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LA PROTECTION JURIDICTIONNELLE DES DROITS FONDAMENTAUX A TRAVERS LE RECOURS D'AMPARO CONSTITUTIONNEL EN ESPAGNE Par Catherine-Amélie Chassin, Docteur en droit de l'Université Panthéon-Assas (Paris II) I. Les conditions de recevabilité du recours d'amparo. A. Un requérant mettant en cause un acte ou un comportement. 1) La qualité de requérant. 2) Les actes cause du recours d'amparo. B. Les caractères du recours. 1) L'existence d'un intérêt légitime à agir. 2) Un recours subsidiaire qui doit être intenté dans un délai strict. II. La finalité du recours. A. L'objet du recours 1) La défense des droits fondamentaux. 2) L'étendue des droits fondamentaux. B. L'instance et ses conséquences. 1) L'instruction du recours par le Tribunal constitutionnel 2) Les effets du recours. Conclusion.

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LA PROTECTION JURIDICTIONNELLE DES DROITS FONDAMENTAUXA TRAVERS LE RECOURS D'AMPARO CONSTITUTIONNEL EN ESPAGNE

Par Catherine-Amélie Chassin,

Docteur en droit de l'Université Panthéon-Assas (Paris II)

I. Les conditions de recevabilité du recours d'amparo.

A. Un requérant mettant en cause un acte ou un comportement.1) La qualité de requérant.2) Les actes cause du recours d'amparo.

B. Les caractères du recours.1) L'existence d'un intérêt légitime à agir.2) Un recours subsidiaire qui doit être intenté dans un délai strict.

II. La finalité du recours.

A. L'objet du recours1) La défense des droits fondamentaux.2) L'étendue des droits fondamentaux.

B. L'instance et ses conséquences.1) L'instruction du recours par le Tribunal constitutionnel2) Les effets du recours.

Conclusion.

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.C. R. D. F., n° 1 /2002

E ssentiels dans un Etat correspondant auxcanons actuels de l'Etat de droit, les droitsfondamentaux sont un élément essentiel à la

fois de la pensée doctrinale et des mécanismesjuridictionnels contemporains. En raison de cetteplace éminemment centrale et emblématique, ilssont, en Espagne (où ils figurent en tête de laConstitution), l'objet d'une protection renforcéedans l'ordre juridique, protection instaurée engrande partie en réaction au régime franquiste etfondée sur la normativité de la normeconstitutionnelle.

La Constitution du 27 décembre 1978, adoptéedans un esprit de conciliation des tendances encorevivaces dans la société post-franquiste, a, pourreprendre le termes de Tierno Galvan, « les vertusd'être le fruit d'une volonté de paix, et de s'êtredonné les moyens d'assurer la paix sociale, la paixéconomique, et pas seulement la paix politique» 1.Au-delà d'un ordonnancement consensuel despouvoirs politiques, la Constitution a mis en placeun recours spécifique ouvert à toute personnedevant le Tribunal constitutionnel: le recoursd'amparo, que nous nous proposons ici d'analyser,et qui puise ses sources dans l'ancien droit foraI del'Aragon2. Le recours d'amparo est, du point de vuequantitatif, le plus important des recours ouvertsdevant le Tribunal constitutionnel. Pour l'année2000, on en dénombre 6.762 (soit 97,98% dessaisines), chiffre considérable, notamment si on lerapporte à l'effectif du Tribunal constitutionnel, quine compte que douze membres3. Même si la plupartde ces recours ne donnent pas lieu à une sentence(ce n'est le cas que pour environ 250 d'entre eux), ils'agit malgré tout d'un contentieux très importanttant du point de vue tant qualitatif que quantitatif, etd'un contentieux en constante augmentation quiencombre les deux chambres du Tribunalconstitutionnel.

Dans la construction normative etjuridictionnelle espagnole telle qu'issue de laConstitution de 1978, le Tribunal constitutionnelapparaît comme le garant ultime des droitsfondamentaux: toute personne qui estime que lesdroits fondamentaux que la Constitution luireconnaît et lui garantit ont été violés, peut intenterun recours d' amparo devant le Tribunalconstitutionnel afin de faire constater la violation

1 Cité d'après G. COUFFIGNAL, Le régime politique de l'Espagne,éd. Montchrestien 1993, p. 25.2 Lesfueros de l'Aragon, c'est-à-dire, en quelque sorte, le régimejuridique qui était applicable dans ce pays, instituaient un recoursque l'on peut rapprocher de !'amparo constitutionnel del'Espagne contemporaine.,

Selon le bilan 2000 du Tribunal constitutionnel: voir le site:www.tribunalconstitucional.es, rubrique « Memoria 2000 », § V.Pour une étude détaillée du Tribunal constitutionnel, voirnotamment P. BON, "Présentation du Tribunal constitutionnel",Cah. Cons. const. 1997/2 pp. 38-53, et notre article "Conseilconstitutionnel français et Tribunal constitutionnel espagnol:analyse comparative de deux conceptions duconsti tutionnalîsme", Rev. dr. publ. 4-2001, pp. 1157 -1210.

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alléguée et de faire cesser cette atteinte. Ce recoursse fonde alors sur l'article 53.2 de la Constitution,lequel mérite d'être cité ici in extenso: «toutcitoyen pourra demander la protection des libertéset des droits reconnus à l'article 14 et à la sectionpremière du chapitre II devant les tribunauxordinaires par une action fondée sur les principesde priorité et de la procédure sommaire, et, le caséchéant, par le recours individuel de amparo devantle Tribunal constitutionnel. Ce recours seraapplicable à l'objection de conscience, reconnue àl'article 30 »4.

Le rappel de quelques éléments fondamentauxs'impose cependant avant d'étudier la protectionofferte par la voie du recours d'amparo. L'Espagneest aujourd'hui un Etat démocratique, membre del'Union européenne5 et partie à la Conventioneuropéenne des droits de l'homme6. Comme laplupart des Etats ayant connu un régime de typeautoritaire, elle fait figurer un long catalogue dedroits fondamentaux, placé en tête de saConstitution7. Ce sont ces droits qui font l'objetd'une protection spécifique par la voie del'amparo : on y trouve le principe d'égalité (art. 14),les droits fondamentaux et libertés publiques8(chapitre II section 1ère)et l'objection de conscience(art. 30). Dans ce cadre normatif, «la finalitéessentielle du recours d'amparo est la protection,d'un point de vue constitutionnel, des droits et deslibertés (...) lorsque les voies ordinaires deprotection se sont avérées insuffisantes »9. Lerecours d'amparo se présente alors comme lemoyen de protection ultime offert aux espagnolsdans le cadre de la garantie des droits fondamentauxque la Constitution leur reconnaît: car si laprotection des droits fondamentaux est en principedu ressort du juge ordinaire, l'intervention de celui-ci peut être inefficace ou insuffisante; pour parer àces carences, le constituant a introduit une voie à lafois excertionnelle et subsidiaire, le recoursd'amparol.

4 Pour la traduction française: voir C. GREWE et H. OBERDORFF(textes rassemblés par), Les Constitutions des Etats de l'Unioneuropéenne, éd. La Documentation Française coll. Retour auxtextes 1999.5 L'Espagne a intégré l'Europe communautaire en 1986.6 Rompant avec le régime antérieur, l'Espagne a intégré leConseil de l'Europe dès 1977, et ratifié la Conventioneuropéenne des droits de l'homme en 1979 (BOE [Boletin oficialdei Estado] 10 ocl 1979).7

On retrouve ce procédé du catalogue dans de nombreux Etatscomme l'Allemagne et l'Italie après la seconde guerre mondiale,la Grèce et le Portugal dans les années 1970, la Bulgarie et laRoumanie dans les années 1990. Sur ce point, voir C. GREWE, H.RUIZ FABRI, Droits constitutionnels européens, éd. PUF colLDroit fondamental 1995, chapitre Il, § 110 et suiv.8 Ce sont là les termes mêmes de la Constitution, qui n'explicitecependant pas davantage la distinction à opérer entre libertéspubliques et droits fondamentaux.9 STe [sentence du Tribunal constitutionnel] 1/1981 du 26janvier 1981, BOE 24 fév. 1981.10 Voir 1. MOLAs, Derecho constituciona~ éd. Tecn6s, Madrid1998, p. 348 : « Le système juridique espagnol établit que laprotection des droits fondamentaux est du ressort de la

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L'amparo est un recours extraordinaire au sensétymologique du terme, et c'est ce caractère qui enfait sans doute tout l'intérêt, à la fois pour lesintéressés (les ressortissants espagnols) et pour lesjuristes. Son appréhension, en particulier par lesjuristes français, ne peut que contribuer au débat surla garantie des droits fondamentaux par le Conseilconstitutionnel français, idée qui fut, on se lerappelle, l'objet de propositions au cours de ladécennie passée.

Ainsi donc, afin de saisir la quintessence durecours d'amparo, il importe de suivre une méthodequi, pour si scolaire qu'elle puisse paraître, n'en estpas moins claire et efficace. Nous aborderons doncles conditions de recevabilité du recours d' amparo(1), avant de nous attarder sur le devenir du recoursjugé recevable (II).

J. Les conditions de recevabilité du recoursd'amparo.

Dans un souci de clarté, nous nous attacheronsaux conditions communes à tout recoursjuridictionnel (A) avant de nous arrêter sur la causemême du recours d'amparo (B).

A. Un requérant mettant en cause un acte ou uncomportement.

Selon l'article 53.2 de la Constitution, le recoursd'amparo est très largement ouvert s'agissant despersonnes susceptibles d'en être l'auteur. Il en va demême s'agissant des actes susceptibles de fairel'objet de ce recours.

1) La qualité de requérant.

