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Journal de la Société des Océanistes 122-123 | Année 2006 Spécial Wallis-et-Futuna Chants et jeux chantés pour enfants en qene drehu L’expression d’un répertoire en renouvellement permanent Stéphanie Geneix-Rabault Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/jso/629 DOI : 10.4000/jso.629 ISSN : 1760-7256 Éditeur Société des océanistes Édition imprimée Date de publication : 1 décembre 2006 Pagination : 187-206 ISSN : 0300-953x Référence électronique Stéphanie Geneix-Rabault, « Chants et jeux chantés pour enfants en qene drehu », Journal de la Société des Océanistes [En ligne], 122-123 | Année 2006, mis en ligne le 01 décembre 2009, consulté le 19 avril 2019. URL : http://journals.openedition.org/jso/629 ; DOI : 10.4000/jso.629 © Tous droits réservés

Chants et jeux chantés pour enfants en qene drehu

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Page 1: Chants et jeux chantés pour enfants en qene drehu

Journal de la Société des Océanistes

122-123 | Année 2006

Spécial Wallis-et-Futuna

Chants et jeux chantés pour enfants en qene drehuL’expression d’un répertoire en renouvellement permanent

Stéphanie Geneix-Rabault

Édition électroniqueURL : http://journals.openedition.org/jso/629DOI : 10.4000/jso.629ISSN : 1760-7256

ÉditeurSociété des océanistes

Édition impriméeDate de publication : 1 décembre 2006Pagination : 187-206ISSN : 0300-953x

Référence électroniqueStéphanie Geneix-Rabault, « Chants et jeux chantés pour enfants en qene drehu », Journal de la Sociétédes Océanistes [En ligne], 122-123 | Année 2006, mis en ligne le 01 décembre 2009, consulté le 19 avril2019. URL : http://journals.openedition.org/jso/629 ; DOI : 10.4000/jso.629

© Tous droits réservés

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Chants et jeux chantés pour enfants en qene drehu1.L’expression d’un répertoireen renouvellement permanent

par

Stéphanie GENEIX-RABAULT*

RÉSUMÉ

Cet article, à partir d’entretiens de type ethnographi-que, d’observation directe et participante et d’analysehistoriographique des données archivistiques disponi-bles, examine les questions de renouvellement et de per-manence dans le répertoire que les Lifou adressent auxenfants. J’analyse les principes d’unité, de diversité, decollectif, de particularismes, de tradition et de moder-nité, d’une société, productrice de cette musique, enpleine mutation. La pratique de ce répertoire s’inscritdans la tradition, mais tend néanmoins à assimiler et àrelater des faits très contemporains, l’insérant alors dansla modernité. C’est pourquoi il reflète une surimpressiond’apports hérités du passé et de l’actualité de chacunedes interprètes.

M- : chants pour enfants, ethnomusicologie,identité, changement et continuité, tradition etmodernité, Lifou.

ABSTRACT

This article, based on ethnographics interviews, directand active observations, and historiographic analysis ofthe available archived datum, examines the renewal andcontinuity questions in the nursery rhymes adressed byLifou people to their children. I analyse the principles ofunity, diversity, community, particularism, tradition andmodernity, of a society producing this music in a deepmutation. The practice of these nursery rhymes is partof tradition, but nevertheless tends to integrate andrelate some very contemporary facts, inserting them inmodernity. That’s the reason why it reflects a doubleexposure of elements inheriting from the past and of theactuality of each woman’s current events.

K: nursery rhymes, ethnomusicology, iden-tity, change and continuity, tradition and moder-nity, Lifou.

La chanson de tradition orale a bien souventété considérée à tort comme l’expression d’unrépertoire figé, comme la répétition immuable, àl’identique, de l’héritage culturel issu des généra-tions précédentes. En fait, elle fonctionne plutôtcomme un système très ouvert, évolutif, capable

de changer et d’assimiler des apports nouveauxtout en restant elle-même. Les différents entre-tiens ethnographiques que nous avons menés surle terrain de Lifou peuvent apporter un éclairagepertinent à ce propos.

1. Langue vernaculaire des habitants de Lifou.*Doctorante en ethnomusicologie-musicologie, Paris --, [email protected]

Journal de la Société des Océanistes, 122-123, année 2006

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C 1. ¢ La Nouvelle-Calédonie (© Service topographique, PIL, 1996)

Présentation

J’ai effectué quatre missions2 en Nouvelle-Calédonie depuis cinq ans, représentant au totaldix-huit mois d’enquête de type ethnographiquesur ce terrain. La diversité linguistique3 m’aconduite à réduire mon champ d’investigation àl’île de Lifou4, mais j’ai néanmoins élargi monsujet aux chants et jeux chantés pour enfants en

drehu. Ma recherche de doctorat en ethnomusi-cologie s’intéresse aux Nyima me elo thatraqaihaa nekönatr ngöne la qene drehu : chants et jeuxchantés pour enfants en lifou. Les différentesinvestigations menées sur ce terrain depuis cinqans m’ont permis de collecter de multiples infor-mations sur ce répertoire et les pratiques dematernage, dont cinq cents chants et jeux chan-tés pour enfants. Loin de pouvoir présenter une

2. Une première investigation de six mois, d’octobre à mars 2001, a été menée dans le cadre de la préparation de ma maîtrisesur les Berceuses des îles Loyauté. Une seconde enquête, de février à avril 2002, a été effectuée dans le cadre de mon sur Leschants enfantins de Lifou. Mes pérégrinations se sont poursuivies dans le cadre de la préparation de mon doctoratd’ethnomusicologie-musicologie. J’ai alors effectué une mission plus longue de huit mois, d’octobre à mai 2004 en tant que jeunechercheur associée et financée par l’ et la Province des Îles Loyauté ; puis une dernière recherche de vérification deshypothèses de fin décembre 2004 à mars 2005, financée par Paris --.

3. Les îles Loyauté comptent quatre langues vernaculaires différentes : le iaai et le fagauvea à Ouvéa, le drehu à Lifou, et lenengone à Maré. Les habitants de Tiga parlent indifféremment le drehu et le nengone.

4. Une des quatre îles Loyauté de la Nouvelle-Calédonie : avec Maré au sud, Tiga, Lifou au centre, et Ouvéa au nord. Ces îlescoralliennes se situent à environ cent dix kilomètres de distance de la côte Est de la Grande Terre, sur une ligne nord-estsud-ouest.

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étude exhaustive sur ce sujet, la somme de don-nées recueillies me permet d’en présenter iciquelques caractéristiques.

Dans une conception anthropologique musi-cale développée par Alan Parkhurst Merriam,John Blacking et André-Marie Despringre,j’envisage chaque expression musicale en lareplaçant systématiquement dans son contextehistorique, social, culturel et géographico-ethnique. Aussi, le groupe producteur de cettemusique et son interprétation sont-ils indissocia-bles dans l’analyse de ce répertoire. Exclusive-ment véhiculé par les femmes de Lifou, il reflèteune partie de leurs préoccupations actuelles etstructure progressivement l’enfant en lui trans-mettant les éléments culturels dont il aura besoinpar la suite une fois adulte. Les femmesd’aujourd’hui se partagent entre deux cultures :mélanésienne et européenne, tantôt plus prochesde l’une que de l’autre. Rarement en rupture avecla culture d’origine, elles se situent plutôt ensuperposant les deux comme le note MarieLepoutre au sujet du « pluralisme médical àLifou » :

« On saisit [...] la nécessaire conformité, l’inévitableadhésion, mais aussi le besoin de négocier avec deuxunivers de discours, de pratiques, chacun ayant unelégitimité et un pouvoir contraignant et suggestif trèspuissants sur l’individu et le groupe. [...] Certainsentretiens confirment largement cette vision très clair-voyante des allers-retours entre différentes cultures,des relations de miroirs. Le contact et, par là même, laconfrontation, amènent de nouvelles perceptions desoi-même et créent de nouveaux espaces.[...] En défi-nitive, accoucher au dispensaire ne signifie pas tou-jours accoucher à la française, consulter une sage-femme n’exclut pas la visite d’une spécialiste kanak enmatière d’obstétrique. La forte incidence de la méde-cine occidentale n’indique pas que celle-ci se substitueà la médecine locale. » (Lepoutre, 2000 : 302-306)

Leur rôle social au sein de la société a évolué,tout comme leurs préoccupations. C’est pour-quoi elles véhiculent, au travers de ce répertoire,une identité culturelle, des racines, une histoirecollective et/ou individuelle, ancienne et/oucontemporaine. Ce répertoire se caractérise parune certaine part de diversité et d’unité, entrevariations infinies et fidélité. Il s’inscrit comme laformulation d’une certaine forme de « tradi-tion » et de « modernité ». Il se composed’expressions musico culturelles en renouvelle-ment permanent.

Entre histoire collective-individuelle, ancienne-contemporaine

Les chants et jeux chantés que les femmesadressent aux enfants se présentent comme lelieu d’expression privilégié d’une mémoire histo-rique orale aussi bien collective qu’individuelle,ancienne et récente. Ces repères et indices chro-nologiques sont précieux pour l’analyse de l’évo-lution de cette société.

