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BIBEBOOK CHAVANNES DE LA GIRAUDIÈRE PATRICE, OU LES PIONNIERS DE L’AMÉRIQUE DU NORD

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  • BIBEBOOK

    CHAVANNES DE LA GIRAUDIRE

    PATRICE, OU LESPIONNIERS DE

    LAMRIQUE DU NORD

  • CHAVANNES DE LA GIRAUDIRE

    PATRICE, OU LESPIONNIERS DE

    LAMRIQUE DU NORD1878

    Un texte du domaine public.Une dition libre.

    ISBN978-2-8247-1327-4

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    Sources : Alfred Mame et ls Bibliothque lectronique duQubec

    Ont contribu cette dition : Association de Promotion de lEcriture et de la

    Lecture

    Fontes : Philipp H. Poll Christian Spremberg Manfred Klein

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  • Introduction

    O la n du mois doctobre ; il avait plu toute la journe, etvers les huit heures du soir, au moment o M la Place versaitune tasse de th son mari assis au coin du feu en lisant sonjournal, une furieuse rafale sleva tout coup, sengoura dans la che-mine avec le bruit du tonnerre, et remplit toute la maison de siementstranges.

    Henri, le ls de M. la Place, jeune garon de douze ans qui faisait unepartie de dominos avec sa sur Hlne, un peu plus ge que lui, scriaaussitt en entendant le fracas de la tempte ; Quel temps, mon Dieu !pour ma tante et mes cousines !

    Bah ! dit M. la Place en voyant plir sa femme, ils sont dmanchsmaintenant. Victor connat son mtier, il a un excellent navire, et il doittre sur ses gardes, car depuis ce matin tout annonait un coup de vent.Si je ne vous en ai rien dit, cest quil tait inutile de vous tourmenterdavance.

    Pour comprendre lexclamation de Henri, lmotion de M la Place etla rexion de son mari, il faut que vous sachiez, mes chers lecteurs, quecinq jours auparavant la sur de M la Place tait partie du Havre avecses deux enfants pour aller rejoindre New-York M. le Noir, son poux,

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  • Patrice, ou Les pionniers de lAmrique du Nord Chapitre

    et quils avaient pris passage sur un navire command par un ami de M.la Place, nomm Victor.

    Je dois encore vous expliquer la signication du mot dmancher, dontsest servi M. la Place. Ce terme est trs frquemment employ par lesmarins des ports situs le long de la Manche, dtroit qui spare la Francede lAngleterre. Dmancher se dit dun navire qui sort de la Manche etparvient en pleine mer. Emmancher, au contraire se dit dun navire quisengage dans ce dtroit.

    Pre, reprit Henri, pourquoi donc le btiment qui porte ma tanteest-il moins expos en pleine mer que dans la Manche ? Il me semble quele vent doit tre beaucoup plus fort et les vagues beaucoup plus hautesen pleine mer que prs des ctes.

    Il est trs vrai, rpondit M. la Place, que la mer est plus dure et quele vent est plus violent en pleine mer que partout ailleurs ; mais, malgrcela, un navire solide et manuvr par de bons matelots, command parun capitaine brave et expriment comme Victor, ne court presque aucundanger quand il navigue un millier de kilomtres de la terre la plusproche. La raison en est simple : un grand btiment bien construit et enbon tat rsiste parfaitement aux lames les plus furieuses, parce quellesne peuvent ni entamer ses robustes ancs, ni par consquent pntrerdans son intrieur. Le vent lui-mme, si imptueux quil soit, a trs peude prise sur ses mts privs de voiles. Le capitaine du navire qui subitune tempte au milieu de lOcan, et cela mest arriv plus dune fois,se laisse emporter par elle, et fuit devant le vent, de quelque ct quilsoue, parce quil ne craint pas dtre jet sur une cte, contre laquelle ilse briserait infailliblement.

    Lorsque, au contraire, un navire est surpris par une tempte dans unemer resserre comme la Manche, son capitaine ne peut pas fuir devant levent, qui ne manquerait pas de le pousser sur un point quelconque desterres qui lenvironnent de tous cts. Dans ce cas, au lieu de fuir de-vant louragan, il doit manuvrer pour lui rsister, cest--dire conservertendues le plus de voiles quil est possible, au risque de casser ses mtset de faire sombrer son btiment. Enn, mme par une belle mer et parun vent modr, la plus lgre erreur de route commise par le capitainepeut pendant une nuit obscure causer la perte de son navire ; car il est

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  • Patrice, ou Les pionniers de lAmrique du Nord Chapitre

    entour de terres, dles, de bancs de sables et de rochers quil doit viteravec le plus grand soin : et ce nest pas toujours facile pendant les brumesdu jour et les tnbres dune nuit sans lune et sans toiles.

    Ainsi, dit Hlne, tu ne crois pas, pre, quema tante et mes cousinessoient en ce moment en danger ?

