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Valeurs smiotiques et valeurs picturales/2002
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VALEURS SMIOTIQUESET VALEURS PICTURALES
De tous les outils que lartiste peut se forger par lapratique, le plus important est sa confiance dans safacult doprer des miracles Les tableaux doiventconstituer des miracles.
M. Rothko
La smiotique greimassienne, dans la mesure o elle a identifi la qute du sens
au schma narratif, a mis laccent sur le traitement syntaxique des valeurs. Quant lareconnaissance proprement spculative des valeurs, elle sest contente, si lon ose dire,
dun service minimum en distinguant entre des valeurs modales affrentes aux
programmes dusage et des valeurs descriptives affrentes aux programmes de base.1
Mais la force de ces distinctions fait galement leur faiblesse : elles conviennent bien
videmment au rcit traditionnel, puisquelles en procdent, mais de ce fait mme elles
ne sont pas transposables telles quelles dans des pratiques smiotiques autres. La
mthode inductive matrise bien certaines localits, mais elle a du mal rayonner.
1. PLURALISATION DES VALEURS
Si la mthode inductive pche par excs de proximit, la mthode dductive
pcherait plutt par excs dloignement. Du point de vue tensif, expression que nous
prfrons celle de smiotique tensive, la distinction entre valeurs dabsolu et va-
leurs dunivers2 a t avance partir de plusieurs considrations : (i) les valeurs sontpar continuit complexes, puisque la tensivit nest rien dautre que le lieu de rencontre
1 A.J. Greimas & j. Courts, Smiotique 1, Paris, Hachette, 1979, pp. 414-415.
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et dajustement entre lintensit et lextensit, entre le sensible et lintelligible, si bienque dire dune valeur quelle est tensive revient dire quelle est complexe ; (ii) lacomplexit est le prsuppos de toute analyse, quelle porte sur une fonction canonique
ou sur une concidence ; (iii) la distinction entre les valeurs dabsolu et les valeursdunivers est soutenue par une corrlation inverse entre lintensit et lextensit, si bien
que chaque type de valeur conjugue un optimum, un superlatif et une nullit, comme lesuggre le diagramme suivant :
Les valeurs dabsolu sont clatantes en intensit et concentres en extensit, tandis que
les valeurs dunivers sont faibles en intensit et diffuses en extensit. Enfin, la csure
entre le sacr et le profane sur laquelle Cassirer a tant insist dans le second volume de
La philosophie des formes symboliques est homologue de la distinction directriceavance. Est-il possible de dpasser cette bifurcation lmentaire ? Si tel ntait pas le
cas, il faudrait admettre que la smiotique dbouche sur un manichisme sommaire, sur
un ou... ou... rudimentaire, qui est bien reprsent dans les langages-objets traiter,mais vis--vis duquel le mta-langage est tenu de prendre ses distances ; si les sujets
2 J. Fontanille & Cl. Zilberberg, Tension et signification, Lige, P. Mardaga, 1998, pp. 29-43.
concentration mlange
clat
faiblesse
extensit
intensit
valeur dabsolu
valeur dunivers
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nont de cesse de changer la possibilit en ncessit intraitable, au smioticien incombe
la tche inverse.
Dans les Prolgomnes, Hjelmslev insiste sur la transitivit de lanalyse : (...)le concept danalyse (ou de division) est un dpliant.3 Le dpassement de la schizieinitiale demande quelques prcautions terminologiques : (i) si une valeur conjugue unevalence intensive de lordre de la mesure et une valence extensive de lordre du nombre,
les drivs suivants obtenus par division prendront le titre de sub-valences ; (ii) dslors que nous recevons, en continuit avec les dernires pages de La catgorie des cas
de Hjelmslev, lintensit et lextensit comme des dimensions, lanalyse dune di-mension est tenue de dgager deux ou plus de deux sous-dimensions ; cet gard, nous
avons envisag lintensit comme un syncrtisme rsoluble du tempo et de la tonicit,
cest--dire que nous avons engag une prosodisation du contenu, ou peut-tre plus
justement une smantisation de la prosodie ; la relation entre le tempo et la tonicit estcette fois une corrlation converse ; lextensit, nous la scindons en temporalit et spa-
tialit ; les grandeurs ainsi dgages sinscrivent au titre de sous-dimensions, et pour
chaque sous-dimension nous proposons une paire de termes dfinissant un intervalle
dont la valeur [] est variable. Nous avons abord ailleurs les modalits en vertu des-quelles les devenirs ascendant et dcadent dune sous-dimension gnrent des mor-
phologies stabilises4.
3 L. Hjelmslev, Prolgomnes une thorie du langage, Paris, Les Editions de Minuit, 1971,
p. 45.4 Voir Cl. Zilberberg, Prcis de grammaire tensive, Tangence, Rimouski/Trois-Rivires, n70,
automne 2002.
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A partir de ces prmisses, nous pouvons dclarer la double vise de notre pro-
pos : (i) chacune des sub-valences peut, seule ou associe une autre sub-valence,donner lieu une forme de vie ; compte tenu des limites de ce travail, nous avons
restreint notre propos la temporalit ; (ii) nous entendons dmontrer que la peinturenest pas prisonnire de la spatialit, que la relation prfrentielle de la peinture la
spatialit nest quune habitude, et que la relation de la peinture la temporalit,
concessive dans un premier temps, savre bientt heuristique.
tensivit
intensitrgissante
clatant vs faible
extensitrgie
concentr vs diffus
tempovif vs lent
tonicittonique vs atone
valences
sub-valences temporalitbref vs long
spatialitouvert vs ferm
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2. TEMPORALISATION DE LA PEINTURE
Dans le Cours de linguistique gnrale, Saussure, au rebours du credo admis par
la linguistique du XIXme sicle5, insiste sur la coupure entre le point de vue dia-
chronique le point de vue synchronique. Cette coupure doit tre modre pour ce qui
concerne la peinture. La problmatique de la superposition des couches, des emp-
tements apparents et des transparences, notamment chez Rothko, prsente une di-
mension diachronique manifeste ; nombreux sont les tableaux qui se prsentent, quant
au contenu, moins comme des surfaces que comme des paisseurs ; si la surface dirige
lobservateur vers la synchronie, la traverse dune paisseur devient comparable une
coupe dans un terrain, cest--dire une spatialisation irrcusable du temps : La
surface dun tableau garde la trace des diffrentes techniques, des quantits variablesde matire et de la faon dont elles sont appliques sur des supports plus ou moinsabsorbants. 6
2.1 smiotique de la fracheur
La temporalit de la couleur est dabord, en franais du moins, le fait du lexique,
puisque le Micro-Robert nous propose pour pass : 2 Eteint, fan. Couleur passe.
