90
1 Master de l’Ecole Polytechnique Mention Economie et Gestion Spécialité « Projet Innovation Conception » Construction et évaluation des projets d’innovation Le cas de l’industrie automobile Jean-Rémi BEAUDOIN Benoit TOCCACIELI Avril 2010 – Août 2011 Entreprise partenaire : RENAULT Responsable entreprise : Tuteur de Master : Professeur responsable du Master PIC : Marc PAJON Rémi MANIAK Christophe MIDLER

Construction et évaluation des projets d’innovation Le cas de … Renault.pdf · 2017. 10. 31. · pare-brise, propulsion électrique, système de navigation, suspensions dynamiques,

  • Upload
    others

  • View
    1

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Construction et évaluation des projets d’innovation Le cas de … Renault.pdf · 2017. 10. 31. · pare-brise, propulsion électrique, système de navigation, suspensions dynamiques,

1

Master de l’Ecole Polytechnique

Mention Economie et Gestion

Spécialité « Projet Innovation Conception »

Construction et évaluation des projets d’innovation

Le cas de l’industrie automobile

Jean-Rémi BEAUDOIN

Benoit TOCCACIELI

Avril 2010 – Août 2011

Entreprise partenaire :

RENAULT

Responsable entreprise :

Tuteur de Master :

Professeur responsable du Master PIC :

Marc PAJON Rémi MANIAK Christophe MIDLER

Page 2: Construction et évaluation des projets d’innovation Le cas de … Renault.pdf · 2017. 10. 31. · pare-brise, propulsion électrique, système de navigation, suspensions dynamiques,

2

Remerciements........................................................................................4

Résumé....................................................................................................5

1 Les outils de construction et d’évaluation des projets d’innovation ..6

1.1. L’innovation comme moteur de croissance ...................................................6

1.1.1. L’innovation comme renouvellement produit .................................................... 6

1.1.2. Le projet d’innovation ......................................................................................... 6

1.1.3. Le cas de l’industrie automobile........................................................................ 11

1.2. Quels critères d’évaluation pour les projets ?..............................................15

1.2.1. Introduction....................................................................................................... 15

1.2.2. De la valeur d’usage à la valeur entreprise ....................................................... 15

1.2.3. Valeur entreprise : évaluation économique...................................................... 19

1.2.4. Valeur entreprise : cadrage stratégique............................................................ 23

1.2.5. Limites de ces indicateurs.................................................................................. 31

2 Méthodologie : conception d’un outil en contexte opérationnel.....33

2.1. Spécificités de la conception d’outil en contexte opérationnel....................33

2.1.1. Les outils influencent les projets ....................................................................... 33

2.1.2. Principes de la recherche-intervention ............................................................. 33

2.1.3. Immersion du chercheur dans son terrain d’étude........................................... 34

2.2. Démarche de conception .............................................................................35

2.2.1. Différentes stratégies de recherche-intervention............................................. 35

2.2.2. Analyse des attentes et de l’existant................................................................. 37

2.2.3. Implémentation ................................................................................................. 39

2.2.4. Déploiement de la méthodologie...................................................................... 40

2.3. Rôle de l’intervenant-chercheur et de l’outil proposé..................................40

2.3.1. Rôle de l’intervenant-chercheur........................................................................ 41

2.3.2. Rôle de l’outil..................................................................................................... 42

2.3.3. Intégration et survie de l’outil ........................................................................... 44

Page 3: Construction et évaluation des projets d’innovation Le cas de … Renault.pdf · 2017. 10. 31. · pare-brise, propulsion électrique, système de navigation, suspensions dynamiques,

3

3 L’outil de construction et d’évaluation des projets ..........................47

3.1. Valorisation intégrale...................................................................................47

3.1.1. Quelques exemples de projets… ....................................................................... 47

3.1.2. D’une multitude de valeurs vers une « valeur entreprise » commune............. 51

3.1.3. Concrétisation opérationnelle : 6 axes de valorisation ..................................... 52

3.2. Construction collective .................................................................................56

3.2.1. L’innovation chez Renault.................................................................................. 56

3.2.2. De contributions isolées vers une consolidation de l’équipe projet ................. 66

3.2.3. Concrétisation opérationnelle : des séances de valorisation collectives .......... 70

4 Résultats ..........................................................................................77

4.1. Débats soulevés ...........................................................................................77

4.2. Arbitrages mis en évidence ..........................................................................82

4.2.1. Enjeux et risques du déploiement anticipé ....................................................... 82

4.2.2. Impacts de l’intrusivité ...................................................................................... 83

4.2.3. Exploitation de ces arbitrages ........................................................................... 83

4.3. Adhésion des acteurs ...................................................................................84

5 Limites de la méthodologie..............................................................85

5.1. Un outil propre à Renault.............................................................................85

5.2. Un outil spécifique à un type de projets.......................................................85

5.3. Politique interne de l’entreprise...................................................................86

5.4. Survie de l’outil.............................................................................................86

Page 4: Construction et évaluation des projets d’innovation Le cas de … Renault.pdf · 2017. 10. 31. · pare-brise, propulsion électrique, système de navigation, suspensions dynamiques,

4

Remerciements

Nos premiers remerciements vont à Marc Pajon, qui a dirigé ces travaux depuis Renault et nous a apporté son soutien tout au long de notre séjour dans l’entreprise, et à Rémi Maniak, qui nous a suivi depuis le CRG, et qui s’est toujours montré disponible pour nous guider et nous aider. Grâce à leur sourire et à leur expérience, ils ont su entretenir au quotidien notre motivation, notre confiance et notre bonne humeur. Nous tenons ensuite à remercier Christophe Midler, dont l’investissement dans ce programme de Master en fait pour tous les étudiants un lieu d’apprentissages théoriques, pratiques et personnels extrêmement riche. Merci aussi à Rémi Bastien, Directeur de la Recherche, des Etudes Avancées et des Matériaux chez Renault, pour son soutien tout au long de notre projet, et merci aux autres membres du CoDREAM pour la pertinence de leurs remarques qui nous ont aidés à mieux cadrer nos travaux. L’avancement de notre projet doit également beaucoup aux contributions de Dominique Levent, Michel Breg et Nathalie Sourdille lors de nos réunions de copilotage. Nous les remercions chaleureusement pour le temps qu’ils nous ont consacré, et la qualité des conseils qu’ils nous ont adressés lors de ces échanges. De même, le projet n’aurait jamais pu aboutir sans la participation des nombreuses personnes que nous avons rencontrées chez Renault. Nous ne pouvons malheureusement pas remercier tous ceux qui mériteraient de l’être ici. Nous tenons néanmoins à exprimer toute notre reconnaissance aux Chefs de Projet Innovation avec lesquels nous avons été amenés à travailler au quotidien, en particulier Daniel pour son optimisme et sa mesure, Frédéric pour son regard avisé sur les rouages de l’entreprise, Patrick pour son sens de la pédagogie, Eric pour sa disponibilité et son consentement à tester notre outil, et Bertrand pour son détachement et les bons moments que nous avons passés avec lui. Nous remercions également l’équipe des Partenariats Public-Privé pour la bonne ambiance qu’ils ont contribué à mettre sur notre plateau pendant toute la durée de notre présence. Merci surtout à Pierre-Emmanuel pour ses cravates et son charisme présidentiel, et à Yuko pour ses leçons de japonais. Merci également à Yves pour les airs provençaux qu’il a apporté à cette ambiance. Merci enfin à Lionel pour sa connaissance intarissable de l’automobile, et pour sa disponibilité à la partager avec nous. Merci aux différents autres stagiaires avec lesquels nous avons eu l’occasion de partager d’agréables repas et de longs fous rires. Merci à Alexandra pour son travail de relecture.

Page 5: Construction et évaluation des projets d’innovation Le cas de … Renault.pdf · 2017. 10. 31. · pare-brise, propulsion électrique, système de navigation, suspensions dynamiques,

5

Résumé

Dans l’industrie automobile, la compétition entre les différents constructeurs et la recherche de profitabilité appellent à un raccourcissement des temps de développement. Cela conduit à reporter en amont l’exploration et la préparation des innovations : système d’affichage sur pare-brise, propulsion électrique, système de navigation, suspensions dynamiques, etc. Une des principales problématiques de management de l’innovation consiste alors à orienter le processus amont vers des prestations qui généreront une valeur maximale une fois intégrées à certains véhicules. Ce pilotage de la valeur en phase amont pose alors des problèmes méthodologiques de deux types : - La multiplicité des critères de valeur de ces innovations (marge générée, mais également contribution à l’image de la marque, connaissances et compétences développées en interne, etc.) sont autant de dimensions à intégrer dans une démarche de construction et d’évaluation de ce type de prestations. - La diversité des exigences des différentes directions vis-à-vis de l’innovation. Chacun des acteurs projet ayant sa vision propre de la structure de valeur d’une prestation (coûts de développement faibles, cohérence avec la stratégie de marque, forte différenciation, etc.), il convient donc de construire des indicateurs qui explicitent et intègrent l’ensemble de ces attentes et les mettent en balance dans le processus de construction et d’évaluation des projets. Dans ce contexte, le projet de Master a permis d’élaborer et implémenter un outil d’aide au pilotage et à la décision. En prenant en compte un spectre de valeurs élargi, cet outil sert de base de discussion aux acteurs pour les aider à orienter le processus de conception vers des scenarii maximisant les valeurs. Par ailleurs, il permet au gestionnaire du portefeuille d’innovations de piloter l’apport relatif de chaque projet à l’entreprise. Ce mémoire aborde d’une part la structure et le contenu d’un tel outil, et d’autre part le processus de construction en situation opérationnelle.

Page 6: Construction et évaluation des projets d’innovation Le cas de … Renault.pdf · 2017. 10. 31. · pare-brise, propulsion électrique, système de navigation, suspensions dynamiques,

6

1 Les outils de construction et d’évaluation des projets d’innovation

La section suivante s’appuie sur la littérature spécialisée pour réaliser un panorama des spécificités des projets d’innovation et de leur pilotage. Au sein de ce panorama, une attention particulière est accordée à la question du pilotage de la valeur des projets.

1.1. L’innovation comme moteur de croissance

1.1.1. L’innovation comme renouvellement produit

L’innovation produit est une activité centrale pour les entreprises dans un environnement compétitif, afin de conserver leur place parmi la concurrence et de conquérir de nouveaux marchés (Wheelwright et Clark, 1992 ; Brown et Eisenhardt, 1998). La littérature sur le développement de nouveaux produits et l’innovation est extrêmement riche. Elle peut être divisée en deux principaux champs (Adler, 1989) :

- une analyse macroscopique des mécanismes d’innovation : principalement orienté sur un aspect économique, ce champ de recherche s’attache notamment à comparer la capacité des différentes entreprises à innover, en fonction de leur secteur industriel, de leur zone géographique, etc. (Urabe, Child et Kagono, 1988)

- une analyse organisationnelle, qui s’intéresse au niveau microscopique à la manière dont une entreprise parvient à développer un nouveau produit spécifique (Clark et Fujimoto, 1991)

Dans les deux cas, ce qui ressort est que les entreprises capables de développer des produits innovants qui attirent plus fortement les consommateurs réussissent nettement mieux que les autres. Le développement de nouveaux produits apparaît donc comme une source potentielle d’avantage compétitif. Par ailleurs, l’évolution du marché et des technologies ne pouvant jamais être complètement prévue ni contrôlée, il s’agit d’un moyen de diversifier et réinventer l’activité de l’entreprise pour pouvoir s’y adapter au mieux (Brown et Eisenhardt, 1995). Il apparaît donc particulièrement important pour les entreprises de pouvoir maîtriser leurs processus d’innovation sur les produits. Cependant, il s’agit d’un type d’activité fortement déstabilisante, dans le sens où elle vient remettre en question les règles de conception et les processus établis. Cela est d’autant plus vrai dans le contexte d’une entreprise historique comme Renault, où la forte stabilisation de ces règles et processus constitue un frein important pour mobiliser les acteurs et les investissements vers la production de produits innovants dont le succès commercial n’est pas encore garanti. L’un des rôles de la recherche en gestion est ainsi de fournir aux entreprises des modèles et outils permettant de mieux structurer et orienter leur stratégie d’innovation. En les aidant à rationaliser leurs activités de conception, cela a notamment permis de soutenir des politiques de lancement de nouveaux produits ambitieuses au cours des vingt dernières années.

1.1.2. Le projet d’innovation

Les projets d’innovation sont radicalement différents des projets de développement : l’ambiguïté stratégique de ces projets, les fortes incertitudes qui y sont liées, les risques qu’ils font courir aux entreprises et les perturbations qu’ils peuvent impliquer dans son fonctionnement appellent un mode de pilotage et des méthodes d’évaluation spécifiques au contexte de l’innovation.

Page 7: Construction et évaluation des projets d’innovation Le cas de … Renault.pdf · 2017. 10. 31. · pare-brise, propulsion électrique, système de navigation, suspensions dynamiques,

7

1.1.2.1. La structure projet

Un projet est une structure politique, économique et organisationnelle, qui se définit par la rationalisation d’une volonté (individuelle ou collective) de réalisation d’un acte permettant d’atteindre un état souhaité dans le futur. Un ensemble de ressources, de compétences et de modes opératoires est nécessaire pour la réalisation de ce cet acte (Bréchet et Desreumaux, 2004). Les principales caractéristiques de la structure projet sont (Midler, 1996) :

- Une démarche finalisée par un but et fortement contrainte, l’objectif à atteindre étant décliné en termes de performance, de délai et de coût.

- Une prise en compte de la singularité de la situation - Une affaire de communication et d’intégration de différentes logiques. La logique des

projets suppose, à l’opposé des principes tayloriens de division du travail, la combinaison des expertises des différentes acteurs (recherche, marketing, production…) de la définition de la cible jusqu’à la mise sur le marché du produit.

- Un processus d’apprentissage dans l’incertitude. Un projet est, par essence, une activité risquée. Il faut s’engager dans le projet pour savoir s’il ira jusqu’à son terme et où ce terme se situera exactement. Les acteurs découvrent chemin-faisant problèmes et solutions selon une logique décrite par Schön comme une « conversation avec la situation » qui répond aux acteurs, les surprend et les oblige à lancer de nouveaux apprentissages.

- Une convergence dans une temporalité irréversible. Contrairement à l’horizon des métiers, celui des projets est clairement borné par une fin annoncée ex-ante. Entre le début et la fin du projet se déploie un processus d’apprentissage décrit comme une dynamique irréversible où l’on passe d’une situation on l’on ne sait rien mais où tout est possible, à une autre où le niveau de connaissance a atteint son maximum mais où toutes les marges de manœuvre ont été utilisées (Midler 1993).

- Un espace ouvert et fluctuant. Il n’est pas possible de définir a priori les frontières du projet, car non seulement il mobilise différents métiers dans l’entreprise mais également différentes entreprises (un constructeur automobile et ses fournisseurs, par exemple)

Ce type de structure a été relativement long à mettre en place dans le monde de l’industrie automobile : plusieurs vagues de rationalisation des processus de coordination des acteurs projet se sont succédées avant d’aboutir à la maîtrise actuelle des étapes de conception du développement d’un véhicule (Weil, 1999). Elle est néanmoins considérée aujourd’hui comme une évidence dans un groupe comme Renault où l’ensemble des produits est développé dans le cadre d’une structure projet depuis le début des années 1970 (Midler, 1993 ; 95). Cependant, l’héritage historique de cette structure fait qu’en situation de conception innovante, elle reste implicitement assimilée à une structure de « projet de développement » (Lenfle, 2004, p19). Or le projet de conception innovante, défini comme « l’organisation de l’exploration d’un nouvel espace de conception dans lequel ni les concepts, ni les connaissances ne sont clairement définis au début, dans un cadre temporel lui aussi à préciser » (Lenfle, 2008, p95) doit se distinguer du projet de développement pour lequel les objectifs et les moyens sont plus clairement définis dès le départ. Cinq caractéristiques essentielles distinguent les projets de conception innovante des projets de développement (Lenfle, 2004) :

- Il s’agit de projets émergents et stratégiquement ambigus - Il n’y a pas de demande explicite des clients ni de marché clairement identifié - Le résultat attendu est difficile à spécifier ex-ante - Il est nécessaire d’explorer de nouvelles poches de connaissances

Page 8: Construction et évaluation des projets d’innovation Le cas de … Renault.pdf · 2017. 10. 31. · pare-brise, propulsion électrique, système de navigation, suspensions dynamiques,

8

- La temporalité du projet est perturbée par une urgence masquée et la multiplicité des horizons temporels

Ces caractéristiques viennent alors remettre en cause les méthodes de pilotage mises en place pour les projets de développement.

1.1.2.2. Mode de pilotage

Les règles de gestion qui s’appliquaient pour les projets de développement doivent donc être adaptées pour un pilotage adéquat du projet de conception innovante, et intégrer les cinq caractéristiques suivantes (Lenfle, 2004, p12) :

- La construction d’un référentiel d’évaluation spécifique : du fait de leur ambiguïté stratégique et de l’absence de clients justifiant leur existence, il semble avant tout essentiel que ces projets réussissent à trouver une place dans l’entreprise. Les considérer comme une agglomération d’études relevant des différentes entités de l’organisation risque de masquer la cohérence de l’ensemble et l’importance des enjeux : il est donc nécessaire de mettre en place une structure ad hoc, généralement sous la forme d’une équipe pluridisciplinaire et autonome.

- Le rôle central des épreuves dans le dispositif de pilotage : les incertitudes inhérentes à l’innovation et la difficulté à anticiper les problèmes à partir des seules expériences passées obligent les acteurs projet à adopter une stratégie d’essai-erreur. Sans action concrète engagée pour tester les premières idées, il apparaît difficile de créer des connaissances, de coordonner les acteurs, de juger de la réelle pertinence des enjeux initialement définis, etc.

- L’importance de la focalisation temporelle de l’exploration : les valeurs d’usage, les stratégies et les technologies évoluent en même temps qu’on les explore, et ce qui semble satisfaisant à un moment donné peut ne plus l’être quelques mois plus tard. Il peut donc s’avérer dangereux de traiter l’exploration de façon séquentielle.

- La double nature de la performance : valeurs des produits et connaissances accumulées. Chaque étape du projet doit être considérée comme ayant de la valeur, qu’elle débouche directement sur une production commerciale ou qu’elle permette de mieux comprendre la technique ou le marché pour des applications ultérieures.

- L’élaboration d’outils de gestion permettant une reformulation chemin faisant des problématiques : la conception consiste en effet à la fois à poser un problème et à y trouver une solution. Il faut remarquer qu’au départ du projet, il est difficile de bien poser le problème, et la probabilité de trouver directement une réponse au problème énoncé est très faible. Les deux champs sont donc à travailler en parallèle.

D’un point de vue organisationnel, une caractéristique clé est donc de pouvoir mettre en place une équipe transversale, dès l’amont du processus de conception. Ces instances peuvent prendre des formes diverses : regroupement de compétences autour d’une technique (Lenfle, 2001), structuration d’une équipe autour de fonctionnalités en émergence du produit (Le Masson, 2001), mise en place d’un plateau multi-expertise pour explorer un espace de conception innovant (Lenfle et Midler, 2003), etc. Cela traduit bien l’interdépendance des différentes dimensions de l’apprentissage et du fait que celui-ci ne peut se gérer comme la juxtaposition de projets et/ou d’expertises indépendants. De même, cela intègre la nécessité d’explorer simultanément les dimensions techniques et les usages, afin d’éviter une désynchronisation des solutions développées avec le marché. Le rôle de ces équipes transversales évolue en fonction des différentes phases de conceptions du projet :

- Exploration du champ d’innovation défini initialement par un ou plusieurs concepts directeurs : quels sont les services possibles, les pistes techniques envisageables, etc.

Page 9: Construction et évaluation des projets d’innovation Le cas de … Renault.pdf · 2017. 10. 31. · pare-brise, propulsion électrique, système de navigation, suspensions dynamiques,

9

- Sélection des pistes qui s’inscrivent le mieux dans la stratégie de l’entreprise. Le rôle du dispositif est ici de préparer et d’organiser le jalon décisionnel du tri, validé par les instances responsables de l’entreprise (études, méthodes, produits, marketing…).

- Préparation de la solution, en concevant des demi-produits (Weil, 1999) qui correspondent à une application potentielle et ont subi des validations qui en font une proposition crédible à soumettre aux projets.

Ces équipes cèdent en revanche le leadership aux métiers et aux projets pour le développement final. Ils continuent néanmoins à en suivre la réalisation, d’une part pour préparer les futurs produits, et d’autre part pour gérer et enrichir la lignée de produits. En effet, c’est durant ces phases aval que les équipes peuvent découvrir les problèmes de mise en œuvre et obtenir des éléments qui leur permettront d’améliorer les versions ultérieures. Les comités de pilotage des projets de conception innovante jouent également un rôle sensiblement différent par rapport aux projets de développement, puisqu’ils doivent à la fois (Lenfle, 2004, p18) :

- Questionner la pertinence des hypothèses sur lesquelles l’équipe travaille. D’après Van de Ven (1999, chap. 4), les projets réussis sont ceux qui ont bénéficié très en amont des critiques de plusieurs experts intégrés au comité de pilotage.

- Fixer les horizons du projet : en fonction du degré de validation des solutions développées et des fenêtres d’opportunités existantes dans les projets de développement, le comité aide l’équipe à décider sur quel type de projet il est le plus pertinent de s’accrocher pour lancer la première version du produit/service.

- Gérer la succession des projets : l’enjeu est de gérer la succession des différents projets pour maximiser les rentes d’apprentissages résultant des transferts de connaissances entre les différents projets.

- Lancer de nouvelles explorations à partir des connaissances produites en excès qui peuvent intéresser la recherche, d’autres lignées de produits, des projets de développement en cours, ou aboutir au lancement de l’exploration d’un nouvel espace de conception.

- Alimenter la réflexion stratégique sur les concepts et les métiers (Hatchuel & Weil, 2002) : les projets d’innovation conduisent en effet à développer de nouveaux types de connaissances et à identifier des poches de savoir pertinentes pour l’avenir. Cela fait évoluer à la fois les métiers et les méthodes de conception.

- Faire évoluer les critères de sélection des concepts à partir des différents projets d’innovation pilotés. En s’interrogeant sur la pertinence des critères qui amènent à lancer telle exploration, tel développement et pas tel autre, cela permet par exemple de rouvrir l’espace de conception (Magnusson & Le Masson, 2002).

Enfin, pour mettre en place un tel processus de pilotage, l’entreprise doit également pouvoir s’appuyer sur un ensemble d’outils de gestion lui permettant de structurer et d’évaluer de façon identique l’ensemble des projets, afin d’aider les décisionnaires à orienter et à soutenir favorablement leurs activités. Il apparaît donc particulièrement important de ne pas considérer les projets d’innovation comme des projets de développement, car cela leur nuirait considérablement. Il est donc absolument nécessaire d’adapter le mode de pilotage qui y est associé pour pouvoir fédérer l’ensemble des acteurs impliqués, prendre en compte la multiplicité des valeurs de ces projets, et construire et justifier leur rôle dans l’entreprise.

Page 10: Construction et évaluation des projets d’innovation Le cas de … Renault.pdf · 2017. 10. 31. · pare-brise, propulsion électrique, système de navigation, suspensions dynamiques,

10

1.1.2.3. Difficultés associées au pilotage des projets d’innovation

Deux difficultés principales sont mises en avant dans la littérature à propos du pilotage des projets d’innovation. La première concerne la gestion des relations entre l’équipe projet et le reste de l’organisation. En effet, en parallèle de son travail indépendant d’exploration, l’équipe projet doit impérativement coopérer avec les autres entités de l’entreprise qui auront en charge de développer le produit, de le déployer et de capitaliser les apprentissages. L’équilibre entre la mobilisation sur le projet et le maintien de cette coopération est délicat pour plusieurs raisons (Lenfle et Midler, 2003) :

- Les entités en charge du développement peuvent être réticentes à intégrer des explorations amorcées en dehors de leurs processus habituels (syndrome « not invented here »). Cela rend relativement difficile le passage du relais entre l’équipe projet et les métiers.

- Certaines compétences clés, notamment issues des métiers aval (front-office, commerce, etc.) peuvent ne pas être représentées dans l’équipe projet. L’innovation étant traditionnellement hors de leur domaine, ceux-ci refusent parfois de s’impliquer en amont alors que leur contribution y est essentielle pour garantir le succès des projets.

- L’absence de désignation d’un responsable de l’exploration, qui y consacrerait une majeure partie de son temps, fait qu’il peut s’avérer difficile de coordonner l’équipe et de maintenir la mobilisation des autres acteurs. Sans ce rôle d’évangéliste (Clark et Wheelwright, 1992), il est en outre difficile de négocier avec les autres entités de l’entreprise pour obtenir des ressources.

Le second problème renvoie à la difficulté à trouver un équilibre entre l’activité Innovation et ses deux attracteurs que sont la Recherche d’une part, et le Développement d’autre part. Deux dérives sont en effet possibles (Lenfle, 2004, p17) :

- Une dérive de type « recherche » : l’équipe projet est alors considérée comme un dispositif de veille amont relativement isolé du développement. Dans ce cas, il est difficile de réussir à impliquer les métiers si les solutions ne sont pas assez avancées, alors que le contact avec l’opérationnel est crucial pour améliorer les générations successives d’applications.

- Une dérive de type « développement » : l’équipe projet assure dans ce cas, à la place des projets et des métiers, la mise au point complète des services et des matériels. L’exploration des champs de valeur est alors considérablement limitée, et l’on passe à un rôle de développeur d’un produit particulier plutôt que de concepteur de solution innovante.

Les différents acteurs impliqués dans le projet doivent donc pouvoir confronter leurs différents points de vue et apporter des contributions spécifiques à leurs domaines de compétences. Cela doit se faire sans que le projet ne soit trop tiré par une direction amont dans une perspective d’exploration pure ni par une direction plus aval avec un objectif de développement réglé. Il apparaît donc nécessaire d’outiller l’équipe projet avec des méthodes d’évaluation spécifiques qui lui permettent d’optimiser la construction collective des innovations.

Page 11: Construction et évaluation des projets d’innovation Le cas de … Renault.pdf · 2017. 10. 31. · pare-brise, propulsion électrique, système de navigation, suspensions dynamiques,

11

1.1.3. Le cas de l’industrie automobile

1.1.3.1. Différentes échelles d’innovation

Fig. 1 : Evolution du rythme de développement de nouveaux produits dans l’automobile

(Midler, 2006)

Dans l’industrie automobile, les dernières années ont vu une nette accélération du rythme de développement de nouveaux modèles. Ainsi, compte tenu du budget nécessaire pour lancer un nouveau projet véhicule et des temps de conception associés, les constructeurs peuvent difficilement espérer conserver un avantage concurrentiel en n’innovant que sur les véhicules. Il devient alors nécessaire de déplacer l’innovation à une autre échelle : celle des prestations embarquées au sein de ces véhicules. Qu’il s’agisse de systèmes de navigation, de systèmes audio, de sécurité, de confort, etc., ces features peuvent notamment permettre un rythme d’innovation plus rapide et se déployer sur différents véhicules de la gamme. Des unités d’exploration détachées des cycles de développement des véhicules ont donc été créées chez les différents constructeurs afin de piloter ces nouveaux projets.

Prestations

Projets d’exploration

(prestations)

Projets de développement

(véhicules)

Page 12: Construction et évaluation des projets d’innovation Le cas de … Renault.pdf · 2017. 10. 31. · pare-brise, propulsion électrique, système de navigation, suspensions dynamiques,

12

Une telle démarche de développement des prestations hors cycle présente divers avantages et inconvénients : Aspects positifs

- Cela permet d’économiser des ressources en mutualisant le développement d’innovations qui seront implantées dans plusieurs véhicules. En effet, au lieu de développer plusieurs innovations proposant des prestations similaires dans différents véhicules, on développe un projet transversal que l’on adapte à chaque véhicule.

- En faisant étudier l'innovation par une équipe différente de celle qui développe le véhicule, on peut former deux équipes aux profils adaptés à leurs missions respectives, et les faire évoluer à des rythmes différents.

Aspects négatifs - Lorsque l'entreprise prend la décision de développer l'ensemble de ses innovations

hors cycle, elle prend le risque de diminuer sa performance. En effet, si un projet d'innovation ne trouve d'application que sur un unique véhicule, on ne profite pas de l’effet de mutualisation des coûts de développement. Ils sont supportés comme si le projet avait été développé spécifiquement pour ce véhicule. De surcroît, la phase de transmission du projet d’exploration au projet de développement peut être source d’inefficacité car il s'agit d'une phase délicate de transfert de connaissances.

- Prendre la décision de faire développer les innovations hors cycle par des équipes autres que les équipes de développement des véhicules peut poser un problème d’ordre humain. Différentes entités de l’entreprise peuvent continuer à prendre des initiatives d’innovation de leur côté. Il y a alors un risque que deux équipes travaillent sur le même sujet à deux endroits différents de l’entreprise, ce qui est un gaspillage de ressources.

Enfin, l’évaluation économique des résultats de ces projets d’exploration pose de nouvelles questions par rapport aux projets de développement classiques.

1.1.3.2. Rationalisation des projets d’exploration

Dans ce contexte, il apparaît donc important de pouvoir justifier en amont l’apport des innovations issues des projets d’exploration à court, moyen et long terme. A l’échelle de l’entité dans l’entreprise qui est en charge du pilotage de l’innovation, il s’agit de positionner son activité sur une série d’indicateurs utilisés dans le reste de l’entreprise et de l’industrie, pour répondre à deux enjeux majeurs :

- Positionnement de l’activité innovante de l’entreprise par rapport à la concurrence : l’analyse des investissements en R&D est par exemple un indicateur fréquemment utilisé sur les marchés financiers pour évaluer la performance des entreprises en innovation. Même si cela ne permet pas de révéler la performance concrète de chacun des projets, cela souligne le besoin d’évaluer l’apport global de l’innovation.

- Positionnement de l’activité innovante par rapport aux autres activités de l’entreprise : il est en effet important de pouvoir négocier des budgets pour financer les projets d’innovation. L’entité en charge de leur pilotage doit donc être capable de légitimer ses demandes de ressources pour justifier qu’elles soient allouées à ses projets plutôt qu’à d’autres activités.

A l’échelle des projets, il est nécessaire de répondre à plusieurs problématiques qui sont caractéristiques de l’innovation dans les grands groupes industriels :

Page 13: Construction et évaluation des projets d’innovation Le cas de … Renault.pdf · 2017. 10. 31. · pare-brise, propulsion électrique, système de navigation, suspensions dynamiques,

13

- Priorisation des activités : de nombreux projets d’innovation voient le jour dans l’entreprise, mais, compte tenu des budgets et des ressources disponibles, tous ne pourront pas être développés simultanément. Il est donc essentiel de savoir identifier les pistes les plus prometteuses aussi en amont que possible.

- Optimisation de l’utilisation du budget : une fois les ressources allouées à des projets, il est important de savoir piloter le budget pour l’utiliser au mieux. Les difficultés de planification des activités d’innovation et la participation d’acteurs multiples rend cette tâche relativement difficile sur certains projets.

- Réutilisation des connaissances produites en excès (Le Masson, 2008) : à la fin du processus de conception, seule une faible part des connaissances développées est réellement utilisée pour le développement du produit. Il peut donc s’avérer intéressant de savoir réutiliser ces connaissances pour faciliter la conception d’autres produits. Dans de nombreux projets, la dissolution de l’équipe projet après la livraison du produit final empêche cette transmission des connaissances.

