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Conduite à tenir devant un malade somnolent sous PPC J. Krieger Symposium A 42 : Exploration de la somnolence Unité des troubles du sommeil, Clinique neurologique, Hôpital Civil, 1, place de l’Hôpital, 67100 Strasbourg. Correspondance : [email protected] 7S106 Rev Mal Respir 2006 ; 23 : 7S106-7S108 Doi : 10.1019/200530200 D evant un patient somnolent sous ventilation en pression positive continue (PPC), il convient d’abord de s’assurer qu’il s’agit bien de somnolence, ensuite de la rattacher au syndrome d’apnées du sommeil (SAS) dont le traitement peut être inadapté, mal utilisé ou non efficient, enfin d’éliminer toute autre cause que le SAS à la somnolence. Confirmer la somnolence et vérifier le traitement La somnolence est définie par la présence d’endormisse- ments involontaires, avec un score d’Epworth > 11. Le dia- gnostic différentiel avec la fatigue est parfois difficile, notamment en cas de fatigue chronique ou dépression. Des patients avec des scores d’Epworth élevés (> 20), mais n’arrivant pas à s’endormir au test de maintient d’éveil (TME) ou aux tests itératifs de latence d’endormissement (TILE) sont proba- blement plus déprimés que somnolents. Vérifier la qualité du traitement Pour apprécier si le traitement par PPC est adapté, il est nécessaire de s’assurer de l’élimination des événements respira- toires : apnées, hypopnées, syndrome de résistance des voies aériennes supérieures avec micro-éveils responsables d’une fragmentation du sommeil. Cela revient à vérifier la qualité de la titration et des critères d’efficacité de la PPC. Les informa- tions données par la titration à domicile peuvent s’avérer insuf- fisantes pour vérifier l’absence de fragmentation du sommeil et la normalisation de la respiration et justifier une titration « manuelle » sous contrôle polysomnographique. Il faut ensuite vérifier que cette pression efficace est effec- tivement appliquée et donc efficiente (absence de fuites au masque, stabilité de la pression appliquée), notamment par des relevés à domicile aujourd’hui réalisables non seulement

Conduite à tenir devant un malade somnolent sous PPC

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Conduite à tenir devant un maladesomnolent sous PPC

J. Krieger

Symposium A 42 : Exploration de la somnolence

Unité des troubles du sommeil, Clinique neurologique, Hôpital Civil, 1, place de l’Hôpital, 67100 Strasbourg.

Correspondance :[email protected]

7S106Rev Mal Respir 2006 ; 23 : 7S106-7S108Doi : 10.1019/200530200

Devant un patient somnolent sous ventilation enpression positive continue (PPC), il convient d’abord des’assurer qu’il s’agit bien de somnolence, ensuite de la rattacherau syndrome d’apnées du sommeil (SAS) dont le traitementpeut être inadapté, mal utilisé ou non efficient, enfin d’éliminertoute autre cause que le SAS à la somnolence.

Confirmer la somnolence et vérifier

le traitement

La somnolence est définie par la présence d’endormisse-ments involontaires, avec un score d’Epworth > 11. Le dia-gnostic différentiel avec la fatigue est parfois difficile,notamment en cas de fatigue chronique ou dépression. Despatients avec des scores d’Epworth élevés (> 20), mais n’arrivantpas à s’endormir au test de maintient d’éveil (TME) ou auxtests itératifs de latence d’endormissement (TILE) sont proba-blement plus déprimés que somnolents.

Vérifier la qualité du traitement

Pour apprécier si le traitement par PPC est adapté, il estnécessaire de s’assurer de l’élimination des événements respira-toires : apnées, hypopnées, syndrome de résistance des voiesaériennes supérieures avec micro-éveils responsables d’une fragmentation du sommeil. Cela revient à vérifier la qualité dela titration et des critères d’efficacité de la PPC. Les informa-tions données par la titration à domicile peuvent s’avérer insuf-fisantes pour vérifier l’absence de fragmentation du sommeilet la normalisation de la respiration et justifier une titration « manuelle » sous contrôle polysomnographique.