Le texte de l'article 53.2 vise « toute personne »,de façon très large. L'article 162.b de laConstitution, qui précise les modalités de saisine duTribunal constitutionnel,dispose que « sont en droitd'introduire le recours individuel de amparo toutepersonne physique ou juridique invoquant un intérêtlégitime, ainsi que le Defensor deI pueblo et leministère public ». Nous reviendrons sur l'existencede cet «intérêt légitime ». Retenons pour l'instantque le recours est très largement ouvert, auxpersonnes physiques comme aux personnesmorales. La loi organique relative au Tribunalconstitutionnel (ci-après L.ü.T.C.)1 restreintquelque peu le champ des requérants, en conformitéavec la Constitution, en précisant dans son article41.2 que «le recours d'amparo protège tous lescitoyens », ce qui semble exclure alors les étrangers

juridiction ordinaire. L'activité spécifùIue des juges et tribunauxconsiste précisément à les favoriser. C'est la voie commune, laprocédure ordinaire de leur garantie. Mais la préoccupation duconstituant pour renforcer cette garantie l'a amené à créer unevoie particulière: le recours d'amparo ».1 Loi organique 211979 du 3 octobre 1979 modifiée. Texte enfrançais: Cah. Cons. const. n° 1997/2, p. 65 et suiv.

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du champ protecteur du recours. La doctrine commela jurisprudence constitutionnelle admettentpourtant, en dépit des termes de la Constitution etde la L.ü.T.C., la recevabilité des recours présentéspar un étranger, dans la mesure où le requérantétranger fonde son recours sur un droit fondamentalreconnu aux non-nationaux, comme le droit à laliberté dans une affaire liée à la détention provisoired'un étranger dont l'extradition est demandée, droitqui se fonde sur les articles 17-1 et 17-4 de laConstitution2.

Concrètement, le recours est ouvert à deuxinstitutions visées explicitement par le texte, leDefensor dei pueblo et le ministère public. LeDefensor dei pueblo est l'équivalent espagnol desombudsmen nordiques3. Dans sa mission derégulateur des conflits et de défense des droits, il aeu l'occasion à plusieurs reprises de déposer unrecours d' amparo devant le Tribunalconstitutionnel4. Il en va de même pour le ministèrepublic, qui peut être amené à présenter un recoursd'amparo dans le cadre de sa mission de défense dela société5.

En dehors de ces institutions explicitementvisées, le recours est ouvert à un éventailparticulièrement large de requérants. Il peut en effets'agir de personnes physiques ou de personnesmorales, de personnes de droit privé ou depersonnes de droit public. Le Tribunalconstitutionnel considère que les personnes morales,privées ou publiques, peuvent être titulaires dedroits fondamentaux dans la mesure où elles ont lacapacité juridique nécessaire pour être parties à unprocès6. Le débat qui a agité une partie de ladoctrine espagnole, fondé sur le fait que laConstitution ne mentionnerait pas expressément queles personnes morales peuvent être titulaires dedroits fondamentaux, paraît en réalité clos parl'article 162.b de la Constitution, dans la mesure oùles personnes morales peuvent intenter un recoursd'amparo. L'amparo étant limité à la défense desdroits fondamentaux, l'article 162.b induitlogiquement que les ~ersonnes morales sonttitulaires de tels droits. Cette position a été

2 Pour exemple: STC 14111998 du 29 juin 1998, BOE 30 juil.1998, pour un requérant de nationalité italienne. ; STC 147/2000

du 29 mai 2000, BOE 30 juin 2000, pour un requérant denationalité française.3 Le statut du Defensor dei pueblo (défenseur du peuple) estorganisé par la loi organique 3/1981 du 6 avril 1981. Il est élupour cinq années par le Parlement.4 Pour exemples: STC 178/1987 du 11 novembre 1987, BOE 26déco 1987; STC 209/1987 du 22 décembre 1987, BOE 8 janv.1988 ; STC 132/1992 du 28 septembre 1992, BOE 30 oct. 1992.5 Voir STC 225/1988 du 25 novembre 1988, BOE 22 déco 1988 ;STC 81/1990 du 26 avril 1990, BOE 30 mai 1990 ; STC 67/1991du 22 mars1991 , BOE 24 avr. 1991 ; STC 148/1994 du 12 mai1994, BOE 13 juin 1994.6 Voir STC 100/1993 du 22 mars 1993, BOE 27 avr. 1993.7 En ce sens, voir P. CRUZ VtLLALON, "Dos cuestiones detitularidad de derechos : los extranjeros y las personas juridicas",Revista espaiiola de derecho constitucional pp. 68-83, p. 72. Voirégalement AJ. GoMEZ MONTORO, "La titularidad de derechos

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explicitée par le Tribunal constitutionnel dans unesentence 13911995 de septembre 19951 et reprisepar une sentence 175/2001 de juillet 20012.

S'agissant des personnes de droit public, lajurisprudence ouvre largement la porte du recoursd'amparo : ont été ainsi jugés recevables les recoursintentés par des établissements publics3 et par desorganismes publics comme l'Institut national de lasanté (Instituto nacional de la salud) ou l'Institutnational de Sécurité sociale (Instituto nacional de laseguridad socialt Le Tribunal constitutionnel aégalement admis qu'une université puisse êtrel'auteur d'un recours d'amparo5. Le recours est enoutre ouvert aux collectivités locales ou à leursreprésentants, qu'il s'agisse de l'organe exécutif oude l'organe délibérant6. Les députés agissant dans lecadre de leurs fonctions électives, qu'il s'agisse desreprésentants au sein des communautés autonomesou des représentants élus au Parlement national(Cortes generales) peuvent également intenter unrecours d'amparo7. Enfin, dans une sentence

fundamentales jXJr personas juridicas: analisis de lajurisprudencia dei Tribunal constitucional espaiiol", Cuestionesconstitucionales, Revista mexicana de tlerecho constitucionaln02, janvier-juin 2000, pp. 1-26.1STC 13911995 du 26 septembre 1995, BOE 14 ocl. 1995 : « sile droit tle s'associer est un droit constitutionnel, et si les buts dela personne morale collective sont protégésconstitutionnellement par la reconnaissance du fait qu'elle esttitulaire des droits nécessaires à ces buts, il en résultelogiquement que- doit être reconnue constitutionnellement lapossession tles autres droits qui sont nécessaires etcomplémentaires pour l'exécution tle ces buts. Cela ne peut êtrepossible que dans la mesure où est étendue aux personnesmorales la reconnaissance des droits fondamentaux quiprotègent son existence et son identité, afin d'assurer le libredéveloppement de son activité

".2 STC 175/2001 du 26 juillet 2001, le droit à une protectionjuridictionnelle garanti par l'article 24 de la Constitution étantexplicitement reconnu à la Généralité de Catalogne.3 Sur le principe, voir STC 4/1982 du 8 février 1982, BOE 26fév. 1982, ou encore STC 18/1988 du 4 février 1988, BOE

1'"mars 198B.4 STC 17911999 du 11 octobre 1999 jXJur l'Institut national de lasanté, BOE 18 nov. 1999; STC 309/2000 du 18 décembre 2000jXJur l'Institut national de sécurité sociale, BOE 16 janv. 2001.5 STC 55/1989 du 23 février 1989 jXJur l'Université Saint-Jacques de Compostelle, BOE 14 mars 1989 ; STC 18711991 du3 octobre 1991 et STC 15511997 du 29 septembre 1997 pour

J'Université autonome de Madrid, BOE 30 ocl. 1997; STC103/2001 du 23 avril 2001 pour l'Université jXJlytechnique deMadrid; STC 239/2001 du 18 décembre 2001 pour l'UniversitéjXJllytechnique de Catalogne.6 Pour les organes délibérants, voir STC 1911983 du 14 mars1983, BOE 12 avr. 1983, jXJur le Parlement (diputaciôn) deNavarre. Pour les organes exécutifs, voir STC 237/2000 du 16octobre 2000 jXJur le gouvernement (Junta) d'Andalousie, BOE17 nov. 2000; STC 88/2000 du 27 mars 2000, BOE 4 mai 2000jXJur la mairie (Ayuntamiento) de Torrent, Valencia; aussi STC50/2001 du 26 février 2001 jXJur l'Ayuntamiento de Malaga (enl'espèce cependant le recours d'amparo avait été jugé irrecevableen raison de son caractère prématuré). Dans cette perspective, ilfaut relever que le Conseil exécutif de la Généralité de Catalognea pu déjXJser un recours d'amparo, cette fois pris comme tuteur

d'enfants (STC 260/1994 du 3 octobre 1994, BOE 8 nov. 1994 ;le litige portait sur des mineurs dont les parents refusaient lascolarisation).7 Pour la saisine du Tribunal constitutionnel dans le cadre d'unrecours d'amparo déposé par des députés de communautés

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6411988 d'avril 1988, le Tribunal constitutionnel aadmis le recours présenté par l'Etat lui-mêmeS:dans cette affaire, la question était alors celle desavoir si l'Etat pouvait bénéficier du droit au jugegaranti par l'article 24 de la Constitution. LeTribunal constitutionnel considère que le droit aujuge doit être compris, pour les personnes morales,comme « un droit à réclamer de l'organejuridictionnel la protection à laquelle on peutprétendre en tant que partie à un procès », et quel'Etat en est donc le titulaire. La même solution estreprise en juillet 2001 s'agissant d'une communautéautonome, en l'espèce la Généralité de Catalogne, àlaquelle est reconnu le droit à une protectionjuridictionnelle9. Une sentence 239/2001 dedécembre 200110 est venue préciser que, si lespersonnes publiques peuvent être titulaires de droitsfondamentaux, leur spécificité ne permet pas de leurreconnaître tous les droits garantis par laConstitution. Si le droit à une protectionjuridictionnelle leur est reconnu, le principed'égalité, «fondé sur la dignité de la personnecomme fondement de l'ordre politique, ne leur estpas transposable ». Il est dès lors difficile pour unrequérant de droit public de fonder son recoursd'amparo sur une atteinte au principe d'égalité del'article 14 de la Constitution. Plus généralement, ettoujours selon la sentence 239/2001, « Lespossibilités qu'ont les administrations publiqu es dedéfendre leurs 'droits' par la voie de l'amparo sonttrès limitées ».

