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DE LâUTILITE DE LâHERMENEUTIQUE DES TANTRA
BOUDDHIQUES A PROPOS DâUN EXPOSE DE LâAPPAREIL DES
âSEPT ORNEMENTSâPAR UN DOXOLOGUE ERUDIT DGE LUGSPA DBAL MANG DKON MCHOG RGYAL MTSHAN
(1764-1863)
e texte prĂ©sentĂ© ici, traduit1 et quelque peu commentĂ©, est unexposĂ© du plus usitĂ© des appareils hermĂ©neutiques bouddhiquesappliquĂ©s aux tantra, les âSept Ornementsâ (saptĂ„la”kĂ„ra ;
rgyan bdun)2.
Cet exposĂ© intitulĂ© âExposĂ© des anuttarayogatantra et instructionsconcernant les mĂ©thodes dâexplication des tantraâ est lâune des sectionsdâun ouvrage plus vaste : lâExposĂ© du sens gĂ©nĂ©ral des quatre classes detantra, appelĂ© âPorte des mantraâ3. Ce traitĂ© a Ă©tĂ© composĂ© par dBalmang dKon mchog rgyal mtshan4, Ă©minent polygraphe de lâĂ©cole dGelugs pa, 24e abbĂ© du cĂ©lĂšbre monastĂšre de lâAmdo, Bla brang bKra shisâkhyil, disciple du 2e âJam dbyangs bzhad pa et contemporain du fameuxĂ©rudit Gung thang âJam paâi dbyangs, 21e abbĂ© du mĂȘme monastĂšre5.
Les exposĂ©s dĂ©taillĂ©s des Sept Ornements ne sont pas trĂšs nombreux :les Sept Ornements sont le plus souvent nommĂ©s dans le cadre de leurapplication Ă un tantra et quand ce nâest pas le cas, ils sont seulementĂ©numĂ©rĂ©s. Cet exposĂ©, comparĂ© aux quelques exposĂ©s un peu dĂ©taillĂ©s
1 Un extrait de cet exposĂ©, le passage concernant le âsens cachĂ©â a Ă©tĂ© dĂ©jĂ traduit et
commentĂ© dans mon article âHermĂ©neutique des tantra : Ă©tude de quelques usagesdu âsens cachĂ©â : Du sens cachĂ© (garbhyĂ„rthaïżœ; sbas don), de sa fonction acroama-tique pour lâenseignement des tantra, de son usage comme sens accommodatice danscertains textes canoniques transitionnels ou hybridesâ, Journal of the InternationalAssociation for Buddhist Studies (dorĂ©navant abrĂ©gĂ© en J.I.A.B.S.), vol. 21, 2, 1998,pp. 173-227.
2 Il existe aussi un autre appareil hermĂ©neutique appliquĂ© aux tantra, les Six Instruc-tions (gdams ngag drug) dont les Ă©lĂ©ments semblent, pour la plupart, identiques(dans leur fonction et mĂȘme parfois leurs dĂ©nominations) Ă ceux des Sept Orne-
ments, et dont lâutilisation semble avoir Ă©tĂ© plus restreinte : v. M. Broido, âbShadthabs : Some Tibetan Methods of Explaining the Tantrasâ, 1983, pp. 19-20.
3 rNal âbyor bla med kyi rgyud rnam bzhag dang rgyud bshad thabs kyi man ngag,dans rGyud sde bzhiâi don rnam par bzhag pa sngags paâi jug paâi sgo vol. 5, TheCollected Works of dBal mang dKon mchog rGyal mtshan, reproduction de lâĂ©ditionde A mchog dGaâ ldan chos âkhor gling, 1974.
4 V. sa biographie dĂ©taillĂ©e, Yongs rdzogs bstan paâi mngaâ bdag rje btsun bla ma rdorje âchang dkon mchog rgyal mtshan dpal bzang poâi zhal snga nas kyi rnam tharâdod âjug ngogs par son disciple, le 29e abbĂ© de Bla brang, Brag dgon zhabs drungdKon mchog bsTan pa rab rgyas (Collected Works of dPal [sic] mang dKon mchogrGyal mtshan, vol. 10 - v. A.I. Vostrikov, Tibetan Historical literature, 1970, p. 88)Bien que depuis A.I. Vostrikov, une graphie corrigĂ©e soit en usage chez les spĂ©cial-istes, lâorthographe correcte du nom de cet auteur est dBal mang.
5 V. E. Steinkellner, âLiterary source for late 18th-century spoken Tibetan (amdowa)â,1980, p. 246.
L
HermĂ©neutique des Tantras 5qui, nĂ©anmoins, existent tels que ceux de Candrak„rti6 ou de ĂraddhĂ„ka-ravarman7 (dont jâai donnĂ© ailleurs une traduction commentĂ©e)8, a plu-sieurs qualitĂ©s. Il est lâun des plus clairs et dâune longueur telle quâonpeut aisĂ©ment sâen faire une vue dâensemble. En outre, il sâinscrit asseztardivement dans cette tradition tibĂ©taine9, ce qui permet de le comparerutilement Ă ceux des principaux auteurs de cette tradition.
Ce document constitue, de plus, un remarquable exemple de cetteâinculturationâ rĂ©ussie dont parle D. Seyfort Ruegg Ă propos du boud-dhisme tibĂ©tain, de cette prolongation sans rupture de continuitĂ©, dâidĂ©eset de schĂ©mas dâorigine indienne, en un mot de âcette aptitude Ă penserle dharma dans un style typologiquement indienâ10.
La prĂ©sentation et lâexamen de la traduction de cet exposĂ© sera aussilâoccasion de rappeler lâutilitĂ© et la fonction de lâhermĂ©neutique boud-dhiste en gĂ©nĂ©ral et plus particuliĂšrement de lâhermĂ©neutique des tantra..
1. LâHermĂ©neutique bouddhiste
1.1. UtilitĂ© et Fonction de lâhermĂ©neutique bouddhiste
LâĂ©tude des Tantra a suscitĂ©, dans le passĂ©, un intĂ©rĂȘt trĂšs vif chez lesbouddhologues et tibĂ©tologues ; bien que cet intĂ©rĂȘt persiste encore chezces derniers - du moins pour les Tantra anciens - on peut sâĂ©tonner de laplace modeste consacrĂ©e Ă leur interprĂ©tation. Et pourtant, si lâon doutait
6 Un exposĂ© extrĂȘmement bref des Sept Ornements figure au dĂ©but de la
Prad„poddyotana-nĂ„ma-â „kĂ„; sGron ma gsal bar byed pa zhes bya baâi rgya cherbshad pa, P.2650 vol. 60, 23.1.1 - 117.3.7 (T. 1785) (=Prad„poddyotana).
7 Ye shes rdo rje kun las btus paâi rgyud las âbyung baâi rgyan bdun rnam par dgrolba [JñÄnavajrasamuccaya - nĂ„ma-tantrodbhavasaptĂ„la”kĂ„ravimocana], P.2654, vol.60, 138.2.5. - 139. 1. 4, traduit par lâauteur et Rin chen bzang po (=rGyan bdunrnam dgrol.).
8 âHermĂ©neutique des Tantra : le Ye shes rdo rje kun las btus paâi rgyus las âbyungbaâi rgyan bdun rnam par dgrol ba de ĂraddhĂ„karavarman. Un exemple de modĂ©li-sation de lâappareil hermĂ©neutique des âSept ornementsâ des (saptĂ„la”kĂ„ra ; rgyanbdun), Ă partir de son application Ă un tantraâ, in Religion and Secular Culture inTibet, 2002, pp. 163-185.
9 Cette tradition hermĂ©neutique semble ĂȘtre commune aux diverses traditions re-ligieuses tibĂ©taines puisque les Ćuvres les plus reprĂ©sentatives consacrĂ©es partielle-ment ou totalement au sujet seraient celles des grands lettrĂ©s tels bSod nams rtse mo(1142-1182), Sa skya PaËâita Kun dgaâ rgyal mtshan (1182-1251), Tsong kha pa Blobzang grags pa (1357-1419), sGam po pa bkra shis rnam rgyal, (1512-1587), Padmadkar po (1527-1592), Kong sprul blo gros mthaâ yas (1813-1899) (v. Ă ce sujet, M.Broido, 1983, p. 45), etc.
10 V. D. Seyfort Ruegg, Ordre Spirituel et Ordre Temporel dans la PensĂ©e Bouddhiquede lâInde et du Tibet, 1995, pp. 142, 145.
Revue dâEtudes TibĂ©taines6un instant de lâutilitĂ© ou de lâinterĂȘt de lâhermĂ©neutique11 ou de sonĂ©tude, il suffirait de lire un tantra. Si lâon nây est pas prĂ©parĂ©, la lecturesâen avĂšre bien difficile voire rebutante et câest lĂ quâon peut apprĂ©cier
lâexplication Ă©tymologisante de âprĂ©parationâ que donne E. Steinkellnerdu mot ala”kĂ„ra (rgyan : ornement) dans saptĂ„la”kĂ„ra (les âsept orne-mentsâ)12.
Pour expliquer la place et lâutilitĂ© de lâhermĂ©neutique comme mĂ©dia-tion et thĂ©orie de lâinterprĂ©tation, on pourrait dire, tout simplement,quâelle existe parce que, par exemple, les bouddhologues et les tibĂ©tolo-gues et autres chercheurs travaillant sur des textes bouddhiques ne de-viennent pas, de ce fait, inĂ©luctablement bouddhistes ou buddha. En unmot, et plus sĂ©rieusement, lâhermĂ©neutique existe dâabord, parce que lesĂȘtres Ă lâĂ©coute de la doctrine du Buddha ne deviennent pas, de suite,buddha ou, Ă tout le moins, nâobtiennent pas la dĂ©livrance (mokâa) ; la
raison nâen est pas, seulement bouddhique ; en effet, si la âcondition lan-gagiĂšreâ (sprachl ichkei t) - pour reprendre une expression delâhermĂ©neutique post-heideggerienne de H.-G. Gadamer) - est bienconnaturelle de toute expĂ©rience humaine, elle nâentraĂźne, pour autant,quâune dicibilitĂ© relative : ce point constitue une difficultĂ© bien connuede la gnosĂ©ologie et de lâhermĂ©neutique bouddhistes.
Cette espĂšce dâopposition entre le dicible et lâindicible, de mĂȘme quecelle qui naĂźt de la distinction entre lâanalyse intellectuelle et la nonconceptualisation mĂ©ditative (laquelle a engendrĂ© lâopposition entre gra-
11 Il est surprenant, par exemple, que, dans un article présentant une traduction et une
explication du chapitre sept du GuhyasamĂ„jatantra (âChapter Seven of theGuhyasamĂ„jatantraâ de F. Fremantle, 1990), on ne trouve aucune allusion aux SeptOrnements qui sont le mode dâexplication privilĂ©giĂ© de ce tantra ; mais les sĂtra nesont pas en reste puisquâon peut aussi regretter que, dans un article pourtant ex-trĂȘmement intĂ©ressant, consacrĂ© Ă âLa place des SukhĂ„vat„-vyĂha dans le bouddhismeindienâ (G. Fussman, Journal Asiatique, 287. 2 (1999), pp. 523-586), alors quâestabordĂ©, Ă propos du vĆu de renaĂźtre Ă SukhĂ„vat„, lâapparente contradiction du cultedâAmitĂ„bha avec un mahĂ„yĂ„na âorthodoxeâ, il ne soit jamais mentionnĂ© que le vĆude renaĂźtre Ă SukhĂ„vat„, constitue un des lieux communs de lâhermĂ©neutique boud-dhiste tant indienne que tibĂ©taine, puisquâil est toujours donnĂ© comme modĂšle dekalĂ„ntarĂ„bhiprĂ„ya (dus gzhan la dgongs-pa), par exemple, par Asaâ«ga, dans le Ma-hĂ„yĂ„nasa”graha (v. P. ArĂšnes, âHermĂ©neutique des Tantra : les âSix extrĂȘmes (oupossibilitĂ©s alternatives)â (saâ koâ i ; mthaâ drug). A propos dâun exemple deprĂ©gnance des modĂšles exĂ©gĂ©tiques des sĂtraâ in Revue dâEtudes TibĂ©taines, 1, 2002,p. 21 et n. 67).
12 La tradition bouddhiste indienne (Ăryadeva, Bhavyak„rti) explique ala”kĂ„ra commequelque chose qui embellit (Ă lâinstar dâun joyau) ou qui parachĂšve ; E. Steinkellner,
âRemarks on Tantristic Hermeneuticsâ, 1978, 450, n. 15), revenant Ă une autre ac-ception du mot (v. J. Gonda, 1975, p. 265) propose de traduire ala”kĂ„ra (rgyan) par
âprĂ©parationâ, parce que ces âornementsâ servent Ă organiser ou Ă âprĂ©parerâlâenseignement de textes tantriques ; pour plus de dĂ©tails, v. P. ArĂšnes, 1998, p. 181.
Herméneutique des Tantras 7dualisme et subitisme dont on connaßt les expressions historiques)13
correspond, entre autres, Ă des tensions sous jacentes Ă la doctrine14. Pourdonner quelques exemples de lâexpression concrĂšte de ces tensions, onpeut citer certaines positions doctrinales et pratiques dĂ©noncĂ©es dans laChronique de bSam yas, autrement dit le sBa bzhed15, commelâaffirmation de la validitĂ© de la pratique de la seule Sagesse (prajñÄ ;shes rab) sans la MĂ©thode (upĂ„ya ; thabs), ou bien encore, la dĂ©noncia-tion contraire dâune approche livresque et scholastique dâune rĂ©alitĂ© com-prise, en fait, des seuls mĂ©ditants16. La Doctrine comporte, en effet, deuxaspects : la doctrine des enseignements (Ă„gama ; lung) et la doctrine desrĂ©alisations (adhigama ; rtogs pa)17. Elle nâest donc pas seulement uneaffaire de langage18. Aussi la question se pose-t-elle de savoir si lâonpeut transmettre une expĂ©rience par nature ineffable (anabhilĂ„pya) puis-que, dans la SĂtrĂ„la”kĂ„raâ „kĂ„, il se trouve un contradicteur qui soutientque de la mĂȘme maniĂšre que le mot âfeuâ ne peut exprimer la nature dufeu (car sâil en Ă©tait ainsi, en disant ce mot, on aurait la bouche quibrĂ»lerait), de mĂȘme, ce qui doit ĂȘtre rĂ©alisĂ© par soi-mĂȘme et qui estcompris par les buddha ne peut ĂȘtre enseignĂ© aux autres. Bien sĂ»r, lecontradicteur, se voit rĂ©pondre par Vasubandhu que la fonction de ladoctrine est de conduire les ĂȘtres Ă cet inexprimable, en quelque sorte,dâĂ©puiser ce qui est Ă dire19! Cet inexprimable qui tient Ă la nature ul-time, Ă la vĂ©ritĂ© ultime (paramĂ„rthasatya) du monde et des ĂȘtres estpourtant ce Ă quoi ceux-ci doivent ĂȘtre introduits. Paradoxalement, câestde cette rĂ©alitĂ© difficile et profonde (gambh„ra), que la Doctrine doit de-venir, en quelque sorte, lâhermĂ©neutique : le Buddha sera donc le premierhermĂ©neuticien. Je rappellerai Ă ce sujet, lâĂ©pisode bien connu de la viedu Buddha de la premiĂšre mise en mouvement de la Roue de la Loi, Ă BĂ©narĂšs. Lorsquâil Ă©nonça, en une premiĂšre formulation, les Quatre No-
13 V. D. Seyfort Ruegg, Buddha nature, Mind and the problem of Gradualism in a
comparative perspective: On the transmission and reception of Buddhism in Indiaand Tibet, 1989.
14 V. D. Seyfort Ruegg, âSome Reflections on the Place of Philosophy in the Study ofBuddhismâ, J.I.A.B.S, vol. 18, 2, 1995, p. 172.
15 Stein, R.A., Une Chronique ancienne de bSam-yas : sBa-bÏed., 1961, p. 90 ; Ă pro-pos du sBaâ bzhed, v. aussi dBaâ bshed - The Royal Narrative Concerning theBringing of the Buddhaâs Doctrine to Tibet, par Pasang Wangdu & Hildegard Diem-berger, 2000.
16 V. Dan Martin, Unearthing Bon Treasures, 2001, p. 175.17 Vasubandhu, AbhidharmakoĂabhĂ„âya ; Chos mngon paâi mdzod kyi bshad pa, P.
5591, vol. 115, Ngu, 93a.18 Ainsi, le Joyau du Dharma, i.e. la Doctrine en laquelle on peut prendre refuge, est
non seulement dĂ©fini comme VĂ©ritĂ© de la Cessation et VĂ©ritĂ© du Chemin, i.e. desqualitĂ©s mentales, celles dâun Ă„rya (i.e. dâun pratiquant qui a rĂ©alisĂ©, directement,lâabsence dâexistence en soi des phĂ©nomĂšnes), mais il est aussi considĂ©rĂ© comme au-delĂ de tout moyen dâexpression (v. AbhidharmakoĂa, Uttaratantra : J. I. CabezĂČn,Buddhism and language. A Study of Indo-Tibetan Scholasticism, 1994, pp. 36-42).
19 V. J. I. CabezĂČn, 1994, pp. 77-78.
Revue dâEtudes TibĂ©taines8bles VĂ©ritĂ©s (catvaryĂ„rya-satyani), seul son disciple Kaunâinya rĂ©alisa leChemin de la Vision (darĂanamĂ„rga ; mthong lam) : il dut les reformu-ler deux fois, de deux maniĂšres diffĂ©rentes pour que les quatre autresdisciples prĂ©sents (AĂvajit, VĂ„âpa, Bhadrika et MahĂ„nĂ„man) obtiennentles mĂȘmes rĂ©alisations que Kaunâinya.
Cette diffĂ©rence de maturitĂ© des ĂȘtres Ă convertir (vineya ; gdul bya)se double, dans la tradition aussi bien indienne20 que tibĂ©taine, du senti-ment dâune sorte de dĂ©clin (annoncĂ©) des qualitĂ©s des ĂȘtres. Au Tibet,par exemple, toute la littĂ©rature de commentaires bsTan-rim et Lam-rim,etc. serait nĂ©e de la nĂ©cessitĂ© de commenter le sens cachĂ© (garbhyĂ„rtha ;sbas don) du PrajñÄpĂ„ramitĂ„hÂźdayasĂtra, qui consiste en la nature, lenombre et lâordre des Ă©tapes de la Voie21. Alors que Le SĂtra du CĆurde la Perfection de Sapience22 traite, directement, de la VacuitĂ© (ĂĂnyatĂ„;stong pa nyid) i.e. la Voie profonde (zab moâi lam), les premiers audi-teurs de ce sĂtra en auraient saisi directement le âsens cachĂ©â sans quâilsoit directement exprimĂ© par le Buddha ; par la suite, les ĂȘtres suscepti-bles dâentendre le sĂtra Ă©tant dotĂ©s de qualitĂ©s moindres, ce sens cachĂ©,nâa plus Ă©tĂ© saisi dâemblĂ©e. Asaâ«ga ayant fait mine dâavoir quelques dif-ficultĂ©s Ă le comprendre, sâadressa au buddha Maitreya pour obtenir desĂ©claircissements. Câest ainsi que, dans cette perspective classique dedĂ©gĂ©nĂ©rescence des ĂȘtres, le maĂźtre Asaâ«ga aurait mis par Ă©crit les ins-tructions de Maitreya dans lâAbhisamayĂ„la”kĂ„ra23 ; il est expliquĂ© que,ce mĂȘme processus perdurant, le maĂźtre et pandit dPal Mar me mdzad YeShes (AtiĂa) (982-1054) aurait rĂ©digĂ© le Lam sgron24 et quâensuite, lesmaĂźtres successifs auraient aussi rĂ©digĂ© commentaires et subcommentaires.
20 Ceci est clairement exprimé, par exemple, dans la division du temps comme celle
des yuga dâun mahĂ„yuga : kÂźtayuga (Ăąge parfait), tretĂ„yuga (oĂč les pratiquants nepratiquent que trois des dix vertus), dvĂ„parayuga (oĂč seulement deux vertus sontpratiquĂ©es) et le kaliyuga ou Ăąge de conflit auquel nous appartenons ; v. aussi dansle KĂ„raËâavyĂhasĂtra, la prophĂ©tie dâAvalokiteĂvara (C. Regamey, âMotifsVichnouites et SivaĂŻtes dans le KĂ„raËâavyĂhââ, dans Etudes TibĂ©taines dĂ©diĂ©es Ă lamĂ©moire de Marcelle Lalou, 1971, pp. 420-426) ; et aussi 'Gos Khug pa Ihas btsas(XIe s.), sNgags log sun 'byin, sNgags log sun 'byin skor, Thimphu, 1979, pp. 18.
21 V. P. ArĂšnes,1998, pp. 201-204.22 Bhagavat„-prajñÄ-pĂ„ramitĂ„-hÂźdaya ; bCom ldan âdas ma shes rab pha rol tu phyin
paâi snying po, P. 160, Vol. 6, 166.1.7 - 166.4.5 (quatre fol. seulement) ; trad. E.Conze, dans Buddhist Wisdom Books, 1972.
23 Ce texte, lâAbhisamayĂ„la”kĂ„ra, est considĂ©rĂ© comme un commentaire des SĂtra dela PrajñÄpĂ„ramitĂ„, mais lui-mĂȘme fait lâobjet dâun subcommentaire, la Sphuâ Ă„rthĂ„(sur la littĂ©rature exĂ©gĂ©tique, v. J.I. Cabezon, 1994).
24 Byang chub lam gyi sgron ma [= Lam sgron] ; Bodhipathaprad„pa, P. 5343, vol.103, 20.4.1-21.5.6, traduit par lâauteur et dGe baâi Blo gros ; son autocommentaire :Byang chub lam gyi sgron meâi dka âgrel [= dka âgrel] ; BodhimĂ„r-gaprad„papañjikĂ„, P.5344, vol. 103, 21.5.6-46.4.2. composĂ© par le mĂȘme dPal Marme mdzad Ye Shes zhabs (nĂ©anmoins certains passages sont dits avoir Ă©tĂ© composĂ©spar certains de ses disciples) ; traduit par lâauteur et Tshul khrims rGyal ba ; v.
HermĂ©neutique des Tantras 9Câest le mĂȘme sentiment qui prĂ©vaut avec les tantra, puisque Ărya-
deva, dans sa Prad„poddyotananĂ„maâ „kĂ„, justifie lâexistence et lâutilitĂ© desSept Ornements et des tantra explicatifs par le fait que les ĂȘtres futurs(ma âong paâi sems can) seront des pratiquants dâune intelligence infĂ©-rieure (blo dman) et ne pourront, de ce fait, comprendre, sans cela, lesens du GuhyasamĂ„ja25.
Cette diversitĂ© Ă la fois, si lâon peut dire, diachronique et synchroni-que, des ĂȘtres Ă convertir (vineya ; gdul bya) et de leur aspirations res-pectives a entraĂźnĂ©, de fait, une diversitĂ© Ă©gale des objectifs provisoires(vĂ©hicules petit et grand), des moyens (dont les moyens habiles : upĂ„ya-kauĂalya26), des stratĂ©gies hermĂ©neutiques, et par consĂ©quent des textes.On voit comment, alors, la variĂ©tĂ© des situations possibles des prati-quants, peut engendrer une apparente hĂ©tĂ©rogĂ©nĂ©itĂ© des enseignements.
Pour rĂ©sumer, on peut dire que, dans le bouddhisme indien et, en par-ticulier, dans le MahĂ„yĂ„na, la critique dâinterprĂ©tation27, i.e.lâhermĂ©neutique, et les appareils hermĂ©neutiques sont nĂ©s de la nĂ©cessitĂ©,pour un ensemble dâĆuvres canoniques dâune extrĂȘme ampleur et diver-sitĂ©, de distinguer les enseignements Ă prendre littĂ©ralement de ceux quâilconvient dâinterprĂ©ter28 : le novice en matiĂšre de Dharma doit bien se
aussi lâĂ©dition de H. Eimer, Bodhi-patha-prad„pa. Ein Lehrgedicht des AtiĂa(D„pa”karaĂr„jñÄna) in der Tibetischen Ăberlieferung, 1978.
