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L’impact en Europe des délocalisations vers les pays

méditerranéens NOTES ET ETUDES ANIMA n°8

Janvier 2005 Charles-Albert Michalet

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Table des matières 1. La problématique des délocalisations......................... 7

Le constat .............................................................................................. 9 Les réactions....................................................................................... 12 La logique des délocalisations........................................................ 16 Les quatre facettes de la délocalisation au sens strict ................ 17 Les stratégies de délocalisation ...................................................... 21 L’attractivité des territoires ............................................................. 24

2. L’impact des délocalisations : quelques résultats empiriques.......................................................................... 28

L’impact des délocalisations sur les exportations du pays d’origine.............................................................................................. 29

Le cas des multinationales américaines ........................................................... 30 Le cas des multinationales suédoises ............................................................... 30 Le cas des multinationales japonaises.............................................................. 31 Le cas australien.............................................................................................. 31 Le cas des investissements directs français à l’étranger .................................. 31

L’impact des délocalisations sur l’emploi dans les pays d’origine.............................................................................................. 36 La question de la concurrence entre salariés ......................................... 37 La question de la qualification du travail.............................................. 42 Bilan..................................................................................................... 43

3. Les délocalisations horizontales ................................ 51 La stratégie de marché ................................................................................ 52 Rationalisation des portefeuilles d’activités et délocalisation ............ 54

Attractivité territoriale et délocalisation horizontale .................... 57

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L’impact de la délocalisation horizontale..................................... 58

4. Les délocalisations verticales de substitution ......... 67 La rationalité de la délocalisation de substitution...................... 69 Délocalisation de substitution et cycle international du produit.............................................................................................................. 71 Attractivité territoriale et délocalisation verticale de substitution.............................................................................................................. 77 L’impact de la délocalisation verticale de substitution ............. 79

5. Les délocalisations verticales de complémentarité 89 Attractivité territoriale et délocalisation de complémentarité.. 96 L’impact de la délocalisation verticale de complémentarité ..... 97

6. L’impact des délocalisations dans la région MEDA sur les pays d’origine...................................................... 104

Le constat : la faible attractivité de la région MEDA................ 106 La stratégie des investisseurs étrangers ...................................... 114 Turquie ............................................................................................... 116 Liban ................................................................................................... 117 Algérie................................................................................................. 117 Maroc.................................................................................................. 118 Tunisie ................................................................................................ 119 Les délocalisations, une nouvelle tendance pour le futur ? .... 122

Conclusions...................................................................... 133

Bibliographie ................................................................... 139

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Références

Ce document a été réalisé dans le cadre de la mission confiée par la Commission Européenne à lʹAgence Française pour les Investissements Internationaux (AFII), assistée de l’ICE (Italie) et DI (Maroc), pour développer un Réseau Euroméditerranéen des Agences de Promotion des Investissements de la Méditerranée (« ANIMA»). Le n° du contrat est : ME8/B7-4100/IB/99/0304.

ISBN :

© AFII-ANIMA 2004. Reproduction interdite sans autorisation de l’AFII. Tous droits réservés

Auteurs

Ce document a été réalisé par Charles-Albert Michalet (consultant pour l’Agence Française pour les Investissements Internationaux), avcec l’assistance de l’équipe ANIMA.

Acronymes

ANIMA : Réseau Euro-Méditerranéen d’Agences de Promotion de l’Investissement

API : Agence de Promotion de l’Investissement IDE : Investissement Direct Etranger MEDA : Ensemble de 12 pays partenaires de l’Union

Européenne : Algérie, Chypre, Egypte, Israël, Jordanie, Liban, Malte, Maroc, Autorité Palestinienne, Syrie, Tunisie, Turquie

MIPO : Mediterranean Investment Project Observatory (ANIMA)

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Remerciements

Nous voudrions remercier très sincèrement Bénédict de Saint Laurent et Michel Delapierre pour leurs précieux commentaires concernant une première version de ce texte.

La photographie de couverture est issue de la photothèque Friend de l’AFII.

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1. La problématique des délocalisations Depuis le début de 2003, le thème des délocalisations fait la une de la presse économique et financière et provoque une multiplication des déclarations des hommes politiques. La délocalisation est présentée comme la nouvelle « grande menace industrielle»1. Cette inquiétude touche la plupart des économies les plus industrialisées.

L’inquiétude s’intensifie à la suite d’une série de constats. La montée en puissance de l’industrie manufacturière chinoise qualifiée d’atelier du monde, une formule qui avait déjà été utilisée pour la Grande Bretagne au milieu du XIXe siècle. La délocalisation des services en Inde inquiète encore davantage. L’attraction de plus en plus forte exercée par les pays du centre et de l’est de l’Europe (PECO) sur les nouveaux investissements des entreprises matures de la « vieille » Europe. La reprise de la croissance aux Etats-Unis, tant attendue, mais qui ne s’est pas accompagnée d’une croissance parallèle des emplois (« jobless growth »). L’annonce quasi quotidienne de la fermeture d’usines en Europe et aux Etats-Unis. Les déclarations spectaculaires de certains dirigeants de grandes firmes qui prédisent l’arrivée imminente des « entreprises sans usines ». La dégradation de plus en plus accentuée de la balance commerciale des Etats-Unis et les résultats en baisse de celle de certains pays de l’Union Européenne sont attribués conjointement à l’augmentation des importations en provenance d’Asie et à la désindustrialisation supposée de l’économie américaine et européenne entraînée par le phénomène de délocalisation.

1 C. Stoffaes, La grande menace industrielle (Pluriel, 19878)

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Comme tout mouvement d’opinion, la « grande menace» de la délocalisation amalgame des phénomènes différents comme la baisse de compétitivité, l’innovation et les progrès très rapides de la productivité, qui en résultent, surtout aux Etats-Unis. Cependant, depuis le second trimestre de 2004, le mouvement d’inquiétude semble s’inverser. D’abord, la croissance soutenue de l’économie américaine se remet à créer des emplois. Ensuite, en Europe, plusieurs rapports se veulent rassurants : la DATAR soutient par exemple que l’industrie française n’est pas en danger. Un rapport à l’Assemblée Nationale présenté par M. Max Roustan en Mai 2004 va dans le même sens. Selon lui, « le débat sur la désindustrialisation se nourrit largement de fantasmes.2 ». Il est de plus en plus largement admis que les progrès de la productivité constituent une variable beaucoup plus importante que les délocalisations. Elle a été la cause principale de la perte de 1,5 million d’emplois dans l’industrie (hors énergie) entre 1978 et 2002. Mais elle a permis simultanément à l’industrie de maintenir sa place dans la création de richesses. Le rapport du Boston Consulting Group (juin 2004) part de la même constatation pour démontrer que c’est la délocalisation de certaines activités des grandes entreprises françaises du CAC 40 qui leur a permis de créer des emplois. Elles ont compensé de cette manière les effets normaux que les gains de productivité auraient du avoir sur leurs effectifs. Selon le BCG : « En participant à la mondialisation, ces entreprises ont créé plus d’emplois que si elles étaient restées sur leur marché national »3. On verra plus loin, en détail, les

2 Cité dans « Le Monde » du 9 juin 2004 3 Cité dans « Le Monde « du 15 juin 2004.

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explications qui peuvent être fournies pour rendre compte de ces résultats apparemment paradoxaux, car contre intuitifs.

L’excès d’optimisme que manifeste aujourd’hui ce retournement d’analyse est trop symétrique de l’excès de pessimisme d’hier pour être complètement convaincant. Il ne peut effacer la masse des données factuelles qui montrent que la structure de la production des biens et services et de l’emploi se transforme rapidement dans les économies de la Triade et que la délocalisation, si elle est certainement loin de tout expliquer, doit y être pour une part. Dans un premier temps, nous allons reprendre des événements récents en France qui sont les plus significatifs à cet égard, sans prétendre à l’exhaustivité, avant de présenter rapidement, dans un second temps, les réactions des gouvernements et des entreprises.

Le constat

Dans le cas de l’économie française, beaucoup de données vont dans le sens d’une accélération de la délocalisation des entreprises :

La comparaison des flux d’investissement direct à l’entrée et à la sortie montre une nette supériorité des seconds sur les premiers. En 2003, les investissements à l’entrée ont baissé de 36% par rapport à 2002 s’établissant à 36,6 milliards d’euros (dont 4 milliards pour la reprise de Péchiney par Alcan), tandis que, de leur côté, les flux à la sortie, 48,6 milliards d’euros, ont diminué aussi mais dans des proportions moindres (-26%). Le montant des investissements directs à la sortie reste largement supérieur à celui à l’entrée. En 2000, année faste pour les délocalisations, les entrées avaient atteint 48 milliards tandis que les sorties s’élevaient à 170 milliards.

D’après une étude de l’INSEE consacrée à l’internationalisation

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des 32 sociétés industrielles qui font partie du CAC 40, entre 1997 et 2000, le montant des immobilisations corporelles à l’étranger (c’est à dire les investissements) a augmenté de 45% tandis qu’en France la croissance était nulle pour la majorité des sociétés du CAC 40 et négative pour onze d’entre elles. Simultanément, les effectifs mondiaux ont cru de 43%, pour s’élever à 3,6 millions de salariés tandis qu’ils ne croissaient que de 5% en France. Enfin, le chiffre d’affaires mondial des firmes s’est accru de 52% contre 6,5% en France.

L’examen de l’évolution de différents secteurs confirme la tendance à une délocalisation apparemment inexorable :

Dans la chimie, l’emploi a diminué de 1,5% en 2003 par rapport à 2002 et l’investissement de 12%. Rhodia a annoncé son intention de réduire de 10% le nombre de ses sites, y compris en France. Total a récemment fermé son site de production de PVC près de Grenoble. Deux ans et demi après la fusion, le groupe a supprimé 1700 postes dans la chimie. En revanche, il projette de faire des investissements nouveaux en Corée, au Qatar et aux Etats-Unis. A la fois pour suivre ses clients et pour échapper à des normes anti-pollution jugées trop contraignantes.

Dans la chaussure, la production a diminué de 17% en 2003. En 2002, l’Union européenne a importé cinq fois plus de chaussures qu’elle n’en a exporté. Il est généralement admis que le mouvement va s’amplifier dans les années à venir.

Dans l’automobile, les effectifs s’élevaient à 255 000 personnes en 1980; ils ne sont plus que de 178 000 en 2001, du fait des gains de productivité et desdélocalisations. Dans le cas de Renault, les effectifs s’élèvent à 39 000 personnes en France et à 54 100 à l’étranger (dont 11 300 en Europe). Pour PSA, les données

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comparables pour les effectifs sont de 198 000 au total dont 74 900 à l’étranger. Au total, la production de voitures croît plus vite à l’étranger (+6,8 en 2002) qu’en France (0,6%). Mais, à titre de compensation, il ne faut pas oublier de noter qu’il y a 130 entreprises étrangères dans le secteur sur le territoire français qui emploient 64 000 personnes sur 200 sites.

Dans les télécoms, Alcatel n’emploie plus que 25 400 personnes en 2002 contre 38 000 en 2000. Cette réduction notable est le résultat du développement de la sous-traitance et aussi de la vente de trois usines à des sociétés étrangères (Flextronics, Sammina et Jabil).

Dans l’informatique, la production de hard est devenue infime tandis que l’on assiste - avec retard par rapport aux concurrents - aux débuts d’un mouvement de délocalisation des services vers le Maghreb et le Sénégal.

L’habillement est le secteur le plus touché par lesdélocalisations : la moitié des entreprises ont disparu depuis dix ans. Depuis cinq ans, les effectifs diminuent de 15 000 à 18 000 postes par an. Le dernier fabricant de sous-vêtement, Rouleau–Guichard a délocalisé en 2003. L’industrie textile est menacée à son tour alors que jusqu’à présent les producteurs français exportaient du fil ou du tissu vers les firmes délocalisées, au Maghreb surtout. La raison tient au fait que les grands distributeurs obligent désormais les co-traitants (à ne pas confondre avec les sous-traitants) à se fournir le plus possible localement pour diminuer les coûts. En 2003, le tribunal de commerce de Roubaix-Tourcoing a prononcé la fin des activités du groupe Saint Liévin à Wattrelos. Il était spécialisé dans la fabrication de fils techniques et de fantaisie. C’était le dernier grand fleuron de l’industrie textile. La fin de

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l’accord multifibre début 2005 devrait accélérer le mouvement.

L’industrie mécanique s’alarme elle aussi des délocalisations. En 2003, 21% des entreprises étaient en perte contre 17% en 2002. Selon le Président de la Fédération, l’explication réside« dans la politique de recherche du profit à court terme des grands donneurs d’ordre, notamment dans l’automobile, qui font de l’outsourcing. (… ) Nous assistons à une désindustrialisation rampante qui ne se voit pas car, à chaque fois, c’est seulement 20 ou 30 emplois qui disparaissent. » (Les Echos, 16/06/04). Ce sont surtout les petites entreprises qui souffrent, celles de moins de 100 salariés, entièrement dépendantes de ces grands clients et dont les sites de production sont localisés en totalité en France.

De leur coté, les Etats-Unis connaissent un mouvement analogue qui produit le même type d’analyse4.

Les réactions

La « grande menace » que font peser les délocalisations provoque depuis le début de 2004 des réactions de la part des gouvernements de la plupart des pays européens, ainsi qu’aux Etats-Unis. En France, le sénateur J. Arthuis, Président de la commission des finances du Sénat reprend son bâton de pèlerin dix ans après la publication de son rapport (Arthuis 1993).pour dénoncer à nouveau les méfaits des délocalisations dans un article récent5. Pour lui le phénomène s’est amplifié et s’inscrit dans la tendance au « déclin français ». De son coté, le député M. Gremetz a soumis un projet de

4 Voir J. Popkin et K. Kobe : Securing Amrica’s future ( Challenge, Nov-Dec. 2003) 5 Futuribles, septembre 2003

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loi à l’Assemblée nationale en mars 2004 accompagné d’un rapport dont l’intitulé parle de lui-même : « Mesures d’urgence pour lutter contre les délocalisations ». Sa proposition a été repoussée. Le Président de la République J. Chirac a réuni à huis clos à l’Elysée le 19 Février 2004, un groupe d’experts pour tenter d’imaginer la « lutte contre la désindustrialisation » qui est largement attribuée aux délocalisations. Le Président s’est montré préoccupé par les conséquences sur l’emploi : depuis 30 ans, 1 500 000 emplois industriels ont été perdus. En 2003, pour la première fois depuis 10 ans, l’économie française a détruit des emplois; les créations dans les services ne suffisent plus à combler les pertes dans le secteur industriel. Un comité interministériel a été créé il y a peu pour réfléchir aux mutations économiques, une autre appellation pour les délocalisations. Dans le quotidien « Les Echos », L. Fabius part lui aussi en guerre et propose une série de mesures fiscales destinées à décourager les opérations de délocalisation. Début Mai 2004, nouveau Ministre des Finances et de l’Economie, N. Sarkozy profite d’une visite au siège de Michelin à Clermont Ferrand – une firme exemplaire à ses yeux pour son ancrage national – pour proclamer que « l’Etat doit avoir une politique industrielle résolue » pour faire obstacle au mouvement de la délocalisation.

Aux Etats-Unis, le débat n’est pas moins passionné. La question des délocalisations a été au coeur de la campagne pour la présidentielle de Novembre 2004. Le puissant syndicat AFL-CIO se mobilise. Il retrouve une préoccupation ancienne. En effet, il avait été à l’origine, à la fin des années soixante, d’un rapport du Sénat -- le rapport Rybicoff - consacré à l’impact des investissements directs à l’étranger sur l’emploi aux Etats-Unis. Aujourd’hui, ce même

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syndicat soutient l’adversaire démocrate du Président Bush, John Kerry, qui a pris position en faveur de mesures visant à freiner le mouvement des délocalisations. Plus de trente projets de lois ont déjà été déposés au Congrès pour tenter de limiter les opérations de délocalisation. Par exemple, l’un d’entre eux menace d’exclure de l’accès aux contrats publics les firmes qui délocalisent une partie de leur production; il est proposé que les centres d’appel soient tenus de révéler leur position géographique; d’autres textes suggèrent des taxes spécifiques sur les profits liés aux délocalisations ou une réforme du code du travail etc. Ce qui a encore accru l’émoi, c’est le mouvement plus récent de transfert des activités de services dans les pays émergents, spécialement vers l’Inde, qui concerne les secteurs de l’informatique (logiciel), les centres d’appel et aussi les activités de back office des banques d’investissement. Hewlett-Packard emploie déjà plus de 10 000 personnes en Inde, précédé de loin par General Electric qui a 22 000 employés dans ce pays. Il est à noter que le chiffre d’affaires à l’export de l’ensemble des sociétés de services informatique indiennes a augmenté de façon spectaculaire : il est passé de 52 millions de dollars en 1992 à 6,8 milliards de dollars dix ans plus tard (Les Echos, 3/03/04). Devant une telle levée de bouclier G. W. Bush ne pouvait rester passif. Il a multiplié les déclarations manifestant sa détermination à lutter contre la baisse des emplois industriels. Les mesures protectionnistes qu’il a soutenues pour l’acier et le coton vont dans le sens souhaité par les anti-délocalisations qui doivent aussi applaudir la baisse du dollar. Il n’hésite pas à passer outre aux critiques d’Allan Greenspan, le Président de la Fed, qui dénonce un retour inavoué au protectionnisme. Il a aussi été obligé de se démarquer de la déclaration du Président de ses conseillers économiques, Gregory Mankiw. « As a good economist », ce

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dernier avait applaudi les délocalisations puisqu’elles permettent d’offrir aux consommateurs américains des produits moins chers.

Même son de cloche en Allemagne où le Chancelier allemand Gerhardt Schröder, le 22 mars 2004, n’a pas hésité a qualifier « d’acte antipatriotique » un appel à la délocalisation des entreprises allemandes lancé par le Président de la Fédération des Chambres de Commerce et d’Industrie. La déclaration de ce dernier était limpide : « Je conseille aux entreprises de ne pas attendre une politique meilleure mais d’agir et de profiter des chances qui s’offrent à elles avec l’élargissement de l’Union européenne»6.

Les chefs d’entreprises, en effet, et pas seulement les chefs d’entreprise allemands sont favorables à la délocalisation et commencent à s’organiser pour éviter les entraves que les pouvoirs publics pourraient introduire. Aux Etats-Unis, la CCEEA (Coalition pour la Croissance Economique et les Emplois Américains) créée à l’initiative de la Chambre du Commerce et du Business Roundtable fait du lobbying pour bloquer l’adoption des projets de loi cherchant à limiter les délocalisations d’emplois dans les pays à plus faibles coûts salariaux. La menace de délocaliser constitue aussi un moyen de faire pression sur les salariés pour qu’ils renoncent à certains acquis sociaux comme les 35 heures par exemple7.

6 Cité par le journal « Le Monde » (24/03/04).

7 Voir le cas de la filiale Bosch à Vénissieux (Les Echos, 13/07/2004)

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La question centrale derrière ce débat est évidemment de savoir si les avantages attendus par les groupes industriels et financiers de la délocalisation de certaines de leurs activités ne vont pas avoir, en fin de compte, un coût plus élevé sur les pays d’origine. Mais avant, de tenter de donner une réponse il faut s’efforcer de proposer une définition précise de la délocalisation. Ce préalable est rarement effectué dans les discours ce qui les conduit à confondre allègrement l’impact des délocalisations avec celui de l’ouverture des échanges et, surtout, avec celui des gains de productivité issus des innovations techniques.

La logique des délocalisations

Les délocalisations au sens large, celui qui est le plus souvent adopté implicitement dans la presse, les rapports d’instances publiques ou privées et les discours politiques, sont définies comme le déplacement de certaines activités industrielles ou de services hors du territoire national d’origine, généralement vers des économies moins développées où les salaires sont plus bas. Cette approche est, à notre avis, trop extensive, largement confondue avec la question des investissements directs à l’étranger ou avec la question plus ancienne de la spécialisation internationale. Elle favorise les peurs générées par la nouvelle « grande menace industrielle».

Il est nécessaire, en premier lieu, d’avoir une définition plus stricte de la délocalisation. En second lieu, de rappeler- ce qui est souvent oublié - que les délocalisations ne tombent pas du ciel. Qu’elles ne peuvent pas être analysées sans prendre en compte, deux conditions de leur réalisation. D’une part, leurs vecteurs, c’est à dire les décisions stratégiques des groupes multinationaux. De l’autre,

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au risque d’énoncer un truisme, l’existence d’une localisation alternative attractive.

Les quatre facettes de la délocalisation au sens strict

Une définition stricte de la délocalisation repose sur cinq conditions principales :

La première, repose sur la dimension spatiale du déplacement de certaines unités de production de biens et de services du pays d’origine vers le pays d’implantation. Elle est nécessaire mais pas suffisante.

La seconde condition est que les biens et services délocalisés soient réexportés en direction du pays d’origine (le plus souvent vers la maison-mère du groupe à travers des circuits intra firmes).

La troisième implique la fermeture, selon des délais variables mais généralement courts, des usines ou des bureaux qui produisaient auparavant, dans le pays d’origine, les biens et les services délocalisés à l’étranger.

La quatrième tient à l’existence d’opportunités de délocalisation alternatives attrayantes. L’ampleur des délocalisations et leurs différentes modalités sera largement fonction de l’offre de territoires attractifs, c’est à dire qui présentent des avantages de localisation correspondants aux besoins des firmes.

La cinquième constitue une dimension indispensable pour que les différentes modalité de la délocalisation puissent se développer : d’une part l’abaissement rapide des coûts de transports qui, commande les délocalisations industrielles; de l’autre, l’extension d’internet qui permet ladélocalisation des activités dans les NTIC. Il

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est à noter que ces deux facteurs constituent aussi des composantes de l’attractivité des pays d’accueil.

La différence entre la définition large et la définition stricte des délocalisations comporte plusieurs implications pour l’analyse.

En premier lieu, il faut souligner que le phénomène de la délocalisation ne doit pas être confondu ipso facto avec celui de l’investissement direct à l’étranger comme c’ est généralement le cas dans les analyses existantes. Ainsi, la décision prise par une firme d’investir à l’étranger pour produire pour le marché local exclusivement ne peut être considérée comme une délocalisation. C’est un choix qui est fait, par exemple, lorsque l’aggravation des barrières douanières interdit de continuer à exporter, ce qui oblige à investir sur place. Il est à noter que l’impact de cette opération sur le pays d’origine ne sera pas le même que dans le cas d’une délocalisation véritable. L’investissement direct se situe dans ce cas dans la logique du commerce international et non pas dans la logique de l’économie industrielle qui est celle des délocalisations8. Dans la mesure où la production sur place est un substitut ou un complément aux exportations passées, elle n’implique pas la fermeture des unités de production dans le pays d’origine de la firme mais, au contraire, va favoriser son expansion et sa rentabilité.

En second lieu, selon une approche plus prospective, il est probable que dans le futur, la délocalisation reposera de moins en moins sur un investissement direct défini au sens traditionnel. Selon ce dernier, le critère est celui du contrôle de la gestion des filiales qui repose lui-même sur la détention d’une part du capital social de ces

8 C-A Michalet, Le capitalisme mondial (PUF, 1998)

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dernières (10% au moins selon les normes FMI pour l’établissement des statistiques de balance des paiements). Il peut revêtir des modalités multiples : création d’une nouvelle usine ou d’une nouvelle unité de service (« green field investment »), prise de participation minoritaire (mais supérieure à 10%) du capital social de l’entreprise locale ou majoritaire, rachat à travers des opérations de fusion-acquisition amicales ou hostiles, joint venture avec un partenaire local (« brown field investment »). Elle peuvent aussi être le résultat de « nouvelles formes d’investissement » (non equity investment) correspondant à l’externalisation de certaines fonctions qui étaient préalablement remplies au sein de l’entreprise (« internalisées ») au profit de partenaires locaux plus efficients. La transformation qui s’ébauche va entraîner une mutation des anciennes multinationales en de « nouvelles » multinationales. Les premières étaient fondées sur les principes de l’intégration verticale centralisée, verrouillée par le contrôle du capital et du management des filiales. Les secondes seront des « firmes–réseau » ou en anglais des « hollow » ou « virtual » corporations. Cette évolution s’inscrit dans la logique d’une délocalisation accélérée qui devrait aboutir à terme aux « entreprises sans usines ». L’externalisation de certaines fonctions par les firmes ou « outsourcing » devient de plus en plus souvent la règle. Elle vise bien sûr à réduire les coûts d’exploitation et par là à augmenter la rentabilité. Mais il faut aller au-delà. La délocalisation va de plus en plus souvent reposer sur l’exploitation des avantages immatériels de la firme, sur ses « avantages spécifiques » qui renvoient principalement à la détention d’un avantage technologique. En conséquence, la délocalisation pourra se faire sans investissement direct mais par un transfert de savoir,

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par la vente de services cognitifs.

En troisième lieu, ce qui nourrit les inquiétudes actuelles dans les économies les plus industrialisées, c’est avant tout l’impact des effets attendus de la délocalisation au sens strict. C’est à dire, d’une part, l’effet des délocalisations sur les importations du pays d’origine qui risque d’avoir à terme des répercussions sur l’emploi et, d’autre part, la menace de désindustrialisation liée à la fermeture des usines et des bureaux et, éventuellement, des centres de recherche.