La volonté de rationalisation des projets d’innovation est ainsi apparue dans les années 80 et 90, et concernait alors la phase de développement des produits, aussi bien du point de vue organisationnel (Clark & Fujimoto, 1987, 1991, Midler, 1995) qu’économique (Cabridain, 1988, Pinardon, 1989). Renault a fait partie des entreprises pionnières à intégrer ces problématiques (Midler, 1993). Les méthodologies qui en sont issues s’intéressaient alors à la rentabilité des projets de véhicules. Les années 2000 ont vu cet intérêt pour la rationalisation économique s’étendre aux projets amont. Cependant, l’analyse de rentabilité de ces projets est rendue complexe d’une part par les incertitudes inhérentes à l’innovation, en particulier par le manque de connaissance du marché futur, mais également par la nature même de ces projets, qui ne constituent qu’une partie du produit vendu au client. En effet, un véhicule ne peut pas être considéré seulement comme une somme de prestations : le client n’achète pas un moteur + un système de navigation + des sièges + etc., mais un tout cohérent. L’évaluation de la rentabilité d’une unique prestation intégrée dans un véhicule doit donc tenir compte de plusieurs caractéristiques :

- La prestation n’a pas du tout la même valeur si elle est vendue seule ou intégrée dans un véhicule. Les évaluations de valeur qui peuvent être réalisées en amont par les enquêtes client classiques sont donc extrêmement difficiles à mettre en œuvre, et peuvent ne pas traduire la valeur réelle qu’aura la prestation une fois intégrée dans un véhicule.

- La valeur d’une prestation donnée peut varier en fonction du véhicule dans lequel elle est intégrée (haut de gamme ou entry, en série ou en option, véhicule familial ou sportif, marché européen ou indien, etc.). Elle est donc fortement dépendante de l’image de marque et de l’image associée aux véhicules équipés.

- La valeur de chaque prestation peut être liée à celle des autres prestations intégrées dans le véhicule. Par exemple, un siège confort n’aura pas la même valeur dans un véhicule avec un bon ou un mauvais système d’amortissement ; de même, un équipement audio pourra avoir plus ou moins de valeur selon le niveau d’insonorisation de l’habitacle et le bruit de la motorisation.

- La valeur d’une somme de prestations peut différer de la somme des valeurs de plusieurs prestations. Non seulement chaque prestation peut avoir un impact (positif ou négatif) sur la valeur des autres, mais il faut également noter que la valeur totale d’un véhicule reste généralement bornée. Au-delà d’un certain seuil, ajouter une innovation dans un véhicule peut ne plus justifier une augmentation du prix de vente, même si la valeur de cette innovation est importante.

Page 14: Construction et évaluation des projets d’innovation Le cas de … Renault.pdf · 2017. 10. 31. · pare-brise, propulsion électrique, système de navigation, suspensions dynamiques,

14

De nombreux outils et méthodes sont néanmoins développés depuis la fin des années 1990 pour répondre à ce besoin de rationalisation des projets amont. Nous en verrons quelques exemples en partie 1.2, et constaterons qu’aucun d’entre eux n’est encore à même de traduire la complexité de la question. Ce domaine de recherche reste donc très actif, et Renault est aujourd’hui encore une entreprise pionnière dans l’expérimentation de telles méthodes (Hooge, 2010 ; Maniak, 2010 ; Maniak & Midler, 2011).

1.1.3.3. L’exemple de Renault

Le cas d’une entreprise comme Renault est un excellent exemple pour illustrer l’évolution de ces problématiques. D’un point de vue stratégique, ce constructeur automobile a depuis longtemps fondé sa stratégie sur l’innovation, en développant tout d’abord des innovations de process (notamment dans l’ancienne usine de l’île Seguin), puis de véhicules (avec en particulier des modèles comme Twingo et Scénic), et enfin de prestations (la navigation TomTom, démocratisation des systèmes haut de gamme, en étant un des meilleurs exemples). D’un point de vue organisationnel, Renault a également été une des premières entreprises à adopter des structures projets (Midler, 1993) et à mettre en place des structures amont. Enfin, d’un point de vue économique, l’entreprise a commencé très tôt à s’intéresser à la rationalisation des projets de développement (Cabridain, 1988, Pinardon, 1989) et des projets d’exploration (Maniak, 2010).

Page 15: Construction et évaluation des projets d’innovation Le cas de … Renault.pdf · 2017. 10. 31. · pare-brise, propulsion électrique, système de navigation, suspensions dynamiques,

15

1.2. Quels critères d’évaluation pour les projets ?

« What can be counted doesn’t necessarily count,

and what counts most cannot necessarily be counted. » (Albert Einstein)

1.2.1. Introduction

Compte tenu de l’étendue des travaux de recherche sur l’évaluation des projets de Recherche et Développement, l’état de l’art qui suit n’a pas la prétention d’être exhaustif. Nous nous contenterons donc de présenter les principales tendances trouvées dans la littérature. Nous nous intéresserons dans un premier temps aux différentes définitions données au concept de valeur. Nous nous intéresserons ensuite plus en détail à deux grandes familles de méthodes :

- l’évaluation purement économique, qui traduit une priorisation de la rentabilité à court terme de l’entreprise par rapport à tous les autres critères de valorisation

- l’évaluation stratégique, qui considère l’innovation comme un socle de compétences de l’entreprise, capable d’anticiper les évolutions des technologies et des marchés et de diffuser des connaissances dans le reste de l’entreprise.

Nous verrons ainsi que cette dualité traduit deux perceptions différentes des travaux d’innovation : dans le premier cas, ils sont vus comme un investissement et sont tenus de justifier leur existence en dégageant des résultats économiques chiffrables ; dans le second cas, d’autres sources de valeur sont prises en compte, même si leur évaluation reste difficilement quantifiable.

1.2.2. De la valeur d’usage à la valeur entreprise

1.2.2.1. La valeur : qu’est-ce que c’est ?

La valeur est un concept utilisé dans de nombreux domaines, que ce soit en philosophie et en sociologie, dans les domaines artistiques, en économie et en finance, ou encore dans l’industrie. Dans chacun de ces domaines, différentes approches de la valeur sont proposées, si bien qu’il paraît relativement difficile d’en donner une définition unique. En sciences de gestion, cette notion est notamment très souvent employée et considérée comme « transversale et fédératrice », même si elle demeure « non approfondie de façon générale » (Bréchet et Desreumaux, 1998, p28). Dans notre contexte, nous nous baserons cependant sur la définition donnée par Christensen : « An organization's values are the criteria by which employees make decisions about priorities -- by which they judge whether an order is attractive or unattractive, whether a customer is more important or less important, whether an idea for a new product is attractive or marginal, and so on. » (Christensen, 1999, p6) Cette définition introduit l’idée que la valeur d’un produit pour le client peut être différente de la valeur accordée au même produit par l’entreprise qui l’a développé. Elle nous conduira donc à distinguer « valeur client » et « valeur entreprise », le second cas correspondant à l’ensemble des critères utilisables dans une entreprise pour justifier les investissements à réaliser pour la conception et le développement de nouveaux produits, ou pour le maintien sur le marché et le renouvellement de produits existants. Il semblerait néanmoins intéressant de dresser un bref tour d’horizon de la façon dont le concept de valeur au sens général est traité dans les différents domaines afin d’enrichir la vision qui en est utilisée dans l’industrie.

Page 16: Construction et évaluation des projets d’innovation Le cas de … Renault.pdf · 2017. 10. 31. · pare-brise, propulsion électrique, système de navigation, suspensions dynamiques,

16

1.2.2.2. La valeur en philosophie et en sociologie

L’Encyclopaedia Universalis met l’accent sur la diversité de sens porté par le mot valeur et sur l’impact de cette diversité d’un point de vue philosophique : « La notion de valeur est souvent utilisée au pluriel. Il semble en effet difficile de considérer comme de même nature l'impression esthétique qui nous fait trouver un tableau saisissant, le respect pour une décision politique courageuse, l'approbation d'un acte charitable, l'admiration pour une performance intellectuelle, le jugement portant sur le rendement d'une machine, ou encore une estimation boursière. Les choses étaient plus simples quand on ne parlait pas de valeurs au pluriel, mais du bien au singulier, que les théologiens nous disaient intimement relié au beau et au vrai. Mais une fois ancré dans les esprits que dans le domaine des valeurs chacun doit pouvoir juger en toute liberté de conscience, il devient possible que différents individus agissent au nom de valeurs non seulement qui s'opposent, mais dont on peut se demander si elles sont comparables entre elles. » Pour chaque individu, les valeurs à la base de l’éthique regroupent l’ensemble des postulats, propres à chacun, sur ce qui est vrai, beau, bien ou juste. C’est ainsi que se définit l’approche philosophique des valeurs humaines : par l’assortiment des valeurs qui motive les choix de tout individu rationnel. Ces règles individuelles peuvent être remises en question par des évolutions de l’environnement. Les valeurs les plus communément admises dans cet environnement définissent alors des règles collectives, les valeurs morales, qui sont « des idéaux ou principes régulateurs des meilleures fins humaines, susceptibles d’avoir la priorité sur toute autre considération. » (Pharo, 2008). C’est ainsi que se définit l’aspect sociologique de la valeur. Il semble donc important de considérer les dimensions éthiques et morales de la logique décisionnelle individuelle. En effet, même dans un contexte industriel, celles-ci peuvent être à l’origine de décisions antagonistes avec la valorisation économique. Dans l’automobile, elles peuvent par exemple conduire à mettre en avant des aspects tels que la sécurité des usagers, le respect de l’environnement, le caractère chaleureux et familial d’un véhicule, sa fiabilité, etc.

1.2.2.3. La valeur en économie

Les économistes présentent principalement la valeur comme une modélisation de la désirabilité d’un bien ou d’un service, que ce soit à l’achat ou à la vente, pour un individu ou pour une entreprise : « La valeur est la somme que les clients sont prêts à payer ce qu’une firme leur offre. La valeur se mesure par les recettes totales qui reflètent le prix qu’une firme peut obtenir pour son produit et le nombre d’unités qu’elle peut vendre. » (Porter, 1986) La valeur du point de vue du client et la valeur du point de vue de l’entreprise sont donc assimilées de façon identique à la valeur économique liée à la vente du produit. Cette définition suggère donc qu’un produit donné a la même valeur pour celui qui l’achète que pour celui qui le conçoit, le fabrique et le vend. Elle néglige donc les différentes externalités liées aux problématiques de création de connaissances pour l’entreprise, d’effet d’image de marque, et d’autres critères que nous détaillerons par la suite. De même, en ne s’appliquant qu’à des produits et non à des caractéristiques de ceux-ci (par exemple, à un véhicule tel qu’il est vendu et non à sa motorisation uniquement), elle ne permet pas de prendre en compte la participation des différents éléments constitutifs du produit à la valeur de celui-ci. Depuis le 18ème

siècle et les travaux d’Adam Smith, la valeur en économie est généralement décomposée en deux notions (Berta, 2007) :

- la valeur d’usage, correspondant à la satisfaction d’un individu à posséder ou à utiliser un bien. Cette utilité attribuée à la possession ou à l’usage d’un objet ou d’un

Page 17: Construction et évaluation des projets d’innovation Le cas de … Renault.pdf · 2017. 10. 31. · pare-brise, propulsion électrique, système de navigation, suspensions dynamiques,

17

service dépend de critères subjectifs propres à la personnalité ou à l’environnement de l’individu. Ainsi, la valeur d’usage attribuée à un véhicule peut varier selon les usagers, selon qu’ils soient ruraux ou urbains, jeunes ou âgés, etc. Les notions d’utilité et de préférence formalisées par les théoriciens de la décision se basent sur des comparaisons à d’autres biens pour définir cette valeur d’usage, en partant du postulat qu’un acheteur rationnel cherche à maximiser l’utilité des biens qu’il peut se procurer en fonction de ses ressources et de ses préférences (Debreu, 1959).

- la valeur d’échange, correspondant à la somme échangée lors de la vente de ce bien sur un marché. Il s’agit d’une quantité objective, corrélée à une échelle collective des valeurs relatives aux objets existant sur le marché. Cette valeur peut être différente du prix auquel l’objet est venu, l’égalité n’étant vrai qu’en cas d’information complète entre le vendeur et l’acheteur. Ainsi, sur le long terme, les prix peuvent varier tandis que la valeur du produit reste inchangée tant que la nature du produit n’est pas altérée : « Value (in contrast to price) conveys a more stable sense of worth within a broader temporal and conceptual context than price alone. » (Rockefeller, 1986)

Valeur d’usage et valeur d’échange sont généralement décorrélées, seule la deuxième étant régie par un acte commercial : « The things which have the greatest value in use have frequently little or no value in exchange; and, on the contrary, those which have the greatest value in exchange have frequently little or no value in use. Nothing is more useful than water: but it will purchase scarce anything; scarce anything can be had in exchange for it. A diamond, on the contrary, has scarce any value in use; but a very great quantity of other goods may frequently be had in exchange for it. » (Smith, 1776, p22) Les économistes classiques proposent une définition plus objective de la valeur d’usage, en la considérant comme la quantité de travail nécessaire à la production du bien (Marx, 1867). Cependant, cette théorie a été fortement discutée par les économistes marginalistes qui considèrent que la valeur d’échange n’est qu’une conséquence de la valeur d’usage, définie comme l’adéquation de l’utilité et de la rareté du bien sur le marché (Pareto, 1897). Cette approche permet notamment d’expliquer que la valeur d’échange d’une unité de surface habitable ne soit pas la même à Paris ou en province alors que son coût de production est relativement similaire. Cette théorie a conduit à l’apparition du principe de l’utilité marginale : le désir de consommation décroît marginalement lorsque l’individu possède déjà une certaine quantité du bien (Pareto, 1897). Marshall propose cependant une réconciliation de ces deux approches. Il avance deux arguments principaux (Marshall, 1890) :

- Le coût complet de production (coûts de rémunération de la terre, du capital et de l’organisation ajoutés à la valeur-travail) correspond à une valeur plancher d’échange sur le marché.

- Le prix de vente ne peut pas dépasser l’utilité marginale dans dissuader les acheteurs potentiels.

Cette approche reste à la base des méthodes de marketing utilisées pour le positionnement du prix de vente des nouveaux produits. Enfin, depuis le milieu du 20ème siècle, le développement de la finance a conduit à un essor important des travaux sur la valeur économique, notamment au travers des travaux de Modigliani et Miller sur la caractérisation des échanges sur un marché et de la Théorie de la Valeur de Debreu (Hirigoyen et Caby, 1998).

Page 18: Construction et évaluation des projets d’innovation Le cas de … Renault.pdf · 2017. 10. 31. · pare-brise, propulsion électrique, système de navigation, suspensions dynamiques,

18

1.2.2.4. La valeur en ingénierie

Une autre approche pouvant nous intéresser dans cette étude est celle de l’ingénierie, correspondant à l’analyse de la valeur. La valeur y est définie par la norme EN 1325-1 comme le « jugement porté sur le produit par l’utilisateur sur la base de ses attentes ou de ses motivations ». La valeur croît lorsque la satisfaction de l’utilisateur augmente ou que la dépense pour acquérir le produit diminue (AFNOR, 2000). Cela permet de caractériser mathématiquement la valeur comme le ratio fonctions / coûts. En 1947, Lawrence Miles définit ainsi l’analyse de la valeur (value engineering) chez General Electric comme une méthode de conception visant à ajuster la qualité des fonctions du produit au strict nécessaire pour satisfaire le client au moindre coût. Le diagramme FAST (Function Analysis System Technique) est un bon exemple de ce type de méthodes. A partir des années 1990 apparaît ensuite la notion de Management par la valeur, consistant à utiliser conjointement avec des méthodes d’analyse de la valeur d’autres outils relatifs à la stratégie ou aux processus de conception des projets. « Value Management (VM) differs from Value Engineering (VE), in that whilst VE is concerned with achieving defined functions at minimum cost (or whole life cost), VM is concerned with defining what value actually means within a particular context, agreeing a clear statement of objectives and ensuring that solutions are consistent with those objectives. Where Value Management addresses the WHY questions such as what is the need for this project or process, Value Engineering is concerned with HOW. » (Hammersley, 2002, p1) Ce processus a été normalisé en 2000 (norme EN 12973, British Standards Institution, 2000) où une définition plus générale de la valeur est apportée, même si celle-ci y est reconnue comme difficile à formaliser : « Value is not absolute, but relative, and may be viewed differently by different parties in differing situations. Generally achieving good values requires balancing a series of conflicting parameters to arrive at an optimum position. » Dans la littérature actuelle, plusieurs définitions du Management par la valeur coexistent. Il est à noter qu’une grande majorité d’entre elles placent le client comme cible principale du référentiel de valeur, comme le définissent Connaughton et Green (1996) : « a structured approach to define what value means to a client in meeting a perceived need by establishing a clear consensus about the project objectives and how they can be achieved », ou encore Kelly (2004) : « a process in which the functional benefits of a project are made explicit and appraised consistent with a value system determined by the client » (Kelly et al., 2004). Enfin, côté français, la norme X50-158 (AFNOR, 2007), qui reprend les principaux outils du management par la valeur et leurs résultats, souligne que le management par la valeur favorise la création et le développement de valeur sur le long terme ainsi que l’interaction entre les différentes parties prenantes.

1.2.2.5. Vers une « valeur entreprise »

Il apparaît donc qu’en dehors du monde de l’entreprise (philosophie, sociologie, économie), la valeur est résumée à un débat sur les usages pour un produit donné et sur l’acte d’échange entre vendeur et acheteur. Porter introduit une rupture en réintroduisant la valeur dans le contexte industriel et en rattachant la notion de valeur à la notion de rentabilité d’investissement : du point de vue de l’entreprise, on ne vend pas qu’un produit unique à un client unique. La valeur ne se résume donc plus à un débat autour du prix de vente d’un produit, et elle doit intégrer, entre autres, des notions telles que le nombre d’unités vendues. Ces considérations sur les volumes sont prises en compte dans l’évaluation économique de la valeur entreprise (1.3.3). Elles amènent également les acteurs de l’entreprise à s’interroger sur un certain nombre de critères stratégiques (1.3.4), qui sont

Page 19: Construction et évaluation des projets d’innovation Le cas de … Renault.pdf · 2017. 10. 31. · pare-brise, propulsion électrique, système de navigation, suspensions dynamiques,

19

d’autant plus complexes lorsqu’ils s’appliquent non pas à un produit fini mais à des éléments de ce produit (comme c’est le cas dans l’industrie automobile).

1.2.3. Valeur entreprise : évaluation économique

Dans l’industrie, l’évaluation économique est une méthode privilégiée car elle permet (Heiskanen, 2005) :

- de faire une analyse objective et rationnelle - de fédérer l’ensemble de l’entreprise et de faciliter le consensus - de comparer des investissements de natures différentes, qu’ils soient en prévision

ou déjà réalisés Malgré toutes les critiques qu’ont pu recevoir ces techniques, elles restent de loin les méthodes d’évaluation les plus utilisées (Cooper et al., 2001).

1.2.3.1. La Valeur Actuelle Nette

La méthode la plus déployée en R&D est la Valeur Actuelle Nette (VAN). Dans les directions amont, elle est calculée à partir de la formule suivante :

- VC = valeur-client (estimation amont d’un prix de vente potentiel) - PRF = coût unitaire de production (prix de revient de fabrication) - Volumes = nombre d’unités vendues - TE = coûts de conception de la pièce et de ses moyens de fabrication (ticket d’entrée)

Les principales forces et faiblesses de cet indicateur sont reprises dans le tableau suivant :

Forces - Résultat unique, sous forme monétaire (€) : simplicité - Indicateur largement utilisé et accepté dans l’ensemble de l’industrie - Indicateur utilisable par l’ensemble de l’entreprise - Taux d’actualisation adaptable à la perception du risque

Faiblesses - Déresponsabilisation des décisionnaires : l’utilisation d’un critère unique déplace la décision sur l’analyste

- Inflexibilité de l’analyse (Décision unique de type Go/NoGo) - Invisibilité de la durée du cycle économique et de l’amplitude du retour

sur investissement - Informations stratégiques ignorées (image de marque, différenciation,

etc.) - Interdépendances des projets masquées (Ticket d’Entrée partagé,

valeurs liées, etc.) - Risques et incertitudes du projet masqués

Le principal atout de cet indicateur reste avant tout sa large diffusion, tous les grands groupes industriels l’utilisant pour évaluer la rentabilité de la majorité de leurs projets de développement. Il s’agit donc d’une méthode profondément ancrée dans les usages des entreprises, et donc faiblement remise en question, malgré les faiblesses qu’elle comporte. La question de son utilisation pour l’évaluation des projets d’innovation continue à faire débat : d’une part, elle permet une communication simple entre l’ensemble des acteurs impliqués, mais d’autre part, certaines des conventions utilisées (taux d’actualisation constant, date et montants fixes de l’investissement) ne permettent pas de bien valoriser

Page 20: Construction et évaluation des projets d’innovation Le cas de … Renault.pdf · 2017. 10. 31. · pare-brise, propulsion électrique, système de navigation, suspensions dynamiques,

20

des situations dont le time-to-market n’est pas clairement définie et où la prise de risque est importante. Il semble donc que la VAN soit plus appropriée pour l’évaluation de projet de conception réglée que pour des projets d’innovation, pour lesquels les données d’entrée sont souvent trop incertaines pour donner des résultats exploitables. Cependant, afin de palier aux principales faiblesses de cette méthode, les calculs de rentabilité peuvent être accompagnés d’analyses de sensibilité. Celles-ci permettent d’une part de souligner les écarts entre différents scénarii sur les données d’entrée (VC, PRF, TE, Volumes), et d’autre part de révéler les valeurs nécessaires de ces données d’entrée pour atteindre un seuil donné de rentabilité (Guihur et Saint-Pierre, 2002, p6).

1.2.3.2. Les options réelles

La Théorie des Options Réelles est un champ de la littérature qui valorise la flexibilité managériale. Cela permet aux décideurs d’adapter ou de réviser leurs décisions antérieures en réaction à une information nouvelle liée à l’évolution intrinsèque du projet ou à celle du marché. Le concept d’option a été proposé en 1964 par Weisbrod comme le paiement présent pour l’usage éventuel d’un bien dans le futur. Cette théorie provient d’une analogie entre des actifs non-financiers (investissements matériels ou immatériels) et des modèles de tarification des options financières (Option Pricing Theory), formalisés en 1973 par Black et Scholes. L’option y est définie comme une garantie donnant le droit (et non le devoir) d’acheter ou de vendre un actif, selon certaines conditions de prix, pendant une période spécifiée (Black et Scholes, 1973, p637). En 1976, Myers formalise l’analogie entre opportunité d’investissement et option d’achat : « the idea of regarding real assets as options whose ultimate value depends on future discretionary investment by the firm » (Myers, 1976, p31). Cette théorie n’est cependant considérée comme formalisée que depuis les travaux de synthèse de Trigeorgis en 1996, où il définit l’option réelle comme suit : « Similar to options on financial securities, real options involve discretionary decisions or rights, with no obligation, to acquire or exchange an asset for a specified alternative price. » (Trigeorgis, 1996, pXI). Une option peut être créée dans le cas où l’investissement s’inscrit dans un horizon temporal, est irréversible, peut être décidé de façon séquentiel (achat d’une option, puis consommation de cette option), et a lieu dans un contexte incertain qui se clarifie sur la période (Durand et al., 2000). Pour un investisseur, l’option représente donc une protection contre le risque. S’il envisage de réaliser un investissement important (A) mais qu’il n’est pas sûr que le contexte évolue de façon favorable, il n’investit dans un premier temps qu’une petite somme (a) pour acheter une option. Si le contexte évolue de façon favorable, il exerce l’option et investit la somme prévue, ce qui représente pour lui un investissement total de (a + A). Si le contexte évolue de façon défavorable, il annule l’option, et ne perd que la somme engagée pour achetée l’option (a) (sunk cost). Il évite ainsi le risque de réaliser un investissement important dans un contexte défavorable. Appliqué à la gestion d’un projet d’innovation, les analogies sont les suivantes :

- le prix d’achat de l’option (a) correspond à l’investissement minimum à réaliser pour pouvoir commencer la conception du projet (ou jusqu’à aboutir à un démonstrateur). Ce montant peut être ventilé en plusieurs étapes, aux différents jalons de l’avancement du projet. En fonction de l’évolution du marché, il peut donc être décidé d’arrêter le

Page 21: Construction et évaluation des projets d’innovation Le cas de … Renault.pdf · 2017. 10. 31. · pare-brise, propulsion électrique, système de navigation, suspensions dynamiques,

21

projet (marché défavorable), ou bien d’engager une nouvelle petite somme (marché toujours incertain).

- le montant de l’investissement (A) correspond au ticket d’entrée total du projet, c'est-à-dire au montant à investir pour pouvoir produire l’innovation en série.

Ainsi, si un projet semble prometteur, mais risqué, les investissements ne sont réalisés que progressivement jusqu’à ce que le marché puisse être évalué de façon suffisamment certaine. Au moment où le marché apparaît de façon sûre comme étant favorable, le ticket d’entrée peut être dépensé et le projet peut rapidement être développé. Si, en revanche, le marché apparaît comme n’étant pas favorable, le projet est arrêté, et seul un petit montant a été investi. Cette théorie permet donc :

- d’éviter d’investir un montant trop important dès le début du projet, au risque que le marché ne soit pas favorable

- d’éviter de perdre du temps sur le développement du projet dans le cas où on aurait attendu d’avoir une connaissance suffisamment certaine du marché avant de commencer à lancer les investissements.

Le tableau ci-dessous présente les principales forces et faiblesses de la valorisation par options réelles :

Forces - Modélise la flexibilité et l’incertitude - Encourage la formulation des étapes de choix stratégiques - Possibilité de représentation graphique (arbres de décision binomiaux) - Adapté aux projets long terme

Faiblesses - Mathématiquement compliqué - Nécessite de nombreuses données - Contrairement aux options financières, l’entreprise n’a ni la propriété ni

l’exclusivité d’une option réelle en R&D sur un marché concurrentiel

Par rapport à la VAN, cette méthode permet ainsi de prendre en compte le dynamisme de la prise de décision, en permettant de différer les investissements dans le temps ou de modifier la décision en fonction des incertitudes sur l’évolution du marché. Cependant, les théories mathématiques sous-jacentes à ce modèle sont souvent considérées comme trop complexes pour des applications industrielles. De plus, le fait que les modèles financiers mis en déroute pendant la crise de 2008 s’appuient également sur cette théorie contribue à la discréditer.

1.2.3.3. La « Valeur Client »

Les techniques marketing actuelles analysent et quantifient la valeur commerciale créée par les stratégies de différenciation et de régénération du marché. Cette valeur, nommée « Valeur-Client », correspond à la somme que les clients sont prêts à payer pour acquérir une innovation, et dépend également de la force de l’image de marque (Porter, 1986). Au cours du développement des innovations, le prix de vente n’étant pas encore défini, les études de rentabilité s’appuient généralement sur cette valeur-client, définie en amont à partir de l’analyse du marché existant et de questionnaires client. La méthode de construction de cette valeur est limitée par le fait qu’elle est établie à partir d’usages pré-existants, aux dépens « des propositions d’activité qui ne correspondent pas encore à des activités ou qui ne sont pas encore assez mûres pour être évaluées comme produisant des avantages. » (Garel & Rosier, 2008, p 5). Pour construire la valeur au cours de l’exploration d’un produit ou d’un service nouveau (avant son existence sur le marché), les auteurs proposent le concept de « valeur amont » :

Page 22: Construction et évaluation des projets d’innovation Le cas de … Renault.pdf · 2017. 10. 31. · pare-brise, propulsion électrique, système de navigation, suspensions dynamiques,

22

Valeur client Valeur amont

Unité de lieu (contexte)

Activité du client – valeur centrée sur le produit

Conditions d’activité transformées – nouveaux potentiels d’action

Unité de temps Valeur évaluée instantanément

La construction de la valeur nécessite un temps d’appropriation

Unité d’action (finalité)

Utilité pré-définie Création de nouveaux effets utiles pour les utilisateurs actuels ou pour de nouveaux destinataires

Au cours du développement d’un produit, la description et la vérification de la capacité d’une innovation à créer de la valeur pour le client sont rarement consolidées, ou alors très tard et au détriment de la faisabilité technique. Cela crée un contexte d’ambiguïté sur la valeur au cours du développement, ce qui peut avoir des conséquences néfastes sur la réussite commerciale des innovations (Sarbacker et Ischii, 1998). Par ailleurs, la valeur-client ne prenant en compte que l’aspect directement visible par le client (par analogies avec ses usages précédents), elle s’avère très restrictive dans le cas d’innovations de rupture. En effet, le résultat commercial de l’innovation n’est pas la seule valeur créée : de nombreuses connaissances peuvent par exemple être produites en excès dans l’entreprise et servir sur des projets ultérieurs (Van Horne et al., 2006). Cependant, cette limite est commune à la plupart des méthodes d’évaluation économique actuelles.

1.2.3.4. Limites de l’évaluation économique

Les outils d’évaluation économique, bien que largement utilisés dans l’innovation, restent néanmoins critiqués pour leurs principales faiblesses. Le mauvais traitement de l’incertitude et des risques dans des indicateurs et méthodes tels que la VAN constitue la principale limite de ces outils pour les utiliser en situation innovante (Baker et Freeland, 1975). Si l’approche par les options réelles avait pour ambition de répondre à cette faiblesse, ce modèle est également contesté en raison notamment d’un risque de surestimation des incertitudes (Boucher, 2003), et n’est toujours pas réellement diffusé dans des contextes opérationnels à cause de sa complexité. Par ailleurs, les modèles économiques restent, de manière générale, relativement opaques vis-à-vis des hypothèses utilisées pour la modélisation des flux futurs, étant donné qu’ils regroupent en un seul chiffre l’ensemble des incertitudes, ce qui limite considérablement la possibilité d’identifier l’origine des risques. Au cours d’un processus de valorisation, il y a en effet deux visions différentes à distinguer :

- « à un futur donné correspond, pour chaque acte, une histoire économique déterminée qui en est la conséquence ;

- à l’éventail des futurs possibles correspondent, pour chaque acte, l’éventail correspondant des conséquences et la notion de risque. »

(Charreton et Bourdaire, 1985, p79).

Enfin, il apparaît que l’analyse économique est nécessairement imparfaite et incomplète pour saisir le potentiel d’un projet d’innovation, pour lequel les données d’entrée sont généralement mal maîtrisées (Cooper et al., 2001). De même, la rentabilité n’est pas une condition nécessaire et/ou suffisante pour justifier un investissement (Martikainen, 2002). Ainsi, plutôt que de chercher à complexifier les outils économiques existants pour aboutir à des évaluations précises des gains réalisables grâce à une innovation, il serait probablement plus judicieux de compléter ces outils par l’utilisation de critères non économiques permettant d’évaluer le potentiel stratégique des projets.

Page 23: Construction et évaluation des projets d’innovation Le cas de … Renault.pdf · 2017. 10. 31. · pare-brise, propulsion électrique, système de navigation, suspensions dynamiques,

23

1.2.4. Valeur entreprise : cadrage stratégique

L’évaluation stratégique des innovations consiste à prendre en compte l’ensemble des sources de valeur que celles-ci peuvent apporter à l’entreprise, en plus de l’apport monétaire directement mesurable par les ventes générées. Il convient donc dans un premier temps de définir ces sources de valeur, puis de les évaluer indépendamment les unes des autres pour chaque projet.

1.2.4.1. Multiplicité de la valeur

En dehors de l’analyse économique, il existe de nombreux critères d’évaluation de la valeur entreprise des projets dans l’industrie.

