6
Deep Blue a 11 ans. En 1997, Gary Kasparov battu Deep Blue, un programme conçu spécialement pour fonctionner sur un serveur et utiliser ses ressources afin de jouer aux échecs. Mais jouer, est-il un terme approprié pour un programme informatique ? En effet, Deep Blue a été conçu avec ce que l’on pourrait qualifier de 3e degré d’interactivité. Le premier degré étant la simple exécution de la demande de l’utilisateur (on / off), le second, l’execution et l’information sur l’execution (comme un message d’erreur, ou même l’analyse de cette erreur), autrement dit, la rétroaction. Quant au troisième, le plus intéressant, est celui que l’on rencontre le moins souvent mais qui tend à s’accroître. Ce troisième degré permet à l’utilisateur de transformer et d’agir sur les informations et les représentations mises à sa disposition par le système et au même système d’analyser les échanges afin de mieux s’adapter à l’utilisateur. C’est en quelque sorte, celui du web 2.0, celui du tout interactif. Deep Blue a 11 ans et la dernière console, la Wii, vient de sortir. Bien que l’interaction en tant qu’échange d’informations entre deux éléments au sein d’un système fasse partie intégrante du rapport homme-machine, le concept d’interaction homme-machine n’est pas absolu, il n’est pas non plus synonyme d’interactivité. «Interagir» s’emploie pour toute forme de relation entre deux systèmes. Nietzsche dans la naissance de la tragédie considèrait déjà l’interaction de cette manière: «il faut se souvenir toujours que le public de la tragédie antique se retrouvait dans le choeur évoluant à l’orchestre et qu’il n’y avait pas de distinction foncière entre le public et le choeur [...]». Le nombre et la nature des interactions créent la complexité d’un système. Positive, l’interaction devient coopé- ration, participation, adaptation, intégration, émulation, coopétition. De la même manière, on pourrait la comparer en biologie à la symbiose ou au mutualisme. Ambivalente, l’interaction devient compétition, concurrence comme le neutralisme et le mutualisme entre les espèces dans la nature. Négative, l’interaction sera lutte, rivalité, ségrégation, discrimination et l’on retrouve là les principes du parasitisme, de l’amensalisme et de la prédation dans la nature. L’in- teraction fait donc plutôt référence à une action réciproque entre deux émetteurs et récepteurs. En art, de nombreuses démarches artistiques sont présentent sous l’angle de l’interactivité : Christa Sommerer, Laurent Mignonneau, Yves Chambaret, Tom de Witt et Manfred Mohr inventèrent de singuliers dispositifs machiniques : des oeuvres dans lesquelles les spectateurs sont invités à devenir acteur. Citons également l’installation «Je sème à tout vent» (1990) de Couchot, Tramus et Bret qui invitait le public à souffler dans un micro pour voir les akènes d’un pissenlit s’envoler - plus ou moins rapidement - selon la force et la durée du souffle. Citons aussi l’association «Art Sensitif» qui a pour but la promotion et le développement des arts électroniques expérimentaux et des arts de l’inte- raction (http://artsens.org). Mais voilà, la relation interaction-interactivité a tenté d’être conceptualisée et ses concepts ont traversés les années 50 (remise en question des Beaux-Arts, Brecht souhaite laisser l’auditeur parler afin de l’écouter et à Antonin Artaud de favoriser les sens du spectateur pour transformer l’acte d’observation en geste de participation), les années 60 (Marshall McLuhan et le père de la cybernétique : Norbert Wiener (avec son exellent livre «Cybernetics or Control and Communication in the Animal and the Machine» aux éditions MIT Press)), les années 70-80 (le temps réel, la vidéo interactive...) font s’écrire encore aujourd’hui bon nombre de livres ou de documents. L’an 2000 passé, il reste de cette relation un élément majeur : internet, ou la montée en puissance des arts numériques et interactifs. «Je suis né avec un clavier d’ordinateur sous les doigts, c’était un de ces commodores sx 64. Laissant mon Packard Bell 486, j’ai grandi avec internet et un pentium 2. Maintenant je pense chaque jour en Google». L’ère n’est plus à la fascination de l’informatique mais l’attente d’un certain degré d’interactivité se fait sentir. En tant qu’utilisateur, l’in- terface est primordiale, c’est elle qui induit l’interaction. L’acronyme WYSIWYG («What You See Is What You Get» ou d’une concise manière : «tel affichage, tel résultat») est couramment utilisé en informatique pour désigner les interfaces utilisateur graphiques permettant de composer visuellement le résultat voulu, typiquement pour un logiciel de mise en page, un traitement de texte ou d’image. Cet acronyme désigne en fait une interface intuitive (en théorie) où l’utilisateur voit directement à l’écran à quoi ressem- blera le résultat final (on remarque ici que le concept de temps réel tend à se modifier, il va vers l’anticipation). Mais voilà, la dérive commerciale fait naître de nouveaux termes pour les interfaces utilisateur : WYSIWYN («What You See Is What You Need», ce que vous voyez est ce dont vous avez besoin), WYSIWYB («What You See Is What You Buy», ce que vous voyez est ce que vous achetez) et surtout WYCIWYG («What You Click Is What You Get», ce sur quoi vous cliquez est ce que vous obtenez). Pour conclure, il est intéressant de remarquer que, les moyens techniques mis en place pour ajuster au mieux l’interface, le site internet, l’installation interactive, débordent parfois sur l’interactivité bénéfique à l’interactivité néfaste. Par exemple, à peine l’utilisateur arrivé sur le site qu’il est possible de connaître; son navigateur internet (et sa version); sa résolution d’écran; son système d’exploitation (linux, windows...) ainsi que sa version; le nombre de fois que l’utilisateur est venu sur le site; de détecter les utilisateurs en provenance de Google ou de tout autre site; si l’utilisateur possède les technologies flash, Java; le temps passé à visionner chaque page et le nombre de clics effectués sur la page; de récupérer les données du presse-papier de l’utilisateur; son adresse IP; les mouvements de la souris que l’utilisateur effectue sur la page, etc. Toutes ces données relatives à l’interaction machine-utilisateur sont invisibles en apparence et permettent un ciblage de plus en plus pertinent des éléments qui composent les site internet par exemple. Certes, les contenus, les interfaces, les images, les liens peuvent-être adaptés en fonction de ces données mais l’intérêt se porte principale- ment sur la récupération par la machine d’un maximum d’informations sur l’utilisateur et sur l’audit. Le cheminement de cette interaction se fait donc à partir d’un concepteur qui transmet à la machine une marche à suivre. La machine entre ensuite en interaction avec l’utilisateur afin de pouvoir renvoyer au concepteur les informations récupérées. Le système agit donc en amont de l’utilisateur ce qui permet une interactivité extrêmment avancée et développée entre les différents utilisateurs et les différentes machines.

