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CHAPITRE V.13 CULTURE ET GESTION EN RUSSIE : ENTRE L’EFFICACITÉ ET L’INCERTITUDE Valeri Krylov 1 Résumé. À l’époque du Régime soviétique, l’État prévisible, hiérarchisé et paternaliste, avait produit des organisations qui avaient dû accomplir sous la contrainte les plans fixés au sommet. Le contrôle idéologique se rajoutait donc à la tutelle économique. Quand le régime s’est affaibli, les arrangements informels ont graduellement remplacé l’idéologie inopérante. La chute de la façade planifiée de l’URSS a dévoilé des logiques opérationnelles qui ont été projetées dans le marché. Ainsi, l’aversion pour l’incertitude conduit fortement à formaliser de nombreux processus organisationnels. Depuis 1991, les cultures organisationnelles absorbent les valeurs associées au marché. L’efficacité exprimée par le chiffre d’affaires est devenue la condition de survie. La concurrence exige de la rigueur pour la gestion des facteurs techniques et humains. Des coercitions autoritaires associées au rythme tendu entraînent des décalages dans les valeurs déclarées et partagées. Or, la communication et la transparence favorisent l’interaction de celles qui sont à la source de l’enrichissement des pratiques. La divergence qui existe entre les pratiques et les normes produit des incohérences entre les compor- tements informels et ceux qui sont prescrits, concernant le travail et le repos, 1. Valeri Krylov détient le DEA de sociologie de l’École des hautes études en sciences sociales, le DESS Analyse de travail, organisation et gestion de l’emploi de l’Université Paris X Nanterre. Il est doctorant en gestion à l’Institut d’administration des entreprises de Paris 1 Panthéon Sorbonne. Ses intérêts de recherche portent sur la théorie des organisations, la gestion et la communication intercul- turelle. Il est auteur de plusieurs articles universitaires. Krylov, Valeri, « Culture et gestion en Russie : entre l’efficacité et l’incertitude », dans Eduardo Davel, Jean-Pierre Dupuis et Jean-François Chanlat (dir.), Gestion en contexte interculturel : approches, problématiques, pratiques et plongées, Québec, Presses de l’Université Laval et Télé-université (UQAM), 2008.

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Chapitre V.13

Culture et gestion en russie : entre l’effiCaCité et l’inCertitude

Valeri Krylov1

Résumé. À l’époque du Régime soviétique, l’État prévisible, hiérarchisé et paternaliste, avait produit des organisations qui avaient dû accomplir sous la contrainte les plans fixés au sommet. Le contrôle idéologique se rajoutait donc à la tutelle économique. Quand le régime s’est affaibli, les arrangements informels ont graduellement remplacé l’idéologie inopérante. La chute de la façade planifiée de l’URSS a dévoilé des logiques opérationnelles qui ont été projetées dans le marché. Ainsi, l’aversion pour l’incertitude conduit fortement à formaliser de nombreux processus organisationnels. Depuis 1991, les cultures organisationnelles absorbent les valeurs associées au marché. L’efficacité exprimée par le chiffre d’affaires est devenue la condition de survie. La concurrence exige de la rigueur pour la gestion des facteurs techniques et humains. Des coercitions autoritaires associées au rythme tendu entraînent des décalages dans les valeurs déclarées et partagées. Or, la communication et la transparence favorisent l’interaction de celles qui sont à la source de l’enrichissement des pratiques. La divergence qui existe entre les pratiques et les normes produit des incohérences entre les compor-tements informels et ceux qui sont prescrits, concernant le travail et le repos,

1. Valeri Krylov détient le DEA de sociologie de l’École des hautes études en sciences sociales, le DESS Analyse de travail, organisation et gestion de l’emploi de l’Université Paris X Nanterre. Il est doctorant en gestion à l’Institut d’administration des entreprises de Paris 1 Panthéon Sorbonne. Ses intérêts de recherche portent sur la théorie des organisations, la gestion et la communication intercul-turelle. Il est auteur de plusieurs articles universitaires.

Krylov, Valeri, « Culture et gestion en Russie : entre l’efficacité et l’incertitude », dans Eduardo Davel, Jean-Pierre Dupuis et Jean-François Chanlat (dir.), Gestion en contexte interculturel : approches, problématiques, pratiques et plongées, Québec, Presses de l’Université Laval et Télé-université (UQAM), 2008.

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ainsi que les divers statuts des acteurs. Le succès de l’action organisée est conditionné par le maintien d’un équilibre dynamique entre l’implication et la discipline, les objectifs professionnels et personnels des gestionnaires, la confiance et la motivation des salariés et, enfin, entre les circuits officiels et officieux.

IntroductIon

Deux événements majeurs de l’histoire russe du XXe siècle, la création de l’URSS et sa chute, ont déterminé le développement de la Russie et les axes de transformation possibles. La création de l’URSS s’est

accompagnée de la destruction ciblée des bases normatives de la culture économique antérieure, simultanément avec l’élimination physique de ces représentants. Les mutations de la culture russe doivent être aujourd’hui comparées avec l’État soviétique, dont les fondements s’appuient sur l’idéo-logie socialiste. État sans précédent, l’URSS a produit un échantillon culturel complexe et parfois contradictoire. Son intégration dans l’économie mondiale est passée par le choc causé par la rupture des pratiques : l’orga-nisation planifiée sous la tutelle de l’État s’est retrouvée livrée à elle-même au marché « sauvage ». La gestion des organisations comporte toujours des tensions entre les valeurs divergentes, que ce soit la tradition et la modernité, le formel et l’informel ou l’individu et le collectif. Depuis quinze ans, l’ex-périence au quotidien amalgame les conduites hétérogènes. Depuis quinze ans, dans l’expérience au quotidien, nous sommes témoins de ces deux types de conduites oscillant entre la tradition et la modernité. L’adaptation rapide efface des normes préexistantes sans les remplacer. À défaut de normes stables, les conduites suivent les évolutions des contextes. Cette situation crée des comportements flexibles et qui ne sont pas toujours prévisibles.

IdéologIe, organIsatIon et transItIon

Les organisations soviétiques

La gestion soviétique de la main-d’œuvre a été prédéterminée par un problème de désaccord entre la compétence et la confiance, qui sévissait dans l’Armée rouge pendant la guerre civile : le commandement de l’armée du tsar refusait d’y prendre part, ce qui signifiait une perte de compétences particulièrement importantes pour la survie de l’État. Un nombre réduit d’officiers du tsar avait accepté d’intégrer l’Armée rouge, ce qui posait un problème de confiance : est-il possible de confier l’armée à des officiers appartenant à la classe contre laquelle on lutte? L’Institut des commissaires

V.13 ✦ CULTURE ET gESTION EN RUSSIE 3

avait apporté la solution : un commissaire « politiquement correct » dirige-rait une unité militaire conjointement avec l’officier compétent. La tâche du commissaire consistait à établir un contrôle idéologique au nom du Parti communiste. Tous les deux étaient habilités à prendre des décisions. Cepen-dant, le commissaire pouvait annuler celle de l’officier, mais pas l’inverse. Cette solution fut ensuite multipliée et appliquée dans l’économie avec quelques adaptations.

La discipline du travail en URSS s’appuyait sur l’éducation basée, elle, sur l’idéologie. Après la révolution et la guerre civile, l’industrialisation a exigé la mobilisation de la population soviétique. À la fin des années 1920 ont été créées les principales institutions de l’économie et les mécanismes assurant leurs interactions. L’égalité sociale, le travail pour la société et l’éducation au travail ont été institutionnalisés. La « valeur travail », sans rapport au résultat, a été proposée comme force créatrice. Le fondateur du système éducatif soviétique, Makarenko (1957), jugeait le succès de l’homme et ses caractéristiques morales selon l’apport social de son travail, qui est ainsi devenu une catégorie morale. Cette idéologie, selon laquelle un salarié devait se livrer corps et âme à son travail, exigeait la mobilisation totale des travailleurs, et induisait une logique d’obéissance appelant à l’exemplarité vertueuse. L’autoritarisme s’appuyait, d’une part, sur la conviction que les citoyens se doivent de construire une société plus juste et, d’autre part, que ceux qui dirigent savent comment il faut le faire.

Le système de valeurs proposé par le marxisme dans l’interprétation socialiste est proche des valeurs orthodoxes (« travailler sans compter pour le bien de tous », « l’attention à la classe la plus pauvre »), ce qui a facilité son assimilation en Russie (Slobodskoï, 1994). L’idéologie au sein des organisations représente un modèle d’intégration communautaire, dont la mobilisation se fait en fonction des finalités productives et selon le modèle sociopolitique actuel (Le goff, 1995). La conformité aux normes politiques étant le principe dominant, le gouvernement avait un poids déterminant dans la gestion de l’économie : les entreprises dépendaient du Parti, du plan et du ministère de tutelle. Ainsi, l’idéologie socialiste a créé un mythe dont le contenu a déterminé la réalité sociale (Slobodskoï, 1994).

Dans toute organisation, un secrétaire du Comité de Parti percevait une rétribution supérieure à celle du directeur; il avait le droit de prendre des décisions à n’importe quelle étape de l’activité (Tableau V.13.1). Le rapport horizontal des statuts était simple : le « camarade directeur » et le « camarade ouvrier » suivaient les obligations et répondaient aux attentes de l’État (Cherchneva et Feldhoff, 1999). Tous les deux étaient responsables

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de l’exécution du plan et ils en partageaient les risques en cas d’échec. De plus, vu la disproportion des sanctions, le « camarade directeur » dépendait du « camarade ouvrier ». Ce type de responsabilité contribuait à renforcer la solidarité entre les membres d’une organisation.

tableau V.13.1Schéma Soviétique de geStion de L’entRepRiSe

Source : Slobodskoï et Krylov, 2006, p. 1188.

Avant la révolution de 1917, la société russe était structurée par les rapports des « États » (dont la logique est décrite pour la France par d’Iribarne, 1989). Le régime soviétique avait commencé par la destruction des bases normatives de la culture économique antérieure. Simultanément, « l’approche de classe » a guidé l’élimination de ses représentants : les « bourgeois » regrou- » a guidé l’élimination de ses représentants : les « bourgeois » regrou-pant des nobles, des négociants, des clergés et tout autre personne riche ont été la cible de la « terreur rouge » pendant et après la révolution. La nouvelle société s’est construite sur la base de l’expropriation de toute forme de pro-priété, à l’exception de celle de l’État qui se substituait à l’employeur : per-sonne n’étant propriétaire, n’en retirait de revenu et ne pouvait la transférer ou en hériter. La nomenklatura gérait sans être propriétaire : son rôle était l’administration basée sur le contrôle idéologique. La pression des mesures répressives, imposant le respect de l’idéologie et de l’éthique, séparait la gestion économique du contrôle idéologique. La première empreinte sur la culture d’entreprise a été laissée par la morale collective du Parti communiste. Jusqu’en 1991, l’exclusion du Parti signifiait pour un gestionnaire la fin de sa carrière. Les ordres, souvent verbaux, appuyaient le principe d’une double responsabilité : politique et économique.

Créé rapidement sur la base de l’idéologie, le système cohérent centralisé, hiérarchisé et planifié, avait converti la main-d’œuvre russe en ressources humaines pour l’URSS. La gestion des effectifs reproduisait le système au niveau de l’entreprise. Des fonctions stratégiques de gestion des ressources

Comité central du Parti communiste

Ministère de la branche

Comité régional du Parti communiste

Directeur de l’entreprise

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humaines, comme la mobilité, la gestion des carrières et des compétences, étaient assurées par le Parti. Le dernier maillon de la chaîne du pouvoir, les entreprises, mettait en œuvre la fonction paternaliste de l’État. L’idéologie dominante, basée sur des valeurs homogènes, permettait de prévoir, de gérer et de contrôler les normes de conduite dans l’accomplissement des tâches professionnelles. Avec un niveau de consommation peu élevé, l’État gardait un équilibre entre l’incitation au travail et la satisfaction des besoins indivi-duels.

Simultanément, un nombre important de prisonniers politiques ont été condamnés aux travaux dans les goulags. Des conditions inhumaines ont eu pour effet de faire haïr le travail physique et le travail en général (Chalamov, 1998). L’attitude vis-à-vis du travail dans les camps était carac-térisée soit par l’obéissance passive des prisonniers, soit par le refus de tra-vailler, notamment dans le cas des caïds.

L’écart entre ces deux attitudes vis-à-vis du travail − soumis à l’idéologie ou forcé par elle – s’est accentué de 1928 à 1956. Pour le collectif et pour cette société sans classes sociales, le travail contribuait à privilégier le statut des ouvriers et, ainsi, à valoriser leurs efforts. Le mythe était construit autour du travail pour le bien de tous et condamnait les motifs égoïstes. La terreur et la peur du châtiment renforçaient la réalité du mythe, les travailleurs socialistes faisaient tout leur possible pour ne pas perdre leur statut.

L’affaiblissement du régime en 1956 avait modéré l’opposition entre le travail fait sous la contrainte de l’idéologie officielle et le travail forcé, tout en préservant le système centralisé, hiérarchisé et planifié, et en cultivant l’esprit paternaliste à tous les niveaux. Après le vingtième congrès du Parti communiste, le mythe n’a pas supporté la critique, ce qui a entraîné plus tard son effondrement (Slobodskoï, 1994). À partir de ce moment, l’idéo-logie socialiste est progressivement devenue un « fantôme ». Le développe-fantôme ». Le développe- ». Le développe-ment des organisations soviétiques témoigne du fait que l’écart entre le travail forcé et celui fait en obéissance à l’idéologie s’est déplacé dans la vie au travail : les travailleurs ont appris à maintenir le discours idéologique et à accomplir les plans imposés « d’en haut », tout en évitant de prendre des initiatives ou de faire des efforts supplémentaires.

Les modes de gestion tayloriens, basés sur l’incitation idéologique, en œuvre dans le système socialiste de production, offraient des salaires aussi bas que le niveau de motivation. Cette équation entraînait une implication limitée, un absentéisme élevé et un faible niveau de discipline (Durand, 1997). Le compromis social s’établissait sous la forme d’une acceptation par les ouvriers d’un niveau de vie relativement peu élevé contre un travail

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sécurisé de faible intensité (Slobodskoï, 1994), ce qui amenait les salariés à maintenir le fonctionnement contre une rétribution garantie, souvent sans réflexion ni initiative. La culture d’entreprise socialiste est caractérisée par « le conformisme passif, baignant dans la sécurité de l’emploi » (Le goff, 1997).

L’entreprise fonctionnait de façon irrégulière, par à-coup, car l’organi-sation dépendait de jeux d’ajustements entre le plan et la réalité. Par consé-quent, la production était davantage de nature séquentielle, avec des pointes et des creux, en raison des règles bureaucratiques de régulation et des difficultés d’approvisionnement. Le souci de productivité s’exprimait dans la mise en œuvre du plan, mais la qualité des produits était faiblement prise en considération dès lors qu’étaient respectés les volumes de produc-tion.