25 Ăryadeva, Prad„poddyotananĂ„maâ „kĂ„ ; sgron ma gsal ba zhes bya baâi âgrel bshad,P. 2659, vol. 61, 67. 4.8 - 5. 1 : / de bzhin gshegs paâi gsang âdus paâi don ji ltabu rnam par shes paâi gang zag des ma âongs paâi sems can blo dman pa rjes sugzung bar bya baâi phyir bshad rgyud kyi rjes su âbrang te bshad paâi phyir / deâirnam par dbye ba zhes bya ba smos paâi phyir ro / âdis rgyan bdun bshad par dambcaâ ba yang yin no //
26 C. A. Scherrer-Schaub, Yuktiâaââ ikĂ„vÂźtti, Commentaire Ă la soixantaine sur le raison-nement, 1991, p. 206, n. 251.
27 Pour lâhermĂ©neutique des sĂtra, E. Lamotte, dans un article prĂ©curseur, avait abordĂ©les problĂšmes et la critique dâinterprĂ©tation dans le bouddhisme (âLa CritiquedâinterprĂ©tation dans le bouddhismeâ, 1949, pp. 341-361) et, par la suite, certainsoutils hermĂ©neutiques ont Ă©tĂ© Ă©tudiĂ©s sĂ©parĂ©ment : parmi les bouddhologues indian-istes et tibĂ©tologues, E. Steinkellner, D. Seyfort Ruegg, M. Broido ont apportĂ© deprĂ©cieuses contributions Ă la connaissance des systĂšmes ou appareils hermĂ©neutiquesdes sĂtra (surtout) et des tantra.
28 Par exemple, six des dix actions non vertueuses (karmapatha) proscrites danslâAbhidharmakoĂa (IV- 68-74) sont recommandĂ©es dans le KĂ„lacakratantra etailleurs: v. , surtout, M. Broido, âKilling, Lying, Stealing and Adultery : A Problemof Interpretation in the Tantrasâ, in Buddhist Hermeneutics, 1988, p. 71 ; mais aussiE. Steinkellner, 1978, p. 447 ; D. Seyfort Ruegg, âDeux ProblĂšmes dâexĂ©gĂšse et depratique tantriques selon D„pa”karaĂr„jñÄna et le PaiËâapĂ„tika de Yavadv„pa : Su-varËadv„paâ dans Tantric and Taoist studies in Honour of R. A. Stein, 1981, pp.214, 219, 222, 223 ; M. Broido, 1983, p. 21; R. Thurman, âVajra Hermeneuticsâdans Buddhist Hermeneutics, 1988, pp. 141-142 ; J. I. CabezĂČn, 1994, p. 58 ; P.ArĂšnes, âProblĂšmes dâinterprĂ©tation des textes canoniquesâ, dans La DĂ©esse Grol-ma,(TĂ„rĂ„), 1996, pp. 292-293.
Revue dâEtudes TibĂ©taines10
garder de mettre en pratique des affirmations telles que âayant tuĂ© sonpĂšre et sa mĂšre [...], le brahmane sâen va innocentâ (Dhammapada)29 ou
âVous devez tuer les ĂȘtres animĂ©sâ (Hevajratantra)30 ou mĂȘme âQuant Ă son pĂšre et sa mĂšre, il faut les tuer et les jeter Ă la merâ31!
Par conséquent, pour répondre à cette nécessité32 de clarification, estapparue une taxonomie des enseignements scripturaux qui distingue diver-
ses phases ou âRouesâ de lâenseignement du Dharma relevant chacunedâappareils dâexĂ©gĂšse textuelle particuliers. Ceux-ci sont appliquĂ©s soit Ă
des textes considĂ©rĂ©s comme vrais et dits de âsens certainâ (n„tĂ„rtha ;nges don) i.e. reprĂ©sentant lâintention ultime du Buddha, soit Ă des textes
dont le âsens Ă Ă©luciderâ (neyĂ„rtha ; drang don) doit ĂȘtre interprĂ©tĂ© Ă lalumiĂšre dâune intention particuliĂšre (fondement intentionnel ; dgongsgzhi) pour ĂȘtre acceptable33. On ne traitera pas, ici, de lâhermĂ©neutiquedes sĂtra, on renverra seulement aux travaux de E. Steinkellner, D.Seyfort Ruegg, M. Broido, qui Ă la suite de E. Lamotte34, se sont inte-ressĂ©s Ă ces notions hermĂ©neutiques ainsi quâĂ quelques autres35 exposĂ©es
29 MahÄyÄnasa”graha ; Theg pa chen po bsdus pa, P. 5549, vol. 112, 215.1.1 -
236.4.2 (T. 4048). Trad. E. Lamotte : La Somme du Grand VĂ©hicule dâAsaâ«ga (Ma-hĂ„yĂ„nasa”graha), 1973, p. 231, n. 9.
30 En ce qui concerne cette injonction de tuer quâon peut trouver dans certains tantra(KĂ„lacakra, Hevajra, GuhyasamĂ„ja) et son interprĂ©tation, v. P. ArĂšnes (2002-a) : pp.23-25 et n. 77-79.
31 Sa skya Pandita Kun dgaâ rgyal mtshan (1182-1251), mKhas pa rnamsâjug paâi sgozhes bya baâi bstan bcos, (dorĂ©navant mKhas pa rnamsâjug paâi sgo), Mi rigs dpeskrun khang, 1981, p. 14 : âpha dang ma ni gsad par bya zhing rgya mtsho gangdu ldog par âgyurâ. Cette affirmation, comme il le dit un plus loin (p. 108), renvoiebien sĂ»r Ă un autre sens (don gzhan la). Le mKhas pa rnams âjug paâi sgo aurait Ă©tĂ©composĂ© durant la premiĂšre dĂ©cennie du XIIIe s.
32 Ainsi, Candrak„rti dans le Prad„poddyotana, Ă©voque le cas de yogins qui, prenant Ă la lettre certains enseignements, nâobservaient plus lâĂ©thique : cf. R. Thurman, 1988,p. 127.
33 En ce qui concerne les sĂtra, ces deux catĂ©gories dâinterprĂ©tation, le âsens certainâ(n„tĂ„rtha ; nges don) et le âsens Ă Ă©luciderâ (neyĂ„rtha ; drang don), ainsi que leconcept de pramaËa traduit parfois par âinstrument critĂšreâ, Ă©lĂ©ment capital de lagnosĂ©ologie et de lâĂ©pistĂ©mologie bouddhistes, ont Ă©tĂ© expliquĂ©s, utilisĂ©s par les spĂ©-cialistes, traducteurs et commentateurs, en particulier, tous ceux qui, sâinteressant auxĂ©coles philosophiques, ont Ă©tĂ© amenĂ©s Ă Ă©tudier dans des ouvrages trop nombreuxpour ĂȘtre citĂ©s ici, les deux vĂ©ritĂ©s (ultime : paramĂ„rtha ; don dam) et convention-nelle (sa”vÂźti ; kun rjob).
34 Pour E. Lamotte, v. supra, n. 27 et pour M. Broido, v. âAbhiprĂ„ya and Implicationin Tibetan linguisticsâ, Journal of Indian Philosophy, vol. 12, 1984, pp. 1-33 ;
âIntention and suggestion in the AbhidharmakoĂa : SandhĂ„bhĂ„âĂ„ revisitedâ, Journalof Indian Philosophy (dorĂ©navant J.I.P.), vol. 13, 1985, pp. 327-381. Pour E.Steinkellner, D. Seyfort Ruegg, v. infra, les trois notes suivantes.
35 Dâautres notions liĂ©es Ă lâinterprĂ©tation ou aux systĂšmes dâinterprĂ©tation ont Ă©tĂ©mentionnĂ©es de maniĂšre Ă©parse : les principes des Quatre Fiables (pratisaraËa ; rtonpa), les Quatre Raisonnements (yukti ; rigs pa), les Quatre Intentions allusives(abhiprĂ„ya ; dgongs pa) ou les Quatre ArriĂšre-pensĂ©es (abhisa”dhi ; ldem dgongs)
Herméneutique des Tantras 11et utilisées dans la littérature canonique et non canonique du bouddhismeindien et du bouddhisme tibétain36 .
Les textes reconnus comme paroles de buddha (buddhavacana) ne res-sortissent pas à une vérité absolue, nécessaire, valable pour tous, en tou-
tes circonstances. On considĂšrera plutĂŽt la âvaliditĂ© sotĂ©riologiqueâ de cesenseignements : afin dâĂȘtre efficace i.e. ĂȘtre comprise et mise en pratique,la parole des buddha (sĂtra37 ou tantra) doit ĂȘtre modulĂ©e en fonctiondes dispositions intellectuelles et spirituelles des diffĂ©rents destinataires38.Mais quel est donc celui qui est susceptible de juger de ce degrĂ© de ma-turitĂ©39, et de se rĂ©fĂ©rer Ă ce corpus, cet ensemble doctrinal40 auquel ren-voie le fondement intentionnel41? Câest, bien sĂ»r, le Buddha ou son subs-titut, le maĂźtre spirituel (guru, acĂ„rya ou vajrĂ„cĂ„rya).
En ce qui concerne ce rĂŽle du maĂźtre spirituel, on peut penser, ici, Ă
la fonction remplie par âlâencyclopĂ©dieâ, dans la conception de lâactedâinterprĂ©tation que se fait U. Eco42 : selon cette conception, un Ă©noncĂ©,pour ĂȘtre interprĂ©tĂ©, fait appel non seulement Ă la langue et au code maisaussi Ă dâautres Ă©noncĂ©s, Ă des portions de savoir, dâun savoir
âencyclopĂ©diqueâ. Mais, alors que, Ă©ventuellement, pour lâhermĂ©neuticien
âmoderneâ, âlâencyclopĂ©dieâ (lâensemble enregistrĂ© des interprĂ©tationsconcevables), est un postulat sĂ©miotique commode et une instance rĂ©gu-latrice, dans lâhermĂ©neutique bouddhique, le rĂŽle de lâinstance rĂ©gulatrice,de la compĂ©tence globale idĂ©ale, est jouĂ© par le Buddha ou par son subs-
mais, peu, hormis les Quatre Raisonnements (v. D. Lopez, On the Interpretation ofthe Mahayana Sutras (1988)) ont fait lâobjet dâĂ©tudes particuliĂšres. Mais câest la no-tion de fondement intentionnel et, plus largement, la notion clĂ© dâintention(abhiprĂ„ya ; dgongs pa) (et ses dĂ©rivĂ©es) qui a retenu lâattention des spĂ©cialistes cesquinze derniĂšres annĂ©es.
36 AkâayamatinirdeĂasĂtra, SamĂ„dhirĂ„jasĂtra , Sa”dhinirmocanasĂtra, Ma-hĂ„yĂ„nasĂtrĂ„la”kĂ„ra, Laâ«kĂ„vatarasĂtra, Abhidharmasamuccaya dâAsaâ«ga, Ma-
hĂ„yĂ„nasa”graha, et leurs commentaires : v. D. Seyfort Ruegg, 1986 : âAllusivenessand obliqueness in Buddhist texts : sa”dhĂ„, sa”dhi, sa”dhyĂ„ and abhisa”dhiâ, dansDialectes dans les littĂ©ratures indo-aryennes, 1986, pp. 298, 300-302, 304-307, 309.
37 V. D. Seyfort Ruegg, âPurport, Implicature and Presupposition : Sanskrit abhiprĂ„yaand Tibetan dgongs pa / dgongs gzhi as hermeneutical conceptsâ J.I.P, vol. 13,1985, pp. 313, 315 et 317.
38 J. I. CabezĂČn, 1994, p. 62, utilise le concept de âvĂ©ritĂ© pragmatiqueâ : â[...]they (thescriptures) are pragmatically true â
39 ĂryavajrapaËyabhiâekamahĂ„tantra ; Lag na rdo rje dbang bskur baâi rgyud chen po,P. 130, vol. 6, 90. 5.1 - 2.
40 V. D. Seyfort Ruegg, 1986, p. 300.41 Cette notion clĂ©, Ă la fois justification thĂ©orique et doctrinale de lâinterprĂ©tation et
catĂ©gorie dâinterprĂ©tation, opĂ©ratoire, selon des modes diffĂ©rents, dans les sĂtra etdans les tantra (sous la forme dgongs bshad) renvoie au caractĂšre spĂ©cifiquementintentionnel et allusif de certains Ă©noncĂ©s.
42 Cf. U. Eco, Lector in fabula, 1983, pp. 109-112, 124.
Revue dâEtudes TibĂ©taines12titut, le maĂźtre spirituel, source de lâenseignement, qui a accĂšs Ă laconnaissance valide (pramanabhuta)43, directe et non conceptuelle.
1.2. Hermétisme et tantra
La pratique des tantra consiste essentiellement en des mĂ©ditations. Ilsconstituent une voie profonde et rapide permettant dâobtenir lâĂ©tat de
buddha44; une voie qui sâharmonise aux âquatre rĂ©sultats pursâ (rĂ©sidence,entourage, biens, activitĂ©s de la dĂ©itĂ© mĂ©ditĂ©e). Cette voie prend un as-pect similaire au but visĂ©, i.e. lâobtention des deux Corps de buddha enĂ©liminant les racines du sa”sĂ„ra, les apparences ordinaires et leur sai-sie45.
En ce qui concerne les tantra, les systĂšmes dâinterprĂ©tation qui leursont propres46, de mĂȘme que les catĂ©gories hermĂ©neutiques qui leur sontappliquĂ©es, sont relativement peu connus et seules quelques rares Ă©tudesgĂ©nĂ©rales leur ont Ă©tĂ© consacrĂ©es (M. Broido (1983), R. Thurman(1988))47.
Bien que prolongeant les sĂtra,48 les tantra sont de nature (textuelle)diffĂ©rente et leur hermĂ©neutique est aussi en grande partie diffĂ©rente :pour lâessentiel, contrairement aux sĂtra, les tantra ne comportent pasdâexposĂ©s doctrinaux thĂ©oriques. Ils traitent des pratiques spĂ©cifiques duVĂ©hicule des mantra secrets (gsang sngags, i.e. des tantra) ; ce sont, en
quelque sorte, des âmanuels de pratiqueâ prĂ©sentant des protocoles mĂ©di-
43 V. D. Seyfort Ruegg, J.I.A.B.S., 1995, vol. 18, 2, pp. 174-176.44 La pratique des tantra implique sinon la maßtrise, du moins, une certaine réalisation
de la Voie des sĂtra ainsi que lâobservance dâune Ă©thique, de vĆux spĂ©cifiques ;pour ce qui est de leur rapiditĂ©, câest surtout vrai pour les Anuttarayogatantra : v.Tsong kha pa Blo bzang grags pa (1357-1419), Lam rim chen mo, P. 6001, vol. 152,1-136a8 ; trad. anglaise, The Lamrim Chenmo Translation Commitee,The GreatTreatise on the stages of the path to enlightenment Lam rim chen mo, 2000, p. 48 ;v. aussi du mĂȘme auteur, le rGyal ba khyab bdag rdo rje âchang chen poâi lam gyirim pa gsang ba kun gyi gnad rnam par phye ba (dorĂ©navant rDo rje âchang lamrim), P. 6210, vol. 161, 53. 1.1 - fin du vol. (T. 5281) : trad. : J. Hopkins, Tantrain Tibet, The Great Exposition of Secret Mantra by Tsong ka pa, 1977, pp. 140,143,165 ; v. P. ArĂšnes, 1998, p. 215.
45 Pour cette raison, câest lâaspect revĂȘtu par la dĂ©itĂ© et sa rĂ©sidence qui sont mĂ©ditĂ©sainsi que lâorgueil (garva ; nga rgyal) ; la Sapience comprenant la VacuitĂ© prend laforme de la dĂ©itĂ© et de son entourage : v. aussi Tsong kha pa rDo rje âchang lamrim, P. 6210 : trad., J. Hopkins, 1977, pp. 63-64, 177.
46 En effet, par exemple, bien que les appareils herméneutiques appliqués aux tantra
leur soient propres, lâun des âsept ornementsâ (saptĂ„la”kĂ„ra ; rgyan bdun), les âSixPossibilitĂ©s alternativesâ (mthaâ drug) comporte des catĂ©gories utilisĂ©es aussi pour lessĂtra (ce qui a entraĂźnĂ© des confusions) mais avec des acceptions ou des fonctionsdiffĂ©rentes (v. P. ArĂšnes, 2002b, pp. 8 et n. 14, p. 11).
47 Sont mentionnées les auteurs des études qui ne se bornent pas aux Sept Ornements :v. infra, n. 58.
48 V. P. ArĂšnes, 1998, pp. 212-213 ; J. Hopkins, 1977, p. 165.
HermĂ©neutique des Tantras 13tationnels. Câest pour cette raison que lâenseignement des tantra ne sau-rait se contenter dâune hermĂ©neutique visant la seule intelligence destextes mais quâil requiert le recours Ă celui qui maĂźtriserait cette pratique:le maĂźtre spirituel.
Une autre raison encore explique la nécessité du recours au maßtre spi-rituel : le secret49. Ainsi, maints énoncés de textes de tantra sont codés50
et, de ce fait, doivent ĂȘtre dĂ©chiffrĂ©s, dâautres semblent âen clairâ maisleur contenu apparaĂźt comme contraire Ă lâĂ©thique bouddhiste51, etc. Cesecret est multiforme et multifonctionnel. Il y a secret parce quelâenseignement des tantra renvoie Ă une rĂ©alitĂ© qui ne saurait sây inscrirequâen creux, une rĂ©alitĂ© cachĂ©e parce que profonde, essentielle52. Il y asecret pour protĂ©ger, des consĂ©quences dâun mĂ©susage, ceux quinâauraient pas encore acquis la maturitĂ© spirituelle nĂ©cessaire53. Il y asecret ou formulations Ă©nigmatiques, pour introduire les autres au caractĂš-re contingent des reprĂ©sentations conventionnelles et les conduire Ă dĂ©laisser leur attachement au langage littĂ©ral et Ă lâillusion rĂ©aliste dumonde phĂ©nomĂ©nal54.
La tĂąche du maĂźtre spirituel est double. Dâabord, tout en restaurant unecohĂ©rence menacĂ©e (aux yeux du disciple), assurer, Ă©ventuellement, unecomprĂ©hension immĂ©diate, au moins provisoire, des textes tantriques el-liptiques, ambigus ou codĂ©s55 (tels que les tantra racines) ; pour ce faire,il doit, bien sĂ»r, utiliser sa connaissance de la Doctrine et des appareils
hermĂ©neutiques (par exemple lorsquâil explique les mots âcontrairesâ (vi-ruddha ; âgal ba), i.e. contraires au monde, Ă la logique ou aux Ăastra,avec lesquels sont rĂ©digĂ©s certains tantra56) mais il doit aussi avoir re-cours Ă un savoir qui nâest transmis de maniĂšre explicite, quâoralement
49 Selon la tradition bouddhiste tibétaine, dans leur commencement, ils auraient été
pratiquĂ©s en secret, v. TĂ„ranĂ„tha, sGrol maâi âlo rgyus, The Collected Works of Jonang rje btsun TĂ„ranĂ„tha, pp. 517-520 (v. trad. P. ArĂšnes, 1996, pp. 248-255) mais,maintenant encore, lâessentiel des instructions reste secret et dĂ©tenu par le rdo rjeslob dpon.
50 V. R. Thurman, 1988, p. 139.51 V. M. Broido, 1988, pp. 71-101.52 A.Wayman, The Buddhist Tantras, Light on Indo-Tibetan Esotericism, 1973, pp. 36-
37.53 V. Candrak„rti (Prad„poddyotanÄ) cité par R. Thurman, 1988, pp. 127-128. Les di-
verses catĂ©gories de tantra KriyĂ„, CaryĂ„, Yoga, Anuttara (pour reprendre la classifi-cation de ĂraddhĂ„karavarman (XIe s.) ou mĂȘme MahĂ„, Anu, Ati, etc., correspondentaux dispositions, capacitĂ©s et maturitĂ©s diverses des adeptes. Pour les six sortes de
classifications des Tantra, v. K. Mimaki, âDoxographie tibĂ©taine et classifications in-diennesâ dans Bouddhisme et cultures locales, 1994, pp. 121-125.
54 V. R. Thurman, 1988, pp. 138-139.55 V. R. Thurman, 1988, p. 124.56 V. M. Broido, 1988, p. 94 et n. 83, p. 109.
Revue dâEtudes TibĂ©taines14
(comme, par exemple, le âsens cachĂ©â)57. Ensuite, lorsque le texte renvoieĂ une expĂ©rience hors du commun, câest Ă lui, le maĂźtre spirituel (levajrĂ„cĂ„rya) qui maĂźtrise cette pratique, qui a une perception directe et
non conceptuelle (pratyakâa) de la ârĂ©alitĂ©â visĂ©e, quâon doit avoir re-cours. Certains Ă©noncĂ©s ont donc, non seulement, une fonction sĂ©lectiveet didactique mais ils rendent aussi nĂ©cessaire le recours Ă un maĂźtre.
Un autre aspect de la fonction du maĂźtre va trouver son expressiondans les appareils hermĂ©neutiques58, câest celui qui consiste, aprĂšs avoirconduit le disciple Ă la maĂźtrise dâune technique, dâune pratique, Ă mon-trer comment faire comprendre lâenseignement de cette pratique59. Ontrouvera donc dans ces appareils hermĂ©neutiques des Ă©lĂ©ments relevant
dâune âmĂ©ta-hermĂ©neutiqueâ.
1.3. Les âsept ornementsâ
1.3.1 Origine
Ces appareils herméneutiques remontent à la tradition bouddhiste in-
dienne : lâappareil des âSept Ornementsâ liĂ© au cycle du GuhyasamĂ„ja-tantra a Ă©tĂ© exposĂ© par les commentateurs (VIIIe-XIIe s.) de lâĂ©cole Ărya
(âPhags lugs pa)60. Ce tantra est un âtantra pĂšreâ dont la datation est 57 Etant donnĂ© le caractĂšre accomodatice du sens cachĂ©, le maĂźtre, seul dĂ©positaire du
sens du texte, acquiert, alors, le caractĂšre dâun instrument hermĂ©neutique. âEn ce quiconcerne le sens cachĂ©, il nâest pas possible, tout seul, de le comprendre en ana-lysant [lâĂ©noncĂ© dont il est censĂ© ĂȘtre le sens cachĂ©] sans [avoir recours] aux expli-cations [fournies] par les instructions dâun maĂźtreâ V . Gung thang dKon-mchogbstan-paâi sgron-me (1762-1723), Shes rab snying poâi sngags kyi rnam bshad sbasdon gsal ba sgron me, dans The Collected Works of Guâ«-thaâ« dKon-mchog bstan-paâi sgron-me, vol.1., 1971, p. 707 : sbas don ni bla maâi man ngag gis ma bstanpar rang dbang du dpyad pas rtogs mi nus pa zhig yin / ; pour le sens cachĂ©, v.lâĂ©tude qui lui est consacrĂ©e : P. ArĂšnes, 1998.
58 M. Broido, 1983, pp. 18-19, 21, 23, 33, 41, a Ă©tĂ© le premier Ă consacrer un articleimportant Ă une vue dâensemble de ces systĂšmes. Il sâest intĂ©ressĂ© plus particuliĂšre-ment aux appareils plus proprement exĂ©gĂ©tiques des tantra hĂ©ritĂ©s de la traditionbouddhiste indienne, qui se rĂ©partissent en trois groupes principaux dont les deuxderniers appartiennent aux âSept Ornementsâ:
1 - Les six instructions (gdams ngag drug)2 - Les six possibilitĂ©s alternatives (âaâ koâ i ; mthaâ drug)3 - Les quatre modes dâexplication (caturvidhĂ„khyĂ„yikĂ„; bshad tshul bzhi)
59 Tout au moins, certains des Sept Ornements (les 5e, 6e, 7e) comme on le verra, ici,plus loin ; v. aussi R. Thurman, 1988, p. 129.
