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CRFPA BY ISP –SESSION 2016 NOTE DE SYNTHÈSE CB SUPPLEMENTAIRE :LA LOYAUTÉ DE LA PREUVE Document n° 1 : Isabelle CORNESSE, Du principe de loyauté de la preuve ou la preuve par S.M.S., Lamy Droit des affaires, 2007, n°21. Document n° 2 : C. cass., Civ. 1ère , 17 juin 2009, 07-21796 Document n° 3 : Ludovic BELFANTI, De la recevabilité des SMS comme mode de preuve en matière de divorce, Lamy Droit de l’immatériel Document n° 4 : Myriam QUEMENER, La géolocalisation à l’épreuve de la procédure pénale, Lamy Droit de l’immatériel, 2013, n°99. Document n°4 bis : Christophe RADE, Preuve. Dispositif de surveillance des salariés. Loyauté. Prohibition des stratagèmes, Droit social 2008 p. 608 Document n° 5 : C. cass. Crim., 4 juin 2008, 08-81045 Document n° 6 : C. cass., Crim, 7 janvier 2014, n°13-85246 Document n° 7 : Didier Thomas, Valérie Bosc, Christine Gavalda-Moulenat, Philippe Ramon, Aude Vaissière, Les transformations de l’administration de la preuve pénale, Archives de politique criminelle, n°26 Pedone, 2004, p. 113. Document n° 8 : Christophe RADE, Preuve. Constat d'huissier. Loyauté. Prohibition des stratagèmes, Droit social, 2008, p. 610 Document n° 9 : E. Chevrier, La loyauté de la preuve l'emporte, même en droit de la concurrence, Dalloz actualité 12 janvier 2011 Document n° 10 : Julien Larregue, Loyauté de la preuve et site internet « d’infiltration » Gazette du Palais, 14 juin 2014 n° 165, P. 20 Document n° 11 : Ludovic Lauvergnat, Loyauté de la preuve, Gazette du Palais, 25 mai 2013 n° 145, P. 28 Document n° 12 : Anne DEBET, Le droit de la preuve et l'article 6 : suite, mais certainement pas fin..., Revue des contrats, 01 avril 2005 n° 2, P. 472 Document n° 13 : François Fourment, Les murs avaient des oreilles, Gazette du Palais, 13 mai 2014 n° 133, P. 41 Document n° 14 : Du droit de la preuve au droit à la preuve, question de mots ou changement de cap ?, Petites affiches, 31 mai 2013 n° 109, P. 5 - Tous droits réservés Document n° 15 : Mikaël Benillouche, Secret professionnel, Gazette du Palais, 02 août 2007 n° 214, P. 8 Document n° 16 : Jurisclasseur, Procédure de contrôle des pratiques anticoncurrentielles, fasc. N°380. Document n° 17 : Jurisclasseur, Enquête préliminaire, Fasc. 20

CRFPA BY ISP SESSION 2016 NOTE DE SYNTHÈSE... · 2016-10-10 · de la faute grave, Cass. soc., 27 sept. 2007 ... clairement dégagé un principe de loyauté de la preuve dans l’arrêt

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CRFPABYISP–SESSION2016NOTEDESYNTHÈSE

CBSUPPLEMENTAIRE:LALOYAUTÉDELAPREUVE

Documentn°1:IsabelleCORNESSE,DuprincipedeloyautédelapreuveoulapreuveparS.M.S.,LamyDroitdesaffaires,2007,n°21.

Documentn°2:C.cass.,Civ.1ère,17juin2009,07-21796

Documentn°3:LudovicBELFANTI,DelarecevabilitédesSMScommemodedepreuveenmatièrededivorce,LamyDroitdel’immatériel

Documentn°4:MyriamQUEMENER,Lagéolocalisationàl’épreuvedelaprocédurepénale,LamyDroitdel’immatériel,2013,n°99.

Documentn°4bis:ChristopheRADE,Preuve.Dispositifdesurveillancedessalariés.Loyauté.Prohibitiondesstratagèmes,Droitsocial2008p.608

Documentn°5:C.cass.Crim.,4juin2008,08-81045

Documentn°6:C.cass.,Crim,7janvier2014,n°13-85246

Documentn°7:DidierThomas,ValérieBosc,ChristineGavalda-Moulenat,PhilippeRamon,AudeVaissière,Lestransformationsdel’administrationdelapreuvepénale,Archivesdepolitiquecriminelle,n°26Pedone,2004,p.113.

Documentn°8:ChristopheRADE,Preuve.Constatd'huissier.Loyauté.Prohibitiondesstratagèmes,Droitsocial,2008,p.610

Documentn°9:E.Chevrier,Laloyautédelapreuvel'emporte,mêmeendroitdelaconcurrence,Dallozactualité12janvier2011

Documentn°10:JulienLarregue,Loyautédelapreuveetsiteinternet«d’infiltration»GazetteduPalais,14juin2014n°165,P.20

Documentn°11:LudovicLauvergnat,Loyautédelapreuve,GazetteduPalais,25mai2013n°145,P.28

Documentn°12:AnneDEBET,Ledroitdelapreuveetl'article6:suite,maiscertainementpasfin...,Revuedescontrats,01avril2005n°2,P.472

Documentn°13:FrançoisFourment,Lesmursavaientdesoreilles,GazetteduPalais,13mai2014n°133,P.41

Documentn°14:Dudroitdelapreuveaudroitàlapreuve,questiondemotsouchangementdecap?,Petitesaffiches,31mai2013n°109,P.5-Tousdroitsréservés

Documentn°15:MikaëlBenillouche,Secretprofessionnel,GazetteduPalais,02août2007n°214,P.8

Documentn°16:Jurisclasseur,Procéduredecontrôledespratiquesanticoncurrentielles,fasc.N°380.

Documentn°17:Jurisclasseur,Enquêtepréliminaire,Fasc.20

DOCUMENTN°1:ISABELLECORNESSE,DUPRINCIPEDELOYAUTEDELAPREUVEOULAPREUVEPARS.M.S.,LAMYDROITDESAFFAIRES,2007,N°21.

Cass.soc.,23mai2007,no06-43.209,P+B+R+I

Si l’enregistrement d’une conversation téléphonique privée, effectué à l’insu de l’auteur desproposinvoqués,estunprocédédéloyalrendantirrecevableenjusticelapreuveainsiobtenue,iln’enestpasdemêmedel’utilisationparledestinatairedesmessagesécritstéléphoniquementadressés, dits S.M.S., dont l’auteur ne peut ignorer qu’ils sont enregistrés par l’appareilrécepteur.

L’évolution des nouvelles technologies suppose un certain nombre de précisions voired’adaptations des règles de droit existantes. « La collision des relations de travail et del’informatique crée incontestablement des situations inédites » (Darmaisin S., L’ordinateur,l’employeuretlesalarié,Dr.soc.2000,p.580)etparlàmêmeuncontentieuxinédit.Leprincipevautpour toutenouvelle technologie.Ainsi, lesmagistratsde lachambresocialede laCourdecassation ont-ils eu à se prononcer sur l’admission d’un nouveau mode de preuve : le ShortMessageServiceouS.M.S.L’intérêtdelasolutiondépasselargementleseuldomainedudroitdutravail.

Madame Y, négociatrice immobilière dans une SCP titulaire d’un office notarial, est licenciéepour faute grave. L’employeur lui reproche d’avoir abusé de ses fonctions, à des finspersonnelles,aupréjudicedesclientsde l’étude.Celle-ciavaitproposéàunvendeurd’acheterunterrainpoursonproprecompte,endéclarantfaussementvouloiryétablirsonhabitation,ettenté dans lemême temps de le revendre à un tiers à un prix très supérieur. Elle avait ainsiutilisésonpostepourtenterderéaliseruneopérationàsonseulprofitcontrairementàl’éthiquedesaprofession.Lasalariéesaisitleconseildesprud’hommespourcontestersonlicenciementen faisant état d’un harcèlement sexuel. La Cour d’appel d’Agen, statuant sur renvoi aprèscassation,décidedansunarrêtdu5avril2006quelelicenciementnereposaitpassurunefautegrave. Elle reconnaît par ailleurs l’existence d’un harcèlement sexuel en se fondant surl’enregistrement d’une conversation téléphonique et des messages écrits, téléphoniquementadressés,ditsS.M.S.L’employeursepourvoitencassation.Dansunpremiermoyen,ilreprocheàlaCourd’appeld’avoirécartélafautegrave.Lachambresocialerejettel’argumentenconstatant« que la cour d’appel, qui a retenu que le fait reproché à la salariée n’avait suscité aucuneremarquedelapartdel’employeur,apuendéduirequesoncomportementn’empêchaitpassonmaintiendans l’entreprisependant laduréedupréavisetneconstituaitpasunefautegrave».Dans un second moyen, l’employeur conteste les modes de preuve du harcèlement sexuelretenus par la Cour d’appel. Il estime que l’enregistrement et la reconstitution d’uneconversationainsique la retranscriptiondemessages, lorsqu’ils sonteffectuésà l’insude leurauteur, constituent des procédés déloyaux rendant irrecevables en justice, les preuves ainsiobtenues. Pour la Cour de cassation « si l’enregistrement d’une conversation téléphoniqueprivée, effectué à l’insu de l’auteur des propos invoqués, est un procédé déloyal, rendantirrecevable en justice la preuve ainsi obtenue, il n’en est pas demême de l’utilisation par ledestinataire desmessages écrits téléphoniquement adressés, dits S.M.S., dont l’auteur ne peutignorer qu’ils sont enregistrés par l’appareil récepteur ». Ainsi elle reconnaît au vu de cesmessagesetdesautresélémentsdepreuvel’existenced’unharcèlement.

Silepremiermoyennesoulèveguèrederemarque(cf.,toutefoissurlaquestiondeladéfinitiondelafautegrave,Cass.soc.,27sept.2007,no06-43.867,P+B+R),teln’estpaslecasdusecond.C’esteneffetlapremièrefoisquelaCoursuprêmeseprononcesansambiguïtésurlalicéitédecemodedepreuveque constituent les S.M.S. L’affirmationduprincipene laissepasdedoutemaislaisseprésagerdedifficultésàvenir.

LEPRINCIPEÉNONCÉDEVALIDITÉDELAPREUVEPARS.M.S.

Selonl’article9duNouveaucodedeprocédurecivile,« il incombeàchaquepartiedeprouverconformémentàlaloilesfaitsnécessairesausuccèsdesaprétention».LaCourdecassationenaclairement dégagé un principe de loyauté de la preuve dans l’arrêt Néocel rendant « illicitel’enregistrementparl’employeur,quelsqu’ensoientlesmotifs,d’imageoudeparoleàl’insudessalariés,pendantletempsdetravail»(Cass.soc.,20nov.1991,no88-43.120,Bull.civ.V,no519,Dr. soc. 1992, p. 28, rapp.Waquet Ph., D. 1992, jur., p. 73, concl. Chauvy Y.). Le principe futclairementréaffirméparla2echambrecivilesousledoublevisadel’article9duNouveaucodedeprocédure civile etde l’article6de laConventioneuropéennede sauvegardedesdroitsdel’Homme et des libertés fondamentales qui pose quant à lui le principe du droit à un procèséquitabledontl’égalitédesarmesestl’unedesmanifestations(Cass.2eciv.,7oct.2004,no03-12.653,Bull.civ.II,no447,D.2005,p.122,obs.BonfilsPh.,RTDciv.2005,p.135,obs.MestreJ.etFagesB.,JCPG2005,II,no10025,noteLégerN.).Lerespectduprincipedeloyautésupposealors de rejeter toute preuve obtenue à l’insu de son auteur (comp. en droit pénal, Béal S. etFerreira A., La preuve à l’épreuve des nouvelles technologies, JCP S 2007, 1639). Trèslogiquement, lesmagistratsont-ils,dans l’affairecommentée,considéréque« l’enregistrementd’uneconversationtéléphoniqueàl’insudel’auteurdesproposinvoqués,estunprocédédéloyalrendantirrecevableenjusticelapreuveainsiobtenue».

«C’est(...)lapremièrefoisquelaCoursuprêmeseprononcesansambiguïtésurlalicéitédecemodedepreuvequeconstituentlesS.M.S.».

LaquestiondelavaliditédelapreuveparS.M.S.étaitcependantpluscomplexe.Pourautant,lasolutionnesurprendguèresicen’estqu’elleporteenl’espècesurlavaleurd’unmodedepreuveen l’absence d’information préalable de l’employeur et non du salarié. Ainsi, les jugespoursuivent : « iln’enestpasdemêmede l’utilisationpar ledestinatairedesmessagesécritstéléphoniquementadressés,ditsS.M.S.,dontl’auteurnepeutignorerqu’ilssontenregistrésparl’appareilrécepteur».Laneutralitédelaformulelaissesupposerqueleprincipeestapplicableque la preuve soit apportée par le salarié ou par l’employeur. Pourtant, dans ce dernier cas,l’article L. 121-8 du Code du travail impose que tout dispositif de collecte d’informationconcernantpersonnellementunsalariéouuncandidatàl’emploisoitpréalablementportéàleurconnaissance. L’article L. 432-2-1 double cette information individuelle d’une information ducomité d’entreprise lorsque celui-ci existe. Mais deux fondements peuvent être invoqués àl’appuidecettevaliditédeprincipedelapreuveparS.M.S.enl’absenced’informationpréalable.

D’une part, la Cour de cassation a déjà eu l’occasion d’admettre la recevabilité de preuvesobtenues, en l’absence d’information préalable des salariés, par des dispositifs dont l’objectifimmédiat n’est pas la surveillance des salariés alors même que leur existence n’a pas étépréalablementportéeàlaconnaissancedessalariés.Ainsi,laCourdecassationaénoncéquesil’employeursedevaitd’informerlessalariésdelamiseenplacededispositifdestinéàsurveillerleuractivité,ilretrouvaitsalibertélorsquelesystèmedevidéosurveillanceétaitinstallédansun

entrepôtdemarchandisesetqu’iln’enregistraitpas l’activitédesalariésaffectésàunpostedetravail déterminé. Dès lors, l’enregistrement vidéo est un mode de preuve admissible du volcommisparunsalariémêmeenl’absenced’informationpréalable(Cass.soc.,31janv.2001,no98-44.290, Bull. civ. V, no 28, D. 2001, p. 2169, obs. Paulin). Demême, « ne constitue pas unmodedepreuve illicite laproductionpar l’employeurdes relevésde facturation téléphoniquequi lui ont été adresséspar la sociétéFranceTélécompour le règlementdes communicationscorrespondantaupostedusalarié»(Cass.soc.,11mars1998,no96-40.147;Cass.soc.,15mai2001, no 99-42.937, Bull. civ. V, no 168). Plus largement, la jurisprudence a reconnu quecertaines situations pouvaient être licites sans information préalable du salarié lorsque « lecontrôlen’appellel’organisationd’aucundispositifparticuliermaisrésultedelaseuleutilisationdetechniquesconnuesetlégitimesdesuividel’activitédel’entreprise»(TeyssiéB.,Lapreuveendroitdutravail,inLapreuve,sousladir.deC.Puigelier,Economica,2004,p.78).

Cet argument est également susceptible d’une autre analyse, mise en lumière dans l’affairecommentée. Ces différentes techniques de suivi de l’activité de l’entreprise, qu’il s’agisse del’utilisationdutéléphoneoude l’outil informatique,reposentsur l’enregistrementdedonnées.Ainsi, il est possible d’invoquer, par ailleurs, un second fondement, celui de l’informationimplicitelorsquelapreuveestapportéegrâceàunetechniquedontchacunsaitqu’ellepermetlaconservationdedonnées susceptiblesd’être retranscritesen casdebesoindevant le juge.Lesdeuxprincipesdoiventsecombiner:c’estparcequelapreuveaétéobtenueparunprocédénevisantpasdirectementlasurveillancedessalariésquel’informationexpliciteetindividuelledessalariésn’estpasexigée.Eneffet,toutdispositifayantpourobjectif lasurveillancedessalariésdoit être porté à leur connaissance alors même qu’ils ne peuvent sérieusement ignorer sonexistence(Cass.soc.,7juin2006,no04-43.866,Bull.civ.V,no206,RJS2006,no1143;JSL,no194, p. 3, JCP S 2006, 1614, obs. Corrignan-Carsin C.). Cette dernière solution ne semble pasremiseencauseparl’arrêtaujourd’huicommenté.

Loind’assouplirlesconditionsdevaliditédesmodesdepreuve,lasolutionconfirmelecaractèreillicitedesinformationsobtenuesclandestinement.LapreuveparS.M.S.n’estadmisequeparceque la technique repose sur l’enregistrement des données et la Cour de préciser : « ce quel’auteur[dumessage]nepeutignorer».

LESDIFFICULTÉSANNONCÉESDELAPREUVEPARS.M.S.

Lasolutiondonnéeen l’espècenedoit cependantpas tromper : si lapreuveparS.M.S.estparprinciperecevable,cen’estpassanscondition.Ledébatsoulevéparcetarrêtnedoitpas faireoublierqueleprincipedeloyautésupposeégalementquelespreuvesproduitesn’aientpasétéobtenuesenviolationdesrèglesprotégeantlavieprivéeoulesecretdescorrespondances.Parailleurs,latechniquemêmeimposedes’interrogersurlafiabilitéetl’intégritédelapreuve.

Leprincipedu respectde lavieprivée sedéclinededeux façons.Toutd’abord, leprincipederespectde lavieprivéesupposeque toutepreuve,mêmeobtenue légalement,apportéepar ledestinataired’unécritàl’encontredesonauteurneportepasatteinteàl’intimitédecedernier(MetzgerM.-J., Le secret des lettresmissives, RTD civ. 1979, p. 291). Le principe est sans nuldoute applicable aux S.M.S. dont chacun s’accorde à souligner qu’ils constituent un écritempruntantsimplementunmodedetransmissionparticulier(BossuB.,Licenciement:leS.M.S.n’estpasunmodedepreuvedéloyal,notesousCass.soc.,23mai2007,no06-43.209,P+B,JCPS2007,1601).

Ensuite,celaposelaquestiondel’accèsàlapreuvelorsqueledemandeurn’estniledestinatairenil’auteurdel’écrit.Eneffet,l’affaireaujourd’huicommentéesoulèveuneautreinterrogation:dans quelle mesure l’employeur peut-il avoir accès aux S.M.S. reçus par un salarié sur sonportableprofessionnellorsqu’iln’enestpasl’auteurafindelesproduireausoutiendesonactionjudiciaire ? Pour répondre à cette question, il est possible de prendre appui sur les solutionsdégagées à propos des fichiers informatiques. En effet, un autre défi relatif à l’évolution destechnologies que la chambre sociale de la Cour de cassation a eu à relever fut celui de ladélimitationducontrôleducontenudesordinateursmisàladispositiondessalariésauregarddu principe de respect de la vie privée de ces derniers. S’appuyant sur l’article 8 de laConvention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales,l’article 9 du Code civil et l’article 120-2 du Code du travail, les magistrats de la Cour decassationontposé,danslecélèbrearrêtNikon(Cass.soc.,2oct.2001,no99-42.942,Bull.civ.V,no291,JSL,no88,p.2,SemainesocialeLamy,no1045,p.6,concl.Kehrig,RJS12/01,no1394,D.2001,p.3148,obs.GautierP.-Y.,D.2001,p.3286,chr.LangloisP.,D.2002,p.2296,obs.CaronC.,RTDciv.2002,p.72,obs.HauserJ.,Dr.soc.2001,p.920,obs.RayJ.-E.,JCPE2001,p.1918,notePuigelierC.),leprincipeselonlequel:

«lesalariéadroit,mêmeautempsetaulieudetravail,aurespectdel’intimédesavieprivée;quecelle-ciimpliqueenparticulierlesecretdescorrespondances;quel’employeurnepeutdèslorssansviolationdecettelibertéfondamentaleprendreconnaissancedesmessagespersonnelsémispar lesalariéetreçuspar luigrâceàunoutil informatiquemisàsadispositionpoursontravail,etcecimêmeaucasoùl’employeurauraitinterdituneutilisationnonprofessionnelledel’ordinateur».

Par lasuite, lesmagistratsontpréciséque l’interdictiondeprincipene jouaitpasenprésenced’unrisqueoud’unévénementparticulier(Cass.soc.,17mai2005,no03-40.017,Bull.civ.V,no165,D. 2005, p. 1873, obs. deQuenaudonR., Dr. soc. 2005, p. 789, obs. J.-E. Ray, JCP S 2005,1031,noteFavennec-HéryF.) et qu’ellene s’appliquait qu’aux fichiers formellement identifiésparlesalariécommeétantpersonnels(Cass.soc.,18oct.2006,no04-47.400,Bull.civ.V,no308,D.2006,p.2753).Lesautresdocumentsdétenusparlesalariédanslebureaudel’entreprisemisàsadispositionsontprésumésavoiruncaractèreprofessionnel,ensortequel’employeurpeutyavoiraccèshorssaprésence.Or,leparallèleaveclesS.M.S.sembletrouvericisalimite.DansunerécenteaffairedanslaquelledesS.M.S.étaientégalementproduitsenjustice,laCourd’appeldeBordeauxa jugéque le faitqu’untéléphoneportableappartienneàunesociétéetsoitmisà ladispositiond’un salariéne faitpasperdreauxS.M.S. émispar cederniergrâceà ce téléphoneleur caractère privé (CA Bordeaux, 3e ch. corr., 17 janv. 2007, jurisdata no 2007-331751. V.MalvinaMairesse, Relisez bien vos sms avant envoi ! <www.village-justice.com>). Le prévenuqui a demandé à un huissier de dresser un procès-verbal des messages découverts sur letéléphone professionnel de son frère doit donc être condamné pour violation du secret descorrespondances.Reste lavoiedégagéeparunautrearrêtde lachambresocialede laCourdecassationdu23mai2007selonlequel:«lerespectdelaviepersonnelledusalariéneconstituepasenlui-mêmeunobstacleàl’applicationdesdispositionsdel’article145duNouveaucodedeprocédure civile dès lors que le juge constate que les mesures qu’il ordonne procèdent d’unmotif légitime et sont nécessaires à la protection des droits de la partie qui les a sollicitées »(Cass. soc.,23mai2007,no05-17.818,P+B+R+ I, JSL,no214,p.2,RJS8-9/07,no989,D.2007,p.1590,noteFabreA., JCPS2007,1451,BarègeA. etBossuB.). Si l’employeurnepeutseul,saufcasexceptionnel,prendrel’initiatived’ouvrirunfichierpersonnel,teln’estpaslecas

du jugequi,dans lecadredupouvoirqui luiest conférépar l’article145duNouveaucodedeprocédurecivile,doitalorss’assurerdubienfondédelademande.Eneffet,deslimitessont-ellesposéesauprincipeénoncéparl’arrêtNikondèslorsquelesrestrictionsapportées,surlemodèlede la jurisprudence relative à l’ouverture des armoires, sont justifiées par un but légitime deprotectiondesdroits,nécessairesàlaréalisationdecebutetproportionnéesàcemêmeobjectif.En effet, les juges relèvent également « que l’huissier avait rempli samission en présence dusalarié»,cequidémontrelecaractèremesurédel’atteinteàlaviepersonnelledusalarié.

Enfin, la preuve par S.M.S. soulève une dernière question que les faits de l’espèce n’ont paspermisd’aborder.Lapreuvemêmelibresedoitd’êtrefiable,c’est-à-direrespecterl’identitédesonauteuret l’intégritédumessage.Laquestiondéjàabordéeàproposdesmails(comp.Cass.soc.,2 juin2004,no02-45.269,TPS2004,étude17,PeschaudH.,Cyberpreuvede l’identitédel’auteurd’uncourrielantisémite)seposeàl’identiquepourleS.M.S.Ainsi,bienquel’employeurnes’ensoitpasdéfenduenl’espèce,cemodedepreuven’estpasàl’abridelacritique,quel’onsonge simplement à l’utilisation par une autre personne du téléphone portable sans que sonpropriétairene s’enaperçoive. Lesmagistrats semblent enêtre conscients enprenant soindepréciserque l’existenceduharcèlement a été établiepar la courd’appelparuneappréciationsouverainedesmessagesécritsadresséstéléphoniquementàlasalariée«etdesautresélémentsdepreuvesoumisàsonexamen».

Ainsi, lesmagistratsde lachambresocialede laCourdecassationviennent-ilsdeconsacrer lerôledecemodecontemporaindecommunicationqui,rappelons-le,à l’originen’avaitvocationqu’à transmettre desmessages de service provenant d’opérateurs téléphoniques. Un fabuleuxdestinquineselimitepasauseuldroitdutravailmaisdontilnefaudrapasnégligerlestravers.

DOCUMENTN°2:C.CASS.,CIV.1ERE,17JUIN2009,07-21796

Cassation.

BULLETINCIVIL-BULLETIND'INFORMATION-RAPPORTDELACOURDECASSATION.

Statuant sur le pourvoi formé parMme Pascale X..., divorcée Y..., domiciliée [...],contre l'arrêtrendule20mars2007parlacourd'appeldeLyon(2echambrecivile,sectionB),danslelitigel'opposant

àM.EmmanuelY...,domicilié[...],

défendeuràlacassation;

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, lemoyen unique de cassation annexé auprésentarrêt;

MoyenproduitparlaSCPCélice,BlancpainetSoltner,avocatauxConseilspourMmeX....

Ilestfaitgriefàl'arrêtattaquéd'AVOIRprononcéledivorcedesépouxY...-X...auxtortsexclusifsdeMadameX...;

AUXMOTIFSQU'"ilrésulteduprocès-verbaldeconstatdresséle16avril2004parMaîtreJeanSIMON,huissierdejusticedeLYON,queMadameX...-Y...aexposéàl'officierministérielqu'elleavaitretrouvé le téléphoneportableperdudesonépouxetqu'ellesouhaitait fairecertifier lesmessagesvisuelsquiapparaissentsurledittéléphone;quelescourriersélectroniquesadresséspar lebiaisde téléphoneportablesous formedecourtsmessagesappeléscommunémentSMSrelèventdelaconfidentialitéetdusecretdescorrespondances;quelalecturedecescourrierspersonnelsàl'insudeleurdestinataireconstitueuneatteintegraveàl'intimitédelapersonne,etced'autantquel'officierministérieln'avaitpasétéautorisépardécisiondejusticeàprocéderàlalectureducontenudel'appareiltéléphonique;qu'ilconvientenconséquenced'écarterdesdébatsleprocès-verbaldeconstatdeMaîtreJeanSIMON;que,contrairementàcequesoutientMadameX...-Y...,MonsieurY...contestel'existencedelarelationadultèrepuisqu'ilécritque«lecaractèreet laréalitédecetterelationnesontdoncpasétablis»etqu'ilconclutaurejetde lademandededivorcedesonépouse;qu'iln'yadoncpasaveud'adultèreetquecegriefn'estpasloyalementétabliparMadameX...»;

ALORSQU'enmatièrededivorce lapreuve se faitpar tousmoyens ;que les jugesdu fondnepeuventécarterdesdébatsunecorrespondanceéchangéeentreunconjointetuntiersques'ilsconstatentquecettepièceaétéobtenueparviolenceouparfraude;qu'aucasd'espèce,aprivésa décision de base légale au regard de l'article 259-1 du Code civil la cour d'appel qui, pourécarter des débats un constat d'huissier relatant le contenu de messages écrits adresséstéléphoniquement,s'estbornéeàretenirquelalecturedecescourriersconstituaituneatteinteàlavieprivée,sansrecherchersicesmessagesavaientétéobtenusparviolenceouparfraude.

Vulacommunicationfaiteauprocureurgénéral;

LACOUR, composée conformémentà l'articleR.431-5ducodede l'organisation judiciaire, enl'audiencepubliquedu19mai2009,oùétaientprésents :M.Bargue,président,MmeTrapero,conseiller référendaire rapporteur, M. Pluyette, conseiller doyen, Mme Pascal, MM. Rivière,Falcone,MmesMonéger,Bignon,M.Chaillou,conseillers,MmeAuroy,M.Chauvin,MmesBobin,Chardonnet, Vassallo, conseillers référendaires, M. Sarcelet, avocat général, Mme Aydalot,greffierdechambre;

Surlemoyenunique:

Vulesarticles259et259-1ducodecivil;

Attenduqu'enmatièrededivorce,lapreuvesefaitpartousmoyens;quelejugenepeutécarterdesdébatsunélémentdepreuveques'ilaétéobtenuparviolenceoufraude;

Attendu qu'un jugement du 12 janvier 2006 a prononcé à leurs torts partagés le divorce desépouxY...-X...,mariésen1995;que,devantlacourd'appel,MmeX...aproduit,pourdémontrerle grief d'adultère reproché à M. Y..., des mini-messages, dits "SMS", reçus sur le téléphoneportable professionnel de son conjoint, dont la teneur était rapportée dans un procès-verbaldresséàsademandeparunhuissierdejustice;

Attenduque,pourdébouterMmeX...desademandereconventionnelleetprononcerledivorceàsestortsexclusifs,lacourd'appelénoncequelescourriersélectroniquesadressésparlebiaisdetéléphoneportablesouslaformedecourtsmessagesrelèventdelaconfidentialitéetdusecretdescorrespondancesetquelalecturedecescourriersàl'insudeleurdestinataireconstitueuneatteintegraveàl'intimitédelapersonne;

Qu'enstatuantainsi,sansconstaterquelesmini-messagesavaientétéobtenusparviolenceoufraude,lacourd'appelaviolélestextessusvisés;

PARCESMOTIFS:

CASSEETANNULE,danstoutessesdispositions,l'arrêtrendule20mars2007,entrelesparties,parlacourd'appeldeLyon;remet,enconséquence,lacauseetlespartiesdansl'étatoùellessetrouvaientavant leditarrêtet,pourêtre faitdroit, lesrenvoiedevant lacourd'appeldeLyon,autrementcomposée;

CondamneM.Y...auxdépens;

Vul'article700ducodedeprocédurecivile,rejettelademandedeM.Y...;

Ditquesur lesdiligencesduprocureurgénéralprès laCourdecassation, leprésentarrêtseratransmispourêtretranscritenmargeouàlasuitedel'arrêtcassé;

DOCUMENTN°3:LUDOVICBELFANTI,DELARECEVABILITEDESSMSCOMMEMODEDEPREUVEENMATIEREDEDIVORCE,LAMYDROITDEL’IMMATERIEL

Cass. 1re civ., 17 juin 2009, n° 07-21.796, FS-P+B+R+I (Trézéguet M., Preuve par SMS d’un adultère, RLDI, 2009/52, n° 1725)

La 1re chambre civile apporte de nouvelles précisions sur le principe de liberté de la preuve en matière de divorce : un sms

peut ainsi être produit à titre de preuve à condition de ne pas avoir été obtenu par violence ou par fraude.

1. La loi du 26 mai 2004 (1) portant réforme de la procédure de divorce (2) a modifié l’architecture des procédures

anciennes tout en conservant le divorce pour faute malgré de vives critiques (3) et alors que plusieurs pays européens l’ont

supprimé (4). L’une des critiques faite à ce type de divorce est l’exposition de l’intimité des époux sur la scène judiciaire.

Une telle immixtion dans cette sphère première de la vie privée pose, en effet, des difficultés récurrentes au regard

notamment du droit de la preuve. Puisque, s’agissant de faits juridiques, « la preuve de la violation grave ou renouvelée des

devoirs et obligations du mariage (...) imputable à son conjoint et rendant intolérable le maintien de la vie

commune » (5) est libre, comment conjuguer cette liberté avec la nécessaire protection de la vie privée ?

2. C’est à cette difficulté que se heurte l’arrêt du 17 juin 2009. En l’espèce, l’épouse avait interjeté appel du jugement

ayant prononcé le divorce aux torts partagés et avait produit, pour démontrer le grief d’adultère reproché à son mari, des

SMS reçus sur le téléphone portable professionnel de ce dernier, dont la teneur était rapportée dans un procès-verbal dressé

à sa demande par un huissier de justice. Dans son arrêt du 20 mars 2007, la Cour d’appel de Lyon déboutait l’épouse de sa

demande et prononçait le divorce à ses torts exclusifs, considérant que « les courriers électroniques adressés par le biais de

téléphone portable sous la forme de courts messages relèvent de la confidentialité et du secret des correspondances et que

la lecture de ces courriers à l’insu de leur destinataire constitue une atteinte grave à l’intimité de la personne ».