Par histoire collective, il faut comprendretous les événements communs à l’ensembledes Lifou, une lecture globale et entièrementpartagée par tous les habitants de cette île,qu’elle soit très ancienne ou contemporaine. Laberceuse Ulili sine dreli (« Le petit Dreligronde ») relate en qene miny5 « le chemin desdiables d’avant » (gojeinyip en qene drehu), c’est-à-dire le chemin d’origine et les différentes péré-grinations des premiers habitants de Lifou dansles trois districts.

Ulili sine dreli keikei hnaopë theng« Le petit Dreli gronde chancelle la caverne est à

moi. »6

Ou cette interprétation plus longue :

Manyai waminya unemi pulu goeën hmahma ju köZeula loe Alaxutren a tha wedrë ni kö me angetremangalu. Itre ka hohopatr me ina getre pen. Hnine uni esepel lo qëmekene pi hanying pi föenge hnenge hna goeëni hoima wawange ju hë muj lapa sai xötreng ju itreqe iehae wenge i a tro. Ulili sine dreli keikei hnaopë theng.Wiëhao he itreinge pe hë itra manyia tha hna xu onone aihu hne kuje kö e keuë e wanek a zi wanaza e ngöne hnakungözing lue iweng a tro nge tro elë jë e hna nyi sinatutrme hna eli catrei nge tro elë fë ni e hune i mesup a të waihanying a ihnyima ju hi ho menumenu lue meken hanekönatr kei qeipië a xepë canadro. Temoni a tro nangolapa qae dreli a pua hane kuë gojenyi atre qeji tro ie haewenge iatro.7

La comptine Titiriofa (« Á bord du Triom-phant ») véhicule à la fois une histoire locale,territoriale et plus globalement internationale.Celle-ci relate l’arrivée du bateau du général deGaulle sur l’île et sur le territoire calédonien aumoment de la Seconde Guerre mondiale. LesLifou, et d’autres Kanak de Nouvelle-Calé-donie, sollicités par les grands-chefs, à lademande du général français, ont embarqué surce bateau pour aller se battre contre les Japonais.

Ti Tiriofa lo he i Dögol. Goe pë hë Zapo simesime hëTiriofa. Öni Mikado sepalapen troa iwej.

5. Ancienne langue cérémonielle utilisée pour s’adresser aux grands-chefs et à toute personne de haut rang.6. Je remercie très sincèrement Léonard Drilë Sam pour son fidèle soutien et son accompagnement dans mes recherches, par

ses lectures, ses corrections et ses commentaires avertis sur les transcriptions-traductions en drehu. Oleti atraqatr !7. Le sens de cette « enfantine » (voir note 8) en qene miny n’a pas pu être traduit littéralement, soit parce que les interprètes

en ignorent le sens, soit parce qu’ils n’ont pas voulu me le divulguer. Seul le contenu général a été explicité.

CHANTS ET JEUX CHANTÉS POUR ENFANTS EN QENE DREHU 189

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« À bord du Triomphant, le bateau de de Gaulle.Avant que le Japon ne fasse quoi que ce soit, leTriomphant est déjà loin. Ce n’est pas la peine de lepoursuivre, déclare le Mikado. »

Cette « enfantine8 » peut aussi se retrouversous cette forme :

Ti Tiriofa la he i Dögol. Xei pë hë Zapo simesime hëTiriofa. Öni Mikado sepalapen troa kuqan. Öni Dögoleqatr ase hnyawa ha la isi.

« À bord du Triomphant, le bateau de de Gaulle.Avant que le Japon ne se retourne le Triomphant estdéjà loin. Il ne servira à rien de le bombarder, dit leMikado. La guerre est bien terminée, dit le vieux deGaulle. »

Enfin, d’autres enfantines parlent de faits pluscontemporains, comme l’arrivée du premieravion sur l’île, avec la chanson Avio i TeAi(« L’avion de [la compagnie] [Transportsaériens intercontinentaux] »), qui racontel’apparition du premier appareil de transportaérien intercontinental de marchandises. Les avi-ons de la compagnie atterrissaient surtout àla Tontouta. Les habitants de Lifou ne lesvoyaient que lorsqu’ils passaient dans le ciel :

Avio i TeAI kola ujëne la fen kola thipithipi lai wenerezë.

« Les avions de [la compagnie] ont changé lemonde. Les grappes de raisins pendent. »

Ainsi, différentes enfantines font non seule-ment référence à des faits historiques concernantl’ensemble de l’île, et plus largement du territoire,mais elles abordent également le contexte histo-rique international.

L’évocation d’événements ne se résume passeulement à des repères chronologiques admispar tous les Lifou. D’autres chansons véhiculentune mémoire historique plus individuelle, aussibien ancienne que contemporaine, concernantseulement certains districts, certains clans. Laberceuse Aköne Caeë... (« Les clans de la cheffe-rie »)9 énumère le lieu d’émergence et les pérégri-nations des différents clans constituant le Lösi,jusqu’à leur position actuelle, expliquant ainsi lesrelationsentre lesdifférentsgroupesdecedistrict.

Aköne Caeë me Nekö i Sinepi Waheo WahileWatreudro, Pia Wahnyamala me angetre Lösi,ekölöhini Wahemunemë. Lapa neköeng pëhë angetreLösi, pë loi angatr, pë tixe i angatr, pë titaxapo ne labaselaia i nyidrë, ekölöhini Wahemunemë. Tha hnamajemine troa upi nyidrë, kowe la huliwa matre iananyi.Ekölöhini hekölö i hekölö, hekölöhini Wahemunemë.

« Aköne, Caeë, et Nekö i Sinepi, Waheo, Wahile,Watreudro, Pia, Wahnyamala, les gens de Lösi. Disonsau revoir à Wahemunemë. Les gens de Lösi restentorphelins, sans joie, sans chef. La chefferie reste sansprotection. Oh, Wahemunemë. On n’a pas l’habitudede le voir éloigné de nous par le travail. Oh, oh, oh, oh,Wahemunemë. »

La berceuse Cai wamine tu10 (« Une petite estnée ») célèbre l’anniversaire de la fille du grand-chef de Gaïca. Autant de références propres à unseul district. D’autres enfantines dispensent desrepères géographico-historiques propres à unclan.

Ca i wamine tu e calojë e Jope a xome la wakae. Aloalo Zawe ekölö iaue. Lozati joxu hane hi lo la nyima neatrunyi nyipëti, alo alo Zawe ekölö iaue. Angetre Gaïcame angatresi lu’atresi hane hi lo la joxu ne tro së a thilikow i lis i rouz i kuron ka lolo.

« Une petite est née là à Jope vers le Sud. Oh Zawe,oh Zawe. Princesse Loza, voici un chant pour t’hono-rer, oh Zawe, oh Zawe. Gens de Gaïca et vous les atresi[protecteurs de la chefferie], voici notre princesse, celledevant qui nous devons nous humilier, une fleur de lys,une rose, une couronne magnifique. »

La berceuse Koma saja (« Les pérégrina-tions ») retrace les pérégrinations amoureuses dedeux jeunes filles, Sesile et Aleva, d’un clan deHnathalo dans le Wetr. D’après les paroles, lachanteuse s’adresse à ces deux jeunes filles pourleur raconter ses pérégrinations amoureuses :

Koma saja lapa ju pe lue jajinyi Sesile me Aleva.Matre qaja jë ni lo itre none hanying. E cailo nöjeng.Ngo ametre kö i Siling eje hi e qëmekeng sine celo i hninga i wenethëhming Silinge ka menu kame (X2). KoloeSineze kolepi e Gaica. Hnimikone e Thithë. Kelati atreWe. Pujene atre Cila. Sosi e Hnathalo. Hmuine e Ejen-gen. Xenieti e Qasa. Oel e Jokin. Ixe e Nonime. Ananeatre Ewë. Jone atre Ladran. Cumë ka idreuth. Sauloatre Kone. Jesi atre Jepo. Xulu qa Hnamenë. Nakoaqane ju pe lo itre xai hanying.

« Les pérégrinations de deux jeunes filles Sesile etAleva. Pour raconter leurs amours. Partout ailleursdans le pays. Sine de Gaïca. Hnikone de Thithë. Kelade We. Puje de Cila. Sosi de Hnathalo. Hmuine deEjengen. Xenie de Qasa. Oel de Jokin. Ixe de Nonime.Anane de Ewë. Jon de Ladran. Cumë qui est fiévreux.Saulo de Kone. Jesi de Jepo. Bien avant, Hnamenë.C’est toi Nakoa qui a leur amour. »

Dans le cas d’évocations de faits historiquespropres à un clan, les chants et jeux chantés, queles adultes adressent aux enfants, prennent desconfigurations micro-localisées.

8. Le terme « enfantine » désigne, en ethnomusicologie, un ensemble de catégories de pièces adressées aux enfants, tandis quechason se rapporte à une catégorie précise de pièce.

9. Chant créé à l’occasion du départ du fils du grand chef de ce district pour l’armée.10. Ca i wamine tu signifie littéralement « un brin de brède morelle » (. ¢ Solanum nigrum).