Type de facteurs Evaluation Qualitative Evaluation quantitative

Facteurs techniques

Rupture technologique Complexité de l’industrialisation Contraintes techniques Savoir-faire interne Faisabilité Niveau de maturité Adéquation avec les moyens de production actuels

Validation technique Planification Risque technique Coût de développement Reproductibilité Qualité

Facteurs économiques

Gain de part de marché Potentiel d’attractivité

Rentabilité attendue Délai de retour sur investissement

Facteurs commerciaux

Valeur Client Pénétration attendue Vitesse de diffusion Image de marque Durabilité du produit Concurrence

Date de commercialisation Valeur client Risque commerciaux Coûts commerciaux Cycle de vie du produit

Facteurs organisationnels

Capacité à piloter le sujet Adhésion des parties prenantes Compétences et synergies Dépendance fournisseurs Alignement culturel

Ressources Disponibilité des experts et des moyens d’essais Transversalité

Facteurs stratégiques

Importance / Pertinence Espérance de réussite Synergie avec d’autres produits Ouverture d’une lignée Impacts sociaux Impacts politiques Impacts environnementaux

Positionnement du produit Horizon temporel Propriété industrielle

Tab. 1 : Critères usuels de création ou de destruction de valeur en R&D

De plus, l’évaluation de la valeur d’un projet reste nécessairement une appréciation éphémère. Toute évolution du contexte dans lequel le projet est développé (organisation interne, marché, etc.) peut venir influencer sa valeur globale. Dans l’analyse économique, cela se traduit par des fluctuations des résultats des calculs de rentabilité, mais ces fluctuations peuvent tout aussi bien concerner l’ensemble des critères de valeur. Ainsi, on pourrait définir la valeur instantanée d’un projet dans l’entreprise comme « la mesure de l’intérêt de l’entreprise selon le point de vue de chacun de ses acteurs. » (Dudezert, 2003, p174). Cette conception appelle à prendre en compte les différents débats sur la

Page 24: Construction et évaluation des projets d’innovation Le cas de … Renault.pdf · 2017. 10. 31. · pare-brise, propulsion électrique, système de navigation, suspensions dynamiques,

24

valeur qui peuvent exister tout au long de la vie d’un projet d’innovation entre les différents acteurs impliqués, chacun d’entre eux ayant sa conception propre de la notion de valeur. De manière plus ou moins formelle, ces conceptions font régulièrement l’objet d’échanges entre les différentes entités de l’entreprise. Au début de l’avancement d’un projet, les appréciations reposent sur des évaluations relativement subjectives des acteurs à propos des différents enjeux auxquels répond ou non le projet ; à un stade plus avancé, ces appréciations se rationnalisent avec un recours à des informations de plus en plus objectives et de moins en moins incertaines (Royer, 2002). Ainsi, au départ du projet, les valeurs humaines et sociales sont généralement prédominantes, puis sont remplacées par les valeurs au sens de l’ingénierie, pour enfin être masquées par les considérations économiques qui deviennent prépondérantes dans la prise de décision en fin de projet. Cette multiplicité de valeurs ainsi que leur évolution constante appelle donc une valorisation plus complexe, basée sur des critères variés, et faisant appel à un nombre d’acteurs plus important et aux attentes diverses. Nous verrons ici les principales considérations trouvées dans la littérature sur l’aspect stratégique de la valeur entreprise des innovations.

1.2.4.2. Valeur des connaissances

« L’innovation donne lieu très spécifiquement à une production foisonnante de connaissances et à des spécifications multiples de la valeur selon une dynamique de déploiement stratégique de scénarios divergents » (Hatchuel, Lemasson et Weil, 2001, p.5). Pour évaluer cette dimension de l’innovation, les trois auteurs identifient quatre critères (Le Masson, Hatchuel et Weil, 2007, p28) :

- la variété des alternatives explorées - la valeur créée et identifiée - l’originalité des alternatives - la robustesse de ces alternatives

Cette évaluation accorde ainsi une valeur aux concepts explorés. En effet, même si ceux-ci ne sont pas directement utilisés pour le développement du produit initialement envisagé, ils peuvent être réemployés pour des produits futurs ou déjà en cours de développement. Cela traduit ainsi une valeur importante de l’activité innovante, qui n’est pas évaluable par les simples outils économiques. En effet, l’ensemble des activités de recherche, d’exploration, de conception, et de développement nécessaire à la production d’une innovation nécessitent de développer de nouvelles connaissances au sein de l’entreprise. Ces connaissances peuvent ensuite être réutilisées pour des produits futurs dont le développement est facilité, voire dans certains cas rendu possible, grâce à l’innovation initiale (Van Horne et al., 2006). Les différents types de valeurs créés grâce aux connaissances acquises sont caractérisés dans la matrice de valeur de l’innovation (ibid.).

Page 25: Construction et évaluation des projets d’innovation Le cas de … Renault.pdf · 2017. 10. 31. · pare-brise, propulsion électrique, système de navigation, suspensions dynamiques,

25

Fig. 2 : The innovation value matrix (Van Horne et al., 2006, p 758)

Par ailleurs, de nouvelles compétences ou associations de compétences étant nécessaires pour développer les projets d’innovation, il apparaît que ceux-ci permettent de mettre en place des réseaux de collaboration pluridisciplinaires, que ce soit en interne à l’entreprise, ou avec différents fournisseurs (Matthyssens et Vandenbempt, 2002). De la même manière que les connaissances, ces réseaux permettent d’accroître le potentiel de l’entreprise pour des projets futurs, et constituent donc une source de valeur importante. La prise en compte d’une telle source de valeur est relativement en opposition avec les méthodes économiques habituellement utilisées. Au lieu de privilégier les solutions dont la conception sera la moins coûteuse en apprentissage et en ressources pour obtenir les résultats économiques les plus positifs possibles, elle invite au contraire les concepteurs à valoriser l’ensemble des explorations menées en partant du principe que celles-ci pourront toutes bénéficier à l’entreprise d’une manière ou d’une autre.

1.2.4.3. Critères de performance

Porter définit la chaîne de valeur d’une entreprise comme l’ensemble des étapes pour transformer des matières premières en des produits finis. A chaque étape de cette chaîne de valeur, différentes actions peuvent permettre d’améliorer la performance : réduction des coûts de développement, économies d’échelle, etc.

Page 26: Construction et évaluation des projets d’innovation Le cas de … Renault.pdf · 2017. 10. 31. · pare-brise, propulsion électrique, système de navigation, suspensions dynamiques,

26

Fig. 3 : la chaîne de valeur de Porter (1986)

Dans le cas des innovations, cette chaîne de valeur a été reprise par Van Horne sous la forme suivante :

Fig. 4 : Les activités stratégiques du processus d’innovation (Van Horne et al., 2006, p 756)

Pour évaluer la performance de chacune des étapes mises en évidence, des critères de performance existent déjà dans les différentes entités de l’entreprise responsables de ces activités. Etant donné que chaque projet devra nécessairement passer par toutes ces étapes, il apparaît important de savoir évaluer son impact sur les différents critères utilisés. Les critères QCD (Qualité – Coûts – Délais) utilisés dans l’ingénierie sont potentiellement discriminants pour les projets qui arrivent en phase de développement. Par exemple, une innovation pressentie comme ayant une valeur de commercialisation importante peut se retrouver bloquée à cette étape s’il s’avère impossible de la rendre conforme aux spécifications utilisées dans l’entreprise. De la même manière, dans le contexte de l’industrie automobile, une innovation de prestation doit pouvoir s’intégrer dans le système très complexe qu’est le véhicule. La rendre compatible et cohérente avec les règles de ce système peut engendrer des surcoûts et des délais importants, et donc avoir un impact non négligeable sur sa valeur finale. Ce problème se pose clairement pour des prestations de sécurité, très intrusives sur l’architecture des véhicules et soumises à des spécifications extrêmement strictes. Ces aspects sont relativement difficiles à valoriser en amont, mais l’absence de leur prise en compte peut engendre une perte de valeur importante. L’impact des innovations sur ces critères QCD ou sur les critères utilisés dans les entités aval de l’entreprise doit donc être analysé et piloté pour assurer la survie des projets.

Page 27: Construction et évaluation des projets d’innovation Le cas de … Renault.pdf · 2017. 10. 31. · pare-brise, propulsion électrique, système de navigation, suspensions dynamiques,

27

1.2.4.4. Différenciation

En finance, la création de valeur désigne la capacité de l’entreprise à générer du profit pour ses actionnaires. Cela passe non seulement par une réduction des coûts de développement et de production et par une amélioration de la qualité, des compétences et des délais, mais également par une augmentation des marges unitaires grâce à la différentiation. De plus, en différenciant son offre sur le marché, l’entreprise pourra mieux fidéliser ses clients et régénérer ses rentes. Cette différenciation peut prendre différentes formes (Druel, 2007) :

- optimisation radicale de la performance associée à un usage existant - réduction radicale du coût d’acquisition d’un produit - création de nouveaux usages

L’horloge de Bowman caractérise les différentes stratégies de positionnement en prix et en prestations, et identifie cinq types de stratégies de réussite potentielle (de 1 à 5) et trois stratégies conduisant nécessairement à l’échec (6, 7 et 8) :

Fig. 5 : Bowman Strategy clock (Bowman et Faulkner, 1997)

Cette caractérisation correspond cependant uniquement à des offres sur un marché établi. Même si cela représente une majorité des innovations, les offres permettant de dégager une rente de la façon la plus durable n’apparaissent pas dans le graphique. Cette stratégie de différenciation, correspondant généralement à la création de nouveaux usages, sont définies par Kim et Mauborgne sous le nom de Blue Ocean Strategy (Kim et Mauborgne, 2005). Les auteurs expliquent notamment que les entreprises présentant les plus fortes croissances ne sont pas celles qui cherchent à se positionner par rapport à l’offre existante sur le marché, mais celles qui créent de nouveaux standards : « Instead of focusing on beating the competition in existing market space, you focus on getting out of existing market boundaries by creating a leap in value for buyers and your company which leaves the competition behind. » (Kim et Mauborgne, 2005, p1).

1.2.4.5. Image de marque

L’industrie du luxe constitue un excellent exemple du fait que l’image de marque contribue de façon significative à renforcer la valeur intrinsèque d’un produit. Pour une même offre, une entreprise ayant une image de marque plus forte peut en effet positionner ses prix au-dessus de ceux de la concurrence (Dereumaux, 2007)

Page 28: Construction et évaluation des projets d’innovation Le cas de … Renault.pdf · 2017. 10. 31. · pare-brise, propulsion électrique, système de navigation, suspensions dynamiques,

28

Les apports de l’image de marque s’illustrent notamment dans le processus d’achat du consommateur (‘purchase funnel’). Dans le cas de l’industrie automobile, l’outil de mesure de l’efficacité publicitaire BAIT (Brand Adverstising International Tracking) permet par exemple d’évaluer, parmi les acheteurs potentiels d’un nouveau véhicule, le nombre de clients qui achèteraient effectivement un véhicule d’une marque donnée.

STAGE Question

% Prompted Awareness

I am now going to read out to you some car models. For each model, I want you to choose the statement which best

sums up how well you know the model. Never heard of it, Know by name; a little; fair amount; very well

% Familiarity

I am now going to read out to you some car models. For each model, I want you to choose the statement which best

sums up how well you know the model. Never heard of it, Know by name; a little; fair amount; very well

Global Image (Familiarity)

I would like you to give me your general opinion on the car models you know at least a fair amount. Could you please give me

an Overall rating from 1 to 10, where 10 means you have an excellent opinion and 1 a very poor one. (Take answers 8 to 10)

Purchase Consideration (Prompted)

If you had to replace your car today, and taking into account your needs and income, please tell me to what extent you would

consider purchasing each of the following models (prompted): certainly not, probably not, probably, certainly.

Purchase Intention - Spontaneous (All Mentions)

If you were planning to buy a new car, taking into account your needs and income, can you tell me which make and model of car you would most likely buy ? (Spontaneous)

Purchase Intention - Spontaneous (First choice)

From the models you mentioned, which one would you most likely consider buying?

Purchase Private retail segment share

Fig. 6 : Les étapes du 'Purchase Funnel' (Brand Advertising International Tracking)

D’après les théories sous-jacentes, un client qui ne connaîtrait pas la marque et/ou qui n’en aurait pas une image positive ne serait pas susceptible d’en acheter un produit. Cela souligne donc l’importance de prendre en compte l’apport potentiel des innovations à l’image de marque : si un produit peut rendre la marque plus connue, et la faire remonter dans l’opinion collective, alors cela lui confère une valeur non négligeable (en plus de sa valeur commerciale). Il n’existe en revanche aucune méthode permettant de mesurer l’impact d’une innovation donnée sur l’image de marque, pour de multiples raisons :

- le temps s’écoulant entre la sortie du produit et une modification significative de l’image est généralement trop long

- de nombreux paramètres peuvent faire évoluer l’image de marque, si bien qu’il est difficile d’attribuer une modification à un produit en particulier

- les évolutions de l’image de marque sont relativement lentes et de faible amplitude

Page 29: Construction et évaluation des projets d’innovation Le cas de … Renault.pdf · 2017. 10. 31. · pare-brise, propulsion électrique, système de navigation, suspensions dynamiques,

29

Par ailleurs, dans le contexte de l’industrie automobile, il semble particulièrement difficile de pouvoir attribuer une modification d’image de marque à une innovation de prestation, étant donné que la valeur de celle-ci est étroitement corrélée à celle du véhicule dans lequel elle est intégrée.

1.2.4.6. Analyse multicritères

On constate donc que la valeur entreprise n’est pas une donnée unique, mais qu’elle est constituée de multiples facettes dans un contexte opérationnel. Il semblerait donc judicieux de baser les modèles d’évaluation selon plusieurs critères. En pratique, il apparaît cependant que certains des critères sus-cités s’avèrent antagonistes : une augmentation de la valeur selon un critère peut conduire à une perte de valeur selon un autre. Pour la recherche d’une solution optimale, il convient donc de trouver le meilleur compromis possible d’atteinte des différents critères d’évaluation (Roy, 1985). Les modèles d’évaluation multicritères ont ainsi pour objet d’aider les décideurs dans leurs choix malgré ce constat. Ils comprennent pour cela un ensemble d’outils permettant d’évaluer, de pondérer et d’agréger plusieurs critères, cela afin d’aider au diagnostic sur la valeur globale d’un projet et de ses alternatives et donc à la prise de décision stratégique ou opérationnelle. Ces modèles offrent également la possibilité de combiner des critères qualitatifs et quantitatifs, se rapprochant ainsi de la réalité du processus décisionnel. Selon Alain Schärlig, la résolution d’un problème multicritère suit quatre étapes (Schärlig, 1985, p54) :

- Décrire la liste des solutions possibles ou envisageables - Dresser la liste des critères à prendre en considération - Juger chacune des solutions aux yeux de chacun des critères - Agréger ces jugements pour désigner la solution qui jouit globalement des meilleures

évaluations. Néanmoins, dans la pratique, l’évaluation suit rarement un processus si linéaire, et il est fréquent d’effectuer des retours en arrière, des rétroactions ou des omissions, en fonction de l’évolution du contexte et des projets en eux-mêmes. Une des principales difficultés dans l’utilisation de ce type de méthodes est de parvenir à un consensus entre les différentes parties prenantes quant aux poids à affecter à chaque critère et à la forme de la solution optimale lorsqu’un consensus doit être trouvé. Ces méthodes nécessitent donc un engagement relativement important des acteurs impliqués dans le processus d’évaluation, mais cela permet ainsi d’établir un processus de discussion et une base de pilotage par la valeur. Le choix de la méthode et des axes de valorisation doit s’effectuer en tenant compte de certains critères (Guitouni et Martel, 1998, p512), en particulier :

- Acteurs impliqués dans le processus de décision - Logique naturelle du décideur et problématique recherchée (classement, sélection, …) - Informations disponibles sur les projets

En ce qui concerne l’utilisation de ces méthodes, il s’agit généralement d’évaluer les projets collectivement pour chaque critère de valorisation (préalablement défini) en les positionnant sur une échelle de réussite (par exemple de 1 à 5, ou Rouge/Orange/Vert, etc.). Les scores peuvent ensuite être pondérés en fonction de l’importance relative de chaque critère, et éventuellement être additionnés pour former une note finale. De telles méthodes ont été traitées dans la littérature à partir de cas concrets d’utilisation (Souder, 1972 ; Burnett, Silverman et Monetta. 1993 ; Iyigun et Tanes, 1994 ; Cooper, 1999 ; Henriksen et Traynor, 1999 ; Kaya, Oner et Basoglu, 2003 ; Osawa, 2003 ; Stummer et Heidenberger, 2003 ; Apperson et al., 2005 ; Salo, Mild et Pentikainen, 2006). Les grilles

Page 30: Construction et évaluation des projets d’innovation Le cas de … Renault.pdf · 2017. 10. 31. · pare-brise, propulsion électrique, système de navigation, suspensions dynamiques,

30

utilisées dans chacun des cas reprennent globalement les critères traités précédemment, mais diffèrent toutes en fonction du contexte, de l’entreprise, du type de produit évalué, etc. Elles sont donc difficilement transposables à d’autres évaluations. Les principales forces et faiblesses de ces méthodes sont listées dans le tableau ci-dessous : Forces - Adapté au contexte d’évaluation

- Aisé à documenter - Hiérarchisation claire des projets

Faiblesses - Difficulté de positionnement quantitatif des critères qualitatifs - Les critères peuvent être interdépendants - Grille périssable

1.2.4.7. « Horizons »

Les méthodes d’évaluation multicritères peuvent non seulement permettre d’évaluer les projets individuellement, mais elles présentent également l’intérêt de pouvoir s’appliquer à des portefeuilles de projets. Les méthodes utilisées pour l’évaluation de portefeuilles de projets couplent en effet des outils d’évaluation économique ou multicritères avec des outils graphiques ou de programmation mathématique afin de donner une vision globale de la valeur entreprise d’un ensemble de projets selon différents critères. « Portfolio techniques are powerful tools in that they allow products and R&D projects to be analyzed in a systematic manner, providing an opportunity for the optimization of a company’s long-term growth and profitability. » (Mikkola, 2001, p1). Les objectifs de ces modèles d’évaluation sont triples (Dickinson et al., 2001, p14) :

- Maximiser la valeur globale du portefeuille - Equilibrer la répartition des projets selon différentes échelles : niveaux de risques

techniques ou commerciaux, niveaux de gamme, court ou long terme, engagement des ressources, etc.

- Soutenir la stratégie de l’entreprise. Les outils d’évaluation individuelle traités précédemment permettent de répondre au premier objectif, mais ne sont pas adaptés pour l’équilibrage global ou pour une structuration stratégique cohérente. Pour remplir l’objectif d’évaluer la réussite potentielle d’une combinaison de projet, le choix des critères d’évaluation est particulièrement important, et l’ensemble des objectifs stratégiques de l’entreprises doivent y être transcrits. Ces méthodes sont cependant limitées par le fait que les différents projets d’un portefeuille ont rarement le même degré de maturité et sont donc difficilement comparables, du fait notamment que l’on y compare des données très incertaines (projets les moins avancés) avec des données maîtrisées (projets les plus proches de la commercialisation). « The single point on a graph does not differentiate between different levels of uncertainty, which can lead to poor resource allocation decisions ». (Tritle et al., 2000, p48). Ces méthodes peuvent prendre la forme de simulations mathématiques ou de représentations graphiques. Dans le second cas, elles sont plus intuitives et limitent l’effet ‘boîte noire’ incompréhensible. Elles permettent aux décideurs de visualiser l’ensemble des options possibles tout en leur laissant effectuer les choix eux-mêmes. Cependant, les méthodes graphiques ne permettent pas de prendre un nombre d’hypothèses d’entrée aussi variées que pour les méthodes mathématiques, et les résultats sont donc relativement plus limités. Leurs principales forces et faiblesses sont les suivantes :

Page 31: Construction et évaluation des projets d’innovation Le cas de … Renault.pdf · 2017. 10. 31. · pare-brise, propulsion électrique, système de navigation, suspensions dynamiques,

31

Forces

- Interfaces intuitives et dynamiques - Choix des critères d’évaluation - Visualisation synthétique d’informations multiples - Support efficace de communication et de compréhension - Intégration de critères économiques et stratégiques

Faiblesses - Consensus parfois difficile à trouver sur les axes ou les échelles à utiliser - Long à documenter

Tab. 2 : Avantages et limites des représentations graphiques pour l’évaluation multicritère de

portefeuille de projets (Barger, 1993 ; Phaal, 2005)

Il peut ainsi être intéressant de tenir compte des différentes caractéristiques de ces méthodes. Elles peuvent en effet permettre d’enrichir les outils d’évaluation individuelle, en particulier dans le cas où les outils conçus pour l’évaluation des projets seront potentiellement utilisés pour de l’évaluation de portefeuille par la suite.

1.2.5. Limites de ces indicateurs

Nous avons ainsi pu recenser un nombre important de méthodes d’évaluation de la valeur des projets en entreprise, chacune mettant en avant un aspect différent de la notion de valeur. Ces méthodes peuvent être économiques ou stratégiques, qualitatives ou quantitatives, simples ou complexes. Il apparaît cependant que toutes ont pour visée finale de comparer les projets les uns aux autres, et de servir ainsi de support potentiel à des outils de pilotage de portefeuille de projets. Du côté des outils d’évaluation économique, nous avons pu constater que les résultats obtenus étaient relativement incertains en situation d’innovation. Les utilisateurs de ces outils ont bien conscience de cette limite, mais ne sont pas capables de déterminer l’étendue de l’incertitude. Face à la conviction suivante : « It is better to be vaguely right than exactly wrong » (Carveth Read, 1898, p. 272), ils aimeraient se convaincre qu’il vaut effectivement mieux être vaguement juste, mais la question qui se pose aujourd’hui autour des outils économiques est de savoir à quel point leurs résultats sont vagues, et s’ils sont suffisamment réalistes pour être utilisables. Par ailleurs, la binarité des calculs de rentabilité ne permet pas de prendre en compte la complexité de la valeur des innovations et de traduire économiquement des aspects tels que l’image de marque, la différenciation, l’accroissement des connaissances, etc. Ces méthodes sont donc trop limitées pour être utilisées dans du pilotage de projets. A l’opposé, les méthodes de cadrage stratégique permettent de prendre en compte les incertitudes inhérentes aux projets d’innovation en utilisant un nombre plus important de critères de valeur. Ces méthodes offrent en outre une plus grande flexibilité d’évaluation par le choix des critères. Cependant, elles sont limitées par le fait que leurs résultats sont difficiles à quantifier et qu’elles rendent les comparaisons difficiles : (Bréchet et Desreumaux, 1998, p33-34) :

- l’approche gestionnaire de la valeur se construit par comparaison avec la performance des autres acteurs du marché sur les critères d’évaluation retenus. Les méthodes d’évaluation stratégique étant propres à chaque entreprise, voire à chaque entité d’une entreprise, et fournissant des résultats qualitatifs, elles s’avèrent ainsi incapables de permettre d’évaluer la position de chaque acteur sur le marché et d’en déduire leurs performances respectives.

- « la volonté de chiffrer les paramètres de l’équation de la création de valeur et de promouvoir des comportements de maximisation ou d’optimisation, même si la rationalité des agents est volontiers considérée comme limitée ». La gestion commerciale appelle des logiques de calcul relativement codifiées, mais la stratégie et

Page 32: Construction et évaluation des projets d’innovation Le cas de … Renault.pdf · 2017. 10. 31. · pare-brise, propulsion électrique, système de navigation, suspensions dynamiques,

32

l’organisation reposent sur des critères difficilement systématisables, renfermant de nombreuses formes d’incertitudes. Pour réussir à traduire au mieux le potentiel de création de valeur à long terme en situation d’incertitude, il convient cependant de préserver les méthodes d’évaluation des innovations d’une codification excessive centrée sur les coûts et la valeur d’échange.

Ainsi, l’approche économique reste privilégiée en entreprise pour l’évaluation quantitative, mais la multiplicité des critères d’évaluation qualitative montre une véritable préoccupation pour les autres dimensions de valeur des innovations. Ces méthodes stratégiques, par leur complexité et l’interdépendance des différents critères, appellent ainsi une collaboration d’un nombre importants d’acteurs de l’entreprise pour construire collectivement la valeur entreprise. Il semble pour le moment difficile de formaliser une méthode universelle de ce type à partir de l’analyse de la littérature, puisque l’aspect collectif qu’elle nécessite sous-entend qu’elle doit être propre aux besoins de l’entreprise qui l’utilise et à sa propre conception de la notion de valeur. Les questions qui se posent ne concernent donc pas tant le contenu d’une telle méthode, mais plutôt la manière de la mettre en place, et les moyens à mettre en œuvre pour en animer l’utilisation par l’ensemble des acteurs concernés dans l’entreprise.

Page 33: Construction et évaluation des projets d’innovation Le cas de … Renault.pdf · 2017. 10. 31. · pare-brise, propulsion électrique, système de navigation, suspensions dynamiques,

33

2 Méthodologie : conception d’un outil en contexte opérationnel

« Les buts des actions sont voulus,

mais les résultats que donnent ces actions ne le sont pas. » Friedrich Engels

2.1. Spécificités de la conception d’outil en contexte opérationnel

2.1.1. Les outils influencent les projets

Face aux incertitudes liées à l’utilisation des méthodes d’évaluation usuelles (qu’elles soient économiques ou stratégiques, qualitatives ou quantitatives), les acteurs de l’innovation ont développé une opinion relativement négative sur la capacité des outils de gestion à rendre compte de la valeur et des incertitudes inhérentes aux projets d’innovation. Les critères mis en avant par ces outils introduisent des biais dans les représentations des projets : en amplifiant certains aspects des projets, elles favorisent certains profils par rapport à d’autres. Par exemple, les critères économiques basés sur l’actualisation des flux de trésorerie pénalisent fortement l’incertitude incluse dans le délai de retour sur investissement et favorisent donc les projets à court terme. Par ailleurs, les outils de gestion choisis pour le pilotage et l’évaluation des projets ont un impact non négligeable sur les projets en eux-mêmes, que ce soit par leur capacité à être discriminants, l’allocation des ressources qu’ils justifient, leur caractère subjectif, etc. En orientant les directions de travail des acteurs, le déploiement de critères d’évaluation peut également influencer leur performance (Hauser et Zettelmeyer, 1996, p2) : « Research, Development, and Engineering (R, D&E) metrics are important for at least three reasons. First, such metrics document the value of R, D&E and are used to justify investments in this fundamental, longrun, and risky venture. Second, good metrics enable Chief Executive Officers (CEOs) and Chief Technical Officers (CTOs) to evaluate people, objectives, programs, and projects in order to allocate resources effectively. Third, metrics affect behavior. When scientists, engineers, managers, and other R, D&E employees are evaluated on specific metrics they make decisions, take actions, and otherwise alter their behavior in order to improve the metrics. The right metrics align employees' goals with those of the corporation. The wrong metrics are counterproductive and lead to narrow, short-term, and risk avoiding decisions and actions. » Il apparaît donc essentiel de réussir à développer un outil cohérent avec les attentes et les modes de fonctionnement de l’entreprise.

2.1.2. Principes de la recherche-intervention

Les nombreuses incertitudes liées à l’innovation et la multiplicité des interactions entre les différentes entités de l’entreprise impliquées dans les projets font du pilotage des innovations une problématique difficile. La démarche de Recherche-Intervention permet à la fois de tenir compte de cette complexité, et d’intégrer au mieux les attentes et les modes de fonctionnement de l’entreprise dans les outils développés : « La recherche intervention consiste à aider, sur le terrain, à concevoir et à mettre en place des modèles, outils et procédures de gestion adéquats, à partir d’un projet de transformation plus ou moins complètement défini, avec comme objectif de produire à la fois des connaissances utiles pour l’action et des théories de différents niveaux de généralité en sciences de gestion. » (David, 2000, p20)

Page 34: Construction et évaluation des projets d’innovation Le cas de … Renault.pdf · 2017. 10. 31. · pare-brise, propulsion électrique, système de navigation, suspensions dynamiques,

34

Une telle démarche place le chercheur comme partie intégrante de son champ d’étude et comme acteur du changement au sein de l’entreprise. Cela lui permet donc d’explorer en profondeur l’objet de l’étude, grâce à la collecte de nombreuses données de natures variées. Par ailleurs, la proximité créée avec les membres de l’entreprise permet « d’approcher du point de vue des acteurs la complexité des processus collatéraux, concourants et transversaux » (Baumard, 1997, p2). Le parcours de la recherche intervention peut être défini comme « un processus d’interactions complexe et cognitif entre les acteurs d’une organisation et des intervenants-chercheurs en management, chargés de l’implantation, de l’acclimatation de méthodes et d’outils ainsi que de la stimulation de transformations durables sur le mode de management et de fonctionnement d’une organisation » (Plane, 2000). Ce processus peut être décomposé en cinq phases, qui regroupent les principes épistémologiques et méthodologiques spécifiques à cette stratégie de recherche (Hatchuel et Molet, 1986) :

- Phase 1 : The feeling of discomfort. La naissance de l’étude présuppose que l’entreprise a ressenti l’existence d’un dysfonctionnement ou la nécessité d’une amélioration, sans nécessairement être parvenue à le formaliser. La première tâche du chercheur sera donc de saisir la problématique et de délimiter son champ.

- Phase 2 : Building a rational myth. Le mythe rationnel est un modèle d’action permettant la mobilisation de l’organisation autour d’un objectif de progrès auquel les acteurs vont croire et adhérer (mythe) mais dont la formulation et les objectifs demeurent réalistes et adaptables au terrain (rationnel). Durant cette phase, le chercheur va transcrire les problèmes identifiés en concepts et en données, et formuler une théorie de l’organisation adaptée.

- Phase 3 : Intervention and interaction. A ce stade, le chercheur est en mesure de proposer ici un ou des outils de gestion en réponse à la problématique. L’expérimentation de ces outils génère des réactions chez les acteurs concernés dans l’organisation (soutien, critiques, résistance ou indifférence). Ces réactions sont les signes visibles d’une interaction réelle entre les chercheurs et l’organisation au travers de la concrétisation du mythe rationnel : elles font apparaître les logiques sous-jacentes de l’organisation. Elles favorisent l’acquisition de connaissances sur l’origine et la forme des moyens mobilisables pour résoudre les problèmes.

- Phase 4 : Portraying a set of logics. L’apprentissage lié à l’expérimentation permet au chercheur de décrire un ensemble simplifié de logiques d’action qui modélisent les comportements des acteurs impliqués. Ceux-ci s’appuient sur les opportunités données par leur propre statut pour encourager, ou au contraire, lutter contre les outils proposés et le mythe rationnel associé.

- Phase 5 : The change process: knowledge versus implementation. L’apprentissage collectif et l’implémentation des outils, remis en question par les résultats précédemment obtenus, induisent un processus croisé de transformation des outils par l’organisation et de l’organisation par les outils.

