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ANDRÉ MASTOR Le dernier tueur de l’ O rganisation

dernier tueur

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livre, corse

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9 €ISBN : 978-284698-299-3

989.Mozambique. Une mission comman-do menée par des mer cenaires françaistourne au carnage.

2009. Nice. Bruno Paget est sauvagementtorturé puis assassiné. Un à un les anciensmembres du commando connaissent lemême sort…

Le lieutenant Ours Paravisini et ses c ollè-gues de la P J mènent l ’enquête mais seheurtent à l’absence de mobile apparent :quel est le lien r éel entre tous ces meur-tres ? Un v ol de diamants qui aurait maltourné ? D’anciennes magouilles de l’OAS ?Quel rôle y tient le Front de la Renaissance ?Et à quoi joue Tama Massina, la séduisantemétisse qui vivait avec Paget ?

Paravisini voit aussi resurgir l’ombre de sonpropre pèr e… ancien membr e descommandos delta, disparu alors qu’il n’étaitqu’un enfant…

De cet imbroglio naît une certitude : dansle passé gît la clé du mystère. Elle tient enune phrase : « GP connaissait I… » !

ALBIANA

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ANDRÉ MASTOR, rompu aux récits des coupstordus qui parsèment l’Histoire, a promené sa

plume dans les méandres des XVIIIe et XIXe siècles.Il excelle aujourd’hui dans l’évocation

d’événements plus actuels : un polar encolimaçon, vertigineux… magistral !

Le dernier tueurde l’Organisation

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Janvier 1989. Une plage de la province de Cabodel Gado au Mozambique.

La traversée compta moins de trente heures. Levoilier d’une vingtaine de mètres, tailla la majeurepartie de la route sous génois. Dès que le vent mollis-sait, un puissant moteur diesel prenait le relais. Les mercenaires restaient tout ce temps sur le pont pour respirer à pleins poumons la brise du grand large.

Aux dernières lueurs du crépuscule, ils vérifièrentune dernière fois leurs uzis dont ils avaient testé lesmécanismes quelques heures auparavant en arrosanttout ce qui flottait à la surface de l’océan. Leur sac àdos était prêt et ne comprenait que le strict nécessaire :une ration, un poncho, des cigarettes, des pansementsd’urgence et une paire de jumelles à infrarouge.

Ils s’étaient regroupés, une dernière fois, autourd’une carte éclairée par une lampe torche. Le capitainePaget, chef du commando, avait répété à voix bassemême si chacun savait ce qu’il devait faire :

« Premièrement : débarquement. Deuxièmement :le zodiac à l’abri. Troisièmement : la piste à toute vitesse.Quatrièmement : l’assaut de la villa. »

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Il ne parla pas du cinquième point. Il s’agissait durepli. Il l’avait évoqué au moment de l’embarquement.Si les choses tournaient mal, chaque membre ducommando ne compterait que sur lui-même et sur lacartouche qu’il aurait pris soin de conserver. Autrement…

Afin de ne pas penser à la faim tout au long desheures qui les attendaient, ils avalèrent une salade depommes de terre, arrosée d’une bière. Le skipper les rejoignit. Il souriait :

« La météo ne prévoit pas d’aggravation du temps,que des grains épars de saison. »

Il y avait deux pneumatiques alignés sur le pont.Celui qui allait servir au débarquement avait été inspectésous toutes les coutures. Son moteur de quarante chevauxavait subi des essais à plusieurs reprises. L’autre pneu-matique muni également d’un moteur appartenait auvoilier.

Les hommes disposèrent d’une demi-heure de battement qu’ils utilisèrent pour fumer. Puis l’ancre futjetée sur un haut fond dans un fracas de chaîne. Ils firentglisser à l’eau le pneumatique gonflé à bloc. Pagetdescendit le premier pour stabiliser l’embarcation contrele flanc du voilier. Il récupéra les sacs à dos et les armes.Il fut rejoint par les autres membres du commando.Paget mit immédiatement en marche le moteur. Le skip-per se pencha vers eux.

« Bonne chance à tous », souffla-t-il, puis il dispa-rut dans la nuit.