En quatrième lieu, la mesure de l’impact de la délocalisation pose d’importantes questions de méthodologie. La première qui concerne l’utilisation fréquente des modèles orthodoxes de la théorie de la spécialisation internationale (« H-O-S ») pour analyser les implications de la délocalisation est, de notre point de vue, erronée. Pour deux raisons au moins. L’une tient au fait que la délocalisation implique la mobilité des facteurs et, par là, est incompatible avec l’hypothèse de base du modèle H-O-S. L’autre se situe dans le prolongement de la contestation du modèle H-O-S : les délocalisations ont pour effet de transformer les dotations en facteurs des pays d’origine et d’accueil et, en conséquence, de bouleverser les fondements de la spécialisation internationale. La seconde question porte sur la collecte des données qui permettent d’évaluer les délocalisations. Malheureusement, les statistiques sur les flux d’investissement directs ne sont pas adaptées. Nous l’avons déjà souligné, la délocalisation ne constitue qu’une modalité particulière de l’IDE. Les chiffres issus des balances des paiements ne donnent pas les moyens de discerner les opérations de délocalisation. Celles-ci ne peuvent être repérées que par études de cas portant sur un échantillon de firmes ou de projets. Ce constat constitue une limitation indiscutable à notre étude.

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Ces différentes remarques conduisent à penser que, finalement, l’enjeu des délocalisations pour les pays d’origine (mais aussi pour les pays d’accueil) est à chercher au niveau des choix de localisation des firmes pour leurs projets dans la production des biens et des services. Dès lors, l’analyse va porter sur l’articulation de deux dimensions indissociables : d’une part, les stratégies de localisation des firmes; de l’autre, l’attractivité différenciée des territoires d’accueil.

Les stratégies de délocalisation

Les délocalisations ne tombent évidemment pas du ciel. Elles sont le résultat des décisions stratégiques de certains groupes multinationaux. Quelle est la rationalité économique des firmes qui délocalisent ?

A travers les interviews des chefs d’entreprises et des études économiques existantes sur le sujet, il semble possible de distinguer trois grands motifs derrière les délocalisations :

Le souci de préserver ou d’augmenter la rentabilité financière du Groupe pour créer plus de valeur par des opérations de restructuration industrielle souvent liées à des opérations d’acquisition/fusion. Celles-ci peuvent se faire au détriment du périmètre d’activités ou du chiffre d’affaires du Groupe. Il vaut mieux être plus petit mais plus rentable : l’impératif d’une RoE élevé est déterminant. Cette préoccupation centrale depuis une décennie explique largement l’apparition de ce qui pourrait être qualifié comme étant des « délocalisations induites ». Induites soit par la phase de restructuration du portefeuille industriel des Groupes qui suit généralement les opérations de fusion-acquisition,

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soit par la volonté du management de replier le Groupe sur son « coeur de métier ». Dans les deux cas, les délocalisations qui peuvent se produire du fait du choix d’une unité plus efficiente située hors du pays d’origine constituent un moyen de maximiser la profitabilité globale du Groupe selon une logique financière qui reste encore largement inspirée des préceptes du Boston Consulting Group : éliminer les canards boiteux, se concentrer sur les stars pour maximiser la création de valeur pour les actionnaires.

Le souci de renforcer la compétitivité-prix du Groupe est au coeur des décisions de délocalisation. Il s’agit pour la firme de sauvegarder ou d’augmenter sa part du marché mondial alors qu’elle est confrontée à une concurrence de plus en plus intense de la part des autres firmes multinationales, mais aussi du fait de l’apparition de nouveaux concurrents dans les économies émergentes, spécialement de Chine. Pour résister à une concurrence qui est d’autant plus exacerbée qu’elle porte sur des produits standardisés dont la technologie de production est largement diffusée et la demande en déclin, l’un des moyens est d’aller produire dans les territoires où les coûts des facteurs, et d’abord les coûts salariaux sont bas. Selon J-L Beffa, PDG de Saint Gobain dans une interview aux Echos (16/06/03) : « Quand les coûts de production sont trop élevés, nous délocalisons ». La délocalisation cette fois-ci devient un impératif vital : « délocaliser ou mourir ». Elle peut être stimulée, en outre, par un double effet d’entraînement. D’abord, celui qui consiste pour certaines entreprises à suivre leurs clients qui ont eux même délocalisé. Dans la même interview, J-L Beffa donne un exemple concernant les implantations de Saint Gobain dans les PECO pour fournir en pare-brises Peugeot et Toyota qui se sont installées dans cette zone. La délocalisation peut ainsi être imposée aux équipementiers par les

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donneurs d’ordre et les centrales d’achat qui les contraignent à abaisser les prix de revient de leurs livraisons. Ensuite, la délocalisation peut obéir à une logique d’externalisation de certaines fonctions ou « outsourcing ». Contrairement à la précédente forme de délocalisation, elle n’est pas nécessairement limitée aux secteurs parvenus au stade de la maturité. La « firme-réseau » cherche à mobiliser les compétences scientifiques et technologiques existantes à l’échelle mondiale.

Le souci d’échapper aux contraintes introduites par les nouvelles réglementations des pays d’origine visant à diminuer les risques d’accident au nom du principe de précaution ou à protéger l’environnement. Il ne s’agit pas d’une question académique. Les industriels européens se mobilisent contre les engagements de Kyoto (Le Monde, 23/03/04). Thyssen Krupp menace de geler un important investissement en Allemagne tandis qu’Arcelor a porté plainte auprès de la Cour de Justice européenne. L’Unice, l’union des industries européennes, demande à la Commission de Bruxelles de « revoir sa politique en matière de changements climatiques ». L’inquiétude des industriels européens est de voir leur compétitivité remise en cause face à leurs concurrents américains qui ne sont pas soumis aux mêmes contraintes car leur pays d’origine n’ont pas signé les accords de Kyoto. La réponse pourrait consister à déplacer ou à menacer de déplacer les activités polluantes ou potentiellement dangereuses dans des pays où la législation est plus souple et/ou les contrôles plus lâches. Les secteurs qui se sentent les plus menacés sont la sidérurgie, la papeterie, et les autres producteurs d’énergie. Au total, 12 000 usines sont concernées dans les 25 pays européens.

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L’attractivité des territoires

Néanmoins, si les stratégies de délocalisation des Groupes sont au point de départ des délocalisations, elles n’en sont pas l’aboutissement. En effet, il n’y a pas de délocalisation possible sans localisation alternative. C’est pourquoi la problématique des délocalisations repose sur deux jambes et non pas sur une seule. D’une part, comme nous venons de le voir, les délocalisations répondent aux contraintes auxquelles sont soumises les firmes dans la mondialisation. Mais, de l’autre, l’éventail plus ou moins large des opportunités de relocalisation est fonction des avantages différenciés offerts par les différents territoires, c’est à dire de leur capacité à absorber les technologies et à respecter les normes de qualité de délai et de coûts. A travers les déclarations des managers et les entretiens qu’ils accordent, plus qu’à travers une littérature économique encore réduite sur ce thème, il est possible de dresser les caractères qui définissent la séduction des nations9.

L’attractivité d’un territoire doit être analysée en fonction de deux étapes. En premier lieu, elle repose sur une série de prérequis nécessaires pour figurer, dans une première phase, sur la « long list » des investisseurs potentiels. Il s’agit principalement de conditions sociopolitiques qui relèvent de la bonne gouvernance et qui caractérisent finalement un bon climat des investissements :

La stabilité politique et économique qui permet d’établir un « business plan » à moyen terme et qui réduit le facteur risque.

9 C-A Michalet, La séduction des nations (Economica, 1998). Voir aussi F. Hatem, Investissement international et politiques d’attractivté (Economica, 2004

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Un cadre légal et réglementaire libéral, (« market friendly »), transparent, non discriminatoire et, lui aussi, stable.

L’absence ou la minimisation des entraves de caractère bureaucratique et de pratiques généralisées de corruption.

La libéralisation des échanges et des transferts de capitaux et de la circulation des hommes.

Un système judiciaire équitable et efficient qui admet la clause d’arbitrage.

Ces critères permettent d’effectuer une première sélection des territoires concurrents – la concurrence entre les pays est une dimension nouvelle liée à la mondialisation. Ensuite, pour figurer, dans une seconde phase, sur la « short list » des investisseurs, les territoires doivent présenter une autre série de caractéristiques qui sont opératoires. Leur importance relative varie en fonction de la stratégie de délocalisation des firmes. Parmi ces caractéristiques, les plus fréquemment citées sont les suivantes :

La taille et la croissance anticipée du marché : il peut s’agir du marché national ou du marché régional ;

Le système des communications : transports terrestres, aériens et maritimes; télécommunications (téléphone, fax, e-mail..) ;

Les coûts des facteurs : énergie, matières premières du sol ou du sous-sol, coût du travail. Ce dernier ne se réduit pas au taux de salaire mais il doit être pondéré par la productivité ;

Une offre de main d’œuvre qualifiée sur un marché flexible ;

Un tissu industriel de PME performantes ayant vocation à

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devenir des partenaires sur la base de leurs compétences.

Parmi les caractéristiques de l’attractivité qui viennent d’être recensées ci-dessus, la taille du marché est évidemment la moins pertinente pour expliquer la délocalisation. Il s’agit, en revanche, du déterminant le plus souvent cité par les firmes qui font des investissements directs à l’étranger, ce qui montre bien que les deux phénomènes ne doivent pas être assimilés. En revanche, tous les autres prérequis sont très importants dans le choix d’un territoire pour un projet de délocalisation.

Concrètement, les Groupes ne font pas le même type de délocalisation selon qu’ils choisissent d’aller en Chine ou aux Etats-Unis, au Maghreb plutôt que dans les PECO, au Mexique plutôt qu’au Vietnam. En effet, l’attractivité offerte par ces différents territoires n’est pas identique. Elle détermine des stratégies de délocalisation différentes. En fin de compte, la logique des délocalisations repose sur la combinaison dialectique des stratégies des firmes et des attractivités différenciées des territoires. Cette approche nouvelle va permettre de comprendre que l’évaluation de l’impact des délocalisations est complexe. Les prises de position pour ou contre la délocalisation auxquelles il a été fait allusion au début de ce chapitre sont trop simplistes. En outre, ce qui rend l’appréciation de l’impact encore plus complexe, c’est que les délocalisations ne modifient pas seulement les avantages comparatifs des pays d’origine du fait de la sortie d’activités de production, de capitaux, de technologie, de personnels qualifiés, mais elles transforment simultanément les dotations en facteurs des économies d’accueil. En outre, ces bouleversements ne touchent pas uniformément un territoire national. Ils ont une intensité différente d’un site à l’autre.

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L’Etat-nation n’est plus l’espace pertinent dans la dynamique de la mondialisation dont la délocalisation constitue une composante10. Pourtant, dans la majorité des cas, les jugements portés sur les effets des délocalisations sont élaborés par rapport au cadre limité des territoires nationaux. Il s’agit à nos yeux d’une erreur majeure. L’impact des délocalisations doit être saisi dans un espace plus large, celui des intégrations régionales comme l’Union européenne pour le moins, celui de l’espace économique mondial. Car, finalement, ce qui va émerger du phénomène, c’est une nouvelle division du travail à l’échelle mondiale. Mais, à l’ère de la globalisation, celle-ci ne sera plus le résultat exclusif des échanges de biens et services. L’émergence d’une nouvelle géographie industrielle reposera principalement sur la stratégie des firmes et l’attractivité des territoires.

Cette approche nous fournira la base des analyses qui vont suivre : d’une part, la proposition d’une typologie des délocalisations; de l’autre, l’évaluation de l’impact sur les territoires d’origine. Mais avant de présenter cette nouvelle approche, il est utile d’examiner les résultats fournis par les études empiriques existantes.

10 Sur la question de la pertinence de l’Etat-nation voir C-A Michalet, Qu’est-ce que la mondialisation ? » (La Découverte Poche, 2004)

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2. L’impact des délocalisations : quelques résultats empiriques La littérature économique sur la question de l’impact des délocalisations est très largement anglo-saxonne. Il faut souligner immédiatement qu’elle est généralement confondue avec celle de l’impact des investissements directs à l’étranger effectués par des firmes multinationales.. Les appellations de « relocation » ou d’ « off-shoring » ne sont pas ou très peu utilisées dans la littérature économique, à la différence de ce qui se passe pour la presse financière et économique ou dans les discours des hommes politiques.

Les études empiriques dont nous avons eu connaissance sont pour la plupart de nature microéconomique. Il s’agit, à notre avis, du niveau d’analyse pertinent dans la mesure où le cadre orthodoxe de la théorie des échanges internationaux qui est parfois utilisé11 comporte des hypothèses de travail qui sont incompatibles avec le phénomène de la délocalisation comme l’immobilité des facteurs de production (invariance des dotations factorielles) et, en conséquence, la prise en compte exclusive des échanges de biens.

Outre, la mesure de l’impact des délocalisations qui est jugé positif dans toutes les études dont nous avons eu connaissance, une autre conclusion se dégage de la plupart des études : l’espace stratégique et organisationnel des multinationales est largement déconnecté de leurs territoires d’origine. Ce constat n’est pas vraiment surprenant, la référence à la notion d’Etat-nation perd progressivement son

11 V. Strauss-Khan, Globalization and wage :Reconciliating facts and theory (INSEAD, 2003)

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pouvoir explicatif quand il s’agit de comprendre la dynamique et les implications économiques du phénomène de la mondialisation.12 Ce qui a pour effet de donner à la dimension régionale, comme celle de MEDA, une importance nouvelle.

Les résultats des travaux économétriques que nous avons consultés portent sur deux grandes questions :

Quel est l’impact des délocalisations sur les exportations du pays d’origine ?

Quel est l’impact des délocalisations sur l’emploi dans le pays d’origine ?

L’impact des délocalisations sur les exportations du pays d’origine

L’impact des délocalisations sur les exportations – qui est ramené à l’impact des investissements directs, répétons-le –est examiné à partir de l’alternative : substitution ou complémentarité.

Dans le cas où l’hypothèse de la substitution l’emporterait, cela signifierait que la délocalisation de la production au sens large entraînée par les investissement directs à l’étranger se traduit par une réduction des exportations de la maison-mère soit vers les pays où elle a effectué l’investissement, soit vers le reste du monde. Dans l’hypothèse de complémentarité, les IDE s’accompagnent d’un supplément d’exportations. Celles-ci peuvent appartenir au même secteur que celui des IDE mais, aussi, à d’autres secteurs de

12 Cf. C-A Michalet, Qu’est-ce que la mondialisation ? (La Découverte Poche, 2004)

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l’économie d’origine. Ainsi, la délocalisation de la production dans le secteur automobile peut avoir un effet négatif sur les exportations de voitures du pays d’origine mais, en revanche, un effet positif sur les exportations de composants, de pièces détachées ou de biens d’équipement spécifiques.

Le caractère microéconomique des travaux économétriques privilégie l’impact sur les activités de la maison-mère. Mais il est possible de généraliser l’effet en prenant en compte le volume total des IDE vers tel pays ou telle zone pour avoir une idée de son impact macroéconomique. Certaines études, nous le verrons, ont choisi de faire cette agrégation au niveau d’un secteur ou d’une branche (« industry »). Nous examinerons successivement les résultats obtenus selon les pays d’origine.

Le cas des multinationales américaines Pour le cas des Etats-Unis, les résultats des nombreuses études récentes sont totalement convergents : les flux d’investissement direct à l’étranger et les flux d’exportation sont complémentaires et non pas substituables. L’augmentation de la délocalisation aurait donc un effet positif sur les exportations du pays d’origine (cf. Reddaway 1967, Hufbauer & Adler 1968; Bergsten, Moran & Horst, 1978; Lipsey & Weis, 1981 et 1984; Brainard & Rikker, 1997).

Le cas des multinationales suédoises Les corrélations opérées au niveau des firmes multinationales suédoises conduisent à la même constatation que dans le cas américain : il n’y a pas d’effet négatif apparent ente les investissements directs à l’étranger et les flux d‘exportation. Braconnier & Ekholm, 2000 ont mené leur recherche pour les IDE et les exportations vers les pays à bas revenu. Swedenborg, 2001 a pu

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t

démontrer la prévalence des effets de complémentarité sur des séries chronologiques pour une période assez longue (1965-84). L’effet joue principalement sur les nouvelles exportations : un dollar de vente sur place se substitue à 12 cents d’exportations mais crée 12 cents de nouvelles exportations, en provenance d’autres secteurs.

Le cas des multinationales japonaises Selon Lipsey, Ramstetter & Blomstrom (2000) et Lipsey, Ramstetter (2003), qui ont étudié le cas des firmes japonaises, la relation entre les IDE et les exportations est positive.

Le cas aus ralien Le Productivity Commission Report (2002), parvient à la même conclusion que les études précitées. Il ajoute une explication – ce que les autres études ne font pas toujours, se bornant à présenter les résultats de leur travail économétrique. Pour la Commission australienne, la complémentarité tient au fait que les exportations comme les IDE sont dirigés vers des marchés à forte croissance.

Le cas des investissements directs français à l’étranger Fontagné & Pajot (1999) concluent eux aussi en faveur de la prédominance de l’effet de complémentarité à la suite d’un travail économétrique sophistiqué sur des séries statistiques sur les échanges extérieurs et sur les investissements directs comparés de la France et des Etats-Unis sur la période 1984-1994. Ils aboutissent à une évaluation du pourcentage d’accroissement des exportations bilatérales associé à l’existence de flux d’investissements entre chaque paire de pays. Le pourcentage d’accroissement des

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échanges entre la France est de 63% vers les Etats-Unis (il s’agit du taux le plus élevé), de 21% avec l’Allemagne, de 14% vers le Royaume Uni, de 11% vers l’Italie. Les résultats pour les Etats-Unis montrent un effet de complémentarité plus marqué que dans le cas français. Ils sont particulièrement élevés dans le cas du Japon (149 %), du Royaume Uni (101%) et du Canada (86%). Vers la France, l’accroissement des échanges est de 42%. L’effet de complémentarité ne joue pas seulement au niveau macroéconomique, il est aussi démontré au niveau sectoriel. Pour un panel de 19 branches et sur la période 1984-94, les calculs des auteurs montrent que chaque dollar additionnel d’investissement direct est associé à 54 cents d’exportations additionnelles et à seulement 24 cents d’importations additionnelles. Ce qui est aussi important, c’est que l’étude permet de montrer que l’IDE d’une branche industrielle permet de stimuler les exportations de cette dernière mais aussi celles du reste de l’industrie. Ainsi des effets de substitution dans une branche peuvent être compensés par des effets de complémentarité dans d’autres branches. Reprenons les résultats des auteurs pour illustrer ce dernier point (1999, p.86) : un dollar d’IDE sortant dans une industrie donnée est associé avec 58 cents d’exportations additionnelles dans cette industrie, chiffre à comparer avec une complémentarité de 1,09 dollar au niveau de l’industrie dans son ensemble. Cela signifie qu’aux 58 cents d’exportations additionnelles qui sont enregistrées dans l’industrie qui investit un dollar à l’étranger s’ajoutent 51 cents d’exportations disséminées dans le reste de l’industrie.

En guise de conclusion pour cette section, il est intéressant de reprendre les résultats d’une étude de Lipsey (1995) menée sur le cas américain pour la période 1966/87. Il constate que la part des Etats-Unis dans les exportations totales de produits manufacturés

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est passée de 17% à 11% entre 1966 et 1987, soit une baise de 1/3. Durant la même période, la part des exportations des multinationales américaines (exportations de la maison-mère + exportations des filiales) dans les exportations totales de produits manufacturés a été relativement stable (elle varie ente 15,5% et 18%) et qu’elle est plus élevée en 1987 qu’en 1966. Comment peut-on expliquer cette rupture ente les résultats enregistrés pour les multinationales américaines et pour l’économie américaine ? La réponse de Lipsey est la suivante : tandis que la part des exportations des maisons mère diminuait entre 1966 et 1987, passant de 11,5% à 7,5%, celle des filiales des firmes US ont vu leur part dans les exportations totales augmenter : elle passe de 5% à 8 %. Elle comble ainsi une partie des mauvaises performances des maisons-mères qui allaient dans le même sens que leur économie d’origine. Lipsey note le même mécanisme pour d’autres pays. Dans le cas du Japon, la réévaluation du yen à partir de 1985 a entraîné une baisse de la part des exportations japonaises tandis que celle des filiales des multinationales japonaises augmentait. Même constatation dans le cas suédois : alors qu’entre 1966-87, les exportations de produits manufacturés ont baissé d’un tiers, celles des filiales sont demeurées stables.

Les résultats de ces études sur l’impact des délocalisations sur les exportations ont des implications importantes pour saisir la complexité de l’analyse de l’impact des délocalisations :

En premier lieu, il semble possible de poser l’existence d’une dichotomie entre les résultats obtenus par les multinationales et ceux de leur économie d’origine. Cette remarque permet de limiter la pertinence de l’effet de complémentarité prédominant souligné

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par toutes les études empiriques. Il faut remarquer que dans de nombreux travaux économétriques, il n’y a pas de corrélation significative entre les exportations et les IDE. Ce résultat est un peu occulté par les auteurs.

En second lieu, cette dichotomie tient peut être au fait que le parallélisme recherché entre, d’une part, les flux d’IDE comme flux de capitaux et, d’autre part, les flux d’exportation est trompeur. Il n’est pas sûr que la référence à l’IDE selon le critère balance des paiements (10% du capital d’une firme locale) soit suffisant pour rendre compte de la réalité du phénomène. Il faut rappeler que le critère de la détention minimale du capital est déterminé par l’objectif spécifique de l’IDE, c’est à dire le contrôle de la gestion de la filiale à l’étranger. Le taux de 10% choisi pour la normalisation de la présentation des balances des paiements a été emprunté à la réglementation des Etats-Unis. Il convient peut être à cette économie où les actions de société sont largement disséminées dans le public selon les caractéristiques du « modèle anglo saxon ». En revanche, il n’est pas adéquat dans le cas du « modèle rhénan », celui qui correspond mieux au cas de l’Allemagne, du Japon et, dans une moindre mesure, de la France, où la détention du capital social des sociétés cotées est beaucoup plus concentrée. En revanche, ce qui donne un réel avantage à la firme multinationale par rapport aux autres entreprises concurrentes et ce qui est souvent désigné comme son avantage compétitif (le « specific asset » de J.H. Dunning), c’est son capital de connaissances, son avance technologique. Avec l’émergence des « filiales-réseau », cette dimension va devenir de plus en plus déterminante. La prise en compte de ce facteur explique sans doute une grande partie de la dichotomie entre l’espace des multinationales et le territoire de leur économies d’origine. Il faut en tenir compte dans l’évaluation de

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l’impact de la délocalisation. Malheureusement pour les économétriciens, l’avantage compétitif n’est pas enregistré dans les chiffres des balances des paiements. Il est vrai que la raison d’être de ces dernières est indissociable de la conception traditionnelle de l’économie internationale et des préoccupations mercantilistes ou stratégiques (au sens de la « nouvelle » théorie du commerce de P. Krugman) des Etats. Une fois de plus, il faut constater l’inadéquation de ce paradigme pour comprendre la mondialisation et par conséquent, le phénomène de la délocalisation qui en est une des dimensions.

La dichotomie entre les performances des économies d’origine et celles de la multinationale tient fondamentalement au fait que la délocalisation est précisément le meilleur moyen d’échapper à la baisse de compétitivité des économies d’origine. Ce constat a été à l‘origine de la reconnaissance de la spécificité de la firme multinationale par rapport aux entreprises mono-nationales et purement exportatrices. D’une façon générale, en allant produire à l’étranger, la firme évite les effets d’une appréciation du change; d’une augmentation des coûts salariaux; d’une augmentation de la pression fiscale; d’une baisse de la demande etc. Dans le cas des délocalisations, c’est la contrainte de coûts salariaux trop élevés qui constitue le motif prédominant.

Enfin, il faut tenir compte de l’impact des politiques économiques sur le couple complémentarité/substitution. Par exemple, une aggravation du protectionnisme peut entraîner une hausse des investissements directs et l’analyse des statistiques conduira à identifier une tendance à la substitution exportations/IDE, ce qui pourra conduire à des généralisations erronées. Dans le cas des

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délocalisations, les firmes se trouveront dans une situation différente de celle des IDE. Leurs exportations portent surtout sur des biens d’équipement qui bénéficient généralement d’un régime douanier favorable ; les exportations de composants ou de produits intermédiaires de leur coté sont pas ou peu taxées. Néanmoins, l’absence de toutes entraves aux échanges est favorable au mouvement des délocalisations. Les zones franches industrielles d’exportation répondent bien à cette attente.

L’impact des délocalisations sur l’emploi dans les pays d’origine

L’hypothèse de base que les différents travaux vont tenter de cerner est la suivante : les firmes délocalisent vers les pays à bas salaire leurs activités les plus intenses en travail non qualifié et concentrent dans leur pays d’origine les activités à forte intensité en travail qualifié. En conséquence, dans le pays d’accueil, la délocalisation va produire une réallocation de la masse salariale au profit du travail qualifié tandis que les travailleurs non qualifiés verront leurs salaires baisser avant d’être, éventuellement, licenciés.

Cette hypothèse a alerté les syndicats américains dès le départ de la grande vague des investissements à l’étranger au début des années 60. Ce qui a conduit le Sénat des Etats-Unis à publier l’un des premiers rapports sur cette question (le rapport Rybicoff) qui concluait à un effet positif de l’investissement étranger sur l’emploi. La simulation prenait en compte les effets positifs sur les exportations de l’investissement direct à l’étranger, ce qui fait retrouver les résultats de la question précédente. La nouveauté a consisté à montrer que les créations d’emplois qui compensaient positivement les pertes de l’emploi liées à la délocalisation se produisaient dans des secteurs différents de ceux qui avaient été

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touchés par le mouvement de délocalisation. La mobilité de la main d’œuvre américaine est la condition de ce rééquilibrage.

Les travaux empiriques existants abordent la problématique de l’impact des IDE sur l’emploi selon deux éclairages différents :

La question de la concurrence entre les travailleurs;

La question de la qualification du travail.