Le Littr ne retient que la dcadence gnrique du vivant comme du non-vivant, mais
nous fournit le corrlat tensif de pass : Qui a perdu sa fracheur ; qui est fltri. Destoffes passes. Une viande passe. () ; soit le couple de base :
[frais vs pass]Selon Gthe, la temporalit phorique, celle qui sefforce de formuler le /bref/ et le
/long/, est au principe de sa taxinomie des couleurs : () nous avons russi les pr-senter [les couleurs] selon un enchanement continu, rattachant les fugitives aux per-sistantes, et celles-ci dautre part aux durables ; (), mais la problmatique la plus
5 E. Cassirer, Essai sur lhomme, Paris, Les Editions de Minuit, 1991, pp. 172-178.
6 Catalogue Rothko, op. cit., p. 50.
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dlicate est celle qui, apparue au 19me sicle sauf ignorance de notre part, associe troi-
tement la fracheur de la couleur la dcision de laisser le tableau dans un relatif tat
dinachvement.
Les analystes reconnaissent Baudelaire le mrite davoir, dans le Salon de
1859, introduit avec rigueur le concept de fracheur chromatique : Plus un tableau est
grand, plus la touche doit tre large, cela va sans dire ; mais il est bon que les touches
ne soient pas matriellement fondues ; elles se fondent naturellement une distancevoulue par la loi sympathique qui les a associes. La couleur obtient ainsi plus dner-
gie et plus de fracheur. 7 Ces lignes confirment que les valences ninterviennent passparment : elles co-agissent, inter-agissent les unes avec les autres, puisque nous sa-
vons que : (i) la touche intresse le tempo ; (ii) Baudelaire mentionne lui-mme la cor-rlation entre le format, cest--dire la spatialit, et la touche ; (iii) enfin la tonicit et latemporalit sont corrles lune lautre, comme le prvoit la grammaire tensive. De
sorte que faire tat dune valence, cest seulement faire tat dune prvalence discursive
momentane : si une valence installe au centre du champ de prsence parle, latentes,
les autres font silence en attendant leur tour de parole comme il sied.
La smiotique de la fracheur nest pas thermique, mais temporelle ; elle
concerne le temps phorique des motions opposant lun lautre le bref et le long ; le
frais est du ressort de la brivet : selon le Micro-Robert, est frais ce qui est dorigine
ou dapparition rcente et a gard ses qualits. ; plus loin, on lit encore : qui a ou
garde des qualits inaltres dclat, de vitalit, de jeunesse. Nous sommes adress aucur de la pense mythique8 pour autant que cette dernire se veut la gardienne dun
7 Ch. Baudelaire, uvres compltes, Paris, Gallimard/La Pliade, 1954, p. 778. Voir G. Picon,
1863 Naissance de la peinture moderne, Paris, Folio-essais, 1988, pp. 129-130. G. Picon estime que leBaudelaire des Salons, dans ce passage comme dans maint autre, est lcoute de Delacroix.
8 Selon Cassirer, la pense mythique a pour plan du contenu lconomie de sa prosodie : Le mana
et le tabou ne servent pas dsigner certaines classes dobjets ; ils ne font que prsenter laccentparticulier que la conscience magique et mythique met sur les objets. () On peut donc dire, de manire
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oxymoron : la prennit de lclat. En dfrence Valry, lequel estimait que [l]e ly-
risme est le dveloppement dune exclamation.,9 nous avancerons que la concession,
cet vnement qui seul confre au discours sa porte perlocutoire, est le dveloppement
dun oxymoron ; enfin, si lon veut bien se souvenir quune figure de rhtorique peut au
gr demeurer concentre ou au contraire diffuser et saturer le discours quelle projette,nous accdons un rseau de correspondances tout lmentaires :
structure tensive
discursivit
intensit[force vs faiblesse]
extensit[concentration vs diffusion]
affectivit exclamation lyrisme
tensivit oxymoron concession
rhtorique figure saturation
Selon Baudelaire, la rciprocit de la localit et de la globalit est un impratif :
() Il y a videmment un ton particulier attribu une partie quelconque du tableauqui devient clef et qui gouverne les autres.10 Comment entendre au juste le ressortconcessif de la fracheur ? Cette dernire a pour plan de lexpression la brivet et pour
la fois juste et errone, que la formule du mana-tabou est autant le fondement du mythe et de la religionque linterjection est le fondement du langage. Il sagit, dans ces deux notions, de ce quon pourraitappeler des interjections primaires de la conscience ; in La philosophie des formes symboliques, tome 2,op. cit., p. 104.
9 P. Valry, uvres, tome 2 , Paris, Gallimard/La Pliade, 1960, p. 549.
10 Ch. Baudelaire, uvres compltes, op. cit., p. 778.
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plan du contenu linaltrabilit, mais cette configuration est moins paradigmatique que
syntaxique, de lordre du comme si : le frais en suspendant les effets de lallongement de
lintervalle de temps coul et mesur depuis lorigine annule en quelque sorte mais
il ne lui est pas demand plus la dure, moins la dure dailleurs que ce quelle
chiffre tout instant, savoir selon la grammaire tensive, son prolongement. Tout se
passe comme si la fracheur non seulement arrtait lcoulement de la dure, mais
partir de cet arrt, on aimerait dire : forte de cet arrt, entreprenait de rebrousser le
cours du temps pour se rapprocher de son germe selon une expression que nous
empruntons R. Char,11 faire retour vers lorigine, quelle sest donne et qui loblige :
la fusion des couleurs distinctes opres par la synthse optique procure lobservateur
un prsent qui concessivement chappe la potentialisation et se rvle conforme la
dfinition clairvoyante du Micro-Robert : qui a ou garde des qualits inaltres dclat,
de vitalit, de jeunesse., cest--dire des valences intensives. On comprend ds lorsque, pour Baudelaire, mais tout autant pour Van Gogh12 la bonne contemplation re-
lve dun calcul, de ltablissement dune proportion rglant et ajustant les uns avec lesautres le format du tableau, la largeur de la touche et la distance laquelle lobser-
vateur doit se tenir et demeurer.
