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Démarche diagnostique et thérapeutique devant une hypoxémie Diagnosis and management of hypoxemia M. Bonay a,b a Service de physiologie-explorations fonctionnelles et service de pneumologie, hôpital Bichat-Claude Bernard, 46, rue Henri-Huchard, 75877 Paris cedex 18, France b Unité INSERM 408, faculté Xavier Bichat, 16, rue Henri-Huchard, BP 416, 75870 Paris cedex 18, France MOTS CLÉS Hypoxémie ; Gaz du sang ; Hypoventilation alvéolaire ; Effet shunt ; Shunt vrai ; Diffusion alvéolocapillaire ; Insuffisance respiratoire chronique ; Oxygénothérapie KEYWORDS Hypoxemia; Arterial blood gases; Alveolar hypoventilation; Ventilation-perfusion mismatch; True shunt; Alveolar-capillary diffusion; Chronic respiratory insufficiency; Oxygen therapy Résumé Responsable d’hypoxie tissulaire, l’hypoxémie a des conséquences néfastes pour l’organisme. La mise en évidence d’une hypoxémie par la gazométrie artérielle peut nécessiter une prise en charge urgente en milieu spécialisé selon son degré de gravité. Dans tous les cas, la recherche d’une étiologie s’impose afin de débuter le traitement spécifique mais ne doit pas retarder l’oxygénothérapie. L’hypoventilation alvéolaire, les troubles de distribution du rapport ventilation/perfusion pulmonaire, le shunt vrai et les troubles de diffusion à travers la membrane alvéolocapillaire sont les principaux méca- nismes responsables d’hypoxémie. Dans la plupart des cas, l’interrogatoire, l’examen clinique et l’analyse d’examens complémentaires non invasifs suffisent au diagnostic étiologique. La prise en charge thérapeutique associe le traitement étiologique à l’oxy- génothérapie selon certaines règles de prescription. © 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Abstract Since it may induce tissue hypoxia, arterial hypoxemia has fatal consequences on the organism. Evidence of hypoxemia by arterial blood gases, depending on its severity, may require emergency management in an intensive care unit. In any case, the screening for the cause is mandatory prior to any treatment initiation, but this must not delay the oxygen therapy. Alveolar hypoventilation, inadequate distribution and mat- ching of ventilation and perfusion, true shunt and impaired diffusion across the alveolar capillary membrane are the main responsible mechanisms of hypoxemia. In most cases, clinical history, physical examination, and non invasive laboratory tests constitute sufficient basis for etiological diagnosis. In accordance with the recommendations, the therapeutic management associates etiological treatment and oxygen therapy. © 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Introduction La démarche diagnostique et thérapeutique devant une hypoxémie est différente selon le caractère aigu ou chronique de celle-ci. Cet article abordera essentiellement le cas de l’hypoxémie subaiguë ou chronique (l’hypoxémie aiguë est développée dans le cadre de l’insuffisance respiratoire aiguë). L’in- terrogatoire et l’examen clinique, les gaz du sang, la radiographie pulmonaire et l’électrocardio- gramme permettent d’évaluer la gravité de l’hy- Adresse e-mail : [email protected] (M. Bonay). EMC-Médecine 1 (2004) 393–405 www.elsevier.com/locate/emcmed © 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi: 10.1016/j.emcmed.2004.05.001

Démarche diagnostique et thérapeutique devant une hypoxémie

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Page 1: Démarche diagnostique et thérapeutique devant une hypoxémie

Démarche diagnostique et thérapeutiquedevant une hypoxémie

Diagnosis and management of hypoxemiaM. Bonay a,b

a Service de physiologie-explorations fonctionnelles et service de pneumologie,hôpital Bichat-Claude Bernard, 46, rue Henri-Huchard, 75877 Paris cedex 18, Franceb Unité INSERM 408, faculté Xavier Bichat, 16, rue Henri-Huchard, BP 416, 75870 Paris cedex 18, France

MOTS CLÉSHypoxémie ;Gaz du sang ;Hypoventilationalvéolaire ;Effet shunt ;Shunt vrai ;Diffusionalvéolocapillaire ;Insuffisancerespiratoirechronique ;Oxygénothérapie

KEYWORDSHypoxemia;Arterial blood gases;Alveolarhypoventilation;Ventilation-perfusionmismatch;True shunt;Alveolar-capillarydiffusion;Chronic respiratoryinsufficiency;Oxygen therapy

Résumé Responsable d’hypoxie tissulaire, l’hypoxémie a des conséquences néfastes pourl’organisme. La mise en évidence d’une hypoxémie par la gazométrie artérielle peutnécessiter une prise en charge urgente en milieu spécialisé selon son degré de gravité.Dans tous les cas, la recherche d’une étiologie s’impose afin de débuter le traitementspécifique mais ne doit pas retarder l’oxygénothérapie. L’hypoventilation alvéolaire, lestroubles de distribution du rapport ventilation/perfusion pulmonaire, le shunt vrai et lestroubles de diffusion à travers la membrane alvéolocapillaire sont les principaux méca-nismes responsables d’hypoxémie. Dans la plupart des cas, l’interrogatoire, l’examenclinique et l’analyse d’examens complémentaires non invasifs suffisent au diagnosticétiologique. La prise en charge thérapeutique associe le traitement étiologique à l’oxy-génothérapie selon certaines règles de prescription.© 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Abstract Since it may induce tissue hypoxia, arterial hypoxemia has fatal consequenceson the organism. Evidence of hypoxemia by arterial blood gases, depending on itsseverity, may require emergency management in an intensive care unit. In any case, thescreening for the cause is mandatory prior to any treatment initiation, but this must notdelay the oxygen therapy. Alveolar hypoventilation, inadequate distribution and mat-ching of ventilation and perfusion, true shunt and impaired diffusion across the alveolarcapillary membrane are the main responsible mechanisms of hypoxemia. In most cases,clinical history, physical examination, and non invasive laboratory tests constitutesufficient basis for etiological diagnosis. In accordance with the recommendations, thetherapeutic management associates etiological treatment and oxygen therapy.© 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Introduction

La démarche diagnostique et thérapeutique devantune hypoxémie est différente selon le caractère

aigu ou chronique de celle-ci. Cet article aborderaessentiellement le cas de l’hypoxémie subaiguë ouchronique (l’hypoxémie aiguë est développée dansle cadre de l’insuffisance respiratoire aiguë). L’in-terrogatoire et l’examen clinique, les gaz du sang,la radiographie pulmonaire et l’électrocardio-gramme permettent d’évaluer la gravité de l’hy-

Adresse e-mail : [email protected](M. Bonay).