3. L’épouse formait un pourvoi qui devait aboutir à la cassation, au motif que les juges du second degré ne s’étaient pas

interrogés sur le fait de savoir si les mini messages (6) avaient été ou non obtenus par violence ou fraude. Le présent arrêt

permet de retenir qu’en matière de divorce, si la preuve est libre quant à son mode d’expression (I), elle est aussi

nécessairement limitée quant à son mode d’obtention (II).

I. –

LE PRINCIPE DE LIBERTÉ DE LA PREUVE QUANT À SON MODE D’EXPRESSION

4. Le SMS (7), dit aussi mini message dans sa forme francisée, peut-il constituer un mode de preuve recevable en matière de

divorce ? C’est une réponse positive qu’apporte la 1re chambre civile, adaptant ainsi sa jurisprudence aux nouveaux modes de

preuves liés à l’évolution technologique. La solution retenue, s’agissant du mode de communication électronique, est

conforme au droit commun de la preuve (A) dont la préoccupation est de rechercher la vérité. Ce souci légitime doit se

conjuguer avec le souci tout aussi légitime de protection de la vie privée qui semble toutefois régresser (B).

A. –

Conformité de la solution retenue au droit commun de la preuve

5. L’une des finalités de tout procès est la recherche de la vérité (8). Cette quête implique pour chaque partie l’obligation

de produite la preuve des faits qu’elle allègue (9).

En matière de divorce, les fautes peuvent être prouvées par tout moyen s’agissant de faits juridiques. C’est ce que rappelle

l’article 259 du Code civil qui dispose que « les faits invoqués en tant que causes de divorce ou comme défenses à une

demande peuvent être établis par tout mode de preuve, y compris l’aveu ». Aussi, lorsque la 1re chambre civile affirme dans

un attendu de principe « qu’en matière de divorce, la preuve se fait par tout moyen», elle se contente de rappeler le droit

commun en la matière. Ce principe revêt toutefois aujourd’hui une dimension particulière puisque dans le sillon de la

consécration d’un droit processuel fondamental, la jurisprudence n’hésite plus à consacrer un véritable droit à la

preuve (10). Ce droit s’entend comme une faculté offerte aux parties de réunir un arsenal de preuves, sans que leur nature

même ne soit enfermée dans tel ou tel standard. Ce faisant, les courriers électroniques adressés par le biais d’un téléphone

portable sous la forme de courts messages, ou SMS, sont recevables comme mode d’expression de preuve.

6. La prise en compte de ce nouveau mode de preuve apparaît conforme à la jurisprudence relative au divorce qui a toujours

été encline à admettre les preuves les plus variées mais aussi les plus intimes. L’examen de la jurisprudence en la

matière (11) permet de retenir l’idée que toute preuve, quel que soit son mode expression – oral, écrit ou dématérialisé –

peut être admise dès qu’il s’agit de démontrer les griefs reprochés à un époux. Ainsi, au-delà de l’aveu (12), mode

d’expression oral de la preuve (13), les juridictions ont-elles accepté d’abord les modes d’expression écrits, par exemple la

production par un époux de lettres missives (14) adressées à son conjoint et contenant des informations confidentielles (15),

ou encore la production du journal intime (16) faisant état de relations adultères de l’épouse avec un autre homme (17).

Le droit de la preuve ne peut rester imperméable au progrès technologique dont la pratique se saisit naturellement.

L’apparition des nouvelles technologies a induit, en miroir, des modes de preuve électroniques (18) et numériques, lesquels

ont donné lieu à des discussions judiciaires. Avec réalisme, la Cour de cassation a admis la production de

courriels (19) comme éléments de preuve d’un adultère. Ceci rappelle que le législateur a, par une loi du 13 mars 2000 (20),

reconnu à l’écrit sous forme électronique (21) une dimension identique à l’écrit sur support papier, lui conférant ainsi le

statut de preuve littérale (22). La preuve par SMS s’inscrit donc dans la suite logique de cette évolution qui doit pouvoir

s’appliquer aux MMS (23) ou autres réseaux sociaux que sont Twitter ou encore Facebook.

Le droit de la preuve ne peut rester imperméable au progrès technologique dont la pratique se saisit naturellement.

7. La preuve par SMS, si elle fait son apparition en matière de divorce, a déjà été consacrée récemment en matière de droit

du travail, dans un arrêt du 23 mai 2007 (24) aux termes duquel la Cour de cassation a admis qu’un SMS puisse prouver le

harcèlement sexuel d’un employeur envers sa salariée, la Cour retenant que « si l’enregistrement d’une conversation

téléphonique privée, effectuée à l’insu de l’auteur des propos invoqués, est un procédé déloyal rendant irrecevable en

justice la preuve ainsi obtenue, il n’en est pas de même de l’utilisation par le destinataire des messages écrits

téléphoniquement adressés, dits SMS, dont l’auteur ne peut ignorer qu’ils sont enregistrés par l’appareil récepteur ». Dans

cette affaire, le SMS émanait directement de l’employeur qui, en utilisant un mode de communication permettant une

traçabilité, a implicitement autorisé son destinataire à en faire un libre usage. Cette situation est radicalement différente de

celle qui nous occupe puisque les SMS litigieux étaient destinés, non à l’épouse, mais au mari qui les a reçus sur son

téléphone portable professionnel.

Il en va de même en matière pénale (25) : des menaces envoyées par SMS (26) sur le téléphone de la victime peuvent revêtir

la qualification de menaces de mort réitérées (27). L’incrimination d’appels téléphoniques malveillants réitérés en vue de

troubler la tranquillité d’autrui (28) peut aussi être retenue lorsque le prévenu adresse à sa victime de nombreux SMS, dont

la réception se manifeste par l’émission d’un signal sonore (29).

B. –

Primauté du principe sur le droit au respect à la vie privée

8. La sphère de l’intimité du couple, on l’a dit, est nécessairement un lieu de confrontation entre droits fondamentaux

concurrents de valeurs égales. Le principe de la liberté de la preuve en général et de la recevabilité du SMS en particulier

doivent être mis en balance avec ces droits. En cette matière, ce sont les articles 9 et 259 du Code civil (30) qui peuvent

s’entrechoquer, tout comme les articles 8 et 6.1 de la Convention EDH (31).

Quel droit fondamental doit l’emporter sur l’autre ? La Cour de cassation adopte un raisonnement conforme au droit

européen en évaluant la proportionnalité des atteintes portées à la vie privée et au but poursuivi.

9. L’arrêt commenté illustre assurément l’existence d’un conflit de droits. Il aboutit à deux lectures si ce n’est opposées, du

moins différentes : la confidentialité et le secret des correspondances préférées par la Cour d’appel, la nécessité du contrôle

préalable de l’obtention de la preuve, proclamée par la Cour de cassation.

Pour écarter, en effet, la demande de l’épouse tendant à voir prononcer le divorce aux torts exclusifs de son mari, la Cour

d’appel énonce que « les courriers électroniques adressés par le biais de téléphone portable sous la forme de courts

messages relèvent de la confidentialité et du secret des correspondances et que la lecture de ces courriers à l’insu de leur

destinataire constitue une atteinte grave à l’intimité de la personne ». Cette position de principe posée par les juges du

fond protège sans conteste le droit au respect de la vie privée au détriment du droit à la preuve contenu dans l’article 259

du Code civil. Or, en censurant l’arrêt d’appel, la Haute juridiction permet de retenir qu’au-delà du droit à la vie privée,

coexistent des règles propres à la preuve en matière de divorce, tout aussi essentielles, qu’il importe d’articuler avec le

droit au respect de la vie privée.

Ce raisonnement a déjà été utilisé par la Cour de cassation dans d’autres domaines que le divorce. Elle a tour à tour

considéré qu’interdire à une partie de faire la preuve d’un élément de fait essentiel au succès de ses prétentions emportait

violation du principe d’égalité des armes opposé au respect de la vie privée (32) ; elle a, en revanche, rejeté un moyen de

preuve lorsque celui-ci était ni nécessaire au regard des besoins de la défense ni proportionné au but recherché (33).

En définitive, face à des normes de hiérarchie équivalente, le juge doit rechercher leur équilibre et, le cas échéant,

privilégier la solution la plus protectrice de l’intérêt le plus légitime (34).

10. Cette démarche, d’inspiration conventionnelle, a naturellement été adoptée par la Cour EDH dans deux affaires récentes

de divorce. Dans un premier arrêt (35), la Cour de Strasbourg a fait grief aux juridictions françaises d’avoir retenu, parmi

plusieurs éléments de preuve produits, un compte-rendu opératoire d’un époux faisant état de son alcoolisme, en

considérant qu’il y avait eu violation du droit au respect de la vie privée et du secret des données médicales. En effet, en

présence d’autres éléments de preuve, les juridictions françaises auraient dû écarter la pièce médicale qui n’apparaissait

pas nécessaire (36). Dans le deuxième arrêt (37), la Cour a entériné l’admission par les juges nationaux de lettres versées par

l’épouse faisant état de relations homosexuelles de son mari, la Cour considérant en particulier qu’il n’était pas démontré

que l’entrée en possession des éléments de preuve avait été irrégulière.

11. Refuser ou altérer le principe de liberté de la preuve en matière de divorce, à raison du droit à la vie privée, reviendrait

à interdire à l’un des époux de prouver la faute de l’autre et aurait pour conséquence de rompre le juste équilibre entre les

parties.

Au fond, la cassation opérée par l’arrêt commenté fait obligation de garantir le droit à la preuve. Ce faisant, les normes

relevant du domaine du droit procédural ne l’emportent-elles pas sur le domaine des normes de fond ou du droit matériel ?

II. –

LES LIMITES DE LA LIBERTÉ DE LA PREUVE QUANT À SON MODE D’OBTENTION

12. Si la preuve en matière de divorce peut être faite par tout moyen, il n’en demeure pas moins que des limites encadrent

son obtention (A). Si ces limites permettent un contrepoids, encore faut-il tenter d’en mesurer la portée (B).

A. –

Les limites légales et jurisprudentielles au principe de liberté de la preuve

13. Les limites au principe de la liberté de la preuve sont contenues dans l’article 259-1 du Code civil qui énonce qu’« un

époux ne peut verser aux débats un élément de preuve qu’il aurait obtenu par violence ou fraude » (38). Cette disposition

est de nature à assortir de garanties suffisantes l’utilisation des données relevant de la vie privée.

La détermination du mode d’obtention des preuves est le point d’orgue de cet article, dont l’intérêt est de permettre

d’exclure des débats un moyen de preuve obtenu illégalement, quelle que soit sa pertinence. La marge d’évaluation ainsi

accordée par la loi s’inscrit dans le pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond (39).

14. Toutefois, l’examen du moyen annexe à l’arrêt commenté permet de noter que la Cour d’appel de Lyon a évoqué le

principe de loyauté (40) en considérant que le grief d’adultère n’a pas été « loyalement établi » par l’épouse, ajoutant que

« l’officier ministériel n’avait pas été autorisé par décision de justice à la lecture du contenu de l’appareil téléphonique ».

Ces références n’incitent-elle pas à retenir l’idée que les juges du fond ont implicitement mais nécessairement admis que la

détention du téléphone portable et l’exploration de son contenu caractérisaient la fraude ?

Cela ne revient-il pas à ériger le principe de loyauté des preuves comme un standard qui serait autonome voire supérieur à

l’article 259-1 du Code civil ? Dans cette hypothèse, le principe de liberté contenu dans la loi ne serait-il pas vidé de sa

substance dès lors que la preuve toucherait l’un des attributs de la vie privée ? Accueillir un principe de loyauté probatoire

en matière de divorce, parfaitement indépendant des limites légales, aurait assurément pour effet de réduire au silence la

vérité (41).

15. Le recours au principe de loyauté n’est pas nouveau et suscite la controverse (42). Il trouve un fort écho en matière de

preuve (43), dont on a déduit l’existence par la combinaison des articles 9 du Code de procédure civile et 6.1 de la

Convention EDH.

La jurisprudence civile, commerciale et pénale ont tour à tour eu recours à ce principe pour écarter ou au contraire

admettre des moyens de preuve affectant la vie privée. C’est en matière d’écoutes téléphoniques que la question de la

loyauté s’est posée avec le plus d’acuité. Ainsi, la 2e chambre civile (44) a été amenée à rejeter le moyen de preuve

constitué par une cassette contenant l’enregistrement d’une conversation téléphonique effectué par le prêteur à l’insu de

l’emprunteur (45). La chambre commerciale (46) avait également écarté, dans un litige relatif à des pratiques anti-

concurentielles, un enregistrement téléphonique clandestin. Toutefois, la juridiction de renvoi (47) vient de prendre le

contre-pied de cette analyse(48). De son côté, la chambre criminelle (49) a validé la production par un époux d’un procès-

verbal d’huissier retranscrivant l’enregistrement d’une conversation téléphonique avec son épouse, dans laquelle celle-ci

reconnaissait le caractère mensonger d’une attestation qu’elle avait produite pour l’accuser de violences à son encontre. La

chambre criminelle considère que l’enregistrement litigieux était justifié par la nécessité de rapporter la preuve des faits

dont l’époux était accusé, pour les besoins de sa défense. Cette démarche transforme une preuve obtenue de façon déloyale

en preuve licite (50). L’approche est radicalement différente s’agissant de la police judiciaire (51) qui doit rechercher les

preuves de manière loyale.

16. En matière de divorce, si le principe de loyauté de la preuve existe, il ne peut être que contenu dans l’article 259-1 du

Code civil qui exclut expressément les preuves qui sont obtenues par violences ou fraudes. Ce texte accrédite l’idée de

légalité de l’administration de la preuve (52), aspect de la légalité procédurale (53) qui a pour ancrage le droit au procès

équitable.

B. –

La portée incertaine de ces limites

17. Que recouvrent la fraude ou la violence énoncées par l’article 259-1 du Code civil dans le contexte conjugal d’intimité ?

Par quels actes ou comportements sont-ils constitués ? Qui doit prouver cette violence ou cette fraude ?

Le présent arrêt contribue, en proclamant le principe de liberté de la preuve, à renforcer les droits de la défense (...) sans

pour autant que ne soient nécessairement affectés les autres droits concurrents que sont le droit à la confidentialité et au

secret des correspondances (...).

À dire vrai, la démonstration de l’obtention illicite de la preuve est un art difficile. Ce fardeau est tel qu’il peut vider cet

article de sa substance. Il faut que la violence ou la fraude soient particulièrement criantes pour parvenir à la

démontrer (54). Ainsi, a pu être considérée comme irrégulière la production de lettres que le mari avait récupérées après

avoir forcé l’armoire de son épouse et fouillé dans le sac qui y était rangé (55). Dans le même ordre d’idée, a été rejeté l’e-

mail intercepté par l’épouse grâce à l’introduction dans l’ordinateur professionnel de son mari, en se procurant son mot de

passe (56). Il convient aussi d’écarter des débats des courriers électroniques échangés par l’époux avec des internautes qui

avaient été obtenus grâce à l’installation par l’épouse d’un logiciel espion (57). L’enregistrement clandestin d’une

communication téléphonique (58) entre un époux et un tiers devrait sans nul doute être écarté tout comme la captation des

SMS à distance (59). Au-delà du rejet, une telle captation entre dans les prévisions de la loi pénale (60) et peut aboutir à des

condamnations (61). Toutefois, la situation pourrait être différente si un époux laissait, en toute connaissance de cause, sur

la messagerie de son conjoint, des propos de nature à révéler un adultère (62).

18. Tout ceci ne doit pas éluder d’autres difficultés qui tiennent au caractère immatériel de la preuve. En effet, comment

peut-on s’assurer à la fois de l’intégrité du message et de l’identité réelle de son expéditeur (63) ? Rien n’interdit de penser

qu’un époux puisse recourir à une machination pour piéger son conjoint en faisant envoyer des SMS tendancieux par un

complice. Ces écueils ne facilitent sans doute pas la tâche des juges qui doivent analyser une situation dans son ensemble et

l’apprécier in concreto.

19. Que peut-on dire des SMS, consignés par procès-verbal d’huissier, produits au procès par l’épouse ? Cette dernière

indiquait avoir retrouvé le téléphone professionnel égaré de son époux tandis que celui-ci soutenait une subtilisation (64),

sans pouvoir en rapporter la preuve. Cependant, le simple fait d’énoncer une collecte illicite et en tout cas l’absence de

remise volontaire de téléphone ne fait pas présumer la fraude (65). C’est au contraire une présomption d’obtention licite qui

jaillit, facilitant sans doute la recherche de la vérité. Dès lors qu’il invoque la violence ou la fraude, l’époux doit

nécessairement en rapporter la preuve (66).

Incontestablement, pour accéder aux messages destinés exclusivement à son mari, l’épouse a accompli des actes positifs :

manipulation du téléphone et lecture des courriers électroniques enregistrés dans la mémoire de l’appareil. Ces actes

doivent-ils être considérés comme frauduleux ? La démarche n’est-elle pas la même lorsqu’un époux lit un courrier adressé à

son conjoint, examine son journal intime ou consulte un courriel qui ne lui est pas destiné ? Cela étant, peut-on caractériser

la fraude dès lors que l’appareil en cause n’est ni sécurisé ni verrouillé par un code ? L’absence d’obstacle interdisant toute

consultation ne rend-il pas, de fait, les SMS libres d’accès ? C’est à ces questions que devra notamment répondre la Cour

d’appel de renvoi.

20. En définitive, le présent arrêt contribue, en proclamant le principe de liberté de la preuve, à renforcer les droits de la

défense – en ce sens que chaque partie peut produire tout mode de preuve – sans pour autant que ne soient nécessairement

affectés les autres droits concurrents que sont le droit à la confidentialité et au secret des correspondances, dès lors que les

juges du fond s’assurent des modalités d’obtention de la preuve, qu’elle qu’en soit son support. Ainsi, cette démarche

permet-elle, à n’en pas douter, de privilégier la découverte de la vérité et rappelle à tout un chacun l’adage bien connu

: verba volant scripta manent (67).

DOCUMENTN°4:MYRIAMQUEMENER,LAGEOLOCALISATIONAL’EPREUVEDELAPROCEDUREPENALE,LAMYDROITDEL’IMMATERIEL,2013,N°99.

Le présent article est consacré à la preuve numérique à l’heure de la géolocalisation. Il est inutile de souligner sa

grande actualité dans la mesure où il est l’occasion de présenter les deux arrêts de la chambre criminelle de la Cour de

cassation du 22 novembre 2013 intervenus sur ce thème.

L’évolution de la criminalité de plus en plus organisée, numérique et internationale a abouti à un renouvellement des modes

d’administration de la preuve pénale(1) qui ont dû s’adapter à l’univers désormais numérique. En effet, le développement

des technologies a bouleversé les méthodes d’enquête, si bien que les procédures pénales et les investigations portent sur

l’exploitation de données récupérées dans, par exemple, les ordinateurs, les smartphones, les tablettes et qu’il faut agir vite

et efficacement en raison du risque de dépérissement des preuves.

L’administration de la preuve pénale comprend, à ce titre, deux étapes fondamentales : d’une part, elle intègre la phase

incontournable de recueil des éléments probatoires menée principalement par les officiers et agents de police judiciaire sous

la direction du procureur de la République ainsi que par le magistrat instructeur ; d’autre part, elle englobe l’opération de

recevabilité de ces mêmes éléments dirigée par le juge répressif.

Si le progrès dans les nouvelles méthodes d’enquête – concomitant à la modernisation de la criminalité – est commandé par

le souci d’accroître la réponse pénale et l’efficacité de la répression, ces technologies sont des moyens qui s’immiscent

toujours davantage dans la sphère d’intimité de l’individu.

Le praticien du droit est donc aujourd’hui confronté à des difficultés liées au recueil de ces indices numériques dont la

validité peut être contestée et faire l’objet de requêtes en nullité.

La preuve doit être recueillie loyalement ou de façon licite, c’est-à-dire dans le respect de ce qui est exigé par la loi. Cette

exigence du procès équitable a pour corollaire le principe de la loyauté des preuves.

Or en France si la liberté de la preuve est affirmée par l’article 427 du Code de procédure pénale, la difficulté vient du fait

que le législateur n’a pas entièrement réglementé le domaine du numérique et que de nouveaux outils technologiques,

comme la captation de données à distance ou la géolocalisation, sont apparus pour trouver des indices numériques.

Le processus pénal doit en outre tenir compte du droit national mais aussi supranational avec principalement les exigences

de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (Convention EDH) et de la

jurisprudence qui en découle.

En matière pénale, il apparaît une tendance à privilégier le principe d’efficacité, de recherche de la vérité, au détriment

parfois du principe de loyauté surtout dans le cas où les parties privées apportent des preuves au procès.

La chambre criminelle de la Cour de cassation adopte ainsi une conception large des méthodes d’admission des modes de

preuve(2), ce qui conduit le juge national à admettre parfois des procédés déloyaux ou illégaux. Il convient cependant de

distinguer le cas des preuves produites par les parties, de celui où les preuves sont fournies par les autorités publiques. La

notion de « preuve licite et loyale » est en fait à géométrie variable selon qu’elle est produite par des autorités privées ou

publiques, ces dernières étant soumises à une obligation renforcée de loyauté(3). Pour les parties privées, leprincipe de la

loyauté de la preuve est atténué et il est de jurisprudence établie que la preuve illégalement obtenue peut être produite

en justice.

Pour les personnes publiques en revanche, il est clairement affirmé que le principe de loyauté prime sur le principe

d’efficacité.

Les enquêteurs ne peuvent utiliser que des preuves dont la nature est prévue par la loi et dans le respect des droits et

libertés fondamentaux. Dans un arrêt du 11 mai 2006(4), la chambre criminelle de la Cour de cassation a conclu à la

déloyauté d’une preuve obtenue à la suite d’une provocation à l’infraction « par un agent de l’autorité publique ou par son

intermédiaire ».

La chambre criminelle va jusqu’à étendre le champ d’application du principe de loyauté au recueil d’indices provenant de

l’étranger en annulant une procédure ouverte en France sur la base d’une provocation à l’infraction d’origine étrangère.

En effet, par un attendu de principe, elle indique que « la provocation à la commission d’une infraction par un agent public,

fût-elle réalisée à l’étranger par un agent public étranger, ou par son intermédiaire, porte atteinte au principe de loyauté

des preuves et au droit au procès équitable».

Cette décision(5) doit être saluée dans la mesure où elle est conforme aux exigences de notre ordre public qui ne peut

souffrir d’une dualité de régimes selon que la preuve est obtenue en France ou à l’étranger.

Il reste à espérer qu’elle constitue un préalable à une autre unification, à savoir celle de la preuve administrée par une

partie privée qui continue d’être exclue du principe de loyauté, et celle fournie par des officiers de police judiciaire, par

exemple.

I. –

GÉOLOCALISATION : DE LA LIBERTÉ À LA LÉGALITÉ DE LA PREUVE PÉNALE

La justice est donc désormais constamment confrontée à la recherche d’indices numériques et le cas de la géolocalisation,

de plus en plus utilisée pour établir des infractions graves, par exemple le terrorisme, est d’actualité et pose des

interrogations sur le plan juridique.

En effet, la géolocalisation(6) permet une surveillance de suspects de façon proactive en temps réel contrairement au

bornage qui intervient a posteriori et qui est moins précis. Ces derniers moyens en ayant recours à des réquisitions auprès

d’opérateurs téléphoniques afin de localiser les bornes ayant été activées par un téléphone portable ne sont pas visées par

ces décisions.

La géolocalisation donne lieu à des décisions illustrant la complexité de la question du recueil de la preuve et constitue une

illustration parfaite du dilemme dans lequel se trouve la Juridiction suprême, entre les exigences processuelles de l’article 8

de la Convention EDH et l’efficacité répressive pour assurer la protection de l’intérêt national de l’État.

Par un important arrêt(7), la Cour européenne s’est prononcée en 2010 sur la compatibilité avec les dispositions de la

Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales d’une surveillance par GPS, qui est un

système de géolocalisation par satellite, ordonnée dans le cadre d’une enquête pénale. Dans sa décision, la Cour a tout

d’abord relevé que les autorités d’enquête avaient véritablement « pisté » les déplacements du requérant en public, ce qui

l’a amenée à conclure à l’existence d’une ingérence dans la vie privée de l’intéressé, telle que protégée par l’article 8, § 1,

de la Convention EDH.

Ayant vérifié que cette ingérence était bien « prévue par la loi » au regard des dispositions du Code de procédure pénale

allemand, elle a relevé que la surveillance était réalisée dans l’intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté publique, de la

prévention des infractions pénales (terrorisme) et de la protection des droits des victimes, qu’elle avait seulement été

ordonnée après l’échec d’autres mesures moins intrusives, et mise en œuvre pour une courte durée, ne « touchant » le

requérant que lorsqu’il se déplaçait dans la voiture de son complice. Elle en a déduit que la surveillance était proportionnée

aux buts légitimes poursuivis et donc « nécessaire dans une société démocratique », au sens de l’article 8, § 2, de la

Convention EDH.

En droit français, la mesure, consistant à mettre en place, sur un véhicule automobile, un dispositif technique tendant à

suivre les déplacements de celui-ci, ne fait pas l’objet d’une réglementation spécifique dans le Code de procédure pénale et

son fondement légal paraît dès lors devoir être recherché dans les articles 81 et 151 du Code de procédure pénale qui

permettent au juge d’instruction d’effectuer, sur commission rogatoire, tous actes utiles à la manifestation de la vérité.

La chambre criminelle a vu dans ces dispositions une base légale suffisante pour justifier des mesures d’investigation non

comprises dans la nomenclature légale, même lorsqu’elles étaient attentatoires aux droits de la personne.

Il convient de rappeler que la chambre criminelle, saisie du pourvoi formé contre la décision d’une chambre de l’instruction

ayant rejeté la requête en annulation des réquisitions délivrées dans le cadre d’une enquête préliminaire à un opérateur de

téléphonie relatives à la communication des informations concernant les appels reçus et adressés avec localisation des relais

déclenchés, au motif que celles-ci n’avaient pas été autorisées par une ordonnance du juge des libertés et de la détention, a

déjà estimé que l’établissement du parcours d’un individu grâce aux déclenchements de relais n’était pas de même nature

que des écoutes téléphoniques. Puis elle a indiqué que la chambre de l’instruction, ayant déclaré régulières lesdites

réquisitions, avait justifié sa décision, dès lors que ces réquisitions tendaient uniquement à la mise à disposition

d’informations utiles à la manifestation de la vérité(8).

Cependant, conformément à la jurisprudence de la Cour européenne, au-delà de l’existence d’un fondement légal, il faut

que la loi qui prévoit la possibilité de prendre des mesures de surveillance soit accessible et prévisible et qu’il existe des

garanties adéquates et suffisantes contre les abus.

Conformément à la jurisprudence de la Cour européenne, au-delà de l’existence d’un fondement légal, il faut que la loi qui

prévoit la possibilité de prendre des mesures de surveillance soit accessible et prévisible et qu’il existe des garanties

adéquates et suffisantes contre les abus

La chambre criminelle a été récemment saisie d’un pourvoi formé contre la décision d’une chambre de l’instruction ayant

refusé d’annuler des mesures de géolocalisation effectuées grâce à la mise en place d’un dispositif technique placé sur un

véhicule en l’espèce, dans le cadre d’une information suivie, notamment, des chefs d’infractions à la législation sur les

stupéfiants et association de malfaiteurs ; le juge d’instruction avait prescrit, par commission rogatoire distincte, la mise en

place d’un dispositif technique, dit « de géolocalisation », sur un véhicule utilisé par les suspects aux fins d’en déterminer

les déplacements.

Rejetant le pourvoi, elle a énoncé que caractérise la prévisibilité et l’accessibilité de la loi, et la proportionnalité de

l’ingérence réalisée dans l’exercice, par les personnes concernées, du respect de leur vie privée, au regard de l’article 8, §

2, de la Convention EDH, la chambre de l’instruction qui retient, d’une part, que l’apposition sur un véhicule automobile

d’un dispositif technique dit « de géolocalisation » a pour fondement l’article 81 du Code de procédure pénale et, d’autre

part, que la surveillance a été effectuée sous le contrôle d’un juge et que, s’agissant d’un trafic de stupéfiants en bande

organisée portant gravement atteinte à l’ordre public et à la santé publique, elle était proportionnée au but poursuivi et

nécessaire au sens du texte conventionnel susvisé(9).

Elle a constaté que la chambre de l’instruction ne s’est pas contentée de se référer au fondement légal de la mesure, tel

qu’il résulte des articles 81 et 151 du Code de procédure pénale, mais qu’elle a également vérifié, conformément à la

décision de la Cour européenne, que cette mesure, qui constitue une ingérence au sens de l’article 8 de la Convention, était

bien proportionnée au but poursuivi.

II. –

LA GÉOLOCALISATION : UNE INGÉRENCE DANS LA VIE PRIVÉE

La chambre criminelle de la Cour de cassation par deux arrêts du 22 novembre 2013(10) vient de préciser qu’il se déduit de

l’article 8 de la Convention EDH que la technique dite « de géolocalisation » constitue « une ingérence dans la vie privée

dont la gravité nécessite d’être ordonnée sous le contrôle d’un juge garant du respect des libertés individuelles ». En

l’espèce, il s’agissait de procédures, d’une part, d’association de malfaiteurs en vue de la préparation d’actes de terrorisme

et, d’autre part, d’infractions à la législation sur les stupéfiants où les téléphones portables des mis en examen avaient fait

l’objet d’une géolocalisation.

La Haute Cour casse et annule uniquement la décision sur la géolocalisation prescrite durant l’enquête préliminaire et non

pas durant l’information judiciaire dans le cadre de laquelle d’autres mesures de surveillances ont été ordonnées sous le

contrôle d’un juge d’instruction(11). Implicitement, on comprend aussi qu’il appartient à un juge indépendant de contrôler

ces measures, ce qui n’est pas le cas du magistrat du parquet(12) qui n’est pas considéré comme indépendant(13).

On remarque cependant que la chambre criminelle vise non pas seulement l’article 8, § 1, de la Convention EDH énonçant

que « toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance », mais

l’article 8 dans son intégralité, c’est-à-dire aussi le § 2 de l’article, qui dispose « qu’il ne peut y avoir ingérence d’une

autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue

une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être

économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la

morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ».

La chambre criminelle réaffirme ici l’exigence du contrôle du juge pour toutes les mesures intrusives visant à rechercher des

éléments de preuves numériques, contrôle absent au stade de l’enquête, ce qui justifie la cassation. Ces arrêts vont avoir

des conséquences importantes et entraîner des requêtes en nullité relatives à des procédures où la géolocalisation a été

ordonnée non seulement en enquête préliminaire mais également en flagrance(14).

III. –

ENCADRER LA GÉOLOCALISATION PAR LA LOI

En visant l’article 8 de la Convention EDH dans son intégralité, la Haute Cour exprime implicitement la nécessité de

légiférer(15) en matière de géolocalisation ou de « tout dispositif technique de surveillance des déplacements en temps

réel » comme c’est déjà le cas pour toutes les techniques intrusives comme l’interception, l’infiltration, la captation de

données à distance.

À la suite de ces deux arrêts, la Direction des affaires criminelles et des grâces de la chancellerie a adressé aux chefs de

juridiction une dépêche le 29 octobre 2013(16), selon laquelle la nouvelle jurisprudence de la Cour de cassation,

« d’application immédiate », devait être considérée comme applicable « à toutes les formes d’enquêtes diligentées sous

l’autorité du procureur de la République » et impliquait, « dans l’attente d’une indispensable réforme législative », « que

ces surveillances intrusives en temps réel des portables et des balises en cours dans de telles enquêtes soient interrompues

et que soit requise l’ouverture d’une information judiciaire dans les dossiers pour lesquels ces opérations apparaissent

nécessaires au bon déroulement des investigations ».