    Dabord, rpondit M. la Place, il se pourrait trs bien que l o ilssont maintenant il ft le plus beau temps du monde, cela naurait mmerien dextraordinaire, car nous ne sommes qu deux cents kilomtresde Paris, et souvent les Parisiens jouissent dun soleil magnique quandil pleut et vente ici, parfois cest le contraire. On ne doit donc jamaisconclure quil rgne une tempte deux ou trois cents kilomtres du lieuo lon se trouve, parce que cette tempte rgne l o lon est. Enn,en supposant mme que le btiment de Victor prouve des rafales aussifurieuses que celles qui fouettent nos vitres, il est trs rassurant de pen-ser quil navigue prsent dans des mers o un coup de vent est peu craindre pour un bon navire ; le pis qui puisse donc arriver Victor, cestdtre jet hors de sa route, ce qui allongerait sa traverse de quelquesjours. Aprs cela, vous savez que Dieu est le souverain matre de touteschoses, que rien narrive en ce monde sans sa volont ou sa permission. Sivous tes inquiets de votre tante et de sa famille, priez celui qui peut fairefaire le tour du monde au btiment le plus dlabr sans quil lui arrive laplus lgre avarie, et laisser prir le meilleur navire, malgr lhabilet deson capitaine et ladresse de ses matelots, par un de ces accidents impr-vus quaucune prudence humaine ne saurait viter.

    Mais, pre, reprit Victor aprs unmoment de silence, pourquoi doncmon oncle nous a-t-il quitts, et est-il all demeurer en Amrique, auxtats-Unis ? Que va-t-il y faire ?

    Je ne rpondrai pas ta premire question, mon cher enfant, ditM. la Place en souriant, parce que tu es trop jeune pour comprendre etapprcier les motifs qui ont engagmon frre sexpatrier avec sa famille.

    Quant ta seconde question, cest tout dirent, et je te donnerai ce sujet toutes les explications que tu voudras. Ton oncle a achet dansune des provinces les plus occidentales des tats-Unis, dans le Michigan,des terres quil se propose de dfricher et de mettre en culture ; ce sont desprairies et des forts. Daprs les dtails contenus dans sa dernire lettre,

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  • Patrice, ou Les pionniers de lAmrique du Nord Chapitre

    limmense domaine dont il a pris possession est situ sur les bords dunegrande rivire nomme la Saginaw. Son proche voisin est un Franais quisest tabli dans le pays depuis une dizaine dannes et qui lui a promis delaider de son exprience et de ses conseils ; mais lhabitation de ce voisinest environ quinze kilomtres du lieu o ton oncle a rsolu dlever sademeure.

    Et il appelle ce monsieur-l un voisin, dit Henri : un homme quihabite si loin de chez lui ! Ce pays-l est donc presque dsert ?

    Sa population saccrot tous les jours avec rapidit ; mais elle spar-pille sur une si vaste tendue de terrain, que les tablissements agricoles,les fermes, si tu comprends mieux, sont encore trs clairsemes.

    Il ny a donc pas dans le Michigan des villes et des villages commeen France ?

    Il ny a quune ville qui mrite rellement ce nom, cest le Dtroit.Ce ntait quune simple bourgade il y a vingt ans ; mais aujourdhui cestune cit orissante. Outre le Dtroit, qui est la capitale de la province,on trouve dans sa partie mridionale un certain nombre de villages etde bourgades dont le nombre augmente tous les ans. Un chemin de ferpartant du Dtroit et destin relier le lac ri au lac Michigan est envoie de construction : quand il sera livr la circulation, ce chemin de ferdonnera une grande importance au Dtroit, qui deviendra peut-tre unedes premires villes des tats-Unis.

    Pre, dit son tour Hlne, je croyais que les tats-Unis dAmriquetaient un pays comme la France et lAngleterre. Je me gurais que New-York, Philadelphie, la Nouvelle-Orlans taient de grandes villes aussibelles que Rouen et Bordeaux, et que les campagnes taient aussi bienpeuples que les environs du Havre. Jai souvent entendu parler de la ri-chesse, de la prosprit et du commerce des tats-Unis, dont les naviresremplissent les bassins du port : comment un tel pays peut-il tre peuprs dsert ? Je ny comprends plus rien.

    Parce que tu ne te donnes pas la peine de rchir, ma chre Hlne,et je vais te le prouver. Est-ce que le vaste territoire de la rpublique destats-Unis nembrasse pas la plus grande partie de lAmrique du Nord ?

    Sans doute, puisque aujourdhui, depuis que la Californie est en-tre dans la Confdration des tats-Unis, leur territoire stend depuis

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  • Patrice, ou Les pionniers de lAmrique du Nord Chapitre

    le golfe du Mexique jusquau Canada, situ tout fait au nord, et qui estune colonie anglaise.

    Et louest, quelles sont les frontires des tats-Unis ? A louest ? A louest il ny a que des pays presque inconnus et ha-

    bits par des peuplades indiennes. Parfaitement. Dis-moi maintenant, il y a cinquante ans, le territoire

    des tats-Unis tait-il aussi vaste quaujourdhui ? stendait-il autant louest ?

    Non, puisque anciennement il ny avait que treize provinces danslUnion amricaine, et quaujourdhui il y en a prs de trente.

    De mieux en mieux. Et comment ces nouvelles provinces se sont-elles formes ?

