Upload
others
View
5
Download
0
Embed Size (px)
Citation preview
Direction des publications : Stéphanie BaronchelliSuivi éditorial et maquette : Alice Darondeau
Relecture éditoriale : Caroline MerceronCorrection : Maud Bataille
Direction artistique : Tiphaine RautureauCouverture et illustrations intérieures : Nathanaël Ferdinand
www.gulfstream.fr© Gulf stream éditeur, Nantes, 2020
ISBN : 978-2-35488-777-3
Loi 49-956 du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse
BETTY PICCIOLI
ILLUSTRÉ PAR NATHANAËL FERDINAND
Panique
à Gemelia
7
Chapitre 1La poule et la princesse
— Tout d’abord, retenez bien ceci, mes petites
canailles : aucune enquête ne résiste au jeune Ivan
Lorpalou !
Non, ce n’est pas assez… enfin vous voyez, quoi.
Pas assez spectaculaire. D’ailleurs les trois chèvres
à qui j’ai déclamé ma tirade n’ont pas l’air très
impressionnées.
— Tout d’abord… tout d’abord, retenez bien
ceci, mes bons amis ? Aucune enquête ne résiste au
jeune… non, au GRAND Ivan Lorpalou !
Voilà, ça c’est une entrée en matière de VRAI
détective ! Les trois chèvres continuent de brouter.
Panique à Gémelia La poule et la princesse
98
Mais de toute façon, qui consulterait des chèvres, je
vous le demande ? Je monte sur une écuelle renversée
qui trône au fond du jardin pour atteindre une taille
plus adulte. Notez bien cette technique – il paraît
que même le roi l’utilise pour avoir l’air aussi grand
que sa femme.
— Tout d’abord, retenez bien ceci, mes bons
amis ! Aucune enquête ne résiste au grand Ivan
Lorpalou !
Satisfait, je récupère la tartine au miel que j’avais
posée sur la barrière et me hâte de sortir du domaine
familial. Ma besace solidement amarrée autour de
mon épaule, je pars résoudre une enquête de la plus
haute importance, capitale pour notre royaume tout
entier.
— Ivan ! Viens nous aider à plier le linge !
Je tourne la tête vers le grand étendoir à linge,
où mes cousines Bertille et Myrtille s’affairent à
décrocher les draps blancs de toute la maisonnée.
— Bertille, Myrtille, je vous prie de m’excuser.
Le devoir m’appelle ! Une enquête urgente pour le
grand Ivan Lorpalou, et voyez-vous, je n’ai pas une
minute à perdre !
— Oh ! s’exclame Bertille. Tu enquêtes pour un
noble ? Non, la famille royale ?
— Hum, je… non, en réalité j’enquête sur… un
vol de poule.
Les jumelles échangent un regard éloquent, puis
me sourient timidement. Leur fierté est indéniable,
même si elles tentent de la cacher. Que voulez-
vous, ma vie est ainsi faite – j’ai beau être plus jeune
qu’elles, du haut de mes douze ans, j’impose le
respect. Ce n’est pas toujours évident d’être le héros
de sa famille, mais je dois assumer ma condition.
***
Panique à Gémelia La poule et la princesse
1110
Je rentre en traînant les pieds jusqu’à ma demeure.
Les choses ne se sont pas exactement déroulées
comme prévu. J’aurais préféré ne pas avoir à vous
le raconter, tant j’ai honte, mais si vous insistez…
J’ai résolu l’enquête comme convenu. Ce n’était ni
le meunier ni la bergère qui avaient volé la poule des
jumeaux Saindoux. Non, c’était Norbert Saindoux
en personne qui avait masqué un malheureux
accident en vol, pour que son frère Robert ne sache
pas qu’il venait de tuer sa poulette préférée ! Mais
Robert, au lieu de me payer mon dû, m’a arnaqué.
En effet, pour lui l’enquête n’aurait été résolue que
si je retrouvais la poulette vivante ! Mais moi, je
ne suis pas magicien, je ne sais pas ressusciter les
gallinacés ! C’est la troisième fois ce mois-ci qu’on
refuse de me payer. Je vous le dis, ce n’est pas demain
la veille que la gloire et la richesse vont venir frapper
à ma porte… Comme si le monde préférait cracher
au visage du talent quand il l’aperçoit.
