De l'Articulation - Peter Mason

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Sur le corps à la Renaissance

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  • Peter Mason

    De l'ArticulationIn: L'Homme, 1990, tome 30 n114. pp. 27-49.

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    Mason Peter. De l'Articulation. In: L'Homme, 1990, tome 30 n114. pp. 27-49.

    doi : 10.3406/hom.1990.369239

    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/hom_0439-4216_1990_num_30_114_369239

  • AbstractOn Articulation. The term Antipode has a double reference. Within an ethno-anthropologicalperspective, it can refer to a Plinian race marked in terms of its feet. It also has a cosmologicalreference, designating an otherworld where everything is the inverse of our world. In tracing thedevelopment of these two systems, we pass from the medieval imaginary to that of the New World inorder to outline their role within a theory of articulation.

    RsumDe l'Articulation. Le terme Antipode a un double rfrent. D'un point de vue ethno-anthropologique, ilpeut dsigner une race plinienne marque aux pieds. Il revt galement une signification cosmologiqueen dfinissant un autre monde o tout se passe l'envers du ntre. En suivant le destin de ces deuxsystmes, on passe de l'imaginaire mdival celui du Nouveau Monde afin de dgager leur rle dansune thorie de l'articulation.

    ZusammenfassungVon der Artikulation. Das Wort Antipode kann zwei Bedeutungen erhalten. In einer ethno-anthropologischen Sicht bezeichnet es eine Plinische Rasse, deren Angehorige durch eine Deformationdes Fusses gekennzeichnet sind. Es kann aber auch eine kosmologische Bedeutung erhalten unddefmiert dann eine Welt, in der alles verkehrt abluft. Verfolgt man das Schicksal dieser beidenSysteme, geht man von der mittelalterli-chen Bilderwelt zu derjenigen der Neuen Welt u'ber und kannso ihre Rolle in einer Theorie der Artikulation bestimmen.

    ResumenSobre la Articulacin. El trmino Antipoda tiene una referencia doble. Desde una perspectiva etno-antropolgica, puede designar una raza plfnica marcada en cuanto a los pies. Por otro lado, puedereferirse a otro mundo, donde todo es lo invertido de lo que pasa en nuestro mundo. En persiguiendo eldestino de ambos sistemas, pasamos del imaginario medieval al del Nuevo Mundo a fin de precisar suroi dentro de una teoria de la articulation.

  • Peter Mason

    De l'Articulation

    Peter Mason, De l'Articulation. Le terme Antipode a un double rfrent. D'un point de vue ethno-anthropologique, il peut dsigner une race plinienne marque aux pieds. Il revt galement une signification cosmologique en dfinissant un autre monde o tout se passe l'envers du ntre. En suivant le destin de ces deux systmes, on passe de l'imaginaire mdival celui du Nouveau Monde afin de dgager leur rle dans une thorie de l'articulation.

    Dans l'introduction d'un article de 1936, Les Techniques du corps , Marcel Mauss (1950 : 365-386) souligne que ce nouveau domaine doit regrouper des matires figurant prcdemment au chapitre Divers . Gestes et postures, modes de natation en vogue, styles de dfils nationaux, positions sexuelles..., autant de modalits de l'activit corporelle qui dsormais devront relever de l'tude comparative des techniques du corps. Depuis lors, elles ont fait l'objet d'une attention particulire, et pas seulement de la part des anthropologues. Le dernier travail de M. Foucault (1984b) constitue un apport important la dittique et diverses techniques de maintien du bien-tre corporel, telles qu'on les pratiquait aux dbuts de l'empire Romain2.

    Certaines de ces tudes traitent du symbolisme de diffrentes parties du corps. En effet, le corps peut mettre en jeu des codes symboliques : acoustique, visuel, sexuel, culinaire..., permettant de concevoir les techniques corporelles comme partie d'un domaine symbolique plus vaste. Durant deux dcennies, Claude Lvi-Strauss s'est attach montrer comment une typologie tablie partir des techniques corporelles pouvait mettre en lumire la facult de la pense mythique traduire dans ces termes certaines notions qu'on retrouve dans des cultures, des temps et des lieux fort loigns. Dans L'Origine des manires de table (1968 : 393), il crit :

    Un ouvrage entier serait ncessaire pour dresser une typologie de ces personnages bouchs ou percs, par en haut ou par en bas, par devant ou par derrire, incapables d'ingrer autre chose que des liquides ou de la fume [...], sans bouche ou sans anus,

    L'Homme 114, avril-juin 1990, XXX (2), pp. 27-49.

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    et donc privs des fonctions digestives. Sur le plan alimentaire, ils illustrent d'ailleurs une srie parallle d'autres ; sur le plan sexuel, celle des personnages sans pnis ou dots d'un long pnis, sans vagin ou dots d'un grand vagin [...] ; ou encore, en termes de vie de relation, dpourvus d'yeux ou privs d'articulations, et qui ne peuvent donc voir ou se mouvoir.

    Plus rcemment, Lvi-Strauss (1984, 1985), propos de ces personnages mythiques, a montr que la pense des Amrindiens avait amplement dvelopp les concepts d'analit et d'oralit, bien avant la naissance de la psychanalyse.

    Si l'on peut distinguer les tres marqus quant l'articulation de leurs membres, en particulier des pieds, et ceux marqus quant aux orifices du corps, le lien entre les deux sries apparat dans les mythes mmes. Dans plusieurs rcits, les Tarno (ou Trio) de la famille linguistique caribe mettent l'origine de l'agriculture en rapport avec soit l'absence d'anus chez le hros, soit l'absence d'articulation de ses membres (coudes, genoux, chevilles) (Magaa 1988). Chez leurs voisins Wayana, un mythe tablit un lien entre orifices corporels et articulations : un homme qui a promis de donner ses filles en mariage au jaguar fabrique des substituts en bois, mais ceux-ci manquent aussi bien d'orifices que d'articulations ; lorsqu'ils tombent du hamac, ils se cassent (Magaa 1987 : 44).

    Les personnages mythiques auxquels Lvi-Strauss se rfre, par exemple les nains qui n'ont pas d'anus et se nourrissent d'armes, ne se rencontrent pas qu'en Amrique. Comme il le remarque lui-mme (1968 : 394), on retrouve ces inhalateurs d'odeurs chez les Grecs qui les appellent astomoi, et les Romains.

    Nous ne traiterons pas ici de ces astomoi et autres monstres analogues3. Ce texte se limite aux articulations. En retraant le parcours capricieux d'une tribu plinienne, les Antipodes, nous passerons de l'imaginaire mdival l'imaginaire du Nouveau Monde. En suivant, mais en sens inverse, le chemin indiqu par Lvi-Strauss du Nouveau l'Ancien Monde4, nous reviendrons aux personnages dont il a parl au dpart.

    Le terme Antipode comporte en soi une double rfrence. Il peut dnoter, d'une part, des tres pliniens5 marqus d'une faon spciale quant aux pieds ; d'autre part, il peut avoir une signification cosmologique et renvoyer un monde qui, en un certain sens, est un anti-monde.