Si l'éventail des requérants-personnes de droitpublic est large, il en est de même s'agissant despersonnes de droit privé. La qualité à agir en lamatière des particuliers ne fait guère de doute, cesont même ces particuliers qui fournissentl'essentiel des saisines du Tribunal constitutionneldans le cadre du recours d' amparo. Par ailleurs,l'action des personnes morales est aujourd 'huilargement entré dans les mœurs, et le contentieux néde ces actions est en augmentation ces dernièresannées. Les requêtes sont alors le plus souventdéposées par des sociétés commerciales 11, mais

autonomes, voir STC 16111988 du 20 septembre 1988, BOE 14ocl. 1988 (députés de Castille et Mancha) ; STC 196/1990 du 29novembre 1990 (députés du Pays basque) ; STC 4/1992 du 13janvier 1992, BOE 13 fév. 1992 (députés de la communauté deMadrid); STC 25/1992 du 24 février 1992 (députés de la

Généralité de Catalogne); STC 4111995 du 13 février 1995, BOE18 mars 1995 (députés de Navarre); STC 11811995 du 17 juillet1995, BOE 22 août 1995 (députés de la communauté deValence); STC 124/1995 du 18 juillet 1995, BOE 22 août 1995(députés de la communauté de Murcie).8 STe 6411988 du 12 avril 1988, BOE 4 mai 1988.9 STe 175/2001 du 26 juillet 2001. Saisi par un recoursd'amparo déposé par la Généralité de Catalogne en tant qu'entitéautonome, le Tribunal constitutionnel relève l'existence d'uneatteinte au droit à une protection juridictionnelle effective,admettant ainsi pleinement qu'une communauté autonome esttitulaire de droits fondamentaux.10STe 239/2001 du 18 décembre 2001.11 Les requêtes présentées par des sociétés commerciales sontnombreuses, et le panel de leurs activités est large. Pour desexemples récents, voir pour le secteur automobile STC 285/2000

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elles peuvent être le fait d'autres organes d'unesociété, comme par exemple un comitéd' entreprise l. Le Tribunal admet également larecevabilité du recours présenté par une sociétéd'audit2, ou par une banque3. Les requérantspeuvent également être des associations à but nonlucratif" ou des syndicats5, sous réserve cependantqu'il s'agisse d'un syndicat légitime etreprésentatit. Le Tribunal a pu être saisi par unjournaC, même si, dans le cadre de litigesimpliquant la presse, le requérant est le plus souventun journaliste agissant en tant que particuliers.Enfin, et de façon sans doute plus anecdotique, unrecours d'amparo déposé par une église prise entant que mouvement religieux est recevable selon lajurisprudence du Tribunal constitutionnel9.

ün le voit, les requérants ayant qualité pourintenter un recours d'amparo sont donc trèsnombreux. Leur capacité est cependant limitée parles actes susceptibles d'être mis en cause à traversce recours.

du 27 novembre 2000, BOE 4 janv. 2001 (Volkswagen et AudiEspaiia) ; pour le secteur immobilier STC 160/2001 du 5 juillet

2001 (lmmobiliara Recalde) ; pour le secteur de l'alimentationSTC 17/2000 du 31 janvier 2000, BOE 3 mars 2000 (D.I.A.), etSTC 34/2001 du 12 février 2001 (G-2); pour le secteur desassurances STC 200/2000 du 24 juillet 2000, BOE 24 août 2000(U.A.P. lbérica) STC 37/2001 du 12 février 2001 (Alba) ; pour lesecteur du livre STC 161/2000 du 12 juin 2000, BOE 11 juil.2000 (Editorial Cat6lica) et STC 11212001 du 7 mai 2001(S.G.E.L.).1 Voir STC 12311992 du 28 septembre 1992, BOE 29 oct. 1992.2 STC 77/2000 du 27 mars 2000, BOE 4 mai 2000 (Vidiella yRosa, Auditores)3 STC 40/2000 du 14 février 2000, BOE 17 mars 2000 (Bancocentral hispanoamericana) et STC 74/2001 du 26 mars 2001(Banco hipotecario de Espaiia).4 STC 25212000 du 30 octobre 2000, BOE 1" déco 2000(association des voisins de El Campello) ; STC 280/2000 du 27novembre 2000, BOE 4 janv. 2001 (association d'informationpour la défense des soldats); STC 90/2001 du 2 avril 2001(association socio-culturelle des retraités du groupe Ercos).5 Pour exemples: STC 8/1992 du 16 janvier 1992, BOE 13 fév.1992 (Confédération syndicale des commissions ouvrières,CC.OO.); STC 66/1995 du 8 mai 1995, BOE 13 juin 1995(U.G.T.); STC 80/2000 du 27 mars 2000, BOE 4 mai 2000

(Confédération intersyndicale de Galice); STC 147/2001 du 27juin 2001 (Union syndicale ouvrière); STC 225/2001 du 26

novembre 2001 (Fédération d'Etat des Commissions ouvrières dumétal).6 Pour le défaut de légitimité d'un syndicat requérant, voir STC121/1999 du 28 juin 1999, BOE 30 juil. 1999.7 STC 171/1990 du 12 novembre 1990, BOE 30 nov. 1990Gournal El pais); STC 17211990 du 12 novembre 1990, BOE 30nov. 1990 Gournal Diario 16).8 Le recours peut être déposé conjointement par un journaliste etune entreprise de presse: voir pour exemple STC 154/1999 du 14septembre 1999, BOE 19 oct. 1999. Les requérants étaient,conjointement, la société Prensa Espafiola (représentant lejournal quotidien ABC), et la journaliste auteur de l'article encause, Sara Caldero Prieto. Aussi STC 187/1999 du 25 octobre1999, BOE 30 nov. 1999, pour une journaliste (Cristina de laVera Fernândez) et une chaîne de télévision (Gestevisi6nTelecinco, S.A.).9 Voir STC 155/2000 du 12 juin 2000, BOE Il juil. 2000 (églisede scientologie); STC 46/2001 du 15 février 2001 (église del'unification) ; STC 128/2001 du 4 juin 2001 (union des égliseschrétiennes adventistes du septième jour).

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2) Les actes, cause du recours.

De nombreux actes peuvent donner lieu à unrecours d'amparo. La violation alléguée peutprovenir «de dispositions, d'actes juridiques oud'un simple comportement matériel des pouvoirspublics de l'Etat, des communautés autonomes oudes autres organismes publics à caractèreterritorial, corporatif ou institutionnel, ainsi que deleurs fonctionnaires ou agents », selon les termes del'article 42.1 de la L.ü.T.C.. Concrètement, peuventainsi être mis en cause par la voie de l' amparo lesactes de l'Etat central, mais aussi les actes émanantd '

lO E ' l,

es communautes autonomes. n pratIque, a tresgrande majorité des recours concerne des actesjuridictionnels, plus épisodiquement des décisionsadministrativesl. Il s'analyse ainsi comme unegarantie supplémentaire des citoyens face aupouvoirjudiciaire au sens large, puisque « à traverscette procédure, le Tribunal constitutionnel exercenon seulement un contrôle du législateur, maissurtout un contrôle du juge» 12. De façon plusgénérale, le recours peut être intenté « contre toutesorte de violation que les pouvoirs publicspourraient commettre contre les droitsconstitutionnels que le constituant a estimé dignesde cette protection juridictionnelle spéciale» 13,cequi donne à ce recours un champ d'applicationparticulièrement large.

S'il est ainsi possible de mettre en cause unedécision ou un acte n'ayant pas valeur de loi bienqu'émanant d'une assemblée parlementaire ou del'un des organes de ladite assemblée, le recours estirrecevable s'il est dirigé contre un acte législatif.Une loi ne peut être mise en cause explicitement parla voie d'un recours d'amparo. En conséquence, leTribunal constitutionnel rejette les recours dirigésdirectement contre une loi. Dans une sentence113/1987 de juillet 1987, le Tribunal affirme que«le recours d'amparo n'est pas conçu comme uninstrument de contrôle direct et abstrait de laconstitutionnalité d'une loi en raison de la violationalléguéede l'un ou l'autre des droits fondamentauxou des libertés publiques, mais comme un moyen deréparer les lésions qui affectent ces droits et

10 Voir en ce sens A. PEREZ CALVO, "Deux modèles del'organisation de l'Etat: communautés autonomes et régions", inEtudes de droit constitutionnel franco -espagnol, éd. Economicacoll. Droit public positif 1994 pp. 153-166, p. 164.11Les premiers recours d'amparo ayant donné lieu à sentence dela part du Tribunal constitutionnel (STC 1/1981 du 26 janvier1981 et STC 211981 du 30 janvier 1981, BOE 24 fév. 1981)concernaient des actes juridictionnels, en l'espèce un auto de laChambre civile d'une Audiencia territoriale (1/1981) et unesentence de la Chambre pénale de l'Audiencia nacional deMadrid (211981). C'était là déjà une préfiguration de l'avenir de

l'amparo.12 F. RUBIo-LLoRENTE, "Le Tribunal constitutionnel", in D-G.LAVROFF (dir.), Dix ans de démocratie constitutionnelle enEspagne, éd. CNRS 1991 pp. 103-109, p. 107.13 V.J. MARTINEZ PARDO, "El recurso de amparo constitucional,consideraciones generales", Rev. intem. de practica juridica n08,juillet-décembre 2000 (site: www.uv.es/-ripj/8vic.htm).