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L’embarcation filait sur l’onde, les gaz poussés autiers de leur puissance. Elle mettrait moins d’une demi-heure pour atteindre la rive. À bord, le silence étaitabsolu, la tension à son apogée même si ce genre d’opé-ration était devenue une seconde nature pour ces hommes.Le capitaine Bruno Paget, la main sur la barre, habi-tuait ses yeux à la fragile luminosité de la nuit. Les traitscreusés, la mâchoire crispée, c’était un grand type touten muscles. Après un engagement au deuxième régi-ment étranger parachutiste basé à Calvi, il était depuisdeux décennies, un fidèle du colonel Bob Denard. Sursa gauche était assis Pierre Ibanasso, un visage en lamede couteau qui ne souriait jamais. Il avait eu vingt etun ans à l’époque de la guerre d’Algérie. Jeune para, ilavait déserté pour entrer dans la clandestinité et l’OAS1

née du putsch d’avril 1961. Pour se soustraire à la justicefrançaise, il avait combattu au Katanga, au Yémen puisau Soudan. Il avait côtoyé les plus prestigieux person-nages de l’univers des mercenaires : Hoare, Banks,Schramme, Steiner, Tavernier… Il n’était que lieute-nant parce que les responsabilités l’ennuyaient profon-dément et qu’il affectionnait le coup de poing mêmeface à un supérieur. Il était le plus âgé du groupe à avoirpris place dans le zodiac. Un dur à cuire.

De l’autre côté se trouvaient encore deux hommes.René Dumontel, une face d’ange aux cheveux bouclés,les lèvres surmontées d’une moustache blonde, était

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1. Organisation Armée Secrète. Ses membres étaient partisans del’Algérie française.

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titulaire d’une licence en droit obtenue à l’universitéparisienne de Panthéon-Assas. Un trafic d’armes avecun groupe extrémiste belge proche des criminels que lapresse avait surnommés « Les fous du Brabant », l’avaitamené à prendre le large pour les Comores aux mainsdes mercenaires français. Denard en personne l’avaitnommé officier. Enfin, Ian Seattel, carrait difficilementses deux mètres et ses cent vingts kilos. Ancien sous-officier de la direction de l’intelligence militaire, le servicede renseignement de l’armée sud-africaine, une bles-sure en Angola l’avait mis en retrait du service actif etconfiné dans un rôle de subalterne à la station d’écoutede Ngazidja, près de Moroni dans la Grande Comore.

La manœuvre d’approche s’effectua sans problème.Quelques petites vagues phosphorescentes claquèrentcontre la coque et mirent le nez du zodiac de travers.Un coup d’accélérateur le stabilisa dans son axe.

Paget était sur le qui-vive. Ses sens en alertecaptaient la moindre odeur, le son le plus banal, la lueurla plus tenue. Il parcourut les environs du regard. Il futcomplètement rassuré quand il constata que l’endroitcorrespondait à la description qui lui en avait été donnée.Un embarcadère en planche où étaient amarrés des boutres, séparait la plage en deux. Plus loin, un énormetreuil à l’abandon ressemblait à un totem menaçant.À une centaine de mètres, le capitaine apercevait larangée de cocotiers. La masse compacte qui se dressaità la lisière de ces derniers ne pouvait être que la cabanede pêcheurs sur pilotis. Les calculs effectués par le jeuneskipper du voilier pour les amener à leur point de chute

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se révélaient foutrement exacts. Il les attendait à unmille de la côte et allumerait ses feux de mât quandl’ordre lui en serait donné pour guider le retour.

Le pneumatique, le moteur relevé, glissa sur lesable dans un frottement doux. Paget marmonna entreses dents serrées :

« Allez, on drope. »Les quatre mercenaires en tenue de combat, un

bonnet sur la tête, le visage barbouillé de peinture decamouflage, s’animèrent comme un seul homme. Ilss’éjectèrent du pneumatique, et le dos légèrement courbé,le transportèrent au pas de course jusqu’à la cabane. LeSud-Af avait été chargé de la garde du zodiac. Il grimpaà une échelle de roseau. Personne. Il l’annonça à voixbasse. Les autres membres du commando, la poitrinebarrée d’un baudrier de toile garni de chargeurs, de grena-des et de fusées éclairantes, un uzi muni d’un silencieuxau poing, formaient un cercle autour de la cabane, prêtsà refroidir tout visiteur importun. Pour l’instant, il n’yavait aucun signe de vie. Le seul mouvement percepti-ble était fourni par le ressac de l’océan. Paget, levantun bras, donna le signal du départ. Leurs corps parfai-tement entraînés et le coup de fouet de l’adrénaline n’al-laient faire qu’une bouchée du sentier d’une dizaine dekilomètres, qu’ils découvrirent à la faible lumière d’unetorche électrique, derrière une station-service désaffec-tée. Par endroits, le sentier se confondait avec la piste57. Elle conduisait aux abords de la petite ville deQuionga, en pleine zone ennemie tenue par les troupesmarxistes de Joachim Chissano. Les mercenaires devaient

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éviter autant que possible les véhicules qui se présente-raient sur la piste crevassée et les badauds qui circu-laient quelle que soit l’heure de la nuit sur le bas-côté.

