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    IMAGE, MATIRE : IMMANENCEGeorges Didi-Huberman

    Collge international de Philosophie | Rue Descartes

    2002/4 - n38

    pages 86 99

    ISSN 1144-0821

    Article disponible en ligne l'adresse:

    -----------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-rue-descartes-2002-4-page-86.htm

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    Pour citer cet article :

    -----------------------------------------------------------------------------------------------------------------Didi-Huberman Georges, Image, matire : immanence ,

    Rue Descartes, 2002/4 n38, p. 86-99. DOI : 10.3917/rdes.038.0086

    -----------------------------------------------------------------------------------------------------------------

    Distribution lectronique Cairn.info pour Collge international de Philosophie.

    Collge international de Philosophie. Tous droits rservs pour tous pays.

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    Cet article est disponible en ligne ladresse :

    http://www.cairn.info/article.php?ID_REVUE=RDES&ID_NUMPUBLIE=RDES_038&ID_ARTICLE=RDES_038_008

    Image, matire : immanence

    par Georges DIDI-HUBERMAN

    | Presses Universitaires de France | Rue Descar t es

    2002/4 - N 38

    ISSN 1144-0821 | ISBN 2-13-052273-4 | pages 86 99

    Pour citer cet article :

    Didi-Huberman G., Image, matire : immanence, Rue Descartes2002/4, N 38, p. 86-99.

    Distribution lectronique Cairn pour les Presses Universitaires de France.

    Presses Universitaires de France. Tous droits rservs pour tous pays.

    http://www.cairn.info/article.php?ID_REVUE=RDES&ID_NUMPUBLIE=RDES_038&ID_ARTICLE=RDES_038_0086http://www.cairn.info/article.php?ID_REVUE=RDES&ID_NUMPUBLIE=RDES_038&ID_ARTICLE=RDES_038_0086
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    Entretien avec

    GEORGESDIDI-HUBERMAN

    Image, matire : immanence

    F. NOUDELMANN : La notion de matire sinscrit demble dansune histoire de la mtaphysique occidentale qui distingue,particu-

    lirement depuis Aristote, matire et forme. Aussi lentreprisethorique que vousdveloppez depuis vos premierscrits semble

    prcisment permettre de repenser cette distinction,depuis votre tudesur lincarnat jusqu vos crits sur lempreinte ou

    encore linforme.

    GEORGES DIDI-HUBERMAN: Un historien de lart ne peut tre mtaphysicien que pardngation de ce quil a sous les yeux. Cest, bien sr, le cas de nombreuxhistoriens ptris de lesthtique traditionnelle. Ce fut mme le cas du fondateurde la discipline,Vasari, qui, dans sa mtaphysique dudisegno, voulut dnier toutce qui, du geste, de la main, du matriau, ne relve pas de l ideaet ne peutsasservir entirement au monde de lintelletto, comme il disait. Mais sa

    dngation fut toujours maladroite : homme de mtier, il ne pouvaitsempcher de retourner la cuisine de latelier, en sorte que son discoursapparat souvent comme un tissu de contradictions thoriques.Pas plus quun artiste, un historien de lart ne peut accepter jusquau bout lasparation entre forme et matire. Lorsque Derrida critique la teneurmtaphysique de la forme, dans son article clbre sur La forme et le vouloir-dire, il parle dun usage du motformeque nauraient certainement pas acceptKonrad Fiedler et Heinrich Wlfflin ou, plus tard, Victor Chklovski et S. M.Eisenstein.Une forme, pour un peintre, pour un sculpteur ou pour un cinaste,

    cest ce quil sagit dincarner, de mettre en mouvement et de produire

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    fig.1. Victor Hugo,Tache, vers 1875.

    Encre noire et lavis sur papier beige. Paris,

    Bibliothque nationale de France. Photo DR

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    fig.2. Victor Hugo, Toujoursenramenantlaplume, vers 1856.

    Encre brune et lavis, utilisation de barbes de plume sur papier beige.

    Bibliothque nationale de France. Photo DR

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    fig.3. Medardo Rosso,LEnfantausoleil, 1892.

    Cire teinte sur pltre. Milan, collection Massimo Carr.

    Photo DR

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    dans un sens, non techniciste comme vous dites, mais technique : un matriauen tant que matire travaille par une technspcifique, cest--dire le travaildun artiste.