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libertés, et qui sont l'œuvre de dispositions, d'actesjuridiques ou de simples voies de fait de la part despouvoirs publics» 1.

Le recours d'amparo soulève cependant unedifficulté majeure en raison du fait que, s'il ne peutdirectement mettre en cause la constitutionnalitéd'une loi, il peut pourtant mettre en lumière uneatteinte législative aux droits constitutionnellementgarantis, et il peut ainsi aboutir à la mise en causeindirecte de la loi. La nuance tient alors à ce quel'inconstitutionnalité peut être soulevée «au traversd'un procès d'amparo, et non dans un procèsd'amparo. De sorte que la contestation de la loi seproduit de manière indirecte: les parties arguent del'inconstitutionnalité de la loi lors de l'instanced'amparo, mais elles ne prétendent pas à ce qu'unetelle inconstitutionnalité soit déclarée, ni à ce qu'enconséquence soit annulé le texte législatif »2.

Concrètement, le problème se pose lorsque, laviolation d'un droit fondamental étant constatée,cette violation est le fait d'un acte scrupuleusementconforme au texte d'une loi en vigueur. La situationest alors prévue par la L.O.T.C. (article 55.2) : «aucas où il serait fait droit au recours d' amparo parceque la loi appliquée lèse des droits fondamentauxou des libertés publiques, la chambre [du Tribunalconstitutionnel) présentera la question au Tribunalstatuant en assemblée plénière, qui pourra déclarerl'inconstitutionnalité de ladite loi par un nouvelarrêt ayant les effets ordinaires prévus aux articles38 et suivants» (sentences constatantl'inconstitutionnalité d'une loi, rendues sur recoursd'inconstitutionnalité ou, ce qui nous intéresse dansle cadre de cette procédure spécifique, sur questiond'inconstitutionnalité). On a alors ce que certainsauteurs appellent une « autoquestiond'inconstitutionnalité »3. L'amparo aboutit à ce quele Tribunal constitutionnel pris dans l'une de sesdeux chambres pose à sa formation plénière unequestion d'inconstitutionnalité, selon les règles deprocédure applicables aux questionsd'inconstitutionnalité ordinaires. Le Tribunalconstitutionnel a admis cette voie, c'est-à-dire lapossibilité de remettre en cause une loi de façonindirecte par le biais d'un recours d' amparo, dèsdécembre 19814.

Quelques observations s'imposent cependant ausujet de cette procédure tout à fait exceptionnelle.

1 STe 113/1987 du 3 juillet 1987, BOE 29 juil. 1987. Le recoursse fondait sur une violation alléguée du principe de l'impartialitédu juge.2 J. GUASCH, "La mise en cause de la constitutionnalité des lois àtravers le recours d'amparo en Espagne", Ann. internat. just.const. 1992 pp. 25-109, p. 42. L'auteur ajoute que « les partiespeuvent inciter à l'annulation d'une loi, mais non y prétendre ».3 Voir notamment E. GARCIA DE ENTERRIA, La Constituciôncomo norma y el Tribunal constitucional, éd. Civitas, Madrid1981 p. 153 ; aussi P. BON, "Le Tribunal constitutionnel, étuded'ensemble", in La justice constitutionnelle en Espagne, éd.Economica coll. Droit public positif 1984, pp. 17-162, p. 92 et125.

4 STC 4111981 du 18 décembre 1981, BOE janv. 1982.

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En premier lieu, et il est important de le noter,l'autoquestion d'inconstitutionnalité n'entraîneaucun sursis à statuer. La sentence inhérente aurecours d'amparo est rendue sans attendre ladécision relative à la constitutionnalité de la loi encause. La solution s'explique par le fait quel'amparo existe en vue de sanctionner une atteinteaux droits fondamentaux, indépendamment de toutcontrôle de constitutionnalité des lois. Les deuxprocédures, si elles se conjuguent, n'en demeurentpas moins distinctes, et la violation peut exister lecas échéant malgré la constitutionnalité de la loi quifonde l'acte violateur. Dans le cadre del'autoquestion, il y a, pour reprendre les proprestermes du pénultième Président du Tribunalconstitutionnel, « un mécanisme de connexion entredeux procédures constitutionnelles distinctes »5.

En second lieu, l'existence d'une autoquestiond'inconstitutionnalité relève d'une décision propredu Tribunal constitutionnel. Les particuliers auteursdu recours d'amparo, s'ils peuvent éventuellementla suggérer, ne peuvent en aucun cas la demander.Parallèlement, l'autoquestion peut être poséed'office par la chambre du Tribunal saisie del'amparo.

Enfin, dernière remarque, la jurisprudenceconstitutionnelle impose des conditions pouradmettre cette procédure de l'autoquestion. L'acteportant atteinte à un droit fondamental garanti par laConstitution doit être indétachable de la loi, ce quiimplique qu'il soit effectivement fondé sur la loi encause, qu'il soit rigoureusement conforme à cetteloi, enfin qu'il soit la conséquence inéluctable del'application de ladite loi.

Ces conditions cumulatives restrictivesexpliquent sans doute le relatif faible nombred'autoquestions dans le contentieux constitutionnelespagnol6 : car le mécanisme aboutit, concrètement,à ce qu'un recours individuel visant à la défense desdroits fondamentaux d'une personne juridique setransforme en un contrôle de constitutionnalité de lanorme adoptée par les représentants. Logiquement,le recours d' amparo, «ne peut être utilisé dansaucun autre cas, même si sont en cause d'autres

5 A. RODRIGUEZ BEREIJO, entretien précité, Cah. Cons. const.1997/2, p. 57.6 Ont été notamment rendues à la suite d'une autoquestiond'inconstitutionnalité les sentences suivantes: STC 209/1988 du10 novembre 1988, BOE 12 déco 1988 (discriminations enmatière fiscale); STC 243/1988 du 19 décembre 1988, BOE 23janv. 1989 (inviolabilité des parlementaires) ; STC 45/1989 du20 février 1989, BOE 2 mars 1989 (régime fiscal applicable auxconcubins) ; STC 9/1990 du 18 janvier 1990, BOE 15 fév. 1990(immunité des parlementaires); STC 185/1990 du 15 novembre1990, BOE 3 déco 1990 (autorité de la chose jugée attachée aux

décisions de justice) ; STe 209/1991 du 7 novembre 1991, BOE17 déco 1991 (exécutabilité par le juge civil de la décision d'unTribunal ecclésiastique); STC 3112000 du 3 février 2000, BOE 3mars 2000 (justice militaire) ; STC 47/2000 du 17 février 2000,BOE 17 mars 2000 (procédure criminelle); STC 149/2000 du 1 cr

juin 2000, BOE 30 juin 2000 (régime électoral général); STC115/2001 du 10 mai 2001 (justice militaire).

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droits constitutionnels» 1; or le mécanisme del'autoquestion d'inconstitutionnalité doit être desplus encadrés si l'on ne veut pas qu'un recoursindividuel d'amparo soit détourné de sa finalité etaboutisse à la remise en cause d'une loi.

B. Les caractères du recours.

Au-delà des conditions concernant la personnedes requérants et les actes susceptibles de fairel'objet d'un recours d'amparo, reste une questionfondamentale tenant aux caractères mêmes durecours. Plusieurs traits saillants se dégagent. Lerequérant doit en particulier avoir un intérêt à agir;le recours proprement dit est en outre un recourssubsidiaire enfermé dans un délai strict.

1) L'existence d'un intérêt légitime à af!ir

La jurisprudence constitutionnelle espagnoleconditionne la recevabilité du recours à l'existenced'un intérêt légitime au sens processuel du terme,c'est-à-dire d'un intérêt né, actuel et personnef.

Le Tribunal constitutionnel s'attache donc à laréalité de l'atteinte alléguée. En d'autres termes,tout litige relatif à un droit fondamental n'entraînepas per se l'admission du recours d'amparo. LeTribunal constitutionnel impose l'existence d'uneatteinte réelle au droit invoqué. Il a ainsi précisé enavril 1989 que les incohérences d'une décisionjuridictionnelle ne fournissent pas forcémentmatière à amparo: encore faut-il qu'ellesaboutissent à une situation de non-défense(indefension) du requérant au regard de l'article24.1 de la Constitution (droit à une protectionjuridictionnelle effective)3. Autrement dit, il nesuffit pas qu'un droit fondamental soit en causepour que le recours d' amparo soit recevable: il fautencore que l'atteinte alléguée réponde à une certaineréalité. Dans cette perspective, le Tribunal rappellerégulièrement que le recours d'amparo estexclusivement destiné à la protection des droitsfondamentaux lésés concrètement: il ne sauraits'analyser comme un recours en révision d'unprocès antérieur définitivement jugé4. Le Tribunalconstitutionnel rappelle en outre que le recoursd'amparo n'est pas une technique processuellepermettant de faire valoir ses prétentions et ses

1 M. RODRIGUEZPINERO,J. LEGUINAVILLA,"La hiérarchie desnormes et sa fonction dans la protection des droits fondamentaux.Rapport espagnol", Ann. internat. jUSL const. 1990 pp. 99-132, p.

121.2 Sur ces caractères de « l'intérêt légitime

"en droit processuel,

voir notamment 1. HERON, Droit judiciaire privé, éd. Domat-Montchrétien 1997, § 58 et suiv.,

STC 6111989 du 3 avril 1989, BOE 19 août 1989.4 STC 11911993 du 19 avril 1993, BOE 27 mai 1993. Le Tribunalconstitutionnel rappelle à cette occasion qu'il ne peut réexaminerles litiges sous l'angle des faits et du droit, sous prétexte que lejuge ordinaire aurait mal jugé. Il n'intervient et ne peut intervenirque lorsqu'un droit constitutionnel a été méconnu au détriment

du requérant.

droits: il est et doit rester une technique ultime deprotection des droits fondamentaux5. C'estd'ailleurs là le sens de l'article 41.3 de la L.ü.T.C. :«dans le cadre de l'amparo constitutionnel, on nepeut faire valoir d'autres prétentions que celles quivisent à établir ou à préserver les droits et leslibertés pour lesquels ce recours a été intenté ».