Deep Blue a 11 ans. En 1997, Gary Kasparov battu Deep Blue ...h4cker.net/medias/interface_esthetics.pdf · Deep Blue a 11 ans. En 1997, Gary Kasparov battu Deep Blue, un programme

  • Upload
    others

  • View
    16

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Deep Blue a 11 ans. En 1997, Gary Kasparov battu Deep Blue ...h4cker.net/medias/interface_esthetics.pdf · Deep Blue a 11 ans. En 1997, Gary Kasparov battu Deep Blue, un programme

Deep Blue a 11 ans. En 1997, Gary Kasparov battu Deep Blue, un programme conçu spécialement pour fonctionner sur un serveur et utiliser ses ressources afin de jouer aux échecs. Mais jouer, est-il un terme approprié pour un programme informatique ? En effet, Deep Blue a été conçu avec ce que l’on pourrait qualifier de 3e degré d’interactivité. Le premier degré étant la simple exécution de la demande de l’utilisateur (on / off), le second, l’execution et l’information sur l’execution (comme un message d’erreur, ou même l’analyse de cette erreur), autrement dit, la rétroaction. Quant au troisième, le plus intéressant, est celui que l’on rencontre le moins souvent mais qui tend à s’accroître. Ce troisième degré permet à l’utilisateur de transformer et d’agir sur les informations et les représentations mises à sa disposition par le système et au même système d’analyser les échanges afin de mieux s’adapter à l’utilisateur. C’est en quelque sorte, celui du web 2.0, celui du tout interactif. Deep Blue a 11 ans et la dernière console, la Wii, vient de sortir.

