Berberie Tome III

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    HISTOIRE

    DE

    LAFRIQUE SEPTENTRIONALE(BERBRIE)

    DEPUIS LES TEMPS LES PLUS RECULS

    JUSQU LA CONQUTE FRANAISE (1830)

    PAR

    Ernest MERCIER

    TOME TROISIME

    PARIS

    ERNEST LEROUX DITEUR

    28, RUE BONAPARTE, 28

    1868

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    HISTOIRE DE LAFRIQUE

    Livre numris en mode texte par :Alain Spenatto.

    1, rue du Puy Griou. 15000 AURILLAC.

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    HISTOIRE

    DE LAFRIQUE SEPTENTRIONALE(BERBRIE)

    QUATRIME PARTIE

    PRIODE TURQUE ET CHRIFIENNE

    1515-1830

    CHAPITRE PREMIER

    TAT DE LAFRIQUE SEPTENTRIONALE AUCOMMENCEMENT DU XVIe SICLE

    Affaiblissement des empires berbres. Formation de nou-

    velles provinces et de petites royauts indpendantes ; fodalitindigne et marabouts, Puissance de lempire turc. Les chrifsmarocains. tat de lEspagne. tat de lAfrique Septentrionale.

    Cyrnaque et Tripolitaine. Tunisie. Province de Constantine. Pro-vince dAlger. Province dOran.Magrab. Notice sur les chrifshassani et saadiens. Rsum de la situation. Progrs de lascience en Berbrie ; les grands docteurs ; le Soufisme ; les confr-ries de Khouan.

    AFFAIBLISSEMENT DES EMPIRES BERBRES. Avecle XVIe sicle, la Berbrie est entre dans une phase nouvelle.

    Dcors et acteurs, tout change, et, comme prlude, le chrtienabhorr sempare dOran, de Bougie, de Tripoli, de presque tout lelittoral marocain de la Mditerrane et de lOcan; il sy installeen matre, tient Alger sous le feu de ses canons, et a reu la sou-mission de Dellis, de Tens, de Mostaganem et de bien dautresplaces. Ainsi, de ces puissants empires qui ont maintenu lAfriqueseptentrionale courbe sous le joug de Berbres rgnrs : lesAlmoravides, les Almohades, les Merinides, les Abd-el-Ouadites,

    les Hafsides, il ne reste que le souvenir, car les tristes descendants deces trois dernires dynasties achvent de mourir, non seulement sansgloire, mais trop souvent sans dignit : celui de Tlemcen est dj venu Burgos apporter humblement sa soumission au roi catholique et

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    implorer son appui, cest--dire une honteuse tutelle ; celui deTunis ne tardera pas limiter. Quant lempire de Fs, il se dissoutdans limpuissance rsultant des comptitions et de lanarchie. Apeine ces sultans ont-ils conserv quelque autorit dans les villes de

    lintrieur; le reste de lempire nobit plus personne. En un mot,toutes ces dynasties sont caduques et se survivent.

    Cest que lunit de la race berbre, qui, malheureusement pour elle, na jamais t bien complte, sest miette, et sestfondue au cours des longues annes de guerres intestines que nousavons retraces dans les volumes prcdents. Llment arabe-hila-lien, par son introduction il y a cinq sicles, a rompu, modifi, dis-pers, grce une action lente, llment indigne, qui cependant

    la absorb, mais ne se retrouve ou ne se reconnat que dans lesmontagnes leves et dans lextrme sud ; partout ailleurs, il nya plus ni Berbres, ni Hilaliens, mais seulement une populationhybride, qui, en maints endroits, va prendre ou a dj pris de nou-veaux noms(1).

    FORMATION DE NOUVELLES PROVINCES ET DEPETITES ROYAUTS INDPENDANTES. FODALITINDIGNE ET MARABOUTS. Le pays lui-mme tend aufractionnement, et de nouvelles provinces, de nouvelles capitales,

    de nouveaux chefs-lieux vont avoir leur vie propre. Lautorit deces gouvernements, tant plus faible, ne pourra stendre aussiloin, et partout, au sein de celte anarchie, se formeront de petitesroyauts: Touggourt, en plein Sahara, comme Koukou dans laGrande-Kabylie, et les matres de ces dmocraties prendront le titrede sultan ou de roi. Ailleurs, les chefs des grandes tribus rnoves,mirs, jouant au sultan, viendront dans les vieilles cits royales,comme Constantine, dont ils se sont rigs les protecteurs, exiger

    des descendants de leurs anciens matres le tribut du vasselage.Cest une vritable fodalit qui se fonde ; et cependant, dans cesvilles, quelles se nomment Tunis, Karouan, Constantine, Tlemcenou Fs, fleurissent des coles de savants remarquables ; mais, cestl le seul reste de leur ancienne splendeur, et, dans un tel moment,ce genre de supriorit na gure dutilit pratique. Les maraboutscommencent A former, dans les campagnes, des centres religieuxdont linfluence sera autrement importante.

    Lislamisme est donc en pril dans lAfrique du Nord. La chr-

    tient, entrane par un puissant empereur, va sans doute reprendre____________________

    1. Nous nous sommes appliqu, dans le 2e volume, suivre pas pascette transformation. (Voir ses tables.)

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    pied mur ces rivages, et la civilisation refleurira dans ce Tell oelle a brill dun si vif clat, dix sicles auparavant, Hlas, pasencore! Les guerres acharnes, les rivalits des nations chrifienneset aussi les dcouvertes et les conqutes de lAmrique dfourne-ront, encore une fois, de lAfrique lattention de lEurope et per-mettront une puissance trangre de recueillir sans peine le fruitdes efforts raliss, depuis cinquante ans, par les Espagnols et lesPortugais.

    PUISSANCE DE LEMPIRE TURC. Cette puissancenouvelle est celle des Turcs, dont nous avons suivi de loin le dve-loppement. Aprs avoir failli tre dtruits par Timour, ils nont pastard relever la tte. Mohammed I a rendu lempire ottoman son

    clat, et bientt Mourad II sest lanc dans les provinces danubien-nes, a menac la Hongrie et envelopp Constantinople. En 1453,Mohammed II, son fils, prend dassaut cette mtropole et met fin lempire dOrient. La conqute de la Grce et de la More, de laBosnie, de lIllyrie, de la plupart des les de larchipel, suit cettevictoire. LItalie est menace, mais Rhodes retient les Turcs par saglorieuse rsistance, et le grand conqurant meurt, en laissant unesuccession dispute par ses deux fils (1481). Cependant Selim I, quiparait avoir hrit des qualits guerrires de son grand-pre, montesur le trne en 1512, et lre des grandes conqutes, interrompuedepuis trente ans, venait. Il sempare dabord dune partie de laPerse, du Diarbekir et du Kurdistan, et menace la Syrie, lArabieet lgypte. Lorsquil aura ainsi assur ses frontires au Midi et lEst, il se tournera vers lOccident. Ainsi le jeune empire turc estencore dans la priode ascendante, et sa puissance na pas atteinttout son rayonnement(1).

    LES CHRIFS MAROCAINS. A loppos, dans la rgion

    saharienne du Maroc, do sont partis presque tous les maraboutsqui se sont rpandus depuis deux sicles dans la Berbrie, desArabes, se disant Chrifs, descendants de Mahomet, ont acquis unegrande autorit indpendante et lutt, pour leur compte, quelque-fois avec succs, contre les Portugais tablis sur le littoral ocanien;ils se prparent renverser les Merinides et prendre en main legouvernement de lempire du Magreb. Nous rsumons plus loinleur histoire(2).

    ___________________

    1. EI-Karouani, p. 305 et suiv. Mallouf, Prcis de lhistoire otto-mane, p. 19 et suiv.

    2. Mochet-el-Hadi, texte arabe de Mohammed-el-Oufrani, publi parM. Houdas (Leroux 1888), p. 3 et suiv. du texte arabe, 5 et suiv.

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    TAT DE LESPAGNE. - La mort prmature dIsabelle,le rgne de Jeanne, lintroduction des Flamands en Espagne, et,enfin, le second mariage de Ferdinand, avaient enray, presquedtruit, luvre dunification commence pur les rois catho-

    liques. Cependant, Philippe tant mort, et Jeanne incapable dergner, Ferdinand revint de Naples en Espagne et se fit dcernerde nouveau la rgence, quil exera au nom de son petit-fils, Char-les, prince rgnant, lev en Flandre sous la direction de Maximi-lien, tandis que Ferdinand, fils pun de Philippe, restait en Espagne,jouissant de la tendresse et des prfrences de son aeul. Nous avonsvu le grand rle jou par Jimnez, cardinal dEspagne, dans la direc-tion des affaires de la Castille, durant labsence du roi dAragon,

    et les conditions dans lesquelles il stait rsign la retraite. Ferdi-nand entendait, en effet, gouverner seul le double royaume.En 1512, la suite de la mort de Gaston de Foix, les Franais

    furent chasss de lItalie; Ferdinand arrachait ensuite la Navarre Jean dAlbret, et celui-ci navait dautre ressource que de rcla-mer le secours de la France. Franois, duc dAngoulme, futur roi,ayant conduit une expdition dans le but de le rtablir sur son trne,entreprit une campagne, qui aboutit un dsastre dont la valle deRoncevaux, dj fatale nos armes, fut le thtre.

    Peu de tempe aprs, Ferdinand, abreuv dennuis et de cha-grins domestiques, rempli de craintes pour lavenir, rendait lme(22 janvier 1516). Il navait pu empcher son petit-fils Charles deprendre la couronne de Castille, quil aurait tant dsir voir passersur la tte de Ferdinand, frre de ce dernier, mais il chargeait desa tutelle le vieux Jimnez, g alors de quatre-vingts ans. LAra-gon et Naples taient lgus par lui sa fille, Jeanne la folle, avecretour, aprs elle, la couronne de Castille. Le cardinal, malgr son

    grand ge, accepta courageusement cette nouvelle charge, quil dutse rsoudre partager avec Adrien dUtrecht, prcepteur de Char-les, destin occuper le trne de Saint-Pierre. Quant Charles V,alors g de seize ans, il tenait sa cour Bruxelles, et rien ne pou-vait faire deviner en lui le grand empereur qui devait dominer leseizime sicle, runir sur sa tte neuf couronnes et essayer dten-dre la main sur la Berbrie.

    Vers le mme temps, la France voyait aussi un changement desouverain: Franois Ier, futur rival de Charles-Quint, montait sur le

    ____________________traduction de M. Houdas (Leroux, 1889): excellent ouvrage qui claire com-

    pltement cette priode de lhistoire du Maroc. Abb Godard. Histoire duMaroc, pass. Digo de Torrs, Histoire des Chrifs, p. 7 et s.

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    trne, et, comme prlude de leur rupture, ou plutt comme gage delabandon des droits de la France sur les Deux-Siciles, on fianait ce dernier la jeune fille de celui qui devait tre le vaincu de Pavie.

    Enfi

    n les Maures rests en Espagne (Morisques), en sacrifi

    antleur loi, commenaient se rvolter contre les tracasseries dont ilstaient lobjet; ils allaient traverser encore de dures preuves, per-scution aussi impolitique quimmrite, et, pousss bout, causerde graves embarras au gouvernement espagnol(1).

    TAT DE LAFRIQUE SEPTENTRIONALE. Examinonsmaintenant la situation de lAfrique septentrionale, en passant enrevue chaque rgion isolment. Cyrnaque et Tripolitaine. De la Cyrnaque nousne dirons plus rien: cest un pays qui nous chappe, en raisonde son loignement, et qui demeure livr lui-mme dans uneindpendance pour ainsi dire absolue.

    Lhistoire de Tripoli nous est mieux connue, Vers la fin duXVe sicle, la population de cette ville, sur laquelle les souverainshafsides de Tunis ne peuvent plus exercer daction, se dclare libre,et ses chefs, pour couvrir leur usurpation, se rattachent par une sou-mission nominale aux sultans merinides. En ralit, cest le vieilesprit communaliste berbre qui sy est rveill, et, de 1460 1510,la capitale des Syrtes obit un conseil de notables, lus, sansdoute, et prsids par un cheikh. Nous avons vu quen 1510, lesEspagnols, sous le commandement de Navarro, sen sont empars,non sans lutte, et que Tripoli a t ras par les vainqueurs, Remise,lanne suivante, au reprsentant du vice-roi de Sicile, cette vieillecit ne tardait pas se relever de ses ruines.