2.2 fracheur et aspectualit
11 Dans un hommage Mir, R. Char dit mieux que nous ne saurions le faire limbrication
potique des valences : Cest lclosion multiple de limage arrte et retenue, image naissante, touteencore la joie dtre, aux prises avec ses volutes et son clat, prise de son jaillissement., in uvrescompltes, Paris, Gallimard/La Pliade, 1983, p. 693. Pour une smiotique consquente, sature de la fra-cheur, larrt devient le gardien de lclat : Lavnement na pas de fin.
12 Selon Van Gogh : Vus de tout prs, les meilleurs tableaux et justement les plus complets au
point de vue de la technique, sont faits de toutes les couleurs poses tout prs lune de lautre ; ils ne fonttout leur effet qu une certaine distance. Cela, Rembrandt la soutenu avec persistance, malgr tout cequil a eu souffrir (les braves bourgeois ne trouvaient-ils pas Van der Helst bien meilleur, pour la rai-son que lon pouvait le voir de tout prs ?) in G. Picon, 1863 Naissance de la peinture moderne, op. cit.,pp. 132-133.
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Nous retrouvons, mais sous un autre point de vue, une problmatique djenvisage propos du tempo, celle qui concerne la distinction alternative entre le mor-
ceau fait et non fini et le morceau non fait et fini. Du point de vue diachro-nique, il est courant dattribuer Rembrandt la paternit de ce dilemme : Un ouvrage
est termin lorsque le matre a ralis son intention. Lambivalence voulue du propos
indique que, dans lesprit de son auteur, deux volonts, deux vises entraient virtuel-
lement en conflit lune avec lautre : celle du commanditaire fortun et celle de lartiste
en mal, sinon dindpendance, du moins dautonomie. Mais la porte de cet avis d-
passe lidiosyncrasie de Rembrandt, puisque de Delacroix : Finir demande un cur
dacier, crit Delacroix de son uvre en cours. Je crois que jy mourrai.13 N. deStal : Plus vous saisirez que lexplosion, cest tout comme chez moi on ouvre une
fentre, plus vous comprendrez que je ne peux pas larrter en finissant plus les choseset plus vous aurez darguments vrais pour dfendre ce que je fais14 en passant parVan Gogh, on constate, linstar de ce qui est la rgle en diachronie, que le dpla-
cement de laccent, ici de laccent de sens, entrane un changement, parfois un boule-
versement de la morphologie : pour la peinture dite classique, ctait lachev, une
rserve prs : lattachement de nombreux artistes pour leurs esquisses qui bnficiait
de laccent de sens, tandis que pour la peinture dite moderne, cest linachev qui
reoit, non sans parfois mauvaise conscience chez certains, la faveur accentuelle, cest-
-dire dans le plan du contenu la prvalence qui confre au discours, tant verbal que
non-verbale, sa physionomie.
Sous ces conditions, la concordance exige entre la localit et la globalit pose
que la fracheur locale a, au titre de rpondant global, linachvement, cest--dire la re-
connaissance de la possibilit pour chaque peintre qui le souhaite dinterrompre le pro-
13 Cit par Y. Bonnefoy, in G. Picon, 1863 Naissance de la peinture moderne, op. cit., p. 16.
14 Lettre J. Dubourg en date du 17 fvrier 1955, cite par D.Dobbels, Stal, Paris, Hazan, 1994,
p. 225.
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cs pictural. Cette donne est au centre de la rflexion de G. Picon : Le monde est
senti, vis comme en train de se faire, il saccorde naturellement au tableau en train dese faire.15 Ainsi, malgr la flagrante rupture dchelle, la fracheur inhrente la fu-sion optique des couleurs16 rime, et cette rime est riche, avec ce qui est lordre de
linachvement du tableau dans le plan de lexpression et lordre de la suspension du
temps dans le plan du contenu. Soit :
smiosis
vise
plan de lexpression
plan du contenu
localit synthse optique fracheur
globalit inachvementrebroussement
du temps
Eu gard la dialectique de lpaisseur et de la transparence, Dubuffet avec le
concept dart brut sest appropri ladjectif brut, de mme que Pascal a, en sontemps, pour ainsi dire, confisqu le terme de divertissement. Les trois dfinitions
donnes de brut dans le Micro-Robert sont riches denseignements : 1. Qui est ltat naturel, na pas encore t faonn ou labor par lhomme. 2. Qui rsulte dunepremire laboration (avant dautres transformations). 3. Qui na subi aucune labo-ration intellectuelle, est ltat de donne immdiate. Ces dfinitions sont des va-