Il faut ensuite vérifier que cette pression efficace est effec-tivement appliquée et donc efficiente (absence de fuites aumasque, stabilité de la pression appliquée), notamment par desrelevés à domicile aujourd’hui réalisables non seulement

7S107

J. Krieger

© 2006 SPLF, tous droits réservés

pendant la période de titration, mais également au cours d’unepériode d’utilisation prolongée et continue.

Enfin, l’observance, tant globale que quotidienne, est éga-lement à vérifier, ce qui est là encore facilité par des relevésd’événements résiduels sous PPC à domicile. Il faut cependantrester pragmatique et accepter ce que le patient peut faire, sansse focaliser sur une observance minimale arbitraire ou optimale(même si le mieux est évidemment d’obtenir une observancetoute la nuit, chaque nuit).

Eliminer les diagnostics différentiels

Si le patient reste somnolent alors que le traitement parPPC est adapté, efficient et utilisé correctement, il faut savoirrechercher une erreur de diagnostic ou une autre pathologieassociée au SAS, telle que notamment les mouvements pério-diques du sommeil ou la narcolepsie (encadrés 1 et 2).

Les mouvements périodiques du sommeil (MPS)

Le diagnostic de MPS peut être suggéré par la clinique,mais, d’une part, les mouvements sont souvent limités dansleur amplitude et donc pas toujours identifiés par le conjoint,et d’autre part, 80 % des patients avec un syndrome des jambessans repos ayant également des MPS, l’existence d’un syndrome des jambes suggère la possibilité de mouvementspériodiques du sommeil (mais leur absence ne permet pas de l’exclure). Le diagnostic de MPS se fait par la polysomno-graphie, qui va rechercher des mouvements de « flexion »

dorsale des orteils et du pied, de flexion du genou et de la hanche (ou mouvements de « triple flexion »). Selon les critères de Coleman, repris par l’ICSD (InternationalClassification of Sleep Disorders), l’enregistrement polygra-phique, effectué au niveau du jambier antérieur, doit retrou-ver un renforcement électromyographique – d’une durée de 0,5 à 5 secondes, par série d’au moins 4 événements avec unintervalle entre les éléments compris entre 4 et 90 secondes (le plus souvent entre 20 et 40 secondes) – survenant au mini-mum 5 fois par heure. Ces MPS sont prédominants dans lesstades 1 et 2 du sommeil, suivis ou non d’un micro-éveil (fig. 1).

Association MPS et SAS

Cette association pose le problème de la définition desmouvements pendant le sommeil : ils peuvent correspondre à une maladie (MPS) mais aussi à de simples mouvements traduisant une réaction d’éveil aspécifique survenant enréponse à un événement respiratoire au cours du sommeil. Elle est ainsi variable selon les séries et les groupes de popula-tion étudiés et proche de la population générale.

L’association d’un enregistrement des pressions œsopha-giennes à l’enregistrement polygraphique des jambiers antérieurs peut permettre de s’orienter vers une associationMPS et SAS, en montrant une période d’augmentation de l’effort respiratoire précédant chaque activation des musclesjambiers. Le pneumotachographe peut de même montreravant chaque activation du jambier antérieur une limitationinspiratoire de débit. La canule nasale peut donc parfois suf-fire pour attribuer l’activation des jambiers antérieurs aux évé-nements respiratoires, mais en cas de doute l’enregistrementdes pressions œsophagiennes reste la référence.

L’association de MPS et d’une syndrome de résistancedes voies aériennes supérieures (SRVAS) a récemment été

• Sommeil insuffisant : privation de sommeilvolontaire ou imposé (travail posté…)

• Sommeil fragmenté par des événements autresque respiratoires (mouvements périodiques du sommeil)

• Pathologies intrinsèques du sommeil (narcolepsie principalement)

• Somnolence pharmacologique (iatrogène)

ENCADRÉ 1 : CAUSES DE SOMNOLENCE (AUTRES QUE LE SAS)

• Compulsion à bouger les membres inférieurs(souvent associée à des paresthésies) :

- maximale au repos et à l’inactivité (le plus souvent assis ou couché)

- soulagée ou améliorée par le mouvement(marche ou étirement, au moins tant que durel’activité)

- maximale le soir ou la nuit (au début de la maladie surtout, indépendamment du niveaud’activité)

ENCADRÉ 2 : SYNDROME DES JAMBES SANS REPOS :CRITÈRES MINIMAUX (OBLIGATOIRES)

Fig. 1.