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Entre diversité et unité

Dès lors, ce répertoire regroupe une multitudede pièces variées, contenant des chants et jeuxchantés admis et pratiqués indistinctement partous les Lifou et d’autres plus individuels, pluslocalisés. Il faut alors prendre en considérationaussi bien les pratiques collectives, dont l’utilisa-tion est largement attestée sur l’ensemble de l’île,que celles plus individuelles qui, matérialisées demanières différentes, peuvent en fait correspon-dre à une règle totalement partagée par tous.D’autant plus que, dans la culture Lifou, commele note l’ethnomusicologue suisse RaymondAmmann, chaque district possède son proprerépertoire de danse, ainsi qu’un fonds commun àl’ensemble de l’île :

« À Lifou, aujourd’hui, chaque chefferie a un réper-toire particulier de danses traditionnelles ‘‘sacrées’’.Parmi les danses les plus ‘‘sacrées’’, on compte lefehoa, le bua et le drui. Le fehoa peut être présenté pardes groupes de toutes les chefferies. Le drui est biengardé par les gens de Gaïca, tandis que le bua appar-tient à la chefferie Bula de Lösi. La situation dans ledistrict du Wetr est particulière. Les danses n’ont pasété transmises, mais l’association culturelle de Wetr atout récemment commencé à créer et à présenter desdanses, que le public apprécie beaucoup. » (Ammann,1997 : 222-223)

Ainsi, la pratique d’un répertoire pourenfants, à la fois unanime et différente en fonc-tion de chaque district, n’est pas une attitudeisolée, puisqu’elle se retrouve dans la musique dedanse, autour de laquelle gravite la majeure par-tie de la vie musicale.

D’autres paramètres peuvent justifier cettecaractéristique d’interprétation propre à un dis-trict. À travers ces chants et jeux chantés, lesfemmes signifient à l’enfant son appartenance àune lignée humaine, à une culture et le sensibili-sent à l’histoire de ses origines. Cet héritagechanté est le principal lien communautaire, enra-ciné, indispensable à la vie. On se rend alorscompte que ce qui varie le plus dans les chansonspour enfants, ce sont les changements de référen-ces toponymiques et anthroponymiques, puis-que chaque grand-mère transmet à l’enfant sapropre histoire, ses propres repères identitaires.C’est le cas dans la formulette pour appeler l’âmedes morts Thithi qau lolo (« Prier ») :

Thithi qau lolo xulu jë i...« Prier, prier pour appeler l’âme de [nom d’un

ancêtre] »

ainsi que pour la formulette de jeu mimée Tra nufe inagoj (« Planter le cocotier à Inagoj »)11 :

P 1. ¢ Famille Alikie (Hmeleck)(Clichés de S. Geneix-Rabault, 30/03/2004)

Nu i drei caha ? Nung. Troa trane eka? Trao trane e.... Iji jë nge pë jë.

Tra nu fe Inagoj. Isa iji wene nun. Iji jë nge pë jë.

« À qui appartient ce cocotier ? À moi. Où leplanteras-tu ? Je le planterai à [nom de lieu]. Bois-le etvide-le.

Planter le cocotier à Inagoj. Chacun boit son coco.Bois-le et vide-le. [Il n’y en a plus.] »

11. Version du district de Lösi ; les autres versions sont: Nu fe inagoj (« Cocotier Inagoj ») à Gaïca et Ca ono pë kohmiju (« Ilne reste plus qu’un coco là-bas ») pour le Wetr.

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P 2. ¢ Famille Haluatr (Drueulu)(Clichés de S. Geneix-Rabault, 25/02/2005)

Nu i drei caha ? Nu i eni. Troa trane eka ? .... Xome jënge iji jë.

Nu fe nu fe inagoj. Hulia alameke i qatreföe.

« À qui appartient ce cocotier ? À moi. Où leplanteras-tu ? [Nom de lieu].

Prends-le et bois-le. Cocotier Inagoj. Les yeux exor-bités de la sorcière ! »

Photos 3. ¢ Grand-mères (Tingeting)(Clichés de S. Geneix-Rabault, 23/03/2004)

Wasuma ju ipië, koko jë draië.Nu i drei caha ? Nu i eni. Troa trane eka? .... Xome jë

nge iji jë.Ca ono pë hë kohmiju a i angetre Nganawa

« Le taro en bas. L’igname en haut.À qui appartient ce cocotier ? À moi. Où le

planteras-tu ? [Nom de lieu]. Prends-le et bois-le.Il ne reste plus qu’un coco là-bas, il sera pour les

gens de Nganawa. »

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P 1 : « Daudaue », Chant pour enfants, Otrenë qatr Kakue (Tingeting)(© Stéphanie Geneix-Rabault)

Ces variations de références textuelles person-nelles font évoluer et influencent ce répertoire.Ce constat justifie en partie les diverses interpré-tations existantes. Mais elles engendrent par lamême occasion d’autres incidences aux niveauxrythmiques, mélodiques, formels, imposées parles différents changements littéraires, comme lereflète la partition12 de l’enfantine Daudaueci-dessous. Le texte prime sur la musique etdétermine les configurations des différents para-mètres constitutifs de ce répertoire :

« Le chant contient un thème musical indéfinimentrépété pour faire ressortir tous les mots du texte. Àchaque répétition, il faut effectuer des modificationsde rythme pour permettre de bien prononcer le texte. »(Ammann, 1997 : 244).

Mais la spécificité n’exclut pas l’unicité. Inver-sement, il existe des pièces communes à l’ensem-ble de l’île, dont l’attestation est largementrépandue sur tout l’archipel. Ainsi, les piècessans contenu historique propre à un clan, sanssens précis ou cohérent, favorisant l’éveil de lamotricité, peuvent circuler librement sur les troisdistricts, comme c’est le cas pour les formulettesde jeu mimées Eka sine hages (« Où est le mou-choir ? ») ou Emo kofi (« Moudre le café »).

Eka sine hages ? Kohmiju thei Madame. Madame idrei ? Madame i Tivolie. Eca kölö Mama ehong.

« Où est le mouchoir ? Là-bas chez la dame. Ladame à qui ? La dame à Tivollier. Oh Madame ! »

Emo kofi. Nenge pi hë. Iji jë hë. Nenge pi hë. Eka lahnei trepe kofi? Hane hi la.

12. La transcription musicale, de type descriptive, est régie par des principes et ne prétend qu’à refléter la réalité auditive dela pièce. Aussi, face à la grand variabilité des interprétations, il est inutile que tous les détails soient rapportés. Seuls lesparamètres essentiels sont transcrits. C’est pourquoi chaque pièce est transposée en sol3 pour en faciliter la comparaison et éviterla multiplication du nombre d’altérations. La mesure solfégique, établissant naturellement la place des temps forts et faibles, nefigure pas sur les transcriptions. Le principe de répétition détermine la segmentation des unités qui sont superposées.

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« Moulons le café. Servons-le. Buvons-le. Servons-le. Où posera-t-on le café ? Là. »

De plus, il est tout à fait possible d’établir quechaque grand-mère puise dans un fonds com-mun de références thématiques, culturelles etmusicales, de schèmes inhérents aux chants etjeux chantés propres aux Lifou. Il existe doncréellement une part d’unité, dans la symboliquethématique d’inspiration, dans l’expression sty-lisée et codifiée caractéristique, la verbalisationde préoccupations dans lesquelles se reconnaîtl’ensemble de la communauté de Lifou, malgréla diversité d’expressions possibles, constat sou-ligné par Isabelle Bril en linguistique :

« La variation est un phénomène essentiel des lan-gues kanak. En rendre compte évite de trop idéaliserune entité linguistique ; cela aide, au contraire, à mon-trer son extension et sa complexité, tout en permettantaux divers groupes qui parlent une langue de s’y recon-naître, car ces variations sont souvent le fait de réflexesidentitaires [...] Variation ne signifie toutefois pas ato-misation linguistique, il est possible de décrire unelangue et ses variations, tout en montrant son unité.Linguistiquement, on considère qu’on a affaire à unemême langue quand les structures phonologiques,syntaxiques et sémantiques ne présentent que desvariations ne gênant pas l’intercompréhension. »(Bril, 2000 : 279)

Aussi, malgré des interprétations divergenteset similaires, les Lifou identifient et reconnais-sent l’ensemble des expressions musico-cultu-relles comme représentatives de leur identité.

Entre variation et fidélité

Outre les changements liés aux références his-toriques, aux nominations toponymiques etanthroponymiques, il existe ainsi dans la chan-son traditionnelle une multitude d’interpréta-tions infinies directement liée à la mémoire desinformatrices. C’est pourquoi il subsiste dans cerépertoire de tradition orale des combinaisonssans cesse renouvelées, variant presque à chaquefois : entre deux femmes du même clan, de lamême tribu, du même district, ou bien d’originesdifférentes, mais aussi entre deux interprétationssuccessives d’une même informatrice.

