitle tour de son savoir et connaissais ses contes encoremieux qu'elle. Je recherchais les livres consacrs aumerveilleux mais n'en avais gure ma disposition. Jen'en tais que plus dsireux de pntrer dans les terresinconnues.En somme, pour un enfant moralement abandonn, jen'ai jamais manqu de prsences. Celles qu'on s'accorde considrer comme les plus relles taient les plusinconsistantes mes yeux. Par contre celles qu'on tientd'ordinaire pour les plus illusoires taient celles qui,pour moi, revtaient la plus grande authenticit. Celademeurait cependant une vision par le dedans jusqu'aujour o j'ai vu, de mes propres yeux, les fes. On vacroire que j'ai fait un rve de plus ou que mon imagination se fourvoie. Nullement. 11 ne s'agit pas d'uneimage, en effet, mais d'une certitude, appuye sur letmoignage concret de mes sens. Je les ai vues, entendues, presque touches et j'ai savour~ leur don gratuit.C'est invraisemblable, n'est-ce pas 7 d'avoir reu lescadeaux des fes. Et pourtant ce n'est pas cela quim'enivra le plus.Que le lecteur se rassure et mette de l'ordre dans sonjugement! Mes ides ont toujours t en parfait quilibreet la suite va le dmontrer.Mon pre avait sa chambre et son cabinet au rez-dechausse, qui comprenait aussi un salon et la salle manger. Le premier tage tait clos. Depuis la mort dema mre, personne n'y mettait les pieds. Moi, je couchaisdans une chambre du second et Catherine dans la picevoisine. J'avais un petit meuble de bureau pour fairemes devoirs et un grand placard pour mettre mes livreset mes cahiers. Avant moi, ce placard avait servi entreposer les provisions et les conserves. Comme il taitdans le coin le plus sombre de ma chambre, le constructeur avait eu l'ide de l'clairer par une vitre fixe quidonnait sur le dehors. Ce carreau dormant se trouvait environ cinq mtres au-dessus du sol et il tait enduitintrieurement d'une substance blanchtre qui lui donnait l'aspect d'\ijl verre dpoli.On verra que ces dtails, apparemment insignifiants,

    ont leur valeur et que la vitre en question joue un rlede premier plan dans mon histoire.Bien entendu, jusqu'au moment dont je parle je n'avaisjamais eu la moindre vellit de me hisser cette hauteur. Le dernier rayon, qui ~tait immdiatement audessous, tait encombr d'une vieille pendule, de lampeshors d'usage, et des toiles d'araignes s'y accumulaientavec la poussire de deux gnrations. Il est probableque le dsir de voir sur quoi donnait la vitre du placardne m'el1t jamais effleur, si diverses reprises je n'avaisentendu quelques lambeaux de voix fminines. ~onattention se trouva donc attire par ce qui tait derrirele carreau dormant.La.premire fois que je perus un air, c'tait au coursde la nuit, alors que j'tais dans l'insomnie. Il mesemblait s'y joindre un bruit de harpe ou de piano mcanique, mais j'attribuai ce dtail au rve ou au demisommeil. Par la suite, je constatai que les voix taientplus audibles quand le placard tait ouvert. Une foismme, je montai sur une chaise pour mieux entendreet c'est ainsi que j'eus la certitude d'our une chansoninconnue, que je trouvai fort belle et qui se rptaplusieurs fois.Avec l'imagination que j'ai dpeinte, je ne tardai pas cristalliser autour de la chanteuse invisible. J'enfis en moi-mme une sorte de madone, ou un ange, selonles jours. Bref 1 je me passionnai pour cette dcouvertetrange. tant et si bien qu'un matin je retirai lampeset pendules et tai le rayon du haut. Je russis dgagerla tablette du dessous et m'y installer. Je n'tais nigros ni pesant. Je balayai les toiles poussireuses etnettoyai la vitre qui faisait lucarne. En frottant un peu,le blanc qui la faisait opaque disparut. C'est ce momentque j'aperus ... non les fes, mais une fe.Elle tait toute blanche dans une sorte de peplumorn de grandes fleurs. Et elle marchait dans un jardinentour de hauts murs recouverts de lierre. C'est ellequi chantait et je la reconnus sa voix. Je ne sauraisdire quel ge elle avait. Pour moi, elle tait sans ge.Ou plutt comme je la trouvais belle et sduisante, elleavait l'ge de mon cur. Ce fut pour moi quelque ooose

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    18 LES RINCARNATIONS DE DORA DORA 19de miraculeux, comme une ouverture du ciel 1>ur laterre. Je redescendis de mon observatoire et refermaimon me sur cette vision ..A dater de ce jeudi, je me mis guetter l'apparitionanglique. Ma fe avait l'air triste et j'aurais donnn'importe quoi pour la consoler. Elle chantait, c'estvrai, mais un air si mlancolique que, je ne sais pourquoi,il me donnait envie de pleurer. Je me disais: Quelmalheur d'tre spar par ce carreau 1 Puis, en petitgaron, je pensais qu'il tait peut-tre dfendu de regarder les fes et que si celle-ci m'apercevait elle metransformerait en grenouille ou en potiron. Heureusement mon observatoire tait plusieurs mtres au-dessusdu jardin. sur lequel j'avais vue plongeante.Je ne manquai pas un seul jour de regarder par lalucarne. Je grimpais dans le placard ds le saut du lit.Mais jamais je ne vis plus de fe dans la matine.Pourtant je m'embusquais, chaque jeudi et chaquedimanche. Une seule fois, j'aperus un homme. Je lepris pour un redoutable enchanteur. L'enchantement 3toujours jou un rle considrable dans ma pense; c'estparce qu'il en joue un non moins important dans la vie.Ds cet ge et bien que novice. je voyais dj le dessousdes vnements. C'est ce qui manque aux investigateursd'aujourd'hui. En toutes choses ils ne considrent quela surface. Nous ne sommes mme pas capables devoir simultanment les six faces d'un cube avec nossens de la troisime dimension. L'homme est un solidequi ne se connat pas lui-mme et c'est au moyen de saconception tronque qu'il explique l'univers, Pourquoiceux qui voient plus clair et plus loin seraient-ils obligsd'attendre les myopes ou les aveugles et de s'aligner surleur infirmit? Certains animaux, tels le chien ou lepigeon. disposent d'un odorat ou d'un sens de l'orientation suprieurs ceux de l'homme. Ds que j'ai euconscience. j'ai joui d'un n:lir spirituel.C'tait gnralement dans l'aprs-midi que je voyaisapparatre la fe. Un jour j'en vis surgir deux autres,puis une troupe, avec des rires sans fin. Je me rendscompte maintenant que toutes taient d'une clatantejeunesse, sauf une, au regard svre, et qui n'apparaissait

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    que de loin en loin. Quand elle survenait, tous les jeuxcessaient et les jeunes fes n'osaient plus rire. J'appelaisintrieurement la vieille: Carabosse)l, et me recroquevillais dans mon coin.Combien de temps cela dura-toi! ? Je serais fort empch de le dire. Le jardin des fes a t le chef-lieu demes proccupations enfantines. Il est possible que cettepriode ait t brve dans le temps des hommes. Elle at sans limite dans mon me d'enfant.J'avais fini par connatre de vue toutes les fes, quitaient huit en tout. Il y avait deux brunes; une rousse,une chtaine et quatre blondes. Les unes taient petites,d'autres moyennes, d'autres d'un abord imposant. Presque toutes portaient des tissus arachnens qui les recouvraient peine. Quand le soleil les clairait, elles cremblaient de grands papillons vivants.Cela aurait. pu continuer longtemps si j'avais eu de lasagesse. Mais un aprs-midi alors que ma fe' prfre,la rousse, tait seule, je ne rsistai pas au dsir d'treremarqu. Le cur battant et avec l'apprhension quel'on devine (la premire fois que l'on s'adresse unefe!) je frappai du doigt au carreau. La fe, qui taitpenche, se redressa, jeta un vif regard autour d'elle maisne me vit pas tout d'abord parce que j'tais trop haut.Elle tait si jolie, avec son air tonn, que je heurtai denouveau la vitre. Alors elle aperut mon visage enfantinderrire la lucarne, sourit et m'envoya un baiser, A onzeans, je n'tais pas un sducteur bien redoutable. Je luirendis cependant son baiser travers la vitre et elle sesauva dans la maison comme si elle s'envolait.A dater de l je connus une joie indicible. Non seulement j'avais vu le jardin des fes. mais encore l'uned'entre elles me prenait sous sa protection. Car je ne. doutais pas de devenir son favori et de participer auxcharmes de sa baguette, bien qu' la vrit je n'aiejamais aperu la moindre baguette dans les mains deces fes-l.Je restai encore un bon moment en faction, puis nevoyant personne sortir de la maison, je dus reprendrel'existence ordinaire. 'celle-ci me parut infiniment terne

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    20. LES RINCARNATIONS DE DORA DORA 21et le repas du soir dsolant. j'tais si agit que mon prele remarqua et dit :- Ce garon est insupportable, Catherine. Faites-lecoucher tout de suite. Je ne puis le voir plus longtemps.Ma bonne monta avec moi, m'aida me dvtir, meborda dans mon lit avec tendresse, et pour me calmerme raconta une histoire, histoire de fes, bien entendu.j'avais envie de dire Catherine: j'en connais unebien plus belle.Mais je refoulai mon secret.