La question de la concurrence entre salariés La question de la concurrence entre salariés repose sur l’idée selon laquelle les investissements dans les pays moins développés où les salaires sont bas va provoquer le chômage des travailleurs non qualifiés. Ce thème a été le cheval de bataille d’un ancien candidat à la Présidence des Etats-Unis, Ross Perrot, au milieu des années 80 qui agitait la crainte du « great sucking sound ». Selon une analyse dont les fondements sont radicalement différents, Cl. Pottier a repris dans un ouvrage récent la problématique de la mise en concurrence des salariés par les multinationales13.

Dans une étude fort intéressante, Brainard et Rikker (1997) ont utilisé des données concernant les firmes multinationales américaines pour la période 1983-1992. Les statistiques du BEA (Bureau of Economic Analysis) fournissent des chiffres sur la longue période pour l’emploi et la production des firmes américaines dans 90 pays. Les auteurs ont rassemblé et traité plus de 60 000 données. Une étude similaire ne pourrait pas être menée

13 Cl. Pottier, Les multinationales et la mise en concurrence des salariés (L’Harmattan, 2003)

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pour le cas français car les statistiques sur l’activité des multinationales et de leurs filiales sont insuffisantes.

A première vue, l’idée de la concurrence des salariés des pays à bas revenu semble fondée. Sur la période 1983/92, la croissance de l’emploi total des multinationales US a augmenté de 11% dans les pays en développement et a diminué de 3,5% dans les pays industrialisés hors des Etats-Unis et de 12,5% aux Etats-Unis. Simultanément, l’écart des salaires entre les pays industrialisés et les pays en développement s’est accru de 20%. Pourtant, ces chiffres globaux sont trompeurs et les conclusions qui pourraient en être tirées sont fausses. En premier lieu, il ne faut pas oublier qu’un tiers seulement des multinationales américaines ont des filiales de production dans les pays en développement. En second lieu, dans le sous-groupe des multinationales qui ont des activités dans les pays en développement, l’étude montre que l’emploi dans leurs filiales situées dans les pays industrialisés a augmenté de 13% durant la période examinée.

Sur la base du traitement des données de l’échantillon des multinationales, Brainard et Rikker arrivent à des conclusions radicalement différentes de celles que l’on pouvait tirer des chiffres globaux. Dans les relations Nord-Sud au sein des multinationales, il est possible de répondre à la question de l’impact sur l’emploi que ce sont les effets de complémentarité et non pas de concurrence qui jouent. En revanche, les relations de concurrence sont caractéristiques des filiales des Groupes multinationaux dans le cas où elles sont dans des pays dont le niveau de développement est comparable soit que la délocalisation soit Nord-Nord ou Sud-Sud. Plus précisément, les élasticités croisées de la demande de travail/taux des salaires sont positives et significatives dans le cas des filiales situées dans des pays ayant le même niveau de

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développement. Ce résultat est expliqué par le fait que, dans ce cas de figure, les salariés produisent des biens substituables dans les différentes localisations des filiales. En l’absence de barrières douanières, les différences de coûts salariaux génèrent la concurrence entre les filiales. Au contraire, les élasticités de substitution demande de travail/ taux des salaires sont négatives dans le cas où les filiales sont réparties entre des pays industrialisés et non industrialisés. Dans l’hypothèse d’une délocalisation Nord-Sud, les salariés de la firme produisent des biens complémentaires, comme les composants ou sont spécialisées dans des activités d’assemblage.

Brainard et Rikker ont pu établir que dans l’hypothèse où les salaires baissent de 10% dans les filiales implantées dans des pays en développement, on observe une hausse de 1,9% de l’emploi dans les filiales localisées dans les pays du Nord. En revanche, si les salaires baissent de 10% dans certaines filiales dans les pays industrialisés, ils s’accompagnent d’une baisse de 1,5% de l’emploi dans les autres filiales du Groupe situées elles aussi dans des pays du Nord. Des informations complémentaires sont apportées par les auteurs :

Les élasticités croisées demande de travail/salaires sont plus fortes dans le cas Sud-Sud que dans le cas Nord-Nord.

Des relations de complémentarité Nord-Sud significatives ont été identifiées dans les industries suivantes :

Composants électroniques (20% de l’emploi des firmes dans les PVD, mais en baisse sur la période);

Produits alimentaires (35% de l’emploi dans les PVD et en forte

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hausse);

Produits en plastique;

Produits en verre (24% de l’emploi dans PVD et en hausse);

Services aux entreprises;

Confection;

Equipement photo;

Matériel médical.

Il existe une forte concurrence entre les salariés du Sud dans les quatre premières industries. Dans la chimie et dans l’automobile, il n’y pas de corrélation. Ce résultat peut être expliqué à la fois parce que la demande est principalement celle sur le marché local de chaque pays et parce que les investissements dans ces industries ne sont pas « foot loose ».

Au total, il apparaît que la concurrence entre les salariés existe principalement entre les filiales situées soit dans des pays du Nord, soit dans des pays du Sud. François et Nelson (2000) vont dans le même sens quand ils mettent en valeur un effet négatif sur l’emploi du travail non qualifié dans le cadre de l’intégration régionale. En revanche, les effets de complémentarité jouent selon l’axe Nord-Sud et ils ont un effet positif sur l’emploi de la main d’œuvre qualifiée des pays d’origine des firmes.

Une série d’études menées sur le cas de l’Italie apportent des résultats intéressants. Il s’agit des travaux de Navaretti, Bruno, Castellani et Flazoni (2002); de Navaretti et Castellani (2003); de Falzoni et Grasseni (2003). Le point de départ de leur réflexion est le suivant : entre 1985 et 1997, l’Italie a perdu 350 000 emplois; durant la même période, les firmes italiennes ont créé 360 000 emplois à

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l’étranger dans leurs filiales. Apparemment, la thèse de la substitution trouverait dans ce parallélisme une magnifique vérification. Les travaux des chercheurs italiens vont démontrer que les IDE ne sont pas la cause de la perte des emplois. Pour cela, ils vont mettre au point une méthodologie qui consiste à tenter de répondre à la question : qu’est-ce qui se serait passé dans l’hypothèse où les firmes italiennes n’auraient pas investi à l’étranger ? Sur la période 1994-98, ils vont comparer les performance de quatre échantillons d’entreprises :

celui des firmes qui n’ont aucun investissement à l’étranger;

celui des firmes qui se sont mises à investir à l’étranger pour la première fois au cours de la période;

celui des firmes déjà multinationales avant la période et qui n’ont pas augmenté leurs investissements durant la période;

celui des multinationales italiennes qui ont augmenté leurs investissements à l’étranger durant la période.

Les résultats des tests montrent que les firmes qui ont augmenté plus rapidement leurs emplois en Italie sont celles qui ont augmenté leurs emplois à l’étranger. Soit en investissant à l’étranger pour la première fois, soit en augmentant leurs investissements à l’étranger alors qu’elles étaient déjà multinationales. Dans tous les cas, les performances à l’emploi de ces firmes sont supérieures d’une part aux firmes italiennes qui n’ont pas d’investissement à l’étranger et aux multinationales italiennes qui n’ont pas investi à l’étranger. Simultanément, les firmes qui ont créé des emplois ont aussi réduit l’intensité du travail, c’est à dire le nombre d’emplois par unité produite.

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Finalement, c’est donc la croissance plus forte de la production consolidée qui explique les effets de complémentarité. L’investissement à l‘étranger a augmenté la compétitivité des firmes italiennes qui ont ainsi pu augmenter leur part de marché au niveau mondial et national. Navaretti & Castellani ont tenté d’évaluer l’écart entre les firmes qui ont investi à l’étranger et les autres : il est de 9,2% pour le taux de croissance de la production et de 7,5% pour le taux de croissance de la productivité. Ils en concluent qu’en investissant à l’étranger les firmes ont pu renforcer leurs activités domestiques.

La question de la qualification du travail L’hypothèse de départ est que la complémentarité entre l’emploi au Sud et au Nord peut s’accompagner d’une augmentation de l’emploi dans cette dernière zone, mais il ne s’agit pas d‘un travail de la même nature que celui créé au Sud : il est plus qualifié.

Cette différence tient selon Feenstra et Hanson (1995) à la nature des produits importés. Ils ont montré que les opérations d’ « out sourcing » qui sont menées, selon ces auteurs, par les firmes américaines pour répondre à la concurrence des importations en provenance des pays moins développés, ont pour effet une augmentation des importations de produits intermédiaires. Cette augmentation a un effet positif sur la demande de travail qualifié. L’outsourcing expliquerait entre 30 et 50% de l’accroissement de la part des salariés qualifiés aux Etats-Unis. Les salariés qualifiés sont assimilés à ceux qui ne travaillent pas dans la production. Ce qui est discutable (cf. Pottier, op. cit.).

L’impact sur l’emploi est donc fonction de la nature des biens importés. L’effet de complémentarité entre l’augmentation de l’emploi au Sud et au Nord ne joue que dans le cas où les produits

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importés sont des biens intermédiaires ou des composants. Dans le cas où les produits importés sont des biens finals, il y a substitution du travail au Nord par le travail au Sud et surtout de l’Est, car la plupart des PECOs ont la capacité de produire de façon rentable des biens finis sophistiqués. Nous reviendrons sur ce point.

Kravis et Lipsey (1988) pour les Etats-Unis, Lipsey, Blomström et Fors (1997) pour la Suède partent du constat que l’intensité du travail est plus forte dans les filiales que dans la maison-mère. L’intensité du travail est mesurée par le nombre de travailleurs par unité de production; plus elle est élevée moins le travail est qualifié. Ils constatent eux aussi que l’augmentation des ventes des filiales est associée à une augmentation de l’emploi qualifié dans la maison-mère. Cet effet est particulièrement marqué dans le secteur non manufacturier. Il est expliqué par le plus grand besoin de supervision et de contrôle au niveau de la maison-mère.

Un résultat identique est trouvé dans le cas des firmes japonaises : l’augmentation de la production à l’étranger est accompagnée par une augmentation de l’emploi dans le pays d’origine (Lipsey, Ramsletter, Blomström, 2000). Pour Taiwan, Tain-Jy Chen et Ying Hua Ku (2003) enregistrent aussi un effet positif pour les techniciens et les gestionnaires. En revanche, le nombre des « blue collars » se réduit. Pour eux cette évolution doit être placée dans la perspective du choix de Taiwan de se spécialiser dans la haute technologie.

Bilan

La première conclusion qui ressort du bilan du recensement des études empiriques des effets de la délocalisation Nord-Sud sur les

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exportations et l’emploi est que la légitimité de la peur suscitée par l’arrivée d’une soi-disant nouvelle « grande menace industrielle » est douteuse. Ce qui caractérise, en effet, l’impact sur les économies d’accueil des investissements directs vers le Sud, ce sont des effets de complémentarité et non pas de substitution aussi bien sur les exportations que sur l’emploi. La croissance des IDE s’accompagne d’une croissance des exportations; mais elles ne sont pas toujours issues du même secteur que l’IDE. La croissance des IDE s’accompagne de la création d’emplois; mais il s’agit d’emplois qualifiés. Ces résultats encouragent à penser que la mondialisation qui constitue la toile de fond du mouvement de délocalisation n’obéit pas à une logique de jeu à somme nulle. Ce constat va à contre courant de l’opinion la plus répandue selon laquelle c’est la concurrence qui est la règle : concurrence entre les économie émergentes et les économies du Nord dans le commerce international, concurrence entre les salariés du Nord et du Sud. Apparemment, les corrélations ne vont pas dans le sens de la validation de cette vision pessimiste de la mondialisation. Néanmoins, il n’est peut être pas inutile d’apporter quelques nuances concernant les résultats de ces travaux empiriques.

Les études recensées se situent au niveau microéconomique, celui de la firme ou plus rarement au niveau sectoriel. Il s’agit pour nous d’un choix plus pertinent que celui qui reprend le modèle macroéconomique de la spécialisation des échanges pour des raisons qui ont déjà été soulignées. Néanmoins, quand il s’agit de l’impact sur les économies d’origine, le passage du niveau micro au niveau macroéconomique est difficile. En effet au niveau agrégé, l’impact de la délocalisation sera moins perceptible. En effet, dans les économies d’origine, le progrès technique, les innovations et les gains de productivité qui en résultent ont vraisemblablement un

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impact plus fort sur l’emploi – particulièrement sur celui des travailleurs peu ou pas qualifiés – que les délocalisations Nord –Sud. En outre, la plupart des résultats positifs sont enregistrés à l’intérieur de l’espace de la firme; c’est à dire, en ce qui concerne l’emploi, entre les créations d‘emplois au niveau de la maison-mère et de ses unités de production nationales par rapport à l’augmentation de l’emploi dans les filiales à l’étranger. Mais la question reste posée de savoir si les bons résultats nés de la multinationalisation des firmes par rapport à celles qui sont restées purement nationales peuvent être transposés au niveau macroéconomique. La réponse est incertaine. La vision pessimiste insistera sur le fait que la délocalisation de la production va entraîner une baisse de la production manufacturière nationale donc de l’emploi. C’est une conséquence à laquelle les firmes qui ont investi à l’étranger et les salariés qualifiés qu’elles embauchent en plus grand nombre échappent. Ce qui revient à insister sur la dichotomie souvent notée entre les performances des multinationales et le reste de l’économie d’origine. La vision optimiste mettra l’accent sur l’effet de complémentarité entre les IDE et les exportations – entre autres les exportations générées dans les autres secteurs. Cet impact ne peut qu’avoir un effet positif sur la croissance macro et donc sur l’emploi national. La délocalisation devient un facteur de compétitivité pour l’économie nationale. D’autant plus qu’il est probable qu’en l’absence de délocalisation, les résultats de l’économie d’origine auraient été plus mauvais.

Il est important de ne pas oublier que les flux d’IDE Nord-Sud sont très fortement minoritaires dans le total des IDE, par là leur impact sur les économies d’origine est forcément limité, sauf pour

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celles qui ont une petite taille. Cette conclusion n’est pas vraie dans le cas de la plupart des pays d’accueil situés au Sud. En revanche, la majorité des flux d’investissement sont Nord-Nord. Malheureusement, leur impact n’est pas pris en considération dans les études qui se situent systématiquement dans l’optique de la délocalisation Nord-Sud. Ce parti pris est discutable. Il existe une délocalisation Nord-Nord mais elle est moins perceptible car induite par des opérations de fusion/acquisition et non pas déterminante au départ.

En ce qui concerne les effets de la délocalisation sur l’emploi dans les pays d’origine, la croissance de la part du travail qualifié apparaît comme constituant l’impact le plus notable. Mais il n’est pas démontré que cette croissance des emplois qualifiés suffise à compenser la baisse éventuelle des emplois non qualifiés. D’une part, parce que l’apparente augmentation du travail salarié qualifié peut être le résultat d’une simple augmentation de la masse salariale sans augmentation concomitante des effectifs. De l’autre, un plus fort recrutement de salariés qualifiés peut s’accompagner d’un blocage (ou d’une réduction) de celui de nouveaux salariés non qualifiés. Dans les faits, les résultats des études ne permettent pas de repousser l’hypothèse d’un effet de complémentarité partiel. Il ne jouerait que pour une seule couche des salariés de la firme; il n’empêcherait pas l’existence d’effets de concurrence entre la main d’œuvre non qualifiée et la main d’oeuvre du Sud.

L’impact de la délocalisation est réduit à l’impact des IDE. Or les IDE ne correspondent pas tous à des opérations de délocalisations répondant aux critères que nous avons définis plus haut. Il est probable que les résultats des études économétriques seraient différents si l’information disponible permettait de traiter séparément les cas de délocalisation au sens strict. Il est à prévoir

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que les effets sur l’emploi seraient plus marqués car la délocalisation est déterminée en premier lieu par la volonté de réduire les coûts salariaux. Sur les échanges, les effets seraient aussi différents avec une diminution probablement plus marquée des exportations de produits finis et, surtout, une augmentation des importations de composants et de biens intermédiaires. En outre, la part de la circulation intra firme serait prédominante. Il est probable que les effets de complémentarité auraient plus d’intensité que celle mesurée par les études portant sur les flux d’IDE, du moins dans l’hypothèse d’une délocalisation vers les économies en voie de développement en accord avec les résultats qui ont été recensés. Mais que dire des délocalisations opérées vers les économies de l’OCDE et vers les économies émergentes et en transition ? Il est probable que les produits et services des filiales seront plus fréquemment que dans le cas précédent en concurrence avec ceux de la maison-mère.

Le mouvement de délocalisation ne touche pas uniformément toutes les activités. Il faut tenir compte de sa dimension sectorielle. Certaines études indiquent une piste en montrant que les effets ne sont pas les mêmes selon la nature des produits importés à la suite de la délocalisation. Les effets positifs de complémentarité ne jouent que dans le cas des importations de composants et de produits intermédiaires. Ils ne jouent pas dans celui des produits finaux. Les délocalisations peuvent se traduire par des importations portant sur l’un ou l’autre type de produit. Mais dans ce cas de figure, elles n’auront pas été effectuées avec la même rationalité, ni dirigées vers les mêmes territoires.

Dans le prolongement de la remarque précédente, si l’analyse

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de la délocalisation doit prendre en compte la dimension sectorielle, elle doit aussi prendre en compte l’attractivité des pays receveurs. Cet aspect n’est pas retenu dans les études qui ont tendance à se référer à l’ensemble indifférencié des pays en développement. Il s’agit d’une simplification qui a pour conséquence d’affaiblir sérieusement toute tentative de prospective des délocalisations. En effet, le Sud est une catégorie abstraite, il n’a pas un contenu homogène à l’heure actuelle. Il n’y a pas un mais des Sud : celui des pays les moins avancés (PMA) de l’Afrique sub- Saharienne, d’une partie de l’Amérique latine et du Moyen Orient, celui des économies émergentes d’Asie, celui des économies-continent (Inde, Chine), celui des zones off-shore (qui peuvent d’ailleurs être localisées dans plusieurs ensembles, celui des économies-continent ou des PMA, par exemple). En outre, les économies en transition d’Europe de l’est et du centre (les PECO) occupent une place à part. Ces différents types de territoires offrent des avantages de localisation différents et vont attirer des formes de délocalisation différentes elles aussi. La conception de la délocalisation comme combinatoire de stratégies de firmes et d’attractivité différenciée des territoires est absent dans les études empiriques. Il et vrai que le petit jeu du calcul des corrélations deviendrait beaucoup plus complexe.

Finalement, il pourrait être reproché aux études précitées de se placer dans le cadre des multinationales « classiques », dans lequel le statut des filiales est défini par la détention d’une part du capital social qui assure un pouvoir de contrôle sur la gestion. Il est indéniable que cette modalité constitue encore aujourd’hui celle qui est la plus répandue. Cependant, il ne faut pas négliger la diffusion de plus en plus rapide et qui va s’accélérer dans l’avenir, du modèle de la « firme-réseau ». La cohérence du réseau ne repose plus sur le

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même critère que celui qui permet d’identifier un IDE. L’appartenance du partenaire à un réseau se fait et se fera de plus en plus sur la base de contrats définissant ce qui pourrait être qualifié comme une division cognitive et non plus seulement technique, entre la maison-mère devenue une sorte de « hub » et les partenaires. Or les sources statistiques couramment utilisées pour cerner l’IDE n’enregistrent pas ces nouvelles formes qui reposent moins sur un flux de capitaux que sur un flux de connaissances et de savoir-faire. C’est la raison pour laquelle, l’approche en termes de projets d’investissement pourrait permet de mieux cerner la réalité14.

En fin de compte, les études empiriques qui ont été recensées –ont l’énorme avantage d’inviter à ne pas rester au niveau des apparences – celui qui nourrit les discours catastrophistes. Néanmoins, elles comportent des limitations importantes pour comprendre plus en profondeur l’impact de la délocalisation sur les territoires d’origine. Ces limitations tiennent à trois causes. D’une part la limitation de informations disponibles sur la nature précise des activités des multinationales à l’étranger, dans leurs filiales. En dehors de la possibilité de pouvoir mener des enquêtes spécifiques auprès des firmes, seules les statistiques du Département du Commerce américain fournissent des indications suffisantes. D’autre part, le phénomène de la délocalisation est défini de façon vague, il est trop rapidement confondu avec celui de l’investissement direct à l’étranger. Enfin, il faut noter que le

14 Cf . F. Hatem (2004). Voir aussi, rapports Ernst & Young et ANIMA/MIPO

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décollage des opérations de délocalisation est très récent et les résultats empiriques que nous avons citées portent généralement sur une période antérieure

C’est pour tenter d’aller plus loin dans le sens d’un approfondissement du phénomène délocalisation en réintroduisant des variables tenant, d’une part, aux stratégies multiples et en transformation continuelle des multinationales et, d’autre part, au caractère différencié de la notion d’attractivité selon les pays d’accueil que les prochains chapitres seront consacrés. Ils porteront sur l’analyse de l’impact sur les pays d’origine selon trois types distincts de délocalisation : la délocalisation horizontale, la délocalisation verticale de substitution et la délocalisation verticale de complémentarité.

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3. Les délocalisations horizontales Les délocalisations horizontales ou Nord-Nord s’inscrivent dans une logique de recherche de la rentabilité financière maximale. Au départ, elles reposent sur.le choix d’une stratégie de marché par les firmes. Celles-ci visent à maintenir ou à accroître leurs parts de marché à l’échelle mondiale autrement que par les exportations ou en support de ces dernières. L’objectif principal n’est donc pas de transférer certaines activités à l’étranger. Les délocalisations seront induites par les modalités de la croissance externe.

Les délocalisations horizontales se développent surtout dans la zone des économies les plus développées. Leur territoire se confond largement avec celui des pays de la « triade », selon l’appellation proposée par K. Ohmae. Ce groupe de pays attire une proportion très forte des IDE totaux, plus des trois quarts en moyenne. Elle est opérée dans la majorité des cas par des rachats d’entreprises locales et par des fusions/acquisitions

Du fait de leur logique économique, les implantations qui résultent de la délocalisation horizontale ne peuvent pas être considérées au départ comme des délocalisations au sens strict. Elles correspondent à une extension de la production de biens et services hors du territoire d’origine. L’addition d’activités productives multinationale qui en résulte ne remet pas nécessairement en cause celles qui sont menées initialement dans le pays d’origine de l’investisseur. Cependant, cette configuration est souvent temporaire. En effet, dans une seconde phase, la rationalisation du portefeuille d’activités va s’imposer. C’est elle qui va générer des délocalisations.

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La stratégie de marché

La stratégie de marché (market seeking) des firmes qui va entraîner des délocalisations horizontales est déterminée par la recherche de parts de marché plus grandes à l’échelle mondiale. Il s’agit souvent de compenser une perte de rentabilité des exportations ou l’impossibilité de développer ou de maintenir ces dernières. Plusieurs obstacles peuvent pousser la firme à produire sur place pour conserver sespart de marché :

parce qu’il existe des barrières protectionnistes tarifaires et non tarifaires,

parce que les coûts de transports sont très élevés,

parce que les produits doivent être adaptés aux préférences des consommateurs locaux, ou aux normes sanitaires ou de sécurité du pays,

parce que les services rendus exigent une relation de proximité avec le client,

parce que les économies d’échelle sont faibles au niveau de la production de l’unité délocalisée…

Quelle que soit la cause particulière qui a déterminé la décision, celle-ci est, au départ, un substitut ou un prolongement des exportations antérieures de la firme. Elle n’implique donc pas une remise en cause de l’activité de la maison-mère et de ses établissements dans le pays d’origine, mais plutôt un moyen de les renforcer, voire de les maintenir en vie. Dans bien des cas, les filiales ne sont pas spécialisées exclusivement dans la production sur place. Elles peuvent aussi servir de relais pour la distribution les produits exportés par la maison-mère dans le cas où ceux-ci ne

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font pas partie de la gamme des produits (ou services) qui sont fabriqués ou montés localement.

La vision stratégique qui prévaut se caractérise donc par le maintien, voire le renforcement des activités domestiques de la maison-mère. Les implantations à l’étranger sont perçues, dans un premier temps, comme une composante nouvelle et subsidiaire de l’expansion de la maison-mère à l’étranger. En conséquence, les activités des filiales ne sont pas vraiment intégrées dans une conception globale de la firme comme firme multinationale. La nature multinationale de la firme a d’ailleurs été rejetée assez longtemps des discours patronaux. En ce qui concerne le cas français, jusqu’à la fin des années 70, le CNPF n’admettait pas d’autre appellation que celle de « firme à vocation internationale ». Il est vrai que l’image de la multinationale à cette époque marquée par l’intervention d’ITT au Chili pour soutenir le coup d’Etat contre le Président Allende n’était pas très valorisante.

Le clivage marqué entre l’activité nationale (y compris les exportations) et l’activité des filiales à l’étranger se reflète bien dans le modèle de structure organisationnelle adopté par la grande majorité des firmes multinationales. Celles-ci mettent en place au sein de leur organigramme une nouvelle division (ou département) : la division internationale. Elle sera chargée de gérer les filiales à l’étranger. Généralement, les principes de cette gestion sont caractérisés par une forte hiérarchie. La division internationale exerce un contrôle rigoureux sur la gestion au jour le jour des filiales, leur laissant un faible degré d’autonomie. En outre, les objectifs à moyen terme sont aussi fixés au niveau de la maison-mère. La gamme des produits et le choix des équipements sont

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décidés par la division internationale. A cet encadrement s’ajoute une multiplication des autorisations préalables pour le recrutement de personnel qualifié, pour les investissements etc.…, des contrôles fréquents -- parfois tatillons -- des résultats financiers des filiales.