    Pour traiter d'abord des implications cosmologiques de ce terme, nous partons du chapitre ix du Livre 16 du De Civitate Dei de Saint- Augustin, qui donne la question de savoir si on peut imaginer que la partie infrieure de la Terre, qui est l'oppos de celle o nous habitons, est habite par des antipodes , une rponse tout fait claire : il n'y a aucune raison objective de croire que des gens vivent de l'autre ct du monde, o le soleil se couche lorsqu'il se lve pour nous, et marquent leurs pas l'inverse des ntres. C'est non pas l'observation mais l'induction qui sert de base son argumentation. Puisque tous les hommes, d'aprs Augustin, sont des descendants du premier

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    TEM.P E RKTA* A.U r I p o t>

    T4OBIS, iKCOOHITA

    /^. 1. Macrobe, In Somnium Scipionis Expositio , Philippo Pincio Mantuano, Venice, 1500. (Clich Bibliothque universitaire, Amsterdam.)

  • Fig. 2. Augustin, La Cit de Dieu, Ms. fr. 8, F. 163 V (xve sicle). (Clich Bibliothque municipale, Nantes.)

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    Fig. 3. Antipode. Fig. 4. Sciopode.

    Lycosthne, Prodigiorum ac Ostentorum Chro- nicum..., Ble 1557. (Clichs Bibliothque universitaire, Amsterdam.)

    Fig. 5. Hippopode.

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    anctre, l'existence des Antipodes l'endroit o la lgende les situe ne pourrait s'tablir que s'ils avaient travers les immenses tendues de l'ocan, hypothse qu'il rejette.

    Ce qui posait problme, ce n'tait pas la croyance en une masse terrestre infrieure qui quilibrait les rgions suprieures du globe. La croyance artisto- tlicienne en une terre sphrique tait largement accepte au Moyen Age ; seuls quelques-uns, par exemple le Byzantin Cosmas Indicopleusts au vie sicle, la rcusaient catgoriquement. De fait, ce dbat devait se poursuivre jusqu'au xvme sicle, lorsque les spculations sur l'existence des masses terrestres au sud, la terra australis, engagrent Kant et ses contemporains laborer des thories sur l'quilibre de la sphre terrestre (Kohi 1981 : 9). Le caractre sphrique de la terre fut une condition pralable la confection de la carte de Macrobe (Block Friedman 1981) o le globe est divis en cinq zones6 (fig. 1). Parmi celles-ci, l'une, la zone tempre, est habite. Pour des raisons de symtrie, on postule l'existence d'une deuxime zone, spare de la premire par une ceinture de chaleur torride, galement habite et que les cartes dsignent parfois du nom Antipodum.

    C'est au ve sicle que les crivains Macrobe et Martianus Capella apportrent leur contribution au dbat soulev par Augustin. Comme ce dernier, Macrobe soutient que le mme soleil se couche chez eux lorsqu'il se lve pour nous, et se lve lorsqu'il se couche pour nous 7. Toutefois, Macrobe se garde d'mettre une opinion l'gard des habitants ventuels de ces rgions ; l'impossibilit de franchir l'quateur empche tout contact entre les populations qui vivent au-dessus et en dessous de cette zone. Le De Nuptiis Philolo- giae et Mercurii de Martianus Capella, autre texte qui devait avoir une grande influence plus tard et qu'on date, par convention, des trente premires annes du ve sicle, accepte la thorie des cinq zones, mentionne les habitants de la zone tempre du sud sous le nom d'Antipodes8, mais vite de prciser quels ils sont. Au viie sicle, dans un texte qui se fait directement l'cho d'Augustin, l'archevque de Seville, Isidore, reste dans la ligne de son illustre prdcesseur en faisant reposer la croyance aux Antipodes sur des conjectures de potes9.

    Cent ans aprs Isidore, l'archevque irlandais de Salzbourg, un certain Virgile, fut souponn d'avoir dit qu'il y avait sous la terre un autre monde, d'autres gens, un autre soleil et une autre lune. Virgile fut convoqu Rome par le pape Zacharie afin de s'expliquer. Peu importe le rsultat de cette confrontation : la mise en garde tait suffisante pour que, par la suite, les crivains traitent avec circonspection de toute thorie gographique mettant en doute ce qu'affirmait la Bible, savoir que l'humanit entire descendait d'Adam et que le prche de l'vangile tait parvenu jusqu'aux confins du monde.

    Dans les versions allemande et nerlandaise du voyage de saint Brendan, ce moine irlandais du vie sicle brle un livre dans lequel il avait lu que sous ce monde il y en a un autre o il fait nuit lorsque le soleil brille ici 10. Son incrdulit est la raison de son voyage ; au cours de celui-ci, il dcouvre des endroits

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    et des gens de nature le convaincre du pouvoir de Dieu de crer des merveilles. Plus loin dans ce pome, le monde sous la mer est audible aux voyageurs en dtresse. Ce monde est celui d'une cour du xiie sicle : horloges, aboiements de chiens, hennissements, fracas des cornes, chants d'oiseaux, chants de prtres, rumeurs d'hommes et de femmes chantant et dansant, tous ces bruits parviennent aux oreilles de Brendan des profondeurs de la mer. Le pote est ici sur la corde raide car les reprsentations irlandaises d'un monde sous les eaux, dont il s'inspire (Edel 1985), sont dangereusement proches des points de vue non orthodoxes de Virgile de Salzbourg. Avec bon sens, il conclut cet pisode sans se prononcer sur la nature exacte de ce monde sub terra. Brendan laisse derrire lui l'ancre qu'il avait lance dans les profondeurs et entreprend sans elle son voyage de retour11.

    Le voyage de Brendan nous permet de passer de l'Ancien Monde au Nouveau, compte tenu du rle important que son auteur assuma en proposant des reprsentations relatives aux habitants de ce dernier (Kohi 1987 ; Mason, sous presse). Nanmoins, avant de changer de continent, notons que si l'on suppose que le mme soleil qui brille sur la zone tempre du nord brille galement sur celle du sud, il est facile d'imaginer que les habitants de cette dernire ressemblent leurs homologues septentrionaux. C'est ce que l'on voit, par exemple, dans un manuscrit du xve sicle qui reprsente Augustin prchant la doctrine aux habitants de la zone tempre suprieure et leurs opposs sub terra (fig. 2). Toutefois, un pote qui crivait en franais archaque la fin du xme sicle, le Clerc d'Enghien, les imagine tout autrement. Dans sa traduction en vers de Thomas de Cantimpr, il dcrit des gens dont la plante des pieds est renverse et dont la laideur est terrifiante. Ce sont des gens vils et bas, et viles et mchantes leurs lois et coutumes, car il n'y a aucun accord entre eux, et il y a des batailles entre eux tous les jours et donc l'un tue l'autre sans que l'un crie l'autre ' merci ' (cit in Block Friedman 1981 : 127). Ce manquement honteux aux rgles de la courtoisie contraste avec les murs civilises attribues aux Antipodes par Brendan et incite rflchir sur de telles divergences.