EMC-Médecine 1 (2004) 393–405

www.elsevier.com/locate/emcmed

© 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés.doi: 10.1016/j.emcmed.2004.05.001

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poxémie et d’identifier, avec les épreuves fonc-tionnelles respiratoires, les pathologies les plusfréquemment en cause. Cette démarche diagnosti-que est essentielle afin de proposer un traitementétiologique, mais elle ne doit pas retarder le trai-tement symptomatique (oxygénothérapie) dans lessituations critiques.Chez l’homme comme chez tous les mammifè-

res, l’apport d’oxygène (O2) à la mitochondrie estindispensable au métabolisme aérobie et à l’inté-grité cellulaire. En l’absence de système de stoc-kage dans les tissus, seul un apport permanent d’O2adapté aux besoins métaboliques permet d’éviterla production d’acide lactique par le métabolismeanaérobie. Une diminution de la pression partielled’O2 dans les tissus (hypoxie tissulaire) peut aboutirau dysfonctionnement d’un organe, voire à la mort.Schématiquement, le transport de l’O2 de l’airambiant vers la mitochondrie dépend principale-ment : de la ventilation alvéolaire, de l’adéquationde la ventilation à la perfusion pulmonaire, de laquantité d’hémoglobine disponible et de son affi-nité pour l’O2, du débit cardiaque et du débitcapillaire intratissulaire (Fig. 1).1

Définition de l’hypoxémie

La pression partielle artérielle en oxygène (PaO2)est un indicateur facilement accessible de l’effica-

cité de l’échangeur pulmonaire dont la finalité estl’oxygénation tissulaire. Habituellement, l’hypoxé-mie est définie par une diminution de la PaO2 lorsde la mesure des gaz du sang (Tableau 1).2,3 Elleconstitue l’une des quatre causes d’hypoxie tissu-laire avec l’anémie, l’hypoxie de stase (diminution

Figure 1 Transport de l’oxygène de l’air ambiant vers la mitochondrie (modifié d’après1). Les valeurs entre parenthèses sont donnéesà titre indicatif pour un sujet sain adulte de 70 kg avec une FiO2 de 0,21, une pression barométrique à 760 mmHg et une pression devapeur d’eau dans les voies aériennes à 47 mmHg. PiO2 : pression artérielle inspirée d’O2 ; PAO2 : PO2 alvéolaire ; PaO2 : PO2artérielle ; PvO2 : PO2 du sang veineux mêlé ; Hb : hémoglobine ; SaO2 : saturation artérielle de la Hb en O2 ; SvO2 : saturation de l’Hben O2 du sang veineux mêlé ; Qt : débit cardiaque ; CaO2 : contenu artériel en O2 = 1,34 × [Hb] × SaO2 + 0,003 × PaO2 ; CvO2 : contenuveineux en O2 ; TaO2 : transport artériel en O2 = CaO2 × Qt ; TvO2 : transport veineux en O2 = CvO2 x Qt.

Tableau 1 Facteurs physiologiques de variation de la pres-sion partielle en O2 du sang artériel (PaO2) (d’après

2,3).

Age Limites inférieures :– 85 mmHg à 20 ans– 75 mmHg à 60 ans(La PaO2 diminue jusqu’à 70 ans environ puis de-vient indépendante de l’âge)

PaCO2 Plus la PaCO2 est basse, plus la PaO2 devrait êtreélevée (hyperventilation) et inversement (hypo-ventilation) en l’absence de pathologie pulmonaireparenchymateusePar exemple, à plus de 68 ans :– si PaCO2 = 34,5 mmHg ⇒ PaO2 normale = 84 ±7,5 mmHg– si PaCO2 = 41 mmHg ⇒ PaO2normale = 77 ± 7,5 mmHg

Altitude À 1 200 m (valeur moyenne) :– PaO2 = 80 mmHg à 20 ansÀ 3 700 m :– PaO2 = 64,5 mmHg chez l’adulte

Posture Diminution de la PaO2 en décubitus à partir de45 ans

Poids Diminution de la PaO2 de 1 mmHg pour une tranched’augmentation de 10 points de l’index de Broca(100 × poids/taille (cm) – 100)

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du débit sanguin local ou cardiaque) et l’hypoxiehistotoxique (altération de la respiration mitochon-driale par intoxication par exemple).

Mécanismes physiopathologiques

Les trois mécanismes physiopathologiques les plusimpliqués dans la genèse d’une hypoxémie sont :l’hypoventilation alvéolaire, les troubles de distri-bution du rapport ventilation/perfusion (VA/Q) etles shunts (courts-circuits vasculaires droit-gaucheet courts-circuits intrapulmonaires). Le rôle destroubles de la diffusion classiquement invoqué estplus discuté dans les causes d’hypoxémie franche.Enfin, la diminution de la pression partielle inspiréed’oxygène (PiO2) est une situation moins fréquente,liée à l’environnement.

Hypoventilation alvéolaire

L’hypoventilation alvéolaire peut être définiecomme un défaut de renouvellement des gaz alvéo-laires nécessaire au maintien d’une PaCO2 normale.L’hypoventilation alvéolaire pure est une cause peufréquente d’hypoxémie en pratique clinique. Dansla plupart des cas, l’hypoventilation alvéolaire estassociée à une ou plusieurs autres causes d’hypoxé-mie. L’hypoventilation alvéolaire pure est habituel-lement liée à une dépression du système nerveuxcentral par intoxication médicamenteuse ou à unepathologie neuromusculaire touchant les musclesrespiratoires.La ventilation totale d’un patient est le produit

de la fréquence respiratoire par le volume courant.Elle est mesurée au cours de l’expiration (les volu-mes inspirés et expirés sont à peu près les mêmes)et est appelée ventilation expirée par minute ou VE.VE (l min

–1) a deux composantes : la ventilationalvéolaire (VA) qui contribue à l’élimination du CO2et la ventilation de l’espace mort (VD) qui ne parti-cipe pas à cette élimination. Ainsi :

VE = VA + VD

À l’état stable, la production de CO2 �V·

CO2� est

égale à la quantité totale de CO2 expirée en mlmin–1. La quantité de CO2 éliminée est déterminéepar la ventilation alvéolaire (VA) et la concentrationfractionnaire de CO2 dans le gaz alvéolaire (FACO2).L’espace mort n’intervient pas car il ne participepas aux échanges gazeux. Ainsi :

CO2(ml min−1) = VA × FACO2

Cette équation peut être modifiée et expriméeavec les unités de mesure habituelles :

VA (l min–1) =V·

CO2(ml min–1)

PaCO2 (mmHg)× 0, 863

La constante 0,863 est nécessaire compte tenu

de l’expression de la V·

CO2en conditions standard

temperature and pressure dry (STPD) et de la VA enconditions body temperature ambient pressure sa-turated (BTPS). Dans cette équation la PACO2 (PCO2alvéolaire) est assimilée à la PaCO2 (PCO2 arté-rielle), ce qui est une approximation vraie pourl’ensemble des alvéoles mais pas pour toutes.La relation entre la ventilation alvéolaire et la

PaCO2 est d’une importance fondamentale. Elleindique, par exemple, que lorsque la ventilationalvéolaire est divisée par deux, la PaCO2 double (si

CO2reste inchangée). Ainsi, lors d’une hypoventi-

lation alvéolaire, l’hypoxémie s’accompagne d’unehypercapnie. La relation entre la baisse de la PaO2et l’augmentation de la PaCO2 produite par l’hypo-ventilation peut être prédite par l’équation des gazalvéolaires si l’on connaît la teneur en oxygène dugaz inspiré et la valeur du quotient respiratoire R(rapport production de CO2/consommation d’O2 ;dépendant du métabolisme des tissus et normale-ment égal à 0,8). La forme simplifiée de l’équationdes gaz alvéolaire peut s’écrire :

PAO2 = PIO2 –PACO2

R

(où PACO2 = PaCO2 ; PIO2 = FiO2 × (PB – PH2O) avecPB = pression barométrique et PH2O = pression devapeur d’eau dans les voies aériennes à 37 °C).4

L’hypoxémie associée à l’hypoventilation ne ré-sulte pas d’une défaillance des échanges gazeuxmais d’une inadaptation de la pompe ventilatoiredans la plupart des cas. Une différence (ou gra-dient) alvéolo-artérielle en PO2 [(A-a) O2] normale(c’est-à-dire inférieure à 15 mmHg ou plus simple-ment une somme PaO2 + PaCO2 > 120 mmHg) est letémoin de l’efficacité des échanges gazeux et per-met de distinguer une hypoventilation alvéolaired’une autre cause d’hypoxémie.