Un projet de loi de programmation militaire(17) instaure dans son article 13, actuellement en débat, un régime juridique

spécifique et, pour l’instant, dans un cadre administratif, pour la géolocalisation en temps réel en matière de prévention du

terrorisme. Cependant, le législateur va certainement poser les contours de ces techniques intrusives dans un cadre

judiciaire. En effet, les procureurs de la République ont demandé au Gouvernement d’adopter « d’urgence » un texte sur la

géolocalisation dans les enquêtes préliminaires.

CONCLUSION ET PERSPECTIVES

Le développement de l’univers numérique concerne désormais largement le domaine de l’administration de la preuve ; ce

qui amène à ajouter d’autres critères que ceux de la loyauté, comme ceux de la légalité, de la proportionnalité et du

respect de la vie privée.

L’harmonisation des règles de preuve entre particuliers et puissance publique apparaît nécessaire compte tenu des

techniques d’intrusion que les premiers peuvent utiliser en dehors de tout contrôle. Par ailleurs, il apparaît nécessaire

d’harmoniser les régimes juridiques des techniques d’investigation intrusives, surtout lorsqu’elles sont occultes, et de les

limiter dans le temps.

La recherche d’un équilibre entre loyauté de la preuve et recherche de la vérité, entre protection de la vie privée et

protection de l’ordre public est essentielle afin de garantir un procès équitable en préservant les droits de chacune des

parties, mais cette démarche est devenue complexe à l’ère numérique et nécessite une intervention du législateur afin de

rappeler les grands principes de proportionnalité au regard des enjeux en présence.

DOCUMENTN°4BIS:CHRISTOPHERADE,PREUVE.DISPOSITIFDESURVEILLANCEDESSALARIES.LOYAUTÉ.PROHIBITIONDESSTRATAGÈMES,DROITSOCIAL2008P.608 L'essentiel Si l'employeur a le pouvoir de contrôler et de surveiller l'activité de son personnel pendant le temps de travail, il ne peut mettre en oeuvre un dispositif de surveillance clandestin et a ce titre déloyal.

Constitue un stratagème des vérifications effectuées par des agents EDF mandatés par le chef de centre, qui s'étaient rendus dans l'établissement tenu par l'épouse de l'intéressé en se présentant comme de simples clients, sans révéler leurs qualités et le but de leur visite.

Cour de cassation (Chambre sociale)

18 mars 2008

M. Gérard Bonnici c/ Syndicat CGT des énergies EDF/GDF et a

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. X..., entré en 1975 au service d'EDF-GDF, exerçait depuis 1993 les fonctions d'opérateur intervention, chargé à ce titre d'assurer le relevé des compteurs, au centre d'exploitation d'Avignon ; qu'après l'avoir convoqué le 24 novembre 2000 à un premier entretien, puis informé le 20 décembre 2000 de son renvoi devant la commission secondaire du personnel, qui s'est réunie en dernier lieu le 12 avril 2001, l'employeur a notifié le 28 mai 2001 à cet agent sa mise à la retraite d'office ; que, contestant la régularité de la procédure suivie par l'employeur et la cause de sa révocation, M. X... a saisi le juge prud'homal de demandes indemnitaires ;

Sur le premier moyen :

Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt d'avoir jugé régulière et fondée la sanction prise par EDF-GDF alors, selon le moyen, que pour assurer l'impartialité de la procédure disciplinaire, l'agent qui s'est trouvé mêlé directement et à titre personnel aux faits motivant la comparution de l'agent incriminé devant la commission secondaire, ne doit prendre part ni aux débats, ni aux délibérations ; que si l'interdiction concerne « essentiellement », selon le paragraphe 2321 de la circulaire Pers. 846, le coauteur ou le complice de l'agent incriminé, elle concerne indistinctement tout agent ayant eu à connaître directement et à titre personnel des agissements de l'agent incriminé, tel le supérieur hiérarchique à l'origine des contrôles destinés à le confondre ; qu'en retenant que la circulaire Pers. 846 interdit de siéger exclusivement au coauteur ou complice de l'agent incriminé, la Cour d'appel a violé l'article 3 du statut national du personnel des industries électriques et gazières, ensemble la circulaire Pers. 846 ;

Mais attendu que le paragraphe 2321 de la circulaire Pers. 846 n'interdit de prendre part aux débats et aux délibérations de la commission secondaire qu'aux agents qui se sont trouvés mêlés directement et à titre personnel aux faits motivant la comparution de l'agent incriminé devant cette commission ; qu'en jugeant que le seul fait que M. Y... ait exercé des prérogatives de supérieur hiérarchique, en organisant un contrôle de l'activité de M. X..., ne lui interdisait pas de participer aux travaux de la commission secondaire appelée à se prononcer sur son cas, comme représentant de la direction, la Cour d'appel a fait une exacte application de ce texte ; que

le moyen n'est pas fondé ;

Mais sur le troisième moyen :

Vu l'article 9 du Code de procédure civile ;

Attendu que si l'employeur a le pouvoir de contrôler et de surveiller l'activité de son personnel pendant le temps de travail, il ne peut mettre en oeuvre un dispositif de surveillance clandestin et à ce titre déloyal ;

Attendu que, pour juger que la sanction prononcée à l'encontre de M. X... était régulière et fondée, la Cour d'appel a retenu que si l'employeur a demandé à des cadres de l'entreprise d'aller prendre leur repas dans l'établissement qu'exploitait l'épouse de l'agent, en leur fournissant des photographies de l'intéressé, afin d'établir un rapport dont il résultait que le salarié assurait le service du restaurant en partie pendant son temps de travail, il n'avait pas été porté atteinte à la vie privée de ce dernier, dès lors que l'établissement était ouvert au public, que les agents mandatés ne s'étaient pas cachés pour procéder aux constatations, qu'ils n'étaient pas tenus de révéler leurs fonctions, ni le but de leur visite, agissant en simples clients comme aurait pu l'être tout agent EDF venu inopinément dans l'établissement ; que la plainte avec constitution de partie civile déposée par M. X... pour atteinte à la vie privée a donné lieu à une ordonnance de non-lieu ; que le recours à des témoins pour faire constater l'activité d'un agent pendant ses heures de travail ne constitue pas un procédé déloyal ou clandestin ; et que les contrôles ponctuels ne se sont pas réalisés à l'insu du salarié, les agents s'étant présentés au restaurant sans se dissimuler, alors que M. X... faisait le service au vu et au su de l'ensemble des clients quels qu'ils puissent être ;

Qu'en statuant ainsi, alors qu'elle constatait que des agents EDF, mandatés par le chef de centre, s'étaient rendus dans l'établissement tenu par l'épouse de l'intéressé en se présentant comme de simples clients, sans révéler leurs qualités et le but de leur visite, ce dont il résultait que leurs vérifications avaient été effectuées de manière clandestine et déloyale, en ayant recours à un stratagème, la Cour d'appel, qui a retenu à tort comme moyen de preuve les rapports établis dans ces conditions, a violé le texte susvisé ;

Par ces motifs, et sans qu'il soit nécessaire de statuer sur les autres moyens :

Casse et annule, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 27 juillet 2006, entre les parties, par la cour d'appel de Nîmes ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Lyon ;

Condamne EDF-GDF Avignon Grand Delta aux dépens ;

Vu l'article 700 du Code de procédure civile, condamne EDF-GDF Avignon Grand Delta à payer à M. X... la somme de 2 500 € ;

Mme Collomp, prés., M. Bailly, cons. rapp. , M. Aldigé, av. gén

[pourvoi n° 06-45.093, arrêt n° 555 FS-P+B, D. 2008. 992, obs. B. Ines]

Observations Le principe de la loyauté de la preuve constitue incontestablement un principe fondamental du droit de la preuve. Depuis l'arrêt Néocel rendu en 1991, cette exigence se fonde sur l'article 9 du Code de procédure civile (Cass. soc., 20 nov. 1991, RJS 1992, n° 1, rapp. P. Waquet ; D. 1992, p. 73, concl. Y. Chauvy). Depuis, la loi du 31 décembre 1992 est venue préciser l'obligation d'informer préalablement à leur mise en oeuvre le candidat à l'emploi « des méthodes et techniques d'aide au recrutement utilisées à son égard » (C. trav., art. L. 121-7), ainsi que des dispositifs de collecte d'informations, cette obligation concernant d'ailleurs également tous les salariés (C. trav., art. L. 121-8). L'article 9 du Code de procédure civile reçoit parfois le secours des articles 8 de la convention EDH et 9 du Code civil, pour assurer le respect de la vie privée des salariés (ainsi dans l'arrêt Nikon : Cass. soc., 2 oct. 2001, Dr. soc.2001, p. 920, chron. J.-E. Ray), mais pas nécessairement. Dans de nombreuses hypothèses, en effet, c'est le seul caractère clandestin de la méthode qui suffit à écarter les preuves du débat. C'est la raison pour laquelle il a été jugé que « si l'employeur a le droit de contrôler et de surveiller l'activité de son personnel durant le temps de travail, il ne peut ( ) mettre en oeuvre un dispositif de contrôle qui n'a pas été porté à la connaissance des salariés » (Cass. soc, 15 mai 2001, D. 2001, p. 3075, note T. Aubert-Montpeyssen). En revanche, la production en justice d'un SMS adressé par un employeur à un salarié est licite dans la mesure où ce dernier n'est pas sans savoir que le contenu du message s'affichera sur le téléphone du salarié et pourra être lu par toute personne (Cass. soc., 23 mai 2007, n° 06-43.209, Société civile professionnelle (SCP) Laville-Aragon, Lexbase hebdo n° 262 du 31 mai 2007, éd. Soc., et la chron.).

C'est cette jurisprudence qui se trouve ici confirmée.

Dans cette affaire, un agent d'EDF avait été licencié pour avoir participé, sur son temps de travail, à l'activité professionnelle de son épouse qui tenait un restaurant.

Pour parvenir à l'établir, l'employeur avait demandé à des cadres de l'entreprise d'aller prendre leur repas dans

cet établissement, en leur fournissant des photographies de l'intéressé, et ce afin d'établir le rapport servant de base aux poursuites disciplinaires.

La Cour d'appel avait admis la recevabilité de cette preuve, après avoir relevé que l'établissement était ouvert au public, que les agents mandatés ne s'étaient pas cachés pour procéder aux constatations, qu'ils n'étaient pas tenus de révéler leurs fonctions, ni le but de leur visite, agissant en simples clients comme aurait pu l'être tout agent EDF venu inopinément dans l'établissement, et que les contrôles ponctuels ne se sont pas réalisés à l'insu du salarié, les agents s'étant présentés au restaurant sans se dissimuler, alors que l'agent mis en cause faisait le service au vu et au su de l'ensemble des clients quels qu'ils puissent être.

Cet arrêt est cassé, la Haute Juridiction considérant, après avoir visé l'article 9 du Code de procédure civile, que « si l'employeur a le pouvoir de contrôler et de surveiller l'activité de son personnel pendant le temps de travail, il ne peut mettre en oeuvre un dispositif de surveillance clandestin et à ce titre déloyal », que ces « agents EDF, mandatés par le chef de centre, s'étaient rendus dans l'établissement tenu par l'épouse de l'intéressé en se présentant comme de simples clients, sans révéler leurs qualités et le but de leur visite, ce dont il résultait que leurs vérification avaient été effectuées de manière clandestine et déloyale, en ayant recours à un stratagème ». La solution n'est guère surprenante au regard de la jurisprudence dégagée classiquement par la Cour de cassation qui reprend ici les termes de la solution dégagée dans l'arrêt Néocel, la Cour faisant toutefois référence, de manière quasi-inédite (Cass. soc., 16 janv. 1991, Bull. civ. V, n° 15. - Cass. crim., 4 déc. 2002, n° 02-86353, inédit), à la prohibition de tous « stratagèmes » et en affirmant que la mise en oeuvre d'un dispositif de surveillance clandestin est « à ce titre déloyal ».

Cette jurisprudence pourrait sembler sévère dans la mesure où elle conduit à donner raison à un salarié dont les fautes sont patentes. Elle semble toutefois nécessaire pour assurer le respect du principe de loyauté dans les relations professionnelles. Lorsqu'il se trouve dans l'entreprise, le salarié sait pertinemment que tous ses faits et gestes peuvent valablement être observés et consignés par son encadrement. Mais en dehors de l'entreprise, le salarié n'a pas à redouter la présence de tiers, ni celle de ses collègues. Certes, il faut un certain humour pour suggérer, comme le fait la Cour de cassation dans cet arrêt, que les salariés venus pour « espionner » leur collègue auraient dû l'informer de l'objet de leur visite...

L'employeur n'aura donc d'autre choix que d'avoir recours à un huissier de justice pour garantir la recevabilité de ce genre de preuve, et encore à condition de respecter un certain nombre de principes rappelés dans un autre arrêt rendu le même jour (cf. infra ).

Mots clés : LICENCIEMENT * Procédure * Preuve*Loyautéde la preuve * Stratagème * Vie privée CONTRAT DE TRAVAIL * Obligation de l'employeur * Obligation de loyauté * Contrôle et surveillance * Stratagème * Vie privée DROIT ET LIBERTE FONDAMENTAUX * Vie privée * Vie privée du salarié * Contrôle et surveillance * Stratagème * Preuve illicite

DOCUMENTN°5:C.CASS.CRIM.,4JUIN2008,08-81045

Vul'article6§1delaConventioneuropéennedesdroitsdel'hommeetl'articlepréliminaireducodedeprocédurepénale,ensembleleprincipedeloyautédespreuves;

Attenduqueporteatteinteauprincipedeloyautédespreuvesetaudroitàunprocèséquitable,la provocation à la commission d'une infraction par un agent de l' autorité publique, en l'absenced'élémentsantérieurspermettantd'ensoupçonnerl'existence;queladéloyautéd'untelprocédérendirrecevablesenjusticelesélémentsdepreuveainsiobtenus,quandbienmêmece stratagèmeauraitpermis ladécouverted' autres infractionsdéjà commisesouen coursdecommission;

Attendu que, le 11 mars 2004, le service des douanes et de l' immigration des Etats- Unisinformait la direction centrale de la police judiciaire française de ce que Cyril X... s' étaitconnecté,danslanuitdu9au10septembre2003,surunsitedepornographieinfantilecrééetexploité par le service de police de New- York, unité criminalité informatique, aux fins d'identifier lespédophilesutilisant internet ; que la transmissionde ladite informationadonnélieu à une enquête préliminaire en France puis, le 17 décembre 2004, à l' ouverture d' uneinformation contre personne non dénommée des chefs d' importation et détention d' imagespornographiquesdemineurs;que,le19octobre2005,uneperquisitioneffectuéeaudomiciledeCyril X..., inconnu des services de police jusqu' à cette date, a permis la découverte de deuxordinateursportables,deCD-ROM,dedisquettesetd'unecléUSB,dontl'examenarévéléqu'ilscontenaientdesimagespornographiquesdemineurs;que,le21octobre2005,àlasuited'unréquisitoire supplétif duministère public, l' intéressé a étémis en examen des chefs précitésainsiquedediffusiondecesimages;

Attendu que, pour rejeter la requête en annulation formée par Cyril X... au motif que laprocédureconduiteenFranceseraitfondéesurunstratagèmedesautoritésaméricainesayantprovoquél'intéresséàlacommissiond'uneinfraction,l'arrêtretientquesilaprovocationàlacommissiond'une infractionporteatteinteauprincipede loyautédespreuves, iln'envapasainsidelamiseenplaced'undispositifpermettantderévélerdesinfractionsdéjàcommisesouse poursuivant ; que les juges ajoutent qu' en l' espèce, la détention d' imagespédopornographiquespar lemis en examenétait antérieure à sa connexion au site ftp et à lasollicitation d' un tiers non identifié dont il invoque l' existence ; que c' est dans un contextepréexistantderecherchesd'imagespédopornographiquesetalorsqu'ilavaitdéjàcommisdesinfractionsendétenantdetellesimagesqu'ils'estconnectéausiteftpaméricain;quelacourd'appelendéduitquel'opérationmiseenplaceparlesautoritésaméricainesneconstituepasuneprovocationà lacommissiond'une infraction,n'étantque lemoyenderévélerune infractionpréexistante;

Mais attendu qu'en prononçant ainsi, alors que découverte de la détention d' imagespornographiques n' a été permise que par la provocation à la commission d' une infractionorganiséepar les autorités américaines et dont les résultats avaient été tranmis aux autoritésfrançaises, la chambrede l' instructionaméconnu les textes susvisés et leprincipe ci- dessusrappelé;

D'oùilsuitquelacassationestencouruedecechef;

Parcesmotifs:

CASSEetANNULE,entoutessesdispositions,l'arrêtsusvisédelachambredel'instructiondelacour d' appel de Versailles, en date du 25 janvier 2008, et pour qu' il soit à nouveau jugé,conformémentàlaloi,

RENVOIElacauseetlespartiesdevantlachambredel'instructiondelacourd'appeldeLyon,àcedésignéepardélibérationspécialepriseenchambreduconseil;

ORDONNE l' impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de lachambredel'instructiondelacourd'appeldeVersailles,samentionenmargeouàlasuitedel'arrêtannulé;

Ainsi faitet jugépar laCourdecassation, chambrecriminelle, etprononcépar leprésident lequatrejuindeuxmillehuit;

Enfoidequoileprésentarrêtaétésignéparleprésident,lerapporteuretlegreffierdechambre;

Titrages et résumés :CONVENTIONEUROPEENNEDESDROITSDEL'HOMME -Article6 §1 -Equité-Officierdepolicejudiciaire-Constatationdesinfractions-Provocationàlacommissiond'uneinfraction-Provocationréaliséeàl'étrangerparunagentpublicétranger-Compatibilité(non)

Porte atteinte au principe de loyauté des preuves et au droit à un procès équitable, laprovocationà lacommissiond'une infractionparunagentde l'autoritépublique,en l'absenced'éléments antérieurs permettant d'en soupçonner l'existence. La déloyauté d'un tel procédérend irrecevables en justice les éléments de preuve ainsi obtenus, quand bien même cestratagème aurait permis la découverte d'autres infractions déjà commises ou en cours decommission

PREUVE - Libre administration - Etendue - Limites - Atteinte au principe de la loyauté despreuves-Cas-Provocationàlacommissiond'uneinfractionparunagentpublicétranger

DOCUMENTN°6:C.CASS.,CRIM,7JANVIER2014,N°13-85246

Vu l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme et l'article préliminaire ducodedeprocédurepénale,ensembleleprincipedeloyautédespreuves;

Attenduqueporteatteinteaudroitàunprocèséquitableetauprincipedeloyautédespreuveslestratagèmequienvicielarechercheparunagentdel'autoritépublique;

Attenduqu'il résultede l'arrêt attaquéetdespiècesde laprocédureque,dans le cadred'uneinformationouverte à la suited'un vol àmain armée, le juged'instruction a, par ordonnance,prisesurlefondementdesarticles706-92à706-102ducodedeprocédurepénale,autorisélamiseenplaced'undispositifdesonorisationdanslescellulesdegardeàvued'uncommissariatdepolice;queMM.Y...etX...,identifiéscommeayantpuparticiperauxfaitsobjetdelapoursuite,ont été placés en garde à vue dans deux cellules contiguës et ont pu, ainsi, communiquerpendantleurspériodesderepos;qu'aucoursdecespériodes,ontétéenregistrésdesproposdeM.X...parlesquelsils'incriminaitlui-même;quecelui-ci,misenexamenetplacéendétentionprovisoire,adéposéunerequêteenannulationdepiècesdelaprocédure;

Attenduque,pourécarterlesmoyensdenullitédesprocès-verbauxdeplacementetd'auditionsen garde à vue, des pièces d'exécution de la commission rogatoire technique relative à lasonorisationdescellulesdegardeàvueetdelamiseenexamen,prisdelaviolationdudroitdesetaire,dudroitaurespectdelavieprivéeetdeladéloyautédanslarecherchedelapreuve,lachambredel'instructionénoncequelemodederecueildelapreuveassociantlagardeàvueetla sonorisation des cellules de la garde à vue ne doit pas être considéré comme déloyal oususceptibledeporteratteinteauxdroitsdeladéfense,dèslorsquelesrèglesrelativesàlagardeàvueetlesdroitsinhérentsàcettemesureontétérespectésetquelasonorisationaétémenéeconformémentauxrestrictionsetauxrèglesprocéduralesprotectricesdesdroitsfondamentauxposéesexpressémentparlacommissionrogatoiredujuged'instructionetqu'ilpeutêtrediscutétoutaulongdelaprocédure;

Mais attendu qu'en statuant ainsi, alors que la conjugaison des mesures de garde à vue, duplacement de MM. Y... et X... dans des cellules contiguës et de la sonorisation des locauxparticipaitd'un stratagèmeconstituantunprocédédéloyalde recherchedespreuves, lequel aamenéM.X...às'incriminerlui-mêmeaucoursdesagardeàvue, lachambredel'instructionaméconnulestextessusvisésetleprincipeci-dessusénoncé;

D'oùilsuitquelacassationestencourue;

Parcesmotifs:

CASSEetANNULE,entoutessesdispositions,l'arrêtsusvisédelachambredel'instructiondelacour d'appel de Versailles, en date du 4 juillet 2013, et pour qu'il soit à nouveau jugé,conformémentàlaloi,

DOCUMENTN°7:DIDIERTHOMAS,VALERIEBOSC,CHRISTINEGAVALDA-MOULENAT,PHILIPPERAMON,AUDEVAISSIERE,LESTRANSFORMATIONSDEL’ADMINISTRATIONDELAPREUVEPENALE,ARCHIVESDEPOLITIQUECRIMINELLE,N°26PEDONE,2004,P.113.

Lapreuve,selonDomat,est«cequipersuadel’espritd’unevérité».Elleconstitue,parvoiedeconséquence,labasedetoutprocèsetlaconditionsinequanond’unebonneadministrationdusystèmejudiciaire.L’absencedepreuveesttraditionnellementconsidéréecommeayantuneffetdéterminantsurlaprocédure,révéléparlamaximelatineIdemestnonesseetnonprobari.

Partantdececonstat,l’EquipedeRecherchesurlaPolitiqueCriminelle(E.R.P.C.)del’UniversitédeMontpellierI,répondantàunappeld’offresduG.I.P.«MissionderechercheDroitetJustice»,aélaboréunprojetderechercheconsacréauxtransformationsdel’administrationdelapreuvepénale. La démarche retenue a consisté à établir un état des lieux du système probatoirefrançais,toutenélaborantunoutildepolitiquecriminelle.

Envisagé sous l’aspect spécifiquedudroit pénal, le rôlede lapreuve est, en effet, encorepluscapital puisque, pour imputer une infraction à un suspect et obtenir ultérieurement sacondamnation, il faut parvenir à renverser la présomption d’innocence, d’où le termeparticulièrementévocateuretsignificatifde«fardeau»delapreuve.Ainsi,entantqu’ensembledesrèglesapplicablesàlaconstatationd’uneinfraction,quecetteconstatationsoitrelativeauxfaits ou à la personnalité du suspect, la preuve occupe une fonction stratégique au cœur duprocèspénallargosensu–etdansledroitpénalengénéral.Cetteplaceestcependantmouvanteen raisond’unprocèspénal à géométrievariableet, en tout casen constanteextension, etdudéveloppementdestechniquestoujoursplusscientifiquesderassemblementdespreuves.

La question de la preuve est donc essentielle dans le contentieux juridictionnel et plusparticulièrementdanslecontentieuxpénal,certainss’accordantmêmeàdirequelesrèglesquirégissent lapreuvesont« lemiroir»de lasociété, laquelleestenquêted’unéterneléquilibreentrelarecherchedesaprotectionetl’atteintequecettedernièrerisquedeporterauxlibertésindividuelles.

Ainsi,malgréunebaisseglobaledeschiffresdeladélinquance,estconstatéeuneaugmentationdecertainescatégoriesd’infractions,notammentlesviolencescontrelespersonnes.Parailleurs,les interrogations affluent autour de l’endiguement d’une criminalité transnationale et d’unedélinquanceliéeàl’essordesnouvellestechniques.

Lanaturedeladélinquancevarieetserenouvelle,présentantensubstanceundoubleaspectetprovoquant inéluctablement le déclenchement du processus d’internationalisation du droitpénal.

Le premier aspect de la criminalité est en relation avec les mutations mondiales concernantparticulièrement les différentes formes du crime organisé. Sa seconde nature a été mise enévidence par la découverte de crimes horribles, perpétrés en violation des principesfondamentauxdudroithumanitaire.Ellerésulted’unbouleversementdesvaleursetimposeuneprisede consciencede la société internationale sur le caractère indispensablede l’édictiondenormes supranationales aux fins de sanctionner des crimes pour lesquels la communautéinternationaledanssonintégralitéestdirectementintéressée.

La transformation de la délinquance est également liée au développement de technologiesnouvelles qui ont une incidence directe sur le comportement de la criminalité. Cette dernièredevient de plus en plus sophistiquée, opaque et ingénieuse. Parallèlement, la justice pénalebénéficiedesavancéesliéesauprogrèsdestechniques.

Leprocessuspénalestencoreatteintpar l’affirmationdeprincipesdirecteursde laprocédurepénale issus principalement des exigences de la Convention européenne de sauvegarde desdroits de l’homme et des libertés fondamentales (C.E.S.D.H.) et de la jurisprudence qui endécoule. L’influence de ce texte supranational s’opère en France par le jeu d’une applicabilitédirecte aux termes de l’article 55 de la Constitution. L’intégration par la Cour de justice desCommunautés européennes des principes dégagés par la Cour Européenne des Droits del’Homme(C.E.D.H.)renforcel’impactdecesderniers.

Danscecontexte, l’étudede l’administrationde lapreuveprésenteun intérêtmajeur ;elleesteffectivement la phase centrale du droit de la preuve et, par là même, la plus sensible auxphénomènessusmentionnés.

L’administrationde lapreuvepénale comprend, à ce titre, deuxétapes fondamentalespour lagestiondesmodesdepreuve.D’unepart,elleintègrelaphaseincontournablederecueillementdes élémentsprobatoiresmenéeprincipalementpar lesofficiers et agentsdepolice judiciaireainsiqueparlemagistratinstructeur.D’autrepart,elleenglobel’opérationderecevabilitédecesmêmesélémentsdirigéeparlejugerépressif.

Dèslors,vouloirobjectivementsesoucierdestransformationsdel’administrationdelapreuvepénale implique nécessairement une double adaptation visible au plan interne ainsi qu’àl’écheloninternational.

Or, l’adaptation du système probatoire français aux évolutions pratiques et théoriquesconstatéesest logiquement subordonnéeà ladémonstrationdesescarences.Uneréflexiondefonda,parconséquent,étéengagée–premieraxedelarecherche(I)–surleslacunesrelativesauxdiversaspectsdel’administrationdelapreuvepénale,tanttechniquesetscientifiques,quepragmatiques,ouencorethéoriquesenrapportaveclesgrandsprincipesdeprocédure.

Effectivement, si le progrès dans les nouvelles méthodes d’enquête – concomitant à lamodernisation de la criminalité – est commandé par le souci d’accroître la réponse pénale etl’efficacitédelarépression,cestechnologiesoffrentauxenquêteursdesmoyensquis’immiscenttoujours davantage dans la sphère d’intimité de l’individu. Les interrogations quant à lalégitimité du recours à de tels moyens ne doivent pas occulter la question essentielle de lasuffisance ou non de cette adaptation. Cette dernière semble par ailleurs subordonnée àl’élaborationd’un systèmeprobatoire, si ce n’est commun et unifié, reposant toutefois sur lesmêmes principes. L’harmonisation des règles de preuve apparaît désormais pour nombre denations, en particulier européennes, comme un véritable défi. La raison découle desparticularités et disparités procédurales existant enmatière de preuve dans la législation desdiversEtats.C’estainsilaconservationdespreuvesdecomportementsdélinquantsmultiplesetvariés,impliquantdenombreuxacteursetterritoiresqu’ildevientimportantdemaîtriser.

Pourtant, un tel effort, basé sur la prise de dispositions compatibles entre elles etponctuellementcommunes,s’avère indispensablepourrenforcer la luttecontre ladélinquancenouvelle.Enoutre,ellen’ariend’utopiqueauregarddel’avènementd’unejusticeinternationale

etdelasignatured’accordsetdeconventionsenmatièredeprotectiondesintérêtsfinanciersdel’Union européenne. Cependant, elle demeuredélicate en raisonde lapermanenced’obstaclesétatiques,tellelasouveraineténationale.

Lesecondaxeduprojetaétémotivépar la recherched’unnécessaireaméliorationdesrèglesguidant l’administration de la preuve pénale aux évolutions de la société actuelle (II). Despropositions ont alors été élaborées pour permettre une meilleure adéquation du systèmeprobatoire français et pour favoriser le renforcement de la lutte contre la délinquancetransnationale.Ellesonttraitauxtransformationsindispensablesdel’administrationinternedela preuve pénale et à la recherche primordiale et utile d’une harmonisation de la preuve àl’échelleeuropéenne.

I-Leconstatd’unsystèmeprobatoirelacunaire

Le constat des lacunes du système probatoire actuel résulte d’une part, d’une insuffisanteadaptation aux évolutions de la criminalité et aux nouvelles techniques de preuves. Notresystème est, en raison de sa rigidité, trop souvent inadapté, ce qui gêne considérablement larésolutiondecertainesaffairescriminelles(A).

Elleest,d’autrepart,laconséquencedecertainescarencesdusystèmetraditionneldelapreuvepénale,tenantpourl’essentielaunonrespectdesprincipesfondamentauxdudroitpénaletdelaprocédurepénale(B).

A-Unemodificationdel’économiedusystèmetraditionneld’administrationdelapreuve

L’adaptation de l’administration de la preuve pénale est rendue nécessaire en raison del’apparition et du développement de nouvelles formes de délinquance auxquelles s’associentinévitablementdenouveauxmodesdepreuves(1).

Au premier rang de ces récents procédés probatoires figure la preuve scientifique dont lerecourscroissantsoulèvequelquesdifficultés(2).

1-Uneinadéquationauxnouvellesformesdedélinquance

L’histoire de la preuve suit celle de la criminalité. En raison des figures diverses etmalignesqu’empruntecettedernière, ledroitdelapreuveestdansl’obligationdes’adapter.Lasecondemoitié du XXème siècle a vu se développer deux nouvelles formes de délinquance faceauxquelleslesprocédésprobatoiresclassiquessontinexistantssinonobsolètes:ladélinquanceéconomiqueetfinancièred’unepartet,d’autrepart,ladélinquanceinformatique.

Par ailleurs, le constat d’une inadéquation du système actuel d’administration de la preuvepénaleest renforcé lorsquecettedélinquanceauxmoyens techniquesaccrusest conjuguéeaudéveloppement d’une délinquance transnationale. En témoigne la nature hétérogène de lacriminalitéd’affairequi luipermetderecouvrerdifférentes formes,de lapratique individuelleutilisant les nouvelles technologies de pointe – l’outil informatique notamment – à de vastesopérationsmenéesauplaninternationalpardesgroupeshyperstructurésetparfoisconnectésau crime organisé. Si la criminalité organisée n’est pas un phénomène nouveau, samondialisationenestunemanifestationrécenteetexponentielle.Ladérégulationdeséchanges,la sophisticationdesmoyensde communication, l’existenced’un archipel planétairedeplacesspécialisées dans la gestion tolérée de la criminalité financière et l’absence d’une solide

coopération internationale ont favorisé une telle évolution. Même lorsque l’infraction estcommisesurleterritoirenational,certainesopérations,élémentsconstitutifsmatériels,peuventavoir été commises à l’étranger. Quant aux produits du délit, ce sont souvent des sommesd’argentdont l’existenceet laprovenanceseperdentau fildes transitsdansdiversesbanquesétrangères.

2-Uneinadaptationaudéveloppementdenouvellestechniquesderassemblementdespreuves

Le droit de la preuve a longtemps reposé sur l’aveu, alors que, de nos jours, il s’appuieessentiellementsurunsupportscientifiqueettechnique.Eneffet,l’aveud’aujourd’huin’apluslamême consistance, ni le même rôle que celui d’hier et bien souvent ce sont des procédésscientifiquesquiviennent lecorroborer.Lapreuvescientifiquepeutainsis’analysercomme larésultanted’unedémarcherationnellefondéesurl’observationetl’expérience.