La réalité des entreprises soviétiques témoigne de l’exploitation la plus large d’une marge de manœuvre, inévitablement présente autour de chacune des nombreuses règles (Crozier et Friedberg, 1977). Ainsi, le type de bureau- et Friedberg, 1977). Ainsi, le type de bureau- Friedberg, 1977). Ainsi, le type de bureau-cratie de production socialiste était régi par la mise en place d’un consensus organisationnel qui pourrait se rapprocher de l’autogestion et qui laissait un rôle important aux individus (Le goff, 1997). La hiérarchie était souvent obligée d’établir des compromis avec son personnel qui avait un certain pouvoir dans l’entreprise. Cette organisation laissait aux salariés de larges marges d’autonomie dans leur travail (Durand, 1997), cependant limitées à son contenu. L’entrepreneuriat était strictement cadré. L’usage du travail salarié par une personne physique en qualité d’employeur était considéré comme de l’exploitation de l’être humain, ce qui était interdit par le Code pénal. Sans l’accord de la hiérarchie, aucune décision stratégique ou orga-nisationnelle n’était envisageable. Par conséquent, depuis les années 60, l’architecture centralisée et planifiée de l’URSS a joué un rôle de façade derrière laquelle fonctionnait un réseau complexe d’échanges informels impliquant l’ensemble des acteurs (Radaev, 2000). Ce réseau permettait d’atteindre les objectifs fixés, peu réalisables avec les moyens disponibles officiellement. L’encastrement des activités économiques dans le puzzle des relations personnelles favorisait l’amorçage d’un lien personnel simultané-ment avec toute relation économique importante ou durable, notamment en tant que moyen d’accès à des ressources rares (Ledeneva, 1998).

Issue du paternalisme étatique, la centralisation élevée est devenue le problème traditionnel de gestion, dont les conséquences sont les blocages bureaucratiques, la passivité et l’inertie organisationnelle. Le système de motivation était substitué par des outils de soumission, et le système de prime était soit discriminatoire, soit trop général pour être efficace (Le goff,

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1997). En contrepartie, le manque d’initiative lié à une faible motivation a accoutumé les supérieurs socialistes à forcer les salariés à faire leur travail. Cependant, en URSS, l’essentiel des besoins sociaux était assuré gratuitement par les services internes de l’entreprise comme la santé, la garde des enfants, les loisirs, le logement. Les relations professionnelles étaient fortement paternalistes. Ce type de relation suscitait, d’un côté, un sentiment de res-ponsabilité de la part de l’encadrement et, de l’autre côté, renforçait l’en-gagement et la participation des salariés.

Le style d’apprentissage en pratique dans les entreprises socialistes favorisait la transmission et la reproduction des compétences. Pour pallier les nombreux dysfonctionnements de l’ensemble du système productif, se sont créées de fait des poches de compétences techniques et communica-tionnelles. Ainsi, depuis 1987, les ateliers étaient organisés en brigades, ce qui donnait aux travailleurs une capacité de négociation au sein de l’entre-prise. Ces brigades représentaient des unités autogérées qui associaient les savoir-faire des travailleurs, ce qui permettait d’assurer la productivité et de remplir les objectifs du plan. Elles servaient à la fois pour l’intégration sociale et pour la répression de la déviance (Le goff, 1997).

Depuis l’ouverture à l’économie de marché en 1991, l’URSS a cessé d’exister. Un programme de réformes visant à une transition vers l’économie de marché a été adopté. Le comportement socioéconomique a rapidement changé.

La perestroïka et la chute de l’uRSS

Le développement, la stagnation et la dégradation de l’URSS reflètent l’affaiblissement de l’idéologie et l’enracinement croisé des mécanismes politique, administratif et économique, conséquence de l’abrogation du contrôle répressif. Depuis le vingtième congrès du Parti communiste en 1956, la société nouvelle « la plus juste » est devenue celle « avec un niveau de vie plus élevé », et les priorités ont été déplacées de l’idéologie à l’activité économique.

L’opposition qui régnait entre la nomenklatura et la société avait abouti à un fonctionnement clanique structuré par le « marché administratif » (Naichul, 1992), consistant en l’appropriation de toute chose importante et en leur transformation en marchandise. Ces transactions comportaient des biens, des services et tout ce qui avait une valeur dans l’économie : le statut social, le pouvoir et la subordination, les lois et le droit de les trans-gresser. La civilisation soviétique avait formé plusieurs types de communau-tés informelles : les structures de force, les bureaucraties politiques ou encore

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les organisations criminelles. Peu avant la chute de l’URSS, le Parti commu-niste constituait un bon exemple de l’attachement à des valeurs non officiel-les tout en justifiant le respect pour l’idéologie officielle. Au moment de son passage au pouvoir, la génération de gestionnaires formés depuis 1956 se distinguait par un double esprit et une double morale; la dégradation avait alors abouti à une crise systémique. La destruction de l’économie soviétique a commencé en 1986 par des lois qui ont réintroduit la propriété privée, ainsi que des concepts comme le profit, le commerce et l’intérêt économique : Loi de la propriété en URSS, Loi de la coopération en URSS, Loi du travail individuel en URSS2. Depuis, les ressources humaines d’État se sont trans-formées pour s’adapter au marché du travail; leur évolution s’exprime à travers la dynamique des valeurs organisationnelles. L’asynchronisme entre les processus législatifs, économiques et sociaux devient évident, car la trans-formation nécessitera un changement de génération.

tableau V.13.2La dynamique du SyStème Soviétique de geStion

étapes d’évolution du système soviétique de la gestion

Création Épanouissement Dégradation Transition

période 1917-1928 1929-1956 1957-19861987–…

Réalité Déclaration

Régulateur du comportement

Approche de classe, éthique

du Parti

Plan, éthique bureaucratique

Éthique clanique

Éthique criminelle

Marché libreLoi

valeur dominante

Lutte contre la culture écono-mique du passé

Réalisation de l’idéologie socialiste

LoyautéSurvie ou enrichisse-

ment

Indépendance économique, liberté, bien

matériel

entrepriseContrôle

idéologiqueBien de tous versus

goulagTravail par obligation

Profit à court terme

Travail pour soi et pour le développe-

ment de l’économie

Source : Slobodskoï et Krylov, 2006, p. 1190.

2. Traduction par l’auteur.

V.13 ✦ CULTURE ET gESTION EN RUSSIE 9

Les nouvelles règles ont rendu incompétent l’ensemble des citoyens. Le désengagement de l’État a donné lieu à la privatisation juridique des entre-prises. Parmi les dirigeants, dont la majorité est devenue propriétaire, pas un seul a su conserver le profil, ni l’effectif. Il s’est avéré qu’entre le rôle de « camarade directeur » et celui de « monsieur le directeur, propriétaire et employeur » s’est creusé un écart dont le nom est « marché ». Si le premier recevait la matière première et le financement de son personnel, pour rendre le produit à l’État dans le cadre du plan, le second est obligé de chercher la matière première, de régler les livraisons, de vendre sa production et de rémunérer le personnel par les moyens de l’entreprise. Évidemment, per-sonne n’a été formé pour accomplir ces nouvelles tâches et personne ne pouvait l’enseigner.

Le bouleversement des institutions et l’apprentissage

Les systèmes d’interaction entre l’entreprise et son environnement constituent une ressource sociale de développement des entreprises, parti-culièrement puissante depuis la chute de l’URSS. Le changement de l’en-vironnement induit un nouveau comportement qui amène des nouvelles valeurs (Hofstede, 1994). Les organisations se sont vues parachutées dans la concurrence libre, qui les oblige à établir des fondements différents dans la discipline du travail. Les organisations ont évolué rapidement ou ont disparu dans l’économie de marché peu réglée au moment de la chute. Dans cette situation, les institutions classiques de l’organisation sociale, telles que l’État, la loi, la religion et la propriété se sont avérées inadaptées. L’élabora-tion de nouvelles valeurs s’exprime dans l’évolution des bases normatives de la discipline du travail (tableau V.13.3).

10 PARTIE V ✦ PLONgÉES EN EUROPE

tableau V.13.3L’évoLution deS baSeS noRmativeS

de La diScipLine du tRavaiL

institutions héritage transfert apprentissage

État

Opposition d’un individu à l’omni-présence de l’État dans l’espace privé.

Critique permanente du régime de Poutine.

L’État recherche le rôle de garant des transactions écono-miques.

Loi

Le rôle secondaire après le Parti communiste, n’est pas assez respecté.

Nécessité des normes démocratiques pour attirer des investisse-ments et sécuriser les transactions.

La loi formellement respectée s’aligne à la logique du profit sans nécessairement garantir la sécurité des acteurs.

Religion Le passé soviétique refuse la religion.

Religion reconnue en tant que fondement moral de la société.

L’Église orthodoxe a proposé le code de comportement pour le monde des affaires.

Dirigeant–Propriétaire

Non-respect collectiviste de la propriété. Distance hiérarchique élevée. Tradition de forcer les salariés au travail.

Respect de la propriété privée et du travail pour l’acquérir, en tant que valeurs principales.

Séparation des rôles de propriétaire et de dirigeant.

Source : Slobodskoï et Krylov, 2005, p.127.

L’État

La chute de l’URSS représente une faillite de l’État aux yeux des citoyens. L’économie de plan avait orienté les gestionnaires vers une déviation constante et variée des exigences de l’État. À titre d’exemple, les gestion naires étaient responsables devant la loi de la réalisation des plans, ce qui était impossible à accomplir avec les moyens qu’ils avaient à leur disposition. Après 1991, dans les organisations privées, cette attitude s’est transformée en un rejet total de la présence étatique. Pendant cette période transitoire, des fonctions fondamentales de l’État, telles que la protection et le bien-être des citoyens, ont été affaiblies. De plus, les intérêts fiscaux de l’État dans les années 1990 se sont opposés au développement économique, le montant des impôts étant excessivement élevé. Ainsi, ces nombreux changements ont entraîné pour les citoyens une baisse d’estime envers l’État.

V.13 ✦ CULTURE ET gESTION EN RUSSIE 11

Or, celui-ci a toujours été un acteur économique fort, son rôle tradi-tionnel étant celui de consommateur des services et de protecteur paterna-liste. Depuis 2000, faisant appel au bien commun, il exige le respect du gouvernement, des lois et de l’éthique. Il a renforcé la garantie des transac-tions économiques, mettant en avant ses propres structures de force. La personne du président semble incarner l’influence de l’État, et la critique du régime a été neutralisée par la diffusion de l’idéologie nationale. Dans cette logique, le gouvernement se rapproche de l’Église orthodoxe et l’incite à renforcer le fondement moral du monde des affaires. Les efforts déployés actuellement pour valoriser l’État exigent pour les organisations qu’elles fassent preuve de sens éthique dans leur comportement. Cependant, l’in-fluence normative de l’appareil administratif est limitée par son enracinement dans le monde des affaires. En revanche, dans l’application des lois, les intérêts personnels des fonctionnaires se substituent parfois à l’intérêt de l’État.

La loi

Dans les organisations socialistes, la loi jouait un rôle secondaire après l’État et le Parti, mais elle n’était jamais assez respectée. Le Code du travail des temps soviétiques, tout en protégeant socialement les salariés, était l’une des causes de leur manque d’initiative (Kotchetkova, 2003). Il s’est avéré décalé par rapport à l’économie de marché. Traditionnellement faible et intervenant seulement après l’État et la communauté, la loi a été complétée depuis 1991 par des normes élaborées en Occident. Ces normes importées ont été adaptées et donc transformées avant d’être appliquées. Aujourd’hui, ces lois, déclinées en tant que normes du bien commun, s’alignent plus avec la logique de profit qu’elles ne l’encadrent. grâce aux possibilités accrues des instances exécutives, l’application réelle des lois est mise au service des intérêts de ces instances. L’omniprésente logique du profit s’est substituée à l’idéologie de l’autre époque.

L’évolution de la gestion des ressources humaines a exigé la modification des normes du droit du travail. En vigueur depuis le 1er février 2002, le nouveau Code du travail a pour vocation de soumettre au règlement légal les relations professionnelles. L’ensemble des normes « classiques » intro-classiques » intro- » intro-duites au marché du travail est amené à recadrer les relations de travail existantes, une phase d’adaptation s’impose, un effort d’application est à prévoir. Les salariés sont souvent mal informés, voire désintéressés de l’évo-lution du cadre législatif et de la représentation de leurs droits. La place tenue par les syndicats des salariés, d’une part, et par les syndicats patronaux, d’autre part, ainsi que leur rapport est à définir.

12 PARTIE V ✦ PLONgÉES EN EUROPE

La religion

Après soixante-dix ans d’athéisme, la religion a été rétablie depuis une quinzaine d’années, mais elle n’assure pas un fondement moral. D’ailleurs, dans toute la Russie, l’orthodoxie, l’islam et le bouddhisme sont pratiqués. Dans la culture anglo-saxonne, le rôle de l’homme d’affaires fait référence à l’éthique protestante, considérant le travail comme un moyen de service à Dieu. Dans la culture russe, l’orthodoxie proscrivait les passions autres que le soin de l’âme. Réprimée en URSS, l’Église renforce ses positions depuis la chute du régime. La Russie demeurant un État laïque, l’Église orthodoxe se rapproche de l’État et des groupements patronaux. Depuis l’an 2000, le Patriarche figure parmi les dix politiques reconnus comme les plus influents par la presse. Au début de l’année 2002, l’Église a exprimé pour la première fois son désir de participer au développement de l’économie nationale. En 2003, plus de 75 % des entreprises ont mené des activités de mécénat, notamment, lors de la construction de bâtiments de culte. Le 4 février 2004, le VIIIe Concile œcuménique de la Russie, réunissant les représentants de l’Église orthodoxe russe, du pouvoir et des organisations publiques, a voté le « Corps des règles et des principes moraux dans le monde des affaires3 ». Ce document inspiré par les dix commandements de Dieu, dont l’adhésion est proposée à l’ensemble des acteurs du monde des affaires, fait le rappel des normes morales. L’introduction des valeurs éthiques dans la société s’effectue à travers l’identité nationale. L’élaboration du « Corps » se présente sous la forme d’une tentative de construction d’une base éthique de l’économie nationale à travers le rappel des normes. La publication récente d’une dizaine de codes de conduite professionnelle adoptés par divers métiers témoigne que la proposition de l’Église s’inscrit dans une tendance générale.

La propriété privée

De nombreuses analyses historiques constatent que le droit romain de la propriété privée n’a jamais été fort dans l’économie russe et encore moins pendant l’époque soviétique. Les biens de l’État appartenaient à tous et en même temps « à personne ». Le désengagement de l’État en 1991 a donné lieu à la privatisation juridique des entreprises, laquelle a provoqué de nombreux abus à cause, notamment, des « vides juridiques ». Pendant les cinq années qui ont suivi la chute, la forme juridique qui réglementait les

3. Traduction libre de l’auteur. Pour en savoir plus, reportez-vous au site officiel de l’Église russe à l’adresse suivante : http://www.mospat.ru/ (consulté en mai 2007). Vous avez accès à la version anglaise en cliquant sur le drapeau britannique qui se trouve à la page d’accueil.

V.13 ✦ CULTURE ET gESTION EN RUSSIE 13

entreprises et les relations contractuelles a été de fait remplacée par des rapports de force.

Le titre de propriétaire s’est spontanément mélangé avec celui de diri-geant, car dans cet environnement incertain et imprévisible, seul le proprié-taire pouvait prendre la responsabilité des décisions. Le principe d’un contrat écrit est relativement récent en Russie, où les relations d’affaires s’appuyaient traditionnellement sur la parole. En raison des « vides juridiques » et de la faiblesse de l’État qui ont dominé tout au long des années 1990, des struc-tures de force mises au service de la sécurité privée des cocontractants ont servi de garant principal aux transactions économiques. Les dirigeants issus du régime socialiste étaient plus autoritaires que ceux qui ont pris leurs fonctions après (Durand, 1997). Les relations salariales représentaient un contrat implicite ayant tendance à se dégrader en exploitation économi-que.