Troubles de la distribution des rapportsventilation/perfusion (VA/Q)

La mauvaise harmonisation de la ventilation et dudébit sanguin pulmonaire est responsable de laplupart des perturbations des échanges gazeux. Lepoumon n’est pas constitué d’une simple unitéd’échange gazeux mais comporte plusieurs millionsd’unités perfusées en parallèle et ventilées à la fois

395Démarche diagnostique et thérapeutique devant une hypoxémie

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en parallèle et en série. Cette distribution com-plexe de la ventilation et de la perfusion sanguineest influencée par des modifications physiologiquescomme le changement de position et les variationsde volumes pulmonaires par exemple, mais égale-ment par la pathologie.Le rapport VA/Q peut varier de zéro (zone perfu-

sée mais non ventilée, ou shunt) à l’infini (zoneventilée mais non perfusée, ou espace mort). Cerapport est un déterminant majeur de la composi-tion gazeuse (PO2 et PCO2) du sang terminocapil-laire au niveau d’une unité pulmonaire. En patho-logie, quatre grands types d’anomalies du rapportVA/Q peuvent être observés :

• l’effet shunt où VA/Q est diminué (unités pul-monaires perfusées mais mal ventilées) ;

• le shunt vrai (abordé séparément bien quefréquemment associé à l’effet shunt en clini-que) où VA/Q = 0 (unités pulmonaires perfuséesmais non ventilées) ;

• l’effet espace mort où VA/Q est augmenté (uni-tés pulmonaires ventilées mais mal perfu-sées) ;

• l’espace mort où VA/Q tend vers l’infini (unitéspulmonaires ventilées mais non perfusées).

Effet shuntL’effet shunt correspond à la perfusion d’unitéspulmonaires dont la ventilation est diminuée(Fig. 2). Les territoires à bas VA/Q contribuent àl’hypoxémie contrairement aux territoires à hautsVA/Q. Des zones à bas rapport VA/Q se développentle plus souvent lors des bronchopneumopathieschroniques obstructives ou des pathologies intersti-tielles pulmonaires. Cependant, ces zones à basVA/Q peuvent également être observées lors del’augmentation de la perfusion de territoires nor-malement ventilés. Cette situation peut survenirlors de l’embolie pulmonaire au cours de laquelle le

débit sanguin des territoires vasculaires obstruésest redistribué dans les zones saines.Des réflexes locaux interviennent pour atténuer

les inégalités du rapport VA/Q. L’augmentation dela PCO2 dans les voies aériennes entraîne un relâ-chement des muscles lisses bronchiolaires qui tendà augmenter la ventilation locale. Un autre réflexeappelé vasoconstriction hypoxique intervient dansla régulation des rapports VA/Q. L’apparition d’unezone perfusée mal ventilée entraîne une hypoxiealvéolaire. Cette hypoxie alvéolaire induit unecontraction des muscles lisses des parois des peti-tes artérioles adjacentes et permet la diminutionde la perfusion. Ainsi, la vasoconstriction hypoxi-que tend à corriger l’effet shunt mais peut avoir desconséquences délétères au long cours en favorisantl’hypertension artérielle pulmonaire et l’insuffi-sance ventriculaire droite.Le développement d’inégalités du rapport

ventilation/perfusion retentit sur l’ensemble deséchanges gazeux du poumon, c’est-à-dire sur sacapacité à capter l’O2 et à rejeter le CO2. Lescontenus en O2 (CO2, définition Fig. 1) et en CO2(CO2) des capillaires pulmonaires terminaux de cha-que alvéole sont déterminés par les pressions par-tielles de ces gaz dans les alvéoles (identiques àcelles des capillaires terminaux) et par les courbesde dissociation de l’hémoglobine pour ces deux gaz.La composition finale dépend non seulement descontenus en O2 et en CO2 mais aussi du niveau deperfusion de chaque compartiment alvéolaire. Onpourrait donc s’attendre à retrouver une hypoxé-mie avec hypercapnie chez les patients présentantdes inégalités VA/Q. En réalité, une faible élévationde la PaCO2 active les chémorécepteurs et stimulela ventilation minute qui agit essentiellement surles territoires déjà correctement ventilés. L’aug-mentation de la ventilation augmente la PO2 alvéo-laire mais apporte peu de contenu en O2 au capil-

Figure 2 Représentation schématique des anomalies de la ventilation et de la perfusion pulmonaire. 1. Rapport ventilation/perfusion(VA/Q) normal. 2. Diminution du rapport VA/Q (effet shunt) par diminution de la ventilation (obstruction des voies aériennes). 3.Persistance de la perfusion en l’absence de ventilation (VA/Q = 0, shunt vrai). Le sang veineux mêlé traverse le capillaire pulmonairesans participer aux échanges gazeux. 4. Ventilation d’unité pulmonaires non perfusées (VA/Q tend vers l’infini, espace mort).

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laire pulmonaire. À l’inverse, le CO2 est plusfacilement éliminé par l’hyperventilation. Ainsi,une augmentation de la ventilation globale chez unpatient présentant des anomalies des rapportsVA/Q évite l’hypercapnie mais ne corrige pas l’hy-poxémie. Classiquement, l’effet shunt se traduitpar une hypoxémie associée à une hypocapnie lorsde la mesure des gaz du sang. Si les inégalités desVA/Q augmentent de façon importante, l’augmen-tation de ventilation requise peut être supérieureaux capacités maximales du patient. Lorsque letravail respiratoire dépasse un niveau tolérable, laPaCO2 augmente jusqu’à un nouvel état d’équili-bre.4

En dehors de l’hypoventilation alvéolaire, toutesles causes d’hypoxémie induisent une hyperventila-tion compensatoire responsable d’hypocapnie.L’apparition d’une hypercapnie est le témoin d’unefatigue musculaire dans la plupart des cas.

Espace mort et effet espace mortL’espace mort correspond au volume d’air ayantpénétré dans le poumon qui ne participe pas auxéchanges gazeux alvéolocapillaires (espace mortanatomique des voies aériennes de conduction etespace mort alvéolaire non perfusé, Fig. 2). L’effetespace mort résulte de la diminution de la perfu-sion d’unités alvéolaires qui restent ventilées. Lesterritoires où siège une obstruction vasculaire (em-bolie, thrombose...) développent un haut rapportVA/Q, voire un espace mort suivant le degré d’at-teinte vasculaire. L’emphysème pulmonaire, pa-thologie au cours de laquelle la destruction du litcapillaire alvéolaire est souvent supérieure à ladiminution de la ventilation, est une autre causetrès fréquente de haut rapport VA/Q.Dans l’effet espace mort, l’hypoxémie est

d’autant plus profonde que le nombre d’alvéoles neparticipant plus aux échanges gazeux est impor-tant.