    ..Le lendemain tait un vendredi et je n'avais aucunechance de contempler les fes. Je jetai un rapide coupd'il avant d'aller l'cole et vis le jardin dsert. Jem'y attendais et savais qu'il en serait de mme monretour

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    22 LES RINCARNATIONS DE DORA DORA 23le placard rafistol se firent plus frquentes. Chaque jeudiet chaque dimanche j'assistais au ballet des fes et lesfes tendaient leurs mains blanches vers moi.J'eus alors la folle tentation de briser la vitre de lalucarne pour mieux entendre et pour mieux voir. Monimprudence fut devance par l'vnement. Mon pre,alert par mes professeurs qui m'accablaient de mauvaises notes, tablit une surveillance dont je ne m'avisaique trop tard.

    L'apres-midi d'un dimanche (oh 1 ce terrible dimanche 1), j 'tais juch ma place ccoutume ~orsque monpre entra brusquement.- Que fais-tu l? me dit-il.Je balbutiai des mots incomprhensibles. Il me saisit,me fit descendre de l'tagre, et montant sur une chaiseil regarda son tour.Je pensais qu'il serait charm, lui aussi, par le spectacie et les jeux des fes. Mais peine eut-il jet les yeuxdans le jardin du dessous qu'il redescendit prcipitamment. Son visage ple tait devenu cramoisi. Il marchasur moi furieusement (et je tremble encore de cettecolre).- Petit misrable 1 cria-t-il. Tu tais indigne d'tremon enfant 1Il me souffleta deux reprises et gronda:- Si jeune et dj perdu de vice!J'tais hbt. Tout se mit tourner dans ma tte.C'en tait trop. Je m'vanouis ...

    Quand je repris mes sens, j'tais couch dans la chambre du rez-de-chausse et la chre Catherine veillait surmoi avec anxit. Il parait que j'avais une forte fivreet que je parlais dans mon dlire. Je disais:- Les fes 1 O sont les fes?Et ma bonne pensait: . Ce sont mes contes qui lui reviennent l'esprit!Un soir, comme j'allais mieux, j'entendis des pas ausecond tage. On frappait sourdement, semblait-il, et degros pas martelaient les escaliers. Catherine me dit que

    les maons rparaient une chemine. En ralit, monpre faisait murer le placard de ma chambre d'enfant.Pour parler franc, je ne compris absolument rien l'attitude de mon pre. Aprs y avoir rflchi, je pensaique cela reposait sur un malentendu. Mais le moyen derevenir l-dessus avec un homme. de cette sorte? Laseule ide d'un entretien me glaait d'horreur. 'Cemalentendu ne s'est jamais dissip car mon pre mourutavant que je l'claircisse. C'est partir de la scneaffreuse que la rupture fut consomme entre nous. Dsma gurison, je fus mis l'internat et ne revis mon pre. que deux fois chaque anne: Pques et Nol. Auxgrandes vacances on m'envoyait chez une tante paternelle qui m'observait avec dfiance et me suspectaitnuit et jour. J'tais encore au collge quand on m'annona le dcs de mon pre. Je ne demandai pas voirle corps.Qu'on ne m'accuse pas de duret 1 Cela m'tait impossible. Je le revoyais, la main leve, dans mes rves. Etce n'est pas le chtiment physique qui me fait parlerainsi. C'est du soufflet moral que j'ai souffert toute mavie, au point que mme l'heure prsente mon me estrouge de ce soufflet.On peut juger par l de ma sensibilit adolescente.En vrit, il et mieux valu pour moi une polyo ouune typhode car du moins elles n'eussent marqu quema chair .. '

    Je n'ai su que plus tard, bien plus tard, la vrit.J'tais un homme dj et j'interrogeais une dernirefois Cathrine. La chre crature, demeure monservice et qui avait toujours refus de me rpondre, mejugea enfin capable d'tre renseign.Elle m'apprit que l'arrire de notre maison donnaitsur le jardin d'un autre immeuble dont la faade s'levait dans un quartier diffrent. C'est pourquoi ses occupants n'taient pas connus dans notre rue. Je dirai toutde suite ce qu'taient ces occupants: rien de moins queles tenanciers et les pensionnaires d'une maison close.

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    LES RINCARNATIONS DE DORA DORA 25Mes fes taient des filles publiques 1... Je restai muet destupeur.je comprenais maintenant l'accusation de mon pre.Mais. c'est moins de son incomprhension que j'envoulais sa mmoire, que de la boue jete sur monlyrisme enfantin. Car pour moi, voyez-vous, c'taientquand mme des fes et de bonnes fes ... Je ne veuxrien savoir de ce que les hommes ont fait d'elles. Je memoque des hypocrites indignations 1 .. J'tais un enfanttrs pur, si pur que rien ne pouvait troubler mon me,si ce n'est les insinuations des adultes et leur propreodeur de pch. Jamais je ne vis ni ne verrai dans lescratures qui m'ont souri autre chose que les fes dema jeunesse. Rien que leur souvenir embaume ce misrable pass. D'ailleurs quand elles ont lev les yeux versmoi leur me tait certainement sans tache. Depuis, j'aipens que le petit enfant de la lucarne tait leur morceaude ciel. Tout ce qu'il y avait en elles de vritable amourleur est remont aux lvres. Qu'importe si des hommesmGrs, des vieillards peut-tre, ont prostitu leurs corps 1je ne sais si l'on me comprend, mais je suis certain qu'ily a parfois chez ces maudites une grande chastet decur.Ainsi se dissipait - quoique trop tard - l'horriblequiproquo de l'autorit familiale; mais on verra, parla suite, les fausses limites de ce quiproquo. Aux yeuxde tous j'ai dOpasser pour un monstre, mais c'taientles monstres qui m'accusaient. Ils m'ont puni du stuprequi tait en eux. Ils m'ont chti de la perversion d!leurs penses. Ils ont souill l'image adorable que je mefaisais de la Femme en fleur.

    CHAPITRE IV

    L'aventure que j'ai dpeinte a pes d'un grand poidssur ma vie et l'on verra plus loin que ce complexedgradant retentit jusque dans mon ge mGr.je subis donc l'internat et, qui pis est, l'internatcongrganiste o tout concourt fondre dans un mouleuniforme les tempraments les plus divers. La plupartse plient aisment cette contrainte et deviennent lesauxiliaires naturels de l'autorit. Mais ceux qui ont unepersonnalit souffrent de la voir constamment brime.Les brebis qui s'cartent du lot ou qui relvent la ttes'exposent aux foudres de l'orthodoxie et de la tradition.

    Depuis la .mort de mon pre, j'tais pass sous .latutelle d'un de mes oncles, lequel se bornait m'envoyerune lettre de cinq lignes tous les mois. C'tait le mari dela tante paternelle qui j'ai fait allusion plus haut etil n'prouvait mon endroit aucune sympathle. Audemeurant honnte homme, qui administra correctementmon bien. je sus en effet plus tard, que ma mre tenaitde ses parents une fortune particulire et que j'tais"unique hritier de ses biens propres, ce qui me permitd'tre indpendant. je ne fus donc jamais priv de"essentiel ds le dbut de ma vie. J'ajoute, pour treprobe, que le rgime de l'tablissement congrganistedont je faisais partie, tait, soupe part, excellent, etque tout tait prvu pour le bien-tre matriel. deslves. Malheureusement, comme je l 'ai dit dj, l 'atmosphre tait opprimante pour un esprit comme le mien.Toutefois mes dernires annes de seconde et de rhtorique furent illumines par la prsence d'un charmant

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    26 LES RINCARNATIONS DE DORA DORAprofesseur de vingt-neuf ans. Le. Pre Brizeau, si tantest que cette appellation paternelle pfit tre applique une personnalit aussi juvnile, succdait diversprtres ennuyeux ou insignifiants. Sans doute il bnficiade la comparaison, mais la sympathie qu'il dclenchaen nous tous tait due son sourire et l'espce decamaraderie qu'il manifesta spontanment.J'avais alors dix-huit ans. Je demandai mon tuteurl'autorisation d'interrompre mes tudes. Il ne chercha pas m'en dissuader et vit dans la mienne sa propre libration. C'est ainsi que je fus mancip, aprs runiondu conseil de famille, et habilit l'administration demes propres biens. La loi ne m'autorisant pas vendreavant l'ge de majorit, je conservai provisoirement lamaison paternelle mais n'y remi~ jamais les pieds. Jelouai un appartement en ville et pris avec moi la bonneCatherine qui s'tait retire la campagne chez desparents. Nous nous retrouvions avec joie et je lui vouaitoute la tendresse qu'on prouve pour une mre, et c'estbien une bonne mre qu'elle tait rellement par lecur.

