47
Controverses modernes sur les instruments de politique monétaire: un point de vue post- keynésien Marc Lavoie Université d’Ottawa

Controverses modernes sur les instruments de politique monétaire: un point de vue post-keynésien Marc Lavoie Université dOttawa

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Controverses modernes sur les instruments de politique monétaire: un point de vue post-keynésien Marc Lavoie Université dOttawa

Controverses modernes sur les instruments de politique monétaire: un point de vue

post-keynésien

Marc Lavoie Université d’Ottawa

Page 2: Controverses modernes sur les instruments de politique monétaire: un point de vue post-keynésien Marc Lavoie Université dOttawa

Proverbe cambridgien

« Les grandes théories sont comme un lièvre pris en chasse; si vous restez au même endroit ou presque au même endroit, vous pouvez être certain qu’il reviendra vers vous ». D.H. Robertson 1956

« Highbrow opinion is like a hunted hare; if you stand in the same place or nearly in the same place it can be relied upon to come round to you in circle. »

Page 3: Controverses modernes sur les instruments de politique monétaire: un point de vue post-keynésien Marc Lavoie Université dOttawa

Objectif: remettre les pendules à l’heure

Comprendre la mise en œuvre de la politique monétaire.

Ceci va nous aider à mieux comprendre les implications des interventions publiques, notamment celles des banques centrales et leurs prétendues injections de liquidités, en ces temps de crise finanicière.

Page 4: Controverses modernes sur les instruments de politique monétaire: un point de vue post-keynésien Marc Lavoie Université dOttawa

Mon hypothèse de départ

Les banques centrales conduisent leurs opérations essentiellement comme elles le faisaient autrefois, et comme elles l’ont toujours fait, en fixant un taux d’intérêt directeur.

Les procédures de certaines banques centrales sont maintenant particulièrement transparentes, relativement au passé et relativement à celles des autres banques centrales. Ces banques centrales sont notamment celles du Canada, de l’Australie, et de la Suède.

Les procédures de d’autres banques centrales sont moins transparentes, par exemple la FED et la BCE; elles sont recouvertes par un voile; mais leur logique est similaire.

Page 5: Controverses modernes sur les instruments de politique monétaire: un point de vue post-keynésien Marc Lavoie Université dOttawa

Deux points de vue sur la cible opérationnelle de la banque centrale La cible opérationnelle est le taux d’intérêt, sous le

contrôle de la banque centrale Point de vue des banques centrales autrefois Point de vue de la Commission Radcliffe 1958 Point de vue des banques centrales aujourd’hui

La cible opérationnelle est la masse monétaire, avec l’aide des opérations d’open market Point de vue de nombreux universitaires (anglo-saxons) Point de vue des monétaristes En partie adopté par les gens des banques centrales dans

les années 1975-1990

Page 6: Controverses modernes sur les instruments de politique monétaire: un point de vue post-keynésien Marc Lavoie Université dOttawa

Plan

Une perspective historique des débats entre banquiers centraux et universitaires

Le fonctionnement des banques centrales contemporaines (notamment la Banque du Canada)

Explications microéconomiques qui justifient le choix du taux directeur comme cible opérationnel

Implications pour la crise financière actuelle

Page 7: Controverses modernes sur les instruments de politique monétaire: un point de vue post-keynésien Marc Lavoie Université dOttawa

Deux ennemis qui s’affrontent depuis des temps immémoriaux

« Deux attitudes s’opposent quant aux conditions dans lesquelles s’ajustent l’offre et la demande de monnaie. Pour les uns (quantitativistes et Keynes) la quantité de monnaie est fixée par le système bancaire de façon indépendante …. Pour les autres (Banking school et Wicksell), les banquiers ne fixent pas une quantité, mais un prix. Le système bancaire adopte un taux (ou ensemble de taux) sur le marché monétaire et il prête ensuite tout ce que les emprunteurs demandent à condition qu’ils offrent des garanties suffisantes ». Jacques Le Bourva 1959

Page 8: Controverses modernes sur les instruments de politique monétaire: un point de vue post-keynésien Marc Lavoie Université dOttawa