Shunt vrai

Le shunt correspond au passage de sang veineuxdans le système artériel sans avoir traversé leszones ventilées du poumon. En situation normale,une partie du sang des artères bronchiques estdrainé par les veines pulmonaires et une petitequantité de sang veineux coronarien se draîne dansle ventricule gauche à travers les veines de Thébé-sius. Cet apport de sang appauvri en O2 correspondau shunt physiologique droit-gauche estimé à 2-3 %du débit cardiaque. En pathologie, le shunt peutprovenir de communications entre le cœur droit etle cœur gauche, de fistules artérioveineuses pul-monaires ou de sang veineux mêlé ayant traversé

des zones pulmonaires non ventilées (Fig. 2). Ladiminution de la PaO2 résulte de l’apport de sangnon enrichi en O2. Physiologiquement, le shunt estdéfini par la persistance d’un gradient alvéoloarté-riel en O2 ([A-a] O2) élevé malgré l’inhalation d’O2pur. Dans le cas des shunts intrapulmonaires, l’ab-sence totale de ventilation (atélectasies et œdè-mes pulmonaires quelle qu’en soit l’origine) s’ac-compagne d’un certain débit de perfusion. Le sangcapillaire circule au contact d’alvéoles non fonc-tionnelles, ce qui explique l’inefficacité de l’O2 purà corriger l’hypoxémie. Malgré ce court-circuit, laPaCO2 n’est pas augmentée habituellement. En ef-fet, la stimulation des chémorécepteurs par l’hy-poxémie entraîne une hyperventilation qui, mêmesi elle est modérée, suffit à normaliser la PaCO2.Lors d’un test d’hyperoxie, il faut s’assurer que

la FiO2 soit réellement à 100 % car les résultats desgaz du sang observés lors d’un effet shunt sévèrepeuvent être identiques à ceux d’un shunt tant quel’O2 n’est pas administré à l’état pur. Après 30 mi-nutes de ventilation avec une FiO2 de 100 %, toutesles alvéoles sont supposées contenir de l’O2 pur.Ainsi, lorsque le shunt est provoqué par l’additionde sang veineux mêlé v (sang artériel pulmonaire)au sang provenant des capillaires c’ (sang veineuxpulmonaire), le débit relatif du shunt peut êtrecalculé. Le débit total d’O2 est le débit sanguintotal (QT) multiplié par le contenu artériel en O2(CaO2). Ce débit doit être égal à la somme desdébits d’O2 dans le sang shunté � QS × CvO2 � et lesang capillaire terminal [QT - QS] × Cc’O2). Ainsi :

QT × CaO2 = (Qs × CvO2) + (QT – Qs) × Cc′O2

Le pourcentage de shunt peut donc être calculépar la formule :

QS ⁄ QT = (Cc′O2 – CaO2) ⁄ (Cc′O2 – CvO2) × 100

Sous FiO2 à 100 %, l’influence des inégalités durapport VA/Q, de la diffusion et de la PvO2 sur lerapport QS/QT disparaissent. Pour ce calcul, onadmet que la PO2 dans le sang capillaire terminal(Pc’O2) est équivalente à la PAO2 calculée (cf.équation des gaz alvéolaires) et on déduit la satu-ration en O2 de c’ (Sc’O2) grâce à une courbestandard de dissociation de l’hémoglobine. Cc’O2sera obtenu en multipliant Sc’O2 au contenu dusang à concentration normale d’hémoglobine(20 ml d’O2 100 ml

–1).L’inhalation d’O2 pur est une méthode très sen-

sible de mesure du shunt. En effet, compte tenu dela forme de la courbe de dissociation de l’hémoglo-bine pour l’O2, lorsque la PO2 est élevée (pentefaible), une petite diminution du contenu artérielen O2 entraîne une baisse relativement importante

397Démarche diagnostique et thérapeutique devant une hypoxémie

Page 6: Démarche diagnostique et thérapeutique devant une hypoxémie

de la PO2. Cependant, il faut noter que l’inhalationd’O2 pur peut entraîner des atélectasies par ab-sorption dans les alvéoles peu ventilées mais perfu-sées (remplacement de l’azote alvéolaire, gaz peusoluble qui évite le collapsus, par l’O2 pur). Cesatélectasies peuvent aboutir à une surestimationdu shunt par l’épreuve d’hyperoxie.4

Troubles de la diffusion

La diffusion d’un gaz en phase liquide ou dans unfragment tissulaire obéit à la loi de Fick dans la-quelle interviennent la surface et l’épaisseur de lacouche de tissu traversée. Certaines pathologies(pneumopathies infiltratives diffuses, fibrose pul-monaire...) entraînent des altérations histologi-ques de la membrane alvéolocapillaire (augmenta-tion d’épaisseur par exemple) qui gênent letransfert de l’O2 de l’alvéole vers le sang capillaire.Ces altérations de la membrane alvéolocapillairesont susceptibles de diminuer la diffusion de l’O2surtout à l’exercice du fait d’une diminution dutemps de transit capillaire en rapport avec l’aug-mentation du débit cardiaque. Le rôle des troublesde la diffusion dans la genèse de l’hypoxémie restediscuté, les anomalies du rapport VA/Q ayant pro-bablement une responsabilité plus importante.

Diminution de pression partielle inspiréed’oxygène

L’hypoxémie secondaire à la respiration d’un mé-lange gazeux à faible FiO2 est rare. Elle peut surve-nir en cas d’accumulation d’autres gaz (pièce enfu-mée, dégagement de CO2 ou de méthane dans lesmines...) ou de consommation de l’O2 (incendie).En altitude, la baisse de la pression atmosphériqueentraîne une baisse de la PO2 inspirée alors que lacomposition de l’air n’est pas modifiée(FiO2 = 0,21).

Autres mécanismes d’hypoxémie

Si la PO2 dans le sang veineux mêlé � PvO2 � diminue,l’alvéole devra fournir plus d’O2 au sang capillairepulmonaire que si la PvO2 était normale. À ventila-tion constante, la PaO2 devrait donc diminuer. Dansles conditions normales, la diminution de la PvO2entraîne une augmentation plus importante de laventilation que de la perfusion pulmonaire et laPaO2 reste normale. En présence de trouble de ladistribution des rapports VA/Q ou de shunt vrai, leséchanges gazeux déjà perturbés ne pourront pass’adapter à la diminution de la PvO2. Théorique-ment, la diminution de la PvO2 peut s’observer

lorsque la consommation d’O2 augmente à débitcardiaque constant, lorsque le débit cardiaque di-minue à consommation d’O2 constante et lorsque lecontenu artériel en O2 diminue à débit cardiaque etconsommation d’O2 constants.

Démarche diagnostique devantune hypoxémie de repos

La démarche diagnostique devant une hypoxémiede repos dépend du contexte clinique. Les hypoxé-mies graves observées dans l’insuffisance respira-toire aiguë nécessitent une prise en charge rapideen réanimation où des moyens d’investigation inva-sifs peuvent être nécessaires au diagnostic étiolo-gique. En situation moins aiguë, l’interrogatoire,l’examen clinique, la radiographie pulmonaire etles épreuves fonctionnelles respiratoires permet-tent d’identifier la cause de l’hypoxémie.

Interrogatoire

L’interrogatoire permet de préciser les facteurs derisque et antécédents du patient : âge, intoxication(tabac, alcool, toxicomanie intraveineuse), expo-sition professionnelle, animaux domestiques, pa-thologies connues (respiratoire, cardiovasculaire,neurologique et hépatique) et traitements. Géné-ralement, l’hypoxémie s’accompagne d’une dysp-née. L’interrogatoire précise son mode d’installa-tion (brutal ou progressif avec ou sans accalmie) etses circonstances de survenue. Une dyspnée dedécubitus (orthopnée) peut orienter vers unœdème pulmonaire, voire plus rarement vers uneparalysie phrénique. Une dyspnée en position or-thostatique (platypnée) évoque plutôt un syndromehépatopulmonaire. Une dyspnée paroxystique noc-turne ou survenant dans des conditions particuliè-res (unité de lieu, facteurs déclenchants climati-ques, saisonniers...) oriente vers un asthme.La toux, l’expectoration, la perception de siffle-

ments respiratoires et les douleurs thoraciques se-ront également recherchées et caractérisées à l’in-terrogatoire.

