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Cabré, La terminologie, une discipline en évolution
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La terminologie, une discipline en volution :
le pass, le prsent et quelques prospectives
M. Teresa Cabr
Institut Universitari de Lingstica Aplicada (IULA)
Universitat Pompeu Fabra (Barcelone)
Texte traduit par Marie-Claude LHomme
1. Introduction1
Le prsent article trace un portrait chronologique de la terminologie : il rappelle grands traits
les faits saillants du pass; examine la situation actuelle et fait quelques prospectives. La
terminologie sera envisage ici comme une discipline centre sur un objet, savoir lunit
terminologique. Nous tiendrons galement pour acquis que les domaines du savoir la
terminologie ne fait pas exception naissent, se dfinissent et se prcisent en fonction de
facteurs sociaux et politiques existant dans les contextes qui ont favoris leur mergence et
que ce sont ces facteurs qui expliquent les diffrentes manires daborder un objet
scientifique.
Quelques remarques prliminaires serviront situer notre propos.
Premirement, nous aborderons le prsent, le pass et lavenir en tenant compte des
spcificits de la situation actuelle de la terminologie caractrise par des remises en question
et des efforts de repositionnement de ses modles thoriques. Le pass sera envisag, par
consquent, comme lensemble des facteurs qui ont men ce contexte. En outre, nous
aborderons lavenir de la terminologie de manire prospective en faisant ressortir les lments
qui, notre avis, permettent de donner une ide de lvolution, des changements et des
renouveaux envisageables.
1 Une premire version de ce texte a t publie dans la revue Debate.Terminologico 1, 2005.
Nous remercions lauteure ainsi que les diteurs de la revue de nous avoir permis den publier
une version franaise.
Deuximent, afin de bien dcrire les diffrences existant entre les trois poques qui
nous intressent, nous envisagerons la terminologie selon quatre points de vue : 1) la
terminologie comme besoin social; 2) la terminologie comme pratique destine satisfaire les
besoins engendrs par cette exigence; 3) la terminologie comme application ou ensemble de
ressources gnrs par la pratique et; enfin, 4) la terminologie comme domaine du savoir.
Nous prfrons aborder la terminologie comme domaine du savoir plutt que comme
discipline, car le terme discipline renvoit une forme dinstitutionalisation dun domaine de
connaissances reconnu socialement. Toutefois, cette prise de position ncarte pas demble
laspect disciplinaire. Ce dernier peut tre pris en compte dans lexplication des diffrentes
tapes de lvolution de la terminologie.
Troisimement, notre avis, lvolution de la terminologie sarticule autour de deux
tendances, savoir lidal et le rel. Si notre point de dpart tait la terminologie de lidal
, nous aurions circonscrire, caractriser et analyser ce quoi nous aimerions que la
terminologie ressemble, mme si ce modle ntait pas tout fait confirme la ralit.
Quatrimement, un portrait du pass, du prsent et de lavenir de la terminologie ne
prsuppose pas des lignes de dmarcation trs nettes entre chacune des poques. Il nentrane
pas non plus linvalidation des principes et fondements valables au cours de lune des poques
envisages. Lvolution dune science ne se droule jamais de manire rectiligne et rarement
de manire ordonne. Dans tous les cas, elle rsulte plutt, pour tout phnomne ou objet
quelle dcrit, dun ensemble complexe de changements structurs dont la reprsentation peut
varier.
Il importe de rappeler que le fait daborder le pass nentrane pas ncessairement une
rupture totale avec le prsent. De notre point de vue, il sagit plutt de dcrire une poque au
cours de laquelle a rgn une certaine conception de la terminologie. Cette conception, tout
comme celle qui rgne actuellement et celle qui rgnera dans lavenir, sappuie sur des
lments qui dfinissent la terminologie en fonction des quatre points de vue voqus ci-
dessus et que nous rappelons brivement :
La terminologie comme besoin social ;
La terminologie comme pratique;
La terminologue comme application ou ensemble de ressources;
La terminologie comme domaine du savoir.
2. Le pass
Lpoque dore de la terminologie, que nous situons dans la premire moiti du XXe sicle,
est marque par la prdominance en Europe des travaux dE. Wster, qui nous devons
dimmenses efforts pour la reconnaissance disciplinaire et politique de la terminologie. Cette
reconnaissance sest dploye dans les trois secteurs suivants :
sociopolitique;
acadmique;
scientifique.
Pour Wster, un objet dtude trouve sa justification dans une forme de pertinence
sociale : autrement dit, il doit sagir dun objet pour lequel un groupe social manifeste de
vritables besoins. Par consquent, il fait lobjet de demandes manant de professionnels qui
cherchent des solutions ces besoins. Mme si lappellation terminologue navait pas encore
fait son apparition dans les annes 1950, Wster a argument avec vigueur en faveur dune
formation de professionnels de la terminologie. Leur tche consisterait laborer des
dictionnaires spcialiss (appels dictionnaires techniques) perus alors comme des ouvrages
incontournables une poque o la technique et les technologies se dployaient dans de
nombreux secteurs dactivit.
Les terminologues pouvant raliser ce travail devaient tre, selon Wster, des
spcialistes dun domaine, puisquils taient les seuls possder les connaissances ncessaires
pour relever des termes adquats. Comme nous le verrons ci-dessous, cette optique permet de
mieux comprendre les raisons pour lesquelles Wster privilgiait une dmarche
onomasiologique, dmarche selon laquelle les connaissances dun sujet prcde la slection
des dnominations. Il est vrai que si le travail terminologique procde dune structure
conceptuelle et quil sagisse par la suite dattribuer des dnominations de rfrence chacun
des concepts prsents dans la structure (ce genre de travail aboutissant une compilation des
formes normalises pour chacun des concepts), seuls les spcialistes des domaines concerns
peuvent sacquitter de ces tches. La dmarche rsume dans les lignes qui prcdent est celle
qua adopt Wster lui-mme en laborant son dictionnaire de la machine-outil, dictionnaire
qui a servi formuler sa thorie de la terminologie.