60 LâĂ©cole Ărya a Ă©tĂ© fondĂ©e par NĂ„gĂ„rjuna et son disciple Ăryadeva. Les tantra de laclasse des anuttarayogatantra consistent toujours en mĂlatantra (tantra-racine), utta-ratantra (tantra ultĂ©rieurs), Ă„khyĂ„natantra (tantra explicatifs). En ce qui concerne lecycle du GuhyasamĂ„jatantra (T. 442), le mĂlatantra correspond aux dix-sept pre-miers chapitres du GuhyasamĂ„jatantra, lâuttaratantra au dix-huitiĂšme, quant auxĂ„khyĂ„natantra, ce sont les SandhivyĂ„karaËatantra (T. 444), VajramĂ„lĂ„tantra (T. 445),
Herméneutique des Tantras 15controversée : pour Tucci (1949), au début du VIIIe s.61; pour A.Wayman, (1973)62, au IV/Ve s. ; pour. Y. Matsunaga (1964)63, la
âcompilationâ (?) du GuhyasamĂ„jatantra aurait eu lieu c. 800. Ces hy-pothĂšses posent problĂšme, par ricochet, quant Ă la datation de lâorigine
des âSept ornementsâ puisque ceux-ci passent pour avoir Ă©tĂ© initialementliĂ©s, spĂ©cifiquement au GuhyasamĂ„jatantra : en effet, ils ne sauraient ĂȘtre
antĂ©rieurs au texte quâils commentent ! Or le premier exposĂ© des âSeptornementsâ figure dans un ouvrage de Candrak„rti lequel citerait64 untantra explicatif postĂ©rieur au Pañcakrama65qui est, pour lâinstant, datĂ© dela 2e moitiĂ© du IXe s. Ceci conduit A. Wayman Ă considĂ©rer lâexistencedâun Candrak„rti tantriste et dâun Ăryadeva tantriste au IXe s.66; ces di-verses hypothĂšses rencontrent de nombreuses difficultĂ©s aussi la questionreste-t-elle en suspens67.
En ce qui concerne lâorigine de lâappareil des âSept ornementsâ(formĂ©, peut-ĂȘtre, en partie, Ă partir de certains dispositifs ou Ă©lĂ©ments dedispositifs exĂ©gĂ©tiques non tantriques) la situation est aussi complexe :dâune part, la stabilitĂ© et la pĂ©rĂ©nnitĂ© de cet appareil sont attestĂ©es dansla tradition indienne et dans la tradition tibĂ©taine, dâautre part, deux desâSept ornementsâ, les âSix extrĂȘmes (ou possibilitĂ©s alternatives)â(saâ koâ i; mthaâ drug) et les âQuatre modes dâexplicationâ (caturvidhĂ„-khyĂ„yikĂ„ ; bshad tshul bzhi) considĂ©rĂ©s comme plus proprement hermĂ©-
neutiques, ont Ă©tĂ© assez souvent sĂ©parĂ©s des autres68 ; les âSix extrĂȘ-
Caturdev„paripÂźcchĂ„tantra (T. 446), VajrajñÄnasamuccayatantra (T. 447), Deven-draparipÂźcchĂ„tantra. Ces Ă„khyĂ„na (exceptĂ© le dernier que lâon ne connaĂźt que pardes citations) ne sont disponibles quâen tibĂ©tain.
61 Tibetan Painted Scrolls, vol. I, 1949, pp. 213-214.62 A. Wayman, 1973, p. 19.63 Y. Matsunaga, âDoubt to Authority of the GuhyasamĂ„ja-ĂkhyĂ„na-tantrasâ dans In-
dogaku BukkyÎgaku Kenkyû, 12, 1964, p. 835.64 Y. Matsunaga, 1964, p. 840.65 NÄgÄrjuna, Rim pa lnga, P. 2667, vol. 61, 288.3.7 - 293.5.1 (T. 1802).66 Le Candrak„rti logicien est daté de c. 600 : v. L. Renou et J. Filliozat, L'Inde Clas-
sique, Manuel des Ă©tudes indiennes, avec le concours de P. Demieville et P. Meile,1953, t. II, p. 379 ; Jacques May, Candrak„rti PrasannapadĂ„ MadhyamakavÂźtti, t. II,1959, p. I ; K. Mimaki, La rĂ©futation bouddhique de la permanence des choses(sthirasiddhidĂâana) et la preuve de la momentanĂ©itĂ© des choses(kâanabhaâ«gasiddhi), 1976, p. 7 ; pour le Candrak„rti tantriste, v. A. Wayman, Yogaof the GuhyasamĂ„jatantra The Arcane Lore of Forty Verses, 1977, pp. 93, 96-97 ;E. Steinkellner, 1978, p. 457.
67 V. Y. Matsunaga, 1964 ; P. ArĂšnes, 2002a, pp. 166-167.68 Tsong kha pa les distingue pour leur fonction : dPal gsang ba âdus paâi bshad paâi
rgyud Ye shes rdo rje kun las btus paâi rgya cher bshad pa rGyud bshad thabs kyiman ngag gsal bar bstan pa zhes bya ba, P. 6198, vol. 160, 151.5.8.- Tsa, 174 a :khyad par lnga ldan gyi rtsa rgyud deâi dgongs pa âgrel paâi tshul ni mthaâ drugdang tshul bzhir nges la / des ni rgyan gnyis pa dang gsum pas ston no // ; M.Broido, 1983, leur consacre lâessentiel de son Ă©tude des bshad thabs parce quâils se-
Revue dâEtudes TibĂ©taines16mesâ69, ont Ă©tĂ© plus frĂ©quemment citĂ©s seuls70, non seulement, commeĂ©tant nĂ©cessaires Ă la comprĂ©hension des tantra mais aussi Ă celle dessĂtra. Câest ainsi que Sa skya Pandita Kun dgaâ rgyal mtshan (1182-1251) a pu affirmer :
â Si lâon ne connaĂźt pas les âSix extrĂȘmesâ (mthaâ drug), on ne peut
expliquer les sĂtra et les tantra sans erreur ; selon Candrak„rti, âCeux qui
prĂ©tendent comprendre, directement, sans les âSix extrĂȘmesâ, sont sem-blables Ă ceux qui, au lieu de regarder la lune, sâarrĂȘtent au doigt qui lamontre !â Il faut donc, autrement, connaĂźtre les explications dĂ©taillĂ©es des
âSix extrĂȘmesâ. Si lâon connaĂźt bien une telle mĂ©thode dâexplication(bshad paâi tshul), on comprend bien la pensĂ©e (/lâintention : dgongs pa)des sĂtra et des tantra â71.
Par consĂ©quent, pour ces raisons et quelques autres quâil serait troplong dâexposer ici, il est tout aussi difficile de trancher et si lâon veutprendre connaissance, de maniĂšre plus approfondie, de toutes les hypothĂš-ses concernant ce point, on peut se reporter Ă lâĂ©tude rĂ©cente oĂč jâai
traitĂ© de lâorigine et la genĂšse des âSept ornementsâ72.
raient les seuls Ă ĂȘtre strictement hermĂ©neutiques. De mĂȘme, E. Steinkellner, 1978, p.451, leur reconnaĂźt un caractĂšre spĂ©cial.
69 Sans doute en raison du fait quâelles sont utilisĂ©ses aussi, couramment, mais demaniĂšre partiellement diffĂ©rente et avec des acceptions diffĂ©rentes, dans la traditionexĂ©gĂ©tique des sĂtra (v. E. Lamotte, 1949, pp. 341-361 ; E. Steinkellner, 1978, pp..451-452 ; M. Broido, 1983, p. 21).
70 Ăryadeva, Prad„poddyotananĂ„maâ „kĂ„, p. 64, 6a ; Bu ston, (1290-1364), dPal gsangba âdus paâi â „kka sGron ma rab tu gsal ba (dorĂ©navant, abrĂ©gĂ© en sGron ma rabgsal), gSung âbum dans Collected Works of Buston, vol. TA, 1969, p.142-143, 150 ;Sog bzlog pa Blo gros rgyal mtshan (1552 - ?), gSang sngags snga âgyur la bod durtsod pa snga phyir byung ba rnams kyi lan du brjod pa nges pa don gyi âbrugsgra; Collected Writings of Sog blzog pa Blo gros rGyal mtshan, vol.1, 1975, pp.555-557, 568 ; bDud âjoms âJigs âbral Ye shes rDo rje, (Dudjom Rin po che) (1904-1987) : sNga âgyur rnying ma paâi bstan paâi rnam gzhag legs bshad snang baâidgaâ ston, 1967, pp. 334-337 ; il faut nĂ©anmoins prĂ©ciser quâhormis les deux der-niers, les auteurs citĂ©s ici mentionnent Ă©galement les Sept ornements Ă un momentou Ă un autre.
71 Sa skya Pandita Kun dgaâ rgyal mtshan, mKhas pa rnams âjug paâi sgo, p. 108 :
âmthaâ drug mi shes na mdo rgyud gang shes kyang nor bar âgyur ste / slob dponZla ba grags pas : mthaâ drug bral bas nges par rtogs zhes gang smra ba // zla balta âdod sor moâi rtsĂ© la lta dang mtshungs // zhes gsungs pa ltar ro // mthaâ druggi tshul rgyas par gzhen du shes par byaâo // âdi lta buâi bshad paâi tshul legs parshes na / mdo rgyud kyi dgongs pa legs par shes shing / [etc.]â. Il faut noter que Saskya Pandita y ajoute quatre intentions allusives (abhiprĂ„ya ; dgongs-pa) et lesquatre arriĂšre-pensĂ©es (abhisa”dhi ; ldem dgongs), qui sont utilisĂ©es pour lâexĂ©gĂšsedes sĂtra : Ă ce sujet, v. P. ArĂšnes, 2002b, pp. 20-25, 28, 34-35. .
72 P. ArĂšnes, 2002b, pp. 28, 36-37.
Herméneutique des Tantras 17
1.3.2. Nature et emploi
Le cycle du GuhyasamĂ„jatantra73 a la particularitĂ© de comporter desĆuvres (tantra racine, uttaratantra et tantra explicatifs), toutes (i.e. passeulement le tantra-racine) considĂ©rĂ©es comme paroles de buddha (bud-dhavacana)74.
De ce fait, lâun de ses tantra explicatifs (Ă„khyĂ„natantra), le âTantra duCompendium de la Sagesse adamantineâ (VajrajñÄnasamuccayatantra)75,
et lâun de ses commentaires, âLa Lampe qui illumineâ (Prad„poddyo-tana)76 de Candrak„rti (IXe s.?) (qui lâaurait utilisĂ© comme source77) sont
les rĂ©fĂ©rences essentielles, en matiĂšre de âsept ornementsâ, de la traditionexĂ©gĂ©tique. Ce VajrajñÄnasamuccayatantra (Ye shes rdo rje kun las btuspaâi rgyud) constituait sans doute, au moins au XIe s., une rĂ©fĂ©renceconnue et reconnue, puisque le maĂźtre et traducteur cachemirien quitraduisit, en TibĂ©tain, le Prad„poddyotana, ĂraddhĂ„karavarman, disciple deĂĂ„ntipĂ„da78, compose un court traitĂ© dans lequel il choisit dâexposer
lâappareil des âSept Ornementsâ tel quâil apparaĂźt dans le Vajra-jñÄnasamuccayatantra.79
73 SarvatathÄgatakÄyavÄkcittarahasyaguhyasmÄjanÄmamahÄkalparÄja ; De bzhin gshegs
pa thams cad kyi sku gsung thugs kyi gsang chen gsang ba âdus pa zhes bya babrtag paâi rgyal po chen po, P. 81, vol. 3, P. 81, vol. 3, 174. 3.5 - 203. 2.1 (T.442-443). Selon Adelheid Pfandt qui cite, Ă ce sujet, Eastman (1980), leGuhyasamĂ„jatantra qui, dans le colophon du bKaâ âGyur, est dit avoir Ă©tĂ© traduit parĂraddhĂ„karavarman et Rin chen bzang po, pourrait avoir Ă©tĂ© traduit, dâabord beau-coup plus tĂŽt (8 / 9e s.) (mn. de Dun Huang ST 438) par Vimalamitra et Ka badPal brtsegs (chap. 1-17) ainsi que par Buddhaguhya et âBrog mi dPal gyi ye shes(18e chap.) puis rĂ©visĂ©, plus tard, par ĂraddhĂ„karavarman et Rin chen bzang po : v.Adelheid Pfandt, âThe Lhan karma a source for the history of tantric buddhismâ,dansThe Many Canons of Tibetan Buddhism, editĂ© par H. Eimer et D. Germano,2002, pp. 140-141.
74 V. E. Steinkellner, 1978, p. 448 et R. Thurman, 1988, pp. 128-129, 130.75 VajrajñÄnasamuccaya-nÄma-tantra ; Ye shes rdo rje kun las btus pa, P. 84, vol. 3,
252.3.2 - 254.1.5 (T. 447). Il fait lâobjet de divers commentaires comme le rGyudthams cad kyi rgyal po dpal gsang ba âdus paâi rgya cher bshad pas sgron ma gsalbaâi tshig don ji bzhin âbyed paâi mtshan gyi yang âgrel de Tsong kha pa. Il existedans le bKaâ âgyur de sDe dge une version beaucoup plus dĂ©taillĂ©e que celle-ci (T.450) : v. Matsunaga, 1964, p. (22) / 838.
76 Prad„poddyotana-nĂ„ma-â „kĂ„, v. supra, n. 6 ).77 Pour la controverse concernant ce caractĂšre particulier dâĂȘtre la source du
Prad„poddyotana , v. Y. Matsunaga, 1964, pp. 20-23 / 840-837) ; P. ArĂšnes, 2002,pp. 166-167. En ce qui concerne lâorigine incertaine du systĂšme ou/et de sesĂ©lĂ©ments, v. E. Steinkellner,1978, pp. 449 et 452 ; M. Broido, 1988, p. 107, n. 64.
78 RatnĂ„karaĂĂ„ntipĂ„da gardien de la porte est de VikramaĂ„la, disciple de NĂ„ropĂ„ : lesdates de ce dernier sont controversĂ©es : 1016-1100 (Guenther) ; 980-1040 (Ferrari) ;924-1039 (Naudou).
79 Pour des dĂ©tails concernant lâauteur et le texte (trad., etc.) v. P.ArĂšnes, 2002, pp.163-183.
Revue dâEtudes TibĂ©taines18Bien quâune certaine tendance Ă la systĂ©matisation soit Ă l'Ćuvre dans
la tradition indienne80, il semblerait que ce soit plutÎt la tradition hermé-
neutique tibĂ©taine qui ait gĂ©nĂ©ralisĂ© lâusage et lâapplication des âsept or-nementsâ Ă des textes nâappartenant pas au cycle du GuhyasamĂ„jatantra.
Câest ainsi que le shad thabs (moyen ou mode dâexplication) des âseptornementsâ a Ă©tĂ© utilisĂ© pour tous les principaux tantra de la classeanuttara81. Diverses raisons peuvent ĂȘtre avancĂ©es pour expliquer cela :dâabord, le fait, dĂ©jĂ relevĂ©, que les textes du cycle du GuhyasamĂ„jatan-tra soient classĂ©s comme paroles du buddha (buddhavacana)82 ; ensuite,peut-ĂȘtre, lâadage Ă©voquĂ©, entre autres83, par Bu ston rin chen grub(1290-1364), selon lequel, pour expliquer un tantra, il faut utiliser unautre tantra :
âEn ce qui concerne les tantra, il faut les comprendre Ă lâaide dâautrestantra ; puisquâil en est ainsi, il faut Ă©claircir leur sens par lâintelligencede sĂtra et des tantraâ84.
Les âSept Ornementsâ
Avant de donner la traduction de lâexposĂ© dĂ©taillĂ©, par dBal mang
dKon mchog rgyal mtshan, des âSept Ornementsâ, il nâest sans doute pasinutile de les prĂ©senter.
Les âSept ornementsâ sont composĂ©s, selon lâordre le plus courant,deïżœ:
(1) la âprĂ©sentationâ (upodghĂ„ta ; gleng bslang) ou les âcinq prĂ©sen-tationsâ85 ; (2) les âmaniĂšres dâatteindre la perfection, de devenir
buddhaâ (âtshang rgya tshul) / les âquatre procĂ©duresâ (nyĂ„ya ; rigs pa
80 M. Broido, 1988, p. 94.81 E. Steinkellner soutient que les âsept ornementsâ ne sont applicables quâau
GuhyasamĂ„ja, 1978, p. 451, n. 17, : il a pu en ĂȘtre ainsi Ă lâorigine mais M. Broido,1988, p. 73, et R. Thurman, 1988, p. 133, soulignent leur application gĂ©nĂ©ralisĂ©e.
82 Câest en raison de cette prĂ©Ă©minence du GuhyasamĂ„jatantra que Tsong kha pa (1357-1419) justifie lâapplication des âsept ornementsâ Ă tous les autres anuttaratantra : v.Tsong kha pa, Ye shes rdo rje kun las btus paâi rgya cher âgrel pa , CollectedWorks, rJe yab sras gsung âbum, Ă©d. de bKra bshis lhun po, vol. CA, fol. 451 ff.(cit. de R. Thurman, ibid.).
83 Comme, par exemple, TĂ„ranĂ„tha (1575-1635?), dans sGrol maâi âgrel pa, The Col-lected Works of Jo nang rje btsun TĂ„ranĂ„tha, vol. 12, 1985, ff 553-581 : v. trad. P.ArĂšnes, 1996, p. 371.
84 Bu ston rin chen grub, sGron ma rab gsal, 150.1 : / rgyud ni rgyud gzhan dag gisrtogs par bya // zhes gsungs paâi phyir / mdo dang / rgyud dang / rtog pa la sogspas âdiâi don gsal bar phye bar rtogs par byaâo //
85 [1] le nom (sa”jñÄ ; ming) , [2] le destinataire (nimittam ; ched) [3] lâauteur (kartĂ„;
byed pa po), [4] lâĂ©tendue (pramĂ„ ; tshad) [5] le but (prayojana ; dgos pa).
Herméneutique des Tantras 19
(bzhi))86 ; (3) les âsix extrĂȘmesâ, ou âsix possibilitĂ©s alternativesâ(âaâ koâ i; mthaâ drug); (4 ) les âquatre modes dâexplicationâ
(caturvidhĂ„khyĂ„yikĂ„ ; bshad tshul bzhi) ; (5) les âmaniĂšres dâexpliquerâ
(âchad tshul) / les âdeux maniĂšres dâexpliquer aux auditeursâ(dvividhabheda ; nyan pa po la bshad tshul gnyis) ; (6) [la nature de]
âlâauditeurâ (nyan pa po) / âles cinq [sortes dâ]individusâ (pañcapudgala;gang zag lnga) ; (7) les âdeux vĂ©ritĂ©s certainesâ (satyadvayavinirËaya ;bden gnyis nges pa).
Les ornements 3 et 4 concernent plus proprement lâexĂ©gĂšse hermĂ©neu-tique : ce sont les plus connus.
Le premier ornement, âla prĂ©sentationâ, dĂ©finit les textes de maniĂšregĂ©nĂ©rale ; de nature paratextuelle, il cadre lâorigine et lâusage du tantraquâil prĂ©sente.
Le second, les âquatre procĂ©duresâ ou âmaniĂšres dâatteindre la perfec-tion, de devenir buddhaâ rappellent la nature et les Ă©lĂ©ments constitutifsde la voie du pĂ„ramitĂ„yĂ„na et du mantrayĂ„na.
Le cinquiĂšme et le sixiĂšme traitent, en quelque sorte, de didactiquepuisquâils analysent les auditeurs et les distinguent en catĂ©gories, expo-sent les divers types de sens, i. e. dâinterprĂ©tation, convenant Ă chaquecatĂ©gorie.
Le septiĂšme, âdeux vĂ©ritĂ©s certainesâ consistent en instructionsgĂ©nĂ©rales concernant lâusage des sept ornements du point de vue desdeux vĂ©ritĂ©s (la VĂ©ritĂ© conventionnelle : samvÂźtisĂ„tya et la VĂ©ritĂ© Ultime:paramĂ„rthasatya).
La bipartition fonctionnelle quâon peut constater, a conduit certainsspĂ©cialistes Ă mettre en doute lâhomogĂ©nĂ©itĂ©, quant Ă la fonction hermĂ©-neutique87, de cet appareil.
Pourtant, ces ornements (les 1er et 2e, les 5e, 6e, et 7e) dont la fonc-tion nâapparaĂźt pas, Ă proprement parler, hermĂ©neutique ne figurent pasdans les sept ornements pour des raisons purement rĂ©thoriques : ilscorrespondent Ă des prĂ©occupations capitales pour lâexĂ©gĂšse bouddhiste,câest Ă dire des prĂ©occupations didactico-sotĂ©riologiques.
Si lâon souhaite comprendre la place et lâutilitĂ© de ces ornements (1er,2e, 5e, 6e et 7e), il faut considĂ©rer un aspect particulier ou une propriĂ©tĂ©particuliĂšre de la fonction interprĂ©tative des ornements (3e et 4e) rĂ©putĂ©s,eux, proprement hermĂ©neutiques.
Cet aspect ou cette propriĂ©tĂ© particuliĂšre de la fonction hermĂ©neutique,câest dâentretenir une relation trĂšs Ă©troite avec la critique de validitĂ©.
86 (1) le continuum (sa”tana ; rgyud), (2) la base (nidÄna ; gleng gzhi), (3) les mots
certains (nirukti ; nges (paâi) tshig), (4) la cause (hetu ; rgyu)87 V. E. Steinkellner, 1978, p. 451- 452.
Revue dâEtudes TibĂ©taines20Câest ainsi que, si une importance particuliĂšre a Ă©tĂ© accordĂ©e aux 3e et
4e ornements, i.e. aux âsix possibilitĂ©s alternativesâ (mthaâ drug) et aux
âquatre modes dâexplicationâ (bshad tshul bzhi), en particulier, parcertains commentateurs de la tradition rNying ma pa88, câest nonseulement en raison de leur utilitĂ© en matiĂšre dâinterprĂ©tation, mais aussiet sans doute, surtout, en raison du fait que de leur usage, dĂ©pend lavaliditĂ© Ă©ventuelle, lâorthodoxie de textes aux origines controversĂ©es.
On voit alors plus clairement comment ces âornementsâ (non her-mĂ©neutiques)89 qui replacent les textes et leur usage dans le cadre gĂ©nĂ©ralde la doctrine bouddhiste - qui Ă©tablissent donc les limites de validitĂ© decet usage - et qui dĂ©finissent strictement les destinataires des diversenseignements tantriques ainsi que la maniĂšre de les enseigner, obĂ©issent,en fait, aux mĂȘmes prĂ©occupations que les ornements plus proprementhermĂ©neutiques, i.e. Ă des prĂ©occupations didactico-sotĂ©riologiques dont ledgos paâi dgos pa (prayojanasya prayojana)90 est, en dĂ©finitif, de guidertous les ĂȘtres vers lâĂ©tat de buddha par la Voie des anuttaratantra.
2. Un exposĂ© de lâappareil des âSept Ornementsâ par dBal mang
dKon mchog rgyal mtshan (1764-1863)
â ExposĂ© des anuttarayogatantra et instructions concernant les mĂ©tho-des dâexplication des tantra â, deuxiĂšme section [de lâExposĂ© du sens
gĂ©nĂ©ral des quatre classes de tantra, appelĂ© âPorte des mantraâ91.]
â DeuxiĂšmement, en ce qui concerne les instructions des mĂ©thodesdâexplication (man ngag gyi shes thabs) des tantra, [pour apprĂ©hender]les connaissables, il existe les sept ornements des mĂ©thodes dâexplicationdes tantra qui constituent le fondement de toute explication : [1]lâornement de la prĂ©sentation du sujet ; [2] lâornement des maniĂšresdâatteindre la perfection [=lâĂ©tat de buddha] - le propos de lâexplication -qui se rĂ©sume en les Ă©tapes de la Voie ; [3] lâornement des Six Possibi-
88 V. supra, n. 70.89 Il faut aussi noter que lâun de ces ornements (le premier âornementâ, âprĂ©sentationâ:
upodghĂ„ta ; gleng blang) confĂšre, en fait, aux tantra, un statut aussi prĂ©cisĂ©mentdĂ©fini que celui des ĂĂ„stra ; E. Steinkellner, 1978, p. 449, n. 12, a soulignĂ© la rela-tion entre ces caractĂ©ristiques et celles requises pour un ĂĂ„stra ; M. Broido, 1988, p.87, relĂšve que lâensemble des caractĂšres dĂ©finissant les ĂĂ„stra a Ă©tĂ© appliquĂ© Ă destantra (au Hevajratantra par Vajragarbha et au KĂ„lacakra).