    Voil ce que je ne sais pas. coute-moi bien alors. mesure que la population des anciennes

    provinces augmenta, le prix des terres et des produits du sol augmentadans les mmes proportions. Il sensuivit que beaucoup de gens quiavaient envie de devenir propritaires et de senrichir, prirent le parti desavancer hors des frontires des anciennes provinces, et daller stablirdans louest, o les terres se donnaient pour rien, parce quelles nap-partenaient personne. On appelait pionniers les hommes intrpides quiprenaient ce parti.

    Ces pionniers saventuraient hardiment au milieu des forts avecleurs femmes et leurs enfants, sinstallaient au premier endroit qui leursemblait favorable, se btissaient une hutte, et vivaient de leur chasse jus-qu ce quils eussent dfrich et mis en culture un coin de terre. Peu peu le nombre de ces migrants augmentait ; et comme ils cherchaienttoujours se rapprocher les uns des autres pour sentraider et pour r-sister, au besoin, aux attaques des Indiens, ils nirent bientt par peuplerune certaine tendue de territoire, par y btir des villages, des villes, etalors ils obtenaient du gouvernement amricain que leur territoire formtune nouvelle province.

    Comprends-tu maintenant comment, tandis que les plus anciennesprovinces de la rpublique amricaine sont aussi peuples que la Franceet lAngleterre, les provinces de nouvelle formation sont encore couvertesen partie de vastes forts, et ne ressemblent pas plus aux anciennes pro-

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  • Patrice, ou Les pionniers de lAmrique du Nord Chapitre

    vinces quaux dpartements de la France ? Eh bien, ton oncle va stablirdans une de ces nouvelles provinces, dans le Michigan, o il a achet unegrande ferme un pionnier qui la dfriche. Cette ferme est susceptiblede grandes amliorations ; mais les travaux y excuter sont faciles encomparaison de ceux que dut entreprendre celui qui fonda cet tablisse-ment au milieu dun pays presque dsert et avec les seules ressources deses bras et de ceux de sa famille.

    Les explications que je viens de vous donner me rappellent laven-ture dun jeune garon irlandais. Je la tiens dun Franais x depuis long-temps au Canada, et qui avait beaucoup connu le hros de mon histoire.

    Puisquil nest encore que huit heures, je vais vous la raconter, etvous irez vous coucher aprs cela avec une belle action mditer.

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  • CHAPITRE I

    Patrice

    I une quarantaine dannes, une famille irlandaise composedu pre, de la mre et de deux enfants, dbarqua Qubec, capi-tale du Canada.Ces pauvres gens fuyaient leur patrie, o ils taient malheureux et pers-cuts cause de leur religion.

    Le pre sappelait Bryan, et son ls Patrice : ce dernier avait justedouze ans le jour o il mit le pied sur le quai deQubec.

    Aussitt dbarqu, Bryan alla trouver un Irlandais migr comme lui,qui tenait Qubec une boutique dpiceries. Il exposa sa situation soncompatriote, il lui t le compte de tout ce quil possdait (cela se rduisait bien peu de chose), et le pria de lui indiquer ce quil pourrait faire poursubvenir, par un travail quelconque, ses besoins et ceux de sa famille.

    Lpicier, qui tait un homme trs obligeant, dit Bryant quil venaitdacheter trs bon march une certaine tendue de terres sur les bordsdu euve Saint-Laurent, environ deux cent cinquante kilomtres au-

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  • Patrice, ou Les pionniers de lAmrique du Nord Chapitre I

    dessus de la ville de Montral ; que ces terres taient situes dans un payssain et fertile. Il ajouta quil nen avait pas encore pris possession, et nitpar orir Bryan de lui cder gratuitement la moiti de son acquisition.

    En vous faisant ce cadeau, continua lpicier, je songe autant mesintrts quaux vtres ; car, lorsque vous aurez dfrich la moiti de mondomaine, lautre moiti quintuplera de valeur, et je trouverai la vendrecinq fois plus cher que je ne pourrais aujourdhui revendre le tout, que jaiachet uniquement par spculation, et sans aucune ide daller lhabiter,puisque jai ici une bonne boutique, et que Dieu bnit mon commerce, quidevient chaque jour plus important.

    Bryan, pntr de la plus vive reconnaissance, accepta, comme on lepense bien, la proposition de son compatriote, et ne trouva pas de parolesassez fortes son gr pour remercier dignement le brave picier.

    Celui-ci lui donna rendez-vous pour le lendemain, an de passer lactepar lequel il lui cdait en toute proprit la moiti de son lot de terres, la seule condition quil mettrait cette moiti en culture et y formeraitun tablissement xe. Du reste, je dois le dire, les contrats de ce genrentaient pas trs rares lpoque o se passrent les faits que je raconte.