    Les tribus arabes hiluliennes de la famille de Solem domi-naient toujours dans les rgions environnantes, mais elles avaientsubi la loi commune en se laissant absorber par la population indi-gne, tandis que, dans le Djebel Nefoua, au sud, et lle de Djerba,au nord-ouest, le vieux sang berbre se maintenait intact, sous lagarde de lhrsie Kharedjite : tels taient ces sectaires lpoquedAbou-Yezid, au XIIe sicle, tels ils se trouvaient su XVIe; telsnous les rencontrons de nos jours(2). Tunisie. Le sultan Abou-Abd-Allah-Mohammed occupait

    ____________________1. Rosseuw Saint-Hilaire, Histoire dEspagne, t. VII, pass.2.Annales Tripolitaines (Fraud), Revue afric, n159 p. 207 et suiv. El

    Karouani, p. 269 et suiv. - Cheikh-Bou-Ras, pass.

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    toujours, Tunis, le trne hafside. Mais sa puissance ne stendaitgure au del de cette ville et nous avons dit de quelle faon il cher-cha se procurer de nouvelles ressources en fournissant son appui Aroudj et son frre.

    Tout lintrieur de la Tunisie tait livr aux Arabes. Ctaientdabord les Chabbn ou Chabba, chefs religieux dune fractiondes Mohelhel, qui avaient form auprs de Karouan, Chabba,une, vritable royaut, et dominaient en matres jusquaux portes deTunis et, vers louest, jusqu la province de Constantine, dont lestribus limitrophes taient leurs vassales. Des aventuriers de touteorigine fournissaient leur appui aux Chabba, toujours hospitalierspour les brigands, do quils vinssent.

    Derrire eux taient les Oulad-Sad, autres Arabes dont nousavons souvent parl, pillards incorrigibles, mis hors la loi par legouvernement hafside et exclus du corps des musulmans par leslgistes, qui assimilaient la guerre sainte toute campagne entre-prise contre eux.

    Les villes du littoral oriental, comme celles du Djerid, avaientrepris leur autonomie et vivaient sous lgide de leurs vieilles institu-tions municipales, la condition de payer aux Arabes, leurs protec-

    teurs, les redevances et charges que ceux-ci leur imposaient(1). Province de Constantine. - Bougie tait aux mains des Espa-gnols depuis 1510, et Djidjeli occupe par les corsaires turcs. AConstantine, commandait un prince hafside, le plus souvent ind- pendant et dont lautorit ntait gure reconnue qu Bne, Collo, et dans la rgion intermdiaire. Toutes les plaines et les pla-teaux de lest obissaient celle forte tribu berbre arabise dontnous avons indiqu les transformations, les Houara, devenus les

    Henanecha, ayant leur tte la famille fodale des Harar, recon-naissant alors la suzerainet des Chabba de Tunisie. Les Nemam-cha, dans la direction de Tebessa, et les Harakta, dans la rgionde la ville actuelle dAn-Beda, tribus analogues comme origineet formation celle des Henanecha. appuyaient celle-ci au sud;tandis qu louest, prs de Constantine, se trouvaient les restesdun groupe arabe hilalien, les Drd, fort affaiblis, et destins disparatre avant peu. Dans le Djebel-Aours, llment berbre

    Znte avait repris une indpendance presque complte, et ces____________________

    1. El-Karouani, p. 267 et suiv. Annales Tunisiennes (par Rousseau),p. 12 et suiv. Fraud,Les Harars (Revue afric., n103 107).

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    indignes taient dsigns sous le nom gnrique de Chaoua (pas-teurs).

    Le Zab, le Hodna et les parties montagneuses qui stendentau nord de ces rgions, taient matin la domination des ArabesDaouaouda, commands par la famille fodale des Bou-Aokkaz,dont un membre portait le titre de Cheikh des Arabes. Une de leursprincipales fractions, celle des Oulad-Saoula, dominait particuli-rement Constantine, Les autres Daouaouda venaient, poquesfixes, y chercher les redevances quils exigeaient de toutes les villesde la rgion moyenne du Tel et des Oasis.

    Dans la plaine, stendant louest de Constantine, les restesde la tribu des Sedoukech staient transforms en sarabisant, et

    avaient pris ou allaient prendre de nouveaux noms (Abd-en-Nour,Telarma, etc.).

    Toute la rgion montagneuse stendant au sud de Bougie etde Djidjeli, occupe par des populations kabyles, avait recouvr salibert. Mais, sur la lisire de la plaine de la Medjana, une famillefodale, ayant pour chef cet Abd-el-Aziz dont nous avons parldans le volume prcdent, et qui devait tre lanctre des Mokrani,avait fond une vritable royaut la Kala des Beni-Abbs.

    Enfin, dans lextrme sud, Touggourt, chef-lieu de le rgiondoasis do lOuad-Rir, une dynastie, celle des Ben-Djellab, dontlanctre parait avoir t un plerin venu de lOuest, ou peut-tre ungouverneur merinide, stait tablie et tenait sous son autorit cescontres sahariennes(1).

    Province dAlger. Nous savons que les Espagnols avaientoccup un lot, le Peon, dans le port mme dAlger, et quilsavaient reu la soumission des autres villes maritimes de la pro-

    vince. Depuis laffaiblissement de lautorit zeyanite, Alger avaitreconquis son indpendance municipale; mais les Thaleba, cesArabes mkiliens dont nous avons indiqu pas pas la marche,ayant fini par atteindre la Mitidja, y avaient tabli leur dominationen expulsant les Berbres Mellikch, leurs prdcesseurs. Ce rsultatavait t obtenu en dpit des dfaites et des rpressions eux infliges

    ____________________1. Fraud, Les Harars (loc. cit.). Le mme, An-Beda (Revue afri-

    caine, n 96). Le mme, Les Ben-Djellab (Revue afric., n 136). Le

    mme. Histoire de Bougie (Recueil de la Soc. archol. de Constantine, vol.XII). Le mme. Histoire de Djidjeli (Ibid., vol. XIV). Le mme, Noticesur les Abd-en-Nour et sur les tribus de la province de Constantine (Ibid.,1864 et vol. XIII).

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    par les souverains zeyanites, notamment par Abou Hammou II,Matres de la Mitidja, ces Arabes devaient ltre dAlger; il est probable quils se contentrent dabord dexiger des tributs etredevances ; mais, lpoque par nous atteinte, leur cheikh, Salem-et-Toumi, avait quitt la vie de la tente pour sinstaller an souveraindans la ville, fait bien digne de remarque et qui indique quel degrde faiblesse la population locale tait tombe.

    Dans la Grande-Kabylie, une nouvelle dynastie, rivale decelle des seigneurs de la Kala des Beni-Abbs, stait fonde Koukou, au cur mme des montagnes du Djerdjera, et son chef,Ahmed-ben-el-Kadi, avait pris le titre de sultan et commandait auxpopulations belliqueuses de celte rgion.

    A loppos, Tns a un cheikh, Moula-Abd-Allah, descen-dant de Mendil, qui prend aussi la litre de roi et sest reconnu tribu-taire de lEspagne.

    Le groupe des tribus zentes de la famille des Toudjine, quiavait occup le massif de lOuarensenis, et, de l, les montagnessitues au nord du Chelif, o ses rameaux staient fondus oumlangs avec les anciens Magraoua, vivait dans lindpendancela plus complte(1). Province dOran. - Nous avons vu dans quelles conditionsles Espagnols se sont tablis Oran et ont commenc des coursesdans lintrieur, portant leurs armes victorieuses jusquau Djebel-Amour.

    Lmir de Tlemcen, Abou-Abd-Allah-Mohammed, devenu levassal du roi catholique, est contraint, par le trait quil a souscrit,de fournir aux garnisons dOran et de Mers-el-Kebir les vivresncessaires. Dshonor par cette humiliation, il est sans force danssa propre capitale, honni et mpris de tous, de plus, sans ressour-

    ces, ce qui loblige craser dimpts ses sujets ou permettrele pillage des Juifs. Dans ces conditions, le commerce avec lestrangers et avec lextrme sud, qui a rendu autrefois Tlemcen siprospre, cesse et les fondoucks se ferment, car ces transactionsne peuvent subsister quen sappuyant sur la scurit. Si ce ntaitla protection des Espagnols dOran, dont le chef porte le titre deCapitaine gnral de la ville dOran, de Mers-el-Kebir et du

    __________________1.Hado, Rois dAlger (traduction de Grammont), Revue afric., n139,

    p. 53. Sander-Rang, Fondation de la rgence dAlger, t I, p. 80 et suiv. De Grammont, Hist. dAlger, p. 22 et suiv. Chronique des Barberousse, deF. Lopes Gomara. Lettres arabes relatives loccupation espagnole (Revueafric., n 100, p. 114 et suiv.)

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    royaume de Tlemcen, le triste rgne du descendant da Yarmora-cen ne tarderait pas prendre fin. Du reste, ses jours, sont comptset il doit mourir naturellement en 1516.

    Les Espagnols, avons-nous dit, parcourent en matres la pro-vince dOran. Ils ont adopt le systme de la razia, et sont assis-ts dans leurs expditions par des indignes dj soumis et quilsappellent moros de paz; mais ces courses aventureuses ne sontpas toujours fructueuses et lon na pas Oubli le terrible chec dela razia de Fistel(1). Maroc (Magreb). - LEspagne et le Portugal occupaient pres-que tous les ports de la Mditerrane et de lOcan. Azemmor, lebassin infrieur de lOum-er-Reba et le littoral du Sous taient tri-

    butaires du Portugal, qui en retirait des revenus importants. Cepen-dant, Fs, la souverain merinide (de la branche des Beni Ouattas)assistait, impuissant, ces conqutes du chrtien en Afrique. Sacapitale et les environs, voil ce qui lui restait du vaste empirefond par Abd-el-Hakk, et encore, y tait-il peine en scurit,menac sans cesse par des intrigues de palais et les comptitionsde ses parents. La province de Maroc avait d tre cde par lui un tributaire, Moula-Nacer-ben-Gantouf, des Hentata, alli aux

    Merinides.Mais, si son royaume tait ainsi entam au nord et louest par le chrtien, il avait cess de lui appartenir dans le sud pourpasser aux mains des chrifs.

    NOTICE SUR LES CHRIFS HASSANI ET SAADIENS Vers la fin du XIIIe sicle, des plerins du Magreb, conduits par unEmir-er-Rekeb, originaire de Sidjilmassa, se lirent Yenboue, portde lImen, avec des chrifs descendants dAli, gendre du prophte.

    On sait, en effet, que Mahomet avait donn cette ville enfi

    ef Aliet que les chrifs de Yenboue prtendent tre de sa postrit. Ils leurvantrent tellement la richesse de Sidjilmassa quils en dcidrentplusieurs les suivre. Lun deux, El-Hassan-ben-Kassem, se fixa Sidjilmassa, que nous appellerons bientt Tafilala, et ses enfantsse multiplirent en grand nombre dans la contre. Il est lanctredes chrifs Hassani, ou Filali, de Sidjilmassa, dont un descendantoccupe encore le trne de Fs. Un autre se fixa dans la valle de

    ____________________

    1. Inscriptions dOran et de Mers-el-Kebir, par le gnral de Sandoval(Rev. afric., n 87 95). Complment de lhistoire des Beni-Zeiyan, parlabb Bargs, p. 418 et suiv. Suars, Mres-el-Kebir et Oran, par Berbrug-ger (Rev. afric., n 52 61).

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    lOuad-Dera et y forma la souche des chrifs Saadiens. Des gna-logistes ont prtendu que son origine ntait pas absolument prcise,en tant que chrif, descendant du prophte. Mais ses contemporainsla tinrent pour tel et cela ne nous offre quun intrt secondaire.