    Je ne sais quel est l'tat d'me du prisonnier libr,mais je connais celui de l'vad de l'internat qui recouvre

    son indpendance. La vie s'ouvrait toute neuve devantmoi et je n'avais plus qu' choisir. Je n'tais nullementpress. Il me fallait d'abord me mouvoir l'aise, sanssurveillance apparente ou cache, sans rgle et sansbarreaux. 'J'tais tellement habitu aux barbels que, les premiers temps, je n'osais me croIre libre. Pendant quelquessemaines je gardai l'attitude de qui se sent observ. Maisl'usage de la libert est si merveilleusement fcond queje ne tardai pas me dbarrasser des harnais de lacrainte comme des illres de la mfiance. Enfin jerespirais, je m'appartenais, j'tais moi.Entr dans l'cole sans ides religieuses bien assises,je sentis celles-ci s'affermir et me pntrer au cours despremires annes d'externat puis de pension. Elles dcrurent par la suite au point de ne plus mme tre discutes,

    tclIcment l'enseignement qui m'tait impos contrariaitmon sentiment profond. Je sortis anticlrical de l'tablissement congrganiste. Non pas antireligieux car lesens du Divin ne m'abandonna jamais. Et, comme il siedchez les jeunes gens dont l'imptuosit carte les demimesures, je me fis socialiste rvolutionnaire, ce qui l'poque tait la nuance la plus vermillon.J'en revins, par la suite, comme de toutes les opinionsexcessives. Il y a longtemps que j'ai abandonn macravate rouge pour ne plus porter de cravate du tout.

    Je ne pouvais cependant rester sans occupation virile.Tout autre se "{fit jet dans la dbauche mais tout enmoi s'y opposait: ma formation morale d'abord, lemilieu dans lequel j'avais vcu, l'orgueil de comparaison que j'ai gard toute ma vie et une sorte de puretcrbrale contrastant avec un temprament ardent.J'appris qu'on avait ouvert un concours pour unemploi dans line administration voisine et malgr monimprparation je m'y prsentai. Mon bagage n'tait pasconsidrable, mais celui de mes concurrents l'tait moinsencore. Contre toute attente, je fus' reus et aussittinstall. Catherine en conut une grande joie et unefiert que je ne partageais gure. La chre craturevoyait un gage de dure et de scurit dans la fonction.C'est ainsi que je pntrai dans un milieu totalementinconnu et m'initiai aux murs administratives. Commec'tait l'excellence de ma rdaction qui avait emportmon succs au concours d'entre, en dpit de la faiblessede mes rponses arithmtiques, c'est la comptabilitque je fus mis.

    J'tais alors si dsintress de l'administration de mesbiens que je ngligeai d'en faire l'inventaire. Je savaispar le notaire de la famille que l'aisance m'tait assureet je n'en demandai pas plus. Je coupai mme un peu'court aux explications que le digne tabellion avaitentames et lui laissai entendre que je savais quoi

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    28 LES RINCARNATIONS DE DORA DORAm'en tenir. En ralit j'ignorais tout des antcdents dema famille dont personne, except Catherine (et avecquelles rticences) ne m'avait jamais parl. Ce n'estqu'au bout d'un ou deux ans que la curiosit me vintd'en apprendre davantage. Je questionnai Catherine qui,cette fois, s'y prta volontiers.- Je sais, lui dis-je, que tout mon avoir me vient dema mre et non de mon pre. Mais comment se fait-ilque ma mre tait riche quand mon pre ne possdaitrien 1 N'est-ce pas la raison ou l'une des raisons pourlesquelles l'affection de ce dernier me. fut mesure, aupoint d'avoir sembl ne pas exister du tout 1IMa nourrice me rpondit:

    1_ Je n'ai pas voulu vous parler de tout cela avantque vous ne soyez en ge de comprendre. Il y a deschoses qui sont trop lourdes porter quand on estenfant. A prsent, je ne vois aucun motif de vouscacher ce que je sais ou, du moins. ce que j'ai puapprendre car dans l'histoire de votre famille tout n'Postpas absolument clair.- Tu m'intrigues, sais-tu 1- J'ai t souvent intrigue moi-mme. Mais jen'avais qu' me taire et faire la bte, ce que j'ai fait.- Tu parles comme si tu pensais quelque chose delaid ou de redoutable.Catherine soupira, puis dit:- Ecoutez. Votre mre n'tait pas la premire femmede votre pre. Avant, il avait dj t mari deux fois.Je marquai mon tonnement d'une chose que ien'avais jamais souponne.Catherine reprit:- Les deux premires sont mortes d'une maladie delangueur.- Autrement dit, interrompis-je, on ne sait pas dequoi elles sont mortes.j'ajoutai vivement:- Et ma mre 1Catherine sembla embarrasse:- Que vous dire 1 Sa sant tait excellente quand jel'ai connue. Et puis, peu peu, ses forces l'abandonnrent. De faiblesse en faiblesse, elle mourut comme

    celles qui l'avaient prcde. Le malheur tait sur lamaison.Je' me sentais agit par une sourde inquitude.- Quelle tait l'attitude de mon pre 1Catherine fit la moue.- Allez donc savoir 1 Cet homme a toujours t sirenferm.- Manesta-t-il du chagrin du dcs de ma mre 1.Catherine se contenta de dire:- Je ne l'ai jamais vu pleurer.Et comme elle me voyait plong dans le flot mouvantde mes penses, elle dit encore:- La famille de votre mre tait jadis fort riche.De ses parents, morts de bonne heure, d'oncles et detantes, tout lui revint. Je ne sais dans quelles conditionselle fut amene pouser votre pre. Je Ji'ai jamaiscompris qu'une si jolie fille ait pu se livrer ce barbon.Il parait que le jour de ses noces elle tait ple et dfaitecomme si on l'avait contrainte malgr elle.Je m'criai:- T'a-t-elle fait des confidences par la suite 1- Elle me disait seulement: Catherine, Catherine,j'ai peur. IlJe suffoquais d'motion.- Elle t'a dit cela 1 Avant de mourir?- Non. Ds les premiers temps de son mariage.Je rflchis, puis:- Tu parlais de choses restes dans l'ombre ...Catherine rpliqua:- Je voulais dire que M. Vogel tait un homme secret.Ds ce temps-l il disparaissait rgulirement le dimanche, et personne n'a jamais su exactement o il allait.- On a fait des suppositions cependant?- Oui, on a cru parfois qu'il se rendait une petitecampagne que vous possdez deux lieues de la ville.- Ah 1 oui. le fameux Pr-Gos o n'tait admispersonne de la famille. Il faudra d'ailleurs que j'y aillepour voir dans quel tat il est.Catherine suggra:- Vous devriez en savoir davantage rien qu'en regar-

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    LES RINCARNATIONS DE DORA DORA 31dant les papiers de votre pre. Aprs sa mort nul n'apntr que vous dans son cabinet.Je dis avec une certaine rpugnance:- Je t'avoue que j'ai tout brfil sans vouloir y jeterles yeux tant ce qui me rappelle mon pre m'est pnible.Tu dois trouver que j'exagre?Catherine me regarda d'une drle de manire.- Non, fit-elle. Et pendant que j'y suis, autant toutvous dire. Votre mre avait aim un autre homme,celui-l bon et gnreux. Contraint de voyager l'tranger,. son navire fit naufrage quand il revenait pourpouser votre mre. Elle tait enceinte quand elle semaria ... Vous n'tes pas le fils de M. Voge!.Je poussai une exclamation de joie:- Ah 1 Catherine, quel soulagement 1Je pourrais harcet homme. Mais puisqu'il 'n'tait pas mon pre, je n'aique mpris pour lui.Catherine se taisait. J 'ajoutai:- Et lui 7 Comment a-t-il fini 7Elle rpondit: ,- D'une bien trange manire. C'tait justement undimanche, jour de sa disparition habituelle. On prsumequ'il avait dO le passer au Pr-Oos. Un charretier letrouva dans un foss, quinze cents mtres d'ici, dans'une posture invraisemblable. Il tait recroquevill surluhmme comme s'il avait t victime du haut-mal.- Il n'tait pas pileptique, cependant 7- Je ne pense pas. Je m'en serais aperue.- Qu'ont dit les mdecins 7- Il ne portait aucune blessure, sauf les gratignurescauses par la chute. L'autopsie n'a rien rvl.- Quelle apparence avait-il?Catherine se voila la face.- Affreuse, m'a-t-on dit. L'cume lui sortait des lvreset il avait les yeux rvulss.- En somme, sa mort est aussi mystrieuse que cellede ses femmes. Combien je plains ma pauvre mre 1 Etquelle vie a dO tre la sienne prs de cet hommeeffrayant 1 Quand je repense lui, je me sens encorepetit garon et j'prouve une sorte de panique.

    - Moi de mme, fit Catherine. Mais rassurez-vous.Il est bien mort.Je secouai le menton d'un air de doute.- Qui sait? O ces sortes d'tres sont-ils le plusdangereux 7 Dans la vie terrestre 7 Ou dans l'astral 7Catherine me dit avec une placidit toute campa-gnarde:- Si vous croyez qu'on le laisse faire!Je ne pus me tenir de demander:- O le crois-tu donc?- Tiens 1 fit Catherine. En enfer'.'