La reconnaissance sociale de la terminologie, reconnaissance obtenue grce aux
efforts de Wster et dfinie en fonction de son rle communicatif (cest--dire comme outil de
communication entre spcialistes), a men la dfinition de deux objectifs fondamentaux. Le
premier concerne la reconnaissance du rle central jou par la normalisation en terminologie.
Cet objectif sest ralis concrrement lOrganisation internationale de normalisation (ISO)
lorigine de la cration du Comit technique 37. Ce comit, dont Wster a t le secrtaire,
sest occup et continue de le faire de ltablissement de principes de travail en
terminologie et de la reprsentation des donnes terminologiques. Le second objectif concerne
la cration dun centre international de terminologie. Il sest ralis sous la forme dun
programme de terminologie lUNESCO, programme qui a donn lieu la cration du centre
de documentation en terminologie INFOTERM Vienne. La direction du centre a galement
t confie Wster.
Wster avait conscience quil serait nettement plus difficile de faire reconnatre la
terminologie sur le plan acadmique. Lajout de nouvelles matires aux programmes dtudes
universitaires constitue une source permanente de conflits. La rsistance manifeste lgard
de nouvelles disciplines qui peuvent se faire concurrence sobserve encore aujourdhui. Les
linguistes dits purs ne voient dans la terminologie que son aspect applicatif : pour eux, elle
est rduite une srie de tches touchant llaboration de dictionnaires spcialiss, tches qui
nexigent pas, selon certains, de grandes connaissances en linguistique. Cette vision rductrice
a relgu la terminologie aux programmes dorientation professionnelle, comme la traduction
ou la documentation. quelques rares exceptions, la terminologie ne figure dans aucun
programme de formation en linguistique ou en philologie. La seule russite de Wster dans ce
domaine a t la cration dun cours de terminologie gnrale lUniversit de Vienne, cours
quil a dispens et qui existe encore aujourdhui.
Enfin, pour confrer la terminologie une reconnaissance scientifique, Wster a
emprunt la seule voie possible : doter la terminologie dune thorie qui justifierait son statut
comme discipline. Cette thorie a t dnomme, par les disciplines de Wster, Thorie
gnrale de la terminologie (TGT) afin de lopposer ce que Wster appellait les thories
propres chaque spcialit.
Cette srie de dcisions ont contribu la consolidation et limplantation de la TGT
dont lensemble des principes logiques nous sont apparus dans toute leur complexit aprs de
nombreuses annes de rflexion. Cette rflexion nous a permis de constater la cohrence de la
TGT par rapport aux principes de dpart sur lesquels elle repose et dexpliquer les raisons
pour lesquelles Wster lui a donn cette forme. Wster a fond sa thorie sur la dmarche
quil a adopte pour laborer son dictionnaire et cela a dtermin la fois le point de vue
adopt sur lobjet terminologique et les principes fondamentaux de la terminologie.
Reprenons un a un les lments qui ressortent de la discussion qui prcde :
Le point de dpart de la dmarche adopte par Wster pour raliser le Dictionnaire de
la machine-outil est sa connaissance approfondie du sujet. Ses connaissances du
domaine lui ont permis de construire une structure conceptuelle sur laquelle il pouvait
ensuite greffer des dnominations. La dmarche tait donc, puisquil tait spcialiste,
onomasiologique.
Cette dmarche a eu une consquence importante : Wster a pos le principe de la
primaut du concept par rapport la dnomination et a dfini le concept comme objet
central de la terminologie sans le sparer, toutefois, de la dsignation.
Les donnes sur lesquelles Wster a appuy ses observations et dont il a dcrit les
caractristiques correspondent aux donnes de son dictionnaire qui avait une finalit
bien dfinie (faciliter la communication internationale entre professionnels et
permettre une communication interlinguistique sans ambigut). Autrement dit, lobjet
sur lequel Wster a appuy ses observations a donn une orientation trs prcise sa
thorie : il ne reprsente pas lensemble des situations de communication spcialise,
ni mme toutes celles qui interviennent entre experts.
Les principes de la TGT reposent donc sur les observations faites partir du
Dictionnaire de la machine-outil, sur un cadre dfini par la dmarche et la
mthodologie adoptes pour raliser ce dictionnaire, et, surtout, sur sa finalit
normalisatrice.
Ces explications permettent de mieux comprendre que la TGT :
o sest construite en marge dune conception linguistique2;
2 Wster a justifi cette sparation en allguant que les thories linguistiques de lpoque ne
tenaient pas compte de certains aspects essentiels permettant de distinguer les termes des units
o a appuy son caractre distinctif par rapport la linguistique sur les hypothses
que chacune fait sur les langues;
o a pos la sparation du concept et de la dsignation et la primaut du concept
sur la dsignation;
o a plac sur le mme plan la dnomination dun concept par un terme (cest--
dire la dnomination linguistique) et la dnomination non linguistique;
o a justifi la fonction particulire de la terminologie qui peut intervenir sur
lvolution normale des termes en les normalisant3;
o a mis laccent sur lattention exclusive accorde la forme crite des termes (la
seule forme de normalisation prvue par les normes internationales) et a cart
la forme orale, pourtant privilgie en sciences du langage;
o a fait limpasse sur la combinatoire des termes4;
o a fait limpasse sur les aspects diachroniques des concepts et des termes5.
lexicales de langue gnrale. Nous supposons, bien que cela ne soit pas dit explicitement, quil
faisait rfrence la smantique et la pragmatique qui permettraient de fait de caractriser les
units terminologiques. Dans notre propre conception de la terminologie, nous nenvisageons
pas les termes comme des units en marge du lexique. Au contraire, nous dfendons lide
selon laquelle il sagit dunits lexicales possdant une valeur spcialise. Le caractre
terminologique se dfinit alors comme une valeur attribue aux units du lexique. Cette valeur,
qui est fondamentalement smantique et fixe par un classement conceptuel dexpert, est
active en fonction de facteurs pragmatiques.