    Les chrifs saadiens vcurent dans la plus complte obscurit jusquevers le commencement du XVIe sicle. Ils eurent alors pour chef uncertain Abou-Abd-Allah-Mohammed, qui se fit appelerEl-Kam-hi-

    Amr-Allah, surnom significatif qui peut se traduire de deux manires:celui qui excute lordre de Dieu ou celui qui se lve par lordre de

    Dieu. Or, se lever, dans celle acception, signifie : se rvolter.Il avait accompli le plerinage de la Mekke, stait li avec

    un grand nombre de savants et avait acquis un certain renom dans

    les contres mridionales du Magreb jusqu Maroc. Les victoires.des Portugais sur le littoral ocanien, leur occupation de postesdans le Sous, avaient eu un dplorable retentissement chez les fid-les, dautant plus que la faiblesse du sultan merinide ne pourraitlaisser aucun espoir de revanche. Ce prince cherchait, avant tout, protger le nord-ouest : Tanger, Acila, El-Arach, Badis, et ctait plus que suffisant pour labsorber. Quant au Sous, il demeuraitabandonn lui-mme, bien que relevant nominalement du chefde Maroc. Les habitants de cette province, diviss et sans chef, se

    rendirent alors auprs dun de leurs plus saints marabouts nommBen-Mebarek, pour le prier de se mettre leur tte et de les con-duire contre lennemi, Mais le santon sy refusa et leur dit : Il y a Tagmadarte, dans le pays de Dera, un chrif prdisant quunegrande gloire est rserve ses deux fils. Adressez-vous lui, et vosdsirs seront combls !

    Vers la mme poque, un personnage du Sous, nomm Sidi-Barkate, qui avait eu des relations avec les Portugais pour lchangedes prisonniers, proposa ceux-ci une transaction, par laquelle onne devait plus, de part et dautre, faire des prisonniers ; mais leschrtiens ne pouvaient traiter avec un chef sans mandat. Cest pour-quoi les gens du Sous allrent lOued-Dera, et firent si bien quils ramenrent les chrifs Abou-Abd-Allah-el-Kam et ses deux filsAbou-lAbbas et Mohammed-el-Mehdi (vers 1509).

    Abou-Abd-Allah rendit visite au marabout Ben-Mebarek Agg, dans le Sous-el-Aka : peu aprs, il reut les dputations destribus lui offrant leur soumission, et notamment des Masmouda

    du Grand Atlas. En 1511, Tedci, prs de Taroudent, les popula-tions du Sous lui prtrent le serment de fidlit. Aussitt, le chrifmarche, suivi dune foule nombreuse, contre les musulmans soumisaux Portugais ; puis il attaque les chrtiens et leur livre plusieurs

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    combats o il obtient lavantage. Ces succs, aprs tant de dfaites,eurent un retentissement considrable et lui attirrent de nombreuxpartisans.

    A la suite de discussions survenues avec des cheikhs locaux,

    Abou-Abd-Allah-el-Kam retourna dans le pays de Dera, mais sesanciens compagnons tant venus ly chercher, il les invita recon-natre comme chef, son fils an, Abou-lAbbas-Ahmed-el-Aradj,ce quils firent (1512). Ce prince multiplia les attaques contre lesPortugais dAzemmor et de Safi. Mais Fernand dAltade, gouver-neur de Safi, et Pedro de Soua, gouverneur dAzemmor, soutenuspar les chefs indignes Yaha et Memoun, rsistrent, avec avan-tage aux efforts des Marabouts et leurfirent prouver des pertessensibles. Sur ces entrefaites, les gens du Haha et du Chiadmadputrent leurs cheikhs Abou-Abd-Allah-el-Kam pour lappe-ler chez eux. Cdant encore leurs instances, le chrif se rendit Afoural avec son fils an, en laissant dans le Sous son secondfils, Mohammed-el-Mehdi, charg de le reprsenter et dy mainte-nir son autorit. Taroudent devint la capitale de celui-ci (1515)(1).

    RSUM DE LA SITUATION. Le tableau que nousvenons de prsenter de la Berbrie, vers 1515, montre quel degrdanarchie est tombe la population musulmane, et combien lauto-

    rit y est miette. Cest une priode de transition, dcisive pourlhistoire dun peuple, car il nen peut sortir que par une rnova-tion ou par lasservissement. Or, la rnovation nest possible quecomme consquence de deux puissants mobiles : un profond sen-timent national ou une rforme religieuse, et ne se manifeste parconsquent que dans certaines conditions de temps ou de milieu.Lasservissement est donc fatal, et, au moment o le chrtiensemble sur le point d le raliser son profit, cest le Turc qui va,sans peine et sans grands efforts, se rendre matre de la majeure

    partie du pays, tandis que les chrifs sapproprieront le Magreb.Certes, on peut reprocher aux Turcs leurs principes et leurs procds de gouvernement, mais personne ne mconnatra leurgnie, dans cette circonstance, et chacun admirera avec quelle intel-ligence pratique ils ont compris la situation et tir parti de leursfaibles moyens daction, ce qui a eu comme consquence de sous-traire, pour trois sicles, la Berbrie la domination des puissanceschrtiennes.

    Tel est le service quils ont rendu lIslam. Il ne nous appar-____________________

    1. Mozhzt-el-Hadi, p. 4 et suiv. du texte arabe, 8 et suiv. de la tra-duction Houdas. Abb Godard,Hist. du .Maroc, p. 417 et suiv. Digo deTorrs,Hist. des Chrifs, p. 25 et suiv.

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    12 HISTOIRE DE LAFRIQUE

    tient pas de leur en savoir gr, mais limpartialit forcera encorede reconnatre quen un nombre dannes relativement peu grand,ils ont, expuls les Espagnols de leurs conqutes, courb sous leurjoug tous les roitelets, les chefs de tribu et les fauteurs de discorde

    qui se disputaient le pouvoir, et rtabli, avec la scurit, une admi-nistration quasi rgulire.

    PROGRS DE LA SCIENCE EN BERBRIE. LESGRANDS DOCTEURS. LE SOUFISME. LES CONFRRIES. Nous avons, par systme, laiss dans lombre la situation scientifi-que et littraire dont le vaste champ dtude ne serait pas en rapportavec le cadre de ce prcis; mais nous ne pouvons nous dispenser defaire ressortir, avant de reprendre le rcit purement historique, ltat

    de la Berbrie, par rapport au mouvement religieux qui sest oprdans les annes prcdentes.Disons dabord que la science musulmane, caractrise par

    ltude de 1a religion et du droit qui en dpend, sest propagejusque dans les plus petites bourgades et a fait pntrer la pratiquedes doctrines et du rite de Malek dans lextrme sud. Les grandescoles du moyen ge, qui ont illustr certaines cits de lEspagne etde lAfrique, nexistent plus, mais il sen est form partout, mmedans les villes secondaires, telles que Ceuta, Tens, Mazouna, et

    tant dautres petites coles dont les lgistes ne sont pas sans renomni sans valeur ; de l celle unit si remarquable dans la pratiquede la religion et de la loi musulmane en Berbrie. Tenboktou, lacapitale du Soudan, avait aussi son cole, et ce ntait pas la moinsbrillante : trois gnrations de lgistes ngres, les Ben-Baba, lillus-trrent. Cest donc avec raison que Cherbonneau a dit ce sujet :On peut conclure que, pendant les XIVe, XVe et XVIe sicles, lacivilisation et les sciences florissaient au mme degr sur presque

    tous les pointe du continent que nous tudions ; quil nexiste peut-tre pas une ville, pas une oasis, quelles naient marques de leurempreinte ineffaable(1).

    Sans nous arrter aux grands historiens du XIVe et du XVesicles, Abd-er-Rahman Ibn-Khaldoun, lauteur auquel nous avonstant emprunt, son frre Yaha; historien des Beni-Zeyane ; limam Et-Tensi, dune famille originaire de Tens, comme son nom lindique;Ibn-Konfoud, de Constantine, et tant dautres, non plus qu Kala-adi, quon a surnomm le dernier mathmaticien de lEspagne et

    qui vintfinir ses jours en Tunisie, o il avait tudi et profess (1486),____________________

    1. Essai sur la littrature arabe au Soudan (Rec. de la Soc. archol. deConstantine, 1854-55, p. 1 et suiv.)

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    LAFRIQUE SEPTENTRIONALE AU XVIe SICLE 13

    nous parlerons particulirement des lgistes et auteurs douvragesreligieux qui ont t les fondateurs des sectes actuelles ou lesmodles des marabouts dont le rle va intervenir puissamment.

    Citons dabord Ibn-Merzoug, savant lgiste du XIVe sicle,

    ayant rsid, pour la plus grande partie de sa vie, Tlemcen, osa famille a fourni des lgistes remarquables pendant deux centsans et qui a eu lhonneur de former le grand aptre du Soufisme,le cheikh Mohammed-Es-Senoussi. Ce docteur naquit Tlemcenvers 1427, dune famille originaire des Beni Senous, et profita desleons du fameux Ben-Zegri et du non moins illustre Abd-er-Rah-mam-Et-Thalebi, dont nous parlerons plus loin. Il mourut dans saville natale en 1490, et on ne doit pas le confondre avec le fondateur

    de la secte toute nouvelle des Senoussiya.Le Soufisme, dorigine orientale, drive de la doctrine duTouhid, ou unit absolue de Dieu absorbant tout. Cest la rgle dela suppression volontaire de lindividualit pour se concentrer enDieu et bannir toute pense de joie, toute proccupation terrestre. Lesoufi doit tre vtu dune laine grossire (Souf), mot qui parait trela vritable tymologie de cette appellation, et vivre en ascte dansla prire et lextase, jusquau jour o il plaira Dieu de le rappeler lui. Cest la doctrine du fatalisme, oppose celle du libre arbitre,

    que la secte des Kadra avait soutenue non sans clat : Cette doc-trine (le Soufisme), - a dit excellemment Brosselard(1), est-elleautre chose que le fatalisme mitig, devant aboutir ncessairement,par labaissement des caractres et laffaiblissement des volonts,au fatalisme sans mlange, cest--dire labdication de soi et la dgradation de la raison humaine? Cette doctrine est range parles Sonnites au nombre des articles de foi, elle rgne sans partage,depuis plusieurs sicles, au sein de lAfrique musulmane, o elle

    est accepte comme un des principes fondamentaux du dogme. Or,il sagit dune socit o la religion est unie par des liens troits tous les actes de la vie civile et politique. Est-ce donc trop se hasar-der que de voir dans cette rpudiation volontaire du libre-arbitrehumain, une des causes prpondrantes de laffaiblissement socialo en sont rduits les peuples qui en font profession ?

    Les Soufi formaient une confrrie dans laquelle, on ntaitadmis quaprs une initiation et des preuves. Le cheikh Senoussireut louerd, ou initiation, dun des chefs de lordre, Sid Ibrahim-

    et-Tazi, qui lui cracha dans la bouche, selon le rituel, pour lui trans-mettre les vertus propres au soufi. Le nouvel adepte ne tarda pas

    _____________________1.Revue africaine, n 28, p. 254, 255.

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    devenir la chef de la secte et laptre du Soufisme en Berbrie. Ilcrivit de nombreux ouvrages, parmi lesquels son Akida (ou arti-cle de foi), prsent sous diverses formes, a obtenu le plus grandsuccs et se trouve dans toutes les mains. Nul doute que lactiondu Soufisme nait contribu, par le dtachement des choses ter-restres, rpandu dans les esprits, la russite si surprenante desTurcs.