Une complication additionnelle

Certains auteurs peuvent se trouver dans deux camps à la fois. C’est souvent le cas des grands auteurs: Wicksell (qui prétend conserver la Théorie

quantitative, tout en la remettant en cause) Keynes (qui prétend remettre en cause la Théorie

quantitative, tout en la modifiant à peine) Donc il est difficile ou même impossible de

faire des classifications étanches

Page 9: Controverses modernes sur les instruments de politique monétaire: un point de vue post-keynésien Marc Lavoie Université dOttawa

Keynes, un friedmanien avant l’heure

« Nous sommes tous keynésiens maintenant » dit Friedman, à l’apogée du modèle IS/LM.

C’est que, comme le dit Kaldor (1982), la théorie monétaire de Keynes 1936 est « une modification de la théorie quantitative de la monnaie, et non son abandon ».

Keynes 1930, malgré ses innovations, est un « quantitativiste » Il critique ceux qui font des taux d’intérêt la cible opérationnelle; Il approuve le multiplicateur de monnaie de C.A. Phillips (1920),

qui va devenir la référence des manuels; Il prône l’utilisation d’instruments quantitatifs pour la conduite de

la politique monétaire: les opérations d’open market et les changements aux taux de réserves obligatoires, instruments pourtant seulement prônés par les Américains et la Fed à l’époque.

Page 10: Controverses modernes sur les instruments de politique monétaire: un point de vue post-keynésien Marc Lavoie Université dOttawa

Qui a écrit ceci et quand ? « La théorie quantitative de la monnaie agonise. Les critiques

banales acceptées depuis longtemps par tous, concernent l’instabilité des vitesses de circulation ….La critique fondamentale s’appuie sur la détermination de la masse monétaire. Il est essentiel à la solidité de la position quantitativiste que la quantité de monnaie soit une variable indépendante du revenu national et de la conjoncture, une cause sans cause. Il faut donc soutenir que les banquiers fixent le montant du stock monétaire par un acte souverain, dans le secret de leur olympe. C’est précisément cette condition de la théorie quantitative qui n’est plus admise en France aujourd’hui: la Banking school et Wicksell triomphent ».

Jacques Le Bourva 1962: L’endogénéité de l’offre de monnaie

Page 11: Controverses modernes sur les instruments de politique monétaire: un point de vue post-keynésien Marc Lavoie Université dOttawa

Théorie quantitative de la monnaie (Universitaires) contre la Commission Radcliffe 1959 (Banque centrale)

Théorie quantitative Contrôle de l’offre de

monnaie banque centrale, en particulier les réserves

Vitesse de circulation et multiplicateur de monnaie quasi constants

Causalité monnaie vers prix

Commission Radcliffe La banque centrale contrôle les

taux d’intérêt, et très mal l’offre de monnaie

La vitesse de circulation est instable (substituts): Concept de « general liquidity »

La politique monétaire n’a qu’un effet modéré sur le taux d’inflation, qui dépend de nombreux autres facteurs

Contrôle du crédit ?

Page 12: Controverses modernes sur les instruments de politique monétaire: un point de vue post-keynésien Marc Lavoie Université dOttawa

Les années 1960-1970 Malgré ce qu’en dit Le Bourva en 1962, la théorie quantitative de

la monnaie et les objectifs quantitatifs de taux de croissance de monnaie semblent graduellement emporter l’adhésion des universitaires.

Le point de vue Radcliffe est fortement critiqué, jugé dépassé: « Il existe encore des gens dont les idées n’évoluent pas…. Leurs opinions sont embaumées dans le Comité Radcliffe, l’une des opérations les plus stériles de tous les temps » (Samuelson 1969)

Le monétarisme de Milton Friedman avance, porté par les centaines de pages de statistiques de Friedman et Schwarz, puis triomphe, grâce à sa version augmentée de la courbe de Phillips.

Le monétarisme est aussi porté par les pressions politiques.