Le marché libre guidé par la maximisation des profits et structuré par les clans a provoqué la montée massive de la criminalité. Par conséquent, l’image du dirigeant-propriétaire semble perdre sa légitimité en raison des abus qui y sont associés. D’ailleurs, des discussions portant sur la révision des résultats de la privatisation font de temps en temps partie de l’ordre du jour de la Douma d’État et du Parquet. Entre la propriété traditionnellement soumise à la communauté, le paternalisme et la distance hiérarchique élevée, la position du dirigeant-propriétaire est aujourd’hui contradictoire : son pouvoir est graduellement encadré par les normes du bien commun, énon-cées par l’État sous forme de lois et par l’Église, sous forme de règles mo rales. Le rôle du dirigeant-propriétaire dans l’organisation d’aujourd’hui est net-tement affaibli par rapport à celui du début des années 1990.

Selon le schéma classique de Hofstede (1994), la Russie des années 1990 a témoigné d’un niveau élevé de distance du pouvoir, de refus de l’incerti-tude, de collectivisme et de féminité (Fey et Denison, 2003). Les traditions sont prises en compte quand vient le temps d’ajuster l’économie nationale aux modèles transférés et assimilés. Parmi les bases de la discipline que nous venons de définir prédomine l’État ayant tendance à intégrer la loi et la religion et dont l’optique est de limiter le pouvoir du propriétaire.

14 PARTIE V ✦ PLONgÉES EN EUROPE

les tradItIons sovIétIques et le marché concurrentIel

La culture dans l’organisation

L’entreprise peut être déterminée en tant que lieu où se rencontrent et se transforment divers courants culturels issus de groupes sociaux et d’ins-titutions environnantes (Sainsaulieu, 1995). Trois formes de production sociale de culture ont été distinguées : la transmission par les anciens, l’in-fluence normative et l’apprentissage organisationnel. Appliquée aux entre-prises russes, la transmission par les anciens reproduit les traditions soviétiques et postsoviétiques. L’influence normative provient de l’économie mondiale avec les modèles de gestion transférés et assimilés. La troisième forme, l’apprentissage à travers l’expérience vécue, crée des pratiques et des valeurs nouvelles.

Les entreprises exemples

La production sociale de la culture peut être étudiée à travers deux axes extérieurs à l’organisation : les traditions et le transfert des modèles. Les incidences des valeurs relatives à ces axes ainsi que leurs interactions sont illustrées par les exemples. L’enquête qualitative a eu lieu en septembre-octobre 2005 dans trois entreprises de Saint-Pétersbourg et région (Krylov, 2006).− La filiale régionale du groupe de Retail, l’entreprise de commerce de

détail à l’échelle nationale créée en 1994, emploie environ 1 000 salariés (sur 9 000 dans l’ensemble du groupe) dans ses 40 points de vente de nourriture, de biens de consommation et de produits de jardinage.

− L’entreprise industrielle produisant des briques, ayant un effectif d’en-viron 2 000 personnes, a été fondée en 1785. Récemment, elle a vécu un changement de propriétaire et une restructuration.

− L’entreprise industrielle des travaux de cuir créée en 1995 emploie 500 personnes.Ont également fait l’objet d’enquêtes antérieures :

− L’usine de camions, symbole historique de l’industrialisation de l’URSS, fondée en 1925 et implantée à Moscou, emploie aujourd’hui environ 5 000 personnes (Krylov, 2000).

− La distillerie de vodka de la région d’Altaï, fondée en 1868, emploie 350 salariés. Cette entreprise est le sous-traitant d’un groupe interna-tional (Krylov, 2001).

V.13 ✦ CULTURE ET gESTION EN RUSSIE 15

L’impact des traditions

La chute de la façade planifiée de l’URSS a dévoilé des logiques opéra-tionnelles, les projetant dans le marché. L’analyse des interactions (Slobods-koï et Krylov, 2005) permet de supposer comment la dynamique du développement des traditions s’opère. Toute culture d’entreprise est condi-tionnée par le passé soviétique encore récent. Ainsi, l’aversion pour l’incer-l’aversion pour l’incer-titude conduit fortement à formaliser certains processus organisationnels. La distance hiérarchique élevée et le particularisme indiquent qu’une forte centralisation et d’éventuels décalages entre les relations interpersonnelles et les structures officielles constituent une cause des circuits non officiels. Les réseaux relationnels, orientés par les rapports de force et fractionnés en clans, structurent le monde des affaires. Les relations personnalisées condi-tionnent l’éthique paternaliste valorisant l’implication à travers les décisions arbitraires. Le rôle de la confiance interpersonnelle s’avère très élevé dans cet environnement instable où les normes sociales évoluent rapidement. Ainsi, la confiance dans les clans équilibre la défiance vis-à-vis de l’extérieur. Dans cette situation, les normes relationnelles sont ressenties comme supé-rieures à toute autre norme ou loi. Par conséquent, si les valeurs partagées par les membres des clans s’éloignent des normes organisationnelles ou contractuelles, ces derniers ne seraient plus respectés. Donc, les structures et les processus officiels d’une telle organisation sont orientés par des intérêts personnels qui ne sont pas nécessairement convergents avec les objectifs déclarés. Alors, dans cette perspective, la confiance entre les membres d’une organisation constitue une solidarité qui entraîne la corruption.

Les acteurs considèrent qu’un supérieur doit connaître en détail le travail des subordonnés. Le contrôle expert s’ajoute à la relation hiérarchique, témoignant de l’aversion pour l’incertitude. Les niveaux hiérarchiques ont été qualifiés de « pôles opposés » (bureaux et terrain), sinon de « terre et ciel » (bureau régional et siège). Le statut des patrons s’exprime dans le non-respect des subordonnés. La hiérarchie est formalisée dans des règles pour chaque niveau, et ceci se reflète dans le recrutement, la paie et la ges-tion des carrières. Or, l’envie de contrôler toutes les décisions, comme le poids des services périphériques, tend à diminuer la souplesse des organi-sations.

Le fonctionnement à deux niveaux avait déterminé l’équilibre des règles implicites et explicites et l’écart entre les logiques officielle et non officielle. Comparant l’application des règles versus les relations, il s’est avéré que les règles permettent de garder une distance formelle avec les subalternes, le rapport personnel étant jugé naturel entre pairs et bénéfique avec les supé-rieurs. Dans le cas des cinq entreprises étudiées (Krylov, 2006), on peut voir

16 PARTIE V ✦ PLONgÉES EN EUROPE

un bon exemple de cette application des règles, notamment dans l’organi-sation des premiers contacts qui exigeait l’intervention d’un intermédiaire connu des dirigeants. Sinon, l’échange se serait limité à l’instruction de sécurité, et la visite aurait été interdite. Inversement, lors de la signature des contrats à la Distillerie, la qualité des événements prouvant que les parte-naires étrangers avaient été reçus avec hospitalité semble révélatrice pour le rôle de la confiance. L’effort de courtoisie pour engager un lien personnel, coûteux pour l’entreprise, était perçu comme équivalent, voire privilégié par rapport à la partie strictement affaires portant sur l’échange de docu-ments. La confiance, comme croyance dans le comportement présumé de l’autre (Allouche et Amann, 1998), indispensable pour toute relation d’af-faires, est bien représentée dans l’expérience vécue par la Distillerie. Une fois établies, de telles relations demeurent et composent des réseaux informels qui s’enchevêtrent dans l’organisation et s’étendent au-delà. L’accès à ce genre de relations constitue une ressource difficilement contrôlable et peut être mis au service des objectifs organisationnels ou personnels. Le marché appliqué à des structures claniques transforme le lien social personnifié en une source potentielle de profit. Si en URSS, les relations informelles assu-raient le fonctionnement des structures centralisées, aujourd’hui, c’est un moyen de gagner de l’argent.

Le fonctionnement des clans

Initialement orientés par les rapports de force en tant que garantie des transactions, les réseaux informels se sont structurés en clans dans l’écono-mie de marché. Ceci a eu pour conséquence de placer certains responsables prêts à sacrifier les tâches organisationnelles à leurs intérêts devant un pro-blème de loyauté envers les propriétaires. Face à cette menace, le recrutement des membres de la famille, des amis ou des collègues proches des positions clés constitue souvent la solution pour le chef d’entreprise. Par opposition aux valeurs individualistes, le lien clanique s’appuie sur des relations de confiance interpersonnelle liées à une même origine personnelle, ethnique ou communautaire (Allouche et Amann, 1998). L’éthique stricte des rela-tions entre les proches les amène souvent à considérer les autres comme des « étrangers » avec lesquels tout est permis (Oleinik, 2001). Depuis que le marché a remplacé le système planifié, les clans ont dû s’adapter à la rupture : ils ne sont pas enfermés à l’intérieur des organisations, mais traversent les milieux des affaires (Cheloukhine et King, 2007). Les possibilités d’accès aux milieux supérieurs, indispensables pour le développement des projets, sont réservées aux proches. Le réseau social ouvert est plus efficace que s’il est fermé (granovetter, 1983). Or, des liens forts constitués autour des clans

V.13 ✦ CULTURE ET gESTION EN RUSSIE 17

ont tendance à réduire l’importance des liens faibles, orientés vers l’extérieur, et de limiter ainsi le potentiel qu’offre le réseau social (Uzzi, 1999).

Dans le groupe de Retail, au contraire, le recrutement des proches est interdit (à l’exception des propriétaires dirigeants) : « Il vaut mieux refuser un proche de qualité que de laisser apparaître une corruption » (le DRH4). La corruption est donc l’aspect négatif de la confiance utilisée pour accorder les intérêts des salariés au détriment des objectifs et de la structure organi-sationnelle. Le groupe est forcé de détruire la confiance pour faire respecter les engagements des acteurs.

Le paternalisme dans l’entreprise

Les ouvriers « croient qu’ils sont en URSS et que quelqu’un viendra se charger d’eux, bien qu’ils soient livrés à eux-mêmes il y a longtemps » (le DRH). Cette affirmation correspond à la définition du paternalisme pris dans le sens de dépendance personnelle, acceptée par les dirigeants et par le personnel, quand un subalterne « délègue » au patron la responsabilité de ses choix dans une organisation, et même à l’extérieur (Temnitskii, 2004). Dans ce nouveau monde qu’est la Russie postsoviétique, l’orientation pater-naliste des subordonnés accentue la faiblesse des faibles. Des individus deviennent à plus ou moins long terme inaptes à décider pour leur propre compte, ce qui est incompatible avec le développement des organisations dans le marché concurrentiel. Inversement, si un dirigeant occupe un poste depuis longtemps, il se sent responsable de son effectif, ce qui peut atténuer les conséquences des restructurations sur le plan de l’efficacité, car « aban-aban-donner les nôtres à leur sort » contrarie les responsables. La dépendance personnelle est continue dans le temps : les horaires existent presque exclu-sivement sur papier. Les salariés, dont la contribution est évaluée arbitrai-rement, sont censés être disponibles à tout moment et autant que le supérieur estime nécessaire. D’une part, cette relation néglige certaines règles dont l’impact est minime : nous avons rencontré des salariés à aptitude limitée par l’alcoolisme cependant retenus par la direction aux positions clés. D’autre part, la direction est tentée d’abuser de la situation, compte tenu de l’absence de contrôle officiel. Les incitations et les sanctions ne répondent plus aux objectifs organisationnels, démotivant et conduisant des supérieurs comme des subordonnés aux abus.

4. C’est le directeur des ressources humaines (DRH) qui parle.

18 PARTIE V ✦ PLONgÉES EN EUROPE

L’évaluation des compétences

L’environnement social et institutionnel ne garantit pas le respect des normes. garants uniques des transactions dans les années 1990, les services de sécurité continuent à combler les « vides juridiques » et à s’opposer à l’environnement incertain. Leur rôle dans le recrutement est éclairant : la sélection inclut une épreuve d’évaluation de la réputation du candidat invité à présenter les recommandations des employeurs antérieurs. Or, la portée de l’informel suppose un contrôle ajusté : le service de sécurité vérifie le dossier des candidats aux postes de base pour s’assurer qu’il n’y a pas eu d’absentéisme, de vols, d’alcoolisme dans leurs emplois précédents et d’in-carcération dans leurs parcours. Cette discrimination fournit pourtant l’outil obligatoire, faute de normes établies, solides et respectées. Au début de son intégration, le candidat est contraint par des prescriptions. Pour établir le lien de confiance avec son employeur, un novice, s’il n’appartient pas aux proches, doit prouver ses qualités professionnelles et sa loyauté.

Le marché du travail monopsone (Linz, Semykina et Petrin, 2006) connaît des pénuries causées par l’inadéquation entre la demande et les écoles qui, pour attirer les étudiants, offrent des programmes d’études menant à des professions « prestigieuses » déjà surproduites. Inversement, celui qui possède une spécialité pointue devient aussitôt un point de concur-rence : les entreprises entrent en partenariat avec les écoles, pour anticiper la demande de compétences, par des stages suivis du recrutement. Or, la plupart des entreprises mettent sur pied des centres de formation : deux types de stratégies ont été observés.

Dans le premier cas, le groupe de Retail recrute les caissiers et les sala-riés de base et les paie au salaire moyen en vigueur dans le domaine de Retail à Saint-Pétersbourg. L’image d’un vendeur, associée aux abus de l’époque soviétique, repousse les citoyens « aisés » de Saint-Pétersbourg. En consé-aisés » de Saint-Pétersbourg. En consé-» de Saint-Pétersbourg. En consé-quence, le groupe vise des candidats originaires de la « périphérie » désireux de s’installer « au centre » et les forme gratuitement (sans remboursement, en cas d’échec ou d’abandon) : « Ils suivent une formation et un stage, passent un concours et signent un contrat s’ils réussissent » (le DRH). Avec un taux de rotation de 30 %, le groupe offre l’éducation gratuite aux concurrents avec un salaire et des exigences plus élevées. Dans le deuxième cas, l’entreprise recrute des ouvriers formés spécifiquement pour l’industrie, avec des salaires supérieurs à la moyenne et leur enseigne les métiers con-nexes dans la logique de la polyvalence. Le centre interne de formation dispose de licences pour l’enseignement d’une trentaine de métiers, ce qui permet de créer de la valeur par la formation des ouvriers provenant d’autres entreprises. Des compétences produites en interne sont ensuite diffusées

V.13 ✦ CULTURE ET gESTION EN RUSSIE 19

grâce à la mobilité. Il est à noter que les compétences recherchées circulent dans des réseaux relationnels entre services du personnel, alors que les métiers « ordinaires » sont éjectés vers le marché du travail. Les organisations, ame-nées à élaborer et à diffuser les nouvelles valeurs et pratiques dans la société, comptent sur elles-mêmes ou sur ses partenaires connus. L’appartenance à la communauté permet de fonctionner dans cet environnement instable.

Le transfert des modèles de gestion

La régulation dans l’entreprise avait pleinement subi les conséquences du bouleversement de la base normative de gestion. Depuis que l’économie s’est ouverte, les entreprises nationales et émergentes entrent en contact avec leurs homologues étrangers, et les chocs culturels sont nombreux. Des organisations russes sont mises sur pied ou progressivement ajustées selon les besoins identifiés pour répondre aux nouvelles conditions de fonction-nement. Le développement dynamique et spontané des firmes, la mobilité élevée et la progression rapide de la carrière indiquent l’influence anglo-saxonne (Ouchi, 1981). Thévenet (1993) suggère que la culture d’une organisation ne peut être changée qu’à deux conditions : que l’existence même de cette organisation soit menacée et que cette menace soit comprise par l’effectif. L’incertitude rend fragile toute organisation en Russie. Ce fait est compris par les dirigeants dont la plupart adhèrent aux changements. Depuis l’ouverture à l’économie de marché, la concurrence a fait de l’effi-cacité, devenue une question de chiffre d’affaires, la condition de survie. L’insuffisance des performances en matière de production des entreprises socialistes, face à l’économie de marché, en a motivé la rationalisation.