En dépit de ce pouvoir rigoureux, quasi-bureaucratique, exercé sur les filiales (et qui a pour effet de révolter parfois les managers locaux les plus entreprenants), leurs activités ne sont pas intégrées dans la stratégie globale de la firme. Il existe toujours une dichotomie marquée entre les activités domestiques (y compris d’exportation) et les activés à l’étranger. Finalement, l’investissement horizontal se traduit par des activités de production à l’étranger sans déplacement de celles qui existent dans le territoire d’origine. Il vise d’abord à renforcer ces dernières; la délocalisation n’est pas à l’ordre du jour Cependant, l’extension accélérée de la dimension multinationale de la firme par croissance externe, car il faut aller de plus en plus vite en face d’une concurrence sans cesse plus forte, par la multiplication des rachats, des prises de contrôle, des fusions-acquisitions, va rendre la position de non-délocalisation de moins en moins tenable.

Rationalisation des portefeuilles d’activités et délocalisation

Les modalités de la stratégie horizontale qui se développent surtout entre les économies européennes et américaines, avec un pic durant les années 90, prennent principalement la forme du rachat, de la prise de participation ou de la fusion/acquisition, plus rarement celle d’un investissement nouveau (« green field investment»). Ainsi, la délocalisation va être induite par une mutation de droits de propriété s’accompagnant d’un changement dans le contrôle des firmes étrangères. En principe, ce changement devrait être, sans

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impact sur la sphère productive, il devrait se borner à la sphère financière. Dans un premier temps, cette séparation est pertinente. Mais elle ne dure généralement pas. En effet, les rachats, les prises de participation majoritaires et les fusions/acquisitions donnent lieu, au bout d’un délai variable, à des opérations de rationalisation qui vont avoir un impact sur la structure productive du nouveau Groupe.

Cet impact se manifeste au début par le remaniement des équipes dirigeantes pour marquer le changement de pouvoir intervenu dans la firme. Ce remue ménage managérial est généralement suivi d’une phase de restructuration du portefeuille des activités du nouvel ensemble industriel et/ou financier. Ce dernier a souvent été constitué par des opérations de rapprochement par le biais, par exemple, d’OPA,hostiles ou non, entre des firmes de nationalités différentes, antérieurement concurrentes sur le marché mondial et pour le succès desquels, la rapidité dans la manoeuvre a été primordiale. En effet, la conclusion des opérations de fusion/acquisition est souvent menée dans des délais très brefs. La vitesse de réaction est une variable cruciale dans le contexte de concurrence exacerbée qui caractérise la phase de la globalisation. Cette contrainte ne permet pas toujours aux repreneurs pressés de prendre une vue complète du panier de la mariée. Ainsi le rachat par Thomson de la firme américaine RCA lui a permis de conquérir instantanément 11% du marché américain des téléviseurs. A la suite de cette opération, le repreneur, a découvert l’existence d’une usine de téléviseurs très performante à Taiwan qui venait en concurrence avec une unité localisée en France. Pour rendre le nouvel ensemble plus compétitif, il est donc nécessaire d’effectuer un travail de

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rationalisation. Il est inévitable pour que la nouvelle part du marché ne soit pas seulement le résultat de l‘addition des parts de marché des firmes regroupées mais qu’elle soit supérieure. Durant cette phase, la recherche de synergie conduit dans la majorité des cas à éliminer les doublons, à vendre ou à liquider les établissements les moins productifs, à recentrer le Groupe sur son «cœur de métier». Le résultat des arbitrages peut se traduire par la fermeture d’établissements dans le pays d’origine du repreneur au profit d’unités de production situées dans d’autres pays. Ces décisions vont s’accompagner de licenciements, de plans sociaux. Elles vont aussi conduire les unités de production qui ont été conservées dans le portefeuille du Groupe à exporter vers les différents marchés de ce dernier, y compris vers le marché d’origine de la maison-mère.

En fin de compte, les effets des restructurations s’apparentent bien à des délocalisations -- à cette différence près que celles-ci n’ont pas été programmées au départ mais qu’elles sont des retombées de la concentration industrielle transfrontalière. Celle-ci répond à la recherche de la rentabilité financière, il ne faut pas l’oublier.

Figure 1. Exemples de délocalisations horizontales

2003 OPA d’Alcan (Canada) sur Péchiney (France). En 1988, Péchiney avait lancé une OPA sur American National Can (US). Dans le secteur aluminium, Alcoa a absorbé Reynolds; Alusuisse a été racheté par Alcan; Norsk Hydro (Norvège) a repris VAW (Allemand). EADS vise des acquisitions de taille moyenne aux Etats-Unis.

L’obtention d’un marché public d’avions ravitailleurs conduirait à installer une chaîne Airbus aux Etats-Unis (Les E. 15/09/03)

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J. Immelt, Président de G-E : « G-E est très intéressé par la privatisation de la SNECMA » (Les E. 3/10/03)

Attractivité territoriale et délocalisation horizontale

La délocalisation qui est induite par la stratégie horizontale des firmes se développe dans un espace prépondérant. Ce territoire attractif est constitué par les économies américaines et européennes. Pour qu’un territoire soit attractif pour des firmes qui suivent une stratégie de délocalisation horizontale, il doit réunir en plus des prérequis nécessaires pour figurer sur la « long list » les caractéristiques suivantes :

L’existence d’un vaste marché – national ou régional – en croissance.

Des entraves aux exportations. Celles-ci peuvent être constituées par des mesures protectionnistes traditionnelles -- tarifaires et non tarifaires. Mais aussi par l’existence de barrières industrielles élevées dressées par les firmes qui sont déjà installées sur le territoire. L’absorption de ces dernières est le moyen le plus rapide de pénétrer le marché.

Des coûts de transport élevés qui réduisent la compétitivité des exportations.

Des produits ou services qui se déplacent mal ou qui exigent d’être proches du consommateur. Un tissu industriel constitué de firmes très compétitives

disposant d’une capacité de recherche-développement importante

Une notation positive du risque financier permettant

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l’intervention de circuits bancaires internationaux qui ont la capacité de lever rapidement des montants élevés de capitaux pour la réalisation d’opérations de rachats et de fusions/acquisitions.

Lorsque ces conditions sont réunies, il apparaît que l’accès le plus rapide au marché consiste à tenter de racheter des parts de marché par des OPA hostiles ou non et/ou par des participations dans des entreprises existantes. Le contrôle de certains marchés constitue un actif intangible (goodwill) dont la valeur pour les repreneurs dépasse souvent celle des immobilisations physiques.

Les Etats-Unis constituent le territoire le plus attractif pour les firmes d’origine européenne. Réciproquement, l’Union européenne constitue la première destination des firmes américaines, la seconde pour les firmes japonaises. Dans l’avenir, l’accès à la technologie pourrait attirer de plus en plus des implantations effectuées par des firmes originaires d’économies émergentes et en transition.

L’impact de la délocalisation horizontale

L’impact de la délocalisation horizontale sera analysé à différents niveaux : balance commerciale, mouvements de capitaux, flux de technologie, potentiel productif et emploi.

L’impact sur les échanges de biens et services des pays d’origine de la délocalisation horizontale devrait être limité dans le court terme mais s’amplifier à moyen/long terme.

La stratégie suivie par les firmes pour délocaliser se situe dans la continuité de leur stratégie d’expansion par les exportations. En conséquence, la production délocalisée est destinée au marché local et non pas à l’exportation. Une partie, minoritaire de la production pourra être exportée. Elle sera surtout destinée aux marchés tiers et non pas au pays d’origine car la gamme des produits des filiales est

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largement calquée sur celle de la maison-mère, elle ne vient pas s’y substituer. En revanche, dans le cas des pays tiers, les exportations des filiales pourront venir concurrencer celles en provenance de la maison-mère, introduisant ainsi une concurrence interne au Groupe. Mais elles peuvent aussi ouvrir de nouveaux marchés pour le Groupe.

En revanche, à terme, les conséquences de la restructuration du portefeuille industriel du Groupe pourraient se traduire par des importations croissantes de la maison-mère en provenance des filiales à l’étranger les plus compétitives. Ces importations se substituent à la production des unités du Groupe dans le pays d’origine qui ont été liquidées. Selon le même principe de réallocation des ressources à l’intérieur du Groupe, les importations pourront éventuellement être compensées par des ventes de filiales du Groupe dans le pays d’origine vers d’autres unités du Groupe à l’étranger.

Ces échanges présentent des caractéristiques originales par rapport au commerce international traditionnel. La première rupture, tient au fait que dans le cas de figure de la délocalisation horizontale, les échanges sont de plus en plus intra branches et qu’ils portent sur des produits finis différenciés alors qu’il sont intersectoriels dans le cadre de l’échange international décrits par les économistes depuis D. Ricardo. La seconde rupture avec le modèle orthodoxe repose sur l’existence d’une circulation internalisée entre les différentes unités du même Groupe qui structure les échanges inter/nationaux. Enfin, troisième différence, la délocalisation a entraîné une non -coïncidence entre l’espace du Groupe et celui des différentes économies nationales dans lesquelles il poursuit des activités. Il en

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résulte qu’un éventuel déficit de la balance commerciale du pays d’origine lié la restructuration provoquée par la délocalisation horizontale pourra être considéré simultanément comme négatif dans l’optique de ce dernier et comme positif dans celle du Groupe dont les résultats seront accrus. Nous le verrons, ces caractéristiques seront amplifiées dans les autres types de délocalisation.

Sur les mouvements de capitaux, la délocalisation horizontale aura les mêmes effets que pour toute forme d’investissement à l’étranger, mais souvent amplifiés.

Les implantations horizontales, quelles qu’en soient les modalités - rachats, OPA, prises de participation – pourront être financées, en partie, par des sorties de capitaux alimentées par le cash flow de la maison-mère. Certaines opérations de fusion/acquisition portent sur des sommes considérables pouvant atteindre plusieurs milliards de dollars. Néanmoins, leur impact restera limité. En effet, l’intégralité de ces sommes ne sera pas transférée hors du pays d’origine, au risque d’assécher les réserves en devises de la Banque centrale, d’affaiblir la monnaie du pays et de provoquer un effet d’éviction pour le financement des investissements domestiques. Le Groupe financera une large partie de ses besoins par des emprunts internationaux gérés par des banques d’investissement spécialisées avec effets de levier (LBO), éventuellement par du cash flow généré par ses filiales dans le pays d’implantation, enfin, par des échanges de titres avec la firme qui passe sous son contrôle (OPE).

Dans le cas des firmes américaines, depuis les années 60, le financement des investissements directs par des sorties de capitaux hors des Etats-Unis représente moins de 20% du total. Les délocalisations ne sont vraisemblablement pas une cause

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significative du déficit de la balance des capitaux. Elles pourraient plutôt constituer une source d‘excédents par le jeu des flux à l’entrée nourris par le rapatriement des dividendes, le paiement des intérêts sur les prêts aux filiales, et les redevances technologiques. Dans le cas des pays où les firmes multinationales sont installées depuis longtemps, dans le cas des firmes américaines en Amérique latine et en Europe par exemple, les flux de sorties de capitaux générés par les filiales, certaines années, sont supérieurs au montant des investissements directs nouveaux. Un constat qui permet d’alimenter périodiquement la dénonciation des méfaits de l’impérialisme, sur la base d’une argumentation discutable. L’effet d’éviction opéré par les investissements à l’étranger au détriment des investissements domestiques est mentionné de temps à autre. L’argument n’est pas nouveau. Il était déjà utilisé à la fin du XIXe siècle par des auteurs qui voyaient dans les sorties massives d’or pour financer les prêts au Tsar ou au Pacha la cause du retard d’industrialisation de la France. Bien évidemment, les capacités propres de financement des firmes ne sont pas illimitées; mais la sophistication croissante des effets de levier et, surtout, la rentabilité escomptée des projets facilitera l’octroi de nouveaux crédits. L’effet d’éviction éventuel ne proviendra pas du jeu supposé à somme nulle des capacités de financement d’un pays mais du différentiel de profit entre les investissements domestiques et les investissements à l’étranger.

Sur les flux de technologie, la délocalisation horizontale peut avoir un impact positif (ou inverse).

L’hypothèse de transfert inverse se réalise dans le cas où la fusion-acquisition s’accompagne du contrôle d’une entreprise locale ayant

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un fort potentiel en R&D, ou dans celui où une nouvelle implantation est localisée dans un pôle technologique pour bénéficier des économies externes. Dans les années 70, l’accès aux nouvelles technologies constituait selon l’étude de L. Franko15, un déterminant majeur des firmes européennes investissant aux Etats-Unis. Il ne faut pas oublier que la délocalisation horizontale se développe de façon prépondérante à l’intérieur de la zone des pays qui ont les capacités scientifiques et technologiques les plus hautes. La formation d’alliances entre firmes des nationalités différentes portant sur des programmes de R&D en commun poursuit des objectifs semblables. Les partenaires partagent le risque d’un échec mais restent concurrents dans l’hypothèse d’une innovation majeure pour un produit ou un procédé.

Le transfert de technologie inverse permet un renforcement de la compétitivité de la maison-mère. Cependant, tout risque tenant à la délocalisation, ne serait-ce que partiel, ne saurait être écarté. En premier lieu, la décision du Groupe de déplacer des capacités de R&D vers le pays qui dispose d’une avance technologique dans certains secteurs peut devenir irréversible. Souvent, seuls des programmes de recherche spécifiques sont concernés, ce qui ne remet pas en cause l’existence de centres de R&D dans le pays d’origine. Mais il s’agit généralement des recherches les plus en pointe. Par la suite, il ne sera pas facile de les rapatrier. D’une part, parce que les effets des économies externes ne sont pas mobiles. Ils sont indissociables de la localisation des centres de R&D publics et privés et de celle des fournisseurs ou des partenaires industriels qui détiennent des avantages technologiques spécifiques dans des

15 Franko L. The European multinationals (Stanford, Greylock, 1976)

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« pôles de compétitivité », version nouvelle du vieux concept de district industriel développé par A. Marshall au début du XXè siècle. D’autre part, parce qu’il sera difficile de faire renoncer les chercheurs aux bénéfices d’un environnement et de conditions de travail qu’ils ne pourront pas retrouver dans leurs pays d’origine. En second lieu, des opérations de fusion/acquisition ou d’alliance technologique peuvent avoir des conséquences négatives sur la R&D localisée dans les pays d’origine des partenaires. En effet, par souci de rationaliser le potentiel du nouveau Groupe né de la concentration ou de l’alliance, il peut être décidé de fermer certains laboratoires ou de fusionner les équipes au sein d’un centre unique pour obtenir des économies d’échelle. Le vide créé dans le potentiel scientifique et technologique du pays d’origine peut être grave. En effet, pour les économies très développées qui constituent la zone de prédilection de la délocalisation horizontale, l’avance technologique est au cœur de leur compétitivité sur le marché mondial. La délocalisation peut favoriser la polarisation de la recherche avancée et des innovations dans un nombre de plus en plus restreint de pays.

L’impact sur la compétitivité des structures industrielles et sur l’emploi sera probablement positif dans un premier temps.

L’arrivée des firmes étrangères dans d’autres économies de la Triade ne devrait pas avoir de conséquences notables sur le potentiel productif de l’économie d’origine à court terme du moins. Elle va permettre de renforcer la taille des firmes nationales, d’accroître le montant de leur chiffre d’affaires et de leurs résultats consolidés. Il n’y a donc apparemment aucune raison de fermer des capacités productives. Au contraire, comme nous l’avons déjà noté

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plus haut, les filiales à l’étranger peuvent servir de relais pour les exportations en provenance du pays d’origine. En outre, l’ouverture de nouvelles usines ou la réhabilitation de celles qui ont été rachetées peut générer des flux d’exportation qui bénéficieront à d’autres secteurs que celui dans lequel se trouve la firme - comme celui des machines outils.

Néanmoins, des effets en retour négatifs peuvent apparaître au bout d’un délai plus ou moins long -- quand il apparaîtra que certains actifs industriels ou de services acquis à l’occasion du contrôle des entreprises étrangères ou après une OPA réussie, sont plus performants que certains actifs situés dans le pays d’origine. Alors, la tentation sera grande pour le management d’effectuer une rationalisation du portefeuille d’activités du Groupe qui pourra se solder par la fermeture ou la liquidation de certaines d’entre elles, situées dans le pays d’origine. Ce point a déjà été noté. Il existe d’autres implications. Les opérations de croissance externe à l’étranger peuvent entraîner aussi une réduction du nombre des équipementiers et des sous-traitants utilisés dans le pays d’origine. Dans certaines branches, les fournisseurs du pays d’implantation peuvent se révéler plus efficients que ceux du pays d’origine; dans d’autres, les fournisseurs suivent leurs clients et s’installent à proximité de leurs nouvelles implantations à l’étranger. Au total, la délocalisation horizontale est porteuse d’effets en retour sur les structures industrielles qui peuvent favoriser un processus de désindustrialisation….

L’impact sur l’emploi et les salaires sera le résultat cumulé des différentes dimensions qui viennent d’être passées en revue. Néanmoins, il est à prévoir que l’impact de la délocalisation horizontale va moins jouer par le biais des échanges selon l’optique traditionnelle de la théorie des échanges, que par les effets en retour

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sur les capacités technologiques et industrielles des territoires d’origine. Entre les économies concernées par les mouvements de la délocalisation horizontale, la productivité du travail et les taux de salaires ne sont guère différents et ne justifient pas, à eux seuls, un déplacement des unités de production. En revanche, ce sont entre ces pays que résident principalement les enjeux de la concentration dans l’industrie, les services et la R&D. Les effets immédiats sur l’emploi et les salaires seront peu perceptibles au début pour une opération donnée. Mais à moyen terme, la rationalisation des portefeuilles d’actifs industriels et technologiques qui suit les OPA risque d’avoir des conséquences à un double niveau. En premier lieu, sur le taux de chômage des travailleurs les moins qualifiés dans les industries les moins compétitives par suite de la fermeture des unités de production qui font double emploi et qui sont moins performantes. En second lieu, sur l’offre de personnels à très haute qualification dans la recherche, les technologies de pointe et le management dans les différents pays où le Groupe a des implantations. Les économies les plus compétitives sont aussi les plus attractives. C’est le cas actuellement pour l’économie américaine. Pour retenir ceux et celles qui sont tentés par l’expatriation, il sera nécessaire d’améliorer rapidement leur rémunération et leur environnement de recherche. Ce mouvement va augmenter les inégalités dans l’éventail des revenus entre les travailleurs sédentaires peu qualifiés, jeunes et âgés, cantonnés sur le marché domestique et les travailleurs nomades très qualifiés et jeunes qui peuvent se vendre sur le marché mondial.

Dans le long terme, pour réduire les effets négatifs de la délocalisation horizontale, il faudra rendre l’économie d’origine

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plus attractive – ce qui constitue un défi d’une autre ampleur. Sans cet engagement qui relève plus généralement de la gouvernance publique, c’est l’écart entre les économies de la Triade, et plus particulièrement entre les Etats-Unis et l’Union européenne, qui risque de se creuser dans l’avenir.

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4. Les délocalisations verticales de substitution L’objectif principal des stratégies verticales d’investissement des firmes est de minimiser leurs coûts de production. Dans cette logique, les délocalisations correspondent dès lors à la recherche délibérée de ressources moins chères (outsourcing). La nature des ressources recherchées en priorité varie en fonction de l’activité principale des entreprises : énergie, matières premières du sol ou du sous-sol, capitaux, technologie, main d’oeuvre qualifiée ou non qualifiée, économies externes liées aux effets d’agglomération, coûts de transports, etc.

Cette quête est principalement orientée vers les territoires économiquement moins développés que ceux dont les firmes sont originaires. La délocalisation verticale est Nord-Sud. Il s’agit là d’une première grande différence avec la délocalisation horizontale. La seconde est que la stratégie verticale demeure beaucoup moins fréquemment suivie par les firmes. Cette différence se lit dans la répartition géographique des IDE entre le Nord et le Sud (trois quart/un quart en moyenne sur la longue période).

Dans la mesure où certaines délocalisations sont inévitables car elles sont déterminées par des insuffisances dans la dotation en facteurs des territoires d’origine des firmes tenant au climat, à l’absence de gisements d’hydrocarbures ou au manque de terres arables etc. …, l’analyse de la délocalisation verticale sera concentrée sur des activités mobiles dans les secteurs de l’industrie et des services. Ce sont aussi des activités qui utilisent le facteur travail avec intensité avec des niveaux de qualification variables.

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Or, c’est précisément l’impact des délocalisations sur l’emploi et le niveau des salaires qui suscite les plus grandes peurs dans les pays d’origine. D’où l’importance probablement exagérée, donnée dans l’opinion publique aux opérations de délocalisation verticale.

Cependant, il serait erroné de penser que les délocalisations relevant de la stratégie verticale des firmes hors de la Triade est la même dans toute la zone moins développée. Le « reste du monde » est devenu très diversifié. Cet ensemble ne peut être réduit à notre époque, à un seul tiers monde, à une périphérie homogène, à un Sud abstrait. Les territoires du sud de la Méditerranée et ceux de l’Est de l’Europe pour ne prendre que cette illustration n’offrent pas la même attractivité pour les investisseurs potentiels qui, de toutes façons, à l’heure actuelle préfèrent manifestement les territoires asiatiques, singulièrement la Chine.

Ce constat conduit à proposer deux modalités différentes de la délocalisation verticale : une délocalisation de substitution et une délocalisation de complémentarité (ou de partenariat). Les caractéristiques de l’une et de l’autre ne concernent pas les mêmes zones géographiques, même si les frontières entre les unes et les autres ne sont pas gravées dans le marbre et autorisent des chevauchements. En effet, il ne faut jamais oublier que l’attractivité des territoires n’est pas figée; elle évolue dans le temps car elle est largement construite par les politiques de promotion des investissements et les rythmes de développement. La Chine constitue, à nouveau, une illustration majeure de l’évolution constante de l’attractivité entraînée par le dynamisme de l’économie.

Il résulte de la prise en compte de ce constat que l’opinion, très répandue, selon laquelle il existe un « trade-off » généralisé entre

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les pays cherchant à attirer des projets relevant d’une logique de délocalisation, est largement erronée. Dans cette optique, il est possible d’avancer l’idée qu’il n’existe pas, aujourd’hui, une rivalité « naturelle » entre les pays MEDA et ceux des PECO comme nous le montrerons plus loin. Les mouvements de délocalisation orientés vers l’une ou l’autre zone répondent, en majorité, à des déterminants différents. Le présent chapitre sera centré sur la délocalisation de substitution. Le prochain portera sur la délocalisation de complémentarité.

La rationalité de la délocalisation de substitution

Les délocalisations de substitution sont celles qui frappent le plus l’opinion et les pouvoirs publics. Leur généralisation progressive à toutes les opérations de délocalisation attise la peur et pousse à voir dans ces dernières la cause majeure du chômage et du creusement des inégalités dans les pays d’origine, ceux de la Triade. Pourtant, le mouvement des délocalisations de substitution est circonscrit car il concerne un petit nombre de secteurs et un petit nombre de territoires d’accueil.

La délocalisation de substitution porte sur le déplacement vers un territoire étranger de la quasi-totalité de la chaîne de valeur de certaines branches de l’industrie et des services. Les exemples les plus souvent cités sont la fabrication des jeans et celle des chaussures de sport qui ont quitté le territoire américain; les nouveaux investissements de presque tous les constructeurs d’automobiles qui se font majoritairement hors de leurs territoires d’origine et qui entraînent avec eux les équipementiers; les banques d’investissement qui déplacent leur back office vers certains pays

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du Sud et les sociétés de l’informatique qui les suivent ou les précèdent pour l’élaboration de leurs logiciels. Encore une fois, ce mouvement n’est évidemment pas généralisé à toutes les activités économiques, il ne concerne que certains secteurs. Mais ce qui engendre l’angoisse justifiée des travailleurs menacés (et le succès du mouvement alter mondialiste), c’est que le nombre des secteurs candidats à la délocalisation augmente sans cesse. Cependant, il ne faut pas oublier que cette tendance n’est pas seulement liée à la stratégie de minimisation des coûts des firmes, est liée aussi à la multiplication des territoires attractifs – un point sur lequel on reviendra plus loin.

Cette forme de délocalisation peut être qualifiée de délocalisation de substitution car la production de certains biens et services dorénavant effectuée à l’étranger remplace celle qui était effectuée antérieurement sur le territoire d’origine. Elle aura une double conséquence : celle d’entraîner, immédiatement ou après un certain délai, la fermeture des installations industrielles ou de services qui sont restés sur place, dans les pays d’origine et l’importation par ces derniers des biens et services dont la production a été délocalisée. La logique des entrepreneurs est claire : ils peuvent faire (ou faire faire) ailleurs la même chose que ce qu’ils faisaient jusque là dans leur pays d’origine à un coût plus bas. La différence de coût tient principalement à un écart des coûts salariaux largement supérieur à celui de la productivité (il ne s’agit donc pas de prendre seulement en compte les taux de salaire). Mais il tient aussi à une offre de terrains industriels meilleurs marchés, un tissu de fournisseurs locaux performants, d’une énergie moins chère etc. Ces facteurs correspondent largement à des avantages de localisation du territoire d’accueil. Il faut leur ajouter un dernier facteur, souvent oublié, la pression de la concurrence

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oligopolistique entre les firmes à l’échelle mondiale dans un secteur donné. Un nombre croissant de firmes de la même nationalité ou de nationalités différentes, appartenant au même secteur, suivent la même logique de délocalisation. Les autres firmes du secteur sont obligées de suivre au risque d’être éliminées car c’est la compétitivité-prix qui règne et les coûts unitaires jouent dans ce cas un rôle déterminant.