Page 13: Controverses modernes sur les instruments de politique monétaire: un point de vue post-keynésien Marc Lavoie Université dOttawa

Les pressions politiques sur la théorie économique

« This will involve coming clean about how compromises with the first Thatcher government, during the monetary base control debate of the very early 1980s, had the unfortunate effect, albeit with a lag, of clouding the Bank’s thinking about the feasible role of open market operations in the framework for setting interest rates … In separate acts of folly a quarter of a century ago, the monetary authorities sought to hide the fact that they were setting rates »

Paul Tucker, Bank of England Quarterly Bulletin, 2004.

Page 14: Controverses modernes sur les instruments de politique monétaire: un point de vue post-keynésien Marc Lavoie Université dOttawa

Les universitaires anglo-saxons et leurs manuels

Pour eux, les choses sont très simples Les opérations d’open-market permettent de

contrôler les réserves des banques Via le multiplicateur de dépôts, la banque centrale

contrôle l’offre de monnaie (ce qui rend opérationnelle une politique monétaire basée sur la théorie quantitative de la monnaie)

L’offre de monnaie détermine le taux d’inflation des prix (selon la plupart des auteurs)

Page 15: Controverses modernes sur les instruments de politique monétaire: un point de vue post-keynésien Marc Lavoie Université dOttawa

Conduite de la politique monétaire par les quantités ou par les taux ? Un point de vue éclectique

En accord avec le modèle IS/LM keynésien dominant, la proposition de Poole (1970) concernant le choix de la cible opérationnelle optimale semble acceptable à tous: Si la courbe IS est la plus instable, la mise en œuvre de la

politique monétaire doit se faire par l’offre de monnaie Si la courbe LM est la plus instable (la demande de

monnaie est instable), la mise en œuvre de la politique monétaire optimale se fait par les taux d’intérêt.

Or, les travaux de Friedman semblent démontrer que la vitesse de circulation est relativement stable.

Page 16: Controverses modernes sur les instruments de politique monétaire: un point de vue post-keynésien Marc Lavoie Université dOttawa

Poole 1970Taux d’intérêt

OutputA

IS

LM

MT IT

LM

A = IT MT

IS

Investissement instable:La monnaie banque centraleest l’instrument préférable (MT)Output moins variable

La demande de monnaie est instable:Le taux d’intérêt est l’instrument préférable (IT)Pas de variabilité dans l’output

ITIT

Output

i

Page 17: Controverses modernes sur les instruments de politique monétaire: un point de vue post-keynésien Marc Lavoie Université dOttawa

Conduite de la politique monétaire par les quantités ou par les taux ? Un second point de vue éclectique

Les auteurs français rejettent initialement les mécanismes « monétaristes » anglo-saxons pour la France.

C’est la distinction « économie de marché, économie d’endettement », ou encore « économie de découverts, économie de fonds propres » (Maarek, Lévy-Garboua, Renversez).

L’économie de marché, ce sont les Etats-Unis et les autres pays anglo-saxons, où le modèle monétariste avec mise en œuvre de la politique monétaire se fait par les quantités.

L’économie d’endettement, c’est la France, où le contrôle par les quantités ne peut s’appliquer, car les banques sont constamment en déficit de monnaie banque centrale. L’offre de monnaie y est endogène, et répond à la demande. La mise en œuvre de la politique monétaire doit se faire par les taux. Wicksell et les auteurs autrichiens triomphent, avec leur taux d’intérêt naturel.

Page 18: Controverses modernes sur les instruments de politique monétaire: un point de vue post-keynésien Marc Lavoie Université dOttawa

Le triomphe monétariste provoque la réaction post-keynésienne

Jusqu’en 1970, et même 1980, la théorie monétaire de l’école keynésienne de Cambridge n’est pas claire. Son exposé le plus définitif est celui de Robinson 1956, L’Accumulation du capital.

Avant 1970, les principales critiques de la théorie quantitative porte sur l’instabilité de la demande de monnaie, ou sur l’instabilité du multiplicateur de monnaie. C’est encore le cas de Kaldor 1958, lors de sa présentation à Radcliffe, et aussi du comité Radcliffe lui-même. C’est aussi la critique de Minsky 1957, un keynésien.

Après 1970, la critique porte sur la question plus essentielle de la causalité inversée.