L’usage de la science pour élucider les affaires pénales est donc devenu indispensablenotamment pour lutter activement contre de nouvelles formes de criminalité. A partir de ceconstat se sont développées au cours des dernières décennies des nouvelles méthodes pourlesquellesilafallus’interrogersurleurfiabilitémais,aussietsurtout,surleurconformitéaveclesidéauxirriguantlaprocédurepénale.Delàsedégagentdesméthodesàproscrire,d’autresàdévelopperetcertainesàn’envisagerqu’avecprudence.

Emblèmedecesnouveauxprocédés,lapreuvegénétiqueaacquisuneplaceprépondérante.Or,l’identificationgénétiquen’adevaleurquecomparative.Lacartegénétiqueétablieàpartird’unindiceestenelle-mêmeinexploitablesiellenepeutêtrecomparéeàcelled’unautreéchantillonprélevésurunsuspect,unevictimeoufigurantdansunfichier.Dèslorsseposelaquestiondurécolementd’ADNpermettantd’offrirunoutildecomparaison.

Le prélèvement d’empreintes génétiques a suscité des réactions divergentes et controverséespuisqueceprocédétoucheauplusprofondde l’êtrehumain :son intégritéphysique.Aussiunencadrementstrictdelatechniques’imposeafindenepasrompreavecdesprincipesessentielsdu droit notamment celui de l’inviolabilité du corps humain. Si dans ce sens des effortsappréciables ont été réalisés, il s’avère cependant que la réalité enmatière génétique susciteencored’importantesdiscussions.

B-Lescarencesdel’administrationtraditionnelledelapreuvepénale

L’administration traditionnelle de la preuve pénale s’accommodait d’un principe de loyautémalmené(1)etd’unprocessuspénalinadapté(2).

1-Lenonrespectduprincipedeloyauté

L’article 427 du code de procédure pénale prévoit que « hors les cas où la loi en disposeautrement,lesinfractionspeuventêtreétabliespartoutmodedepreuve….»

Nulnepeutalorslecontester,lapreuveestlibre.Cecinesignifiepaspourautantquetouteslespreuvessontadmissiblesetquetoutmoyenpourlesrecueillirestacceptable.Unfortconsensusdoctrinal s’est organisé à ce propos. Il est tout à fait contraire à la volonté de préserver unejustice démocratique, et ce au regard de principes demorale, d’équité et d’éthique judiciaire,d’admettre sans cesse des preuves illégalement obtenues sous prétexte d’une recherchenécessairedelavérité.

L’ouvragerécemmentécritparChristianDEVALKENEERtémoignedecetintérêtactueletfondépour de telles pratiques. « L’étude de la tromperie dans l’administration de la preuve peutapparaître,àpremièrevue,commeincongrue.Véritéetjusticenesont-ellespasintrinsèquementliées ? Dans cette perspective, la tromperie ne serait qu’une forme de déviance judiciaire oupolicièrequ’ilconviendraitd’appréhendersousl’angledel’irrecevabilitédespreuves».

L’étude du principe de loyauté a conduit à la constatation d’un cautionnement fréquent de latromperieparlaloiouparlajurisprudence,«autraversdudéveloppementdesstratégiessous-couvertures».

Iln’estdésormaisplussouhaitabled’accepterl’illégalitémanifeste.Ilenvadelacrédibilitéetdelalégitimitédenotresystèmepénal.

Dans ce contexte, il apparaît utile, voire indispensable de renforcer le caractère loyal de lapreuve.

La loyauté dans la recherche des preuves apparaît comme un impératif procédural dont lesobjectifssonttangiblesàl’examendelajurisprudenceetdelalégislationeuropéennes.

Commel’écrivaitdéjàleDoyenBouzat,«Laloyautéestunemanièred’êtredelarecherchedespreuves,conformeaurespectdesdroitsdel’individuetàladignitédelaJustice».Enencadrantstrictement certaines pratiques policières – telle l’infiltration –, le législateur a enfin prisconsciencedelanécessitédeprotégerleprincipedeloyautéquiconstitueincontestablementlarèglefondamentaledevantrégirl’administrationdelapreuve.

Aussi ce principe devrait-il s’appliquer en toute logique sans limite aucune. Pourtant, desatteintesauprincipede loyautésontcommises ; concrètement,elles tiennentà l’utilisationdecertainsprocédésprobatoires, toutautantqu’àunsystèmedeprotectionde la loyautéencoreimparfait.Ainsi,l’absencededispositionsécritessurlerôledespartiesprivéesdanslarecherchedespreuvesa laisséune largemargedemanœuvreaux jugesqui,dansunsouciderépressioncroissanteet«d’impunitézéro»,ontprogressivementpermisauxpartiescivilesdeproduireàl’instancepénaledespreuvesdéloyalementobtenues.Auprismed’unevolontédeprivilégierlamanifestationde lavérité, les juridictions internesenarriventàadmettredesenregistrementsd’imagesréalisésparunecaméradansuneofficinedepharmaciesefondant,pourcefaire,surl’absence de prévision légale concernant l’intervention des parties privées dans la phase derecherchedespreuves.

2-L’inadaptationduprocessuspénalactuel

Les modifications susmentionnées ont entraîné une véritable inadéquation tant des règlesgouvernantledéroulementduprocèspénalquedesacteursdeceprocessus.Ainsi,l’insuffisancemanifesteduprincipeducontradictoiretantdansl’enquêtedepolicequ’aucoursdel’instructionpréparatoirenepermetpasd’avoirundroitàlapreuvejusteetéquitable.L’informationentantquecomposanteduprincipeducontradictoireseraitdanslaphasepréparatoireduprocèspénaltrèsimparfaite.

Concernantl’enquêtedepolice,cetteconsidérationrenvoiealorsaurôlejouéparl’avocatlorsdeson interventionpendant lamesurede garde à vue, ce dernier disposant de30minutes pours’entreteniravecsonclientmaisnerecevantaucuneinformationsurlesélémentsdefaitdéjààladispositiondesservicesdepolice.

Relativementà l’instruction, l’équilibredesdroitsdespartiesn’apasencoreétéatteintmalgréles réformes successives de la procédure pénale. Nous considérons qu’il est donc justifiéd’évoquer à ce stade de la procédure un certain déséquilibre des droits des parties, allant àl’encontre des dispositions de l’article préliminaire du Code de procédure pénale. En effet, leParquetrestelargementfavoriséparrapportauxpartiesprivées.Ainsi,leParqueta-t-ilaccèsaudossierenpermanencealorsquel’article114,al.2duCodedeprocédurepénaleprévoitquelaprocédure estmise à la dispositiondes avocats des parties « durant les jours ouvrables, sousréservedesexigencesdubonfonctionnementducabinetd’instruction».

Si lapreuveconstitue l’undesobjetspremiersduprocessuspénal, iln’endemeurepasmoinsquesarecherchenedoitpass’effectueraudétrimentdesgarantiesindividuelles.

A l’identique, le bouleversement du système d’administration de la preuve pénale doits’accompagner nécessairement d’une redéfinition du rôle des acteurs du procès pénal engénéral,etdelapreuvepénaleenparticulier.

II-Larecherched’uneaméliorationdusystèmeprobatoire

L’améliorationdusystèmed’administrationde lapreuvepénalereposesur lamiseenexerguedelafinalitéduprocèspénaletlaplaceconséquenteaccordéeàlapreuvedanscecontexte.Entant qu’élément substantiel, fondement de tout processus pénal, l’amélioration du systèmedepreuvepénaledoitveilleràrenforcerlaprotectionindividuelle(A)maiségalementl’efficacitédela répression (B). Effectivement, l’objectif du procès pénal est originellement un objectif derépression tandis que l’influence des préceptes européens commande une justice pénalesoucieusedeslibertésindividuellesetdesdroitsdel’homme.

A-Unrenforcementdelaprotectionindividuelle

Le développement du recours à la preuve scientifique impose un renforcement des libertésindividuelles par un encadrement strict de son utilisation (1). L’intégration des précepteseuropéensapparaîtcommeuneétapefondamentaledanscetteoptique(2).

1-Unrecoursàlapreuvescientifiquestrictementdéfini

L’un des principaux vices de la preuve scientifique est qu’elle sous-entend pour beaucoup lanotiondecertitude.Cependant, laquestiondoitêtreposée: lapreuvedevient-ellefiable,voiremêmeinfaillible,dèslorsqu’ellerevêtlecaractèrescientifique?Anotresens,ceraccourcidoitabsolumentêtreévitéafind’empêcherdesissuesregrettables.

Certes, la preuve technique permet aujourd’hui d’accroître sensiblement l’efficacité de larépression, néanmoins cet usage doit être combiné avec l’exploitation des preuves plusclassiques.Laraisonenestsimple:chaquepreuve,qu’ellesoittraditionnelleouplusmoderne,comporte des limites qui l’empêchent de servir d’unique fondement à une condamnation. Deplusleprincipemêmedel’intimeconvictioninterditunetelleacception.

Dansuneperspectivedeprotectiondeslibertésindividuelles,despropositionsvisantàencadrerlerecoursàlapreuvescientifiqueontétéformulées:

-Renforcerlatransparenceenmatièrederécolementdesempreintesgénétiques.

-Encadrerstrictementlapossibilitédesesoumettreàunprélèvement.

- Renforcer la formation des enquêteurs afin d’éviter les erreurs de manipulations pouvantengendrerunedestructiondesindices,voireunrisqued’erreurjudiciaire.

- Limiter le récolement des empreintes dans le FNAEG aux infractions les plus graves, enparticulier les infractions contre les personnes et l’atteinte à la sûreté de l’Etat, l’atteinte auxdroitsdelapersonnenedevantpasêtredisproportionnée.

-Limiterl’utilisationdelaméthodeauxcrimesetdélitslesplusgavesafinderéduirelescoûts,l’impact économique suscité par l’introduction de la génétique dans les pratiques judiciairesn’étantpasànégliger.

2-Uneintégrationdesprécepteseuropéensendroitfrançais

Malgré l’absence,dans lestermesmêmesde laConventioneuropéennedesdroitsde l’homme,deprincipesdirecteursspécifiquesàl’administrationdelapreuveenmatièrepénale,ilressortde la jurisprudencedes instances européennesque le «modedeprésentationdesmoyensdepreuve»doitrevêtiruncaractèreéquitable.«Larecevabilitédespreuvesrelèveaupremierchefdes règlesdudroit interne et il revient enprincipe aux juridictionsnationalesd’apprécier leséléments recueillis par elles. La tâche de la Cour consiste donc à rechercher si la procédureexaminéedanssonensemble,ycomprislemodedeprésentationdesmoyensdepreuve,revêtaituncaractèreéquitable»(C.E.D.H.,Deltac/France,17décembre1990).

L’intégration des préceptes européens en droit français au regard du procès équitable doitimposerunrenforcementdesprincipesdirecteursdel’instance:

-Développerlesdroitsdeladéfensedansl’enquêtedepolice.

- Informer les personnes gardées à vue non seulement de la nature de l’infraction maiségalementdesraisonsdefaitetdedroitquiontmotivélamesure.

-Rétablirl’informationsurledroitausilencedugardéàvue.

- Assurer l’équilibre des droits des parties durant l’instruction en exigeant que les jugesd’instructionmotiventendroitetenfaitlerejetdesdemandesd’actesformuléesparlesavocatsdesparties.

-Poser leprincipeselon lequel,àpeined’irrecevabilitédu témoignage, ladéfensedoitêtreenmesure d’interroger ou de faire interroger tout témoin à charge. Lorsque les autoritéscompétentes ont fait preuve de diligence pour permettre la confrontation, le témoignage noncontradictoirepeutnéanmoinsêtrereçu,maisilnesauraitconstituerleseulélémentsurlequelreposelacondamnation.

L’idée des droits de l’homme est également un vecteur d’harmonisation des législations quitendent,lorsqu’ellesseveulentdémocratiques,àseconformeràcertainsprincipesdeprotectionetderespectdeladignitéhumaine,sanspourautantnégligerl’efficacitédelarépression.

B-Unrenforcementdel’efficacitérépressive

L’harmonisation européenne en œuvre (1) par l’intermédiaire de multiples accords etconventionss’avèreinsuffisanteetnécessiteencoreplusdecoopération(2).

1-L’élaborationd’unsystèmeprobatoireàl’écheloneuropéen

«Ledroitnepeutéchapperà lamondialisation, lesQuinzedoiventmontrer l’exemple».Ainsis’exprimaitleProfesseurMireilleDelmas-Marty,le28novembre2000,dansunarticleintitulé«PourunvraiProcureurEuropéen»parudanslequotidienLibération.

Ilyétaitquestiond’unepropositiondelaCommission,soutenueparleParlementeuropéen,decréationd’unProcureurEuropéenqui, dansdesmatières spécifiques liées à la protectiondesintérêts financiers communautaires disposerait de pouvoirs forts d’investigation sur tout leterritoiredesEtatsmembressansavoirbesoinderecouriràdescommissionsrogatoiresouàlaprocédured’extradition.

Quelleavancéedanslaconstructiond’une«Europedelajustice»!

La France, trop attachée à sa culture juridique et judiciaire spécifique et à une souverainetéqu’elle désirait protéger « coûte que coûte », a longtemps été réticente quant à l’adoption detellespropositions.

LaFranceetd’autresnationsontfinalementperçul’enjeudecesévolutionsprocéduralespourlaconstructioneuropéenneetpourlarépressiond’unecriminalitétransnationale.Lesévénementsterroristesdu11septembre2001ontaccéléré lacréationdumandatd’arrêteuropéen, tandisquel’adoptionduProcureureuropéenfaitencoredébat.

Lavolontéd’élaborerunsystèmeprobatoiresinonunifié,toutaumoinsharmonisé,àl’écheloneuropéenconstituel’unedespréoccupationsmajeuresdesgouvernementseuropéensàl’heureactuelle. Les projets européens en cours de réalisation, voire déjà adoptés, reflètent cetteambitiondifficileàconcrétiserenraisonprincipalementdesdisparitésprocéduralesexistantenmatièreprobatoiredanslesdifférentspayseuropéens.

2-L’approfondissementdesperspectiveseuropéennesd’harmonisation

Lesproblèmes rencontrésparnotre systèmenational se sontvusapporterdiverses solutions.Toutefois certaines propositions sus-évoquées s’intègrent plus facilement dans le cadre d’uneharmonisationeuropéenne.

Ainsienest-il,notamment,despointssuivants:

-DévelopperauplaneuropéenunfichiercomparableànotreFNAEG,accessibleauxdifférentesinstitutionsdesEtatsdel’Unionetreposantsurdescritèrescommuns.

- Accélérer la mise en œuvre du mandat d’arrêt européen en incitant les Etats signataires àl’intégrerauplusvitedansleurlégislation.

- Favoriser la coopération policière et l’entraide judiciaire en élargissant le domained’applicationdesdroitsd’observationetdepoursuitetransfrontalièreinstituésparlesaccordsSchengen et en limitant les hypothèses dans lesquelles les Etats signataires peuvent refuserl’exercicesurleurterritoiredudroitdepoursuite.

- Créer un Procureur européen disposant de compétences suffisantes pour poursuivre surl’ensemble des pays de l’Union Européenne les crimes et délits graves portant atteinte auxintérêtsdel’Union.

Conclusion

Le constat des lacunes du système probatoire français nous a conduit à préconiser certainesmodificationsdequelquesdispositionsducodedeprocédurepénale.

Trente-quatre propositions concrètes ont ainsi été formulées dans le rapport définitif,disponible depuis juin 2004, propositions constituant des pistes éventuelles pour uneaméliorationdenotresystèmeprobatoireinterne.

Cespropositions,présentéesexplicitementsousformed’articles,sefondentsurlesnécessairesadaptations de l’administration traditionnelle de la preuve pénale en droit français. Elles secombinent également aux préceptes, plus spécifiques, présentés comme vecteurs d’uneharmonisationdesrèglesprobatoiresàl’écheloneuropéen.

S’agissant,parexempledelagardeàvue,laprohibitiondesinterrogatoiresexcessifspasseparl’adjonction d’un nouvel alinéa à l’article 63 du code de procédure pénale qui pourrait êtrerédigéainsi:«L’interrogatoiredespersonnesàl’encontredesquellesilexistedesindicesgravesetconcordantsd’avoirparticipéauxfaitsdontl’officierdepolicejudiciaireestsaisi,nepeutêtrepoursuivi.

L’officierdepolicejudiciairedoit,alorsimmédiatementenaviserleprocureurdelaRépubliqueafinqu’ilapprécielessuitesàdonneràlaprocédure».

Demêmeleprincipeducontradictoire–dontl’articlepréliminaireducodedeprocédurepénalerappellepourtantqu’ilconcerne«toutepersonnesuspectée»–seraitmieuxprotégésil’article63-1précisait,commel’exigepourtantlajurisprudenceeuropéenne,quetoutepersonneplacéeengardeàvueestimmédiatementinforméedelanaturedel’infraction«etdesraisonsdefaitetdedroitquiontmotivélamesure».

DOCUMENTN°8:CHRISTOPHERADE,PREUVE.CONSTATD'HUISSIER.LOYAUTE.PROHIBITIONDESSTRATAGEMES,DROITSOCIAL,2008,P.610

L'essentiel

Si un constat d'huissier ne constitue pas un procédé clandestin de surveillance nécessitant l'informationpréalabledusalarié,ilestenrevancheinterditàcetofficierministérield'avoirrecoursàunstratagèmepourrecueillirunepreuve.

C.cass.,Soc.,18mars2008,SociétéColomc/MmeStéphanieDelaide

Attendu, selon l'arrêt confirmatif attaqué (Limoges, 13 décembre 2005), que Mme Delaide,vendeusedansunmagasin exploitépar la sociétéColom, a été licenciéepour faute grave le6août2004aprèsconstatation,parunhuissier,del'absenceencaisseàdeuxdatesdéterminéesdumontantd'achats effectuésenespècesauprèsd'elle auxmêmesdates, ces faits constituantselonlalettredelicenciementdesdétournementsd'espèces;

Attendu que la société Colom fait grief à l'arrêt d'avoir dit que le licenciement de la salariéen'étaitpasjustifiéparunefautegrave,etdel'avoircondamnéeaupaiementdediversessommes,alors,selonlemoyen:

1°/queconstitueunmodedepreuve liciteunconstatdresséparunhuissierquis'estbornéàeffectuerdesconstatationspurementmatériellesdansunlieuouvertaupublic;qu'enécartantce mode de preuve, le constat d'huissier produit par l'employeur après avoir constaté quel'huissieravaiteffectuédesconstatationsdanslesmagasinsdelasociété,lieuouvertaupublic,laCourd'appelaviolélesarticles9duCodedeprocédurecivileetL.120-2duCodedutravail;

2°/ que l'objet du litige est fixé par les prétentions respectives des parties ; que la salariéereconnaissait dans ses écritures qu'il lui arrivait parfois de décaler la vente d'un jour sur lelendemainetdenepasenregistrerlejourmêmelesventeseffectuées;quepourlaventedu21juillet2004viséedanslalettredelicenciement,MmeDelaideavaitaffirmén'avoirinscritcettevente sur le cahierdesventesque le22 juillet2004 ;quece fait était expressément reprochédans la lettre de licenciement adressé àMme Delaide ; qu'en affirmant que la production ducahier de caisse était inopérante pour rapporter la preuve du fait reproché dès lorsque l'onignore quelles sont les ventes réglées en espèces queMmeDelaide n'aurait pasmentionnéesdanslecahierprévuàceteffetetdontellen'auraitpasremisencaisseleproduitenl'absencedetout autre élément de preuve que le constat, alors que la salariée reconnaissait ne pas avoirmentionné les ventes du 21 juillet 2004, fait reproché dans la lettre de licenciement, la Courd'appelamodifiélestermesdulitigeetviolélesarticles4,7et12duCodedeprocédurecivile;

Mais attendu d'abord, que si un constat d'huissier ne constitue pas un procédé clandestin desurveillance nécessitant l'information préalable du salarié, en revanche il est interdit à cetofficierministérield'avoirrecoursàunstratagèmepourrecueillirunepreuve;

Et attendu ensuite que la Cour d'appel a relevé, par motifs adoptés, que l'employeur s'étaitassuré le concours d'un huissier qui avait organisé unmontage en faisant effectuer, dans lesdifférentes boutiques et par des tiers qu'il y avait dépêchés, des achats en espèces puis en

procédant,après la fermeturedumagasinethors laprésencede lasalariée,àuncontrôledescaisses et du registre des ventes ; qu'en l'état de ces constatations, dont il ressortait quel'huissierne s'étaitpasbornéà fairedes constatationsmatérielles,maisavait eu recoursàunstratagèmepourconfondrelasalariée,elleenaexactementdéduitqueleconstatétablidanscesconditionsnepouvaitêtreretenucommepreuve;quelemoyenn'estpasfondé;

EtattenduenfinquelaCourd'appel,sansdénaturerlestermesdulitige,s'estbornéeàreleverque les faits de détournement d'espèces, seuls faits visés par la lettre de licenciement, nerésultaientpasdescahiersdecaisse,en l'absenced'autresélémentsdepreuve ;que lemoyenn'estpasfondé;

Parcesmotifs:

Rejettelepourvoi;

Observations

L'article1erde l'ordonnancen°45-2592du2novembre1945 relativeau statutdeshuissiersdispose que ces derniers « peuvent être commis par justice pour effectuer des constatationspurement matérielles, exclusives de tout avis sur les conséquences de fait ou de droit quipeuventenrésulter ; ilspeuventégalementprocéderàdesconstatationsdemêmenatureà larequêtedeparticuliers;dansl'unetl'autrecas,cesconstatationsn'ontquelavaleurdesimplesrenseignements».

Lasituationdeshuissiersdejusticeauregarddudroitdelapreuveesttoutefoisassezdifficileàcerner.

Il est en effet admis que « un constat d'huissier ne constitue pas un procédé clandestin desurveillancenécessitantl'informationpréalabledusalarié»(CE8/3SSR,7juin2000,n°191828,S.A.Roulle.-Cass.soc.,5juill.1995,Bull.civ.V,n°235).LaCourdecassationamêmerécemmentadmisqu'unhuissierdejusticen'apasàs'identifier,dèslorsqu'ilsetrouvedansunlieupublic(Cass. soc., 6 déc. 2007, n° 06-43392, inédit). Les huissiers peuvent également, « à seule find'éclairer leurs constatations » (Cass. soc., 6 déc. 2007, n° 06-43392, inédit), interroger lespersonnesprésentes.Maisilsnesauraientsemontrerplusactifseninterrogeantdessalariés,endehors de l'hypothèse exceptionnelle où ils cherchent à expliciter leurs propres constatations(ainsiCass.soc.,29oct.2002,Bull.civ.V,n°326.-28avr.2006,Bull.civ.V,n°153),nimenerd'enquête (Cass. soc.,22mars2006,n°03-43602, inédit),niprocéderàuncontrôled'identité(Cass.soc.,2mars2004,Bull.civ.V,n°69;LexbaseHebdon°111du11mars2004,éd.soc.,etlachron.),niprocéderàunefilature(Cass.soc.,24janv.2002,Bull.civ.V,n°35).

Renouantavecuneexpressionquin'avaitjusquelàquetrèsrarementétéutiliséeparlaCourdecassation (v. supra), la chambre socialeprécise, dans l'arrêtn°559endatedu18mars2008,qu'« il est en revanche interdit à cet officierministériel d'avoir recours à un stratagèmepourrecueillirunepreuve».Constituepareilstratagèmetouteprovocationàlapreuve(Cass.soc.,16janv.1991,préc.),lefaitd'écouteruneconversationtéléphoniquesansquelecorrespondantnesachequecelle-ciétaitécoutéeparuntiers(Cass.soc.,29janv.2008,n°06-45814,inédit),oulefaitdeprendre«unefaussequalitépourobtenirdesrenseignementsd'uninterlocuteur»(Cass.soc.,5juill.1995,Bull.civ.V,n°237).

C'est dans ce courant extrêmement strict que se situe ce nouvel arrêt. Dans cette affaire, unecaissièreavaitétélicenciéepourfautegraveaprèsquesonemployeureutfaitconstater,parunhuissier,l'absenceencaisseàdeuxdatesdéterminéesdumontantd'achatseffectuésenespècesauprèsd'elleauxmêmesdates.CesconstatsavaientétéécartésdesdébatsparlaCourd'appel,etle licenciement considéré comme dénué de cause réelle et sérieuse, ce que contestait bienentendu l'employeurdanssonpourvoi.Cedernier faisaitvaloirque l'huissiers'était«bornéàeffectuerdesconstatationspurementmatériellesdansunlieuouvertaupublic»(circonstancerelevéedernièrementparlaCourdecassationpourvaliderdesconstats:Cass.soc.,6déc.2007,préc.)L'argumentn'apasconvainculaHauteJuridictionquirelève,àlasuitedelaCourd'appel,que « l'employeur s'était assuré le concours d'un huissier qui avait organisé un montage enfaisanteffectuer,danslesdifférentesboutiquesetpardestiersqu'ilyavaitdépêchés,desachatsenespècespuisenprocédant,aprèslafermeturedumagasinethorslaprésencedelasalariée,àun contrôle des caisses et du registre des ventes », ce qui caractérisait « un stratagème pourconfondrelasalariée».

Cettesolutionestparfaitementconformeauxsolutionsadmisesetquidénienttoutevaleurauxconstatsopérésdanslecadred'uneprovocationàlapreuve(Cass.soc.,16janv.1991,préc.).Nil'employeur, ni un huissier de justice ne peuvent donc piéger un salarié en provoquant lasituation illicite justifiantdes sanctionsdisciplinaires, cequi estbienconformeauprincipedeloyautéquigouverneledroitdelapreuveetauxrèglesduprocèséquitable,ausensdel'article6-1delaconventionEDH(enmatièrepolicière,Cass.crim.,11mai2006,Bull.crim.n°132.-7févr.2007,n°06-87753,publié). L'huissierdoitdonc se contenterd'observerpassivement lesfaits, sans que par son intervention il puisse, à un titre quelconque, influer sur le cours desévénements.

Motsclés:

LICENCIEMENT * Procédure * Preuve * Loyauté de la preuve * Stratagème * Constatd'huissier

CONTRATDETRAVAIL*Obligationde l'employeur*Obligationde loyauté*Contrôleetsurveillance*Stratagème*Constatd'huissier

DOCUMENTN°9:E.CHEVRIER,LALOYAUTEDELAPREUVEL'EMPORTE,MEMEENDROITDELACONCURRENCE,DALLOZACTUALITE12JANVIER2011

Ass.plén.,7janv.2011,P+B+R+I,n°09-14.316

Résumé

Saufdispositionexpressecontraireducodedecommerce,lesrèglesducodedeprocédureciviles'appliquentau contentieux des pratiques anticoncurrentielles relevant de l'Autorité de la concurrence. Dès lors,l'enregistrementd'unecommunicationtéléphoniqueréaliséàl'insudel'auteurdespropostenusconstitueunprocédédéloyalrendantirrecevablesaproductionàtitredepreuve.

Onnereviendrapassurlesétapesdelaprocédurenisurlesthèsesenprésence,déjàamplementcommentéesetargumentées.Toutjusterappellerons-nousqueleConseildelaconcurrence(n°05-D-66du5déc.2005,BOCC29avr.2006;D.2006.Pan.1385,obs.Claudel;ibid.AJ225,obs.Chevrier ;RTDcom.2006.325,obs.Claudel ;AJpénal2006.125,obs.Roussel ), suivipar lacourd'appeldeParis (Paris,19 juin2007,BOCC16nov.2007 ) avait concluà la libertéde lapreuveenmatièredepratiquesanticoncurrentielles.

Cette approcheavait été censuréepar la cour régulatrice estimantque l'enregistrementd'unecommunication téléphonique réalisé par une partie à l'insu de l'auteur des propos tenusconstitueunprocédédéloyalrendantirrecevablesaproductionàtitredepreuve,conformémentàl'article6,§1,delaConventioneuropéennedesdroitsdel'homme(ConventionEDH-Com.3juin2008,Bull.civ.IV,n°112;D.2008.Chron.C.cass.2753,obs.Salomon;ibid.Pan.2822,obs.Delebecque;ibid.2476,noteBoursier-Mauderly;ibid.AJ1687,obs.Chevrier;RTDcom.2009.431,obs.Bouloc).Loindes'incliner, lesmagistratsparisiens,en formationsolennelle,avaientréitéré leurprécédentesolution(Paris,29avr.2009,BOCC17 juill.2009 ;D.2009.Pan.2716,obs.Delebecque;ibid.AJ1352,obs.Chevrier;RTDcom.2010.73,obs.Claudel),provoquantune critique presque unanime (V., toutefois, J. Raynaud, L'admissibilité des preuves déloyalesdevantl'Autoritédelaconcurrence:raisonnableetnonpasillicite,JCPE2010,n°1347).

Lapositiondel'assembléeplénièreétaitdèslorstrèsattendue.Celle-cicasse,denouveau,l'arrêtdelacourdeParis,etaffirmedoncsonattachementauprincipedelaloyautédelapreuve,quis'appliqueentoutdomaine,ycomprisendroitdelaconcurrence.Àcetégard,lesvisasutilisésparlacoursuprêmesontrévélateurs.Outreletraditionnelarticle6,§1,delaConventionEDH,les hauts magistrats visent « le principe de loyauté dans l'administration de la preuve »confirmantainsiquelaloyautéprobatoireauneassisebeaucouppluslargequ'unesimplerèglede procédure (que l'on pourrait chahuter au gré des principes de proportionnalité et ducontradictoire),etqu'elleestuneexigencejudiciaireissued'unprincipegénéraldudroit(V.,surcepoint,M.-E.Boursier,Leprincipedeloyautéendroitprocessuel,coll.«Nouvellebibliothèquedethèse»,Dalloz,2003,n°249,citéeparE.Claudel,RTDcom.2010.73).

Plus encore, est ici visé l'article 9 du code de procédure civile - alors même que ce visa,traditionnellementutiliséparleschambrescivilesenlamatière,étaitabsentdeladécisiondu3juin2008-etilestrappeléque«saufdispositionexpressecontraireducodedecommerce,lesrègles du code de procédure civile s'appliquent au contentieux des pratiquesanticoncurrentielles».Cevisapermetdeuxchoses.

D'abord, de clarifier la nature du recours formé contre les décisions de l'Autorité de laconcurrence.Ainsi,àdéfautdedispositionsexpressémentdérogatoiresprévuespar lecodedecommerce, c'est le droit commun de la procédure civile qui a vocation à s'appliquer (sur cepoint, V. le très explicite arrêt : Com. 3mars 2009, Bull. civ. IV, n° 29 ; D. 2009. AJ 805, obs.Chevrier;JCPE2009,n°12,p.7;CCC2009,n°140,obs.Decocq;Gaz.Pal.2010.485,etlesobs.;RJDA2009,n°894;RDLC2009,n°2,p.183,obs.Momege;Procédures2009,n°163,obs.H.C.;Procédures 2010. Chron. 1, spéc. n° 13, par Leroy et Ruy). Dès lors, il n'existerait pasd'autonomieprocessuelledel'Autoritédelaconcurrencequijustifieraitunrégimedérogatoire,plusprochedeceluiadmisenprocédurepénale,etdont le législateur lui-mêmeapupourtantpermettre l'assimilation (l'article L. 450-4 ne soumet-il pas les investigations du droit de laconcurrence aux règles de procédurepénale ? - V., toutefois, Crim. 8 sept. 2010,BICC15déc.2010,n°1882;Dallozactualité,19oct.2010,obs.Chevrier;AJpénal2010.557,noteLasserreCapdeville;JCPE2010,n°1944;CCC2010,n°282,obs.D.B.).