    Ce n'est qu'une semaine plus tard que je m'en fusau Pr-Clos, ferm depuis la mort de celui que j'avaiscru tre mon pre.Au fond, mon nom lui-mme tait usurp et je medemandais comment je pourrais m'en affranchir. Puisje fis rflexion que cela, aprs tout, n'avait pas tellementd'importance et qu'il devait exister des Vogel de toutessortes, bons ou mauvais, un peu partout. Mon partren'tait qu'un maillon d'une longue ascendance qui avaitpeut-tre comport des criminels mais peut-tre aussides saints.C'est en faisant ces rflexions que je parvins au PrClos, petite proprit isole et entirement ceinte dehauts murs. Il tait permis de se demander pourquoi lespremiers possesseurs avaient cru ncessaire d'enclorehermtiquement un si faible espace et cette impressiontait renforce par d'pais ombrages qui s'tendaientjusqu'au-dessus du toit de la maison. Mais il en estsouvent ainsi des lieux o l'on plante de jeunes arbressans prvoir le dveloppement, parfois considrable,qu'ils prendront .. 'Quoi qu'il en soit, j'ouvris la grille rouille au moyend'une des cls du trousseau que j'avais trouv dans lasuccession qui m'tait chue et je pntrai dans unvritable maquis. Tout indiquait que personne n'avaittent depuis longtemps la moindre culture et c'est toutjuste si un maigre sentier permettait d'accder au vieux

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    logis. Celui-ci me parut d'un abord quelque peu sinistre,avec ses volets pleins rigoureusement clos. L'imaginationaidant, cela avait l'allure d'un coupe-gorge et je medisais que si ce qu'on supposait du prcdent propritaire tait vritable, il semblait difficile d'expliquer desvisites aussi frquentes dans un lieu pareil.Durant que je cherchais la cl qui s'adaptait laserrure de l'entre, mon esprit se livrait toutes sortesde suppositions. Allais-je trouver en ce lieu un attirailde faux-monnayeur ou les traces d'un lieu d'orgie? Toutest possible avec ces espces d'tres mystrieux et cadenasss. En me remmorant l'aspect de M. Vogel, sonregard froid, impntrable, et en rapprochant mes souvenirs de ce que Catherine m'avait racont, je me laissaisaller voquer une manire de Barbe-Bleue, et involontairement je regardai s'il n'y avait pas une tache desang sur ma cl .Celle-ci ouvrit enfin la porte et je secouai vigoureusement mes craintes. Je ne suis pas peureux. et j'ai l'habitude de me dominer. Je traitai mentalement mes hy~thses d'enfantillages et j'entrai dans la premire desdeux pices dont j'ouvris la fentre aussitt. Elle contenait un mobilier banal et anachronique qui constituaitsans doute celui d'anctres disparus. j'oprai de mmedans la seconde et n'y vis d'abord que des tagres etune longue table. Celle-ci tait divise la craie en casesingales et des si~nes cabalistiques s'y trouvaient. j'allaijusqu'aux rayons sur lesquels s'alignaient de nombreuxvolumes. j'en pris un puis un autre, et me convainquisrapidement que tous ces ouvrages traitaient de magieet de l'occultisme le plus suspect.La lumire commenait se faire dans mon esprit etla figure du disparu prenait un aspect redoutable. Jefouillai les tiroirs sans trouver grand-chose et ne vis plus prospecter qu'un placard. Celui-ci tait ferm et jeredoutai de ne pas en trouver la cl parmi les autres.Effectivement aucune ne s'adapta la serrure qui meparut tre secret. j'tais rsolu tout savoir. Je posaile trousseau sur la table et me mis au-dehors larecherche d'un outil. Je trouvai une vieille pioche brche mais dont le fer tenait encore. En quelques coups

    ,."

    r:

    vigoureux, suivis d'une longue pese, je disloquai unedes portes et l'autre vint en mme temps.Sur l'un des rayons s'alignaient plusieurs fioles contenant des liquides multicolores. Et, sur l'autre, plusieursfigurines en clre ne me laissrent aucun doute sur lanature des occupations dominicales du dfunt. Certainesde ces statuettes taient en morceaux dans le fondcomme ayant cess d'tre utiles. Mais trois d'entre ellessemblaient encore intactes sur le devant ... je ne m'appesantirai pas sur ces procds classiques de l'envoQtement.JI sied de n'en parler qu' voix basse. je me contenteraide dire que chacune des petites effigies portait unetiquette avec un nom de femme. C'tait, dans l'ordre :Adore d'abord, Charlotte et Emma.j'eus un blouissement. Adore tait le prnom de mamre . ,

    On conoit l'motion qui me saisit en prsence decette terrible rvlation. Tout s'expliquait: les maladiesde langueur et les lentes mais implacables agonies.Les procds du monstre taient trs suprieurs ceuxdu banal empoisonnement. Et nulle mdecine lgalen'tait en mesure d'en dceler la perfidie. Je ne voyaispas exactement le but de ces envoQtements successifs.Il me parut qu'ils tendaient vraisemblablement capterle bien des diffrentes pouses. Sans doute ma prsenceconstituait-elle une objection de taille pour la dernirecar j'aurais dQ tre supprim. je supposai que ma mres'tait refuse se dessaisir, malgr les menaces, de seshritages afin de me les conserver. Mais comme j'tais lefils lgal de Vogel, celui-ci en gardait la gestion enmme temps que ma tutelle. Qu'eQt-il fait l'approchede ma majorit 7 Involontairement; j'en frmis.Sous les dehors inslgnifiants d'un modeste fonctionnaire, se cachait un profond et dangereux sclrat. Cessortes de vies doubles ne sont pas rares en province, o la surface des eaux dormantes de temps autre unebulle de gaz monte des profondeurs.Que s'tait-il pass ensuite 7 Par quelle raction inexplicable le vieux Vogel avait-il subi le retour de flamme

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    34 LES RINCARNATIONS DE DORA DORA 35rserv aux magiciens noirs? Personne ne le sauraitsans doute jamais. Pour comprendre exactement le jeufatal du boomerang, il eOt fallu des dons de clairvoyancequi permssent de lire dans l'astral. Le rsultat cependanttait l. L'envoOteur envoOt gisait sous six pieds deterre. En quittant la maison je me rendis au cimetire,pouss par je ne sais quelle trouble curiosit. J'allaijusqu' la tombe du soi-disant auteur de mes jours; elletait nue et dessche. Parmi de rares herbes je vis unesorte de plante charnue, semblable une carotte bifurque et dont les deux racines mergeaient du sol.Involontairement je songeai l'homoncule de lamandragore. Cela m'cura jusqu' la nause et je m'enfus sans me retourner.

    je revins au Pr-Clos ds le lendemain sans en avertirCatherine qui je me gardai bien de faire part de mesimpressions.j'avais emport un paquet de vieux journaux. je lesdisposai sous les meubles vtustes. j'allumai le tout etdix foyers se mirent flamber durant que je refermaisles portes. A deux cents mtres de l je me retournaiet vis une mince fume qui montait dans le ciel.Quatre heures plus tard, le garde champtre de l'endroit sonnait notre porte.- Monsieur Vogell cri a-t-il. Il yale feu au Pr-Clos!j'accueillis cette nouvelle paisiblement.- Sans doute, rpondis-je, j'aurai oubli d'teindre la.bougie et la flamme de celle-ci se sera propagte dansles vieux rideaux.- a doit tre quelque chose comme a, fit le repr- .sentant de la loi. Mais j'aime mieux vous dire que latoiture s'est croule et qu'il ne doit pas rester grandchose entre les quatre murs. Que faut-il faire prsent?- Rien du tout. C'est tout ce que la baraque mrite.Le bonhomme demeura bouche be.- Ben 1 Vous, vous ne vous faites pas de bile 1je mis une coupure dans la main du garde.

    _ Pourquoi m'en ferai-je? Je n'ai jamais aim lePr-Clos 1

    CHAPITRE V

    Pour un garon qui s'ennuyait le soir, et qui nepouvait chaque jour recommencer crire des pomes,qui d'autre part ne frquentait personne et abhorrait leslieux publics, l 'existence purement administrative devinttrs vite monotone. je me demandais quelles sortes dedistractions je pouvais choisir lorsqu'on me fit unecurieuse proposition.Il y avait, je le sus aprs, plusieurs cercles spiritesdans la ville. Mais celle-ci possdait, en outre, un confrencier de mme obdience qui vivait trs retir dansson appartement. Comme il tait menac de ccit etque sa vue devait tre mnage, il utilisait de temps entemps un secrtaire qui lui servait aussi de lecteur. Lejeune homme affect cet emploi et que je connaissais peine dut partir pour le service militaire et pensa moi pour le. remplacer. je refusai d'abord, par crainted'aliner mon indpendance et parce que je n'avais nulbesoin de cet appoint financier. Puis, la rflexion, lacuriosit me vint de pntrer -dans une autre atmosphreet je me dcidai finalement donner mon acceptation .On se chargea de me prsenter M. Aristide, qui taitsexagnaire, en me disant:_ C'est un vieux toqu, avec des ides de l'autremonde. A part a, il n'est pas mchant.je fis donc connaissance de ce milieu, qui ne comportait. habituellement que M. Aristide et sa sur ane,laquelle assistait toutes nos 'lectures en >,tricotant dansson fauteuil.je dois dire que M. Aristide ne m'apparut nullementcomme l'homme dsquilibr dont parlait mon prd-