Page 19: Controverses modernes sur les instruments de politique monétaire: un point de vue post-keynésien Marc Lavoie Université dOttawa

Les causalités inversées:Trois groupes d’auteurs Des économistes de la Réserve Fédérale (Holmes 1969,

Lombra, Torto, Kaufman, Feige+McGee) Les économistes post-keynésiens

Cramp 1970, Kaldor 1970 et 1980, Robinson 1970 Davidson et Weintraub 1973, Moore 1979

Les iconoclastes: Le Bourva 1959 et 1962, F.A. Lutz 1971, C.A.E. Goodhart 1975

L’offre de monnaie n’est pas indépendante, elle est déterminée par la demande

Les prêts font les dépôts, les dépôts font les réserves (le diviseur de crédit)

Les taux d’intérêt courts sont la variable exogène La causalité prix/monnaie est inversée

Page 20: Controverses modernes sur les instruments de politique monétaire: un point de vue post-keynésien Marc Lavoie Université dOttawa

L’apogée du monétarisme strict : 1975-1982

Bien que les économistes des banques centrales restent persuadés que les taux d’intérêt restent les seules cibles opérationnelles pertinentes, et que l’offre de monnaie est essentiellement endogène, sous la pression des économistes universitaires qui les encensent, ils mettent en pratique les recettes monétaristes de Friedman: Abandon (apparent) des cibles de taux d’intérêt Adoption par l’ensemble des banques centrales de cibles

de taux de croissance de la masse monétaire, M1, M2, ou M3 selon le cas

Adoption par la Fed, en 1979-1982, de cibles de taux de croissance des réserves fournies par des opérations d’open-market (non-borrowed reserves)

Page 21: Controverses modernes sur les instruments de politique monétaire: un point de vue post-keynésien Marc Lavoie Université dOttawa

L’échec du monétarisme strict (Contrôle de l’inflation par la fixation du taux de croissance de la masse monétaire)

Certaines banques centrales ne parviennent pas à rencontrer les objectifs de cibles de masse monétaire.

Les autres banques centrales y parviennent, mais alors le taux de croissance de la masse monétaire n’est plus corrélé avec le taux d’inflation des prix.

Les banquiers centraux jugent que M1 les a abandonnés, et non qu’ils ont abandonné le monétarisme strict.

Ironiquement, les universitaires français commencent à adopter les descriptions des manuels anglo-saxons au moment même (les années 1980 et 1990) où les banques centrales abandonnent le monétarisme strict.

Page 22: Controverses modernes sur les instruments de politique monétaire: un point de vue post-keynésien Marc Lavoie Université dOttawa

Les causes de l’échec selon l’orthodoxie Le consensus à cette époque est que la demande

de monnaie et le multiplicateur de monnaie sont trop instables, qu’il y a trop d’innovations financières pour pouvoir contrôler utilement quelque agrégat monétaire que ce soit (aussi le point de vue des post-keynésiens structuralistes, à la Minsky et à la Rousseas; c’est aussi un retour à Radcliffe).

Selon le modèle de Poole 1970, puisque LM est instable, il faut abandonner la conduite de la politique monétaire par les quantités et revenir à la conduite de la politique monétaire par les taux, qui était autrefois celle de toutes les banques centrales.

Page 23: Controverses modernes sur les instruments de politique monétaire: un point de vue post-keynésien Marc Lavoie Université dOttawa

Les divergences présentes: Les raisons qui justifient la mise en œuvre de la politique monétaire par les taux d’intérêt

Pour la majorité des économistes, orthodoxes ou hétérodoxes, c’est l’analyse de Poole 1970 basée sur la macro IS/LM.

Pour les économistes proches des banques centrales, c’est une analyse microéconomique, liée aux opérations journalières et routinières de la banque centrale, qui justifie que le taux d’intérêt constitue le principal instrument d’intervention, et aussi la nécessité du rôle de prêteur de dernier recours de la banque centrale.