3 En fait, lintervention sur lvolution des langues et tout fait habituelle dans toute opration
de planification linguistique. Citons, par exemple, le cas de lhbreu moderne.
4 La combinatoire des termes est aujourdhui lun des aspects les plus tudis. Certains travaux
se penchent sur la phrasologie (phrasologie de spcialit); dautres dcrivent les collocations
dont font partie les termes. Le lecteur peut se reporter Lorente et al. (1998), Bevilacqua
(2004), Lorente (2001) et Vidal (2004).
La dmarche adopte par Wster dans la formulation de sa thorie explique galement
le fait que la rgle en terminographie consiste appliquer une dmarche
onomasiologique (du concept la dnomination) et que toute dmarche
smasiologique (de la dnomination au concept) soit carte et relgue au domaine
de la lexicographie orientation linguistique.
Enfin, la dmarche de Wster explique le caractre homogne des produits
terminographiques salignant sur des normes internationales. Il sagit de glossaires
plurilingues vocation de normalisation ; outils qui conviennent aux spcialistes qui
sont la recherche de la forme dnominative normalise dans leur langue ainsi que ses
quivalents dans dautres langues galement normaliss.
3. Le prsent
Les changements sociaux qui sont survenus au cours du XXe sicle, et plus prcisment
durant la seconde moiti du sicle, ont remis en cause de nombreuses valeurs que lon tenait
pour acquises auparavant et ont entran une redfinition de lorganisation sociale, politique et
conomique traditionnelle. Certains de ces changements ont eu un impact profond sur les
systmes de communication, le statut des langues et la valeur de la terminologie spcialise
sur le march du savoir.
Parmi les facteurs les plus importants qui ont modifi notre conception de la thorie et
de la pratique de la terminologie, mentionnons les suivants :
Laccroissement des communications multilingues touchant des langues de statut
sociopolitique et de famille linguistique distincts et intervenant entre pays dont les
cultures et le dveloppement conomique et technique ne sont pas les mmes.
La diversification des situations de communication spcialise, elle-mme entrane
par des besoins varis quant transmission des connaissances spcialises.
5 Le caractre essentiel des aspects diachroniques a retenu lattention dans des travaux plus
rcents (voir Temmerman 2000).
La multiplication des sujets faisant lobjet dchanges internationaux; ce facteur
rsulte dun accroissement important de la place occupe par le savoir et dune
diversification des contenus spcialiss. En outre, les sujets dintrt ne se limitent
plus aux sciences dites dures et aux techniques : ils concernent galement les sciences
et activits humaines et sociales.
La diffusion du savoir spcialis par des moyens de communication de masse et la
gnralisation de la formation spcialise tous les niveaux dtude.
Lapparition et limplantation des technologies dans tous les secteurs professionnels.
Paralllement, dautres changements importants touchant le statut social et politique
des langues se sont produits pendant la seconde moiti du XXe sicle. Parmi ceux-ci,
mentionnons les deux suivants : 1) limportance accorde par les tats aux langues parles sur
leur territoire comme instruments daffirmation nationale; 2) la participation effective de
lappareil politique au dveloppement du corpus des langues officielles et la promotion de
leur utilisation au moyen de politiques linguistiques. Ces politiques sont conues pour
gnraliser lemploi dune langue nationale dans toutes les sphres de communication au sein
dun pays. Elles contribuent galement au dveloppement de programmes visant laborer
des terminologies et mettre la disposition des usagers des moyens adapts la
communication spcialise. La promotion dune langue nationale au rang de langue dusage
nexclut pas quen situation de communication internationale on adopte la mme langue ou
quon choisisse une autre langue fonctionnelle. On peut facilement en dduire que, dans ce
contexte, le dveloppement de produits terminologiques sest accru de manire spectaculaire
dans toutes les langues et a contribu indirectement lpanouissement de la terminologie
comme domaine du savoir.
Sans prtendre lexhaustivit, nous pouvons ajouter que les changements
scientifiques et techniques font galement partie des facteurs qui participent au tournant
pistmologique emprunt par la terminologie et ses applications.
Parmi les changements de nature scientifique qui ont touch le statut pistmologique
de la terminologie directement, il convient de mentionner limpulsion donne par la
linguistique, cest--dire louverture la pragmatique et la smantique. Lorsque Wster a
conu sa thorie de la terminologie, la linguistique tait domine par le structuralisme. Le
paradigme ne permettait pas de prendre en compte la nature distinctive de termes qui doit
sappuyer sur des aspects pragmatiques et smantiques et non sur des aspects grammaticaux.
La linguistique gnrative et transformationnelle, qui a domin partir de la fin de la
premire dcennie du XXe sicle jusquaux annes 1970, nautorisait pas plus la prise en
compte du caractre spcifique des units terminologiques ou des diffrences existant entre
les termes et les autres units lexicales dune langue.
Le premier changement qui, notre avis, reprsente le premier pas vers une
reconnaissance linguistique de la terminologie est la revalorisation de la composante lexicale
dans les cadres thoriques grammaticaux, transformationnels ou non transformationnels. Ce
changement a contribu un regain dintrt pour le lexique en tant que tel et non uniquement
comme lment ncessaire la description de la syntaxe. Toutefois, cest lmergence du
fontionnalisme linguistique et, plus tard, lapplication au langage des thories cognitives
dabord proposes par la philosophie et la psychologie qui ont permis la thorie de la
terminologie de prendre un tournant dcisif. Ces deux derniers paradigmes offrent la
terminologie un cadre qui se prte bien la description des termes en raison des aspects
smantiques et pragmatiques qui sont pris en compte. Cette diversification des centres
dintrt au sein de la linguistique a permis la discipline dtendre ses analyses au texte (et
de plus sarrter la seule phrase), daborder les similitudes et les diffrences existant entre
les textes spcialiss et gnraux et de tenir compte du contexte linguistique dans lequel
voluent les units terminologiques.