    Un autre mystique de la mme poque fut le docteur Abou-Zed-Abd-er-Rahmane-el-Thalebi, n prs dAlger, en 1385, etse rattachant comme origine aux Arabes Thaleba. Dans sa jeu-nesse, il visita les principales coles du Magreb et de lOrientpour acqurir la science aux meilleures sources; puis il professa

    longtemps Tlemcen, composa un grand nombre douvrages etmourut, en 1471, lge de 70 ans. Les Algriens lui levrentun tombeau et une mosque(1), et, daprs une tradition, son corpsserait galement dans un autre cercueil, dans la tribu des Guech-toula (Grande Kabylie), ce qui lui a valu le surnom de Bou-

    Kabrne (lhomme aux deux tombeaux). Il est le fondateur de lasecte des Khouan de Sidi-Abd-er-Rahmane, si rpandue en Alg-rie, et qui a jou un certain rle dans son histoire, notamment lors

    de la rvolte de 1871.Nous avons tenu indiquer dans quelles conditions les con-frries de Khouan se sont formes et propages en Berbrie. Celledes adeptes de Sidi-Abd-el-Kader-el-Djilani (ou Ghilani) existaitdj, depuis plus de trois sicles, mais elle se rattachait plus parti-culirement aux Fatemides; les nouvelles confrries lui emprunt-rent une partie de ses rites et de ses formules dadmission, tout enayant des tendances diffrentes; mais le rsultat direct de ces asso-ciations a t dachever la destruction de tout lien national et dele remplacer par des affiliations purement religieuses exclusives detoute ide de patrie et soumises limpulsion du chef, qui rsidesouvent il ltranger(2).

    ____________________1. Au-dessus du jardin Marengo.2. Takmilet-Ed-Dibadj, par Abmed-ben-Baba de Tenboktou, pass.

    Cherbonneau,Ecrivains de lAlgrie au moyen-ge (Revue afric., n 79). Brosselard, Inscriptions arabes de Tlemcem (Revue afric., avril 1859, juillet 1861). Cherbonneau, Essai sur la littrature arabe au Soudan

    (Annuaire de la Soc. archol. De Constantine, 1854-55, p. 1 et suiv.), AbbBargs, Complment de lhistoire des Beni-Zeyane, p. 360 et suiv. Arnaud,

    tudes sur le Soufisme (Revue afric.. n 185, p. 350 et suiv. E. Mercier.Notice sur la confrrie des Khouan de Sidi Abd-el-Kader-el-Djilani (1868).

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    CHAPITRE II

    TABLISSEMENT DE LAUTORIT TURQUE EN BERBRIE1515-1530

    Les Algriens appellent Aroudj. - Aroudj sempare de Cherchel etdAlger, o il met mort le cheikh Salem. Expdition infructueusedu Digo de Vra contre Alger. Aroudj sempare de Tens et de toutla pays compris entre cette ville et Alger. Usurpation dAbou-Ham-mou III Tlemcen. Aroudj est appel par les habitants de cette ville.

    Fuite dAbou-Hammou. Aroudj est accueilli Tlemcen comme unlibrateur. Aroudj fait prir Abou-Zeyane et ses parents Tlemcen.

    Les Espagnols semparent de la Kala dos Beni-Rached. Fuite etmort dAroudj. Abou-Hammou est rtabli sur le trne de Tlemcen. Khr-ed-Dine fait hommage du royaume dAlger Selim I et reoit,de lui, des secours. Expdition de Hugo de Moncade contre Alger; sondsastre devant cette ville. Guerre entre Khr-ed-Dine et Ben-el-Kadi. Khr-ed-Dine dfait, se rfugie Djidjeli. Les Kabyles et Ben-el-Kadi matres dAlger. Khr-ed-Dine dfait et tue Ben-el-Kadi, rentreen matre Alger et rtablit son autorit dans la province. Rvoltedans la province de Constantine contre les Turcs. Mort du Hafside

    Moula Mohammed. Usurpation de son fils Hassen. Khr-ed-Dine sempare du Peon et cre le port dAlger.

    LES ALGRIENS APPELLENT AROUDJ. Nous avonslaiss Aroudj, rentrant, la rage dans le cur, Djidjeli, aprs satentative infructueuse, son nouveau dsastre devant Bougie. Khr-ed-Dine, son frre, essaya de rparer leurs pertes en se lanantaudacieusement sur mer, o il fit de nouvelles et importantes cap-

    tures, tandis quAroudj scellait dfi

    nitivement son alliance avecAhmed-bed-el-Kadi, cheikh ou roi de Koukou. Peut-tre avait-ilfait contre lui, dans le cours de lhiver 1515-16, ainsi que laffirmeHado, une expdition dans laquelle les armes feu avaient triom- ph de la valeur des Kabyles mal arms. Mais cela nest rienmoins que prouv; et dans tous les cas, cette alliance dtacha de luiAbd-el-Aziz, chef des Beni-Abbs, qui lavait soutenu jusqualors.Le 22 janvier 1516 eut lieu la mort du souverain catholique, et cet

    vnement produisit en Berbrie une certaine agitation, les indi-gnes se considrant, en gnral, comme dlis des engagementsconsentis vis--vis du dfunt. A Alger surtout, leffervescence futgrande, car la population ntait pas seulement blesse dans ses

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    sentiments par la prsence des Espagnols sur llot du Peon, maiselle se trouvait, par ce fait mme, empche de se livrer lacourse et prive des ressources de celte industrie. Salem-el-Toumi,le cheikh arabe qui y commandait, se laissa alors entraner par unmouvement populaire, solliciter lappui de ces corsaires turcs,dont les prouesses arrivaient Alger sur les ailes de la renomme;une dputation fut envoye Djidjeli et Aroudj la reut avec autantde surprise que de joie, saisissant cette occasion comme un retourinespr de la fortune.

    AROUDJ SEMPARE DE CHERCHEL ET DALGER OIL MET MORT LE CHEIKH SALEM. Aussitt, Aroudj seprpara avec son activit ordinaire marcher sur Alger. Il runit

    tous les navires dont il disposait, au nombre de 15 ou 16 voiles,quil chargea de matriel, de canons et dune partie de ses compa-gnons levantins ; en mme temps, Ben-el-Kadi recevait lordre degrouper ses contingents, puis toutes ces forces parlaient pour Alger.Quoi quen disent les chroniques algriennes, nous pensons, selonla version dHado, quAroudj prit la route de terre. Parvenu dansla Metidja, il se porta dabord sur Cherchel, o lun de ses ancienslieutenants, du nom de Kara-Hassen, stait tabli en matre quel-

    que temps auparavant, avait obtenu lappui de la population formeen majorit de Maures de Grenade et de Valence, et tait parti dece port pour faire dheureuses courses sur mer. Or, Barberousse nevoulait pas de rival sur ses flancs. Kara-Hassen espra le flchir parune humble soumission; mais son ancien chef le fit mettre mort,puis, laissant Cherchel une petite garnison, se rendit Alger.

    La population de cette ville, ayant sa tte le cheikh Salem,sortit au devant de lui et laccueillit comme un librateur. Sansperdre de temps, Aroudj fit placer ses canons en batterie contre le

    Peon et, aprs une sommation firement repousse par le comman-dant espagnol, donna lordre douvrir le feu. Cette dmonstration,qui ntait au fond quune fanfaronnade, ne fut suivie daucun rsul-tat, et, chose invitable, lopinion publique changea dorientation,dautant plus que les Turcs se rendaient insupportables par leurs exi-gences et leurs insolences. Salem, qui avait t le premier saper-cevoir de sa faute, car Aroudj le traitait avec le plus grand ddain,cherchait le moyen de la rparer en se dbarrassant de son hte.

    Dans de telles conjonctures, la dcision tait indispensable.Cette qualit, qui manquait au cheikh, tait la caractristique de sonadversaire; aussi eut-il bientt dress et excut son plan. Il pntradans le bain o Salem se rendait laprs-midi et ltrangla de ses

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    LAUTORIT TURQUE EN BERBRIE (1516) 17

    propres mains. Revenant ensuite, avec un groupe dhommesdvous, il joua la surprise, appela tous les corsaires aux armes et,pendant que les habitants de la ville, terrifis par une telle audace,se rfugiaient dans leurs demeures, Aroudj montait cheval, suivide la soldatesque, et se faisait proclamer roi dAlger.

    Les citadins entrrent alors en pourparlers avec les Espa-gnols du Peon et sentendirent avec les Thaleba de la plaine pourexpulser les Turcs. Mais Aroudj dcouvrit le conspiration, arrtales principaux chefs en pleine mosque et les fit dcapiter. De sv-res excutions, larrestation de quiconque essaya mme un blmeindirect, consolidrent son autorit en enlevant aux Algriens toutevellit de rsistance.

    Ainsi le premier Barberousse avait ralis le projet par luicaress depuis longtemps: il tait matre dun royaume important etdisposait eo trois ports, Alger, Cherchel et Djidjeli, sans parler deDjerba(1).

    EXPDITION INFRUCTUEUSE DE DIGO DE LA VERACONTRE ALGER. Le succs dAroudj, son audace causrentaux principicules indignes une terreur que lavenir ne devait quetrop justifier, et ce fut vers le chrtien que les musulmans se tourn-

    rent afin dobtenir assistance. Dj, le fils de Toumi, rfugi dabord Oran, tait pass en Espagne pour demander vengeance. Le cheikhde Tns, celui de Mostaganem redoublrent dinstances auprs ducardinal Jimns et furent appuys par le gouverneur dOran(2).

    Enfin la garnison du Peon se trouvait dans un tat fort cri-tique, contrainte de faire apporter jusqu son eau dEspagne oudes les ; il fallait tout prix la secourir et craser dans son ber-ceau la nouvelle puissance qui venait de se former. A la fin de sep-

    tembre 1516, une flotte de trente-cinq voiles portant prs de 3,000hommes de dbarquement quitta lEspagne sous le commandementde Diego de Vera. Le 30, elle aborda dans lanse o se trouvele faubourg Bab-el-Oued et, le dbarquement stant opr sans

    ____________________1. Hado.Rois dAlger, traduction de Grammont (Revue afric,. N 139

    et suivants). Sander-Rang.Fondation de la rgence dAlger, t, I, p, 61 etsuiv., De Grammont.Hist. dAlger, p. 21 et suiv. Watbled. tablisse-ment de la domination turque en Algrie (Revue afric., n 101. p.352 et suiv.

    Walsin Esterhazy,Domination turque, p. 122 et suiv. E. dAranda.Anti-quits de la ville dAlger, Paris, 1667, p. 12 et suiv.

    2. VoirLettres arabes de lpoque de loccupation espagnole en Alg-rie (Revue afric. N 100, p 315 et suiv.).

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    peine, le gnral tendit ses lignes sur les pentes qui slvent versla Kaaba.

    Les Arabes de la plaine, qui avaient promis leur concours, setenaient distance, dans lexpectative. Quelques jours se passrenten escarmouches sans importance; puis, le vent ayant chang, laflotte se trouva fort expose dune cette rade ouverte, avec des lots fleur deau, et le gnral ordonna la retraite. Ctait le momentattendu par Aroudj; aussitt, il sort de la ville la tte de ses troupeset charge les Espagnols qui fuient est dsordre et se voient attaquede lautre ct par les Arabes. Le dsastre fut aussi rapide que com-plet. Quinze cents prisonniers, un grand nombre de tus, voil, lebilan de cette expdition, que la tempte acheva en coulant plus de

    la moiti des vaisseaux.AROUDJ SEMPARE DE TENS ET DE TOUT LE PAYS

    COMPRIS ENTRE CETTE VILLE ET ALGER. Ainsi, toutrussissait Barberousse. Son frre, Khr-ed-Dine, venu le rejoin-dre avec la flotte et les prises, lui avait amen leur troisime frre,Ishak, et cette association dhommes hardis et dvous les uns auxautres allait permettre Aroudj de tirer parti de son succs dont lef-fet avait t considrable en Berbrie et en Espagne. La premire

    victime devait tre le cheikh de Tens, dont on connaissait les rela-tions avec les Espagnols. Laissant Alger sous le commandement deson frre et tranant sa suite des otages garantissant la scurit decette ville, Aroudj savana en matre travers la Mitidja, culbuta lesZentes qui, en grand nombre, sous le commandement de MoulaAbd-Allah, essayrent de larrter Oudjer, et entra Tens pen-dant que le cheikh se rfugiait dans le sud. Les arquebusiers turcsavaient port la terreur partout et aucune population indigne neparaissait dispose leur rsister (juin-juillet 1517).