Page 24: Controverses modernes sur les instruments de politique monétaire: un point de vue post-keynésien Marc Lavoie Université dOttawa

La microéconomie qui justifie la mise en œuvre de la politique monétaire par les taux d’intérêt

Certains économistes des banques centrales (Bindseil 2004 BCE, Clinton 1991 BdC, Lombra 1974 et Whitesell 2003 Fed)

Certains post-keynésiens: Eichner 1985, Wray 1998 et les néo-chartalistes

Des institutionnalistes: Fullwiler 2003 et 2006)

Page 25: Controverses modernes sur les instruments de politique monétaire: un point de vue post-keynésien Marc Lavoie Université dOttawa

La microéconomie qui justifie la mise en œuvre de la politique monétaire par les taux d’intérêt

Les interventions des banques centrales sont avant tout « défensives ». Elles ont pour objectif de compenser les flux de paiements entre la banque centrale et le secteur bancaire

Ces flux proviennent: a) des taxes perçues et des dépenses du gouvernement; b) des interventions sur le marché des changes; c) des achats ou vente de titres d’état, ou le remboursement de titres venant à échéance.

Sans ces interventions défensives, les réserves des banques subiraient d’énormes mouvements de jour en jour, ou d’heure en heure. Les taux interbancaires subiraient d’incroyables fluctuations, sans que ceci ait un quelconque lien avec l’activité économique au niveau macroéconomique.

Page 26: Controverses modernes sur les instruments de politique monétaire: un point de vue post-keynésien Marc Lavoie Université dOttawa

Le dispositif opérationnel permettant d’éviter des fluctuations démesurées du taux interbancaire

Interventions défensives régulières (opérations principales de refinancement et opérations de réglage fin).

Mise en place d’un système de réserves obligatoires: « Le système de réserves obligatoires a pour objet de stabiliser les taux d’intérêt du marché monétaire et de créer (ou d’accentuer) un déficit structurel de liquidités au sein du système bancaire » BCE 2006.

Accès aux facilités permanentes (prêts et dépôts – le corridor). Sans au moins l’une de ces trois procédures, les taux

interbancaires auraient de jour en jour des fluctuations allant de zéro à un chiffre astronomique (45%, 75%, etc.)

Page 27: Controverses modernes sur les instruments de politique monétaire: un point de vue post-keynésien Marc Lavoie Université dOttawa

La Réserve fédérale agit exactement comme la banque centrale d’une économie d’endettement

“L’objectif principal des opérations d’open market de la Fed n’a jamais été d’augmenter ou de réduire les réserves pour modifier l’offre de monnaie, mais plutôt de maintenir l’intégrité du système de paiements en fournissant la quantité appropriée de monnaie banque centrale afin d’atteindre le taux interbancaire ciblé”. Fullwiler (2003)

“The primary objective of the Desk’s open market operations has never been to ‘increase/decrease reserves to provide for expansion/contraction of the money supply’ but rather to maintain the integrity of the payments system through provision of sufficient quantities of Fed balances such that the targeted funds rate is achieved”.

Page 28: Controverses modernes sur les instruments de politique monétaire: un point de vue post-keynésien Marc Lavoie Université dOttawa

Et c’est pareil pour la BCE ! ‘The logic of the ECB’s liquidity management ... can be summarised

very roughly as follows: The ECB attempts to provide liquidity through its open market operations in a way that, after taking into account the effects of autonomous liquidity factors, counter-parties can fulfil their reserve requirements as an average over the reserve maintenance period. If the ECB provides more (less) liquidity than this benchmark, counterparties will use on aggregate the deposit (marginal lending) facility’ Bindseil and Seitz 2001

Autrement dit, quand la BCE estime mal la demande nette de liquidités, celle nécessaire pour rencontrer les exigences de réserves obligatoires et la demande de monnaie banque centrale des particuliers, donc quand la BCE ne fournit pas la bonne quantité de monnaie banque centrale à travers ses opérations principales de refinancement, les banques sont invitées à utiliser les ‘facilités permanentes’.