Les frontières se sont ouvertes à l’information dont la circulation libre favorise le transfert des modèles de gestion. Les médias diffusent les valeurs de la culture « universelle » d’inspiration étatsunienne. Les éditeurs d’ou-vrages scientifiques traduisent en russe les théories et les méthodes de gestion associées à ses valeurs. À défaut des normes soviétiques qui ont disparu ou qui ont été consciemment rejetées, la régulation normative vient de l’étran-ger par la voie du transfert de la connaissance. Dans ces conditions, les dirigeants vont adopter un comportement de mimétisme (Allouche et Amann, 1998) pour résoudre un problème dont les causes seraient obscures ou les solutions, inconnues. L’assimilation des modèles de production n’est pas un phénomène nouveau dans l’économie russe : des entreprises sovié-tiques ont emprunté la technologie, mais aussi les principes de gestion scientifique pendant la période de l’industrialisation des années 1930. Aujourd’hui, le monde des affaires anglo-saxon est devenu la référence

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comportementale pour un grand nombre de décideurs. Le comportement, reproduit par les subordonnées, se diffuse le long des lignes hiérarchiques et à l’extérieur. Par ailleurs, l’appel aux investissements en tant que moyen de redressement de l’économie exige un certain degré de conformité aux normes occidentales.

Le mode de compétition dans lequel sont engagées les entreprises – par la qualité, les délais, la variété des produits et l’innovation – a une influence déterminante sur la définition de l’efficacité. La réussite des entreprises est conditionnée par une refonte de la gestion de la main-d’œuvre ainsi que par le style de gestion au sens large : méthodes de direction et d’organisation du travail, pratiques de stimulation et de contrôle du personnel (Durand, 1997). Afin de maintenir son fonctionnement et de réussir, les organisations en Russie ont été amenées à modifier constamment les normes de leur fonc-tionnement. Des « nouveaux » métiers comme le marketing, la gestion des investissements et la représentation commerciale n’avaient aucune base sco-laire et ont été orientés presque exclusivement par l’influence normative.

La concurrence et les performances

Si, dans l’économie soviétique, l’organisation a été uniquement chargée de l’élaboration d’un produit ou d’un service, l’économie de marché exige d’elle d’autres fonctions. L’exemple de la Distillerie met en évidence l’in-fluence structurante du marché : l’augmentation des ventes et la concurrence pour le profit. L’image du client, absente en URSS, s’est progressivement dessinée derrière le succès des transactions économiques. Le directeur a su répondre aux contraintes par son ouverture aux technologies et aux mé thodes d’organisation nouvelles. Après la chute de l’économie de plan, la crise entourant le service de livraison a été réglée grâce à des achats de grains dans les kolkhozes voisins; ce fait vient confirmer la capacité d’adaptation de la Distillerie. Or, les achats directs ont simplement rendu légaux des échanges habituels qui étaient considérés comme illégaux en URSS5 : « Il était parfois possible d’acquérir une caisse de grains contre une bouteille de vodka » (un ingénieur). Ensuite, parallèlement au développement du marché de l’alcool, la Distillerie a créé l’industrie de la vodka. Elle a donc intégré la chaîne de production jusqu’aux ventes à haute valeur ajoutée. Enfin, les ventes di rectes ont permis de pénétrer le marché traditionnellement saturé de la région grâce aux nouvelles marques de vodka. Même si certains villages de la région

5. Jusqu’en 1986, tout moyen de production ou produit fini sans exception était considéré comme propriété d’État et mis à la disposition des citoyens pour l’accomplissement des objectifs planifiés par le Parti communiste. Tout autre usage des moyens de production ou des produits était considéré comme un abus ou un vol de la propriété de l’État.

V.13 ✦ CULTURE ET gESTION EN RUSSIE 21

n’étaient pas suffisamment approvisionnés en vodka, en Russie, et plus particulièrement dans les zones rurales, un tel déficit est traditionnellement dépanné par les produits « domestiques ». La création de ces nouvelles valeurs confirme le changement de cap de l’entreprise où, pendant 70 ans, la notion de « ventes » a signifié « livraisons ».

En raison du contrôle paternaliste, les points clés de la chaîne des nou-velles valeurs, c’est-à-dire les ventes et la qualité de production, sont forte-ment surveillés par la direction. Ce modèle de gestion mise avant tout sur son pouvoir de récompense et de coercition. Ceci se concrétise par des formules salariales qui consistent à récompenser un niveau d’effort par un mode de rémunération. Cette même politique s’applique aux cadres sous la forme d’une individualisation des salaires. Les modèles de rationalisation de l’organisation du travail vont même jusqu’à formaliser et à codifier les techniques de gestion du personnel, que ce soit pour les grilles salariales, pour les courbes de rendement ou pour les plans de carrière. L’autorité s’abrite ici derrière des techniques qui tendent à dépersonnaliser les relations de travail. Ces techniques de gestion du personnel servent à réguler les comportements au travail par le renforcement d’une discipline industrielle : l’efficacité en est testée par la diminution de l’absentéisme, mais aussi par une plus grande rigueur dans les contraintes (Durand, 1997). Si, à l’époque soviétique « on n’y trouvait que des alcooliques et des ivrognes » (un ingé-on n’y trouvait que des alcooliques et des ivrognes » (un ingé-» (un ingé-nieur), en 2001 au village, seule la Distillerie a été apte à rémunérer le travail. C’est le directeur qui décide de la fermeté des normes : « En cas d’absentéisme, d’ivresse ou de retards, après deux avertissements, un salarié est viré » (le directeur). La « main de fer », dans l’optique du contrôle, fait de la centralisation une stratégie de changement (Durand, 1997).

De la planification à la stratégie

L’image du client se dessine graduellement au fur et à mesure que les ventes augmentent. La séduction de la clientèle face à la concurrence favo-rise le souci de la qualité. Le développement autonome des puissances industrielles et l’implantation des nouvelles technologies sont devenus un critère de survie. À la Distillerie, l’application stricte des normes d’État (gOST hérités de l’URSS) à la technologie est devenue le facteur principal de la qualité. Or, le contrôle de la qualité a permis d’acquérir et d’assimiler la technique de dégustation d’alcool et de vodka, lors de l’alliance avec une multinationale qui a été conclue en vue de pénétrer les marchés national et international.

22 PARTIE V ✦ PLONgÉES EN EUROPE

Dans les années 1990, on qualifiait la planification de « vestige sovié-vestige sovié-tique ». Depuis, elle a été restaurée et maintenant, on parle de stratégie. Il est à remarquer que les « anciennes » entreprises se projettent aujourd’hui dans l’avenir et se voient dans cinq ans, et même dans vingt-cinq ans, alors que les « nouvelles » ne formalisent pas la stratégie ou ne la communiquent pas à leurs effectifs. Le rôle du marketing est estimé inférieur à celui des ventes, ce qui reflète la nature des transactions : une partie des marchés du type B to B, ou commerce interentreprises, est constituée autour des réseaux qui se substituent au commerce ouvert canalisant ainsi un volume élevé de ventes. Aux marchés émergents, il est relativement facile d’acheter et de vendre; parfois, les ventes se passent d’une analyse de marché. Les services de transport et de logistique qui ont toujours fait partie des entreprises soviétiques demeurent sous contrôle direct. Aujourd’hui, dans l’optique de réduction des coûts, les services en question ont tendance à être externalisés. Au début des années 1990, les comptables faisaient partie d’un contingent recherché apte à manier l’argent. Au fur et à mesure de la légalisation des transactions d’une part, et de l’assainissement des pratiques concernées de l’autre, la comptabilité a repris sa place habituelle. L’importance du service après-vente a été estimée comme la moins élevée : sur le marché croissant, baisser un prix apporte plus que de modifier l’offre.

De l’administration du personnel à la gestion des ressources humaines

Dans les organisations socialistes, l’administration du personnel était fortement bureaucratisée. Après la chute de l’URSS, le facteur humain en organisation se composait essentiellement de relations personnelles, ce qui limitait le rôle de l’administration du personnel à la gestion des documents. Dans ces conditions de « vides juridiques », ce sont les services de sécurité qui contrôlaient le personnel au début des années 1990. De plus, une grande partie de la main-d’œuvre n’était pas déclarée, ce qui diminuait également le poids de la fonction « personnel ». Depuis quinze ans, en Russie se déve-loppe un marché du travail où l’employeur et le salarié sont libres de se choisir l’un l’autre. Leur partenariat est basé sur le respect réciproque des engagements et est ratifié par un contrat de travail. L’économie de marché contribue à clarifier et à préciser les responsabilités individuelles et collec-tives, ce qui suppose un rapport d’équivalence plus ou moins équitable entre le travail fourni et le salaire reçu (Le goff, 1997). Le besoin émergent de gestion des compétences contribue à la mise en œuvre d’outils classiques de gestion des ressources humaines : les procédures de sélection et de recrute-ment, les études de postes, les grilles de classification, les plans de carrière,

V.13 ✦ CULTURE ET gESTION EN RUSSIE 23

les programmes de formation. La transformation de la gestion maison du personnel en outils de ressources humaines nous indique que l’entreprise considère désormais la fonction comme un aspect stratégique et qu’elle endosse la responsabilité de ses résultats.

Les interactions

Le dogme socialiste fondé sur le travail collectif (le mythe d’une société sans classes) a cédé la place à la glorification de l’initiative personnelle dans le travail, orchestrée par le modèle de gestion occidental (Le goff, 1997). Néanmoins, cette gloire a tendance à disparaître rapidement quand les acteurs s’aperçoivent qu’efficacité signifie aussi soumission à un ordre auto-ritaire et à la loi du rendement. Les entreprises socialistes mettaient en valeur l’esprit de coopération et un soutien culturel créant ainsi une sécurité col-lective, ce qui était à l’opposé de l’esprit de compétition et du carriérisme des entreprises occidentales (Durand, 1997). Or, le rejet des normes idéo-logiques en faveur des lois semble être un point difficile d’application et conduire à l’anomie dans les relations professionnelles. Le rétablissement de la base législative en tant que régulateur des conduites se heurte à des difficultés. Dans les faits, les normes rejetées ne sont pas remplacées. D’abord, le respect de la loi exige un système cohérent de pouvoir, ce qui est loin de la réalité. Ensuite, son exécution suppose un niveau de corruption inférieur au niveau actuel. Une baisse de corruption exigerait la présence dans les organes exécutifs d’individus formés à suivre la loi et habitués à être rétribués pour cela. Le système actuel de formation, structuré par le profit, ne permet pas de former, de motiver et de rétribuer ces personnes. Enfin, les individus formés depuis 1991 n’ont pas adopté une règle formelle quelconque. En fin de compte, une règle est respectée en fonction de sa valeur ou d’éventuelles sanctions. L’« homme postsoviétique » semble ne pas avoir intériorisé un système de normes déterminé; son comportement dépend de facteurs situa-tionnels. Les exemples présentés au tableau V.13.4 vont illustrer les confi-gurations des valeurs et des pratiques qui ont été envisagées sur le terrain.

24 PARTIE V ✦ PLONgÉES EN EUROPE

tableau V.13.4LeS exempLeS deS inteRactionS entRe

LeS tRaditionS et LeS innovationS

écart des valeurs déclarées et partagées

La confrontation des logiques

Flexibilité et compromis

Les certifications

Les syndicats

La gestion stratégique des compétences

Le clan versus la perfor-mance

La gestion mécaniste versus le paternalisme

La confiance, la rationalité et le marché

L’industrie, le marché et les relations

L’adaptation, le contrôle et le rendement

L’écart entre les valeurs déclarées et partagées

Le discours officiel sonne « idéaliste » : toutes les entreprises affirment qu’elles sont en conformité avec la législation et les normes de sécurité au travail, et déclarent un taux négligeable d’accidents. Les difficultés men-tionnées se rapportaient à des facteurs externes ou, à la limite, étaient considérées comme des faits survenus dans le passé. Le croisement d’infor-mations a démontré qu’il y a souvent un décalage entre le discours officiel et les faits réels. Les exemples suivants concernent les certifications, le dia-logue social ou encore la gestion des compétences et mettent en évidence les effets de cet écart.

Exemple 1 : Les certifications

Licences, diplômes et certificats de qualité occupent la place centrale dans les présentations commerciales des entreprises, ce qui contribue à créer une image favorable à l’augmentation des ventes. Cependant, pour nos interlocuteurs, l’importance du laboratoire et du service de la qualité vient en dernière place des priorités. Ce décalage donne une bonne idée de la pratique de l’achat des licences et des certifications versus leur obtention par la preuve du respect des normes. Le maintien de la qualité demande un investissement peu voulu par la direction, d’où le risque qu’un effort pour la qualité soit substitué par un pot-de-vin au fonctionnaire ou au consultant en charge de l’audit. Inversement, la réponse aux attentes personnelles de l’auditeur influence notablement son évaluation dans un bon ou un mauvais sens : l’arrangement avec lui représente une solution efficace et peu coûteuse pour l’entreprise. Simultanément, la concurrence exige le maintien de la

V.13 ✦ CULTURE ET gESTION EN RUSSIE 25

qualité. Dans les faits, le maintien de la qualité et son contrôle sont situés à deux pôles différents de l’organisation : alors qu’un certificat orne la façade, la pratique traditionnelle isole la pratique innovante, et ces deux logiques n’entrent pas en contact.

Exemple 2 : Les syndicats

Dans les années 1990, les « anciennes » entreprises ont réduit leurs effectifs sans faire de protestations ou de grèves. Les syndicats demeurent au sein des entreprises depuis l’époque de l’URSS quand ils étaient respon-sables des larges systèmes des avantages sociaux. Le nouveau Code du travail prévoit le dialogue social entre la direction et les syndicats qui sont censés représenter le personnel. Dans les domaines considérés comme stratégiques, les négociations sociales sont tripartites : elles incluent aussi un représentant du ministère du Travail. Conformément à la législation, les accords collec-tifs résultant des négociations sont aujourd’hui signés au niveau des entre-prises et des branches. Mais ni conflits ni négociations n’ont été repérés : la direction et les syndicats affirment qu’ils « travaillent ensemble ». La présence des syndicats est souhaitable pour le respect des lois. Dans les faits, leur connivence avec la direction aménage des « superstructures du sommet ». Plutôt que de représenter le personnel, les institutions sociales servent les intérêts de ceux dont la position permet d’influer sur les règles (Medvedev, 2002, p. 32). Le syndicat joue également le rôle de « psychologue » : à l’entreprise produisant des briques, « c’est l’endroit, où chaque membre peut venir pour s’exprimer, pour blâmer les chefs » (responsable du syndicat). Et c’est sans conséquence ni pour lui ni pour les chefs. La participation au syndicat protège contre tout licenciement, mais les salariés ignorent ce soutien, sachant qu’il n’a pas d’impact sur les mécanismes informels. Le recours au dialogue social est limité, ce qui peut aboutir à l’exploitation sans scrupule de ceux qui ne peuvent pas partir et que le syndicat devrait proté-ger. En fait, s’écartant des relations professionnelles où il devrait représenter l’intérêt des salariés, ce « dialogue social » s’intègre dans le schéma syndical traditionnel où il renforce les positions de la direction.

Exemple 3 : La gestion stratégique des compétences

En raison de l’importance du recrutement aux positions stratégiques, ce sont les proches qui sont le plus souvent engagés. Un décalage peut survenir entre les compétences des jeunes du clan et la confiance qui leur est accordée. À présent, la planification des profils de compétences faite dans un cadre de gestion prévisionnelle permet aux dirigeants de « se préparer

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des successeurs ». Ainsi, ils peuvent s’assurer que la formation suivie par leurs enfants sera requise par l’organisation à la fin de leur cours universitaire. Les diplômes des professions « à haute valeur ajoutée » sont acquis avec une garantie officieuse d’emploi. L’enracinement des clans reproduit le modèle des élites qui bénéficient de la confiance et des compétences, ce qui est discriminatoire pour d’autres strates sociales et bloque la mobilité verticale. Cette innovation qu’est la gestion des compétences ne s’exerce que dans les déclarations officielles alors que dans les faits, son contenu stratégique est mis au service des clans.