Examen clinique

L’examen clinique est la première étape de l’éva-luation de la gravité d’une hypoxémie. Les signesde mauvaise tolérance doivent être recherchés afinde ne pas retarder la mise en œuvre de thérapeu-tiques d’urgences, voire d’une réanimation. L’ins-pection peut mettre en évidence des signes de luttetel qu’un tirage avec mise en jeu des muscles

398 M. Bonay

Page 7: Démarche diagnostique et thérapeutique devant une hypoxémie

respiratoires accessoires ou un balancement thora-coabdominal. L’examen recherche une cyanose,des sueurs, une tachycardie supérieure à 120 parminute, un pouls paradoxal ou des signes d’état dechoc (marbrures, hypotension artérielle, oligoanu-rie). Le retentissement neurologique doit être éva-lué en recherchant des signes d’encéphalopathierespiratoire (astérixis, agitation ou somnolence,voire coma).L’inspection peut révéler la présence de défor-

mations thoraciques (cyphoscoliose) ou un hippo-cratisme digital (dilatation des bronches, fibrosepulmonaire, cancer bronchopulmonaire, cardiopa-thie et cirrhose hépatique pouvant être à l’origined’une hypoxémie). La palpation et la percussionthoracique peuvent orienter vers un foyer decondensation alvéolaire ou un épanchement pleuralliquidien. L’auscultation pulmonaire peut mettreen évidence des râles sibilants, des ronchus, descrépitants. L’auscultation cardiaque peut objecti-ver un souffle de valvulopathie, un frottement péri-cardique, des bruits de galop gauche. La recherchede signes cliniques d’insuffisance cardiaque droite(œdème des membres inférieurs, turgescence ju-gulaire, reflux hépato-jugulaire) et de phlébite desmembres inférieurs est systématique.

Examens complémentaires

ÉlectrocardiogrammeL’électrocardiogramme peut révéler des anomaliesévocatrices de cardiopathie (ischémique, rythmi-que ...) suggérant que l’hypoxémie pourrait êtredue à un œdème pulmonaire hémodynamique. Desanomalies compatibles avec une embolie pulmo-naire (déviation axiale droite, aspect S1Q3...) peu-vent être observées.

Radiographie thoraciqueLa découverte d’une hypoxémie impose l’analysedétaillée de la radiographie thoracique (clichés debonne qualité, en inspiration, de face et de profil).Des anomalies parenchymateuses (syndrome inters-titiel, hyperclartés, atélectasie...), pariétales (as-cension d’une coupole diaphragmatique, cyphosco-liose, épanchement pleural liquidien...) ou uneaugmentation de l’index cardiothoracique doiventêtre recherchées. Une radiographie thoracique nor-male peut orienter vers une embolie pulmonaire,une pathologie musculaire ou une obstruction desvoies aériennes supérieures.

BiologieLes examens biologiques peuvent être utiles àl’orientation diagnostique mais dépendent ducontexte. Ainsi, le dosage des D-Dimères est classi-

quement réalisé en cas de suspicion d’embolie pul-monaire.

Explorations fonctionnelles respiratoiresDans la plupart des cas, les explorations fonction-nelles respiratoires (EFR) sont demandées pour ex-plorer une dyspnée en dehors de tout contexted’urgence. En routine, les EFR comportent la me-sure des volumes pulmonaires et des débits venti-latoires forcés, la mesure des gaz du sang et de lacapacité de transfert de l’oxyde de carbone. L’hy-poxémie est souvent mise en évidence à l’occasionde cette exploration (ou suspectée lors de l’oxymé-trie de pouls en présence d’une baisse de la satura-tion en O2 de l’hémoglobine cf. Tableau 2) etrattachée ou non à une anomalie ventilatoire. LesEFR permettent de préciser le type d’anomalieventilatoire (obstructive ou restrictive) au coursd’une maladie respiratoire ou d’une maladie extra-pulmonaire susceptible de retentir sur l’appareilrespiratoire.Le transfert de l’oxygène à travers la membrane

alvéolocapillaire pulmonaire est évalué par la me-sure de la capacité de transfert de l’oxyde decarbone (CO). Schématiquement, la résistance pul-monaire au transfert du CO (1/TLco) est la sommede la résistance membranaire et de la résistanceintracapillaire : 1/TLco = 1/Dm + 1/hVc (où TLco :transfert pulmonaire du CO, Dm : diffusion mem-branaire, Vc : volume sanguin capillaire pulmo-naire, h : affinité entre CO et hémoglobine). Cesmesures dépendent de la surface d’échange (d’où

Tableau 2 Mesure transcutanée de la saturation en O2 del’hémoglobine par oxymétrie de pouls (SpO2).

Méthode basée sur la différence d’absorption de la lumière(rouge et infrarouge) en fonction de l’oxygénation del’hémoglobineCapteur digital ou au lobe de l’oreillePrécision de 2 à 5 % (par rapport à la SaO2) pour une SpO2de 70 à 100 %Nécessite un état circulatoire stable avec pouls artériel suf-fisantNe détecte pas une baisse de SaO2 liée à la présenced’HbCOMesure faussée par le vernis à ongles, une lumière ambiantetrop intenseMesure non fiable en cas d’hémoglobinopathie (selon cer-tains auteurs, la pigmentation de la peau interviendraitégalement)Ne détecte pas l’hypoxémie modérée ni l’hyperoxie ; netient pas compte de la PaCO2Valeur normale : SpO2 > 96 %Intérêt pour l’orientation vers une hypoxémie devant unedyspnée, la détection des désaturations lors du sommeil, letest d’exercice, la surveillance continue de la SpO2 (maismesure de la SaO2 par gaz du sang artériel nécessaire en casde valeur faible)

399Démarche diagnostique et thérapeutique devant une hypoxémie

Page 8: Démarche diagnostique et thérapeutique devant une hypoxémie

l’intérêt du coefficient de transfert du CO[TLco/VA] en cas de diminution du volume alvéo-laire), de la distribution des rapports VA/Q et dudébit cardiaque. En pratique, cet examen est utileau diagnostic et à la surveillance des pathologiesinterstitielles pulmonaires. Une diminution isoléede la TLco associée à une hypoxémie peut égale-ment faire évoquer le diagnostic de maladie throm-boembolique pulmonaire.L’étude de la mécanique respiratoire, l’explora-

tion des muscles respiratoires et de la commandeventilatoire, les épreuves d’exercice peuvent êtreutiles au diagnostic étiologique d’une hypoxémiemais ne sont pas demandés en première intention.

Autres examensLes autres examens complémentaires sont égale-ment réalisés en fonction du contexte : scintigra-phie pulmonaire, échographie cardiaque, scannerthoracique, angiographie pulmonaire...