Page 29: Controverses modernes sur les instruments de politique monétaire: un point de vue post-keynésien Marc Lavoie Université dOttawa

Conséquences des proverbes cambridgiens « La conduite de la politique monétaire, en théorie

et en pratique, en particulier le choix d’une cible opérationnelle, est revenue à ce que les économistes considéraient comme adéquat il y a 100 ans, c’est-à-dire cibler les taux d’intérêt courts ». Ulrich Bindseil 2004, BCE et anciennement de la Bundesbank

« Today’s views and practice on monetary policy implementation and in particular on the choice of the operational target have returned to what economists considered adequate 100 years ago, namely to target short-term interest rates »

Page 30: Controverses modernes sur les instruments de politique monétaire: un point de vue post-keynésien Marc Lavoie Université dOttawa

Un exemple que je connais bien: La Banque du Canada

Aucune exigence de réserves obligatoires Aucune restriction, outre les actifs en garantie, sur les facilités

d’emprunt à la banque centrale Système de transfert de paiements de grande valeur (STPGV)

électronique (chambre de compensation) En temps réel (règlement final et irrévocable) Net (chaque participant dispose d’une limite de crédit): besoin

d’encaisses faibles Système de tunnel (ou de corridor): taux prêteur et emprunteur

symétriques autour du taux de financement cible à un jour Chaque banque connaît sa position de règlement en fin de

journée avec certitude La Banque du Canada connaît aussi avec certitude sa position

vis-à-vis le système bancaire en fin de journée

Page 31: Controverses modernes sur les instruments de politique monétaire: un point de vue post-keynésien Marc Lavoie Université dOttawa

Les opérations de la Banque du Canada

La Banque du Canada fixe un taux de financement cible à un jour (8 annonces à dates fixes par année): c’est le taux directeur.

Les banques commerciales ont une demande d’encaisses de règlement égale à zéro à chaque jour (sauf crise)

La Banque vise une offre d’encaisses de règlements égale à zéro à chaque jour(dans les faits, le montant demandé est légèrement supérieur à zéro, 25$ millions pour des transactions de 180$ milliards chaque jour)

Pour ce faire, elle neutralise tout flux ou reflux provenant du secteur public ou des réserves de change (cf. les nouveaux chartalistes, Wray, Mosler)

Page 32: Controverses modernes sur les instruments de politique monétaire: un point de vue post-keynésien Marc Lavoie Université dOttawa

Encaisses de règlement

Taux de financement à un jour(Taux interbancaire)

0 + (surplus)- (déficit)

Taux cible TC = 2,25%

Taux d’escompte = TC+25pts

Taux sur les dépôts= TC-25pts

Le système de corridor de la Banque du Canada

Page 33: Controverses modernes sur les instruments de politique monétaire: un point de vue post-keynésien Marc Lavoie Université dOttawa

Des actions défensives

Pour ramener les encaisses de règlement à zéro, la Banque transfère les dépôts du gouvernement vers les banques (pour fournir des encaisses), ou vers la banque centrale (pour retirer des liquidités) ou alors, plus rarement, elle intervient sur le marché des

cessions de titres en cours de journée, mais ces interventions sont neutralisées en fin de journée

Ces actions quantitatives sont purement défensives. La Banque n’intervient que pour ramener l’offre d’encaisses à zéro, et non (sauf exception, dans le cas de cessions de titres) pour influencer les taux d’intérêt.

Page 34: Controverses modernes sur les instruments de politique monétaire: un point de vue post-keynésien Marc Lavoie Université dOttawa

Contribuable payant ses impôtsBanque de Montréal (BMO) STPGV

Actif Passif Actif Passif

Encaisses STPGV - 60 0000 $

Dépôts du contribuable - 60 000 $

Encaisses STPGV de BMO -60 000 $

Encaisses STPGV de la Banque du Canada+ 60 000 $

Banque du Canada

Actif Passif et valeur nette

Encaisses STPGV + 60 000 $ Dépôts du gouvernement fédéral + 60 000 $

Page 35: Controverses modernes sur les instruments de politique monétaire: un point de vue post-keynésien Marc Lavoie Université dOttawa

Conséquences du paiement des taxes sur les encaisses de règlement des banques

Les paiements d’impôts des contribuables vont faire diminuer les encaisses de règlement; le solde de règlement (de l’ensemble des banques) est négatif

La BMO, en solde STPGV négatif, ne trouvera aucune banque en contrepartie (une banque ayant un solde STPGV positif).