    Dans cette seconde entrevue avec son compatriote, Bryan acquit denouvelles preuves de lexcellent cur et du dsir dobliger qui consti-tuaient le fond du caractre de ce digne homme ; car voici ce quil luidit aprs que le trait eut t sign avec toutes les formalits usites enpareil cas :

    Vous maviez hier expos vos ressources en argent ; elles sont insuf-santes pour vous rendre votre tablissement et pour acheter les outils,les armes et les provisions sans lesquels il vous serait impossible de rus-sir dans votre entreprise ; car vous allez tre rduit vos propres forces aumilieu dun pays o la civilisation commence peine pntrer. Vous netrouverez l-bas que du bois, du gibier et du poisson ; il faut donc que vousemportiez avec vous des armes, des outils, des instruments aratoires, toutce qui vous sera indispensable pour construire une habitation, dfrichervos terres, et pourvoir votre existence.

    Je vais donc moccuper de vous procurer dabord un canot pourfaire le voyage, ensuite le bagage complet dun pionnier. Dans cinq joursune caravane de chasseurs et de traquants de pelleteries doit remonter

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  • Patrice, ou Les pionniers de lAmrique du Nord Chapitre I

    le euve Saint-Laurent jusquau lac Ontario ; ils passeront devant votrenouveau domaine. Je vous conseille de vous joindre eux : vous voyage-rez plus srement et plus commodment que si vous tiez seul, surtoutlorsque je vous aurai recommand au chef de lexpdition, qui est un demes amis. Aussitt que vous aurez mis vos terres en culture, vous mex-pdierez tous les ans vos denres ; je les vendrai pour votre compte, et jeretiendrai peu peu sur le prix que jen retirerai les avances que je vousfais aujourdhui.

    Deux mois aprs son arrive Qubec, Bryan et sa famille dbar-quaient sur leur proprit ; ils taient accompagns dun agent du gou-vernement qui stait joint eux Montral pour leur indiquer les lots deterre primitivement concds lpicier, et dont la moiti leur appartenaitdaprs lacte pass avec ce dernier. Lagent du gouvernement, guid parun plan dont il tait porteur, dsigna, au moyen dentailles faites sur lestroncs dune certaine quantit darbres, les limites du domaine de Bryanet celles du domaine de lpicier ; outre ces entailles creuses en deuxcoups de hache, lemploy enleva de distance en distance un arbre unlarge lambeau dcorce, et, laide dun marteau, imprima un timbre surle bois mis nu. Cette opration, qui constituait la mise en possessionde Bryan, dura cinq jours ; et comme il devait assister lagent du gouver-nement, il ne put soccuper de rien autre chose pendant tout cet espacede temps. Le sixime jour lemploy partit, aprs avoir donn une foulede renseignements prcieux Bryan, et lui avoir dit qu 6 kilomtres dechez lui en remontant le euve il y avait une famille franaise composede huit personnes, dont ltablissement, bien que ne remontant qu troisannes, tait dj orissant.

    Lemploy ne se fut pas plutt loign que Bryan se mit bravement luvre. Daprs les conseils de lagent du gouvernement, il choisit pourlever sa cabane le penchant dune colline entirement boise, et com-mena par dblayer le terrain en coupant tous les arbres dans un espacede cinquante mtres en tous sens. Il tait depuis deux jours occup de cetravail pnible, quand il vit arriver les voisins dont on lui avait parl, etqui lui orirent de laider la construction de sa demeure. Bryan acceptade grand cur leurs services, et sexcusa auprs deux de navoir pas tleur rendre visite, parce quil navait pas os laisser seuls sa femme et

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  • Patrice, ou Les pionniers de lAmrique du Nord Chapitre I

    ses enfants. En moins de quarante-huit heures Bryan, aid de ses voisins,acheva son habitation ; les murs en taient composs de troncs darbressuperposs ; chaque tronc avait la longueur dune des faces du btiment,et tous sencastraient les uns dans les autres par leurs extrmits. Commeon employait les troncs sans se donner la peine de les quarrir, les in-terstices quils laissaient taient bouchs dabord avec de la mousse, etensuite avec de la terre glaise.

    Depuis leur arrive jusqu lachvement de leur maison, Bryan et safamille avaient dormi sous une tente quils avaient apporte avec eux.

    Ce serait une histoire trs intressante et trs instructive que cellede notre famille irlandaise pendant la premire anne de son sjour Conance (cest le nom quils avaient donn leur tablissement) ; maisle rcit dtaill de leurs travaux de dfrichement, de leur manire de vivre,des dicults quils rencontrrent, de leurs privations, de leurs exp-dients pour raliser des choses qui, au premier abord, leur avaient semblau-dessus de la force dun homme nayant pour le seconder que les brasdune femme et de deux enfants, exigerait beaucoup plus de temps que jenen ai ce soir ; jarrive donc tout droit aux aventures de Patrice.

    Il y avait trois ans que la famille Bryan tait tablie Conance ; grce des prodiges dactivit, dadresse et de persvrance, prs de cent hec-tares de terres avaient dj t dfrichs, et nos pionniers possdaient destroupeaux et une basse-cour complte. De plus, ils habitaient une maisoncommode, anque de hangars, dtables et de tous les btiments nces-saires une grande exploitation.

    Bryan stait adjoint deux domestiques canadiens, et nattendaitquune occasion favorable pour expdier son ami deQubec une cargai-son de viandes sales, de beurre, de grains, etc. : bref, son tablissementtait en pleine voie de prosprit, ce quil devait dabord lui-mme, etensuite une foule de circonstances qui taient venues favoriser ses ef-forts.