15 G. Picon, 1863 Naissance de la peinture moderne, op. cit., p.138.
16 La fusion optique des couleurs npuise pas, loin sen faut, cette problmatique. Celle-ci
constitue le premier degr de lalchimie visuelle des couleurs ; au-dessus de la fusion, il y a la trans-figuration des couleurs, la magie dont faisait dj tat Hegel, et que Van Gogh, obsd par le comment
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rits dune complexit composant deux ordres de grandeurs : (i) une valence tem-porelle renvoyant au temps dmarcatif des positions confrontant lavant et laprs ;
cet gard, de deux choses lune : ou bien le brut revient de laprs vers lavant, ou
bien il suspend la destitution inluctable de lavant par laprs ; (ii) une drivation de
lopposition [nature vs culture], assise tantt sur les sur-contraires [naturel vs culturel],tantt sur les sous-contraires, lun faisant valoir une premire laboration, lautre les
laborations suivantes. Selon le style implicatif, par convention celui de la doxa, le
brut est rput grossier, inaccompli, et expecte un faonnement, puis une finition
avant la remise de lobjet entre les mains du destinataire.2.3 aspectualit et mutation smantique
Sans prtendre aucunement ici puiser la problmatique, ce style implicatif a t
contest, puis branl par lapparition du style concessif lequel procde un renver-
sement des adresses de laccent de sens. Tout paradigme tant par dfinition critique,
nous sommes en prsence dune crise aspectuelle : laspect, comme tout ordre de gran-
deurs en discours, est susceptible de deux directions : (i) le style implicatif va de linac-compli vers laccompli et, pour se justifier, sans doute dabord ses propres yeux,allgue quil rsout un manque ; bien entendu, il sattribue la positivit smiotique ; (ii)en regard de cette aspectualit dominante et coercitive, certains crateurs et certains
penseurs ont conu et dvelopp une aspectualit ngative du point de vue de la pr-
cdente, aspectualit qui consiste dans lactualisation de la squence :
[accompli inaccompli]dans une remonte de laprs vers lavant quil a effac dans le plan du contenu et qui a
pour signifiant la syncope de lachvement. Laccompli change de statut : dindispen-
sable selon le style implicatif propre la doxa, il est non seulement superflu, mais
cest fait ?, rsume ainsi : Quand on regarde cela de tout prs, cela semble incroyable, fait, dirait-on,avec de tout autres couleurs que lon imaginerait la distance de quelques pas. (ibid., p. 133)
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encore mortifre ; (iii) enfin intervient une commutation de tempo : le style implicatifest lent, cest le style de ceux qui savent, selon un syntagme fig heuristique, sarmer
de patience ; le style concessif, daprs les tmoignages des pratiques dont on peut
prendre connaissance, est propre aux crateurs presss, qui oprent dans lurgence
afin de ne pas laisser se perdre la fracheur dune impression.17 Nous y reviendrons.
style implicatif
style concessif
aspectualit inaccompli accompli accompli inaccompli
temporalit avant aprs aprs avant
tempo lenteur vivacit
statut delaccompli
manque superflu
Cette crise aspectuelle est de grande importance pour ce qui, avec recul, se d-
nonce comme lun des enjeux permanents de la qute du sens. Ds linstant o la facturea commenc de prvaloir sur la reprsentation, le paradigme du faire bauch parBaudelaire pour dfendre la manire de Corot dont nous avons dj fait tat :
17 Toujours selon Baudelaire : Si une excution trs-nette est ncessaire, cest pour que le
langage du rve soit trs-nettement traduit ; quelle soit trs-rapide, cest pour que rien ne se perde delimpression extraordinaire qui accompagnait la conception ; que lattention de lartiste se porte sur lapropret matrielle des outils, cela se conoit sans peine, toutes les prcautions devant tre prises pour
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Ensuite quil y a une trs grande diffrence entre un morceau fait et un morceau fini quen gnral ce qui est fait nest pas fini, et quune chose trs-finie peut ntre pasfaite du tout (...)18, a marqu de son empreinte la rflexion esthtique postrieure.Lmancipation de la facture lgard de la reprsentation signifie plus gnralement la
mise en opposition possible du faire et du devenir et la rception dune question latentedepuis Rembrandt : le devenir est-il ascendant ou dcadent ?
Les rflexions de Malraux dans Les Voix du silence confortent notre hypothse
un double titre. En premier lieu, les cultures font prvaloir tantt le fini, tantt le re-
jettent : Le fini tait alors un caractre commun toutes les sculptures tradition-nelles ; et le caractre commun tous les arts dont commenait la discrte rsurrection
fut dabord labsence le refus du fini.19 En second lieu, une corrlation associe,selon Malraux, le fini lillusion iconique, en les recevant comme attentes conjointes dutiers regardeur : partir du moment o le peintre se pose comme destinataire de lu-
vre, comme dans le cas des esquisses que lartiste ne destine pas la vente, lach-
vement fait place linachvement : dans le cas de lesquisse, () le peintre, ne tenantpas compte du spectateur et indiffrent lillusion, avait rduit un spectacle rel ouimaginaire ce par quoi il devient peinture : taches, couleurs, mouvements.20 Reste
dchiffrer ce choix et le sens de la remarque de Baudelaire, par tous mobilise.
A la question formule dans les termes de Malraux lui-mme lcoute de
Baudelaire : pour quelle[s] raison[s] lart [est-il entr] en conflit avec le fini ? ilny a quune seule rponse du point de vue figural, savoir que le faire se concentre enlinaccompli et se dfait dans laccompli : loin de progresser, luvre rgresse (Mal-
rendre lexcution agile et dcisive. (uvres compltes, op. cit. , pp. 777-778). Du point de vue tensif, lademande de Baudelaire est celle dune continuit valencielle, ici de tempo.
18 Ch. Baudelaire, uvres compltes, op. cit., p. 586.
19 A. Malraux, Les voix du silence, Paris, Gallimard, 1951, p. 106.
20 Ibid., p. 107.
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raux). Le degr destime accord respectivement lesquisse et au tableau achev21
dpend la fois de lidentit du destinataire et du style tensif en vigueur. Selon le style
implicatif, celui de la doxa et de la critique acadmique, il y a plus dans le tableau
achev que dans lesquisse ; selon le style concessif, [les esquisses] () ne nous don-nent pas limpression de reprsentations inacheves, mais dexpressions plastiques
compltes, que leur soumission la reprsentation affaiblirait, et peut-tre dtrui-rait.22 Le passage dun style lautre est donc une question dallocation des valences :
dordre strictement accentuel, inventant et invoquant au nom dune ncessit arcane un
droit larbitraire, la valence tonique se dporte de laccompli vers linaccompli.