90 M. Broido, 1988, p. 86-88.91 rNal âbyor bla med kyi rgyud kyi rnam bzhag dang / rgyud bshad thabs kyi man
ngag gnyis, dans rGyud sde bzhiâi don rnam par bzhag pa sngags paâi jug paâi sgo,vol. 5, The Collected Works of dBal mang dKon mchog rGyal mtshan, 1974. Dans lasuite de cet article, le titre de cet ouvrage sera abrĂ©gĂ© sous la forme de Ng. J. G.
Herméneutique des Tantras 21
litĂ©s alternatives (âaâ koâ i ; mthaâ drug) et [4] [celui] des Quatre MĂ©thodes[dâexplication] (*caturvidakya ; [bshad] tshul bzhi) qui commentent ainsile sens des textes ; [5] lâornement du mode dâexplication [indiquant] quelsens expliquer et Ă quels auditeurs [le faire] ; [6] lâornement delâindividu, de lâauditeur qui sâengage dans les tantra ; [7] lâornement desdeux vĂ©ritĂ©s certaines qui [Ă©tablit] ainsi [avec] certitude le sens [Ă ] expli-quer92.
PremiĂšrement, [on] expose lâornement de la prĂ©sentation parce quâilfaut expliquer et prĂ©senter au moyen de cinq particularitĂ©s :
[1] la particularitĂ© du nom propre Ă chaque tantra ; [2] la particularitĂ©des disciples auxquels [chaque tantra] est destinĂ© ; [3] la particularitĂ© delâauteur ; [4] la particularitĂ© du sens des mots ; [5] particularitĂ© du but(prayojana)93.
DeuxiĂšmement, dans lâornement des maniĂšres dâatteindre la perfec-
tion [= lâĂ©tat de Buddha], il y a quatre caractĂ©ristiques :
[1] le continuum (sa”tana ; rgyud),[2] la base (nidÄna ; gleng gzhi),[3] les mots certains [i.e. la ferme résolution des paroles
dâengagement] (nirukti ; nges tshig),[4] la cause (rgyu ; hetu).
[1] le continuum
Il est exposĂ© aussi que de mĂȘme [quâon appelle âcontinuumâ le faitde] naĂźtre humain dans sa derniĂšre existence [en tant que pratiquant] duVĂ©hicule des perfections (pĂ„ramitĂ„yĂ„na), le fait dâĂȘtre ordonnĂ© moine, dedemeurer dans la pratique scrupuleuse de la discipline (vinaya), de de-meurer dans la concentration inĂ©branlable, ([tous] ces quatre [Ă©lĂ©ments]rĂ©sumant les maniĂšres dâatteindre la perfection94 de la Voie dĂ©pourvuedâattachement), de mĂȘme, le fait dâatteindre lâextrĂȘme limite du stade decrĂ©ation, (utpattikrama) grossier et subtil, transmutĂ© en orgueil divin
92 V. dBal mang Kon mchog rgyal mtshan, Ng. J. G, p. 23 : / gnyis pa rgyud bshad
thabs kyi man ngag ni / shes bya chos can / rgyud bshad thabs kyi rgyan bdun yodde / gang bshad par bya baâi gzhi gleng bslang gi rgyan / bshad don lam gyi rimpar sdud pa âtshang rgya tshul gyi rgyan / gzhung don ji ltar âgrel ba mthaâ drugdang tshul bzhiâi rgyan / nyan pa po gang la don gang la âchad pa âchad tshul gyirgyan / rgyud la âjug paâi gang zag nyan pa poâi rgyan / bshad don ji ltar nges pabden gnyis nges paâi rgyan rnams su yod paâi phyir /
93 Ibid. (suite) : / dang po gleng bslang gi rgyan bzhag tu yod de / rgyud rang rang lamtshan gyi khyad par / ched du bya baâi gdul byaâi khyad par / mdzad pa poâikhyad par / tshig don gyi khyad par / dgos paâi khyad par lngaâi sgo nas glengbslang te âchad dgos paâi phyir /
94 i.e. lâĂ©tat de buddha.
Revue dâEtudes TibĂ©taines22
(garva ; nga rgyal)95, est appelĂ© âcontinuumâ (rgyud) parce que câest [unprocessus] comparable au fait de reprendre naissance.
[2] la baseDe mĂȘme que, bien quâavant de quitter sa rĂ©sidence et dâĂȘtre ordonnĂ©
moine, [chacun porte] des marques et vĂȘtements diffĂ©rents, devenu moine,[chacun] porte [alors] les mĂȘmes [sortes de] vĂȘtement que tous les [au-tres] moines, de mĂȘme, toutes les dĂ©itĂ©s [du mandala] appartiennent Ă une [seule et mĂȘme] famille [celle] du Grand et Secret Vajradhara et,comme lâĂ©tape dâachĂšvement (nispannakrama) (oĂč [, de mĂȘme,] tous lesphĂ©nomĂšnes sont dâun mĂȘme goĂ»t (ekarasa ; ro gcig) dans la ClaireLumiĂšre (prabhasvara)), est la base dâĂ©manation du mandala qui la prend
pour support, on lâappelle âbaseâ (gleng gzhi).[3] les mots certains (nirukti ; nges tshig) :En ce qui concerne les vĆux et engagements, comme on demeure
(gnas) dans le devoir (dgos) de [les] conserver intactes (nges par brten),
de maniĂšre parfaite96, on parle de âpĂ©rĂ©nitĂ© certaineâ (nges paâi gnas) oude âmots certainsâ [en rĂ©fĂ©rence Ă la ferme rĂ©solution des parolesdâengagement] (nges tshig).
[4] la cause :En ce qui concerne lâentraĂźnement en les trois conduites dotĂ©es des
neuf caractĂ©ristiques de la danse97 telle que la grĂące, etc., [on lâappelle
âcauseâ(rgyu)] parce quâelle est la cause de lâapproche de la Bodhi quiest le fruit98.
TroisiĂšmement, les âornementsâ des âSix possibilitĂ©s alternati-
vesâ(mthaâ drug ; âaâ koâ i).
95 V. supra, n. 45.96 gdon mi za bar : ou indubitable97 1) sgegs pa : la sĂ©duction 2) dpaâ ba : lâintrĂ©piditĂ© 3) mi sdug pa : le dĂ©goĂ»t 4)
rgod : la sauvagerie 5) âdrug : lâhumour 6) shul : la frayeur 7) rnying rje : la com-passion 8) rngam : la majestĂ© 9) zhi ba : le calme. V. A. Wayman, 1977, p. 22.
98 Ibid. (suite, pp. 23-24) : / gnyis pa âtshang rgya tshul gyi rgyan la khyad par bzhiyod de / rgyud dang / gleng gzhi dang / nges tshig dang / rgyu dang bzhi yod paâiphyir / de yang bzhag tu yod de / phar phyin theg paâi srid pa tha ma pa de mirskyes pa dang / rab tu byung ba dang / âdul baâi kun spyod la gnas pa dang / mig.yo baâi ting nge âdzin la gnas pa dang bzhi po des chags bral gyi lam gyi âtshangrgya tshul sdud pa ltar lhaâi nga rgyal du âphos paâi bskyed rim phra rags mtharphyin pa ni skye ba blangs pa dang [24] âdra bas rgyud ces brjod / khab nas mabyung baâi tshe rtags dang cha lugs tha dad kyang rab tu byung na thams cad chabyad gcig pa ltar lha thams cad gsang chen rDo rje âchang gi rigs gcig dang / chosthams cad âod gsal du ro gcig paâi rdzogs rim ni rten brten paâi dkyil âkhor sprulpaâi gzhi yin pas gleng gzhi zhes brjod / dam tshig dang sdom pa ni gdon mi za barnges par brten dgos paâi gnas yin pas nges paâi gnas sam nges paâi tshig ces bya /sgeg pa la sogs paâi gar gyi nyams dgu dang ldan paâi spyod pa gsum la slob pa niâbras bu byang chub la nye baâi rgyu yin paâi phyir /
Herméneutique des Tantras 23
[Sens Ă interprĂ©ter : neyĂ„rtha ; drang don ] :Parmi ces six ornements, lorsquâun mĂȘme mot de vajra99 comporte
deux sens qui ne concordent pas, lâexplication qui expose le sens appa-
rent, obvie, (dngos zin) de ce mot de vajra constitue lâexposĂ© en âsens Ă interprĂ©terâ (drang du) ; lâensemble des deux sens (sens obvie et sensdiscord) comportant un sens Ă interprĂ©ter, on explique donc ce quâon ap-
pelle le âsens Ă interprĂ©terâ.Exemple : câest comme expliquer le sens du mot Vajradhara [en di-
sant] â[Vajradhara, i.e.] qui tient, comme emblĂšme, un vajra Ă cinqpointesâ100.
[Sens certain ou dĂ©finitif : nĂźtĂ„rtha ; nges don ]Lorsquâun mĂȘme mot de vajra comporte deux sens qui ne concordent
pas, lâexplication qui montre le sens apparent et le sens discord, câestlâexplication en sens certain de ce mot de vajra. Pourquoi ?
Comme on comprend [désormais] les deux sens101, le sens obvie et le
sens discord, [on appelle cette explication,] une explication du âsens cer-tainâ.
Exemple : câest comme expliquer le sens du mot âVajradharaâ (rdorje âdjin pa) [en disant que câest] lâUnion (zung âjug)102.
[Explication par intention spĂ©ciale (sa”dhyĂ„ bhĂ„âita / sa”dh(y)Ă„yabhĂ„âita ; dgongs pas bshad pa 103)]
Lâexplication (bshad pa) utilisant des mots âcontrairesâ, diffĂ©rents, envue (dgongs nas) [dâexprimer] un sens diffĂ©rent qui nâest pas communaux classes de tantra infĂ©rieurs, [et] qui est destinĂ© aux disciples de fa-cultĂ©s supĂ©rieures : telle est la dĂ©finition de lâexplication des mots devajra au moyen dâune intention [spĂ©ciale][dgongs pas]. Câest ainsi [quâil
faut] comprendre, par cette dĂ©finition le sens des mots âexplication aumoyen dâune intentionâ[dgongs pas bshad pa].
99 Ce mode dâexpression, voire ce type de discours utilisĂ© dans les tantra, qui est ap-
pelĂ© en tibĂ©tain rdo rje tshig et en sanskrit vajrapĂ„da est bien difficile de traduire enfrançais puisquâon pourrait hĂ©siter entre âmots de vajraâ, âstance de vajraâ,âsyntagme de vajraâ, âĂ©noncĂ© de vajraâ, suivant les contextes.
100 Ibid. (suite, p. 24) : gsum pa mthaâ drug gi rgyan la drug las / rdo rjeâi tshig gcigla don mi thun pa gnyis yod paâi nang nas tshig deâi ngos zin gyi don bstan paâibshad pa de rdo rjeâi tshig deâi drang don du bstan paâi mtshan nyid yin te / ngoszin gyi don dang mi mthun par don gnyis pa zhig drang du yod pas drang don zhesbshad paâi phyir / mtshan gzhi ni / rdo rje âdzin pa zhes paâi tshig don rdo rje rtselnga pa phyag mtshan du âdzin par bshad pa lta buâo //
101 don gnyis der nges pas : m. Ă m. : il y a certitude dans les deux sens.102 LâUnion et la Claire LumiĂšre sont les deux stades finaux lâĂ©tape dâachĂšvement (nis-
pannakrama ; rdzog rim)103 V. D. Seyfort Ruegg, 1985, p. 309.
Revue dâEtudes TibĂ©taines24
Exemple : câest comme expliquer, lâexpression âune toute jeune filleaux grands yeux, etc.â (chapitre huit du [Guhya]samĂ„ja), [en disant que
câest] âlâUnionâ(zung âjug) 104.
[Explication nâusant pas dâintention spĂ©ciale (na sa”dhyĂ„ bhĂ„âita- ;dgongs min)] :
lâexplication (bshad pa) nâusant pas dâintention spĂ©ciale (dgongs pama yin pa) [pour expliquer les] mots de vajra, nâest pas (min) une expli-
cation utilisant des mots âcontrairesâ (sgra âgal ba), diffĂ©rents, en vue(dgongs nas) [dâexprimer] un sens diffĂ©rent, mais, câest une explicationqui montre clairement le sens de ce qui est Ă expliquer en usant de mots
âdirectsâ Ă lâintention de disciples de facultĂ©s moindres, [i.e.] un sensquelconque qui nâest pas commun aux tantra infĂ©rieurs. [Câest ainsiquâon] peut comprendre, par cette dĂ©finition, le sens des mots
[âexplication nâusant pas dâune intentionâ (dgongs pa ma yin pas bshadpa )].
Exemple : câest comme expliquer lâexpression âle vajra dĂ©pourvu desoiâ (chapitre deux du [Guhya]samĂ„ja), comme [Ă©tant] la Claire LumiĂšre.
[Explication conforme au code lexical ou conforme aux mots (yathÄ-ruta) ; sgra ji bzhin pa) des mots de vajra] :
Lâexplication conforme au code lexical des mots de vajra, [câest]lâexplication qui montre clairement les mĂ©thodes de rĂ©alisation des [Qua-tre] ActivitĂ©s (âphrin las [bzhi]) telles que lâapaisement (Ăant„ ; zhi ba),etc., ainsi que les huit rĂ©alisations (siddhi), la rĂ©alisation de maËâala des-sinĂ©s. On peut distinguer deux subdivisions : lâexplication conforme aucode lexical dĂ©pourvue de deux sens et lâexplication conforme au codelexical dotĂ©e de deux sens.
En ce qui concerne la premiĂšre, câest comme lâexplication105 conformeau code lexical des trois classes de tantra infĂ©rieurs.
En ce qui concerne la seconde, câest comme, dans le cinquiĂšme cha-pitre du [Guhya]samĂ„ja), lâexplication conforme au code lexical [du pas-
sage commençant par] âles ĂȘtres [en nombre] sans limite, etcâ. 106.
104 Ibid. (suite, pp. 24-25) : rdo rjeâi tshig gcig la don mi mthun pa gnyis yod pa las
ngos zin gyi don dang mi mthun paâi don gnyis pa ston paâi bshad pa rdo rjeâitshig deâi nges don du bshad paâi mtshan nyid yin te / ngos zin dang mi mthun paâidon gnyis pa der nges pas nges don zhes bshad paâi phyir / mtshan gzhi ni / rdo rjeâdzin pa zhes paâi tshig don zung âjug la bshad pa lta buâo // gdul bya dbang pomchog gi ched du rgyud sde âog ma dang thun mong du ma gyur paâi don gzhan ladgongs nas sgra âgal ba gzhan gyis ston paâi bshad pa de / rdo rje tshig deâidgongs [p. 25] pas bshad paâi mtshan nyid yin te sgra don yang des shes so //mtshan gzhi ni / âdus paâi leâu brgyad par / na chung gzhon nu mig yangs pa zhessogs zung âjug la bshad pa lta buâo //
105 Câest Ă dire, dâun sens direct.
Herméneutique des Tantras 25
[Lâexplication non conforme au code lexical ou non conforme auxmots (nayathĂ„ruta ; sgra ji bzhin ma yin pa) :]
Lâexplication non conforme au code lexical des mots de vajra, câestlâexplication des mots de vajra forgĂ©s par un tathĂ„gĂ„ta, qui ne figurentpas dans les traitĂ©s (Ăastra) de grammaire des grammairiens et qui sontassignĂ©s [arbitrairement] Ă un sens [donnĂ©].
Exemple : câest comme lâexplication de kĂâ akya, etc., comme les dixvents107.
QuatriĂšme[ment] : parmi les quatre ornements des âQuatre modes
dâexplicationâ, [on trouve] :
[1] Lâexplication selon le âsens littĂ©ralâ (akâarĂ„rtha ; tshig gi don /yig don)108: câest une explication des mots de vajra, qui a la capacitĂ© de[les faire] comprendre, en sâappuyant seulement sur les textes de gram-maire des grammairiens109, et en assignant Ă ces mots leur sens obvie.
106 Ibid. (suite, p. 25) : bshad byaâi don rgyud sde âog ma man chad dang thun mong
du ma gyur paâi don gang zhig gdul bya dbang po dman paâi ched du don gzhan ladgongs nas sgra âgal ba gzhan gyis bstan pa min par don de sgra drang thad dugsal bar ston paâi bshad pa de rdo rjeâi tshig deâi dgongs pa ma yin pas bshad paâimtshan nyid dang sgra don yang shes par nus so // mtshan gzhi ni / âdus paâi leâugnyis par / bdag med paâi rdo rje zhes pa âod gsal la bshad pa lta buâo // dkyilâkhor bri sgrub dang / zhi sogs kyi las sgrub tshul dngos grub brgyad sogs gsal barston paâi bshad pa de / rdo rje tshig deâi sgra ji bzhin par bshad paâi mtshan nyid /dbye na don gnyis pa med paâi sgra ji bzhin pa dang / don gnyis pa can gyi sgra jibzhin pa gnyis /dang po ni / rgyud sde âog ma gsum gyi sgra ji bzhin pa lta buâo //gnyis pa ni / âdus paâi leâu lnga par / sems can âtshams med sogs kyi sgra ji bzhinpa lta buâo //sans limites (?) :âtshams med: ; le terme tibĂ©tain qui figure ici âtshams ne faisant passens, sans doute faut-il lire mtshams med.
107 V. P. ArĂšnes, 2002b, pp. 26-27, et n. 83.108 dBal mang dKon mchog rgyal mtshan donne yig [geâi ] don, ibid.; mais tshig gi don
et yi geâi don sont attestĂ©s pour les rgyan bdun, v. M. Broido, 1983, p. 19.109 dBal mang dKon mchog rgyal mtshan ne mentionne pas le fait que le sens littĂ©ral
est considĂ©rĂ© comme un âornement de motsâ (ĂabdĂ„la”kĂ„ra : V., Bhavyak„rti,Prad„poddyotanĂ„bhisa”dhiprakĂ„ĂikĂ„, f. 108a 3.- 109a 2 (cit. de E. Steinkellner,1978, p. 454, n. 29) : le sens littĂ©ral est, selon Bhavyak„rti, le seul a ĂȘtre considĂ©rĂ©
comme un âornement de motsâ (ĂabdĂ„la”kĂ„ra) alors que les trois autres seraient desâornements de sensâ (arthĂ„la”kĂ„ra), particularitĂ© qui pourrait expliquer pourquoi ilnâest pas nommĂ© dans la premiĂšre partie du VajrajñÄnasamuccaya, ce dont sâĂ©tonneY. Matsunaga (1964, p. 839 (21)).
Revue dâEtudes TibĂ©taines26Exemple : câest comme lâexplication de lâunivers et de son contenu
sĂ©parĂ©s des âQuatre extrĂȘmesâ110, par la non substantialitĂ© (dngos po medpas), etc111.
[2] Lâexplication selon le âsens communâ ou âsens gĂ©nĂ©ralâ (sa-mastĂ„â«gĂ„rtha ; spyiâi don) : câest lâexplication des mots de vajra quimontrent le sens des pratiques communes aux pratiquants, jusquâaux pra-tiquants du stade de crĂ©ation (utpattikrama ; bskyed rim) 112. [On peut]distinguer, [dans cet ornement], deux [aspects] :
[a] le sens commun des pratiques communes Ă deux [catĂ©goriesdâindividus] :
1. ceux qui aspirent aux rĂ©alisations (siddhi) mondaines (âjig rten paâidngos grub) 2 - ceux qui aspirent Ă la rĂ©alisation suprĂȘme (mchog gidngos grub). Ces pratiques concernent le stade de crĂ©ation (utpattikrama).
[b] le sens commun des pratiques communes aux pratiquants des clas-ses de tantra infĂ©rieurs [et Ă dâautres] :
[1] sens commun des pratiques communes des classes de tantra infé-rieurs et supérieurs : yoga de la déité ;
[2] sens commun des pratiques communes aux sĂtra et aux tantra :comprĂ©hension de la VacuitĂ©113.
110 Les quatre extrĂȘmes (cĂ„turanta) sont quatre conceptions selon lesquelles un phĂ©-
nomĂšne pourrait ĂȘtre produit (1) de lui-mĂȘme, (2) dâautre chose, (3) des deux, (4)sans cause : lâinvaliditĂ© de ces quatre conceptions est utilisĂ©e pour montrer la vacuitĂ©des phĂ©nomĂšnes.
111 i.e. comme Ă©tant des phĂ©nomĂšnes dĂ©pourvus de soi (bdag med pa).112 Ibid. (suite, pp. 25-26) : don de la ming de âjug pa sgra ba rnams kyi sgraâi bstan
bcos la med par de bzhin gshegs pa âbaâ zhig gis brdaâ mdzad paâi rdo rjeâi tshigdeâi bshad pa de rdo rjeâi tshig deâi sgra ji bzhin pa ma yin par bshad paâi mtshannyid / mtshan gzhi ni / ko tĂ„ khya la sogs rlung bcur bshad pa lta buâo // bzhi patshul bzhiâi rgyan la bzhi las / don de ming de la dngos su âjug par sgra ba rnamskyi sgraâi gzhung tsam la brten nas thon par nus paâi rdo rjeâi tshig deâi [p. 26]bshad pa de / yig don du bshad paâi mtshan nyid / mtshan gzhi / dngos po med paszhes sogs kyis snod bcud mthaâ bzhi dang bral bar bshad pa lta buâo // bskyed rimpa man chad gang rung dang nyams su blang bya thun mong baâi don ston paâi rdorjeâi tshig deâi bshad pa de spyi don du bshad paâi mtshan nyid //
113 Ibid. (suite, p. 26) : / dbye na âjig rten paâi dngos grub don du gnyer ba dang /mchog gi dngos grub gnyer ba gnyis kaâi nyams su blang bya thun mong baâi spyiâidon dang / rgyud sde âog ma man chad dang thun mong baâi spyiâi don gnyis /dang po ni / bskyed rim lta bu âo // gnyis pa la rgyud sde gong âog thun mong baâispyiâi don dang / mdo sngags thun mong baâi spyiâi don gnyis / dang po ni / lhaâirnal âbyor lta bu / gnyis pa ni / stong nyid rtogs paâi lta ba lta buâo // Selon Can-
drak„rti et Bu ston, ce âsensâ aurait pour fonction dâĂ©tablir une relation entre lespratiquants de stades infĂ©rieurs de la pratique et les stades supĂ©rieurs auxquels ils
Herméneutique des Tantras 27
[3 ] Explication selon le âsens cachĂ©â (garbhyĂ„rtha ; sbas (paâi)don)114:
câest lâexplication des mots de vajra (rdo rje tshig), qui montre, parmi
les quatre âsensâ discords [qui sâ] y [rapportent]115, le sens de lâun quel-conque des trois âsens cachĂ©sâ.
[On peut en donner] comme exemple [le fait de parler de] âlâabsencedâobjets116[existant en soi], etc.â [quand on] expose lâEsprit isolĂ© (cittavi-vikta ; sems dben )117 et le Corps illusoire (mayĂ„kĂ„ya / mayĂ„deha ; sgyuslus)118.
Si [lâon dĂ©sire entrer dans le dĂ©tail, on peut] distinguer trois [sortes deâsens] cachĂ©sâ:
[1] [âsens] cachĂ©â du dharma dâattachement (rĂ„gadharma ; âdod chagschos sbas)119
peuvent aspirer ou quâils peuvent redouter, et de les rassurer (v. M. Broido, 1983, p.42 ; E. Steinkellner, 1978, p. 455 ; R. Thurman, 1988, p. 140).
114 Tout le passage concernant le sens cachĂ© a dĂ©jĂ Ă©tĂ© traduit, commentĂ© et publiĂ© dansP. ArĂšnes, 1998, pp. 189-192 ; nĂ©anmoins, il me paraĂźt indispensable de le faire fi-gurer Ă sa place dans lâensemble beucoup plus vaste dont il fait partie et dont jedonne la traduction, ici.
115 Lâauteur semble faire allusion ici Ă des modes dâexplication faisant rĂ©fĂ©rence Ă dessens âdiscordâ (mi mthun pa), ce pourrait ĂȘtre, alors, lâexplication non conforme aucode lexical, lâexplication par intention spĂ©ciale et lâexplication ultime, le sens cachĂ©faisant le quatriĂšme ; mais, Ă©tant donnĂ© sa dĂ©finition, le sens certain ou dĂ©finitifpourrait peut-ĂȘtre aussi figurer dans cette liste.