Me voici donc les poches et le ventre vides, de retour
au domaine familial des Lorpalou. Oh, rien de très
fastueux – mes parents, ébénistes de métier, vivent
dans une maison de bois et de chaux à l’extérieur de
la cité, près du chemin qui mène à la forêt. Avec nous
habitent mes grands-parents, les jumeaux de mes
parents, leurs enfants et la famille continue encore
de s’agrandir, nous obligeant à ajouter des étages
et des annexes. Dans trois générations, la maison
chatouillera sûrement les nuages ! Nous sommes
vingt-huit en tout, et nous exerçons tous des métiers
de la construction – maçons, charpentiers, menuisiers,
jardiniers… excepté moi. Si vous souhaitez bâtir
votre maison dans le royaume de Gémelia, je me
ferai un plaisir de vous les présenter. La maison à six
étages est entourée d’une impeccable clôture abritant
un jardin tout aussi bien entretenu. C’est l’œuvre
de mes cousines Bella et Nella. L’édifice ainsi perdu
dans la prairie, au bord du chemin, peut surprendre.
Panique à Gémelia La poule et la princesse
1312
Une plaque en chêne habille le portail – « Propriété
de la famille Lorpalou » – suivie d’une marque dans
le bois pour chaque membre de la famille. Je suis la
douzième encoche. Je pose distraitement les doigts
sur la treizième, celle d’Igor, mon jumeau. Mon
regard ne peut s’empêcher de s’attarder sur l’arrière-
cour où, près de la tombe du grand-oncle Sylvestre et
de mes huit arrière-grands-parents, une autre pierre
tombale plus récente se dresse. Je n’ai pas besoin de
m’en approcher pour connaître l’inscription qu’on
peut y lire – « Igor Lorpalou, 1 495 – 1 505 ». Je tente
de refouler immédiatement ce souvenir douloureux
de mon esprit. À Gémelia, perdre son jumeau est la
pire des malédictions, car voyez-vous, nous naissons
tous à deux, sans aucune exception. Rares sont ceux
qui vivent leur vie loin de leur moitié, et pourtant,
j’y suis contraint. Mais je n’ai pas envie de parler plus
longtemps d’Igor. Tant que je n’aurai pas résolu le
mystère qui entoure les circonstances de sa mort,
Panique à Gémelia La poule et la princesse
1514
j’aurai la volonté furieuse de continuer à exercer ma
profession de détective. Chaque enquête, chaque
déduction, chaque nouveau client me rapprochent
un peu plus de la vérité, je le sens au plus profond de
mes tripes.
— Ah, te voilà enfin ! râle oncle Antonin alors
que je franchis la porte. Nous n’attendions plus que
toi pour le dîner !
Effectivement, une vingtaine de paires d’yeux
se tournent vers moi, leurs propriétaires sagement
attablés à l’immense table qui barre le rez-de-
chaussée de la maison. Mère et sa jumelle se lèvent
d’un bond pour venir m’embrasser sur les deux joues
et ébouriffer ma crinière, rousse comme la leur.
— Viens te mettre à table, mon chéri, murmure
ma mère à mon oreille. Comment s’est passée ton
enquête ?
— Maman, tu m’excuseras, mais je dois d’abord…
enfin tu sais bien.
Elle acquiesce, car elle connaît mon rituel quand
je termine l’une de mes enquêtes. Je monte les
escaliers tortueux jusqu’au grenier où se trouve
ma chambre, que je partage avec quatre de mes
cousins. J’ai aménagé un petit bureau dans l’un
des renfoncements du mur bancal, et accroché
avec des punaises tous les indices de mon enquête
pour comprendre la mort d’Igor sur une carte de
Gémelia. J’attrape une plume, l’encrier et mon
carnet de notes. À chaque fin d’enquête, je remplis
ici les détails qui m’ont semblé importants, les gens
rencontrés, leurs connexions possibles avec Igor
ou ma famille. Je leur demande toujours ce qu’ils
faisaient le jour de sa mort, il y a presque deux
ans. Qui sait, un jour aurai-je assez d’indices, de
témoignages et de preuves pour résoudre le mystère
qui entoure la mort de mon frère ?