L’effet d’imitation lié à la concurrence oligopolistique peut déclencher deux effets multiplicateurs de délocalisation. D’une part, la polarisation des délocalisations sur un même territoire peut intensifier les effets d’agglomération qui vont à leur tour renforcer la tendance. D’autre part, l’ampleur croissante du mouvement de délocalisation qui est ainsi déclenchée risque de créer ou de renforcer des situations de sur-capacité de production à l’échelle mondiale dans certains secteurs. Pour combattre ces conséquences, la tentation sera forte pour les firmes concernées d’accélérer la fermeture des unités de production moins rentables dans les territoires d’origine.

Délocalisation de substitution et cycle international du produit

La délocalisation de substitution est donc un phénomène de création/destruction à la Schumpeter. Mais à cette différence près, essentielle, que les deux phases du processus dynamique caractéristique du capitalisme vont prendre de moins en moins souvent place dans le même pays. Ce qui va se traduire, à terme, par une nouvelle spécialisation internationale. Pour faire écho à une remarque qui a déjà été faite, il faut souligner que cette nouvelle

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spécialisation du travail n’obéira pas à la logique ricardienne des échanges mais qu’elle sera provoquée par les choix de localisation de leurs unités de production par les firmes. Ce qui signifie qu’elle repose dès le départ sur la mobilité des facteurs de production et non pas sur l’invariance des dotations territoriales de facteurs. Elle se situe davantage dans l’optique smithienne de la division technique du travail liée à la taille du marché et à la création d’avantages absolus16. Elle obéirait assez bien au modèle réellement innovateur formulé il y a près de 40 ans par R. Vernon (Vernon, 1966) qui retrouve ainsi une actualité nouvelle.

La délocalisation de substitution relève de la logique du cycle international du produit. Elle concerne les secteurs qui sont dans la phase de la maturité, c’est à dire ceux dont la technologie est standardisée donc largement accessible et dont les marchés d’origine sont en voie de saturation. Il faut bien entendu apporter des correctifs par rapport à la présentation initiale de cette explication. Ils tiennent aux changements intervenus dans l’économie mondiale. Ainsi, aujourd’hui, le cycle du produit opère désormais directement des pays de la Triade aux économies émergentes ou en transition. Il ne passe plus par la première étape du schéma de R. Vernon, qui était constituée par les IDE américains vers la Communauté économique européenne. N’oublions pas qu’il cherchait à rendre compte du « sectoral drift », selon sa formule, des années soixante. Aujourd’hui, les pays de la Triade (y compris le Japon, qui ne figurait pas dans le modèle de R. Vernon !) forment un espace relativement homogène à l’intérieur duquel joue la

16 Nous avons développé ce point dans C-A Michalet « La spécialisation internationale n’est plus ce qu’elle était » in P. Dockès (sous la direction de) : Ordre et désordres dans l’économie-monde (PUF, Quadrige, 2002)

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délocalisation horizontale et où la diffusion des nouveaux produits est quasiment instantanée. Depuis l’époque de la parution de l’article de R. Vernon, les économies émergentes ou en transition ont pris la place de la CEE dans le mouvement de la dérive des secteurs. Mais la logique de la tendance demeure. La délocalisation démarre quand un certain nombre de pays hors de la zone triadique sont parvenus à avoir la capacité technologique, industrielle, institutionnelle pour produire certains biens et services dont les économies du centre avaient jusqu’alors l’exclusivité. Il en résulte une conséquence importante : à partir du moment où la capacité d’absorption des territoires d’accueil est prise en compte -- en d’autres termes, compte tenu de leur attractivité – il est évident que la délocalisation de substitution ne pourra pas se développer également dans tous les pays. Elle se dirigera en priorité vers ceux qui ont un potentiel d’absorption suffisant.

Néanmoins, comme le montre encore l’analyse de R. Vernon, la frontière entre les produits standardisés et les nouveaux produits est par définition mobile. Le cycle du produit, dans les conditions normales de lancement de nouveaux produits, ne s’arrête jamais. Ce qui signifie que les pays qui génèrent une délocalisation de substitution ne vont pas disparaître de la surface du globe, sauf dans le cas où ils perdent toute capacité d’innovation. Cette remarque permettra d’introduire plus loin une délocalisation d’un autre troisième type : la délocalisation de complémentarité (ou de partenariat).

Figure 2. Exemples de délocalisations de substitution

Nortel (Canada) équipementier télécoms a décidé de céder les activités de production qui lui restent au Canada, Brésil, Irlande et

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en France (Chateauroux). Lextronics (Singapour) est intéressé. Nortel veut se concentrer sur les nouveaux produits et les équipements complexes multitechnologies. En France le nombre des salariés a diminué de moitié depuis 2000. En 1999, Nortel avait cédé une partie de ses activités à Châteaudun, en 2000 Guyancourt à Sanmina qui les a transféré hors de l’hexagone. Nortel conserve ses sites de R&D et de support client.(Les E. 23/01/04)

Déclarations de Jefferey Immelt, PDG de G-E : « Pour G-E, la Chine, c’est surtout l’ouverture d’un gigantesque marché (…) Mais pour vendre sur un marché, il faut y être implanté. (…) Tant que nous continuerons à investir dans la technologie, il y aura plus à gagner qu’à perdre dans notre relation avec la Chine.( …) Ce qui rend la Chine si intéressante, ce n’est plus l’attrait de ses bas coûts salariaux, mais la qualité de sa main d’œuvre très formée et dotée d’un niveau de formation technologique très élevé. » (Les E. 3/10/03)

Alcatel : de 130 000 salariés dans le monde en 2000, le Groupe est passé à 60 000. En France, les effectifs sont passés de 35 000 à 19 000. Mouvement généralisé d’externalisation qui a touché le tiers des effectifs. Par ex., les sites de Laval, de Brest et de Cherbourg ont été cédés à des sous-traitants asiatiques (Flextronics, Jabil, Salmina) qui sont tentés de transférer les activités en Chine. (Les E. 6/02/04)

Siemens menace de délocaliser 2000 emplois vers la Hongrie. Il s’agit d’usines en Allemagne qui fabriquent des téléphones fixes et portables. En novembre, projet de déplacer 10 000 postes de travail de l’activité logiciel vers l’Europe de l’Est. Déclaration du Président du Groupe : « La concurrence asiatique est déjà extrêmement élevée. L’élargissement à l’Est de l’Union européenne va encore renforcer le problème. » (Les E. 13/03/04)

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Philips va fermer ou vendre 50 des 150 sites de production qui lui restent dans le monde. En 5 ans, Philips a déjà cédé 120 sites de production. Le nombre de salariés est tombé de 265 000 en 1997 à 170 000. Depuis 5 ans, 4 usines ont été fermées en France où le nombre des salariés est passé de 12 000 à 8500. Philips veut se concentrer sur le marketing et l’innovation plutôt que sur la production. (Le M. 26/08/03).

Thomson cède à la firme chinoise TCL à travers la création d’une J-V dont il détiendra 33%, toute son activité de production de téléviseurs et de lecteurs DVD. Ces activités qui représentaient 57% de son chiffre d’affaires étaient fortement déficitaires; leur transfert permet à Thomson d’augmenter sa rentabilité. Thomson conserve l’activité écrans et composants qui seront fournis à la nouvelle joint-venture. Plus de la moitié du chiffre d’affaires de Thomson sera désormais générée par des activités destinées aux créateurs de contenus (duplication de DVD, postproduction) et aux opérateurs de réseaux (produits et services de diffusion, infrastructures) qui ont une rentabilité beaucoup plus élevée que les produits grands publics (14% de marge d’exploitation contre 4%). (Les E. 4/11/03)

La joint-venture LG-Philips va investir 18 milliards d’euros dans la production d’écrans plats dans un nouveau site de production en Corée qui sera aussi un grand centre de R&D. Financement important du gouvernement coréen. Il s’agit d’une réponse à la concurrence de LCD-Thomson et à l’accord Sony /Samsung pour produire des téléviseurs à écrans plats. (Les E. 91/03/04)

Gillette délocalise ses activités européennes en Pologne, en faisant un investissement de 120 millions d’euros à Lodz (avec subventions locales) pour construire une nouvelle usine. La

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production sera destinée à l’europe de l’ouest et à la zone russe. (Les E.17/03/04)

La division lingerie du groupe américain Sara Lee a annoncé qu’elle allait fermer 5 usines et supprimer près de 4 200 emplois, principalement en Amérique centrale d’ici fin 2004. Quelques 150 salariés du siège social de Winston–Salem sont aussi concernés. En France, 2 usines avaient été fermées en 2001 et leur production délocalisée en Roumanie. (Le M. 15/06/04)

Facom, spécialisé dans l’outillage et les équipements de garage va fermer deux usines, l’une en France (208 salariés) et l’autre en Allemagne. Ses résultats se détériorent du fait de la concurrence asiatique. Les coûts horaires français pour des produits d’entrée de gamme (clefs plates, douilles, pinces), sont 38 fois plus élevés qu’en Chine et 60% plus cher qu’aux USA. Falcon va acheter de plus en plus de produits en provenance de Taiwan (1/3 de ses approvisionnements). (Les E. 19/05/04).

Salomon, leader mondial des articles de sports d’hiver va démarrer en 20 04 la production de skis en Roumanie où il fabrique déjà des chaussures et des fixations. En Chine, il fabrique déjà le textile, les chaussures et la bagagerie. De son coté, Décathlon a l’ambition de s’attaquer au marché mondial avec des skis à moins de 300 euros qui seront sous-traités en Europe de l’est, Afrique du Nord et Asie. Rossignol sous-traite à l’étranger 47% de ses ventes : textile en Turquie, Maghreb, Portugal et Chine; balles de golf, assemblage de chaussures, fixations de snow-board et patins en ligne en Chine. La totalité de la production de skis de fond a été délocalisée en Espagne et un tiers de celle des skis. (Le M. 04/01/04)

Peugeot va lancer la production de la 307 en Argentine qui est destinée à tout le marché d’Amérique latine. Et cela malgré les

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pertes enregistrées dans le pays durant les dernières années. Il s’agit de parier sur la reprise et de contrer les avancées de Ford, G-M et WV dans la région. (Les E. 25/03/04

Renault a annoncé son intention de doubler à moyen terme la production de sa filiale en Slovénie en investissant 400 millions d‘euros. La production s’élèvera à 210 000 voitures dont un nouveau modèle qui pourrait être la remplaçante de la Twingo. Le site de Valladolid qui produisait des Clio va se voir confier l’assemblage exclusif de la nouvelle Modus. La nouvelle Clio sera produite à Flins mais aussi en Turquie avec la Mégane tricorps. (Les E. 01/06/04)

Renault va exporter vers Europe, dès 2007, son futur véhicule de loisir 4x4 qui sera fabriqué en Corée par sa filiale Renault-Samsung Motors.(31/03/04)

Enfin une bonne nouvelle : le groupe Hiolle Industries spécialisé dans le transfert d’équipements industriels et d’usines complètes vers les pays émergents a réalisé un chiffe d’affaires de 30,7 millions d’euros en 2003, en croissance par rapport à l’année précédente, dont 56% dans les transferts transcontinentaux et les services industriels. Par exemple, le groupe a transféré une sidérurgie complète d’Usinor de Caen à Handan en Chine. Il a aussi reçu mandat de ce pays pour le transfert de 8 centrales thermiques. (Les E. 19/05/04)

Attractivité territoriale et délocalisation verticale de substitution

Les prérequis majeurs pour qu’un territoire attire l’attention des investisseurs multinationaux étant supposés réunis, quelles sont les

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conditions indispensables pour qu’une délocalisation de substitution soit décidée :

Une offre abondante de main d’œuvre à forte qualification, en particulier dans le secteur manufacturier. La formation et l’expérience industrielle doivent être disponibles à tous les niveaux : de l’ingénieur aux techniciens supérieurs en passant par la maintenance. Elle permettra un recyclage rapide du personnel aux nouvelles technologies;

Un tissu industriel performant ou facile à réhabiliter, une forte densité de PME performantes, c’est à dire capables de respecter les spécifications techniques des produits (ou des services), les délais de livraison et les prix. Soulignons que ces critères sont définis par rapport aux normes en vigueur sur le marché mondial;

Des coûts de transports peu élevés;

Un marché domestique de taille significative et/ou ouvert sur un marché régional de grande taille, ce qui constitue un surcroît d’attractivité significatif… Dans cette perspective, la constitution d’ensembles régionaux entre économies inégalement développées comme dans le cas de l’ALENA, ou dans celui de l’élargissement récent de l’Union européenne est un facteur favorable à la délocalisation de substitution.

L’absence de barrières à l’entrée et à la sortie, pour les importations de biens d’équipement et les exportations de produits finis, ainsi que pour les investissements directs (secteurs protégés, entreprises déjà installées); liberté aussi pour la circulation du personnel qualifié (permis de séjour, permis de travail).

Une fois ces conditions en place, l’implantation des firmes étrangères pourra revêtir des modalités diverses. Dans les

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économies émergentes et en transition, il existe souvent depuis le milieu des années 80 pour les premières, depuis le début des années 90 pour les secondes, des programmes de privatisation qui sont susceptibles d’intéresser les investisseurs étrangers, dans la mesure où ils sont admis à y participer. Les prises de participation dans des entreprises existantes sont aussi fréquentes; parfois à la demande du management local dans la perspective du « partenariat stratégique ».Elles sont souvent accompagnées d’investissements de réhabilitation, de modernisation et de recyclage de la main d’oeuvre. Les firmes étrangères peuvent aussi décider d’effectuer un investissement « green field ». Ce dernier choix est influencé par l’existence d’un phénomène d’agglomération de firmes locales et étrangères dans des districts industriels spécialisés, autour de grandes métropoles.

A l’heure actuelle, dans le cadre de la zone européenne, les pays les plus attractifs pour une délocalisation de substitution sont ceux qui viennent d’être récemment admis dans l’Union européenne. La Turquie pourrait elle aussi être incluse dans ce cercle.

L’impact de la délocalisation verticale de substitution

Même si la perception est confuse, c’est indéniablement la délocalisation verticale de substitution qui alerte le plus l’opinion publique, qui conduit certains, de plus en plus nombreux depuis le début du nouveau millénaire, à brandir l’étendard de l’alter-mondialisation. Il est vrai que l’impact à court terme sur les différentes variables que nous avons retenues est plus spectaculaire que celui de la délocalisation horizontale :

Sur les échanges, la délocalisation de substitution devrait entraîner

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à la fois une diminution des exportations de biens de consommation et une augmentation des importations.

Cet impact devrait avoir pour effet de dégrader la balance commerciale du pays d’origine. Cependant, les recettes liées à la vente de services technologiques et par le rapatriement d’une partie des profits effectués par les filiales pourraient compenser en partie le déficit des transactions réelles.

En conséquence, les exportations des pays d’origine vers les pays receveurs de la délocalisation vont changer de nature. La part des produits finis va diminuer au profit des biens d’équipement vers les entreprises qui ont besoin d’être modernisées dans le cas de la prise de contrôle d’entreprises existantes et d’être équipées dans celui d’investissements nouveaux. Il est à noter aussi que la délocalisation peut favoriser l’exportation de matériels de seconde main. Les ateliers des pays d’origine seront démontés et expédiés vers les pays d’implantation. Cependant, ces flux d’exportations devraient se tarir avec le dépassement de la phase d’équipement et de réhabilitation. Il est à prévoir que les exportations des biens et services vers les pays d’origine, là où leur production était antérieurement localisée vont se gonfler, si la demande pour ces biens ne diminue pas au Nord. Or, sur ce dernier point, l’hypothèse la plus probable est que les marchés pour les anciens produits nouveaux initialement fabriqués au Nord vont se déplacer progressivement vers le Sud. Ainsi, il n’est pas interdit de penser que la délocalisation de substitution pourrait déboucher sur une intensification des échanges Sud-Sud. Une rupture spectaculaire avec une longue tradition qui rencontre les recommandations du Groupe des 77 et de la CNUCED, régulièrement reprises depuis la dernière réunion de négociations de l’OMC à Doha. Par exemple, il ne serait pas étonnant que, dans quelques années, la délocalisation

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de la production d’automobiles d’origine européenne dans les PECO puisse entraîner une augmentation des biens d’équipement en provenance de la Corée, de l’Inde ou de la Chine.

Dans le moyen terme, il est probable que les échanges Nord-Sud se maintiendront sur la base d’une croissance des exportations de biens et services non délocalisés. Pour au moins deux raisons. D’une part, la croissance des territoires attractifs est forte, leur revenu par tête augmente rapidement, ce qui crée une demande pour les biens de consommation nouveaux, de haut de gamme qui continueront à être produits principalement dans les pays d’origine où restera concentrée pendant encore un certain temps les capacités créatives, entre autres dans le design. D’autre part, ces derniers devraient pouvoir exporter des biens d’équipement plus sophistiqués destinés aux usines des économies émergente et en transition qui vont se trouver exposées à leur tour à la concurrence sur le marché mondial pour les produits manufacturés.

Ainsi, alors que la délocalisation verticale de substitution semble, à première vue, reconstituer une spécialisation de caractère ricardien, c’est à dire intersectorielle – par exemple, importation par le pays d’origine de produits de consommation et exportation de biens d’équipement – les flux Sud-Sud pourraient, eux, revêtir la forme d’échanges intra industriels comme dans l’hypothèse examinée précédemment de la délocalisation horizontale. Cependant, ils seront moins souvent internalisés car le degré de multinationalisation des firmes du Sud et de l’Est est moins élevé. Les caractéristiques de cette nouvelle géographie économique vont se retrouver dans l’impact sur les flux de technologie et sur les structures industrielles.

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Les flux de capitaux nécessités par la délocalisation de substitution seront généralement moins importants que ceux réclamés par les opérations de délocalisation horizontale.

Les IDE sous forme de fusions/acquisitions ou de « brown investment » (rachats, prises de participation, reprises de firmes publiques privatisées) portent sur des entreprises locales qui coûtent moins cher que dans les économies développées. La délocalisation verticale de substitution exige une mobilisation de capitaux plus faible que la délocalisation horizontale. Dans le cas des « green field investment » une partie de l’équipement peut être fournie par la maison-mère sous forme de matériel d’occasion. En outre, le projet peut recevoir un financement de la part des organisations multilatérales ou bilatérales à des conditions intéressantes, sous forme de prêts ou, éventuellement, de prises de participation minoritaires de la BERD ou de la SFI par exemple. S’y ajoutent les avantages offerts par les gouvernements des pays receveurs : exonérations fiscales, prises en charge des dépenses d’infrastructures, prix bonifiés des terrains etc. Les redevances technologiques vont se gonfler avec l’assistance technique qui accompagne les délocalisations. Ajoutés au rapatriement d’une fraction des profits vers la maison-mère, ces flux de capitaux pourront compenser totalement ou en partie le déséquilibre de la balance commerciale entraîné par l’accroissement des importations des biens délocalisés.

Dans une première phase, les transferts de technologie seront unilatéraux : ils accompagneront le déplacement des capacités productives vers les pays émergents et en transition.

L’impact négatif pour les pays du Nord sur leur avantage technologique devrait être négligeable du fait que les industries

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délocalisées se trouvaient dans la phase de maturité ou de déclin du cycle de vie du produit. Le risque de perte de l’avance technologique qui avait été signalé dans l’analyse menée plus haut de la délocalisation horizontale est écarté dans la délocalisation de substitution. Bien plus, la délocalisation pourra avoir un effet positif. En effet, la technologie transférée est déjà standardisée et la délocalisation constitue, en fait, un allongement de la durée de vie du produit et une source de redevances qui prennent l’allure d’aubaine. En toute hypothèse, la production délocalisée aurait du être abandonnée dans le pays d’origine sous les coups de la concurrence internationale. En revanche, il n’y aura pas de transferts inverses comme dans la délocalisation Nord-Nord.

La seule question qui pourrait se poser en matière d’impact indirect pour les pays d’origine porte sur la capacité des firmes qui son restées dans ces derniers à maintenir un potentiel de R&D et d’innovation en dépit du fait que leur base industrielle a disparu ou s’est réduite. Dans l’hypothèse où la capacité d’innovation ne serait pas sauvegardée, la délocalisation pourrait conduire à un étiolement progressif des capacités technologiques de l’économie d’origine. Cette remarque renvoie à l’impact sur les structures industrielles.

La délocalisation verticale de substitution va bouleverser les structures industrielles des économies d’origine.

C’est sans doute au niveau des structures industrielles des pays d’origine que l’impact sera le plus fort, même s’il n’apparaît pas immédiatement. Le transfert de pans entiers de la production de biens et services par un nombre croissant de firmes peut conduire à un processus de désindustrialisation dans certains secteurs. Ce

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processus peut revêtir trois formes. En premier lieu, l’investissement à l’étranger peut être accompagné rapidement d’une fermeture des unités de production sur le territoire d’origine auxquelles ont été substituées les implantations à l’étranger. En second lieu, même dans le cas où les fermetures d’usines auront été limitées dans un premier temps, à terme, le développement de la production à l’étranger aura un effet en retour générant des surcapacités de production dans les secteurs délocalisés. Dans la mesure où les unités de production qui ont été installées au Sud ou à l’Est seront plus rentables, du fait de l’abaissement des coûts de production dus aux coûts salariaux plus bas, d’usines plus modernes et plus productives, la fermeture des sites dans le pays d’origine deviendra inévitable. La croissance accélérée du secteur de la construction automobile dans les PECO ou en Chine pourrait constituer une bonne illustration de cette situation17. En troisième lieu, la délocalisation de certaines usines décidée par un Groupe aura pour effet d’entraîner avec elle la délocalisation d’une partie des sous-traitants, des fournisseurs et des équipementiers. Là encore, le secteur automobile constitue un bon exemple.

Cependant, en dépit de ses conséquences sociales, souvent douloureuses, sur lesquelles nous reviendrons plus bas, il serait erroné de s’en tenir à une interprétation purement négative de ce phénomène en s’enfermant dans une logique de jeu à somme nulle. Il s’agit de dépasser un raisonnement qui revient à penser que ce que Pierre gagne (le pays bénéficiaire de la délocalisation), Paul le perd (le pays d’origine). Il ne faut pas oublier que la rationalité économique de la délocalisation de substitution repose, au départ,

17 Cf. Cahier du Cercle des Economistes sur la déflation

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sur la baisse de compétitivité du pays d’origine pour les activités situées dans la phase déclinante du cycle du produit. Dans la plupart des cas, les décisions des firmes ne sont pas discrétionnaires, elles répondent à des contraintes de survie. A moins que les gouvernements des pays d’origine décident d’établir ou de rétablir des barrières protectionnistes élevées, il est peu probable à plus ou moins long terme que les industries délocalisées auraient pu se maintenir à l’identique dans les économies d’origine. La délocalisation permet vraisemblablement d’éviter la faillite des firmes dans de nombreux cas. L’information n’est pas suffisante pour une démonstration quantifiée car il n’est pas facile de savoir avec certitude ce que se serait passé en l’absence de la décision controversée.

Ce qu’il est néanmoins possible d’avancer, c’est que la logique de la mondialisation est une logique de concurrence exacerbée. Elle ne s’exerce plus à l’extérieur des territoires nationaux, sur des marchés lointains, mais, désormais, elle joue à l’intérieur de ceux-ci, elle est au coin de la rue. Dans ce nouveau monde que certains refusent, l’attractivité des nouveaux territoires du Sud et de l’Est croît en fonction de l’affaiblissement de la compétitivité des territoires du Nord, pour certaines activités. C’est ainsi que se construit une nouvelle géographie économique dont les fondements relèvent davantage de l’économie industrielle que de l’économie internationale traditionnelle. Il est urgent que les gouvernements en prennent conscience pour définir leurs politiques économiques et sociales.

L’impact des délocalisations de substitution sur l’emploi et sur l’échelle des salaires est préoccupant, parfois dramatiques pour

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certains groupes sociaux.

Dans la logique de l’analyse qui vient d’être menée, la fermeture d’établissements résultant d’opérations de délocalisation s’accompagnera inéluctablement de licenciements. Mais, d’une part, ceux-ci sont largement concentrés dans des activités ayant perdu leur compétitivité et, d’autre part, dans des secteurs utilisant avec intensité une main d’œuvre faiblement qualifiée. Les perdants seront principalement les OS ayant des difficultés à se recycler dans d’autres activités du fait de leur âge et de leur bas niveau de formation. D’une façon ou d’une autre, leur rémunération va baisser, ce qui va avoir pour effet d’aggraver les écarts de rémunération dans la couche des salariés. Au niveau des cadres aussi la fermeture des usines délocalisées aura des effets négatifs. Mais il est probable qu’ils auront moins de mal à retrouver un emploi. Soit dans le même Groupe, qui aura besoin au niveau de la maison-mère de plus de personnel qualifié pour gérer l’expansion multinationale de la firme, qui aura besoin aussi de renforcer ses capacités de recherche et développement et d’innovation pour ne pas perdre son avantage technologique, qui aura besoin de plus de managers dans ses filiales à l’étranger pour apporter une assistance technique aux nouveaux managers locaux. Soit dans d’autres secteurs de l‘économie de leur pays si ils acceptent les contraintes de la mobilité. Cependant, la concurrence des cadres supérieurs et des ingénieurs et des chercheurs dans les pays en transition des PECO en particulier, mais aussi en Asie – en Inde particulièrement qui vise à devenir un centre de matière grise - risque de peser, au minimum, sur le niveau de leurs rémunérations. Néanmoins, une vision trop pessimiste peut se révéler fausse dans le futur. En effet, elle oublie que les rémunérations ne sont pas figées dans les pays émergents et en transition. La conséquence de leur industrialisation

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rapide est de créer une forte demande de main d’œuvre dont vont profiter en premier lieu les personnels les mieux qualifiés et aussi les plus rares sur le marché du travail. La dynamique de la délocalisation va réduire à terme l’écart existant dans les coûts du travail entre les pays d’origine et les pays receveurs. L’exemple de l’Irlande depuis son intégration dans l’Union européenne constitue une bonne illustration de ce phénomène : aujourd’hui, le revenu par tête des irlandais est plus élevé que celui des français. Il reste que le rattrapage demande du temps et qu’il est d’autant plus long que la taille des économies et de leur marché du travail est plus grande.