Jusqu un certain point, loin que le tableau sloigne de lesquisse, comme la doxa
lintimait, cest le tableau qui concessivement se rapproche de lesquisse : La valeur
propre de la peinture librait la fugue de lesquisse, dont Manet tira des effets qui luiimportrent plus que lachvement du tableau : ces effets devenaient alors, selon
21 La question de la pjoration et de la mlioration est centrale du point de vue tensif, car les
alternances que ces oprations exploitent renvoient lalternance mme des styles tensifs ; en principe, ilsuffit dun seul terme pour projeter le rseau ; ainsi, en franais, lcher tant dfini comme finir, polir(une uvre littraire ou artistique) avec un soin trop minutieux. V. Fignoler., lch prend rang de sur-contraire ngatif pour une smiotique prisant linachvement :
bacl
inachev
achev
lch
s1 s2 s3 s4
La pjoration et la mlioration entrent en discours selon deux voies distinctes : (i) un sous-contraire, parexemple [s2], peut sopposer son vis--vis : [s3], et il sinscrit alors comme insuffisant ; (ii) ou bien ilpeut sopposer au sur-contraire dont il se dmarque : [s1] et il est alors valu comme suffisant.
22 Ibid., pp. 107-108 (cest nous qui soulignons). Certains franchissent le pas : Cette aquarelle
[de Lincendie] du Parlement est effectivement incomprhensible si lon nadmet pas que le Turner intimedes carnets est le vritable Turner. (in L. Gowing, Turner : Peindre le rien, op. cit. , p. 116).
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lexpression de Lionello Venturi, une sorte de fini du non fini, quelque chose de plusvalable que la peinture la plus minutieuse. () 23
Selon le style concessif, un double oxymoron prend corps : lincomplet savre complet,
dans lexacte mesure o le complet est dnonc comme incomplet. Le style concessif
sinscrit contre-sens du style ascendant de la tradition lequel exigeait lachvement et
dans le plan de lexpression la virtualisation de la touche, cest--dire de nos jours lasignature mme de lartiste :
23 G. Bataille, Manet, Genve, A. Skira, 1983, p. 94.
tonique
atone
imperfectif perfectif
esquisse
tableau fini
tonicit[contenu)
aspect(expression)
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Le fait mme que quelques-uns des plus grands peintres aient conserv par de-
vers eux certaines esquisses suggre que lalternance [inachvement vs parachvement]est plus consquente quil ny parat. Des dmarches qui apparaissent au premier abord
curieuses, voire excentriques, savrent, du point de vue tensif, hautement motives.
Ainsi, dans un essai consacr Turner, il est rapport que ce peintre rpugnait [lui
aussi] finir, et que si une contrainte externe ly contraignait, il finissait in extremisles tableaux sur les lieux mmes de lexposition qui les accueillait : Il [Turner] avait
accoutum, notent les Redgrave, de les envoyer peine commencs, comptant sur le
travail quil pourrait accomplir pendant les trois jours accords aux membres pour levernissage. () Il arrivait gnralement lAcademy parmi les premiers, ds avant lepetit djeuner, et poursuivait son ouvrage tant que le jour durait ; trange et mer-veilleuse tait la mtamorphose quil imposait ses uvres sur les cimaises.24
3. AUTORITE DE LA FRAICHEUR
24 L. Gowing, Turner : peindre le rien, op. cit., p. 73.
tonique
atoneimperfectif perfectif
esquisse
tableau fini
tonicit[contenu)
aspect(expression)
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En nous affranchissant du dtail, nous considrons que lanthropologie a montr
que lisotopie de la fracheur devient la scne o la temporalit mortelle du vivant est
surmonte par la cuisson des aliments.25 En effet, livre, pour ainsi dire, elle-mme, la
vie a pour destin inluctable son dprissement :
s1vif
s2frais
s3pass
s4pourri
vie mort
Ici, le fait nest pas laboutissement euphorique du en train de se faire, mais sa nga-tion ; le cuit nest pas la ngation du cru, mais son seul salut : le cuit virtualise le pourri
et procure au cru ce que nous appellerons, faute de mieux, une seconde vie. La smio-
tique de la fracheur, que nous ne faisons quesquisser, savre donc lune des possibles
et grandes smiotiques du temps.
Notre propos nest pas la lexicalisation diffrentielle des couleurs selon les
cultures, mais il est intressant de constater que le franais semble soucieux de marquer
la corrlation entre la tonalisation et la temporalisation du ton dans la terminologie
dItten. Ainsi propos de la couleur /rose/, le paradigme, abstraction faite du participe
pass /rosi/, conjugue la tonicit et la temporalit :
25 Cl. Lvi-Strauss, Mythologiques, Paris, Plon, 4 volumes,1964-1971 ; A.J. Greimas, Pour une
thorie de linterprtation du rcit mythique, in Du sens I, Paris, Les Editions du Seuil, 1970, pp. 185-230.
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ros
rose
rostre
tonicit ascendante stabilise dcadente
temporalit frais soutenu pass
La smiotique du /soutenu/ sapplique aussi bien au discours verbal, puisque le
dictionnaire fait tat du syntagme style soutenu, quau discours non-verbal puisque,
propos de la couleur, le Grand Robert parle de couleur soutenue glose comme assez
intense. Ton franc et soutenu. et le Micro-Robert dfinit /soutenu/ comme accentu,prononc. Un bleu plus soutenu. Nous avons retenu /pass/ puisquil est donn, quand
le classme /chromatique/ intervient, comme teint, fan. Une couleur passe. Si lon
ajoute que rostre est donn comme qui est dun rose peu franc, il semble que leparadigme concerne encore la dimension du pouvoir-tre ou du pouvoir-faire, puisquelanalyse de deux grandeurs sur trois comporte le trait /franc/ : sans entrer ici dans les
dtails ncessaires, si lon consulte la dfinition de /franc/, on lit : sans entrave, ni
gne, ni obligation. Avoir les coudes franches. Franc du collier. (le Micro-Robert),En premire approximation, la smiotique du soutien met en jeu deux di-
mensions tensives : la tonicit pour autant que celle-ci est promise la dcadence et, par
ncessit de structure, la temporalit par slection de la valence de longvit. La dfi-
nition de soutenir par le Micro-Robert concorde exactement avec les hypothses du
schmatisme tensif : Faire que (qqch.) continue sans faiblir ; Du point de vue dis-cursif, cette smiotique du soutien se projette en programmes et oprations spcifiques.