Je termine d’inscrire mes minces notes sur cette
affaire et observe un instant le tableau devant
Panique à Gémelia La poule et la princesse
1716
moi. En son centre, un dessin du palais royal. J’ai
l’intime conviction que les clés pour comprendre
la mort de mon jumeau se trouvent là-bas. Il y
travaillait comme garçon d’écurie. Mais l’accès au
domaine royal est restreint, et je n’ai encore jamais
eu à enquêter sur place. Aussi, je tente de gagner
en notoriété, petit à petit, pour un jour espérer y
pénétrer plus officiellement.
Mais il n’est plus question de rêvasser, ou pire,
d’espérer. Ma famille m’attend pour le dîner. Je
décide donc de redescendre les escaliers. L’ensemble
de la tablée se tait alors que je me laisse glisser
sur ma chaise. Même les plus jeunes jumeaux, les
nourrissons de ma cousine Hilda, ont arrêté de
chouiner. Je positionne mes fesses avec délicatesse
sur l’assise, déplie lentement ma serviette pour la
placer autour de mon col. Je sais que j’ai l’attention
de tout le monde. Ma famille entière suspendue
à mes lèvres, rendez-vous compte ! L’espace d’un
instant, pendant cinq ou dix petites minutes, je suis
le centre d’attention de tous ces maçons, menuisiers,
ébénistes et jardiniers. Je suis l’attraction locale,
l’enfant prodige devenu détective ! Et je ne boude
pas mon plaisir. Tel un habile troubadour, je fais
monter la pression, s’appesantir le silence autour de
moi. Je plonge ma fourchette dans la purée, avale
la bouchée avec délectation. Enfin, après avoir
soigneusement essuyé la commissure de mes lèvres,
j’ouvre la bouche, prêt à déclamer ma fabuleuse
aventure de poule disparue !
— Tout d’abord, chère famille, retenez bien ceci :
aucune enquête ne résiste au grand…
Toc, toc, toc ! Je suis coupé dans mon élan
par un malandrin qui ose frapper chez nous à
l’heure du dîner ! Je fulmine, mais n’en laisse rien
paraître. La moitié de la tablée est visiblement
outrée qu’on ait osé me couper au beau milieu
de mon discours. Aussi, je décide de faire bonne
La poule et la princessePanique à GémeliaPanique à Gémelia
18
figure et de me lever, comme si tout ceci était
minutieusement préparé.
— Veuillez m’excuser, voulez-vous ? Je reviens
dans un instant.
Quelques soupirs agacés que je n’aie pu finir mon
histoire m’accompagnent jusqu’à la porte d’entrée.
Je l’ouvre et me retrouve nez à nez avec un coursier
royal dans sa livrée bleue. Surpris, je n’en oublie pas
mes bonnes manières pour autant.
— Que me vaut cet honneur ? Ivan Lorpalou,
pour vous servir.
— Très bien, c’est vous que je cherchais.
Il me tend un papier cacheté du sceau royal sans
plus de cérémonie. Je le déplie, les mains légèrement
tremblantes. L’écriture négligée me laisse deviner
que le mot a été rédigé à la hâte. J’ai à peine le temps
de le parcourir que le coursier reprend la parole.
— Vous êtes attendu dans les plus brefs délais au
palais, monsieur Lorpalou. Une affaire de la plus
haute importance. Ordre de la princesse Aurélia en
personne.
Sacrebleu ! C’est donc bien ce soir que la gloire est
venue frapper à ma porte !
21
Chapitre 2Le prince endormi
Le palais se dresse face à moi et j’en bave
presque d’extase. C’est la première fois que je m’en
approche d’aussi près et mieux, que je m’apprête à
y pénétrer. Cela fait presque deux ans que j’attends
ce moment ! Le coursier fait signe aux gardes
en place et le pont-levis descend devant nous,
lentement, pour se poser sur le sol. Je suis pris d’un
bâillement intempestif, moi qui ai l’habitude de
me coucher tôt, comme la plupart des génies, pour
reposer mon cerveau d’athlète de la pensée. Mais
est-ce vraiment le moment de me plaindre, alors
que la princesse de Gémelia en personne veut me
Panique à Gémelia Le prince endormi
2322
confier une enquête urgente ? C’est sûrement ma
carrière de détective qui se joue à cet instant précis.