Paget courait en tête, le pistolet-mitrailleur le longde la joue. Les deux autres hommes suivaient à un inter-valle d’une vingtaine de pas, en tentant de percer de leurregard l’épaisseur des ténèbres. Le projet qui avait amenéles mercenaires en pareil lieu était fou et ces derniersavaient certainement manqué de temps pour concocterun plan digne de ce nom. Un renseignement avait étéenregistré à la station d’écoute de Ngazidja. Tellementénorme qu’il avait été difficile à digérer. « El Calingo »– c’était le nom d’un chacal en Amérique du Sud –, venaiten personne, avant de s’en retourner au pays, rencontrerdes anciens compagnons de combat. Une réunion d’adieuen quelque sorte ! Flinguer « El Calingo », le vainqueurde la bataille de Cuito Canavale, le général cubain quiavait fait sérieusement douter l’armée sud-africaine, étaitassurément un formidable coup à jouer. Histoire de démon-trer aux Américains et aux Sud-Africains ce que valaitune poignée de mercenaires et de récupérer au passageles dividendes de cette aventure. Le colonel Denard retenuà Pretoria avait donné le feu vert.

Le bruit d’un moteur poussif s’éleva. Paget seretourna et souffla :

« À plat ventre ! »Immédiatement, les trois hommes piquèrent du

nez dans les herbes touffues. Les phares d’une camion-nette balayèrent la nuit puis le véhicule s’immobilisa.

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Paget se releva. Les deux autres l’imitèrent. Ils tirèrenten même temps. De petites flammes orangées sortirentpar dizaines du canon de leurs armes. Les phares et lepare-brise explosèrent. Paget, ouvrant brusquement uneportière, lâcha une courte rafale. On lui avait parlé desdouaniers qui avant l’aube dressaient des barrages pourrançonner des pêcheurs et piner tout ce qui portait uneétoffe comparable à une jupe. Les corps dans la cabineportaient des uniformes. Une casquette plate tomba àses pieds. Des douaniers sans aucun doute. Il entenditun râle et balança, au coup par coup, quatre dragéespuis braqua le volant. Les deux autres mercenaires pous-sèrent la camionnette vers la sortie de la piste.

Les crapauds surpris un moment par ces claque-ments feutrés inconnus, reprirent leur activité sonoreet le commando, sa course de mort. Les mercenairesparvinrent à un pont encadré de deux garde-fous, peintsen blanc. Il y avait à côté le châssis calciné d’une jeepet deux maisons en torchis aux toits écroulés. Pagetconsulta sa montre. Ils étaient arrivés à destination aprèspresque deux heures de cavalcade. Le capitaine annonçatranquillement sans prendre la peine de regarder sescompagnons :

« On ne laisse personne derrière nous. Aucunrisque. »

Des hommes en haillons, du moins ce qu’on endistinguait, dormaient dans un fossé, d’autres caque-taient comme des poules. Trois rafales imposèrent lesilence. La voie paraissait maintenant libre de tout obsta-cle. En quelques enjambées, ils aboutirent sous des

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murs hauts et épais qui protégeaient la villa. Le portailélectrique de l’enceinte était fermé. Ibanasso détachale grappin noué à sa ceinture et fit tournoyer le filin.Le grappin crocheta l’arête du mur et les trois merce-naires glissèrent dans le parc, le doigt sur la détente deleur arme, prêts à tuer encore. Les lumières de la villaet sa façade blanche étaient parfaitement visibles, malgréla présence de nombreux gommiers et manguiers. Ilsrampèrent sur la pelouse jusqu’au perron qui s’ouvraitsur une petite terrasse. Un homme, assis sur une chaiseà bascule, fumait un cigare. Il avait une arme posée surses genoux. Une balle en plein front le tassa sur lui-même. Dumontel, chargé de neutraliser les abords, s’apla-tit derrière un muret. Paget et Ibanasso, à sa suite,grimpèrent quatre à quatre une volée de marches et sepostèrent de part et d’autre de la porte d’entrée. Aprèsun signe de la tête, ils surgirent, côte à côte, dans lapièce centrale et déclenchèrent un feu implacable. Celane dura qu’une poignée de secondes mais ils eurent letemps de découvrir deux hommes en veston blanc, penchéssur de petits microscopes. Des pierres précieuses brillaientdans une coupelle. Trois sacs étaient posés sur le coinde la table. Une femme aux cheveux blonds et épais,coupés court, avait d’énormes bracelets aux avant-bras.Elle releva la tête. Trois autres hommes au teint olivâ-tre, certainement des Cubains avec de larges auréolessombres autour des aisselles, étaient debout adossés aumur. Tout ce petit monde essaya désespérément de s’abri-ter derrière la longue table mais tressauta surtout sousl’impact des balles. La violence de l’attaque avait renversé