    Mettre en valeurla matrialit a aussiun enjeu stratgiquepour mettre en cause le privilge de lil aussi bien dans lhistoire delart que dansla traditionphilosophique. Merleau-Ponty contestait la prminence de la visionet de loptique dans la tradition

    cartsienne. Vousrevenez, quant vous, limagoromaine, au contactavec la pte, limageinscrite dans la matire mme, par

    votre relecture de Pline et de la peinture comme matire colorante. Ce retour la matrialit matricielle vise-t-il retrouver

    limage avant la reprsentation ? Et penser lexprience dune incorporationde limage ?

    Il sagit, en effet, de procder une critique philosophique de la reprsentation.Mais, ds le dpart, le choix sest impos moi de ne pas tenter cette critiquesur le plan dune stricte histoire de la philosophie : on pourra toujoursdcortiquer ou dconstruire la Critique du jugement, toujours la Critique du

    jugementparce que cest une uvre de gnie aura quelque chose vousrpondre Il y a souvent une acuit qui se perd situer toutes choses sur leplan des grands principes, situer toutes choses detexte texte, quand il sagitdinterroger une uvre visuelle. Lorsque Kant parle de lespace architecturalde Saint-Pierre, Rome, il parleide(ft-elle gniale), il ne parle pasexprience(avez-vous remarqu combien lexprience nous laisse dabord niais, dsarms,sans ides ?).Demble, cest lexprience qui ma mobilis, parce que lexprience, avec lasurprise philosophique qui la caractrise, commence toujours par mettre enquestion tout ce que lon croyait penser jusque-l. Lexprience modifie lamatire mme du penser. Elle a sa fragilit, certes, mais, aussi, une capacitextraordinaire faire surgir dessingularitsinattendues, fcondes et capables detransformer, dun coup, toute notre vision du monde FraAngelico dcide deprojeter sur un mur une pluie hasardeuse de pigment, et cest toute lareprsentation platonicienne qui en prend un coup.Victor Hugo regardezdcide de tremper dans lencre sa plume par lautre bout(cest--dire par lesbarbes), et cest toute la reprsentation kantienne qui se fissure Ce sont lesartistes qui inventent dabord des images capables de critiquer par-dedanslanotion de reprsentation. Comme ce sont les corps qui inventent dabord les

    expriences capables de critiquerpar-dedansnotre notion de la perception, par

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    exemple : cest sur la base dun champ dexprience fascinant issu de laphysiologie et de la psychopathologie que Merleau-Ponty a pu contester laprminence cartsienne de loptique laquelle vous faites allusion (toutes

    proportions gardes, lexploration de la clinique hystrique a sans doute jou,dans mon travail, un rle analogue).Retrouver limage que veut ignorer la reprsentation, cest un peu retrouver lachair que veut ignorer ce corps que lon dit propre .Votre paralllisme avecMerleau-Ponty se justifierait en ce sens. Mais je me mfie de lexpression :Retrouver limage avant la reprsentation . Pourquoi dites-vousavant ? Ilsagit de deux rgimes coexistants, et ils coexistaient dj lpoque de PlinelAncien. Jai simplement insist sur ce sens non artistique de limago, auquelles Romains accordaient une valeur gnalogique considrable qui fut ensuite

    oublie lge, si lon peut dire, de lesthtique. Aujourdhui, beaucoupdartistes tentent, je crois, de produire des images aprsla reprsentation. Cequi ne veut dire, en aucune faon, que la reprsentation comme on le prtendde lart en gnral ou de lhistoire en gnral serait morte aujourdhui.Vous lentendrez peut-tre comme un paradoxe, mais je crois bien que lephilosophe devrait apprendre se mfier des gnralits (dont Bachelard, si jeme souviens bien, disait quil est le spcialiste). Le concept le plus pertinentnest pas forcment le plus gnralement applicable.

    Vous avez montr comment le contact est ncessaire lengendrement des formes. Maislanalyse de lempreinte ne rencontre-

    t-ellepas nouveau la mtaphysique, alors quela notionde matire tendait sy soustraire ? Penserlimagecommematricene

    fait-il pas courirle risque du paradigme gnalogique et dun retourdu modle platonicien,mme si cest pourle renverser et

    pour penserla dissemblance loriginemme du processus? Lanalyse deleuzienne du simulacrene permet-elle pasdviter le

    matriciel ?