Isabelle Bril, au cours d’enquêtes linguis-tiques menées sur le nêlêmwa13, effectue leconstat suivant :

« Lorsqu’on travaille avec diverses personnes, dansles divers endroits où est parlée cette langue, on ne peutque constater l’évidence d’une très grande variation

linguistique. Il faut alors analyser les phénomènescomplexes qui sous-tendent ces variantes, qui sont soitaléatoires, soit systématiques. [...] Il s’agit de varianteslocales ou individuelles dans une même zone linguisti-que [...] Parfois il s’agit de variantes qui ne sont le faitd’aucune incorrection ou erreur [...]. [Les] variantes‘‘systématiques’’ [...] forment un système et relèventplutôt de variantes dialectales. » (Bril, 2000 : 276-277)

Partant du principe que la variation estl’essence même des langues vernaculairescomme de toute chanson de tradition orale, il estalors intéressant d’examiner la nature des multi-ples modifications contenues dans ce répertoirepour enfants. Elles se situent à différentsniveaux. Certaines de ces caractéristiques sontmises en avant par Raymond Ammann au sujetdes chants et jeux chantés pour enfants :

« Au début, les mots du texte sont fixes, mais encontinuant la danse, de nouveaux mots peuvent êtreajoutés spontanément. » (Ammann, 1997 : 216)

Il peut alors s’agir de changements et/ou desuppressions de mots et/ou de bribes de phraseset/ou de phrases entières. Dans d’autres cas, cer-taines enfantines commencent par le début d’unechanson et se terminent par une autre, ou bienintroduisent aléatoirement des éléments puisésailleurs. Certaines informatrices peuvent aussienchaîner successivement plusieurs chants, dansleur intégralité et/ou par bribes. Il arrive quel-quefois que, pour combler un trou de mémoireou pour prolonger l’enfantine, certaines onoma-topées se glissent dans l’interprétation. Il se peutégalement, qu’en fonction de la mémoire del’informatrice interrogée, elle soit raccourcie ourallongée à volonté. Ainsi, une interprétationplus courte et une plus longue ont pu être collec-tées pour une même chanson.

Outre les distorsions de longueur liées auxvariations textuelles et aux questions demémoire, d’autres paramètres viennent conférerà ces expressions chantées de tradition orale demultiples combinaisons : en raison de son carac-tère très fonctionnel, les enfantines peuvent êtrerallongées ou raccourcies à volonté, jusqu’à ceque l’effet désiré soit obtenu. Aussi, une berceusesera interprétée jusqu’à ce que l’enfant se soitcalmé ou endormi. Pour les chants et jeux chan-tés collectifs, il n’existe pas de durée prédéfinie,puisque leur longueur dépend en définitive dunombre de participants.

Cette énumération, non exhaustive, corres-pond seulement aux diverses modifications rele-vées dans les données collectées sur ce terrain.

13. Langue de la communauté nenema au Nord de la Nouvelle-Calédonie.

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Elle permet de mettre en exergue que les varia-tions sont multiples et infinies dans la chansonde tradition orale et qu’il existe une version pres-que nouvelle à chaque interprétation. Dès lors,ce répertoire pour enfants prend des tournuresbariolées et sans cesse renouvelées, sans versionplus fidèle ou plus juste qu’une autre. Aussi, pardéfinition, la chanson de tradition orale fonc-tionne comme un système très malléable, chan-geant et variant, ne reposant pas sur une seule etunique interprétation.

Bien que chacune d’entre elles soit tout aussiacceptable, il faut souligner qu’à plusieurs repri-ses les informatrices consultées ont prétendudétenir la version originelle de cette chanson. Eneffet, les grands-mères se considèrent comme debonnes représentantes de la culture et sontconvaincues de connaître la seule version admised’une pièce. D’autant plus que, dans la culturekanak, les individus respectés et renommés sontceux qui se sont nourris de la « parole desanciens ». Et c’est souvent dans le souci des’affirmer comme d’excellentes représentantesde leur culture que les grands-mères se sont effor-cées de restituer les versions les plus « justes » etles plus « vraies » possibles. Ce critère est trèslargement subjectif et arbitraire. Il provient sou-vent d’une acceptation très personnelle de latradition. Il sous-entend en fait que chaqueinformatrice considère la version qu’elle connaîtcomme celle communément admise par toutes.Aussi, lorsqu’une grand-mère constate des diver-gences d’interprétation, elle s’efforce alors avecferveur de corriger ce qu’elle considère commedes erreurs, des fautes, en précisant bien sou-vent : « Ce n’est pas la vraie chanson ça », « c’estpas14 comme ça qu’il faut faire ». Elle se chargealors immédiatement de remédier à cette erreuren exécutant la « bonne » interprétation.

La réponse à la question de l’authenticité nem’appartient pas. Il faut néanmoins souligner,en considérant les propos des informatrices, quel’interprétation de ces expressions chantées detradition orale pour enfants s’évertue à la per-manence, à la fidélité et à la stabilité. Elle n’estpas censée inventer mais reproduire le plus fidè-lement possible ce qui lui a été transmis par lagénération précédente. Et pourtant, malgré unemultitude de configurations possibles, tousreconnaissent et identifient les éléments commerelevant de leur propre culture, comme représen-tatifs de leur appartenance à un certain groupegéographico-ethnique. Aussi cet attachement àla permanence se superpose à une certaine dosede variabilité plus ou moins individuelle, puisant

constamment dans un même fonds culturelcommun.

Entre « tradition et modernité »15

J’aborde ici l’essence même de la chanson detradition orale, qu’il s’agisse ou non du réper-toire lifou que les adultes adressent aux enfants.Par définition, elle perpétue ainsi la reformula-tion d’un parfait équilibre entre apport du passéet inscription dans le présent. Les expressionscollectées sur cette île reflètent une nouvelle for-mulation de l’héritage oral chanté issu des géné-rations précédentes, combiné à des élémentscontemporains. La notion de tradition, trèslongtemps considérée comme la reproduction àl’identique d’éléments transmis par les ancêtres,sous-entend des critères liés au temps. Cette ter-minologie a, bien souvent à tort, été associée àdes notions de passé indéfini, figé, de statisme, derépétition immuable, de conservatisme. Et pour-tant, il n’en est rien, comme le précise JonathanFriedman :

« [la] tradition est effectivement constamment sou-mise à la transformation tant qu’elle participe du pro-cessus de changement social mais l’on repère égale-ment des continuités significatives au sein même de latransformation. » (Friedmann, 2002 : 226)

Ces concepts de « tradition », « tradition-nel », sous-entendent une référence au temps quisuggère plutôt une fréquence d’utilisation,l’attestation de l’ancienneté d’une pratiquedéterminée. Pour confirmer cette qualification, ilfaut observer à la fois les données historiogra-phiques et celles plus actuelles disponibles sur cesujet. Toutes permettent d’obtenir des donnéessur la question de l’ancienneté et de la nouveautédes catégories de ce répertoire et témoignent dela permanence de cette pratique orale chantée.Son attestation est relevée de nombreuses fois,que ce soit dans les sources écrites (bambousgravés, récits de voyageurs, de missionnaires, lit-térature kanak contemporaine), iconographi-ques, ou dans les propos mêmes des informa-teurs interrogés. Tous les témoignages recueillis,par observation directe et participante et parentretiens libres ou semi-directifs à ce sujet, aucours des différentes enquêtes de terrain, vien-nent confirmer l’existence ancienne de ces prati-ques orales chantées des adultes à l’égard desenfants. Elles peuvent être relatées de différentesmanières, soit en tant que témoin oculaire despratiques des grands-mères ou des mamans, soit

14. Nous gardons la syntaxe de nos informatrices.15. Pour reprendre l’expression de Jean-Marie Tjibaou.

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en tant qu’acteur direct. Enfin, l’expression decertaines enfantines en qene miny témoigne éga-lement de l’ancienneté de ce répertoire. Ces dif-férentes attestations permettent de signaler lapermanence de ces pratiques et les inscriventalors effectivement dans la tradition.

A contrario, la tradition a été nouveauté dansun passé indéfini, changement, innovation. Et leschants et jeux chantés traditionnels sont aussicapables d’utiliser, d’adapter, d’assimiler, dereproduire des apports exogènes divers tout enrestant eux-mêmes. En attestent les évolutionsspectaculaires de la langue vernaculaire : l’intro-duction et/ou la suppression de mots en drehu,la multiplication d’emprunts au français et àl’anglais. Mais d’autres paramètres comme l’ex-pression des transformations socio-historiquesreflètent une réadaptation permanente d’élé-ments de la culture traditionnelle au contextelocal évolutif. Anna Paini souligne alors au sujetdu port de la robe mission à Lifou :

« L’objectif ici est de montrer le changement cultu-rel constant à travers le regard et la pratique des fem-mes kanak, dans un contexte où les éléments exogènesse transforment au niveau local, mais restent toujoursperçus en interaction avec les éléments culturels endo-gènes. » (Paini, 2003 :234).

De plus, la culture de Lifou et les expressionsmusico-culturelles qui y sont associées se sontadaptées à des changements importants au coursde ces cent cinquante dernières années, en assi-milant un nouveau langage musical introduit parles missionnaires, puis fixé par l’introductiond’instruments tels que la guitare, l’accordéonchromatique, l’harmonica. Elles se sont adaptéesà des éléments nouveaux, tout en conservant leurpropre mode de fonctionnement, comme dans Àla pêche aux moules :

« À la pêche aux moules, xulu jë hi Mani qatr cawatrenge ka xulu ca kuli ka pa la pun.

À la pêche aux moules, le vieux Mani arriva avec unpanier percé, suivi d’un chien sans queue. »

L’intégration du système tempéré à la langueautochtone opère un véritable enrichissement dela culture. Aussi, ce qui est considéré et relatéaujourd’hui comme un répertoire authentique ettraditionnel s’appuie sur des critères bien sou-vent trompeurs et arbitraires. Ce qui est actuel-lement qualifié « d’authentique », de « tradi-tionnel », a été un jour nouveauté, créationindividuelle et changement.