Diagnostic étiologique

Dans la plupart des cas, l’examen clinique, laradiographie thoracique et les EFR permettentd’identifier les pathologies les plus fréquemmentresponsables d’hypoxémie. Il s’agit des broncho-pneumopathies chroniques obstructives (BPCO)

(asthme, bronchite chronique obstructive, emphy-sème pulmonaire et dilatations des bronches) etdes pathologies restrictives ou neuromusculairesqui représentent respectivement 70 et 30 % descauses d’insuffisance respiratoire chronique enFrance en dehors des pathologies respiratoires dusommeil.Une démarche simplifiée pour l’interprétation

d’une hypoxémie est proposée dans la Fig. 3. Lesprincipales étiologies des hypoxémies sont classéespar mécanisme physiopathologique dans le Ta-bleau 3. Il faut cependant noter que plusieurs mé-canismes physiopathologiques peuvent être impli-qués dans la survenue d’une hypoxémie au coursd’une même pathologie.

Hypoxémie sans hypercapnieEn l’absence d’hypercapnie, les données spiromé-triques peuvent permettre d’objectiver un troubleventilatoire obstructif ou restrictif.

Trouble ventilatoire obstructifAu cours des BPCO, l’hypoxémie est principalementliée à un trouble de la distribution des rapportsVA/Q. Seule la technique des gaz inertes non utili-sable en routine permet de déterminer la réparti-tion des rapports VA/Q et d’analyser la contributiond’une distribution anormale dans l’hypoxémie. Les

Figure 3 Démarche simplifiée pour l’interprétation d’une hypoxémie. P (A-a) O2 : gradient alvéolo-artériel en PO2 ; TVO : troubleventilatoire obstructif ; TVR : trouble ventilatoire restrictif ; TLCO/VA : coefficient de transfert du CO ; PvO2 : PO2 dans le sangveineux mêlé.

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Page 9: Démarche diagnostique et thérapeutique devant une hypoxémie

données spirométriques (volume expiratoire maxi-male seconde [VEMS]) des patients présentant uneBPCO ne sont pas corrélées à l’hypoxémie. Cepen-dant, chez les patients dont le VEMS est supérieur à50 % de la théorique, la valeur prédictive négatived’avoir une PaO2 inférieure à 55 mmHg est estiméeà 96 %.5

Trouble ventilatoire restrictifAu cours des pathologies restrictives interstitiellespulmonaires (fibrose pulmonaire), l’hypoxémie sur-vient à l’effort avant de devenir permanente. L’hy-poxémie est, dans ce cas, liée à un trouble dediffusion (corrélé à la diminution de la capacité detransfert du CO) associé à un trouble de distributiondes VA/Q.

6,7 Au cours de l’évolution des fibroses, ladistensibilité du parenchyme diminue par réductiondu nombre d’alvéoles fonctionnelles (rempliesd’infiltrats inflammatoires ou remplacées par du

tissu fibreux). Grâce à une hyperventilation com-pensatoire par augmentation de la fréquence respi-ratoire, la PaCO2 reste normale, voire basse tantque le patient reste capable d’augmenter son tra-vail respiratoire.

Le cas de l’obésité mérite d’être individualisé.Une hypoxémie modérée est fréquente chez lesobèses. Elle n’est pas proportionnelle à l’index demasse corporelle (poids/taille2) vraisemblablementen raison d’une répartition variable des graisses auniveau thoracique et abdominal. Cette hypoxémiesans hypercapnie et sans anomalie spirométriquefranche disparaît le plus souvent au test d’hyper-ventilation volontaire mais est aggravée par le dé-cubitus dorsal. Elle est liée à un trouble de ladistribution des VA/Q par diminution de la ventila-tion des bases pulmonaires secondaire à l’obésitéavec une perfusion relativement bien conservée.

Tableau 3 Principales causes d’hypoxémie de repos.

Hypoventilation alvéolaire Atteintes du système nerveuxcentral déprimant les centresrespiratoires

• Tumeurs, accident vasculaire bulbomédullaire, traumatismes,encéphalites, atteinte centrale des pathologies neurologiques• Hypoventilation chronique de l’obèse, hypothyroïdie, droguesdéprimant le système nerveux central (narcotiques, alcool,sédatifs...), alcalose métabolique• Idiopathiques (syndrome d’Ondine)

Altération de la fonctionneuromusculaire

• Compression ou section de la moelle cervicale (paralysie complèteau-dessus de C4), maladie de Parkinson, pathologie des cornesantérieures de la moelle (poliomyélite...)• Polyradiculonévrites, atteintes des nerfs phréniques, myasthénie,polymyosites, toxines (tétanos, botulisme)

Pathologie de la cagethoracique

• Cyphoscoliose, spondylarthrite ankylosante, thoracoplastie• Fibrose ou calcification pleurale, épanchement liquidien ou gazeux• Obésité

Hypoventilation alvéolairepulmonaire (associée à uneautre cause d’hypoxémie)

• Obstruction des voies aériennes : asthme grave, bronchitechronique obstructive évoluée...(par épuisement des musclesrespiratoires)• Restriction parenchymateuse (l’hypoventilation alvéolaire nesurvient qu’en cas d’amputation majeure) : résection chirurgicale,lésions cicatricielles étendues (tuberculose)

Trouble de la distributiondes rapports VA/Q

Diminutions locales de laventilation (effet shunt)

• Asthme, bronchite chronique obstructive, emphysème pulmonaire,dilatation des bronches• Hypoventilations régionales des pathologies pariétales (obésité,déformation thoracique...), parenchymateuses (pneumopathiesinfectieuses...) ou bronchiques (corps étrangers...)

Diminutions locales de laperfusion (effet espace mort)

• Embolie pulmonaire (plusieurs mécanismes), emphysème,vascularites, hypertension artérielle pulmonaire (HTAP) primitive

Shunt vrai Intrapulmonaire • Trouble de ventilation (atélectasie, infection, œdème quelle quesoit l’origine...)• Anévrisme artérioveineux, syndrome hépatopulmonaire

Extrapulmonaire • Étiologies avec HTAP par foramen ovale (FO) perméable,communications intracardiaques• Sans HTAP : syndrome hépatopulmonaire ; réouverture du FO aprèspneumonectomie, ascension de la coupole droite, épanchementpéricardique...

Trouble de diffusion Atteinte de la membranealvéolaire

• Pneumopathie infiltrative diffuse, fibrose pulmonaire...

Atteinte du lit capillaire • Embolie pulmonaire, vascularites, HTAP• Syndrome hépatopulmonaire

401Démarche diagnostique et thérapeutique devant une hypoxémie

Page 10: Démarche diagnostique et thérapeutique devant une hypoxémie

Hypoxémie avec hypercapnieLa présence d’une hypercapnie implique l’exis-tence d’une hypoventilation alvéolaire pure ([A-a]O2 < 15 mmHg et PaO2 + PaCO2 > 120 mmHg, cf.« Hypoventilation alvéolaire ») ou d’une hypoventi-lation alvéolaire associée à une autre cause d’hy-poxémie ([A-a] O2 > 15 mmHg et PaO2 +PaCO2 < 120 mmHg). Les principales étiologies del’hypoventilation alvéolaire sont classées par mé-canisme physiopathologique dans le Tableau 3.Lors d’une pathologie restrictive pariétale (cy-

phoscoliose ou pathologie neuromusculaire), la ca-pacité de transfert du CO (plus exactement le coef-ficient de transfert TLco/VA) est normale etl’hypoxémie généralement associée à une hyper-capnie. L’hypoventilation alvéolaire est, dans cesconditions, liée à une diminution de l’efficacité dela pompe ventilatoire par contraintes mécaniques(diminution de la compliance thoracique) et fai-blesse ou fatigue des muscles respiratoires.Le syndrome obésité-hypoventilation est défini

par l’association d’une hypoventilation alvéolairechronique et d’une obésité (index de masse corpo-relle > 30 kg par mètre carré) chez des patientsindemnes de pathologie respiratoire pouvant expli-quer les anomalies gazométriques. Moins de 10 %des patients obèses seraient concernés par ce syn-drome. Les mécanismes évoqués pour expliquerl’hypoventilation alvéolaire sont : des facteurs mé-caniques (diminution de la compliance thoracique)aboutissant à une baisse du rendement du travaildes muscles respiratoires ; un dysfonctionnementdes centres respiratoires ; des apnées obstructivesnocturnes.8