    Mais revenons Augustin. Dans le chapitre 16.8 de De Civitate Dei qui prcde la dmonstration que les Antipodes sont inhabitables, Augustin dresse une liste des races monstrueuses. On y trouve des gens dont la pointe des pieds est en sens inverse (fig. 3). Isidore dit que ces gens sont des Antipodes et il les situe en Libye, tout en ajoutant qu'ils ont huit orteils12. Tous deux reprennent le rcit que fait Pline des races humaines fantastiques dans le livre VII de son Historia Naturalis. Citant l'crivain grec Mgasthne comme sa source, Pline situe sur une montagne en Inde, appele Nulo, une race d'hommes dont les pieds vont en sens inverse et qui ont huit orteils13. On retrouve ce passage dans Solin14. Sur la base d'un certain Baiton, Pline localise en Scythie une race d'hommes appels Abarimon, aux pieds galement orients l'envers ; ils sont d'une agilit exceptionnelle et se mlent aux btes sauvages15. Aulu-Gelle, qui connaissait les crits de Pline mais avait aussi accs d'autres sources16, situe galement en Scythie une race d'hommes remarquables pour leur rapidit et

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    leurs pieds renverss17. On les trouve aussi dans le Liber Monstrorum, attribu un auteur anonyme d'un peu avant le ixe sicle18, ainsi que dans Ratramne de Corbie (auteur au ixe sicle d'une lettre sur les hommes tte de chien, les Cynocephali), qui dsigne ces tres aux pieds renverss sous le nom d'Anti- caudae.

    Dans tous ces textes, les gens aux pieds renverss appartiennent aux catalogues des races monstrueuses. Ce sont des races lgendaires dont l'existence tait, pour Augustin, la preuve de la puissance de Dieu et de son dsir de renforcer en l'homme le sens du merveilleux. Dans ces catalogues, on trouve les Antipodes, comme nous continuerons les appeler pour des raisons de commodit, proximit de races galement marques quant aux pieds. Pline19, aprs les Antipodes d'Inde, mentionne les Monocoli, race d'agiles unijambistes, puis les Sciopodes (fig. 4), une race d'tres dj connue des Grecs que l'on dcrivait gnralement comme unijambistes, trs rapides et capables de s'abriter de la chaleur du soleil en utilisant leur pied norme comme parasol. Augustin s'en tient au mme schma en faisant la description des Sciopodes aprs celle des Antipodes. Quant Isidore de Seville, il place ses Antipodes entre les Sciopodes et les Hippopodes (fig. 5)20, une race ayant des sabots de cheval au lieu de pieds et que Pline situe dans la Baltique.

    Le terme Antipodes peut s'appliquer deux types de personnages : les uns peuplent la partie oppose du globe et marchent la tte en bas, les autres, dont les pieds sont renverss, habitent des contres lointaines (pas ncessairement l'oppos).

    Compte tenu des conceptions gographiques d'alors, il tait facile de combiner ces deux notions en faisant concider les rgions torrides, o l'on avait tendance placer les races monstrueuses, avec les rgions de la zone tempre sud situes en bordure de la bande centrale que le soleil crasant rendait inhabitable. Suivant de prs la tradition de Macrobe, l'auteur du pome sur le voyage de Brendan situe la rencontre avec le monde souterrain immdiatement aprs que le bateau de Brendan fut rest immobilis pendant trois semaines et demie sous un soleil brlant, c'est--dire dans la zone centrale et torride du globe de Macrobe. Le rapprochement des Antipodes et des climats chauds figure sur la copie d'une carte tablie en 975 par un certain Emetrius : une rubrique en marge y identifie la quatrime partie du globe au del de l'ocan dont l'intrieur est mconnu cause de la chaleur du soleil et dont les extrmits sont, d'aprs la lgende, supposes tre habites par des Antipodes (cit in Block Friedman 1981 : 48).

    Si certains auteurs essaient de faire driver ces conceptions l'une de l'autre, nous les estimons toutes deux galement dfendables : les Antipodes en tant qu'habitants d'un lieu gographique situ de l'autre ct du globe, et les Antipodes en tant que race de monstres humains aux pieds renverss. Nous proposons donc une lecture structurale de ces deux types antipodiens.

    Il est curieux que les autorits anciennes et mdivales en la matire aient pu accorder plus de crdibilit l'existence de gens aux pieds renverss qu' celle

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    de gens vivant l'autre ct de la terre et marchant l'envers par rapport l'hmisphre suprieur. De nos jours, il serait sans doute plus facile de trouver des personnes pour croire un hmisphre sud inhabitable et inhabit que pour admettre l'existence d'un peuple aux pieds renverss. En analysant ces deux conceptions dans le cadre d'un systme unique, on peut mieux comprendre pourquoi la plausibilit d' ethnographies imaginaires s'est modifie.

    Compte tenu de l'immense varit de choix possibles, ds lors qu'on suppose que la rgion des Antipodes est habite, il est remarquable qu'on ait privilgi deux possibilits : soit une race renvoyant aux Europens leur reflet invers, soit une race imagine partir d'lments tirs de l'inventaire plinien des races humaines monstrueuses. Si l'on retient dans cet inventaire les races marques quant aux pieds, on ajoutera aux Abarimon, Sciopodes, Monocoli et Hippopodes dj mentionns les Himantopodes ou pieds-sangles (race de l'Est connue seulement par des rcits plus tardifs), les hommes aux pieds rouges situs, d'aprs la lgende alexandrine, proximit d'un tributaire mythique du Nil, et les Artibiratae, qui marchent quatre pattes. Dans cette liste, les Sciopodes sont particulirement intressants pour les Antipodes parce que, lorsque le Sciopode est allong, son norme pied se dirige aussi vers l'arrire, derrire la tte, ce que certaines illustrations ne manquent pas de souligner. Le vocabulaire utilis dans les sources (versus, adversus, aversus, etc.) indique que c'est au mcanisme de l'inversion que nous sommes confronts, sous des masques divers.

    Considrons d'abord l'inversion du reflet horizontal. Selon ce procd, le sujet est reprsent sur le mme plan mais certaines de ses caractristiques sont inverses. Ainsi dcrit-on une peuplade voisine comme vivant sur le mme territoire qu'une autre mais ayant des coutumes opposes. Par exemple, l'inversion concernera les rles attribus aux hommes et aux femmes ; ou bien, elle jouera dans le domaine culinaire et dittique ; ou encore dans la sphre linguistique, etc. De nombreuses reprsentations que les Grecs se sont faites de leurs voisins servent laborer, par inversion, les normes des non-Grecs vivant sur leur continent21. Des exemples de cet ordre, tirs des Amriques, abondent dans les quatre volumes des Mythologiques de Lvi-Strauss. Cependant, cette faon de gnrer des ethnographies imaginaires se heurte des difficults ds le moment o sont mises face face deux d'entre elles. Car, si on poursuit le jeu de l'inversion, les triades se rduisent ncessairement des dyades : si les gyptiens sont l'oppos des Athniens et qu'en mme temps les Scythes le sont aussi, quelle va tre la relation entre gyptiens et Scythes ? Comme le souligne F. Hartog (1980 : 68, 268-269), la rhtorique de l'inversion exclut tout troisime terme. C'est en cela que rsident la fois la force rhtorique de l'inversion, instrument privilgi de la pense utopique, et ses limites. L'inversion- reflet entrane invitablement une rduction des schmas binaires.