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des meubles, brisé des cadres, pulvérisé des vitres. Lesampoules des deux lustres volèrent comme des floconset l’obscurité absorba la villa. « El Calingo », le généralArnaldo Ochoa aurait dû être assis à la table et dîner encompagnie de guérilleros. Au lieu de cela, il y avait lesdeux joufflus en veston qui suaient comme des porcsderrière leur microscope. Paget entendit crier sur sa droite.C’était Ibanasso. Le capitaine hurla :

« Ça va ? Ça va ? »Un A.K 47 entra alors en action avec des crépite-

ments saccadés. Les tirs venaient de l’extérieur. Pagetressentit deux brûlures dans le haut de l’épaule et futprojeté au sol. Immédiatement du sang chaud coula surson torse. Les deux hommes eurent encore la force derouler sur eux-mêmes, pour changer de position, puis tirèrent en direction des lueurs rougeoyantes de l’AK47. Paget, les lèvres crispées par la douleur, engagea unnouveau chargeur. Quand le fusil d’assaut se tut enfin,il se releva à moitié. Tout en avançant avec difficulté, ilse dirigea vers le coin de la table et saisit un sac à saportée. Toujours ça de pris ! Paget héla son second.

« Pierre, Pierre, tu es touché ? »Un grognement lui répondit :« Déplace-toi au fond de la pièce, souffla-t-il, je

vais lancer une grenade. »Paget tira sur la goupille, compta dans sa tête mais

la grenade lui échappa. Il effectua un geste désespérépour la récupérer. Des milliers de picotements parcou-rurent ses veines et l’odeur âcre de la cordite qui flot-tait dans la pièce l’enveloppa. La grenade roula. Il donna

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un méchant coup de pied pour s’en débarrasser, mais lamanqua. Il rentra instinctivement la tête dans ses épau-les. Des secondes s’égrenèrent. Il entendit distinctementle Rio Rovuma, proche, boueux, intrépide, qui roulaitsans cesse sa mauvaise humeur. Toujours pas d’explo-sion. Soudain, des hurlements déchirèrent l’air et le souf-fle se propagea avec force de l’intérieur vers l’extérieur.La grenade avait malgré tout atteint son objectif et lesavait épargnés. Les deux hommes réussirent à s’extir-per de la villa. Paget, mal en point également, soutenaitIbanasso par une épaule. Ils tombèrent au bout de quelquespas sur Dumontel qui gisait face contre terre. Le capi-taine l’avait choisi au dernier moment parce qu’il s’étaitporté volontaire. Le mercenaire pressenti dans le groupede départ avait souffert, soudainement, de violents mauxd’estomac. C’était la faute à pas de chance.

Arrivés au pied du mur qu’ils avaient sauté allègrement un quart d’heure plus tôt, Paget monta avecdifficulté sur les épaules d’Ibanasso. Celui-ci, appuyécontre la paroi, tenait debout par miracle. Sa respira-tion était courte, se terminant par un sifflement aigu. Ilallait vraiment falloir qu’il puise dans des forces insoupçonnées pour s’en sortir mais il arrivait encore àtenir droit. Paget l’entendit murmurer :

« J’ai été tou… ché par un silencieux. A…vant lesrafales de l’AK47. »

Paget ne pouvait se permettre de perdre du tempspour réfléchir et il avait mal. Dumontel aurait-il tiré sureux volontairement ou accidentellement ? De toute façon,il était mort maintenant. Paget décrocha le grappin, le

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fixa de l’autre côté du mur. Des coups de feu éclataienttoujours devant la villa. Soudain, le portail s’ouvrit dansun déclic sonore : un homme apparut sur une moto.Paget sauta à terre et l’abattit d’une rafale. Animé parun instinct d’animal sauvage, il redressa la moto, aidale lieutenant figé comme un automate à prendre posi-tion derrière lui, et articula dans un effort :

« Je t’en supplie, essaie de te tenir. »Il n’était pas question qu’il abandonne son vieux

pote malgré le plan catastrophe qui prévoyait un ache-minement solo jusqu’au zodiac.