À défaut d’interactions, les innovations officielles sont isolées des pra-tiques par les traditions. Dans l’entreprise dominée par le paternalisme clanique, la transformation de la régulation sociale vers l’éthique contrac-tuelle passe par le négativisme normatif, lequel est la cause de l’écart qui se creuse entre les valeurs partagées et déclarées. Le « vide normatif » mène à des arrangements privés concernant le régime de travail, la rétribution, l’évaluation des résultats et certains autres aspects organisationnels. Ce système ne permet pas l’application d’exigences normatives homogènes et communes à tous les membres, et ce, dans l’ensemble de la gestion des ressources humaines, qu’il s’agisse de l’évaluation des qualifications, de la rétribution et de la motivation, de la discipline au sens propre. Les relations professionnelles constituent de plus en plus un rapport d’échange qui ren-force la culture clanique : les gestionnaires et les salariés accordent leurs intérêts au détriment des intérêts du propriétaire ou des actionnaires. Les cultures des entreprises reflètent ainsi le lien social dominant : la première conséquence pourrait être l’insuffisance des investissements dans l’économie nationale.

La confrontation des logiques

Des logiques divergentes dans un contexte commun obligent les acteurs à choisir leur comportement. C’est ainsi que la résistance culturelle prend de l’ampleur en fonction de la compatibilité des logiques : l’assimilation des innovations n’ayant pas de base traditionnelle peut rencontrer des obstacles. Voici quelques exemples :

Exemple 1 : Le clan versus la performance

Un changement de propriétaire suivi d’une restructuration et d’un mixage des effectifs a confronté des logiques en entreprise industrielle. Le personnel a été « sassé » : les proches ont obtenu des positions clés, et les anciens, devenus étrangers, ont vu leurs pouvoirs diminuer. La nouvelle

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direction a proposé aux ouvriers de démissionner volontairement, pour les recruter aux conditions identiques dans la nouvelle entité juridique. Cepen-dant, lors du recrutement, les ouvriers ont touché un salaire inférieur. Ils ont été traités comme des étrangers. Or, dans cette entreprise qui venait d’être vendue, le climat social n’est pas prioritaire : certains exclus de l’élite sont prêts à tout pour se rapprocher des nouveaux patrons. Cette ambiance entraîne des pertes de personnel spécialisé : la gestion des compétences est sacrifiée à la loyauté. Le raisonnement de l’entreprise à propos du marché se fait au détriment de sa propre efficacité : le clan ignore les relations contractuelles qui avaient été construites par le propriétaire précédent.

Exemple 2 : La gestion mécaniste versus le paternalisme

Lors d’une visite, nous avons été frappés par le contraste entre la splen-deur des bureaux et l’état du bâtiment qui abrite, entre autres, l’entreprise observée. L’ambiance à l’entrée laisse supposer que cette firme est indifférente à son environnement, même le plus proche : les clients ne passent pas par cette porte, son état n’a donc pas de conséquences sur les profits. Des inves-tissements internes sont dirigés dans les ventes et la production. À défaut de rationalité s’applique l’approche soviétique : les choses publiques n’ap-partiennent à personne. Elles sont donc étrangères et ne méritent pas d’effort. L’entreprise a tendance à appliquer à ses effectifs un raisonnement comparable : l’élément indispensable et onéreux de la production, la main-d’œuvre, est aliénée par la gestion mécaniste visant la réduction des coûts. Ici, la gestion scientifique au service d’un clan dirigeant bouscule la respon-sabilité paternaliste du personnel, allant jusqu’aux manquements à l’hygiène industrielle. À leur tour, les salariés perçoivent l’entreprise comme étrangère : ils remplissent leurs engagements, mais ils cherchent à diminuer leur contri-bution et sont prêts à abuser des ressources pour leur profit personnel au détriment des tâches organisationnelles. Le profit à court terme repousse la vision stratégique : une meilleure attention portée aux salariés pourrait augmenter le rendement au travail.

Quant aux gestionnaires, le conflit naît de la confrontation entre deux logiques contradictoires. L’évolution des valeurs oppose, d’une part, la tradition communautaire basée sur la confiance et, d’autre part, la moder-nité individualiste qui les harnache en mettant sous contrat leurs pouvoirs. Toute exigence est susceptible de devenir un sujet de négociation, l’éventail des désaccords s’étend des horaires de travail aux droits de propriété d’une entreprise. Inversement, un gestionnaire n’a pas de base pour exiger le res-pect des règles. La norme exigée au nom d’un propriétaire se heurte à la

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haine vis-à-vis de l’exploitant, qui perdure depuis les débuts du socialisme il y a soixante-dix ans. Exigée par le gestionnaire personnellement, la norme devrait s’appuyer sur son charisme. Or, les personnages charismatiques préfèrent se réaliser en tant qu’entrepreneurs; on ne les retrouve pas souvent parmi les gestionnaires. L’exigence fondée sur l’argumentation fonctionnelle est difficile à accorder, vu la divergence des logiques. Enfin, la menace d’une sanction, dont la plus sévère pourrait être le licenciement, se heurte à l’état du marché du travail. Dans des conditions de déficit de la main-d’œuvre qualifiée, c’est plutôt l’entreprise qui prend le risque en cas de dispute avec un spécialiste. Des spécialistes qualifiés lui imposent donc leurs normes comportementales.

Flexibilité et compromis

Le passé, le marché et les contraintes de production correspondent à des registres dont la divergence oblige les acteurs à s’expliquer, à se justifier ou encore à prendre de la distance. Derrière l’immédiate adhésion et le caractère supposé automatique des conduites se dévoile une séparation entre la subjectivité de l’individu, ses anticipations et l’objectivité de ses rôles sociaux et professionnels (Pierre, 2003). Des tensions relèvent de la différence des logiques, qui peuvent toutefois interagir, à condition que dans un contexte commun, un acteur sache les équilibrer plutôt que d’en privilégier certains au détriment des autres.

Exemple 1 : La confiance, la rationalité et le marché

Prenons le cas de cette distillerie de type paternaliste qui est implantée dans un village éloigné des influences socioéconomiques. La structure sociale du village représente trois catégories : la direction de la Distillerie, ses sala-riés et les autres. L’enracinement des clans structure l’élite, chaque clan occupe sa place et chaque acteur tient à sa position, car vu l’absence de possibilités, une carrière est limitée à une entreprise. Lors d’une recherche d’alliés, le directeur a su comprendre la logique d’une multinationale et l’attirer pour la sous-traitance : l’accent sur la qualité a fini par établir la confiance. Dans l’incertitude du marché, la multinationale apprécie son partenaire suffisamment pour adhérer à ce qui constitue la base de leur coopération, c’est-à-dire un compromis entre la confiance personnelle et la rationalité. Du côté de la Distillerie traditionnelle, le compromis entre le paternalisme clanique industriel et le marché international s’appuie sur le directeur qui « interprète » ces logiques.

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Exemple 2 : L’industrie, le marché et les relations

Le cas de l’Usine de camions met en évidence certaines difficultés sur-venues lors de l’implantation ciblée des nouvelles méthodes techniques imposées par le marché. D’une part, prendre des décisions et les réaliser de façon autonome a représenté un défi sérieux. D’autre part, l’équipement de l’Usine, limité à la fabrication d’un seul type de produit, nécessitait de lourds investissements. Enfin, les conséquences de l’hyperinflation sur la situation financière freinaient le changement. Le responsable de l’innovation a trouvé une solution en utilisant ses contacts : des échantillons expérimentaux ont été élaborés à l’atelier mécanique du rallye, situé dans l’usine, mais ne faisant pas partie de celle-ci. Ce compromis des logiques industrielle et marchande (Boltanski et Thévenot, 1991) appuyé par le réseau relationnel a contribué à surmonter l’inertie des traditions.

Exemple 3 : L’adaptation, le contrôle et le rendement

Dans des organisations à orientation marchande, la centralisation peut contrarier le rendement. Ainsi, le siège du groupe de Retail bombarde la filiale régionale de notes prescrivant des changements. Or, la compétition pour une part de marché ne laisse pas aux gestionnaires du temps pour effectuer les modifications. Les prescriptions sont perçues comme du gas-pillage de papier et restent souvent lettres mortes : « L’ordre doit se trouver dans le bureau. On travaille selon le principe “ce qui n’est pas interdit est autorisé” » (le DRH). Pour autant, le siège social exige le chiffre d’affaires et contrôle la filiale régionale à travers l’allocation des moyens précisés dans le budget. La filiale est obligée d’improviser, mais ceci doit se faire en accord avec le fondateur : « S’il y a le résultat, tu as raison. Sinon, tu as tort. Je suis pour les gestionnaires qui font à leur façon avec le résultat » (le fondateur). Le groupe s’est développé dans la logique clanique : le siège social est constitué des proches du fondateur, qui sont élèves de la même école. Mais au fur et à mesure de la croissance du groupe s’est dessiné un besoin d’or-ganisation précis : « Nous faisons toujours des expériences : essayons les systèmes fonctionnel et matriciel, par processus, par produit » (le DRH). Les bureaux régionaux et les surfaces sont soumis aux règles. Or, la tolérance de l’initiative créatrice du résultat encourage l’établissement d’un partenariat entre les propriétaires et les gestionnaires. Le fondateur comprend la portée de l’initiative sur le marché émergent et laisse à la direction une marge de liberté, typique au modèle stratégique d’adaptation (Schneider et Barsoux, 2003). Le compromis entre l’adaptation et le contrôle se développe dans la logique du profit, partagée par l’ensemble du groupe.

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Les nouvelles relations professionnelles reflètent un compromis où l’acceptation du stress de la productivité contre un niveau de vie meilleur et des espoirs de carrière remplace l’acceptation d’un niveau de vie médio-cre contre un travail tranquille, mais assuré (Durand, 1997). L’organisation du travail peut s’appuyer sur une coercition économique, une dépendance personnelle ou une logique rationnelle, laquelle semble la seule apte à ren-forcer des relations contractuelles. L’évolution est fondée sur les compromis entre les logiques. L’adaptabilité est essentielle à l’efficacité (Fey et Denison, 2003) : si une organisation devient inefficace, les dirigeants et, souvent, les propriétaires perdraient de l’argent et du pouvoir. Or, les dirigeants sont à la source des règles : la réussite dépend de leur compréhension des logiques opérantes, ainsi que de leur capacité d’adaptation aux contextes divergents, et ceci, grâce à un équilibre dynamique des comportements.

comprendre les russes

établir le contact

En Russie, quand on veut nouer des contacts et accéder aux décideurs, on s’impose l’intervention d’un intermédiaire connu des partenaires visés. Son intervention garantit la bonne foi de la personne que l’on veut intro-duire, avant que le côté russe puisse en constituer sa propre impression et éventuellement entreprendre une expérience commune avec lui.

Un grand écart sépare les niveaux de vie et de salaire du « centre » incarné par Moscou et Saint-Pétersbourg ou d’autres grandes villes et de la « péri-péri-phérie » représentée par les zones rurales. La maîtrise de l’anglais est pro- » représentée par les zones rurales. La maîtrise de l’anglais est pro-gressivement reconnue comme indispensable pour tout gestionnaire. Cette tendance vient du « centre », où un nombre croissant de décideurs parlent anglais. Or, dans des petites villes ou des zones rurales, un interprète peut être indispensable, car dans le langage des transactions économiques, les échanges et les questions se font sans intermédiaire. Des affirmations pour-raient contenir un double sens ou une allusion, mais l’interlocuteur est le plus souvent invité à partager un contexte d’interaction. Aussi, celui-ci aurait du mal à imposer ses points de vue, comme dit le proverbe : « On n’entre pas avec sa règle dans un monastère étranger! »

La centralisation et l’importance des relations personnelles poussent les décideurs à consacrer leur temps aux contacts externes, plutôt que de les déléguer aux subordonnés. Les femmes d’affaires étrangères ne connaissent pas de problèmes particuliers en Russie, bien que généralement elles n’aient pas atteint les positions les plus élevées dans l’économie nationale. Lors de

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la première rencontre, s’il y a incertitude concernant le statut d’un repré-sentant d’une organisation étrangère, il sera reçu par un responsable hau-tement placé. Une première impression permettra (ou non) de garder le contact avec le ou les décideurs, pour la suite de la coopération. L’application variable des règles indique que le partenaire est sous constante évaluation. La qualité de l’accueil et le statut de l’interlocuteur sont les indices dyna-miques de l’état des relations. L’accueil que fait l’organisation dépend lar-gement du statut de l’interlocuteur qu’elle reçoit.

Lors des réunions d’affaires, la tenue officielle est obligatoire au moins pour le premier contact. Le respect formel des statuts hiérarchiques exige l’utilisation du nom complet (prénom avec patronyme en russe ou Monsieur plus le nom). Le nom complet doit être employé jusqu’à ce que le partenaire propose éventuellement de l’appeler autrement. Dans les négociations, il vaut mieux s’adresser à l’expérience commune (« nous avons décidé ensem-nous avons décidé ensem-ble ») pour valoriser le contact établi avec un collègue ou un partenaire russe. Les arguments mettant en avant le document (« il est écrit dans le contrat ») font allusion à un passage aux termes officiels. Donc, il y a rupture du lien personnel. Inversement, dans des situations à risque, les Russes chercheront une prescription formelle pour s’assurer contre d’éventuelles sanctions. Des preuves de loyauté permettront en parallèle de justifier les conduites devant les supérieurs. Un recours explicite aux prescriptions signifie qu’un interlo-cuteur évite le contact et cherche à établir une distance. Des circonstances qui le rendent inconfortable dans la situation sont alors à repérer. Le par-tenaire d’affaires est un interlocuteur privilégié, et tout changement de partenaires pour des raisons commerciales mérite une excuse. Or, les con-duites professionnelles sont déterminées par la rationalité. Le style de communication est sec, attentif et ferme. La faiblesse ou l’incompétence ne sont pas tolérées lors des contacts externes dans le monde des affaires. Elles conduisent sans préavis à la perte de la légitimité. Les Russes ne sourient que quand ils s’amusent vraiment et plutôt avec des personnes qu’ils connais-sent bien. Cette caractéristique se reflète dans le proverbe : « Rire sans raison est signe de bêtise! » L’absence de sourire et, plus généralement, l’air froid et distant témoignent de la concentration et du sérieux des échanges.

Les repas sont de bonnes occasions où l’on peut établir un lien moins formel que pendant les réunions. S’il s’agit d’un repas ordinaire, les Russes auront tendance à vouloir manger d’abord pour poursuivre la conversation une fois le plat terminé. Parler en même temps que manger n’est pas dans la coutume. « Quand je mange, je suis sourd et muet! », dit le proverbe russe. Néanmoins, de plus en plus de gestionnaires engagent des conversa-tions intenses pendant les repas. Les cérémonies plus importantes sont

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souvent arrosées de vodka. Les dîners sont généralement choisis pour ce type d’événements. Les discours qui accompagnent les petits verres sont l’occasion d’exprimer les espoirs, la reconnaissance et d’autres émotions positives des participants. L’ordre de parole suit habituellement l’importance statutaire. Par correction, les invités sont appelés à intervenir au même titre et avec une même fréquence que les responsables présents. C’est également l’occasion de repérer le statut non officiel des différents participants, quand l’ordre de parole ou le style des échanges ne correspond pas à la structure hiérarchique. Lors d’échanges cordiaux, on ne doit pas oublier que le len-demain matin, chacun des participants est attendu au travail et qu’il doit être en pleine forme. Bien qu’entre Russes, refuser de boire un coup de vodka puisse signifier une faiblesse ou un non-respect de celui qui le propose, un étranger peut s’excuser et expliquer qu’il ne boit pas autant ou qu’il préfère une autre boisson. En général, les jeunes gestionnaires ont tendance à assimiler le comportement moderne « à l’anglo-saxonne », alors que leurs aînés sont plus traditionnels (traduit de Fey et Denison, 2003).