Le dveloppement spectaculaire de la linguistique base sur corpus a galement
contribu lmergence dune terminologie descriptive. Les analyses qui sappuient sur des
donnes extraites de corpus permettent non seulement de disposer dune masse critique de
donnes slectionnes adquatement pour dcrire lun ou lautre phnonme, mais galement
dobserver et de faire des gnralisations que le seul recours lintuition ne permet pas de
dgager. De plus, les corpus ont eu un impact important sur le travail terminologique.
Auparavant ralis au moyen de mthodes artisanales, il intgre dsormais des technologies
de manire plus ou moins importante menant ainsi la dfinition de nouvelles mthodes de
travail.
Afin de mieux comprendre les nouvelles possibilits quoffrent actuellement dautres
disciplines la terminologie, il convient de mentionner la place de plus en plus importante
occupe par lanalyse du discours, importance amplifie par la prise en compte des textes
considrs dans leur contexte communicatif. Lanalyse du discours permet galement
dexaminer la corrlation existant entre les units linguistiques grosso modo entre units
lexicales et combinaisons dunits lexicales et les contraintes communicatives.
Enfin, ce panorama des facteurs ayant contribu au changement quont connu le
positionnement scientifique et les applications de la terminologie serait incomplet si nous
occultions limportance de la revalorisation de la nature fondamentalement sociale des
langues et du rle symbolique quelles jouent dans les communications nationales et
internationales, notamment avec les revendications en faveur du multilinguisme propre la
politique europenne actuelle.
De leur ct, les sciences cognitives ont acquis une importance croissante sur la scne
scientifique tout au long de la seconde moiti du XXe sicle. La distinction entre pense et
activit crbrale ainsi que la possibilit dappuyer des hypothses sur le language et les
langues sur des bases neurophysiologiques ont permis de poser les problmes dans une
perspective purement mentaliste et de les vrifier au moyen de donnes empiriques. Ainsi, un
nouveau courant de psychologie cognitive se dveloppe en marge de la philosophie de la
science. Il forme la base sur laquelle peut se construire la linguistique cognitive et, plus
spcifiquement, la grammaire cognitive. Laspect conceptuel de la terminologie trouve ainsi,
dans les postulats du cognitivisme, un cadre plus adquat pour dcrire les caractristiques
fondamentales du concept spcialis et des structures conceptuelles ainsi que des arguments
pour appuyer la thse de Wster selon laquelle le concept prvaut sur la dnomination.
Cependant, si dun ct, les sciences cognitives cautionnent la thorie wstrienne, de
lautre, elles en invalident certains fondements : par exemple, le caractre fixe du concept, la
monosmie du terme et, enfin, la structuration universelle des notions dans les domaines du
savoir. Dautres avances remettent en cause le postulat selon lequel la terminologie doit
dabord soccuper des concepts et ensuite des dsignations, et permettent den formuler des
critiques. Mentionnons la thorie du prototype et son pouvoir explicatif quant la
catgorisation de la ralit et ladhsion des linguistes et spcialistes de lanalyse du discours
lgard du constructivisme comme explication de la catgorisation et son recours la
gradualit face la catgorisation. Enfin, limportance quont acquis les aspects culturels au
sein du constructivisme, mais galement dans dautres cadres thoriques dans lanalyse de
phnomnes linguistiques ont fourni dautres arguments aux dtracteurs de la terminologie
conue Vienne au dbut du XXe sicle.
Paralllement aux changements qua connus la linguistique (cest--dire lapparition
des nouveaux paradigmes voqus ci-dessus), les sciences de linformation se sont galement
dveloppes considrablement, notamment en raison de lintgration des nouvelles
technologies. Ces dernires ont entran une demande croissante doutils linguistiques et de
techniques faisant appel au traitement de la langue. La facilit avec laquelle on peut
dsormais stocker linformation qui a pourtant t un des plus sujets les plus proccupants
du sicle dernier a donn lieu dautres proccupations, savoir ladquation, une tche
spcifique, des outils mobiliss et lefficacit des traitements. Outre les mthodes
linguistiques, des mthodes statistiques et des techniques dapprentissage automatique sont
dsormais couramment utilises en traitement automatique de la langue.
En terminologie, ces changements ont eu de profondes consquences sur le travail
dlaboration de glossaires. Ils ont compltement boulevers la chane de travail ainsi que la
mthodologie utilise. En effet, le volume norme de textes quil est dsormais possible de
tlcharger partir dInternet permettent de construire des corpus portant sur toutes les
thmatiques. Des outils de traitement automatique peuvent tre utiliss pour exploiter ces
corpus, y localiser la terminologie, lextraire et la placer dans des bases terminologiques. Les
systmes dextraction automatique dinformation peuvent galement se concentrer sur les
contextes les plus utiles pour dcrire un terme, cest--dire sur ceux qui renferment des
fragments de dfinition, des variantes dnominatives ou, encore, lexpression dune relation
smantique comme la synonymie, lhyperonymie et lhyponymie. Si ces outils sont
correctement intgrs dans une mme plateforme, on peut concevoir un poste de travail qui
facilite grandement le travail dlaboration de glossaires spcialiss.
En rsum, nous pouvons affirmer que les changements survenus au cours des
dernires dcennies ont eu des consquences importantes sur la manire de concevoir
linformation spcialise et sur les traitements adapts cette information :
La valeur sociale attribue linformation spcialise a doubl en importance ;
Le traitement automatique des textes spcialiss requiert de grandes quantits de
termes disponibles ;
La dfense du multilinguisme dans les changes gnre des besoins en terminologie et
en nologie ;
Limportance accorde la communication spcialise a contribu lmergence de
nouvelles professions langagires et force les professions langagires classiques
sadapter de nouveaux environnements de travail.