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    LES RINCARNATIONS DE OORA OORA 37cesseur. C'est, au contraire, celui-ci qui me sembla treun esprit lger et mdiocre. M. Aristide ne chercha pas m'influencer. 1l1afssa ses auteurs favoris s'insinuer peu peu dans ma logique. Il faut reconnaftre que bien peude tmoignages sont aussi troublants que ceux de savantsde l'envergure du physicien Crookes ou du professeurLombroso. Par la suite, devaient s'y ajouter les pertinentes remarques de l'astronome Eddington et celles demathmaticiens notoires qui entrouvraient les portesd'un monde immense et inconnu.j'tais tout prpar ces investigations dont la porte,pour la connaissance de l'Homme, me semblait incalculable. Cependant, je fus longtemps avant d'tre admis l'une des sances que tenait M. Aristide avec des amisde choix. Je ne me serais pas prt cette sorte d'exprimentation si je n'avais trouv chez cet idaliste unegrande dignit de vie, un rassurant quilibre et un raresouci d'impartialit.j'appris par la suite me dfier singulirement desmille petits cercles o de faux mdiums, entours devieilles dames, voquent et font parler, sans le moindregnie, Socrate, Csar, Mahomet, Jeanne d'Arc et, Napolon. On est confondu de voir quel point l'absence decerveau a pu rendre niaises ces personnalits illustres,qui gagneraient singulirement rester dans l'ombre du

    tombeau.Aucun homme clbre ne hantait les runions deM. Aristide. Celles-ci ne comprenaient que des assistantstris sur le volet. Rarement plus de six et les entits quise manifestaient, pour n'tre pas anonymes, se revtaientd'appellations trs sobres, telles que Tiburce ou l'Ermited'Occident. Le ton des communications demeurait trslev. La police invisible tait fort bien faite. Les guidesne laissaient filtrer que les meilleures prsences del'Astral.Je ne fus tmoin que d'un nombre restreint de matrialisations, et une fois seulement d'un essai d'crituredirecte. On ignore peut-tre que cette dernire exp.rience consiste appliquer l'une contre l'autre deuxardoises vierges entoures d'un cadre de bois. La juxtaposition des cadres laisse entre les ardoises un certain

    .

    vide dans lequel est plac un bout de crayon trs court.Ensuite les ardoises sont lies fortement au moyen d'unecorde intacte, sur les nuds et croisements de laquelledes cachets de cire sont apposs. Quand il y a matrialisation de l'esprit oprateur (et je ne me sers du motesprit que parce que je n'en vois pas d'autre) le crayons'agite dans sa cage troite et on l'entend crire enfrappant les points et les barres des t. Au cours deplusieurs sances le procd n'avait rien donn, malgrles assurances du guide Tiburce et chaque fois celui-cis'excusait de n'avoir' pas trouv la force ncessaire dansle mdium. Enfin un soir, aprs une longue. prparationchante et prie, nous entendfmes le frottement caractrisque du crayon entre les ardoises, mais cela fut bref.On fit sauter les cachets, les ficelles furent coupes la lumire normale, et nous pames lire assez distinctement ces mots:BRNO crire aussi

    Nous nous perdfmes en supputations de touts sortes.M. Aristide suggra qu'il pouvait s'agir de la capitale dela Moravie. Mais qui fallait-il crire en Tchcoslovaquie ? Mystre que je ne tardai pas lucider. En effet, peine rentr chez moi, dans. ma chambre de jeunehomme, l'vidence me frappa que Brno ne signifiait pasun lieu gographique, mais tait da l'lision de ladeuxime lettre de mon prnom. Pour moi, Brno voulaitdire Bruno et le reste constituait une invitation l'criture automatique. Cette conclusion me parut tellementclaire que, sans dsemparer, je pris une feuille de papierblanc, m'armai d'un crayon et, ayant pos la pointe surle haut de la feuille, j'attendis.Il ne se produisit rien tout d'abord et il me semblaque mon bras s'engourdissait au bout de quelquesminutes .. Mais ce que j'avais pris pour des fourmis Ils'avra tre un frmissement lger. Ma main s'animaspasmodiquement et commena tracer des gribouillagesqui n'avaient pas forme de.caractres et ne ressemblaient de l'criture que de loin. Je regardais mes doigts aveccuriosit, me demandant s'ils agissaient seuls ou mus{Jarune force incon.n.ue D~i l~ moiti de l!.feuille ~ai~

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    LES RINCARNATIONS DE DORA DORA 39remplie de lignes ingales mais sans signification. Etbrusquement je sentis ma main revtir une nergieparticulire. Des sursauts l'agitrent et elle tait presquesouleve par instants. J'avais tellement l'impression den'en tre plus matre et de subir une influence invisible 1que j'eus peur de cette domination trangre et renonai pousser plus loin l'exprience ce soir-l.Trois jours aprs, je fis part de mon interprtationdu message direct M. Aristide, et la table en confirmal'exactitude en prcisant la nature de ma mdiumnit.Je n'tais qu' demi persuad de mes pouvoirs et de mafacult de clairaudience. Cependant, je fis de nouveauxessais d'criture automatique qui demeurrent infruc.tueux pendant huit jours, Sans doute des lettres, plus oumoins bien formes, apparaissaient de temps autre etmme de loin en loin quelque chose qui ressemblait un mot. Mais rien ne permettait de relier entre eux leslambeaux de ce graphisme. Toutefois, comme je meprtais de plus en plus l'obtention du phnomne,celui-ci finit par se prciser. Et, certaine nuit, je traaispontanment, et sans la participation de ma conscience,les caractres d'une criture absolument diffrente dela mienne et qui s'exprimait en un style oppos au mien.Je n'ai pas retenu les premiers lments de communi.cation. Je me souviens seulement qu'ils formaient une

    langue elliptique fort loigne de ma langue habituelleet procdaient d'une inspiration trangre et parfoiscontraire mon jugement normal.C'est ainsi qu'il me fut reproch vhmentementd'avoir tant tard recueillir les instructions invisiblesqui taient signes: DORA. Cette ~ignature n'apparutpas dans les premiers messages mais seulement' au quatrime. Je souponnais dj, par la nature du graphisme,que l'entit manifestante tait du sexe fminin. Je fustrangement troubl car c'tait la premire fois que jerecevais une lettre de femme et cette femme tait dansl'au-del.

    Je ne crois pas avoir gard les trois premiers spcimensd'criture automatique ne portant pas la signature de

    la mystrieuse correspondante, ou si je l'ai fait, je lesai perdus au cours de dplacements ultrieurs. Mais j'aiconserv prcieusement tous les autres et je reproduisici le plus ancien:Bien-aim, tu te croyais seul et j'tais pourtant dansta vie, mais invisiblement et l'insu de ton mental. Jen'ai jamais cess de t'entourer, de t'envelopper, det'treindre. Nos dmes sont noues comme nos corps l'ontt jadis. Je ne suis pas une inconnue pour toi mais la

    plus connue de toutes les femmes car nos existences sesuivent, se chevauchent ou s'pousent depuis l'ternit.Ds les premiers temps du monde, nous tions. Jusqu'aux derniers temps du monde, nous serons. Mais cequi a une fin dans le domaine o tu es n'en dura pointdans les autres sphres. Un jour, dans bien des dges, nousne ferons qu'un dans l'hermaphrodite premier. Et tuverras alors que l'Amour n'a pas de sexe.Comment dire l'moi prodigieux o ce message meplongea? J'atteste que mon conscient n'y tait pour rienet que tout se passa en dehors de ma dlibration personnelle. Tout au plus ma volont m'avait-elle contraint faire les gestes indispensables, mais une fois l'automatisme dclench, le reste de mon comportement medemeurait inconnu. En effet, ds la prime agitation demes doigts, il se produisait ceci de curieux que monattention se dtachait de mon criture et semblait vouloirrester trangre 'ce qu'crivait ma main. La preuvec'est que j'tais sollicit par une autre occupation, telleque d'couter un bruit extrieur, de regarder glisser unegoutte sur les carreaux, de suivre le trajet d'une mouchesur une boiserie, tandis que mon !-'tylo poursuivait sacourse rapide et faisait sa besogne indpendamment demoi. Par la suite, il me fut donn d'couter la radio oumme de lire pendant que par mon intermdiaire s'effectuait la communication. De sorte que celle-ci termineet moi-mme recouvrant la disposition 'de tous messens, je prenais connaissance du texte qui m'tait destincomme de celui d'une lettre venue du Chili ou de l'Inde

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    LES RINCARNATIONS DE DORAavec cette diffrence que ma correspondante tlgraphiait de beaucoup plus loin.Evidemment, au cours des nombreuses rflexions queje consacrai au phnomne de l'criture automatique,ma raison voqua la possibilit d'une intervention del'inconscient. Il parat hors de doute pour tout espritcritique que les phnomnes de la table sont dus, pourla plus grande part, la somme des inconscients rassembls autour d'elle et qui forment une me collectivesusceptible de curieuses activits. Mais qui ou quoi meten branle les leviers de cette force collective? Ce n'~pas un des spectateurs ou tmoins puisque les phnomnes obtenus sont souvent contraires ces dsirs. C'estencore moins le mdium puisque, lors des plus puissantes manifestations, celuici est dans l'inconscience etparfois dans un tat cataleptique profond.Force m'tait donc d'admettre que Dora n'tait passeulement l'expression des rgions hautes de moi-mme,mais une individualit distincte de la mienne et dsireusede se rapprocher de moi.