    Cest sur la base dune analyse historique et anthropologique que jai t amen insister sur le paradigme gnalogique, notamment propos de limagoromaine. Il suffit, par ailleurs, de lire louvrage de Hans Belting Image et cultepour comprendre la trs longue dure et la trs grande importance culturellede ce paradigme. Aby Warburg avait dj interrog lhistoire occidentale desimages sous langle dunegnalogiedes survivances : elle tait lhistoiredes

    influences qui se pratique couramment en histoire de lart ce que la

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    gnalogie nietzschenne des impenss avait t, un peu plus tt, lhistoricisme des savants positivistes au XIXe sicle.Il y a bien,dans le mot gnalogie , les ides de matrice ou dempreinte. Mais

    quest-ce qui vous oblige y associer la mtaphysique ou le modleplatonicien ? Lorsque Freud suggre quon devrait, chaque matin, regarder laforme de son propre crne en noubliant pas quil sagit l dune empreinte denotre passage par le bassin maternel, est-il platonicien pour autant quil parlede matrice ? Je ne crois pas. Il y a une grande diffrence entre la copiedunmodle idal et letiragedune empreinte matrielle. Dans latelier de Rodin,par exemple, il y avait une telle prolifration de matrices et de tiragesengendrs les uns par les autres dans le mme matriau le pltre , que lidedorigine avait perdu tout son sens, comme lont bien montr Leo Steinberg,

    puis Rosalind Krauss.Pour essayer de prciser ma pense mais aussi pour rebondir sur votrerfrence Deleuze, qui mimporte plus que jamais , je dirai que les notionspar vous voques (incarnat, empreinte, informe) tentent de situer limagedans un contexte thorique que nous devons en grande part Deleuze : il sagitde limmanence, analyse dabord dansSpinoza et le problme de lexpression,maisqui donne aussi le thme du dernier texte publi de Deleuze (par ailleurs fortbien comment par Giorgio Agamben) en 1995. Entre le modle idal et lacopie matrielle, nous pouvons toujours, en manipulant Aristote avec Platon(comme nous le faisons depuis des sicles), spculer sur les diffrences entrecause matrielleetcause formelle, par exemple. Lanalyse deleuzienne, elle, nousaide penser dsormais en termes decause immanente.Non par hasard, la notion dimmanence va dj de pair, chez Spinoza, avec unvocabulaire de la fluidit (le verbeeffluerese lit dans la scolie dethique, I, 17)et avec un vocabulaire du pli (com-plicare,ex-plicare). Ce qui nous permet defaire une remarque, non seulement sur les flux et les plis deleuziens mais, dj,sur nos petits dessins de Victor Hugo : cest lamme encrequi est utilise, dunct avec la pointe de la plume pour dgager les aspects un bateau, sur notreexemple (fig.1) , et dun autre ct avec les barbes de la mme plume (ou avec

    un pinceau) pournoyer les aspectsdans cette espce de turbulence fluide ou de

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    tourmente gnralise. Bref, lencre est ici unmilieu dimmanencequi runit laforme avec linforme, avec la matire, avec le contenu, avec le symbole et avectout ce que vous trouverez encore sur ces dessins Le philosophe clair et

    distinct pourra seffrayer dun tel mlange, sans doute. Mais il faut apprendre,avec les images, penser toutes choses impures etintriques.Approcher la matire en tantque corporit ne relve pas seulement dune mtaphore.Ces notions dincorporation et dincarna-

    tion sarticulent dansvotre uvre celles de dchirure et dapparatre. Voussemblez cependant contourner les analyses de type

    phnomnologique. Maldiney nest pourtant pas le seul reprsentant de ce mouvement de pense et les notions de chair du

    monde, de toucher, auraient pu vous amener aux textes de Merleau-Ponty, celles dimage comme processus dabsence mettant

    la conscience lpreuve de sa sparation Sartre. Pourquoi ce contournement ?

    En privilgiant les cas, les singularits concrtes, jai probablement lu avec plusdattention les analyses cliniques dErwin Straus ou de Ludwig Binswanger que

    les grands textes synthtiques de la phnomnologie franaise.LImaginaireouLe Visible et linvisible ou, encore,Regard, parole, espacede Henri Maldiney sont des livres admirables, mais gnraux. Ils forment notre sensibilit mais ilsne nous donnent pas loutil tangible pour aborder les singularits. Aller duconcept luvre aller du concept dimage cetteimage-ci , cest touffer lesingulier dans le prconu. Je me suis efforc, travers ma pratique dhistoriende lart, de suivre le mouvement inverse.