Ce nouveau contexte a entran une remise en question de la thorie de la terminologie
et un examen de son aptitude rendre compte de cette complexit reprsentative et
communicative. En outre, conformment ce repositionnement, nous pouvons affirmer que la
terminologie nest plus considre comme une ncessit et une pratique homognes. On la
peroit dsormais comme un ensemble de besoins qui exigent des pratiques distinctes et des
applications adaptes. De lhomognit et de luniformit qui caractrise la production de
glossaires terminologiques, nous sommes passs une diversification de produits
terminologiques qui se dfinissent avant tout en fonction de leur adquation aux
caractristiques discursives qui leur permettront de fonctionner socialement.
Comme on peut sy attendre, ces changements ont men une rvision critique de la
validiti des postulats de la thorique gnrale de Wster. Comme nous lavons vu, les
critiques de la terminologie classique manent de trois secteurs diffrents :
a) les sciences cognitives;
b) les sciences du langage;
c) les sciences de linformation.
La philosophie et la psychologie cognitives ont dmontr quil tait extrmement
difficile de tracer une ligne de dmarcation nette entre les connaissances spcialises et
gnrales. En outre, elles ont montr que lacquisition de connaissances spcialises fait appel
aux connaissances gnrales et ont mis en vidence le rle jou par les acteurs dans la
construction du savoir partir du discours et lomniprsence de la culture (y compris la
culture scientifique) dans la perception de la ralit.
Les sciences du langage, et plus prcisment la linguistique et la sociolinguistique, ont
remis en cause la division radicale entre la langue gnrale et spcialise. Elles ont galement
dcrit les fondements sociaux des langues de spcialit et leur diversification interne et ont
formul des hypothses permettant de construire des modles gnraux intgrant la fois le
gnral et le spcialis. Dans ce type de linguistique, la smantique et la pragmatique jouent
un rle dterminant. En effet, les modles linguistiques adapts la terminologie doivent tenir
compte, en plus de laspect formel du langage, de ses aspects cognitifs et fonctionnels. Enfin,
la linguistique du texte et la linguistique de corpus offrent un cadre grammatical qui permet
de repousser les limites de la linguistique structurale et des modles gnratifs standard
centrs sur la phrase.
Les sciences de linformation, quant elles, se sont concentres sur la mise au point de
scnarios communicatifs divers et ont labor des modles sous forme de schmas, de
situations ou de cadres qui tiennent compte de la communication spcialise. Dans ces
modles, la communication spcialise nest plus envisage comme un cas de figure isol,
mais comme une sries doptions spcifiques lintrieur dun mme schma. Par ailleurs,
lanalyse du discours sintresse de plus en plus au discours spcialis ainsi qu sa
reprsentation et sa diffusion sociales.
3.1 Ractions de lapproche wstrienne
La raction des cercles traditionnellement associs la diffusion des ides relatives la
terminologie ne nest pas fait attendre. Dans un article intitul Socioterminology,
Terminology Planning and Stardardization, Myking (2001) critique les contributions
orientation sociolinguistique et les analyse en termes de ressemblances et de diffrences par
rapport la thorie wstrienne. La conclusion quil tire cet examen est la suivante : la
diffrence entre les ides mises par les disciplines de Wster et celles de ses dtracteurs se
rsume au fait que les uns travaillent dans une optique monolingue alors que les autres se
placent dans une perspective multilingue.
notre avis, le constat de Myking constitue une simplication de la question. Il analyse
la situation en dcrivant des positions polarises et les considre comme des dichotomies :
a) Optique terminologique dont la vise est la planification linguistique par rapport une
optique centre sur les spcialits;
b) La recherche ponctuelle par rapport la recherche thmatique;
c) La dmarche smasiologique par rapport la dmarche onomasiologique.
De notre point de vue, limportance du mouvement de dissidence sexplique par des
motifs qui vont beaucoup plus loin que des considrations pratiques. Elle repose sur les
conceptions distinctes, les prsupposs distincts et les principes fondamentaux distincts de
chacune des optiques thoriques adoptes.
Les dfenseurs de la thorie classique assurent que la TGT a intgr de nouveaux
aspects sociaux et communicatifs, ce qui a contribu la formulation dune TGT beaucoup
plus tendue. Toutefois, notre avis, il ne sagit pas tant de moduler une thorie existante que
de dfinir un nouveau modle capable de rendre compte des donnes empiriques produites par
une grande varit de situations et doffrir une base suffisamment large pour concilier des
optiques distinctes et les priorits rvles par des exigences de nature diffrente. Il faudrait
analyser les propositions thoriques de Wster et de ses disciples et sassurer quelles sont
suffisamment tendues et reprsentatives des donnes terminologiques et de leur
fonctionnement global pour voir sil convient de la dfinir comme une thorie unifie de la
terminologie. Dans cette dialectique, la thorie classique, en raison de la cohrence interne,
occupera une place trs importante. Toutefois, elle ne peut pas tre envisage comme un
modle central quon enrichira dlments dfinis par dautres conceptions ou rendus
ncessaires par dautres besoins.
notre avis, la thorie labore par Wster, mme si elle nest pas uniquement
prescriptive comme le prtendent ses dfenseurs , ne rend compte que dune partie des
donnes terminologiques, savoir le contenu des dictionnaires spcialiss vocation de
normalisation. Par consquent, la thorie qui sest construite partir de ces donnes est
forcment oriente. La finalit dune thorie est de dcrire des donnes relles et
reprsentatives. En outre, une thorie doit avec une cohrence interne et possder un pouvoir
prdictif.
De toute vidence, une dmarche qui sappuie sur des donnes rattaches un
dictionnaire, et a fortiori un dictionnaire dont la finalit est de normaliser, mnera
invitablement aux conclusions suivantes : 1) la terminologie est systmatique et biunivoque;
2) les termes sont parfaitement quivalents dune langue lautre, et; 3) les concepts
lintrieur dun domaine sont prcis et universels, leurs dnominations peuvent tre dcrites
formellement et contribuer ainsi la dfinition dune terminologie internationale.