    Parmi ces circonstances, je mentionnerai les rapports damiti quistaient tablis entre lui et le chef dune tribu dIndiens Ottawas. Cechef ayant dclar hautement quil considrerait comme une injure per-sonnelle le moindre acte dhostilit ou de dprdation quon se permet-trait contre Bryan et ses proprits, il en tait rsult que notre pionnier

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  • Patrice, ou Les pionniers de lAmrique du Nord Chapitre I

    navait jamais t inquit par les Indiens, qui, en maintes circonstances,lui avaient, au contraire, rendu une foule de petits services.

    Telle tait la situation de la famille Bryan, quand un matin, la pointedu jour, un guerrier ottawa, parent du chef indien, et fort connu de Bryan,vint lui annoncer de sa part quun parti de deux cents Iroquois tait ence moment occup piller et saccager lhabitation de ses voisins lesFranais, et que si lui, Bryan, ne voulait pas tre gorg avec sa famillecomme ses voisins lavaient probablement t, il fallait prendre lins-tant la fuite : il ajouta quil avait amen un canot, et que le seul moyendchapper aux Iroquois, ctait dy monter et de descendre le euve jus-quau fort Saint-Thomas, o ils seraient en sret ; quen partant sur-le-champ on pourrait prendre assez davance sur les Iroquois pour rendreleur poursuite inutile. peine lIndien eut-il cess de parler, que les deuxdomestiques canadiens slancrent hors de la maison, coururent lcu-rie, et, sautant chacun sur un cheval quils ne se donnrent pas le tempsde brider, disparurent ventre terre.

    Ceux-l, dit lIndien enmontrant du doigt les fuyards, ne seront plusen vie ce soir ; ce nest pas par terre que lon peut chapper aux IroquoisVenez.

    Bryan, qui savait combien en pareille circonstance il tait plus sagepour lui de se er la sagacit de lIndien qu ses propres inspirations,ne balana pas, et le suivit sur-le-champ avec sa femme et ses deux en-fants.Quoiquils courussent plutt quils nemarchaient, ils taient encore vingt-cinq pas de la rivire, quand des cris pouvantables frapprentleurs oreilles : ctait le cri de guerre des Iroquois, qui se prcipitaientdans la maison que Bryan et sa famille venaient de quitter dix minutesauparavant.

    Comme, de la cour de la maison, situe mi-cte, ainsi que je laidit, les Iroquois pouvaient voir la fuite et lembarquement de la familleBryan, parce que de ce point lev rien ne gnait leurs regards jusquaueuve par suite des dfrichements, les infortuns pionniers navaient pasune seconde perdre pour entrer dans le canot et sloigner de la rive.Ils se htrent donc de se placer dans la pirogue ; mais peine lIndienqui devait la diriger, et qui tait un navigateur beaucoup plus habile etplus expriment que Bryan, se fut-il embarqu le dernier, quil devint

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  • Patrice, ou Les pionniers de lAmrique du Nord Chapitre I

    vident pour tous que le frle esquif, construit en corce, ntait pas ca-pable de supporter une pareille charge, et quil ne tarderait pas couler, moins quon ne le soulaget du poids dune personne. Il y eut alorsun moment dincertitude rellement areux : dmarrer, ctait sexposer un naufrage certain ; rester, ctait sorir aux couteaux des Iroquois ;car ils avaient aperu le canot et les passagers, et se prcipitaient vers euxavec des cris sauvages. La rage semblait leur donner des ailes, tant taientprodigieux les sauts et les bonds au moyen desquels ils franchissaient lapente qui les sparait du euve. En ce moment suprme, Patrice se d-voua : se redressant brusquement de la place o il est assis dans le canot,il slance terre, et, avant que son pre songe le retenir, il imprime desdeux mains une vigoureuse pousse au canot, et le met ot. LIndien,pour qui cet acte de dvouement sublime na rien dextraordinaire, saisitaussitt sa pagaie, et lance en pleine eau lembarcation, qui fuit commeune che sous la triple impulsion quelle reoit du vent, des rames et ducourant.

    Tout ceci stait pass avec une telle promptitude, que ni Bryan nisa femme navaient pu sopposer laction de Patrice ; lIndien seul, quiavait conserv cet imperturbable sang-froid des guerriers de sa race, au-rait t en position de prvenir le dessein du jeune garon ; mais quandbien mme le pre, la mre et la sur de Patrice neussent pas t parmiles passagers, il lui semblait tellement naturel et dans lordre que le plusjeune se dvout pour le salut des autres, que, bien loin de retenir Patrice,il neut pas plutt compris son projet, quil lui en facilita, pour ainsi dire,lexcution. Une courte et nergique exclamation approbatrice fut tout cequil accorda au jeune Bryan sacriant sa vie pour le salut de ses parents.