Ainsi, la pratique et les interprétations actuel-les et celles « d’avant » se construisent à partird’allers-retours permanents entre le passé et

aujourd’hui, comme le soulignait Jean-MarieTjibaou :

« C’est donc le temps du débat entre l’option pour lamodernité et la peur de perdre son identité. Ce débatsera long et il nous faudra surmonter cette contradic-tion. La symbiose entre le traditionnel et le modernes’opère en effet par la force des choses. Les nouvellesformes d’expression la réalisent par l’intégration dumatériel. Les sons sortent de la guitare, mais c’est pouraccompagner des thèmes poétiques ou contemporainsspécifiquement mélanésiens. De même les manous(pagnes), les sifflets de rythme, les peintures et poudresdécoratives, l’harmonica et les tambours utilisésaujourd’hui dans nos danses, nos pilous, maté-rialisent-ils cette intégration de la modernité, de l’exté-rieur. Nous intégrons, de manière peut-être moinsnette, les éléments de cultures environnantes dansnotre chorégraphie. » (Bensa, 1998 : 160)

L’expression du chant elle-même s’enrichitconstamment et se réinterprète, se réajuste enpermanence, au gré des changements et des évo-lutions. Elle assimile toutes les adjonctions suc-cessives, qu’elles soient imposées ou non, etempile différents éléments. Dans cette lentematuration, aux orientations multiples, les indi-vidus ne reproduisent pas exactement les chosestelles qu’elles leur ont été transmises par lesgénérations précédentes. Le répertoire pourenfants prend bien au contraire des configura-tions qui sont propres à chaque génération quiles véhicule. C’est pourquoi le tissu du corpssocial se réinscrit en permanence dans ces chantset jeux chantés, s’adaptant aux changements etaux évolutions auxquels les interprètes sontconfrontés. Le répertoire enfantin comprendaussi bien des références aux valeurs tradition-nelles, culturelles, morales et sociales admises etattestées depuis longtemps au sein de la sociétédans laquelle il s’insère, comme dans Fitiku kale-kale, que la verbalisation de préoccupations oude phénomènes très contemporains, comme desprincipes directement issus du modèle d’éduca-tion à l’occidentale ¢ « il faut bien travailler àl’école pour avoir un bon travail » ou encoredans la chanson Neköi wacomadra : il faut allerprier au culte le dimanche sous peine d’être puni.

Fitiku kale kale tro së kejë eë tro sa hane si ke trucatre la dro së qa caha ngöne helep.

« Fitiku kale kale, allons vers le littoral, allons nousbaigner à la mer, nous sommes trop sales en revenantdu champ. »

Neköi wacomadra a sixane la sabath ngo e thupene-hmi fenesi hë mele i hmunë.

« La petite fauvette sous-estime le culte du diman-che, mais le lundi elle est morte. »

Malgré l’expression et l’intention des informa-trices de s’attacher fidèlement aux traditions, ce

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répertoire reflète une grande part de moder-nisme. La tradition orale est le moyen d’inscrireune pratique chantée à la fois dans la continua-tion et dans la modernité. Ces expressions oraleschantées reflètent ainsi un parfait équilibre entretradition, reformulations d’expression du passédans le présent.

Un répertoire très évolutif : une double reformula-tion permanente

Bien que ce répertoire pour enfants soit quali-fié de traditionnel, les différentes caractéristiquesénumérées ci-dessus permettent de le définircomme un système très ouvert, très changeantet évolutif. Il existe alors, dans le répertoirechanté que les adultes adressent oralement auxenfants, une multitude de références collectives,individuelles, anciennes et contemporaines,divergentes et communes, variantes et perma-nentes, traditionnelles et modernes qui sontautant de micro-variations et de combinaisonspossibles.

L’interprétation des chants et jeux chantésque les femmes adressent aux enfants se réalisedans une structure à la fois constante et variable.Ce répertoire ne s’inscrit donc pas dans un cir-cuit fermé, dans une logique limitée, figée. Ils’affirme bien plutôt comme un système très évo-lutif, très souple et très ouvert, capable d’intégrerdes éléments exogènes nouveaux ou événemen-tiels et d’un renouvellement perpétuel sans pourautant changer de fonctionnement.

Cette caractéristique trouve une justificationdirectement dans le groupe producteur de ceschants et jeux chantés, dans le fait que les vieillesfemmes font pénétrer et retranscrivent la cultureenglobante, les préoccupations et les événementsd’une époque, d’un moment, en une zone géo-graphique plus ou moins élargie, d’une commu-nauté et d’une famille, dans les chants qu’ellesadressent à une autre génération. C’est pourquoichaque femme exprime dans ces chants et jeuxchantés pour enfants, dans un contexte socio-historique précis, produit en un endroit historio-géographique particulier, ce qui fait partie de sonenvironnement. Elle y greffe une partie d’elle-même et est influencée par ses propres expérien-ces, par des événements marquants de sa vie, pardes préoccupations plus ou moins personnelles.En ce sens, le chant est riche de micro-divergences culturelles. Les chants et jeux chan-tés pour enfants collectés sur ce terrain de Lifousont donc les expressions, les représentations, lessymbolisations et les conceptions d’une réalitéplus ou moins partagée par l’ensemble des mem-

bres de la communauté, correspondant à unmoment donné particulier par un individu bienprécis, en un point géographique ciblé. Oncomprend alors l’importance des données tem-porelles, géographiques et identitaires dans cerépertoire.

Chaque femme remodèle son propre passé, lerelit, le reformule aujourd’hui pour l’inscriredans le présent. Ce répertoire constitue une pre-mière éducation, la transmission d’un bagageculturel significatif dans la socialisation et laconstruction de l’identité de l’enfant. Il véhiculeainsi une certaine actualité, s’adaptant, se remo-delant au gré des besoins d’expression. Ilexprime la combinaison d’une certaine lecturedu passé avec l’assimilation d’éléments nou-veaux très contemporains. Les chants pour lesenfants sont donc l’expression d’une double for-mulation permanente : les grands-mères trans-mettent une certaine reformulation de préoccu-pations individuelles et/ou collectives, unere-lecture de faits anciens et contemporains, uneexplication et une interprétation d’une vision dumonde aux configurations hétéroclites, tout ens’inscrivant dans une pratique musico-culturelledans laquelle tous peuvent se reconnaître, enréactualisant un passé indéfini dans un présentparticulier, de la mémoire et de la tradition trans-mise par leurs ancêtres.

Les chants et jeux chantés pour enfantsdeviennent alors un carrefour de perceptions, detradition, de modernité, voire même de confron-tations culturelles. Ils s’érigent donc comme latraduction de leur expansion et de leur interpé-nétration. Car comme le soulignent Alban Bensaet Isabelle Leblic dans l’introduction del’ouvrage collectif En pays kanak :

« Les travaux regroupés dans ce volume montrent,chacun à leur manière, que le changement éclaire lespermanences. » (Bensa et Leblic, 2000 : 5)

Ils reflètent ainsi les rapports de l’interprèteavec sa société, sa culture et l’histoire de sontemps, aux configurations multiples et variables.

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

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MISCELLANÉES

La semaine d’anthropologie audiovisuellesur l’Océanie1. Parcours d’une doctoranteen ethnomusicologieau cœur de cet événement

par

Stéphanie GENEIX-RABAULT*

RÉSUMÉ

Cet article retrace le déroulement d’une semaine decolloque sur l’anthropologie audiovisuelle en Océanie,au travers de ma propre perception en tant que docto-rante en ethnomusicologie-musicologie. Il tente de met-tre en exergue l’intérêt du film ethnographique dans ladémarche classique de collecte d’informations, dans larestitution du vécu du chercheur sur le terrain et dans laprésentation des résultats scientifiques obtenus. Ladiversité des films projetés reflète les multiples configu-rations possibles des documentaires, tant dans l’étape deprises de vue que dans la phase de montage. J’examinealors de manière plus détaillée certains films marquantsde cette semaine, pour tenter de me situer par rapport àmes propres images et recherches.

M- : anthropologie visuelle, film ethnograhi-que, collecte de données, description ethnographi-que, ethnomusicologie, Océanie, Lifou.

ABSTRACT

This article relates the march of a one-week sympo-sium about audiovisual anthropology in Oceania,through my owm realization as an ethnomusicology-musicology doctor’s degree’s student. It tends to showup the ethnographic movies’s interest in the datum col-lecting classical process, in the restitution of the researchworker’s personal experience in the land and in thepresentation of scientific results obtained. The projectedmovies diversity reflects the documentaries multiple pos-sible forms, in shooting as in editing. Then, in a deeperway, I examine some out-standing movies of this week,to try to place myself about my pictures and investiga-tions.

K: audiovisual anthropology, ethnographicfilm, datum collecting, ethnographic description,ethnomusicology, Oceania, Lifou.

1. Du 5 au 9 décembre 2005, au —images à Meudon, co-organisée par la Sociéété des Océanistes.* Doctorante en ethnomusicologie-musicologie, Paris --, [email protected]

Journal de la Société des Océanistes, 122-123, année 2006

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Du 5 au 9 décembre 2005 s’est déroulée lasemaine d’anthropologie audiovisuelle sur Lefilm en Océanie au -images à Meudon. Cecolloque a été mis en place grâce à la volonté dela Société des Océanistes de relancer ses cycles deconférences selon une nouvelle version, plusattractive pour le public. C’est ainsi que LorenzoBrutti a contacté Nathalie Lambert, du¢images, et le Comité du film ethnographi-que pour mettre sur pied cette opération. Et ilfaut remercier la ténacité de Lorenzo et deNathalie pour la réalisation de cette semaine.Dans la salle du pavillon de la communication,une vive émotion et un intérêt particulier se sontemparés de l’auditoire avec la présence d’émi-nents spécialistes des cultures océaniennes. Entant que doctorante en ethnomusicologie et néo-phyte en la matière, plusieurs attentes motivaientma présence à ce colloque.