Le contrat et la confiance

Les échanges libres ont développé la logique contractuelle dans l’éco-nomie nationale. La prise de contact, la négociation des échanges et la mise en œuvre des transactions sont devenues une pratique courante, sans tou-tefois être enracinées dans les traditions. Les engagements de chaque partie prenante d’une organisation ou d’un projet de coopération doivent être formulés et accordés. Cette définition est la condition première de leur respect. Un appel explicite à la confiance aux engagements est utile.

Une décision suit des conventions non officielles résultant des articu-lations d’intérêts et d’engagements des acteurs impliqués. Mais une modi-fication importante qui toucherait un ensemble donné d’intérêts pourrait transformer une décision antérieure, même si celle-ci avait déjà été ratifiée par un contrat. Dans le cadre d’un projet de coopération, c’est l’expérience commune qui constitue à long terme une base de confiance entre les par-tenaires et qui garantit le respect des engagements. Une fois établie, la confiance interpersonnelle est préférée aux engagements contractuels. Par exemple, lors d’une chasse aux talents, il arrive qu’un spécialiste quitte l’organisation et emmène avec lui une équipe entière : les employés préfèrent un rapport professionnel avec la personne connue et respectée plutôt qu’un contrat écrit et signé avec l’organisation. En affaires, il est important de renforcer progressivement des rapports personnalisés. Les événements festifs sont une bonne occasion de faire preuve de chaleur et de cordialité pour

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démontrer aux partenaires qu’on les respecte et qu’on les estime. Pendant ces événements, dire plus est mieux que rester à l’écart des échanges. Aux yeux des partenaires russes, ce sont les relations interpersonnelles constituées lors de la coopération qui valorisent les engagements, alors qu’un contrat formel pourrait toujours être contourné.

L’attachement à des procédures bureaucratiques donne parfois aux acteurs l’impression d’éviter les incertitudes. Une façade faite de règles officielles suit chaque décision adoptée. La recherche de certitude peut être blessante dans un environnement où l’incertitude est élevée. La responsa-bilité et l’initiative sont parfois assimilées à de l’incertitude et sont évitées. Ainsi, lors de négociations externes, suivre des prescriptions à la lettre pour-rait cristalliser une position rigide et même conduire aux blocages, à défaut de confiance préétablie. En même temps, la conformité aux règles est sou-vent ajustée en fonction d’une décision, sans forcément l’encadrer. Dans les faits, les documents ne doivent pas être pris à la lettre, ni être censés garan-tir par leur existence même le respect des engagements, notamment ceux qui sont en perspective. Cependant, les copies des documents utilisés dans les négociations peuvent fournir une trace des échanges et donc la possibi-lité de recours, en cas de désaccord ou de faille dans le contrat. Une vérifi-cation factuelle s’impose toujours, comme le dit le proverbe : « Fais confiance, mais vérifie! » À défaut de normes stables, le contrat, les règles et même la confiance peuvent être sacrifiés au profit. Depuis 1991, dans des conditions de « vides juridiques », une force garantissant la sécurité était présente derrière chaque transaction. Cette « économie de force » (Volkov, 1999) imposait la présence d’un garant de chaque partie prenante d’un contrat. Aujourd’hui, dans l’environnement progressivement institution-nalisé, un garant n’est plus indispensable. Toutefois, pour l’assurance, il est souhaitable qu’un acteur étranger reste en contact avec l’ambassade et la chambre de commerce de son pays.

L’incertitude et l’intuition

L’environnement incertain et imprévisible exige souvent des réactions rapides, incompatibles avec un fonctionnement basé sur des procédures et des règles. Les entreprises font régulièrement face à des problèmes et à des choix entièrement nouveaux et donc inconnus des dirigeants. L’incertitude génère un climat de défiance vis-à-vis de l’extérieur. Or, les frontières des organisations sont transparentes à l’information, mais le contrôle total est peu envisageable. Cette défiance fait craindre des fuites : cette situation est justifiée d’ailleurs par de possibles utilisations abusives. Par exemple, on

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peut facilement trouver les informations personnelles et confidentielles utilisées par la police routière dans les marchés « parallèles ». En conséquence, des acteurs du monde des affaires sont très soucieux de protéger l’accès à toute information qui pourrait être stratégique. Il s’agit, en premier lieu, des circuits financiers et des structures de propriété des entreprises. Les Russes sont méfiants vis-à-vis d’un interlocuteur inconnu. Ils ont tendance à compter sur la perception intuitive qu’ils ressentent par rapport à lui. Une opacité générale se rajoutant au développement dynamique des marchés oblige souvent les dirigeants à employer leur intuition, à défaut d’informa-tion suffisante pour effectuer des analyses rationnelles. L’imitation s’impose sous la forme de solutions « au voisinage de solutions connues ». Survivent les organisations guidées par l’expertise à laquelle se rajoute l’expérience formulée parfois intuitivement.

Le temps, l’espace et l’organisation

La relation au temps est double : le temps est reconnu en tant que ressource qu’il faut mesurer et capitaliser. Cependant, les conditions géo-graphiques (les grandes distances, le climat sévère) et l’infrastructure (les embouteillages, la fréquence des transports publics) ne permettent pas toujours et à tous d’être ponctuels. Cela contribue à une certaine tolérance à l’égard des retards. Des personnes ayant un statut élevé ont des besoins et des possibilités pour respecter les horaires. Pour les autres, la ponctualité peut être aléatoire. Le respect des horaires est un témoignage d’estime des partenaires et une preuve de l’effort pour se déplacer sans retard, s’il s’agit d’un rendez-vous.

Dans une grande partie de la Russie, le climat nordique et continental laisse en hiver peu de temps de jour pour l’activité. Or, pour un nombre d’activités, notamment agricoles, la saison hivernale réduit très fortement le champ d’action. L’État de l’URSS respectait le « droit de travailler » pour l’ensemble de ses citoyens. En conséquence, chacun avait toujours droit à un poste, et le chômage officiel n’existait pas. Symétriquement, l’« obligation de travailler » de la part des citoyens a été inscrite dans le Code pénal. Un citoyen de l’URSS qui ne travaillait pas était considéré par le Code pénal comme coupable d’« écorniflerie » et de « parasitisme social ». Pourtant, le fonctionnement irrégulier des entreprises a souvent contribué à faire alter-ner les périodes de non-travail « technique » avec les pointes d’activité. L’histoire mouvementée a habitué les Russes aux changements rapides et imprévisibles. Il en résulte la croyance que demain peut apporter tout et n’importe quoi. Ainsi, une planification personnelle détaillée et à long terme

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n’est pas fréquente. Il semble logique que le rythme du travail ait souvent un caractère cyclique. Avec une vision large et vague des horaires, les Russes travaillent beaucoup en dehors des périodes prescrites.

Une recherche constante de liens profitables et de partenaires potentiels efface la frontière entre la vie privée et le monde des affaires. Par exemple, les salaires peu élevés dans les universités obligent des enseignants à gagner leur vie en parallèle. Ainsi, un professeur dont le revenu principal provient de l’appartement qu’il loue « au noir » estime rendre sa dette à l’État sous forme de l’enseignement qu’il trouve mal payé. Le manque de séparation entre la vie professionnelle et privée ne se limite pas à empiéter sur la vie privée des acteurs. Ce mélange introduit largement la vie privée dans le fonctionnement des organisations. Le pouvoir d’un acteur s’applique, dans une mesure égale, à l’accomplissement des tâches personnelles et profes-sionnelles qui ne sont d’ailleurs pas toujours clairement distinguées. Des salariés peuvent partager leurs temps de travail entre une communication personnelle, une consultation sur Internet et des pauses. De telles périodes de non-travail dans la journée semblent être récompensées par un nombre d’heures passées au bureau. Les horaires de travail et l’utilisation prescrite du matériel sont soumis à une surveillance stricte, souvent en raison de l’esprit autoritaire et coercitif des dirigeants, inspiré du normativisme anglo-saxon. Introduites avec insistance, ces tentatives risquent de dégrader l’am-biance au travail et donc de faire baisser l’attractivité de l’organisation pour les salariés, alors que leur impact sur les performances et sur la qualité du produit fini ne justifie que rarement l’éventuelle perte de spécialistes. Or, le rappel explicite des objectifs et le contrôle strict du résultat s’avère plus approprié que toute l’énergie employée par la direction pour contrôler les activités de leurs employés.

L’autre incidence du travail cyclique est l’aptitude à déployer beaucoup d’efforts en peu de temps. Des salariés acceptent le plus souvent de s’impli-quer et font rapidement des progrès étonnants. Ce fait est illustré par le proverbe : « Les Russes s’attellent lentement pour aller vite. » Inversement, des acteurs moins inspirés pourraient retarder l’action indispensable, pour ensuite se servir de l’urgence pour manipuler la motivation des salariés. Dans de telles pointes d’activité, il est important de veiller à la qualité des résultats. Dans ce cas, un manque d’expertise pourrait se cacher derrière les « coups de tête » injustifiés ayant l’apparence de l’intuition.

Une relation professionnelle est continue dans le temps et dans l’espace. Des collègues russes communiqueront probablement leurs numéros de portables et inviteront les collaborateurs à les joindre. Ainsi, ces derniers

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restent en contact partout, voire à toute heure, si nécessaire. Cette attitude atténue d’éventuelles périodes de non-travail au bureau… Par conséquent, des enchaînements rapides d’événements peuvent parfois imposer des actions non planifiées et inattendues. Il en résulte un style de gestion intuitif et spontané, envisagé comme un risque permanent et inséparable de la res-ponsabilité qui incombe aux postes élevés. D’une part, le stress de l’urgence mobilise les ressources psychologiques des responsables. D’autre part, la réaction rapide permet de saisir au vol des occasions d’affaires.

dIrIger en russIe

L’organisation du travail

La gestion taylorienne

Des structures organisationnelles mises en place depuis 1991 et ayant subi l’influence des modèles de gestion venus de l’extérieur représentent aujourd’hui un point de ressemblance avec les pratiques occidentales et, plus précisément, anglo-saxonnes. Des fonctions conformes en tous points à des normes occidentales sont couramment mobilisées par l’encadrement. La logique rationnelle sous-tend l’application, et les pratiques sont choisies selon leur pertinence. Assimilé depuis les années 1930, le mode de gestion taylorien est aujourd’hui l’héritage soviétique le plus favorable à l’implan-tation de certains modes de gestion néo-tayloriens qui impliquent le for-malisme, l’exigence de ponctualité et de soumission aux normes des nouvelles techniques de gestion.

Le système de rémunération continue à être utilisé au service du proces-sus de contrôle de l’entreprise sur son personnel. Avec la création d’un éventail hiérarchique plus étendu, les fonctions d’encadrement sont valorisées et récompensées par des systèmes salariaux individualisés, des plans de carrière et des filières de promotion. La mobilisation s’appuie sur la recherche de l’implication des dirigeants, stimulée par certaines formules salariales. Ces procédures « nouvelles » deviennent un instrument important de sanction en ce qui concerne les contributions et les conduites professionnelles. Le système de contraintes basé sur la normalisation des conduites représente, sous d’autres formes, un prolongement des anciennes pratiques de production (Le goff, 1997). Ce qui diffère, c’est la rigueur dans la gestion des facteurs techniques et humains. Sont pertinentes les méthodes traditionnelles de gestion de la main-d’œuvre : les salaires au rendement, les primes de qualité, les sanctions appliquées dans les cas d’absentéisme. Ces méthodes s’avèrent

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cohérentes avec le remaniement de l’organisation et efficaces pour le réta-blissement de la discipline industrielle, très relâchée dans les années 1990 dans les anciennes entreprises socialistes (Durand 1997).

Les gestionnaires russes sont des spécialistes compétents et bien formés. Cependant, l’utilisation des outils de gestion s’articule avec les traditions, plutôt que d’introduire des codes déontologiques pour les métiers. Il semble pertinent de veiller à l’influence des réseaux sur le recrutement : l’adéquation des compétences retenues pour un poste doit être strictement évaluée. Dans la mesure du possible, il est souhaitable de confier la gestion des compé tences au partenaire externe. La sélection objective mettant l’accent sur les compé-tences permettra de les valoriser et les développer d’avantage.

Les limites de la participation

Aujourd’hui en Russie, l’environnement aussi peu prévisible que maîtri-sable pourrait logiquement entraîner la décentralisation et l’affaiblissement du processus de décision, et ce, jusqu’aux plus bas niveaux de la hiérarchie (Schneider et Barsoux, 2003). Effectivement, les entreprises ont tendance à lier le personnel aux objectifs des dirigeants pour obtenir une coresponsabilité sous la forme d’une l’adhésion personnelle. Une politique d’intégration utilise les éléments du « groupisme » : l’esprit communautaire, les relations pater-nalistes, le syndicalisme d’entreprise, le contrôle idéologique. Or, certaines méthodes, telles l’identification du personnel à l’entreprise, l’exemplarité des performances, les distractions collectives, étaient déjà pratiquées en URSS. Aujourd’hui, le « retour du religieux » (Durand, 1997, p. 381) représente l’intégration de l’idéologie managériale qui a été amenée à se substituer au mythe soviétique après avoir traversé un « vide normatif ». Les chercheurs (Durand, 1997) et les praticiens (Bohm, 2003) font d’ailleurs des mises en garde contre cette pratique dans l’espace postsoviétique. Les tentatives de participation se heurtent à la centralisation et à la normalisation des compor-tements. Aussi, les décisions collectives s’avèrent inefficaces dans un contexte de changements rapides, car la lourdeur des procédures les rend inopérants. Certains cadres de direction considèrent la participation comme un luxe occidental qui ne peut avoir cours dans la culture de ce pays, où le redresse-ment des habitudes justifie des méthodes autoritaires (Durand, 1997).

La convergence des objectifs

La gestion par objectifs et le contrôle strict du résultat semblent être l’approche la plus adaptée aux organisations russes. Un acteur s’implique dans son travail lorsqu’il perçoit un retour sur l’effort investi, qu’il a tendance

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à évaluer en tant que profit personnel. Les dirigeants s’identifient souvent avec l’organisation qui matérialise leurs intérêts. Cette motivation à la réus-site, généralement en accord avec les objectifs professionnels, n’est pas encastrée dans les frontières d’une organisation. D’ailleurs, dans le marché actuel du travail, un spécialiste trouve facilement un emploi. La fidélité à une organisation disparaît graduellement des coutumes depuis la chute de l’URSS en 1991. De nombreux acteurs dont l’efficacité est reconnue sont prêts à changer d’emploi : partir d’une organisation ou d’un projet pour recommencer ailleurs. Aujourd’hui, la mobilité externe est souvent préférée au projet professionnel interne à long terme. Cette orientation pourrait aller à l’encontre de l’idée d’engagement. L’attitude du « chacun pour soi », fré-chacun pour soi », fré- pour soi », fré-pour soi », fré- », fré-quemment présente chez les gestionnaires, pourrait limiter leur implication. Ainsi, un gestionnaire poursuit d’abord son intérêt et ne s’investit que si les objectifs de l’organisation lui semblent être personnellement profitables.