De la même façon, le requérant doit justifierd'un intérêt à agir: toute personne, de droit publicou privé, physique ou morale, peut certes intenterun recours d'amparo, à condition d'y avoir unintérêt: le droit constitutionnel espagnol rejettetoute idée d'actio popularis en matière de droitsfondamentaux6. Dès lors, et nous l'avons déjàsuggéré, le recours ne peut s'analyser comme un«recours en cassation dans l'intérêt de la loi >/,mais bien comme un recours personnel de défensedes droits fondamentaux de l'intéressé. Il n'est doncouvert qu'aux personnes dont les droitsfondamentaux peuvent effectivement êtreconsidérés comme ayant été personnellement lésés8- ce qui est une rupture au regard du recoursd'amparo de la ne République dans les années1930. Par ailleurs, et c'est là un élément essentiel, lalésion alléguée doit être «née et actuelle », c'est-à-dire qu'il ne peut s'agir d'une atteinte future ethypothétique. A défaut d'actualité de la violationinvoquée, le recours est déclaré irrecevable par leTribunal constitutionnel en raison de son caractèreprématuré9. La jurisprudence impose ainsi uneactualité de la violation.

2) Un recours subsidiaire Qui doit être intentédans un délai strict

Le recours d' amparo est un recourssubsidiairelO. En conséquence, le Tribunalconstitutionnel rappelle avec constance l'exigencetenant à l'épuisement préalable des voies de recoursordinaires. Prévue en filigrane par l'article 53.2 dela Constitution, cette condition est reprise par laL.ü.T.C. (art. 43.1), selon laquelle les violations dedroits fondamentaux peuvent donner lieu à un

5 En ce sens, voir notamment STC 11411995 du 6 juillet 1995,BOE 3 août 1995. Le litige portait sur le droit des titresnobiliaires.6 C'est cet intérêt à agir qui fait défaut au gouvernement basquedans la sentence 129/2001 du 4 juin 2001. Un particulier (M.Ibero Urbieta) avait été mis en cause dans une affaire decalomnie à l'encontre de la police autonome basque. Le Tribunalconstitutionnel a considéré -œmme le juge du fond audemeurant- que le gouvernement basque n'avait pas subi depréjudice direct et n'avait donc pas d'intérêt à agir.7 STe 11411995 précitée.S

C'est ce caractère personnel de l'atteinte qui justifie le rejet durecours intenté par une association de retraités d'un groupeindustriel contre une Convention collective concernant les actifs:voir STC 90/2001 du 2 avril 2004.9 En ce sens, voir STC 216/1999 du 29 novembre 1999, BOE 28déco 1999 ; STC 50/2001 du 26 février 2001.10Plus avant, le Tribunal constitutionnel a précisé que le recoursd'amparo était subsidiaire, mais également extraordinaire: voirSTC 143/1994 du 9 mai 1994, BOE 13 juin 1994.

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recours d' amparo « une fois épuisée la voiejuridictionnelle pertinente ». Le titulaire du droitfondamental en cause, quel qu'il soit, ne peut doncsaisir le Tribunal constitutionnel qu'après aV0irtenté d'obtenir la régularisation de la situationdevant le juge ordinaire, quand bien même ce jugeordinaire, confronté à une loi préconstitutionnelleportant atteinte aux droits fondamentaux, seraitinéluctablement amené à poser une questiond'inconstitutionnalité devant le Tribunalconstitutionnel1; le requérant n'en est pas moinstenu de suivre les voies juridictionnelles classiques,et d'attendre que ces voies aient aboute. LeTribunal constitutionnel a précisé en décembre 2001que l'exercice préalable des voies ordinaires « n'estpas une simple formalité, mais constitue un élémentessentiel »3.

En toutes hypothèses, à défaut d'une démarchepréalable devant le juge ordinaire, le Tribunalconstitutionnel considère que le recours d' amparoest irrecevable en raison de son caractèreprématuré4. L'amparo s'analyse donc comme unrecours subsidiaire5 - mais son exercice préalableest nécessaire avant d'introduire une requête en casd'atteinte aux droits essentiels de l'homme, cettefois devant les instances de la Cour européenne desdroits de 1'homme, et ce aux termes mêmes de lajurisprudence européenne6. Ceci est cependant unautre chapitre, dans lequel nous n'entrerons pas ici.

1 Le cas s'est posé dans une sentence 6/1986 du 21 janvier 1986,BOE 21 janv. 1986. Le Tribunal constitutionnel considère qu'ilappartenait au juge ordinaire de saisir le Tribunal d'une loipréconstitutionnelle dont certaines dispositions portent atteinte àla Constitution de 1978 (il s'agissait du défaut d'appel dans leslitiges concernant les personnels de l'administration publique) ;faute d'avoir ainsi épuisé les voies ordinaires - le Tribunalsuprême pouvait considérer la loi comme abrogée en raison deson caractère préconstitutionnel -, le recours d'amparo est jugéirrecevable par le Tribunal constitutionnel.2 STC 225/2000 du 2 octobre 2000, BOE 7 nov. 2000 : l'amparoest jugé irrecevable s'il existe un recours pendant devant unejuridiction ordinaire au moment de la saisine du Tribunalconstitutionnel. Aussi STC 19212001 du 1" octobre 2001,retenant l'irrecevabilité du recours d'amparo déposé en mêmetemps que le recours en cassation.3 STC 23912001 du 18 décembre 2001. La sentence ajoute que lacondition ne contraint pas pour autant à user de tous les moyensde contestations possibles, mais seulement ceux qui, de manièreclaire, peuvent être mis en œuvre.4 Voir notamment en ce sens STC 74/1988 du 21 avril 1988,BOE 5 mai 1988 ; STC 54/1999 du 12 avril 1999, BOE 18 mai1999 ; STC 155/2000 du 12 juin 2000, BOE 11 juil. 2000 ; STC50/2001 du 26 février 2001. Certaines sentences visentexplicitement l'absence d'un pourvoi en cassation; voir STe169/1999 du 27 septembre 1999, BOE 3 nov. 1999; STC5112000 du 28 février 2000, BOE 29 mars 2000.5 Cette notion de subsidiarité du recours d'amparo est repriseexplicitement par la sentence 12112000 du 10 mai 2000, BOE 7juin 2000. En réalité, elle est formulée dès la première décision

du Tribunal constitutionnel, qui rappelle que l'amparo est la voieultime «lorsque les voies ordinaires de protection se sontavérées insuffisantes" (STC 111981 du 26 janvier 1981, BOE 24fév. 1981).6 Pour exemple, voir les arrêts Cour EDH 6112/1988 Barberà,Messegué et Jabardo, série A n° 146; Cour EDH 23/0411992Castells, série A n° 236; Cour EDH 9/1211994 Ruiz Torija etLopez Ostra, série A n° 303-A et 303-C.

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En revanche, il importe de relever que, selon lesdispositions de la L.O.T.C.?, le recours d'amparoest enfermé dans un délai relativement court devingt jours suivant l'acte ou la décision faisant griefet lésant les droits fondamentaux du requérant.L'idée est de ne pas laisser perdurer une situationinconstitutionnelle, et de garantir la fonctionpremière du recours, qui est de faire cesser touteatteinte aux droits fondamentaux. Or une telleatteinte est le plus souvent immédiate. Le délai peutcependant être porté à trois mois si le recoursconcerne un acte (n'ayant pas valeur législative, paressence) émanant des Cortes generales (Parlementnational, comprenant le Congrès des députés et leSénat) ou de l'assemblée parlementaire d'unecommunauté autonome (L.O.T.C., art. 42). Mais ilne faut pas se méprendre: le recours est alors ouvertcontre un acte parlementaire, non contre un actelégislatif.

II. La finalité du recours.

Au-delà de ces conditions tenant à la fois auxrequérants et à l'objet du recours d'amparo, reste laquestion liée à l'instance elle-même. Celle-ci estdéterminée en premier lieu par l'objet du recours,c'est-à-dire sa raison d'être (A). Le recoursd'amparo est le moyen ultime offert par le droitinterne espagnol, afin de garantir le respect desdroits fondamentaux.

A. L'objet du recours.

L'objet du recours est la défense des droitsfondamentaux. L'article 53.2 de la Constitutionespagnole le prévoit de façon explicite (1). Mais lanotion même de droit fondamental doit parfois êtreexplicitée par le Tribunal constitutionnel (2).

1) La défense des droits fondamentaux.

L'article 53.2 de la Constitution précise que lerecours d' amparo est limité à la défense des droitsfondamentaux tels que prévus par l'article 14(principe d'égalité) et la section 1 du chapitre II(<< droits fondamentaux et libertés publiques»),auxquels s'ajoute l'objection de conscience (art.30t L'amparo vise à garantir en dernier recoursces droits proclamés par la Constitution, etseulement ces droits, l'article 53.2 devant être sur ce

7Articles 43.2 et 44.2 de la L.O.T.c..

8 Dans cette hypothèse d'un amparo dirigé contre un acte d'uneassemblée parlementaire, le recours perd son caractèresubsidiaire, dans la mesure où il n'existe aucune autre voiejuridictionnelle pour contester l'atteinte aux droits fondamentauxpouvant résulter de l'acte; voir P. BON,

"Le Tribunalconstitutionnel, étude d'ensemble", in La justice constitutionnelleen Espagne, éd. Economica coll. Droit public positif 1984, pp.17-162, p. 115.9 Article 53.2 de la Constitution, et article 41.1 de la L.O.T.C..