Toutefois, si nous observons les donnes terminologiques en discours, lieu o elles
subissent des variations en fonction des registres fonctionnels distincts de la communication
spcialise, elles seront forcment moins systmatiques, moins souvent univoques ou
universelles que celles qui ont retenu lattention de Wster. La raison de ce caractre moins
stable est vidente : en discours spcialis oral et crit, la terminologie constitue un recours
expressif et communicatif, et, conformment ces deux facteurs, le discours est marqu par
une redondance ainsi quune variation conceptuelle et synonymique. En outre, on pourra
constater de nombreuses infractions au principe dquivalence parfaite entre les langues. Cest
prcisment ici, dans la nature des donnes observes, que se situe le point nvralgique de la
dissension.
Pour faire le point sur la valeur des propositions thoriques critiques par rapport la
terminologie classique, propositions prsentes par les auteurs comme des thories
alternatives, G. Budin (2001) a procd un examen comparatif de diffrents courants. Son
examen tient compte de trois ensembles de propositions :
a) La socioterminologie : dans ce premier courant, lauteur place le groupe de Rouen
(Gaudin, 1993; 2003), la terminologie orientation sociale scandinave, la
terminologie sociocognitive de Temmerman (2000) et quelques contributions
individuelles comme celles de Boulanger (1995), de Cabr (1999) et dAntia (2000).
a) La terminologie computationnelle : courant qui fait appel aux corpus textuels et qui
intgre une composante de recherche applique en ingnierie terminologique. Ce
courant sintresse la modlisation des donnes et des mtadonnes ncessaires au
traitement de linformation terminologique et aux analyses sappuyant sur la
linguistique formelle (par exemple, la Thorie Sens-Texte dIgor Meluk (Meluk,
1997; Meluk et al., 1995))6. Lauteur cite ici Ahmad (1998), Heid (1999),
Jacquemin, Bourigault et LHomme (1998) et Pearson (1998)7.
b) Le paradigme autonome : courant qui se situe en sciences sociales (Riggs,1984).
Nous croyons que le panorama dress par Budin ne reflte pas non plus la situation de
la terminologie qui pourrait tre qualifie dalternative et cela, pour quatre raisons.
Premirement, les contributions des deux premiers groupes ne sopposent pas : elles
6 Les modles lexicaux de la Thorie Sens-Texte ont t appliqus la terminologie par
LHomme (2005).
7 Nous pourrions ajouter cette liste Kageura (2002).
reprsentent plutt (ou peuvent reprsenter) des volets distincts dune mme thorie. En effet,
lutilisation de corpus pour extraire de linformation ne soppose pas loptique qui tient
compte de la dimension sociale de la terminologie. Deuximement, Budin rassemble dans le
premier groupe des optiques qui sopposent quant la manire denvisager lobjet de la
terminologie et quant aux prsupposs sur lesquels elles sappuient. Troisimement, les
travaux cits par Budin ne sont pas tous des propositions thoriques et encore moins des
thories. La plupart dentre eux, notamment ceux du deuxime groupe, sefforcent
damliorer des stratgies et des outils de traitement automatique et ne sintressent pas aux
questions thoriques, du moins pas ouvertement8.
3.2 Nos propositions
Afin dapporter une contribution constructive llaboration et au dveloppement dune
thorie de la terminologie, nous travaillons depuis 1996 une conception thorique
suffisamment tendue pour rconciler diffrents points de vue sur le terme. Il sagit de la
Thorie communicative de la terminologie (TCT) que nous prsentons comme une thorie
linguistique des units terminologiques composante cognitive et communicative. Notre
thorie, dont nous prsentons les grandes lignes ci-dessous, est dcrite en dtail dans Cabr
(2003) (Le lecteur peut se reporter ce texte pour plus de dtails).
Dune manire gnrale, la TCT est un cadre qui permet daccueillir les diffrentes
conceptions de lunit terminologique, unit qui constitue lobjet central de toute thorie de la
8 Il est vident que toute application sappuie explicitement ou implicitement sur des postulats
thoriques, du moins quant lunit analyse. En effet, la majorit des linguistes conoivent
lunit terminologique comme un signe compos dun signifiant et dun signifi.
Lidentification automatique de ces units est ralise partir dune description de leur
structure formelle. Ainsi, seules les units correspondant structurellement des units du
lexique peuvent prtendre au statut dunit terminologique; ces units sont simples ou
complexes et correspondent, sur le plan catgoriel, des noms, des verbes, des adjectifs et des
adverbes. La slection des units possdant une valeur terminologique, sappuie sur des
stratgies statistiques ou linguistiques plus ou moins raffines. La finesse du traitement du texte
contribue sans conteste la qualit de lextraction.
terminologie. En TCT, cet objet est dfini comme une entit polydrique : autrement dit, on
peut y accder en empruntant des voies diverses. Pour expliquer la varit des accs possibles
lobjet terminologique, nous avons propos le modle des portes (Cabr 1999; 2003). Un de
ces accs peut se faire au moyen de la linguistique : il convient alors daborder les units avec
une thorie du langage qui intgre des aspects smantiques et pragmatiques afin de rendre
lanalyse compatible avec une thorie de la connaissance et de la communication.
Les principes fondamentaux de la TCT sont les suivants :
La TCT tient pour acquis que lunit terminologique constitue lobjet central de la
terminologie comme champ du savoir.
Les units terminologiques sont polydriques (elles ont des proprits linguistiques,
cognitives et sociocommunicatives).
Laccs aux units terminologiques peut se faire par des portes diffrentes : la
linguistique, les sciences cognitives et les sciences de la communication sociale.
Chaque porte dentre exige une thorie adapte qui doit partager le mme objet
central (lunit terminologique) et sa conception polydrique. En outre, chaque thorie
doit tre cohrente avec les thories adaptes aux autres portes dentre.
Lanalyse des units terminologiques au moyen de la linguistique doit se faire partir
de textes et de productions linguistiques orales et crites.
Dans les textes, les units prototypiques servant reprsenter les connaissances
spcialises sont les units terminologiques.