    ..

    Que de fois je relus la dizaine de lignes que j'aireproduites 1 Je ne me lassais pas d'en ruminer lesdivers passages et j'avais le sentiment d'tre appel parune sous-divinit. D'abord j'tais le bien-aim de quelqu'un et ce quelqu'un tait une femme. Bien qu'elle fl1tdsincarne, comment ne me la serais-je pas reprsentedans la chair?L'infirmit de notre imagination mentale est t~Jlequ'elle ne peut rien voquer si ce n'est dans l'apparence.Malgr moi je revtais Dora d'une forme idale, qui avaitda tre celle de sa prcdente incarnation. Et puis jeralisai quel point je m'garais dans de vaines hypothses et je souhaitai d'entendre nouveau la voixinaudible dans la retraite et le secret.Voici quelle fut la nouvelle communication, obtenuepeu de jours aprs, dans le silence:8i~n-aim, cesse de t'agiter en toi-mem~ et reouvr(

    DORAintrieurement ta paix. Je ne suis pas venue pour tetroubler mais pour te parfaire et, au besoin, t'accomplir.Je suis femme, sans doute, mais je pourrais aussi bientre ta fille ou ta mre. L'amour que je te propose, etqui a toujours t le ntre, est donc intgral. Mditecela et rgle en consquence tes penses. Je t'claireraiau fur et mesure que tu le demanderas.

    J'aurais voulu que le message durt toujours oucomportt, du moins, des pages et des pages. Mais, cequi prouve quel point ma personnalit y tait trangre, lorsque le point final tait mis, j'aurais t incapable d'y ajouter. Plusieurs fois je tentai de contraindrema main continuer au-del de la signature. Or celam'tait impossible et si j'y appliquais ma volont etmon intelligence, je n'obtenais que du Bruno banal. C'estalors, mais alors seulement, que je m'en ouvris aM. Aristide et lui demandai conseil. Il mdita longuementet d'abord me mit en garde contre l'exprimentationsolitaire._ Vous n'avez cependant rien craindre, ajouta-t-il,si vous tes dsintress et si vous tes pur.Je pensai intrieurement qu'il tait difficile ungaron de mon ge de l'tre davantage. Aussi me promettais-je de poursuivre mon exprimentation.Mais M. Aristide me dit. aussi:_ Tout semble indiquer que votre Dora est un espritdlivr de l'emprise chamelle. Cependant, il n'est pasimpossible que vous soyez hant par un esprit de vivant..Et comme je l1)'tonnais, il reprit:_ Ne soyez pas surpris. J'ai des preuves de ce quej'avance. 'M..Aristide conclut:_ Les communications manant de fantmes devivants ne sont donc pas impossibles, bien qu'ellesdemeurent trs rares. Il n'est pas interdit de croire queDora est une femme vivante qui se manifeste durantson sommeil.J'objectai:_ Mais pourquoi m'aurait-elle choisi, moi spciale-ment, dans ce monde Z

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    LES RINCARNATIONS DE DORA DORA 43M. Aristide eut un geste vas:- Qui peut dire le pourquoi et le comment de tout?Puis, comme il me voyait un peu dsempar, il meproposa la chose suivante:- A la prochaine sance, nous demanderons l'avis del'Ermite d'Occident.Effectivement, la runion suivante, la question futnettement pose:- Dora est-elle morte ou vivante?La rponse fut:- Dora brille d'une vive lumire dans l'au-del...A partir de ce moment les communications devinrentnombreuses. Et je pris l'habitude de converser chaquesoir avec Dora. Je dis bien: converser, car si j'tais dansl'obligation de lire ses messages pour l'entendre, elle,par contre, saisissait mes penses mesure qu'ellesnaissaient dans mon cerveau.La plupart du temps je ne posais pas d'interrogation,et cependant Dora rpondait ma proccupation laplus secrte. J'tais pour elle une maison de verre etelle lisait travers moi.Ne raidis pas ta volont, crivait-elle. Ne te contractepas en toi-mme. Laisse-moi te comprendre et te pntrer.Comme je m'tonnais d'tre rest si longtemps sansqu'elle se manifestt et que j'voquais amrement majeunesse solitaire, elle me dit:

    \Tu tais encore trop jeune pour que je te parle directement. J'ai da attendre que tes vibrations aient la mmecadence que les miennes, sans quoi j'aurais perturb ton8me et fauss ton entendement. Mais ne crois pas que jet'aie jamais perdu de vue. Ds ta naissance, mon espritplanait sur toi. Ce n'est pas sans arrachement que jet'ai vu reprendre un corps de chair et descendre dans

    une nouvelle vie terrestre. Alors tu n'tais pas moinsanxieux que moi de quitter les zones subtiles pour te

    replonger dans une dense incarnation. Mais une forcetoute-puissante t'y obligeait. Ton exprience tait imparfaite. Il fallait que tu renaisses et que tu meures denouveau.Quand je lus ces mots, je dis mentalement: Pourquoi ne m'as-tu pas donn signe de vie quandj'tais dans la peine et que se brisait mon curd'enfant? )1 Le mme soir, l'criture m'apportait la rponse:Je n'ai jamais cess d'tre prs de toi. Quand tu taistout petit et que tu t'garas dans la neige, j'tais prsenteet je te forai marcher une partie de la nuit. Le chienqui te garda et te rchauffa de sa chaleur animale, c'estmoi qui l'avais envoy; quand tu regardas par la lucarnedu placard, tu ne pouvais voir que des fes car j'avais,pour toi. transform la cour d'ignominie en jardinenchant.Je pleurai silencieusement, et je dis:- 0 Dora, j'aurais t moins misrable si seulementj'avais su que tu tais l !

    ..Il me fut ds lors impossible de vivre la vie de toutle monde. Mon bureau et les personnes qui l'habitaientme parurent illusoires et irrels. J'changeais avec euxdes paroles qui me semblaient ne rien vouloir dire. Montravail m'apparaissait inutile et totalement fastidieux.Je devins si distrait que Catherine s'en aperut et medemanda si j'tais malade.- Certes non! lui dis-je. Jamais je ne me suis sibien port.Elle insista :- Avez-vous des difficults? des ennuis?- Non, pas que je sache.La brave femme sourit malicieusement:- Ne seriezvous pas amoureux?Cette question me troubla, car effectivement je devais

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    LES RINCARNATIONS DE DORA DORA 45avoir les apparences de celui qui est en proie auxtourments et aux dlices de l'amour.

    Je fus tent de tout lui rvler, mais j'eus peur deheurter sa simplicit paysanne. Je lui rpondis:- Je ne vois pas une fille sur terre qui mrite deme troubler.Elle rit franchement et me dit:- Patience 1 mon jeune matre. Quand l'amour viendra il sera si fort qu'il vous brisera comme un ftu 1Je me demandai o Catherine avait pch son exprience et je souponnai qu'elle aussi avait eu des troublesde cur.

    CI Quand l'amour viendra Il, avait-elle dit. Comment,aurait-elle eu la pense que l'amour - et quel amour! "tait dj venu? .

    Si Catherine s'tait doute que je me livrais cespratiques anormales elle eat dit, comme tant d'autres,que j'avais commerce avec le dmon.Pourtant, jamais je ne reus de Dora que des confidences leves et les preuves d'un amour merveilleusement thr. Comment aurais-je rapport au diabledes religions les miraculeuses paroles dont la rosetombait sur moi chaque soir? Rien n'tait plus pur etd'un plus haut enseignement que les messages de Dora,exprims par l'criture automatique. Mon me y puisaitune force accrue et je me sentais plein de reconnaissanceenvers Dieu. Bien loin de croire l'action de mauvaisesprits, je considrais l'intervention de Dora commecelle d'un ange. Et cette ide d'tre aim d'un angetransportait mon me et mon cur. \Un jour, je demandai Dora pourquoi elle ne s'taitjamais exprime par la table. Elle me rpondit:Parce que nos noces doivent etes secrtes et que nulautre ne doit s'interposer entre nous. De plus, apprendsque j'ai peine descendre dans les basses rgions del'astral o rgnent des vibrations trop denses. Je Ilem'imposerais pas ce sacrifice s'il ne m'tait cher caulede toi.