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point interprété strictement 1. Il n'en demeure pas

moins qu'à travers le recours d'amparo, ilsbénéficient d'un «système renforcé de garantiejurisprudentielle »2.

La défense des droits fondamentaux par lerecours d'amparo doit cependant être strictemententendue. Ne sont concernés que les seuls droitsprévus par les articles 14 à 29 de la Constitution,ainsi que la liberté de conscience fondée sur l'article30. Sont dès lors exclus les autres droits et libertéspourtant présents dans le catalogue placé en tête dela Constitution,et répartis en « droits et devoirs ducitoyen» et «principes directeurs de la politiquesociale et économique ». On peut citer ainsi, et defaçon au demeurant surprenante - notamment auregard de l'adhésion de l'Espagne à la Conventioneuropéenne des droits de l'homme, qui date de 1986il est vrai -, l'exclusion de la protectionjuridictionnelle offerte par l'amparo du droit aumariage (Const., art. 32), du droit à la propriété(Const., art. 33) ou encore du droit à un logementdigne et approprié (Const., art. 47). Le Tribunalconstitutionnel est incompétent pour connaître desatteintes à ces droits, en dehors des hypothèses oùl'atteinte est le fait d'une loi. Le Tribunalconstitutionnel peut alors en être saisi, mais dans uncadre autre que le recours d'amparo ; il opère alorsun contrôle de constitutionnalité classique (contrôleabstrait s'il est saisi d'un recours eninconstitutionnalité, contrôle concret s'il est saisid'une question d'inconstitutionnalité).

En outre, les principes généraux du droit qui ontfait l'objet d'une constitutionnalisation, comme leprincipe de légalité ou celui de non -rétroactivité desdispositions sanctionnatrices défavorables, s'ils ontindéniablement une force normativeconstitutionnelle, «ne donnent pas naissance à desdroits fondamentaux, et de ce fait leur transgressionne peut être censurée par la voie d'un recoursd'amparo»3. La seule possibilité de prendre enconsidération ces principes généraux est de lesconsidérer comme instrument ou garantie d'un droitfondamental au sens de l'article 53.2 de laConstitution, ce qui reste très limitatif. Se pose alorsla question de l'étendue des droits fondamentauxsusceptibles de la protection de l' amparo, dès lorsque « le caractèrefondamental d'un droit ou d'uneliberté est, tout au moins en Espagne, laconséquence logique de l'étendue de sa protectionconstitutionnelle »4.

1 Sur le caractère restrictif de l'article 53.2 de la Constitution,voir STC 25211993 du 20 juillet 1993, BOE 18 août 1993.2 M. RODR1GUEZ PINERO, J. LEGUINA VILLA, "La hiérarchie desnormes et sa fonction dans la protection des droits fondamentaux.Rapport espagnol", Ann. internat. just. const. 1990 pp. 99-132, p.

121.3 M. RODRIGUEZPINERO,J. LEGUINAVILLA,"La hiérarchie...",article précité p. 108.. J. GUASCH, "La mise en cause de la constitutionnalité des lois àtravers le recours d'amparo en Espagne", Ann. internat. just.const. 1992 pp. 25 -109, p. 68.

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2} L'étendue des droits fondamentaux.

La notion de droit susceptible de la protectionjuridictionnelle offerte par le recours d'amparo afait l'objet d'une sentence du Tribunalconstitutionnel en octobre 19895. La question étaitalors celle de savoir si le droit au travail rémunérédes détenus était ou non un droit fondamentalsusceptible d'amparo. Le Tribunal constitutionnelconstate dans un premier temps que le droit autravail, prévu par l'article 35.1 de la Constitution,n'est pas un droit fondamental au sens de l'article53.2, et qu'il ne peut donc faire l'objet d'unegarantie par l'amparo. Dans un second tempscependant, le Tribunal admet la recevabilité durecours sur le fondement de l'article 25.2, lequeldispose que « dans tous les cas, [le condamné à unepeine de prison] aura droit à un travail rémunéré ».Ce second droit, figurant dans la section 1 duchapitre II de la Constitution, est qualifié de droitfondamental susceptible d'amparo6.

La notion de droit fondamental est doncappréciée strictement par le TribunalconstitutionneC. Dans le cadre de ses décisions, cedernier peut être amené à déterminer si le droitconsidéré et dont la violation est alléguée s'analyseou non comme un droit fondamental au sens del'article 53.2 de la Constitution. Ainsi a-t-il reconnuce caractère en 1986 au principe d'autonomie desuniversités8, ou encore en 1996 au droit au secretdes communications9. En revanche, il a été amenéen 1997 à refuser le caractère de droit fondamental

5 STe 17211989 du 29 octobre 1989, BOE 7 nov. 1989. Le litigeportait sur le droit des détenus condamnés à un travail rémunéré.6 Poussant plus avant le raisonnement, le Tribunal constitutionnelaffirme que le droit des détenus condamnés à un travail rémunéréde l'article 25.2 correspond à un devoir de l'administrationpénitentiaire. Les pouvoirs publics sont alors les seuls en mesure

de répondre aux exigences constitutionnelles, alors que le droitau travail de l'article 35.1 s'exerce dans un contexte d'économielibérale, où la création d'emplois et d'activités rémunéréesdépend d'abord du marché. On peut y voir le rejet indirect par leTribunal constitutionnel de la théorie de la DrittWirkung existanten Allemagne, et qui est celle de l'applicabilité directe des droitsfondamentaux aux particuliers (personnes physiques ou morales).Des auteurs en avaient pourtant vu l'application dans unesentence 6/1988 du 21 janvier relative à la liberté d'information(voir Ann. internat. just. const. 1988 p. 337). Il demeure qu'unrecours d'amparo ne peut être intenté contre l'acte d'unepersonne privée (L.O.T.C., art. 41.2), ce qui limite dès lors laréception de la théorie allemande. Sur cette problématique de laréception de la DrittWirkung dans le droit espagnol, voir P. BON,

"Les droits et libertés en Espagne, éléments pour une théoriegénérale", in D.G. LAvROFF (dir.), Dix ans de démocratieconstitutionnelle en Espagne, éd. CNRS 1990, pp. 35-69, p. 42 etsuiv..7 Le Tribunal constitutionnel considère par exemple que lasimple méconnaissance par le juge du fond des règles deprocédure ne porte pas en soi atteinte aux droits fondamentauxdes citoyens, en particulier au droit à une protectionjuridictionnelle garanti par l'article 24.1 de la Constitution. VoirSTC 10211987 du 17 juin 1987, BOE 9 juil. 1987.8 STe 26/1986 du 20 février 1986, BOE 21 mars 1986 ; aussiSTC 26/1987 du 27 février 1987, BOE 24 mars 1987; et STC103/2001 du 23 avril 2001.9 STC 49/1996 du 26 mars 1996, BOE 27 avr. 1996.

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aux modalités de prescription de l'action civilel.Dans sa sentence, le Tribunal constitutionnelconsidère que les problèmes de prescription del'action civile relèvent du juge ordinaire. Mais lesdroits fondamentaux garantis par la Constitutionimprégnant tout l'ordonnancement juridique, leTribunal précise que l'appréciation par les jugesordinaires des délais de prescription de l'actionpeuvent entraîner un problème de constitutionnalité- et non plus de légalité - lorsque les modalités decomputation ont pour conséquence de porter atteinteau droit à la protection juridictionnelle garanti parl'article 24 de la Constitution. Le Tribunal en déduitque trois hypothèses spécifiques peuvent alorsouvrir droit à l' amparo : une erreur manifeste decalcul dans les délais, l'exercice de l'action quiserait rendue impossible en pratique, ou leraisonnement purement arbitraire ne relevant pas del'exercice normal de l'activité juridictionnelle. Maisdans ce cas il n' y a pas reconnaissance du caractèrefondamental d'un droit nouveau, mais atteinte audroit à une protection juridictionnelle. ün reste dèslors dans la même problématique liée à la protectiondes droits fondamentaux proclamés par laConstitution et garantis par la jurisprudence duTribunal constitutionnel.

Quant à l'objection de conscience, elle répond àun statut particulier. Si elle peut faire l'objet d'unrecours d'amparo selon l'article 53.2 de laConstitution, l'article 30.2 renvoie la déterminationde son régime juridique à une simple loi. Il s'agitdonc d'un droit dont la mise en œuvre dépend dulégislateur. En 1987, le Tribunal constitutionnelaffirme en conséquence que l'objection deconscience n'est pas, per se, un droit fondamental2.L'idée est que «parce que l'objection deconscience est une exception à un devoirconstitutionneP, elle est certes un droitconstitutionnel autonome, mais non un droitconstitutionnel fondamental» 4. Si la solution de1987 ne change rien au fond, l'objection deconscience étant un droit susceptible d'être défendupar la voie d'un recours d'amparo selon les termesmêmes de la Constitution, elle n'en démontre pasmoins la difficulté que peut soulever la notion dedroit fondamental dans le contentieuxconstitutionnel espagnols.

1 STC 160/1997 du 2 octobre 1997, BOE 30 oct. 1997. Il auraitégalement refusé implicitement ce caractère au principed'autonomie locale, tout au moins selon J.A. MAD LiCERAS,"Elprincipio de la autonomfa local en la doctrina y en lajurisprudencia dei Tribunal constitucional" , ciberrevista dederecho administrativo n° 8, octobre-décembre 1998 p. 4.2 STC 160/1987 du 27 octobre 1987, BOE 27 oct. 1987. Voiraussi STe 161/1987, mêmes références.3 Le devoir de défense de l'Etat, art 30.1 de la Constitution:« les espagnols ont le droit et le devoir de défendre l'Espagne ».4 P. BON, commentaire de la STC 160/1987, chroniqueconstitutionnelle de l'Espagne, Ann. internat. just. const. 1987 p.534 et suiv.5 Dans une sentence 15/1982 du 23 avril 1982, BOE 18 mai1982, le Tribunal constitutionnel considère sur le fond qu'au nomdu principe d'égalité, « le droit à l'objection de conscience (...)