Le mouvement inverse de relocalisation n’est certes pas pour demain mais, en revanche, le rythme de la délocalisation peut se ralentir. En outre, celle-ci pourrait toucher de moins en moins de secteurs dans le futur car les plus exposés auront disparu. L’évolution actuelle pourrait aussi être contrebattue par un effort accru d’introduction du progrès technique dans les pays d’origine. Ce mouvement sera porté par la volonté des firmes qui veulent survivre dans leur pays d’origine. Ensuite, il pourrait s’élargir à un nombre plus grand de firmes soucieuses de résister à la nouvelle concurrence des économies émergentes et en transition. Cependant, si la diffusion de l’automation, des ateliers flexibles etc. … permet d’abaisser les coûts unitaires et constitue une réponse aux délocalisations, les conséquences pour l’emploi seront les mêmes que celles de la délocalisation : l’amplification de la tendance à la baisse de la demande de travailleurs non qualifiés. Les deux phénomènes sont liés étroitement car ils répondent tous les deux à une contrainte qui est celle de la baisse de compétitivité de certains

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secteurs des économies d’origine.

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5. Les délocalisations verticales de complémentarité La délocalisation de complémentarité (ou de partenariat) ne porte que sur un ou plusieurs segments de la chaîne de valeur d’un produit et non plus sur la totalité de cette dernière comme dans la délocalisation de substitution. Elle peut revêtir deux modalités. Ou bien les activités délocalisées à l’étranger par les firmes sont confiées à une ou des filiale(s) spécialisées(s) du Groupe selon le modèle traditionnel de la firme multinationale. Ou bien elles sont externalisées et transférées à un ou plusieurs partenaires locaux indépendants (outsourcing) qui fait émerger un nouveau modèle de la firme multinationale : la « firme-réseau ».

Les délocalisations porteront principalement sur la fabrication des composants d’un produit final ou sur des services spécialisés qui seront ensuite exportés vers la maison-mère ou vers d’autres filiales du Groupe ou d’autres partenaires des partenaires situés soit dans le pays d’origine, soit dans des pays tiers.

A la différence de la délocalisation de substitution, elle n’est pas limitée aux secteurs ayant atteint le stade de la maturité mais elle peut se développer dans des activités à haute technologie. Il en résulte une conséquence cruciale : les spécifications des éléments de la chaîne de valeur fabriqués ailleurs que dans le pays d’origine doivent obéir à des critères technologiques uniformes élevés, ceux du marché mondial. Dans cette mesure, la délocalisation de complémentarité ne répond pas seulement aux défis de la compétitivité-prix,elle répond, aussi, à ceux de la compétitivité-hors

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coût.

Evidemment, ce processus ne permet pas d’éviter la fermeture dans les pays d’origine des établissements ou des ateliers qui produisaient les composants ou les services dont la production a été délocalisée. Mais le cœur des activités de la maison-mère est conservé et certaines activités manufacturières peuvent être maintenues ou développées dans le pays d’origine. En fin de compte, la délocalisation de complémentarité va servir à renforcer la compétitivité de la firme et à lui permettre d’accroître son chiffre d’affaires consolidé et/ou sa rentabilité. Elle peut aussi lui permettre de développer de nouvelles activités dans son pays d’origine. La maison-mère garde la maîtrise de la technologie, du savoir-faire et du marketing. Elle fournit aux unités délocalisées une assistance technique pour que les spécifications qu’elle définit au niveau du produit final soient respectées au niveau des unités externalisées.

Cette forme de délocalisation se distingue de la sous-traitance traditionnelle par plusieurs aspects - y compris dans l‘hypothèse où les activités délocalisées sont confiées à des firmes étrangères non contrôlées par la firme, selon une logique d’externalisation. En premier lieu, dans cette dernière hypothèse, les relations entre la maison-mère et les unités délocalisées ne reposent plus nécessairement sur la détention d’une part du capital social (ou alors il ne s’agit que d’une simple « carte de visite »), mais sur des contrats à moyen-long terme, sur des « joint ventures ». Elles garantissent au partenaire la possibilité d’exploiter et de développer ses compétences dans le futur et à la maison-mère de recevoir des royalties. En second lieu, une relation effective de partenariat exige qu’elle soit évolutive. Cette condition implique que les tâches délocalisées ne seront pas nécessairement à très faible contenu en technologie mais, au contraire, qu’elles pourront utiliser

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dès le départ une expertise démontrée du partenaire (c’est cette dernière qui a permis sa sélection) qui pourra ensuite être constamment approfondie (« up-grading »).

Progressivement, la multiplication des opérations de délocalisation de ce type va transformer la nature de la maison-mère. Elle va devenir le « hub » d’un réseau multinational, ce qui finira par en faire une « firme–réseau », une « hollow company » ou « virtual company » selon la terminologie américaine.

Ainsi, à la différence du résultat final obtenu avec les délocalisations de substitution, la firme métamorphosée survivra car elle aura gagné une compétitivité de long terme, hors-prix. Elle maintiendra sur le territoire d’origine des activités à très haute technologie : planification stratégique (y compris distribution), gestion financière (y compris gestion portefeuille), recherche-développement (y compris design). Elle pourra aussi continuer à fabriquer des nouveaux produits sophistiqués avec des composants importés en partie. Du fait de leur nouveauté, les produits seront destinés au marché mondial et pas seulement au marché domestique. Néanmoins, ce dernier servira de tremplin pour la phase du lancement, ce qui implique le maintien de capacités manufacturières.

La différenciation des trajectoires suivies par les deux modalités de la délocalisation verticale ne relève pas de la fatalité. Face aux défis de la globalisation, elle traduit avant tout le choix par la firme d’une stratégie proactive - celle de la délocalisation de complémentarité - et non simplement réactive – la délocalisation de substitution. Cette orientation implique que le management se convertisse à une vision globale de la stratégie et adapte en

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conséquence la structure organisationnelle du Groupe. La vision globale revient à ne plus faire de l’économie domestique la référence majeure en oubliant que le reste du monde se transforme. Pour reprendre le schéma du cycle international du produit qui permet de comprendre la logique de la délocalisation de substitution, il serait possible d’avancer l’idée selon laquelle la délocalisation de complémentarité permet à la firme de se maintenir dans le premier stade du cycle du produit, tout en sortant de son territoire initial pour devenir une firme véritablement globale et exploiter son avantage spécifique. Dorénavant, la compétitivité de la multinationale ne repose plus essentiellement sur sa puissance financière qui lui permettait de multiplier les filiales dans de nombreux pays ou de contrôler ou absorber les concurrents par des opérations participations ou d’acquisitions/fusions plus ou moins hostiles. Elle repose désormais sur un avantage spécifique intangible qui prend généralement la forme d’une avance technologique.

Pour pouvoir mettre en place une division cognitive du travail et non plus une division technique ou smithienne du travail18, la nouvelle stratégie doit se traduire au niveau organisationnel. Alors que, dans la délocalisation de substitution, la firme maintient le clivage domestique/étranger, la firme globale abandonne la division internationale qui était au centre de la structure organisationnelle de la multinationale classique. Des directions géographiques par grandes régions et/ou par familles de produits seront mises à sa place. Dans l’une et l’autre option, la place

18 Selon la distinction introduite par Ph. Moati et E.M. Mouhoud, Division du travail, coordination et division internationale du travail, in Connaissance et Mondialisation (Economica, 2000)

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occupée par le territoire national dans la stratégie et les opérations de délocalisation de la nouvelle firme multinationale – la firme globale - n’est plus prépondérante. Le territoire d’origine de la firme ne doit pas recevoir un traitement spécial; il est simplement rattaché à l’une des divisions géographiques du Groupe comme n’importe quel autre territoire et son attractivité est évaluée avec les mêmes critères que les autres territoires.

Cette mutation constitue une condition nécessaire à la survie d’une grande partie des firmes européennes qui restent encore majoritairement attachées aux deux autres formes de la délocalisation qui ont été examinées plus haut. Le saut des firmes dans la globalisation dont la délocalisation de complémentarité est une déclinaison, va dépendre largement de l’orientation géographique de leurs futures opérations de délocalisation. C’est à dire, en fin de compte, des opportunités offertes par l’attractivité des territoires.

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Figure 3. Un exemple de délocalisation de complémentarité : l’implantation de Renault en Iran Au printemps 2003, Renault signe une lettre d’intention avec le groupe iranien IDRO (Industrial Development and Renovation Organization), un organisme public dépendant du Ministère de l’Industrie, après avoir remporté l’appel d’offre de ce dernier pour le lancement d’une nouvelle gamme de voitures eu vue de remplacer les modèles anciens fabriqués en Iran par deux sociétés Iran Khodro et SAIPA qui sont regroupés dans le holding AID Co qui sera le partenaire de Renault. Le projet comporte deux phases. Dans la première, Renault et AID Co vont établir une joint venture (JVC) dont Renault détient 51%. Les engagements de Renault portent sur la points suivants : i) licence de fabrication, d’assemblage, de distribution et d’exportation pour la L90 (aujourd’hui dénommée Logan); ii) fournir une assistance technique; iii) importer une partie des composants de la L90 en CKD. A son tour, JVC procurera à Iran Khodro et à SAIPA des sous-licences de fabrication, une assistance technique et la vente de CKD. Par ailleurs, JVC aidera les fournisseurs locaux (une centaine) par la fourniture de pièces au titre de l’intégration locale, par le contrôle de qualité, par la fourniture d’outillages spécifiques dont elle gardera la propriété. Elle sera responsable du marketing à travers, entre autres moyens, des « Renault corners » installés dans le réseau existant des deux partenaires iraniens. Il est à noter que 2/3 du personnel de JVC est constitué par des expatriés. La deuxième phase sera constituée par un investissement green field effectué par JVC pour la construction d’une usine de montage (NewCo) de la Logan. Cette phase devrait débuter en 2008 tandis que la fabrication des L90 est prévue dès 2006.

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L’intégration locale devrait atteindre le taux de 70% en 2010. Parallèlement aux progrès de l’intégration locale, les droits à l’importation vont baisser : ils sont de 51% (prix CIF) avec 30% de contenu local et ils se réduisent à 17% au delà de 60% d’intégration. La production finale devrait être de 210 000 véhicules dont 20% seraient exportés dans la zone Moyen Orient /Asie Mineure. L’investissement initial pour JVC a été de 400 millions d’euros (dont 51% à la charge de Renault). La rémunération de Renault comporte plusieurs volets : une marge sur la fourniture des CKD; des royalties dont le montant augmentera avec la croissance du taux d’intégration locale; des dividendes calculés en fonction de sa participation au capital. Cette forme de délocalisation verticale s’inscrit dans le modèle de la firme-réseau dont il a été question dans le texte. Il ne s’agit pas à proprement parler d’un projet industriel, mais de la vente d’un modèle de voiture, la Logan. Renault ne produit pas lui-même, mais faire faire par des partenaires locaux auxquels il apporte l’assistance technique qui leur permettra de fabriquer la Logan. Les spécificités de cette dernière ont été établies pour répondre aux besoins des classes moyennes des économies émergentes (entre autre, le prix qui doit être inférieur à $6 000). Renault vise à constituer un réseau international pour la Logan qui a son origine en Roumanie et qui doit s’étendre outre à lʹIran et à sa zone périphérique, à la Chine, à la Russie, à la Colombie et au Maroc. L’objectif de Renault est d’atteindre un volume de vente de 4 millions de véhicules dont plus de 50% hors d’Europe. Source : Rapport de stage MBAIP Fondation Renault de Yoshié Honna (Juin 2004) et entretien avec un manager de Renault

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Attractivité territoriale et délocalisation de complémentarité

Les prérequis de l’attractivité qui ont déjà été définis pour les deux autres formes de délocalisation valent aussi pour la délocalisation de complémentarité mais leur importance relative n’est pas la même. Les caractéristiques prioritaires pour la délocalisation de complémentarité sont les suivantes :

Une offre de main d’oeuvre dont le coût est largement inférieur à celui des pays d’origine, mais avec une formation de niveau international. Cette formation sera spécialisée en fonction de certaines activités : mécanique, électronique, informatique, confection, logiciels, analyse financière, langues… ;

La présence d’entreprises locales performantes, spécialisées dans la fourniture de biens et de services pour les entreprises dans un nombre limité de secteurs, les mêmes que ceux notés au paragraphe précédent, c’est à dire ceux qui démontrent des avantages de localisation absolus. Ce qui permettra aux entreprises locales de s’insérer rapidement dans les réseaux des firmes globales ;

Un réseau de communications (terrestres, aériennes) et de télécommunications très efficient;

Des coûts de transports bas;

L’absence de barrières à l’entrée et à la sortie pour les biens et services, pour les capitaux et pour les personnels;

Une certaine proximité géographique et culturelle.

Il est probable que les implantations prendront encore la forme d’investissements nouveaux (« green field investment »), entre

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autre dans des zones franches d’exportation. Les opportunités offertes par les rachats d’entreprises efficientes, de joint ventures ou de participation aux programmes de privatisation ne doivent pas être exclues. Mais dans le cas de la délocalisation de complémentarité, les choix de localisation dépendront de plus en plus de la sélection de partenaires disposant de compétences spécifiques. La modalité la plus courante devrait être celle de la joint venture avec des entreprises locales sur la base d’accords de partenariat évolutifs.

Dans la zone MEDA, les territoires qui répondent assez bien à ce modèle sont la Tunisie, le Maroc et la Turquie, avec demain peut-être l’Algérie.

L’impact de la délocalisation verticale de complémentarité

L’impact de la délocalisation verticale de complémentarité se distingue de la délocalisation de substitution. à trois niveaux au moins. En premier lieu, elle ne concerne pas que les industries standardisées, à faible qualification, qui sont situées dans la phase descendante du cycle du produit. En second lieu, elle ne porte pas sur la totalité ou la quasi-totalité de la chaîne de valeur de la production de certains biens mais sur certains segments de cette dernière, en fonction de la stratégie des firmes et de l’attractivité de l’offre de localisation des territoires. Enfin, elle est mise en place et gérée par des firmes multinationales d’un type nouveau, les firmes-réseau ou « hollow-corporation ». L’impact sur le territoire d’origine présente, en conséquence, des caractéristiques spécifiques.

Sur l’équilibre de la balance commerciale du pays d’origine, la

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délocalisation de complémentarité va se traduire par une forte hausse des importations.

Il s’agira principalement de l’importation de composants ou de produits semi-finis. L’importation de services se développe rapidement depuis une période récente, surtout en provenance de l’Inde (logiciels, activités de back office des banques, call centers). Quand ils sont assemblés dans le pays d’origine, les produits seront écoulés sur le marché local où ils vont concurrencer avec succès les produits similaires qui continuent à être intégralement produits localement. En outre, une partie variable de la production sera exportée car la délocalisation de complémentarité améliore la compétitivité des entreprises du pays d’origine. Mais il n’est pas exclu que l’assemblage soit opéré hors du pays d’origine et que les produits finis soient vendus directement sur le marché mondial, y compris sur le marché du pays d’origine qui, dans une vision globale, répétons–le, ne devrait pas recevoir un statut particulier.

Dans le cas où la délocalisation de complémentarité sera organisée dans le cadre d’une firme globale, les flux d’échanges entre la maison-mère et ses filiales comme les flux entre les filiales seront largement des flux intra-firmes, donc hors marché. Les prix des produits qui circulent dans l’espace internalisé de la firme seront des prix de transfert fixés par les services centraux de cette dernière. Ce qui revient à dire que le montant des importations en valeur et, dans une moindre mesure, celui des exportations du pays d’origine seront largement fonction de la politique des prix de la firme. Ils seront éventuellement corrélés aux taux d’imposition des bénéfices dans les différents pays -- la manipulation des prix de transfert visant souvent à minimiser la charge fiscale du Groupe. Elle sera d’autant plus aisée que la valeur des composants

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spécifiques à un produit est difficile à évaluer par les services douaniers.

Une fois de plus, la notion traditionnelle d’avantage comparatif national semble n’avoir plus guère de sens car les prix relatifs seront contrôlés par les firmes elles-mêmes. Dans l’hypothèse qui sera de plus en plus courante dans l’avenir où la délocalisation sera organisée dans le cadre de la firme–réseau., la circulation des composants demeurera hors marché. Le réseau va se substituer au marché traditionnel – et le prix de ces derniers demeurera fixés par la firme et non pas par le jeu de l’offre et de la demande.

Le déficit commercial au niveau du pays d’origine sera principalement compensé par des exportations de matériels sophistiqués pour l’équipement des unités de production délocalisées et, surtout, par l’excédent du poste des services. Les entrées de capitaux correspondront principalement aux redevances technologiques et à la fourniture de services.

L’impact sur les mouvements de capitaux vers l’extérieur sera sensiblement plus faible que pour les autres modalités de la délocalisation.

Du coté de la sortie des capitaux, en rupture avec les formes traditionnelles de la multinationalisation, l’implantation à l’étranger revêtira principalement la forme de contrats de partenariat avec des entreprises locales indépendantes. Elle prendra de moins en moins la forme des opérations qui exigeaient la mobilisation de montants importants de capitaux financiers pour prendre le contrôle d’une partie ou de la totalité du capital social des firmes étrangères ou pour financer des investissements

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nouveaux.

Les entrées de capitaux seront formées de redevances découlant de la propriété intellectuelle portant sur la technologie (licences, brevets), sur les marques, le franchising, l’assistance technique, la commercialisation, le design etc.

L’importance de la place du capital intangible dans le processus de délocalisation de complémentarité s’accompagnera d’importants transferts de technologie, de savoir-faire, etc.…

Certaines activités de R&D pourront être menées dans des laboratoires délocalisés, mais, dans la plupart des cas, dans le cadre de programmes définis par la maison-mère avec des taches spécialisées pour chaque unité de recherche. Dans ce domaine aussi, la circulation des technologies liée à la délocalisation sera largement internalisée et l’impact moins perceptible. Outre la contribution des centres délocalisés, les transferts vers le pays d’origine pourront prendre la forme d’améliorations marginales visant à l’adaptation des produits aux préférences des consommateurs des différents marchés.

L’impact de la délocalisation de complémentarité sur les structures industrielles du territoire d’origine sera marqué par un mouvement de désindustrialisation partielle.

Il est probable que l’impact sur les structures industrielles du pays d’origine sera moins accentué que dans le cas de la délocalisation de substitution ou de la délocalisation horizontale. En effet, les modalités de la délocalisation de complémentarité reposent non pas sur le déplacement intégral de la chaîne de valeur mais sur sa segmentation géographique, ce qui permettra le maintien de certaines activités productives sur le territoire d’origine dans la branche délocalisée. Il s’agira de celles qui ont le contenu le plus

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élevé en technologie et en connaissances. Elles comprendront, aussi, des activités d‘assemblage à partir de composants fabriqués ailleurs.

Il est important de souligner à nouveau que ce type de délocalisation se produit déjà et se produira de plus en plus dans l’avenir, dans des activités situées dans la phase 1 ou 2 du cycle du produit, celle du lancement du produit nouveau et de sa croissance exponentielle. Dans ce cas de figure, l’attractivité de l’offre de localisation du reste du monde va servir à renforcer la compétitivité des pays de la Triade. Elle ne se nourrit plus de leur déclin comme dans le cas de la délocalisation de substitution. Ce qui ne signifie pas que l’impact sur l’emploi sera moins perceptible à terme à partir du moment où l’effort indispensable pour élever le niveau de formation de la population fera sentir ses effets. Cette vision optimiste doit cependant être tempérée pour le plus long terme. L’effet de la mondialisation et de l’intensification de la concurrence qui l’accompagne va entraîner le petit nombre des pays receveurs à améliorer leur attractivité en matière de production de connaissances et de technologie. L’avance technologique des pays du centre n’est pas établie pour l’éternité. Comme celui de leur supériorité technologique, leur supériorité dans le savoir et l’innovation va être de plus en plus contestée. Ce phénomène de rattrapage est déjà perceptible dans la pharmacie (génériques) et dans l’informatique et l’électronique. Il semble difficile à bloquer, sauf à verrouiller la propriété intellectuelle et à interdire l’accès aux Universités et aux centres de recherches des étudiants venant des économies menaçantes. Il ne reste plus aux pays d’origine qu’à faire un effort supplémentaire dans la recherche et la formation pour

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tenter de conserver leur avance actuelle. Même dans l’hypothèse où cette priorité serait réellement acceptée et mise en œuvre -- ce qui est encore discutable dans le cas de l’Europe au regard des retombées décevantes de la conférence de Lisbonne (2000) -- peut elle encore être réalisable dans le futur dans une économie qui perd progressivement une grande partie de ses capacités industrielles ? En effet, même si la délocalisation de complémentarité ne devrait pas avoir sur les structures productives des pays d’origine des effets aussi marqués que ceux qui sont attendus des deux autres modalités de la délocalisation, il est néanmoins possible de penser que ces dernières ne vont pas être abandonnées pour autant. La déconnection entre l’espace opérationnel des firmes et leur territoire d’origine a été maintes fois souligné. Elle devrait s’accentuer dans l’avenir.

La délocalisation de complémentarité aura pour effet de diminuer, elle aussi, la demande de main d’oeuvre faiblement qualifiée dans les économies de départ.

La tendance à la réduction du besoin de main d’œuvre qualifiée ne sera certainement pas retournée par la croissance de la délocalisation de complémentarité. En revanche, cette dernière se traduira par une forte hausse du recrutement par les firmes de personnels très qualifiés. Ils seront chargés de la gestion complexe des réseaux au niveau du « hub ». Elle reposera sur une véritable ingénierie financière, technologique et de marketing. En outre, la sauvegarde de l’avance technologique exigera d’attirer des scientifiques et des techniciens de haut niveau.

Comme il a déjà été dit, la délocalisation de complémentarité se dirigera de préférence vers les territoires disposant d’atouts qui les mettront directement en concurrence avec les pays d’origine : non

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seulement des travailleurs à bas salaire comparés à ceux des pays d’origine, mais aussi et surtout, des travailleurs ayant un niveau élevé de formation.

Ces prérequis réclamés par la délocalisation de complémentarité sont peut-être plus difficiles à réunir que dans le cas de la délocalisation de substitution car ils correspondent à ceux d’une société post-industrielle. Cependant, paradoxalement, c’est peut être la raison pour laquelle leur localisation pourrait se réaliser plus facilement dans des territoires qui n’ont pas une forte tradition industrielle mais, en revanche, une forte tradition intellectuelle et culturelle. C’est le déjà le cas pour certains Etats de l’Inde. Ce pourrait devenir le cas pour certains pays MEDA. Les « manipulateurs de symboles » pour employer la terminologie de R. Reich19 seront la cheville ouvrière de cette nouvelle organisation de l’économie mondiale. De la capacité des pays de la Triade à y maintenir leur place en partenariat avec certains pays du Sud dépendra leur survie en tant que puissances dominantes. Il est clair que la délocalisation de complémentarité dans la mesure où elle constitue l’un des moyens de renforcer l’attractivité des firmes pour les activités à haute technologie va jouer un rôle majeur dans la compétitivité des économies et dans l’émergence d’une nouvelle géographie économique du monde.

19 R. Reich, op.cit.

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6. L’impact des délocalisations dans la région MEDA sur les pays d’origine Jusqu’à présent, l’impact des délocalisations dans la région MEDA ne constitue certainement pas une « grande menace industrielle » pour les économies de l’Union européenne. Cette affirmation repose sur l’analyse de la combinaison des deux composantes que nous avons dégagées pour évaluer l’impact de la délocalisation : d’une part, la stratégie des investisseurs multinationaux; de l’autre, l’attractivité des territoires.

En premier lieu, d’une manière générale, les enquêtes auprès des firmes comme les statistiques sur les flux d’investissement montrent que la région MEDA ne figure pas sur la « short list » des investisseurs. Pour certains pays de la zone MEDA, il n’est même pas sûr qu’ils figurent sur leur « long list ». Pour la majorité des pays qui en font partie, leur attractivité est jugée insuffisante par les investisseurs potentiels. Nous essaierons, plus loin, d’expliquer cette attitude mais surtout, nous tenterons de proposer une approche qui pourrait aide, peut être, à saisir une modification en cours dans la perception que les firmes se font de la région. En second lieu, la majorité des firmes qui ont des implantations dans la région ne semble pas suivre une stratégie de délocalisation verticale, qu’elle soit de substitution ou de complémentarité. Elles obéissent principalement au déterminant le plus répandu et aussi le plus archétypal de l’investissement direct : produire pour le marché local. Sauf dans le cas des investissements dans le secteur textile–habillement, les filiales des firmes étrangères ne sont pas tournées vers l’exportation en direction du territoire d’origine ou du reste du monde. Bien sûr, et nous y insisterons plus loin en examinant les projets repérés par MIPO, un démarrage de la délocalisation

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s’esquisse depuis peu dans les secteurs de l’électronique ou des pièces détachées et composants pour les constructeurs automobiles. Mais jusqu’à aujourd’hui, le mouvement de délocalisation a été très faible.