Au niveau de la haute direction, les tâches sont prioritaires pas rapport aux relations sociales. L’organisation même peut être considérée comme un des moyens d’accomplir ces tâches. Cette culture machiste présente dans les échelons supérieurs favorise la gestion par objectifs. Cependant, le point de vigilance est la cohérence des objectifs professionnels et personnels : une tâche personnelle sera préférée à un objectif professionnel si le choix s’impose. Des désaccords en matière d’objectifs ont aussitôt un impact sur l’efficacité, ce qui mine le moral et conduit à des abus. Dans la culture centralisée et autoritaire, l’information est considérée comme la source du pouvoir, ce qui restreint son partage dans l’organisation (Fey et Denison, 2003) et rend opaques les pratiques, notamment en affaires. Ainsi, les éventuels désaccords d’objectifs sont difficiles à contrôler. Les entreprises sont le plus souvent organisées de façon à assurer le partage des intérêts par le biais du pourcen-tage de capital détenu.

La communication

Le rôle des statuts

Les conditions dans lesquelles les nouveaux rôles socioprofessionnels apparaissent déterminent leur rapport dans un avenir proche et pour le futur. Un type d’autorité forte et coercitive accentue le partage de valeurs différentes dans les divers niveaux de l’organisation. Le style de communi-cation avec un acteur doit être en accord avec son type de raisonnement, qui est susceptible d’être en corrélation avec sa position hiérarchique. La pression créée par les échanges monétaires impose l’argent comme critère

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social omniprésent. L’influence anglo-saxonne est prononcée en ce qui concerne les postes élevés, alors que les salariés de base adhèrent aux com-portements plus traditionnels.

Les rapports d’autorité sont directs et la courtoisie y est absente. Une évaluation arbitraire laisse parfois les subalternes à la merci des patrons. La structure précise permet de se positionner par rapport à certains niveaux hiérarchiques et de repérer un décideur habilité à intervenir dans un projet concret, sans quoi le moindre problème peut devenir source de blocages. généralement, la lenteur des procédures signifie qu’il y a un manque de volonté dans l’action ou qu’un interlocuteur est mal choisi. Or, un tel comportement n’est pas compatible avec l’esprit de recherche dynamique de profit guidant aujourd’hui les organisations. L’intérêt pour le projet contribue à mettre des décisions en œuvre sans retard.

Le principe de propriété a retrouvé son sens, mais parmi les propriétai-res actuels, il n’y en a pas un seul qui a été élevé dans une famille propriétaire d’une entreprise. Dans le système socialiste, l’argent était équivalent de la culpabilité (Kireev, 1982), et la majorité de la population optait pour la pauvreté, comme un trouble moins traumatisant. Les propriétaires ne peu-vent toujours pas se débarrasser complètement de l’inquiétude qui influence la compréhension et les comportements associés aux rôles de propriétaires et d’employeurs. Jusqu’à nos jours, la nature de ce rôle et son rapport à d’autres rôles de l’économie de marché n’ont pas trouvé d’expression claire et stable. En revanche, bien que leur connaissance de la gestion soit limitée, les décideurs actuels n’hésitent pas à intervenir. Ils consultent les collègues et les experts pour avoir une vision claire des problèmes. Ensuite, plutôt que de chercher un consensus, le propriétaire prend arbitrairement une décision pour pouvoir assumer la responsabilité que les subordonnés refu-seraient de porter. Se méfiant du gestionnaire recruté, il exige sa loyauté avant même ses compétences.

Les dirigeants conditionnent l’esprit et les valeurs des entreprises, leurs actions servent de modèle de référence pour le comportement désiré (Mer-cier, 1999). Si le dirigeant est venu de l’extérieur et est inconnu de l’orga-nisation, il est censé représenter un étalon brillant et sans défauts du professionnalisme et de l’éthique. Dans les relations entre propriétaires d’une organisation, la logique clanique est souvent complémentaire, voire priori-taire à la logique contractuelle. La confiance interpersonnelle réunissant l’équipe s’appuie sur l’expérience vécue quant à la loyauté et les capacités professionnelles des membres. Dans la personnalité type d’un cadre russe, l’intuition prédomine sur la logique et la tâche à accomplir, sur l’éthique.

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Des décisions sont prises aussi rapidement que mises en œuvre. Réservés et autoritaires, les dirigeants sont disposés à la survie, dans le monde des affai-res perçu comme en situation de crise permanente (Kotchetkova, 2003).

En dehors du clan, les règles sont censées contrôler les non-membres. Le rôle du gestionnaire recruté est apparu simultanément avec celui du propriétaire. Sa culture, enrichie constamment par des lectures et souvent par des formations à l’étranger, véhicule des valeurs individualistes, moins fortes en ce qui concerne les salariés de base. Le gestionnaire possède souvent une maîtrise en administration des affaires (MBA) et des ambitions élevées, les deux complétées par une bonne connaissance de l’économie décrite dans les manuels. Il semble que la théorie se substitue parfois à la compréhension de la réalité. Or, il aurait tendance à expérimenter pour le compte du pro-priétaire, mais il n’est pas nécessairement apte à en assumer les risques. Prêt à vendre ses compétences, le gestionnaire évite le lien personnifié et s’en remet à la logique contractuelle. La confiance entre les dirigeants et le per-sonnel (y compris l’encadrement), régie par ce type de logique importée, semble être modérée par les représentations traditionnelles.

Les salariés subissent pleinement les conséquences de la logique du profit. Le revenu de 330 € par mois est une moyenne arithmétique qui dissimule un écart entre deux échelles. La majorité de la population touche un salaire inférieur à 300 € par mois; pour quelque 10 %, la rétribution mensuelle commence à partir de 1200 €. Il est à noter qu’aujourd’hui encore, 30 % des Moscovites touchent leurs salaires au noir, « en enveloppes6 ». Cette différence reflète une forte stratification sociale, surtout en ce qui concerne la qualité de vie. À défaut de dialogue social, les relations contrac-tuelles reproduisent quasi automatiquement l’aliénation présente au travail. Les salariés sont soumis aux moyens de production puisque les rapports qu’ils ont avec l’employeur déterminent les rapports avec sa propriété. Ils sont aussi aliénés par la concurrence.

L’exemple de l’apprentissage est instructif : le tuteur soviétique d’antan se préparait un successeur : son tutorat était régi par des codes déontologi-ques. Le coach actuel comprend que chacun de ses élèves est un concurrent potentiel, ce qui a nécessairement un effet sur la qualité de l’apprentissage. Les salariés sont tenus dans l’ignorance des objectifs de l’activité, car la solidarité collective en interne disparaît derrière un rapport salarial indivi-dualisé par le contrat. Les intérêts du salarié, de l’employeur et des éventuels actionnaires sont le plus souvent divergents. Le travailleur se trouve à être aliéné à lui-même. Son espoir principal consiste à vendre ses compétences,

6. Izvestia, no 129, mardi, 24 juillet 2007, p. 9, www.izvestia.ru (consulté en juillet 2007).

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ce qui peut effacer certains aspects de sa personnalité, non demandés par le marché (Fromm, 1964). La gestion est censée combattre l’aliénation du salarié, qui est à la source des comportements passifs et opportunistes.

La distance inhérente à l’autorité du dirigeant doit être préservée, tout comme le rapport entre un salarié et un patron qui s’avère, en Russie, ambigu et changeant (Bohm, 2003). Le respect personnel y occupe une place importante. L’autorité, associée au charisme et à l’expertise d’une personne, détermine sa capacité à maîtriser un milieu, donc d’y encadrer les autres. À défaut de respect, l’autorité s’impose quelquefois par la peur. Un proverbe cynique suppose que « s’il a peur, il respecte ». La familiarité, perçue comme une faiblesse, détruit la subordination. S’il survient un problème ou un malentendu, il vaut mieux s’adresser directement et discrètement, en face à face, à la personne concernée. Une critique publique ouverte serait perçue comme une rupture du lien de confiance personnelle et susciterait l’humi-liation chez l’intéressé. Elle entraînerait aussitôt la prise de distance et ensuite, l’aliénation et les abus. Un autre proverbe suggère qu’il ne faut pas « sortir la poussière de la maison » : le linge sale est à laver en famille. Si un problème ne peut pas être réglé « à l’interne » et nécessite l’intervention d’un supérieur, il convient d’en prévenir expressément l’intéressé et ceci, de préférence, en plusieurs fois. Le recours au supérieur sans nécessité évidente et incontes-table suppose le non-respect des normes collectives et le « passage aux termes officiels ». Un tel comportement est interprété comme de la faiblesse et de la trahison par le milieu social, incluant le responsable impliqué.

Les Russes estiment que l’ambiance au bureau est aussi importante que leur salaire. Le besoin d’entraide des salariés de base face aux conditions de vie fortement instables, causées en partie par l’exploitation d’une organisa-tion, s’étend aussi à la solidarité collective. Poussé à l’extrême par la coerci-tion autoritaire sans recours et par les pressions économiques, le collectivisme pourrait aller jusqu’à l’« égalité dans la misère » (Bohm, 2003). Cela veut dire que les salariés qui ont réussi peuvent susciter chez leurs collègues moins chanceux des émotions les plus négatives, voire des sanctions à l’encontre des meilleurs, et peuvent même être victimes de sabotage dans leurs initia-tives professionnelles. De telles attitudes conduiraient une organisation à un immobilisme incompatible avec l’environnement qui est en constante évolution. Moins une population est prospère, plus les échanges monétaires cèdent la place à l’entraide communautaire constituée autour de la récipro-cité (Ledeneva, 1998). Ce type de relations fournit, à la limite, une ressource ultime pour obtenir un minimum nécessaire à la survie pour les plus défa-vorisés. Les échanges de faveurs et l’entraide sont certes nécessaires pour

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l’organisation, à condition qu’ils soient complémentaires aux engagements et à l’implication des salariés. Inversement, des acteurs qui sont au bas de l’échelle et qui n’ont pas un pouvoir très élevé recourent parfois à un for-malisme extrême vis-à-vis des « étrangers ». Or, une personne perçue comme « étrangère » par un salarié de base risque d’être par ailleurs un collègue d’un autre service, un client ou un partenaire potentiel de l’organisation. Les démonstrations de transparence et d’équilibre dans le rapport du travail au résultat permettent d’affaiblir ces tendances d’« aliénation formaliste ». Dans cette optique, la logique contractuelle cohérente et équitable valorise le respect des engagements, ce qui sert aux intérêts des dirigeants et rassure les salariés.

Les principes de communication

En revanche, l’expérience témoigne que les salariés russes s’accommo-dent facilement des normes importées, même très différentes des étalons habituels. Cependant, l’intériorisation des valeurs qui accompagnent les nouvelles contraintes de production exige un apprentissage dont la durée reste sous-estimée par les directions (Le goff, 1997). Les individus et les organisations n’ont pas l’habitude de s’opposer à des pressions externes visant à modifier des comportements. Depuis l’époque de l’URSS, les exigences strictes et l’intolérance face aux erreurs auraient pour objectif de produire l’individu ou l’organisation idéale. Or, les axes de coercition ont récemment changé plusieurs fois, mais la réalité est toujours censée correspondre exac-tement à une vision idéaliste. Le contrôle formel modifie certains compor-tements, et les Russes ont acquis dans ce domaine une capacité élevée d’accommodation. L’évolution des comportements forcée par l’avalanche des transformations dépasse largement celle des normes. Pour répondre à des pressions externes, un comportement attendu est affiché artificiellement, mais en même temps, une distance préserve les valeurs partagées. L’écart entre les pratiques déclarées et les références qui sous-tendent les conduites se creuse dans les organisations. Cette réaction défensive sépare les principes de l’intégration interne des principes de l’adaptation externe. Ce fossé entre les valeurs déclarées et partagées, tant individuellement que collectivement, ouvre le chemin à la corruption.

La discipline exprimée dans le respect des engagements et des règles doit être préservée en gardant le respect vis-à-vis de l’ensemble des collabo-rateurs (Bhom, 2003). Quelques principes sont indissociables d’un tel équilibre :

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− Le dialogue ouvert avec les collaborateurs (mais pas de critiques per-sonnelles);

− L’application juste des règles et des normes (pour contrer un éventuel favoritisme);

− Le développement de la complémentarité dans l’esprit de l’entraide;− La transparence dans les décisions concernant les collaborateurs;− L’approche par compétences;− Le développement équitable du personnel (formation et carrière).

Les décideurs ont souvent tendance à véhiculer des innovations en exerçant des pressions autoritaires. Or, ces innovations ne peuvent être introduites avec succès qu’avec l’adhésion des acteurs, lesquels pourraient prendre de la distance face à une coercition. Une nouvelle pratique ne peut alors être implantée si la communication des objectifs poursuivis est insuf-fisante. Cette situation peut limiter l’adhésion des salariés aux valeurs qui sous-tendent l’innovation. Suivie mécaniquement et sans réflexion, elle risque de ne plus accomplir son objectif initial et de s’intégrer dans des circuits claniques. Or, canalisée tant par les lignes hiérarchiques que par les réseaux identifiables, l’utilisation de la communication descendante pourrait permettre d’éviter qu’il y ait prise de distance. Il faut s’assurer que cette pratique est bien comprise et qu’il existe des gens prêts à appuyer ce chan-gement. Si c’est le cas, elle peut être officiellement mise en œuvre. Dans la même logique, il faut s’assurer que les partenaires ne sont pas contraints de coopérer par leurs supérieurs. Modifier le point de vue des acteurs est plus compliqué que d’exposer une organisation à des pressions. La démarche de communication, coûteuse en temps et en ressources, peut être justifiée pour la mise en œuvre de changements vitaux. Compte tenu des traditions, l’analyse de l’organisation partenaire s’impose d’emblée pour évaluer le coût d’un projet potentiel.

La motivation

Le paternalisme et la responsabilité

Le poids des services sociaux comme les soins de santé, le logement, les zones de repos, etc. témoigne de la continuité de la tradition paternaliste, laquelle influence également les relations professionnelles. Une distance hiérarchique forte s’exprime à un niveau informel par la dépendance per-sonnelle des subordonnés par rapport aux responsables (Temnitski, 2004). Une subordination asymétrique cristallise l’autorité des dirigeants et la

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dépendance des subalternes en deux orientations complémentaires. Les conséquences du paternalisme sur les subordonnés s’expriment par le fait qu’un salarié délègue la responsabilité des décisions au supérieur. Ce com-portement implique un respect de la hiérarchie, mais aussi dénote un manque d’initiative, une passivité et un immobilisme. L’attente d’une évaluation arbitraire induit la peur de décider et d’agir de façon autonome. Cette tendance à éviter les erreurs conduit les acteurs à refuser toute responsabilité en dehors de ce qui est prescrit.

Le paternalisme des dirigeants suppose que ceux-ci se sentent person-nellement responsables du segment de l’organisation qu’ils contrôlent aussi bien que de leur personnel. Ce sentiment n’est pas limité par les horaires de travail, ni par les frontières de l’organisation. Or, des acteurs qui partagent cette logique cherchent à prendre le monopole des décisions sur le territoire et sur l’effectif qu’ils considèrent comme le leur. Le paternalisme accompa-gne bien la centralisation, car dans une famille, il ne peut y avoir qu’un seul père. C’est donc lui qui évalue les personnes et les performances, de façon parfois arbitraire. Un rappel de l’orientation paternaliste dirigeante maintient la responsabilité. (« L’organisation vous confie cette tâche », plutôt que « vous devez faire ce travail ».) Simultanément, la définition explicite des engagements doit limiter au préalable la recherche du contrôle total d’un segment de l’organisation. La transparence dans un rapport contractuel affaiblit la peur de l’initiative. Convaincus que l’évaluation se fait en accord avec les engagements, les acteurs adhèrent à long terme aux objectifs orga-nisationnels. Ainsi, un équilibre entre la responsabilité et le respect du contrat permettrait d’articuler à la fois l’ordre et l’esprit d’initiative.