    Tant de preuves se manifestaient de sa tendresse invisible que j'en vins exiger davantage et me lamentaide ne point voir ni entendre Dora.Celle-ci crivit:II devait en etre ainsi car tu vis par tes cinq sensencore plus que par ta pense. II ne te suffit plus de melire, tu recherches d'autres contacts. Je ne devrais pascder ton dsir parce qu'un abandon entraine l'autre,mais je ne puis me tenir de penser au temps o j'tais

    moi-meme dans tes bras.Je pensai: Qui tais-je donc 1 IlElle lut dans ma pense .II est encore trop tt pour que tu le saches. Mais un.jour tu connaitras ta vritable identit. Donne-moi un gage seulement Il, implorai-je du fondde ma conscience.Cela se .passait un matin, mon rveil, et Dora, lesoir mme, me fit connatre ceci:Puisque mon criture ne te suffit plus et que tu ve~x

    y ajouter autre chose, pense moi avant de t'endormiret tu me sentiras..On imagine ma fivre en enregistrant cette promesse.Je me demandais en toute innocence si je devais ounon me dvtir. Il me parut plus convenable et plusnormal de me mettre au lit comme d'habitude et jedemeurai immobile dans les tnbres, les yeux grandsouverts et les oreilles aux aguets.Onze heures sonnrent sans que rien ne se rat produitet je commenais dsesprer de la promesse qu'onm'avait faite, lorsque -mon odorat fut alert par uneodeur de roses qui allait croissant. A la fin. cela devintsi vident que le parfum me monta la tte. Je murmurai:- Dora, est-ce toi 1

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    LES RINCARNATIONS DE DORA DORA 47Puis la suave odeur, peu peu s'vanouit.Je m'endormis presque aussitt et me vis, en rve,courant avec Dora sur les terrasses d'un merveilleuxpalais. Beaucoup penseront que j'tais victime de ma seuleimagination et que cette trange idylle tait le fruit deruminations extravagantes. Cependant les messages de

    Dora taient l, devant moi, avec leurs fines pattes demouches si loignes de mon graphisme habituel. j 'ai,en effet, une criture de garon, ronde et virile, alorsque celle de Dora est gracile et allonge. Pour un graphologue il n'y a rien de commun entre nos majuscules,l'emplacement et l'orientation des accents, les barressur les t. j'cris droit et Dora pench. Je ponctue fidlement mes phrases; il n'y a aucun signe de ponctuationdans les messages,et c'est moi qui dois les mettre aprscoup pour m'y retrouver. Trop de diffrences de fondet de forme existent entre les deux critures pour qu'onpuisse faire entre elles le moindre rapprochement.L'individualit de Dora tait donc absolument indpendante de la mienne. Et ces vues m'taient confirmessans cesse dans les communications du soir:Ne te proccupe pas de l'opinion d'autrui, mais de latienne propre. Les hommes les plus qualifis pour l'interprtation du monde visible sont les plus incapablesd'interprter le monde de l'invu. Avant toutes les thories, toutes les inventions, toutes les dcouvertes, j'taiset tu tais, comme je, te l'ai dit. Notre exprience est elcheval sur des centaines de sicles. Comment tiendrait

    elle compte du jugement d'un temps fugitif lJe me plaisais recueillir les enseignements qui mevenaient d'une source aussi chre mais je prfrais millefois les lignes o, quittant ces hauteurs, Dora me parlaitde notre amour.Bien-aim, il faut que tu sois patient et cela est

    .;

    difficile sur la terre. Pour nous autres, le temps n'existepas. Tu sais djd que, pour Dieu, un sicle n'est pasplus qu'une seconde et nous, sur notre plan, noussommes des demi-dieux.Mais le moyen pour moi de ne pas souhait~r davantage, de rfrner l'envie d'en connaitre, chaque jour,un peu plus l Puisque notre infirmit trois dillensionsest la fois spatiale et temporelle, nous sommes bienobligs de drouler, spire spire, le peloton de notreexistence et d'avancer, pas pas, vers le moindre denos buts. Que m'importait, au surplus, cette ankylosetri-dimensionnellesi je la partageais avec un tre chri lPour les amants aussi le temps n'existe plus, ce quiprouve que l'amour est chose divine. j'implorai Dorade ne pas s'en tenir une criture et un parfum.Je ne devrais pas t'couter, disait Dora, mais les attaches qui nous relient sont trop puissantes. Moi, si forted l'gard des autres cratures, je me sens d'une Insignefaiblesse quand il' s'agit/de toi. Je te donnerai donc plusqu'une odeur, plus qu'une parole crite. Mais n'endemande pas davantage ou tu perdras tout.

    , Que celui qui est en proie au dlire sentimental mejette la premire pierre 1 Quand j'eusse t certain decompromettre tout le reste j'aurais t incapable Jersister mon dsir. ' .'Comme cela s'tait produit maintes fois dans lessoires prcdentes, la chre odeur de roses m'annonala prsence de Dora. Je savaisque mon amie tait l,ma douce et ternelle amie"et je refermais les bras surelle comme si l'on pouvait treindre une odeur.Et voici qu'un soufflepassa doucement sur mon visageet que je sentis quelque chose qui ressemblait lacaresse d'une voix.- Viens, Dora 1 murmurai-je en tremblant de fivre.4

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    LES RINCARNATIONS DE DORAJe n'entendis pas de paroles, mais une sorte de musiquede l'au-del. Ce qui suivit est proprement indfinissable.J'eus l'impression multiple de l'odeur, du son, ducontact. Mais mes yeux n'aperurent aucune vision,aucune forme. J'eus seulement la notion indicible d'uneprsence et je m'endormis.Celui qui serait tent de rapprocher des sensations dela chair ces pousailles clestes se tromperait grandementsur l'tat de mon me et de mon cur. Jamais je ne

    me sentis plus chaste de corps et de pense. Ce n'est pasen vain qu'on s'lve ces hauteurs.Invitable est le processus de l'amour. Chaque ralisation fait dsirer plus ardemment la ralisation suivante.L'insatisfaction est fille de chaque dsir satisfait. Plusj'exigeais de Dora, plus Dora m'apportait .. Et plus ellem'apportait, plus j'exigeais d'elle. J'en vins souhaitersa prsence effective mes cts.Que me demandes-tu? crivait Dora sous ma plumeinconsciente. Ne t'ai-je pas donn davantage qu'il n'estpermis? Prends garde que ton ambition d'avoir plusencore ne te coDte ce que tu as. Parce que je suis sanscourage contre toi tu m'attires dans les rgions basses.Et djd je suis entoure de plus lourdes radiations.Il n'est pas que des amitis dans l'au-deld. Celui-cifourmille de mauvaises intentions et m~me de haines,

    au moins dans l'astral infrieur. J'ai djd sentt prs demoi telle redoutable influence. Heureusement les plusodieuses sont avides de moyens physiques d'expression.C'est ainsi que le pire des dsincarns est prsentementd la recherche d'une enveloppe corporelle. Fasse le cielque nous ne retrouvions pas sur terre l'tre de mal qui,depuis des sicles, s'acharne contre nous /Ce propos m'tonna. Je cherchai dans mon pass etsongeai involontairement l'homme qui se disait monpre. Tout tait possible de la part du misrable du PrClos. Mais je chassai cette proccupation de mon esprit.Un dsir plus imprieux que tout emplissait mon me.Je demandai pardon Dora. Je comprenais ses raisons

    DORAleves. Je me maudissais d'tre si friable. Mais, hlas!je n'y pouvais rien.Ma folie me reprit. Je dis tout haut:- Dora, je te veux sous ton apparence de femme. J'aibesoin de te respirer, de te voir, de te sentir palpitanteentre mes bras.Le jour o je m'exprimai ainsi, je ne reus nul message. Ce soir-l et les soirs suivants, ma main restainerte sur le papier blanc. J'avais beau appeler Dora,Dora demeurait muette. Une immense impression d'abandon et de solitude me saisit.Celui qui, sur la terre, perd de vue son amante, amille moyens de se mettre sa recherche et de laretrouver. Je ne disp03ais d'aucun vhicule en directionde l'astral, d'aucune ligne tlphonique. Ou bien, sicette dernire existe et relie le visible l'invisible, j'taiscomme l'homme au combin qui ne connat pas lenumro. On comprendra ma peine, mon dsarroi, monsentiment de frustration irrmdiable. J'en vins medemander si une entit malicieuse ne s'tait pas jouede moi.Et puis, un soir, le timbre invisible rsonna, la sonnerieinaudible se fit entendre. Je le sentis une furieusedmangeaison dans ma main. A peine tais-je installdevant la feuille vierge que mes doigts se crisprent etformrent des caractres incohrents. Puis leur ordonnance s'harmonisa mais la cadence tait si rapide quej'en prouvais des crampes jusqu'au haut du bras.Cette fois je ne dtournai pas mon attention et jesuivis les lignes mesure. Lorsque mes doigts se dtendirent et marqurent la fin de la communication, je dusm'y reprendre plusieurs reprises pour dchiffrer letexte qui est rest grav dans .mon esprit:Bien-aim, tu as gagn et perdu. Je n'ai d'autre moyende te satisfaire que de redescendre Il ton tage. Je ml'rincarne donc et m'enlise dans la chair. D'ici quinzeans, au moins, tu n'entendras plus parler de moi. Alors

    il t'appartiendra de me joindre et de me reconna1tre.Mais je ferai la moiti du chemin au-devant de toi. Ne

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    50 LES RINCARNATIONS DE DORAcherche pas m'voquer dsormais, ce serait inutile.Ce message est le dernier que tu recevras de

    DORA.Je demeurai ananti, lisant et relisant la communication funeste. Quinze ans! Et les meilleurs de toutela vie 1Je m'effondrai en pleurs et criai:- Dora 1.. Dora 1... Dora !...