2.1.3. Immersion du chercheur dans son terrain d’étude

La recherche-intervention permet d’établir une relation continue et soutenue entre les chercheurs et les acteurs de l’entreprise pendant une longue période. « Un suivi périodique, une collaboration s’inscrivant dans la durée même des problèmes que l’on étudie, permettent de mieux saisir les trajectoires et de relativiser les différentes perceptions recueillies » (Hatchuel, 1994, p63). Cette immersion a une forte influence sur les résultats de l’étude, puisque les outils construits dans ce contexte opérationnel reflètent le cheminement parcouru, à partir d’une situation où le chercheur ne connaît pas l’organisation jusqu’à une situation où il est amené

Page 35: Construction et évaluation des projets d’innovation Le cas de … Renault.pdf · 2017. 10. 31. · pare-brise, propulsion électrique, système de navigation, suspensions dynamiques,

35

à la faire évoluer. Elle est donc essentielle pour donner au chercheur un maximum de clés pour comprendre l’environnement dans lequel son travail va devoir s’intégrer. « La découverte progressive des structurations essentielles de l’organisation et de son instrumentation possible ne peut se faire de l’extérieur de l’entreprise ; elle suppose un travail de longue haleine, effectué à l’intérieur même de l’organisation et en collaboration avec les différentes parties prenantes » (Moisdon, 1997 ; p 283). C’est durant la phase d’expérimentation des outils que le chercheur apprend le plus sur l’organisation : « on ne peut réellement reconstituer le champ de forces en cause qu’en essayant de le modifier » (Moisdon, 1997 ; p 26). En effet, c’est à ce stade que les réactions des différents acteurs concernés sont les plus nombreuses et les plus concrètes. Ces réactions enrichissent considérablement la compréhension de l’entreprise et de l’impact des outils sur son organisation. L’immersion du chercheur dans l’entreprise pendant les premières phases d’utilisation de l’outil est donc capitale pour pouvoir faire évoluer les méthodes et proposer des solutions véritablement adaptées aux problèmes. Du fait de son immersion dans l’entreprise, le chercheur est personnellement impliqué dans les changements provoqués par ses travaux. Il ne peut en effet se contenter de n’avoir qu’une position prescriptive : l’acceptation ou le refus de ses propositions par les différents acteurs influant sur le résultat final, il est nécessaire de pouvoir agir de façon continue pour faire évoluer les travaux en fonctions des réactions rencontrées. Il se présente donc comme «un agent du changement qui cherche à étudier les comportements, les structures, les modes de gestion et d’opération des entreprises, le tout pour transformer et co-construire avec les acteurs de nouvelles formes utiles, d’agir et de faire, aussi enrichissantes pour les acteurs que pour la connaissance scientifique» (Briones, 2006, 1.§312). Enfin, trois instances doivent coexister dans les travaux de recherche-intervention afin de garantir l’objectivité des résultats (Girin, 1990) :

- une instance de gestion : elle correspond généralement aux commanditaires des travaux dans l’entreprise, auxquels se réfère le chercheur au fil de l’avancement de ses travaux. Elle s’assure du bon déroulement de la recherche-intervention et de la cohérence des réponses proposées avec les problèmes initialement formulés.

- une instance de contrôle : celle-ci est généralement représentée par le support académique sur lequel s’appuie le chercheur. Elle fournit les bases théoriques à la recherche-intervention, en replaçant les travaux dans un contexte plus général.

- une mémoire : celle-ci est constituée par les différentes productions du chercheur durant ses travaux (archives, comptes-rendus, articles, etc.). Elle permet de garder une trace objective des résultats.

2.2. Démarche de conception

2.2.1. Différentes stratégies de recherche-intervention

David représente la démarche d’intervention d’un chercheur en contexte opérationnel, selon sa capacité à produire effectivement des changements, selon deux dimensions complémentaires (David, 1996a) :

- le degré de formalisation, correspondant à la précision de la description des changements produits ou à produire. La formalisation est considérée comme achevée lorsque la nouveauté est définie dans le détail.

- le degré de contextualisation, qui représente l’intégration et le déploiement des changements produits par la recherche. La contextualisation est forte lorsque la nouveauté est adéquate, adaptée à l’organisation, indépendamment de son degré de formalisation.

Page 36: Construction et évaluation des projets d’innovation Le cas de … Renault.pdf · 2017. 10. 31. · pare-brise, propulsion électrique, système de navigation, suspensions dynamiques,

36

Selon ce formalisme, la démarche de recherche-intervention est représentée graphiquement par une progression en escalier, avec des phases de contextualisation et de formalisation alternées, de durée et d’intensité variables. Cela souligne le fait que, dans ce type de démarche, conception et implémentation des nouveautés sont gérées en simultané, l’une interagissant nécessairement avec l’autre : l’implémentation des nouveautés permet de mieux les définir, et cette définition permet d’améliorer encore leur adaptation.

De la même manière, la méthodologie de conception que nous avons employée alternait des phases de conception et des phases d’implémentation : l’analyse de documents et les interviews d’acteurs de l’entreprise permettent de contextualiser progressivement le changement, et de construire une réponse de plus en plus formalisée. Néanmoins, au fil de l’avancement du projet, l’intensité de ces phases de contextualisation – formalisation variait, se rapprochant au final d’une progression en trois grandes phases (détaillées ultérieurement) : - Une première phase d’analyse : au départ du projet, il est nécessaire de récolter une

quantité suffisante d’informations avant de pouvoir réussir à formaliser le changement de façon significative.

- Une deuxième phase d’implémentation : l’intérêt des observations et des informations récoltées devient de plus en plus limité tant que cette contextualisation ne peut pas s’appliquer à quelque chose concret. L’intensité des phases de formalisation devient donc naturellement plus importante, et la définition du changement progresse nettement plus que son adaptation à l’entreprise.

- Une dernière phase de déploiement. La définition du changement finit par arriver à une asymptote : il est encore possible de progresser, mais cela n’apporte rien de véritablement significatif. Il ne reste alors plus qu’à déployer le changement déjà formalisé.

La méthodologie employée peut donc être représentée ainsi :

Fig. 7, 1 & 2 : Les trois grandes phases de

construction de l’outil :

a) Une phase d’analyse pour recenser les

attentes des futurs utilisateurs et les

méthodes préexistantes ;

b) Une phase d’implémentation pour

construire un outil à partir de ces attentes et

méthodes ;

c) Une phase de déploiement pour intégrer

l’outil créé dans l’écosystème des méthodes

de l’entreprise

Contextualisation

Formalisation

a) Analyse

b) Implémentation

c) Déploiement

Degré de contextualisation

Degré de formalisation

Page 37: Construction et évaluation des projets d’innovation Le cas de … Renault.pdf · 2017. 10. 31. · pare-brise, propulsion électrique, système de navigation, suspensions dynamiques,

37

2.2.2. Analyse des attentes et de l’existant

A notre arrivée dans l’entreprise, la demande qui était formulée était de concevoir un nouvel outil d’évaluation de la valeur des projets d’innovation. Afin de cerner au mieux les besoins de l’entreprise vis-à-vis d’un tel outil, notre première phase de travail a visé à :

- identifier clairement quels en étaient les commanditaires et quelles étaient leurs attentes précises

- recueillir l’avis des autres membres de l’entreprise concernant cette demande et analyser les raisons des éventuelles divergences entre leurs attentes et celles des commanditaires

- rechercher quelles méthodes et quels critères d’évaluation de la valeur des innovations étaient utilisés jusqu’alors dans l’entreprise ou mentionnés dans la littérature

Notre travail durant cette phase a donc consisté en de multiples réunions avec les différents acteurs de l’entreprise, depuis la direction de l’innovation jusqu’aux directions du marketing, de l’ingénierie, du commerce, etc. Les principales méthodes que nous avons identifiées sont les suivantes :

2.2.2.1. « Full Value »

L’étude « Full Value » (Maniak, 2010) a permis d’analyser a posteriori l’apport total qu’a eu pour l’entreprise une prestation lancée en 2007, non seulement sur la dimension économique, mais également selon six autres axes de valeur :

- Contribution à l’image de la marque - Contribution à l’image des véhicules équipés de la prestation - Conquête de nouveaux clients (ventes additionnelles générées par l’innovation,

comptées en gain marginal) - Propriété intellectuelle (valeur des brevets déposés, correspondant à l’économie

réalisée sur les licences qu’il aurait fallu acheter sans ces brevets) - Apprentissage métier (baisse des K/oo et baisse des ETP de conception à iso-

périmètre) - Publicité gratuite (articles de presse traitant de la prestation, valorisés par le coût

qu’aurait représenté une campagne publicitaire équivalente) - Marge directe

Cette étude bénéficiait de l’adhésion globale de l’entreprise sur le principe (élargir le spectre de critères de valorisation des projets), même si les résultats en étaient parfois contestés. Une des principales limites de cette étude réside dans l’impossibilité de l’appliquer à des projets en amont de la conception, puisqu’une grande partie des données quantitatives utilisées ne sont pas disponibles. En revanche, d’un point de vue qualitatif, elle constituait une base de départ intéressante. Cet intérêt est par ailleurs fortement confirmé par l’analyse comparative de la « Full Value » de 29 projets chez différents constructeurs automobiles, qui a révélé que la partie immergée de la valeur était largement dominante dans la valeur entreprise de ces projets (Maniak, Midler et Beaume, 2011).

a) b) c)

Page 38: Construction et évaluation des projets d’innovation Le cas de … Renault.pdf · 2017. 10. 31. · pare-brise, propulsion électrique, système de navigation, suspensions dynamiques,

38

2.2.2.2. Pilotage par la valeur

La thèse « Performance de la R&D en rupture et des stratégies d’innovation - Organisation, pilotage et modèle d’adhésion » (Hooge, 2010), propose pour l’aide à la décision une grille d’évaluation des projets selon huit axes de valorisation. Ces axes permettent de couvrir l’ensemble des enjeux et attentes des acteurs impliqués dans les projets, et traduisent les différentes forces et faiblesses des projets :

- cohérence avec la stratégie de l’entreprise (degré de nouveauté, état de la concurrence, etc.)

- gains économiques et réglementaires (nature de l’apport commercial) - contribution en Qualité Coûts Délai et performance interne (nature de l’apport

technique) - propriété et risques industriels (liberté et accessibilité des technologies) - ressources et compétences (disponibilité des acteurs et synergies projets) - transversalité et pluridisciplinarité (distance hiérarchique des partenaires de

conception) - coopérations externes (mobilisation des réseaux professionnels et subventions) - communication (visibilité de l’innovation et de l’activité de conception innovante)

La méthode déployée durant cette thèse avait été diffusée auprès de la précédente génération de chefs de projet, qui étaient principalement issus de l’ingénierie. Cependant, à la suite d’une réorganisation importante de la DREAM, ces chefs de projet ont changé de fonction et la méthode ne répondait plus exactement aux nouveaux besoins. Les axes de valorisation et le principe des questionnaires utilisés pour positionner les projets sur ces axes gardaient néanmoins tout leur intérêt.

2.2.2.3. « Marketability »

L’étude réalisée par un groupe transverse de directeurs de Renault visait à établir une grille de cotation des projets d’innovation pour évaluer leur potentiel marketing. Cette étude partait d’un reproche qui était fréquemment fait aux précédents projets de ne pas assez tenir compte de certains critères commerciaux pendant les phases amont :

- Contribution à l’image de marque (cohérence avec les fondamentaux de la marque, renforcement de l’image, aspect identitaire)

- Positionnement différenciant (exclusivité / originalité, ou démocratisation d’une prestation connue et rendue accessible)

- Réponse à un besoin client non satisfait (exprimé ou latent) - Vendabilité (perception et appropriation par le client, facilité à mettre en scène et à

communiquer) - Levier pricing et taux de monte (opportunités de marge et/ou de taux de monte)

Fin 2010, cette étude était restée inutilisée malgré un intérêt et une demande générale. Son déploiement pouvait être facilité en la couplant aux autres méthodes recensées afin d’y donner plus de poids et de visibilité.

2.2.2.4. Autres

Outre ces méthodes au contenu relativement transversal par rapport aux attentes de l’entreprise, nous avons recensé d’autres outils plus spécifiques, utilisés généralement au sein d’une unique direction.

- Brand Identity : méthode utilisée à la direction du Produit (marketing stratégique de Renault) pour évaluer la cohérence des innovations avec l’image de marque. Cette méthode était en cours de finalisation, et avait pour but d’être utilisée au niveau des projets véhicules. Ses principales caractéristiques étaient néanmoins facilement déclinables pour l’évaluation des prestations innovantes.

Page 39: Construction et évaluation des projets d’innovation Le cas de … Renault.pdf · 2017. 10. 31. · pare-brise, propulsion électrique, système de navigation, suspensions dynamiques,

39

- Synthèse Economique : outil utilisé par le contrôle de gestion pour calculer le bilan économique des projets de prestations et effectuer des analyses de sensibilité sur les principales données d’entrée (Valeur Client, Ticket d’Entrée, Volumes, Prix de Revient). Seul l’aspect purement économique est pris en compte, sans réelle considération de dimensions telles que l’image de marque, la différenciation, etc.

- Business Innovation : outil à disposition du gestionnaire du portefeuille de projets d’innovation pour évaluer le business potentiel probable de l’ensemble des projets. De même que pour Synthèse Economique, seul l’aspect économique y est pris en compte. Compte tenu des incertitudes sur les données d’entrée, l’outil n’est pas utilisé actuellement.

- Critères Qualité / Coût / Délais : méthodes utilisées en cours de développement par l’Ingénierie. Certains chefs de projet innovation en tiennent compte pour les derniers jalons de leurs projets, sans pour autant les appliquer dans le détail.

- Attentes implicites des différentes directions : chacune des parties prenantes a des propres critères d’évaluation des projets qui lui sont propres, sans que ceux-ci soient nécessairement formalisés.

Nous avons ainsi pu constater plusieurs choses :

- chacune des directions de l’entreprise disposait déjà de critères ou de méthodes propres pour évaluer, dans une certaine mesure, la valeur des projets

- le besoin de rationalisation de la valeur et de prise en compte d’autres critères que la seule économie faisait quasiment l’unanimité

- les différents acteurs avaient tous une vision relativement différente de la forme que devait prendre cette rationalisation

- ces visions évoluent fortement en fonction d’évènements externes à l’entreprise (travaux universitaires, initiatives des concurrents, etc.) ou internes (mobilité du personnel, révision des objectifs de performance, budget, etc.)

L’outil à concevoir doit donc tenir compte de la multiplicité et de l’évolution des attentes de ses futurs utilisateurs, et tenir compte de l’écosystème des méthodes déjà utilisées pour être capable de bien s’y intégrer.

2.2.3. Implémentation

Une fois le cahier des charges défini de façon suffisamment claire à partir des besoins et attentes des futurs utilisateurs, nous nous sommes lancés dans une phase d’implémentation de l’outil. Durant cette phase, nous avons choisi d’endosser un rôle orienté vers la recherche plutôt que vers l’opérationnel, en présentant notre travail et son avancement comme un ouvrage à visée principalement académique. Ce détachement par rapport aux activités opérationnelles nous a permis de ne pas être soumis à des attentes de résultats immédiatement exploitables. Ce choix a été fait afin d’éviter de présenter des versions d’outil inachevées ou défaillantes, qui auraient risqué de faire perdre de la crédibilité à notre projet du point de vue de l’entreprise si la forme ou les premiers résultats ne convenaient pas suffisamment aux utilisateurs. Notre travail durant cette phase a donc consisté à programmer des versions successives de l’outil d’aide au pilotage et à la décision. La première version prenait en compte les attentes des différentes directions ainsi que l’ensemble des méthodes que nous avions recensées durant la première phase, en tirant au maximum parti de leurs redondances et de leurs complémentarités. Les versions suivantes ont été construites en boucles fermées de contextualisation - formalisation :

Page 40: Construction et évaluation des projets d’innovation Le cas de … Renault.pdf · 2017. 10. 31. · pare-brise, propulsion électrique, système de navigation, suspensions dynamiques,

40

- Présentation de l’outil à des acteurs de différentes directions afin de recevoir leurs critiques. Compte tenu du degré d’évolution de l’outil à ce stade, nous avons préféré rencontrer chaque acteur individuellement afin de prendre le temps de recevoir toutes leurs remarques. Une présentation devant plusieurs acteurs simultanément n’était pas envisageable : le nombre d’avis à prendre en compte n’aurait pas permis de présenter l’ensemble de l’outil dans un temps de réunion raisonnable.

- Corrections de l’outil en fonction des critiques formulées. - Retour vers l’acteur rencontré pour confirmer la nouvelle version, puis nouvelle boucle

avec une personne différente. Au fil de notre avancement, et tant que l’outil n’était utilisé sur aucun projet concret, les critiques se faisaient de moins en moins nombreuses, et les avis semblaient converger sur l’intérêt de l’outil sous la forme qu’il prenait. Outre les critiques formulées sur le contenu de l’outil, une des principales remarques concernait la facilité d’utilisation. En effet, les futurs utilisateurs craignant d’avoir un outil de plus à utiliser, ils s’attendaient à ce que celui-ci soit le plus simple d’utilisation possible. Nous avons donc choisi de coder cet outil sous Excel / Visual Basic. D’une part, cela ne nécessite aucune installation pour l’utiliser ; d’autre part, cela permet de réaliser des questionnaires à choix multiples interactifs, qui permettent une utilisation plus rapide et intuitive.

2.2.4. Déploiement de la méthodologie

Lorsque l’outil était suffisamment avancé pour être utilisable, nous avons cherché à le mettre en pratique sur des cas concrets, en organisant, pour chacun des projets en cours, des réunions de valorisation regroupant l’ensemble des directions impliquées sur ces projets. Le but de ces réunions était double :

- Présenter l’outil sous sa forme opérationnelle à l’ensemble des acteurs. Le résultat auquel nous sommes parvenus à la fin de la phase d’implémentation étant relativement différent de ce que nous avions initialement défini, il était important de s’assurer qu’il répondait toujours aux attentes de l’entreprise. Ainsi, chacune des parties prenantes pouvait voir concrètement l’apport de l’outil et son intérêt pour leurs directions respectives.

- Effectuer les dernières corrections de formulation et de programmation. Le début de chacune des premières réunions a plutôt été le siège de débats sur la forme de l’outil que sur les projets à valoriser. Cela se traduisait par des critiques constructives : chacun des acteurs trouvant un intérêt différent dans les diverses dimensions de l’outil, ils essayaient tous de défendre leur point de vue pour que l’outil les serve au mieux. Ces critiques ont ainsi permis de finaliser l’outil sous une forme opérationnelle faisant consensus parmi les utilisateurs.

Afin de faciliter ce déploiement, nous avons commencé à travailler avec les chefs de projets les plus favorables à l’utilisation d’un nouvel outil. Cela nous a permis de corriger rapidement les problèmes les plus significatifs sans risquer de nuire à la crédibilité de l’outil. Une fois les premiers résultats obtenus, les premiers utilisateurs ont pu transmettre des retours globalement positifs aux acteurs qui étaient initialement plus réticents vis-à-vis de cette nouvelle méthodologie de valorisation. Ces derniers ont ainsi accepté plus facilement nos invitations, et ont pu avoir une image plus positive de l’outil puisqu’ils l’ont utilisé sous une forme déjà quasiment finalisée.

2.3. Rôle de l’intervenant-chercheur et de l’outil proposé

Nous avons pu voir que l’apport d’une nouvelle méthodologie de construction et d’évaluation des projets d’innovation remettait en question certains usages établis dans l’entreprise. En effet, dans une entreprise aussi grande et historique que Renault, de nombreux outils et méthodes ont été développés par le passé pour remplir des fonctions

Page 41: Construction et évaluation des projets d’innovation Le cas de … Renault.pdf · 2017. 10. 31. · pare-brise, propulsion électrique, système de navigation, suspensions dynamiques,

41

similaires, et il est évident que la méthodologie proposée ne sera pas la dernière. Il est donc important de s’interroger sur la manière d’intégrer et de faire survivre un nouvel outil au sein de l’écosystème des méthodes utilisées dans l’entreprise. Cette tâche est d’autant plus complexe que les attentes et les enjeux des futurs utilisateurs vis-à-vis de cet outil sont très variés, et qu’elles peuvent parfois s’avérer contradictoires. De la même manière, il peut être intéressant de réfléchir au rôle que doit jouer l’intervenant-chercheur dans une telle mission. Intégré à l’entreprise pendant une durée relativement longue par rapport à un simple consultant ou stagiaire, mais plutôt courte par rapport à un employé, sa position est parfois délicate à définir.

2.3.1. Rôle de l’intervenant-chercheur

2.3.1.1. Position dans l’entreprise

Compte tenu de la durée de notre mission (18 mois), notre position était à cheval entre celle d’un consultant et celle d’un acteur projet. Nous étions initialement perçus comme des intervenants extérieurs à l’entreprise, mais cette perception a naturellement évolué après plusieurs mois passés à travailler au quotidien auprès des acteurs projet. Avec notre neutralité et la possibilité que nous avions de prendre contact avec des interlocuteurs de tous niveaux hiérarchiques, notre implication dans l’entreprise nous a permis d’en acquérir une connaissance nettement plus importante que celle qu’en aurait eue un consultant. Néanmoins, cela n’a pas été suffisant pour accroître significativement notre légitimité auprès des acteurs projet.

Consultant Intervenant-chercheur Acteurs projet

Niveau hiérarchique

Equivalent à celui des commanditaires

Equivalent à celui des commanditaires

Relativement bas

Connaissance de l’entreprise

Limitée au cadre de la mission ; peu de temps pour l’étendre au-delà

Bonne ; du temps et de la liberté pour l’enrichir

Très bonne ; parfois limitée aux directions dans/avec lesquelles les missions sont réalisées

Intérêt sur le long terme

Aucune implication dans la réussite future des projets

Faible implication dans la réussite future des projets

Implication importante dans la réussite future des projets

Perception par l’entreprise

Généralement relativement mauvaise au départ ; peu de temps pour évoluer

Evolue au fil de la mission

Bonne

Légitimité Limitée : l’entreprise a payé, donc le résultat doit être exploité

Moyenne : extérieur à l’entreprise, mais y séjournant longtemps

Très bonne : directement concernés par le projet

2.3.1.2. Evolution du rôle au fil de la mission

Point de vue « acteurs »

Point de vue « décideurs »

« sauveurs » « facilitateurs »

« sauveurs » « gentils chercheurs » « parasites » « facilitateurs »

Phase d’analyse Phase d’implémentation Phase de déploiement

Fig. 8 : Perception par l’entreprise du rôle de l’intervenant-chercheur

Page 42: Construction et évaluation des projets d’innovation Le cas de … Renault.pdf · 2017. 10. 31. · pare-brise, propulsion électrique, système de navigation, suspensions dynamiques,

42

Durant les trois phases de notre travail, la perception que l’entreprise avait de notre rôle d’intervenants-chercheurs a fortement évolué. Durant la première phase, nous avons été présentés par les commanditaires de l’outil comme des « sauveurs ». Ceux-ci nous avaient en effet introduits aux chefs de projet en leur expliquant que nous allions pouvoir leur fournir la valeur intégrale, en euros, de leurs projets, qu’ils imaginaient nécessairement supérieure à la seule estimation de marge directe. Ainsi, alors que nous ne cherchions dans un premier temps qu’à comprendre les réelles attentes de l’entreprise, nous avons dû expliquer que nous n’étions pas en mesure de chiffrer la valeur des projets, et qu’un travail de recherche était à réaliser sur la question avant de pouvoir y répondre. Bien conscients de cette difficulté d’évaluation précise des projets en amont de leur développement, les acteurs projet ont rapidement changé leur perception de notre rôle et nous ont alors considérés comme de « gentils chercheurs », tandis que leurs supérieurs continuaient à attendre des miracles de notre part. Le fait que les acteurs aient considéré que l’outil que nous implémentions ne risquait pas d’être appliqué à leurs projets dans l’immédiat – puisqu’ils ne le voyaient que comme un objet de recherche académique – nous a énormément facilité la tâche : en effet, ils étaient plus favorables à nous aider pour un projet académique que pour un outil qui puisse impliquer un changement dans leurs habitudes, voire se transformer en outil d’évaluation et de notation de leur travail. Ainsi, dès lors que l’outil a été opérationnel et prêt à être appliqué à leurs projets, les chefs de projet nous ont perçus comme des « parasites » et ont dans un premier temps refusé que l’outil soit utilisé sur leurs projets, principalement par refus d’un nouvel outil, ou par peur que les résultats soient mal utilisés par la suite (contraintes supplémentaires, sanction des personnes en charge des projets mal notés, …). Nous avons donc dû identifier les chefs de projet les moins réticents pour démarrer avec eux la phase de déploiement. Ceux-ci ont alors vu concrètement l’utilité que l’outil pouvait avoir pour leur travail, et ont pu retourner un avis positif auprès des autres chefs de projet. Par contagion, les plus réticents ont fini par accepter de tester l’outil lors de réunions de valorisation, et se sont finalement montrés plus favorables à son utilisation. Au fur et à mesure de l’arrivée des résultats, décideurs et acteurs ont donc fini par nous considérer comme des « facilitateurs » : l’outil s’est en effet révélé comme un support de débat favorisant le rassemblement des différentes directions au sein des réunions de valorisation, aidant ainsi à la construction des projets et au reporting sur leurs conditions de valeur.

2.3.2. Rôle de l’outil

Fig. 9 : Evolution des deux dimensions de l'outil

Phase d’analyse Phase d’implémentation Phase de déploiement

Aide à la décision

Aide au pilotage

Page 43: Construction et évaluation des projets d’innovation Le cas de … Renault.pdf · 2017. 10. 31. · pare-brise, propulsion électrique, système de navigation, suspensions dynamiques,

43

De la même manière, la définition du rôle que devait prendre l’outil a fortement évolué au fil des différentes phases de notre travail. Si, au départ, la demande d’un outil d’aide à la décision semblait claire, il s’est avéré que tous les acteurs n’en avaient pas la même attente, et que chacun avait sa propre idée de ce à quoi devait ressembler un outil de valorisation des projets. La demande initiale était donc de construire un thermomètre à planter dans les innovations pour en déterminer l’impact économique total pour l’entreprise, c'est-à-dire un outil permettant d’aider à rationaliser les décisions « Go / No Go ». C’est dans ce but que nous avons proposé une matrice d’évaluation des projets selon six axes de valeur (3.1.3). Cependant, il s’est avéré qu’une nouvelle méthode d’évaluation appelait une remise en question de la logique de construction des projets. En effet, les indicateurs introduits viennent impacter les habitudes de travail préexistantes (Boussard 2001, Meyssonnier & Pourtier 2005). Les acteurs projet doivent ainsi adapter le pilotage des innovations pour pouvoir répondre aux nouveaux critères proposés. Cela nous a amené à repenser le rôle de l’outil pour lui ajouter une dimension d’aide au pilotage, en plus de l’aide à la décision envisagée au départ (3.2.3). De même que les critères d’évaluation envisagés pour l’aide à la décision ont aidé à orienter le pilotage des projets, il s’est ensuite avéré que l’aide au pilotage proposée simplifiait naturellement la prise de décision. Les deux dimensions de l’outil sont donc intimement liées, et celui-ci remplit finalement un double rôle. Cependant, le regard que portent acteurs et décideurs sur ses deux dimensions est fondamentalement différent, comme illustré dans le tableau suivant.

Aide au pilotage Aide à la décision

Acteurs

Perception positive - Facilitation du rassemblement de

tous les interlocuteurs du projet - Vérification que toutes les

conditions de valeur ont été explicitées par l’équipe

- Mise en évidence de l’impact des choix effectués

- Explicitation des arbitrages à réaliser

Perception très négative - Risque d’utilisation des données de

sortie de l’outil comme critères de sanction

- Ajout de contraintes - Illégitimité de l’outil par rapport aux

avis des membres de l’entreprise ayant plus d’expérience

Décideurs

Perception neutre - Base de dialogue commune entre

les directions, facilitant les interactions

Perception positive - Synthèse des conditions de valeur

de chaque projet - Homogénéité des critères

d’évaluation des projets - Visibilité des interrogations qui ont

structuré le projet et des leviers d’action restants

Tab. 3 : Perception des acteurs et des décideurs sur les deux dimensions de l'outil

Ainsi, lorsque nous avions à présenter l’outil, nous devions adapter notre discours à nos interlocuteurs : pour les acteurs projet, nous devions insister sur la dimension d’aide au pilotage tout en les rassurant sur l’aide à la décision ; pour les décideurs, nous devions les convaincre que l’aide au pilotage permettait de mieux construire les projets et donc de faciliter la prise de décision. De la même manière, la perception des membres de la direction de l’innovation est différente de celle des directions du marketing, de l’ingénierie, du commerce, etc., chacun y

Page 44: Construction et évaluation des projets d’innovation Le cas de … Renault.pdf · 2017. 10. 31. · pare-brise, propulsion électrique, système de navigation, suspensions dynamiques,

44

ayant des intérêts différents. Nous devions également adapter notre discours en fonction de l’origine de nos interlocuteurs. Notre première phase d’analyse était donc particulièrement importante pour nous permettre de prendre connaissance du point de vue de chaque acteur et décideur, et d’en déduire une première définition de l’outil correspondant au mieux à tous ces points de vue. Durant notre phase d’implémentation, chacun des interlocuteurs que nous rencontrions individuellement en boucle fermée nous a ensuite conduit à repenser cette définition. Enfin, en réunissant l’ensemble des directions au cours de la phase de déploiement, nous avons pu converger vers une version faisant consensus. Cependant, chacun des utilisateurs continue d’interpréter le rôle de l’outil d’une façon différente, en fonction de leur niveau hiérarchique et de leur direction.

2.3.3. Intégration et survie de l’outil

Fig. 10 : La place de l’outil créé dans l’écosystème de l’entreprise.

a) Divers critères, outils et méthodes préexistent dans l’entreprise ;

b) L’outil créé en intègre les principales dimensions et en forme un tout cohérent ;

c) L’outil s’intègre dans l’écosystème des méthodes de l’entreprise

Le besoin d’évaluer les projets d’innovation n’est pas nouveau dans l’entreprise : chaque direction impliquée dispose déjà de son propre jeu de critères et de ses propres méthodes pour déterminer si les innovations sont conformes à leurs attentes. Il peut s’agir d’une mesure de la cohérence à l’image de marque (Marketing stratégique), d’une analyse purement économique (Contrôle de Gestion), d’une évaluation de la qualité technique de la prestation (Ingénierie), d’une anticipation du potentiel sur le marché (Commerce et Marketing opérationnel), etc. De la même manière, dans chacune de ces directions, des études académiques ont pu être réalisées, et avoir bénéficié de retours plus ou moins positifs de la part des acteurs ayant collaboré. Il convient donc de tenir compte de tout cet écosystème de critères et de méthodes préexistant dans l’entreprise.

2.3.3.1. Cohabitation ou transition ?

Il y a ainsi une forte ambigüité à lever au cours de la création d’un nouvel outil : crée-t-on « un outil de plus » ou « plusieurs outils de moins » ? En d’autres termes, est-ce que le nouvel outil doit se démarquer des précédents, ou au contraire en faire une synthèse en éliminant les redondances et en s’enrichissant des complémentarités ? La question n’est pas si triviale qu’il y paraît. Dans la mesure où un nouvel outil à été commandé, cela sous-entend notamment que les autres n’étaient pas assez performants pour remplir leur fonction. Il convient donc d’essayer de s’en démarquer afin d’éviter que l’outil créé ne soit perçu comme trop similaire, et donc jugé comme inutile. En revanche, ne pas tenir compte de l’existant serait encore moins bien perçu, dans le sens où les utilisateurs n’y trouveraient pas de continuité avec les travaux réalisés auparavant et risqueraient de se bloquer face à la nouveauté. Durant tout le processus de construction, nous avons ainsi navigué entre ces deux dimensions. L’outil que nous avons proposé, une fois terminé, intégrait clairement les

a) b) c)

Page 45: Construction et évaluation des projets d’innovation Le cas de … Renault.pdf · 2017. 10. 31. · pare-brise, propulsion électrique, système de navigation, suspensions dynamiques,

45

méthodes précédentes, mais sous une forme nouvelle. Au moment de déployer l’outil, il a alors fallu s’interroger sur sa cohabitation avec ces méthodes. Dans les faits, le choix d’une cohabitation (« un outil de plus ») ou d’une transition (« plusieurs outils de moins ») a énormément dépendu des utilisateurs. Certains acteurs ont d’emblée refusé la redondance et ont accepté de fournir un petit effort d’adaptation pour n’utiliser presque que le nouvel outil ; d’autres ont préféré conserver leurs usages et ne pas se séparer de leurs précédentes méthodes, mais ont accepté d’utiliser le nouvel outil en plus des précédents lorsque leurs supérieurs les y ont invités.