En termes d’attractivité, les pays MEDA ne jouent pas dans la même catégorie que les pays d’Asie, dont évidemment la Chine, ou dans celle des pays d’Europe centrale et orientale (PECO). Des premiers, il ont beaucoup à craindre, en dépit de l’éloignement spatial et culturel par rapport à leurs partenaires européens habituels de l’autre coté de la Méditerranée, entre autres dans les secteurs traditionnels de la sous-traitance. Il est sûr que le textile-habillement aura du mal à résister à la concurrence des coûts asiatiques dès que la barrière de l’accord multifibres sera levée c’est à dire, en principe, en Janvier 2005. En revanche, la menace est moins forte en provenance des seconds, les PECO, qui ont fait si peur aux pays de la rive sud de la Méditerranée aux lendemains de l’écroulement du mur de Berlin. Disons tout de suite même si nous y reviendrons plus tard, les pays MEDA ne sont pas prêts aujourd’hui à accueillir des délocalisations de substitution. En revanche, il est probable qu’ils pourraient attirer davantage de projets de délocalisation de complémentarité dans le futur…

Ainsi, le constat du manque d’attractivité des pays de MEDA que nous allons dresser dans un premier point ne doit pas faire croire que la zone est condamnée pour toujours à ne participer que marginalement au mouvement de la mondialisation, sauf dans le meilleur des cas, par le biais principal de ses ressources en hydrocarbure ou par ses ressources minières. Ce risque est certainement plus marqué, hélas, dans le cas des pays du sud du

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Sahara. Mais l’Histoire ne s’arrête pas et l’attractivité des territoires n’est pas donnée de toute éternité. Elle peut être construite, révélée par la dynamique de la mondialisation. Mais il ne faut pas croire non plus que la métamorphose s’opérera sans effort, tout naturellement. Elle exige au contraire des efforts déterminés poursuivis durant une période de moyen-long terme. Ce qui pourrait considérablement accélérer le mouvement, c’est la reconnaissance par les firmes européennes, mais aussi non européennes, du fait que la délocalisation vers la Méditerranée, menée conjointement à celle vers les nouveaux adhérents de l’Union européenne, pourrait considérablement renforcer leur compétitivité sur le marché mondial - pas seulement sur le marché européen. La délocalisation deviendrait ainsi le socle d’un élargissement réel et non pas rhétorique.

Le constat : la faible attractivité de la région MEDA

La région MEDA ne draine pas beaucoup d’investissements directs comme le prouvent les données statistiques de la figure 4.Notons au passage que ces dernières sont difficiles à reconstituer. En effet, les pays qui composent la région MEDA ne sont pas regroupés dans des cadres géographiques homogènes dans les principaux recueils de statistiques, ceux du FMI, de l’OCDE ou du World Investment Report préparé par la Cnuced. Les pays MEDA sont éparpillés dans la région Afrique du Nord, ou dans celle du Moyen Orient ou encore dans celle des autres pays développés (cas d’Israël). En outre, la région MENA (Middle East and North Africa), cadre de référence adopté par les institutions de Washington regroupe un plus grand nombre de pays que la région MEDA. Tout cela ne simplifie pas l’utilisation des travaux existants dont certaines conclusions sont pourtant d’un grand intérêt pour

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notre propos. Nous avons tenté tant bien mal de mobiliser toutes ces sources, sans oublier les précieuses notes de synthèse produites par les différentes Missions économiques françaises situées dans les pays de la zone MEDA ainsi que les données du MIPO.

Figure 4. Flux d’IDE dans les pays de la zone MEDA 1991-2002 (en M $)

1991-96 2002 Algérie 63 1065 Chypre 81 297 Egypte 714 647 Israël 716 1648 Jordanie 04 56 Liban 55 07 Malte 122 - 375 Maroc 406 428 Syrie 105 225 A. Palestine 08 41 Tunisie 425 821 Turquie 751 1037 Total 3450 5897 Source : WIR, UNCTAD, 2003

Ce qui frappe à la lecture de ce tableau, c’est, d’une part, la modicité des montants et, de l’autre, c’est leur stabilité sur la période. Il ne faut pas donner aux statistiques de balance des paiements des IDE qui sont la source utilisée ici un caractère irréfutable du fait des critères de leur enregistrement et aussi du fait leurs très grandes variations d’une année sur l’autre. Elles n’ont cependant rien à voir avec la volatilité des investissements de

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portefeuille. Ainsi, l’année 2000, la dernière pour laquelle on dispose de statistiques, est elle une très mauvaise année. En partie à cause de la conjoncture internationale morose, mais surtout du fait de la réduction très forte des opérations de fusions/acquisitions depuis 2001 et, enfin, pour ce qui concerne plus directement les pays du Sud, la réduction du nombre des privatisations. Celles-ci ont un impact très important sur les variations des entrées d’IDE d’une année sur l’autre. C’est particulièrement le cas pour le Maroc et la Tunisie durant la dernière décennie.

Néanmoins, les données de flux permettent de cerner de grandes tendances et, dans la longue période, d’évaluer l’attractivité relative des pays. Dans le cas MEDA, les pays qui attirent les montants d’IDE les plus important durant la période sont, au premier rang, Israël, puis, dans un ordre qui change légèrement entre le début et la fin de la période : la Turquie, l’Egypte, la Tunisie et le Maroc. Ce classement, permet un certain nombre de commentaires. La position de leader d’Israël est aussi celle d’un outsider par rapport aux autres économies de la zone. Son revenu par tête (plus de $20 000) est près de 20 fois supérieur à la moyenne MEDA, ce qui fait que dans les statistiques du WIR de la Cnuced il est classé dans les « autres pays développés ». Son marché est étroit mais son potentiel technologique et scientifique est sans comparaison dans la région. Le cadre institutionnel est très libéralisé. Avec l’Egypte, Israël est le pays qui reçoit le plus d’investissements directs américains de toute la région MEDA. Ce qui pourrait prouver que le risque ne décourage pas toujours les investisseurs étrangers. Dans les trois pays du Maghreb, ce sont les IDE en provenance de la France qui viennent en tête. La France est aussi le premier partenaire commercial de ces pays, ce qui montre que les IDE sont complémentaires et non pas substituables aux exportations, comme

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nous l’avions déjà noté. La Turquie est l’économie MEDA qui a le plus grand marché avec l’Egypte, avec, en outre, un potentiel industriel et technologique plus important que cette dernière. Dans une enquête déjà ancienne de FIAS20 auprès d’une centaine de multinationales américaines, européennes et japonaises, la Turquie avait déjà été citée comme l’économie la plus attractive de la région Méditerranéenne. Le résultat négatif de Malte en 2002 n’est pas significatif. Ses performances remarquables durant la dernière décennie, ainsi que celles de Chypre, mais pour d’autres raisons, montrent qu’un très petit territoire peut aussi développer une très forte attractivité pour les IDE. Depuis longtemps, Hong Kong, Singapour puis l’Irlande en avait déjà fait la démonstration. Le bon résultat de l’Algérie en 2002 tient essentiellement à des IDE dans le secteur pétrolier et les télécoms. (Attribution du téléphone mobile à une firme égyptienne). Néanmoins ce pays qui est un nouveau venu sur le marché de l’attractivité de projets d’investissement est en train d’être moins dépendant d’un seul secteur.

Même si l’avenir peut réserver de bonnes surprises, la zone MEDA aujourd’hui continue à ne pas peser très lourd dans la répartition mondiale de IDE. Les différents éclairages statistiques convergent.

En premier lieu, en termes de croissance des IDE durant la période 1991-96 –2002, la figure 5 montre que, si le total des IDE vers la région MEDA a progressé de 71%, ce résultat est inférieur à la

20 C-A Michalet, Strategies of multinationals and Competition for Foreign Direct Investment, (FIAS, occasional paper, World Bank , Washington DC, 1997)

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moitié du taux moyen total (156%) et largement inférieur à celui des PECO (251%) ou de la Chine (106,8%) pour la même période.

Figure 5. Part relative et taux de croissance des flux d’IDE vers MEDA

1991-96 (mio $)

2002 (mio $)

Taux de croissance

Total MEDA 3 450 5 897 + 71% Total monde 254 326 651 188 + 156% Total PVD 91 502 162 145 +77.2% Total PECO 8 183 28 709 +251% Total Asie 56 147 88 613 + 57.8% Dont Chine 25 476 52 700 +106.8% Total Union Europe (15)

87 584 374 380 +327%

Total US 46 834 30 030 - 35.9% Source : WIR op.cit.

En revanche, le taux de croissance des IDE de MEDA assez proche de celui de l’ensemble des pays en voie de développement (77,2%) qui est tiré vers le bas par le bloc des pays d’Afrique sud Saharienne qui font moins bien que MEDA. Néanmoins, cela ne suffit pas pour classer MEDA dans la catégorie des régions économiquement émergentes. La Jordanie, le Liban, la Syrie ont, une position très marginale qui fait douter de leur présence sur la « long list » de investisseurs a fortiori, sur la « short list ».

En second lieu, ce manque d’attractivité peut encore être mis en lumière en plaçant le montant des IDE se dirigeant vers la région MEDA par rapport aux sorties des IDE au niveau mondial, en provenance des pays développés, de l’Union européenne, ou de la France. Les figures 6 et 7 rassemblent les résultats pour la période examinée.

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Figure 6. Part de MEDA dans les flux d’IDE totaux, des pays développés et de l’Union européenne (en % flux entrants/flux sortants)

1991-96 2002 MEDA / total monde 1,7 0,9 MEDA/IDEPD 1,4 1,0 MEDA/IDEUE 2,7 1,5 PVD/IDEUE 71,6 41,0 PECO/IDEUE 6,4 7,3 Asie/IDEUE 44,0 22,5 Source : WIR, op.cit.

En 2002, les IDE qui se dirigent vers MEDA représentent 0,9% du total mondial, un pourcentage très faible qui, en outre, est en baisse par rapport au début de la période (1,2%). La proportion est à peu près la même quand on rapporte les IDE vers MEDA au total des IDE qui sortent des pays développés ou de l’Union européenne. Cette dernière région est d’une importance particulière pour MEDA, mais elle ne montre pas une attitude très différente des autres pays développés : les IDE vers MEDA ne constituent en 2002 que 1,5% du total des IDE européens à la sortie, en baisse par rapport à la première moitié des années 90 (2,5%) et en rupture avec la tendance des IDE de l’Union européenne vers les PECO qui eux augmentent relativement passant de 6,4% à 7,3%. Les IDE français suivent la même tendance que ceux des autres régions du monde mais de façon nettement moins accentuée (cf. tableau 4).

Figure 7. Part de MEDA dans les IDE français (en % flux entrants/flux sortants)

1991-96 2002

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MEDA/IDE France 14,2 9,4 PVD/IDE France 376,5 259,2 PECO/IDE France 33,6 45,9 Asie/IDE France 231,0 141,7 US/IDE France 192,7 48,0 Source : WIR op.cit.

En 2002, la part de MEDA dans les IDE sortants de France a été de 9,4%, plus de six fois supérieur au résultat obtenu pour l’Union européenne. La place prépondérante jouée par les IDE français au Maghreb explique vraisemblablement ce résultat. Néanmoins, la part de MEDA a baissé par rapport au début de la période, alors que celle des PECO a augmenté passant à 44,5%.

Les données d’Eurostat en stocks s’écartent légèrement des résultats en flux mais ne remettent pas en cause les orientations générales. Selon les données Eurostat21, la répartition géographique des stocks d’IDE de l’Union européenne dans les pays en développement en 1994 et 2000 serait la suivante :

Figure 8. Répartition des IDE de l’UE dans les pays en développement (en stock)

1991-96 2000 Euromed 6% 6% Autre Afrique 9% 6% PECO + CEI 12% 19% Asie 36% 25%

21 Citées par une fiche de synthèse de la Dree « Les Ide en Méditerranée : des potentialités de renforcement » (Octobre 2003)

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Amérique Latine 37% 44% Source : Eurostat

La figure 9 donne la répartition des stocks d’IDE en provenance de l’Union européenne au sein de MEDA.

Figure 9. Stocks d’IDE en Méditerranée en 2000 (Millions euros)

Euro-Med

Israël Turquie Maghreb dont Maroc

Machrek dont Egypte

Union Europ.

32 982

1541 6228 6420 3285 5353 3697

Pays Bas 7313 502 1037 310 81 1671 ND Allemagneemagne 1382 197 1716 437 212 364 293 Royaume Uni 9342 455 743 260 74 1476 1226 Italie 6091 67 1196 903 281 264 228 Portugal 2591 0 0 754 316 504 504 Etats-Unis 734 3639 1457 2574 39 2622 2510 Source Eurostat, d’après Dree Synthèse, op. cit.

La figure 9 permet de saisir les préférences des investis eurs européens : le Maghreb pour les français, suivi par la Turquie; la Turquie se détache très nettement pou r les allemands; les anglais préfèreAllemagnek (c’est à dire essentiellemen t l’Egypte) puis la Turquie; les italiens donnent eux aussi la primauté à la Turquie, suivie du Maghreb; les portugais se concentrent sur le Maghreb et l’Egypte; tandis que les américains privilégient très fortement Israël suivi presqueAllemagnear le Machrek (c’est à dire l’Egypte) et le Maghreb (principalement l’Algérie). Il apparaît assez clairement que la Turquie est le territoire national le plus attractif dans la zone méditerranéenne, tandis que l’Egypte occupe une place prépondérante au sein du Machrek. Il s’agit aussi des deux pays le

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plus peuplés et dont les marchés sont les plus grands. Les pays du Maghreb pris séparément viennent ensuite. Devant ces résultats, il est permis de penser que la réalisation des objectifs de l’UMA qui aboutirait à la constitution d’un marché maghrébin intégré changerait la hiérarchie actuelle des attractivités des nations.

Les choix qui sont reflétés par les données statistiques globales donnent déjà une indication forte sur la stratégie des investisseurs multinationaux. Mais il faut l’approfondir pour parvenir à mieux saisir quel sera en fin de compte l’impact sur les pays d’origine, singulièrement sur l’économie française. La faiblesse des IDE permet de présumer dès maintenant qu’il sera très faible et, vraisemblablement, impossible à mesurer.

La stratégie des investisseurs étrangers

Sur la base des données existantes qui, par définition, se réfèrent à des choix effectués dans le passé, il est clair que la majorité des implantations des multinationales dans les pays MEDA répond à la logique d’une stratégie de marché etAllemagneelle de la délocalisation. C’est à dire que l’objectif principal des firmes est de préserver ou d’étendre leur part de marché dans un pays MEDA, en complément des exportations traditionnelles. Dans ce cas, l’impact pour le pays d’origine est positif. La stratégie des firmes garantit la croissance du chiffre d’affaires de la maison-mère qui aurait pu être affecté par une baisse des exportations entraînée par des mesures protectionnistes ou par la concurrence. Elle peut aussi s’accompagner d’une hausse des exportations. Dans la mesure, d’abord, où l’implantation locale ne produit pas toute la gamme de produits de la firme, ce qui permet d’utiliser la filiale locale comme un relais pour les exportatio s des produits qui ne sont pas

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fabriqués sur place ; ensuite, où l’équipement des filiales locales peut générer des exportations de machines et de technologies.

La faiblesse des délocalisations dans la zone peut aussi être vérifiée indirectement. En effet, l’analyse des échanges intra industriels constitue un bon indice de l’intensité plus ou moins grande du phénomène de délocalisation. Or, selon un rapport de la Banque Mondiale sur la région Mena (Middle East and North Africa) 22, les ratios des échanges intra industriels dans certains pays MEDA sont extrêmement faibles comparés à ceux des économies émergentes (Brésil, Corée, Malaisie, Taiwan). Ils sont repris dans la figure 10. Or l’intensité plus ou moins forte de ces ratios traduit la nature de l’activité des filiales. Dans le cas de délocalisations, les échanges intra industriels et intra firmes sont élevés. Il s’agit, comme il a été noté dans le chapitre 2, d’une circulation de produits complémentaires.

Figure 10. Ratio du commerce intra-industriel (1988 et 2000)

Pays Chimie Machines Autres produitsmanufacturés

Total manuf.

1988 2000 1988 2000 1988 2000 1988 2000 Algérie 0.086 0.066 0.037 0.012 0.135 0.064 0.077 0.035 Egypte 0.058 0.131 0.027 0.070 0.203 0.353 0.090 0.181 Jordanie 0.060 0.121 0.096 0.090 0.100 0.270 0.089 0.159 Liban 0.104 0.056 0.079 0.052 0.369 0.296 0.262 0.168 Maroc 0.132 0.115 0.139 0.319 0.156 0.218 0.145 0.242 Tunisie 0.125 0.093 0.282 0.361 0.253 0.287 0.237 0.292

22 Mena Development Report, Trade investment and development (The World Bank, 2003)

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Brésil 0.581 0.565 0.483 0.620 0.198 0.436 0.381 0.555 Corée 0.468 0.562 0.4483 0.579 0.309 0.544 0.401 0.568 Malaisie 0.416 0.742 0.682 0.649 0.433 0.537 0.588 0.636 Taiwan 0.510 0.589 0.605 0.630 0.247 0.420 0.432 0.571 Source : World Bank, Mena Development report, 2003, p. 81

Cette première appréciation de la nature de l’IDE dans les pays MEDA est vérifiée par les informations qui peuvent être tirées des rapports des Missions économiques françaises dans un certain nombre de pays appartenant à la région.

Turquie Il est d’abord à noter que l’accord de libre échange signé avec l’Union européenne a favorisé l’accroissement des échanges franco-turcs qui ont été multipliés par 2,5 entre 1995 et 2000. La progression des IDE a été, elle aussi, spectaculaire. Le nombre des implantations est passé de 15 en 1985 à 277 en 2002. Cependant, l’investissement français ne représente que 6,6% des investissements étrangers dans le pays et le nombre des Allemagnefrançaises vient loin derrière celui de l’Allemagne (1084), des néerlandais (449), des anglais (413) et des américains (393). Les IDE français sont concentrés dans les secteurs suivants : construction automobile, grande distribution, construction électrique, sidérurgie, ciment et pharmacie. La production des filiales est principalement orientée vers le marché local, sauf dans le cas de l’automobile où l’implantation semble répondre à une logique de délocalisation. En effet, dans ce dernier cas, il est intéressant de noter que si le secteur automobile explique à lui seul près du quart des exportations françaises (826 millions d’euros en 2003), il constitue aussi le premier poste des importations avec un montant de 659 millions d’euros (23,5% des import.). La présence

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d’échanges intra branches est l’indice d’une délocalisation. Les autres importatio s ne semblent pas être générées par des filiales françaises : textile, habillement et cuir.

Liban La présence des IDE français au Liban semble aussi centrée sur la satisfaction des besoins du marché local. Il existe actuellement 73 filiales qui emploient environ 3000 personnes. La plupart des grandes banques française et des compagnies d’assurance sont présentes ainsi que les grands groupes industr els, sAllemagne en partenariat avec des entreprises libanaises : Air France, Accor, RenAllemagnePeugeot, Air Liquide, Total, EDF, Schneider, Alcatel, Bull, France Télécom, Colas, Suez, Vivendi et Michelin. Il n‘est pas indiqué si ces implantations sont des unités de production ou des bureaux de représentation ou des filiales de distribution. Dans la majorité des cas, elles sont orientées vers le marché local (Air Liquide par exemple) ou participent à des projets de travaux publics. Les dernières implantations, L’Oréal, Aventis et Publicis sont orientées vers le marché local.

Algérie Hors hydrocarbures, les investissements directs étrangers sont modestes mais en progression. Il existe une soixantaine de filiales françaises qui emploient plus de 6000 personnes. Elles sont souvent le résultat de la transformation de bureaux de représentation et se situent donc dans la continuation des exportations antérieures. Elles sont aussi le résultat de la repris d’entreprises publiques privatisées. Les secteurs de prédilection sont : l’industrie pharm aceutique (Sanofi-Synthélabo a repris 100% de l’Institut

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Médical A lgérie; Aventis a créé une joint venture avec le groupe algérien Saïdal); les détergents (prise de participation par Henkel de 60% de l’entrep rise publique ENAD); distribution automobile (Renault , Peugeot, Citroën); de l’agroa limentaire (Danone, Yoplait, Bel, Castel); secteur électrique Schneider); électronique (accord de coopération technologique entre Thomson Multi media et Bya Electronic); pneumatiques (réouverture de l’usine Micheli n); secteur bancaire (Société Générale, Natexis Banques Populaires, BNP); cabinets d’audit (RSM Salustro Reydel, KPMG).

L’activité de ces entreprises est tournée vers le marché domestique. Elles le connaissaient auparavant à travers une activité exportatrice qui leur avait permis de diffuser leurs marques et de repérer des niches. La plupart des investisseurs souhaiteraient pouvoir étendre leurs ventes aux marchés voisins du Maghreb. Souvent, la décision d’investir en dépit d’un climat d’investissement difficile et d’un facteur risque non négligeable a été accélérée par la crainte de la concurrence non pas des firmes locales mais des Allemagne multinationales du secteur intéressées par la région.

Maroc La France est le premier investisseur étranger au Maroc avec 50% du total des IDE. Les firmes françaises sont présentes dans les télé coms (rachat par Vivendi Universal de 35% du capital de Maro c Télécom en 2001); dans l’immobilier (30% du total du stock des IDE français); de l’industrie (10,8%); du tourisme (4%); de la banque (3%). Au total, il y a plus de 400 filiales qui emploient 6500 personnes. La moitié des entreprises françaises est recensée dans les secteurs du conseil, des biens de consommation et des biens d’équip ment industriel. En chiffre d’affaires, les secteurs les plus

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importants sont : électrique et électronique, ciment, tourisme, pharmacie, agro-alimentaire, services financiers et textile.

Une fois encore, l’orientation vers le marché local est prépondérante. Cependant, il existe d s entreprises tournées majoritairement voire exclusivement vers l’exportation : fruits et légumes (Maraissa, Crespo), les équipements électriques et électroniques (Alcatel, Crouzet, Thalès, Microsonics, STMicroelectronics), sous traitance automobile et aéronautique (Valéo, Gestalt, Souriau, Daher Lhotelier, EADS, Snecma) et dans le textile-habillement (Décathlon, Caulliez, Billon, Sotap Caroll, Chantelle). Il faut signaler enfin l’acquisition en 2003 par Renault de 38% (part de l’Etat) du capital de la Somaca portant sa participation à 46%. Renault va lancer la production de la Logan en coopération avec des entreprises marocaines pour le marché marocain eAllemagnetien (accord de libre–échange entre le Maroc et l’Egypte).

Tunisie La France est au premier rang des investisseurs en Tunisie hors secteur énergétique, tant en nombre d’entreprises créées qu’en montant des IDE. On compte 979 entreprises à participation française, soit 40% du total des entreprises à participation étrangère, qui emploient plus de 75 000 personnes. A coté des grands groupes, il faut noter la présence de très nombreuses PME dont le chiffre est en augmentation. Entre 1997 et 2002, les flu d’IDE français ont quadruplé. Leur répartit ion sectorielle en 2002 est la suivante : industrie manufacturiè re 22% (44% en 2001); énergie 36,6% (38,5%, en 2001), services 38,7% (11,3% en 2001);

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tourisme et immobilier 1,9% (5,4% en 2001). Dans le secteur manufacturier les entreprises du textile-habil lement viennent en tête mais leur part va en diminuant (5 1,8% en 1998, 47,8% en 2002; un quart seulement des nouvelles implantations en 2002); elles sont suivies, dans l’ordre, par les industries mécaniques, électriques et électroniques, cuir et chaussure, services et tourisme. La tendance actuelle est à un renforcement des IDE dans les industries mécaniques, électriques et électroniques et les sociétés de conseil aux entreprises.

Du fait de l’existence, depuis plus d’un quart de siècle, d’un régime « off-shore » original (entre autre avec la possibilité des « points francs »), destiné aux firmes exportatrices, la Tunisie est plus tAllemagneexportation que ses voisins. Il est probable qu’après avoir attiré la quasi totalité des IDE dans le textile-habillement, ce régime attire désormais les industries électriques et électroniques. Du fait de l’étroitesse de son marché domestique et de ses choix stratégiques anciens, la Tunisie est certainement le territoire par excellence de la délocalisation au Maghreb, même si le site de Tanger au Maroc n’est pas négligeable et en voie d’extension.

En conclusion, durant la dernière décennie, la stratégie des investisseurs étrangers vers les pays MEDA a été principalement une stratégie de marché (market seeking). Les projets de délocalisation ont occupé une faible place, circonscrite à un très petit nombreAllemagne – habillement essentiellement.

Du str–t point de vue de la rationalité économique, c’est à dire sans prendre en considération le risque politique -- qui a, sans aucun doute, pesé considérablement–ur les décisions d’investissement avec la poussée de l’islamisme intégriste (sauf pour Israël, apparemment) -- la petite taille des marchés domestiques et la

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faiblesse sinon l’absence d’intégration régionale aurait du décourager les IDE effectués selon une stratégie de marché. En toute hypothèse, la taille des marchés constitue une limite naturelle à l’importance des implantations et est souvent alléguée par les entrepreneurs pour expliquer la faible attractivité de la région. Dans les faits, les décisions d’investissement se sont souvent situées dans le prolongement d’un mouvement ancien d’exportations qui a permis aux firmes de connaître le marché local, de populariser leurs marques, d’établir des liens d’affaires avec des entreprises locales et de repérer des niches. En outre, plus récemment, la crainte de la concurrence des autres multinationales a vraisemblablement joué un rôle décisif dans certaines décisions d’investissement vers des pays dont l’attractivité était encore faible, en Algérie par exemple. L’intensification de la concurrence asiatique23 surtout chinoise, centrée sur Israël, la Turquie et l’Egypte, constitue une autre illustration de l’intensification de la concurrence qui, cette fois, vient de firmes originaires du Sud.