    DEUXIME PARTIETH~ODORA

    CHAPlffiE VIJe ne crois pas que l'tre humain puisse enregistrerun plus grand malheur que celui de perdre, brutalementet d'un seul coup, ce en quoi il avait plac toutes sesesprances. Car je dois dire que j'avais tout mis surmon amante invisible, cartant dlibrment ce quifaisait partie de l'existence ordinaire et me retranchantdu sOcial. Je ne me sentis pas le courage de continuerma vie administrative et, san~ rompre compltement les

    ponts, je me fis mettre en disponibilit.\. Catherine tait attriste de voir quel point j'avaischang. Elle ne s'expliquait pas la modification de monhumeur et me supposait atteint d'un mal organique.J'aurais voulu crier ma douleur bien haut et je n'avaisnul confident pour cela. Combien je regrettai alorsd'avoir perdu Stphane de vue 1Je. me promis de me mettre sa recherche car cedevait tre maintenant un homme fait. Mais cetteproccupation elle-mme ne pouvait me faire oublierl'immensit de ma peine. J'en venais me dire qu'il eGtmieux valu que je perdisse physiquement une femmeadore puisque au moins son tombeau eOt t la marquede sa ralit. Tandis que mes brves fianailles psychiques avaient dur cinq mois peine et s'taient rompuesavec une affreuse soudainet.

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    52 LES RINCARNATIONS DE DORA THODORA 53Que me restait-il de Dora? Rien, sinon ses messages.et encore ceux-ci taient-ils crits de ma propre main.Dans quelle mesure taient-ils de moi et dans queUemesure d'elle? Tout cela n'tait-il que fantasmagorie del'me et dsordre d'imagination? Par instants je douta15que cette aventure ait eu lieu et j'tais tent d'oublierces semaines de fivre. Puis je relisais les lettres de Doraet j'tais de nouveau happ. Il eGt fallu un cerveau bienpositif et dnu de tout romanesque pour ne pas trebranl par tant de puret et d'amour. Comment m~

    serais-je reconnu dans ces adjurations d'un esprit cleste,qui semblait planer tellement au-dessus de moi?Non, non. Dora n'tait pas une construction de monesprit. une fume crbrale. Elle vivait, elle comprenait,elle parlait, elle aimait. C'est depuis lors que je n'ai pusans frmir respirer l'odeur d'une rose. Un jour, bienlongtemps aprs, je me laissai entrafner Bagatelle,et parvenu au centre de la roseraie, je m'vanouis. Onmit cela sur le compte du printemps, au moment o ilchavire dans l't, mais moi je savais pourquoi cetteodeur tait inconciliable avec le deuil de mon cur.Oui, cela remonte dj loin dans mon souvenir. I90~a t le pivot sentimental de ma vie. La mme anne,Dora me fut rvle puis retire et loin d'en charger lesvnements, la vie, la Providence ou quiconque, j'enportais seul l'effrayante responsabilit. D'ici quinze ansau moins tu n'entendras plus parler de moi... Il Que defois je l'ai relu ce douloureux passage 1 Les coins dupapier sont uss et les caractres brouills par meslarmes. J'en connais par cur tous les, mots.Au dbut, je crus une taquinerie (pourtant si tran.gre sa nature) d'une Dora jalouse de son indpen.dance et dsireuse 'de me donner une leon. Mais lessemaines s'coulrent, puis les mois, et jamais ne mevint la sollicitation d'crire. je sentais, je savais que Doran'tait plus l. Mais o alors? En quelle partie .lumonde? Au bout d'un semestre, je retournai chezM. Aristide que j'avais compltement nglig depuis. Ilfut frapp de me voir et, considrant mon visage. medemanda si j'avais t frapp par la maladie.- Non. lui dis-je. C'est plus grave.'

    Il repartit:- Auriez-vous perdu quelqu'un ?Je lui avouai qu'en effet j'avais perdu le meilleur Jela vie, l'unique prsence de ma joie, le ferm~nt de monbonheur. Je lui rappelai notre conversation sur Doraet les rserves qu'il avait faites cette poque. Enfin jelui soumis le dernier message et il le regarda attentivement.- Voulez-vous, me dit-il, que nous interrogions nosguides?je lui rpondis:- Je vous en serai trs reconnaissant.Il me demanda de lui laisser le papier, ce que je fisnon sans une vive rpugnance. Mais je comprenais quece support accroissait les chances d'identification.La sance hebdomadaire devait avoir lieu le lendemain soir. M. Aristide m'avait pri d'y assister. Je nem'en sentis pas le courage. Comme ces sortes de runionsne se terminaient gure avant minuit, je dus attendreau lendemain pour connatre le rsultat. A neuf heuresdu matin j'tais chez M. Aristide. Celui-ci brandit lemessage ultime en disant:- Dora n'est plus dans l'astral 1je le pressai de questions, mais il n'en savait pasdavantage. Il prcisa seulement que ses guides avaientrecherch Dora en vain. Tiburce avait mme dit: Elleest certainement rincarne, sans quoi elle eQt rpondu notre appel. IlAinsi, c'tait donc vrai. Il ne restait d'elle aucunetrace. Cela m'atteignit au plus profond de ma sensibilit. je quittai le vieil homme tristement, et il me dit:- Ne vous dcouragez pas. Ce qui vous est proposn'est pas au-dessus de vos forces. Acceptez dignementl'preuve, et la douleur vous ennoblira..-

    J'ai souvent rflchi ces paroles. je sais maintenantqu'elles sont l'expression de la vrit. Nul tre n'estrellement accompli s'il n'a pass au feu de la souffranceet n'en est sorti pur. Mais comment, vingt ans,

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    54 LES RINCARNATIONS DE DORA THODORA 55aurais-je accept ce qui me paraissait inacceptable?J'tais l'ge des grandes exigences d'me et de corps.Pour moi le monde se ramenait moi-mme et j'eussedonn des peuplades entires pour la satisfaction demon dsir. Tous mes contemporains couraient aprs deshochets tels .qu'argent, honneurs, russite et ne convoitaient la femme que pour la moins noble des chosesqu'elle peut donner. Au lieu que moi je mettais laFemme part, comme un ange descendu dans la vie,une sorte d'instrument rare dont seuls les virtuosessavent se servir. Je n'ignore pas qu'en la potisant ainsije faisais le procs. de trop de femmes di1frentes etincapables de souponner leur vritable destination. Etcependant, plus j'y pense aujourd'hui, plus je suiscertain du rle divin de la Femme si seulement elleprend conscience de son charme profond. Car ce n'~tpas seulement d'agrables contours qu'est faite la beautfmnine, mais bien plus encore de je ne sais quelle grcemystrieuse, ne de ses gestes et de sa voix. Il m'estarriv d'entendre rire une femme que je n'ai jamais vueet d'en garder dans l'me un frisson de souvenance.Volupt musicale et qui serait toute pure s'il ne s'ymlait cependant quelque matrielle vocation.En ralit une femme n'est jamais pour moi, ni pourles vrais amoureux de la Femme, uniquement ce qu'ellecroit tre ni peut-tre mme ce qu'elle est. Elle s'accroit,. en effet, se grandit et se transfigure de tout et par toutce que l'admiration de l'homme met autour. Autrementdit, la femme aime n'est pas un chiffre mais unesomme, le merveilleux total d'apptits idaliss. Puisqueles dieux s'en prenaient, pourquoi le simple mortel sefQt-il soustrait cet assemblage unique qu'est le mirado:fminin dans son attrayante complexit?On conviendra que, plus que nul autre, j'tais l'hommede ces apothoses de la pense et que plus que tout autreje construisais en moi-mme de la beaut. Il ne mefallait qu'un objet, fQt-ce une statue inanime, et j'enfaisais la vie triomphante avec ses prolongements intrieurs. A plus forte raison devais-je transposer dansl'incomparable une figure idale comme celle de Dora.Cet amour astral sans impuret dpassait les amours

    "

    mdiocres de la terre et je n'avais eu qu' me laisserporter et le suivre pour m'envoler vers les hauteurs.Je me repentais de l'avoir bris, de lui avoir couples ailes, et pourtant je ne regrettais pas de l'avoir faitdescendre jusqu' moi.\ Ce n'est pas la premire anne qui suivit la disparitionde Dora que je fis ces rflexions mais aprs de longsmois de peine durant lesquels je me rvoltai contrel'impitoyable justice des vnements. Au bout de troisans, mon cur, sans tre pacifi, acceptait plus froidement la vie. Ma plaie devenait moins sensible mesurequ'elle tait moins fraiche. j'tais en voie de cicatrisation.Le souvenir de Dora s'estompait dans ma mmoire,. etau lieu de m'accuser d'ingratitude je reconnaissais qu'aufond rien n'existait de son image que p