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Concrètement, se pose en réalité au Tribunalconstitutionnel le problème de la détermination ducontenu essentiel de chaque droit fondamental. End'autres termes, à partir de quel point est-on enprésence d'un droit susceptible d'être protégé par lavoie de l'amparo? En réalité, le Tribunalconstitutionnel a choisi, dès avril 19816, d'adopterune démarche pragmatique, en retenant un doublecritère: la fondamentalité intrinsèque du droitconsidéré et les intérêts que le droit entend protéger.Plutôt que de s'enfermer a priori dans un cadreconceptuel prédéterminé, le Tribunal constitutionnelretient une appréciation in concreto de chaque casd'espèce.

B. L'instruction du recours et ses conséquences.

Le recours d'amparo est donc limité dans sonobjet par l'article 53.2 de la Constitution. Sesconditions de recevabilité sont par ailleurs définiespar ce même texte et par la L.ü.T.C. de 1978.Saisid'un recours recevable et visant à la défense desdroits fondamentaux, le Tribunal constitutionneldoit instruire l'affaire (1); la sentence qu'il rendentraînedes effets importants(2).

1) L'instruction duconstitutionnel.

recours var le Tribunal

Une fois le recours déposé dans les délais sus-indiqués, reste à instruire la requête. Le recours estporté devant l'une des chambres du Tribunalconstitutionnel, où il suit une procédurecontradictoire. Toutes les personnes concernées parl'acte ou le fait mis en cause par la voie du recoursd'amparo sont invitées à comparaître devant leTribunal (L.ü.T.C., art. 47.1 et 52). Dans tous lescas, le Ministère public intervient «pour défendrela légalité, les droits du citoyen et l'intérêt publicprotégé par la loi» (L.ü.T.C., art. 47.2). Dans cetteoptique, le «procès» d'amparo s'assimile àn'importe quel procès devant le juge ordinaire (cequi explique sans doute la jurisprudence de la Coureuropéenne des droits de l'homme quant à

n'est pas le droit de ne pas faire de service militaire, mais ledroit d'être déclaré exempté du devoir général de le faire, etd'être soumis le cas échéant à une prestation sociale desubstitution ».6 STC 11/1981 du 8 avril 1981, BOE 21 mai 1981: "Pouressayer d'approcher l'idée de contenu essentiel (...) on peutsuivre deux voies. La première est de tenter de saisir ce que l'onpourrait appeler la nature juridique ou le mode de configurationde chaque droit (...) La seconde voie consiste à essayer detrouver les intérêts juridiques protégés comme le noyau et lamoelle des droits subjectifs. On peut ensuite parler d'unefondamentalité du contenu du droit qui est absolumentnécessaire pour que les intérêts juridiquement protégés quejustifient le droit soient réels (...). Les deux voies (.n) ne sont pasalternatives, encore moins antithétiq ues, mais au contraire ellespeuvent être considérées comme complémentaires, de sorte (n.)

qu'elles peuvent être utilisées conjointement pour confronter lesrésultats auxquels chaque voie a pu arriver ».

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l'épuisement préalable des voies de recoursinternes).

Un premier examen du dossier intervient ensection, sur la recevabilité même du recours - lessections étant composées de trois membres de laChambre considérée et devant statuer alors àl'unanimité. A ce stade, le contradictoiren'intervient pas, et la section de la chambre se fondesur l'acte de saisine du Tribunal constitutionnel -lequel acte doit impérativement viser le droitfondamental dont il allègue la violationt, puisqueselon la jurisprudence du Tribunal constitutionnel,seuls les termes de la demande d' amparo peuventêtre pris en considération pour l'étendue de laprétention du requérant2. Le recours peut alors êtrerejeté par la voie d'une ordonnance non motivée etnon publiée (les providencias), selon des motifsprécisés par la L.O.T.C (art. 50.1 § a-d) : défaut del'une des conditions sus-évoquées tenantnotamment à l'épuisement préalable des voies derecours ordinaires et de l'intérêt légitime durequérant (§ a), demande n'ayant pas trait à un droitsusceptible d'amparo selon l'article 53.2 de laConstitution (§ b), demande manquantmanifestement de contenu (§ c), ou existence d'unprécédent dans un cas « substantiellementidentique» (§ d). Lorsque le recours est ainsi rejetépar providencia, seul le Ministère public est habilitéà faire appel, dans le délai extrêmement réduit detrois jours. Cela se comprend puisque durant cedélai inhérent à l'instruction du recours, l'acte misen cause n'est pas suspendu.

Lorsque le recours n'est pas manifestementinfondé au sens de l'article 50.1 L.O.T.C, oulorsque le Ministère public a fait appel d'uneprovidencia, la chambre saisie du Tribunalconstitutionnel statue sur l'irrecevabilité éventuellede la requête par la voie d'un auto de inadmision,ordonnance d'irrecevabilité motivée et publiée priseà l'issue d'une procédure contradictoire. Lorsque larequête est jugée recevable, il est statué sur le fondpar la voie d'une sentence du Tribunalconstitutionnel (sentencia), arrêt motivé et publiéqui peut accorder la protection (otorgamiento deamparo) ou au contraire la refuser (denegacion deamparo ).

Il est important de noter qu'en raison desconditions mêmes du recours d'amparo, celui-ci,bien que rendu par le Tribunal constitutionnel, nepeut en aucun cas donner lieu à une déclarationd'inconstitutionnalitë. La solution s'impose dès

1 A défaut, le recours sera jugé irrecevable. Voir sur ce point STC32/1999 du 8 mars 19999, BOE 14 avr. 1999; STC 77/1999 du1h avril 1999, BOE 1" juin 1999 ; et STC 142/2000 du 29 mai

2000, BOE 30 juin 2000. Aussi, pour une étude plus ancienne dece point, Y. RODRIGUEZ, "Le Tribunal constitutionnel et lesh"bertés publiques: étude jurisprudentielle du recours d'amparo",in La justice constitutionnelle en Espagne, 00. Economica coll.Droit public positif 1984 pp. 211-250, p. 230 et suiv..2 STe 13811986 du 7 novembre 1986, BOE 18 nov. 1986.3 En ce sens, art. 29.1 de la L.ü.T.C.: la déclarationd'inconstitutionnalité ne peut être prononcée que sur un recours

lors que l'on considère le fait que l'amparo ne peutêtre intenté directement contre une loi, et qu'il n'estpas un moyen de contrôle de la constitutionnalitédes lois4.

2) Les effets du recours

Les décisions du Tribunal constitutionnelconsécutives à un recours d'amparo sont, commetoutes les sentences du Tribunal, revêtues del'autorité de la chose jugée; elles ont à ce titre uneforce exécutoire. La jurisprudence constitutionnelleest en outre venue rappeler, en 1984, l'effet ergaomnes des sentences rendues sur recours d' amparo5.Ce sont donc des décisions exécutoires de pleindroit, et qui s'imposent aux pouvoirs publics.

C'est d'ailleurs ce caractère qui justifie l'article50.1 §d de la L.O.T.C. : selon ce texte, les requêtesdoivent être jugées « lorsque le Tribunalconstitutionnel a déjà débouté sur le fond unrecours ou une question d'inconstitutionnalité ou unrecours d'amparo dans un cas d'espècesubstantiellement identique ». Les décisions renduessur un tel recours ont donc une valeur de précédentjurisprudentiel. Encore faut-il cependant que lerecours invoque un droit fondamental garanti par laConstitution: dans une sentence de 1997, leTribunal constitutionnel ne retient pasl'inconstitutionnalité de la loi pourtant constatéeantérieurement par une sentence de l'annéeprécédente, car en réalité le recours d'amparon'invoquait pas un droit fondamental visé parl'article 53.2 de la Constitution; l'irrecevabilité durecours est donc intervenue en amont, avant sonexamen sur le fond6.

L'autorité de la chose jugée ainsi reconnue parla L.O.T.C s'impose pour les sentences quiadmettent le recours et constatent donceffectivement l'existence d'une atteinte aux droitsfondamentaux, mais elle concerne également lesdécisions rejetant le recours. Autrement dit, ladécision de rejet du recours constitue un précédent,et s'oppose à ce qu'un requérant puisse invoquerpar la suite l'existence d'une atteinte identique àcelle qui est rejetée. Plus avant, la sentence duTribunal constitutionnel a une «valeur doctrinalegénérale »7 et s'impose à tous les organes de l'Etat,en particulier au juge ordinaire, qui doit doncappliquer, dans sa jurisprudence, la solution retenuepar le Tribunal constitutionnel.

ou une question d'inconstitutionnalité, qui sont des procédures decontrôle de la constitutionnalité des lois.4 Voir en ce sens J. GUASCH, "La mise en cause de laconstitutionnalité des lois à travers le recours d'amparo enEspagne", Ann. internat. jus/. const. 1992 pp. 25-109, p. 55 etsuiv..5

STC 3111984 du 27 mars 1984.6 STC 159/1997 du 2 octobre 1997, BOE 30 oct. 1997. Pour lasentence antérieure: STC 173/1996 du 31 octobre 19%, BOE 3déco 19% (rendu à la suite d'une question d'inconstitutionnalité).7 I. MOLAS, Derecho constitucional, 00. Tecnos 1998, p. 353.