    A lest, les vaisseaux de Khr-ed-Dine avaient pris posses-sion de Dellis, de sorte que lempire de Barberousse stendait jus-quau del de cette ville. Dans la plaine et les premires montagnes,les indignes avaient offert leur soumission et staient obligs servir le tribut. Ces succs vertigineux taient bien faits pour griserun homme tel quAroudj ; son audace et son ambition allaientcauser sa perte.

    USURPATION DABOU-HAMMOU III TLEMCEN.

    AROUDJ EST APPEL PAR. LES HABITANTS DE CETTEVILLE. Cependant, Tlemcen, Abou-Abdallah-Mohammed,filsde Thabeti, tait mort (1516), sans laisser dhritier en tat de prendrela direction des affaires. Ctait la porte ouverte aux comptitions.

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    LAUTORIT TURQUE EN BERBRIE (1517) 19

    Abou-Zeyane, frre cadet de lmir dfunt, essaya de recueillirlhritage ; mais son oncle Abou-Hammou, soutenu par une partiedes gens de la ville et les Arabes de lextrieur, vint lattaquer dansson propre palais et, stant rendu matre de sa personne, le jeta en

    prison.Ce succs et t sans consquence dans ltat daffaiblisse-

    ment de lempire zeyanite, si le nouvel mir navait compt sur unappui effectif : celui des chrtiens. Abou-Hammou III crivit enconsquence au gouvernement de Castille et conclut avec lui unnouveau trait par lequel il sobligea servir au roi Charles V untribut annuel de 12,000 ducats et lui fournir, comme vassal, douzechevaux et six gerfauts mles. Moyennant lexcution de ces enga-

    gements, il serait protg par lEspagne. La gouverneur dOranreut des ordres en consquence.Mais la situation tait telle Tlemcen, la population, comme

    la famille royale, si divise, que la tranquillit y tait impossible.Les partisans dAbou-Zeyane, les lgistes, outrs des complaisan-ces dAbou-Hammou pour les infidles, songrent appeler leursecours le champion de lIslam, le fameux Baba Aroudj, dont lesvictoires transportaient de joie tous les vrais musulmans. Une dpu-tation lui fut adresse, alors quil se trouvait Tens, ou dans la

    Mitidja, et les dlgus neurent pas de peine obtenir de lui lapromesse dune intervention. Ctait, pour le chef turc, loccasiondtendre ses conqutes vers louest, et il se mit en devoir dor-ganiser son expdition. Les Tlemcniens, dans leur aveuglement,allaient attirer sur eux de nouveaux malheurs.

    FUITE DABOU-HAMMOU ; AROUDJ EST ACCUEILLI TLEMCEN COMME UN LIBRATEUR. Ayant reu Tens, des renforts et de lartillerie envoys par son frre Kher-ed-Dine, Aroudj se mit en route vers louest, la tte dun corpsexpditionnaire compos de quinze seize cents arquebusiers etjanissaires, levantins ou maures andalous, augments bientt duncertain nombre de volontaires indignes (fin 1517). Sa marche futprobablement rapide; sinon on ne sexpliquerait gure linaction dugouverneur dOran et de la province de Tlemcen.

    Se tenant, du reste, une distance raisonnable du littoral,Barberousse passa par la Kalaa des Beni-Rached, ville berbre, une journe lest de Maskara, et fut si bien accueilli par les

    habitants de ce poste fortifi par la nature et par lart quil sedcida loccuper, afin dassurer ses communications et pour enle-ver aux Espagnols dOran les ressources quils tiraient de cettergion, comme centre dapprovisionnement. Ishak, le frre an des

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    20 HISTOIRE DE LAFRIQUE

    Barberousse, y fut laiss, avec trois cents soldats levantins; puis,Aroudj continua sa route, prcd par la renomme que ses succslui avaient acquise.

    Abou-Hammou jugea toute rsistance inutile dans ces condi-

    tions ; il prit la fuite et alla demander asile et vengeance aux Espa-gnols dOran, Peut-tre, ainsi que certains documents laffirment,trouvant la route de cette ville dj occupe, se rfugia-t-il Fs ;cela na pas une grande importance, mais on y voit la preuve descontradictions qui se rencontrent chaque pas dans les chroniquesde cette poque.

    Aussitt aprs le dpart dAbou-Hammou, la population deTlemcen mit en libert sa victime Abou-Zeyane : puis elle se porta,

    avec ce dernier, la rencontre du librateur, des glorieux cham-pions de lislam. Lentrevue fut des plus cordiales. Cependant onfit jurer Baba-Aroudj, sur le Koran, quaucun dsordre ne seraitcommis et que les proprits et les vies de tous seraient respectes;aprs quoi, on entra en grande pompe dans la ville, au bruit desacclamations du peuple.

    AROUDJ FAIT PRIR ABOU-ZEYANE ET SES PARENTS TLEMCEN. LES ESPAGNOLS SEMPARENT DE LA KALAADES BENI-RACHED. Trop souvent, pour les peuples comme

    pour les individus, les jours de joie nont pas de lendemain. Leshabitants de Tlemcen en firent lexprience : les exigences, la bru-talit des Turcs rvoltrent aussitt les citadins qui les avaientaccueillis comme des sauveurs. Cdant leurs instances, Abou-Zeyane voulut faire entendre quelques timides observations auxoppresseurs. Ctait, pour Aroudj, le prtexte cherch. Il pntradans le Mechouar la tte de ses gardes, se saisit dAbou-Zeyaneet le fit aussitt pendre aux traverses de la galerie du palais ; ses filssubirent le mme sort et furent attachs autour de lui. Mais cetteexcution ne lui suffisait pas. Il voulait dtruire jusquau dernier,les membres de la famille royale de Tlemcen et, tant parvenu arrter soixante-dix dentre eux, il les fit jeter dans le grand bassindont on peut voir encore les vestiges dans cette ville, samusant deleurs angoisses et de leurs luttes contre la mort et aidant lui-mme rejeter, dans leau ceux qui essayaient den sortir. Le massacre dungrand nombre de citoyens occupa ensuite ses sicaires et le paysgmit sous la plus affreuse tyrannie.

    Cependant, Abou-Hammou, rfugi Oran, pressait le mar-quis de Comars dagir contre lenvahisseur et, en prsence desderniers vnements, il ny avait plus hsiter. Charles V venaitdarriver en Espagne, amenant avec lui de bonnes troupes. Aussitt,

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    LAUTORIT TURQUE EN BERBRIE (1518) 21

    le marquis alla lui prsenter ses hommages et lui faire connatrela situation du pays, et obtint un renfort dune dizaine de millehommes. Avec son coup dil militaire, le gouverneur espagnol

    jugea fort bien la situation et rsolut dabord denlever la Kalaa desBeni-Rached, afin de couper la retraite aux Turcs et de les isoler.Abou-Hammou et les Arabes y bloquaient depuis quelque tempsles janissaires. Martin dArgote, le meilleur capitaine espagnol, futenvoy vers lui avec un renfort. Mais la place tait vaillammentdfendue par Ishak, frre dAroudj, et ses yoldachs commands parIskander, rompue tous les genres de guerre, tous les dangers.

    On se trouvait alors vers la fin de janvier 1518. Larrive

    des Espagnols exaspra les Turcs qui tentrent plusieurs sortiesfort meurtrires de part et dautre. Dsesprant enfin de pouvoirtenir plus longtemps, ils demandrent et obtinrent une capitulationhonorable. Mais, peine taient-ils sortis de leurs remparts, que les;Arabes se jetrent sur eux. Une lutte acharne sengagea, laquellelarme assigeante ne tarda pas prendre part. Tous les Turcs, ycompris Ishak et Iskander, prirent en luttant dix contre un(1).

    LES ESPAGNOLS ATTAQUENT TLEMCEN. FUITE ET

    MORT DAROUDJ. ABOU-HAMMOU EST RTABLI SUR LETRNE DE TLEMCEN. La nouvelle de la chute de la Kalaa, dela mort dIshak et des prparatifs des Espagnols parvint en mmetemps Aroudj et, si son courage nen fut pas branl, la pluslmentaire prudence lui conseilla de chercher un appui, car il nepouvait plus attendre de secours dAlger. Il se tourna alors vers lesouverain merinide de Fs et sollicita son alliance, en lui reprsen-tant le danger qui rsulterait pour lui de loccupation de Tlemcen

    par les Espagnols. On ignore exactement le rsultat de cette dmar-che; mais il est probable, comme les historiens espagnols laffir-ment, quil obtint de lui des promesses dintervention.

    Pendant ce temps, le marquis de Comars, avec ses meilleu-res troupes et un grand nombre dauxiliaires arabes commands par

    ____________________1. Sander-Rang,Fondation de la rgence dAlgert. I, p. 98 et suiv.

    Documents sur loccupation espagnole (E. de la Primaudaie, Revue afric., n110, p. 149 et suiv.). Abb Bargs, Complment de lhistoire des Beni-

    Zeiyane, p. 431. Watbled,tablissement de la domination turque en Alg-rie (Revue afric., n 101, p. 357 et suiv. De Grammont,Hist. dAlger, p. 25,26. E. dAranda,Antiquits de la ville dAlger, p. 24 et suiv. Zohrat-en-

    Narat (trad. Rousseau) p. 16 et suiv.

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    22 HISTOIRE DE LAFRIQUE

    Abou-Hammou, arrivait sous les murs de Tlemcen et en commen-ait le sige. Aroudj, dont leffectif de Turcs et de rengats tait peuconsidrable (cinq cents environ), et qui ne pouvait compter sur lafidlit des Tlemcniens, nosa pas sortir de la ville pour essayerdarrter la marche de lennemi. Mais il organisa la rsistance der-rire ses remparts, avec autant dhabilet que de courage. Pendantsix mois, les assige navancrent que par lemploi de la poudre;nanmoins il arriva un moment o le premier Barberousse dutrenoncer dfendre ses lignes, pour se retrancher dans les rueset enfin se renfermer dans le Mechouar. Il aurait pu y tenir long-temps encore, mais les habitants de Tlemcen, voyant loccasion dese venger de lui et de ses suppts, sentendirent avec les Espagnols

    et, ayant obtenu des Turcs la permission dentrer dans le Mechouar pour y visiter la mosque loccasion de lu fte de la rupturedu jeune, en ouvrirent la porte leurs affids et se mirent massa-crer Osmanlis et rengats. Aroudj avait pu se retrancher dans unrduit do on communiquait avec lextrieur par une poterne. Lanuit venue, il sortit de la ville par cette issue, suivi dune poignedhommes portant toutes les valeurs quil avait pu enlever aux tr-sors des souverains zeyanites, et gagna le large.

    On a beaucoup discut sur la direction prise par Aroudj, danssa fuite. Hado affirme quil se sauva sur la route dOran et futrejoint par les Espagnols au Rio-Salado. Celle version a t repro-duite par le Dr. Shaw et dfendue dans ces derniers temps par M.de Grammont ; mais tous les historiens arabes indiquent la monta-gne des Beni-Zenassen. comme la direction de la fuite du corsaireet plusieurs historiens, parmi lesquels Berbrugger, ont dmontr, notre avis, que cette tradition est daccord avec la logique desfaits et mme avec les indications des auteurs espagnols. Comment

    admettre, en effet, quAroudj, attendant de jour en jour larrive delarme du sultan de Fs, nait pas pris la direction de louest et sesoit lanc sur la route mme dOran, centre de ses ennemis ?