    Deuxime possibilit : l'inversion du reflet vertical. Un autre monde, qui est un sous-monde, reflte le monde d'en haut. L'inversion qui produit ce monde imaginaire inverse rappelle autant le thme bien connu de la descente au sous-

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    monde (Le Goff 1984) que celui du pays de Cocagne, renversement rituel cher aux anthropologues du carnaval.

    Au dbut du Moyen Age, ces deux possibilits l'horizontale et la verticale entrent en jeu ds qu'on tente de se figurer la vie une fois acheve la vie d'ici-bas. Au vie sicle dj, commentant le livre de Job, Grgoire le Grand labore une systmatisation verticale selon laquelle l'enfer est divis en rgions infrieure et suprieure. Selon lui, la relation entre ces deux rgions est analogue celle entre l'atmosphre et le ciel : l'atmosphre (partie infrieure du ciel) et les limbes (partie suprieure de l'enfer) se situent proximit de la surface de la terre, au-dessus et en dessous respectivement, tandis que le ciel et l'enfer gardent leur rle traditionnel de ples opposs verticalement. En d'autres termes, le ciel est l'enfer ce que l'atmosphre est aux limbes. Bien que la rgion suprieure de l'enfer que dcrit Grgoire soit les limbes, son exgse suscita la construction, dans le sous-monde imaginaire, d'une rgion diffrente : le purgatoire (Le Goff 1981 : 123). D'aprs Le Goff, ce n'est qu' partir de la fin du xne sicle que s'tablit une triple division entre le ciel, le purgatoire et l'enfer, qui remplace la division structurale en quatre parties dfinies par Grgoire (et Augustin)22. Aux xie et xne sicles, c'tait V infernalisation ou la satanisation du purgatoire qui favorisait une interprtation verticale, en termes de descente au sous-monde, ce qui rapprochait le purgatoire de l'enfer au lieu de le situer mi-distance entre celui-ci et le ciel. D'ailleurs, il tait gnralement admis qu'on ne pouvait entrer en enfer qu'en position verticale (Le Goff 1982). Mais selon d'autres versions le purgatoire tait plac sur le mme plan horizontal, soit l'ouest de l'Irlande, soit l'est de la Sicile (Le Goff 1981 : 273-278).

    Dans les deux cas, l'ethnographie imaginaire est le produit d'un renversement de l'image sur une charnire horizontale ou verticale. Le monde imaginaire se tient debout dans le bon sens (dans le cas de l'inversion l'horizontale), mais il se place sous notre monde (dans le cas de l'inversion verticale) ; le cosmos est alors stratifi. Une telle solution a au moins le mrite d'apporter une rponse aux objections de Lactante qui, dans son Divinae Insti- tutiones (3.24), rejette l'existence d'hommes aux antipodes du fait que, le monde tant sphrique, ceux-ci devraient marcher la tte en bas l o les arbres poussent vers le bas et non vers le haut, comme y tombent aussi la pluie et la neige.

    Ces mcanismes d'inversion et de renversement affectent non seulement la construction de mondes imaginaires, leur cosmogonie et leur cosmologie, mais galement la reprsentation de leurs habitants. Dans le monde antipodien les gens qui marchent la tte en bas ont renvers la position de la tte et du pied. Pareils des Sciopodes demi couchs, leur tte se trouve plus bas que leur pied. Le renversement de la pointe des pieds, chez les Antipodes des catalogues pliniens, est ainsi une version horizontale de ce qui se passe dans le monde l'envers. C'est ici que se rvle l'appartenance des deux types d'Antipodes un mme systme : les habitants du monde l'envers et les habitants du monde

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    suprieur dont les pieds sont renverss sont des variations sur un mme thme, l'inversion. Dans un cas, entre tte et pied, c'est une question de haut et bas ; dans l'autre, une question de devant et de derrire23. Nous rejoignons alors notre point de dpart, le schma de Lvi-Strauss o les notions de haut et bas, de devant et derrire jouent un rle eminent24.

    En d'autres termes, nous postulons que dans le cadre d'une conomie symbolique, l'inversion provenant du renversement sens dessus dessous quivaut l'inversion procdant du renversement en sens oppos du devant et du derrire. Si les habitants du monde tte en bas devaient aussi renverser le sens de leurs pieds, il y aurait redondance : ce serait une utilisation non conomique de l'inversion. Ces redondances se produisent nanmoins : un Sciopode, par exemple, peut tre en mme temps un Antipode s'il retourne son pied norme. Mais ces redondances ne sont pas exiges par la logique du systme.

    Une autre consquence de ce systme est que l'envers et le revers peuvent se situer au mme endroit. Si la marche en arrire des pieds aux pointes renverses mne vers un ancien monde perdu, l'Age d'Or, ce mouvement peut avoir des connotations utopiques comparables celles du mouvement utopique plus direct de l'inversion-reflet. A ce niveau, le monde inverse (monde l'envers, pays de Cocagne, par exemple) et le monde vers lequel le mouvement inverse se dirige (monde rebours, Age d'Or)25 occupent tous deux la place d'un monde dsir parce qu'il n'est pas ici.

    A ce stade on peut largir le systme. Les exemples cits jusqu' prsent sont tirs de reprsentations europennes de l'Antiquit et du Moyen Age. Mais, comme l'a signal Rudolf Wittkower (1942), les races pliniennes ne sont pas propres l'imagination europenne, dont nous allons comparer les produits avec les races de monstres du Nouveau Monde, suivant ainsi C. Lvi- Strauss et E. Magaa qui ont tous deux analys des exemples de races pliniennes partir du continent amricain (Lvi-Strauss 1985 ; Magaa 1982a, 1982b)26.

    L'interprtation l'amricaine (Lvi-Strauss 1958 : 227-255) n'est en aucune faon fortuite. Le Nouveau Monde fournit la preuve qu'il existait des gens au del de l'quateur qu'on assimila trs tt aux Antipodes (Bolens- Duvernay 1988). Par exemple, sur la page de garde de Newe Welt Und Ameri- canische Historien (Francfort 1655), Johan Ludwig Gottfied explique qu'il s'agit d'une Historia Antipodum oder Newe Welt. Cette convergence des conceptions de l'Ancien et du Nouveau Monde permet de comparer les mondes imaginaires du Moyen Age europen et ceux dcrits dans les sources amrindiennes.