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L'acte ayant porté atteinte aux droitsfondamentaux du requérant est annulé: la sentencedu Tribunal constitutionnel doit en effet déclarer null'acte ayant violé le droit considéré, il doitreconnaître au requérant le droit fondamentalconstitutionnellement proclamé, et rétablirl'intéressé dans l'intégrité de son droit, le caséchéant par l'adoption de mesures propres à sonmaintien (L.O.T.C., art. 55.1). Autrement dit, leTribunal constitutionnel, par sa sentence, doitmettre tout en œuvre pour faire cesser l'atteintequ'il constate - c'est d'ailleurs cette compétence quijustifie l'existence même du recours d'amparo. Lerecours n'a pas un simple effet déclaratif, il vise àrendre l'acte contesté conforme à la Constitution etaux droits qu'elle garantit, le cas échéant parl'annulation de l'acte considéré.

Au demeurant, le Tribunal constitutionnel veilleà ce que cette finalité du recours d' amparo ne soitpas dévoyée par la pratique, notamment lorsque lerequérant est une personne publique. Dans unesentence 257/1988 de décembre 1988, le Tribunalexpose de façon particulièrement claire que lerecours d'amparo «ne constitue pas une voieouverte aux pouvoirs publics pour la défense deleurs actes et des prérogatives sur lesquelles cesderniers se fondent, mais, à l'inverse, un moyenpour limiter de façon adéquate ces prérogatives, etpour corriger éventuellement ces actes en vue de ladéfense des droits fondamentaux et des libertéspubliques des particuliers »1.En d'autres termes, lerecours d'amparo est, et doit demeurer, unmécanisme de défense des droits fondamentaux, etnon un procédé visant à renforcer des prérogativesexistantes. De ce point de vue, la possibilité pourl'Etat de déposer un recours d' amparo (cf. supra)n'est admise que dans la mesure où l'Etat entendeffectivement voir respecté un droit fondamentalque la Constitution lui reconnaît. L'Etat ne doit passaisir le Tribunal constitutionnel dans le seul but devoir renforcé l'exercice des prérogativesexorbitantes du droit commun qu'il détient. Il faut lerépéter, l' amparo est un mécanisme de défense.

En outre, si la sentence du Tribunalconstitutionnel doit mettre tout en œuvre pour fairecesser la violation constatée des droitsfondamentaux - et donc de la Constitution -, leTribunal constitutionnel ne se mue pas pour autanten un juge ordinaire en charge des questionsd'indemnisation. Le contentieux lié à une demandede dommages et intérêts est distinct du contentieuxlié à l'acte proprement dit: le droit espagnol, de cepoint de vue, distingue l'acte et ses conséquences.Si le problème de la constitutionnalité de l'acteportant atteinte aux droits fondamentaux est duressort du Tribunal constitutionnel2, le problème de

1 STC 25711988 du 22 décembre 1988, BOE 23 janv. 1989.2 Car, et c'est là une simple application de la théorie de Kelsen,un acte portant atteinte aux droits fondamentaux proclamés etgarantis par la Constitution est forcément un acte

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l'indemnisation du préjudice que l'acte a pu porterest de la compétence du juge civil ordinaire.

Néanmoins, l'affaire Isabel Preysler vient dedonner un nouvel éclairage à cette conceptiontraditionnelle. La requérante avait en mai 2000obtenu l'admission d'un recours d'amparo à la suitede la publication dans la presse d'éléments touchantà son foyer et portant atteinte à son droit à l'intimitépersonnelle et familiale (Const., art. 18.1)3. LeTribunal constitutionnel avait alors annulé l'arrêt duTribunal suprême qui ne permettait pas de garantirl'effectivité du droit en cause. Dans une sentence du20 juillet 2000, le Tribunal suprême avait constatéla violation du droit en cause, et octroyé uneindemnisation de 25.000 pesetas (environ 160 €). Oren première instance le Tribunal de Barcelone avaitaccordé une indemnisation de 5.000.000 pesetas(environ 32.060 €). MmePreysler a donc déposé unsecond recours d'amparo, fondé sur la violation dudroit à l'intimité et sur celle du droit à uneprotection juridictionnelle effective. Le 17septembre 2001, le Tribunal constitutionnel octroiele recours. Il précise que «En l'espèce l'octroi del'amparo comporte la déclaration de nullité del'arrêt mis en cause. Mais le rétablissement de larequérante dans l'intégralité de son droitfondamental exige (...), en considération descaractéristiques propres de l'affaire, d'exclure unsimple renvoi [devant le Tribunal suprême]. (...) Enconséquence, [le Tribunal constitutionnel] déclarenul l'arrêt de la 1èreChambre du Tribunal suprêmedu 20 juillet 2000, et, à titre indicatif, déclare quepour déterminer le quantum de l'indemnisation, ilfaut (...) se fonder sur le concept d'indemnisationretenu par le jugement de l'Audiencia Provincial deBarcelone »4. On constate de la sorte une ingérenceindirecte du Tribunal constitutionnel dans lecontentieux inhérent à l'indemnisation des atteintesaux droits fondamentaux, contentieux qui ressortpourtant du juge ordinaire.

Conclusion.

La conséquence ultime -et à dire vraifondamentale- du recours d' amparo est sans doutede garantir la prévalence absolue de la normeconstitutionnelle et de ses dispositions de fond, cequi se traduit en l'espèce par la mise en place demoyens garantissant la primauté des droitsfondamentaux. Le mécanisme de l' amparo estaujourd'hui bien huilé et efficace, et il est un

inconstitutionnel, et, partant non valable. Le recours d'amparo,ainsi considéré, s'analyse comme un moyen de contrôle de laconstitutionnalité d'actes ou d'agissements. Voir H. KELSEN,Théorie pure du droit, 00. Dalloz 1962 p. 360: «l'assertionqu'une loi valable, une loi en vigueur, serait contraire à laConstitution, est une contradictio in adjectio : car une loi ne peutêtre valable qu'en vertu de la Constitution ». L'extrapolation del'analyse en matière d'actes violant les droits fondamentaux nousparaît tout à fait légitime.3 STe 115/2000 du 5 mai 2000, BOE 7 juin 2000.4 STCl86/2001 du 17 septembre 2001.

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élément essentiel dans la garantie des droitsfondamentaux outre-Pyrénées.

Pour autant, l'inflation des requêtes d' amparoest importante et ne semble pas en voie de cesser:de 386 recours pour l'année 1981, on en dénombraitprès de 3.000 en 1990, et plus du double pourl'année 2000. Le Tribunal constitutionnel n'a pasles moyens de suivre sur le long terme une telleévolution. Si la révision de 1988 a permisl'instauration d'un tri accéléré des recoursmanquant de façon évidente d'avenir, par la voiedes providencias, une partie de la doctrine appelle àune réforme des modalités du recours d'amparol.Deux axes sont alors avancés: d'une part unerestriction des modalités de l'admission des recours,en particulier par une conception jurisprudentielleplus restrictive du droit au juge garanti par l'article24.1 de la Constitution2, voire la refondation pure etsimple de la liste des droits fondamentauxconcemés3. Cette approche propose de la sorte, enréalité, de résoudre le problème de l'encombrementdu Tribunal constitutionnel par un amoindrissementde la garantie apportée aux droits fondamentaux.Elle paraît dès lors difficilement acceptable. D'autrepart, et c'est la deuxième voie de réforme, il a étéproposé le développement d'un amparo ordinairedevant le juge de droit commun, procédure prévuepar l'article 53.2 de la Constitution4. Institué à titreprovisoire par une loi du 26 décembre 19785, cerecours reste très limité, en particulier parce qu'iln'existe en réalité pas d'organe juridictionnelpropre6. Le législateur sera sans doute amené, face àl'augmentation des recours d'amparoconstitutionnels, à développer cet amparo ordinaire,aujourd'hui très insuffisant face aux « exigences dela réalité >/.

Il n'en demeure pas moins que l'instauration durecours d' amparo devant le Tribunal constitutionneldans la Constitution de 1978 a indéniablementparticipé au processus de démocratisation del'Espagne post-franquiste, en ce sens que l'amparo

[Voir sur ces propositions P. BON. "Entretien avec A. Rodriguez

Bereijo, Président du Tribunal constitutionnel espagnol", Cah.Cons. const. 1997/2 pp. 54-61, p. 57.2 La très grande majorité des recours d'amparo déposés devant leTribunal constitutionnel se fondent sur le droit à une protectionjuridictionnelle effective garanti par l'article 24.1 de laConstitution.3 Sur cette proposition de refondation, voir F. RUBIO-LLoRENTE,

"L'accès direct à la protection des droits fondamentaux,techniques et résultats en Espagne", Ann. internat. just. const.1991 pp. 133-140, p. 140..Art. 53.2 : «tout ciwyen pourra demander la protection deslibertés et des droits (...) devant les tribunaux ordinaires par uneaction fondée sur les principes de priorité et de la procéduresommaire... ».s Loi 26/1978 du 26 décembre 1978 relative à la protectionjuridictionnelle des droits fondamentaux de la personne.6 Sur cet amparo ordinaire, voir 1. MOLAS, Derechoconstituciona~ éd. Tecnos 1998, p. 346 et suiv..7 L DIEZ-PICAZO, "Le statut constitutionnel du pouvoirjudiciaire, rapport espagnol", in Etudes de droit constitutionnelfranco-espagnol, éd. Economica coll. Droit public positif 1994,pp.199-214,p.211.

constitutionnel a contribué véritablement à laparticipation et à l'implication du peuple dans laconstruction de la société. Il aboutit à un mécanismed'implication et de participation du peuple.L'amparo a également contribué à l'installationd'un Etat de droit respectueux des droitsfondamentaux de la personne humaine. Il s'analyseaujourd'hui comme une institution indispensable, etdont l'exportation dans d'autres Etats serait sansdoute profitable, tant à la démocratie au senspremier du terme qu'à l'Etat de droit.

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