Aussi je ferme les yeux, pousse un grand soupir et
pose un pied déterminé sur le pont-levis… Avant
de m’apercevoir que le coursier lui, est déjà presque
arrivé à l’autre bout.
Je cours pour le rattraper, et nous pénétrons dans
l’enceinte du château. Après quelques détours dans
des couloirs éclairés de torches, nous accédons aux
appartements royaux. Le coursier nous fait annoncer
et finalement, nous entrons dans une immense salle
au plafond voûté. Tout au bout, à une cinquantaine
de pas de nous, deux trônes identiques. Sur l’un,
une silhouette drapée dans une robe pourpre,
que je devine être la princesse Aurélia. Le coursier
s’approche, moi avec et j’ai le loisir de détailler plus
en profondeur la souveraine. Son port de tête altier,
ses longs cheveux d’un noir hypnotique qui ondulent
sur ses épaules, ses yeux sombres, son nez aquilin et
cette robe qui cascade le long de ses courbes jusqu’à
s’écraser au sol. N’importe quel adolescent de mon
âge aurait été subjugué par tant de beauté, mais j’ai
le délicat privilège de me distinguer du reste de mon
genre par une neutralité absolue face aux choses
de l’amour. Une qualité qui me permet de garder
la tête froide en toutes circonstances. Non, ce qui
m’impressionne vraiment, c’est la couronne que la
jeune fille porte et le pouvoir qu’elle lui confère.
Ou plutôt, à cet instant donné, le pouvoir que
cette demoiselle à peine plus âgée que moi possède
de changer ma vie en un simple claquement de
doigts. Aussi, je m’incline dans une révérence la
plus exagérée possible devant elle. J’attends que
la princesse ouvre enfin la bouche, après un long
silence pesant.
— Vous êtes bien Ivan Lorpalou ?
— Votre Majesté… Quel immense honneur de
vous rencontrer enfin !
Panique à Gémelia Le prince endormi
2524
— Je m’attendais à quelqu’un de plus… âgé ?
On m’a vanté vos qualités de détective.
— Ne vous fiez pas aux apparences, Votre Majesté.
Malgré mon jeune âge, sachez qu’aucune enquête
ne me résiste.
— Nous avons trouvé votre nom dans l’annuaire
des détectives du royaume. Je vais avoir besoin de
toute votre expertise pour le très épineux problème
que je rencontre.
Je lui souris de toutes mes dents. La demoiselle
fronce les sourcils, sûrement conquise. La pauvresse,
j’espère ne pas avoir à lui briser le cœur plus tard…
— De quoi s’agit-il, Votre Majesté ? Je peux tout
entendre.
— Relevez-vous et constatez la chose par
vous-même.
Je m’exécute et la princesse descend de son
piédestal, instantanément rejointe par les gardes
présents aux quatre coins de la pièce. Je les suis, et
nous pénétrons dans une chapelle située à l’arrière
de la salle du trône. Là, deux nouveaux gardes
nous accueillent et la princesse se place près d’un
lit sur lequel dort paisiblement un jeune homme,
emmailloté dans une couverture pourpre. Je
reconnais les traits ciselés et les cheveux sombres de
son jumeau, le prince Aurel.
— Mon frère est ainsi depuis deux jours, annonce
Aurélia, la gorge nouée. Il est impossible de le
réveiller. Il dort d’un sommeil si profond qu’il est
probablement magique.
— Puis-je l’examiner, Votre Majesté ?
La princesse n’est pas surprise le moins du monde
par ma requête et s’écarte du corps. Je m’approche,
tourne d’abord autour du lit, observant tous les
recoins de la couverture, du visage et des mains
jointes du jeune prince. Puis, j’ouvre délicatement
sa mâchoire, hume son haleine, l’intérieur de ses
oreilles, ses narines aussi. Je surprends le regard
Panique à Gémelia Le prince endormi
2726
dégoûté de l’un des gardes, mais ne relève pas
l’affront. Mon travail de détective ne souffre pas le
ridicule. Puis je tente d’écarter les mains d’Aurel, qui
ne se laissent pas faire. Je les soulève avec précaution
et m’aperçois qu’elles serrent entre elles une petite
fiole vide. Je la sors de là et l’examine, humant
l’odeur qui s’en dégage, poivrée et mentholée.