    Les Turcs fuyaient donc vers le couchant, sur le chemindOudjda, lorsquon saperut de leur dpart. Aussitt, Espagnolset Arabes se lancrent leur poursuite. On dit quAroudj, se voyantserr de trs prs, employa un stratagme renouvel des ancienset qui consistait semer sur sa route des pices dor et des objets

    prcieux pour attirer la cupidit de ses ennemis et ralentir lardeurde la poursuite. Quoi quil en soit, un groupe dune quarantaine decavaliers espagnols, conduits par lenseigne Garcia Fernandez dela Plaza, tait prs datteindre les fuyards. On avait franchi plus de

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    LAUTORIT TURQUE EN BERBRIE (1518) 23

    90 kilomtres et atteint la plaine de Debdou, lorsque Aroudj sedcida se lancer vers la montagne des Beni-Zenassen. Il se retran-cha dans une ruine situe sur un des premiers contreforts, prs duMarabout de Sidi-Moussa et, avec la poigne de janissaires quilui restait, opposa une rsistance dsespre, combattant lui-mmecomme un lion. Mais lardeur de ses adversaires ntait pas moin-dre et, aprs une lutte hroque, tous les Turcs furent tus. Aroudjprit de la main de lenseigne, qui reut plus tard de Charles V, undiplme lui accordant le droit de reproduire dans ses armoiries lasouvenir de ce glorieux fait darmes(1).

    La tte dAroudj fut apporte Tlemcen, puis Oran, quant ses vtements, qui taient de velours rouge, brods dor, on les

    expdia en Espagne, o ils finirent par tre dposs au monastrede Saint-Grme de Cordoue ; ils y furent transforms, parat-il, enchape dglise. Baba-Aroudj avait, au dire dHado, 44 ans, lors-quil fut tu. Dune taille moyenne, il tait robuste, infatigable ettrs vaillant : il avait la barbe rousse, les yeux vifs et lanant desflammes, le nez aquilin, le tein basan.

    Les vainqueurs furent accueillis Tlemcen par des acclama-tions de tous. Abou-Hammou reprit alors possession de sa capitale

    et sengagea servir chaque anne au gouverneur une redevancede 12,000 ducats dor, plus 12 chevaux et six faucons femelles(1518).

    Sil faut croire Hado, le Sultan de Fs ne tarda pas sap-procher de la frontire, la tte de contingents importants ; mais,apprenant la dfaite et la mort de son alli, il licencia ses troupes etrentra dans sa capitale(2).

    KHER-ED-DINE FAIT HOMMAGE DU ROYAUME

    ____________________1. Voir le texte de ce diplme donn en appendice par Gomara dans saChronique des Barberousse.

    2. Abb Bargs, Complment de lhistoire des Beni-Zeyane, p. 435 etsuiv. - Berbrugger,La mort du fondateur de la rgence dAlger(Revue afric.1859-60, p. 25 et suiv.). Sander-Rang,Fondation de la rgence dAlger,t. 1, p. 103. De Grammont, Histoire dAlger, p. 26, 27 et Revue afric.,1878, p. 388. Watbled. tablissement de la domination turque (Revueafric. 1873. p. 257 et suiv.). Berbrugger, La Pgnon dAlger, p. 58 etsuiv. Hado,Epitome des rois dAlger(Revue afric., 1880. p. 77 et suiv.).

    Gomara, Chronique des Barberousse, passim. Nozhet-El-Hadi, p.19-20. Dourdjet-en-Nacher, diction. biogr. (article Abou-lAbbas-ben-Melouka), Cbekb-Bou-Ras (trad. Arnaud, Revue afric., nos 149, 150. -DAranda, loc, cit., p. 32.

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    24 HISTOIRE DE LAFRIQUE

    SELIM I ET REOIT DE LUI DES SECOURS. Le dsastredAroudj eut un profond retentissement dans toute lAfrique sep-tentrionale. Bientt, ce fut qui romprait tout lien avec les Turcs,dautant plus quune nouvelle attaque des Espagnols contre Alger

    tait imminente. La Kabylie, la voix dAhmed-ben-el-Kadi, semit en tat de rvolte. Tens et Cherchell firent de mme ; enfin leroi de Tunis somma Kher-ed-Dine de reconnatre sa suzerainet.Voil quelles difficults le frre dAroudj eut tout dabord faireface, sans parler de lhostilit de plus en plus caractrise des Alg-riens son encontre. Tout autre aurait abandonn la partie ; maisKher-ed-Dine avait lme aussi fermement trempe que son frre,avec un esprit politique beaucoup plus dvelopp. Il comprit quilne fallait plus compter sur lappui des populations africaines etjugea quil ne lui restait quun seul espoir de conserver sa conqute;ctait den offrir la suzerainet la Porte.

    Selim I, surnomm Youvouz (linflexible), sultan des Turcs,venait de se couvrir de gloire par la conqute de la Syrie et delArabie; il tait matre de la Mekke et de Mdine et avait reu, Damas, le serment de fidlit des mirs de lArabie et des cheikhsde la Syrie et du Liban (1516) ; puis il tait entr en souverain Jrusalem, avait travers la Palestine, envahi lgypte et dfait les

    Mamlouks de Touman-Bey, souverain de ce pays (janvier 1517).Enfin il ne tardait pas semparer du Caire. Touman-Bey, fait pri-sonnier, tait pendu (15 avril 1517), et lempire des Mamlouks-Tcherks dtruit. Ainsi la victoire restait constamment fidle ceprince, dont les succs portrent la renomme son comble. Aprsavoir organis ses nouvelles conqutes, prpar et complt saflotte, Selim rentra Constantinople et ajouta ses titres celui deserviteur des deux villes sacres et nobles(1).

    Cest dans ces conjonctures que le sultan des Ottomans reut

    lhommage de Kher-ed-Dine ; saisissant avec empressement loc-casion dtendre son autorit sur la Berbrie, Selim adressa audeuxime Barberousse le titre de Bey des Beys(2), ou de Pacha, avecle droit de battre monnaie, et lui expdia des troupes et des muni-tions. Quatre mille volontaires levantins, auxquels les privilgesdes Yoldachs (janissaires) avaient t accords, dbarqurent sur laplage de Bab-el-Oued. Il tait temps que ce secours arrivt, car lapopulation dAlger, daccord avec les Arabes de la plaine, allait servolter et les Espagnols approchaient (1518-19)(3).

    ____________________1. Mallouf,Prcis de lhistoire ottomane, p. 23 et suiv.2. Beglarbeg (ou Beylarbey).3. Nous nignorons pas que, selon divers documents, tels que le

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    LAUTORIT TURQUE EN BERBRIE (1519) 25

    EXPDITION DHUGO DE MONCADE CONTREALGER. SON DSASTRE DEVANT CETTE VILLE. Le roidEspagne avait enfin compris la ncessit dagir vigoureusementen Afrique, sil ne voulait pas perdre le fruit des efforts de sesprdcesseurs(1). Ainsi, pendant que le gouverneur dOran redou- blait dactivit pour vaincre Aroudj Tlemcen, le vice-roi deSicile, Hugo de Moncade, un des meilleurs officiers de lcole duGrand-Capitaine, avait reu lordre de runir une flotte, portant uneffectif imposant, et daller craser dans luf la royaut des cor-saires. Malheureusement pour la chrtient, lexpdition prouvades retards et les Espagnols ne surent pas profiter de la stupeurcause chez les musulmans par la mort dAroudj pour marcher sur

    Alger et occuper la place.Sils eussent agi ainsi, il est plus que probable que les secoursenvoys de Constantinople nauraient mme pu dbarquer et que lesOttomans se seraient vus contraints de renoncer la suzerainet delAfrique. Les Espagnols devaient durement expier leur ngligence.

    Hugo de Moncade ayant enfin quitt la Sicile, vers la fin de1518(2), aborda dabord Oran do ses troupes allrent effectuer,dans lintrieur, des razzias destines assurer leurs approvision-nements. Soit que les Espagnols eussent agi sans discernement etexerc leurs dprdations sur les amis comme sur les ennemis, soit pour toute autre cause, il parait hors de doute quils tournrentcontre eux lesprit des indignes. Le roi de Tlemcen, Abou-Ham-mou, qui avait reu lordre dappuyer lexpdition en amenant parterre ses contingents sous les murs dAlger, fut trs froiss de cesprocds et prouva de relles difficults organiser sa colonne.

    Enfin la flotte de quarante navires, portant 5,000 hommes de bonnes troupes, mit la voile dans le courant de lt 1519, et

    ____________________Razaouate et le Zohrat-en-Narate, la dmarche de Kher-ed-Dine auprs deLa Porte naurait eu lieu quaprs lattaque dAlger par les Espagnols, dontnous allons parler. Contre MM. de Rotalier et Vayssettes, nous adoptons lopi-nion de Hado laquelle se sont rangs MM. Berbrugger et de Grammont.

    1. Il se conformait, du reste, au testament politique de son aeul quilui recommandait de travailler faire la guerre aux Maures, la conditiontoutefois que ce ne serait pas pour ses sujets une cause de dommage et deruine. Gnral de Sandoval (traduct. Monnereau). Les inscriptions dOran(Revue afric.), no 88, p. 276.

    2. Nous rappelons que la plupart de ces dates sont incertaines et queles auteurs de lpoque se trouvent gnralement en contradiction; nous nous

    bornons indiquer celles qui nous semblent les plus probables, sans entrer,pour chacune, dans des dissertations oiseuses.

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    vint aborder au fond du golfe dAlger, prs de lembouchure delHarrach. Le dbarquement seffectua sans trop de difficults et,aprs quatre ou cinq jours de combat, larme couronna les hau-teurs et stablit sur le mamelon dit Koudiat-es-Sabonn, o slvemaintenant le fort lEmpereur (18 aot). La position conquise taitimportante, et Hugo de Moncade voulait poursuivre ses avantagesen attaquant la ville ; mais dautres officiers jugrent quil tait pr-frable dattendre larrive dAbou-Hammou et de ses contingents,fatale rsolution dont Kher-ed-Dine profita avec une remarquablehabilet. Ayant envoy un petit corps faire le simulacre dincendierle camp et les barques qui reliaient les assigeants la flotte, ilentraina les Espagnols tablis sur les hauteurs quitter leurs lignes

    pour courir au secours du camp et, ce rsultat obtenu, effectua unesortie de toutes ses forces, sempara des batteries espagnoles, etchassa vers la mer, comme un troupeau dband, ces braves sol-dats, vtrans des guerres dEurope. Les Turcs en firent un grandcarnage.

    Il ne restait plus qu se rembarquer: mais une tempte staitdchane dans le golfe et lopration se fit dans les plus mauvaisesconditions. Vingt-six navires furent jets la cte, et, pendant que les

    Algriens se livraient au pillage des vaisseaux, des bataillons entiersmettaient bas les armes et taient massacrs par les Yoldachs.GUERRE ENTRE KHER-ED-DINE ET BEN-EL-KADI.

    KHER-ED-DINE, DFAIT, SE RFUGIE DJIDJELI. Lesuccs de Kher-ed-Dine assurait dfinitivement le triomphe delautorit turque en Afrique. Cependant le vainqueur neut gure leloisir den profiter. La Kabylie, en effet, tait menaante et il fallaitarrter son effervescence avant que le roi de Tunis ait eu le tempsde faire parvenir des secours Ben-el-Kadi. Ainsi les ennemis des

    Turcs, au lieu dunir leurs efforts pour les craser, soffraient suc-cessivement leurs coups. Par lordre de Kher-ed-Dine, son lieu-tenant Kara Hassen pntra dans la Kabylie la tte dun corps detroupes choisies, battit Ahmed-ben-el-Kadi, le chassa de ses mon-tagnes et le poursuivit jusqu Collo dont il sempara (1519). On ditque, de l, il marcha sur Constantine et fora cette ville reconna-tre lautorit turque; mais, de mme que pour tous les faits relatifs cette poque, les renseignements sont contradictoires et ne permet-

    tent pas de laffirmer.De Bne, o il tait rfugi, Ben-el-Kadi adressa un appeldsespr au sultan de Tunis qui sempressa de lui envoyer unsecours de troupes rgulires, la tte desquelles il rentra en matre

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    LAUTORIT TURQUE EN BERBRIE (1521) 27

    dans le Djerdjera ; sans perdre de temps, il appela tous les Kabylesaux armes pour marcher sur Alger. Une masse de guerriers de touterace, porteurs darmes de toutes sortes, rpondit son appel.