Les termes sont des units dnominatives qui subissent des variations (polysmie et
synonymie).
Les units terminologiques servent exprimer les connaissances spcialises, rle
quelles partagent avec les autres units linguistiques (morphmes, syntagmes et
autres units syntaxiques).
Les units terminologiques se caractrisent par rapport aux autres units linguistiques
de trois manires : elles correspondent des units lexicales cest--dire quelles ont
la mme structure morphologique ou syntaxique , elles entrent dans la structure
conceptuelle dun domaine et, smantiquement, elles reprsentent les units
autonomes minimales de cette structure.
Dans une thorie du langage, les units terminologiques ne sont pas conues comme
des units distinctes des mots qui font partie du lexique dun locuteur. Au contraire,
elles sont dcrites comme des valeurs spcialises attaches des units lexicales.
Une unit lexicale nest ni terminologique, ni gnrale. Par dfaut, elle est gnrale et
acquiert une valeur spcialise ou terminologique lorsque les conditions pragmatiques
du discours sont runies pour activer son signifi spcialis.
Toute unit lexicale peut devenir une unit terminologique, mme si cette valeur na
jamais t active. Cette possibilit permet dexpliquer les mcanismes de
terminologisation et dterminologisation.
Le sens spcialis nest pas un ensemble dinformation prdfini et bien ferm; il
sagit plutt du rsultat dune slection spcifique de caractristiques smantiques
faite en fonction de chaque situation de communication9.
Seule une thorie linguistique cognitive et fonctionnelle, cest--dire qui renferme des
composantes smantiques et pragmatiques en plus dune composante grammaticale,
peut dcrire le caractre spcifique des units terminologiques et rendre compte de ce
que ces units ont en commun avec les autres units lexicales non spcialises. En
outre, la pragmatique est indispensable pour expliquer lactivation de la valeur
terminologique des units lexicales.
9 Cette slection justifierait le fait que, dans une thorie du langage, il faudrait faire rfrence aux
units terminologiques en tant quunits de signification spcialise (USS). Nous pouvons
rsumer les ides qui prcdent en affirmant que le statut dunit terminologique applique
une unit lexicale ne prexiste pas son utilisation dans une situation de communication
dtermine. Cette optique permet de rendre compte de lintersection smantique entre les
diffrentes acceptions dune mme unit lexicale en fonction de son utilisation dans diffrents
domaines. Elle permet galement dexpliquer les mouvements des units lexicales entre le
discours gnral et terminologique et leur dplacements dun domaine thmatique lautre.
3.3 Examen de quelques questions fondamentales
Lors quun colloque tenu Lisbonne en 2003, colloque auquel participait un grand nombre de
spcialistes europens et canadiens pour dbattre des thories actuelles de la terminologie, un
consensus sur les principes numrs ci-dessus semblait se dgager. Ainsi, nous avons pu
observer un changement de perception quant aux principes fondamentaux de la terminologie
comme domaine du savoir. Pour certains auteurs, ce changement est attribuable en partie
lutilisation des nouvelles technologies qui ont contribu au dveloppement de la linguistique
de corpus. Cette nouvelle manire daborder les donnes nous oblige partir des textes rels,
produits par des spcialistes placs dans diffrentes situations de production et de
transmission du savoir, et dextraire une information trs diversifie sur le discours spcialis.
Les nouvelles technologies entranent galement une modulation des mthodes de travail et
une redfinition des critres didentification des units terminologiques.
Il est gnralement admis que ce nouveau contexte nous amne galement
reconnatre que lanalyse des textes (en tant que discours) impose la prise en compte de leur
dimension sociale. Ainsi, les units terminologiques ne peuvent plus tre perues uniquement
comme des units de reprsentation et de transmission dun savoir prcis homognes et
totalement contrles mais plutt comme des units dynamiques qui contribuent la
construction des connaissances par leur utilisation en discours et qui ne peuvent tre
totalement spares du bagage culturel du locuteur qui les produit.
De mme, ce changement de perspective a entran une remise en question du
caractre universel des concepts et du lien direct pos entre lobjet et le concept dans les
domaines spciailiss. Tous les discours, y compris le discours spcialis, sont des
constructions sociales.
On saccorde galement pour dire que lobjet de la terminologie est de nature
multidisciplinaire et que cela justifie le fait quil puisse tre abord par des disciplines
diffrentes. Par consquent, la terminologie elle-mme se dfinit comme un champ
multidisciplinaire ou comme un carrefour entre diffrentes sciences (Crossing of different
sciences).
Lors du colloque de Lisbonne, nous avons galement pu constater que certains auteurs
remettait ouvertement en question la division entre termes et mots, du moins sur le plan
formel. Ceux-ci proposent plutt de se focaliser sur le sens comme paramtre permettant de
faire le dpart entre les deux units. Ds lors quon propose d unifier les termes
(traditionnellement, objet de la terminologie) et les mots (objet de la lexicologie) on remet
forcment en question la sparation rigide entre la lexicographie et la terminologie. Selon
(Martin et Heid 2001), le modle des cadres (frames) semble mieux adapt la prise en
compte des proprits communes aux mots et aux termes tout en soccupant des
caractristiques spcifiques des termes10.
Enfin, on a soulign le fait que toute la polmique entourant les critiques lendroit de
la thorie de Wster et, surtout, la division radicale entre la teminologie et le langage ainsi
que le lien direct tabli entre lobjet et la dsignation se produit galement de manire
rcurrente en philosophie.
Ainsi, il apparat plus productif de nous concentrer sur la construction dun nouveau
savoir en nous appuyant sur de nouvelles hypothses gnres par lobservation des
donnes et par lutilisation de critres prcis et mesurables. Toutefois, la construction dun
domaine de connaisances unifi repose sur des principes fondamentaux communs. En outre,
mme si on peut envisager lintgration de conceptions distinctes au sein dun ensemble de
principes fondamentaux, ces conceptions ne doivent pas se contredire entre elles.