    Les mythes des Indiens G du Brsil mettent en uvre l'inversion du reflet horizontal : l'autre monde est situ l'Est, sur le mme plan que leur territoire. Mais ils racontent galement l'histoire d'un Indien qui, tomb par mgarde dans un autre monde, se retrouva au sommet touffu d'un palmier buriti ; l'autre monde est donc ici au-dessous du monde suprieur tout en tant debout dans le bon sens (Wilbert & Simoneau 1978 : 30, 104). Il en est de

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    mme dans la cosmologie des Mataco d'Argentine, selon laquelle les habitants des mondes suprieur et infrieur alternent parce que ceux du bas se fatiguent de recevoir les excrments de ceux du haut (Wilbert & Simoneau 1982 : 46). Un autre mythe mataco raconte qu' l'origine le monde tait sans femmes, mais les hommes commencrent creuser un trou dans la terre aprs avoir entendu des voix souterraines et les femmes sortirent de ce trou {ibid. : 62-63). La relation entre les mondes suprieur et infrieur peut prendre aussi la forme d'une inversion extrme : le monde souterrain, o habitent des nains, est souvent dcrit comme une version sens dessus dessous du monde d'en haut27.

    Quant au deuxime type d'Antipodes, ceux dont les pieds sont renverss, on les retrouve sous les traits des curupir, sorte de dmons des forts signals pour la premire fois en 1560 par Jos de Anchieta qui les situe au Brsil (Cmara Cascudo 1962, I : 261). Ces nains ont les cheveux rouges et les pieds renverss, et dans certaines rgions ils ont les oreilles exceptionnellement longues, attribut d'une autre race de monstres, les Panotii ( tout oreille ), signals par Mgasthne. Ces nains sont hostiles aux trangers et tuent tous les gens qu'ils rencontrent (Bernardes, s.d. : 133-145)28. Ils sont connus aux Guy nes en tant que Kurupi (Magaa 1982b : 84). Deux tribus, les Sangare- mna et les Gulamna, que dcrivent les Kogi, sont supposes avoir les pieds renverss (ibid.). Toujours au Brsil, les Indiens Shikrin (G) attribuent une tribu trangre l'inversion de la tte et du pied : les membres de cette tribu ont des yeux aux pieds (Wilbert & Simoneau 1984 : 392). Selon les Chortis et les Mayas de San Antonio (Belize), les Sisimites sont des gants ou des nains effroyables reconnus leur chevelure qui tombe jusqu'au sol et leurs pieds tourns l'envers (Graulich 1987 : 258).

    Dans certains mythes nord-amricains, les nains souterrains prsentent une articulation dfectueuse. Les Wyandot, de la famille linguistique iroquoise, dcrivent une race de nains dpourvus de coude et qui ne peuvent plier leur bras qu' l'paule et au poignet (cf. Lvi-Strauss 1985 : 129-153 pour cet exemple et d'autres)29.

    L'absence d'articulation n'est certainement pas limite au Nouveau Monde. Elle est atteste dans des mythes de l'Antiquit, ainsi que le mentionne Aristophane dans le Symposion de Platon. Un mythe que raconte Eudoxe, signal par Plutarque {De Iside 62), explique que, selon les gyptiens, les membres de Zeus taient colls ensemble de sorte qu'il ne put pas marcher avant qu'Isis ne les ait spars ; ce rcit, qui a une dimension acoustique (Lvi-Strauss 1967 : 346-347) a aussi une connotation sexuelle (Mason 1984 : 67). De mme, les Sciopodes unijambistes, selon Augustin {De Civitatae Dei 16.8) et dans le Liber Mons- trorum, s'ils ont bien un genou, ne peuvent cependant le plier ; ce qui peut aussi bien avoir une signification sexuelle : le Sciopode qui figure sur les fresques (aujourd'hui rduites) du xve sicle de l'glise Rby au Danemark est remarquable non seulement par l'normit de son pied mais aussi par son vidente rection (Block Friedman 1981 : 204).

    Cette connotation sexuelle tient, l'origine, des thories d'aprs lesquelles

  • De l'Articulation 39

    l'ordre moral est altr par ce qu'on peut appeler un faux pas . Le mythe d' dipe en est un exemple : dipe, dont les anctres sont tous marqus quant aux pieds (Lvi-Strauss 1958 : 227-257 ; Vernant 1981), manifeste sa dviance morale (parricide et inceste) en clopinant et boitant. Dans un mythe des Kamayur (Xingu, Brsil central), des femmes ayant commis une faute sexuelle se trahissent en ne marchant pas comme il faut, dfaut la fois littral et mtaphorique (Jara & Magaa 1980 : 13). Si l'on accepte la symbolique freudienne du pied, on trouvera nombre d'exemples o la composante sexuelle est nettement prsente (Mason 1984 : 41-45). Par ailleurs, la marche correcte peut servir de modle l'ordre du cosmos. Dans le Livre de Chumayel, l'homme doit son origine au fait qu'il a deux pieds. La mesure soigneuse de ses pas instaure un ordre permettant de dnombrer les composants du monde (Brotherston 1979 : 182-183)30.

    Le symbolisme du pied tient galement une place importante dans le rituel chamanique. Dans le Codex Borgia, la divinit Tezcatlipoca ( miroir fumant ), qui possde divers attributs de chamane (elle est notamment gau-

    chre), est reprsente avec un miroir fumant la place d'un pied, allusion la capacit du chamane de tout voir et de matriser l'illusion31. Un autre personnage, qui peut tre interprt comme un avatar de Quetzalcoatl, est dpeint cette fois dans un codex mixtque {Vindobonensis Mexi- canus I) avec les jambes entrelaces (fig. 6). Ce dtail a t mis en rapport avec une infirmit propre aux chamanes chez les Quiche du Guate-

    Fig. 6. Codex Vindobonensis mala : l'homme appel le devenir perd le contrle Mexicanus I, f. 48. e ses jambes qui se transforment en serpents

    enlacs (Jansen 1982 : 144). Outre ces connotations morales, sexuelles et religieuses, des difficults dans

    la dmarche peuvent tre le signe de troubles de la communication en gnral (Vernant 1979 : 30-31). Apparat alors une relation entre les dviations au niveau des articulations et les dviations du langage. Pour les Arapaho, par exemple, dans le langage des nains les mots acquirent une signification oppose (Lvi-Strauss 1985 : 129-153). Dans les mythes grecs propos de la fondation de Cyrne, en Afrique du Nord, la famille du fondateur, Battos, est marque aussi bien par le boitement que par le bgaiement (Vernant 1981 : 237). Pour ce qui est du chamane Tezcatlipoca, la fume sortant du miroir qui remplace son pied souvent ne se distingue pas d'une volute de langage, et c'est pourquoi son nom peut se traduire par miroir parlant (Brundage 1979). Quoi qu'il en soit, l'association pied-miroir-langage est riche de significations.