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Le faite humain courant admet deux varits : la rparation et la prvention : ( i) dansle cas de la rparation, le sujet prend dabord acte quune attnuation a eu lieu,il lapotentialise, se persuade quelle est rversible et opre un redoublement pour rtablir
lintgrit qui vient dtre dfaite ; (ii) dans le cas de la prvention, lattnuation estactualise et le sujet arrte les mesures qui doivent en principe interdire lventualitenvisage de se produire. La smiotique du soutien et du souci est donc lun des cha-
pitres possibles de lintervention :
Ce que cet exemple, qui pourrait tre repris pour nimporte quelle couleur,
suggre, nous semble-t-il, ce sont la souplesse et la disponibilit de la smiosis, puisque
telle couleur nomme devient le plan de lexpression dun plan du contenu quelle ne
contient pas et qui lexcde puisque le nombre des traits smantiques quil comporte est
suprieur au nombre des traits expressifs. En second lieu, la smiotique du soutien nest
pas rserve un domaine : elle est requise chaque fois que le discours se proccupe du
sort, cest--dire du devenir, des objets de valeur.4. LA FRAICHEUR COMME FORME DE VIE
Avant de refermer cet essai consacr la temporalisation de la couleur, nous
aimerions justement faire tat de la gnralisation propose par Pguy dans la Noteconjointe sur M. Descartes et la philosophie cartsienne puis dun aperu saisissant de
intervenir
prvenir[actualisation]
subvenir[potentialisation
]
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G.Picon relatif certains tableaux de Dubuffet.
4.1 selon Pguy
Personne na mieux compris, nous semble-t-il, la rsonance existentielle de la
smiotique constituer de la fracheur : Ou encore cest ce qui est le plus prs de
la cration, ce qui est le plus rcent, au sens latin du mot recens. Cest ce qui est le plus
frais. Le plus rcemment sorti, le plus sorti des mains de Dieu.26 Dans ces lignesempruntes la Note conjointe, Pguy sattache une forme de vie qui devient, enraison de la sublimation immanente au discours, la forme mme de la vie, le secret m-
me de la vie. Le moment de la sommation, de lillumination discursive est celui de la
rencontre27 avec le syntagme le bois mort : Il [Corneille] sest donn la sve et la
fleur et le bourgeonnement. Il ne nous a laiss que lingratitude du soin de savoir com-ment tout cela ne finissait par ne plus faire que du bois mort.28 La rflexion de Pguydans ces pages met nu, vif la relation paradigmatique entre la fracheur et la m-
moire, lesquelles ont, se yeux,, le mme objet, la nouveaut : () cette mort usagreest atteinte () quand toute la matire de ltre est occupe lhabitude, la mmoire,au durcissement, quand il ne reste plus un atome de matire pour le nouveau qui est la
vie.29 La nouveaut compose une valence de tonicit, la vitalit elle-mme, et une va-
lence de brivet, et cette configuration valencielle euphorique est inverse dans
lhabitude :
26 Ch. Pguy, Note conjointe sur M. Descartes et la philosophie cartsienne, Paris, Gallimard/La
Pliade, 1961, p. 1404.27
Parce quil est du ressort du survenir, nous empruntons le motif de la rencontre Mallarmvia G. Picon. En effet, Mallarm crit dans un bref hommage Manet : Cet il Manet dune en-fance de ligne vieille citadine, neuf, sur un objet, les personnes pos, vierge et abstrait, gardait nagureslimmdiate fracheur de la rencontre, aux griffes dun rire du regard, narguer, dans la pose, ensuite,les fatigues de vingtime sance. in uvres compltes, Paris, Gallimard/La Pliade, 1961, p. 532.
28 Ch. Pguy, Note conjointe sur M. Descartes et la philosophie cartsienne, op. cit., p. 1398 (cest
nous qui soulignons).29
Ibid.
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Mais lessentiel est peut-tre ailleurs : dans le ressassement en progrs qui donne
lcriture de Pguy sa physionomie, cest larcane de la relation paradigmatique qui se
laisse entrevoir. Cette dernire nest ni un face--face, ni une mise distance : elle est
ctoiement, confrontation et communication ; il est moins question de ngation, de
syncope soudaine que du vcu dun procs ainsi agenc que ce que lun perd, lautre le
gagne et le capitalise : le moins de lun devient le plus de lautre, et ce dversement-
remplissement nest autre que le temps en personne, en majest ; le texte de Pguyinsiste sur le fait que si la relation paradigmatique ordinaire saisit quelque chose, ce
ne sont pas des termes, cest--dire des fictions, mais des limites, ce qui est bien dif-
frent :
Cest cela le bois mort. La mort est la limite de la plnitude de la mmoire, la
limite de la plnitude de lhabitude, la limite de la plnitude du durcissement, vieil-
lissement, amortissement.
Quand toute la matire est consacre la mmoire, il y a mort . 30
La dynamique de la relation a pour assiette la complexit : en adoptant le modle sug-
gr par le verbe gagner, nous admettons que la relation respecte un principe de
30 Ibid., p. 1399.
fracheur
bref longmmoire
mort
vienouveau
habitu
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constance : en effet, le verbe gagner, lorsque son emploi est intransitif, dit bien ce qui
advient ici : Stendre au dtriment de qqn., qqch. Lincendie gagne. V. Propager (se).Ce qui transparat, cest moins laspectualit que son chiffre tensif, cest--dire la
concomitance dune ascendance et dune dcadence, que la relation paradigmatique,
dans les termes o elle est aborde, occulte encore aujourdhui.Mais Pguy ne sen tient pas l. Lapprofondissement de la mtaphore du bois
mort le conduit dabord une catalyse :
faire se faire
La voix pronominale produite est ensuite aspectualise :
se faire se faisant
Enfin, le syntagme se faisant se retire devant son analyse tensive : il demeure le lieu
dune ascendance, mais galement, peut-tre surtout celui dune dcadence :
se faisant + se dfaisant
La fonction devient elle-mme son objet : Cest un bois [le bois mort] dont toute lasouplesse a t mange peu peu par ce raidissement, dont tout ltre a t sclros
peu peu par ce durcissement. Cest un bois qui na plus un atome de place, et plus un
atome de matire, pour du se faisant. Pour faire du se faisant. Aussi il nen forme plus,il nen fait plus.31 Pguy sattaque lascendance aspectuelle qui est au principe delillusion du progressisme ordinaire, celle qui postule une corrlation converse entre le
gradient de lintensit et le gradient temporel du faire :