L’intérêt vivant et sans cesse renouvelé, auxconfigurations hétéroclites, des films réalisésdans divers endroits de cette zone géographiqueocéanienne font partager la pluralité de ces cul-tures et des approches visuelles envisageables.Un grand nombre de films ethnographiques degenres très différents a été présenté, en souli-gnant qu’il n’existe pas qu’une seule règle deconduite pour réaliser un documentaire ethno-graphique. L’anthropologie visuelle ne fonc-tionne pas comme une œuvre close obéissant àdes lois formelles strictes et figées, mais bienplutôt comme l’empreinte visible de partis prisdu chercheur et/ou du réalisateur, du type derelations qu’il a pu établir avec les protagonistesculturels et des intentions de l’auteur. Il transpa-raît dans l’image une partie de la propre sensibi-lité et de la personnalité du réalisateur/cher-cheur. Entre le filmeur et le filmé s’établit uneinteraction singulière qui peut prendre plu-sieurs configurations : de l’échange à l’inversiondes rôles, jusqu’à l’instrumentalisation del’investigateur.

Loin des documentaires télévisés esthétique-ment plaisants, agréables et fascinants, aux ima-ges aseptisées, les films proposés reflétaient bienau contraire un engagement réel du chercheur,mais aussi des protagonistes culturels de lasociété observée. Les différents intervenants decette semaine ont par ailleurs souligné troisapplications de l’outil audiovisuel, envisagé dansun premier temps comme un instrument derecherche et d’analyse sur l’homme et les sociétésde tradition orale étudiés, puis dans un secondtemps comme un document complet pouvantservir la description ethnographique, enfincomme un support permettant de compléter lacollecte de données.

L’intérêt du film ethnographique dans la démar-che scientifique

À la fois conçu comme la présentation et laretransmission des résultats d’une rechercheeffectuée, de ce qui est observé sur le terrain parle chercheur et/ou le réalisateur, mais aussicomme instrument de recherche, c’est-à-direcomme un outil permettant de renouvelerautant de fois que nécessaire son observationdirecte, et d’aller encore plus loin dans ladémarche de collecte d’informations, le film eth-nographique sort grandi dans sa diversitéd’expression de configurations possibles et dansl’intérêt qu’il apporte à toute démarche scientifi-que. La prise d’images offre la possibilité derevenir en permanence sur l’ensemble des faitsétudiés, de réitérer ou de renouveler à volontéune bonne partie de l’observation. Dans ladémarche classique d’enquête, le chercheur tra-vaille à partir de son carnet de notes, sans tou-jours avoir la possibilité de retourner sur leterrain pour vérifier et/ou approfondir certainesdonnées.

De plus, le film permet de témoigner de lavivacité d’une culture dans sa globalité. Ilregroupe une multitude de détails complexes : lesdiscours, l’ensemble des paroles, les chants, lesgestes, les attitudes, les sons, les expressions, lespostures, les déplacements... Autant d’élémentsenvironnant les pratiques culturelles qui sontsignificatifs. L’image permet de capter une mul-titude de détails qui sont en réalité très impor-tants et extrêmement difficiles à décrire. Le docu-ment ethnographique de type classique estcohérent. Néanmoins, le film permet d’aller plusloin dans la compréhension, dans l’analyse et larestitution. Il se présente comme un matériaucomplet, renvoyant toute une série de donnéesdu vécu ethnographique, que l’écrit a quelque-fois du mal à exprimer. Grâce à ce documentdoté d’une épaisseur particulière, le chercheurpeut détailler très précisément un savoir, unepratique, des attitudes.

Aussi permet-il d’aller plus loin dans l’analyseen offrant la possibilité d’obtenir des informa-tions verbales et non verbales, formelles et infor-melles sur le sujet étudié en tant que supportvisuel du comportement non verbal. Cetteméthode de collecte et d’analyse des données estintéressante à intégrer dans le processus d’obser-vation et de recueil des informations sur le ter-rain. Elle permet d’élargir et de diversifier lapalette de perception, dans les émotions, les ges-tes, les postures, les interactions entre différentsparamètres, quand l’écrit a quelquefois du mal àle faire.

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Outre l’intérêt riche de ce support dans lesperspectives d’observations directes, il sert éga-lement la description ethnographique. Il se pré-sente comme une méthode de restitution précise,globale et complète, puisqu’elle regroupe l’inter-connexion de la quasi totalité de l’expériencevécue par le chercheur sur le terrain et préserveplus ou moins la simultanéité de l’événement.Elle permet d’enregistrer des détails complexesde l’interaction non verbale d’une pratique et desa réalisation, au travers de l’image, et d’enextraire des connexions significatives.

De plus, et cela a été maintes fois souligné toutau long de la semaine, le film est un supportillustratif fabuleux, l’image portant en elle-même des choses qu’il est impossible de décrire,de restituer par écrit. Elle permet de découvrir,de refléter une société de manière analogue auxdescriptions d’expériences de terrain, mais d’unefaçon plus complète. Elle présente une vision dela vie sur le terrain telle que les chercheurs l’ontvécue, sans ornements, en recherchant l’histoireà partir du quotidien pour mettre l’essen-tiel en valeur. Le chercheur/réalisateur, danscette démarche audiovisuelle anthropologique,doit trouver son propre langage cinémato-graphique pour rendre au mieux la réalité obser-vée, au même titre qu’un auteur structurant sontexte, utilisant des figures de style et des expres-sions de langage pour servir sa descriptionethnographique écrite.

L’image permet non seulement d’aller plusloin dans la démarche descriptive tant elle sestructure à partir de l’audio-visuel lui-même,mais aussi dans la collecte de nouvelles donnéesune fois l’observation effectuée. Visionner le filmavec des spécialistes ou des protagonistes de cetteculture permet d’obtenir plus de détails et dediscours sur ce que l’individu lui-même ou lesautres sont en train de faire. Non seulement lefilm peut être relu autant de fois que nécessaire,mais il est possible de le faire relire avec d’autrespersonnes ou avec ceux sur lesquels le documen-taire portait. S’appuyer sur ce type de projectionpermet d’approfondir le sujet en posant de nou-velles questions et d’obtenir d’autres informa-tions extrêmement précises.

En ce sens, ce support complète la démarcheclassique de collecte par observation directe etparticipante, par entretiens classiques et prisesde photographies. Il n’est pas non plus questiond’opposer le document audio-visuel à la descrip-tion de type ethnographique ou à la parole, maisil s’agit plutôt de considérer ce moyen d’expres-sion et de collecte comme complémentaire. Bienque l’entretien fournisse l’essentiel du matérield’analyse, le film n’est pas dénué d’intérêt. Mais

il ne se substitue pas non plus à la méthoded’entretien classique de collecte d’information. Ilvient seulement compléter la démarched’enquête de terrain de type ethnographique.

Ces généralités d’intérêt dans toute recherchescientifique ne doivent pas pour autant faireoublier les diverses possibilités d’exploration decet outil et les multiples questions qu’il suscite,tant sur la relation du chercheur et des autoch-tones avec la caméra que sur celles liées auxprises de vue et au montage :

« Comment s’engager réellement sur le terrainavec une caméra ? »

« Comment retranscrire visuellement des réa-lités d’expériences de terrain faites dans différen-tes situations : au cours d’observations directes,actives et participantes, ou d’entretiens libres ousemi-directifs ? »

« Que doit observer et filmer le chercheur ? »« Comment observer et filmer le réel du ter-

rain ? »« Par la suite, comment le présenter, comment

le rendre réel sans le dénaturer au moment dumontage? »

« Comment refléter sa rencontre et son expé-rience avec l’autre ? »

« Faut-il une équipe pour réaliser le documen-taire parfait ? »

« Faut-il filmer en intégralité ou privilégier lesmicro-séquences ? »

« Faut-il conserver en permanence un œil der-rière l’objectif ou un regard hors du champ poursaisir ce qui se passe en amont ? »

« En quel cas faut-il balayer le champ ? »« Faut-il filmer en plans larges ou serrés ? »

Le déroulement de la semaine

Le choix des films, remarquable par sa diver-sité et sa densité, agencé par thématique tout aulong de la semaine, a suscité un débat riche etvarié sur les préoccupations fondamentales liéesà cette discipline. Après chaque projection, desdiscussions animées entre le/les intervenant(s) etun auditoire attentif et intéressé ont été menéeset parfaitement orchestrées par l’ethnologueLorenzo Brutti. Elles permettaient d’accéder àun autre niveau de compréhension des inten-tions, des préoccupations, des difficultés et deslimites de l’auteur au sujet du film présenté. Cefut l’occasion idéale d’obtenir de nouvelles don-nées sur la manière d’aborder cet outil et sur sonintérêt dans la démarche d’enquête de terrain detype ethnographique.