Hypoxémie sans hypercapnie, sans anomaliespirométrique

Shunt vraiLa place des examens complémentaires est impor-tante pour le diagnostic.Le test d’hyperoxie, en l’absence d’anomalie

spirométrique, peut être proposé à la recherched’un shunt vrai (Fig. 3). Théoriquement, après30 minutes de ventilation spontanée en O2 pur,la PaO2 devrait se situer à environ 680 mmHg(PAO2 = 1 × (PB-PH2O) – PaCO2/R avecPB= 760 mmHg, PH2O= 47 mmHg, PaCO2 = 38 mmHgR = 0,8 et [A-a] O2= 15 mmHg). En pratique, onestime qu’un shunt vrai est pathologique si la PaO2est inférieure à 500 mmHg (les valeurs supérieuresà 550 mmHg sont considérées comme normales).La découverte d’un shunt vrai à l’épreuve d’hy-

peroxie doit faire réaliser une échographie cardia-que de contraste (injection de microbulles d’airdans une veine périphérique qui sont normalement

captées lors de leur passage pulmonaire). Cet exa-men peut confirmer le shunt intrapulmonaire envisualisant un passage des microbulles dans lescavités gauches trois à six systoles après leur pas-sage à droite ou bien oriente vers une communica-tion interauriculaire en cas de passage franc desmicrobulles de l’oreillette droite vers l’oreillettegauche après une ou deux contractions cardiaques.L’échographie cardiaque de contraste reste la tech-nique de référence dans le dépistage des shuntsdroit-gauche.La scintigraphie pulmonaire de perfusion à l’al-

bumine marquée au technétium 99m permet d’ob-jectiver un shunt et peut le quantifier. Normale-ment, une radioactivité ne doit pas être détectéeprécocement au niveau des organes périphériques(l’albumine marquée étant retenue dans les vais-seaux pulmonaires chez le sujet sain). La fixationextrapulmonaire de l’isotope signe la présenced’un shunt (intracardiaque ou intrapulmonaire).L’élimination des gaz inertes est une technique

essentiellement utilisée en recherche permettantde déterminer la part d’un trouble de distributiondes rapports VA/Q (par rapport au shunt et autrouble de diffusion) à l’origine d’une hypoxémie.Dans les étiologies d’hypoxémie par shunt vrai,

tous les troubles de ventilation pulmonaires peu-vent être à l’origine de shunt vrai (atélectasie,pneumopathie infectieuse, œdème pulmonaire parinsuffisance cardiaque gauche ouœdème lésionnel,etc.). Les shunts intracardiaques nécessitent unehypertension artérielle pulmonaire (HTAP) pour de-venir droit-gauche et hypoxémiants. Les causes deshunts extrapulmonaires sans HTAP sont les casparticuliers de réouverture du foramen ovale9 et lesyndrome hépatopulmonaire (SHP).Le syndrome hépatopulmonaire (SHP) est défini

par la triade : maladie hépatique, élévation du gra-dient alvéolo-artériel en O2 ([A-a] O2 > 20 mmHg)ou PaO2 < 70 mmHg et dilatations vasculaires intra-pulmonaires (révélées par échographie decontraste et scintigraphie pulmonaire de perfusionà l’albumine marquée). L’hépatopathie est le plussouvent une cirrhose. Une hypertension portalesans maladie hépatique doit aussi être recherchée.L’hypoxémie observée dans le SHP est complexe etmultifactorielle associant à des degrés divers desshunts (surtout intrapulmonaires diffus ou locali-sés ; les shunts portopulmonaires et pleuropulmo-naires étant rares et peu hypoxémiants), des trou-bles de distribution des VA/Q et des modificationsdes échanges gazeux intrapulmonaires par dilata-tion des capillaires pulmonaires (effet diffusion-perfusion). Une hyperproduction de monoxyded’azote (NO) serait impliquée dans la vasodilata-tion pulmonaire qui caractérise le SHP. Cette hypo-

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Page 11: Démarche diagnostique et thérapeutique devant une hypoxémie

thèse pourrait être à la base de nouveaux traite-ments et constituer une alternative à latransplantation hépatique, seule thérapeutique ac-tuellement capable de corriger l’hypoxémie.10

Absence de shunt vraiDevant une hypoxémie, l’absence d’anomalie spi-rométrique et la négativité du test d’hyperoxiepeuvent s’observer dans les troubles de distributiondes VA/Q associés ou non à une baisse de la PvO2.C’est par exemple le cas de l’embolie pulmonairequi peut également s’accompagner d’une diminu-tion de la capacité de transfert du CO. L’hypoxémieobservée dans l’embolie pulmonaire est de méca-nisme complexe et comporte :

• des troubles de distribution des VA/Q essentiel-lement, expliqués par une pneumoconstrictiondes zones embolisées et une redistribution dudébit cardiaque vers les zones non occluses(diminuant le rapport VA/Q) ;

• un shunt vrai (réouverture d’anastomoses arté-rioveineuses ou de foramen ovale par l’HTAP,atélectasies des zones de pneumoconstric-tion) ;

• une diminution de la PvO2 par diminution dudébit cardiaque et, de façon très théorique, untrouble de la diffusion et un effet espacemort.11

Prise en charge thérapeutique

Traitement étiologique

Dans la plupart des cas, une démarche diagnostiquesimple permet d’identifier la pathologie responsa-ble de l’hypoxémie et de débuter le traitementétiologique. Cette prise en charge thérapeutiquespécifique est détaillée dans les articles concernantles bronchopneumopathies chroniques obstructi-ves, l’embolie pulmonaire, les pneumopathies infil-tratives diffuses et l’insuffisance cardiaque gau-che. Un traitement étiologique peut être proposédans certaines pathologies neurologiques responsa-bles d’hypoventilation alvéolaire. Les déformationsrachidiennes potentiellement responsables d’hy-poxémie peuvent bénéficier d’une correction chi-rurgicale. La prise en charge multidisciplinaire (nu-tritionnelle, neuropsychiatrique et pneumologique)de l’obésité (syndrome obésité-hypoventilation,syndrome d’apnée du sommeil) ne doit pas êtrenégligée. Plus rarement, des anomalies cardiovas-culaires responsables de shunt vrai justifieront d’untraitement en milieu spécialisé. Enfin, rappelonsque seule la transplantation hépatique est actuel-lement capable de corriger l’hypoxémie dans lesyndrome hépatopulmonaire.