Le taux de financement à un jour va avoir tendance à grimper, au-dessus de la cible de 2,25 %, car la BMO va devoir emprunter auprès de la Banque du Canada à 2,50 %.

Page 36: Controverses modernes sur les instruments de politique monétaire: un point de vue post-keynésien Marc Lavoie Université dOttawa

Neutralisation

La Banque du Canada doit donc “neutraliser” l’impact de ses opérations de paiement sur les soldes STPGV.

C’est ce qu’on appelle la gestion des encaisses de règlement, ou encore la régulation des encaisses.

Celle-ci se fait par des transferts de fonds, dans ce cas, entre le compte de dépôt du gouvernment auprès de la banque centrale vers le compte de dépôt du gouvernement auprès des banques.

Page 37: Controverses modernes sur les instruments de politique monétaire: un point de vue post-keynésien Marc Lavoie Université dOttawa

Impact d’un transfert de fonds du gouvernement Banque de Montréal (BMO) STPGV

Actif Passif Actif Passif

Encaisses STPGV + 60 0000 $

Dépôts du gouvernement + 60 000 $

Encaisses STPGV de BMO +60 000 $

Encaisses STPGV de la Banque du Canada- 60 000 $

Banque du Canada

Actif Passif et valeur nette

Encaisses STPGV - 60 000 $ Dépôts du gouvernement fédéral - 60 000 $

Page 38: Controverses modernes sur les instruments de politique monétaire: un point de vue post-keynésien Marc Lavoie Université dOttawa

Effet net, après “neutralisation”Banque de Montréal (BMO) STPGV

Actif Passif Actif Passif

Encaisses STPGV - 60 0000 $

Dépôts du contribuable - 60 000 $

Encaisses STPGV de BMO 0 $

Encaisses STPGV + 60 0000 $

Dépôts du gouvernement + 60 000 $

Encaisses STPGV de la Banque du Canada0 $

Banque du Canada

Actif Passif et valeur nette

Encaisses STPGV 0 $ Dépôts du gouvernement fédéral 0 $

Page 39: Controverses modernes sur les instruments de politique monétaire: un point de vue post-keynésien Marc Lavoie Université dOttawa

La crise financière actuelle: liens avec le système opérationnel

« A key financial stability concern is to ensure that the central bank can meet increases in demand for reserves ….[This] may be needed to avoid a banking system panic having systemic effects: as part of our responsabilies for providing the economy’s final settlement asset, we need to be prepared to expand our balance sheet when commercial banks might otherwise be under pressure to contract theirs »

Tucker, Banque d’Angleterre, 2004 Cf. Thornton 1802, Bagehot 1873

Page 40: Controverses modernes sur les instruments de politique monétaire: un point de vue post-keynésien Marc Lavoie Université dOttawa

Les bilans en fin de journée (18h30)Banques débitrices vs banques créditricesBanque de Montréal (BMO) Banque Toronto Dominion TD)

Actif Passif Actif Passif

Prêts à un acheteur +40$ M

Encaisses STPGV +40$ M

Dépôts du vendeur+40$ M

Encaisses STPGV-40$ M

STPGV

Actif Passif et valeur nette

Encaisses STPGV de TD +40$ M

Encaisses STPGV de BMO -40$ M

Page 41: Controverses modernes sur les instruments de politique monétaire: un point de vue post-keynésien Marc Lavoie Université dOttawa

Les banques ne veulent plus se prêter de fonds entre elles Un des aspects de la crise actuelle c’est la méfiance des

banques commerciales les unes envers les autres. Deux solutions immédiates possibles: A) Les banques débitrices dans le système de compensation

empruntent des fonds à la banque centrale. B) La banque centrale inonde de liquidités le marché monétaire,

afin qu’aucune banque commerciale ne se trouve en situation débitrice.

Dans les deux cas, le taux d’intérêt à un jour va rester autour de 2,50% (en B, les banques préfèrent toucher 2% sur des dépôts sûrs à la banque centrale, plutôt que prêter leurs excédents d’encaisses de règlement aux autres banques à 2,50%).