    Le danger tait pressant. Kher-ed-Dine ne porta sans hsitercontre lennemi la tte de toutes ses forces ; mais Ben-el-Kadicommenait connatre les Turcs ; les laissant, avec leur tmrithabituelle, sengager au milieu du pays, il les attendit dons le terri-toire des Flieset-Oum-el-Lel. Larme tunisienne y tait retrancheet, peine le combat avait-il commenc entre elle et les Turcs, queles Kabyles se jetrent sur ces derniers, les mirent en droute eten firent un grand carnage. Cette fois le dsastre tait complet etKher-ed-Dine ne pouvait mme plus regagner Alger, dont la route

    lui tait barre. Ce fut au prix de grands dangers quil parvint sauver sa vie et atteindre Djidjeli, berceau de sa puissance. Sonroyaume, quil avait eu dfendre contre les attaques des chrtienset des indignes, tait perdu, mais la mer lui restait. Ses navireslavaient rejoint Djidjeli et il reprit avec ardeur et succs ses cour-ses dautrefois, en sappuyant, comme par le pass, sur lle deDjerba (1530).

    LES KABYLES ET BEN-EL-KADI, MATRES DALGER.

    Aprs la dfaite des Turcs, toute la Kabylie, descendue commeune avalanche dans la plaine de la Mitidja, lavait mise au pillage.Cependant, Ahmed-ben-el-Kadi tait entr Alger, o il avait tbien accueilli, mais la malheureuse population de cette ville staitbientt aperue quelle navait chapp la tyrannie des Turcs quepour tre victime de la rapacit des Kabyles, ces anciens serviteursdes beldis.

    Cherchel et Tens avaient, en mme temps, secou le joug des

    Turcs et, en vrit, on ne peut sexpliquer lindolence des Espagnolsdans cette conjoncture. Un corps de sept huit mille hommes par-tant dOran par la voie de terre, aurait alors reu et assur la sou-mission de tout le pays. Il est vrai que Charles V tait absorb parses luttes contre les rvoltes de son propre pays, dabord celle deValence (1519), puis celle de la Castille (1520) et enfin la plus ter-rible, celle des Comunros (1520-21). LEspagne traversait une deces crises de croissance par lesquelles passent les nationalits; elle

    devait en triompher, mais au prix de ses conqutes de Berbrie.KHER-ED-DINE DFAIT ET TUE BEN-EL-KADI,RENTRE EN MATRE ALGER ET RTABLIT SON AUTO-RIT DANS LA PROVINCE. Cependant Kher-ed-Dine, dans

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    28 HISTOIRE DE LAFRIQUE

    lintervalle de ses courses sur mer, avait trouv le loisir de resserrerles liens damiti qui lunissaient Abd-el-Aziz, chef berbre dela Kalaa dos Beni-Abbs, rival de Ben-el-Kadi de Koukou, dten-dre son influence sur la rgion orientale jusqu Constantine et de

    renouer des relations avec Alger, dont la population, lasse de ladomination des Kabyles, appelait, de cur, son retour. On peuttre surpris que les Ottomans eussent abandonn ainsi lui-mmelhomme qui leur avait donn la suzerainet de lAfrique. Mais ilfaut dire que le sultan Selim tait mort le 15 septembre 1520 etque son fils, Soliman I, qui devait mriter les surnoms du Magni-fique et du Lgislateur, tait retenu en Orient, avec toutes sesforces, par des entreprises telles que la conqute de Rhodes. Cette

    le, dfendue par le grand matre des chevaliers de Jrusalem, Vil-liers de lle-Adam, rsista tout leffort des Ottomans, jusquau 15septembre 1525, date de sa chute. Mais ce succs avait t achet un prix tel que Soliman devait employer plusieurs annes serefaire, prparer sa grande campagne de Hongrie, tandis que leschevaliers de Jrusalem obtenaient de Charles V lle de Malte etTripoli. Ainsi, Kheir-ed-Dine demeurait abandonn lui-mme,mais la course tait fructueuse, largent, les armes, les munitionsabondaient.

    Aussi, en 1525, jugea-t-il le moment venu de reconqurir,avec ses seules forces, son royaume. Soutenu par les contingentsdAbd-el-Aziz, il se mit en route vers louest et dfit son adversaire,Ben-el-Kadi, lOuad-Bougdoura. Le roi de Koukou voulut cepen-dant lutter encore et disputer au vainqueur le passage du col desBeni-Aicha (actuellement Mnerville), mais il fut mis en droute etbientt ses propres soldats, gagns, dit-on, par lor de Barberousse,lassassinrent et apportrent sa tte son ennemi. La route dAl-ger tait ouverte : Kher-ed-Dine y rentra en matre et rtablit sonautorit sur toute la Mitidja et les montagnes environnantes (1527).Puis ce furent Cherchel et Tens qui durent subir sa vengeance etdont les chefs furent empals. El-Haoussine, frre dAhmed-ben-el-Kadi, avait pris le commandement de la rvolte en Kabylie ;mais, aprs deux annes defforts striles, il se dcida se soumet-tre au Turc.

    RVOLTE DANS LA PROVINCE DE CONSTANTINECONTRE LES TURCS. MORT DU HAFSIDE MOULA-

    MOHAMMED. USURPATION DE SON FILS HASSEN. DanslEst, la situation ntait pas aussi favorable pour les 0ttomana. Apeine Kher-ed-Dine stait-il loign, que Constantine se mettaiten tat de rvolte. Abd-el-Aziz lui-mme, cheikh des Beni-Abbs,

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    LAUTORIT TURQUE EN BERBRIE (1526) 29

    qui avait sans doute t victime de la duplicit des Turcs, ne soule-vait contre eux.

    En 1526, Moula-Mohammed, souverain hafside de Tunis,tait mort et avait t remplac par son plus jeune fils, Moula-Has-

    sen, au dtriment de ses trois frres. La mre du nouveau sultan,qui avait t lme de lintrigue, le poussa se dbarrasser par las-sassinat de ses comptiteurs vincs ; deux dentre eux prirent,mais le troisime, Rached, tant parvenu fuir, essaya en vain desoulever, son profit, les Arabes de la Tunisie, chez lesquels il avaittrouv asile ; il se dcida alors se rendre auprs de Kher-ed-Dinepour rclamer justice et protection, sans sapercevoir quil sadres-sait au plus dangereux ennemi de sa dynastie.

    Des rvoltes avaient clat de tous cts, en Tunisie, contreMoula-Hassen. A Soua, El-Kol, un de ses parent, se dclaraindpendant; Kairouan, un marabout des Chabba, nomm SidiArfa, proclama la restauration almoravide, en reconnaissant commekhalife un certain Yaha, comparse, qui se disait originaire desLemtouna. Cet homme devait se faire prendre peu aprs, Tunis.Les Oulad Sad, avec cette vitalit particulire aux tribus arabes,staient reconstitus et taient devenus si puissants, que Moula-Hassen, pour avoir la paix, avait d se rsoudre les laisser prlever

    80,000 dinars (pices dor) sur le pays.Tandis quil luttait, sans grand avantage, contre ses ennemis,

    rduit par eux la possession de Tunis et de sa banlieue, le sultanhafside eut lheureuse inspiration denvoyer Constantine, pouren prendre le commandement, un de ses officiers, nomm Ali-ben-Farah. Sous son habile et ferme direction, la paix, la scurit netardrent pas tre rtablies dans la province qui, depuis quelquesannes, tait demeure en proie aux bandes de brigands. Cette res-tauration dune ferme autorit ne fut sans doute pas du got dAbd-el-Aziz, cheikh des Beni-Abbs, car il se dcida se rapprocher desTurcs et faire la paix avec eux (1528).

    KHER-ED-DINE SEMPARE DU PEON ET CRE LEPORT DALGER. Kher-ed-Dine avait obtenu de nouveauxsuccs maritimes. Toute la rgion comprise entre Djidjeli et Mosta-ganem reconnaissait son autorit directe ou sa suzerainet ; il taittemps den finir avec les Espagnols du Peon, tablis, pour ainsidire, au cur de sa capitale ; ctait non seulement une gne et une

    honte, mais encore, leur occupation empchait dentreprendre un tra-vail urgent, lappropriation du port, qui noffrait sa marine aucunescurit, ni contre la tempte, ni contre les attaques de lennemi, desorte quil fallait tirer force de bras les vaisseaux sur le rivage.

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    30 HISTOIRE DE LAFRIQUE

    En avril ou mai 1529, le pacha fit sommer le gouverneur duPeon de se rendre. Ctait un brave militaire du nom de Martin deVargas et, bien quil net avec lui qu peine deux cents hommes,

    mal nourris, mal paye, et quil manqut de tout, grce lincurieincroyable de ladministration espagnole, il rpondit par un nergi-que refus. Aussitt les Turcs, qui avaient tabli une batterie sur larivage, ouvrirent le feu contre le fort ; lorsque les ouvrages furentdtruits, ils donnrent lassaut et ne tardrent pas sen rendramatres, malgr le courage des Espagnols qui luttrent en dses-prs. Presque tous furent tus; vingt-cinq seulement, couverts deblessures, eurent le malheur dtre faite prisonniers (27 mai 1529).

    Loin dhonorer leur courage, Kheir-ed-Dine les traita durement, etil prir sous le bton la vieux et brave Vargas.Aussitt on se mit louvrage : les fortifications qui regar-

    daient la ville furent rases et les matriaux servirent relier entreeux les lots, de sorte que le mle actuel se trouva rattach la terrepar une jete. Les tours de llot furent seules conserves et on ytablit des signaux. Enfin, les Turcs taient matres chez eux et ilsavaient leur port:

    Cet vnement eut, en Afrique et en Europe, un retentisse-ment qui, sil ntait pas en rapport avec son importance relle, sejustifiait par ses consquences morales. Abou-Hammou tait mort Tlemcen en 1528, son frre Abou-Mohammed-Abd-Allah, qui luiavait succd, profita de cette circonstance pour rompre avec lesEspagnols et envoyer Kher-ed-Dine son hommage de vassalit.Le marquis de Comars, gouverneur dOran, tait alors en Espa-gne, o il avait d se rendre pour se disculper des accusations dedsordre et de prvarication, trop justifies, qui avaient t portescontre lui(1).

    ____________________1. El-Kairouani, p. 270 et suiv. Rousseau, Annales Tunisiennes, p. 12

    et sui. - Vayssettes,Histoire des beys de Constantine (Rec. de la Soc. Archol.de Constantine 1867). Elie de la Primaudaie, Documents indits (Revueafric., n 111, p. 161 et suiv.). De Grammont,Hist. dAlger, p. 24 et suiv. Hado,Rois dAlger(Rev. afric., n 140, p. 118 et suiv.). Gnral de San-doval,Inscript. dOran (Revue afric., n 88, p. 278 et suiv.). Sander-Rang,

    Fondation de la rgence dAlger, t. I, p. 115 et suiv., t. II, p. 106. Compl-

    ment de lhistoire des Beni-Zeyane, p. 446 et suie. (abb Bargs). RosseuwSaint, Hilaire, Histoire dEspagne,. t. VI. passim. Marmol,Afrique, passim.

    Nozhet-El-Hadi, p. 174 du texte arabe. Cheikh-Bou-Ras (Revue africn 159, p. 472). Zohrat-en-Nara (trad. Rousseau), p. 65 et suiv.

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    LAUTORIT TURQUE EN BERBRIE (1529) 31

    Lautorit turque est, cette fois, tablie en Afrique. En vain,llment indigne, reprsent par Ben-el-Kadi et Abd-el-Aziz, aessay de rsister, la rivalit de ces Berbres, les a, comme tou- jours, perdue. Les derniers descendants des dynasties indignes,Hafsides et Zeyanites ont contribu, par leurs divisions, au succsde ltranger : Espagnol et Ottoman. Cen est fait de la nationalitBerbre. Mais, que dire de lincapacit des Espagnols, si hardis,si vigoureux sous le rgne des rois catholiques, si faibles, si nulssous un homme de la valeur de Charles V. Cest que celui-ci nestplus un simple roi dEspagne ; il a t lev lempire, et il doitlutter contre son plus rude ennemi, son rival, le roi de France. Cetteguerre absorbe toutes ses forces, et, en mme temps, il faut quil

    dfende lAutriche menace par Soliman, qui a dj envahi la Hon-grie, quil lutte contre la Rforme, quil soccupe de rgler et dor-ganiser les conqutes de ses gnraux dans le nouveau monde. Envrit, cest trop de soins, et, dans le partage quil doit faire, lesaffaires dAfrique sont, sinon abandonnes, du moins ajournes;malheureusement, en politique, loccasion manque ne se repr-sente plus point nomm, et Charles V, layant laisse chapper,devait sen repentir cruellement.