    Je me souviens, coutant Maldiney Lyon o jtais tudiant, avoir t sous lecharme (jentendais l, pour la premire fois, les noms de Riegl, de Fiedler, deBinswanger, et cet apport me fut dcisif), mais aussi dans un certainagacement : tout ce qui tait dit sur lart byzantin pouvait ltre de Czanne, etrciproquement, puis tout cela redit une autre fois sur Tal Coat, sansmodification conceptuelle dcisive. La singularit vive, la singularitphnomnologique tait donc, paradoxalement, manque. Mettre au jour lasingularit, ce nest pas dire que limage est un processus dabsence

    beaucoup lont dit, mme avant Sartre , cest analyser comment limage,comment cette image dploie son propre processus dabsentification Pourcela il fautentrer en matire, si jose dire. Et donc se tenir dans un ordre dequestions rapproches techniques, historiques, anthropologiques qui

    commencent, en effet, par contourner certains problmes sculaires de

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    qui ressemble aux postes-frontires. Il faut considrer les points extrmes. Or,il y a au moins ces deux espces de mise aux limites de la reprsentation, eneffet : labsence et leffondrement dun ct, le matriau et lemptement dun

    autre. La thologie ngative de Fra Angelico ou le minimalisme deTony Smithdun ct : un mur blanc dAnnonciation, un simple cube de mtal noir. Lamatriologie de Donatello ou la prolifration curante des sculpturesanatomiques dun autre ct : corps corps avec la cire, le feu, le bronze, lesscories, lobservation viscrale.Mais cette heuristique des frontires porte, chemin faisant, une leon thoriquequi concerne peut-tre bien ladialectiqueagite en toute image : le mur blancde Fra Angelico (absence) ne se comprend quen rfrence la problmatiquematricielle de lincarnation (emptement); le cube noir de Tony Smith

    (abstraction) ne se comprend quen rfrence au choix de sa taille qui est celle-l mme de lartiste (anthropomorphisme); les procdures techniques deDonatello (emptement) ne se comprennent quen rfrence un vocabulairepathtique issu de lAntiquit (ressemblance), et ainsi de suite. Si nous jetons unnouveau coup dil nos petits dessins de Victor Hugo, nous constatons quelemptement ltouffement de la feuille par lencre jete en masse estlinstrument mme de leffondrement des apects.Tout se tient, comme vous levoyez, et rien nest pur : mme labsence, dans une image, nest jamais pure

    Si la relation est dialectique, par le biais dune dissemblance en acte, danslpreuve dune dchirure au seinde la matrialit qui

    renvoie la scission du regard, alors quel est le sens de cette dialectique? Vous avez propos dimportantes rflexionssur le

    sens de la dialectique dans son usagenon exclusivementhglien. Comment articulez-vous votre rfrence Benjaminet

    limage comme dialectiquearrte, avecvotre rfrence Bataille et ce que vousappelez sa dialectique hrtique ?

    Le mot dialectique a une longue histoire. Et tellement sujette auxtransformations, voire aux renversements de sens DansLes Enjeux du mobile,Gilles Chtelet est mme parvenu rintroduire la dialectique dans le contextedune pense deleuzienne, cest dire. Jai surtout t attentif lemploiparticulier du mot dialectique dans le contexte dune constellation depenseurs grce auxquels, dans les annes vingt et trente du XXe sicle, lesnotions dhistoire et dimage ont t simultanment reformules et, en un sens,

    refondes (bien qu strictement parler lide de fondation ne convienne pas

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    ici). Cest ce moment-l, en tout cas, quil a t vritablement possible derepenser lhistoire, lart, et donc lhistoire de lart.Ces penseurs taient non autoriss, non acadmiques : des philosophes non