2.3.3.2. Survie

Compte tenu du nombre de méthodes existantes et régulièrement ajoutées dans l’entreprise, la question de l’adhésion des acteurs n’est qu’une première étape. Un autre enjeu majeur concerne la survie de l’outil au sein d’un tel écosystème. Pour maximiser les chances que la méthodologie mise en place continue à être utilisée après notre départ, nous avons cherché à la rendre aussi cohérente que possible avec d’autres méthodes et d’autres processus utilisés plus en amont ou plus en aval du pilotage des innovations. Nous avons ainsi identifié des activités n’ayant pas directement besoin d’un tel outil, mais qui pouvaient tirer parti des ses résultats (intégration des prestations dans les véhicules, développement des projets, pré-évaluation des idées issues de séances de créativité, etc.). En veillant à la cohérence des critères d’évaluation et des données d’entrée et sortie de notre outil avec ces activités, nous avons pu l’intégrer aux différents processus de l’entreprise, rendre ses résultats plus pertinents aux yeux des acteurs extérieurs aux projets, et donc son utilisation plus pérenne. Cependant, l’évolution rapide des besoins de l’entreprise et des méthodes employées peut influencer fortement la survie de l’outil. Ces risques se sont notamment illustrés au milieu de notre mission par un conflit d’intérêts avec l’étude Marketability. Lorsque nous avions rencontré les directeurs responsables de cette étude durant notre phase d’analyse, ils nous avaient expliqué qu’aucune application concrète n’allait en découler dans l’immédiat, et nous avaient fait part de leur satisfaction que les résultats de leur étude puissent être intégrés dans notre outil pour être ensuite déployés plus largement dans l’entreprise et être utilisés. Quelques mois plus tard, alors que notre outil n’était pas encore opérationnel, un besoin d’une méthode d’évaluation des projets d’innovation s’est fait ressentir de façon plus pressante. La grille de cotation issue de l’étude Marketability restait disponible sur étagère, et des directeurs ont donc décidé de la mettre en application, en parallèle de notre travail. L’utilisation qui en était prévue différait légèrement de ce que visait notre outil, néanmoins, le groupe de travail qui avait réalisé l’étude précédente a commencé à critiquer nos travaux, les jugeant redondants avec leur étude. Durant les derniers mois de notre mission, les deux méthodes cohabitaient encore : notre outil était utilisé par les acteurs projet pour la construction des prestations en amont du jalonnement des projets d’innovation ; la grille de cotation Marketability était utilisée par un comité de directeurs transversaux à l’entreprise, sans liens directs avec les projets, pour donner un avis sur leur avancement à la fin de ce jalonnement. Cependant, certains chefs de projets et certains directeurs semblaient gênés par cette dualité et auraient préféré ne garder qu’un seul outil. Après notre départ, il est donc possible que les deux méthodes fusionnent, ou que l’une finisse par cannibaliser l’autre. Cela montre bien à quel point l’ensemble des outils utilisés dans l’entreprise est un écosystème dynamique, et souligne l’importance de la bonne intégration des nouveaux outils dans cet écosystème. Pour assurer la pérennisation de l’utilisation de cet outil, deux éléments présentés en partie 1.1.2 paraissent particulièrement indispensables :

Page 46: Construction et évaluation des projets d’innovation Le cas de … Renault.pdf · 2017. 10. 31. · pare-brise, propulsion électrique, système de navigation, suspensions dynamiques,

46

- Les résultats délivrables par l’outil doivent être officialisés dans les instances décisionnaires. Cela permet d’inciter les différents acteurs à utiliser la méthodologie en donnant du poids aux résultats qu’ils fourniront.

- Une personne influente dans l’entreprise doit se porter garant de l’utilisation de l’outil au sein des directions de l’innovation. Un tel travail d’évangélisation permet de s’assurer d’une part que l’opinion globale que porte l’entreprise sur l’outil est positive, et d’autre part que la méthodologie ne tombe pas dans l’oubli au milieu de l’écosystème existant.

Page 47: Construction et évaluation des projets d’innovation Le cas de … Renault.pdf · 2017. 10. 31. · pare-brise, propulsion électrique, système de navigation, suspensions dynamiques,

47

3 L’outil de construction et d’évaluation des projets

« Pour ce qui est de l’avenir, il ne s’agit pas de le prévoir, mais de le rendre possible. »

Antoine de Saint-Exupéry

Cette partie détaille les deux principes fondateurs de l’outil que nous avons mis en place chez Renault : la valorisation intégrale des projets d’innovation, et l’organisation collective du pilotage. Elle présente également la manière dont ces principes ont été implémentés.

3.1. Valorisation intégrale

“Due to their proactive nature, R&D projects are sometimes hard to evaluate. It is often the case that information required for the evaluation is actually revealed gradually during the project, and at the beginning of the development opportunity there are no cash flow estimates available that would either justify or invalidate the evaluation of the project.” (Carlsson & al., 2007, p94) Chaque projet d’innovation réussi rapporte de la valeur à l’entreprise par un biais différent : un renforcement d’image de marque, une augmentation des marges sur les modèles équipés, une capitalisation de connaissances utiles pour des projets ultérieurs, etc. Cependant, il est extrêmement difficile pour les acteurs impliqués dans un projet d’évaluer quel sera leur apport exact dès les prémisses de la conception.

3.1.1. Quelques exemples de projets…

A travers trois cas de projets d’innovations chez Renault, nous allons mettre en évidence certains facteurs clés de succès ou de difficulté qui peuvent accroître ou diminuer la performance des activités innovantes dans l’entreprise.

3.1.1.1. Navigation For All

Fig. 11 : Navigation Carminat-TomTom

Le projet Navigation For All (NFA) a été lancé au début de l’année 2006. Son but était de proposer aux clients un système GPS intégré aux véhicules de la gamme Renault pour un prix nettement inférieur à celui pratiqué à l’époque.

Fig. 12 : Prix des navigations portables versus prix des navigations

intégrées aux véhicules en 2006

Page 48: Construction et évaluation des projets d’innovation Le cas de … Renault.pdf · 2017. 10. 31. · pare-brise, propulsion électrique, système de navigation, suspensions dynamiques,

48

A l’époque, le marché du GPS portable est en pleine explosion. En 2006, 16,8 millions de navigations portables sont vendues dans le monde et ce nombre atteint 39 millions en 20071. Les navigations portables disposent d’un avantage certain sur les navigations intégrées aux véhicules : leur prix. Cet écart de prix est représenté ci-contre. Cela explique pourquoi, en 2006, les navigations intégrées ne représentent que 37% du marché2. Il s’agissait alors d’un équipement élitiste qui descendait peu en gamme. Les volumes réalisés étaient faibles et les constructeurs réalisaient un fort profit marginal. Renault a été le premier constructeur à proposer des véhicules équipés de navigations au début des années 1990. A la fin de l’année 2005, le futur chef du projet Navigation For All prend son poste à la tête de l’équipe de développement du système de navigation Renault. Il succède à un manager peu innovant mais sa nouvelle équipe dispose d’excellentes compétences. Ils décident alors de casser les prix des navigations intégrées pour se rapprocher de ceux pratiqués sur le marché des GPS grand public. Le chef de projet obtient rapidement l’accord de principe du responsable commercial en charge des systèmes de navigation. Celui-ci l’autorise à explorer de possibles accords avec les acteurs du marché des GPS grand public pour les intégrer aux véhicules Renault. Par un concours de circonstances, un responsable de l’entreprise TomTom entre en contact avec un collègue du chef de projet qui les met en relation en juin 2006. Les supérieurs hiérarchiques du chef de projet sont contre le projet NFA qui ne correspond pas aux objectifs de son poste. L’ensemble de l’équipe travaillera dès lors sur le projet NFA en parallèle de leurs missions officielles et ce sans le moindre budget. Ils mettent au point un processus d’évaluation des systèmes de GPS pour comparer la performance de solutions grand public avec les solutions intégrées développées par Renault. Cette étude est réalisée avec du matériel prêté gratuitement par un grand nombre de constructeurs contactés officieusement par l’équipe sans la moindre contractualisation. Les résultats de l’étude mettent en évidence certains points sur lesquels les constructeurs grand public peuvent progresser. Le chef de projet les leur communique. En février 2007, une demande d’information est officiellement lancée. Les constructeurs qui se sont prêtés au jeu ont eu le temps de modifier leurs produits pour y répondre au mieux. Un démonstrateur est présenté au Comité Exécutif du Groupe Renault qui est enthousiasmé, tant par le projet que par la motivation de l’équipe. C’est alors que le chef de projet est mis en relation avec le directeur de la toute récente DREAM (Direction de la Recherche, des Etudes Avancées et des Matériaux, dont le but est de développer des projets innovants). Il se trouve qu’un des projets de la DREAM à ce moment-là vise à intégrer de nouvelles fonctionnalités aux systèmes de navigation Renault. Or, ces fonctionnalités sont déjà intégrées aux navigations TomTom. La décision est donc prise d’allouer les ressources de ce projet au projet NFA. Les supérieurs hiérarchiques du chef de projet, satisfaits par cette allocation de ressources, deviennent alors favorables au projet NFA. Le 27 mai 2007, le projet est présenté officiellement aux hautes autorités de Renault et le Directeur Général Délégué aux Opérations fait en sorte que NFA soit intégré au Renault Scénic III dont le développement était pourtant déjà bien avancé. Le 3 octobre 2007, TomTom est sélectionné comme fournisseur. Grâce à ce projet, les coûts de développement et de fabrication ont été sensiblement réduits et les volumes de ventes de navigations ont été multipliés par 7 et, en 2011, 50% des

1 Source : Canalys, http://www.canalys.com/newsroom/taiwan-centre-booming-satellite-navigation-

industry-says-canalys 2 Source : La Référence des Equipements Multimédias - GfK/Médiamétrie

Page 49: Construction et évaluation des projets d’innovation Le cas de … Renault.pdf · 2017. 10. 31. · pare-brise, propulsion électrique, système de navigation, suspensions dynamiques,

49

véhicules vendus par Renault sont équipés d’une navigation Carminat TomTom. Au total, plus d’un million d’exemplaires ont aujourd’hui été vendus et il s’agit encore du système de navigation intégré le plus abordable du marché.

3.1.1.2. Lève-vitre électrique

Le lève-vitre électrique est une innovation qui a eu beaucoup de mal à s’imposer chez Renault et que l’on retrouve pourtant aujourd’hui en base sur une grande partie de la gamme du constructeur. La réticence initiale de la Direction du Produit (qui est l’appellation de ce qu’on désigne communément par direction du marketing stratégique) était due au faible intérêt que cette innovation semblait présenter. Chacun était convaincu que peu de gens seraient prêts à payer plus cher pour avoir des vitres électriques plutôt que manuelles et il semblait donc normal de ne proposer cette prestation qu’en option sur certains véhicules haut de gamme. Aujourd’hui, le succès de ce qui ne devait être qu’une

option a été tel que la quasi-totalité des véhicules de la gamme sont équipés de lève-vitres électriques en base. Si le lancement de cette prestation a été aussi difficile, c’est bien parce qu’elle semblait n’apporter aucune valeur du point de vue du client tout en ayant un coût non négligeable. Aujourd’hui, le supplément de prix de revient d’un vitrage électrique par rapport à un vitrage manuel est d’environ 20 euros par vitre. Ce coût n’inclut pas les coûts de développement mais uniquement les coûts de fabrication. Si on se replace aux environs de 1990, à l’époque où il s’agissait d’une prestation innovante pour des véhicules grand public, ce surcoût était environ quatre fois plus élevé. Au total, en ne prenant pas en compte les coûts de développement, la décision d’équiper un véhicule de 4 vitres électriques induisait un surcoût de plus de 300 euros sur le véhicule. Il s’agit d’une somme très importante, surtout lorsqu’on pense que le client n’est pas prêt à payer pour cette prestation. La valeur de cette prestation aux yeux du client n’était pas encore mise en évidence. Plus exactement, a priori, très peu de clients étaient intéressés par cette prestation puisque le fait de devoir ouvrir ou fermer manuellement leurs vitres ne leur posait pas de problème. Mais avec le temps, ce geste qui semblait si naturel est apparu comme superflu et les automobilistes ont massivement adopté le lève-vitre électrique. On est donc progressivement passé d’une situation où l’innovation, pour un coût élevé, présentait une valeur quasiment nulle à une situation où la majorité des clients ne pouvaient plus s’en passer. L’évolution de la connaissance dont disposait l’entreprise sur la valeur de cette prestation lui a permis de s’engager massivement. Cette évolution du marché semblait difficile à détecter en amont alors qu’elle paraît, a posteriori, évidente.

0

20

40

60

80

100

1990 1995 2000 2005 2010 2015

Temps

Sucr

t en

Fig. 14 : Evolution du surcoût unitaire

d’un vitrage électrique

Fig. 13 : Système de commande

d’un lève-vitre électrique.

Page 50: Construction et évaluation des projets d’innovation Le cas de … Renault.pdf · 2017. 10. 31. · pare-brise, propulsion électrique, système de navigation, suspensions dynamiques,

50

3.1.1.3. Le projet BetterWave

Le projet dont il est question dans ce paragraphe est un projet fictif inspiré d’un cas réel.

Nous avons pu observer le déroulement du projet BetterWave visant à proposer une prestation comparable à celle de systèmes équivalents existant à domicile pour un coût très proche des systèmes proposés en entrée de gamme par Renault. Voici un historique du déroulement de ce projet BetterWave, aujourd’hui arrêté. Peu de temps après le lancement du projet BetterWave, l’enthousiasme de l’équipe dédiée se propage à la direction marketing qui se réjouit de voir un projet améliorer sensiblement les prestations pour un coût à peine supérieur à l’existant. BetterWave se concrétise rapidement en un démonstrateur convaincant réalisé par le chef de projet et une équipe restreinte. Puis, le projet progressant, des ressources de développement plus importantes sont requises. Des ressources du bureau d’étude dédié à ce type de prestations lui sont alors allouées. La réaction de ce bureau d’étude est très hostile. Les membres de ce bureau d’étude refusent d’admettre que BetterWave est plus performant que ce qui est déjà proposé sur la gamme. De l’avis du chef de projet, cette hostilité serait due au fait que ce bureau d’étude n’ait pas été intégré plus tôt dans le projet. Selon lui, les spécifications que le bureau d’étude a fournies étaient faussées dans le but d’annoncer un coût élevé et de nuire au bilan économique de BetterWave. Par ailleurs, une autre crainte apparaît. Ce projet d’amélioration d’une prestation existante pour un faible coût entre en concurrence avec les produits de la marque BestCurl que propose Renault sur ses véhicules haut de gamme. BestCurl est un acteur renommé pour ce type de prestations, et vend la grande majorité de ses systèmes aux particuliers pour un usage à domicile. Renault a créé un partenariat avec BestCurl il y a plusieurs années dans le but de relancer l’image de ses véhicules haut de gamme. Bien que les sièges BestCurl proposent une prestation un peu supérieure à BetterWave, leur prix de vente est sensiblement plus élevé. BetterWave risquerait donc de cannibaliser les ventes de produits BestCurl installés dans des Renault. Enfin, un problème de cohérence de la marque est mis en évidence par la direction commerciale. Cette direction est d’avis que BetterWave est un projet qui peut être très bénéfique à la marque à condition qu’il soit déployé largement sur la gamme. En effet, s’il n’est proposé que sur un véhicule de milieu de gamme, il risque d’avoir un effet négatif sur les ventes de véhicules plus haut de gamme ou au moins de paraître incohérent vis-à-vis des clients de haut de gamme qui voudraient équiper leur nouveau véhicule avec ce système.

3.1.1.4. Ce que l’on retient de ces trois cas

Comme on a pu le voir, certains projets d’innovation rencontrent un vif succès, mais celui-ci s’obtient en contournant partiellement les processus mis en place. Cela s’explique en partie par le fait que les processus sont encore plus adaptés à des projets de développement réglé, et il peut donc s’avérer nécessaire d’en sauter certaines étapes le temps de clarifier les enjeux du projet et de réduire les incertitudes. Cependant, même si cette démarche peut produire de bons résultats, elle n’est pas viable car elle reste coûteuse en temps et en énergie, et ne permet pas une rationalisation du processus d’innovation.

Fig. 15 : Comparaison du niveau de prestation et du coût

du projet BetterWave avec l’existant

Page 51: Construction et évaluation des projets d’innovation Le cas de … Renault.pdf · 2017. 10. 31. · pare-brise, propulsion électrique, système de navigation, suspensions dynamiques,

51

La valeur d’autres projets est parfois mal estimée et l’entreprise n’est pas capable de déterminer en amont s’il est nécessaire ou non de le développer. Si la persévérance du chef de projet peut permettre à certains projets de voir le jour, l’aversion au risque fait que de nombreuses innovations sont avortées très tôt à cause de ce flou qui réside sur la valeur que pourra potentiellement en tirer l’entreprise. Enfin, des projets considérés comme prometteurs par de nombreux acteurs de l’entreprise peuvent se solder par des échecs car ils sont confrontés à l’hostilité d’une minorité de personnes, qui ont les moyens ou le pouvoir d’en stopper le développement si ces projets ne correspondent pas à leurs attentes. Renault s’attèle donc depuis plusieurs années à modifier son processus d’innovation pour le rendre plus rationnel, afin de palier au mieux aux problèmes rencontrés dans ces trois situations : suivre les projets de manière homogène, évaluer leur valeur entreprise aussi en amont que possible et de façon aussi fiable que possible, et obtenir l’adhésion de toutes les entités de l’entreprise impliquées dans l’innovation. Pour cela, il est nécessaire de mettre en place des outils de pilotage et d’évaluation des projets. Afin de tenir compte au mieux de la diversité des projets et des attentes des acteurs qui participent à leur construction, ces outils doivent être capables d’évaluer l’ensemble des aspects de la valeur entreprise, qu’ils soient économiques (voir partie 1.3.3) ou stratégiques (1.3.4). Cela amène ainsi à évaluer de façon analogue l’ensemble des projets d’innovation :

- les projets dont l’intérêt économique a déjà été démontré : il s’agit des projets qui s’en sortent le mieux aujourd’hui puisqu’ils correspondent aux indicateurs usuels

- les projets ayant une importance stratégique (différenciation, renforcement de l’image de marque, etc.) mais dont le bilan économique est encore incertain : c’est en particulier dans ce cas de figure que les chefs de projet sont aujourd’hui obligés de contourner les processus, en attendant que le bilan économique puisse être consolidé

- les projets où les incertitudes restent importantes à tous les niveaux, et dont la réussite dépend étroitement de l’évolution du marché (concurrence, attentes des clients, mécanismes d’adoption du produit)

Dans les deux derniers cas, l’utilisation des seuls indicateurs économiques (VAN, ratio Valeur/Coût, …) nuit énormément aux projets ; dans les trois cas, l’utilisation d’un seul critère d’évaluation à la fois peut également être néfaste. Il apparaît donc important de regrouper l’ensemble des critères utilisés et reconnus dans l’entreprise afin d’évaluer de façon globale la valeur entreprise.

3.1.2. D’une multitude de valeurs vers une « valeur entreprise » commune

A notre arrivée dans l’entreprise, peu d’indicateurs étaient disponibles pour donner une vision aux décideurs sur les enjeux des différents projets. Les innovations étaient principalement évaluées sur la base de deux critères économiques : VAN et ratio Valeur/Coût. La majorité des personnes que nous avons interrogées s’accordait sur le fait que de tels critères étaient inadaptés pour évaluer des projets amont, principalement en raison des fortes incertitudes qui y sont liées. En outre, comme nous avons pu le voir en 3.1.1, chacune des entités de l’entreprise impliquées dans les projets d’innovation utilisait ses propres critères de valeur pour évaluer et hiérarchiser les différents projets, en fonction de leurs attentes spécifiques. Les méthodes disponibles pour l’évaluation des projets sont donc soit largement diffusées mais inadaptées en contexte d’innovation, soit capables de mettre en avant des aspects stratégiques mais non utilisables par un nombre suffisant d’acteurs. Il apparaît donc nécessaire de proposer une méthode qui puisse à la fois répondre aux attentes de toutes les entités de l’entreprise concernées par l’innovation et prendre en compte la valeur entreprise des projets dans sa globalité.

Page 52: Construction et évaluation des projets d’innovation Le cas de … Renault.pdf · 2017. 10. 31. · pare-brise, propulsion électrique, système de navigation, suspensions dynamiques,

52

Deux travaux que nous avions recensés répondaient à cette problématique et jouissaient d’une image relativement positive :

- L’étude « Full Value » (Maniak, 2010) analysant a posteriori l’apport total qu’a eu pour l’entreprise une prestation lancée en 2007, non seulement sur la dimension économique, mais également selon six autres axes de valeur.

- Le rapport de thèse « Performance de la R&D en rupture et des stratégies d’innovation - Organisation, pilotage et modèle d’adhésion » (Hooge, 2010), proposant pour l’aide à la décision une grille d’évaluation des projets selon huit axes de valorisation traduisant leurs différentes forces et faiblesses.

Ces deux travaux et les retours dont ils ont bénéficié soulignent bien la nécessité d’une valorisation intégrale des projets, c'est-à-dire ne se limitant plus aux simples critères économiques. En effet, « l’innovation [donnant lieu] très spécifiquement à une production foisonnante de connaissances et à des spécifications multiples de la valeur selon une dynamique de déploiement stratégique de scénarios divergents » (Hatchuel, Lemasson et Weil, 2001, p.5), il importe de prendre en compte dans la valeur entreprise des aspects tels que les connaissances capitalisées, l’apport à l’image de marque, l’impact commercial, etc. De plus, ainsi que nous avons pu voir dans la partie 1.2, de telles méthodes d’évaluation stratégique des projets sont à privilégier en situation d’innovation : même si leurs résultats restent qualitatifs, ils permettent de mieux traiter les différentes incertitudes inhérentes aux projets et de mettre en avant des sources de valeur non traitées par les méthodes économiques. Les critères pris en compte doivent de préférence représenter l’ensemble des attentes des différentes parties prenantes à la construction des projets d’innovation. Ces axes stratégiques peuvent ainsi servir de base de discussion et de support de débat à un groupe de réflexion transversal, afin d’identifier les principaux enjeux auxquels répondent les projets. Les deux travaux cités ci-dessus n’étant pas ou plus utilisés dans l’entreprise, la méthode que nous avons conçue et diffusée en a repris les grands principes et les a enrichis en prenant en compte le contexte de l’entreprise et les attentes de ses différents acteurs au moment présent.

3.1.3. Concrétisation opérationnelle : 6 axes de valorisation

Un des principaux buts de l’étude étant d’enrichir les outils économiques utilisés pour les adapter à une situation de conception innovante, nous avons pris pour base les différentes méthodologies recensées (voir 2.2.2), et avons cherché à les regrouper en prenant en compte leurs complémentarités et leurs redondances. Cela nous a conduits à proposer une valorisation intégrale des projets selon six axes.

3.1.3.1. Positionnement sur le marché

Ce premier axe correspond aux attentes de la direction du Marketing stratégique, qui reprochait à certaines innovations lancées précédemment d’être trop technologiques et de ne pas correspondre à un marché potentiel. Il regroupe les critères « Positionnement différenciant » et « Réponse à un besoin client non satisfait » de l’étude Marketability ainsi que l’axe « Conquête de nouveaux clients » de l’étude Full Value. En effet, ces trois critères traduisent l’apport d’une nouveauté sur le marché, et sont relativement corrélés : une prestation répondant à un besoin non satisfait est généralement différenciante et peut permettre d’attirer de nouveaux clients ; une prestation qui serait nouvelle mais sans répondre à un réel besoin du client (exprimé ou latent) n’aurait que peu d’intérêt sur le marché.

Page 53: Construction et évaluation des projets d’innovation Le cas de … Renault.pdf · 2017. 10. 31. · pare-brise, propulsion électrique, système de navigation, suspensions dynamiques,

53

Cet axe invite ainsi le groupe de réflexion à se poser des questions telles que : Comment se positionne la prestation par rapport à la concurrence ? Quels sont les marchés visés, et l’intérêt de ces marchés pour ce type de prestation ? Quels risques et enjeux ces marchés comportent-ils ? Une prestation telle que l’afficheur tête haute illustre bien l’importance de cet axe de valeur. Renault avait commencé à en esquisser un projet dès 2005. Un des principaux arguments en faveur de ce projet était son caractère très différenciant, puisqu’aucun autre constructeur n’en proposait sur le marché à cette époque. En revanche, le manque de connaissance des attentes réelles de ce marché et du consentement à payer des clients pour une telle prestation était perçu comme un risque, ce qui a fortement freiné l’avancement du projet. En 2011, le marché avait déjà fortement évolué : des concurrents proposaient l’afficheur tête haute dans certains de leurs véhicules. Pour Renault, la valeur n’était donc plus à regarder dans la différenciation ou dans l’aspect innovant, mais plutôt dans le fait que les risques étaient à présent maîtrisés, le marché étant plus clairement identifié et dimensionné.

3.1.3.2. Cohérence et apport à l’image de marque

Cet axe s’inscrit dans une dynamique présente dans l’ensemble des directions visant à renforcer la définition de l’image de marque et d’y faire correspondre au mieux les produits développés. Il reprend ainsi les axes correspondant à ce critère dans les études recensées, en s’inspirant plus particulièrement de l’étude Brand Identity. Par rapport à Full Value, le cas de prestations permettant de renforcer l’image d’un unique véhicule étant relativement peu fréquent, les dimensions « contribution à l’image de marque » et « contribution à l’image du

modèle » ont été regroupées par souci de simplification. Chez Renault, la prestation « Navigation for All » répond parfaitement à cet axe de valeur. Elle s’inscrit en effet dans la stratégie définie par la marque visant à être « accessible à tous », puisqu’elle propose à un prix abordable une prestation qui était jusqu’alors réservée à une clientèle haut de gamme.

3.1.3.3. Vendabilité

Cet axe est tiré par une volonté des directions du Marketing et du Commerce de pouvoir construire le discours commercial et la stratégie de vente en même temps que les prestations, notamment afin d’éviter d’embarquer des systèmes que la communication et les vendeurs ne sauront pas présenter de manière idoine. Il correspond principalement au critère éponyme de l’étude Marketability, tout en reprenant les préoccupations de l’axe « communication » de la thèse sur le pilotage par la valeur. Il amène ainsi le groupe de réflexion à s’interroger sur les moyens à mettre en œuvre pour rendre la prestation attractive vis-à-vis des clients, et pour la mettre en scène en concession et dans le réseau commercial.

Page 54: Construction et évaluation des projets d’innovation Le cas de … Renault.pdf · 2017. 10. 31. · pare-brise, propulsion électrique, système de navigation, suspensions dynamiques,

54

Sur le projet « 4 Roues Directrices », deux scénarii avaient été envisagés : soit la prestation visait une clientèle urbaine, et dans ce cas le discours devait s’axer sur l’amélioration de la manœuvrabilité des véhicules équipés ; soit elle visait une clientèle sportive, et alors l’accent devait être mis sur les performances dynamiques accrues. Dans un cas comme dans l’autre, on remarque que la réflexion porte non seulement sur des éléments relevant de l’aval (discours commercial, mise en scène en concession, etc.), mais qu’elle oriente également des décisions amont : véhicules et clients ciblés, intégration dans les véhicules et association éventuelle avec d’autres prestations, etc.

3.1.3.4. Capacité technique « time to market »

Cet axe correspond plus à une limitation de la non-valeur des projets du point de vue de l’ingénierie, en évaluant la capacité de l’entreprise à les réaliser dans des délais acceptables. En effet, un projet à fort enjeu commercial mais difficile à réaliser conformément au cahier des charges imposé peut appeler divers compromis sur les solutions retenues. Par rapport à la thèse sur le pilotage par la valeur, cela correspond au contenu des axes « Contribution en Qualité Coûts Délai et performance interne », « Propriété et risques industriels » (en ce qui concerne l’accessibilité des technologies), « Ressources et Compétences » et « Coopérations externes ». Leur regroupement se justifie par le fait que ces quatre dimensions correspondent à une valeur pour l’ingénierie, c'est-à-dire à la capacité de réaliser la prestation. Il convient donc de s’interroger sur les solutions technologiques à retenir, les partenariats éventuels à développer, etc. Le cas des prestations traitant de l’hypovigilance est particulièrement intéressant pour illustrer cet axe. En effet, nombre de constructeurs, tels que Renault, travaillent sur des solutions relativement avancées, permettant de détecter l’état de vigilance du conducteur et d’adapter la conduite et les informations transmises en fonction de celui-ci. Pendant ce temps, Mercedes a créé un buzz en proposant une prestation techniquement très simple et aux fonctionnalités beaucoup plus limitées que ce que préparait la concurrence. Etant les premiers à être capables de mettre la prestation sur le marché, cela leur a permis de bénéficier de son caractère différenciant, et de commencer à faire parler de la fonction même si celle-ci n’est pas encore proposée sous une forme avancée. Cela souligne ainsi l’importance des choix technologiques pour pouvoir répondre au mieux aux objectifs de coût et de délais définis au travers des axes précédents.

3.1.3.5. Transversabilité et Capitalisation

Cet axe est guidé en partie par les attentes formulées dans l’entreprise et par la littérature. Il vise d’une part à amener les acteurs à s’interroger sur la possibilité de transversaliser les prestations à l’ensemble de la gamme ou de les déployer sur d’autres zones géographiques, et d’autre part à envisager des moyens d’élargir le potentiel de la prestation en valorisant les diverses applications possibles des systèmes développés et de valoriser leurs retombées en matière d’apprentissages métiers. Par rapport à l’étude Full Value, cela correspond donc aux axes « Apprentissages métiers » (dans le sens où ces apprentissages pourront profiter par la suite aux véhicules suivants) et « Propriété intellectuelle (un dépôt de brevet pouvant également bénéficier au reste de la gamme). De même, l’axe s’inspire des dimensions « Transversalité et pluridisciplinarité » et « Propriété et risques industriels » de la thèse sur le Pilotage par la valeur, et du critère « Levier Pricing et taux de monte » de l’étude Marketability (pour la capacité à déployer la prestation plus largement sur la gamme ou sur les zones géographiques). Les aspects « transversalité à la gamme », « capacité à déployer

Page 55: Construction et évaluation des projets d’innovation Le cas de … Renault.pdf · 2017. 10. 31. · pare-brise, propulsion électrique, système de navigation, suspensions dynamiques,

55

géographiquement » et « synergies avec d’autres prestations » ont été regroupées dans ce même axe car ils correspondent tous à un apport sur le long terme pour d’autres applications que celle prévue initialement.

L’intérêt de cet axe s’illustre bien sur un exemple tel que la Toyota iQ, pour laquelle un réservoir plat a été développé pour permettre un gain d’espace considérable dans un véhicule de cette taille. Cette innovation est une avancée technologique intéressante, mais en revanche, les investissements matériels, humains et financiers qu’elle aura nécessités pourront difficilement profiter aux autres véhicules de la gamme tant il s’agit d’une prestation spécifique à un véhicule.