31 Ibid., p. 1402.
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Cette configuration dfinit le style implicatif de la doxa et mesure la singularit, que
personne ne conteste, de la postulation de Pguy, puisque, cet gard, elle est conforme
une corrlation inverse laquelle lit dans telle progression la fois cette progression
elle-mme, mais aussi sa propre dperdition, son puisement prochain :
Pour ces smiotiques centres sur la fracheur, cette dernire se prsente comme
un programme de conservation se heurtant un contre-programme qui la ronge, qui
intensit
germese faisant
tout faitextensit
atone
tonique
intensit
germese faisant
tout faitextensit
atone
tonique
corrlation converse
corrlation inverse
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lrode, si bien que le dfi rside dans la formulation dun contre[contre-programme]
oprant la sauvegarde de la fracheur en dominant le contre-programme qui lannihile.
Pour Pguy, sur lisotopie quil explore, cest lesprance qui seule est en mesure de
triompher de lhabitude : Elle est essentiellement la contre-habitude. Et ainsi elle est
diamtralement et axialement et centralement la contre-mort. Elle est la source et le
germe. Elle est le jaillissement et la grce. ()32
4.2 selon Dubuffet
Pour les peintres, lidentification de la fracheur, pour Constable de la cha-
leur,33 a pris pour chaque peintre une forme particulire, mais si lon se propose de
dgager un dnominateur commun, il semble que la plupart aient procd comme si
personne navait peint avant eux, comme si la peinture commenait ou recommenait
avec eux, comme si la fracheur tait dabord celle de leur il en face de la toile nue,
virginit que Mallarm salua chez Manet : en latelier, la furie qui le ruait sur la toilevide, confusment, comme si jamais il navait peint ()34 Certains vont plus loinencore. Ainsi R.Char dans lloge de Mir invite le regardeur se replacer dans un en
de de la fracheur : () cette part reue sans accs, soudain ouverte, mise en vue etprserve on ne sait comment voil ce que Mir nous demande dtre. Un regard non
formul. Ltat qui prcde la chose, la voie non pas de lachvement, mais celle qui va son commencement. Aux abords de ce qui nest pas encore. 35
Manet, on le sait, fut un objet de scandale pour ses contemporains lors du Salondes Refuss de 1863, scandale qui aujourdhui nest plus compris, mais certaines uvres
32 Ibid., p. 1405.
33 Cf. G. Picon, 1863 Naissance de la peinture moderne, op. cit., p. 136.
34 S. Mallarm, uvres compltes, op. cit., p. 532. La remarque de Mallarm vaut apparemment
pour les peintres entrs dans lhistoire de la peinture : Monet disait quil aurait voulu natre aveugle et,retrouvant la vue, voir des formes et des couleurs qui seraient formes et couleurs indpendamment desobjets et de leur usage., in G. Bataille, Manet, op. cit., p. 73.
35 R. Char, uvres compltes, op. cit., p. 693.
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de Dubuffet ne laissent pas, malgr lavertissement de Baudelaire,36 de drouter. A ce
titre, les analyses ingales de G. Picon, lequel voit dans certains tableaux de Dubuffet,
non seulement une qute de la fracheur, mais son dpassement et la vise dun temps
avant le temps, pointent la pertinence valencielle dune dmarche assurment extrme :
Et plus rien ne justifie, vrai dire, les titres particuliers qui sont donns suites d-peu-prs, traductions inadquates dune textualit innommable. Car cest bien la tex-
tualit de la matire et son temps, non point notre temps. Si, dans les Lieux cursifs, letemps du tableau se modle sur le temps du geste, et son unit sur lunit gestuelle, ici
la lenteur dmesure de la matire est sans commune mesure avec la lenteur mesure
du geste humain ; il est devenu vrai quAchille ne pourra jamais rattraper la tortue, letemps humain quil acclre ou quil se ralentisse ne peut retrouver la dure
naturelle, et lempreinte, la trituration du papier mch, son collage ne sont que des
ellipses fictives des tentatives pour usurper, analogiquement, mtaphoriquement, letemps gologique, en se dessaisissant des gestes ordinaires du temps humain.37 La
matire devenant lantcdent de la couleur, la substitution de celle-l celle-ci sinscrit
comme rebroussement du cours admis du temps dmarcatif, celui qui rgle au jour lejour le jeu de lavant et de laprs.
4.3 contrepoint
La temporalisation de la couleur nest quun chapitre de la temporalisation de la
peinture, envisage entre autres par Claudel dans son Introduction la peinture hol-
landaise. Cette temporalisation est le fait de lautorit de lespace tensif sur le discours.
Nous venons dexaminer lintervention du temps dmarcatif, mais toutes les espces de
temps que nous avons distingues ont, si lexpression est permise, leur mot dire.
36 Ce qui nest pas lgrement difforme a lair insensible ; do il suit que lirrgularit, cest-
-dire linattendu, la surprise, ltonnement sont une partie essentielle et la caractristique de labeaut., in uvres compltes, op. cit., p. 1194.