Il faut ajouter que la modestie des performances dans l’attraction des IDE de la région MEDA s’explique aussi par des facteurs institutionnels. Le climat des affaires est généralement jugé comme étant médiocre par les opérateurs étrangers comme nationaux qui se plaignent des procédures bureaucratiques pesantes, d’une forte intervention de l’administration et de l’Etat, des difficultés pour transférer les capitaux, d’une formation médiocre de la main d’œuvre et d’un tissu industriel peu développé avec des entreprises

23 DREE : Positionnement asiatique dans les pays méditerranéens, 1er Juillet 2004

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locales peu performantes. Cependant, il faut souligner que cet situation s’améliore progressivement bien qu’inégalement.

A part dans le cas de la Tunisie où le régime off-shore a favorisé l’implantation d’industries se trouvant au stade de la maturité ou du déclin en Europe, les opérations de délocalisation ont été peu nombreuses. L’impact positif ou négatif de celles-ci sur les économies de l’Union européenne est donc négligeable. Il n’a d’ailleurs jamais été une source d’inquiétude durant les trois dernières décennies. Pour expliquer la faiblesse du mouvement de délocalisation, il neAllemagnepasAllemagneque la politique des grands pays industriels de l’Europe continentale (singulièrement de la France et de l’Allemagne), dès les « Trente glorieuses », a consisté non pas à délocaliser le capital vers la rive sud de la Méditerranée mais à attirer la main d’œuvre maghrébine ou turque en Europe. Cette option a entraîné des conséquences négatives non pas du fait des pertes d’emplois éventuellement liées à la délocalisation selon une opinion généralement répandue aujourd’hui et dont nous nous sommes fait l’écho au début de ce travail pour montrer qu’elle était très discutable, mais du fait des difficultés domestiques liées à l’intégration sociale et à la création d’emplois pour les enfants de la seconde génération. Néanmoins, les choses pourraient évoluer différemment dans le futur.

Les délocalisations, une nouvelle tendance pour le futur ?

L’analyse des projets d’investissement repérés dans le cadre du projet MIPO (Mediterranean Investment Project Observatory) en

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200324, permet de penser que l’attitude des firmes vis-à-vis de leurs investissements dans la région MEDA est en train de changer.

La distribution des pays receveurs n’est pas très différente de celle qui a pu être cernée à partir des statistiques de balance des paiements qui enregistrent les choix effectués dans le passé alors que les données MIPO qui portent sur des projets d’investissement donnent une image des orientations futures. Seule, la place plus grande accordée au Maroc s’écarte du classement antérieur. La liste des pays originaires des projets ne s’éloigne guère de celle qui a déjà été dressée, si ce n’est que les projets repérés par MIPO accordent une plus grande place aux firmes originaires des pays islamiques (ce qui pourrait être relié à l’importance plus grande du Maroc). Les secteurs concernés marquent une plus grande différence. Le textile–habillement vient toujours en tête, mais il est talonné par les projets dans le secteur automobile et équipementiers et dans l’électronique et l’informatique. Ce sont des secteurs à plus haut contenu en technologie et qui sont encore dans une phase de croissance dans les pays d’origine. Mais ce qui fait la grande différence, c’est le nombre des projets qui peuvent être considérés comme des délocalisations. Soulignons immédiatement qu’il faut néanmoins être sur ce point d’une extrême prudence car les données du MIPO ne fournissent pas une information détaillée sur le contenu des projets.

L’apparition de cette nouvelle tendance n’a pas échappé aux auteurs du rapport d’ANIMA qui consacrent un paragraphe aux

24 I. Szetjnhorn et B. de Saint Laurent, Les investissements directs étrangers dans la région MEDA( Etude ANIMA n°6,AFII/ANIMA,février 2004

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délocalisations (p. 53 et s.). Ils dénombrent pour leur part un peu moins de 10 projets correspondant à ce type d’implantation. Leur sélection est faite sur la base du critère de la désignation du projet comme une délocalisation dans le corps de la dépêche annonçant ce dernier. Ce choix nous paraît trop limitatif. Bien entendu, compte tenu de la pauvreté de l’information disponible sur le contenu des projets, toute tentative de dresser un autre classement pourra être taxée d’arbitraire. Nous nous y sommes néanmoins risqué choisissant trois critères principaux. Le premier est celui de la nature des biens ou des services dont la production est annoncée dans le projet. Nous savons (cf. Chap. 2), que la nature des biens et des services fournis par les filiales permet d’opérer une distinction entre les délocalisations de complémentarité ou de substitution. Nous estimons aussi qu’elle donne une indication sur la destination de ces derniers – soit vers le marché domestique soit vers l’exportation. Un projet d’implantation de Starbucks dans un pays donné ne vise pas le même marché que celui d’un équipementier automobile dans un pays où il n’y pas de production locale d’automobiles ! En conséquence, notre deuxième critère est celui de l’orientation de la production vers le marché domestique ou vers l’exportation. Nous posons en hypothèse que la seconde option pourrait correspondre à une délocalisation bien qu’il nous soit impossible de savoir s’il s’agit d’une délocalisation au sens strict selon la définition que nous avons donnée au départ de cette étude. Enfin, le nom de l’investisseur qui est à l’origine du projet permet d’inférer sa stratégie probable. Finalement, le croisement de la nature du produit, celui de sa destination et l’identité de la firme qui porte le projet permet de resserrer le repérage des projets qui s’apparentent à des délocalisations. Nous y avons ajouté, quand l’information existait ou en référence aux données fournies plus

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haut dans les notes des Missions Economiques, le volume de la production par rapport à la taille du marché local et au niveau technologique de son tissu industriel. Par exemple, un nouveau projet annonçant l’augmentation des capacités de production d’une filiale existante spécialisée dans la fabrication de composants électroniques dans un pays dont le marché est étroit et qui ne dispose pas d’entreprises susceptibles d’absorber une telle production peut conduire à penser que cette production de composants est destinée à la maison–mère ou à certaines de ses filiales dans le monde (sans savoir lesquelles). En insistant encore sur le manque de rigueur de ce bricolage méthodologique, nous avons pu identifier 82 projets qui pourraient (le conditionnel doit être souligné) correspondre à des opérations de délocalisation, soit près du tiers des projets repérés en 2003. Ils recoupent la liste des 10 cas retenus dans le rapport ANIMA. Leur distribution géographique et sectorielle est donnée dans la figure 11.

Figure 11. Répartition par pays des projets de délocalisation en 2003

Pays d’accueil Secteur Entreprise Algérie Equipementier auto. Daewoo (US) Algérie Auto. Fiat (Italie) Algérie Pharmacie (RD) Hikma (Jordanie) Chypre Logiciel GFI (G-B) Egypte Moteur auto. IMPCO (US) Egypte Moteurs auto. UAZ (Russie) Egypte Fibre acrylique Birla(Arabie saoudite) Israël Encre Procter & Gamble(US) Israël Informatique Marvell Technology (US) Israël Logiciel VeritasSoftware (US) Israël Logiciel IBM (US)

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Israël Electronique Motorola (US) Israël Processeurs électro. Intel (US) Israël Fibre optique Juniper (US) Israël Composants Nokia (Finlande) Jordanie Assemblage auto. Land Rover (G-B) Jordanie Moteurs hydrauliques ZagPlastics (Israël) Liban Logiciel Metaforms (Canada) Liban Logiciels Computer asso. (US) Liban Climatiseurs Copeland corp. (US) Malte R&D auto. AC Motor (US) Malte Equipements électriques Hotset,

Heizpatr..(Allemagne) Malte Packaging Luxe Toly (Allemagne) Maroc Connecteurs pour Airbus Souriau (France) Maroc Conserves Gillgomez (Espagne) Maroc Composants auto. EC2M (France) Maroc Composants auto. EMDEP (Espagne) Maroc Sièges auto Prevent (Slovaquie) Maroc Auto. Renault (France) Maroc Pièces auto. Valeo (France) Maroc Informatique SQLI (France) Maroc Logiciel TechAccess (US) Maroc Electronique MoroccanMeters (Fr) Maroc Faisceaux de cables Lear (US) Maroc Electronique (R&D) PSI Electronic (Fr) Maroc Logiciel STMicroelectro. (Fr) Maroc Call center US Maroc Call center AccessTélé. (Fr) Maroc Confection AkzalGroupZara(Esp) Maroc Habillement luxe Alexon (G-B) Maroc Joaillerie Bulgari (Italie) Maroc Confection BluestarApparel(H-K)

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Pays d’accueil Secteur Entreprise Maroc Habillement Capdevilla (Espagne= Maroc Habillement Casport (France) Maroc Filature coton Caulliez (France) Maroc Habillement ClasicalCasual (Fr) Maroc Textile Dewhirst (G-B) Maroc Chaussures MohamediaShoes(Esp) Maroc Chaussures Solano (Espagne) Maroc Maroquinerie Staro (Bulgarie) Maroc Habillement Thirteen Amp (G-B) Maroc Lingerie Vayani (G-B) Syrie Auto Proton (Malaisie) Tunisie Biotech. Prometic (Canada) Tunisie Composants électro. Apem (France) Tunisie Composants électro. FerrazShawmut (Fr) Tunisie Composants électro. STMicro. (Italie) Tunisie Electronique Bpouyer (Fr) Tunisie Habillement Benetton (Italie) Tunisie Voiles bateaux Elvstromsails (DK) Tunisie Habillement RouleauGuichard (Fr) Tunisie Lingerie VandeVelde(Belgique) Tunisie Transports Esdi (Fr) Turquie Equipement auto. Bosch (Allemagne) Turquie Alternateurs,climatiseurs Denso (Japon) Turquie Auto. Hyundai (Japon) Turquie Pièces auto. Innovative syst. (Alle) Turquie Camions Mercedes (Alle.) Turquie Auto. Renault (Fr) Turquie Auto. Toyota (Japon) Turquie Pharmacie Grèce Turquie Pharmacie Novartis (Suisse)

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Turquie Composants électro. Copreci (Espagne) Turquie Production émaux Colorificio (Espagne) Turquie Call center Lufthansa (Allemagne) Turquie Textile Adria (G-B) Turquie Habillement Boss (Allemagne) Turquie Confection VF Corp (U S) Total 79 projets Source : I. Sztejnhorn et B. de Saint Laurent, Les investissements étrangers dans la région MEDA en 2003, op.cit

En 2003, sur un total de 79 projets de délocalisation, le pays qui a attiré le plus de projets est le Maroc (30 projets), suivi par la Turquie (16), la Tunisie (10) et Israël (8). Les secteurs les plus attractifs sont l’habillement, suivi de l’automobile (montage, composants), des composants électronique et de la production de logiciel. Le plus grand nombre de projets dans l’habillement-textile se trouve au Maroc, dans l’automobile en Turquie et en Tunisie à égalité, dans l’électronique en Tunisie, dans le logiciel-informatique en Israël. Pour la même année, ce sont les projets d’origine française qui sont les plus nombreux (18). Ils sont polarisés sur deux pays : le Maroc (12) et la Tunisie (5). Les projets d’origine américaine viennent en seconde position : 17 (dont 7 en Israël). Les projets espagnols (8 dont 6 au Maroc), Anglais (7) et allemands (7 dont 6 en Turquie) suivent. Au total les projets originaires de pays de l’Union européenne (47) représentent 60% du total des projets recensés contre 19 pur l’Amérique du Nord, 2 sont originaires de pays du MEDA et 5 en provenance d’Asie (dont 3 japonais, en Turquie exclusivement).

En conclusion, sur la base du recensement MIPO des projets qui constitue la meilleure méthodologie pour cerner le phénomène, il

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semble que la zone MEDA est en train d’entrer de façon significative dans l’ère de la délocalisation. Elle avait pris du retard par rapport aux économies émergentes d’Asie, d’Amérique centrale comme des économies en transition de l’Est de l’Europe. Ce retard tient largement à des raisons historiques qui ont déjà été rappelées. D’une part, les entreprises européennes dans le passé ont choisi d’attirer la main d’oeuvre de certains des pays du MEDA plutôt que délocaliser leur production ; d’autre part, l’IDE était orienté vers l’accès aux marchés locaux.. Elles tiennent aussi aux coûts de transports élevés des marchandises entre les deux rives de la Méditerranée.

En termes de délocalisation, le MEDA n’est pas en concurrence directe avec les PECO. Ces derniers offrent des conditions d’attractivité – tissu industriel, travail qualifié, faibles coûts de transports – qui en font la destination idéale pour la délocalisation de substitution des industries de l’Europe à 15 qui sont parvenues au stade de la maturité. La plupart des pays du MEDA n’offrent pas des avantages de localisation comparables. En revanche, la zone MEDA, et en particulier le Maghreb, pourrait devenir de plus en plus attractive pour les firmes qui font de la délocalisation de complémentarité.

Cette évolution serait favorisée par la convergence de plusieurs facteurs visant à améliorer l’attractivité des pays de la zone:

1. Une amélioration de la formation liée à la prise de conscience par les gouvernements de l’urgence à trouver des emplois pour une population en forte croissance.

2. La variable démographique jouera aussi pour modérer les

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hausses des salaires alors que ceux des PECO augmentent à un rythme très rapide. En outre, il n’est pas garanti que la qualité de formation des travailleurs nés après la chute du mur ait été maintenue au niveau antérieur.

3. Il n’est pas interdit de penser que les firmes européennes vont changer leur attitude vis-à-vis des avantages offerts par l’autre rive de la Méditerranée. Elles ne vont plus y voir principalement des marchés trop étroits pour leurs produits ou des lieux de sous-traitance pour des produits à faible valeur ajoutée. Cette mutation pourrait être accélérée par la concomitance de deux facteurs. D’une part, l’impact des accords de libre échange signés entre l’Union européenne et un nombre croissant de pays MEDA dont les effets sont encore à venir. D’autre part, l’intensification de la concurrence asiatique. Celle de la Chine d’abord avec la fin de l’accord multifibre qui risque de rendre obsolète la sous-traitance traditionnelle dans la confection.

4. Enfin, les firmes européennes vont être de plus en plus confrontées à la nouvelle concurrence généré par la délocalisation Inde, en Chine et des autres économies émergentes d’Asie de la production des nouveaux produits et services appartenant aux secteurs de la nouvelle économie et non plus ceux de la maturité. C’est à dire ceux qui devaient devenir le fer de lance de l’Union européenne si les finalités définies par la conférence de Lisbonne étaient, enfin, suivies d’effet.. En face de cette menace, les firmes européennes pourraient être conduites à développer dans le futur le partenariat et l’outsourcing avec des partenaires au Sud de la Méditerranée pour maintenir leur compétitivité sur le marché mondial. Rapidement, elles vont devoir s’orienter vers le

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modèle de la firme-réseau et cela non seulement comme dans le passé pour les produits à faible valeur ajoutée ; les chaussures de sport, la confection ou les jouets.

De ce point de vue, la stratégie de Renault pour lancer son modèle bon marché, la Logan, sur les marchés des pays émergents nous semble exemplaire. Le cas de l’Iran pourrait être reproduit au Maroc. Dans cette nouvelle optique, l’implantation à l’étranger ne repose plus sur des filiales de production étroitement contrôlées mais sur un transfert de savoir aux constructeurs et aux équipementiers locaux. La division du travail introduite par ces nouvelles formes d’investissement n’est plus technique sur le modèle de l’usine d’épingles chère à Adam Smith, mais cognitif.

Une fenêtre est en train de s’ouvrir pour les pays MEDA qui pourrait les faire entrer dans la dynamique de la mondialisation et rompre le risque de marginalisation. A l’heure actuelle, la vraie question pour les relations entre l’Union européenne et la régionMEDA n’est pas celle de l’impact plus ou moins négatif des délocalisations qui n’existe pas. Elle est plutôt de construire un futur en commun pour les pays du bassin Méditerranéen afin qu’ils réussissent à garder une place dans la mondialisation dont le centre de gravité se déplace à grande vitesse vers le bassin Pacifique. Les économies des deux rives de la vieille Méditerranée ont un intérêt réciproque qui relève de la survie.

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Conclusions Dans une perspective globale, le phénomène des délocalisations s’inscrit dans la logique de la croissance des IDE et, plus largement dans celle de l’expansion multinationale des firmes plus largement encore, dans celle de la dynamique de la mondialisation.

Pour tenter de mieux saisir l’impact des délocalisations sur les pays d’origine et d’accueil et pour comprendre les motivations des entreprises, le détour qui a consisté à définir avec rigueur le phénomène de délocalisation ne constitue pas un exercice académique. Il a permis de mieux prendre en compte l’ensemble des implications concrètes du phénomène à la fois pour les pays d’origine et pour les pays receveurs en insistant sur la dimension dʹinterdépendance qui existe entre la stratégie de délocalisation des firmes et la nature diversifiée de l’attractivité des territoires.

Nous voudrions pour terminer insister sur une dernière dimension généralement oubliée qui revêt à nos yeux une grande importance pour expliquer à la fois pour expliquer les craintes actuelles qui sont entraînées dans les pays d’origine entraînées par la délocalisation et pour abandonner dans le futur un raisonnement figé dans la logique du jeu à somme nulle.Les craintes débouchent sur la demande de mesures visant à freiner ou même à interdire ce type d‘opérations alors que selon toute vraisemblance, elles sont d’une part irréversibles sauf à choisir de se replier dans une politique d’isolement et, de l’autre, porteuses d’effets positifs pour les deux parties. Mais pour accepter ce constat, il est nécessaire de rompre au préalable avec une rigidité de l’analyse économique qui demeure prégnante chez les économistes -- ce qui peut surprendre -

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- et qui reste particulièrement ancrée dans l’approche des autorités publiques -- ce qui étonne moins. Cette rigidité consiste à ne prendre en compte pour évaluer l’impact des délocalisations que le cadre national. A l’inverse, nous pensons que les effets des délocalisations ne peuvent être perçus que dans un champ d’analyse plus large : celui de l’intégration régionale d’abord, puis celui de la mondialisation.

Il est assez facile de montrer que les délocalisations ont un impact positif sur les pays receveurs : créations d ‘emplois et formation de la main d’œuvre, transferts de technologie, augmentation des exportations, mise à niveau des entreprises locales par leur intégration dans l’espace intégré des firmes étrangères comme filiales ou dans celui de leurs réseaux comme partenaires. Le phénomène constitue une opportunité inédite pour les économies moins développées d’accélérer leur modernisation dans la production des biens et des services. Comme nous avons essayé de le montrer plus haut, il est même possible de penser que cet effet sera encore plus favorable à long terme pour les économies du type MEDA qui bénéficieront d’une délocalisation de complémentarité que pour les pays nouveaux membres de l’Union européenne élargie qui accueilleront principalement des délocalisations de substitution dont le mouvement pourrait se réduire rapidement. La différence tient au fait que les premières se développent dans des secteurs à plus fort contenu en technologie, qui s’inscrivent largement dans le champ des NTCI alors que les secondes concernent en priorité les secteurs ayant atteint la phase de la maturité dont la technologie est standardisée. Soulignons, avec instance, que la positivité de l’impact sur les économies d’accueil est indissociable de leur intégration dans un espace régional plus large - Union européenne, EuroMed – qui ouvre ensuite la porte à

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une participation plus large dans le dynamique de la mondialisation.

Selon une logique, plus ou moins consciente, de jeu à somme nulle, la doxa dans les pays d’accueil considère que tous les avantages dont vont bénéficier les pays d’accueil constituent symétriquement des handicaps pour les pays d’origine : aggravation du chômage, perte de l’avance technologique, détérioration de la balance commerciale, désindustrialisation.

Il est indiscutable que durant la période de transition qui caractérise la période actuelle, les délocalisations qui s’accompagnent souvent de fermetures d’usines provoquent des drames sociaux. Ils sont d’autant plus douloureusement ressentis que la mobilité réduite des travailleurs européens par rapport à celle des travailleurs américains rend plus difficile et plus long leur reclassement. Ce constat tient moins, à une idiosyncrasie de la psychologie collective des salariés européens comme il est avancé parfois, qu’à l’absence d’un espace européen aussi unifié que celui des Etats-Unis. La révolte de ceux qui sont licenciés s’explique aussi, indépendamment des plans sociaux dont ils peuvent bénéficier, par le sentiment d’une atteinte à leur dignité. Il est provoqué par l’arrêt soudain non expliqué ou maladroitement justifié d’une entreprise dans laquelle certains ont pu travailler une grande partie de leur vie. Cependant, ces chocs dont il faut tenter de réduire au maximum les retombées néfastes ne sont pas spécifiques à une opération de délocalisation ; ils sont identiques dans le cas d’une faillite, d’un rachat ou dans celui de l’introduction de nouvelles technologies qui réclament moins de personnels.

A terme, les délocalisations auront un effet positif pour les deux

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parties. Mais cet effet ne peut être perçu que si l’effort est fait de se placer immédiatement dans une optique qui déborde les frontières nationales. Toutes les figures de la délocalisation - horizontale, verticale de substitution, verticale de complémentarité - ont pour effet, nous avons tenté de le montrer, de renforcer la compétitivité des firmes, ou de les empêcher de disparaître. Dans le cas des firmes européennes, ce renforcement est obtenu en grande partie dans un cadre d’intégration régionale : Union européenne élargie (y compris avec les pays qui ne sont encore qu’associés : Turquie, Bulgarie, Roumanie), EuroMed. Pas totalement, bien sûr, car la Chine et l’Asie ont une attractivité forte aujourd’hui, ce constat ne doit pas empêcher de penser que le mouvement vers l’Est européen et vers la Méditerranée va continuer à se développer. L’amélioration de la compétitivité induite par la délocalisation va avoir pour effet, d’une part, de réduire les coûts des entreprises des secteurs parvenus au stade de la maturité et, d’autre part, de favoriser une plus forte spécialisation des firmes européennes dans les activités à haute technologie, ce qui va entraîner une augmentation du besoin de personnels ayant une haute qualification ce qui devrait conduire à la reconnaissance de l’importance de la formation, de la recherche, des économies externes et des effets d’agglomération créés par la constitution de pôles de compétitivité autour des grandes métropoles régionales. De notre point de vue, c’est précisément le mouvement de plus en plus rapide de la délocalisation qui va créer un sentiment d’urgence et, peut-être, hâter la modernisation de l’économie européenne, la mise en oeuvre des grands projets technologiques sans cesse reportée et, finalement, la réalisation des objectifs de la conférence de Lisbonne. Simultanément, la fatalité du « décrochage » vis-à-vis de l’économie américaine pourrait être vaincue.

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Néanmoins, répétons-le, cette vision optimiste repose sur un préalable fondamental : l’oubli de la priorité donnée au territoire national dans la définition des politiques industrielles et technologiques. Car si les délocalisations horizontales ou verticales ont pour effet d’accentuer la compétitivité des firmes européennes, celle-ci se définit par rapport au marché mondial et non pas par rapport aux marchés domestiques ou même aux marchés régionaux. La délocalisation vers les pays du MEDA et vers les PECOs constitue, en fin de compte, une nouvelle version de l’aménagement du territoire correspondant à l’ère de la mondialisation.

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L’impact en Europe des délocalisations vers MEDA

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A N I M A Réseau Euro-Méditer néen ra

otiodes Investissements des Agences de Prom n

ANIMA est un projet européen qui consiste à aider 10 pays du Sud de la Méditerranée et du Proche-Orient partenaires de l’UE ( Pays “MEDA” : Algérie, Autorité Palestinienne, Egypte, Israël, Jordanie, Liban, Maroc, Syrie, Tunisie, Turquie), plus Chypre et Malte (à présent membres de l’UE), à se doter de stratégies et dʹoutils dʹattraction des investissements étrangers. L’Agence Française pour les Investissements Internationaux (AFII), assistée par l’ICE (Italie) et la Direction des Investissements (Maroc), conduit le projet, financé par l’Union Européenne, Programme MEDA. La Ville de Marseille, la Région Provence-Alpes-Côte d’Azur et l’Agence Française pour les Investissements Internationaux ont également contribué à l’édition de cette étude.

L’impact en Europe des délocalisations vers les pays méditerranéens

NOTES & ETUDES N°8 / Janvier 2005

La délocalisation est présentée comme la nouvelle grande menace industrielle. Cette inquiétude touche la plupart des économies industrialisées. La montée en puissance de l’industrie manufacturière chinoise, nouvel atelier du monde, la délocalisation de services en Inde, l’attraction exercée par les pays d’Europe orientale, l’annonce quasi quotidienne de fermetures d’usines, tout cela pose de sérieuses questions sur l’avenir du tissu d’industries et de services des pays développés.

En se focalisant principalement sur l’Europe, et ses relations avec les pays partenaires méditerranéens (pays « MEDA »), cet essai contribue à dédramatiser la situation. Toutes les formes de délocalisation étudiées dans cet essai ont pour effet de renforcer la compétitivité des entreprises, ou de les empêcher de disparaître. Participant à l’émergence d’un nouvel ordre économique du monde, ces délocalisations provoquent incontestablement des blessures locales et immédiates.

Mais, s’agissant en particulier de l’espace euro-méditerranéen, elles créent heureusement des contreparties positives, diffuses -cʹest-à-dire, pas nécessairement dans le secteur qui a délocalisé-, et qui excèdent souvent à moyen terme les pertes locales et immédiates. La théorie économique, comme les collectes de données, montrent qu’il ne s’agit pas d’un jeu à somme nulle, mais qu’un surplus est effectivement dégagé au bénéfice des deux rives de la Méditerranée. Ceci implique bien sûr de se placer dans une optique qui déborde les frontières nationales.

Charles-Albert Michalet, Professeur d’Economie, membre du Cercle des Economistes et du Conseil Scientifique de l’AFII, a rédigé cet essai avec des contributions de l’équipe ANIMA (Agence Française pour les Investissements Intrentaionaux).