3.1.3.6. Opportunité de créer de la valeur monétaire

Ce dernier axe répond principalement à une demande des décideurs, qui ne veulent pas suivre les projets sans un minimum de connaissance de leurs données économiques. Il reprend les outils de chiffrage utilisés dans l’entreprise et les complète par une prise en compte des diverses incertitudes. Cette préoccupation se retrouve dans l’ensemble des outils utilisés dans l’entreprise plus en aval, ainsi que dans les trois méthodes qui nous ont servi de base. L’outil Synthèse Economique est utilisé tel quel dans cet axe pour le calcul de Valeur Actuelle Nette.

3.1.3.7. Mécanismes d’influence des axes de valorisation

On peut mettre en évidence l’influence de chacun des axes présentés précédemment sur la valeur d’un produit au sens monétaire. En effet, d’un point de vue purement économique, la valeur d’un produit est exprimée comme suit :

Valeur = (Prix de vente – Coût Unitaire) x Volumes – Investissements Chacun des six axes de valeur retenus influe sur l’un au moins des quatre composants de base de la valeur monétaire, et a donc un impact sur la valeur économique du point de vue de l’entreprise.

Fig. 16 : Impact des axes de valeur sur les gains monétaires de l’entreprise

Page 56: Construction et évaluation des projets d’innovation Le cas de … Renault.pdf · 2017. 10. 31. · pare-brise, propulsion électrique, système de navigation, suspensions dynamiques,

56

Chacune des flèches figure l’influence d’un axe de valeur sur une des composantes de base de la valeur monétaire.

- Positionnement sur le marché : l’impact d’un positionnement réussi sur le marché influe directement sur le prix de vente du produit et sur les volumes écoulés.

- Cohérence et apport à l’image de marque : un produit qui entraîne un gain d’image de marque permet de vendre davantage de produits à un prix plus élevés.

- Vendabilité : le volume de vente d’un produit sera d’autant plus important que celui-ci sera facile à vendre.

- Capacité technique « time to market » : la simplification d’un produit qui conduirait à le développer plus rapidement permet de mieux se positionner sur le marché en y entrant plus tôt mais aussi de réduire les coûts de développements et les coûts unitaires.

- Transversabilité et capitalisation : le fait de déployer un produit sur plusieurs véhicules de la gamme permet d’amortir plus rapidement les investissements, de réduire les coûts unitaires, et de ne pas produire plusieurs fois les mêmes connaissances.

- Opportunité de créer de la valeur monétaire : la prise en compte des incertitudes liées aux différentes composantes de la valeur monétaire permet de consolider le bilan économique final.

3.2. Construction collective

« En mettant en place un pilotage central unique pour tous les acteurs du processus, on augmente sensiblement la communication entre les différentes entités. De même les objectifs de l’innovation apparaissent plus clairement pour chaque acteur ou service du processus. La performance globale du système est améliorée par rapport à des tâches individualisées et juxtaposées. » (Bailleau, 2006, p32) Les projets d’innovation nécessitent la contribution d’acteurs ayant des compétences variées, et donc souvent des attentes différentes concernant les objectifs. Il est donc essentiel d’une part de pouvoir identifier ces différents acteurs et le rôle qu’ils doivent jouer dans la construction des projets, et d’autre part d’être capable de coordonner au mieux leurs contributions autour d’une connaissance partagée des détails du projet et d’une vision commune de ses enjeux.

3.2.1. L’innovation chez Renault

3.2.1.1. La place de l’innovation dans l’organigramme Renault

La Direction de la Recherche, des Etudes Avancées et des Matériaux (DREAM) a été créée en 2006 afin qu’il existe une direction chargée de coordonner les activités innovantes de l’entreprise. Le pilotage de ces activités innovantes est assuré par des Chefs de Projet Innovation (CPI) dépendant hiérarchiquement de la DREAM. L’ensemble des projets de la DREAM est regroupé en un plan technologique appelé [T]. Cependant, la moitié seulement des ressources consacrées à ce plan proviennent de la DREAM. L’autre moitié est principalement fournie par la Direction de l’Ingénierie Mécanique (DIM) et la Direction du Développement Ingénierie Véhicule (DDIV). La Direction de l'Amont, des Projets et des Prestations (DAPP) subvient au reste des besoins en ressources pour le plan [T]. Ce sont ces quatre directions qui regroupent les acteurs dits « Métiers » de l’entreprise. Ils composent l’axe vertical de l’organisation matricielle de Renault qui dépend hiérarchiquement de la Direction Générale Adjointe à l’Ingénierie et la Qualité (DGA-IQ). L’autre dimension de cette organisation matricielle est dite « Produit ». Elle est composée des directions de gammes véhicules à la Direction du Produit (DP) et des directions de programmes véhicules regroupés par segments. Ces segments sont les suivants :

Page 57: Construction et évaluation des projets d’innovation Le cas de … Renault.pdf · 2017. 10. 31. · pare-brise, propulsion électrique, système de navigation, suspensions dynamiques,

57

- Entry : voitures low-cost (exemple : Dacia Logan) - I : voitures de petite taille (exemple : Twingo) - M1 : voitures compactes (exemple : Mégane) - M2S : voitures familiales ou routières (exemple : Laguna)

Cet axe horizontal de l’organisation matricielle de Renault dépend de la Direction Générale Adjointe pour le Plan, le Produit et les Programmes (DGA-PPP).

Fig. 17 : Matrice Projets / Métiers des innovations au sein de l’entreprise

Si on ne considère que les pôles DDIV et DIM, cette matrice est celle de l’organisation des projets véhicules chez Renault. C’est pour cela qu’on peut qualifier de « hors cycle » (Midler 1992) les activités de la DREAM. En effet, le planning des activités d’innovation est dissocié de celui des projets véhicules jusqu’au moment de l’atterrissage des innovations dans les véhicules. Cette décorrélation est nécessaire car projets véhicules et projets d’innovation n’ont pas le même rythme de développement. Ainsi, en développant les projets d’innovation en dehors des cycles de projets véhicules, on leur assure une meilleure flexibilité.

3.2.1.2. L’organisation de l’innovation

3.2.1.2.1. Planification des projets innovants

Les projets d’innovation portant sur des produits ou services sont regroupés au sein du plan technologique appelé « plan [T] » ou « [T] » (prononcer square-Tee) et les innovations portant sur les processus composent quant à eux le plan expertise de Renault, le [Ex]. Ce dernier a pour but de réduire les temps et coûts de développement. Les projets du plan technologique sont appelés projets [T]. Le [T] est géré en trois portefeuilles thématiques distincts. Le premier concerne la Sécurité, la Vie à Bord et les Performances Dynamiques, le second, nommé Energie et Environnement, porte sur les innovations dans la chaîne de puissance des véhicules électriques et le troisième, nommé Internal Combustion Engine, regroupe les innovations liées aux moteurs thermiques (ce dernier ne dépendant pas directement de la DREAM). Enfin le [Ex] constitue un quatrième portefeuille de projets.

3.2.1.2.2. Les acteurs de l’innovation

Le développement d’un projet d’innovation nécessite l’intervention de nombreux acteurs spécifiques répartis dans différentes directions de l’entreprise. Ces acteurs et leurs fonctions sont détaillés dans le tableau suivant.

Page 58: Construction et évaluation des projets d’innovation Le cas de … Renault.pdf · 2017. 10. 31. · pare-brise, propulsion électrique, système de navigation, suspensions dynamiques,

58

Acteur Fonction

Pilote innovation

Il est hiérarchiquement rattaché à une direction métier DREAM ou bien à une entité de la Direction du Développement de l’Ingénierie Véhicule. Son rôle est de piloter le développement d’un élément technologique constitutif de l’innovation. Il dispose de l’expertise technique spécifique nécessaire à la bonne gestion de l’élément concerné.

Directeurs de programmes véhicules

Ce sont les clients du portefeuille de projets [T]. Chacun d’eux est chargé de mener à bien le développement d’un véhicule. A cette fin, ils sont demandeurs d’innovations pour augmenter l’attractivité de leurs produits. Ils sélectionnent chaque prestation ou service innovant en fonction de sa compétitivité et de sa cohérence avec les différents projets véhicule.

Direction du Développement Ingénierie Véhicule

Cette direction regroupe l’ensemble des ressources qui seront nécessaires à la phase d’industrialisation de l’innovation.

Direction du coût des ventes Au cours de l’avancement du projet, cette direction est chargée d’estimer le prix de revient de fabrication du produit fini.

Direction de l’Evaluation de la Valeur Client

Le rôle de cette direction est de fournir une évaluation monétaire de la valeur que représentera un produit pour le client lors de sa mise sur le marché. Cette évaluation ne correspond pas forcément au prix de vente qui sera pratiqué, mais à la valeur que le client serait prêt à payer pour se le procurer.

Direction du Produit

La direction du Produit intervient sur les projets d’innovation pour s’assurer qu’ils sont cohérents avec la stratégie de marque de l’entreprise ainsi qu’avec l’image du ou des véhicules ciblés par ces innovations.

Fournisseurs

Les fournisseurs peuvent jouer différents rôles dans les activités d’innovation de l’entreprise : - Conception de tout ou partie d’un démonstrateur. - Apport d’une brique technologique nécessaire au projet

d’innovation (exemple : un filtre spécial dans le cas d’un projet sur la purification de l’habitacle)

- Apport d’un objet répondant à l’objectif du projet (exemple : un afficheur tête haute) et ne nécessitant plus qu’une adaptation pour intégration à un projet véhicule.

Direction du contrôle de gestion

Son rôle est d’assurer le suivi économique du projet d’innovation.

Service partenariats public-privé

Le rôle de ce service est d’établir des partenariats de recherche avec des laboratoires publics et de bénéficier de financements publics pour certains projets.

La diversité de ces compétences et leur éparpillement dans l’entreprise rend difficile la gestion des projets d’innovation. La Direction de la Recherche, des Etudes Avancées et des Matériaux a donc été créée dans le but de coordonner l’ensemble de ces activités. Cette direction regroupe un certain nombre de Chefs de Projets d’Innovation (CPI) chargés de piloter les projets d’innovations et de coordonner les actions de l’ensemble des acteurs

Page 59: Construction et évaluation des projets d’innovation Le cas de … Renault.pdf · 2017. 10. 31. · pare-brise, propulsion électrique, système de navigation, suspensions dynamiques,

59

présentés ci-dessus. Les CPI participent aussi à la construction du plan [T] et sont chargés de favoriser l’introduction de leur projet dans la gamme de véhicules Renault. La mission du CPI est transversale par essence puisqu’il doit piloter un projet dont les acteurs travaillent dans de nombreux départements de l’entreprise.

Fig. 18 : Réseau des Chefs de Projets Innovations

Au sein de la DREAM, des équipes ont été créées pour piloter les projets des portefeuilles du [T]. Ce sont les Directions de Projets Avancés (DPA). Ces équipes sont composées d’un manager et de plusieurs CPI. Ces DPA forment la structure horizontale de la matrice présentée en Fig. 20 : Matrice Projets / Métiers de la DREAM (5.2.1.2.4). Chaque CPI est responsable de plusieurs projets du portefeuille de projets [T] auquel il est rattaché. Un projet du plan [T] peut contenir des briques technologiques qui sont des éléments ou des sous-ensembles techniques permettant d’assurer une fonction du produit final.

3.2.1.2.3. Place géographique dans l’entreprise

Fig. 19 : Plan du Technocentre de Guyancourt : répartition géographique des différents acteurs de

l’innovation

Page 60: Construction et évaluation des projets d’innovation Le cas de … Renault.pdf · 2017. 10. 31. · pare-brise, propulsion électrique, système de navigation, suspensions dynamiques,

60

Sur ce schéma de l’organisation géographique du centre de développement de Renault, on constate que les CPI sont implantés à proximité de la Direction du Produit. Ce choix souligne l’importance du rôle des CPI en tant que liens entre les technologies à la pointe et le marché de demain. Par ailleurs, le Technocentre a été construit en reprenant la cinétique de développement d’un véhicule de l’amont à l’aval, répartis de gauche à droite dans le sens de lecture du plan. Ainsi, l’intégration des CPI à proximité de la Direction du Produit montre la volonté de produire des prestations qui aient une résonnance stratégique.

3.2.1.2.4. Les directions métiers de la DREAM

La DREAM regroupe trois directions métiers dont les compétences sont mises à contribution pour mener à bien les projets d’innovation.

La DELT’A

La Direction de l’Electronique et des Technologies Avancées, créée en novembre 2010, regroupe les sept services suivants :

- Vie à bord et connectivité - Systèmes d’énergie électrique - Synthèse et contrôle commande des systèmes automobiles - Conception et ingénierie numérique - Electronique embarquée - Services et nouvelle mobilité - LAB PSA/ Renault.

A la création de cette entité de la DREAM, sa mission est définie comme suit : « aller chercher les innovations et les ruptures au carrefour de la technologie et des usages ». Le détail de sa mission est le suivant

- Eclairer Renault sur les « possibles » technologiques - Anticiper les ruptures - Explorer des pistes nouvelles - Inventer des concepts - Développer des innovations qui créent de la valeur - Accompagner l’industrialisation des innovations avec les ingénieries

de développement.

La DIMat

La Direction de l’Ingénierie des Matériaux (DIMat) a pour rôle « d’assumer l’innovation, la préconisation, la validation, l’expertise et la capitalisation pour Renault dans le domaine des matériaux. » Cette mission vise à contribuer à la maximisation de la valeur client des véhicules en assurant une sécurité, une qualité, une fiabilité, une désirabilité et un respect de l’environnement maximaux. Bien que rattachée hiérarchiquement à la DREAM, la DIMat assure une assistance technique aux bureaux d'études et aux secteurs industrialisation de la Direction de l'Ingénierie Véhicule et de la Direction de l’Ingénierie Mécanique. La DIMat centralise l’ensemble des études et développements, aussi bien en interne qu’en partenariat, de tous les matériaux et procédés nouveaux permettant de répondre aux évolutions des produits de la gamme ou bien de réduire les coûts.

La DISA

La mission de la Direction de l’Innovation et de la Synthèse Automobile (DISA), mise en place en 2007, est énoncée ainsi : « Réaliser des démonstrateurs appropriables par les entités en aval de l’entreprise. » Cette mission se décompose ainsi :

Page 61: Construction et évaluation des projets d’innovation Le cas de … Renault.pdf · 2017. 10. 31. · pare-brise, propulsion électrique, système de navigation, suspensions dynamiques,

61

- Proposer des thèmes de véhicules de synthèse, ceci en relation avec la Direction du Produit et le Design Prospective

- Assurer les études d’intégration d’innovations intrusives (en particulier les projets [T]) dans les projets véhicules hors cycle, en liaison avec les Métiers de la Direction de l’Ingénierie Véhicule

- A partir de données scientifiques ou de concepts, définir les solutions techniques, concevoir et réaliser tous types de supports physiques pour les activités de la DREAM

- Concevoir et réaliser les démonstrateurs de concepts (mission du Laboratoire Coopératif d’Innovation)

Matrice Projets / Métiers de la DREAM

Dans le cadre de chaque projet d’innovation piloté au sein des DPA, les chefs de projets sont amenés à exploiter les ressources des directions métiers de la DREAM comme schématisé ci-dessous.

Fig. 20 : Matrice Projets / Métiers de la DREAM

3.2.1.3. Vie d’un projet du plan [T]

Naissance du projet

Un projet d’innovation naît d’une concertation entre la DREAM et la Direction du Produit. Cette dernière définit l’orientation des produits de la marque vis-à-vis du marché. Dans cette concertation, la DREAM apporte un éclairage sur la faisabilité technique des propositions de projets faites par la Direction du Produit. Il s’agit d’une approche « Techno Push – Market Pull ». En effet, le plan stratégique est en fait le fruit du croisement des technologies à venir (« Techno Push ») avec l’anticipation des besoins des clients (« Market Pull »). Enfin, la définition des projets d’innovations est établie en prêtant attention aux considérations stratégiques telles que la cohérence avec l’image de marque. De cette concertation nait un ensemble de projets qui, une fois validés par le Directeur Général Adjoint Délégué aux Opérations, constituent le plan technologique de Renault.

Pilotage du projet d’innovation

Chaque projet du plan technologique est attribué à un Chef de Projet Innovation (CPI). Pendant cette phase, de nombreuses directions de l’entreprise sont impliquées dans la vie du projet. En effet, le CPI sollicite les différents métiers de l’entreprise en fonction des besoins de son projet et chacun de ces métiers intervient sur une petite partie du projet sans nécessairement avoir de vision d’ensemble. La Direction du Design Industriel est également amenée à intervenir à la demande du CPI pour proposer une étude de style du projet.

Intégration au cycle de développement

Livrables du projet

Un projet [T] a pour but de fournir aux équipes de développement de véhicules :

Page 62: Construction et évaluation des projets d’innovation Le cas de … Renault.pdf · 2017. 10. 31. · pare-brise, propulsion électrique, système de navigation, suspensions dynamiques,

62

- Un dossier de définition technique d’un produit innovant implanté sur un démonstrateur ou sur un véhicule existant dans la gamme du constructeur, une étude économique du projet et des préconisations pour le « reste à faire ».

Ou bien : - La description d’un service innovant sous forme d’un concept accompagné d’un

business model et de la description des avancées technologiques qui rendent ce business model rentable.

Exploitation de ces livrables

Sur la base des travaux réalisés en amont pendant la phase de projet [T], les équipes Métiers des directions de l’Ingénierie Véhicule adaptent ensuite les livrables aux caractéristiques physiques (architecture et contraintes liées aux pièces environnantes) et commerciales (business model envisagé) du véhicule d’application de l’innovation. Le passage du dernier jalon d’un projet au sein de la DREAM est donc un moment crucial puisque c’est à ce moment que sont transmises aux équipes métiers l’ensemble des connaissances développées pour ce projet.

Transition du projet d’innovation au projet véhicule

Arrivé à ce stade, le CPI n’a presque plus à intervenir sur le projet, si ce n’est ponctuellement en tant que support auprès des équipes de développement. Les équipes métiers de la DREAM n’interviennent plus sur le projet après une période de deux ou trois mois nécessaire à la capitalisation et la transmission des compétences nécessaires au développement. Le projet est comme au purgatoire. Il faut qu’un directeur de programme véhicule manifeste un intérêt pour le projet (normalement déjà avéré en cours de la phase de pilotage) et accepte de l’intégrer dans le véhicule qu’il a en charge, en améliorant éventuellement sa rentabilité. Le projet ne dépend alors plus du CPI mais de la Direction des Avant-projets et des directions de l’Ingénierie. Mais avant d’être adopté par un programme véhicule, le projet [T] doit faire face à un autre écueil. Les fournisseurs d’équipements sont à l’origine d’une grande partie des innovations des éléments fonctionnels qu’ils produisent. En conséquence les projets du plan [T] subissent une très forte compétition pour l’accès aux véhicules (Segrestin, 2003 ; Maniak, 2009). En effet, les directeurs de programmes véhicules étant libres dans le choix des innovations qu’ils intègrent, les innovations développées en interne doivent être en mesure de répondre aux mêmes exigences de performance économique et de fiabilité technique que les innovations proposées par les fournisseurs. Bien entendu, ce dilemme ne se pose pas dans le cas où le projet [T] ne connait pas d’équivalent chez un fournisseur partenaire de Renault. Une fois la décision prise d’intégrer le projet à un programme véhicule, il est intégré au processus de développement du véhicule. Mais une nouvelle difficulté s’oppose parfois à la bonne intégration de la prestation innovante dans ce processus. Il s’agit du « syndrome NIH » (pour Not Invented Here). Il désigne le scepticisme des équipes de développement face à une prestation qui a été inventée dans un autre service. Il arrive alors que l’ensemble des choix de conception qui ont été pris durant la phase amont soient remis en question. Une fois les effets de ce syndrome dissipés, l’innovation entre dans une phase de conception réglée mais pas figée. La prestation peut être amenée à évoluer avec le projet véhicule. Et si, pendant la vie du projet véhicule, le bilan économique s’avère défavorable, il n’est alors pas impossible que l’innovation soit sacrifiée.

3.2.1.4. Processus de décision associé aux projets DREAM

Depuis la création de la DREAM, différentes instances décisionnelles se sont mises en place et jalonnent le processus de développement des projets du plan [T]. A chacune de ces étapes clé de la vie des projets, des échanges ont lieu entre les différents acteurs et les

Page 63: Construction et évaluation des projets d’innovation Le cas de … Renault.pdf · 2017. 10. 31. · pare-brise, propulsion électrique, système de navigation, suspensions dynamiques,

63

décideurs : ce sont des occasions non seulement de vérifier le bon avancement des projets, mais également de décider d’engager des plans d’action afin d’en augmenter ou d’en consolider la valeur.

Fig. 21 : Jalonnement du processus d’innovation

3.2.1.4.1. RPA

Les Revues de Projets Amonts (RPA), présidées par le gestionnaire du portefeuille de projets, rassemblent l’ensemble des acteurs d’un projet [T] autour du CPI. Elles ont lieu environ quatre fois par an et par projet. Lors des RPA, des décisions de pilotage des projets sont prises. Elles ne remettent pas en question l’avenir du projet mais peuvent modifier son orientation.

3.2.1.4.2. STORIES

Tous les projets du plan technologique de Renault sont amorcés et suivis annuellement dans des instances appelées STORIES (STop Or Run InnovativE Studies). Chaque STORIES est dédié à un projet du plan [T] et est présidé par le Directeur de la DREAM. L’instance regroupe l’ensemble des directeurs métiers dont la direction est contributrice du projet ainsi que les représentants des projets véhicules potentiellement clients de l’innovation proposée. Chaque passage d’un projet en comité STORIES correspond à un jalon. Ces jalons, nommés S1, S2 et S3, marquent la décision de continuer ou d’arrêter un projet sur la base de différentes données. Le jalon S0 qui avait été mis en place en même temps que les comités STORIES a été supprimé car jugé inutile. Il marquait le passage d’une phase d’exploration des possibilités en termes d’usages et de technologie à une phase de convergence vers une unique solution.

Données présentées

Les données présentées par les CPI au comité STORIES peuvent être regroupées en neuf catégories :

- l’accroissement de la performance d’une prestation (confort, habitabilité, coût d’usage (Total Cost of Ownership), performance dynamique, etc.) ;

- la performance interne par la réduction des coûts et des délais de développement du véhicule ;

- la sécurité des passagers et des usagers de la route ; - la qualité des produits (jugée principalement au travers des pannes immobilisantes et

des plaintes clients) ; - l’image de la marque ; - la consommation énergétique et la masse ; - la valeur client ; - le gain sur le prix de revient de fabrication d’une pièce ; - la réglementation et les conditions d’homologation des véhicules.

Market Pull

Techno Push

S0 S1 S2 S3

Page 64: Construction et évaluation des projets d’innovation Le cas de … Renault.pdf · 2017. 10. 31. · pare-brise, propulsion électrique, système de navigation, suspensions dynamiques,

64

Sur certains points, les données avancées par les CPI sont quantitatives tandis que sur d’autres elles sont qualitatives. Dans tous les cas, elles constituent un support de débat entre les parties prenantes sur les différents aspects de la valeur entreprise du projet.

Evaluation de la rentabilité

L’évaluation économique des projets est un des points fondamentaux présentés lors d’un comité STORIES et c’est en grande partie sur cette donnée que sera prise la décision d’arrêter ou de continuer le projet. Cette évaluation est exprimée sous forme d’une Valeur Actuelle Nette.

Les débats internes

L’obtention des données d’entrée de l’évaluation de la rentabilité est souvent assimilée à un parcours du combattant par les chefs de projets en raison de la diversité des interlocuteurs et des discussions internes sur la robustesse des calculs de ces données.

Valeur-Client

Comment attribuer une valeur client à un produit en rupture de prestation ? Cette délicate question révèle une des faiblesses de l’évaluation de rentabilité des projets d’innovation. En effet, la valeur-client est établie par comparaison entre l’objet ou service dont on cherche la valeur et des produits existants comparables. La Direction de l’Evaluation de la Valeur Client (DEVC) a pour mission d’établir la valeur à court terme des produits de l’entreprise afin de s’assurer que les prix de vente qu’elle pratique s’accordent avec le consentement à payer de ses clients. Certaines caractéristiques de la valeur-client limitent la capacité d’une entreprise à valoriser les innovations :

- La valeur de deux éléments d’une innovation ne correspond pas à la somme des valeurs clients de chaque élément séparément. En général, la valeur de l’ensemble est inférieure à la somme des valeurs des parties. Dans certains cas, la valeur de l’ensemble peut être inférieure à la valeur d’un des éléments. Enfin, il arrive aussi que la valeur d’un ensemble soit supérieure à la somme des valeurs de ses parties. Cela est dû à des synergies, des prestations qui entrent en résonnance les unes avec les autres et se complètent mutuellement.

- La valeur client est obtenue par comparaison du produit dont on cherche la valeur avec des produits existants sur le marché. Or, dans le cas des innovations de rupture, on ne peut justement pas trouver de produits équivalents sur le marché.

- L’évolution du marché impacte directement la valeur d’un produit aux yeux du client. Ainsi, au début du processus de développement d’une innovation, on évalue sa valeur client projetée à l’horizon de mise sur le marché du produit final, ce qui induit des incertitudes supplémentaires.

Chacun dans l’entreprise est conscient de ces limites mais, étant donné que le processus d’innovation exige que cette donnée soit présentée, les CPI la présentent et l’intègrent à leur calcul économique.

Ticket d’entrée

Le ticket d’entrée désigne le coût de conception d’un produit. Ce coût est très difficile à évaluer a priori et les valeurs avancées par les CPI sont, de leur propre avis, très incertaines. L’estimation qui leur est demandée doit prendre en compte :

- le coût de développement qu’il sera nécessaire de concéder pour développer le projet [T] ;

- le coût des études nécessaires à l’adaptation de l’innovation au véhicule dans lequel elle est implantée.

Page 65: Construction et évaluation des projets d’innovation Le cas de … Renault.pdf · 2017. 10. 31. · pare-brise, propulsion électrique, système de navigation, suspensions dynamiques,

65

Le directeur de programme véhicule qui décide d’intégrer cette innovation dans son projet doit ajouter à ces dépenses ces deux sommes. Il augmente donc d’autant le ticket d’entrée de son véhicule. Si l’innovation est implantée sur plusieurs véhicules, ce coût peut être diminué en répartissant sur chacun des véhicules la partie du ticket d’entrée dépensée lors de la phase projet [T].

Fig. 22 : Mutualisation du Ticket d’Entrée de développement des projets [T]

Cependant, comme signifié sur le schéma ci-dessus, l’adaptation d’une innovation à un véhicule induit toujours des dépenses de bureau d’étude.

Volumes

Les estimations de volumes faites par l’entreprise sont très robustes car elles s’appuient sur de très importantes bases de connaissances. En effet, les études de marché réalisées par les analystes de l’entreprise permettent des prévisions de très bonne qualité des volumes de vente des véhicules du cœur de la gamme dans les régions où la marque est stablement implantée. Cependant, dans certains cas, ces estimations perdent en fiabilité :

- Lorsque l’innovation est installée sur des véhicules en vente sur des marchés où l’entreprise est en train de s’implanter (Russie, Inde, Iran, etc.), le volume de vente dépend de l’évolution des parts de marché de la marque dans ces régions. Or, ces parts de marché varient de façon difficilement prévisible.

- Lorsque l’innovation est installée sur un nouveau véhicule, l’entreprise ne dispose pas d’une base de clients stable et ne peut donc pas prévoir le nombre de véhicules qu’elle va vendre.

- Enfin, si l’innovation est vendue en option indépendante (hors pack d’options), l’entreprise n’est pas capable d’en prévoir le volume de vente. En effet, le nombre de clients achetant des véhicules équipés d’un pack d’options donné est relativement stable dans le temps. Mais, si l’innovation n’est pas intégrée à un de ces packs, seuls les clients désirant spécifiquement cette innovation l’achèteront et l’entreprise n’est pas en mesure de fournir des prévisions fiables sur le nombre de ces clients car elle ne dispose pas de base de comparaison comme c’est le cas pour les ventes de packs d’options.

Prix de Revient de Fabrication (PRF)

Le PRF est le coût de fabrication unitaire d’un produit. Il est évalué par la Direction du Coût des Ventes (DCV) qui dispose de très importantes bases de connaissances. Les analyses de la DCV sont faites à partir de trois types d’informations :

Page 66: Construction et évaluation des projets d’innovation Le cas de … Renault.pdf · 2017. 10. 31. · pare-brise, propulsion électrique, système de navigation, suspensions dynamiques,

66

- L’étude des éléments constitutifs du produit. Elle prend en compte les matières utilisées, les composants de base, les processus et moyens de production employés, le lieu de production, etc.

- Des analogies avec des objets ou processus proches déjà connus. Elles sont nécessaires dans le cas de produits innovants.

- L’analyse des renseignements divulgués par les fournisseurs dans leurs devis. Les données obtenues sont précises et considérées comme fiables. Cependant, le PRF est fortement dépendant des volumes puisqu’il comprend l’amortissement des outillages dont le coût dépend du volume fabriqué. De plus, les volumes sont également dépendants des PRF puisqu’ils ont un impact dimensionnant sur le prix de vente.

3.2.1.4.3. COSIN

Le Comité Stratégique Innovation (COSIN) se tient tous les six mois et est la plus haute instance décisionnaire relative aux innovations. En effet, il est présidé conjointement par les Directeurs Généraux Adjoints respectivement pour l’Ingénierie et la Qualité d’une part, et pour le Plan, le Produit et les Programmes d’autre part. Lors de ce comité, les innovations du plan [T] présentées peuvent être décidées pour application, réorientées ou bien stoppées. Les projets présentés en COSIN doivent tous avoir passé leur jalon S2. La présentation d’une innovation devant les hautes autorités décisionnaires permet, en cas d’approbation du projet, d’augmenter la notoriété de cette innovation. Le CPI concerné bénéficie alors d’un argument d’autorité pour s’assurer que les ressources de développement qui lui ont été allouées soient bien dédiées à son projet.

3.2.1.5. Limites de cette organisation

La multiplicité des acteurs impliqués aux différentes étapes du processus d’innovation et la diversité de leurs compétences et des objectifs qu’ils défendent complexifie souvent le pilotage des projets. L’existence des Directions des Projets Avancés est un premier pas pour répondre à cette problématique, puisque les Chefs de Projet Innovation qui les composent viennent coordonner l’ensemble des activités autour des différents projets et faire le lien entre les entités amont et aval de l’entreprise. Cependant, le pilotage des projets reste une tâche extrêmement complexe dans un tel environnement, et il est parfois difficile de construire et justifier la légitimité de ces chefs de projet face à leurs interlocuteurs. Il s’avère donc nécessaire de leur fournir des méthodes pour les aider à structurer la construction collective des projets, afin qu’ils puissent confronter les contributions des différents acteurs impliqués et obtenir un consensus à présenter aux instances décisionnaires qui jalonnent le processus.