Ensuite, de sauvegarder la particularité du principe de la loyauté de la preuve en matièrerépressive. Comme le souligne le communiquédepressede laCourde cassation à la suitedel'arrêtcommenté,«enfondantlacassationsurlevisadel'article9ducodedeprocédurecivile,[la Cour de cassation] affirme aussi sans ambiguïté son attachement au maintien de lajurisprudencedelachambrecriminelletenantcomptedelaspécificitédelaprocédurepénale».

Motsclés:

AFFAIRES*Concurrence-Distribution

CIVIL*Procédurecivile

DOCUMENTN°10:JULIENLARREGUE,LOYAUTEDELAPREUVEETSITEINTERNET«D’INFILTRATION»GAZETTEDUPALAIS,14JUIN2014N°165,P.20

Despreuvescollectéesàpartird’unsiteinternet«d’infiltration»,quin’estpasouvertàtousetquineproposeriend’autreàsesmembresqu’unemiseenrelationavecd’autresmembres,sont-ellesadmissiblesdanslecadred’uneprocédurepénale?C’esttoutelaquestiondeladistinctionentreprovocationàlapreuveetprovocationàl’infractionquisepose.

Gazette–Loyauté–internet–surveillance–infractions–carding–infiltration–constatation–provocationàl’infraction–provocationàlapreuve–autoritésétrangères

Cass.crim.,30avr.2014,no13-88162,

Alors que les débats sur la surveillance généralisée d’Internet par les autorités américainess’épaississent chaque jour et à chaque nouvelle révélation 1 , la question de la sécuriténumériqueestprogressivemententraindeglisserducontre-espionnageàlaprocédurepénale.Quelesdonnéesainsicollectéessoientutiliséesparlesservicesderenseignementetdesécuritéintérieureestunfaitgénéralementbienacceptédespopulations.Maisquiddel’utilisationplusbanaledecettesurveillance?Quelsusagesplusoumoins«limites»d’Internetsontautorisésenmatièrederecherchedesauteursd’infractions?L’arrêtrendupar lachambrecriminellede laCourdecassationle30avril2014apportequelquesélémentsderéponseàcetteproblématiquedontnousn’avonssûrementpasentendulederniermot…

Il s’agissait d’une affaire dans laquelle des autorités publiques américaines avaient assezfinementcrééunsiteInternetdecardingd’infiltration«permettantauxutilisateursdediscuterdediverssujetsliésàlafraudeàlacartebancaireetdecommuniquer,entreautreschoses,desoffresd’achats,deventeetd’échangesdebiensetservicesliésàlafraudeàlacartebancaire».

La création de ce siteweb leur permettait non seulement de savoir qui se connectait au siteinternet,dontl’accèsétaitlimité«auxpersonnesayantdesconnaissancesdemiseenplacedestechniques de carding »,mais aussi d’enregistrer les discussions et lesmessages envoyés parl’intermédiairedusite.Un faux lieude rencontrepourdélinquantsenquelquesorte.Etparmices délinquants, il s’avère justement que deux personnes, de nationalité française, furentidentifiées par les autorités américaines. Les autorités françaises averties, une instruction estalors ouverte. La perquisitionqui s’en suit permet dedécouvrir « divers éléments confirmantl’existence d’activités frauduleuses sur internet à partir de cartes bancaires », preuve que cesmessieursnesetrouvaientpaslàparhasard!

S’estimant piégés, les mis en examen saisissent la chambre de l’instruction de demandes denullitéde laprocédure, estimant – c’est l’argumentqui semble le plus en leur faveur –que laprocédurepénaleconduiteestdéloyalecarlesautoritésaméricaineslesontincitésàcommettreuneinfraction.Maiscesdemandessontrejetéesparlachambredel’instruction,quisoulignaquelemisenexamen«n’apuaccéderàcesitequeparcequ’ilavaitdéjàmanifestésurd’autressitesun intérêtcertainpour lestechniquesducardingoupour l’utilisation illégaled’Internet»,et«qu’aucunélémentdelaprocédurenedémontrequecesitedediscussionsurdiverssujetsliésàla fraude à la carte bancaire avait pour objet d’inciter les personnes le consultant à passer àl’acte».Ilsdécidentalorsdeformerunpourvoiencassation,ens’appuyantnotammentsurlesarticles6,7et8delaconventioneuropéennedesdroitsdel’Homme(CEDH).Seloneux,lamise

enrelationparleFBIde«diversindividusdotésdeconnaissancescomplémentaireslesrendantcapables,ensemble,demettreenplaceunefraude»vaau-delàd’unesimplecollectedepreuves.Non pas une provocation à la preuve, comme l’a estimé la juridiction d’appel, mais uneprovocationàl’infraction.

LaquestionposéeàlaCourdecassationétaitdoncrelativementsimple:despreuvescollectéesà partir d’un site internet « d’infiltration », qui n’est pas ouvert à tous et qui nepropose riend’autre à sesmembresqu’unemise en relation avecd’autresmembres, sont-elles admissiblesdanslecadred’uneprocédurepénale?Autrementdit,lacréationetlasurveillanced’untelsiteinternetsont-ellesdéloyales?

Pourlahautejuridiction,laréponseestnégative.Ellerejettelesdeuxpourvoisdefaçonlapidaire: « il n’y a pas eu, de la part des autorités américaines, de provocation à la commissiond’infractions».

Enfait,deuxchosessemblentavoirconduità laconfirmationdel’arrêtd’appel.Deuxélémentsquicorrespondentauxcritèresd’évaluationdelaloyauté:l’existenced’uneactivitédélictueuseantérieureàl’acted’enquêtecontesté(I),etl’absencedetouteincitationdelapartdesautoritéspubliques(II).

I–L’existenced’uneactivitédélictueuseantérieure

LaCourdecassationaconsciencequel’exigencedeloyautéentreparfoisenconflitaveccellesdecélérité et d’efficacité des enquêtes. Cette réalité l’a conduite à développer une distinctiondésormais bien connue entre provocation à la preuve et provocation à l’infraction 2 . Si laprovocationàl’infractionestdéloyale,laprovocationàlapreuvenel’estpas.C’est-à-direque«la chambre criminelle, tout en continuant de veiller à ce que l’agent n’ait pas provoqué lacommission de l’infraction, s’est montrée soucieuse de prendre la compte la difficultéparticulièreàrapporterlapreuvedecertainesinfractionsdufaitdeleurcaractèreocculte»3.La CEDH donne une définition précise de la provocation à l’infraction : « Il y a provocationpolicièrelorsquelesagentsimpliqués–membresdesforcesdel’ordreoupersonnesintervenantà leur demande – ne se limitent pas à examiner d’une manière purement passive l’activitédélictueuse,maisexercentsurlapersonnequienfaitl’objetuneinfluencedenatureàl’inciteràcommettre une infraction qu’autrement elle n’aurait pas commise, pour en rendre possible laconstatation, c’est-à-direenapporter lapreuveet lapoursuivre»4 . Inversement, iln’yapasprovocation à l’infractionmais à la preuve, lorsque l’intervention des enquêteurs « a eu pourseul effet de permettre la constatation d’une infraction […] dont ils n’ont pas déterminé lacommission»5.

L’existence d’une activité délictueuse antérieure montre justement que l’intervention desenquêteursn’apasconditionné lacommissionde l’infraction.LaCourdecassationnemanquepas de le souligner dans l’arrêt commenté : «M. X avait déjàmanifesté sur d’autres sites sonintérêtpourlestechniquesdefraudeàlacartebancaireetpourl’utilisationd’internetàcettefin».C’estcemêmecritèrequiavaitpermisàlaCour,en2007,dansuneaffaireàcertainségardssimilaire,d’estimerquel’infractionavaitétéprovoquée6.Danscetteautreaffaire,lesautoritésaméricainesavaientcrééunsitedepédopornographieetavaientidentifiéuninternautefrançais.Maiscedernier,« inconnudesservicesdepolice jusqu’àcettedate»7 ,avaitvu laprocédurepénale française annulée pour déloyauté. Peu importait qu’une perquisition subséquente aitpermisdedécouvrirqu’ildétenaitdenombreuses imagespédopornographiques. Ilnesuffisait

pasquedesimagessoientdétenuesetqu’uneinfractionaitétéeffectivementcommise.Ilauraitfallu,parailleurs,quelesenquêteurslesachentavantlaprovocation.L’arrêtde2014vientdoncpréciserceluide2007,ilestenquelquesortesoncomplémentacontrario.Celaestd’autantplusclairque,dansl’affairelaplusrécente,l’accèsausiteinternetétaitlimitéaux«personnesayantdes connaissancesdemiseenplacedes techniques carding». Inversement, aucune restrictionn’existaitdans l’affairede2007,puisque toutepersonnepouvait seconnecterausite internet,sans avoir préalablement dûmontrer un intérêt poussé pour la pédopornographie – la seulechosequ’onexigeaitdeluifutd’avoircherchélesiteactivementsurlesmoteursderecherche.

Cepointdedivergenceentreledossierdepédopornographiede2007etledossierdecardingde2014expliquequelaprocédurepénalesubséquente,etnotammentlaperquisitionetlessaisiesréaliséessuiteàl’informationdonnéeparlesautoritésétrangères,soitrégulièredansuncasetirrégulièredansl’autre,etaufinalquecetteprocéduresoitjugéeloyaledansl’affairede2014,etdéloyaledans l’affairede2007.Cequerefuse la juridictionsuprême,c’estque l’onprovoqueàtout-va, sans considérationde la personneprovoquée.Risque réel avec le développementdestechnologies numériques, lorsque l’on connaît la quantité d’informations qui circulent chaquejoursurinternet.Onlevoit,lasimpleconnexionàunsiteinternetpeutêtreenregistrée.Iln’estpasdifficile d’entrevoir ce que cela comportede risques vis-à-vis des libertés individuelles. Sibienqu’à travers leconceptde« loyauté», laCourdecassationenvientàprotégerdesdroitsindividuels et à proposer un équilibre parfois compliqué à préserver entre la recherche desauteursd’infractionset laprotectiondes libertés fondamentales.D’autantqu’iln’yaqu’unpasentreconstateruneinfractionetlaprovoquer.

II–Lareconnaissanced’unrôleactifdesenquêteurs

Unpasquelesautoritésaméricainesn’ontpasfranchi,retiendralaCour.Cen’estpourtantpasfaute pour les demandeurs au pourvoi d’avoir souligné le rôle actif des autorités publiquesétrangèresàplusieurségards.Toutd’abord,«lesiteCarderprofitnes’estpaslimitéàfaciliterlacollectedepreuves,maisamisencontactdes internautesqui,pris isolément,n’étaientpasenmesure de commettre des infractions informatiques à la carte bancaire ». Mais, surtout, ilsavaientétéinvités«surleforumCarderprofitparunagentinfiltréduFBI».Argumentsbalayéspar la cour d’appel, que vient appuyer la Cour de cassation : « le site de surveillance etd’enregistrement desmessages échangés a seulement permis de rassembler les preuvesde lacommission de fraudes à la carte bancaire et d’en identifier les auteurs, aucun élément nedémontrantqu’ilaiteupourobjetd’inciterlespersonnesquil’ontconsultéàpasseràl’acte».Àla lecturede l’arrêt de 2007, l’on se rend compte que le site pédopornographique offrait plusqu’une simple mise en relation avec d’autres internautes, puisqu’il offrait « à quiconque derecevoiretd’adressergratuitementetanonymementdes images interdites».Defait, lesiteencausedans l’affairede2014n’offraitrien,sinonunepossibilitédecommuniqueravecd’autresinternautes.Aucunepropositionconcrètequiauraitirrémédiablementconsommél’infraction.

Il n’en demeure pas moins que l’invitation à participer aux échanges serait provenue d’unenquêteur. Mais, alors, on peut faire le parallèle avec une autre jurisprudence, plus ancienneencore. Un fonctionnaire de police s’était fait passer pour l’ami d’une personne décédée paroverdoseauprèsdufournisseurdecettedernière,etavaitprétenduvouloiracheterdeladrogue.Laventeeffectuée,lefournisseurestpénalementpoursuivi.Auxargumentsdel’intéresséselonlesquels il aurait étéprovoquépar l’officierdepolice judiciaire, la chambre criminelle répond

que,siprovocationilyaeu,cen’estqu’àlapreuve,etnonàl’infraction8.Stratagèmequipeutêtrerapprochédel’invitationdel’agentinfiltréduFBIdansl’affairede2014.

Resteàsavoirsicesdeuxcritèresd’activitédélictueuseantérieureetd’absencedepropositionconcrètesontcumulatifs,ousil’undesdeuxsuffitpourbasculerdelaprovocationàl’infractionverslaprovocationàlapreuve,deladéloyautéverslaloyauté.Lapropositiondel’agentinfiltréaurait-elle été loyale si l’on n’avait pas révélé une activité délictueuse antérieure ? Laconfrontationdesdiversesjurisprudencessurlaquestionnousporteàpenserquenon.Critèrecentraldedistinctionentrelaprovocationàlapreuveetprovocationàl’infraction,sonabsenceauraitentraînél’annulationdelaprocédurecontestéeparlesdemandeurs.

Maislaconnaissanced’unetelleactiviténerendpaspourautantacceptablen’importequelacted’enquête. S’il faut nécessairement que l’intéressé ait trahi en amont son intention criminelle,pourautantlapreuvedecetteintention,établiemaisimpalpableouinsuffisante,nesauraitêtre«arrachée».Ilapparaîtquelasolutionestdifférenteselonquel’enquêteur«reçoit»ou«donne»,maisaussiselonquel’échangedel’«objet»suffitounonàcaractériserl’infraction.Ilnepeutdonner ou proposer de donner (des images pédopornographiques, par exemple) mais peutrecevoir(deladrogue).Dansuncascommedansl’autre,laréceptionouledonsuffisaientpourcaractériser l’infraction. Par contre, l’on peut très bien admettre la validité du don ou de lapropositiondedon lorsque l’échangene conduitpas à constituerune infraction : aussi ledond’un « accès » au site internet Caderprofit ne constituait-il pas une provocation à l’infractionmaisàlapreuve,toutsimplementcarlesimplefaitdeseconnecteràcesiteneconstituaitpasenlui-mêmeuneinfraction.

Cette solution, juridiquement cohérente, a par ailleurs le mérite de favoriser l’entraide et lacoopération policières et judiciaires. Si la question d’une jurisprudence Bosphorus 9 à lafrançaise ne se pose pas pour l’heure, il n’en demeure pas moins que les conventionsinternationalesratifiéesparlaFranceetlesÉtats-Unis,etnotammentcelledePalermede2000,militent en faveur d’un tel rapprochement : « l’objet de la présente Convention est depromouvoir la coopération afin de prévenir et de combattre plus efficacement la criminalitétransnationaleorganisée».C’estdoncautourdecettelignedeforcequel’équilibreestfaitentrel’exigence de protection des droits fondamentaux et la nécessaire recherche des auteursd’infractions, c’est-à-dire entre les dispositions conventionnelles de la CEDHd’unepart, et lesdispositionsconventionnellesdel’ONUd’autrepart.

DOCUMENTN°11:LUDOVICLAUVERGNAT,LOYAUTEDELAPREUVE,GAZETTEDUPALAIS,25MAI2013N°145,P.28

Cass.soc.,6févr.2013,no11-23738,MmeYc/M.X(rejetpourvoic/CAGrenoble,29juin2011),M.Lacabarats,prés.;SCPMasse-Dessen,ThouveninetCoudray,SCPOrtscheidt,av.

1.Bienquemartelantladéloyautédelapreuveobtenueparl’enregistrementd’uneconversationtéléphoniqueàl’insudel’auteurdespropos,laCourdecassationouvrepetitàpetit,aufildesesdécisions, la voie à une pratique faisant, en la matière, du constat d’huissier un élémentprobatoiredifficilementcontournable.Lerespectdesarticles9duCodecivilet6alinéa1erdelaConvention européenne des droits de l’Homme relatifs à la protection de la vie privée 89demeure une priorité : le procédé probatoire est déloyal pour le cas où l’enregistrement desdires serait corrompu par une clandestinité suspicieuse. Ainsi, « si l’employeur a le droit decontrôler et de surveiller l’activité de ses salariés pendant le temps du travail, toutenregistrement,quelsqu’en soient lesmotifs,d’imagesoudeparolesà leur insu, constitueunmodedepreuve illicite »90 . Lahaute juridictionadès lors systématiquement rejeté, commedéloyales, les preuves constituéespardes enregistrements téléphoniques effectués à l’insudel’auteur des propos 91 . En sens inverse, l’enregistrement de conversations téléphoniquesredevientrecevabledansl’hypothèseoùl’auteurdesproposaétédûmentaverti:«l’employeuraledroitdecontrôleretdesurveillerl’activitédesessalariéspendantletempsdutravail;(…)seull’emploideprocédéclandestindesurveillanceestillicite;(…)lacourd’appel,quiarelevéquelessalariésavaientétédûmentavertisdecequeleursconversationstéléphoniquesseraientécoutées,apudéciderquelesécoutesréaliséesconstituaientunmodedepreuvevalable»92.

2.QuidenmatièredeSMS?Dansunarrêtdu23mai200793,lachambresocialeavaitadmisàtitredepreuve,commeuneexceptionàlarègle,leconstatd’huissierportantretranscriptiondeSMS:«Sil’enregistrementd’uneconversationtéléphoniqueprivée,effectuéàl’insudel’auteurdes propos invoqués, est un procédé déloyal rendant irrecevable en justice la preuve ainsiobtenue, il n’en est pas de même de l’utilisation par le destinataire des messages écritstéléphoniquementadressés,ditsSMS,dont l’auteurnepeut ignorerqu’ils sontenregistrésparl’appareilrécepteur».Parhypothèse,l’auteurdesSMSavaitconsciencedel’enregistrementdesmessages,cequirendaitlapreuveapportéeparlaretranscriptionparfaitementrecevable.

3.Quidenmatièredemessagestéléphoniquesvocauxlaisséssurunrépondeur?Telestl’objetde l’arrêt du 6 février 2013 qui ne fait qu’étendre et confirmer la jurisprudence de 2007.L’attendudeprincipeyest reprisavec lesmodificationsnécessairesaubesoinde la cause.Enl’espèce,ilnes’agissaitnonpasd’unconstatdeSMSmaisd’uneretranscriptionparhuissierdemessagestéléphoniquesvocauxlaissésparl’employeursurleportabledusalarié.Étaitenjeulaqualification d’un licenciement. Eu égard aux propos constatés, les juges du fond avaientsouverainement admis que le salarié avait fait l’objet d’un licenciement verbal. En bref, sil’auteurdesdiresn’apasàsubiràsoninsul’enregistrementd’uneconversationprivée,encorene doit-il pas lui-même laisser les traces de ses propos. De là découle une sorte de «responsabilisation»deceluiquiparle,avecquandmêmeunamalgameentre l’enregistrement

du message et sa conservation. Il ne fait en effet pas de doute que l’auteur du message aconsciencedel’enregistrement;ilenestàl’origineetsouhaiteseulementquesespropossoiententendusparledestinatairesanspourautantqu’ilspuissentêtreconservéssanslimitedetempsunefoislebutatteint.Autrementdit,s’ilnepeutignorerl’enregistrement,l’auteurdumessagen’a pas forcément conscience que les propos puissent être conservés une fois entendus.L’enregistrement sur un répondeur n’est qu’une alternative malheureuse à une discussionavortéeetdontlecaractèreinstantanéseseraitopposéàtouteconservation.Quoiqu’ilensoit,leretourdebâtonpour l’employeur,en l’espèce,est réel.La leçonà retenirestalorssimple :enmatière d’enregistrement de messages, si les murs n’ont résolument pas d’oreille, chacun seméfiera des messages écrits ou sonores laissés sur un répondeur, lesquels pourraient bienresurgiràunmomentoùl’ons’yattendlemoins!

DOCUMENTN°12:ANNEDEBET,LEDROITDELAPREUVEETL'ARTICLE6:SUITE,MAISCERTAINEMENTPASFIN...,REVUEDESCONTRATS,01AVRIL2005N°2,P.472

Cass.civ.2e,7octobre2004,pourvoino03-12653,àparaîtreauBulletin;JCP2005,II,10025,noteN.Leger,D.2005,p.122,noteP.Bonfils;Comm.com.électr.,2005,no11,notePh.Stoffel-Munck

« Viole les articles 9 NCPC et 6 CEDH, la Cour d'appel qui admet une cassette contenantl'enregistrement d'une conversation téléphonique comme mode de preuve, alors quel'enregistrementd'uneconversationtéléphoniqueprivéeeffectuéetconservéàl'insudel'auteurdes propos invoqués est un procédé déloyal rendant irrecevable en justice la preuve ainsiobtenue».

Conventioneuropéennedesdroitsdel'homme,article6;modesdepreuve;loyautédelapreuve

LaCourdecassationconfirmedanssonarrêtdu7octobre2004savolontéd'appliquerl'article6delaConventioneuropéennedesdroitsdel'hommeaudroitcivildelapreuve.Onsesouvienteneffetqueladeuxièmechambrecivileavaitesquisséunpremierpasencesensdansunarrêtdu10mars 2004 qui avait suscité de nombreuses interrogations et critiques (v. à ce sujet notrecommentaire,RDC2004,p.1080).Lesdoutesexposésàcetteoccasionn'empêchentpaslaCourdecassationdecontinueràtracersonchemindebonneélèvedel'écoleeuropéenneetd'étendrecontinuellementlechampd'applicationdel'article6.

Dans l'affaire du 7 octobre 2004, le problème portait sur la recevabilité d'une preuve parenregistrement.Enl'espèce,unefemmeavaitreçulasommede150000Fd'undesesvoisinsetami, qui décéda peu après. Elle prétendait que l'argent lui avait été donné, alors que leshéritièresdudecujusconsidéraientqu'ils'agissaitlàd'unprêtetquelavoisineindélicatedevait,enconséquence,restituerl'argent.Cettedernièreinvoquaitl'existenced'undonmanuel.Commeelleétaitenpossessiondel'argent,ellepouvaitseprévaloirdelafonctionprobatoiredel'article2279duCode civil et ainsi bénéficier d'uneprésomptionde titre. Il appartenait, dès lors, auxhéritièresdeprouverqu'iln'yavaitpaseudedon.Celles-ciarguantquel'argentavaitétéprêtéetlasommeenquestionétantlargementsupérieureà800euros,auraientdûproduireunécritcomme l'exige l'article 1341 du Code civil. Cependant, la Cour d'appel de Versailles, dans sonarrêtdu16janvier2003,avaitadmisqu'ildevaitêtrefaitexceptionàcetterèglecar ilexistaitune impossibilitémorale de rapporter la preuve. Les relations des cocontractants étaient, eneffet,delonguesrelationsdevoisinagedenaturequasifamiliale.Conformémentàl'article1348,lapreuveduprêtpouvaitdoncêtrerapportée librement.Leshéritièresproduisaient,à l'appuide leurs allégations, une cassette contenant l'enregistrement d'une conversation téléphoniqueeffectuéeparledecujusàl'insudesavoisineetinterlocutrice.

LaCourd'appel avait faitdroit auxdemandesdeshéritières enacceptant cemodedepreuve.Elleavaiteneffet jugé,d'unepart,que lesecretdescorrespondancesn'étaitpasopposableauprêteur(niàseshéritières),quiavaitpuvalablementenregistrerunedesesconversations,et,d'autre part, que le contenu de l'enregistrement qui ne concernait que le prêt ne portait pasatteinteaudroitaurespectdelavieprivéedel'emprunteuse(bienquecettedernièreaittentédemontrer que l'entretien faisait apparaître ses difficultés financières). La Cour de cassationrefuse de la suivre dans son raisonnement. Elle casse l'arrêt au visa des articles 9NCPC et 6

CEDH. La Cour d'appel avait violé ces textes puisque l'enregistrement d'une conversationtéléphonique privée, effectué et conservé à l'insu de l'auteur des propos invoqués, est unprocédédéloyalrendantirrecevableenjusticelapreuveretenue.

Le principe de loyauté de la preuve, sans être explicitement visé, est donc reconnu dans ledomaineciviletrattachéàl'article6delaConventioneuropéennedesdroitsdel'homme.

Cetarrêtserasansdoutesaluéparceuxquisouhaitentlaprogressionduprincipedeloyautéendroit interne et, plus spécifiquement, en droit processuel. Il faut cependant, dès à présent,remarquer que la jurisprudence de la Cour européenne n'exigeait sans doute pas une telleconsécration.Sansreprendrelesdéveloppementsprésentésdansnotredernièrechronique,onpeut rappelerque l'article 6CEDH («Toutepersonne adroit à ceque sa cause soit entendueéquitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant etimpartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur sesdroits et obligationsdecaractèrecivil,soitdubien-fondédetouteaccusationenmatièrepénaledirigéecontreelle(...)»)necontientaucunedispositionrelativeàlapreuvedansledomainecivil.LaCoureuropéennea,de plus, affirmé à de très nombreuses reprises qu'elle laissait à chaque État le soin de réglerl'admissibilité, la force probante et la charge de la preuve (v. l'arrêt de principe sur cettequestion:arrêtSchenkc/Suisse,sérieA,no140,§46).

Dansledomainepénal,toutefois,laCoureuropéenneaacceptéd'exerceruncertaincontrôle,enparticulier (mais pas exclusivement) dans des hypothèses où la preuve de l'infraction étaitrapportée grâce à des écoutes téléphoniques. Elle l'a fait tout d'abord sur le fondement del'article8,c'est-à-diredudroitaurespectdelavieprivée,etonsesouvientdelacondamnationde laFrancedans lesarrêtsKruslinetHuvig(CEDH,24avr.1990,sérieA,KruslinetHuvigc/France, no176-A etB). Elle l'a fait ensuite sur le fondementde l'article 6dans l'arrêt Schenkprécité.Danscetteaffaire, le requérantconsidéraitquesonprocèsavaitété inéquitablecarsacondamnations'appuyaitessentiellementsurunenregistrementdesesproposréaliséàsoninsuet, selon lui, en violation du secret des correspondances. La Cour européenne des droits del'homme,aprèsavoirrappelélamarged'appréciationdel'Étatenmatièredepreuve(v.supra)etaffirméqu'ellenesauraitexclureinabstractol'admissibilitéd'unepreuverecueilliedemanièreillégale,examinenéanmoinssi leprocèsprésentait,danssonensemble,uncaractèreéquitable.Elleaboutitàunconstatdenon-violationdel'article6pourplusieursraisons:lerequérantavaiteu la possibilité de contester l'authenticité de l'enregistrement et d'en combattre l'emploi.L'enregistrement n'avait pas constitué le seul mode de preuve produit au procès. La Coureuropéenne a confirmé sa jurisprudence. Elle a même admis que l'enregistrement puisseconstituerleseulélémentprisencomptepouraboutiràunecondamnation(CEDH,12mai2000,3e sect., Khan c/ Royaume-Uni, req. no 35394/97 : non-violation de l'article 6, violation del'article 8), tout en tempérant parfois cette admission dans des hypothèses spécifiques où ledroitdenepass'auto-incriminerétaitencause(CEDH,5nov.2002,4esect.,Allanc/Royaume-Uni,req.no48539/99).

Même dans le domaine pénal, la Cour de Strasbourg est disposée à admettre la preuve parenregistrement,serait-elleobtenuedemanièreillégale,àpartirdumomentoùcettepreuveapuêtrediscutéeaucoursdesdébats, c'est-à-direoù lesdroitsde ladéfenseontété respectés.LaCourdecassationa-t-ellevoulutransposercettejurisprudenceendroitcivil?

Une telle volonté semble bien étrange de la part d'une chambre civile, alors que la Chambrecriminellenemanifestepas,loindelà,untelenthousiasmeeuropéen.Eneffet,commelemontreun auteur, « la procédure pénale ne consacre pas encore une obligation absolue de loyauté,notamment dans la recherche des preuves » (S. Guinchard et alii., Droit processuel, Droitcommunetcomparéduprocès,PrécisDalloz,2eéd.,2003,no544,p.861).Sipoliciersetjugesd'instruction sont théoriquement tenus d'administrer la preuve de manière loyale, sansstratagème ni artifice, lamise en oeuvre de ce principe ne va pas sans difficulté (pour un telconstat : M.-E. Boursier, Le principe de loyauté en droit processuel, Dalloz, coll. « Nouvellebibliothèquedethèses»,2003,no165,p.104).Enoutre, lespartiesnesontpassoumisesauxmêmescontraintes,ellespeuventeneffet«produireenjusticedespreuvesétabliesdemanièredéloyale, voire au prix d'une infraction » (S. Guinchard et alii., op. cit., no 544, p. 862) et, parexemple, des enregistrements provenant d'écoutes illicites. Les juges apprécieront ensuite lavaleurprobantedecesélémentsdepreuveet lessoumettrontàundébatcontradictoire.Cettedistinction, fondée sur un critère intuitu personae, ne reflète en rien la position de la Coureuropéenne.

La deuxième Chambre civile de la Cour de cassation semble elle aussi, malgré la référenceexpliciteà l'article6CEDH, tracersonchemin touteseule.Laprésencedecettedispositionauseinduvisanefaitd'ailleursl'objetd'aucuneexplication.Onnesaitpasquelaspectdudroitauprocèséquitableestencauseici. Il fautcependantreleverquelaCoureuropéenne,elle-même,danslesarrêtsprécitésrelatifsàlamatièrepénale,n'estpasnonplustrèspréciseetsecontented'uneinvocationassezvaguedel'équitéquedoitrevêtirl'ensembledelaprocédure.Endehorsde ce laconisme, l'arrêt du 7 octobre 2004ne semble pas réellementmanifester une prise encomptede la jurisprudenceeuropéenne.Toutd'abord, laCourdeStrasbourga toujoursstatuédans le domaine du droit pénal et dans des hypothèses où les déloyautés critiquées avait étécommisespar lesautoritésdepoursuite.La transpositiondecette jurisprudenceaudroit civiln'est donc pas évidente, surtout au vu de la très grande marge d'appréciation des Étatss'agissantdudroitdelapreuve.

Si l'on admet néanmoins la possibilité d'une telle transposition, il est utile de revenir auxprincipes établis par la Cour européenne. D'abord, le procès est équitable si les droits de ladéfenseontété respectéset si l'élémentdepreuve litigieuxapuêtrecontesté.Oren l'espèce,l'enregistrement avait, comme toute pièce relative au litige, été soumis au principe ducontradictoire.L'emprunteuseavait,àl'évidence,eulapossibilitédecontesterl'authenticitédecetenregistrement,ceàquoilesjugesinternessemontrentattentifs.Etelleavait,dèsledébutde la procédure, admis que l'enregistrement était fidèle, ne tentant d'apporter qu'un démentitardif et peu convaincant devant la Cour d'appel. Ensuite, la cassette constituaitvraisemblablementl'élémentdepreuveprincipalapportéparlesparties.Néanmoins,iln'estpascertainqu'ilétaitleseuletqued'autresélémentsnesoientpasvenusleconfirmer.OnavuquelaCoureuropéennedesdroitsdel'hommenesemblaitplusfairedecetteconditionunpréalableàlareconnaissanceducaractèreéquitabledelaprocédure.Ainsi,sajurisprudencen'incitaitpasforcémentaurejetdelapreuveapportéeparleshéritières.

L'arrêtdu7octobre2004s'inscritdoncplutôtdansuneévolutionjurisprudentielleinterne,dontonapeut-êtrevoulurenforcerl'assiseenl'ancrantdansledroiteuropéendesdroitsdel'homme.C'estd'aborddansledomainedudroitsocialquelavolontédelaCourdecassationdemoraliserle droit de la preuve est apparue. En effet, on se souvient que, dès 1991, la Chambre socialeaffirmait que « si l'employeur a le droit de contrôler et de surveiller l'activité de ses salariés

pendant le tempsdetravail, toutenregistrement,quelsqu'ensoient lesmotifs,d'imagesoudeparolesà leurinsu,constitueunmodedepreuveillicite»(Cass.soc.,20nov.1991,D.1992,p.73, concl. Chauvy). Figurait alors au visa, comme dans l'arrêt de 2004, l'article 9 NCPC (« ilincombeàchaquepartiedeprouverconformémentàlaloilesfaitsnécessairesausuccèsdesaprétentions»).D'autresarrêts,asseznombreux,sontvenusconfirmercettepositionstricte.LaChambre sociale continuait de fonder ses décisions de cassation parfois sur le seul article 9NCPC (v., par exemple, pour le refus de prendre en compte une filature organisée parl'employeur : Cass. soc., 4 févr. 1998, Bull. civ. V, no 64). Elle a parfois enrichi son visa d'uneréférence au droit au respect de la vie privée garanti par l'article 9 du Code civil et/ou parl'article8delaConventionEDH(v.encoreausujetd'unefilature:Cass.soc.,26nov.2002,Bull.civ. V, no 352), ou d'une invocation de dispositions spécifiques au droit du travail commel'articleL.120-2(Cass.soc.,10déc.1997,Bull.civ.V,no434).Danscesdécisions,elleévoquaitpour exclure les preuves produites non leur déloyauté,mais, plus généralement, leur illicéité,c'est-à-direleurnon-conformitéaudroitprisdansunsenstrèslarge.