Oxygénothérapie

Définition, justification et indicationsL’inhalation d’air enrichi en oxygène constituel’oxygénothérapie. Ce traitement symptomatique apour but de corriger l’hypoxémie par augmentationde la fraction inspirée en O2 (FiO2) lors d’affectionsaiguës ou chroniques responsables d’effet shunt, detrouble de diffusion et d’hypoventilation alvéolaireassociée. L’oxygénothérapie permet de diminuerl’hypoxie tissulaire en corrigeant l’hypoxémie.Dans l’hypoxémie chronique, l’apport d’oxygèneaméliore le transport de l’O2 et l’oxygénation tissu-laire. Il permet également de corriger ou de préve-nir les effets secondaires observés au cours del’hypoxie tissulaire chronique :

• diminution de la polyglobulie responsabled’hyperviscosité sanguine ;

• amélioration des troubles du rythme cardiaquependant le sommeil ;

• diminution ou stabilisation de l’hypertensionartérielle pulmonaire secondaire à la vasocons-triction hypoxique.Chez les patients présentant une bronchopneu-

mopathie chronique obstructive (BPCO) avec hy-poxémie importante (PaO2 < 55mmHg) l’oxygéno-thérapie de longue durée (OLD, au moins 18 heurespar 24 heures) améliore l’espérance et la qualité devie.12,13 Il faut noter que plus de la moitié desinsuffisants respiratoires sous OLD sont des patientssouffrant de BPCO et que l’OLD donne de moinsbons résultats dans les autres pathologies responsa-bles d’hypoxémie chronique (fibrose pulmonaire,pneumoconiose, scoliose...). Les indications del’OLD dans l’insuffisance respiratoire chroniquesont résumées dans le Tableau 4. Il n’existe pas decontre-indication formelle à l’oxygénothérapiemais la poursuite d’une intoxication tabagique etles problèmes de coopération du patient doiventremettre en cause le traitement. L’hypercapniechronique, même sévère, n’est pas une contre-indication à l’oxygénothérapie (aux débits habi-

Tableau 4 Indications de l’oxygénothérapie de longue du-rée dans l’insuffisance respiratoire chronique.

Hypoxémie (PaO2 ≤ 55 mmHg) vérifiée sur deux mesures à4 semaines d’intervalle, en dehors d’un épisode de décom-pensation, sous traitement médical optimal.PaO2 comprise entre 56 et 59 mmHg, en présence de :• polyglobulie• hypertension artérielle pulmonaire (écho-doppler cardia-que ou cathétérisme cardiaque droit)• signes d’insuffisance cardiaque droite (œdèmes des mem-bres inférieurs)• désaturation nocturne en O2 (SaO2 nocturnemoyenne ≤ 88 %) non apnéique

403Démarche diagnostique et thérapeutique devant une hypoxémie

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tuels de 1 à 3 l min–1) si la stabilité de la PaCO2 estcontrôlée par gazométrie artérielle sous O2. En casd’exacerbation aiguë chez le patient hypercapni-que chronique, l’apport d’O2 sera très prudent, àfaible débit, sous surveillance continue et adaptéen fonction du contrôle répété des gaz du sang.

Modalités pratiquesLe but de l’oxygénothérapie est de ramener la PaO2à plus de 60 mmHg ou d’obtenir une SaO2 supé-rieure à 90-92 % en raison de la forme de la courbede dissociation de l’hémoglobine pour l’O2 (Fig. 4).L’oxygénothérapie de longue durée doit être supé-rieure à 16 heures par jour, et si possible supérieureà 18 heures par jour en couvrant la période desommeil et les périodes d’exercice et d’activité. Engénéral, des débits de 1 à 3 l min–1 permettentd’obtenir une PaO2 entre 65 et 75 mmHg au repos.Pour la déambulation et l’exercice physique, uneaugmentation de 1 à 2 l min–1 du débit d’O2 est leplus souvent suffisante. Le contrôle non invasif dela SaO2 est facilement réalisable par oxymétrie depouls (contrôle régulier généralement proposé parles associations non lucratives ou les sociétés pri-vées spécialisées dans la fourniture d’O2). Uncontrôle semestriel des gaz du sang sous O2 estnéanmoins souhaitable après une période initialede surveillance plus rapprochée et en dehors detout événement intercurrent.

Sources d’O2Il existe trois sources possibles d’O2 : l’O2 gazeux,les extracteurs ou concentrateurs et l’O2 liquide.Les obus d’O2 gazeux ne sont plus utilisés qu’à titrede secours. Les petites bouteilles d’O2 gazeux peu-vent assurer une autonomie d’environ 2 heures à undébit de 3 l min–1 pour la déambulation. Les extrac-teurs constituent une source fixe d’O2, relative-ment peu coûteuse, fournissant des débits d’O2inférieurs à 6 l min–1. L’O2 liquide a l’avantage destocker l’O2 sous un faible volume et de permettregrâce à l’utilisation d’un réservoir portatif (strol-ler), facilement rechargeable sur un réservoir prin-cipal (liberator), une autonomie d’au moins 4 heu-res avec un débit de 3 l min–1. L’O2 liquide, pratiquepour l’oxygénothérapie de déambulation, a un coûtsupérieur à celui des extracteurs.

Mode d’administrationLes lunettes à oxygène sont les plus utilisées pourl’oxygénothérapie de longue durée. La sonde na-sale (enfoncée jusqu’au nasopharnyx) nécessiteune surveillance régulière de sa perméabilité. Lesmasques à O2 permettent de délivrer un mélangegazeux plus précis (masque à valve de Venturi).Leur utilisation est parfois nécessaire en cas d’hy-poxémie majeure car une FiO2 de 50 % peut êtreatteinte (avec l’O2 nasale, la FiO2 est d’environ40 % si le débit d’O2 = 10 l min

–1 mais diminue si lepatient hyperventile). Les cathéters transtra-chéaux, proposés dans la fibrose pulmonaire évo-luée et l’insuffisance respiratoire obstructive gravenécessitant des débits d’O2 élevés (> 6 l min

–1) sontd’utilisation plus délicate. L’association à des val-ves économiseuses d’O2 est possible.

Mise en place de l’oxygénothérapieLorsque les critères de gravité de l’hypoxémiechronique sont présents (Tableau 3), l’oxygénothé-rapie de longue durée est prise en charge à 100 %par la Sécurité sociale en France. Des associationsnon lucratives (centres régionaux de l’Associationnationale pour le traitement à domicile de l’insuf-fisance respiratoire, ANTADIR) et des sociétés pri-vées spécialisées dans les soins à domicile peuventassurer (sur demande d’entente préalable spécifi-que) la fourniture en O2 de même que la sur-veillance, le renouvellement et l’entretien du ma-tériel associé. Le bilan initial peut être réalisé enambulatoire en milieu spécialisé. La surveillancerégulière est avant tout clinique en dehors desconsultations spécialisées semestrielles compor-tant la gazométrie artérielle, la numération-formule sanguine (NFS) (hématocrite) ainsi quel’épreuve fonctionnelle respiratoire et l’ECG selonles cas.

Figure 4 Relation PaO2 – SaO2. Schématiquement, la SaO2 re-flète le transport de l’O2 vers les tissus (TaO2 = débit cardiaquex [1,34 x (hémoglobine) x SaO2 + 0,003 x PaO2]). Compte tenu dela forme de la courbe de dissociation de l’hémoglobine pourl’O2, une diminution d’environ 15 mmHg de la PaO2 chez un sujetnormal (a-a’) s’accompagnera d’une faible diminution de laSaO2. Au contraire, chez un sujet hypoxémique b, la mêmediminution de la PaO2 (b′) entraînera une chute importante de laSaO2. On considère qu’une « zone dangereuse » est atteintelorsque PaO2 < 50 mmHg (écroulement très rapide de la SaO2).L’oxygénothérapie est indiquée lorsque la PaO2 s’approche decette zone (PaO2 < 60 mmHg).

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