37 G. Picon, Le travail de Jean Dubuffet, op. cit. , p. 116.
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Dans son texte, Claudel fait tat du temps phorique des motions, celui qui ajuste lalongueur et la brivet : Je veux dire quils [les tableaux] ne constituent pas sim-
plement une prsence, ils lexercent : travers eux une solidarit efficace entre nousstablit et ce monde en arrire l-bas abandonn par le soleil. Nous portons en nous
assez de pass pour lamalgamer avec le leur, et le mode que nous avons de suffire notre propre existence nest pas tranger cette utilisation de la dure, cette conso-
lidation du visage par lexpression, qui les habilite la persistance.38 Lun des
impenss du temps tient sans doute au fait que le temps volitif des directions et le temps
dmarcatif des positions sont paradigmatiques, sous le signe de lalternance et des op-
rations de tri que ce primat suppose, tandis que le temps phorique des motions est sous
le signe de la coexistence et des oprations de mlange en mesure, comme lcrit
Claudel, desolidariser entre eux des quanta de temps, en surmontant cest le
moment inapprciable de la concession lanachronisme quils dfinissent, lcart au
dpart des provenances et, ce faisant, dans les termes exacts de Claudel, damalgamer
notre dure avec la leur. Bref, on peut regretter que personne nait ralis ce jourpour la peinture la somme que G. Brelet a crite en son temps pour la musique : Le
temps musical, et produit un ouvrage comparable dont le titre serait : Le temps pictural,
mme si, on vient de le voir, Claudel la dj en partie bauch propos de la peinturehollandaise ; de mme, Deleuze nhsite pas parler de chronochromatisme du corps
propos de certains tableaux de Fr. Bacon.39
Des chapitres de cet ouvrage existent ici ou l pour peu que la vise soit par-
tage. La potique de la fracheur incrimine le temps vampirique chant par Baude-
laire dans le pome Lhorloge, le temps dvorateur de la vie.40 Nous lavons dj
38 P. Claudel, uvres en prose, op. cit., p. 184.
39 G. Deleuze, Francis Bacon Logique de la sensation, Paris, Editions de la Diffrence, 1984,
p. 35.40
Selon le second tercet de lEnnemi :
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mentionn : la concession nest rien dautre que la mise en discours dune alternance. A
ce temps dvastateur soppose un temps qui participe amicalement cet adverbe sera
justifi dans un instant des choses elles-mmes, les maintient et les prserve. Ce quipose pour la peinture lpineuse question de la nature morte. Dans ltude quil
consacre la peinture de Chardin, Proust rcuse cette direction tensive et pointe, en
recourant un oxymoron particulirement heureux, la vie ignore de la nature
morte 41 Le sujet des tableaux de Chardin selon Proust est la picturalisation de lalongvit du temps ; selon lui, cette longvit a pour assiette la concorde entre les
lments constitutifs dune pluralit, dun nombre, les objets distincts que la naturemorte runit : Comme entre tres et choses qui vivent depuis longtemps ensemble
avec simplicit, ayant besoin les uns des autres, gotant aussi des plaisirs obscurs se
trouver les uns avec les autres, tout ici est amiti.42 Le commentaire de Proust se veut,
au rebours de la doxa, une rsurrection43 : le temps et en vertu de lintercession de
Chardin : la picturalisation du temps rpond de la prennit des objets et, pardlgation, de leur prsence intacte, cest--dire de leur l et de leur jamais. Du pointde vue des valeurs, la quotidiennet, marque des valeurs dunivers quand elles sont
dcries, est ici sublime en valeur dabsolu, puisque la chambre, le plus souvent close
sur elle-mme, devient, selon Proust, le sanctuaire de leur pass. Lart de Chardin,
selon les termes exacts de Proust : () cest saisi au passage, dgag de linstant,approfondi, ternit, le plaisir que lui donnait la vue dun buffet, dune cuisine, duneoffice, dune chambre o lon coud.44 consiste bien dans cet allongement qui dabord
O douleur ! douleur ! Le Temps mange la vie, Et lobscur Ennemi qui nous ronge le cur Du sang que nous perdons crot et se fortifie !
41 M. Proust, Contre Sainte-Beuve, Paris, Gallimard/La Pliade, 1971, p. 380.
42 Ibid., p. 379.
43 La nature morte deviendra surtout la nature vivante. (ibid., p. 374).
44 Ibid, pp. 373-374.
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virtualise la brivet de linstant, relve la dure de la dure, puis partir de ce double
acquis, redouble la dure pour lui confrer lternit. Selon linterprtation de Proust,
lart de Chardin accomplit le temps et dans la mesure o il ny a pas, dun point de vue
immanent, dau-del des valences actuellement concevable, la clairvoyance, peut-tre la
voyance tout simplement, de Proust nous condamne nous-mme la paraphrase, ou ce
qui revient au mme : au silence sur ce point. La formule tensive du style de Chardin
serait la suivante :
intensit extensit
tempo
lenteur
tonicit
atonie bonne[tendresse]
temporalit
longvit
spatialit
fermeture
5. POUR FINIR
Nous nous sommes efforc de montrer que la peinture intressait aussi la tempo-
ralit phorique. Comme tout discours participe de la mle discursive, cette dtermi-
nation prend tt ou tard la forme de la concession : bien que le plan de lexpression
concerne des contours graphiques et des tendues colores, la temporalit dirige, selon
une mesure qui reste fixer, le plan du contenu. Mais il ne sagit en aucune faon de
passer dun dni une hgmonie : nous ne concevons pas cette efficience de la
temporalit comme une fatalit ; elle nest quun possible, un ralisable astreint
conditions. Et afin de marquer que cette clause nest pas de style, nous produisons le
systme des sub-valences dont la fracheur est partie prenante:
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tempo
tonicit
temporalit
spatialit
la vibration la profondeur la fracheur lampleur
Ces catgories dfinissent ensemble la palette smantique de la peinture euro-
penne rcente. Linfini de la peinture, ce qui est sans doute toujours recommencer,cest sans doute la qualit du compromis, du modus vivendi entre ces directions s-
mantiques qui exigent du discours chacune leur d. Ce qui nest donn qu quelques-
uns. En effet, si dans le plan de lexpression le peintre rgle des lignes45 et dispose des
couleurs, dans le plan du contenu il ajuste entre elles des sub-valences qui, si ellesconcordent, configurent un destin et haussent le tableau au rang dun improbable
miracle.
Claude Zilberberg
45 Voir ladmirable hommage-analyse des tableaux de Klee par H. Michaux, Aventures de lignes,
in uvres compltes, tome 2, Paris, Gallimard/La Pliade, 2001, pp. 360-363.