Cettejurisprudenceétait,àl'origine,limitéeaudroitdutravail,cequis'expliquaitaisément,enpartieparlecaractèretrèsspécifiquedelarelationexistantentresalariéetemployeur,fondéesurunliendesubordination.L'inégalitédespartiesjustifiaitainsilanécessitédefairerespecterdes règlesplus strictes enmatièredepreuve (v. en ce sens,M.-E.Boursier, op. cit., no367,p.211).

Néanmoins,laCourdecassationn'apashésitéàétendrelasolutionaudomainedudroitcivilausein d'autres relations contractuelles. Avant l'arrêt du 7 octobre 2004, elle l'a fait dans lesrelationsconcédant-concessionnaire.LaChambrecommercialea,eneffet,estimédansunarrêtdu25février2003(Contrats,conc.consom.2003,no104,obs.L.Leveneur,Comm.,com.électr.2004,no43, obs.Ph. Stoffel-Munck)que le concessionnairenepouvaitprouver l'abusdans laruptureducontratdeconcessionaumoyend'unentretien téléphoniqueenregistréà l'insudesonconcédant,cemoyendepreuvesousformesonoreayantétédéloyalementobtenu.LaCourde cassation faisait donc déjà explicitement référence au principe de loyauté de la preuve.L'arrêtde2004montrequelaHautejuridictioncontinuedanslamêmevoieet,cettefois,plusouvertement puisqu'il fait l'objet d'une publication au Bulletin. Cette nouvelle progression dudroit àunprocèséquitablepeut sansdouteêtrediversementappréciée.Onpeut, à l'instardenotrecollègueetami,PhilippeStoffel-Munck,s'interrogersurlaréellenécessitédeconsacrerunprincipedeloyautédespreuvesenmatièrecivileetsurlesconséquencespratiquessouventtrèsinjustes qui résultent d'une telle consécration (v. en ce sens les commentaires précités del'auteur). En effet, il apparaît que, aumoinsdevant la Courde cassation, ce sont le concédantmalhonnêteetl'emprunteusedéloyalequitriomphent...

Onpeutenfins'interrogersurlaportéedecettenouvelleposition(endehorsdesdomainesoùdesdispositionsspécifiquesexistentcommeendroitdudivorce).Faut-ilvoirdanslesarrêtsde2003etde2004unenouvellemanifestationdel'exigencedebonnefoicontractuelleappliquéerespectivementauxrelationsconcédant-concessionnaireetprêteur-emprunteur,oufaut-il leuraccorderuneportéebeaucoupplusvaste?L'absencederéférenceà l'article1134etaux lienscontractuelsmilite, à l'évidence, en faveur de la seconde solution. Il reste doncmaintenant àattendrelessuitesdecettejurisprudencenovatrice!

DOCUMENTN°13:FRANÇOISFOURMENT,LESMURSAVAIENTDESOREILLES,GAZETTEDUPALAIS,13MAI2014N°133,P.41

La conjugaisondesmesures de garde à vue, duplacement dedeuxpersonnesmises en causedansdes cellules contiguës et de la sonorisationdes locaux sontun stratagèmed’un agentdel’autorité publique constitutif d’une atteinte au droit à un procès équitable et au principe deloyautédespreuves,encequ’ilaamenéungardéàvueàs’incriminerlui-même.

Cass. crim., 7 janv. 2014, no 13-85246, ECLI:FR:CCASS:2014:CR06606, Meshal X, FS–PBI(cassationCAVersailles,ch.instr.,4juill.2013),M.Louvel,prés.,M.Pers,cons.rapp.,M.Cordier,av.gén.;MeSpinosi,av.

Voir également –Dalloz actualité, 9 janv. 2014, obs.A. Portmann ; ibid., 27 janv. 2014, obs. S.Fucini;LexbaseHebdo,éd.privée,n°562,p.2,obs.G.Beaussonie;Gaz.Pal.8févr.2014,p.19,165y9,noteO.Bachelet;D.2014,p.264,interview,S.Detraz;ibid.,p.407,noteE.Vergès;JCPG2014,272,noteA.Gallois;Dr.pén.2014,comm.32,obs.A.MaronetM.Haas;Procédures2014,comm.83,obs.A.-S.Chavent-Leclère

Considéréesisolément,lesmesuresprisesparl’officierdepolicejudiciaire,d’unepart,deplaceren garde à vue deux personnes mises en cause au cours d’une instruction ouverte dans uneprocédure de délinquance et de criminalité organisées, et de les installer dans des cellulescontiguës, et par le juge d’instruction, d’autre part, d’ordonner une opération de sonorisationdes locaux étaient régulières. C’est, comme le souligne la chambre criminelle de la Cour decassation dans son arrêt du 7 janvier 2014, la « conjugaison » de ces deux termes qui «participaitd’unstratagèmeconstituantunprocédédéloyalderecherchedespreuves(…)[ayant]amené[ungardéàvue]às’incriminer lui-mêmeaucoursdesagardeàvue».Ceconclusifestserviaprèsunattendudeprincipeauxvisaettermestoutaussiremarquables:«Vul’article6delaConventioneuropéennedesdroitsdel’Hommeetl’articlepréliminaireduCodedeprocédurepénale,ensemble leprincipede loyautédespreuves ;Attenduqueporteatteinteaudroitàunprocèséquitableetauprincipede loyautédespreuves lestratagèmequienvicie larechercheparunagentdel’autoritépublique».

Pourmémoire, lors de la discussion en 2000 du projet de loi « renforçant la protection de laprésomptiond’innocence et les droits des victimes », l’Assemblée nationale a refusé d’insérerdansl’articlepréliminaireduCodedeprocédurepénaleuneréférenceauprincipedeloyautédespreuves.Danscesconditions,laportéedel’arrêtdu7janvier2014mérited’êtreappréciée.Danslamesureoù iladéjàété largementcommenté,nousprocéderonsseulementparunesériederemarques.

Lasolutiondelachambrecriminellenevautqueparcequec’estunagentdel’autoritépubliquequi a monté ce stratagème. Cet arrêt ne remet pas en cause le courant de jurisprudence nesanctionnantpasladéloyautédanslemoded’obtentiondepreuved’unepartieoud’untiersnonintermédiaired’uneautoritépublique.

Cetarrêtestintéressantencequ’ilappliqueàlaprovocationàlapreuvedelacommissiond’uneinfractionunraisonnementsurlaloyautéjusque-làaprioriplutôtretenuencasdeprovocationà la commission d’une infraction. Cette observation doit être immédiatement tempérée par lacirconstance suivant laquelle le stratagème procède d’un juge d’instruction et d’un officier de

police judiciaire sous commission rogatoire, et nonpasd’un fonctionnairedepolice judiciaireagissant d’initiative en enquête (ce qui était en l’occurrence exclu, rapporté au moded’investigation–lasonorisation–misenœuvre).

L’articulationde l’attendudeprincipeavec lathéoriede lanullitédesactesdeprocédurepeutparaître ambiguë. La chambre criminelle ne qualifie pas la cause de nullité de nullité d’ordrepublic,alorspourtantque,danslalogiquedelajurisprudencedelaCoureuropéennedesdroitsdel’Homme(déloyauté,auto-incrimination),legardéàvueaiciétéprivéabinitiodetoutprocèséquitable. Il y aurait même unmot de cet attendu qui pourrait faire ressortir cette cause denullitéde lacatégoriedescausesdenullitéd’ordreprivé,maisavec«griefnécessaire», selontoutevraisemblance : le stratagème«vicie la recherche»de lapreuve.End’autres termes, lestratagèmea«nécessairementportéatteinteauxintérêts»delapartiequ’ilconcerne.

Cetarrêtsanctionnantuneopérationdesonorisationd’unecelluledegardeàvueneremetpasen cause celui du 1ermars 2006par lequel la chambre criminelle a admis la sonorisationduparloird’undétenu1:lepropred’uneconversationauparloirestdepouvoirêtreentendueparlesurveillant2.

Souvenons-nous que, dans un arrêt du 3 avril 2007, la chambre criminelle a considéré quel’officierdepolicejudiciairenepeuttranscrire,contrelegrédugardéàvue,desproposquiluisont tenus officieusement 3 . Cette décision a été rendue au visa de l’article 62 du Code deprocédure pénale, mais aux motifs d’une atteinte aux droits de la défense et du principe deloyauté. C’est au visa de l’article préliminaire du Code de procédure pénale, mais encore enconsidérationdemotifsprisdesdroitsdeladéfense,quelachambrecriminelle,dansunarrêtdu5mars2013,aconsidéréquelesofficiersdepolicejudiciairenepeuventdavantageretranscriresurprocès-verbalderenseignementlesconfidencesfaitesparunepersonnemiseenexamenaucoursdesontransfertàlamaisond’arrêt4.

L’arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 7 janvier 2014, derrière lagrandiloquencedesestermes,rappellequelagardeàvueestune«gardeàl’ouïe»5 ,c’est-à-direlemode,devenuexclusif,decaptationdelaparoled’unsuspectsouscontraintepolicière,euégard aux garanties qui y sont attachées (notamment, devant le risque de déclarations auto-incriminantes, le droit à l’assistance d’un avocat), et sauf au gradé à vue à y renoncerexpressément(auditionlibre).

DOCUMENTN°14:DUDROITDELAPREUVEAUDROITALAPREUVE,QUESTIONDEMOTSOUCHANGEMENTDECAP?,PETITESAFFICHES,31MAI2013N°109,P.5-TOUSDROITSRESERVES

EntretienavecCamilleBroyelle,professeuràl’universitéParisII(Panthéon-Assas),AnneDebet,professeur à l’université Paris-Est Créteil, Cyril Grimaldi, professeur à l’université Paris 13, etMustaphaMekki,professeuràl’universitéParis13

Le 21 mai dernier, l'Association Henri Capitant des amis de la culture juridique françaiseorganisaitunejournéeparisiennesurlethèmede«Lapreuve»,journéequiseprolongeradu3au 7 juin prochains à Amsterdam et Liège. L'occasion pour Camille Broyelle, professeur àl'université Paris II (Panthéon-Assas), Anne Debet, professeur à l'université Paris-Est Créteil,CyrilGrimaldi, professeur à l'universitéParis13, etMustaphaMekki, professeur à l’universitéParis 13, de revenir sur les problématiques actuelles de la preuve, qui bénéficie de peu derecherches dans l'ensemble et qui, selon eux, mériterait, du moins en matière de justiceadministrative,uneréformeafindedégagerlesgrandsprincipesgénérauxetuniformesdudroitdelapreuve.

LesPetitesAffiches—Pourquoiuncolloquesurlethèmedelapreuve?

CyrilGrimaldi—Peude recherchesd'ensembleont étémenées sur le sujet.Ainsin'existe-t-ilqu'unfaiblenombred'ouvragesconsacrésàlapreuve,tantendroitprivéqu'endroitpublic.

Il est vrai que le droit de la preuve ne constitue pas unematière universitaire à part entièrepuisqu'elle est en général enseignée en première année de droit à l'occasion du coursd'introduction au droit, à unmoment où les étudiants ne bénéficient pas d'un recul suffisantpouraborderlesujet.

Il est à ce titreheureuxque le rapport annuelde laCourde cassation rendupublic le24maidernierportesurlethèmedelapreuve.Lenuméro6delaHenriCapitantLawReviewporteraégalementsurcethème.

LPA—Quelleestlavocationdececolloque?

CG—Réunirplusieursrapportssurquatrethèmes:«Preuveetdroitsfondamentaux»,«Preuveet pouvoirs exorbitants de la puissance publique », « Preuve et nouvelles technologies », «Preuveetvérité»,élaborésàpartirdequestionnairesadressésauxrapporteursdesdifférentspays.Unrapportdesynthèse,parJérômeHuet,viendraclorelesdiscussions.

Lesrapportssontd'oresetdéjàdisponiblessurlesitedel'AssociationHenriCapitantdesamisdelaculturejuridique.

LPA—Commentrésoudrelesconflitsdedroitsfondamentauxrelatifsàlapreuve?

CG—Traditionnellement, l’on opère une balance des intérêts en présence et l’on vérifie quel'atteinteauxdroitsfondamentauxqueréalisel'Administrationd'unepreuverespectelescanonsdeprévisibilité,denécessitéetdeproportionnalité.

Aujourd'hui cependant, l'on voit émerger en jurisprudenceun «droit à la preuve », lui-mêmeérigéendroitfondamental,envuedefaciliterl'administrationdespreuvesetderapprocherlavéritéjudiciairedelavéritédesfaits.

LPA— Lesmoyens probatoires peuvent notamment aller à l'encontre de la vie privée(testsADN,écoutestéléphoniques,GPS...).Lalégislationencadre-t-ellesuffisammentcesnouveauxmodesdepreuve?

CG—Derèglegénérale,denombreuxmodesdepreuveontétépassésetcontinuentdel'êtreaucrible des droits fondamentaux. On remarque à cet égard que la jurisprudence de la Coureuropéenne des droits de l'Homme est finalement plus audacieuse que celle du Conseilconstitutionnel.

Il reste que si certains moyens de preuve constituent une ingérence dans la vie privée etfamilialed'autrui,ilssontaussiparfoislemoyendepréservercelledurequérant.L'exempledestestsADNesttrèsrévélateurcarenmêmetempsqu'ilsportentatteinteàlavieprivéedeceluiquilessubit,ilspermettentd'assurerledroitaurespectdelavieprivéeetfamilialenormaledeceluiquichercheàfaireétablirsafiliation.

LPA—Lavéritéscientifiques’oppose-t-elleàlavéritéjuridique?

MustaphaMekki—Lavéritéscientifiqueestgénéralementprésentéecommeunevéritéabsolueà la différence de la vérité juridique et, spécialement, judiciaire qui serait une vérité relative.Cette opposition dogmatique peut être discutée. De nombreux économistes tels que MauriceAllais ou Karl Popper ont démontré que les découvertes scientifiques, et plus largement lascience, constituaient souvent une suite d’erreurs. À l’instar des autres vérités, la véritéscientifiqueestrelative.

Ilestvrai,cependant,quelavéritéscientifiqueasesraisonsquelaraisonjuridiqueignore.Plusprécisément,endroit,lapreuvescientifiqueproposeetlejugedispose.

Lapreuvescientifiqueestutileau juge. Ilestaujourd’hui fréquentque le jugeutilise lapreuvescientifiquepourétablirl’existenceobjective,«réelle»decertainsfaits.Ilenestainsienmatièrede filiation, la Cour de cassation consacrant l’expertise biologique de droit. Lamatière pénalefournit de nombreux exemples, que ce soit pour établir un certain nombre d’infractionsroutières ou de la lutte contre l’antidopage. En outre, dans unmonde dominé par l’incertain(santé,environnement,économie),lapreuvescientifiqueestuneaideprécieuseàladécision.

Iln’enrestepasmoinsquelapreuvescientifiquedoitresterauserviceduprocèsquinepoursuitpas, coûte que coûte, la vérité, mais recherche une solution juste. Ce faisant, le juge doitconserverlederniermotlorsqu’ilditledroit.Lavéritéjudiciairepeutainsiêtreendécalageavecla vérité scientifique. En droit de la responsabilité, par exemple, la causalité scientifique peutainsi fairedéfaut sanspourautantexclureuneéventuelle causalité juridique. Il fautveiller enpermanenceàcequelapreuvescientifiqueresteauservicedelapreuvejudiciaire.

LPA—Lesmoyenslégauxexistantssont-ilssuffisants?

CG—Endroit français, traditionnellement, lavérité judiciairen'estpasaussiexigeantequ'ellene l'estdans lespaysdecommonlaw,pourdifférentesraisons,notammentdecoût,de temps.Ainsi,ledroitfrançaisneconnaîtpasdeprocéduredediscovery.

Silapreuveestparprincipelibreendroitfrançais,exceptionfaite,enmatièrecivile,delapreuvedesactesjuridiquesquidoitenprincipeêtrefaiteparécrit,denombreusesrèglesdefondoudeprocédure intéressent la charge, l'objet et lesmodes de preuve. Aujourd'hui, le « principe deloyauté » des preuves suscite de nombreuses questions, tant dans son domaine que dans saportée.

LPA—Lavéritél’emporte-t-elleaudétrimentdelaloyautéprobatoire?

MM — L’exigence de loyauté probatoire, qui doit être distinguée de la légalité probatoire,renvoieàl’idéequ’onnepeutopposeràunepartieàunprocèsunélémentdepreuveobtenudemanière « clandestine », « à l’insu de » la personne concernée. Cette exigence, qui n’est pasformellementunprincipeduprocèséquitable,permetdemoraliserleprocessusprobatoirederecherchedelavérité.

Cependant,sonchampd’applicationévolueendentsdescie.Alorsquecetteexigences’imposedans le procès civil et a été étendue au droit de la concurrence, rendant ainsi les preuvesobtenuesdemanièredéloyaleirrecevables,elleconserveundomained’applicationrestreintenmatièrepénale.Seuleslespersonnespubliquessontsoumisesàcetteexigencedeloyautédansl’obtentiondesélémentsdepreuve,dansuncasbienprécisd’ailleursquiest laprovocationàl’infraction. En revanche, les personnes privées peuvent produire en justice des éléments depreuve obtenusdemanière déloyale ou illégale à la conditionque cet élément depreuve soitdébattudemanière contradictoireetque le jugen’en fassepas le seul élémentde sadécision(principedecorroborationselonJ.Pradel).

Ce recul de l’exigence de loyauté ne cesse de s’intensifier. La déloyauté est fréquemment, enquelquesorte,«excusée»en faisantappel,dans tous lesdomainesdudroitde lapreuve,auxdroitsdeladéfense,àl’égalitédesarmesouàunprincipetrèsgénéralducontradictoire.D’unecertainemanière, ladéloyautéenamontestexcuséeparundébatcontradictoireenaval.Cettetendanceestcritiquablecarilnefautpasoublierque«prouver,c’estfaireapprouver»selonH.Lévy-Bruhl. Selon le sociologue, ladécision ainsi rendue, la vérité ainsi découvertedoit être «homologuéeparlacollectivité».Àdéfautd’êtreacceptée, lavéritédoitêtreacceptable.Iln’estpas certain qu’en encourageant l’obtention déloyale ou illégale de preuve compensée par undébatcontradictoire,ladécisionpuisseêtre«homologuéeparlacollectivité»!

LPA—Desréformessont-ellesenvisagéesenvued'améliorerledroitdelapreuve?

AnneDebet—LesrapportsTerréetCatalaproposantuneréformedudroitdescontratsetdudroitdesobligationscontiennentdesdispositionssurledroitdelapreuve.Leprojetderéformeactuellementencoursreprendrapeut-êtrecertainesdecespropositions.

LPA—Qu'enest-ilducôtédudroitadministratif?

CamilleBroyelle—Sur ce terrain, laquestionest spécifique.L'Administrationdétienteneffetdes pouvoirs exorbitants. Tout d'abord, celui qui découle du privilège du préalable :l'Administrationprendunilatéralementdesdécisionsobligatoires,sansavoirbesoinderecouriraupréalableaujuge.Encesens,pouragir,l'Administrationn'apasà«prouver»ausensstrict(c'est-à-dire devant un juge) la véracité des faits sur lesquels elle se fonde. Ensuite,l'Administrationdétientdesprérogativesexorbitantesaustadedelarécoltedespreuves.

Sansdouteexiste-t-ildesgarde-fousmaispasàtouteslesphasesdelaprocédureadministrative.Au stade de l'instruction de la décision par l'Administration, des garanties existent, enparticulier pour les décisions qui « font mal », je pense aux sanctions administratives. Cesgaranties ont été considérablement étoffées, sous l'effet notamment de la jurisprudenceeuropéenne.Aujourd'hui,quasimenttouteslesexigencesduprocèséquitabledel'article6delaConventioneuropéennedesdroitsdel'Hommes'appliquentàcestade.Enrevanche,s'agissantdelaphaseantérieureà l'instructionadministrative, laphasederécoltedesfaits, lesgarantiessontminces,puisqu'àceniveau,nes'appliquentnileprincipeducontradictoire,nilesdroitsdeladéfense,nil'article6delaConventionEDH(1).

Certes, certaines enquêtes administratives sont encadrées par des textes. C'est le cas desenquêtesfiscalesouencoredesinvestigationsmenéesparl'AMFoul'Autoritédelaconcurrence.Mais en dehors des textes spéciaux qui réglementent des procédures particulières, ilmanquecruellementundroitcommundel'enquêteadministrative.

AD — Pour des besoins de cohérence il faudrait d'ailleurs dégager des principes générauxcommuns aux différentes autorités administratives indépendantes, tels que des principesrégissant l'accès aux documents, l'accès au domicile... et pour garantir plus de clarté dans cedroitaujourd'huiéclaté.

CB—Précisément, peut-être les choses sont-elles en train d'évoluer. Jusqu'à présent, on s'entenait à l'idée que, dès lors qu'au stade de l'instruction l'intéressé bénéficie des droits de ladéfenseetdesexigencesdel'article6delaConventionEDH,cen'estfinalementpastrèsgravesices droits ne sont pas garantis au stade de l'enquête. C'est l'idée qui inspire une décision duConseild'Étatdu30mars2007,Predica.

AD—Depuis, le Conseil d'État a appliqué l'article 8 de la Convention EDH— droit de toutepersonneaurespectdesavieprivéeetfamiliale,desondomicileetdesacorrespondance—austade des contrôles s'agissant de deux décisions de la Commission nationale informatique etlibertés.Enl'espèce, laCnilavaitprononcédeuxsanctionsfinancièresàl'encontredessociétésPro Décor et Inter Confort qui commercialisent des fenêtres et qui avaient recours à de laprospectiontéléphoniquesansrespecterledroitd'oppositiongarantiparlaloiinformatiqueetlibertés. Le 6 novembre 2009, le Conseil d'État a considéré qu'« en raison de l'ampleur despouvoirs » de contrôle de la Cnil, l'ingérence dans le droit au respect du domicile — queconstituelecontrôlesurplace—n'estproportionnéequesielleaété«préalablementautoriséeparunjuge»ousilapersonneresponsabledeslieux«aétépréalablementinforméedesondroitdes'opposer»aucontrôle.Cetteinformationpréalablen'ayantpasétéréalisée,leConseild'ÉtataannulécesdeuxsanctionsdelaCnil(2).

CB— Oui, et surtout, une autre évolution se dessine, celle résultant peut-être d'un arrêt duConseild'Étatdu15mai2013,SociétéalternativeLeadersFrance(no356054)qui,elle,pose,àproposdesenquêtesdel'AMF,quemêmesilesdroitsdeladéfensenes'appliquentpasaustadede l'enquête, il ne fautpasqu'ils soient altérésde façon irrémédiable au coursde cettephased'investigation.Lesdroitsprocédurauxnedoiventpas,ensomme,être« tuésdans l’œuf».Ceprincipepourraitdésormaisêtresollicitépourdégageruncorpusderèglesapplicablesaustadedel’enquête.EspéronsqueleConseild’Étatiradanscesens.

LPA—Existe-t-ilencoreaujourd'huidesproblèmesdepréservationetd'authenticitédelapreuvenotammentenraisondesnouvellestechnologies?

AD—S'agissantdesnouvellestechnologies,ondistingued'uncôtélesnouvellestechnologiesdel'information et de la communication dites NTIC (documents électroniques et contrats surinternet) et, de l'autre, la preuve scientifique, catégorie à laquelle appartient notammentl'empreintegénétique.

Concernant les NTIC, une des difficultés tient à la directive européenne no 1999/93/CE duParlementeuropéenetduConseildu13décembre1999relativeàlasignatureélectronique,quipose,pour certaines signatures,desexigencesde sécuritébeaucoup tropdifficiles à atteindre,voire quasi impossibles à atteindre. Il n'y a jamais de document signé avec une signatureélectroniquesécurisée.Onpeutsedemanderfinalementsiletexteeuropéenestvraimentutile.En2006,dansundesesrapports,laCommissioneuropéenneconstataitlalenteurdeladiffusiondessignaturesélectroniquesavancéesouqualifiées.Actuellement, ilyad'ailleursunprojetdemodificationdecettedirective.

Danslesactessurinternet,ilyatoujoursunproblèmed'identificationdelapersonne.Uncertainnombredepaysonttentéderésoudreceproblèmeparunepuceinséréedanslacarted'identitéqui permet aux personnes de s'identifier sur internet. Cependant, le Conseil constitutionnel aempêchélamiseenœuvred'unetellesolutionenFranceeninvalidantcertainesdispositionsduprojet de loi relatif à la protection de l'identité qui n'étaient pas suffisamment précises.Finalement,quandonregardelajurisprudence,iln'yapastantdecontentieuxquecela.Cesontsouventdesmailsqui sontproduitsen tantquepreuveetqui constituentunmodedepreuveassez largement admis.Unedesdifficultés réside toutefoisdans l'existencede conventions enmatièredepreuvesurinternetdanslesconditionsgénéralesdesprestataires.Lajurisprudencegarantit,certes,ledroitàlapreuvecontrairemaisenpratiqueilseradifficileauconsommateurde rapporter la preuve contraire par rapport au relevé informatique d'un prestataire. LaCommission des clauses abusives a eu l'occasion de rendre un avis sur certaines clausesrelativesàlapreuve.

Concernant,parailleurs,laquestiondelafiabilitéetdel'authenticitédel'empreintegénétique,ily a desproblèmes très importants.Ainsi, on a vudans l'affairede laTueriedeChevalinequel'ADN prélevé sur place était celui non dumeurtrier présumémais d'un expert en balistique.Dans une autre affaire, l'ADN trouvé était, apparemment, celui d'une personne qui était enprison au moment des faits. Le laboratoire avait inversé deux prélèvements faits dans deuxaffairesdifférentes.Commel'empreintegénétiqueestconsidéréecommeunepreuveparfaite,onse rend compte que si les conditions de collecte et de traitement des empreintes ne sont pasbonnes—etl'erreuresthumaine!—onaboutitàdeserreursjudiciairestrèsgraves.

LPA—Quelssontlesfutursdéveloppementsdelapreuveaveclesnouvellestechnologies?

AD—L'utilisationdelabiométriepouridentifierlesindividusestsusceptibledesedévelopper.C'estunphénomènemondial et laFrancen'estpas épargnée.Cetteutilisationde labiométrie(empreintesdigitalesouempreintesgénétiques,parexemple)posedesproblèmesdupointdevuedes libertés fondamentales.OnapucréerenFranceunebase«Passeport»,contenant lesempreintes digitales des personnes demandant un passeport, avec pour unique finalité lasécurisation de la délivrance des titres d'identité et de voyage et la lutte contre la fraudedocumentaire.Maislelégislateuraégalementvoulucréerunebased'empreintesdigitalespourles cartes d'identité qui a été invalidée par le Conseil constitutionnel car il y avait d'autres

finalitésdepolicesadministrativeetjudiciairequiauraientpermis,parexemple,derechercherdanscettebaselesempreintesd'unéventueldélinquant.Toutepreuvefondéesurlabiométriedevraveilleràrespecterlesdroitsfondamentauxmaiségalementàrépondreàunefinalitébiendéterminéeetdélimitée.

ProposrecueillisparValérieBOCCARA

DOCUMENTN°15:MIKAËLBENILLOUCHE,SECRETPROFESSIONNEL,GAZETTEDUPALAIS,02AOUT2007N°214,P.8

Crim.24AVRIL2007

Secret médical - Production devant le juge répressif de pièces d'un dossier médical -Officedujuge

Un médecin ayant fait citer des époux devant le Tribunal correctionnel sous la préventiond'avoir dans une précédente procédure conclue par sa relaxe définitive du chef d'agressionsexuelle sur mineur de quinze ans, établi une attestation faisant état de faits matériellementinexactsproduiteauxdébatsparlespartiesciviles,aannexéàlacitation,envuedeladiscussioncontradictoire à l'audience, plusieurs pièces du dossier médical et psychologique du fils desprévenus,majeurprotégé,présentdansl'établissementspécialiséoùilintervenaitenqualitédemédecinpsychiatreàladatedesfaitsdontilavaitétéaccusé.Lesépouxontdemandéauxjugesd'écarter ces pièces des débats au motif qu'en les produisant l'intéressé avait révélé desinformationsàcaractèresecretdont ilétaitdépositaireparprofession,délitprévuetpuniparl'article226-13duCodepénal.

Doitêtrecassé l'arrêtqui,pourrejetercettedemande,énoncequ'aucunedisposition légalenepermetauxjugesrépressifsd'écarterlesmoyensdepreuveproduitsparlespartiesauseulmotifqu'ilsavaientétéobtenusdefaçonilliciteoudéloyale,etqu'illeurappartient,enapplicationdel'article 427 du Code de procédure pénale d'en apprécier la valeur probante après débatcontradictoire. En se prononçant ainsi, sans rechercher si l'examen public et contradictoiredevantlajuridictioncorrectionnelle,àlademandedumédecindel'établissementquiavaitprisen charge le fils des prévenus, de pièces de son dossier médico-social, couvert par le secretprofessionnel,constituaitunemesurenécessaireetproportionnéeàladéfensedel'ordreetàlaprotectiondesdroitsde lapartiecivileausensde l'article8de laConventioneuropéennedesdroitsdel'homme,laCourd'appeln'apasdonnédebaselégaleàsadécision.