    Malgr le dpart de Patrice, le canot tait encore tellement surcharg,que leau eeurait ses bords, et que le moindre faux mouvement de ceuxquil contenait let mis en danger de couler bas. Ce fut cette circonstancequi empcha Bryan de se prcipiter dans le euve pour rejoindre son ls.En eet, lorsquil se leva du fond du canot, o il tait tendu, pour slan-cer aprs Patrice, la frle barque dcorce vacilla et pencha si fort, que siBryan net pas promptement repris sa position premire, il et caus lamort de sa femme et de sa lle, sans tre daucun secours son ls.

    Patrice ne fut pas plutt terre, quil prit sa course le long du rivage du

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  • Patrice, ou Les pionniers de lAmrique du Nord Chapitre I

    euve, et se jeta dans une paisse toue de roseaux, au milieu de laquelleil se blottit. Cet expdient lui et peut-tre russi, si les Iroquois navaientpas eu un chien avec eux ; mais, pendant quils tiraient des coups de fusilet des ches au canot qui sloignait, et qui fut bientt hors de porte,le chien prit la piste de Patrice, le suivit jusquaux roseaux dans lesquelsle jeune Bryan stait cach, et se mit aboyer de toutes ses forces. UnIroquois accourut ; voyant que son chien tournait autour des roseaux sansoser y entrer, il crut quil avait surpris un sanglier ; il savana donc avecprcaution, son fusil lpaule, prt faire feu ds quil apercevrait labte. Patrice, qui de sa cachette suivait tous les mouvements de lIndien,comprit quil allait tre tu sil ne se montrait pas ; il prit donc bravementson parti, et se leva debout. cette apparition inattendue lIroquois tun bond en arrire, mais, reconnaissant, aussitt quil avait aaire unenfant sans armes, il baissa le canon de son fusil, slana vers Patrice, lesaisit, le chargea sur son dos, et le porta vers ses compagnons avec autantdaisance que sil se ft agi dun chevreuil. Arriv auprs deux, il dposason prisonnier par terre, et poussa une exclamation de joie et de triomphe, laquelle rpondit toute la bande par des cris semblables.

    Ds que le vacarme eut cess, le guerrier qui avait fait Patrice prison-nier (ctait un homme dune cinquantaine dannes) prit la parole, et,sadressant au ls de Bryan, lui demanda en iroquois pourquoi il navaitpas suivi les siens. Comme Patrice parlait tant bien que mal la langue desOttawas, qui tait celle de la tribu du chef indien ami de son pre, et queliroquois ressemble beaucoup lottawa, le ls de Bryan comprit la ques-tion, et rpondit en ottawa quil tait rest parce que le canot ne pouvaitles contenir tous, et quil savait que les guerriers iroquois ne faisaientpoint de mal aux enfants ; que du reste, quand bien mme ils devraient letuer, il mourrait heureux de songer quen sortant du canot il avait assurla fuite de son pre, de sa mre et de sa sur.

    Cette rponse, rement jete par un garon de quinze ans, plut sin-gulirement aux Iroquois. Lun deux, pour prouver le courage de Pa-trice, saisit une hache, lleva en lair, et, labaissant tout coup dans ladirection de la tte du jeune Bryan, ne la dtourna de son front que quandle fer allait latteindre. En face de cette dmonstration hostile, Patrice nelaissa paratre aucune crainte, et resta droit et immobile.

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  • Patrice, ou Les pionniers de lAmrique du Nord Chapitre I

    LIndien qui lavait fait prisonnier tendit alors le bras vers Patrice, etcommena une espce de discours dans lequel il parla longtemps, et entermes pompeux, dun ls quil avait perdu dans une bataille contre lesHurons, et nit par dclarer que, selon lusage de sa nation, il adoptait sonprisonnier comme son ls, an quil tnt la place de celui que les Huronslui avaient tu.

    Patrice, pour se faire bien venir de lIroquois, t semblant de se rsi-gner son sort. Cependant, quand les Indiens le ramenrent auprs deleurs compagnons rests la ferme, et quil vit les ravages commis en sipeu de temps, il ne put ni retenir ni cacher ses larmes. Non seulement lamaison, les hangars, la grange, lcurie, brlaient ; mais le sol tait jonchde dbris de toute espce. Meubles, instruments aratoires, provisions gi-saient ple-mle, et dans un tel tat, quon pouvait peine reconnatre ceque ctait.

    Lorsque les Iroquois furent las de casser et de dtruire, ils se mirent partager leur butin. Ce butin se composait de bien peu de chose, et avaitbien peu de valeur en comparaison des richesses quils avaient ananties ;car ils ne staient rserv quun petit nombre dobjets faciles transpor-ter, et dont ils connaissaient le prix et lusage.

    Patrice fut douloureusement surpris quand on lui annona quil nejouirait du bnce de son adoption que le jour o les Iroquois auraientregagn leurs villages, et que jusque-l il serait trait comme un prison-nier. Il avait espr dabord quon lui laisserait une certaine libert dontil comptait proter loccasion. Toutefois il ne t aucune rsistance, etne tmoigna aucun dpit quand son matre lui lia les mains et lattacha un arbre.