    professionnels, pourrait-on dire la diffrence de leurs contemporainsHeidegger ou Cassirer , mais directement impliqus dans la cration plastique(Carl Einstein, S. M. Eisenstein) ou littraire (Benjamin, Bataille) de leurtemps. Luniversit les ignorait et refusa dhabiliter leurs recherches (ce futaussi le cas de Warburg, chercheur essentiellement priv qui reprsente un peu lhistoire de lart ce que Proust fut la littrature). Il y a forcment, mesyeux, un charme particulier mais tragique, concernant certains de cespenseurs dans la figure du philosophe sans chaire : jai moi-mme renonc prsenter cette agrgation quoi le statut de philosophe, en France, est si

    puissamment agrg. Et jai trois fois chou cette habilitation diriger lesrecherches quaccorde, par vote, linstitution o je travaille.Au-del de tout roman familial, cependant, ce quil faut reconnatre est quuneconnaissance de limage et du temps par le montagenous a t invente par tous cespenseurs Proust y compris une poque o lhistoire de lart jouait un rle pilote comparable celui que devait assumer, plus tard, la linguistique pourla gnration structuraliste.De quelle genre de dialectique sagit-il ici ? Sil fallait le rsumer dun trait

    car il faudrait parler de chaque auteur en particulier, et je ne voudrais pas tropapesantir notre entretien, je dirais que les polarits ne sy rduisent jamais,quelles sy transforment et sy dplacent constamment. Elles tourbillonnent la faon du fleuve (limage vient de Walter Benjamin), cest--dire la faondunmouvement immanent. Elles ne connaissent pas la synthse au sens de larconciliation hglienne : bien au contraire, elles ne produisent que de latourmente renouvele. La monographie que jai consacre Georges Batailletait scande sur un rythme trois temps, qui sintitulait Thse Antithse Symptme. Et celle consacre Warburg sarticule, de mme, sur un plandialectique intitul Limage-fantme, Limage-pathos Limage-symptme .Comme vous le constatez, la notion desymptmesavre cruciale dans une telle

    construction : elle ma permis, paradigme freudien aidant, dexplorer les voies

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    dun au-del de la smiologie structuraliste. Le symptme serait au signe,brivement dit, ce que la chair est au corps et limage la reprsentation.

    Pourquoi tenez-vous maintenir, contreune certaine vulgate, la forme et la ressemblancedans votre lecture de linformechez

    Bataille ? En quoice maintienrelve-t-il dune autre approchede lhumain et de sa reprsentation ? Quelles sontles implicationspolitiqueset historiques de ce parti-pristhorique (jepense Antelme et la question de lirrductible) ?

    Il ne sagit pas simplement dun dbat de spcialistes sur lexgse dun textede treize lignes publi par Georges Bataille en 1929 Cela va bien au-del. Enavanant dans mon travail sur la dissemblance chez Fra Angelico, javais ddfendre un point de vue qui se plaait, videmment, contre-courant de lavulgate sur lart de la Renaissance,cet ge dor de la ressemblance Introduirela dissemblance, ctait, justement, tenter dedialectiserce quimiter avait puvouloir dire pour un Florentin du Quattrocento. ct des taches

    dissemblables du couvent de San Marco, je savais bien quil y avait lesmoulages sur nature utiliss par Donatello pour saJudith, et sur lesquels jaitent de rflchir dans un travail ultrieur sur lempreinte. Autant il avait tincomplet de penser la peinture renaissante sous langle unique dune conqutedes ressemblances, autant il et t stupide anthropologiquement ethistoriquement faux de faire du dissemblable un mot dordre gnral pourles artistes de ce milieu et de cette poque. En sorte que je me sens plutt mal laise avec les usages que quelques postmodernistes ou tenants de laNew

    Art Historyont pu faire de mon travail.Il en est de mme avec Bataille. Bataille parle de dialectique des formes et dedchirure en mme temps. Quest-ce donc qui peut tre si dchirantdans limage dune peau danimal informe jete sur un sol dabattoir, et quiillustre, dans Documents, un autre article de Bataille ? Celui-ci nen fait pasmystre : linforme nest dchirant que parce quilnous regarde. Parce quilnous entretient de notre propre animalit et de notre propre destructibilit.Quelques mois seulement avant de publier son article sur labattoir, Batailleavait crit un petit texte prouvant sur les sacrifices aztques, o ctait bienune peauhumainequi tait jete, informe, au bas dun escalier. La vulgate dontvous parlez si nous nous comprenons bien, il sagit principalement de

    Rosalind Krauss et dYve-Alain Bois dans leur catalogue sur LInforme a

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