Bien que l’interaction en tant qu’échange d’informations entre deux éléments au sein d’un système fasse partie intégrante du rapport homme-machine, le concept d’interaction homme-machine n’est pas absolu, il n’est pas non plus synonyme d’interactivité. «Interagir» s’emploie pour toute forme de relation entre deux systèmes. Nietzsche dans la naissance de la tragédie considèrait déjà l’interaction de cette manière: «il faut se souvenir toujours que le public de la tragédie antique se retrouvait dans le choeur évoluant à l’orchestre et qu’il n’y avait pas de distinction foncière entre le public et le choeur [...]».

Le nombre et la nature des interactions créent la complexité d’un système. Positive, l’interaction devient coopé-ration, participation, adaptation, intégration, émulation, coopétition. De la même manière, on pourrait la comparer en biologie à la symbiose ou au mutualisme. Ambivalente, l’interaction devient compétition, concurrence comme le neutralisme et le mutualisme entre les espèces dans la nature. Négative, l’interaction sera lutte, rivalité, ségrégation, discrimination et l’on retrouve là les principes du parasitisme, de l’amensalisme et de la prédation dans la nature. L’in-teraction fait donc plutôt référence à une action réciproque entre deux émetteurs et récepteurs.

En art, de nombreuses démarches artistiques sont présentent sous l’angle de l’interactivité : Christa Sommerer, Laurent Mignonneau, Yves Chambaret, Tom de Witt et Manfred Mohr inventèrent de singuliers dispositifs machiniques : des oeuvres dans lesquelles les spectateurs sont invités à devenir acteur. Citons également l’installation «Je sème à tout vent» (1990) de Couchot, Tramus et Bret qui invitait le public à souffler dans un micro pour voir les akènes d’un pissenlit s’envoler - plus ou moins rapidement - selon la force et la durée du souffle. Citons aussi l’association «Art Sensitif» qui a pour but la promotion et le développement des arts électroniques expérimentaux et des arts de l’inte-raction (http://artsens.org).

Mais voilà, la relation interaction-interactivité a tenté d’être conceptualisée et ses concepts ont traversés les années 50 (remise en question des Beaux-Arts, Brecht souhaite laisser l’auditeur parler afin de l’écouter et à Antonin Artaud de favoriser les sens du spectateur pour transformer l’acte d’observation en geste de participation), les années 60 (Marshall McLuhan et le père de la cybernétique : Norbert Wiener (avec son exellent livre «Cybernetics or Control and Communication in the Animal and the Machine» aux éditions MIT Press)), les années 70-80 (le temps réel, la vidéo interactive...) font s’écrire encore aujourd’hui bon nombre de livres ou de documents. L’an 2000 passé, il reste de cette relation un élément majeur : internet, ou la montée en puissance des arts numériques et interactifs.

«Je suis né avec un clavier d’ordinateur sous les doigts, c’était un de ces commodores sx 64. Laissant mon Packard Bell 486, j’ai grandi avec internet et un pentium 2. Maintenant je pense chaque jour en Google». L’ère n’est plus à la fascination de l’informatique mais l’attente d’un certain degré d’interactivité se fait sentir. En tant qu’utilisateur, l’in-terface est primordiale, c’est elle qui induit l’interaction.

L’acronyme WYSIWYG («What You See Is What You Get» ou d’une concise manière : «tel affichage, tel résultat») est couramment utilisé en informatique pour désigner les interfaces utilisateur graphiques permettant de composer visuellement le résultat voulu, typiquement pour un logiciel de mise en page, un traitement de texte ou d’image. Cet acronyme désigne en fait une interface intuitive (en théorie) où l’utilisateur voit directement à l’écran à quoi ressem-blera le résultat final (on remarque ici que le concept de temps réel tend à se modifier, il va vers l’anticipation). Mais voilà, la dérive commerciale fait naître de nouveaux termes pour les interfaces utilisateur : WYSIWYN («What You See Is What You Need», ce que vous voyez est ce dont vous avez besoin), WYSIWYB («What You See Is What You Buy», ce que vous voyez est ce que vous achetez) et surtout WYCIWYG («What You Click Is What You Get», ce sur quoi vous cliquez est ce que vous obtenez).