La sélection proposée permettait de mettrel’accent tout au long de cette semaine sur des

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préoccupations de fond et de forme. Différentsregards comparés sur des zones d’investigationsproches et/ou lointaines, dirigés sur les mêmesobjets et/ou sur des sujets contigus ou divergents,sur les similitudes et les diversités culturelles, surles constantes et les évolutions en Océanie, ontpermis la confrontation d’opinions différentes.Et plutôt que de tenter de présenter des généra-lités de systèmes, tous ces films se sont attachés àla description d’individualités, de partis pris plusou moins personnels, tout en mettant en exergueune constante dans cette démarche : l’impérati-vité du travail prolongé sur le terrain et l’inva-riante préoccupation de présentation d’une réa-lité vécue par le chercheur/réalisateur et/ou lestémoins eux-mêmes.

Les différentes configurations des films proposés

Les projections d’extraits de séquences fil-mées, Planète Baruya de Maurice Godelier etLoin des médias : la vidéo comme carnet de notescomplémentaires. Recherches en cours sur les ritesmasculins ankave (Papouasie Nouvelle-Guinée)de Pierre Lemonnier, ont retracé des rites d’ini-tiation masculins filmés auprès de deux commu-nautés différentes de Papous en Nouvelle-Guinée. Dans ce cas précis, le support audio-visuel se présente comme un « carnet de notescomplémentaire » dans les démarches d’enquêteet de description de types ethnographiques. Iloffre en effet la possibilité à ces deux anthropo-logues, une fois les investigations menées, depouvoir comparer deux objets de recherchesimilaires, en deux points géographiques diffé-rents d’un même territoire, auprès de deux com-munautés appartenant au même groupegéographico-ethnique.

Pour Pascale Bonnemère, Démocratie hélipor-tée en Papouasie Nouvelle-Guinée : l’apprentis-sage d’un rituel électoral (juin 1997), le docu-mentaire retranscrit une réalité authentiqued’expérience de terrain. Elle a présenté quinzeminutes denses de prises de vue permettant auspectateur de s’imprégner de l’atmosphère réelledu déroulement d’une initiation électorale « héli-portée » dans des lieux reculés de PapouasieNouvelle-Guinée. Le film, sans commentaires envoix-off, sans effets, sans fioritures, rend comptele plus simplement possible de la réalité des cir-constances de déroulement des élections desdéputés de Provinces et du Parlement sur ceterritoire. Autour de cette même thématique,l’ethnologue Éric Wittersheim a présenté unautre type de film, Grassroots, ceux qui votent,réalisé par entretiens libres ou semi-directifs. En

confrontant les points de vue de différents indi-vidus sur ce sujet, il retrace le déroulement de lacampagne et des élections législatives auVanuatu. Au travers d’un échantillon large, richeet varié de propos d’informateurs, cet auteuraborde une autre configuration qui tente elleaussi d’être la plus représentative possible d’uneréalité de déroulement électoral.

Le film plein d’humanité Le ciel dans un Jardindu chercheur Stéphane Breton propose un autregenre de documentaire. Il retrace, sous la formed’un récit scientifique cinématographique riche,émotionnel et esthétique, le quotidien de l’inves-tigateur qui dialogue et partage celui d’une com-munauté de Papous. Les commentaires en voix-off se concentraient essentiellement surl’émotion vécue par le chercheur lui-même. Unenouvelle manière de retransmettre l’expérienceest présentée tout en mettant en avant un pointessentiel dans la démarche anthropologiquevisuelle. Il reflète l’importance de s’immergercomplètement dans la société observée, de déve-lopper des relations de confiance avec ses prota-gonistes et insiste sur le temps, la patiencequ’exige un tel processus, ainsi que sur l’investis-sement affectif du chercheur. Outre ces contrain-tes, Stéphane Breton a largement souligné l’inté-rêt de ce support dans la démarche scientifiquede collecte d’informations. Il lui a permis de fairedes conquêtes ethnographiques et des avancéesethnologiques considérables, notamment en lin-guistique. En le visionnant avec les individus surlesquels le film portait et avec d’autres spécialis-tes, les commentaires émis ont permis à ce cher-cheur de collecter d’autre vocabulaire, d’éluciderle sens de certains mots encore obscurs, d’accé-der à un autre niveau de compréhension...L’image se suffisant à elle-même, elle permet derendre compte de l’expérience de terrain commesi le spectateur la vivait, quand l’écrit a quelque-fois des limites.

Contrairement à l’expérience de StéphaneBreton, à la fois chercheur et réalisateur, passantdix heures par jour sur le terrain avec sa caméra,d’autres types de documentaires trouvent unaccomplissement dans des collaborations entrechercheurs et cinéastes. Les réalisations s’effec-tuent dans diverses conditions et résultent dechoix personnels. Dans Les esprits du Koniambo,Alban Bensa et Jean-Louis Comolli procèdentpar entretiens préparés, quelquefois répétés plu-sieurs fois, plaçant le chercheur au cœur même del’image. L’ethnologue s’investit sans avoir peurde se montrer. Son film tente de restituer lesrelations qu’il a pu tisser avec certains informa-teurs depuis trente ans de recherche sur ce ter-rain, tout en retranscrivant une partie d’enquête

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sur leurs préoccupations contemporaines sur leprojet de mine dans le Nord. Dans Lettres auxmorts, André Itéanu et Etan Capon quant à euxretracent, sans aucune préparation d’entretiens,la perception des chercheurs occidentaux enPapouasie Nouvelle-Guinée et leur instrumenta-lisation par les autochtones.

Ces deux types de documentaires mettent enexergue les contraintes de réalisation de filmsdans le cadre de collaborations entre cinéastes etchercheurs. Ils attestent de la possibilité d’unetelle expérience pluridisciplinaire entre uneéquipe de cinéma et un chercheur scientifique. Ilsmettent l’accent sur la complémentarité des deuxpoints de vue dans cette démarche, tout en sou-lignant la divergence d’approche du terrain,les difficultés, les limites et les fusions de cha-cun dans ce projet commun. Cette aventuren’est envisageable que lorsqu’une relation deconfiance entre le chercheur, le réalisateur et lesprotagonistes culturels de la société observéeest installée. Elle engendre une certaine prisede risques partagée. Le cinéaste, ignorant descontraintes et des exigences culturelles de lapopulation observée, doit complètement se repo-ser sur l’ethnologue. Inversement, le scientifiquen’est pas maître des prises de vue qui sont faitessur le terrain.

Un autre genre est proposé par Séverin Blan-chet et Martin Maden dans Kantri Bilong Yumi,la Papouasie de la famille Maden : le cinémadirect, orienté par et sur des questions de famille.Ce film place la parole des protagonistes cultu-rels au cœur même du documentaire et de saréalisation, en retraçant le récit et les échangespersonnels d’un Papou avec sa famille. Le cher-cheur n’a ici qu’un rôle secondaire puisque lesprises de vue tournent autour du regard d’unefamille, tout en abordant une destinée indivi-duelle, collective, ancienne et contemporaine.

Le documentaire d’observation ethnologiquede Lorenzo Brutti reflète un savoir-faire incon-testable de la technique de prise de vue, combinéavec une grande maîtrise esthétique de cet outil.Son film, Keva et Delphine, offre un confortesthétique tout à fait subsidiaire mais qui permetau spectateur de s’installer dans une ambianceprofondément chaleureuse et agréable, tout endonnant à réfléchir sur les questions de confron-tation culturelle et de reconstruction patrimo-niale, dans le cadre du mariage d’une anthropo-logue belge avec un Pascuan.

Dans le même genre, les films d’observationsdirectes menées par Marc Tabani, Alors vint JohnFrum : une tragédie culturelle des Mers du Sud, etcelui de Thomas Balmès et Lorenzo Brutti,L’Évangile selon les Papous, retracent le syncré-

tisme religieux existant en Océanie sur deux ter-ritoires différents : le Vanuatu et la PapouasieNouvelle-Guinée. Le documentaire s’inscritdans ce cas-là comme le témoin privilégié d’untournant socio-historique de toute importancede sociétés en pleine mutation.

Pour Barbara Glowczewski et Wayne JowandiBarker, Quête en terre aborigène propose unvoyage audiovisuel interactif avant-gardiste.Outre l’aspect novateur de l’utilisation de cesnouvelles technologies, la démarche de réalisa-tion des prises de vue pour ces deux chercheurs,comme pour Jessica de Largy Healy dansGaliwin’ku indegenous knowledge center (Terred’Arnhem), s’inscrit dans une autre perspective.Réalisée sur demande des Aborigènes, elle reflètele désir des autochtones d’exprimer et de conser-ver des choses importantes. Les images prennentdans ces circonstances une valeur d’archivefamiliale. Collectées sur demande des protago-nistes culturels, elles servent à partager et àconserver un certain savoir, une certaine prati-que, pour les générations futures. Il ne s’agit paslà de fixer des éléments en voie de disparition, carla mémoire est toujours bien vivante, mais plutôtde témoigner d’une pratique en un tempsdonné.

Une autre application de l’anthropologievisuelle a été abordée par Marika Moisseeff, quia proposé une intervention innovante, Naturecontre Culture ou le pouvoir animalisant de laviviparité, s’inscrivant dans une démarche dedécodage et d’analyse de séquences de films descience-fiction. Dégageant différents niveauxd’interprétation d’images sélectionnées, elle aainsi démontré que l’anthropologie visuelle neconcerne pas exclusivement la démarche scienti-fique d’enquête de terrain ethnographique, maisqu’elle peut tout aussi bien s’appliquer à desgenres qui font partie de notre quotidien cinéma-tographique.