    Compte tenu de la relation entre articulations du corps et articulations du langage, il convient de prendre, de faon littrale, le systme dans lequel s'insrent les Antipodes. Lvi-Strauss (1985 : 159) a dj indiqu que le code anal/oral du mythe peut tre considr comme un vocabulaire et une gram-

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    maire pour la communication entre les diffrents niveaux cosmiques. Dans le mme ordre d'ides, nous pensons que les articulations corporelles constituent un systme dont la connexion avec l'articulation du langage n'est pas fortuite. Cette proposition se trouve taye par une autre source. Dans une tude ingnieuse, Nancy Troike (1982) dmontre que les postures et gestes standardiss, particulirement ceux des mains, sont utiliss, dans les codex mixtques, pour communiquer demande et acceptation, conscration d'un voyage et mission sacre, ou encore l'hostilit. Cet aspect prvaut dans les dessins sur les considrations de figuration raliste notamment.

    Dans le Cours de linguistique gnrale de Saussure (1974 : 10), l'articulation, en matire de langage, dsigne ou bien la subdivision en syllabes de la chane parle, ou bien sa subdivision en units significatives. Elle ne suppose donc pas que la division entre langage et criture soit dj paracheve ; Derrida (1967) s'y rfre comme une archi-criture . L'absence de division entre langue et criture implique celle de fonctions de mdiation32. Elle suppose un certain rapprochement entre corps et langage-criture, une certaine utilisation du corps qui prfigure dj l'articulation du mot parl. Un exemple guajiro montre comment nous pouvons envisager l' archi-criture avant que l'criture proprement dite ait cr une diffrence entre le parl et l'crit. M. Perrin (1986) a soulign ce qui dans la pense et la pratique guajiro a contribu au dveloppement de leurs ides sur l'criture. Chasseurs, les Guajiro savent lire les traces du gibier. Le pouvoir cratif du hros culturel Maleiwa vient de sa capacit lire , car c'est partir des traces d'tres vivants inscrites sur l'argile, traces qui en prcdent l'existence, qu'il les a faonns. Enfin, les marques du clan, estampes sur le btail ou tatoues sur le corps des Indiens eux-mmes, constituent des messages destins aux lecteurs d'un autre monde33.

    D'autre part, pour certains thoriciens de la Renaissance, l'articulation permet de diviser et regrouper les noms selon des principes de coordination et de subordination, afin de parvenir des sries taxonomiques. L'articulation est l'instrument linguistique de la diffrenciation. Outre les noms et les verbes, il y a ce que les grammairiens de Port-Royal appelaient des accessoires : prpositions, conjonctions, marques de syntaxe indiquant l'identit, l'accord, le genre ou le nombre. Ces lments n'ont aucune valeur en soi. Leur valeur rside dans la totalit grammaticale dont ils font partie (Foucault 1966 : 114). Cette position a toutefois des dtracteurs. Un mouvement, dont les hritiers au xxe sicle sont Leiris et Ponge, essaya d'interprter toutes les parties du langage comme s'il s'agissait de noms qui avaient perdu leur point de rfrence au cours des ges. Pour l'abb Batteux, auteur d'un Nouvel examen du prjug de l'inversion (paru en 1767), toutes les particules du langage sont des mots qui ont perdu peu peu leur signification originelle, qui n'est plus toujours visible parce qu'elle tait lie aux gestes, au corps et la situation du locuteur {ibid. : 117).

    L'articulation en tant qu'arrangement, ordre, troite adaptation entre les parties composantes d'un tout, est une vieille notion indo-europenne, drive

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    d'une racine *ar-. Elle peut, dans des lexiques diffrents, masquer des aspects religieux, juridiques et techniques de 1' ordre qu'elle institue (Benveniste 1969, II : 101). Elle permet d'ordonner les divers domaines du monde extrieur. Mais les mondes et les tres imaginaires qui nous occupent ici ne sont pas donns dans cette extriorit ; ils prcdent toute observation empirique. La notion d'articulation fournit nanmoins un instrument puissant pour oprer la transition du corps au monde extrieur, grce sa double fonction : mtonymique et mtaphorique. Comme mtaphore, les membres (artus) suggrent une faon de concevoir l'articulation, une mthode pour ordonner des totalits externes. Comme mtonymie, les membres sont dj articulation (articuli).

    Voil pourquoi les races pliniennes sont si importantes pour penser la transition de la nature la culture, et d'abord celle de l'intriorit l'extriorit. Spculations sur le corps humain, les multiples combinaisons offertes par ces races s'adressent aussi au monde extrieur. Si l'on considre le langage comme une mdiation entre mots et choses, les inflexions corporelles des races pliniennes sont comme un langage antrieur la division entre le parl et l'crit. A ce niveau spcifique, la diffrence disparat entre cultures orales et lettres et, avec elle, le logocentrisme de l'anthropologie qui ne semble tre ds lors qu'une forme d'ethnocentrisme. Les implications grammatologiques des articulations corporelles semblent ainsi constituer une sorte de syntaxe. Leurs fonctions compltent celles des orifices du corps, puisque ces derniers peuvent tre considrs comme un systme de ponctuation (Mason 1988).

    Nous pouvons maintenant nous demander nouveau pourquoi la croyance en une race aux pieds renverss pouvait tre admise, encore qu'avec rserve, par Augustin et ses successeurs, tandis qu'on rcusait celle en un monde sens dessus dessous. Si les races pliniennes semblent utiles la construction de mondes imaginaires, il n'est pas surprenant qu'on s'y soit intress plus particulirement au cours des priodes d'expansion, lorsqu'elles offraient un moyen commode et familier de reprsenter les peuples rcemment dcouverts (Bolens- Duvernay 1988). Ainsi au xne sicle le dveloppement des connaissances gographiques s'est-il accompagn d'un progrs dans la gographie du purgatoire, monde imaginaire qui, ds cette poque, se vit assigner une forme concrte et un lieu spcifique (Le Goff 1981). Le langage fourni par les races pliniennes permit ensuite de traduire les nouvelles dcouvertes. Au contraire, un monde l'envers offre bien moins de moyens pour penser le nouveau. Domin par le principe de l'inversion, il ne peut servir gure plus qu' rflchir ce qui est dj familier.

    Toutefois, ces deux approches peuvent tre mises contribution pour servir une finalit unique : la rduction de l'Autre au Mme. Lors de la dcouverte du Nouveau Monde, les races pliniennes, auxquelles taient assimils les peuples qui y vivaient, avaient pour fonction de ramener ce qui tait trange dans le Nouveau Monde ce qui tait trange mais en mme temps familier dans l'Ancien. Leur flexibilit leur assurait une plus grande capacit couvrir la varit des phnomnes.

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    Au xive sicle, on peut encore trouver trace du dbat sur la vision macro- bienne du monde. Nicolas Oresme (1332-1382), l'un des traducteurs qui popularisa Aristote, continuait nier comme Augustin, partir d'arguments doctrinaux, que les Antipodes fussent habitables. Toutefois, au mme sicle, Mande- ville accepte l'existence d'Antipodes sous le ple antarctique :

    Ainsi je dis vraiment qu'un homme pourrait aller tout autour de la terre, en haut et en bas, et revenir son pays, pourvu qu'il ait sant, bonne compagnie et un bateau, comme je l'ai dit plus haut. Et tout au long de son chemin il rencontrerait des hommes, des terres, des les, des villes et des villages, tels qu'il en existe dans ces contres. Car vous savez bien que ces hommes qui vivent exactement sous le Ple Antarctique ont leur pied contre le pied de ceux qui vivent exactement en dessous du Ple Arctique, de mme que nous et ceux qui vivent nos Antipodes sommes pied contre pied. Il en est ainsi partout. Chaque partie de la terre et de la mer a son oppos, qui l'quilibre toujours (Mandeville 1983 : 128-129).