Ils roulèrent sur la piste tant bien que mal. La prairie s’étalait sous leurs yeux grâce à la lueur furtived’un morceau de lune libéré d’une couronne de nuages.L’haleine lourde de l’Afrique caressait leurs joues, s’incrustait dans leurs narines. Paget se dirigeait àl’aveuglette. Il faillit tomber en voulant éviter un trou.Il dut freiner à nouveau brusquement, la moto dérapa.Il resta sur la selle malgré tout en pivotant sur lui-même mais Ibanasso chuta lourdement. Le capitainesouleva avec peine son camarade. Il décida de laisserla moto sur place. Il était inutile de continuer, la pisteétait trop mauvaise. Chaque pouce de terrain impré-visible. Un orage éclata au loin.

« Enterre. Fais tes propres marques pour bien t’ensouvenir, et reviens un peu plus tard récupérer le tout».Un ancien au Biafra lui avait prodigué ce conseil. Lepays après la défaite des troupes encadrées par les mercenaires avait été livré au pillage. Les mercenai-res n’avaient pas donné leur part aux chiens. Banques

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et coopératives avaient été braquées un peu partout.Paget avait enfoui sous le tronc d’un gros arbre un sacgonflé de billets d’une monnaie qui, de toute façon,ne valait plus rien. Mais cette fois-ci, avec l’aide descieux, il s’agissait d’un beau lot de diamants. Le jack-pot ! Tant pis s’ils n’avaient pas troué la peau du géné-ral cubain. Paget creusa, creusa avec la force dudésespoir.

Leurs blessures fraîches avaient abondammentsaigné. Leurs corps étaient affaiblis. Ils s’étaient dissi-mulés sous un tas d’immondices et de branchages, afinde reprendre des forces, mais Ibanasso n’arrivait pas àplier sa jambe sous lui-même. L’effort à fournir semblaitdémesuré. Cette jambe qui dépassait leur sauva la vie.

Le médecin de la Croix-Rouge internationale quiavait vu tournoyer des rapaces, au lever du soleil, avaitarrêté sa Land Rover. Il avait entendu parler, commetout le monde au camp, d’une fusillade. Il les regardadécrire de grands cercles dans le ciel, remit le moteur enmarche, roula hors piste pour les suivre. Quelques minu-tes plus tard, il marchait d’un pas rapide dans la prairieet s’arrêtait devant le tas d’immondices. Il découvrit lajambe, un morceau de peau blanche, un bas de treillisrelevé, se demandant si le membre était toujours fixé àson tronc. Il se saisit d’un bâton, remonta le long de lajambe. Le corps était d’un bloc. Il entendit alors desgémissements et ne perdit aucun temps précieux. Cesdeux blancs, blessés par balle, en plusieurs endroits ducorps, ne pouvaient être que des mercenaires. Les transpor-ter de jour à l’hôpital de brousse les condamnerait au

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lynchage. Il contacta son ambassade et, à la tombée dela nuit, les deux mercenaires furent évacués dans laspacieuse résidence du chef du protocole. Quand ilsseraient à nouveau sur pied, un maquis de la RENAMO1

les recueillerait. C’est ainsi que les choses se déroulè-rent. C’est ainsi que les deux mercenaires quittèrent leMozambique quinze mois après leur coup de main.

** *

Ils étaient quatre à leur arrivée discrète à l’aéro-port de Johannesburg. Ils avaient assuré leur transfertincognito par la route pour le Zimbabwe, l’ex-Rhodésiedu Sud.

Ils se vautraient dans la belle vie: champagne, foiegras, piscine à volonté. Même si les feux des pierresles fascinaient, ils ne commettraient pas l’erreur devendre le lot sur place. Les hommes du diamant étaientconnus dans cette région de l’Afrique et les transac-tions facilement repérables. Non, ils allaient patientertout en séchant les liquidités qu’ils avaient mises decôté. Demain, après demain, seraient des joursmerveilleux et le conte de fées éternel. L’un des quatredécéda au cours d’une partie de chasse à l’éléphant. Unaccident tout bête. La mort de ce pote avait consterné

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1. Résistance nationale du Mozambique. Mouvement armé anti-communiste soutenu par l’Afrique du Sud en lutte contre le frontnational du Mozambique ( Frelimo ) au pouvoir depuis 1975.

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les trois autres. Ils l’avaient apprécié tout au long deces mois passés auxComores. Ils n’éprouvèrent aucunesatisfaction à récupérer sa part.

Pour l’instant, ils vivaient dans une ferme isoléesur le sommet plat d’une colline verdoyante.

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