Les disciplines concernées par le film ethno-graphique s’élargissent. Les ethno-archéologuesPierre et Anne-Marie Petrequin, les chercheursMichel et Catherine Orliac, ainsi que RosaOlmos, et moi-même ethnomusicologue, resti-tuent avec ce support une partie de leurs résultatsscientifiques ; le linguiste Alessandro Duranti etJean-Michel Chazine s’appuient sur ce matériaucomme un outil d’analyse. Tous démontrentl’intérêt du document visuel ethnographiquedans la démarche scientifique en tant que sup-port restituant une partie de l’expérience,des résultats de recherche et comme outil d’ana-lyse. C’est donc sous le signe de l’interdisci-plinarité que se plaçait cette semaine du film enOcéanie.

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Les motivations de ma participation

Tous ces films reflètent l’investissement duscientifique sur le terrain, mettent en exerguel’importance et la nécessité des relations de com-plicité, de proximité, de confiance et d’intimitéavec ceux qui sont filmés. Le résultat final qui endécoule provient d’une grande variété de fac-teurs subjectifs, objectifs, de parti pris plus oumoins individuels et/ou collectifs. Cela dépendaussi en partie des orientations scientifiques etesthétiques choisies par le réalisateur et/ou lechercheur et/ou le protagoniste culturel lui-même. D’autres facteurs entrent encore en lignede compte, les questions financières liées auxbudgets attribués pour la réalisation des films, lesmoyens techniques... Tous ont permis de réflé-chir à différents aspects de la réalisation de filmsethnographiques dans la démarche scientifiquede recherche, ainsi que sur les questions d’ordremoral et légal posées par leur réalisation et leurexploitation. Les œuvres présentées ont mis enrelief la multiplicité des choix individuels possi-bles et des orientations envisageables. Chacune areflété l’investissement du chercheur à se déta-cher des documentaires télévisés trop lissés,largement stéréotypés, et a permis de prouverqu’il existe de multiples façons de réaliser et demonter un film.

Plusieurs préoccupations personnelles,directement liées à mes précédentes expé-riences de terrain, m’ont incitée à participer àcet événement. J’ai réalisé, depuis cinq ans, qua-tre missions sur Lifou, une des quatre îlesLoyauté de Nouvelle-Calédonie2, représentantau total dix-huit mois d’investigation sur ceterrain. Doctorante en ethnomusicologie-musicologie à Paris ¢-, je prépareune étude sur Les chants et jeux chantés pourenfants en Lifou3. Au-delà de l’intérêt que jeporte à cette aire géographique océanienne, je mesuis moi-même essayée lors de ma dernière inves-tigation4 à la réalisation de prises de vues sansaucune formation technique préalable. Néo-phyte en la matière et livrée à moi-même, certai-nes interrogations se sont présentées au cours demon enquête sur le terrain, quant à la meilleure

méthode à adopter pour effectuer les prises devue.

Après de multiples tentatives qui me sem-blaient infructueuses, je me suis rapidementfixé quelques directives de conduite : j’ai choiside filmer en plans larges et fixes pour capterun maximum d’éléments sans fractionnerles prises de vues, en enregistrant l’intégralitéde l’action observée. De retour de mission,je me suis attelée à la réalisation d’un documen-taire sur Les chants et jeux chantés de Lifou5. Ledérushage6 des quinze heures de prises de vueeffectué au préalable, puis le montage final d’unfilm de 26 minutes, suscitent alors un certainnombre de nouvelles interrogations sur l’utilisa-tion de cet outil et la scénarisation du filmethnographique.

J’attendais de cette semaine d’anthropologieaudiovisuelle en Océanie qu’elle me permetted’avoir accès aux différentes configurations pos-sibles de réalisation de film. J’aspirais à rencon-trer des spécialistes dans ce domaine qui pour-raient me donner des conseils techniques etméthodologiques pour améliorer mes prises devue, le documentaire que j’ai pu réaliser, et toutesles préoccupations qui en découlent. J’y cher-chais des réponses aux interrogations que je mepose à différents niveaux sur ce sujet : tant surdes questions liées à la relation du chercheur etdes autochtones avec cet outil que sur celles liéesaux prises de vue et au montage...

Ce sont vraisemblablement ces préoccupa-tions fondamentales qui m’ont poussée à parti-ciper activement à cet événement. J’y attendaisavant tout des réponses, des solutions concrèteset pertinentes liées à mes interrogations.

La vision et la projection du documentaireréalisé ont suscité plusieurs réflexions. D’unpoint de vue technique, certains ont souligné lemanque de formation préalable, tant en milieuuniversitaire que dans la recherche, à l’utilisationdes nouveaux outils de prises de son et de vuepour les jeunes chercheurs. J’avais moi-mêmeabordé cette regrettable lacune en relatant lesdifficultés techniques auxquelles j’avais étéconfrontée une fois sur le terrain avant la projec-tion. Certaines solutions ont alors été apportées

2. Ce territoire se situe dans la partie sud-ouest de l’Océan Pacifique. Il appartient au groupe géographique de la Mélanésie.3. «Nyima me elo thatraqai haa nekönatr ngöne la qene drehu : chants et jeux chantés pour enfants en Lifou (Îles Loyauté,-

Nouvelle-Calédonie). L’expression d’un répertoire en renouvellement permanent », doctorat d’ethnomusicologie-musicologie,préparé à Paris —Sorbonne--, sous la direction d’André-Marie Despringre.

4. Une dernière enquête de terrain de vérifications d’hypothèses a été menée très récemment, du 31 décembre 2004 au 8 mars2005.

5. Nyima me elo thatraqai haa nekönatr ngöne la qene drehu : chants et jeux chantés pour enfants en Lifou, novembre 2005,26 minutes, présenté le 9 décembre dans le cadre de ce colloque sur le Film en Océanie.

6. Les quinze heures de rushes réalisés englobent : une heure de film lors de l’intronisation d’un pasteur ; une heure dereprésentations de danses ; une heure de préparatifs de mariage ; trois heures de vie quotidienne ; trois heures de baptême ; deuxheures de film sur un petit îlot ; quatre heures sur ce répertoire et sur les pratiques de maternage.

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pour tenter d’améliorer non seulement les prisesde vue, mais aussi le montage audio-visuel :

¢ Préférer aux planches de texte un commen-taire en voix-off ; sinon, en normaliser ladurée à 5 secondes ;

¢ Envisager d’effectuer les prises de vue avecdeux caméras pour pouvoir filmer en plansplus serrés la gestuelle des enfantines pendantque l’autre caméra enregistre en plans larges etfixes.

Du point de vue du contenu du documentaire,le public a largement pointé du doigt l’intérêtprimordial de ce répertoire oral chanté pourenfants en tant que processus éducatif et sociali-sant. Il a engendré quelques pistes de réflexion :

¢ Comment en expliciter un peu plus lecontenu ?

¢ Quel rôle et quelle place prend-il au sein dela société traditionnelle en tant que systèmeéducatif ?

¢ Quelle part prend ce répertoire dans le sys-tème scolaire du territoire ?

Aussi cet événement a-t-il largement stimuléune réflexion approfondie sur cette pratique, surcet outil, sur la diversité de méthode de réalisa-tion de l’autre, ainsi que sur ses multiples facettespossibles. En ce sens, il a proposé de poser lesmarques liées à une pratique d’anthropologieaudiovisuelle, aux dispositifs à mettre en œuvrepour approcher, comprendre, donner à voir et àentendre, dans leur intime complexité et dansleur diversité, des hommes et des femmes auxprises avec les réalités de la recherche sur ceterrain océanien. Le film ethnographique a prispour moi une autre dimension : il s’est présentécomme un instrument naturel de collecte et dedécouverte d’information, d’exposition desrésultats de l’enquête de terrain de type ethno-graphique, au même titre que les autres outilsavec lesquels j’ai l’habitude de travailler. Le filmest un moyen d’expression complet et le supportd’une réflexion riche sur le réel du vécu de l’expé-rience ethnographique de terrain du chercheur.Cette semaine d’anthropologie visuelle en Océa-nie a fait germer dans mon esprit de nouveauxprojets d’investigation sur le Lifou.

Enfin, la participation à ce colloque a large-ment stimulé ma réflexion quant à mes propresrecherches sur le terrain. Elle m’a offert la possi-bilité de confronter les images et les résultats desdifférents intervenants aux investigations per-sonnelles menées sur cette zone géographique.Ce colloque donnait l’opportunité inouïe d’avoirun aperçu plus global, plus « océanien », de pra-

tiques culturelles divergentes et similaires, en seprojetant sur des terrains sur lesquels je n’ai paseu l’occasion d’aller et dont je n’ai qu’uneconnaissance fragmentaire.

En guise de conclusion

Merci pour ce voyage audiovisuel océaniqueincroyable ! Il existe une réelle demande etattente de la part des étudiants qui souhaitent selancer dans ce genre d’expérimentation, d’explo-ration. En atteste leur présence tout au long de lasemaine. Tous ont souligné que ce genre de for-mations aux nouvelles technologies audiovisuel-les se fait trop rare dans le cursus universitaire etscientifique. Bien trop souvent, le jeune cher-cheur est livré à lui-même sur le terrain. Aussi cegenre de manifestations est-il primordial pourtous ceux qui s’intéressent de près ou de loin à cegenre de réalisation.

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