    Les arguments de Mandeville sont fonds exclusivement sur la raison, comme avant lui ceux de Macrobe. A la suite de la dcouverte des Amriques, on aurait pu s'attendre un changement dans le dbat au sujet des Antipodes. Aussi est-il encore plus remarquable que le contexte de cette discussion soit rest inchang bien aprs les voyages de Colomb, Vespucci et Magellan. En 1522, dans un cours magistral aux tudiants de l'universit de Bologne, P. Pomponazzi, qui tait surtout attir par les contradictions entre la philosophie et la thologie (Wind 1967 : 98, n. 4), dclara prime la cosmologie aristotlicienne (Nardi 1965 : 42-43). Pomponazzi avait reu une lettre d'Antonio Pigafetta dans laquelle ce dernier prouvait que des gens vivaient sous l'qua- teur. Comment tait-ce conciliable avec la doctrine augustinienne qui les excluait de la rdemption ? Pomponazzi se refusa y apporter une rponse, moins que le Christ ait t crucifi, peut-tre, sous un autre ple aussi ! Un autre participant ce vieux dbat, Thomas More, jongle ironiquement avec les points de vue thologiques et philosophiques : tout en octroyant crdit, sur des bases rationnelles, l'existence possible des Antipodes, leur existence relle est nie du fait qu'ils sont relgus en Utopie (Seeber 1971 : 83).

    En analysant de nouveau les questions doctrinales, le pre jsuite Jos de Acosta (1540-1600) parvint une conclusion diffrente. Que toutes les races humaines descendaient forcment d'Adam demeurait, pour Acosta, une prmisse inattaquable. Cependant, le fait tait maintenant prouv qu'il y avait des humains vivant sous les tropiques. La solution d 'Acosta est la suivante : compte tenu la fois de la prmisse inattaquable et des nouvelles preuves ethnographiques, on ne peut sortir de l'impasse qu'en admettant une connexion gographique entre l'Europe et les Antipodes. D'aprs lui, les Indiens, de mme que tous les autres peuples non smites, taient des descendants de Japhet34, l'un des trois fils de No. Ils taient parvenus en Amrique, soutenait-il, en traversant par voie terrestre ce qui est de nos jours le dtroit de Behring (Pagden 1982 : 194).

  • De l'Articulation 43

    La mthode d'Acosta avait l'avantage d'offrir une perspective permettant de situer des niveaux diffrents d'accomplissement culturel dans le cadre d'une seule grille unificatrice. Elle rendait possible l'ethnologie, le relev des divers groupes ethniques dans le cadre d'un logos unique. Relever renvoie aux objectifs de l'Atlas de Mercator qui voulait donner une vision homogne de l'espace, afin de remplacer celle qui faisait des diffrentes rgions les lieux d'ancrage d'investissements symboliques divers. Aucune rgion n'est laisse de ct et l'inconnu (Terra aust ralis incgnita) y est prfigur, invent en vue d'une totalisation hsitante de la forme de la Terre (Rabasa 1985 : 10).

    La flexibilit des races pliniennes tait contraire, dans une telle perspective, aux tentatives d'imposer un logos unificateur. L'absence mme de spcificit gographique devait ncessairement aboutir leur expulsion finale des reprsentations d'un monde o mme les marges sont reconnues. Dans une perspective chronologique qui correspond peu prs celle adopte ici, Jara et Magaa (1982) datent du xvie sicle la fin de l'poque o la diversit tait accepte et le dbut d'un mouvement unificateur qui met en pratique ce qu'ils appellent les rgles de la mthode imprialiste. Selon eux, cette poque marque l'chec reconnatre l'htrognit des cultures et le dsir de les inclure dans une chelle taxonomique.

    Cependant, si l'une des caractristiques de l're dite post-moderne est la disparition de toute thorie grandiose et unificatrice, et une conscience renouvele de l'incommensurabilit des cultures (Lyotard 1979 ; Overing, ed., 1985), peut- tre est-il temps de remettre l'honneur les races pliniennes. Elles offrent l'anthropologie un instrument pour s'ouvrir Paltrit. Rsistantes au logos unificateur, elles invitent spculer sur cet autre et sur les dfinitions 'anthropos. Comme le souligne J. Card (1977 : XI), c'est prcisment un des offices des faits trs rares, des monstres, des prodiges, des merveilles, de nous veiller au sens des diffrences . C'est pourquoi les races pliniennes occupent une place privilgie dans la pratique de l'ethno-anthropologie. Leur tranget souligne la singularit des usages populaires de l'pistmologie europenne. Et si l'on essaie d'accommoder cet usage populaire les reprsentations culturelles, jusqu' prsent peu adaptes, de la majorit silencieuse du monde (Ardener 1985 : 65), il ne suffira plus d'largir les concepts de l'anthropologie : le traitement plus radical que proposent les tenants de la dconstruction s'imposera. Amsterdam

    NOTES

    1. Les erreurs auraient t plus nombreuses si Edmundo Magaa, Maarten Jansen et Jean Pouillon n'avaient accept de relire ce texte.

    2. Sur les techniques corporelles des anciens Grecs, voir Foucault 1984a et Mason 1984. 3. J'en ai discut ailleurs (Mason 1988). 4. Lvi-Strauss (1983 : 263-275) est lui-mme revenu sur ses pas en allant ds anciennes conceptions

    grecques celles du Nouveau Monde pour appliquer la vgtation du Nouveau Monde les vues de M. Dtienne (1972) sur les codes aromatiques et culinaires des Grecs.

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    5. On trouve souvent le terme plinien dans des discussions rcentes sur les races humaines monstrueuses (cf. par ex. Block Friedman 1981). Son emploi s'explique par le catalogue tendu qui se trouve dans les livres VI et VII de V Historia Naturalis de Pline l'Ancien.

    6. La thorie des cinq zones est attribue au philosophe prsocratique Parmnide. 7. Macrobe, Commentarii in Somnium Scipionis, 5. 24. 8. Martianus Capella, De Nuptiis Philologiae et Mercurii 6, 605 ff . L'auteur distingue en outre ant

    ipodes et autichtones, mais cette distinction est assez confuse (Parroni 1984 : 180), comme chez son prdcesseur du Ier sicle Pomponius Mela (De Chorographia 1.4).

    9. Isidore, Etymologiae 9.2.133 : Iam vero hi qui Antipodae dicuntur, eo quod contrarii esse vesti- giis nostris putantur, ut quasi sub terris positi adversa pedibus nostris calcent vestigia, milla ratione credendum est, quia nec soliditas patitur, nee centrum terrae.