116 V. supra, n. 111.117 DeuxiĂšme Ă©tape de la pratique du stade dâachĂšvement (sampannakrama ; rdzogs rim)
grĂące aux yoga âdâisolement de la paroleâ comme la ârĂ©citation de vajraâ, etc., onrĂ©alise âlâEsprit isolĂ© de Claire LumiĂšre similaire ultimeâ (sems dben dpeâi âod gsal
mthar thug) : lâesprit est âisolĂ©â des conceptions et des âventsâ quâelles chevauchent.Cette rĂ©alisation permet de sĂ©parer le corps grossier (lus rags pa) du corps subtil(lus phra ba), v. Geshe Kelsang Gyatso, Claire LumiĂšre de FĂ©licitĂ©, le Mahamudradans le Bouddhisme du Vajrayana, 1986, pp. 201, 204-205.
118 Il y a deux Corps illusoires : lâun âimpurâ (ma dag paâi) dĂ©veloppĂ© dâabord, lâautre
âpurâ (dag paâi) ; la diffĂ©rence de puretĂ© correspond Ă une diffĂ©rence de qualitĂ© dansla rĂ©alisation de la VacuitĂ©, par lâesprit de Claire LumiĂšre ; le Corps illusoire impurcorrespond Ă la troisiĂšme Ă©tape du stade dâachĂšvement et se dĂ©veloppe Ă partir du
âventâ subtil servant de monture Ă lâEsprit isolĂ© de Claire LumiĂšre. Il est appelĂ©
âillusoireâ parce quâillustrĂ© par douze comparaisons synonymes dâillusion (mĂ„yĂ„) : v.Geshe Kelsang Gyatso, op. cit., pp. 200, 205-206 (Ă propos de ces comparaisons, v.E. Lamotte, Le TraitĂ© de la Grande Vertu de Sagesse de NĂ„gĂ„rjuna (MahĂ„pra-jñÄpĂ„ramitĂ„ĂĂ„stra), 1944, t. I, pp. 357-387)
119 Le âsens cachĂ©â du rĂ„gadharma est rattachĂ© par E. Steinkellner (1978, p. 455) et parR. Thurman, (1988, p. 141) Ă la premiĂšre Ă©tape (vajrajĂ„pa) du stade dâachĂšvement
Revue dâEtudes TibĂ©taines28
[2] [âsens] cachĂ©â de lâIllusion [de la VĂ©ritĂ©] conventionnelle(sa”vÂźtimĂ„yĂ„ ; kun âjob [bden paâi] sgyu ma).
[3] [âsens] cachĂ©â de lâEsprit dâapparence [blanche] (snang ba [dkarlam paâi] sems)120
En ce concerne le premier âsens cachĂ©â, il ya deux subdivisions :[1. 1] le âdharma dâattachementâ de la base (comme les absorptions
mĂ©ditatives (samapĂ„tti) dâunion121 des bases de purification de la Voie) et
[1. 2] le dharma dâattachement des absorptions mĂ©ditatives des prati-quants du stade de crĂ©ation et des pratiquants du stade dâachĂšvement.
En ce qui concerne le second âsens cachĂ©â, câest celui de lâIllusion :[2. 1] de la base122 : le Corps primordial (nivĂ„sitakĂ„ya ; gnyug maâi
lus), le Corps de rĂȘve (svapanakĂ„ya ; rmi lam gyi lus)123, le Corps devent de lâĂ©tat intermĂ©diaire (bar do rlung gi lus), etc.,
[2. 2] et de la Voie : le Corps Illusoire analogue et le Corps Illusoirevéritable (sgyu lus rjes mthun dang dngos gnas), etc.
En ce qui concerne le troisiĂšme âsens cachĂ©â, câest celui de lâEspritdâapparence [blanche] :
[3. 1] de la base, comme les trois apparences du sommeil et de lamort124
[3. 2] et de la Voie, comme les trois apparences de la Voie.
A qui [le Sens cachĂ©] est-il cachĂ© ? [Il] est cachĂ© [aux pratiquants]des classes infĂ©rieures de tantra et, dans ses trois maniĂšres dâĂȘtre cachĂ©,
(utpannakrama), alors que M. Broido (1983, p. 41) le situe aprĂšs la troisiĂšme dumĂȘme stade.
120 âLâEsprit dâapparence blancheâ est un Ă©tat de conscience subtile du moment de lamort, qui suit la dissolution des quatre Ă©lĂ©ments (v. Geshe Kelsang Gyatso, op. cit.,pp. 83-84).
121 pho mo snyoms âjug (dBal mang dKon mchog rgyal mtshan, Ng. J. G,., p. 26. 5.)122 gzhiâi [...] sgyu maâi sbas pa (dBal dKon mchog rgyal mtshan, Ng. J. G, p. 26. 5.
6.)123 Le âcorps de rĂȘveâ est trĂšs proche du âcorps illusoireâ auquel il peut se mĂ©langer (v.
Geshe Kelsang Gyatso, op. cit., pp. 206-207)124 Trois Ă©tats de conscience successifs expĂ©rimentĂ©s lors de lâendormissement et de la
mort : v. Lati RinpochĂ©, Jeffrey Hopkins, E. Napper, trad. de G. Driessens, V.Paulence, M. Zaregradsky, La Mort lâEtat IntermĂ©diaire et la Renaissance dans leBouddhisme TibĂ©tain, 1980, pp. 42-50, et Geshe Kelsang Gyatso, op. cit., pp. 84-85,115- 116.
HermĂ©neutique des Tantras 29il est cachĂ© en existant en essence Ă lâintĂ©rieur125 sans ĂȘtre apparent Ă lâextĂ©rieur126.
[4] Explication de â[sens] ultimeâ (kolikĂ„rtha ; mthar thug gi (/paâi)don) :
Câest lâexplication qui montre le sens de lâun quelconque des deux
âultimesâ parmi les quatre sens discords de ces mots de vajra.
Exemple : câest comme enseigner [la doctrine] de la Claire LumiĂšre(prabhĂ„svara ; âod gsal) et lâUnion (yuganaddha ; zung âjug), [i.e. lesstades finaux du Stade dâachĂšvement (sampannakrama ; rdzogs rim)] au
moyen de âlâabsence dâobjetsâ127[existant en soi], etc128.
En ce qui concerne le sens [immĂ©diat] des mots (sgra don), la disso-lution des vingt cinq objets grossiers (rags pa nyer lnga ; pañcavi”ĂatisthĂtam), câest les trois [phĂ©nomĂšnes] : apparence (snang ba [dkar lampaâi sems]), croissance (mched [pa dmar lam paâi sems]), obtention (nyer
thob [nag lam paâi sems])129 ; en ce qui concerne âlâultimeâ de la disso-lution graduelle de ces trois, câest lâUnion et la Claire LumiĂšre.
Câest ainsi parce que lâesprit trĂšs subtil se transforme en la nature de
la FĂ©licitĂ© nĂ©e simultanĂ©ment et [câest] âlâUltimeâ de la Claire LumiĂšre[qui apparaĂźt] au moyen de la disparition des deux apparences dans la
VacuitĂ© (ĂĂnyatĂ„ ; stong nyid) [et aussi] parce que ce âventâ trĂšs subtil,
125 Pour la problĂšmatique intĂ©rieur/extĂ©rieur et le âsens cachĂ©â : v. Mi Pham sur le
KĂ„lacakratantra (cit. de M. Broido, 1988, p. 79, 105, n. 39).126 dBal dKon mchog rgyal mtshan, Ng. J. G, (suite)., pp. 26. 3. - 27. 1.: rdo rje tshig
de la don mi mthun pa bzhi yod paâi nang nas sbas don gsum po gang rung gi donston paâi rdo rjeâi tshig deâi bshad pa de sbas don du bshad paâi mtshan nyid /mtshan gzhi / dngos po med paâi sogs kyis sems dben dang / sgyus lus bstan pa ltabuâo // dbye na âdod chags chos sbas / kun rdzob sgyu maâi sbas pa snang ba semssbas dang gsum / dang po la / lam gyi sbyang du gzhiâi pho mo snyoms âjug lta bugzhiâi dang / bskyed rim pa dang rdzogs rim paâi snyoms âjug lam gyi âdod chagschos sbas gnyis / gnyis pa la / gnyug maâi lus / rmi lam gyi lus / bar do rlung gilus sogs gzhiâi dang / sgyu lus rjes mthun dang dngos gnas sogs lam gyi sgyu maâisbas paâo // gsum pa la / gnyid dang âchi baâi snang pa gsum lta bu gzhiâi dang /lam gyi snang pa gsum lta bu lam gyi snang pa sems sbas so // gang la sbas nargyud sde âog ma man chad la sbas pa dang / p. 27] / sbas tshul gsum las / phyinas mi mngon par nang na snying por yod paâi tshul gyis sbas paâo //
127 V. supra, n. 111.128 Ibid. (suite, p. 27) : / rdo rjeâi tshig de la don mi thun pa bzhi yod paâi nang nas
mthar thug gnyis gang rung gi don ston paâi bshad pa de mthar thug gi bshad paâimtshan nyid / mtshan gzhi ni / dngos po med paâi sogs kyis âod zung bstan pa ltabuâo /
En ce qui concerne le sens âdâultimeâ, mthaâ / kola veut dire ici âqui atteint la li-miteâ (v. R. Thurman, 1988, p. 141).
129 En ce qui concerne ces trois Ă©tats de conscience, v. supra, n. 124.
Revue dâEtudes TibĂ©taines30
en sâĂ©rigeant en âCorps illusoire purâ, est âlâUltimeâ en tant que CorpsdâUnion130.
CinquiĂšme[ment, âmaniĂšres dâexpliquerâ (âchad tshul) / âdeux ma-niĂšres dâexpliquer aux auditeursâ (dvividhabheda ; nyan pa po la bshadtshul gnyis)]
Câest lâornement des mĂ©thodes dâexplication parce quâil faut expliquertrois des Six PossibilitĂ©s alternatives ainsi que les deux premiers Modesdâexplication aux individus ressortissant Ă un enseignement en public(exotĂ©rique) et [quâil faut expliquer] le sens non conforme aux mots (aucode lexical), le sens certain [ou dĂ©finitif] (n„tĂ„rtha ; nges don), le sensrelevant dâune intention spĂ©ciale (abhiprĂ„yika ; dgongs pa can ) [i.e. lestrois autres PossibilitĂ©s alternatives], et les deux derniers modesdâexplication aux individus relevant dâun enseignement acroamatique131.
SixiĂšme[ment : la nature de lâauditeur (nyan pa po) / âles cinq sortesdâindividusâ (pañcapudgala ; gang zag lnga)]
Dans âlâornement de lâauditeurâ, parmi les cinq types dâindividu, [i.e.qui sont] semblables au lotus utpala, au lotus blanc, au lotus, Ă lâencens,au joyau, les quatre premiers relĂšvent dâun enseignement public et le cin-quiĂšme dâun enseignement acroamatique.
Une fois que les tendances des disciples qui nâĂ©taient pas [encore] surla Voie se sont manifestĂ©es, il faut distinguer ceux auxquels il convientdâassigner des pratiques des [stades] supĂ©rieurs [ou] infĂ©rieurs du CorpsIllusoire.
Si lâon donne comme dĂ©finition de lâindividu semblable au joyau, [lefait dâĂȘtre un] individu qui demeure sur la Voie des anuttara tantra, as-surĂ© [de ce fait] dâaccĂ©der Ă lâĂ©tat de buddha dans cette vie-ci et qui,jusquâĂ prĂ©sent nâĂ©tant pas allĂ© au delĂ des yogatantra, a obtenu une ini-tiation dâanuttaratantra, il faut [spĂ©cifier] que [cet individu] doit ĂȘtre unĂȘtre humain du jambudv„pa, nĂ© de la matrice et dotĂ© des six Ă©lĂ©ments(khams drug) ; [en effet,] les ĂȘtres des enfers sont affligĂ©s de torturestrop intenses, les preta et les animaux sont des supports infĂ©rieurs, quant
130 Ibid. (suite, p. 27) : / sgra don ni / rags pa nyer lnga thim paâi mthaâ ni snang
mched thob gsum yin la / de gsum rim gyis thim paâi mthaâ ni âod gsal dang zungâjug yin pas so // de yang yin te / shin tu phra baâi sems de lhen skyes kyi bde baâingo bor gyur te stong nyid la gnyis snang nub paâi tshul gyis âod gsal gyi mtharthug shin tu phra baâi rlung de dag paâi sgyu maâi skur bzhengs paâi tshul gyiszung âjug gi skur mthar thug pa yin paâi phyir /
131 En privé, réservé à un public restreint de disciples choisis en fonction de leurmaturité spirituelle.
Ibid. (suite, p. 27) : / lnga pa âchad tshul gyi rgyan yod de / mthaâ drug gi gsumdang tshul bzhiâi dang po gnyis tshogs bshad kyi gang zag dang / sgra ji bzhin mayin pa dang / nges don / dgongs bshad / tshul bzhiâi tha ma gnyis rnams slob bshadkyi gang zag la bshad par bya ba yin paâi phyir /
HermĂ©neutique des Tantras 31aux autres, ce ne sont pas des champs [dâaccumulation] de karma (las kyisa ba) puisque, chez les dieux, il nây a pas de racine [dâactions]132.
Si lâon demande ce quâil en est [dans le cas dâ] une yogin„ nĂ©e denĂ„ga, [on peut dire que] les nĂ„ga qui ont Ă©tĂ© bĂ©nis en tant quâĂȘtres hu-mains par des yogin„ ne sont pas [considĂ©rĂ©s comme] des nĂ„ga.
Selon le KĂ„lacakra, pour un ĂȘtre du [continent] Uttarakuru, en ce quiconcerne lâexplication [du fait dâ]atteindre lâĂ©tat de buddha durant cettevie-ci, il faut examiner si, [pour ce type] dâexistence, les douze parties deterre133 sont des champs [dâaccumulation] de karma134.
Et si lâon se demande si ceux qui sont dans leur derniĂšre existence(cara”abhavika) et bĂ©nĂ©ficient dâun support [de vie] Ă Akaniââ ha, sont
dotĂ©s de âcanauxâ (rtsa) et des Ă©lĂ©ments blanc et rouge135 (ĂukladhĂ„tu etlohitadhĂ„tu ; dkar dmar gyi âdu âphrod), [on peut rĂ©pondre quâ] ils ontobtenu la maĂźtrise des dix pouvoirs.
SeptiĂšme[ment] : Ornement de [lâĂ©tablissement de] la certitude [aumoyen] des deux VĂ©ritĂ©s.
Il y a deux Ornements : lâOrnement de la certitude par la VĂ©ritĂ©conventionnelle (samv€tisĂ„tya) et lâOrnement de la certitude par la VĂ©ritĂ©Ultime (paramĂ„rthasatya) ; si lâon veut distinguer ces deux VĂ©ritĂ©sĂ©troitement mĂȘlĂ©es, ce tantra-mĂȘme dotĂ© des cinq caractĂ©ristiques de laprĂ©sentation, on le prĂ©sente au moyen de ces cinq caractĂ©ristiques et on
lâexplique (âchad) en âlâenveloppantâ (dril) dans les Ă©tapes de la Voie aumoyen des Quatre Ornements des mĂ©thodes dâobtention de lâĂ©tat debuddha. Si lâon procĂšde ainsi, et [si] lâon sâappuie sur les instructions dubla ma (guru), on dĂ©ploie (rgya bkrol te)136 [toutes les significations de
132 Ibid. (suite, pp. 27-28) : drug pa nyen pa poâi rgyan la / ut pa la / pad dkar / pad
ma / tsan ldan / rin po che lta buâi gang zag lnga las / dang po bzhi tshogs bshaddang / lnga ba slob bshad kyi gang zag yin paâi phyir / lam ma zhugs kyi rigs sadpa nas sgyu lus par yan man la ched du bya baâi gdul bya âjog mi âjog dbyad parbyaâo // rnal âbyor rgyud man ched kyi lam sngon du ma song bar sngags bla medkyi dbang thob paâi tshe de la âtshang rgya bar nges paâi sngags bla med kyi lamla gnas paâi gdul bya de rin po che lta buâi gang zag gi mtshan nyid du âjog de [p.28] yin na dzam buâi gling paâi mi mngal skyes khams drug ldan pa yin dgos tedmyal ba ba sdug bsngal gyis mnar drags / yi dvags dang dud âgro rten dman /gzhan rnams las kyi sa pa ma yin / lha la rtsa med pas so /
133 sa dum bu cu gnyis : les douze continents ? c. Ă d. les quatre grands (Jambudv„pa,PĂrvavideha, Godan„ya, Uttarakuru) flanquĂ©s, chacun, de deux sous-continents ?
134 Ibid. (suite, p. 28) : / o na klu las skyes paâi rnal âbyor ma lta bu ji ltar zhe na /de ni klu rnams rnal âbyor mas mir byin gyis brlabs pa yin gyi klu min la / Dusâkhor nas sgra mi snyan pa tshe de la âtshang rgya bar shad pa ni deâi tshe sa dumbu bcu gnyis las kyi sar gyur ram dpyad par bya âo /
135 Provenant du pÚre et de la mÚre.136 Les expressions lier (bcing ba) ou délier, etc. sont courantes à propos des textes et
de lâusage des ornements hermĂ©neutiques censĂ©s âlierâ ou âdĂ©lierâ les textes ; ici,
Revue dâEtudes TibĂ©taines32ce tantra] au moyen des Six possibilitĂ©s alternatives et des Quatre Modesdâexplication.
En ce qui concerne la distinction Ă opĂ©rer entre les explications Ă donner en public ou en privĂ© aux cinq types dâindividu [en fonction deleurs capacitĂ©s], lorsquâon enseigne Ă un disciple, [on peut se reporter]aux points contenus dans les six premiers Ornements, toutes les explica-tions Ă©tant le moyen de faire naĂźtre [directement ou indirectement] lacomprĂ©hension de lâUnion chez le disciple137.
Pour connaĂźtre parfaitement138 et obtenir lâEsprit pur de Claire LumiĂšreet le Corps pur, Corps dâarc en ciel, lâĂ©tat dâUnion de vajra, il faut[connaĂźtre de maniĂšre] certaine les deux causes [i.e. des deux corps] de
lâUnion et en avoir lâexpĂ©rience. Pour cela, il faut rĂ©aliser les âtrois iso-lementsâ, etc., du stade de crĂ©ation et, aprĂšs avoir obtenu lâinitiation, ob-server parfaitement vĆux et engagements, si [ces conditions] ne sont pasprĂ©alablement [rĂ©unies], aucun [rĂ©sultat] ne pourra sâensuivre.
AprĂšs avoir obtenu une connaissance parfaite du [double processus quise dĂ©roule] dans un sens puis en sens inverse (âgro ldog)139, si lâon nâestpas muni des instructions, aprĂšs que soient apparus les trois [phĂ©nomĂšnes
outre le terme âenvelopperâ dril ba, on a aussi krol ba âdĂ©plierâ qui rejoint le sensĂ©tymologique du mot français âexpliquerâ (ex-plicare), i.e. dĂ©plier, dĂ©ployer...le sensdâun Ă©noncĂ©.
137 Ibid. (suite, p. 28) : yang og min rten can gyi srid pa tha ma pa la / rtsa dang dkardmar gyi âdu âphrod yod dam zhe na de dbang bcu la mngaâ brnyes pa yin pas so // bdun pa bden gnyis nges paâi rgyan la / kun rdzob bden pa nges paâi rgyan dang/ don dam bden pa nges paâi rgyan gnyis yod de / de dag gi don phyogs gcig tudril ba ni gang âchad na gleng bslang baâi khyed par lnga ldan gyi rgyud de nyidkhyed par lngas bslangs te / âtshang rgya tshul gyi rgyan bzhi sgo nas lam gyi rimpar dril nas âchad / ji ltar âchad na bla maâi man ngag la brten nas mthaâ drugdang tshul bzhiâi rgya bkrol te âchad / gdul bya gang la âchad na gang zag lnga latshogs bshad dang slob bshad so sor phye ste âchad pa ni / rgyan dang po drug gibsdus paâi gnad yin la / de ltar bshad pa thams cad gdul bya la zung âjug gi go babskyed paâi thabs yin pas /
138 nges pa : ce terme est trĂšs difficile Ă traduire dans ce contexte : il sâagit dâobtenirune conviction intime, une parfaite proximitĂ© dans lâapprĂ©hension de la nature dâunphĂ©nomĂšne.
139 Ibid. (suite, pp. 28-29) : thugs dag pa âod gsal dang / sku dag pa âjaâ lus rdo rjeâisku zung du âjug paâi go âphang nges pa dang thob pa la zung du âjug rgyuâi yagnyis po nges pa dang nyams su myong dgos pa dang / de la dben gsum bskyed rimdang bcas pa dgos shing de la dbang thob nas dam sdom tshul bzhin [p. 29] bsrungdgos pa sogs snga ma snga ma med na phyi ma phyi ma mi âbyung baâi rjes suâgro ldog legs par nges nas man ngag dang mi ldan pa la skye shi bar do gsum dushar nas âkhor baâi âkhor lo bskor ba de man ngag dang ldan pa la âchi ba âodgsal la chos kyi sku / bar do longs spyod rdzogs paâi sku / skye ba sprul paâi skurâchar baâi bden gnyis kyi man ngag rmad du byug baâi dgaâ bde yang yang âdrenpa ni bden gnyis nges paâi rgyan gyi gnad do / / rgya de rnams so sor phye na nyishu rtsa brgyad yod la / rgyan tshul ngo bo tha dad dang / tha mi dad paâi tshulgnyis dang / rgyan gyi sgra don sogs shes par byaâo //
HermĂ©neutique des Tantras 33de] la naissance, la mort et lâĂ©tat intermĂ©diaire, on [ne] fait [que] tournerla Roue du Sa”sĂ„ra140 ; [mais] Ă celui qui est muni des instructions, ap-paraissent le dharmakĂ„ya, de la Claire LumiĂšre de la mort, lesa”bhogakĂ„ya accompli de lâĂ©tat intermĂ©diaire (bar do), le nirmĂ„nakĂ„yade la naissance.
Les instructions des deux VĂ©ritĂ©s qui les font apparaĂźtre et entraĂźnentencore et encore les merveilleuses joie et fĂ©licitĂ©, voilĂ ce en quoiconsiste lâOrnement des deux VĂ©ritĂ©s certaines.
*
Si lâon distingue chacun de ces Ornements [avec leur subdivisions], ily en a vingt huit ; il faut savoir quâil ya deux sortes de modesdâornementation : ceux qui sont de nature diffĂ©rente et ceux qui sont denature non diffĂ©rente ; il faut connaĂźtre en outre le sens des appellations[qui dĂ©signent les divers] ornements.â
3 LâexposĂ© de dBal dKon mchog rgyal mtshan et la tradition des
Sept Ornements
Je traiterai dâabord des deux ornement considĂ©rĂ©s comme plus propre-ment hermĂ©neutiques et qui peuvent apparaĂźtre, peut-ĂȘtre, plus difficiles,puis je parlerai quelque peu des autres dans leurs rapports aux premiers.
Je commencerai par le moins connu des deux ornement herméneuti-
ques, les âquatre modes dâexplicationâ et je passerai plus rapidement sur
les âsix possibilitĂ©s alternativesâ auxquelles jâai consacrĂ© un articlerĂ©cent141 auquel je renvoie pour plus dĂ©tails.
3.1. Les âquatre modes dâexplicationâ(bshad tshul bzhi ; caturvidhĂ„-khyĂ„yikĂ„) :
Les âquatre modes dâexplicationâ sont exclusivement utilisĂ©s pour lestantra142; parmi les tantra, ils ne sont applicables quâaux anuttarayoga-tantra143.
140 Câest Ă dire quâon continue de renaĂźtre, sans libertĂ©, dans les six destinĂ©s.141 P. ArĂšnes, 2002b, pp. 4-44.142 A lâexception, peut-ĂȘtre, du âsens cachĂ©â, dans un cas trĂšs particulier, mais il nâest
pas certain que le texte ne puisse pas ĂȘtre tenu pour un tantra (v. P. ArĂšnes, 1998,pp. 209-211).