    Le lendemain, au lever du soleil, toute la bande, qui se composait den-viron deux cents hommes, se remit en marche ; daprs ce que Patrice en-tendit dire autour de lui, il conclut que le chef de lexpdition nosait passaventurer plus avant du ct du fort Thomas, et quil avait t dciddans un conseil tenu le soir prcdent quon reprendrait le chemin dunord-ouest.

    Cette dtermination des Indiens causa un nouveau chagrin Patrice.Tant quils seraient rests sur les bords du euve Saint-Laurent, il pou-vait esprer tre dlivr soit par le chef ottawa, soit par les troupes qui

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    ne manqueraient pas de partir du fort Thomas la nouvelle des dvasta-tions commises dans une demi-douzaine dtablissements. Mais une foisemmen dans le nord-ouest, au-del du lac Iroquois, il devenait presqueimpossible que ses parents et ses amis dcouvrissent o il tait, et par-vinssent le tirer dentre les mains des Indiens.

    Le guerrier iroquois vint lui-mme dtacher Patrice de son arbre ; maisil lui laissa les deux bras lis le long du corps par une lanire de cuir, qui,xe son cou, descendait en tournant autour de lui jusqu la naissancedes cuisses. Ainsi garrott, le pauvre garon ne pouvait songer prendrela fuite. Aussi son matre le laissa-t-il libre de marcher sa guise. Priv delusage de ses mains, Patrice, quand il avait soif ou faim, tait oblig de ve-nir trouver son matre, qui le dliait quelques instants et ne lui permettaitde sloigner de lui quaprs lavoir garrott de nouveau.

    Le troisime jour, la tombe de la nuit, les Iroquois camprent aubord dune petite rivire profondment encaisse et trs rapide, qui allaitse jeter dans le euve Saint-Laurent cent kilomtres plus bas. Vers lesdix heures du soir, le temps, qui avait t trs mauvais toute la journeprcdente, se mit la tempte. Il sleva un vent furieux, il tomba destorrents de pluie, et le fracas du tonnerre vint se mler aux mugissementsde la fort battue par louragan.

    Patrice, attach un norme sapin, grelottait malgr sa couverture,compose de plusieurs peaux de castor cousues ensemble. Bientt leauruissela tellement sous lui, quil fut oblig de se lever : il sappuya contre letronc du sapin, et tcha de se tourner de manire ce que larbre labrittle mieux possible du vent et de la pluie.

    Ds le commencement de la tempte il tait tomb une telle averse,quen un instant tous les feux allums dans le camp des Iroquois avaientt noys. Beaucoup parmi les principaux guerriers couchaient sous desespces de tentes ; toute leur promptitude les abattre, quand louragan sedchana, ne put empcher quun grand nombre dentre elles ne fussentemportes au loin. Il en rsulta un dsordre extrme : au milieu duneobscurit profonde, les Iroquois couraient en tous sens, et se bousculaienten cherchant rattraper leurs tentes, leurs couvertures, leur bagage, quele vent et les ruisseaux leur disputaient.

    Au plus fort de la bagarre, un clair eroyable montra Patrice un

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    guerrier accroupi quelques pas de lui, sous un buisson pineux.Quelquerapide, quelque fugitif quet t lclat de la lumire qui lui avait permisde distinguer le guerrier, il avait su Patrice pour reconnatre le chefottawa ami de son pre. Il se rappela alors que pendant tout le jour pr-cdent il avait plusieurs reprises entendu le chant du pic des bois sansavoir vu cet oiseau, et que dans toutes les parties de chasse que le guerrierottawa faisait avec son pre, ce chef se servait habituellement du cri dupic pour prvenir Bryan de se tenir prt tirer une pice de gibier.

    Patrice en conclut que, depuis la veille, le brave Ottawa suivait lesIroquois pour le tirer de leurs mains, et que ctait pour linstruire de sesintentions et de sa prsence que lindien avait plusieurs fois renouvel unsignal bien connu de tous deux.

    Patrice, malgr la dcouverte quil venait de faire, resta dans la po-sition o il se trouvait, et se garda bien de prononcer un seul mot ; car,comme il avait t attach presque au centre du campement, il ne scou-lait pas une minute sans quil entendt passer un Iroquois prs de lui.Seulement il tait tout oreilles, et se tenait prt tout vnement.

    Il venait dachever une courte prire et de renouveler un vu quilavait fait la sainte Vierge lorsquil stait cach dans les roseaux aprsavoir quitt le canot, quand il sentit une main invisible, cause de lobs-curit, sappuyer sur sa bouche, et la lame dun couteau glisser entre sapeau et la lanire xe son pied droit ; son pied gauche et ses deux poi-gnets furent galement, et sans le moindre bruit, dgags des liens qui lesretenaient ; ds quil fut libre, lOttawa le chargea sur son paule et se miten marche.

    La confusion qui rgnait dans le camp avait pour les fugitifs autantdavantage que dinconvnient ; car, si les Iroquois taient trop occupspour songer Patrice, ils couraient de tous cts, et clairaient leurs re-cherches avec des torches de bois rsineux, dont le vent, il est vrai, di-minuait singulirement la clart. LOttawa, qui ne paraissait nullementappesanti par son fardeau, tantt marchait grands pas, tantt se col-lait immobile contre un tronc darbre, tantt se couchait plat ventre. chaque instant Patrice entendait un Iroquois passer ct deux ou ve-nir leur rencontre ; mais chaque fois son librateur se dtournait, ou sejetait de ct avec une souplesse, une rapidit, un aplomb dautant plus

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    merveilleux, quil semblait glisser sur la terre, et que ses pieds ne produi-saient pas le plus lger froissement.