— Qu’est-ce que c’est ? demande la princesse,
intriguée. Nous n’avions rien remarqué.
— C’est ici que mes talents sont utiles, Votre
Majesté. Et je peux vous le dire sans détour : votre
frère a été empoisonné par une puissante potion de
sommeil.
Je scrute la réaction de la jeune fille, mais elle reste
impassible.
— C’est la conclusion que nous avions tirée, en
effet.
— Nous ?
Panique à Gémelia Le prince endormi
2928
— Oui, nous, répond une voix lugubre depuis le
couloir.
Je me retourne pour apercevoir l’homme à qui
elle appartient. Il se courbe pour pouvoir pénétrer
dans la chapelle. Un frisson parcourt mon échine :
je n’ai jamais croisé l’individu en question, mais son
physique atypique me met tout de suite sur la piste.
C’est le Premier ministre du royaume, Sir Drame
Gardon. Son nom figure sur mon mur d’enquête.
L’homme d’une cinquantaine d’années, immense,
a les tempes grisonnantes, le teint blafard et des
pommettes saillantes qui lui donnent une allure
squelettique. S’il ne m’inspire pas confiance au
premier abord, son histoire, elle, force mon empathie.
Lui aussi a perdu sa moitié, quelques semaines avant
la mort d’Igor. L’affaire a fait grand bruit dans tout
le royaume, car Tragédie Gardon était l’influente
Première ministre, disparue dans de mystérieuses
circonstances un matin d’octobre 1505. Son frère
a pris sa place juste après que la meurtrière, une
voleuse de grand chemin, a été arrêtée. Ainsi, je
reconnais l’ombre qui plane dans le regard mordoré
de Sir Drame.
— C’est donc vous, le… détective ? me demande-
t-il d’une voix glaciale. Ivan Lorripilant, c’est bien
cela ?
Je lui tends la main, retenant le rictus contrarié
qui veut fendre mon visage. Il la serre sans aucune
envie.
— Ivan Lorpalou, à votre service, Sir Drame. Je
présume que vous avez déjà commencé à mener
l’enquête au sein du palais ?
— Oui, évidemment. Comme je l’expliquais à la
princesse Aurélia plus tôt, nous n’avons vraiment
pas besoin de vos services, mais…
— Mais mes parents sont absents et rentrent
de leur voyage diplomatique dans trois jours, Sir
Drame, et je ne veux pas leur infliger une telle
Panique à Gémelia Le prince endormi
3130
vision d’horreur. Je désire que mon frère soit
réveillé, et en bonne santé le plus rapidement
possible. De plus le roi et la reine donnent un
grand banquet à leur retour, avec tous les hauts
dignitaires de Gémelia, et vous savez bien que si la
rumeur se propage dans le royaume que le prince
ne peut plus exercer le pouvoir, alors lui et moi
nous serons… définitivement destitués au profit
de nos cousines.
La jeune princesse jauge son interlocuteur sans
ciller. C’est à moi de tirer profit de cette situation, à
présent, car visiblement, le Premier ministre ne veut
pas me voir ici.
— Vous avez tout à fait raison, Votre Majesté.
Quelles que soient les compétences disponibles
au palais, il me semble que vos rangs ne comptent
aucun détective. Vous avez besoin d’un regard
extérieur neuf et aguerri, et surtout de la plus totale
discrétion. Je suis l’homme de la situation.
— L’homme de la situation…
Quel âge avez-vous, au juste ?
me demande Sir Drame d’un ton
condescendant.
— Sir Drame, cessez
immédiatement, s’énerve la
princesse. Monsieur Lorpalou
est engagé. Il a trois jours
pour découvrir qui a fait cela
et comment réveiller mon frère.
Vous savez bien que c’est…
— Que c’est votre seule solution,
oui, je coupe la princesse.
Elle me fixe d’un air inquisiteur
et je brandis la fiole trouvée dans
les mains d’Aurel. D’un geste
souple, j’extrais de mon veston le
monocle grossissant offert par mes
parents à mon dernier anniversaire.