3.2.2. De contributions isolées vers une consolidation de l’équipe projet

Entre les différents jalons du processus que nous venons de présenter, nous avons observé que la majorité des échanges entre les acteurs du projet se faisaient de façon individuelle, le chef de projet rencontrant individuellement ses interlocuteurs à l’ingénierie, au marketing, etc. Dans ce type de fonctionnement, nous avons constaté que les avis convergeaient difficilement sur les enjeux du projet et sur les conditions de réalisation de sa valeur, et que les malentendus sur certains détails du projet étaient courants. En outre, les échanges les plus stratégiques ont parfois lieu dans l’urgence, à l’approche d’un moment clé de la vie du projet et alors que tous les éléments nécessaires n’ont pas pu être tous réunis. Il convient donc d’outiller une réflexion collective, non seulement pour prendre en compte la multiplicité des attentes des différentes entités de l’entreprise, mais également pour

Page 67: Construction et évaluation des projets d’innovation Le cas de … Renault.pdf · 2017. 10. 31. · pare-brise, propulsion électrique, système de navigation, suspensions dynamiques,

67

obtenir une vision commune des acteurs sur le projet à tout moment afin de l’orienter vers une solution optimale. En effet, la performance des innovations dépend autant des processus de gestion de projet et des critères décisionnels utilisés que des relations organisationnelles et humaines entre les acteurs impliqués. Il serait dangereux de ne considérer ces acteurs que comme de simples ressources affectées au projet en fonction de leurs compétences et de leur disponibilité (qui, dans certains cas, ne sont d’ailleurs pas toujours compatibles avec les besoins des projets). En effet, avant de consacrer du temps et de l’énergie à l’activité d’innovation, il est important que ces ressources adhèrent au concept et s’y sentent impliquées. Le profil des différentes parties prenantes – en particulier du chef de projet – ainsi que les mécanismes de pilotage des rencontres et des négociations représentent ainsi des facteurs clés de la bonne conduite des projets. C’est d’autant plus important que chacune de ces parties prenantes représente une entité différente de l’entreprise, chacune ayant son propre rôle à défendre dans la gouvernance des projets. Le projet en lui-même représente déjà un support de communication pour les acteurs impliqués (Mintzberg, 1994). Cependant, les jeux de pouvoir qui existent entre les différentes entités d’une entreprise peuvent venir biaiser cette communication, qui est déjà rendue complexe par les difficultés de verbalisation et de compréhension des informations relatives à chaque corps de métier (expertise technique, marketing, structure de coût, etc.). On peut distinguer quatre formes de biais cognitifs dans ce type de communication (Reynaud, 2001) :

- le biais de disponibilité de l’information, lié à la difficulté d’accès aux connaissances tacites d’un métier (ou aux difficultés de formulation)

- le biais de prestige, lié à la volonté des acteurs de se positionner sur les enjeux stratégiques de l’entreprise

- la rationalisation a posteriori d’une situation complexe ou contraire à l’intérêt de l’acteur

- les mécanismes de défense des acteurs relatifs à l’importance de l’enjeu, à l’irréversibilité des décisions et à l’incertitude quant aux résultats.

Ces biais traduisent l’autonomie des parties prenantes dans la communication : si ceux-ci ont le sentiment que les activités sur lesquels on les invite à travailler ne correspondent pas avec leurs intérêts personnels ou professionnels, il leur est possible de ne pas coopérer. La méthode des scénarios est une méthode de gestion de projet permettant de dépasser ces problèmes de figeage des comportements (liés aux politiques tacites des différentes parties prenantes) consiste à faire scénariser les alternatives envisageables pour le projet (Bréchet et al., 2005, p15) : « Un scénario, de façon générale, décrit un état futur et le chemin qui conduit vers cet état à partir de la situation actuelle. La finalité de ces méthodes est de fournir aux décideurs plusieurs scénarios (…) afin de leur permettre de prendre conscience des contraintes mais aussi des marges de liberté et donc des opportunités potentielles d’actions. Il s’agit d’élargir les visions partielles des acteurs, de mieux cerner le champ des possibles et des souhaitables afin d’éclairer les choix stratégiques de l’organisation. » Cette méthode a été initialement développée en psychologie clinique et définie comme « an unstructured, indirect form of questioning that encourages respondents to project their underlying motivations, beliefs, attitudes or feelings regarding the issues of concern. » (Malhotra, 1999, p157). Elle invite à chacun des acteurs impliqués à défendre ses propres intérêts sous la forme du scénario qui lui semble le plus adapté, plutôt que de devoir se plier aux besoins d’une solution unique et imposée par un tiers. En leur proposant de se projeter dans une situation concrète, la méthode des scénarios permet ainsi de réduire fortement les

Page 68: Construction et évaluation des projets d’innovation Le cas de … Renault.pdf · 2017. 10. 31. · pare-brise, propulsion électrique, système de navigation, suspensions dynamiques,

68

biais de défense et de prestige, tout en suscitant la mobilisation et l’adhésion de la part de chaque participant (Reynaud, 2001). En outre, cela enrichit considérablement le panel d’informations exploitables pour la prise de décision : « Les scénarios se distinguent par leur manière d’affronter l’incertitude, par la richesse des données qu’ils offrent à la discussion et par leur capacité d’orienter la pensée hors des sentiers battus. » (Coles, 2005, p104). Pour un même projet, plusieurs alternatives peuvent être considérées simultanément (Godet, 1991) :

- des scénarios vraisemblables : réalisables compte tenu des contraintes connues - des scénarios souhaitables : envisageables pour des résultats optimaux, mais pas

forcément réalisables - des scénarios possibles : potentiellement réalisables mais avec un intérêt plus limité

Nous avons également constaté que les projets d’innovation étaient figés relativement tôt, à partir d’un jeu d’hypothèses assez réduit. Ainsi, la phase d’exploration ne représente qu’une très faible partie du travail du chef de projet, qui œuvre principalement à faire de la convergence et de la réduction de risques sur un scénario donné d’avance. Cela ne correspond que partiellement aux méthodes de gestion de projet préconisées dans la littérature, qui recommandent généralement une exploration plus large et de l’innovation répétée afin de maximiser les chances d’aboutir à une solution optimale (Lenfle, 2010). Ainsi, plusieurs projets, arrivés en fin de jalonnement, ont dû être abandonnés parce qu’une hypothèse de départ n’était plus vérifiée et qu’aucun scénario de rattrapage n’avait été envisagé. L’étude de plusieurs scénarii techniques, économiques et commerciaux doit en revanche pouvoir permettre de mettre en balance plusieurs solutions, correspondant à des jeux d’hypothèses plus larges (et traduisant ainsi plus fidèlement l’évolution possible du contexte du projet) et présentant des spectres de valeur différents. Ainsi, la comparaison de ces spectres de valeur et leur mise en relation avec les attentes des différents acteurs facilitent la recherche d’une solution optimale. Les applications possibles de la méthode des scénarios sont relativement nombreuses : pour des séances de créativité (Gordon, 1961), pour des enquêtes qualitatives en marketing (Malhotra, 1999), pour de la prospective politique ou militaire (Julien et al., 1975), ou en gestion (Reynaud, 2001). Dans le cas d’un projet d’innovation, les hypothèses de conception structurant les débats entre les participants peuvent concerner les objectifs de prestation et les usages, les moyens techniques et commerciaux à mettre en œuvre, la cohérence avec la stratégie globale de l’entreprise et les impacts possibles sur son image, etc. Ces débats peuvent alors s’appuyer sur des descriptions concrètes, et le travail collaboratif permet d’assurer la cohérence et le réalisme de chaque alternative proposée, puisque chacun des participants peut apporter une vision complémentaire du projet et des enjeux : conception technique, performance interne, positionnement sur le marché, cohérence avec la gamme de produits, règlementations, etc. « C’est par la coopération qu’on réussit à être compétent, à échanger puisqu’on n’est jamais seul détenteur de toutes les compétences. Dans des situations complexes, singulières ou inattendues, on est obligés de téléphoner, d’aller voir, de demander, de chercher de l’aide. Des réseaux se développent afin de faire circuler des savoirs qui permettent au groupe de disposer d’une compétence collective dont il ne disposerait pas sans l’existence de ce système d’échange. » (Alter, 1999, p83).

Page 69: Construction et évaluation des projets d’innovation Le cas de … Renault.pdf · 2017. 10. 31. · pare-brise, propulsion électrique, système de navigation, suspensions dynamiques,

69

Cette construction collective a cependant certaines limites (Cyert et March, 1970, p120-121) :

- Elle reste dépendante de la formation et de l’expérience des différentes parties prenantes : les hypothèses formulées ne correspondent pas à une vision objective. La diversité des profils des participants permet cependant de résoudre en partie ce problème.

- Les arguments avancés par chaque acteur peuvent être biaisés par ses souhaits : si un participant espère un résultat en particulier, il peut orienter les scénarios en ne donnant que les informations qui servent son intérêt, et en omettant ou en maquillant les données qui ne le servent pas.

- La communication et les décisions sont fortement impactées par les éventuels conflits qui peuvent exister en interne entre les différentes parties prenantes. Un participant peut par exemple s’opposer fermement à un scénario pour la seule raison que celui-ci a été proposé par une entité ou une personne avec laquelle il existe un différend.

Malgré ces difficultés, la méthode des scénarios reste particulièrement intéressante, puisqu’elle oblige l’ensemble des entités de l’entreprise impliquées dans les projets à interagir, à s’écouter et à se coordonner. « La construction de scénarios atténue la réticence des parties prenantes à l’égard du changement, en les associant au processus dès les premiers stades de développement. Toutefois, la portée de la méthode des scénarios en tant qu’outil de consultation et de diffusion va bien au-delà : l’utilisation des scénarios (…) est une méthode particulièrement efficace pour aboutir à un consensus. Ce qui est important, c’est que la méthode produit des modèles auxquels les gens peuvent réagir. Chaque scénario exprime un domaine d’exploration que les parties prenantes se sentent capables de partager. » (Coles, 2005, p109). Il arrive cependant que les attentes des différents participants ne soient pas conciliables. Certes, les scénarios permettent d’exprimer et de confronter les différents points de vue, mais dans certains cas, il peut s’avérer difficile d’établir un consensus et d’aboutir à une réponse unique. Néanmoins, il peut être bon de considérer que la quantité d’informations échangées lors de ce processus, en amont des projets, représente déjà une étape considérable vers la prise de décision finale. En effet, dans le cas où la méthode des scénarios n’est pas utilisée, les antagonismes entre les attentes des différents acteurs peuvent n’apparaître qu’en fin de développement et s’avérer encore plus bloquantes que lorsqu’elles sont révélées dès les phases amont par la réflexion collective. « Innovation projects actually consist of myriad actions, negotiations, and micro-decisions in the effort to create strong networks, leaving few decisions for the official gate and portfolio meetings. » (Christiansen et Varnes, 2007, p282) Ce qui ressort de la méthode des scenarios constitue donc une base de négociation pour alimenter les instances décisionnelles. Dans ces instances, présidées par des directeurs et non plus par des acteurs impliqués directement dans les projets, le temps disponible pour débattre sur chaque projet est nettement plus limité, tous les points de vue ne sont pas forcément représentés, et les jeux de pouvoir sont beaucoup plus importants : les débats qui y ont lieu sont donc plus difficilement rationnels. Ces instances sont donc plutôt à considérer comme des lieux de justification et de légitimation des décisions qui ont, dans les faits, été prises avant ces réunions (Christiansen et Varnes, 2006). La construction du consensus repose donc sur la qualité de la préparation des instances décisionnelles, où le consensus n’est finalement qu’acté. Sa pérennité est liée à la présence « d’interactions, de décloisonnement, de circulations de l'information, de concertation, d'adaptation et de souplesse » entre les acteurs, mais surtout à leur capacité à convaincre l’ensemble de leurs interlocuteurs de la légitimité du point de vue et des objectifs qu’ils

Page 70: Construction et évaluation des projets d’innovation Le cas de … Renault.pdf · 2017. 10. 31. · pare-brise, propulsion électrique, système de navigation, suspensions dynamiques,

70

soutiennent (Akrich, Callon et Latour, 1988, p4). Cette capacité de persuasion dépend fortement de la personnalité des acteurs et du contexte dans lequel ils défendent leur vision du projet : « Que le sort d'un projet dépende des alliances qu'il permet et des intérêts qu'il mobilise, explique pourquoi aucun critère, aucun algorithme ne permettent d'assurer a priori le succès. Plutôt que de rationalité des décisions, il faut parler de l'agrégation d'intérêts qu'elles sont ou non capables de produire. L'innovation c'est l'art d'intéresser un nombre croissant d'alliés qui vous rendent de plus en plus fort. » (Akrich, Callon et Latour, 1988, p22). Il semble donc nécessaire de se servir de la valorisation intégrale comme d’un support de débat orientant la réflexion selon des axes de valeur stratégiques pour l’entreprise, en s’appuyant sur une méthode de scénarisation pour faciliter les arbitrages. Les différents participants pourront ainsi exprimer et confronter l’ensemble de leurs attentes et construire au mieux les projets.

3.2.3. Concrétisation opérationnelle : des séances de valorisation collectives

3.2.3.1. Méthode d’utilisation de l’outil

Le but de l’outil est de confronter les avis des différentes entités de l’entreprise qui auront à traiter le projet à un moment ou à un autre de son développement. Il convient donc d’inviter un représentant de chacune des directions de l’entreprise impliquées de l’amont à l’aval, ou au moins des acteurs ayant des visions et des expériences complémentaires. Ces réunions, d’une durée de 1h30 à 2h par séance, doivent avoir lieu de préférence au début de la vie du projet, après la phase d’exploration. Les acteurs disposent alors de suffisamment d’informations sur le sujet pour pouvoir alimenter des débats de façon concrète. Au fil de l’avancement du projet, en cas d’évolution du contexte extérieur (concurrence, attentes des clients, règlementations, etc.) ou interne à l’entreprise (réorganisation, budgets, changement de personnel, détails techniques, etc.), l’outil peut être utilisé à nouveau pour s’assurer que le projet répond toujours aux objectifs fixés.

Les participants se réunissent tous dans une salle où l’outil est projeté sur l’écran, et répondent à l’ensemble du questionnaire pour les différents scénarios qu’ils jugent pertinents. Lorsque les participants sont déjà familiers avec l’utilisation de l’outil et

Market Pull

Techno Push

Autres réunions collectives :

En cas d’évolution du contexte

Première utilisation de l’outil :

Clarification des enjeux

Définition des orientations à donner au projet

Page 71: Construction et évaluation des projets d’innovation Le cas de … Renault.pdf · 2017. 10. 31. · pare-brise, propulsion électrique, système de navigation, suspensions dynamiques,

71

connaissent globalement le projet, 2 à 4 scénarios peuvent être traités au cours d’une réunion de 2h.

Fig. 23 : Les principales entités de l’entreprise représentées dans les séances de valorisation et leur

contribution spécifique sur le projet.

Par le biais du questionnaire de l’outil, l’enjeu est donc de recenser et de confronter les points de vue de tous les acteurs afin :

- D’identifier les conditions de construction ou de destruction de valeur - D’identifier les principales forces et faiblesses du projet - De déterminer les principaux plans d’action associés - D’obtenir un consensus sur les orientations stratégiques du projet

Les débats provoqués lors de ces réunions ne visent donc pas à obtenir des résultats certains et chiffrés, mais plutôt à réfléchir aux conditions de réalisation de ces résultats, à leurs impacts, et aux moyens à engager pour y parvenir. De même, il ne s’agit pas uniquement d’obtenir des informations à présenter aux futurs jalons du projet : le but est surtout de pouvoir aborder maximum d’aspects de la vie du

Page 72: Construction et évaluation des projets d’innovation Le cas de … Renault.pdf · 2017. 10. 31. · pare-brise, propulsion électrique, système de navigation, suspensions dynamiques,

72

projet (de son départ à la DREAM jusqu’après sa mise sur le marché) pour traiter les problèmes potentiels (qu’ils soient techniques, commerciaux ou organisationnels) aussi en amont que possible, afin de faciliter la suite du développement du projet.

3.2.3.2. Support de débat des séances de valorisation

Chacun des axes de valeur que nous avons définis (5.1.3) est alimenté dans l’outil par quatre à sept questions objectives, amenant les utilisateurs à s’interroger sur les raisons d’être d’un projet et les conditions qui influent sur sa valeur. Ces questions reprennent ou s’inspirent de l’ensemble des travaux recensés, dont la majorité des critères sont intégrés dans un ou plusieurs des six axes.

Fig. 24 : Aperçu d’une page de questionnaire de l’outil (axe Vendabilité).

En fonction de la réponse donnée, un nombre de points plus ou moins important est attribué pour chaque question. Les points obtenus pour chaque question s’ajoutent pour obtenir, sur chaque axe, une note normalisée à quatre points. Le barème a été établi progressivement durant la phase de déploiement en fonction de deux critères :

- Les commentaires des participants : lorsqu’ils utilisaient l’outil pour la première fois, les acteurs donnaient d’eux-mêmes leur avis sur l’importance relative de chaque question. Ainsi, lorsqu’une question était jugée plus discriminante qu’une autre à l’unanimité, un nombre plus important de points y était attribué.

- Les auto-évaluations des acteurs sur les projets : au début de chaque première réunion de valorisation, après avoir présenté les différents axes et avant d’avoir commencé à répondre aux questionnaires, nous demandions aux acteurs d’estimer la valeur du

Page 73: Construction et évaluation des projets d’innovation Le cas de … Renault.pdf · 2017. 10. 31. · pare-brise, propulsion électrique, système de navigation, suspensions dynamiques,

73

projet selon chaque axe. Une fois le questionnaire rempli, nous comparions les notes données par l’outil avec les notes données auparavant, et lorsqu’un écart significatif était observé, nous demandions aux acteurs pourquoi ils souhaitaient attribuer plus (ou moins) de points. En fonction de leurs réponses, nous revoyions à la hausse ou à la baisse les points attribués aux questions correspondantes.

Une fois le barème établi, les notes données par l’outil correspondaient globalement aux estimations faites par les acteurs. Ces notes ne sont en revanche pas affichées explicitement, mais n’apparaissent que de façon qualitative sur le graphique à six axes. En effet, celles-ci ne correspondant qu’à une évaluation qualitative des projets, il est inutile de chiffrer la note précisément. De plus, son intérêt n’est pas dans une utilisation absolue (« le projet est bon / moyen / mauvais ») mais plutôt dans une utilisation relative (« le projet serait meilleur / moins bon si… »). Au cours d’une séance de valorisation, les acteurs répondent à chacune des questions posées par l’outil. Dans le cas où tous sont d’accord sur la réponse à cocher pour une question donnée, ils passent rapidement à l’item suivant. Dans le cas où au moins un d’entre eux n’est pas d’accord, chaque argument devra être défendu jusqu’à ce qu’un compromis soit trouvé. Le compte-rendu de la réunion est envoyé en fin de séance à toutes les directions impliquées. Celui-ci résumant l’ensemble des réponses données, il représente le consensus de l’ensemble des participants sur les orientations prises pour le projet. C’est pourquoi il est important de regrouper des acteurs venant des différentes directions de l’entreprise : d’une part, du fait de la diversité de leur parcours et de leurs expériences, ils ont tous des avis complémentaires sur chaque question ; d’autre part, la dimension collective de ces réunions les contraint à exprimer leurs points de vue et à les confronter s’ils veulent être pris en considération. Du point de vue du pilotage de projet, l’apport de cet outil ne réside donc pas dans une remise en question du raisonnement de valorisation, puisque celui-ci préexistait déjà dans l’entreprise, et que les questions posées par l’outil s’inspirent également des objectifs à remplir au fil du jalonnement des projets. Il réside en revanche dans une formalisation de la réflexion, en aidant ainsi les différents acteurs projet à construire collectivement la valeur entreprise de l’innovation à partir d’un support de débat commun à tous. Durant les premières réunions de valorisation, les débats se sont plutôt centrés sur la forme de l’outil, l’intérêt des axes proposés et la formulation des questions posées. Nous avons pu observer les représentants des différentes directions critiquer ou défendre certains points : par exemple, alors que les représentants de l’ingénierie reprochaient à l’axe « Vendabilité » de ne pas être adapté à une réflexion amont, les représentants du marketing leur répondaient qu’il était particulièrement important à leurs yeux que ces questions soient abordées assez tôt dans le processus de conception afin de faciliter la construction du discours commercial et la cohérence des innovations avec celui-ci. Cela souligne la divergence des intérêts des différentes parties prenantes et la nécessité d’une construction collective de la valeur sur laquelle nous reviendrons plus en détail.

3.2.3.3. Structuration des débats

Les utilisateurs de l’outil sont invités à renseigner le questionnaire pour chacun des scenarii techniques, économiques et commerciaux envisagés. Ces scenarii diffèrent dans les jeux d’hypothèses retenus pour développer le projet, en considérant plus particulièrement les dimensions suivantes :

- Véhicule(s) et pays ciblé(s) et taux de monte de la prestation : impactent tous les axes de valeur. Une prestation faiblement déployée géographiquement sera moins coûteuse et plus facile à développer qu’une prestation devant être appliquée dans davantage de

Page 74: Construction et évaluation des projets d’innovation Le cas de … Renault.pdf · 2017. 10. 31. · pare-brise, propulsion électrique, système de navigation, suspensions dynamiques,

74

zones géographiques, mais risquera d’être moins visible et moins attractive pour les clients.

- Solution technologique retenue et intégration dans le véhicule : impacte principalement la vendabilité, la capacité technique « time to market » et l’opportunité de créer de la valeur monétaire.

- Ensemble de « briques technologiques » constituant la prestation : impacte tous les axes de valeur. La question se pose lorsque différentes prestations répondent à un même thème (notamment en ce qui concerne le confort et le bien-être à bord) et dont les apports peuvent se complémenter. Il s’agit alors d’identifier où est le cœur de la valeur, et d’évaluer l’apport de chaque brique à ce cœur de valeur.

Une fois le questionnaire rempli à partir d’un jeu d’hypothèses, l’outil présente sur un graphe à six axes la valeur intégrale du scénario considéré, et invite les utilisateurs à comparer cette valeur avec celle d’autres scenarii. Les leviers d’action identifiés pour augmenter la valeur du projet ou confirmer la valeur d’un scénario apparaissent donc clairement, de même que l’impact global des différents choix possibles.

Fig. 25 : Aperçu de la page d’accueil de l’outil – Synthèse de la valeur d’un scénario. Les points forts

et les faiblesses du projet apparaissent sur le graphique et en remarque. Cela permet aux

utilisateurs d’en déduire des plans d’action, et de créer les nouveaux scenarii associés.

Page 75: Construction et évaluation des projets d’innovation Le cas de … Renault.pdf · 2017. 10. 31. · pare-brise, propulsion électrique, système de navigation, suspensions dynamiques,

75

Fig. 26 : Aperçu de la page d’accueil de l’outil – Comparaison des scénarii. Une fois le questionnaire

rempli pour chaque scénario, la page de synthèse permet de comparer leurs spectres de valeur et

d’outiller les arbitrages à réaliser.

Dans chacun des projets que nous avons étudiés, les acteurs n’ont pas convergé immédiatement vers un scénario unique, mais plusieurs scénarii ont dû être évalués et comparés. Cela souligne une fois de plus la multiplicité des attentes des différentes directions, en particulier en situation d’innovation où les accords peuvent être plus longs à atteindre, ainsi que la nécessité de rationaliser les activités amont afin d’aider à justifier les choix qui sont faits et à orienter les projets.

3.2.3.4. Intégration au processus

Pour ce qui est de la construction collective, comme nous l’avons vu en 5.2.1, il était primordial de ne pas limiter l’outil à son contenu mais de penser également à son processus d’utilisation en l’intégrant dans le processus de jalonnement des projets et en définissant les directions à impliquer en fonction du stade d’évolution. Par ailleurs, lors de la plupart des réunions de valorisation au cours desquelles l’outil était utilisé, nous avons régulièrement observé des malentendus sur des détails du projet : certains acteurs n’en avaient pas la même compréhension, et le fait que ces détails soient exposés d’une même voix à tous les acteurs permettait de dissiper ces malentendus. Il s’est alors avéré que l’apport de l’outil au niveau de la construction collective ne résidait pas uniquement dans les débats suscités par le remplissage du questionnaire comme nous nous y étions attendus, mais aussi dans la clarification des détails du projet. En effet, lorsque la majorité des réunions s’effectuait entre deux acteurs uniquement (Projet et Ingénierie, Projet et Marketing, etc.), le projet pouvait évoluer suite à une réunion sans que les participants des réunions antérieures n’en soient tenus informés. Ainsi, en réunissant l’ensemble des acteurs autour de la table régulièrement au fil du jalonnement du projet, tous repartent avec la même vision du projet, de son avancement, de ses enjeux et du reste à faire. Les biais de compréhension en sont ainsi réduits.

Page 76: Construction et évaluation des projets d’innovation Le cas de … Renault.pdf · 2017. 10. 31. · pare-brise, propulsion électrique, système de navigation, suspensions dynamiques,

76

Les séances de valorisation doivent donc être provoquées à chacun des moments clés de la vie des projets :

- avant les principaux jalons de validation, en particulier dans le cas où des divergences importantes existent entre les différentes parties prenantes

- à la suite d’évolutions du contexte externe à l’entreprise, dans le cas notamment où les enjeux du projet sont remis en question par les nouvelles attentes du marché et par les réponses proposées par la concurrence

- à la suite d’évolutions du contexte interne à l’entreprise, dans le cas de synergies éventuelles avec des projets en cours ou émergents, de modification de l’environnement de l’équipe projet, ou des compétences éventuellement acquises dans l’entreprise étendue.

Ainsi, les différents acteurs peuvent converger rapidement vers une définition consensuelle du projet et parvenir à un accord sur les orientations à prendre, et l’équipe projet partage à tout moment une vision commune de l’ensemble des enjeux.

Page 77: Construction et évaluation des projets d’innovation Le cas de … Renault.pdf · 2017. 10. 31. · pare-brise, propulsion électrique, système de navigation, suspensions dynamiques,

77

4 Résultats

« Que la stratégie soit belle est un fait, mais n'oubliez pas de regarder le résultat. »

Winston Churchill La méthodologie a pu être testée sur la moitié des projets du périmètre de la Direction des Projets Avancés Vie à Bord, Sécurité et Performances Dynamiques, et chacun des chefs de projet a été amené à l’utiliser au moins une fois. Compte tenu de la diversité des projets, que ce soit au niveau du thème, du degré d’avancement, des véhicules ciblés ou des acteurs impliqués, chaque séance de valorisation a été différente des autres. Cependant, dans toutes ces séances, nous avons pu observer que les réponses au questionnaire de l’outil soulevaient naturellement des débats entre les acteurs sur certains détails clés du projet, et que l’issue de ces débats conduisait dans la plupart des cas à réaliser des arbitrages entre différents scénarii possibles pour les projets. Afin d’illustrer ces débats et ces arbitrages, nous avons choisi de retranscrire certains des échanges auxquels nous avons pu assister sous la forme d’un projet fictif d’une interface innovante commandée au volant, destinée à équiper les véhicules du milieu de gamme de la marque à partir de 2015. Ces échanges et les arbitrages qui en découlent correspondent à des arguments recueillis sur d’autres projets.

4.1. Débats soulevés

La méthode employée pendant la phase d’implémentation de l’outil et les retours que nous avons eus durant les premières réunions de valorisation ont permis de valider la pertinence des axes proposés. Durant les réunions de valorisation auxquelles nous avons assisté par la suite, les débats entre les différents acteurs présents se sont portés sur diverses caractéristiques des projets, et ont révélé des points sur lesquels des désaccords existaient entre les différentes directions, et pour lesquels des actions étaient encore à engager pour confirmer ou accroître la valeur. Quelques exemples en sont donnés ci-dessous.

Positionnement sur le marché

Page 78: Construction et évaluation des projets d’innovation Le cas de … Renault.pdf · 2017. 10. 31. · pare-brise, propulsion électrique, système de navigation, suspensions dynamiques,

78

Chef de Projet : « On sera parmi les 3 premiers constructeurs sur le marché à proposer cette prestation. Et il est assez probable qu’un des concurrents le mette en série sur un de ses véhicules. » Directeur Marketing Stratégique : « Dans ce cas, si on veut vraiment apporter de la valeur et être crédible, il faudra le mettre en série aussi. » Chef de Programme : « Ca coûte trop cher, on ne pourra pas se le permettre au début. Si on veut se différencier, il faudra envisager arriver sur le marché plus tôt, donc chercher à réduire les temps de développement. Il faudra donc peut-être proposer la prestation sous forme simplifiée. » Chef de Projet : « Je note un plan d’action. On essaiera d’évaluer la possibilité de simplifier la prestation sans perdre son aspect différenciant ni l’intérêt qu’elle a pour les clients. »

Cohérence et apport à l’image de marque

Chef de Projet : « La prestation répond entre autres à la volonté d’être abordable, puisqu’on la propose à un prix très faible et en série sur un véhicule. » Directeur Marketing : « C’est peut-être pas cher, mais ce n’est pas accessible à tout le monde, puisque ce n’est disponible que sur un véhicule. Les clients de la voiture qui est juste au-dessus dans la gamme ne peuvent même pas se l’offrir, parce que ce n’est même pas proposé en option pour eux. Si vous voulez vraiment être abordable, il faut au moins le proposer en option sur tous les véhicules du dessus, sinon ça risque de faire perdre des clients. » Chef de Programme : « Ce n’est pas sûr que ces véhicules soient intéressés, d’ailleurs… » Chef de Projet : « je note un plan d’action. On essaiera de convaincre les véhicules des gammes supérieures d’intégrer la prestation. Sinon, c’est un facteur d’échec. »

Page 79: Construction et évaluation des projets d’innovation Le cas de … Renault.pdf · 2017. 10. 31. · pare-brise, propulsion électrique, système de navigation, suspensions dynamiques,

79

Vendabilité

Chef de Projet : « Le client n’a pas à se mettre en situation de conduite pour comprendre l’apport de la prestation : ça se voit directement dans la concession avec l’IHM. » Vendeur : « La dernière fois qu’on m’a dit ça, il a fallu qu’on mette nous-mêmes en place toute une installation pour que le véhicule soit sous tension et que la prestation soit effectivement visible. L’apport de la prestation est peut-être clair sur vos démonstrateurs, mais il va falloir en faire un peu plus pour qu’il le soit aussi dans nos concessions. » Chef de Projet : « Je note un plan d’action. Il faudra qu’on rende la prestation visible autrement. »

Capacité technique « time to market »

Page 80: Construction et évaluation des projets d’innovation Le cas de … Renault.pdf · 2017. 10. 31. · pare-brise, propulsion électrique, système de navigation, suspensions dynamiques,

80

Chef de Projet : « La prestation est faiblement intrusive sur l’architecture électronique. » Chef de Programme : « Il n’y a pas besoin d’un connecteur tournant dans le moyeu volant ? » Ingénieur : « Si, mais comme les véhicules ciblés seront déjà équipés du volant chauffant, il y aura déjà un connecteur tournant. » Chef de Programme : « Le projet « volant chauffant » n’a pas encore été figé pour ces véhicules, rien n’est sûr. » Chef de Projet : « En effet, c’est un facteur d’échec important. C’est un élément que nous devrons surveiller de près au cours du développement… »

Transversabilité

Page 81: Construction et évaluation des projets d’innovation Le cas de … Renault.pdf · 2017. 10. 31. · pare-brise, propulsion électrique, système de navigation, suspensions dynamiques,

81

Chef de Projet : « Malheureusement, le haut de gamme n’est pas vraiment intéressé par cette prestation qui s’intègrerait mal dans les véhicules. » Ingénieur : « Mais on pourrait imaginer d’autres applications pour les capteurs qui ont été intégrés pour ce projet, non ? » Chef de Marketing Stratégique : « C’est vrai qu’à partir du moment où ils sont là pour un usage, ça ne coûte rien de profiter de leur présence pour développer de nouvelles prestations par la suite, que ce soit pour de la sécurité ou de l’IHM. » Chef de Projet : « Je note un plan d’action. On essaiera de trouver des synergies potentielles avec d’autres prestations en cours de conception. »

Opportunité de créer de la valeur monétaire et bilan économique

Chef de Projet : « Le coût de production du système est quasiment nul, puisqu’il s’agit principalement de software. Le ticket d’entrée est très faible aussi. Mais on n’est pas encore sûr que ça ait de la valeur pour le client. » Chef de Programme : « Si ça coûte si peu, autant le faire, ça n’engage pas à grand-chose. On verra la valeur que ça peut avoir d’après les premiers retours client. » Directeur de Marketing Opérationnel : « Si la prestation ne marche pas, on risque de dégrader de l’image de marque. » Chef de Programme : « Ce risque est limité si on se contente d’un faible déploiement, juste pour tester. » Chef de Projet : « Je note un plan d’action. On essaiera de déployer en option sur les prochains véhicules. »

Page 82: Construction et évaluation des projets d’innovation Le cas de … Renault.pdf · 2017. 10. 31. · pare-brise, propulsion électrique, système de navigation, suspensions dynamiques,

82

4.2. Arbitrages mis en évidence

Durant l’évaluation du projet à partir du jeu d’hypothèse initial, nous avons pu observer que des remarques structurantes pour le projet ont émergé naturellement à partir des réponses au questionnaire. Certaines de ces remarques débouchaient sur des plans d’action relativement simples à mettre en œuvre, tandis que d’autres pouvaient nécessiter de réaliser des arbitrages pour en justifier la mise en œuvre. Sur ce projet, deux remarques ont été jugées comme particulièrement importantes, et ont débouché sur deux nouveaux scénarii pour le projet :

- Un scénario « Déploiement plus tôt », pour mettre en évidence les enjeux et les risques à simplifier la prestation pour pouvoir la mettre sur le marché quelques années plus tôt.