    Cest ainsi quils traversrent heureusement la partie du camp quistendait entre eux et la rivire. Grossie par lorage, elle coulait dbordeet imptueuse.

    En arrivant sur ses bords, lOttawa retrouva sur-le-champ deuxgrosses et longues bottes de jonc quil avait prpares davance ; il les liaensemble cte cte, t coucher Patrice dans lespce de creux que for-mait leur rapprochement, se plaa lui-mme califourchon sur ce radeauimprovis, et le lana au l de leau. Une grande perche et le mouvementde ses pieds, dont il se servait comme de rames, lui surent pour le diri-ger.

    Ils descendirent ainsi la rivire pendant deux heures environ. Alors lechef Ottawa commena contrefaire le cri du hibou des intervalles assezrapprochs ; bientt un cri pareil lui rpondit. LIndien t alors aborderson radeau, mit pied terre et rpta le cri de loiseau nocturne. Au boutde cinqminutes dattente, une piroguemonte par cinq personnes atterritjuste la place o taient venus dbarquer lOttawa et Patrice, et celui-ci se trouva dans les bras de son pre avant quil et eu le temps de lereconnatre.

    Vous dire la joie que le pre et le ls prouvrent en se revoyant estchose impossible ; ils manqurent eux-mmes de paroles pour lexprimer.

    Il me reste maintenant vous raconter quel concours de circons-tances tait due la dlivrance de Patrice.

    Vous avez vu comment, grce au dvouement de son ls, Bryan, ainsique sa femme et sa lle, avait pu sloigner du rivage avant larrive desIroquois, et comment la rapidit de la marche du canot avait prservceux quil contenait de latteinte des balles et des ches diriges contreeux.

    Le guerrier ottawa, stant aperu bientt que les Iroquois, reconnais-sant linutilit dune plus longue poursuite, y avaient renonc, proposa Bryan de sarrter, pendant quil irait voir quel parti prendraient les Iro-quois aprs le pillage de la ferme, et quil tcherait de dcouvrir ce qutaitdevenu Patrice. Bryan accepta cette proposition avec joie, et il convintavec lOttawa qu moins dtre forc par larrive des ennemis de fuir de

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    nouveau, il lattendrait dans une petite crique jusquau lendemain matin.Le matin du jour suivant, lIndien revint avec son chef, quil avait

    rejoint, et celui-ci apprit Bryan que les Iroquois, aprs avoir saccag sontablissement, se retiraient vers le nord-ouest ; quils navaient point faitde mal son ls ; quun chef devait ladopter ; mais quen attendant quela tribu et regagn ses campements habituels, Patrice tait troitementgard et considr comme prisonnier de guerre.

    Si vous le voulez, ajouta le chef ottawa, mon frre va conduire votrefemme et votre lle au plus prochain tablissement, situ une demi-journe dici, o elles seront en sret, et nous deux nous suivrons lesIroquois avec quelques-uns de mes guerriers, et nous essaierons de dli-vrer votre ls.

    Bryan, comme vous le pensez bien, accepta avec autant dempresse-ment que de reconnaissance lore de son ami ottawa. Celui-ci dirigealexpdition avec tant de prudence et de sagacit, que la petite bande re-joignit les Iroquois, et les suivit distance sans tre remarque, jusquce que lIndien, protant dune nuit orageuse, dlivra Patrice, ainsi quenous lavons vu.

    Lvnement qui et d causer la ruine de Patrice devint la cause desa fortune, et voici comment.

    Le gouverneur du Canada, voulant protger dune manire ecaceet permanente les tablissements fonds de ce ct-l, dcida quon l-verait un nouveau fort sur le euve Saint-Laurent, et quon y entretien-drait une garnison respectable. Or, lingnieur charg de choisir lempla-cement de ce fort ayant justement dsign une minence situe uneporte de canon de Conance, les terres de Bryan prirent sur-le-champune trs grande valeur, parce que leur situation dans le voisinage du fortnon seulement les mettait labri des dprdations des tribus hostiles,mais ouvrait des dbouchs certains pour une partie des produits duneferme, tels que volailles, lgumes, lait, beurre, etc.

    Bryan vendit donc quelques petits lots de terre, et le prix quil en ob-tint lui permit de rparer compltement les ravages des Iroquois. Il rem-plaa ses btiments incendis par des constructions plus vastes et plussolides, acheva ses travaux de dfrichement, pera des routes, doubla lenombre de ses animaux domestiques, et bientt Conance devint une des

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    plus belles et des plus importantes exploitations quil y et cinquantelieues la ronde.

    Fin

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  • Table des matires

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  • Une dition

    BIBEBOOKwww.bibebook.com

    Achev dimprimer en France le 11 juin 2015.

    Patrice