LaCour(...),

Surlepremiermoyendecassation,prisdelaviolationdesarticles226-13,441-7duCodepénal,427duCodedeprocédurepénale,6et13delaConventioneuropéennedesdroitsdel'homme;

«Enceque l'arrêtattaquéadéclaréMarie-ClaudeX,épouseY, coupabled'établissementd'uneattestation comportantunemention inexacte, et l'a condamnéeà lapeinede500€d'amendeavecsursis;

«Auxmotifsque :«Marie-ClaudeX,épouseY, soutientque Jean-ClaudeAproduità l'appuideson argumentation des pièces provenant de dossiers médicaux, qu'il viole ainsi le secretprofessionnel, cequi impliqueque lespièces litigieuseset illicites soientécartéesdesdébats ;toutefois, aucune disposition légale ne permet aux juges répressifs d'écarter les moyens depreuve produits par les parties au seul motif qu'ils auraient été obtenus de façon illicite oudéloyale, et il leurappartient seulement, enapplicationde l'article427duCodedeprocédurepénale, d'en apprécier la valeur probante après débat contradictoire ; dès lors, les pièces

produites,quecetteproductionvioleouneviolepasunsecretprofessionnel,nedoiventpasêtreécartéesdudébat»(arrêtp.5);

«Alorsquelejugerépressifnepeutsefondersurdesmoyensdepreuveobtenusdefaçonillicite;qu'endéclarantlecontraire,laCourd'appelaviolélestextessusvisés»;

Vu l'article 593 du Code de procédure pénale, 8 de la Convention européenne des droits del'hommeetL.1110-4duCodedelasantépublique;

Attenduquetout jugementouarrêtdoitcomporter lesmotifspropresà justifier ladécisionetrépondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties ; que l'insuffisance ou lacontradictiondesmotifséquivautàleurabsence;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que Jean-Claude A a fait citer les époux Y devant letribunalcorrectionnelsouslapréventiond'avoir,dansuneprécédenteprocédureconclueparsarelaxe définitive du chef d'agression sexuelle surmineur de quinze ans, établi une attestationfaisantétatdefaitsmatériellementinexactsproduiteauxdébatsparlesépouxZ,partiesciviles;qu'ilaannexéàlacitation,envuedeladiscussioncontradictoireàl'audience,plusieurspiècesdudossiermédicaletpsychologiquedufilsdesprévenus,Jean-ClaudeY,majeurprotégé,présentdans l'établissementspécialiséoù il intervenaitenqualitédemédecinpsychiatreà ladatedesfaitsdont il avaitétéaccusé ;que lesépouxYontdemandéaux jugesd'écartercespiècesdesdébats aumotif qu'en les produisant Jean-Claude A avait révélé des informations à caractèresecretdont il étaitdépositaireparprofession,délitprévuetpunipar l'article226-13duCodepénal;

Attenduque,pourrejetercettedemande,l'arrêténoncequ'aucunedispositionlégalenepermetauxjugesrépressifsd'écarterlesmoyensdepreuveproduitsparlespartiesauseulmotifqu'ilsavaient été obtenus de façon illicite ou déloyale, et qu'il leur appartient, en application del'article 427 du Code de procédure pénale, d'en apprécier la valeur probante après débatcontradictoire;

Maisattenduqu'enprononçantainsi,sansrecherchersil'examenpublicetcontradictoiredevantla juridiction correctionnelle, à la demande du médecin de l'établissement qui avait pris enchargeJean-ClaudeY,depiècesdesondossiermédico-social,couvertparlesecretprofessionnel,constituaitunemesurenécessaireetproportionnéeàladéfensedel'ordreetàlaprotectiondesdroits de la partie civile au sens de l'article 8 de la Convention européenne des droits del'homme,laCourd'appeln'apasdonnédebaselégaleàsadécision;

D'oùilsuitquelacassationestencourue;

Parcesmotifs,

Etsansqu'ilsoitbesoinderépondreausecondmoyenproposé:

Casseetannule,entoutessesdispositions,l'arrêtsusvisédelaCourd'appeldeBastia,endatedu4octobre2006,etpourqu'ilsoitànouveaujugé,conformémentàlaloi;

NOTE

Del'extensionduprincipedeloyautédelapreuvepénaleauxpartiesprivées

La loyauté de la preuve serait-elle en train de pénétrer les relations entre les parties privéesdanslecadred'uneinstancepénale?C'estcequecetarrêtsemblelaisserprésumer.

En effet, la Cour de cassation était appelée à se prononcer sur une hypothèse où unmédecinavaitétépoursuividuchefd'agressionsexuellesurmineurdequinzeansenraisond'uneplainteémanant d'un couple (les époux Y). La victime de ces faits aurait été leur fils, alors client dumédecin.

Suite à sa relaxe, le médecin avait agit au pénal contre les époux Y en raison de la fausseattestation ayant servi de fondement aux poursuites dirigées contre lui. À l'appui de sonargumentation,lemédecininvoquaitdespiècescouvertesparlesecretprofessionnel.

LaCourd'appeldeBastiaétaitsaisiedelademandedesépouxYd'écartercespiècesdesdébatsenraisondeleurorigineillicite.

Reprenant une formule classique, la Cour d'appel a rappelé « qu'aucune disposition légale nepermetauxjugesrépressifsd'écarterlesmoyensdepreuveproduitsparlespartiesauseulmotifqu'ilsavaientétéobtenusdefaçonilliciteoudéloyale,etqu'illeurappartient,enapplicationdel'article 427 du Code de procédure pénale, d'en apprécier la valeur probante après débatcontradictoire».

Saisied'unpourvoi,laCourdecassationreprochaitàlaCourd'appeldenepasavoirrecherchésil'examen public et contradictoire devant la juridiction de pièces couvertes par le secretprofessionnel«constituaitunemesurenécessaireetproportionnéeàladéfensedel'ordreetàlaprotectiondesdroitsde lapartiecivileausensde l'article8de laConventioneuropéennedesdroitsdel'homme».L'arrêtentreprisestdonccassé.

LaCourde cassation apporte ici un éclairagenouveau surplusieurs aspects en complétant sajurisprudenceantérieuregrâceàunepositionnovatrices'appuyantsurl'article8delaCEDH.

Ainsi,toutenparaissantétendrelapossibilitédes'affranchirdusecretprofessionnelauxpartiesciviles (I), la haute juridiction impose également de procéder à un contrôle plus étroit de laloyautédelapreuveàl'encontredespartiesprivées(II)etce,ensefondantsurl'article8delaConventioneuropéennedesdroitsdel'homme.

I.L'ARTICLE8delaCEDH,UNFONDEMENTTEXTUELJUSTIFIANTLAVIOLATIONDUSECRETPROFESSIONNEL

Si la jurisprudence admet depuis longtemps que les droits de la défense puisse justifier laviolationdusecretprofessionnel (A), lachambrecriminelle innove,enseréférantà l'article8,pourétendrecettepossibilitéauxpartiesciviles(B).

A-Unfaitjustificatifclassiquelimitéauxdroitsdeladéfense

Lemédecinestastreintausecretprofessionnel.Laméconnaissancedecelui-ciestconstitutivedel'infractionprévueparl'article226-13duCodepénal.

Lesecretprofessionneldumédecinn'estpasabsolu,mêmesidesarrêtsanciensleconsidéraient(1).Eneffet,ledroitpositifconnaîtplusieurshypothèsesdanslesquelleslaviolationdusecret

professionnelestimposéeouautoriséeparlaloi.Ainsi,l'article226-14duCodepénalénumèreplusieurshypothèsesoùl'infractionestjustifiée.

Deplus,lajurisprudence,tantdesjuridictionsdefond(2)quecelledelaCourdecassation(3)admet que le professionnel puisse s'affranchir du secret lorsqu'il s'agissait pour lui de sedéfendredanslecadred'uneinstancejudiciaireetce,malgrél'absencededispositionlégislativeprévoyantunetellepossibilité.

Maisdèslors,quelestlefaitjustificatifjustifiantlaviolationdusecret?

S'agit-ild'une interprétation largede l'article122-4,alinéa1erquiengloberait lesdroitsde ladéfense dans la mesure où ceux-ci figurent parmi les règles du procès équitable, d'un faitjustificatifadhoccrééparlajurisprudence,ouencored'unehypothèsed'applicationdelacaused'irresponsabilité d'état de nécessité figurant à l'article 122-7 du Code pénal et qui supposed'accomplirunactenécessairefaceàundanger?

Ilsemblequecettedernièreinterprétationprévaledanslamesureoùlajurisprudenceconsidèrequeleprofessionnelneméconnaîtlégitimementlesecretques'ilsetrouve«danslanécessitédetransgresser lesecretpourapporteraux juges lespreuvesdebonnefoioude laqualitédesesprestations, étant observée que la révélation doit être limitée aux strictes exigences de sadéfense»(4).Danscejugement,ilestd'ailleursexplicitementfaitréférenceàlanotiond'étatdenécessité.

C'est en prenant appui sur cette jurisprudence que la Cour de cassation a étendu le faitjustificatifàlapartiecivile.

B-Unfaitjustificatifrénovéétenduauxdroitsdelapartiecivile

Enl'espèce,c'est leprofessionnel,suiteàsarelaxe,quiagissaitcontrelesauteursdelaplainteinitiale.

Danscecas,lajurisprudenceestmoinsprolifique,bienquelefaitjustificatifaitdéjàétéretenu(5),cequiparaîtlogiquedanslamesureoùlespartiesprivéesàlaprocédure,qu'ils'agissedelapersonne poursuivie ou de la partie civile, doivent pouvoir bénéficier des mêmes droits.Toutefois, laCourdecassationrenvoieà l'appréciationsouverainedes juridictionsdefondquidoiventétablirlaconditiondenécessitédelaviolationetce,auregarddesdroitsdeladéfense(6).

Dansl'espècecommentée,laCourd'appelsemblaitadmettreunetelleviolationdanslamesureoù la preuve ainsi recueillie n'avait pas été écartéedes débats. Pourtant, la Courde cassationcensureenprocédantàuncontrôle jusqu'alors inéditauregardde l'article8de laConventioneuropéenne des droits de l'homme. Ainsi, il appartient désormais aux juridictions de fondd'établirquelaviolationestàlafoisnécessaireetproportionnéeàladéfensedel'ordreetàlaprotectiondesdroitsde lapartiecivileausensde l'article8de laConventioneuropéennedesdroitsdel'homme.

Lacaused'irresponsabilitésetrouvedoncrattachéeàuntexteexplicitement,àsavoirl'article8delaConventioneuropéennedesdroitsdel'homme,maisaussi implicitementà l'article122-7duCodepénalrelatifàl'étatdenécessité,danslamesureoùcedernierfaitégalementréférenceà ces deux conditions de « nécessité» et de « proportionnalité». Cette précision est heureuse

dans la mesure où il paraissait délicat de rattacher l'hypothèse d'une action exercée par unprofessionnelaucasoùcelui-ciestamenéàsedéfendrelorsqu'ilfaitl'objetdepoursuites.

Ilestdoncfaitréférenceàl'article8delaConventiondanslamesureoùlesecretprofessionnelprotège des informations relevant de la vie privée et familiale. Toutefois, la formulation de laCourdecassationn'estpasexemptedecritiquesdanslamesureoùsi ladéfensedel'ordreestbienunejustificationpermettantl'ingérenced'uneautoritépubliquedansl'exercicedudroitaurespect de la vie privée et familiale figurant dans le paragraphe 2 de l'article 8, il en vadifféremmentdelaprotectiondesdroitsdelapartiecivilesicen'estindirectementlorsqu'ilestfait référence comme autre justification à une ingérence à la protection des droits et libertésd'autrui. Parmi les droits, il y aurait donc ceux attachés à la qualité de partie civile. Leparagraphe2del'article8justifieraitdonclaviolationdusecretprofessionneletce,àconditionderespecterlesconditionsposéesparl'article122-7duCodepénal.

Une telle interprétationaurait aussipour effetdemodifier la jurisprudence rendue lorsque leprofessionnelestpoursuivi.Dèslors,ilseraitdoncdésormaispossiblederattacherégalementlaviolationdusecretprofessionnelàl'article8,maisalorsl'ingérencesejustifieraitparladéfensedel'ordreetlaprotectiondesdroits...deladéfenseetnonplusdelapartiecivile.

Toutefois,si ladécisiondelaCourdecassationestriched'enseignementssurlaquestiondelapossibilité de justifier la violation du secret professionnel, la haute juridiction s'estessentiellement prononcée sur l'applicabilité du principe de loyauté de la preuve aux partiesprivées.

II. L'ARTICLE 8 de la CEDH, UN FONDEMENT TEXTUEL FAVORISANT L'EXTENSION DE LALOYAUTÉDELAPREUVEAUXPARTIESPRIVÉES

Si la Cour de cassation ne condamne pas la possibilité pour une partie privée d'obtenir unepreuve en commettant une infraction (A), elle semble permettre d'étendre la loyauté de lapreuve en imposant aux juridictions de fond de motiver l'examen public de la preuve ainsiobtenueauregarddesintérêtsenprésence(B).

A-Lemaintiendelapossibilitédecommettreuneinfractionpourobtenirunepreuve

Laloyautédelapreuveestundesprincipesrelatifsàlapreuvepénale(7).Elles'appliqueauxdifférentesautoritésd'investigations(8).

Plus encore, la haute juridiction écarte les preuves obtenues par une partie privée agissant àl'initiatived'uneautoritéd'investigation(9) .Ainsi,«porteatteinteauprincipedeloyautédespreuvesetaudroitàunprocèséquitable,laprovocationàlacommissiond'uneinfractionparunagentde l'autoritépubliqueouparson intermédiaire ;que ladéloyautéd'un telprocédérendirrecevablesenjusticelesélémentsdepreuveainsiobtenus»(10).

Toutefois,endehorsdecettehypothèse,laloyautédelapreuvenesemblepasdevoirconcernerlespartiesprivées.D'ailleurs,enl'occurrence,telleestlapositiondéfendueparlaCourd'appel.

Lajurisprudenceavaitd'ailleursdéjàétabliàplusieursreprisesdansuneformuledeprincipe«qu'aucune disposition légale ne permet aux juges répressifs d'écarter les moyens de preuveproduitspar lespartiesauseulmotifqu'ilsauraientétéobtenusde façon illiciteoudéloyale ;

qu'illeurappartientseulement,enapplicationdel'article427duCodedeprocédurepénale,d'enapprécierlavaleurprobante»(11).

Unepartiede ladoctrinecritique lapositionde laCourdecassationquipeutêtre interprétéecomme revenant « à admettre qu'un particulier puisse, dans un État de droit, se constituerillégalementunepreuveet laproduirevalablementen justice, sansque la juridictionsaisienedoivereleverl'illégalitécommise»(12).

Toutefois,selonlaCoureuropéennedesdroitsdel'homme,l'admissibilitédespreuvesrelèveenpremierlieududroitinterne(13).

Enconséquence,lemédecinpouvaitdoncprouverlebien-fondédesaprétentionenutilisantleproduitdel'infractiondeviolationdesecretprofessionnel.

LaCourdecassationavaitdéjàeul'occasiondeconnaîtreunehypothèsesimilairelorsqu'elleaadmisqu'unsalariévoledesdocumentsdanssonentrepriseafindesedéfendredans lecadred'uneinstancejudiciaire(14).

Onauraitpus'attendreàcequelaCourdecassationreproduiselamêmeformulationquecelleissue de ces décisions; pourtant, la haute juridiction a rappelé implicitement l'exigence deloyautéenimposantauxjuridictionsdefonddemotiverauregarddesintérêtsenprésence.

B-L'exigencedemotivationauregarddesintérêtsenprésence

Ainsi, désormais, selon laCourde cassation,pour admettre lapreuveobtenueen raisonde laviolationdu secretprofessionnel, laCourd'appel aurait dû rechercher si l'examende lapièceproduitedevantlajuridiction«constituaitunemesurenécessaireetproportionnéeàladéfensedel'ordreetàlaprotectiondesdroitsdelapartiecivileausensdel'article8delaConventioneuropéennedesdroitsdel'homme».

En conséquence, les juridictions de fond ne pourront plus accepter systématiquementd'examinerlapièce,maisdevrontrecherchersicelle-cipeutêtreproduiteenjusticeauregarddesdifférentsintérêtsmentionnésparleparagraphe2del'article8delaCEDH.Lesjuridictionsde fond sont donc invitées à procéder à un contrôle. En posant une telle obligation demotivation,laCourdecassationrenddoncnécessairepourlapartieprivéedejustifierauregarddescritèresdel'article8,paragraphe2,laproductiondepiècesobtenuesdefaçondéloyale.

S'il est excessif de considérer que la loyauté s'imposerait désormais également aux partiesprivées, il est possible de considérer que les parties privées, en devant justifier leurcomportement,sontdorénavantsoumisesàune«obligationlégère»deloyautésemanifestantàtravers la nécessité de justifier l'utilisation d'un procédé déloyal, alors que les autoritésd'investigationsdemeurentastreintesàune«obligationapprofondie»deloyauté,caril leuresttoutsimplementinterditdeméconnaîtreceprincipe.

Cettedécisionestunenouvelleillustrationdel'influencedudroitdelaConventioneuropéennedes droits de l'homme sur la procédure pénale (15) etmême plus précisément de l'article 8récemmentutilisépourjustifierdespratiquessadomasochistes(16).

Quoiqu'il en soit, la Cour d'appel d'Aix-en-Provence à laquelle l'affaire a été renvoyée serainvitéeàprocéderàlabalancedesintérêtsenprésencetelqueproposéparlaCourdecassation.Ilneresteraplusalorsqu'àconnaîtrel'étendueducontrôleopéréparlachambrecriminelle.

La loyauté de la preuve finira-t-elle par s'imposer aux parties privées, et dès lors renforcerl'effectivité de ce principe directeur du droit de la preuve pénale ? Nous ne pouvons que lesouhaiter...

DOCUMENTN°16:JURISCLASSEUR,PROCEDUREDECONTROLEDESPRATIQUESANTICONCURRENTIELLES,FASC.N°380.…

B. - Loyauté de la preuve et secret professionnel

26. – Le respect du principe du contradictoire ne s'impose pas lors de la phase d'enquête des pratiques anticoncurrentielles (CA Paris, 8 avr. 1994 :JurisData n° 1994-022686. – CA Paris, 26 oct. 2004 : JurisData n° 2004-252016 – Arrêts définitifs). La Cour de cassation a rappelé que l'article 6-3 de la Convention EDH était inapplicable au stade de la procédure de constatation des infractions (Cass. crim., 29 mars 1995, n°94-81.778 : JurisData n° 1995-000988).

27. – La phase d'enquête est cependant régie par le principe général de la loyauté dans la recherche de la preuve, tel qu'il résulte de l'article 6-1 de la Convention EDH.

La Cour de cassation a ainsi sanctionné, au visa de cette disposition, la cour d'appel de Paris qui avait admis la recevabilité d'un enregistrement réalisé à l'insu de l'auteur des propos, au motif que “l'enregistrement d'une communication téléphonique réalisé par une partie à l'insu de l'auteur des propos tenus constitu[ait] un procédé déloyal rendant irrecevable sa production à titre de preuve”(Cass. com., 3 juin 2008, n° 07-17.147 : JurisData n° 2008-044217). Malgré cet attendu de principe, la cour d'appel de Paris, autrement composée a, par un arrêt en date du 29 avril 2009, jugé que l'article 6-1 de la Convention EDH n'emportait “aucune conséquence quant à l'admissibilité des preuves, qui demeur[ait] régie par le droit national, mais exige[ait] seulement que la procédure, prise dans son ensemble, garantisse un procès équitable”. La cour d'appel a considéré que les enregistrements en cause ne devaient être retirés des débats que “s'il [était] avéré que la production de ces éléments a[vait] concrètement porté atteinte au droit à un procès équitable, au principe du contradictoire et aux droits de la défense auxquels ils [étaient] opposés”, ce qui n'était selon elle, pas le cas en l'espèce (CA Paris, 29 avr. 2009, Produits d'électronique grand public).

De la même manière, l'absence d'indication dans le procès-verbal d'audition de ce que l'objet de l'enquête a été porté à la connaissance de la personne entendue, indique que le principe de loyauté a été méconnu, dès lors qu'il ne ressort pas, par ailleurs, des énonciations du procès-verbal ou d'éléments extrinsèques à celui-ci, que cet objet a bien été indiqué (CA Paris, 12 déc. 2000 : JurisData n° 2000-132274. – Cass. com., 14 janv. 2003, n° 01-00518 : JurisData n° 2003-017373 ; Cons. conc., déc. n° 04-D-49, 28 oct. 2004, décision définitive. – Sur les informations qui doivent obligatoirement être communiquées aux personnes interrogées, V. infra, n° 52).

Note de la rédaction – Mise à jour du 31/03/2013

27 . - Loyauté de la preuve

C'est dans sa formation plénière que la Cour de cassation a de nouveau censuré l'arrêt de la cour d'appel de Paris qui avait admis, à titre d'éléments de preuve, des enregistrements sonores produits par la saisissante en dépit du fait que ces enregistrements avaient été réalisés à l'insu de l'auteur des propos. La Cour a rappelé, au visa de l'article 9 du Code de procédure civile, et de l'article 6, § 1 de la Convention EDH, le principe selon lequel "sauf disposition expresse contraire du Code de commerce, les règles du Code de procédure civile s'appliquent au contentieux des pratiques anticoncurrentielles relevant de l'Autorité de la concurrence ; que l'enregistrement d'une communication téléphonique réalisé à l'insu de l'auteur des propos tenus constitue un procédé déloyal rendant irrecevable sa production à titre de preuve" (Cass. ass. plén., 7 janv. 2011, n° 09-14.316 et 09-14.667 : JurisData n° 2011-000038).

28. – Le refus de fournir des renseignements ou une justification peut être fondé sur le secret professionnel. Ce secret peut être opposé aux agents enquêteurs, sauf si des mesures efficaces sont prises aux fins du respect de ce secret, pour permettre la communication des seuls renseignements intéressant les agents enquêteurs.

Le secret médical a ainsi pu fonder le refus de fournir les documents demandés (Cass. crim., 17 juin 1980, n° 79-90354). De la même manière, la correspondance entre un avocat et son client est couverte, en toutes matières, par le secret professionnel, conformément à l'article 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971(modifiée L. n° 2004-130, 11 févr. 2004), et ne peut être saisie sauf si elle apporte la preuve de la participation de l'avocat à l'infraction présumée (Cass. com., 5 mai 1998, n° 96-30.115. – Cass. com., 9 mars 1999, n° 97-30.029). Il ressort de la jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de cassation, que les agents peuvent saisir des correspondances entre un avocat et son client lorsque celles-ci ne concernent pas les droits de la défense (Cass. crim., 7 mars 1994, n° 93-84.931 : JurisData n° 1994-000547. – Cass. crim., 30 juin 1999, n° 97-86.318 : JurisData n° 1999-002901. – Cass. crim., 27 juin 2001, n° 01-81.865). Si les documents concernent les droits de la défense, ils sont en principe insaisissables (Cass. crim., 20 oct. 1998, n° 96-30.117. – Cass. crim., 13 déc. 2006, n° 06-87.169) et doivent, dans cette hypothèse, être restitués(Ord. JLD de Nanterre, 9 avr. 2008, Sté DKT).

Toutefois, en vertu de l'article L. 450-7 du Code de commerce, il est interdit aux services et établissements de l'État et aux autres collectivités publiques d'opposer aux agents enquêteurs le secret professionnel. Par ailleurs, l'article L. 462-9 du Code de commerce prévoit que l'obligation de secret professionnel ne fait pas obstacle à la communication, par les autorités de concurrence, des informations ou documents qu'elles détiennent ou qu'elles recueillent, à leur demande, à la Commission européenne et aux autorités d'autres États membres exerçant des compétences analogues et astreintes aux mêmes obligations de secret professionnel.

DOCUMENTN°17:JURISCLASSEUR,ENQUETEPRELIMINAIRE,FASC.20

B.-Principesdirecteursdel'enquêtepréliminaire

36. – Au cours de l'enquête préliminaire, divers actes et investigations sont accomplis par lapolice judiciaire. Certains obéissent à des dispositions particulières prévues par le Code deprocédure pénale, d'autres ne font l'objet d'aucune réglementation. Au-delà de cette dualité,touteslesenquêtespréliminairesobéissentàdifférentsprincipesquionttoutefoisévolué(V.J.Pradel,Traitédeprocédurepénale:Cujas,2011.–F.DesportesetL.Lazerges-Cousquer,Traitédeprocédurepénale:Economica2009,n°1482à1525).

Ces principes s'intègrent bien sûr dans les principes directeurs du procès pénal dont celuirappeléàplusieursreprisesparleConseilconstitutionneldel'équilibreentrelapréventiondesatteintes à l'ordre public et la recherche des auteurs d'infractions et l'exercice des libertésconstitutionnellementgaranties(V.parex.,Cons.const.,déc.30juill.2010,n°2010-14/22QPC:JurisDatan°2010-030610,cons.n°24et29).

1°Enquêtepréliminaire:acted'autoritépublique

37.–L'enquêtepénaleresteuneprérogativede l'autoritépubliquequi l'assureparunservicepublic,celuidelapolicejudiciaire,garantdel'égalitédetousdevantl'investigationpénale,delaneutralitédecettedernièreetdesalégalité.

Au-delà de conséquences contentieuses complexes (V. F. Desportes et L. Lazerges-Cousquer,préc.,n°3688s.), lemonopolede l'enquêtepénaleaubénéficede l'autoritépubliqueétatique,comme son organisation en un service public, expliquent un certain nombre de solutions,notammentcellestouchantaudroitd'ouvriruneenquêteetrevêtentunintérêtrenouvelédanslecadredel'équilibredesgarantiesduprocèspénaletdel'égalitédetousfaceàcedernier.

2°Principededirectionjudiciairedel'enquêtepréliminaire

38.–Leprincipededirectiondelapolicejudiciaireparlesmagistratsvaau-delàdel'affirmationd'une simplenature judiciairede l'enquêtequi, enFrance, se traduit notammentpar le statutparticulierdesofficiersetagentsdepolice judiciaire. Ilreposesurundouble fondement(V.A.Decoq,J.Montreuil,J.Buisson,Ledroitdelapolice:Litec1998,n°82s.–H.Vlamynck,Droitdelapolice:Vuibert2011,n°5s.etchap.5).

Touteactivitéattentatoireauxlibertésindividuellesdoitêtrecontrôléeparl'autoritéjudiciaire.Mais, en outre, une enquête pénale n'a de finalité que judiciaire, ce qui implique sa directioneffectiveparl'autoritéjudiciaireau-delàdupremierniveaudegarantieapportéparlesofficierset agentsdepolice judiciaire.Lagarantie judiciaire s'exercedoncàundoubleniveau :paruncontrôledelégalité,denécessitéetdeproportionnalitémaisaussiparunedirectionaufondquiexcèdeledroitàl'informationoudesimplespouvoirsd'autorisation.LeConseilconstitutionnelconsacre ce principe de direction judiciaire dans lequel les politiques pénales des parquetstrouventleurlégitimitéjuridique(Cons.const.,déc.10mars2011,n°2011-625DC).

39.–LadirectiondelapolicejudiciaireestexercéeparleprocureurdelaRépublique(CPP,art.12).Ilbénéficiedetouteslesprérogativesdel'officierdepolicejudiciaire,etdirigel'activitédesofficiersetagentsdepolicejudiciairedesonressort(CPP,art.41,al.2).

40.–Leprocureurpeutordonnerl'ouvertured'uneenquêtepréliminaire(CPP,art.75).Ilpeutlefaireentoutecirconstanceetcedroitn'estbornéparrien(V.parex.,Cass.crim.,8déc.2004,n°04-85.979 : JurisDatan° 2004-026691). Lorsqu'elle estmenéed'officepar les enquêteurs, cesderniers doivent rendre compte de son état d'avancement lorsqu'elle est commencée depuisplusdesixmois (CPP,art.75-1)etdèsqu'apparaissentdes indices (nigravesniconcordants)laissantpenserqu'unepersonneidentifiéeapucommettrel'infractionconsidérée(CPP,art.75-2).Toutefoiscetteobligationd'informationduprocureurdelaRépubliquen'estpassanctionnéeà peine de nullité (Cass. crim., 1er déc. 2004, n° 04-80.536 : JurisData n° 2004-026136 ; Bull.crim.2004,n°302.–Cass.crim.,23août2005,n°03-87.719,04-84.771,05-83.529.–Cass.crim.,19mars2008,n°07-88.684:JurisDatan°2008-043607;Bull.crim.2008,n°72)etl'avisn'apasnonplusàêtreimmédiatàpeinedenullité(Cass.crim.,11janv.2005,n°04-84.468).

LeCodedeprocédurepénaledéclineenoutreceprincipededirectionjudiciaireparunesériedemesuresparticulièrespropresàdiversactesdel'enquêtepréliminaire.

Enfinconformémentàl'articlepréliminaireduCodedeprocédurepénale,touteslesmesuresdecontrainteexistantesenenquêtepréliminairesontplacéessouslecontrôleeffectifdel'autoritéjudiciaire.

Notedelarédaction–Miseàjourdu05/05/2014

40.-DroitduprocureurdelaRépubliquedefaireprocéderàuneenquête

Aucun texte de procédure pénale n'interdit au procureur de la République, lorsqu'il estdestinatairederenseignementsrelatifsàdes infractionsdontseuleunepartieseraitprescrite,de faire procéder à une enquête aux fins d'identifier celles qui seraient susceptibles de fairel'objetd'unepoursuite(Cass.crim.,6nov.2013,n°12-87.130:JurisDatan°2013-024912).

3° Principe d'une coercition limitée par l'autorisation de la personne concernée ou del'autoritéjudiciaire

a)Principeinitialdelanon-coercitionsaufautorisationdelapersonneconcernée

41.–Leprincipedenon-coercitionquicaractérisel'enquêtepréliminaire,s'estaccommodé,aufil du temps, d'exceptions, justifiées par la volonté de donner toute effectivité aux enquêtesmenéesenpréliminaire sans recours à l'information. Il a évolué,dès lors, versunprincipedesoumissiondesactescoercitifssoitàaccordduparticuliersoitàautorisationjudiciaire.

42.–Traditionnellement,onreconnaissaitunprincipenon-coercitifàl'enquêtepréliminaire,quiluivenaitdel'enquêteofficieuse(Cass.crim.,19juin1957:D.1958,p.263,noteLePavec).LeCodedeprocédurepénalen'apasmodifiécetterèglefondamentalequivautpourtouslesactespour lesquels les enquêteurs ne sont pas dispensés de solliciter l'autorisation des personnesconcernées.

b)Évolutionversunecoercitionautoriséepréalablementparl'autoritéjudiciaire

43. – De très nombreux actes peuvent désormais être imposés en enquête préliminaire surautorisationjudiciaire,aumoinspourcertainesinfractionsdegrandecriminalitéousévèrementpunies:perquisitionetsaisiessansassentimentouhorsheureslégalessurautorisation(V.infran° 253), interceptions téléphoniques (V. infra n° 259), comparution forcée et rétention des

témoins (V. infran°209), rétentionau coursd'uneperquisition (V. infran°173), contrôles etvérificationsd'identité (V. infran°197à202),mandatde recherche (V. infran°203), gardeàvue,investigationsphysiologiques(V.infran°221à228).

4°Principesdelégalité,delibertéetdeloyautédelapreuve

44.–Recevabilité– Iln'existepasdethéoriegénéralede lapreuvedans leCodedeprocédurepénale. Le principe de recevabilité des preuves est celui de la liberté de la preuve, basé surl'article427auquelaétéattribuéuneportéegénérale(Cass.crim.,27janv.2010,n°09-83.395:JurisData n° 2010-051634 ; Procédures 2010, comm. 156, obs. A.-S. Chavent-Leclere. – Cass.crim., 9mars2010,n°08-88.501 : JurisDatan°2010-004308). S'il existedes exceptions, ellesproviennentde textesquidéterminentunenatureparticulièrede lapreuveen attribuantuneforceprobanteparticulièreàcertainsprocès-verbauxdeconstatation(V.infran°102à108).

45. – Administration –En revanche l'administration de la preuve, notamment par l'autoritépublique,estsoumiseàunprincipedelégalitésoitparunformalismeparticulieràunactesoitàraisond'unprincipegénéral(respectdel'intimitédelavieprivéeetdesdroitsdeladéfenseparexemple). Cet encadrement s'est développé au fur et à mesure de l'apparition de modalitésnouvelles d'investigations coercitives dans le cadre préliminaire, sachant que la Coureuropéenne des droits de l'homme soumet les actes coercitifs ou intrusifs, quitte à leshiérarchiserenfonctiondeleurintensité(V.infran°56),àuneexigencedeprévisionlégale(Surce point V. CEDH, 31 mai 2005, n° 59842/00 : D. 2005, p. 2575, note Hennion-Jacquet. – B.ThellierdePoncheville,Lapreuve illiciteauregardde laconventioneuropéennedesdroitsdel'homme:Rev.pénit.2010,p.537).ElleaainsicondamnélaFrancesurlefondementdel'article8delaConventionàproposdelasonorisationd'unappartementeffectuéeàl'époquesansautretextequel'article81duCodedeprocédurepénale(CEDH,31mai2005,préc.).Lajurisprudencenationales'orientedanslamêmedirection(Cass.crim.,21mars2007,n°06-89.444:JurisDatan°2007-038466;Bull.crim.2007,n°89;Dr.pén.2007,comm.91,A.Maron;D.2007,p.1024,obs.Darsonville ; ibid.p.1817,obs.CaronetMenotti ;Rev.sc.crim.2007,p.841obs.Finielz ;ibid.,p.897,obs.Renucci;Rev.sc.crim.2008,p.655,obs.J.Buisson).