Pour conclure, il est intéressant de remarquer que, les moyens techniques mis en place pour ajuster au mieux l’interface, le site internet, l’installation interactive, débordent parfois sur l’interactivité bénéfique à l’interactivité néfaste. Par exemple, à peine l’utilisateur arrivé sur le site qu’il est possible de connaître; son navigateur internet (et sa version); sa résolution d’écran; son système d’exploitation (linux, windows...) ainsi que sa version; le nombre de fois que l’utilisateur est venu sur le site; de détecter les utilisateurs en provenance de Google ou de tout autre site; si l’utilisateur possède les technologies flash, Java; le temps passé à visionner chaque page et le nombre de clics effectués sur la page; de récupérer les données du presse-papier de l’utilisateur; son adresse IP; les mouvements de la souris que l’utilisateur effectue sur la page, etc.

Toutes ces données relatives à l’interaction machine-utilisateur sont invisibles en apparence et permettent un ciblage de plus en plus pertinent des éléments qui composent les site internet par exemple. Certes, les contenus, les interfaces, les images, les liens peuvent-être adaptés en fonction de ces données mais l’intérêt se porte principale-ment sur la récupération par la machine d’un maximum d’informations sur l’utilisateur et sur l’audit. Le cheminement de cette interaction se fait donc à partir d’un concepteur qui transmet à la machine une marche à suivre. La machine entre ensuite en interaction avec l’utilisateur afin de pouvoir renvoyer au concepteur les informations récupérées. Le système agit donc en amont de l’utilisateur ce qui permet une interactivité extrêmment avancée et développée entre les différents utilisateurs et les différentes machines.

Page 2: Deep Blue a 11 ans. En 1997, Gary Kasparov battu Deep Blue ...h4cker.net/medias/interface_esthetics.pdf · Deep Blue a 11 ans. En 1997, Gary Kasparov battu Deep Blue, un programme

Kasparov et Deep Blue en 1987

La Wii, la console de Nintendo sortie en 2007

Page 3: Deep Blue a 11 ans. En 1997, Gary Kasparov battu Deep Blue ...h4cker.net/medias/interface_esthetics.pdf · Deep Blue a 11 ans. En 1997, Gary Kasparov battu Deep Blue, un programme

L’installation “je sème à tout vent” réalisée en 1990 par Couchot, Tramus et Bret

Des lecteurs de carte

A-Volve réalisé en 1994 par Christa Sommerer, Laurent Mignonneau

Page 4: Deep Blue a 11 ans. En 1997, Gary Kasparov battu Deep Blue ...h4cker.net/medias/interface_esthetics.pdf · Deep Blue a 11 ans. En 1997, Gary Kasparov battu Deep Blue, un programme

Le Dos, un des premiers systèmes développé à grande échelle et encore utlilisé aujourd’hui

1984, un commodore SX-64, un des premiers ordinateurs portables

Exemples de capcha utilisés pour la reconnaissance de l’utilisateur

Page 5: Deep Blue a 11 ans. En 1997, Gary Kasparov battu Deep Blue ...h4cker.net/medias/interface_esthetics.pdf · Deep Blue a 11 ans. En 1997, Gary Kasparov battu Deep Blue, un programme

Un personnage interactif répondant aux questions de l’utilisateur

sur le site d’Ikea (Décembre 2006)

Page 6: Deep Blue a 11 ans. En 1997, Gary Kasparov battu Deep Blue ...h4cker.net/medias/interface_esthetics.pdf · Deep Blue a 11 ans. En 1997, Gary Kasparov battu Deep Blue, un programme

Une carte de chaleur réalisée par Track-eye sur la page d’un site internet

Le sablier : un des moyens de représentation du temps réel