143 V. Tsong kha pa, dPal gsang âdus paâi bshad paâi rgyud ye shes rdo rje kun lasbtus paâi rgya cher bshad pa rGyud bshad thabs kyi man ngag gsal bar bstan pazhes bya ba, P. 6198, 152. 1. 8.- Tsa, 174 b : mthaâ drug dang tshul bzhi tshangbaâi bshad pa rnal sbyor bla med kyi rgyud ma rtogs pa la mi rungs yang /
Revue dâEtudes TibĂ©taines34LâexposĂ© que fait dBal mang dKon mchog rgyal mtshan de ces
âquatre modes dâexplicationâ est, dans lâensemble tout Ă fait conforme Ă lâimage quâen donne la tradition hermĂ©neutique issue de Candrak„rti.
Lâexplication selon le âsens littĂ©ralâ (akâarĂ„rtha ; tshig gi don / yigdon ) est dâordre lexical ou sĂ©mantique et relĂšve des sciences
âextĂ©rieuresâ (phyi [rol] pa)144.Pour lâexplication selon le âsens communâ (samastĂ„â«gĂ„rtha ; spyiâi
don), dBal mang dKon mchog rgyal mtshan sâattache Ă justifier lâĂ©pithĂšte
âcommunâ en exposant ce que les pratiquants auxquels elle est destinĂ©e(i.e. les pratiquants du vĂ©hicule des pĂ„ramitĂ„, ceux des tantra infĂ©rieursKr„ya-, CaryĂ„- et Yogatantra, ceux qui pratiquent le stade de crĂ©ation(uttpattikrama) de lâAnuttarayogatantra 145 (?) ont en commun (buts, ob-jets de pratique, etc.). Sâil dĂ©taille particuliĂšrement cet aspect, en revan-che, il ne mentionne pas la fonction communĂ©ment assignĂ©e par la tradi-tion hermĂ©neutique, Ă cette explication : rassurer ces pratiquants surlâorthodoxie ou lâutilitĂ© de ce quâil font ou sâapprĂȘtent Ă faire, par desrĂ©fĂ©rences aux sĂtra.146.
En ce qui concerne lâexplication selon âle sens cachĂ©â, il expose demaniĂšre dĂ©taillĂ©e les diffĂ©rents âsens cachĂ©sâ ; il ne parle pas de leurcontenu mais, pour les distinguer, il Ă©voque essentiellement les Ă©tats deconscience auxquels il sâappliquent. Ces Ă©tats de conscience sont liĂ©s soit
144 V. Candrak„rti, Prad„poddyotana, dans R. Thurman, 1988, p. 140. A propos de la
science âintĂ©rieureâ et des sciences âextĂ©rieuresâ (rig gnas ; vidyĂ„sthĂ„na ; adhyĂ„tma;bĂ„hyaka- ) v. D.S. Ruegg, Ordre Spirituel et Ordre Temporel dans la PensĂ©eBouddhique de lâInde et du Tibet, 1995, pp. 101-102.
145 Il y a semble-t-il, sur ce point, des divergeances : bien que âstade de crĂ©ationâ
(uttpattikrama ; bskyed rim) et âstade dâachĂšvementâ (sampannakrama ; rdzogs rim)stricto sensu, soient propres aux Anuttarayogatantra (v. F. Lessing et A. Wayman,Mkhas grub rjeâs Fundamentals of the Buddhist Tantras, 1968, pp. 156-157), lestade de crĂ©ation (uttpattikrama ; bskyed rim) peut renvoyer ici, aux pratiquants deKr„ya-, CaryĂ„- et Yogatantra (v. E. Steinkellner, 1978, p. 455) ou Ă ceux des prati-quants dâAnuttarayogatantra qui pratiquent encore seulement ce stade (v. R.Thurman, 1988, p. 140) ou aux deux ; M. Broido (1983, p. 41) ne mentionne que lestade de crĂ©ation des Anuttarayogatantra. La solution se trouve peut-ĂȘtre danslâexplication avancĂ©e par H.H. Tenzin Gyatso dans Deity Yoga in Action and Per-formance Tantra, 1987, pp. 9, 13.
146 V. E. Steinkellner, 1978, p. 455 ; M. Broido, 1983, p. 42 ; R. Thurman, 1988, p.140 ; Dudjom Rinpoche, 1991, pp. 292-293, sâĂ©tend assez longuement sur ce point ;selon lui, il sâagirait soit dâencourager les pratiquants des sĂtra, des Kr„ya-, CaryĂ„-et Yogatantra Ă aller plus loin soit en faisant rĂ©fĂ©rence Ă des sĂtra - quâil cite -montrant les avantages des tantra ; soit en prouvant, Ă partir des sĂtra, que certainespratiques qui rebutent les pratiquants dĂ©butants des Anuttarayogatantra sont confor-mes Ă la doctrine.
HermĂ©neutique des Tantras 35Ă la pratique de trois des cinq Ă©tapes du stade dâachĂšvement, soit au pro-cessus de la mort et de lâĂ©tat intermĂ©diaire, etc. - base de ces pratiques.
Le stade dâachĂšvement comporte cinq Ă©tapes147 dont trois seulement
(comme le montrent les termes utilisĂ©s) sont rapportĂ©s au âsens cachĂ©â :(1) âparole isolĂ©eâ (vagvivikta ; ngag dben) correspondant Ă la rĂ©citationde vajra (vajrajĂ„pa ; rdor bzlas) ; (2) âesprit isolĂ©â (cittavivikta ; semsdben) correspondant Ă la purification de lâesprit (cittaviĂuddhi ; sems
rnam par dag pa) ; (3) le âcorps illusoireâ correspondant Ă lâauto-bĂ©nĂ©diction (svĂ„dhisâ hĂ„na ; bdag la byin gyis brlab pa)148. Ces trois Ă©ta-
pes aboutissent donc Ă lâobtention dâun âcorps illusoireâ : un corps diff-Ă©rent du corps grossier, qui se transformera en Corps de la Forme dâunbuddha.
Lâordre des Ă©tapes donnĂ© ici est, bien sĂ»r, celui du Pañcakrama149
mais ce nâest pas lâordre suivi par dBal mang dKon mchog rgyal mtshan;lâIllusion [de la VĂ©ritĂ©] conventionnelle (sa”vÂźtimĂ„yĂ„ ; kun âjob [bdenpaâi] sgyu ma) qui correspond Ă lâauto-bĂ©nĂ©diction (svĂ„dhisâ hĂ„na ; bdag
la byin gyis brlab pa) et Ă lâĂ©tape dâobtention du âcorps illusoireâ, estcitĂ©e en deuxiĂšme position par dBal mang dKon mchog rgyal mtshanalors que pour le Pañcakrama, la deuxiĂšme Ă©tape est celle de la
âpurification de lâespritâ (cittaviĂuddhi ; sems rnam par dag pa) corres-
pondant Ă la pratique de âlâesprit isolĂ©â ; on pourrait penser Ă une erreurpuisquâil ne fait pas de doute que la pratique de âlâesprit isolĂ©â prĂ©cĂšdecelle permettant lâobtention du âcorps illusoireâ. NĂ©anmoins, cet ordre estaussi celui suivi par Bhavyak„rti150 ; il faut aussi noter que dans la tradi-tion hermĂ©neutique tibĂ©taine, Padma dKar po (1527-1592) adopte succes-
147 V. Katsumi Mimaki et TĂru Tomabechi, 1994, Pañcakrama Sanskrit and Tibetan
Text Critically Edited : I. VajrajĂ„pakrama, p. 1 II. SarvaĂuddhiviĂuddhikrama, p. 15;III. SvĂ„dhiââ hĂ„nakrama, p. 31 ; IV. ParamarahasyasukhĂ„bhisambodhikrama, p. 41 ;V. Yuganaddhakrama, p. 49 ; v. aussi Geshe Kelsang Gyatso, op. cit., p. 195, 201,205.
148 Lâordre dans lequel sont donnĂ©s les trois âsens cachĂ©sâ par dBal mang dKon mchog
rgyal mtshan ne semble pas tout Ă fait correspondre Ă celui-ci : le âsens cachĂ© dudharma dâattachementâ (1) et le âsens cachĂ© de lâillusion de la VĂ©ritĂ© convention-nelleâ (2) pourraient correspondre aux stades I et II mais le dĂ©tail de leur contenulaisse penser quâils pourraient se rapporter, chacun, Ă plusieurs stades ; en outre, ilsemblerait quâil y ait des ambiguĂŻtĂ©s puisque les tableaux fournis par E. Steinkellner,(1978, p. 456), dâaprĂšs Bhavyak„rti, par M. Broido (1983, p. 41), dâaprĂšs Bu ston,par R. Thurman (1988, p. 141), dâaprĂšs le JñÄnavajrasamuccaya et Tsong kha pa, necorrespondent pas sur plusieurs points.
149 V. supra, n. 147 et M. Broido, 1983, p. 41.150 Prad„poddyotanĂ„bhisa”dhiprakĂ„ĂikĂ„, 108b2-109a1 (v. E. Steinkellner, 1978, p. 455).
Revue dâEtudes TibĂ©taines36sivement les deux ordres151. Il se peut ausi que lâĂ©numĂ©ration des trois
sortes de âsens cachĂ©â ne reprĂ©sente pas un ordre chronologique mais un
classement des types dâapparence que le âsens cachĂ©â permetdâinterprĂ©ter.
Quant Ă lâexemple donnĂ© de âsens cachĂ©â, i.e. lâabsence dâobjet /dâexistence en soi, lâinsubstantialitĂ© (abhĂ„va ; dngos po med pa), pourexpliquer lâEsprit isolĂ© (cittavivikta ; sems dben) et le Corps illusoire(mayĂ„kĂ„ya / mayĂ„deha ; sgyus lus ), on ne voit pas bien en quoi elle
serait spĂ©cifique du âsens cachĂ©â ; sur ce point, hormis Gung thang âJam
paâi dbyangs (1762-1823) dans son explication du âsens cachĂ©â152, peu de
commentateurs expliquent le âsens cachĂ©â dâun point de vue linguistiquemais il faut noter, nĂ©anmoins, les brĂšves remarques de Padma dKar po
pour lequel, pour expliquer âsens cachĂ©â, il faut faire appel Ă un contenu(brjod don) diffĂ©rent de celui qui est apparent (dngos bstan gyi), utiliserles Ă„gama, leurs commentaires et les instructions les concernant 153.
En ce qui concerne le caractĂšre âcachĂ©â, dBal mang dKon mchogrgyal mtshan donne les deux raisons de cette acception : le sens est dit
âcachĂ©â parce quâil se rapporte Ă des rĂ©alitĂ©s qui ne peuvent ĂȘtre perçuesque par les pratiquants de ce stade ou leur maĂźtre spirituel, il existe âĂ lâintĂ©rieur, en essence (nang na snying por)â, il est le cĆur delâenseignement154 parce que lâenseignement renvoie Ă une pratique, etquâil est pertinent Ă lâintime de lâexpĂ©rience spirituelle relevant des Ă©tapes
de cette pratique. Mais ce sens est aussi dit âcachĂ©â parce que, selondBal mang dKon mchog rgyal mtshan, non seulement le âsens cachĂ©â estcachĂ© aux pratiquants des classes de tantra infĂ©rieurs mais, en outre, ilest rĂ©servĂ© aux pratiquants du stade dâachĂšvement auxquels il est expli-quĂ© en privĂ© (slob bshad kyi gang zag par opposition Ă tshogs bshad kyi
gang zag). Cette caractĂ©ristique des textes dotĂ©s dâun âsens cachĂ©â fait deceux-ci, Ă proprement parler, des textes acroamatiques. Le âsens cachĂ©â155
151 V. Padma dKar po, Gsang ba âdus paâi rgyan ces bya ba mar lugs thun mong ma
yin paâi bshad pa, (=Gsang ba âdus paâi rgyan), Collected Works of Kun mkhyenPadma dKar po, 1973, vol. 16, p. 136.
152 Gung thang âJam paâi dbyangs, Shes rab snying poâi sngags kyi rnam bshad sbasdon gsal ba sgron me (v. P.ArĂšnes, 1998, pp. 201-209).
153 V. Padma dKar po, brJod byed tshig gi rgyud bye brag tu bshad paâi spyi donmkhas paâi kha rgyan [dorĂ©navant, mKhas paâi kha rgyan], Collected Works of Kunmkhyen Padma dKar po, 1973, vol. 1, p. 63.
154 Bu ston, sGron ma rab gsal, 26 a (cit. par M. Broido, 1983, p. 42).155 Le âsens cachĂ©â est parfois considĂ©rĂ© comme corespondant au âsens certainâ
(Bhavyak„rti cit. par M. Broido, 1988, p. 96) ce qui nâest pas Ă©tonnant puisque leâsens certainâ est souvent rapportĂ© au stade dâachĂšvement (Ibid., pp. 78-79, 92, 96).Parfois, il dĂ©signe seulement les pratiques les plus avancĂ©es (ibid., p. 81). Mais
Herméneutique des Tantras 37
partage cette particularitĂ© du mode dâenseignement avec le âsens ultimeâ
ainsi quâavec trois des âsix possibilitĂ©s alternativesâ (saâ koâ i ; mthaâ
drug)156 : le âsens non conforme aux motsâ (nayathĂ„ruta ; sgra ji bzhin
ma yin pa) ; le âsens certainâ ou âsens dĂ©finitifâ (n„tĂ„rtha ; nges don), leâsens relevant dâune intention spĂ©cialeâ (dgongs bshad ; sa”dhyĂ„bhĂ„sita-)157.
En ce qui concerne le âsens ultimeâ (kolikĂ„rtha ; mthar thug gi (/paâi)don), dBal mang dKon mchog rgyal mtshan rappelle quâil concerne lesdeux derniĂšres Ă©tapes des cinq Ă©tapes du stade dâachĂšvement, i.e. laClaire LumiĂšre (prabhĂ„svara ; âod gsal) et lâUnion (yuganaddha ; zungâjug) ; lâexemple quâil donne du type dâexplication selon le sens ultime
est le mĂȘme que celui du âsens cachĂ©â: lâabsence dâobjet / dâexistence ensoi, lâinsubstantialitĂ© (dngos po med pa ; abhĂ„va), dont on ne voyait pas
trĂšs bien dĂ©jĂ en quoi il Ă©tait spĂ©cifique de ce âsens cachĂ©â puisque cettenotion est courante dans les sĂtra . On peut nĂ©anmons lui trouver unejustification par le fait que, dans ce processus, la perception intuitive di-recte de la vacuitĂ© de lâesprit est dĂ©terminante pour lâobtention du Corpsillusoire pur.
En ce qui concerne le terme âultimeâ sur lâacception duquel sâinterro-geait M. Broido158, dBal mang dKon mchog rgyal mtshan ne le glose pas
directement ; il faut noter quâil emploie le terme âultimeâ seul et quemĂȘme pour la prĂ©sentation de lâexplication selon le sens ultime, il
nâemploie pas le terme âsensâ (don) : il est difficile de savoir sâil sâagitdâune simple ellipse ou si cela marque un statut particulier dâun termequi semble dĂ©signer Ă la fois lâaboutissement dâun processus et le carac-tĂšre exceptionnelle dâune expĂ©rience limite de la nature profonde de larĂ©alitĂ© i.e. la VacuitĂ©159.
Padma dKar po le rapproche de âlâexplication relevant dâune intention spĂ©cialeâ(sa”dhyĂ„ bhĂ„sita ; dgongs bshad) (Gsang ba âdus paâi rgyan, vol. 16, p. 136.3).
156 RĂ©fĂ©rence est faite ici au cinquiĂšme ornement, les âmaniĂšres dâexpliquerâ (âchad
tshul) / les âdeux maniĂšres dâexpliquer aux auditeursâ, Ng. J. G, p. 27. 3.157 Parfois rapprochĂ© de sbas don (par ex. par KumĂ„ra), v. M. Broido, 1988, p. 109, n.
81 ; le âsens certainâ (n„tĂ„rtha) opposĂ© Ă âsens Ă interprĂ©terâ (neyĂ„rtha) est aussirapportĂ© Ă lâopposition intĂ©rieur - extĂ©rieur (ibid., pp. 75, 78, VimalaprabhĂ„).
158 V. M. Broido, 1983, p. 42.159 Bu ston considĂšre le mot mthaâ (kola) dans mthar thug pa comme Ă©tant Ă interprĂ©ter
dâune maniĂšre non conforme Ă son sens habituel (non standard) (nayathĂ„ruta ; sgraji bzhin ma yin pa) ; mot par lequel on atteint la limite des objets (dngos po) (leurVacuitĂ© ?) (v. M. Broido, 1983, p. 42) ; Candrak„rti, dans son Prad„poddyotana,parle dâultime comme ce qui touche Ă la limite (v. R. Thurman, 1988, p. 141) ;Padma dKar po (gSang ba âdus paâi rgyan, vol. 16, p. 136.1.) fait Ă©tat de âmots-limitesâ (mur thug paâi tshig).
Revue dâEtudes TibĂ©taines38
Il explique ce quâest cet âultimeâ dans le cadre du dĂ©roulement duprocessus des quatriĂšme et cinquiĂšme stades, dans un contexte qui pour-rait peut-ĂȘtre, autoriser les deux acceptions de ce terme160. DĂ©crivant le
processus lui-mĂȘme de maniĂšre trĂšs gĂ©nĂ©rale, il prĂ©sente âlâultimeâ cha-que fois comme lâaboutissement dâune phase du processus ; le processus
Ă©tant continu, il Ă©voque dâabord lâĂ©tape prĂ©cĂ©dente âlâesprit isolĂ©â (citta-vivikta ; sems dben)161 au cours duquel huit signes (du mirage Ă la ClaireLumiĂšre) apparaissent Ă la conscience du mourant et/ou pratiquant; demĂȘme que se produisent la dissolution des vingt cinq objets grossiers(pañcavi”Ăati sthĂtam)162, ainsi que les trois phĂ©nomĂšnes apparence blan-che (snang ba dkar lam paâi sems), croissance rouge (mched pa dmarlam paâi sems), proche obtention noire (nyer thob nag lam paâi sems )auxquels succĂšde la Claire LumiĂšre. Il prĂ©sente donc lâUnion et la Claire
LumiĂšre comme âlâultimeâ (i.e. lâaboutissement de la dissolution gra-duelle de ces trois phĂ©nomĂšnes ; il dĂ©taille mĂȘme comment, respective-
ment, la Claire LumiĂšre et lâUnion constituent un âultimeâ163. Il faut
160 V. supra, n. 159.161 âesprit isolĂ©â (sems dben) dĂ©signe un esprit (i.e. un Ă©tat de conscience) dĂ©gagĂ© des
âventsâ soutenant les consciences grossiĂšres ; ce terme peut se rapporter ausi bien Ă chacun des trois phĂ©nomĂšnes : apparence blanche (snang ba dkar lam paâi sems),croissance rouge (mched pa dmar lam paâi sems), proche obtention noire (nyer thobnag lam paâi sems) quâau quatriĂšme qui les suit, la âClaire LumiĂšreâ (od gsal) (v.Geshe Kelsang Gyatso, op. cit., p. 101).
162 Il sâagit des cinq agrĂ©gats (skandha ; phung po), des quatre Ă©lĂ©ments (bhĂta ; âbyungba), des six facultĂ©s sensorielles (indriya ; dbang po), des cinq objets (viâaya : yul),des cinq sagesses supĂ©rieures (jñÄna ; ye shes), v. Geshe Kelsang Gyatso, op. cit.,88-89.
163 En rĂ©alitĂ©, on parle de âClaire LumiĂšreâ avant la quatriĂšme Ă©tape du stade
dâachĂšvement (sampannakrama; rdzogs rim) : la âClaire LumiĂšreâ (prabhĂ„svara ;
âod gsal) peut se dĂ©finir comme la conscience trĂšs subtile nĂ©e de âlâesprit de procheobtention noireâ (nyer thob nag lam paâi sems) mais il ne sâagit pas encore de la
âClaire LumiĂšreâ de la quatriĂšme Ă©tape, celle-ci Ă©tant la âClaire LumiĂšre ultimeâ (od
gsal mthar thug). En effet, la âClaire LumiĂšreâ issue de âlâesprit de proche obtentionnoireâ comporte un aspect : âlâesprit isolĂ© de Claire LumiĂšre analogique ul-
timeâ(sems dben dpeâi âod gsal mthar thug) ; celui-ci et le âventâ qui le soutientdonnent naissance au Corps illusoire impur (ma dag paâi sgyu lus) ; lorsque la Va-cuitĂ© (stong nyid) est connue directement de maniĂšre non conceptuelle avec lâespritde Grande BĂ©atitude simultanĂ©e (lhan skyes kyi bde ba chen poâi sems), câest la
quatriĂšme Ă©tape, la âClaire LumiĂšre (de signification) ultimeâ (don gyi âod gsalmthar thug) et lâobtention du Corps illusoire pur (dag paâi sgyu lus) ; quant Ă
âlâUnionâ (yuganaddha ; zung âjug), la cinquiĂšme Ă©tape, câest lâunion du Corps illu-soire pur qui reprĂ©sente la VĂ©ritĂ© conventionnelle (sa”vÂźtisatya ; kun dzob paâi bdenpa) et de la Claire LumiĂšre (de signification) qui reprĂ©sente la VĂ©ritĂ© ultime (pa-ramĂ„rthasatya), v. Geshe Kelsang Gyatso, op. cit., pp. 86, 102-103, 200-208.
Herméneutique des Tantras 39
ajouter que, comme le âsens cachĂ©â, le âsens ultimeâ, est expliquĂ© enprivĂ© (slob bshad kyi gang zag )164.
Pour cette explication selon le âsens ultimeâ, comme pour les autresexplications, dBal mang dKon mchog rgyal mtshan ne sâĂ©carte pas de latradition165.
3.2. Les âsix extrĂȘmesâ, ou âsix possibilitĂ©s alternativesâ (mthaâdrug ; âaâ koâ i) :
Les termes des âsix possibilitĂ©s alternativesâ (âaâ koâ i) sont courants,quoique avec des acceptions et des usages diffĂ©rents, dans la traditionexĂ©gĂ©tique des sĂtra166.
LâexposĂ© que fait dBal mang dKon mchog rgyal mtshan des âsix pos-sibilitĂ©s alternativesâ est, dans lâensemble, tout Ă fait conforme Ă lâimage
quâen donne la tradition hermĂ©neutique issue de âLa Lampe qui illumineâ(Prad„poddyotana) de Candrak„rti.
La tradition exĂ©gĂ©tique, en ce qui concerne la premiĂšre paire :sens Ă interprĂ©ter (neyĂ„rtha ; drang don) et sens certain dĂ©finitif ouexplicite (n„tĂ„rtha ; nges don) de possibilitĂ©s alternatives qui pour lestantra, au contraire des sĂtra, peut ĂȘtre appliquĂ©e au mĂȘme passage dâuntexte167, considĂšre que le sens certain ou dĂ©finitif correspond Ă des prati-ques plus avancĂ©es que celles dĂ©crites par le sens Ă interprĂ©ter168, et des-tinĂ©es Ă des individus capables de voir la rĂ©alitĂ© pure, lâainsitĂ© (de khona nyid / ji-lta-ba)169.
164 En ce qui concerne la correspondance avec les âsix extrĂȘmesâ, ou âsix possibilitĂ©s
alternativesâ (âaâ koâ i ; mthaâ drug), selon M. Broido (1988, p. 91), lâexplication
selon le âsens ultimeâ serait Ă rapprocher de âlâexplication relevant dâune intentionspĂ©cialeâ (dgongs bshad ; sa”dhyĂ„ bhĂ„sita) (rĂ©f. au GuhyasamĂ„jatantra) ; Pour
Padma dKar po (Gsang ba âdus paâi rgyan, vol. 16, p. 136) âsens ultimeâ rĂ©sume
(?) (bsdus) ce qui est ânon conforme aux motsâ (nayathĂ„ruta ; sgra ji bzhin ma yinpa).
165 V. E. Steinkellner (1978) p. 456 ; M. Broido, 1983, p. 42-43 ; R. Thurman, 1988, p.141 ; Dudjom Rinpoche, 1991, pp. 292-293 ; Padma dKar po (mKhas paâi kha
rgyan, p. 64) sâĂ©carte un peu des commentaires habituels en affirmant que le âsensultimeâ correspond Ă une sorte de pramĂ„Ëa, pratyakâa (mngon sum).
166 V. E. Lamotte, 1949, pp. 341-361 ; D. Seyfort. Ruegg, 1985 et 1986 ; M. Broido,1985, pp. 327-381.
167 V. M. Broido, 1983, p. 21.168 V. M. Broido, 1983, p. 22.169 V. Padma dkar po, Gsang âdus rgyan, p. 136 ; v. M. Broido, 1983, p. 37.