46.–Enoutre,àl'exigenceaccruedelégalitédel'administrationdelapreuves'estajoutéecellede sa loyauté. Toutefois ces deux exigences ne supplantent pas le principe de liberté quidemeuremaissecontententdelebornerpartiellement(V.JCl.Procédurepénale,Art.527à457,fasc. 20. – Rép. Pénal Dalloz, V° Preuve, J. Buisson. – J. Pradel, Manuel de procédure pénale :Cujas,n°405s.).

a)Principedelibertédelapreuve

47. – Principe de liberté –Posé aux articles 427 et 428, il trouve sa traduction enmatièred'enquête dans l'article 41 qui dispose que le procureur de la République procède ou faitprocéderàtouslesactesnécessairesàlarechercheetàlapoursuitedesinfractionspénales.

48.–Lajurisprudenceafaitdenombreusesapplicationsdeceprincipe(Cass.crim.,13oct.1986:Bull.crim.1986,n°282.–Cass.crim.,11juill.2001,n°00-84.832:JurisDatan°2001-010723;Bull.crim.2001,n°167;Dr.pén.2001,chron.44,obs.C.Marsat).

Elleprécisequemêmesilaloiprévoitcertainsmodesdepreuveceux-cinesontpasexclusifsdemodesgénéraux(Cass.crim.,24janv.1973:Bull.crim.1973,n°34.–Cass.crim.,31oct.2006,n°06-81.809:JurisDatan°2006-036125;Bull.crim.2006,n°265).

b)Principedelégalitédelapreuve

49. – Légalité du recueil des preuves par les enquêteurs – Les enquêteurs sont tenus aurespectdesprincipesfondamentauxetdestextesnotammentceuxquiorganisentlerespectdelavieprivéeouencorelesdroitsdeladéfense.

Ils ne peuvent agir que dans le cadre des pouvoirs qui leur sont conférés, en respectant leurfinalité,àpeined'illégalitéde leursagissementspardétournementdeprocédure(V.B.Bouloc,Les abus enmatière de procédure pénale : Rev. sc. crim. 1991, p. 221. – J. Pradel,Manuel deprocédurepénale,préc.,n°422s.).

Ilsnepeuventcommettred'infractionpourseprocurerunepreuvesaufautorisationexpressede la loi(dans lecasdesoustractions frauduleusesdedocumentsbancaireseffectuéespardes"aviseurs" dans une banque suisse : Cass. crim., 28 oct. 1991, n° 90-83.693, 90-83.695, 90-83.700,90-83.701,90-83.703,90-83.704:JurisDatan°1991-004008,n°1991-004005,n°1991-004004,n°1991-004003;JCPG1992,II,21952,noteJ.Pannier).

50.–LaCoureuropéennedesdroitsdel'hommeestime,commeenmatièredepreuvedéloyale,quelaquestiondelarecevabilitédespreuvesrelèvedesdroitsnationaux.Ellenetraitedonclaquestion de la preuve illicite que sous l'angle de la violation éventuelle du droit à un procèséquitable(R.Legeais,LedroitdelapreuveàlaCoureuropéennedesdroitdel'homme,inMél.Couvrat : PUF 2001, p. 255. – B. Thellier de Poncheville, La preuve illicite au regard de laconventioneuropéennedesdroitsdel'homme:Rev.pénit.2010,p.537).

51. – Il existe à cet égard une casuistique jurisprudentielle nuancée. La chambre criminelle aainsisanctionnél'appeltéléphoniquedonnéparunsuspectsurlesinstructionsd'unpolicierquidictaitlesquestionsetsuivaitlesréponsesàl'aided'unécouteur(Cass.crim.,12juin1952:Bull.crim.1952,n°53 ; JCPG1952, II, 7241,noteBrouchot).De façonplus récente, elle a invalidél'enregistrementeffectuédemanièreclandestine,parunpolicier (Cass. crim.,16déc.1997,n°96-85.589:JurisDatan°1997-005498;Bull.crim.1997,n°427;Rev.sc.crim.1999,p.588,obs.Delmas Saint Hilaire. – Cass. crim., 3 avr. 2007, n° 07-80.807 : JurisData n° 2007-038632). Ils'agissaitdanslapremièreespècedeproposenregistrésparunsuspectàsoninsuaurestaurantetdanslasecondedepropostenushorsprocès-verballorsd'unegardeàvue.Toutefois,laCoura admis l'enregistrement clandestin de propos par unpoliciermais dans le but de prouver laréalitéd'uneinfractiondecorruptiondontilétaitpersonnellementvictime(Cass.crim.,19janv.1999:Bull.crim.1999,n°9;JCPG1999,II,10156,noteD.Rebut;Dr.pén.1999,chron.24,obs.C.Marsat.–Pourunedécisioncontrairedansuneespèceprochemaiss'inscrivantdansuntraficde stupéfiants dont elle ne constituait que l'accessoire : Cass. crim., 16 déc. 1997 : Bull. crim.1997, n° 427). Elle a admis aussi l'enregistrement clandestin effectué par un gendarme enfonction,aumotifqu'ilneconstituaitquel'undesélémentsprobatoireslaissésàl'appréciationsouverainedes juges (Cass. crim.,13oct.2004,n°03-81.763 : JurisDatan°2004-025257 ;Dr.pén.2005, comm.2,obs.M.Véron ;Rev.pénit.2005,p.410,obs.AmbroiseCastérot ;Rev. sc.crim.2005,p.66,obs.Fortis).

52.–Unequestionparticulièreseposeencasdecombinaisonmalicieusedesdifférentspouvoirsd'enquêteattribuéssoitàdesagentsenquêteursdistinctssoitaumêmeagent.Lamiseenoeuvreencomplémentaritédecespouvoirsest,ensoi,souhaitableetrégulière(Parex.,Cass.crim.,30oct.1989:Bull.crim.1989,n°385;Dr.pén.1990,comm.134,obs.J.-H.Robert).C'estd'ailleursle principe même de fonctionnement des groupements d'intervention régionaux (V. infra n°315). Toutefois, ces pouvoirs ne doivent pas être utilisés à d'autres fins que celles pourlesquelles ils ont été conçus, notamment afin d'éluder les limites légales des compétences decertainsenquêteursquiprovoquentalors l'entréeenscèneartificielled'autresagentsdotésdecapacitésplusétendues.

53. – Détournement de procédure – Il en va ainsi d'agents des douanes sollicités par desfonctionnairesdesCRSpoursaisirdesdétecteursderadar(Cass.crim.,18déc.1989:Bull.crim.1989,n°485 ; JCPG1990, II,21531,noteP.Chambon),d'agentsdesdouanesayantprocédéàunevisitedomiciliairequi n'avaitd'autrebutquedepermettre aux agentsdes impôtsqui lesaccompagnaientlaconstatationd'infractionsfiscales(Cass.crim.,2juin1986:Bull.crim.1986,n°187;JCPG1987,II,20752,notePannier.–Cass.crim.,25mai1988:Bull.crim.1988,n°221),d'officiersdepolicejudiciairequi,setrouvantenenquêtepréliminaireetnepouvantprocéderàsaisie,fontappelàdesagentsdesdouanes(Cass.crim.,11mai1992,n°92-81.484:JurisDatan°1992-003293 ; Dr. pén. 1992, comm. 261, obs. J.-H. Robert ; Gaz. Pal. 1993, I, p. 244, notePannier),d'agentsdufiscaccompagnantsansréquisitionniprestationdesermentdesofficiersdepolice judiciaireafindepouvoirbénéficierdu résultatdeperquisitions (Cass. crim.,17oct.1994,n°94-82.780;Dr.pén.1995,chron.13,noteV.LesclousetC.Marsat.–Cass.crim.,6févr.1997 : Bull. crim. 1997, n° 49), d'agents du fisc ne diligentant une enquête en matière deconcurrencequepourpouvoirfaciliterlerelevéd'infractionsdedroitcommun(Cass.crim.,12oct. 2005, n° 05-80.713 : JurisData n° 2005-030703 ; Bull. crim. 2006, n° 30 ; Dr. pén. 2006,comm.23,obs.A.Maron).

Au-delàdeshypothèsesdecumuldepouvoirsentreagents,ledétournementdeprocédurepeutêtre constitué par le même agent utilisant les pouvoirs que lui confère la réalisation d'uneperquisitionpouropérerenfaitunesonorisation(Cass.crim.,15févr.2000,n°99-86.623:Bull.crim.2000,n°68;Dr.pén.2000,comm.82,noteA.Maron).

54.–Lajurisprudencesurcethèmerestelimitéeetlavoieainsiouverteétroite(V.parex.Cass.crim.,12nov.2003,n°02-86.905).LaCourdecassationaainsirefuséd'annuleruneremisededocumentsàdesenquêteursparunechambredesnotairesquiselesétaitprocurésgrâceàsespouvoirs d'inspection,même si était ainsi éludé le formalisme d'une perquisition en enquêtepréliminaire(Cass.crim.,21sept.2005,n°04-85.149).

55.–Impartialitédel'enquête–Prochedelasituationdedétournementdepouvoirsestcelledelapartialitédel'enquête.Commel'indiquelachambrecriminelle(Cass.crim.,14mai2008,n°08-80.483:JurisDatan°2008-04418;AJP2008,p.328,obs.G.Roussel)"ledéfautd'impartialitéd'unenquêteurpeutconstituerunecausedenullitédelaprocédure"parviolationdudroitàunprocèséquitablequis'appliquedèslaphasepréalableduprocèspénal(CEDH,11juill.2000,n°20869/92,Dikmec/Turquie).Enrevanche,lasanctiondudéfautd'impartialitéparlanullitéestsoumiseàladémonstrationd'ungrief,selonl'arrêtprécité.

La Cour européenne des droits de l'homme a rappelé l'exigence d'une enquête impartialenotammentdanslecasdemauvaistraitementinfligésparlesenquêteurs(CEDH,6avr.2000,n°26772/95,Labitac/Italie.–CEDH,14avr.2009,n°16816/03,MecaïlÖzelc/Turquie).

56.–Respectdudroità l'intimitéde lavieprivéepar lesenquêteurs–LaCourdecassationajugé que constitue une ingérence dans l'exercice du droit (CEDH, art. 8) au respect de la vieprivéeetdudomicilelefaitpourdesenquêteurs:

– de réaliser par eux-mêmes des interceptions téléphoniques en enquête préliminaire (Cass.crim.,27févr.1996:Bull.crim.1996,n°93);

–dephotographierclandestinement,sanstexte,aussibiendespersonnesquedesvéhiculessetrouvant dans un lieu privé inaccessible aux regards depuis la voie publique (Cass. crim., 21mars2007,n°06-89.444 : JurisDatan°2007-038466 ;Bull. crim.2007,n°89 ;Dr.pén.2007,comm.91;D.2007,p.1024,obs.Darsonville; ibid.,p.1817obs.CaronetMenotti ;Rev.pénit.2009,p.195,noteJ.Buisson;Rev.sc.crim.2007,p.841,obs.Finielz;ibid.,p.897,obs.Renucci;Rev.sc. crim.2008,p.655,obs. J.Buisson ;Rev.pénit.2007,p.678,obs.E.Verny ;Rev.pénit.2007, p. 678, obs. C. Ambroise-Casterot). Il est vrai que le véhicule a déjà été défini par lajurisprudence comme un lieu privé, même s'il circule sur la voie publique ce qui interditnotammentlaprisedephotographiesdesonintérieur(Cass.crim.,12avr.2005,n°04-85.637:JurisDatan°2005-028275;Bull.crim.2005,n°122).Ilenvademêmedel'installationdanslesparties communes d'un garage, avec l'autorisation du syndic de l'immeuble, d'un dispositiftechniquepermettantdecapteretdefixerlesimages(Cass.crim.,27mai2009,n°09-82.115:JurisDatan°2009-048558 ;Procédures2009,comm.284,note J.Buisson ;Rev.pénit.2009,p.624, note E. Verny). Seul l'article 706-96 permet, dans le cadre d'une instruction, la fixationd'images d'une personne dans un lieu privé, aucune disposition comparable n'étant, en l'état,applicableauxenquêtesdeflagranceoupréliminaire.

En revanche, la jurisprudence a admis le constat d'une infraction de chasse par des gardeschasse postés à l'extérieur du domicile qu'ils observaient à l'aide de jumelles (Cass. crim., 23août 1994 : Bull. crim. 1994, n° 291 ;Dr. pén. 1994, comm.236, obs. J.-H.Robert).Mais danscetteespèceiln'yavaitpaseufixationd'imageetladécisionrelèvequelesgardesontagisansartificenistratagème.

57.–LaCoureuropéennedesdroitsdel'hommeaeuàstatuersurl'emploidebaliseGPS(CEDH,2sept.2010,n°35623/05,Uzunc/Allemagne:D.2010,p.2161,noteS.Lavric).Elleestimaquelerepérageconstantauquels'étaientlivréslesenquêteursconstituaituneingérencedanslavieprivée du requérant mais souligna que cette ingérence était d'une moindre intensité que lesinterceptionsdecommunicationtéléphoniquescequiexcluait lesgarantiesprévuespourcettedernière.EllenotaenoutrequeleCodedeprocédurepénaleallemandprévoyaitlerecoursàdesmoyens techniques en particulier pour localiser l'auteur d'une infraction. Elle jugea que cetteingérenceétaitnécessaireetproportionnée, remarquantqu'ellen'avaitétéemployéequ'aprèsl'échecd'autresmesuresetpourunecourtedurée.

Le Code de procédure pénale français contient, pour sa part, une disposition relative à lasurveillance,l'article706-80,applicableauxcasdecriminalitéorganiséedéfinisparlesarticles706-73 et 706-74 (V. infra n° 270). Cet article prévoit très clairement le principe d'unesurveillancedontilborneaumoinslessujetset,partiellement,l'objet.

Enoutre la jurisprudenceadéjàstatuésur larégularitédefilaturesetsurveillancesphysiquespour les admettre, le plus souvent en enquête de flagrance (Cass. crim., 4 févr. 1991, n° 90-81.370 : JurisData n° 1991-004069. – Cass. crim., 11mai 1993, n° 93-80.932 : Dr. pén. 1993,chron. 34, obs.V. Lesclous etC.Marsat. –Cass. crim., 2 juin2010,n°09-87.147 : JurisDatan°2010-011271;Bull.crim.2010,n°98).

Ilsembledoncquel'exigencedeprévisibilitélégalepuisseêtreconsidéréecommerespectéeparnotredroit.

58. – Respect des droits de la défense – La loi préserve à ce titre la confidentialité de lacommunicationavecunavocat(CPP,art.432)notammentlorsdelagardeàvue(CPP,art.63-4).Lesinterceptionstéléphoniquesenenquêtepréliminaire(CPP,art.706-95)doiventrespecterlesrèglesénoncéesparl'article100-5quiprohibelaretranscriptiondescorrespondancesrelevantdel'exercicedesdroitsdeladéfense.Ellepréserveaussilecabinetetledomiciledel'avocatquinepeuventêtreperquisitionnésqu'àcertainesconditionsposéesparl'article56-1applicableàl'enquête préliminaire. De façon générale, l'exercice des droits de la défense interdit touteintrusiondanslesrapportsentreunepersonneetsonavocatsaufàcequ'ils'agissedemettreenévidenceuneinfractionimputableàl'avocat.

59. – Le respect des droits de la défense comprend aussi le respect du droit à ne pas s'autoincriminerprévuàl'article14.3,g)dupacteinternationalrelatifauxdroitscivilsetpolitiques(V.F. Desportes et L. Lazerges-Cousquer, préc., n° 592 s. – D. Roets, Le droit de ne pas s'autoincriminerdans la jurisprudencede la Cour européennedesdroits de l'homme :AJP2008, p.119). La CEDH l'a consacré dans de nombreuses décisions (CEDH, 8 févr. 1996, n° 18731/91,JohnMurrayc/Royaume-Uni)etilformelabasedesajurisprudencerelativeàl'interventiondel'avocatengardeàvue(CEDH,15mars2011,n°20448/02,Beguc/Roumanie).

Ledroitausilence,formaliséencasdegardeàvueàl'article63-1,estunecomposantedudroitànepass'autoincriminercommel'indiqueexpressémentcettedécision.

c)Principedeloyautédelapreuve

60.–Loyautédurecueildelapreuve–Mêmes'ilne figurepasà l'articlepréliminaire il estfréquemmentprésentdanslajurisprudencedelachambrecriminelle(Cass.crim.,27févr.1996,n°95-81.366:JurisDatan°1996-000477;Bull.crim.1996,n°93;Gaz.Pal.1997,rapp.Guerder;D. 1996, p. 346, note C. Guéry. – Cass. crim., 16 déc. 1997, n° 96-85.589 : JurisData n° 1997-005498;Bull.crim.1997,n°427;D.1998,p.354,notePradel;Rev.sc.crim.1999,p.588,obs.DelmasSaintHilaire).

II a essentiellement trouvé à s'appliquer en matière de provocation à la commission d'uneinfraction que la jurisprudence distingue de la provocation à la preuve (V. F. Desportes, L.Lazerges-Cousquer, Traité de procédure pénale, préc. n° 569 s. et la bibliographie citée. – Ph.Conte, La loyauté de la preuve dans la jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour decassation:verslasolutiondelaquadratureducercle:Dr.pén.2009,étude8.–P.Lemoine,Laloyautédelapreuve:Rapp.ann.C.cass.2004,p.165ets.–P.MaistreduChambon,Larégularitédes"provocationspolicières",l'évolutiondelajurisprudence:JCPG1969,I,3422).

61. – Illicéité de la provocation à l'infraction – Pour la Cour européenne des droits del'homme, viole l'article 6uneprovocationpolicière ayantdéterminé l'infraction (CEDH,9 juin

1998, n° 25829/94, Teixeira de Castro c/ Portugal : Rev. sc. crim. 1999, p. 401, obs. Koering-Joulin). L'interventiond'un agent infiltré "circonscrite et entouréede garanties"neméconnaîtpasledroitàunprocèséquitablesaufutilisationd'élémentsrecueillisàlasuitedeprovocationspolicières(CEDH,5 févr.2008,n°74420/01,Ramanauskasc/Lituanie :Rev.sc.crim.2008,p.694).

62.–Lachambrecriminelleécartedesdébatslespreuvesobtenuesàl'aided'uneprovocationàlacommissionenfrappantdenullitélesactesquiontpermisdelesobtenir(Cass.crim.,27févr.1996, préc. – Cass. crim., 9 août 2006, n° 06-83.219 : JurisData n° 2006-034897 ; Bull. crim.2006,n°202 ;Procédures2006,comm.278,note J.Buisson.–Cass.crim.,7 févr.2007,n°06-80.108 :Bull. crim.2007, n°37). LaCourde révision (Cass. crim., 5 juin1996, n°95-85.561 :JurisDatan°1996-005468;Bull.crim.1996,n°240)afaitdroitàunedemandeconcernantdescondamnations pour vols car il avait été établi que pour des faits similaires commisantérieurementparlesmêmesindividus,levolaveceffractionavaitétéorganisé,àleurinsu,pardesgendarmes.

63. – Provocations à la preuve autorisées par la loi – infiltration – Si, en matière decriminalité organisée, les enquêteurs peuvent être admis à infiltrer des organisationscriminelles,auxtermesdel'article706-81,ilestpréciséexpressémentqu'“àpeinedenullitécesactesnepeuventconstitueruneincitationàcommettredesinfractions”.

64. – Autorisation de participations à des échanges électroniques – Il en va de même de laparticipation souspseudonymes àdes échanges électroniquesdans le butde lutter contre lesinfractions de proxénétisme, de pédopornographie ou de corruption de mineurs. Les articles706-35-1et706-47-3quiprévoientcettepossibilitécontiennentlamêmeformulequel'article706-81.Ilenvademêmedel'article706-32quipermetl'acquisitionetlalivraisoncontrôléedestupéfiants.

65.–Enfin,pourconstaterlesinfractionsmentionnéesausixièmealinéadel'article24delaloidu29juillet1881(provocationàlacommissiond'infractionsgraves,notammentcellesportantatteinte aux intérêts fondamentaux de l'État) commises par un moyen de communicationélectronique, il est permis aux agents de participer sous un pseudonyme aux échangesélectroniques(CPP,art.706-25-2,issudeL.n°2011-267,14mars2011).Toutefois,àpeinedenullité,cesactesnepeuventconstitueruneincitationàcommettrecesinfractions.

66.–Provocationsàlapreuveacceptées–Laprovocationàlapreuveestadmise,justifiéeparl'existence d'une activité délictueuse antérieure (Cass. crim., 2 oct. 1979 : Bull. crim. 1979, n°266. – Cass. crim., 5 juin 1997 : Bull. crim. 1997, n° 229 ; Dr. pén. 1997, comm. 142, obs. A.Maron.–Cass.crim.,30avr.1998:Bull.crim.1998,n°147.–Cass.crim.,23nov.1999,n°99-82.658:JurisDatan°1999-004765;Dr.pén.2000,comm.82,noteA.Maron;Bull.crim.1999,n°269.–Cass.crim.,8juin2005:Bull.crim.2005,n°173).

De surcroît, la provocation à une nouvelle infraction devient nécessaire lorsqu'elle est le seulmoyenderapporter lapreuved'uneactivitédélictueusehabituelle (Cass. crim.,2mars1971 :Bull.crim.1971,n°71.–Cass.crim.,16mars1972:Bull.crim.1972,n°108.–Cass.crim.,20oct.1979:Bull.crim.1979,n°266).

67. – Ruse – Cette mode de provocation à la preuve est admise, sauf si elle constitue undétournementdeprocédure(V.supran°52).Lavaliditédesconstatationsfaitesparunagentou

unofficierdepolicejudiciairenesetrouvepasaffectéeparlefaitqu'iln'auraitpasfaitconnaîtresa qualité à l'auteur des faits lors de la constatation d'une infraction flagrante (Cass. crim., 2mars1999,n°98-86.465:JurisDatan°1999-001062;Bull.crim.1999,n°29)niétéporteurdesonuniforme(Cass. crim,21 janv.1998,n°97-82.269 : JurisDatan°1998-000904 ;Bull. crim.1998, n° 31. – Cass. crim., 3 juin 2009, n° 08-87.434 : JurisData n° 2009-048943 ; Bull. crim.2009,n°111)saufàcequ'untexteobligelesagentsàêtreporteurleuruniforme(Cass.crim.,20sept. 2005,n°05-82.072 : JurisDatan°2005-030058 ;Bull. crim.2005,n°232), auquel cas lanullitéestencouruesansgrief.

Demeurent licites, le fait pour un policier de se déguiser, de se faire passer pour quelqu'und'autre(CAParis,3avr.1987:JurisDatan°1987-023426.–CAParis,12févr.1988:JurisDatan°1988-023105),desecacherdansunbureaupourassisteràuneremisedefondscaractérisantundélitdecorruptionactive(Cass.crim.,22avr.1992:Bull.crim.1992,n°169),deseprésentercommeunacheteurdedrogue(Cass.crim.,9juin1993:Bull.crim.1993,n°228),d'effectuerdesfilatures, de faire le guet, de tendredes embuscades oude fomenter des pièges, d'utiliser desindicateurs(Cass.crim.,6juill.1894:DP1899,1,p.171;4avr.1924:DP1925,1,p.10.–G.DiMarino, L'indicateur in Problèmes actuels de science criminelle : PUAM, 1990, p. 63 s.),d'employer des procédés techniques d'enregistrement tels qu'appareils photographiques,caméras,radars,cinémomètres(D.Thomas,Delarelativitédescontrôlesparcinémomètre:D.1980,1,jurispr.p.129),magnétophones(Cass.crim.,18févr.1958:Bull.crim.1958,n°163.–Cass. crim., 16mars 1961 : JCPG1961, II, 12157, obs. J. Larguier) dès lors dumoins que cesprocédésneportepasatteinteàl'intimitédelavieprivée(V.supran°56).

68.–Loyautéetlégalitédelapreuveadministréepardespersonnesprivées–Lachambrecriminelleestimerecevableslesélémentsdepreuveobtenusparlespartiesdefaçondéloyaleouilliciteetproduitsdirectementensuitedanslaprocédureouremisauxenquêteursdèslorsqu'ilsneconstituentquedesmoyensdepreuvesoumisensuiteàunediscussioncontradictoire(Cass.crim.,2déc.1980:Bull.crim.1980,n°327.–Cass.crim.,18nov.1986:Bull.crim.1986,n°345.– Cass. crim., 26 avr. 1987 : Bull. crim. 1987, n° 173. – Cass. crim., 21mars1989 : Bull. crim.1989,n°139.–Cass.crim.,10sept.1990:Bull.crim.1990,n°336.–Cass.crim.,11févr.1992:Bull.crim.1992,n°66.–Cass.crim.,23juill.1992:Bull.crim.1992,n°274.–Cass.crim.,15juin1993:Bull.crim.1993,n°210.–Cass.crim.,6avr.1994:Bull.crim.1994,n°136.–Cass.crim.,30mars1999,n°97-83.464 : JurisDatan°1999-001606 ;Bull. crim.1999,n°59 ;Procédures1999,comm.215,obs.J.Buisson.–Cass.crim.,23juin1999,n°98-84.701.–Cass.crim.,11juin2002,n°01-85.559:Bull.crim.2002,n°131.–Cass.crim.,11mai2004,n°03-80.254etn°03-85.521:JurisDatan°2004-023993etJurisDatan°2004-023992;Bull.crim.2004,n°113et117;JCPG2004,II,10124,noteGirault;D.2004,p.2326,noteGaba;Rev.pénit.2004,p.875,noteSaintPau;Rev.sc.crim.2004,p.635,obs.Fortis.–Cass.crim.,31janv.2007:Bull.crim.2007,n°27.–Cass.crim.,27janv.2010,n°09-83.395:JurisDatan°2010-051634).

Les particuliers ne sont en effet pas tenus au formalisme procédural qui ne s'impose qu'auxagents publics concernés lesquels sont seuls à pouvoir accomplir des actes de procédureannulables.Lajustificationpeutenoutreêtretrouvéedanslesnécessitésdeladéfense.

5°Respectdeladignitédespersonnes

69.–Textesfondamentaux–Outrelesprincipesgénérauxdudroit,peuventêtreinvoquéeslesConventionsuniverselleeteuropéenne,contrelatortureetautrespeinesoutraitementscruelsinhumainsoudégradants.

70. – Principe général de la procédure pénale – Ces principes figurent également dansl'article préliminaire duCodede procédure pénale, qui énonce que lesmesures de contraintevisant les personnes suspectées ou poursuivies doivent être proportionnées à la gravité del'infractionreprochéeetnepasporteratteinteàladignitédelapersonne.Laloin°2000-516du15juin2000imposedeprendretouteslesmesuresutiles,dansdesconditionscompatiblesaveclesexigencesdesécurité,pouréviterqu'unepersonnemenottéeouentravéesoitphotographiéeoufilmée(CPP,art.803).Demêmelaloin°2011-392du14avril2011ainsérédansleCodedeprocédurepénaleunarticle63-5visantaumeilleurrespectdeladignitéengardeàvue.

Le décret n° 86-592 du 18 mars 1986(Journal Officiel 19 Mars 1986) établit un Code dedéontologie de la police nationale qui souligne (C. déont. pol. nat., art. 7 et 10) qu'aucuneviolence,aucuntraitementinhumainoudégradantnedoiventêtreinfligés.

71. – Respect de l'intégrité physique, portée du principe – Des procédés tels quel'hypnotisme, l'injectiondenarcotiquesou l'emploidedétecteurdemensonges,mêmeavec leconsentement de la personne concernée ou le concours d'un expert, sont nécessairementattentatoiresàladignitéhumaine(V.Cass.crim.,12déc.2000,n°00-83.852:JurisDatan°2000-007696;Dr.pén.2001,comm.38,noteA.Maron).

72. – Pour la Cour européenne des droits de l'homme, une condamnation est irrégulièrelorsqu'elle se fonde,mêmepartiellement, surdes élémentsdepreuveobtenusenviolationdel'article3delaconvention(CEDH,11juill.2006,n°54810/00,Jallohc/Allemagne.–CEDH,1erdéc.2009,n°21790/04,YuzufGezerc/Turquie).

73. – Atteintes légales à l'intégrité physique – Les seules atteintes qui sont reconnueslégalement sont celles afférentes aux analyses et examens médicaux cliniques et biologiquesprévusparlaloi(V.infran°218à232.–Parex.,C.route,art.L.234-3àL.234-9).Toutefois,cesvérifications ne peuvent pas être imposées de force à la personne concernée, mais celle-cis'exposealors,encasderefus,auxsanctionsprévuesparl'articleL.234-9duCodedelaroute.

6°Principedusecretdel'enquêtepréliminaire

a)Règledusecret

74. – Cadre légal – Le caractère traditionnellement secret de la procédure préalable aujugementestétenduàl'enquête(CPP,art.11).

75.–La loidu15 juin2000(L.n°2000-516,15 juin2000,art.96-1)a tempéréceprincipeenajoutant à cet article un alinéa permettant au procureur de la République, afin d'éviter lapropagationd'informationsparcellairesou inexactesoupourmettre finàun troubleà l'ordrepublic, de rendre publics des éléments objectifs tirés de la procédure sans préjudicier de laculpabilité.

76.–Quantàl'article56duCodedeprocédurepénale,auquelrenvoiel'article76,ilprécisedanssesalinéas2etsuivantsleformalismesusceptibled'assurer,àl'égarddesdocumentssaisisdans

le cadre d'une perquisition, le secret des correspondances et le secret professionnel (V. JCl.Procédurepénale,Art.53à73,fasc.20).

77. – Portée du secret – Le secret s'impose aux personnes qui concourent à la procédure,personnes chargées de l'enquête ou susceptibles de prendre connaissance de ses résultats :officiersetagentsdepolicejudiciaire,supérieurshiérarchiques,magistrats,secrétaires-greffiersdestribunaux.Lesecretnes'imposeniaususpectniautémoincarl'unetl'autreneconcourentpasàlaprocédure.

b)Limitesdusecret

78.–Lesenquêteurspeuventêtreconduitsàfaireétatauxindividusinterrogésdecequ'ilsontapprisparailleursconcernantd'autrespersonnes,parexemple,poursituerlapartrespectivedechacun des auteurs ou des complices de l'infraction. Cependant, cela doit être justifié par lesnécessitésdel'enquête.

79. –Rapport avec lapresse – Avec la loi n° 2000-516 du 15 juin 2000, le procureur de laRépublique (et non le procureur général) est devenu l'interlocuteur privilégié de la presse etc'est dans l'exercice de son pouvoir de direction de l'enquête qu'il lui appartient d'apprécierl'opportunité de communiquer. Mais, la démultiplication des modes de communication,l'apparitionderéseauxsociaux,lesjeuxd'acteurs,posentdesdifficultésimportantesentermesdestratégiesdecommunicationetdeluttecontrelesrumeursoulesdéstabilisations.

80.–Lecadrerestreintdel'article11estenréalitélargementdépassé.Dèslors,lesopérationsdecommunicationmal justifiéesparletexteexistantdoiventêtreenvisagéesavecprudenceetnotammentrespecterl'intimitédelavieprivéeetlaprésomptiond'innocence.

S'agissantdelaprésencedejournalistessurleslieuxd'uneopération,ilconvientdeconsidérerqu'elle fait nécessairement prendre des risques à la procédure en termes de nullité, cetteintrusioncontrevenantauxdispositionsdesarticles35terdelaloidu29juillet1881et11(et803encasd'arrestation)duCodedeprocédurepénale.Ilenvatoutefoisautrementlorsquelemanquement est extérieur à l'enquête. Il peut seulement ouvrir droit, pour ceux qui s'enprétendentvictimes,aurecoursprévuparl'article9-1duCodecivil(Cass.crim.,24nov.2010,n°10-86.713:JurisDatan°2010-024677).

81. – Pour sa part, la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH, 24 févr. 2009, n°42716/02, Toma c/ Roumanie) a statué dans une espèce où des journalistes, appelés par lapolice, avaient été autorisés à filmer et photographier un gardé à vue. Certaines des imagesfurent diffusées ou publiées par lesmédias concernés. La cour a rappelé que la notion de vieprivéecomprendledroitàl'image(V.aussiCEDH,11janv.2005,n°50774/99,Sciacciac/Italie.–CEDH,17oct.2006,n°71678/01,Gourguenidzec/Georgie).