Mouvements périodiques du sommeilEnregistrement polygraphique au niveau des jambiers anté-rieurs droit et gauche. L’activation électromyographique est ici répétée, quasi-périodique (toutes les 30 secondes environ),asymétrique, plus marquée en voie EMG2 qu’en EMG1.

rapportée par Exar et Collop [1]. Ils ont enregistré la pressionœsophagienne de 20 patients consécutifs ayant un diagnosticde MPS : 14 % d’entre eux avaient un SRVAS et 63 % desréveils liés à l’effort respiratoire (RERA : respiratory effort-relatedarousal) étaient associés à une activation des jambiers antérieursavec tous les critères des MPS.

Chervin a mené une étude rétrospective [2] chez 1 124patients adultes avec une suspicion de SAS (944 avaient un indexd’apnées-hypopnées (IAH) > 5, dont 792 avaient un IAH > 10).266 d’entre eux avaient un index de MPS > 5. Il a observé unecorrélation négative entre l’index de MPS et la latence moyenned’endormissement aux TILE (p = 0,03) : plus les patients avaientde mouvements périodiques du sommeil, moins ils étaient som-nolents. Chez 321 de ces patients, l’auteur a analysé les micro-éveils associés aux MPS et observé là encore qu’ils étaient corrélésnégativement avec la latence moyenne d’endormissement auxTILE (p = 0,008). Il en a conclu que la somnolence réduisait la

probabilité de micro-éveils associés aux MPS. Cependant, danscette étude, la distinction entre mouvements traduisant lamaladie (MPS) ou mouvements simples liés aux événementsrespiratoires n’était pas claire et les événements respiratoirespouvaient masquer les mouvements périodiques.

Enfin, avec Haba-Rubio et coll., nous avons mené uneétude prospective chez 57 patients avec un SAS (IAH = 53/hen moyenne) dont 22 avaient un index de MPS > 5/heure ettraités efficacement par PPC [3]. En comparant ces patients àceux ayant un index de MPS < 5/h, nous avons égalementconstaté qu’ils étaient moins somnolents, aussi bien au test delatence multiple d’endormissement (MSLT) qu’au score desomnolence d’Epworth (tableau 1).

Mais les données publiées sur la relation entre MPS, SASet somnolence résiduelle sont peu nombreuses et il n’est paspossible de savoir aujourd’hui si le traitement des MPS pourraitou non améliorer une somnolence résiduelle.

7S108 Rev Mal Respir 2006 ; 23 : 7S106-7S108

Conduite à tenir devant un malade somnolent sous PPC

IMPS > 5/heure IMPS < 5 P

(n=22) (n = 35)

Evaluation initiale MSLT 15 ± 4 12 ± 5 0,05

ESS 10 ± 3 12 ± 5 0,06

Après 1 an de traitement par PPC MSLT 17 ± 4 46 ± 4 0,09

ESS 8 ± 3 9 ± 5 0,19

Tableau I.

Interactions entre SAS et MPS chez 57 patients avec un SAS (index d’apnées-hypopnées moyen = 53 ± 26) (d’après réf. [3])

Légendes : IMPS = index de mouvements périodiques du sommeil ; SAS = syndrome d’apnées du sommeil ; MSLT = test de latence multipled’endormissement ; ESS = score de somnolence d’Epworth ; PPC = pression positive continue

En conclusion

Devant un patient somnolent sous pression positivecontinue, il faut d’abord s’assurer de la réalité de la somnolence,ensuite de l’efficacité, l’efficience et l’utilisation correcte de laPPC, enfin de l’absence d’une autre cause de somnolenceidentifiable. Si tous ces critères sont remplis, cette somnolencerésiduelle peut justifier d’un traitement par un médicamentéveillant.

Références

1 Exar EN, Collop NA : The association of upper airway resistance withperiodic limb movements. Sleep 2001 ; 24 : 188-92.

2 Chervin RD : Periodic leg movements and sleepiness in patients evaluated for sleep-disordered breathing. Am J Respir Crit Care Med2001 ; 164 : 1454-8.

3 Haba-Rubio J, Staner L, Krieger J, Macher JP : Periodic limb move-ments and sleepiness in obstructive sleep apnea patients. Sleep Med 2005 ;6 : 225-9.