Revue dâEtudes TibĂ©taines40dBal mang dKon mchog rgyal mtshan, Ă lâinstar de certains exĂ©gĂštes
comme Tsong kha pa (1357-1419)170, explique plutĂŽt, de maniĂšre linguis-tique, que le sens Ă interprĂ©ter est ce qui expose, dâun Ă©noncĂ© comportantdeux sens, le sens obvie (dngos zin)171 et que le sens dĂ©finitif est celuipar lequel les deux sens sont exposĂ©s172.
En ce qui concerne la deuxiÚme paire de possibilités alternatives du 3e
ornement, Ă savoir lâexplication par intention spĂ©ciale (sa”dhyĂ„bhĂ„âita-/ sa”dh(y)Ă„ya bhĂ„âita ; dgongs (pas) bshad (pa) )173 etlâexplication nâusant pas dâintention spĂ©ciale (na sa”dhyĂ„ bhĂ„âita- ;dgongs min) selon la tradition exĂ©gĂ©tique, les qualifications de
âexplication au moyen dâintention spĂ©cialeâ ou âexplication ne recourantpas Ă une intention spĂ©cialeâ, ne sont pas appliquĂ©es Ă un mĂȘme pas-sage174. Relatives lâune Ă lâautre, la seconde est la nĂ©gation de la pre-miĂšre.
La premiĂšre, lâexplication recourant Ă une intention spĂ©ciale, concernedes passage des tantra dont le sens apparent semble contraire aux ensei-gnements bouddhistes courants175, et contredisent les usages mondains(âjig-rten-paâi)176.
Pour dBal mang comme pour la tradition exĂ©gĂ©tique, les Ă©noncĂ©s nesont pas Ă prendre Ă la lettre177 et sont destinĂ©s aux pratiquants les plusintelligents ou de facultĂ©s supĂ©rieures178 (gdul bya dbang po mchog gi) ;ils visent un autre sens, non commun aux pratiquants de tantra infĂ©-rieurs179. Ce qui caractĂ©rise aussi ces Ă©noncĂ©s, câest que les mots qui les
composent, mots dits âcontrairesâ180 (viruddha ; gal-baâi) sont dotĂ©s dâunsens qui nâest pas celui assignĂ© habituellement par le lexique181 : ilscontredisent donc les Ăastra182 mais aussi la logique183 et le monde184.
170 V. M. Broido, 1983, p. 21, 37 et n. 83 (citation de Tsong kha pa, Ye shes rdo rje
kun las btus paâi rgya cher âgrel pa, Otani, vol. 160, p.150, bKaâ âbum, TSA, 218 a4).
171 V. dBal mang dkon mchog rgyal mtshan, Ng. J. G. p. 24 (dngos zin gyi don).172 ibid.173 V. D. Seyfort. Ruegg, 1985, p. 309.174 V. M. Broido (1983), p. 22.175 V. M. Broido (1983), pp. 22-23.176 VajrajñÄnasamuccaya, P. 84, vol. 3, 253. 4. 4 ; Candrak„rti, Bhavyak„rti, Bu-ston,
Padma dKarpo (v. M. Broido (1988), p. 109, n. 83) ; Pad-ma dKar-po, gSang âdusrgyan, 36a2 (v. M. Broido, 1983, p. 35).
177 Bu-ston rin chen grub : sGron ma rab gsal, 24b.5 (v. M. Broido, 1983, p. 22).178 dBal mang dKon mchog rgyal mtshan, Ng. J. G., p. 24 ; Bu ston (sGron ma rab
gsal, 24b.) (citĂ© par M. Broido, 1983, p. 22) ; Pad-ma dKar-po, gSang âdus rgyan ,36a.2. (M. Broido, 1983, 35).
179 V. dBal mang dKon mchog rgyal mtshan, Ng. J. G., p. 24.180 V. dBal mang dKon mchog rgyal mtshan, (ibid.)181 V. M. Broido, 1983, p. 23.182 V. M. Broido, 1988, p. 95 et p. 109, n. 83 : Ăryadeva, Prad„podyottana-nĂ„ma-â „ka,
P. 2659, vol. 61, 21a1.
Herméneutique des Tantras 41Bien que leur sens soit inhabituel, ils ne ressortissent pas à la qualifi-
cation de sgra ji bzin ma yin pa (nayathÄruta) réservé aux textes
âcodĂ©sâ.dBal mang dKon mchog rgyal mtshan ne mentionne ni ce dernier
point ni ne donne, en exemple, de ces recommandations provocantescontredisant lâĂ©thique185. Il nâexplique pas non plus, comme Sa skya Pan-
dita Kun dgaâ rgyal mtshan (1182-1251), âlâinterprĂ©tation par intentionspĂ©cialeâ au moyen des quatre âintentions allusivesâ (abhiprĂ„ya ; dgongspa) ou des quatre âarriĂšre-pensĂ©esâ (abhisa”dhi ; ldems dgongs)186 utili-sĂ©es en gĂ©nĂ©ral, elles aussi pour lâexplication des sĂtra. De mĂȘme, il ne
se prononce pas non plus sur lâusage des âSix possibilitĂ©s alternativesâcomme instrument dâexĂ©gĂšse textuelle (zhung bshad pa) pour les sĂtra etles tantra 187, comme le font Sa skya Pandita188 et Pad ma dkar po(1527-1592)189.
En ce qui concerne la derniĂšre paire des six possibilitĂ©s alternatives,i.e. lâexplication conforme au code lexical (yathĂ„ruta ; sgra ji bzhin pa)et lâexplication non conforme au code lexical (nayathĂ„ruta ; sgra jibzhin ma yin pa) la tradition, comme dBal mang dKon mchog rgyalmtshan, fait unanimement Ă©tat dâĂ©noncĂ©s composĂ©s de termes forgĂ©s parles tathĂ„gata, les fameux kothĂ„kya inconnus des lexiques et des traitĂ©s degrammaire, des usages linguistiques, qualifiĂ©s souvent de brda (symbolesou signes) glo bur du brda (signifiants lexicaux de circonstance)190. Ces
183 V. M. Broido, 1988, p. 97 ; KumĂ„ra : Prad„pa d„pa â ippan„-hâądayĂ„darĂa-nĂ„ma, 207a
3 : contraire Ă la logique (nyĂ„yaviruddha) : comme de parler de vĂȘtement Ă proposdâun pot.
184 La plupart des commentateurs et, en particulier, la référence indienne en la matiÚre :Candrak„rti (v. M. Broido, 1988, p. 93 : Prad„podyottana de Candrak„rti, sDe dge,35b5).
185 V. P. ArĂšnes, 2002b, pp., 23-24.186 V. Sa skya Pandita Kun dgaâ rgyal mtshan, mKhas pa rnamsâjug paâi sgo, p. 106 :
// dgongs pa bshad pa ni mnyam pa nyid la sogs pa dgongs pa bzhi dang / gzhugpa la ldem por dgongs pa la sogs pa ldem dgongs bzhi shes pas sangs rgyas dangbyang chub sems dpaâi tshig don âgal bar snang ba rnams dgongs pa shes pas miâgal bar âgyur ro // : leur but assignĂ© est, ici, de rendre leur sens Ă des Ă©noncĂ©s ap-paremment de sens contraire (tshig don âgal bar snang ba rnams) Ă la doctrine.
187 V. D. Seyfort Ruegg, 1985, p. 310 ; Sa skya Pandita Kun dgaâ rgyal mtshan, op.cit., p. 108 : mthaâ drug mi shes na mdo rgyud gang bshad kyang nor bar âgyur te /[...] mthaâ drug gi tshul rgyas par gzhan du shes par byaâo // âdi lta buâi bshad paâitshul legs par shes na / mdo rgyud kyi dgongs pa legs par shes shing brgal lan gyisgtan la âbebs pa mkhas par âgyur ro // .
188 Sa skya Pandita Kun dgaâ rgyal mtshan, mKhas pa rnamsâjug paâi sgo, p. 108.189 V. Pad ma dkar po, dBu ma gzhung lugs gsum gsal bar byed pa nges don grub paâi
shing rta, fol. 9b-10b (M. Broido (1984), pp. 25-26 et D. Seyfort Ruegg, 1985, n.10,p. 322).
190 V. Tsong kha pa, P. 6198, vol. 160, 218 a4 - a6 ; M. Broido, 1983, p. 38.
Revue dâEtudes TibĂ©taines42nouveaux codes lexicaux secrets pourraient ne valoir que pour un texte191.Il faut ajouter quâen ce qui concerne lâexplication conforme au code lexi-cal qui est le plus souvent la moins commentĂ©e, dBal mang dKon mchogrgyal mtshan, fait Ă©tat de deux subdivisions dont la fonction nâapparaĂźtpas clairement192.
3.3. Les ornements non directement herméneutiques (1er, 2e, 5e,
6e, 7e)
Ces ornements qui renvoient Ă des Ă©lĂ©ments de la Doctrine bienconnus et qui sont assez aisĂ©s Ă comprendre, nâappellent pas de com-mentaires abondants, sinon que leur fonction semble ĂȘtre essentiellementde rappeler la place et la lĂ©gitimitĂ© des tantra, de faire comprendre leslimites et les conditions de leur enseignement, lâusage mĂȘme des orne-ments hermĂ©neutiques et de rĂ©affirmer la nĂ©cessitĂ© dâun maĂźtre instruc-teur.
En effet, les deux premiers rĂ©inscrivent trĂšs clairement les tantra danslâensemble des Enseignements et sa perspective sotĂ©riologique. Le cin-quiĂšme prĂ©cise lâusage des divers modes dâinterprĂ©tation en fonction duniveau et des dispositions des disciples. Le sixiĂšme dĂ©taille non seule-ment les types de disciples quâil convient de distinguer mais aussi lestypes dâĂȘtres afin de dĂ©terminer quel enseignement leur convient. Le sep-tiĂšme, apparemment conclusif, fait le point sur lâensemble de lâappareil :il souligne lâunitĂ© des sept ornements de deux maniĂšres : dâabord, enrappelant leur but commun, ensuite en montrant que lâenseignement des
tantra est âclassiqueâ, en ce sens quâil sâappuie constamment sur le jeudes deux VĂ©ritĂ©s. Il insiste sur une double nĂ©cessitĂ© : celle dâancrer toutepratique tantrique qui se voudrait fructueuse, dans lâobservance stricte desvĆux et engagements (i.e. de lâĂ©thique) et celle de disposer des instruc-tions dâun maĂźtre.
Les deux groupes dâornements apparaissent bien, ici, complĂ©mentairesvoire solidaires quant Ă leur fonction : si le bla ma reste le truchement(au sens Ă©tymologique du terme) de lâinterprĂ©tation, câest en effet parcequâil y a des textes obscurs ou ambigus Ă interprĂ©ter mais aussi une di-versitĂ© de disciples Ă instruire quâil est nĂ©cessaire, non seulement,dâinterprĂ©ter mais aussi dâinterprĂ©ter de diverses maniĂšres. Il y auraitmĂȘme tant Ă interprĂ©ter, et une telle distance sĂ©parerait les ĂȘtres de la
191 V. KumĂ„ra, Prad„pad„pa-â ippaË„-hÂźdayĂ„darĂa-nĂ„ma, 207a7 (cit. de Broido, 1988, p.
97) : pour KumĂ„ra, les mots koâ Ă„khyĂ„, etc. sont dits ânon conformes au code lexi-calâ parce quâon ne les trouve ni dans le monde ni dans les Ăastra et nâĂ©tant nitechniques ni courants, nâont pas de sens (artha). Ils sont propres aux tathĂ„gata etutilisĂ©es par Ă©gard Ă ce buddhĂ„rtha si difficile Ă comprendre pour les logiciens et lesgrammairiens ; v. aussi Tsong kha pa, P. 6198, vol. 160, 211a4 ; M. Broido, 1983,p. 39 et 1988, p. 97.
192 dBal mang dKon mchog rgyal mtshan, Ng. J. G., p. 25.
HermĂ©neutique des Tantras 43Doctrine, quâon rapporte que le Buddha ĂĂ„kyamuni aurait, un instant,hĂ©sitĂ© Ă lâenseigner : câest aussi Ă ce moment lĂ que, considĂ©rant la di-versitĂ© de situation des ĂȘtres, il les compare, en fonction de leur degrĂ© dematuritĂ©, Ă diffĂ©rentes sortes de lotus et dĂ©cide donc malgrĂ© toutdâenseigner193.
Et pourtant, en ce qui concerne les tantra, la rĂ©alitĂ© de lâimportance
de la âmĂ©sinterprĂ©tationâ194 Ă©ventuelle des textes a Ă©tĂ© rĂ©cemment mise
en doute par Ronald Davidson dans son article âgSar ma Apocryphyaâ(2002)195. Selon lui, le dĂ©faut dâinterprĂ©tation (misinterpretation) des tex-tes tantriques aurait servi de prĂ©texte Ă une entreprise visant Ă Ă©craserdans lâĆuf (nipping in the bud) toute possibilitĂ© de formuler, produire de
nouvelles âEcrituresâ (formulating new scriptures). Dans cet article ex-trĂ©mement intĂ©ressant, R. Davidson sâest attachĂ© Ă montrer lâinstaurationdâune nĂ©o-orthodoxie196 opposĂ©e Ă la prolifĂ©ration dâEcritures (prolifera-tion of sacred texts)197 autochtones, i.e., selon lui, Ă la perpĂ©tuation de ladynamique et des valeurs du bouddhisme indien incarnĂ©e par des mino-ritĂ©s ausi bien rNying ma pa que gSar ma ba. Pour ce faire, R. Davidsona tentĂ© de mettre en lumiĂšre certaines insuffisances et contradictions de
lâapplication, dans le cadre de ce que jâai appelĂ© ailleurs âune sorte derhĂ©torique de lâappartenance et de la filiationâ, de principes dâexclusionet de critĂšres de validation propres Ă faire reconnaĂźtre lâorthodoxie detextes aux origines controversĂ©es.
Ces insuffisances et contradictions semblent patentes mais le fait quele dĂ©faut dâinterprĂ©tation ait Ă©tĂ© mis en avant pour justifier une mise Ă lâindex Ă des fins Ă©ventuellement autres que le souci des ĂȘtres immatures(balin), ne signifie pas pour autant que ce dĂ©faut nâait pas eu dâexistencehistorique en Inde comme au Tibet : au contraire, pour que lâargumentdu danger dâinterprĂ©tation erronĂ©e (misinterpretation) ait Ă©tĂ© choisi, mĂȘmeĂ des fins Ă©ventuellement sectaires, il fallait bien quâil eĂ»t quelque poidset quâil sâenracinĂąt quelque peu dans la rĂ©alitĂ© socio-religieuse du pays.
Et câest le cas. Nombreuses sont les dĂ©nonciations de pratiques Ă©rro-nĂ©es dues Ă une absence dâinterprĂ©tation des textes ou Ă leur interprĂ©ta-tion erronĂ©e.
On connaßt la décision officielle publiée dans le sGra byor bam pognyis pa (795) de ne pas expliquer ou exposer certains tantra à des
193 Renou, L. et Filliozat, J. (et alii:) : 1985 (1Ăšre Ă©d. 1953) t. II., p. 478.194 Ce terme que jâai choisi, en concurence avec âinterprĂ©tation erronĂ©eâ pour traduire
lâanglais misinterpretation, est bien commode mais il apparaĂźt, aprĂšs de rapides recher-ches, comme Ă©tant un nĂ©ologisme bien constiuĂ©.
195 âgSar ma Apocryphya : The Creation of orthodoxy, gray texts and the New Revela-tionâ, dans The Many Canons of Tibetan Buddhism, 2002, pp. 209-210.
196 Ibid.197 Ibid., p. 221.
Revue dâEtudes TibĂ©taines44
ârĂ©ceptaclesâ (snod) inappropriĂ©s en raison du fait que certains tantradĂ©jĂ traduits et mis en pratique, nâayant pas Ă©tĂ© compris suivant
âlâexplication intentionnelleâ (ldem po dag tu bshad pa ma khrol nas), etayant Ă©tĂ© pris Ă la lettre (sgra ji bzhin tu âdzin cing), avaient Ă©tĂ© prati-quĂ©s de maniĂšre erronĂ©e (log par spyod pa)198.
On connaĂźt aussi le bkaâ shogs (avant 985) du roi du mNgaâ ris, lHaBla ma Ye shes âod adressĂ© aux tantristes du Tibet, oĂč il dĂ©nonce hĂ©rĂ©ti-ques (mu thegs pa) et ba ji ba,199 dĂ©plore la diffusion des pratiques desbyor (union) et de sgrol (dĂ©livrance) et met en garde contre une mise enpratique directe, littĂ©rale, (drang te) de la doctrine, mĂ©connaissant les
âarriĂšre-pensĂ©es intentionnellesâ (ldems dgongs)200.Le petit-neveu de Ye shes âod, lHa Bla ma Zhi ba âod, dans lâĂ©loge
de son grand oncle, affirme que les raisons pour lesquelles, le lo tsÄ ba
Rin chen bzang po fut dĂ©pĂȘchĂ© au Cachemire, Ă©taient que le âsens cachĂ©â(sbas don) des tantra avait dĂ©clinĂ© (nub pas), corrompu (slad) par les
pratiques de sbyor et sgrol et quâil fallait rĂ©tablir leur âsens certainâ (donnges brtsal phyir)201.
De mĂȘme le sBa bzhed (XIe-XIVe s.) dĂ©nonce la pratique littĂ©rale
(sgra rjes su) ignorant âlâintentionâ (dgongs pa) du âsens Ă interprĂ©terâ(drang don)202; mais aussi Chag lo tsĂ„ ba203, Bu ston204, dGos lo tsĂ„ baet bien dâautres encore dĂ©noncent les mĂȘmes errements205.
Comme cela a Ă©tĂ© Ă©tudiĂ© ailleurs206, je ne mâĂ©tendrai pas sur la rĂ©alitĂ©de ces divers errements207 mais il me semble utile souligner, dâune part,que ces dĂ©nonciations ne visaient sans doute pas, spĂ©cialement, le Gu-
198 M. Ishikawa, A Critical edition of The sGra sbyor bam po gnyis pa, 1990, p. 4.199 V. sBa bzhed, Ă©dition de R.A. Stein, 1961, p. 86, âban âdzi ba ; en ce qui concerne
lâidentification et le sens de ce terme, C. Ramble a proposĂ© un rapprochement avecle Nepali bijuwa (sorcier) (S. Karmay, 1998, p. 16) ; D. Martin (2001, p. 109) pro-pose dây reconnaĂźtre le nom du fondateur des ManichĂ©ens, Mar Mani (*âbar manâdzi) ; pour ma part, je pencherais pour un rapprochement avec le sanscrit ajiva=(b)a dzi ba (nihilistes) ?
200 Samten G. Karmay, âThe Ordinance of lHa Bla ma Ye shes âodâ, 1998 (rĂ©Ă©ditiondâun article de 1980), pp. 14-15, l. 34, 49, 75 (texte tib.).
201 Samten G. Karmay, 1998 (1980), p. 6, n. 26,202 sBa bzhed Ă©dition de R. A. Stein, 1961, p. 90.203 sNgags log sun âbyin kyi skor, op. cit., pp. 12-13.204 sNgags log sun âbyin kyi skor, op. cit. p. 31.205 Deb ther sngon po, trad. de N. G. Roerich, The Blue Annals, 1976, p. 204 : en par-
ticulier, tout ce qui concerne lâAtsarya (ĂcĂ„rya) dmar po alias Shes rab gsang ba oule Sham thabs sngon po can ou encore les dix-huit Ar tsho Bande ou A ra moBand(h)e (v. D. Seyfort Ruegg, 1981, pp. 219-220).
206 D. Seyfort Ruegg, 1981, pp. 212-227 et C. Scherrer-Schaub, âContre le libertinage.Un opuscule de Tabo adressĂ© aux tantristes hĂ©rĂ©tiques ?â (2002) : dans cet article, C.Scherrer-Schaub fait le point sur les diverses pratiques des tantristes dĂ©voyĂ©s ou libe-rtins, en particulier au XIe s.).
207 Non seulement au Tibet mais aussi au Cachemire et dĂ©crits par la NyĂ„yamañjar„ etlâĂgamaâambara (v. D. Seyfort Ruegg, 1981, p. 222).
HermĂ©neutique des Tantras 45hyagarbha208 comme cela a Ă©tĂ© soutenu209, tout simplement parce que lespratiques de sbyor et sgrol ne pouvaient ĂȘtre que notoires puisque men-tionnĂ©es nommĂ©ment ou dĂ©crites210 dans de nombreux cyclesdâanuttarayogaantra comme les GuhyasamĂ„ja, Sambhara, Vajrabhairava,etc., quâelles sont tout Ă fait orthodoxes sous rĂ©serve des conditions danslesquelles elles peuvent et doivent ĂȘtre accomplies, dâautre part, que cequâil faut sans doute comprendre, câest que ce qui Ă©tait mis en cause nepouvait ĂȘtre que les pratiques douteuses accomplies sous couvert de pra-tiques tantriques. Dâailleurs, si la pratique de sbyor211 nâavait pas Ă©tĂ© pasorthodoxe, comment expliquer que le pandit AtiĂa, dans son commentaire(dkaâ grel) du Lam sgron, prenne tant de soin Ă expliquer que les initia-tions secrĂštes de la Sagesse (ye shes kyi dbang) (qui sont des initiationssupĂ©rieures de lâAnuttarayogatantra) ne pouvaient ĂȘtres confĂ©rĂ©es quâĂ des laĂŻcs212 (Bu ston, citant ce passage, souligne que le dĂ©bat ne porteque sur les initiations supĂ©rieures confĂ©rĂ©es concrĂ©tement, i.e. avec laparticipation dâune partenaire rĂ©elle (rig ma))213.
La pratique de sgrol (libĂ©ration) est tout aussi orthodoxe, en ce sensquâelle est rapportĂ©e Ă lâune des quatres activitĂ©s rituelles (samudĂ„cĂ„-ra;âphrin las)214, lâactivitĂ© terrible (raudracĂ„ra /Ă„bhicĂ„ra ; drag poâi las/mngon spyod)215. Si elle ne lâavait pas Ă©tĂ©, comment aurait-elle Ă©tĂ©dĂ©crite comme valide ou utile, sous certaines conditions216, dans le
208 A propos du Guhyagarbha, v. J. L. Achard, 1999, LâEssence PerlĂ©e du Secret, pp.
69,71.209 pour la dĂ©nonciation de lHa Bla ma Ye shes âod , en particulier : v. Samten G.
Karmay, 1988, pp. 29-30 ; sur ce point, Dorji Wangchuk se montre beaucoup plusprudent (âAn Eleventh century defence of the authenticity of the Guhyagarbhatan-traâ, The Many Canons of Tibetan Buddhism, 2002, p. 272).
210 Par exemple dans les chap. consacrĂ©s aux sreg paâi las.211 La pratique rituelle dâUnion ne peut ĂȘtre rĂ©sumĂ©e en un simple coĂŻt (Sog zlog pa,
Nges don âbrug sgra, p. 450 : citĂ© par S.G. Karmay, 1988, p. 11).212 D. Seyfort Ruegg, 1981, pp. 215-216 ; M. S. Boussemart, Le MonastĂšre tantrique de
rGyud med grva tshang, Ses origines, son influence, au sein de lâĂ©cole dGe lugs pa,son organisation, vol. 1, p. 30, 1997 : mais le maĂźtre AtiĂa prĂ©cise que si un moine
est mĂ» par la grande compassion, et Ă condition quâil ait atteint le stade de âpatienceinfĂ©rieureâ du chemin de lâaccumulation (sambhĂ„ramĂ„rga ; tshogs lam), et quâil aitobtenu la Vue Profonde Ă propos du non-soi, alors, il ne commet pas de faute en re-cevant les initiations supĂ©rieures (ibid).
213 M. S. Boussemart, ibid.214 P. ArĂšnes, 1996, pp. 232-235.215 V. Lam sgron (P.5343, vol. 103, 20.4.1 - 21.5.6) ; v. son autocommentaire : dka
âgrel : (P.5344, vol. 103, fol. 331b-332a.) ; D. Seyfort Ruegg, rapproche de ce genredâaction, lâassassinat du roi Glang darma (en 842) par lHa lung dpal gyi rDo rje (D.Seyfort Ruegg, 1981, p. 223).