    10. De Reis van Sinte Brendaan, vv. 38-41. 11. Pour d'autres rfrences au monde des Antipodes dans la littrature nerlandaise du Moyen Age,

    voir Lie 1988. 12. Isidore, Etymologiae 11.3.24. 13. Pline, Historia Naturalis 1 '.2.22. Cf. Strabon 15.1.57 (Mgasthne). 14. C. Iulius Solinus, Collectanea Rerum Memorabilium 52.26. 1 5 . Pline , Historia Naturalis 7.2.11. 16. L'analyse de textes a prouv que Gellius tait tributaire d'une source grecque ignore ainsi que de

    Pline (Bolton 1962). L'autonomie relative de Solin par rapport Pline a t dfendue par T. Mommsen (1895 : xv-xvi).

    17. Aulu-Gelle, Noctes Atticae 9.4.6. 18. Liber Monstrorum 1.29. 19. Pline, Historia Naturalis 7.2.34. 20. Chez Ratramne de Corbie, ils apparaissent abusivement sous le nom d'Hippodes. 21. Cf. par ex. Hartog 1980 ; Rossellini & Said 1978. 22. La datation de Le Goff, qui se fonde sur le rle dcisif de la premire apparition du vocable purga-

    torium, est contestable. C. Carozzi (1983), adoptant une position plus raliste que nomina- liste (ces termes proviennent de Le Goff 1981 : 497), situe plus tt l'avnement du purgatoire, au vme et peut-tre mme au vie sicle.

    23. Ceci est explicite dans le Liber Monstrorum (1.29) o les pieds sont tourns l'envers dans la direction oppose celle de la tte.

    24. Il ne serait pas excessif d'aller au del de Lvi-Strauss jusqu' Freud : les inversions horizontale et verticale entreraient toutes deux dans la catgorie du dplacement.

    25. Pour une distinction entre monde l'envers et monde rebours, voir en outre Le Goff 1985 : 24. 26. On peut videmment trouver des exemples en dehors des Amriques. Par exemple, parmi les ver

    sions chinoises de races humaines monstrueuses cites dans F. de Mely (1897), figure une race d'hommes ayant des sabots de cheval qui ressemblent aux Hippopodes grco-romains.

    27. Dans le systme pictographique du Walam Olum, enregistr par les Lenape Algonkin au xvne sicle, le procd de l'inversion horizontale et verticale lorsqu'il est utilis pour dsigner les points cardinaux et les concepts en haut et en bas exprime aussi la ngation et l'opposition. On trouve des parallles dans l'iconographie des Iroquois et des Sioux (Brotherston 1979 : 51), et galement un glyphe invers, signifiant la ngation ou l'opposition, sur la dalle J du mont Alban dans la valle d'Oaxaca, date d'environ 300 av. J.-C. (ibid. : 229).

    28. Bernardes, sur la foi de Jos de Acosta, cite un certain nombre de ces esprits. Il mentionne, en plus du curopir des bois, Vigpupiar qui habite les rgions ctires et les berges des cours d'eau. Il recense aussi des nains de montagnes (bergmanlin) et des nains de mines (suebrgios) .

    29. Les Akan (Ashanti) du Ghana croient que les forts sont habites par des mmoatia (nains) et par des monstres et des sorcires des bois. Le sasabonsam, monstre des forts, est couvert de longs poils, a de grands yeux rouges, de longues jambes et des pieds qui vont dans tous les sens. Il est assis sur un arbre et balance ses jambes pour attraper les chasseurs imprudents (Busia 1954 : 195). Il est remarquable que les Akan contemporains croient qu'il faut parler aux nains des forts en murmurant (A. Stenfert Kroese, communication personnelle). La relation, qui en dcoule, entre l'articulation du corps et l'articulation du langage est traite dans les paragraphes suivants.

  • De l'Articulation 45

    30. Voir la liturgie sioux, propos du voyage de l'me aprs la mort, comme autre exemple de la fonction des pas dans la cosmogonie (Brotherston 1979 : 258-259).

    31. Notons au passage la caractrisation du ka'o'o mataco comme un chamane dot de quatre yeux et, parfois, de deux sur la nuque ou aux pieds (Prez-Diez 1988 : 128).

    32. De mme elle implique un moment pralable la transformation de la chair en corps effectue par l'criture (De Certeau 1979).

    33. L'utilisation du corps comme un retrait du langage est un corollaire de la conception du corps en tant que pr-langage. M. de Certeau (1982 : 47-70) donne des exemples aux ive et vie sicles du retrait de l'idiot dans son corps ; dans son or alit et ses rapports aux souillures, cela dnote une rgression du langage articul vers le corps comme l'Autre du signifiant .

    34. Jean de Lry (1980 : 196-197) convient que les Amrindiens descendent de l'un des fils de No. Il choisit Cham plutt que Sem ou Japhet car, dit-il, d'aprs Mose leurs descendants vivaient sur des les de la Mditerrane.

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  • De l'Articulation 49

    ABSTRACT

    Peter Mason, On Articulation. The term Antipode has a double reference. Within an ethno-anthropological perspective, it can refer to a Plinian race marked in terms of its feet. It also has a cosmological reference, designating an otherworld where everything is the inverse of our world. In tracing the development of these two systems, we pass from the medieval imaginary to that of the New World in order to outline their role within a theory of articulation.

    ZUSAMMENFASSUNG

    Peter Mason, Von der Artikulation. Das Wort Antipode kann zwei Bedeutungen erhalten. In einer ethno-anthropologischen Sicht bezeichnet es eine Plinische Rasse, deren Angehrige durch eine Deformation des Fusses gekennzeichnet sind. Es kann aber auch eine kosmologische Bedeutung erhalten und definiert dann eine Welt, in der alles verkehrt abluft. Verfolgt man das Schicksal dieser beiden Systeme, geht man von der mittelalterlichen Bilderwelt zu derjenigen der Neuen Welt ber und kann so ihre Rolle in einer Theorie der Artikulation bestimmen.

    RESUMEN

    Peter Mason, Sobre la Articulacin. El trmino Antpoda tiene una referencia doble. Desde una perspectiva etno-antropolgica, puede designar una raza plnica marcada en cuanto a los pies. Por otro lado, puede referirse a otro mundo, donde todo es lo invertido de lo que pasa en nuestro mundo. En persiguiendo el destino de ambos sistemas, pasamos del imaginario medieval al del Nuevo Mundo a fin de precisar su rol dentro de una teora de la articulacin.

    InformationsAutres contributions de Peter MasonCet article cite :Jacqueline Bolens-Duvernay. Les Gants Patagons ou l'espace retrouv. Les dbuts de la cartographie amricaniste, L'Homme, 1988, vol. 28, n 106, pp. 156-173.

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    IllustrationsFig. 1 Macrobe, In somnium Scipionis ExpositioFig. 2. Augustin, La Cit de DieuFig. 3. AntipodeFig. 4. SciopodeFig. 5. Hippopode

    PlanBibliographie