La question qui se pose maintenant est de savoir quelles sont ces principes communs
(de mme, on peut se demander quel modle permettra dintgrer des conceptions distinctes).
notre avis, ces principes se rsument aux deux suivants :
Un objet central commun ;
Cet objet central est polydrique.
3.3.1 Quel est lobjet central de la terminologie ?
Les rponses apportes cette question par les thoriciens de la terminologie divergent. Pour
les uns, lobjet central de la terminologie est le concept envisag comme une entit
10 Fait curieux, une seule communication argumentait en faveur dune conception de la
terminologie adapte aux exigences sociales dun contexte particulier. Ce contexte dcrit bien
la situation des pays nordiques qui sappuient sur une version modre de la thorie
wstrienne. Lappel ce modle se justifie dans un contexte o le travail terminologique sert
la planification linguistique.
universelle qui prvaut sur le terme; ce dernier nest quune tiquette servant dnommer le
concept. Pour les autres, lobjet central est le terme envisag comme une unit dote la fois
dune forme et dun contenu.
Cette divergence quant lobjet central de la terminologie na pas forcment de trs
grandes consquences pour les applications de la terminologie, car celles-ci se justifient en
fonction de leur adquation une tche spcifique (elles sont conues, rappellons-le, dans un
contexte prcis et ont pour fonction de remplir des exigences dtermines).
Il est certain que, pour les spcialistes en situation de production de connaissances
nouvelles, le concept prvaut la dnomination. Mme lorsquils crent une nouvelle
dnomination, celle-ci est associe un sens existant. Pour dautres spcialistes, toutefois,
comme les traducteurs ou les lexicographes, la terminologie repose sur le terme.
3.3.2 Comment concilier ces deux options ?
Notre proposition consiste envisager ces deux options, non pas comme des options
polarises, mais plutt comme des lments intgrs au caractre polydrique du terme. Il
sagit, en fait, de deux des facettes du terme et font partie intgrante dune mme entit.
Afin de rendre compte de lunicit de lobjet de la terminologie tout en acceptant quil
ait deux facettes distinctes, il convient de faire appel un modle qui les intgre sans les
opposer entre elles. Ce modle doit tre suffisamment flexible pour accueillir les diffrentes
perspectives auquel un objet commun peut donner lieu. De mme, il doit pouvoir dcrire cet
objet qui, rappelons-le, reste toujours le mme partir de diffrentes facettes, tout en
respectant son caractre multidisplinaire. Cest la raison pour laquelle nous avons adopt le
Modle des portes . Par ailleurs, notre avis, la Thorie communicative de la terminologie
nous permet de concilier ces perspectives.
4. Quelques prospectives sur lavenir de la terminologie
Au risque de commettre quelques erreurs, nous tenterons dexaminer quelques-unes des voies
qui pourront tre empruntes par la terminologie dans les annes venir. Les prospectives que
nous esquissons ici sont, bien entendu, teintes de subjectivit.
Premirement, nous croyons quune thorie de la terminologie se consolidera au cours
des prochaines annes. Les diffrentes propositions bauches jusqu maintenant
sarticuleront autour dune thorie options multiples. Dans cette thorie, le modle de
Wster se dfinira comme lune des options possibles (cest--dire une thorie des
connaissances (une thorie cognitive) restreinte aux domaines dont lobjectif est de
normaliser). On peut galement envisager ltablissement de liens entre les propositions tout
en leur permettant de conserver leur spcificit quant la manire daborder lobjet
terminologique. En outre, il importera de respecter la cohrence interne de lensemble des
options. Pour parvenir consolider une thorie de cette nature, il importera de placer les
units terminologiques au centre du doamine de connaissances, mme si, pour les dcrire et
les expliquer, on peut privilgier leur composante linguistique, cognitive ou
sociocommunicative sans exclure les autres.
Deuximement, les technologies stendront lensemble du travail terminographique
reli llaboration de glossaires. Nous croyons quau cours des prochaines annes nous
cesserons dutiliser des outils informatiques isols et nous assisterons la construction de
plateformes de travail intgres. Ces plateformes permettront de raliser un glossaire
automatiquement ou semi-automatiquement, des premires tapes de sa conception jusqu
son dition, sans bouger de son poste de travail.
Troisimement, nous croyons que la disponibilit des ressources sous forme
numrique et les outils de traitement automatique donneront lieu la cration de portails
virtuels de connaissances. Ceux-ci donneront accs des textes, de la terminologie, de la
documentation, des images et du son auxquels nous pourront avoir recours pour accder
de linformation et crer de nouvelles ressources. Une bonne dfinition de nos besoins en
matire dinformation ainsi que lidentification de notre profil en cette matire suffiront pour
obtenir des donnes en ligne.
Quatrimement, la notion dadquation des ressources terminologiques se superposera
dautres caractristiques qui ont servi valuer jusqu maintenant la qualit de la
terminologie : adquation des profils dinformation bien dlimits, adquation fonctionnelle
aux besoins que prtend combler une ressource et, enfin, adquation cognitive la densit et
au niveau de connaissances propres chaque situtation.
Cinquimement, la terminologie, en plus dtre une ressource elle-mme, sera de plus
en plus envisage comme lun des lments centraux dans dautres tches : laboration de
systmes de rsum automatique, reprsentation graphique des connaissances, rcupration de
documents. Dune manire gnrale, elle sera incontournable dans la construction de
systmes de traitement automatique de la langue.
Enfin, la veille automatique scientifique et technique qui cherche reprer des
concepts et des termes nouveaux donnera un nouvel lan aux travaux de nologie. Ceux-ci
cherchent doter les langues dune terminologie qui leur appartient ds lors quun nouveau
concept apparat dans un domaine et viter le recours systmatique lemprunt.
Nous concluerons en soulignant limportance de lmergence des optiques nouvelles
de la terminologie au cours de vingt dernires annes. notre avis, seules la discussion et
largumentation permettent de faire avancer les connaissances.
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