216 Parmi ces conditions, la motivation : il sâagit, par exemple, de âlibĂ©rerâ quelquâun delâemprise du mal (sdig pa) pour le sauver des enfers (TripitakamĂ„la,NayatrayaprĂ„dipa, 26a 5-7 : v. infra, n. 217) ou protĂ©ger des buddha, guru ouautres champs dâaccumulations particuliĂšrement utiles aux ĂȘtres (Hevajra Tantra, p.116 : v. D. L. Snellgrove, 1959, vol. I).
Revue dâEtudes TibĂ©taines46NayatrayaprĂ„dipa de TripitakamĂ„la217 (lui-mĂȘme citĂ© par le panditAtiĂa)218 ou mĂȘme dans le Hevajratantra219 ?
Ceci nâest pas surprenant quand on sait que, dĂ©jĂ pour un bodhisattva,en vertu de son habiletĂ© dans les moyens, mĂȘme sâil commet lâacte mau-vais des dix espĂšces : meurtre, etc., nâencourt pas de reproche mais ga-gne un mĂ©rite immense220.
Naturellement, en dehors des conditions exceptionnelles requises pources pratiques (et nonobstant le fait que puissent leur ĂȘtre substituĂ©es despratiques symboliques puisque, dans les tantra, il nâest pas question detuer directement221) il est clair que pour un pratiquant ordinaire (moineou laĂŻc), les actes associĂ©s aux pratiques de sbyor, i.e. avoir des relations
sexuelles et de sgrol, tuer, sont totalement prohibĂ©s comme âfautes de/parnatureâ (prakÂźtisĂ„vadya) et considĂ©rĂ©s comme les actes non vertueux (midge ba ; akuĂala) de kĂ„mamithyĂ„cĂ„ra (conduite Ă©rronĂ©e sous lâemprise dudĂ©sir) et prĂ„ËĂ„tipĂ„ta (meurtre)222.
Comment faire alors lâĂ©conomie dâune hermĂ©neutique lorsque, parexemple, dans le mĂȘme texte (Hevajratantra), lâinjonction de meurtre
(âVous devez tuer les ĂȘtres vivantsâ)223 est interprĂ©table et expliquĂ©ecomme mĂ©taphore de lâesprit unifiĂ© (ekacitta ; sems gcig) et que, plusloin, lâĂ©ventualitĂ© dâavoir Ă attenter Ă la vie dâun ĂȘtre susceptible de nuireĂ la doctrine, nâest pas interprĂ©table et, est envisagĂ©e trĂšs sĂ©rieusement224
et dĂ©crite ? Comment, alors, se passer dâun exĂ©gĂšte voire dâun guide au-thentique ?
Il est clair que les conditions requises pour la pratique de tels actesrituels ne pouvaient quâinciter ceux qui dĂ©siraient sây livrer sanscontrainte, Ă sây autoriser en se prĂ©valant soit dâune nature inhĂ©rentepleinement Ă©veillĂ©e, soit dâune pratique de la sagesse seule dont ilsprĂ©tendaient avoir la maĂźtrise et qui les dispensait de tenir compte delâĂ©thique sous prĂ©texte de ne plus ressortir Ă la loi de la cause et du fruit(las âbras) et Ă lâautoritĂ© dâun maĂźtre225. Et dâailleurs, ce sont bien ces
217 bsTan âgyur, rGyud, LXXII, 26a 5-7 : cit. de E. Obermiller, History of buddhism
(Chos âbyung) by Bu ston, 1932, II, p. 198, n. 1372 ; D. Seyfort Ruegg, 1981, p.223, n.67.
218 dKaâ âgrel, 331a-b.219 Hevajra Tantra (Trad. D. L. Snellgrove, 1959), p. 116.220 Asaâ«ga, MahĂ„yĂ„nasa”graha (P. 5549), trad. Lamotte, 1973, II, p. 214.221 Sog zlog pa, nGes don brug sgra, p. 451 : â[...] ayant convoquĂ© lâĂąme (bla) dâun
ennemi dans une effigie (gzugs brnyan la), câest sgrol baâ (citĂ© par S.G. Karmay,1988, p. 12).
222 D. Seyfort Ruegg, 1981, p. 213.223 Hevajra Tantra : Snellgrove, 1959, I, p. 97 ; II, 57.224 ibid. I, pp. 116-117 ; II, 91.225 sBa bzhed, Ă©d. Stein, 1961, p. 90 : / sbyin pa la sogs pa thabs kyi tshul bslab mi
dgos stong pa nyid gcig pus sangs rgya zer baâi chos log smra ba dang / blo masbyangs kyang sngags kyi skor zhugs pa thams cad theg pa chen po yin pas theg paâog ma la dgos pa med zer bas / [...] chags sdang sna tshogs spyod cing sdig pa
HermĂ©neutique des Tantras 47points de vue qui sont exprimĂ©s par un certain nombre de doxographesou dâhistoriens tibĂ©tains et câest bien la carence de maĂźtres spirituels quiest mise en avant comme lâune des causes essentielles de ces erre-ments226. Si lâon considĂšre, en outre, que, durant cette pĂ©riode, Ă©taientapparus en mĂȘme temps que des ouvrages authentiques, de nombreux
textes apocryphes227 ainsi que maints faux pandits228 et âtantristes et
byas kyang nged la mi sgrib pa yin zer ba la sogs [...].â : â [...] ils enseignaient desdoctrines erronĂ©es (chos log) qui disaient que les principes de la discipline (tshul gyibslab pa) du Moyen (thabs) comme la gĂ©nĂ©rositĂ©, etc, nâĂ©taient pas nĂ©cessaires etque la VacuitĂ© seule [permettait de] devenir buddha ; et que tous ceux qui prati-quaient les cycles de tantra , bien que nâayant pas purifiĂ© leur esprit (blo masbyangs) [= sans initiation], Ă©taient [des pratiquants du] Grand VĂ©hicule [...] ; ilsdisaient aussi â bien que nous ayons accompli des actions mauvaises (sdig pa) etpratiquĂ© lâattachement, lâaversion, etc., nous ne sommes pas souillĂ©s, etc. â.
226 AtiĂa (D„pa”karaĂr„jñÄna), dKaâ âgrel (P. 5344, vol. 103) fol. 278b-22. 2.5 : / bodkyi yul âdi na sangs rgyas kyi bstan pa theg pa chen poâi lam âdi la log par rtogpaâo / gang zag bla ma dge baâi bshes gnyen gyis yongs su ma zin pa dag phantshun rtsod cing rang gi rtog pes zab pa dang rgya chen poâi don la rang rang girtog pa spyod cing so so nas mi mthun pa dag mang du mchis pas [...] / : âDans cepays du Tibet, la Doctrine du Buddha de la Voie du Grand VĂ©hicule est comprise detravers ; des individus qui ne sont pas sous la direction dâun guru [ou dâun (?)] ka-lyĂ„Ëamitra, font des disputations et se plaisent Ă lâexamen du sens Ă©tendu et du sensprofond au moyen de raisonnements de leur cru et sont grandement en dĂ©saccord les
avec les autres[...]â plus loin, lâauteur qualifie de âfousâ (smyon pa) ceux quipratiquent le sens profond en se fondant seulement sur les livres (glegs bam) sansles instructions de la lignĂ©e des maĂźtres ; dans le bKaâ chem ka khol ma et le sDomgsum rab dbye de Sa skya Pandita Kun dgaâ rgyal mtshan, est dĂ©noncĂ© le fait queles TibĂ©tains donnent des initiations quâils nâont pas eux-mĂȘmes reçues de quelquâundâautre (v. R. Davidson, 2002, p. 209) ; v. aussi Chag lo tsĂ„ ba (1197-1264) qui dĂ©-nonce aussi ces faits : sNgags log sun 'byin, dans sNgags log sun 'byin skor, 1979,p. 16 : âsans avoir obtenu dâinitiation de leur propre vajrĂ„cĂ„rya, ils confĂ©raient desinitiations (rang gi rdo rje slob dpon gyis dbang ma thob par phar bskur ba dang)et comme ils ne connaissaient pas les cinq certitudes, ils ne comprenaient la produc-tion de lâEsprit dâEveil (nges pa lnga ldan mi shes pas sems skyed ma go bar)[mais] ils se prĂ©tendaient Mahayanistes (theg chen par khas len pa dang) et sans ob-server leurs vĆux ni connaĂźtre le vinaya, ils faisaient fonction dâabbĂ©s : tels Ă©taientles usages religieux des anciens TibĂ©tains (sdom pa mi srungs zhing âdul ba mi shespar mkhan po byed pa rnams bod rgan rnams kyi chos lugs yin /)â, etc. ; v. aussi Ă propos des tendances Ă sâĂ©manciper des tutelles de la norme et de lâautoritĂ© desmaĂźtres, C. Scherrer-Schaub (2002).
227 On trouve, en dehors du bkaâ shog (1092) de Pho Brang Zhi ba âod, de nombreuseslistes de textes dĂ©noncĂ©s comme apocryphes ou hĂ©tĂ©rodoxes dans le recueil de
ârĂ©futationsâ dĂ©jĂ citĂ©, le sNgags log sun 'byin skor. R. Davidson (2002, p. 211) at-tire lâattention sur le fait que, les apocryphes Ă©taient non seulement rnying ma maisaussi gsar ma (cit. de Chag lo tsĂ„ ba, sNgags log sun 'byin, pp. 14-17), mieux en-core, ils Ă©taient parfois fabriquĂ©s par des Indiens mĂȘmes comme le rapporte Rongzom Chos kyi bzang po (v. R. Davidson, 2002, pp. 211-212) ; v. aussi D. Germano,
âThe Seven descents and the early history of rnying ma transmissionsâ dans TheMany Canons of Tibetan Buddhism, 2002, pp. 245-248 : les rĂ©cits les plus anciensconcernant Vairocana auraient Ă©tĂ© largement fabriquĂ©s (largely fabricated) de mĂȘmeque nombre de lignĂ©es de transmission âarrangĂ©esâ; v. aussi (ibid. pp. 253-255) ce
Revue dâEtudes TibĂ©taines48prĂ©cepteurs (religieux) de villageâ (grong na gnas paâi mkhan po sngagspa rnams)229 ne sâautorisant, tels certains psychanalystes modernes, quedâeux-mĂȘmes et faisant, sans vergogne, commerce de leur activitĂ©230, ildevient extrĂȘmement difficile dâĂ©carter le problĂšme posĂ© par lâignorancedes textes et commentaires ou par leur interprĂ©tation grossiĂšrement ousubtilement fautive, en un mot, il devient impossible de mettre en doutelâutilitĂ©, voire la nĂ©cessitĂ© de lâhermĂ©neutique.
Il nâest pas Ă©tonnant que ĂraddhĂ„karavarman ait, sinon composĂ©, dumoins traduit Ă cette Ă©poque, avec Rin chen bzang po, son traitĂ© des SeptOrnements, La parfaite explication des Sept Ornements tirĂ© du Tantra ducompendium de la Sagesse adamantine231 et si, comme le fait remarquer,curieusement, R. Davidson, les dĂ©bordements et errements constatĂ©s auTibet avaient bien aussi existĂ© en Inde, cela ne fait que rejoindre le pointde vue exprimĂ© par Candrak„rti qui Ă©voque justement ce genredâagissement pour justifier lâexistence et lâutilitĂ© de lâappareil des SeptOrnements232. Et pour ce qui est du fait plus gĂ©nĂ©ral dâopposer lâusagede la logique ou du discours philosophique considĂ©rĂ© comme lâapanagede ratiocineurs (rtog ge pa) dĂ©pourvus de rĂ©alisations (view without reali-sation)233, Ă la pratique seule authentique234 de vrais mĂ©ditants, on nesaurait ranger lâusage de lâexĂ©gĂšse ou de lâhermĂ©neutique du cĂŽtĂ© despremiers parce que, justement, comme le suggĂšre D. Seyfort Ruegg235,lâune des fonctions essentielles de lâhermĂ©neutique est de rĂ©duire cetteopposition (thĂ©orie/pratique, mĂ©diatetĂ©/immĂ©diatetĂ©, conventionnel/ultime,etc., ces tensions structurelles sous-jacentes Ă la doctrine Ă©voquĂ©es par D.Seyfort Ruegg236. Il convient aussi de rappeler, dâune part, que les vĂ©ritĂ©sbouddhiques que lâexĂ©gĂšse cherche Ă pĂ©nĂ©trer, sont lâobjet dâune triplesagesse issue de lâaudition (Ărutamay„), de la rĂ©flexion (cintĂ„may„) et de
qui concerne Gnubs Sangs rgyas Ye shes et son association Ă Padmasambhava,lâintroduction de lâAnuyoga, etc.
228 R. Davidson, 2002, p. 212 ; D. Martin cite Ă ce propos Rog Bande Shes rab âod(1166-1244) et qq. autres (v. D. Martin, 2002, p. 116) ; de toutes maniĂšres, le faitque nombre de soi-disant pandits de lâInde venaient Ă©cumer le Tibet Ă la recherchedâor semble avoir Ă©tĂ© proverbial (v. J. Bacot : La Vie de Marpa le Traducteur,(1937, nouveau tirage, 1976), p. 29.
229 S. G Karmay, 1988, p. 14.230 S. G Karmay, âKing Tsa/Dza and VajrayĂ„naâ, dans Tantric and Taoist studies in
Honour of R. A. Stein, 1979, pp. 90 et 92.231 P. 26544 : rGyan bdun rnam dgrol, v. P. ArĂšnes, 2002a ; v. n.7.232 dans le Prad„poddyotana : v. R. Thurman, 1988, p. 127.233 D. Martin, 2002, p. 173-175 : opposition pramĂ„Ëa (tshad ma) / actual realization.234 V. la distinction faite par âJigs med gling pa (1730-1798) entre ceux qui, habiles en
les mots, comprennent mieux la lettre des tantra plutĂŽt que leur sens profond etceux pour lesquels le sens des tantra est le rĂ©sultat dâune expĂ©rience vivante : Drilan rin po cheâi bstan chos Lung gi gter mdzod, Collected Works of Kun mkhyenâJigs med gling pa, vol.3, 1972, pp. 94-95 et 168-170.
235 V. D. Seyfort Ruegg, J.I.A.B.S., 1995, vol. 18, 2, pp. 172-176.236 V. supra, n. 14.
HermĂ©neutique des Tantras 49la mĂ©ditation (bhĂ„vanĂ„may„) : les deux premiĂšres sont des connaissancesdiscursives mondaines mais elles sont prĂ©paratoires (prayoga) Ă la troi-siĂšme qui est une comprĂ©hension directe des vĂ©ritĂ©s (satyĂ„bhisamaya)237 ;dâautre part, quâil nâest pas dâautre horizon pour le bouddhisme que leBuddha, parfait mĂ©ditant et parfait savant, dĂ©fini alors comme tshad margyur pa (pramanabhuta)238.
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GuhyasamĂ„jatantra: SarvatathĂ„gatakĂ„yavĂ„kcittarahasyaguhyasamĂ„janĂ„-mamahĂ„kalparĂ„ja ; De bzhin gshegs pa thams cad kyi sku gsung thugskyi gsang chen gsang ba âdus pa zhes bya ba brtag paâi rgyal po chenpo, P. 81, vol. 3, 174.3.5 - 203.2.1 (T. 442- 443).
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VajramĂ„lĂ„tantra = Ăr„VajramĂ„lĂ„bhidhĂ„namahĂ„yogatantra-sarvatantra-hÂźdayarahasyavibhaâ«ga-iti, P. 82, 203.2.1 - 231.4.2 (T. 445).
HermĂ©neutique des Tantras 57SandhivyĂ„karaËanĂ„matantra ; dGongs pa lung bstan pa shes bya baâi
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KUMĂRA :Prad„pa-d„pa-â ippan„-hâądayĂ„darĂa-nĂ„ma; sGron ma gsal ba mdor
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BHAVYAKĂRTI :Prad„poddyotanĂ„bhisa”dhiprakĂ„ĂikĂ„-nĂ„ma-vyĂ„khyĂ„â „kĂ„ ; sGron ma
gsal bar byed paâi dgongs pa rab gsal zhes bya ba bshad paâi â „kĂ„, P.2658, vol. 60, 239.1.1 - fin du vol. (T. 1793).
VASUBANDHU :
â AbhidharmakoĂakĂ„rikĂ„ ; Chos mngon paâi mdzod kyi tshig leâu byaspa, P. 5590, vol. 115, 115.11.1.- 127.2.6. ; Gu 1 - 27b6.
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â AbhidharmakoĂabhĂ„âya ; Chos mngon paâi mdzod kyi bshad pa, P.5591, vol. 115, 127.2.6.- 283.5.8. ; Gu 27b6 - Ngu 109a8.
VIMALAMITRA :ĂryaprajñÄpĂ„ramitĂ„hÂźdayaâ „kĂ„ ;âPhags pa shes rab kyi pha rol tu
phyin paâi snying poâi rgya cher bshad pa, P. 5217, vol. 94, 278.3.5 -285.2.2 (T. 818).
ĂRADDHĂKARAVARMANYe shes rdo rje kun las btus paâi rgyud las âbyung baâi rgyan bdun
rnam par dgrol ba [JñÄnavajrasamuccaya - nĂ„ma-tantrodbhavasa-ptĂ„la”kĂ„ravimocana] P. 2654, vol. 60, 138.2.5.-139.1.4., traduit parlâauteur et Rin chen bzang po.
3 - Ouvrages tibétains
âGOS KHUG PA IHAS BTSAS (XIe S.?) :sNgags log sun 'byin gyi skor, Kunsang Topgyel et Mani Dorji, Thim-
phu, 1979, pp. 18-25.
GUNG THANG DKON MCHOG BSTAN PAâI SGRON ME ditGUNG THANG âJAM PAâI DBYANGS (1762-1823) :
â Dus gsum rgyal baâi spyi gzugs rje btsun dkon mchog âjigs meddbang poâi zhal snga nas kyi rnam par thar pa rgyal sras rgya mtshoâiâjug ngogs, The Collected Works of dKon mchog âJigs med dbang po,vol. 1, (reproduced from prints from Bla brang bkra shis âkhyil), New-Delhi, Ngawang Gelek Demo, 1974, pp. 1-555.
â Shes rab snying poâi sngags kyi rnam bshad sbas don gsal basgron me, The Collected Works of Gung thang dKon mchog bstan paâisgron me, vol. 1, New-Delhi, Ngawang Gelek Demo, 1971, pp. 682-715.
âGOS LO TSĂ BA GZHON NU DPAL (1392-1481) :Bod kyi yul du chos dang chos smra ba ji ltar byung baâi rim pa deb
ther sngon po, Mi rigs dpe skrun khang, Chengdu, 1984 (trad. N. G.Roerich, The Blues Annals, New-Delhi, Motilal Banarsidass, 1976 (1Úreéd. 1949)).
CHAG LO TSO BA (1197-1264) :sNgags log sun 'byin gyi skor, Thimphu, Kunsang Topgyel et Mani
Dorji, 1979, pp. 1-18.
âJIGS MED GLING PA (1728-1791) :
HermĂ©neutique des Tantras 59Dri lan rin po cheâi bstan chos Lung gi gter mdzod, Collected Works
of Kun mkhyen âJigs med gling pa, vol. 3, 2e partie, Sonam T. Kazi(Ă©d.), vol. 31, Gangtok, Ngagyur Nyngmay Sungrab, 1972.
bDUD âJOMS âJIGS âBRAL YE SHES RDO RJE (1904-1987) :sNga âgyur rnying ma paâi bstan paâi rnam gzhag legs bshad snang
baâi dgaâ ston, Mani Printing Works, Kalimpong, 1967, pp. 334-340.
TORANOTHA (1575-1635?) :
â sGrol maâi âgrel pa, The Collected Works of Jo nang rje btsunTĂ„ranĂ„tha, vol. 12, Sman rtsis shes rig dpemjod Series, Leh, 1985, pp.553-581.
âïżœsGrol maâi lo rgyus, The Collected Works of Jo nang rje btsunTĂ„ranĂ„tha, vol. 12, sSman rtsis shes rig dpemjod Series, Leh, 1985, pp.513-551.
PADMA DKAR PO (1527-1592) :â Gsang ba âdus paâi rgyan ces bya ba mar lugs thun mong ma yin
paâi bshad pa, Collected Works (gSung âBum) of Kun mkhyen PadmadKar po, Kargyud Sungrab Nyamso Khang, Darjeeling W.B., 1973, vol.16, pp. 63-146.
â brJod byed tshig gi rgyud bye brag tu bshad paâi spyi don mkhaspaâi kha rgyan, Collected Works of Kun mkhyen Padma dKar po, Kar-gyud Sungrab Nyamso Khang, Darjeeling W.B., vol. I, 1973, pp. 31-66.
dBAL MANG DKON MCHOG RGYAL MTSHAN (1764-1863) :rGyud sde bzhiâi spyiâi don rnam par bzhag pa sngags paâi âjug paâi
sgo, vol. 5, The Collected Works of dPal mang dKon mchog rGyalmtshan, reproduction de lâĂ©dition de A mchog dGaâ ldan chos âkhorgling, Gyaltan Gelek Namgyal, New Delhi, 1974, pp. 1-139.
BU STON RIN CHEN GRUB (1290-1364) :dPal gsang ba âdus paâi â „kka sGron ma rab tu gsal ba, gSung âbum,
Collected Works of Buston, Part 9, vol. TA, edited by Lokesh Chandra,New Delhi, Int. Acad. Ind. Culture, 1969, pp. 141-.
BRAG DGON ZHABS DRUNG DKON MCHOG BSTAN PA RABRGYAS (1801- ?) :
Yongs rdzogs bstan paâi mngaâ bdag rje btsun bla ma rdo rje âchangdkon mchog rgyal mtshan dpal bzang poâi zhal snga nas kyi rnam tharâdod âjug ngogs, The Collected Works of dPal mang dKon mchog rGyalmtshan, vol. 10.
Revue dâEtudes TibĂ©taines60TSONG KHA PA BLO BZANG GRAGS PA : (1357-1419) :â rGyud kyi rgyal po dpal gsang ba âdus pa âi man ngag Rim lnga
rab tu gsal baâi sgron ma shes bya ba, P. 6167, vol. 158-159, 169.1.1 -81.1.1.
â [dPal gsang ba âdus paâi rgya cher bshad pa Sgron ma gsal barbyed pa shes bya ba slob dpon Zla ba grags pa mdzad paâi mtshan gyisgsal bar bshad pa], P. 6166, vol. 158, 1.1.1 - 169.1.1 (T. 5282, titrediffĂ©rent : rGyud thams cad kyi rgyal po dpal gsang ba âdu paâi rgyacher bshad pas sgron ma gsal baâi tshig don ji bzhin âbyed paâi mtshangyi yang âgrel).
â dPal gsang ba âdus paâi bshad paâi rgyud Ye shes rdo rje kun lasbtus paâi rgya cher bshad pa rGyud bshad thabs kyi man ngag gsal barbstan pa zhes bya ba, P. 6198, vol. 160, 150.5.6 - 173.1.8 (T. 5286).
â rGyal ba khyab bdag rdo rje âchang chen poâi lam gyi rim pagsang ba kun gyi gnad rnam par phye ba, P. 6210, vol. 161, 53.1.1 - findu vol. (T. 5281) ; trad. : J. Hopkins, Tantra in Tibet, The Great Expo-
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â Lam rim chen mo, P. 6001, vol. 152, 1-136a8 ; trad. anglaise, TheLamrim Chenmo Translation Commitee, The Great Treatise on the stagesof the path to enlightenment Lam rim chen mo, Snow Lyon, Ithaca, New-York, 2000.
SA SKYA PANDITA KUN DGAâ RGYAL MTSHAN (1182-1251) :mKhas pa rnamsâjug paâi sgo zhes bya baâi bstan bcos, lHa sa, Mi
rigs dpe skrun khang, 1981.
SOG BZLOG PA BLO GROS RGYAL MTSHAN (1552-?) :gSang sngags snga âgyur la bod du rtsod pa snga phyir byung ba
rnams kyi lan du brjod pa nges pa don gyi âbrug sgra ; Collected Wri-tings of Sog blzog pa Blo gros rGyal mtshan, Reproduced from a uniquebut incomplete dbu can manuscript from the library of the VenerableBdud Jom Rin po che by Sanye Dorje, vol.1, New Delhi, 1975, pp. 261-601.
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