- Un scénario « Absence volant chauffant », pour mettre en évidence les impacts potentiels du cas où les véhicules ciblés ne seraient pas équipés de cette prestation (et pour lesquels l’intrusivité sur l’architecture électronique serait nettement plus pénalisante).

Fig. 27 : Arbitrage entre différents scénarii

4.2.1. Enjeux et risques du déploiement anticipé

- Positionnement sur le marché : proposer la prestation 3 ans plus tôt permet d’être leader sur le marché et de créer ainsi un effet buzz autour de cette différenciation.

- Stratégie d’entreprise et image de marque : deux effets se compensent. D’une part, gain d’image de marque en apparaissant plus innovant ; d’autre part, perte d’image de marque due au fait que la prestation est moins bien intégrée dans les véhicules et moins intuitive (à cause de la réduction du temps de conception et de développement)

- Vendabilité : la prestation est moins connue des clients car la concurrence n’a pas encore commencé à les familiariser avec. Un effort commercial supplémentaire sera donc nécessaire.

- Capacité technique « time to market » : les délais pour le développement sont raccourcis, et les collaborateurs risquent d’être moins favorable à devoir abandonner leurs projets en cours pour pouvoir achever cette prestation dans les nouveaux temps fixés.

- Transversabilité et capitalisation : la prestation étant proposée sous une forme simplifiée, moins de connaissances sont acquises pour la développer. De plus, les

Page 83: Construction et évaluation des projets d’innovation Le cas de … Renault.pdf · 2017. 10. 31. · pare-brise, propulsion électrique, système de navigation, suspensions dynamiques,

83

temps de développement étant raccourcis, il est possible que la prestation s’avère être plus difficile à transversaliser (moins de temps à passer avec les différents programmes véhicules pour s’assurer de la compatibilité)

- Bilan économique : la prestation ne serait déployée qu’en option, pour un prix de revient légèrement plus important (nouveauté et effets d’échelle). Cela a donc un effet négatif sur la Valeur Actuelle Nette.

4.2.2. Impacts de l’intrusivité

- Positionnement sur le marché, Stratégie d’entreprise et image de marque, Vendabilité : du point de vue des clients, la prestation serait exactement la même que dans le cas initialement envisagé. Il n’y a donc aucun impact sur la valeur pour ces trois axes.

- Capacité technique « time to market » : comme attendu, il y a une perte de valeur importante selon cet axe, puisque l’ingénierie va devoir mettre pour ce projet tous les efforts nécessaires à développer et intégrer dans l’architecture électronique les connecteurs tournants du volant. Les collaborateurs risquent donc d’être beaucoup moins favorables au projet, et les risques de terminer le projet en retard augmentent fortement.

- Transversabilité et capitalisation : les efforts mis en œuvre pour les connecteurs tournants pourront bénéficier à des véhicules ultérieurs (un projet « volant chauffant » sur un véhicule futur aura donc beaucoup plus de chance d’aboutir). En revanche, la prestation devient plus difficile à transversaliser sur la gamme.

- Bilan économique : forte augmentation du Ticket d’Entrée et du Prix de Revient, donc baisse significative de la Valeur Actuelle Nette et de la marge unitaire.

4.2.3. Exploitation de ces arbitrages

L’intérêt de l’outil n’est pas ici de révéler les raisons pour lesquelles la valeur a été modifiée, celles-ci étant déjà connues par l’ensemble des acteurs. Dans le cas étudié, le but est plutôt de mettre en balance ces différentes modifications en les faisant apparaître sur un même graphique visible par tous les acteurs. Ainsi, les décisions peuvent être prises en fonction de critères plus exhaustifs, et le risque d’avoir une direction qui impose sa vision à chacune des autres est réduit. Il est important de préciser que les notes obtenues sur les différents axes ne doivent pas être considérées comme absolues, et encore moins être additionnées entre elles pour ne garder qu’une note unique. Ainsi, dans le cas de l’arbitrage entre le projet initial et l’hypothèse d’un déploiement anticipé, il serait dangereux de dire que l’apport sur l’axe « Positionnement sur le marché » compense les pertes sur les autres axes, ou de justifier la prise de décision par la seule prise en compte de la différence d’aire de valeur entre les deux cas. En effet, ces spectres de valeur sont à considérer de façon qualitative, et relative : Un scénario donné est-il globalement bon, moyen, ou mauvais sur chacun des axes ? Comment les leviers d’action et les conditions de valeur identifiés peuvent-ils faire évoluer la valeur selon les différents axes ? Le projet peut-il facilement prendre de la valeur ? Quels sont les risques d’avoir une perte importante de valeur ? En quoi un scénario a-t-il plus de valeur qu’un autre ? Les sacrifices envisagés valent-ils la peine d’être faits (perdre de la valeur selon certains axes pour en gagner sur d’autres) ? Comment se justifient-ils ? Les gains envisagés n’engendrent-ils pas des pertes trop importantes par ailleurs ? Se justifient-ils vraiment ? Le but de cette scénarisation est donc d’aider à instrumenter la prise de décision. Cela permet en effet d’avoir une vision synthétique de la valeur du projet en fonction des différents leviers d’action à engager, ainsi que des conditions à remplir pour consolider cette valeur ou pour l’accroître.

Page 84: Construction et évaluation des projets d’innovation Le cas de … Renault.pdf · 2017. 10. 31. · pare-brise, propulsion électrique, système de navigation, suspensions dynamiques,

84

4.3. Adhésion des acteurs

L’adhésion des acteurs à la méthodologie s’est construite progressivement. Au début de la phase de déploiement, même si nous travaillions avec les chefs de projet les plus positifs vis-à-vis de notre travail, nous avons dû organiser les séances de valorisation et inviter les participants nous-mêmes. Seule une partie des acteurs contactés avait déjà entendu parler de l’outil développé (soit parce que nous les avions sollicités durant les premières phases de notre recherche, soit parce qu’ils avaient assisté à une présentation publique de notre avancement) : ceux qui en avaient gardé une bonne opinion ont généralement accepté l’invitation. Dans les autres cas, les personnes contactées acceptaient l’invitation par curiosité, pour savoir ce que la méthode pouvait leur apporter. Les débats qui ont eu lieu lors des premières réunions ont clairement montré que les différents participants cherchaient à s’approprier l’outil. Cela correspondait à la phase ‘Intervention and Interaction’ décrite par Hatchuel et Molet (86). Une grande majorité des remarques qui étaient formulées étaient d’une des formes suivantes :

- « cette question ne répond pas exactement à mes attentes, il faudrait la reformuler pour éviter tout malentendu »

- « cette question est totalement inintéressante car elle ne m’apporte rien » - « une de mes attentes majeures n’est prise en compte dans aucune des questions : il

est indispensable de compléter l’outil » Pour les réunions suivantes, les personnes qui avaient formulé le plus de remarques à leur découverte de l’outil répondaient présentes, et montraient généralement leur approbation vis-à-vis de la nouvelle version utilisée. En revanche, les participants qui avaient le moins réagi la première fois étaient généralement moins nombreux à assister aux réunions suivantes. Du côté des chefs de projet, l’effort fourni pour l’organisation des séances et les attentes à l’égard des résultats de celles-ci allaient de façon croissante, les chefs de projet les plus positifs convaincant progressivement ceux qui étaient les plus réticents à utiliser la méthodologie. Durant les dernières séances auxquelles nous avons assisté, l’implication et la participation de chaque participant semblait relativement proportionnelle à l’attente qu’avait chacun à l’égard des résultats : plus l’entité dont dépendait chaque acteur était demandeuse (par besoin d’informations, par demande d’un supérieur, etc.), plus l’acteur lui-même semblait constructif dans les débats sur le projet évalué.

Page 85: Construction et évaluation des projets d’innovation Le cas de … Renault.pdf · 2017. 10. 31. · pare-brise, propulsion électrique, système de navigation, suspensions dynamiques,

85

5 Limites de la méthodologie

« Définir, c'est limiter. »

Oscar Wilde

5.1. Un outil propre à Renault

La méthode de recherche-intervention employée pour développer l’outil fait que celui-ci n’est adapté qu’au contexte spécifique de l’innovation Renault. Les axes de valeur et le contenu du questionnaire ont été définis par des acteurs de l’entreprise, pour des besoins de l’entreprise. Ils n’ont de cohérence qu’au sein de l’organisation dans laquelle ils ont été développés, et dépendent étroitement des entités impliquées dans les projets, des relations de pouvoir entre les différents acteurs, des processus dans lesquels s’inscrivent les projets, des livrables attendus aux différents stades de leur avancement, etc. Ils ne peuvent pas être transposées tels quels dans une autre entreprise. En revanche, la méthode employée pour mettre en place l’outil dans ce contexte opérationnel reste globalement universelle, de même que les principes de son utilisation (valorisation intégrale, scénarisation, construction collective). Ces aspects peuvent être utilisés dans une autre entreprise et servir de base pour y mettre en place un nouvel outil de valorisation des projets, en collaboration avec les parties prenantes qui seront concernées par son utilisation.

5.2. Un outil spécifique à un type de projets

De la même manière que l’outil à été développé en fonction des attentes de Renault, il est une réponse aux besoins spécifiques d’un type de projet de l’entreprise. Nous avons en effet travaillé principalement sur des projets [T] dans les domaines de la Vie à Bord et de la Sécurité, et, dans une moindre mesure, des Performances Dynamiques. Une caractéristique essentielle de ces projets est qu’il n’existe aucun indicateur quantitatif pour les évaluer en amont du développement, et que même les quelques analyses qualitatives disponibles restent relativement incertaines et imprécises. Les besoins des projets de ce type pour un outil d’aide à la construction et à l’évaluation sont donc particulièrement importants. Alors que les critères qui étaient jusqu’alors utilisés pour valoriser ces projets étaient relativement subjectifs, la méthodologie que nous avons mise en place y apporte l’objectivité de la vision collective : des acteurs aux attentes variées viennent débattre pour trouver un accord sur une proposition unique. Ce consensus peut donc se passer des indicateurs utilisés pour d’autres projets, qu’ils soient quantitatifs comme qualitatifs, puisqu’il reflète une perception partagée des forces et faiblesses du projet, de ses impacts potentiels, et des moyens à mettre en œuvre pour le réaliser. Dans le cas de projets de conception réglée, ou d’innovations dans le domaine de l’environnement ou de la motorisation, des critères d’évaluation existent déjà, sont largement acceptés et diffusés dans l’entreprise et au-delà, et permettent de comparer les projets entre eux et par rapport à la concurrence. Cette évaluation pourrait certes être enrichie par la méthodologie que nous avons mise en place, mais tant que les critères usuels seront plébiscités (comme l’utilisation de la VAN l’était auparavant pour les projets que nous avons étudiés, avant d’être fortement critiquée), l’utilisation d’un outil supplémentaire serait superflue. Les résultats qu’il fournirait seraient négligés face aux autres. Par exemple, sur des projets de réduction des émissions de CO2, les arguments « ce projet rapporte plus d’image de marque que celui-ci » ou « ce projet est plus différenciant » ne seraient pas réellement pris en compte si l’un des projets permet déjà de réduire les émissions plus que l’autre.

Page 86: Construction et évaluation des projets d’innovation Le cas de … Renault.pdf · 2017. 10. 31. · pare-brise, propulsion électrique, système de navigation, suspensions dynamiques,

86

5.3. Politique interne de l’entreprise

L’exploitation des résultats de l’outil reste fortement dépendante de l’importance accordée aux calculs de rentabilité. De la même manière dans l’exemple précédent sur les projets de réduction des émissions de CO2, si l’utilisation de la VAN continue à être plébiscitée dans les projets amont, l’outil sera relativement compromis. En effet, l’analyse quantitative de la VAN, malgré les incertitudes qu’elle comporte et son inadéquation avec le contexte de l’innovation, reste largement déployée dans le reste de l’entreprise. Son utilisation sur les projets amont permet donc de les situer rapidement par rapport à des projets en cours de développement et d’évaluer leur impact sur les bilans économiques de l’entreprise. En outre, ils permettent à l’entreprise de se situer par rapport à ses concurrents, même si les données utilisées pour cette comparaison ne sont pas considérées comme complètement fiables. Ainsi, dans le cas où l’utilisation d’une telle méthode d’évaluation resterait plébiscitée et utilisée dans les étapes du jalonnement amont, l’outil collaboratif risquerait de n’être qu’un coup d’épée dans l’eau. L’argument « tout le monde est d’accord pour dire qu’il faut faire ce projet comme ça, pour des raisons que voici » pourrait avoir moins de poids qu’une analyse économique qui montrerait, même avec des données incertaines, que la rentabilité pressentie du projet ne serait pas suffisante. De la même manière, l’utilisation de l’outil dépend des objectifs internes de chaque entité de l’entreprise. Si ces objectifs se basent sur des critères économiques, les directeurs risquent de privilégier des outils ou méthodes qui leur permettent de remplir plus facilement leurs KPI, même si ceux-ci sont moins adaptés à la valorisation stratégique des projets. Evaluer les projets par leur Valeur Actuelle Nette avec des données incertaines permet de valoriser de façon monétaire l’activité de la direction qui gère ces projets, et lui donner ainsi du poids par rapport aux autres directions pour lui permettre de justifier des demandes de budget plus importantes. En revanche, évaluer les projets avec un outil qui reste qualitatif et qui est commun à d’autres entités de l’entreprise permet plus difficilement de justifier les investissements engagés par une seule direction.

5.4. Survie de l’outil

Comme nous l’avons présenté en 2.3.3.2, il est relativement difficile d’anticiper la manière dont l’outil produit sera adopté par les utilisateurs ciblés. L’environnement de l’entreprise étant extrêmement dynamique, le déploiement d’une telle méthodologie n’est jamais réellement terminé : en fonction de l’utilisation qu’en auront les différents acteurs des projets et des retours qu’ils donneront sur leurs résultats, de nouvelles faiblesses peuvent se révéler. Cependant, comme les résultats dépendent en grande partie de la personnalité des participants qui contribuent à les produire, il est également possible que d’autres usages voient le jour pour cet outil, et qu’il puisse finalement remplir d’autres fonctions. En effet, l’apport de la méthodologie mise en place par rapport aux approches traditionnelles réside d’une part dans le fait de passer d’une valorisation économique pure à une évaluation intégrale, et d’autre part d’une situation où des acteurs isolés ont « précisément tort » seuls à une situation où ils ont « vaguement raison » ensemble.

Page 87: Construction et évaluation des projets d’innovation Le cas de … Renault.pdf · 2017. 10. 31. · pare-brise, propulsion électrique, système de navigation, suspensions dynamiques,

87

Bibliographie Adler, P. (1989). Technology Strategy : A guide to the literatures. Dans Research on technological innovation, management, and policy, vol 4 : 25-151. Greenwich, CT : JAI Press Akrich, M., Callon, M., & Latour, B. (1988). A quoi tient le succès des innovations ? 1: L'art de l'intéressement; 2: Le choix des porte-parole. Alter, N. (1999). L'innovation dans la dynamique des organisations. Dans L'innovation, levier de changement dans l'institution éducative (Ministère de l'Éducation nationale, de la Recherche et de la technologie.) Bailleau, J. (2006). Enjeux du processus d'innovation (Memoire de recherche appliquée). Sup de Co Amiens Baker, N., & Freeland, J. (1975). Recent advances in R&D benefit measurement and project selection methods. Management science, 21(10), 13. Barger, J. E. (1993). Research and development project selection tools: probing wright laboratory's project selection methods and decision criteria using the lateral airfoil concept (Thesis). US Air Force Baumard, P. (1997). Conquête de marchés, États et géoéconomie, La Revue Française de Géoéconomie Mars 1997. Vol 1. no 1.p, 133-149 Berta, N. (2007). Valeur (Economie). Encyclopédie Universalis. Black, F., & Scholes, M. (1973). The pricing of options and corporate liabilities. Journal of political economy, 81(3), 637 Boucher, C. (2003). La Valorisation des Sociétés de la Nouvelle Economie par les Options Réelles ; Vertiges et controverses d'une analogie. Revue d'Economie Financière, 72, 17. Bowman, C., & Faulkner, D. O. (1997). Competitive and corporate strategy. Irwin. Bréchet, J. P., & Desreumaux, A. (1998). Le thème de la valeur en sciences de gestion: représentations et paradoxes. Actes des XIVèmes Journées nationales des IAE, 27-526. Bréchet, J. P., & Desreumaux, A. (2004). Pour une théorie stratégique de l’entreprise; projet, collectif et régulations. Dans XIIe Conférence internationale de l’AIMS. Bréchet, J. P., Desreumaux, A., & Lebas, P. (2005). Le projet en tant que figure de l’anticipation: de la théorie à la méthodologie empirique. Dans XIVe conférence de l’AIMS (p. 6-9). Briones, B. (2006). Les enjeux de l'interaction entre les comportements et les compétences, et son impact sur la coopération entre les individus (Thèse de doctorat en Sc. de Gestion). Université Jean Moulin Lyon 3. Brown, K. M., Eisenhardt, S. L. (1995). Product development: Past research, present findings and

future directions. In Academy of Management Review. Vol.20, 343-378 Brown, K. M., Eisenhardt, S. L. (1998). Competing on the edge: Strategy as structured chaos. Harvard Business School Press Boston, MA Cabridain G. (1988), Apports et limites de l’instrumentation financière dans l’émergence et le développement de la logique projet dans l’industrie automobile, (thèse de doctorat en Sc. de Gestion) Ecole Polytechnique Carlsson, C., Fullér, R., Heikkilä, M., & Majlender, P. (2007). A fuzzy approach to R&D project portfolio selection. International Journal of Approximate Reasoning, 44(2), 93-105. Carroll, J. M. (1995). Scenario-based design: envisioning work and technology in system development. John Wiley & Sons, Inc. New York, NY, USA. Charreton, R., & Bourdaire, J. (1985). La Décision Economique. Que sais-je? (Presses Universitaires de France.) Christensen, C. M. (1999). The innovator's dilemma. Harvard Business School Press Boston, MA Christiansen, J., & Varnes, C. (2006). Management of product development : The ignorance of information at portfolio management meetings (p. 25). Présenté au Konference arrangeret af Det Danske Ledelsesakademi. Christiansen, J., & Varnes, C. (2007). Making Decisions on Innovation: Meetings or Networks? Creativity and Innovation Management, 16(3), 282-298 Clark K, Chew B, Fujimoto T. (1987). Product development in the world auto industry. Brookings Papers on Economic Activity(3): pp. 729-771 Clark K, Fujimoto T. (1991). Product development performance. Strategy,organization and management in the world auto industry. Harvard Business School Press: Boston, MA

Page 88: Construction et évaluation des projets d’innovation Le cas de … Renault.pdf · 2017. 10. 31. · pare-brise, propulsion électrique, système de navigation, suspensions dynamiques,

88

Coles, M. (2005). Préparer les qualifications de demain. Dans Reconnaître les besoins de compétences pour l’avenir - Recherche, politique et pratique, Cedefop Reference series (Office des publications officielles des Communautés européennes, p. 98-113). Connaughton, J. N., & Green, S. D. (1996). Value management in construction A client's guide. CIRIA Special Publication no. 129, CIRIA, London. Cooper, R. G., Edgett, S. J., & Kleinschmidt, E. J. (2001). Portfolio management for new product development: results of an industry practices study. R&D Management, 31(4), 361-380. Cyert, R., & March, J. G. (1970). Les processus de décision dans l'entreprise traduit de A behavioral theory of the firm (Dunod.). Paris. David, A. (1996a). Structure et dynamique des innovations managériales, Cahiers du Centre de gestion scientifique de l’école des Mines de Paris, n°12, juillet. David, A. (2000). La recherche intervention, un cadre général pour les sciences de gestion ? (p. 22). Présenté au IXe Conférence International de Management Stratégique, Montpellier. Debreu, G. (1959). Theory of Value. New York: Wiley Deremaux, R. M. (2007). Le luxe et l’image de marque. Market Management, 7 (1) Dickinson, M., Thornton, A., & Graves, S. (2001). Technology portfolio management: optimizing interdependent projects over multiple time periods. Engineering Management, IEEE Transactions on, 48, 518-527 Druel, F. (2007). Évaluation de la valeur à l’ère du web: Proposition de modèle de valorisation des projets non marchands (Thèse de doctorat en Génie Industriel). Institut des Sciences et Techniques de l'Ingénieur d'Angers Dudezert, A. (2003). La valeur des connaissances en entreprise: recherche sur la conception de méthodes opératoires d'évaluation des connaissances en organisation (Thèse de doctorat en Sc. de Gestion). Ecole Centrale Paris Durand, R., Gomez, P., & Monin, P. (2000). Théorie des options et management stratégique. Présenté au IXe AIMS, Montpellier. Garel, G., & Rosier, R. (2008). De la valeur client à la valeur amont: management de l’exploration et analyse de valeur. Revue Sciences de Gestion, 43-60. Girin, J. (1990). L'analyse empirique des situations de gestion : Eléments de théorie et de méthode. Dans Epistémologies et Sciences de Gestion. (AC Martinet., p. 141-182). Paris: Economica Godet, M. (1991). De l'anticipation à l'action: manuel de prospective et de stratégie. Dunod Paris Gordon, W. J. J. (1961). Synectics: The development of creative capacity. Joanna Cotler Books. Guihur, I., & Saint-Pierre, J. (2002). Problèmes spécifiques de l’évaluation de projets d’innovation dans les petites entreprises. Présenté au VIe Congrès international francophone de la PME, Montréal, Canada Guitouni, A., & Martel, J. M. (1998). Tentative guidelines to help choosing an appropriate MCDA method. European Journal of Operational Research, 109(2), 501-521 Hammersley, H. (2002). Value Management in Construction (p. 18). Présenté au Association of local authority business consultants Hatchuel, A. (1994). Les savoirs de l'intervention en entreprise. Entreprises et histoire, (7), 59-75 Hatchuel, A., & Molet, H. (1986). Rational modelling in understanding and aiding human decision making : about two case studies. European Journal of Operational Research, (24), 178-186 Hatchuel, A., Le Masson, P., & Weil, B. (2001). De la R&D à la RID : de nouveaux principes de management du processus d'innovation (p. 10). Présenté au Congrès francophone du management de projet, AFITEP, Paris. Hatchuel, A., & Weil, B. (2002). La théorie CK: Fondements et usages d’une théorie unifiée de la conception. Présenté au Colloque Sciences de la conception Hauser, J. R., & Zettelmeyer, F. (1997). Metrics to Evaluate R, D&E. Research Technology Management, 40, 32-38 Heiskanen, J. (2005). Project evaluation methods for R&D portfolio management (Rapport de Master) (p. 34) Hirigoyen, G., & Caby, J. (1998). Histoire de la valeur en finance d’entreprise. Valeur, Marché et Organisation, JP Bréchet (ed.), Presses Académiques de l’Ouest, 133-174 Hooge, S. (2010). Performance de la R&D en rupture et des stratégies d’innovation – Organisation, pilotage et modèle d’adhésion (Thèse de doctorat en Sc. de Gestion). Ecole nationale supérieure des Mines de Paris

Page 89: Construction et évaluation des projets d’innovation Le cas de … Renault.pdf · 2017. 10. 31. · pare-brise, propulsion électrique, système de navigation, suspensions dynamiques,

89

Julien, P., Lamonde, P., & Latouche, D. (1975). La méthode des scénarios - Une réflexion sur la démarche et la théorie de la prospective. Dans Travaux et Recherche de Prospective, coll. Schéma général d’aménagement de la France. Paris: La Documentation Française Kelly, J., Male, S., & Graham, D. (2004). Value management of construction projects. Wiley-Blackwell Kim, W. C., & Mauborgne, R. (2005). Value innovation: a leap into the blue ocean. Journal of Business Strategy, 26(4), 22-28 Le Masson, P. (2001). De la R&D à la RID: Modélisation des fonctions de conception et nouvelles organisations de la R&D (Thèse de doctorat en Ingénierie et Gestion). Ecole des Mines de Paris. Le Masson, P. (2008). Management de l'innovation et théorie de la conception : nouvelles rationalités, nouveaux principes d'organisation nouvelles croissances. Université Paris Est. Le Masson, P., Hatchuel, A., & Weil, B. (2007). La gestion des champs d’innovation dans les entreprises : du npd aux nouvelles stratégies de conception (p. 33). Présenté au AIMS, Montréal, Quebec Lenfle, S. (2001). Compétition par l'innovation et organisation de la conception dans les industries amont : le cas d'Usinor. (Thèse de doctorat en Sciences de Gestion) Université de Marne la Vallée Lenfle, S. (2004). Peut-on gérer l’innovation par projet? Dans Faire de la recherche en management de projet (Vol. 2, p.11-34). Paris: Garel G., Giard V. & Midler C. Lenfle, S. (2008). Projets et conception innovante. Habilitation à Diriger des Recherches en Sciences de Gestion, 172 Lenfle, S. & Loch, C. (2010). Lost Roots: How Project Management Came to Emphasize Control Over Flexibility and Novelty. California Management Review, Vol. 53, N° 1, Fall, 32-55 Lenfle, S., & Midler, C. (2003). Management de projet et innovation. Encyclopédie de l'Innovation, 49-69 Le Masson, P. & Magnusson, P. R. (2002). Towards an understanding of user involvement contribution to the design of mobile telecommunications services, International Product Development Management Conference Malhotra, N. (1999). Marketing research : an applied orientation (3 éd.). Upper Saddle River NJ: Prentice Hall Maniak, R. (2010). Mapping the « Full Value » of Innovative Features in Projectified Firms, Conf. EURAM, Rome, 19-22 Mai Maniak, R., Midler, C., Beaume, R. (2011). Managing the Innovative Feature Lifecycle in the Auto Industry – The Rise of Advanced Engineering. Working Paper Marshall, A. (1890). Principles of economics. Macmillan and Co. Martikainen, J. (2002). Portfolio Management of Strategic Investments in Metal Products Industry (Master's thesis). Helsinki University of technology. Marx, K. (1867). Capital. Harmondsworth: Penguin/New Left Review Matthyssens, P., & Vandenbempt, K. (2002). Towards a model of value addition and value innovation efforts in industrial markets Meyssonnier, F. & Pourtier, F. (2005). Les ERP changent-ils le contrôle de gestion ?, Comptabilité et Connaissances (1) Midler, C. (1993). L'auto qui n'existait pas: management des projets et transformation de l'entreprise. Paris: InterEditions. Midler, C. (1995). “Projectification” of the firm: the Renault case. Scandinavian Journal of Management, 11(4), 363-375 Midler, C. (1996). Développement de la logique projet, crises et mutations des fonctions techniques. Dans Cohérence, pertinence et évaluation. Economica Paris, 93-109 Mikkola, J. H. (2001). Portfolio management of R&D projects: implications for innovation management. Technovation, 21(7), 423-435. Mintzberg, H. (1994). The fall and rise of strategic planning. Harvard Business Review, 72, 107-107 Moisdon, J. (1997). Du mode d'existence des outils de gestion - Ouvrage collectif (Seli Arslan.). Paris Myers, S. C. (1976). Determinants of Corporate Borrowing (No. WP 875). MIT Alfred P. Sloan School of Management Pareto, V. (1897). Cours d’économie politique. Rouge, Lausanne Phaal, R. (2005, Avril 5). Technology / Research Valuation Tools and Techniques. Center for Technology Management - University of Cambridge présenté au Horizon - R&D : Managing New Trends. Pharo, P. (2008). Valeurs (sociologie). Encyclopédie Universalis, 5

Page 90: Construction et évaluation des projets d’innovation Le cas de … Renault.pdf · 2017. 10. 31. · pare-brise, propulsion électrique, système de navigation, suspensions dynamiques,

90

Pinardon, F. (1989). La rentabilité : une affaire de point de vue. Paris: L'Harmattan Plane, J. (2000). Méthodes de recherche-intervention en management. Paris: L'Harmattan Porter, M. (1986). L’avantage concurrentiel. InterEditions, Paris, 647 Reynaud, E. (2001). Vers une meilleure compréhension des décisions stratégiques : l’apport de la méthode des scénarios. Finance Contrôle Stratégie, 4(2), 183-214 Rockefeller, D. (1986). Value Versus Price. Bell Atlantic Quarterly, 3(1), 42-49 Roy, B. (1985). Méthodologie multicritère d'aide à la décision. Economica Paris. Royer, I. (2002). Les procédures décisionnelles et le développement de nouveaux produits. Revue française de gestion, 139(2002/3), 7-25 Sarbacker, S. D., & Ishii, K. (1998). Reconsidering " Technical feasibility" : The effects of value ambiguity in innovative product development. Working paper - Stanford University Schärlig, A. (1985). Décider sur plusieurs critères: panorama de l'aide à la décision multicritère. Presses polytechniques romandes Smith, A. (1776). An Inquiry into the Nature and Causes of the Wealth of Nations (Renascence Editions.). T. Nelson Trigeorgis, L. (1996). Real options: Managerial flexibility and strategy in resource allocation. MIT press Tritle, G. L., Scriven, E. F. V., & Fusfeld, A. R. (2000). Resolving Uncertainty in RDPortfolios. Research-Technology Management, 43(6), 47-55 Urabe, K., Child, J., & Kagono, T. (1988). Innovation and management: International comparisons. Berlin, De Gruyter. Van de Ven, A. H., Polley, D., Garud, R., & Venkataraman, S. (1999). The Innovation Journey. New York Oxford University Press Van Horne, C., Frayret, J. M., & Poulin, D. (2006). Creating value with innovation: From centre of expertise to the forest products industry. Forest Policy and Economics, 8(7), 751-761 Weil, B. (1999). Conception collective, coordination et savoirs. Les rationalisations de la conception automobile (Thèse de doctorat en Ingénierie et Gestion). Ecole Nationale Supérieure des Mines de Paris. Weisbrod, B. A. (1964). Collective-Consumption Services of Individual-Consumption Goods. Quarterly Journal of Economics. 78 (Aug.), 471-477 Wheelwright, S. C., & Clark, K. B. (1992). Revolutionizing product development: quantum leaps in speed, efficiency, and quality. Free Press.