Page 42: Controverses modernes sur les instruments de politique monétaire: un point de vue post-keynésien Marc Lavoie Université dOttawa

Solution A: Les bilans après règlement (à 20h)

Banque de Montréal (BMO) Banque Toronto Dominion (TD)

Actif Passif Actif Passif

Prêts à un acheteur +40$ M

Emprunt auprès de la Banque du Canada+40$ M

Dépôt auprès de la Banque du Canada+40$ M

Dépôts du vendeur+40$ M

Encaisses STPGV 0 $

Encaisses STPGV 0 $

Banque du Canada

Actif Passif et valeur nette

Prêt à la BMO +40$ MAu taux de 2,50 %

Dépôt de TD +40$ MAu taux de 2,00 %

Page 43: Controverses modernes sur les instruments de politique monétaire: un point de vue post-keynésien Marc Lavoie Université dOttawa

Solution B: Injection de liquidités

Banque de Montréal (BMO) Banque Toronto Dominion TD)

Actif Passif Actif Passif

Prêts à un acheteur +40$ M

Dépôts du gouvernement canadien+40$ M

Dépôt auprès de la Banque du Canada+40$ M

Dépôts du vendeur+40$ M

Encaisses STPGV 0 $

Encaisses STPGV 0 $

Banque du Canada

Actif Passif et valeur nette

Dépôt de TD +40$ MDépôt du gouvernement -40$ M

Page 44: Controverses modernes sur les instruments de politique monétaire: un point de vue post-keynésien Marc Lavoie Université dOttawa

Les plans de sauvetage

Le gouvernement américain a annoncé qu’il achèterait pour 700$ milliards d’actifs pourris.

Le gouvernement canadien va faire de même, pour une valeur de 25$ milliards (certains disent que la somme nécessaire pourrait avoisiner les 200$ milliards), par l’intermédiaire d’une agence para-gouvernementale.

S’agit-il d’injections de liquidités? Oui et non! On abuse du terme « liquidités ».

Page 45: Controverses modernes sur les instruments de politique monétaire: un point de vue post-keynésien Marc Lavoie Université dOttawa

La neutralisation des injections L’agence achète pour 25$ milliards de dollars de prêts

hypothécaires (ou d’actifs adossés à des hypothèques). Comment finance-t’elle cet achat ? Par un prêt du

gouvernement. Mais où le gouvernement va-t’il se procurer l’argent ? En

émettant des obligations à long terme. Qui va acheter ces obligations ? La Banque du Canada. Mais alors, la Banque du Canada va-t’elle créer pour 25 milliards

de monnaie ? Pas du tout, car celle-ci va simultanément vendre aux banques pour 25 milliards de titres émis par le gouvernement, afin de neutraliser l’effet de l’achat des hypothèques pourries sur les encaisses de règlement.

 Ainsi, à la fin de ce tour de passe-passe, les banques canadiennes auront à leur bilan 25 milliards de prêts hypothécaires illiquides en moins, et 25 milliards de bons du Trésor liquides en plus, ce qui va augmenter leur capacité à transiger, sans pour autant injecter de la monnaie.

Page 46: Controverses modernes sur les instruments de politique monétaire: un point de vue post-keynésien Marc Lavoie Université dOttawa

La neutralisation du plan de sauvetage

Banques commerciales Gouvernement et agences

Actif Passif Actif Passif

Prêts hypothécaires pourris -25$ M

Prêts hypothécaires pourris+25$ M

Obligations+25$ M

Bons du Trésor +25$ M

Banque centrale

Actif Passif et valeur nette

Obligations +25$ MBons du Trésor – 25$ M

Page 47: Controverses modernes sur les instruments de politique monétaire: un point de vue post-keynésien Marc Lavoie Université dOttawa

Conclusion

La compréhension du système de paiements et de compensation permet de mieux comprendre pourquoi les banques centrales se donnent un taux d’intérêt pour objectif.

Elle permet aussi de mieux comprendre ce que les gouvernements et les banques centrales tentent de faire pour sauver le système financier, en attendant d’annoncer des mesures à plus long terme.