L’efficacité, la règle et l’initiative

Depuis l’ouverture des frontières, les conditions du marché mettent des organisations en concurrence, valorisant l’efficacité à tous les niveaux de l’économie nationale. Dans cette logique, l’esprit entrepreneurial est en fin de compte récompensé par la réussite professionnelle et l’enrichissement. Pourtant, l’incertitude de l’environnement, souvent éprouvante pour les salariés, les pousse à chercher une protection dans l’organisation qui les emploie. D’ailleurs, le Russe préfère en général être un salarié, même mal payé, que de créer sa propre entreprise. La situation d’un entrepreneur est perçue comme instable. La concurrence directe en interne est alors vécue comme la chute d’un dernier mur contre l’incertitude. Ainsi, les anciennes pratiques, comme le fait de citer en exemple les performances des meilleurs dans le but de les valoriser, incitent toujours les travailleurs à s’améliorer,

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mais à condition qu’elles ne fassent pas de reproches aux autres membres du personnel. Sinon, l’effet du « dernier de classe » provoque une démoti-dernier de classe » provoque une démoti- » provoque une démoti-vation et une dégradation de l’ambiance. D’éventuelles sanctions à l’encon-tre des meilleurs ou le sabotage d’initiatives professionnelles, résultant de la détérioration de l’ambiance, ont un effet immédiat sur les performances organisationnelles. Pour éviter qu’il y ait concurrence interne, des principes comme la complémentarité, la discipline et le souci de la qualité sont à encourager.

L’environnement incertain produit une double contrainte pour l’effi-cacité du personnel et pour la confiance qu’il mérite. D’une part, la codifi-cation des comportements est inhérente à l’efficacité. Elle améliore la discipline; cependant, elle est susceptible de limiter l’initiative. D’autre part, il faut montrer aux salariés que s’ils respectent les engagements, l’entreprise saura les récompenser par l’argent et les avantages sociaux, mais aussi par le système de promotion établi dans l’optique du développement profession-nel (Durand, 1997). Il est à noter que le partenariat contractuel basé sur l’équilibre individuel entre l’effort et sa rétribution contrarie la tradition d’« être comme tout le monde » et de « ne pas se distinguer du collectif ».

Le rapport paternaliste est contrôlé par un dirigeant par le biais d’une rémunération arbitraire, alors que le salaire fixé par un contrat l’est en fonction du travail fait indépendamment d’un supérieur (Temnitskii, 2004). Ainsi, les entreprises ont tendance à installer un système de primes indivi-duelles, où le contrôle formel du résultat permet d’éviter l’arbitraire des décisions hiérarchiques personnalisées. Des nouveaux systèmes facilitent le contrôle, les critères d’attribution des primes étant vérifiables en cas de recours à l’administration à la suite d’un désaccord avec un supérieur direct. Cependant, la distribution des tâches et l’évaluation du résultat restent souvent à la discrétion des responsables intermédiaires, ce qui leur laisse la liberté d’exercer des pressions subtiles sur les salariés. Ainsi s’impose la vérification du respect réel des engagements et, en cas de détection de déri-ves, l’intervention ferme. Il est indispensable d’entretenir un contrôle indépendant sur l’application effective des décisions. Dans l’idéal, la disci-pline accompagnée d’une rétribution motivante doit faire respecter les règles sans réduire l’initiative.

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La coordination informelle

La convergence des valeurs

Les rythmes de production, généralement irréguliers en URSS, favori-saient des interactions, des négociations et des marchandages dans le travail. La formalisation des compétences va à l’encontre de la flexibilité dont l’ef-ficacité est connue, mais dont la maîtrise reste encore aléatoire (Le goff, 1997). Devenues un élément indispensable pour réaliser une production plus flexible, les interactions à caractère privé ne sont pas toujours mises au service des organisations. En Russie, le recours aux circuits non officiels reste récurrent. Dans les faits, la coordination réelle est consignée par écrit de manière à ce qu’on ne puisse la « retracer » qu’en petite partie. L’aspect négatif d’un tel fonctionnement est l’opacité qui pourrait affaiblir le rapport entre les conduites et les normes morales. Des décisions qui s’appuient éventuellement sur une éthique informelle et contre lesquelles on ne peut avoir de recours, ne dépendent souvent que des perceptions arbitraires des dirigeants. En même temps, la lourdeur, voire l’incohérence des procédures bureaucratiques fournit aux fonctionnaires un outil puissant d’influence sur le monde des affaires. Censés mettre en œuvre des lois et des règlements, ils exploitent parfois certaines incertitudes relatives à leur interprétation et à leur application concrète. Des marges importantes sont laissées pour les « raccourcis parallèles » aux procédures prescrites. La meilleure solution serait de laisser aux collègues russes la tâche des relations avec les adminis-trations ou d’autres bureaucraties. D’abord, pour entrer dans un milieu d’affaires, les relations « utiles » s’imposent comme incontournables. Ensuite, le capital social informel s’avère indissociable des circuits organisationnels. Cette coordination est perçue cependant comme illégitime par la société. Évoquer des décisions ou des liens pris hors du circuit officiel dans un discours ouvert n’est pas de coutume. Ce serait compris comme une fierté par rapport à une pratique malhonnête.

L’importance de l’informel implique le besoin d’une convergence des circuits non officiels avec la structure, les objectifs et l’éthique organisation-nelle. Leur mise en adéquation suppose la présence légitime de la direction dans les échanges. Dans un premier temps, l’identification et l’exploration de ces circuits permettraient d’avoir un retour de la part des salariés de tous niveaux confondus. Dans un deuxième temps, pourrait être envisagée l’in-fluence sur les valeurs partagées pour renforcer leurs traits pertinents : res-ponsabilité, entraide, discipline, entre autres.

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Les réseaux relationnels et les cercles des proches

Le contexte de la Russie situe le mécanisme de la création de valeurs au sein du réseau des relations sociales. Un réseau mobilise dans la même mesure les ressources personnelles des interlocuteurs et les ressources des organisa-tions dans lesquelles ces interlocuteurs travaillent. Tissés derrière des façades contractuelles, des réseaux structurent le monde des affaires. Ils traversent les organisations, mais ne s’y enferment pas. C’est un moyen puissant de développement de projets, mobilisant rapidement de nombreux acteurs disposant de compétences ou de ressources nécessaires. L’accès à des milieux d’affaires en réseau nécessite des relations influentes préétablies.

Tout projet prometteur nécessite aussitôt un cercle d’acteurs qui dirigent le milieu où le projet est accueilli. En revanche, toute décision importante passe par l’approbation du cercle, qui devient ainsi un mode de régulation qui se fait à partir de la conformité des objectifs des membres (Ouchi, 1981). À défaut de normes partagées et de lois applicables, les clans appuyés sur une solidarité organique étroite sont un moyen de cohésion organisation-nelle. Si les réseaux traversent la société, les clans, eux, sont constitués autour des sources d’enrichissement et en assurent la coordination. L’intensité des liens claniques densifie, et même enferme les cercles des proches par rapport aux autres réseaux d’affaires. Ainsi, une expérience vécue peut être jugée moins importante que les origines communes et les liens familiaux. À ce moment-là, les milieux d’affaires deviennent difficiles d’accès, car l’intégra-tion en qualité de membre légitime peut être compliquée pour quelqu’un de l’extérieur.

Les rapports claniques sont difficilement identifiables, car ils ne corres-pondent pas nécessairement à une structure formelle. Or, de possibles divergences entre les statuts formels et informels des acteurs peuvent créer des malentendus ou des blocages dans le fonctionnement. Inversement, les structures claniques peuvent fournir des contacts avec les décideurs ne faisant pas partie des responsables officiels. Les cercles des proches fonction-nent généralement en harmonie avec le milieu des affaires ou d’une orga-nisation. Si c’est le cas, les intérêts des acteurs sont conformes à un projet de coopération ou aux objectifs d’une organisation. Cependant, en cas d’éventuel décalage entre les objectifs claniques et organisationnels, un lien personnel serait préférable à un contrat. De plus, un tel décalage d’objectifs entraînerait l’utilisation abusive des ressources organisationnelles qui ne serviraient qu’aux intérêts des clans, c’est-à-dire la corruption.

La « vision périphérique » à travers plusieurs sources informelles (Schneider et Barsoux, 2003) permet de suivre l’ensemble des évolutions

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du milieu, qui ne sont pas nécessairement explicites. La mise en place d’un dispositif pour encourager le retour d’information de tous les niveaux hié-rarchiques pourra, dans l’avenir, réintroduire le dialogue social manquant. C’est le clan qui doit assurer la cohérence de l’organisation ou du projet et pas l’inverse. Les dirigeants sont amenés à orienter les clans présents dans une organisation pour renforcer la synergie productive. Il est crucial de mettre la solidarité de l’ensemble au service de l’organisation ou du projet, c’est-à-dire de renforcer des liens informels en interne, afin qu’ils constituent un clan conforme aux normes : adhésion, rétribution, transparence et dis-cipline. La valorisation du respect des engagements renforce la logique contractuelle. Son rôle croissant équilibre l’influence des circuits informels et les règles en vigueur.

conclusIon

L’expérience acquise par une organisation sous forme de traditions stabilise son fonctionnement et détermine, en fin de compte, une façon de procéder pour chaque tâche. Autrefois créées dans un État guidé par l’idéo-logie, les organisations soviétiques étaient insérées dans l’économie de plan. Malgré les dysfonctionnements du système de production, les institutions symbolisaient un certain degré de stabilité. Les organisations centralisées, hiérarchisées et paternalistes étaient dirigées, d’une part, économiquement par un ministère et, d’autre part, idéologiquement par le Parti communiste. L’État assumait le fonctionnement du système ne laissant aux entreprises qu’une faible marge d’autonomie pour accomplir le plan. Ces pratiques ont fini par stagner.

Les cultures résistent au temps, mais évoluent en raison des influences extérieures. Depuis la chute de l’URSS, les organisations ont retrouvé les contraintes de la concurrence et de l’efficacité. La dynamique de régulation normative par rapport à l’évolution des valeurs, conditionnée par la place actuelle de la Russie dans l’économie mondiale, indique le rôle incontour-nable de la culture nationale. La transformation des normes de base de gestion est passée du mythe et du fantôme soviétiques (Slobodskoï, 1994) au rejet total de l’idéologie en faveur du marché, pour ensuite être modérée par l’influence des traditions.

La culture d’entreprise se développe par la révision rationnelle de l’ex-périence. Les organisations s’adaptent à l’environnement par le comporte-ment rationnel, objectivé et analysé. L’objectivation permet de réfléchir sur l’amélioration des circonstances, par l’invention ou le transfert de solutions. Les contraintes créées par la présence de la concurrence (création des valeurs,

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développement de production, conformité formelle aux normes, responsa-bilité sociale) influent sur l’organisation plus fortement que certaines autres influences éloignées de l’économie mondiale (éthique, responsabilité sociale, participation). Toute innovation qui vient en contradiction avec les traditions sera rejetée. Cependant, elle est parfois assimilée en raison de pressions externes, ce qui est susceptible de limiter le contenu rationnel au niveau déclaratif par les schémas traditionnels. La coexistence de logiques de prime abord incompatibles s’exprime dans l’organisation à travers les structures contre-productives qui peuvent bloquer l’évolution de l’organisation. À condition que le contexte d’action soit commun, la nouvelle pratique inte-ragit avec les pratiques traditionnelles par la confrontation puis par le compromis des valeurs. L’innovation « vitale » est recherchée, transférée et assimilée. Inversement, les pratiques traditionnelles évoluent grâce aux compromis faits avec les logiques rationnelles. L’enrichissement mutuel des logiques qui sont aux sources des nouvelles valeurs semble être la condition de l’évolution des cultures. Les exemples témoignent de l’efficacité des modèles fondés sur les compromis, dans la concurrence qui rejette les orga-nisations inaptes à fonctionner « au carrefour » des logiques.

Les mécanismes de régulation en Russie amalgament le passé soviétique avec des innovations conditionnées par le marché et résultant du modèle de gestion occidental. Leur transformation peut être envisagée à travers l’identification des références suivantes : le passé soviétique, le profit, le bien commun, la rationalité. Les environnements socioéconomiques n’évoluent pas en même temps ni avec la même vitesse. La prise de distance, l’écart des valeurs et les compromis pourraient représenter des formes variées en fonc-tion des contextes. La culture russe est toujours pleine de contradictions : le comportement très formel exprime le respect et protège contre les incer-titudes. En même temps, la coordination et la prise de décisions s’exercent définitivement sur le plan interpersonnel et ne sont formalisées dans les documents que pour leurs mises en application. Cette pratique n’est ni rigoureuse ni exhaustive. Le respect des engagements est garanti par la confiance vis-à-vis de l’autre, régie par un lien familial, une expérience commune ou même une perception intuitive. Les pointes exemplaires d’activité alternent avec des périodes longues de repos, et ce, sans rapport avec des horaires prescrits. Des conduites n’allant pas toujours dans le même sens représentent l’adaptation tant individuelle qu’organisationnelle à un environnement opaque et incertain.

L’action organisée subit des influences qui ne sont pas toujours congruentes. Les exigences de l’efficacité face à la concurrence exigent de la

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rigueur dans la gestion des hommes et des machines. Cependant, une dis-cipline stricte dans ce contexte individualiste et mobile risque de réduire l’implication, particulièrement en ce qui concerne les positions élevées. La mobilisation soulevée par la participation aux décisions est fortement limi-tée par la centralisation et le rythme tendu. La convergence des objectifs personnels des décideurs et de ceux de l’organisation est devenue vitale. L’autorité accentue la différenciation statutaire : les rôles d’un propriétaire, employeur, gestionnaire et salarié relèvent de contextes différents. Donc, les comportements associés à ces rôles ne vont pas nécessairement dans le même sens. La coercition est couramment préférée au consensus; elle suscite et renforce les décalages entre le comportement affiché et les valeurs partagées. Le respect et la transparence des décisions concernant l’effectif, ainsi qu’une communication descendante apportent la solution. L’attitude paternaliste s’adresse à la responsabilité personnelle des acteurs. Pourtant, la tutelle doit être encadrée par des engagements contractuels. Enfin, le rôle de la confiance induit le besoin de convergence des valeurs formelles et informelles, dans l’optique de la cohésion organisationnelle.

Le profil psychologique d’un travailleur russe (Kotchetkova, 2003) souligne le caractère ambivalent des traits de sa personnalité : l’inertie s’équilibre avec l’adaptabilité, la surestimation de soi, avec le collectivisme et l’entraide; la capacité à gérer le stress fait le contrepoids à la dépression, et le caractère cyclique du travail compense la paresse. Ces équilibres sem-blent être situationnels : les salariés sont aptes à s’accommoder aux mé thodes autoritaires de gestion, aussi bien qu’à participer à la prise de décisions. D’une part, cette capacité reflète l’absence d’un ensemble stable de normes sociales, d’autre part, elle rend possible un éventail large de comportements dans différentes situations. Des comportements peuvent donc varier à partir de l’opportunisme, de la passivité et de la malhonnêteté jusqu’à un degré élevé d’accommodation dynamique à des circonstances variées et évolutives, en passant par le respect des engagements. Compte tenu des différences de conduite entre individus, mais aussi chez un même individu dans divers contextes organisationnels, il semble légitime de modérer les contradictions inévitables grâce à la gestion fondée sur les compromis des valeurs.

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