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    CHAPITRE III

    CONQUTES ESPAGNOLES EN BERBRIE. LUTTESCONTRE LES TURCS

    1530-1541

    Charles V en Italie et en Allemagne : situation des Espagnolsen Berbrie; descente infructueuse de Doria Cherchel. Kher-ed-Dine, capitan-pacha, vient, avec une flotte turque, attaquerTunis et sen rend matrre. Fuite de Moula-Hassen. Charles-Quint prpare lexpdition de Tunis; Kher-ed-Dine y organise larsistance. Expdition de Charles V contre Tunis; il sempare

    de cette ville et rtablit Moula-Hassen comme tributaire. - Tunisse repeuple ; occupation de Bne par les Espagnols. Khe-ed-Dinesaccage port-Mahon, puis retourne en Orient, laissant Alger sousle commandement de Hassan-Aga. Situation de la provincedOran; luttes des Espagnols centre les indignes. Campagnesde Moula-Hassen en Tunisie; affaire de Bne. Apoge de lin-fluence espagnole en Afrique.

    CHARLES V EN ITALIE ET EN ALLEMAGNE. SITUA-TION DES ESPAGNOLS EN BERBRIE. DESCENTE INFRUC-TUEUSE DE DORIA CHERCHEL. Pendant que la Berbrievoit le succs dfinitif du deuxime Barberousse, Charles V est enItalie (1529) et prend, de gr ou de force, possession du pays queFranois Ier lui a abandonn comme ranon de sa libert, En mmetemps, Soliman, aprs avoir ravag la Hongrie, a entrepris une nou-velle expdition et assig Vienne, la tte de 100,000 hommes;mais il a d reculer devant la rsistance acharne des chrtiens qui

    ont oubli un instant les rivalits nes de la rforme pour repous-ser lenvahisseur. On sait que le roi de France a conclu une secrtealliance avec les Turcs et que Soliman prpare une nouvelle attaquecontre Vienne. Cependant Charles est bien matre de lItalie ; le 24fvrier 1530 il ceint, Bologne, la couronne impriale, puis il partpour lAllemagne, afin dorganiser la rsistance contre son doubleennemi, la rforme et le Turc.

    Ainsi lEspagne et lAfrique demeurent livres elles-

    mmes; toutes les forces actives sont en Italie ou en Allemagne.Quant aux petites garnisons des postes du littoral berbre, elles res-tent abandonnes, comme la t celle du Peon, et cest en vainque les braves soldats qui les commandent supportent la misre et,

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    ce qui est pire, lindiffrence du matre pour lequel ils souffrent.Forcs de vivre sur le pays, les gouverneurs espagnols se fontdtester des indignes, aussi bien Oran qu Bougie; en mmetemps, les chrtiens leur reprochent de les accabler dexactions. Lestroupes sont mal payes, les emplois ne sont occups que par desprte-noms. A Oran, les Beni-Amer, seuls parmi les indignes, res-taient fidles et srs, tant trop compromis vis--vis de leurs core-ligionnaires pour rompre. Dans les relations entre Oran et Tlemcenil y a eu de graves dsaccorde. Lmir zeyanite les attribue larapacit du gouverneur espagnol, mais nous en connaissons la vraiecause, qui est lalliance secrte de Kher-ed-Dine avec ce prince.

    En 1531, la rupture clate. Mohammed, fils de lEmir, en pro-

    fite pour se rvolter contre son pre et le bloquer Tlemcen. Ilrclame des secours aux Espagnols dOran, mais cest en vain quele docteur Lebrija, corrgidor de cette ville(1), supplie limpratricede lui envoyer des secours et de faire rentrer le marquis de Coma-rs. Si dans les circonstances actuelles, il nest pas ici, dit-il, je nesais pour quelles circonstances il se rserve. Enfin au mois daot,don A. de Bazan de Zagal vient, par surprise, semparer du port deHonene, do Tlemcen tirait ses approvisionnements.

    Cependant, en Espagne, les derniers succs de Kher-ed-Dineont eu un profond retentissement dont lcho parvient Charles,alors occup conclure avec les Luthriens la convention dAugs-bourg. De l, lempereur adresse Doria lordre de faire une nou-velle tentative contre les Barbaresques et, au mois de juillet 1531,lamiral part de Gnes, avec vingt galres, portant 1500 hommesde dbarquement. Il aborde inopinment Cherchel, sempare decette ville et dlivre un millier de captifs chrtiens qui y gmis-saient. Mais les Turcs se sont rfugis dans la citadelle pendant queles troupes se dbandent pour se livrer au pillage. Profitant alors dece dsordre, les Yoldach font une sortie, massacrent isolment unepartie des envahisseurs et forcent les autres regagner en toute hteles galres. Cest encore un chec.

    Lanne suivante, Soliman a, de nouveau, envahi lAutricheet est venu mettre le sige devant Vienne. Charles marche contrelui, en personne, la tte des catholiques et des luthriens rcon-cilis, pour la circonstance; mais le sultan, qui a puis ses forces

    ___________________1. Le corrgidor (on surveillant) tait plac auprs du gouverneur avec

    des fonctions civiles et une mission de surveillance (Revue afric., n 112. p.284 et suiv.).

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    afin de rduire une place sans importance, ne lattend pas; il rentredans ses limites aprs une retraite dsastreuse(1).

    KHER-ED-DINE, NOMM CAPITAN-PACHA, VIENTAVEC UNE FLOTTE TURQUE ATTAQUER TUNIS ET SENREND MATRE. FUITE DE MOULA-HASSEN. La der-nire dfaite essuye par Soliman sous les murs de Vienne semblalavoir dtourn pour toujours de la conqute de lAutriche et cefut vers la Mditerrane quil reporta ses yeux. Or, il lui fallait nonSeulement une flotte, mais encore un amiral, afin de lutter contreDoria qui venait de lui enlever Coron et Patras. Il pensa Kher-ed-Dine, dont il avait reu tant de preuves de fidlit et de talent,et lappela auprs de lui avec le titre de Capitan-Pacha. Le second

    Barberousse, laissant Alger sous le commandement de son meilleurlieutenant, leunuque Hassan-Aga, rengat sarde, se rendit Cons-tantinople en emmenant une flotte de dix galres avec autant defustes (mai 1533). Il expliqua alors au grand seigneur son plan,qui consistait bloquer les Espagnols chez eux, aprs les avoirchasss de lAfrique; puis attaquer simultanment les les de laMditerrane et les ctes de lItalie, de faon ne laisser Doriaaucun refuge, aucun point de ravitaillement. Mais, il tait nces-saire, avant tout, de chasser de Tunis le faible descendant de ladynastie hafside, quon savait prt se jeter dans les bras des chr-tiens, ds quil serait menac. Soliman accepta avec empressementces propositions et confia au Capitan-Pacha quatre-vingts galres,huit mille soldats et les sommes dargent ncessaires.

    Le prince hafside, Rached, tait all en Orient pour obtenirjustice ; son rtablissement sur le trne servit de prtexte lexp-dition. Mais, au moment de partir, on le jeta dans une prison doil ne devait plus sortir. En aot 1533, Kher-ed-Dine dbarqua

    Bne, sans doute pour oprer sa jonction avec les troupes venuesdAlger. Il parait mme stre avanc jusqu Constantine et avoirobtenu la paix dans cette province avec le rtablissement de lauto-rit turque.

    Le 13 juin 1534, la flotte turque mit la voile et fit dabord unestation Benzert, o elle fut bien accueillie. Puis des galres furent

    ____________________1. De Grammont,Alger sous la domination turque, p. 25, 26. Mallouf.

    Histoire Ottomane, p. 29. Resseuw Saint-Hilaire,Hist, dEspagne, t. VII,

    p. 94 et suiv. Hado,Rois dAlger(Revue afric., n 140, p. 127), Gn-ral de Sandoval,Inscriptions dOran (Revue africaine), n 88, lie de laPrimandaie,Documents indits des archives de Simancas (Revue afric., n110-111).

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    expdies en avant, dans la direction de Tunis (15 aot). Lorsqueles habitants de cette ville aperurent leurs voiles, ils crurent avoiraffaire aux chrtiens: mais des missaires, venus de Benzert, appri-rent que ces navires taient musulmans et quils ramenaient dans

    la capitale le fils de la ngresse, nom donn au prince Rached.En vain, Moulai-Hassen essaya dorganiser la rsistance ; il taitdtest, tant cause de ses cruauts que de ses dbauches, et bien-tt il ne lui resta dautre parti prendre pour sauver sa vie, que defuir avec sa mre chez les Arabes de lintrieur. Le 16 aot Kher-ed-Dine tant dbarqu la Goulette, des dputations de Tunis vin-rent se prsenter afin de saluer le souverain lgitime, Rached. Mais lemalheureux prince tait, comme on la dit, rest en prison Constan-

    tinople et la rponse faite aux Tunisiens ne leur laissa aucun espoir.Ils rentrrent en toute hte la ville pour apporter la fatale nouvelleet aussitt lon fit courir aprs Moula-Hassen, afin de le ramener.

    Le 18 au matin, Kher-ed-Dine tait devant la porte dEl-Dje-zira avec 9,000 hommes de troupes; en mme temps le sultan haf-side arriva, suivi de 4,000 cavaliers arabes, qui, voyant la force delennemi, ne voulurent pas sapprocher. Cependant les Tunisiensstaient arms la hte et luttaient contre les Turcs rpandusdans la ville. On combattit ainsi sans grand avantage de part ni

    dautre, main la rsistance tait puise et, le lendemain, les soldatsde Kher-ed-Dine mettaient la ville au pillage, bien que les .Tuni-siens se fussent rendus merci. Moula-Hassen, qui avait rejoint lesArabes, faillit tre livr par eux son ennemi et ce ne fut pas sanspeine ni sacrifices quil parvint leur chapper.

    Kheir-ed-Dine proclama alors la dchance de la dynastiehafside et accorda une amnistie gnrale. Trois mille Tunisiens et,parmi eux, des femmes et des enfants, en grand nombre, avaientt massacrs, et la capitale se trouvait en proie la soldatesquetrangre, prlude dun pillage plus inhumain encore. Le vainqueursoccupa sans retard de fortifier la ville, surtout du ct de la Gou-lette ; puis il sappliqua tendre son autorit sur lintrieur et fitaccepter une garnison turque Kairouan. Moula-Hassen stantrfugi Constantine, il envoya contre cette ville un corps de sixcents Turcs; mais ceux-ci furent arrts par une rsistance inatten-due de la ville de Badja, cheval sur la route, et durent se replieraprs avoir perdu du monde. Le pacha entra alors en pourparlers avec

    les tribus des Dred et Henanecha de la province de Constantine,tributaires des Chabba de Kairouan, leur renouvela les privilgesquils tenaient des Hafsides et, grce leur concours, put repren-dre possession de Constantine. Les principales villes maritimes

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    de Tunisie avaient envoy leur soumission aux Turcs(1).CHARLES-QUINT PRPARE LEXPDITION DE TUNIS.

    - KHER-ED-DINE Y ORGANISE LA RSISTANCE. Le nou-veau succs de Kher-ed-Dine acheva de dcider lempereur Char-les V entreprendre sans retard une grande expdition en Afrique.Moula-Hassen stait rfugi auprs de lui pour implorer son con-cours et, de tous cts, arrivaient des renseignements positifs surTunis et les forces dont les Turcs pouvaient disposer. Ce fut unevritable croisa