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1 DOCUMENT N° 16 : Vygotsky Enseignement, apprentissage et développement mental La question que nous devons nous poser présente ainsi une double difficulté et se dédouble en deux questions. Nous devons en premier lieu comprendre quel est le rapport qui existe en général entre développement et apprentissage et puis essayer de saisir les caractéristiques spéci-fiques de ce rapport à l'âge scolaire. Nous préférons commencer par la deuxième question car elle permettra de clarifier ensuite la première . Pour y répondre, il nous paraît nécessaire d'exposer les résultats de quelques recherches qui, à notre avis, ont une signification fondamentale pour résoudre notre problème et qui ont le mérite d'introduire un concept scientifique tout à fait nouveau. Nous parlons de ce qui est appelé "zone proximale de développement". C'est une constatation empirique, souvent vérifiée et indiscutable, que l'apprentissage est en relation avec le niveau de développement de l'enfant. Il n'est pas du tout nécessaire de fournir une preuve pour démontrer qu'on ne peut commencer à enseigner la lecture et l'écriture qu'à un âge déterminé, que l'enfant n'est en mesure d'apprendre l'algèbre qu'à un certain âge aussi. Nous pouvons donc tranquillement prendre comme point de départ le fait fondamental et incontestable qu'il existe une relation entre un niveau donné de développement et la capacité potentielle d'apprentissage. On a récemment centré l'attention sur le fait que, pour définir le rapport effectif entre développement et apprentissage, il n'est pas suffisant de définir seulement le degré de développement. Il est nécessaire de déterminer au moins deux niveaux de développement, sinon on ne réussite pas à trouver la relation entre développement et possibilité d'apprentissage. Nous appelons le premier de ces niveaux développement actuel de l'enfant. Il correspond au degré de développement atteint par les fonctions psychiques de l'enfant. Lorsqu'on définit l'âge mental d'un enfant à l'aide de tests, on parle justement de ce développement actuel. Mais comme le démontre l'expérience, ce niveau de développement actuel de l'enfant ne permet pas de définir complètement l'état de développement d'un enfant à un moment donné. Imaginons que nous avons soumis deux enfants à un examen et que nous avons fixé leur âge mental à sept ans. Cela signifie que les deux enfants sont en mesure de résoudre des tâches accessibles à des enfants de cet âge. Mais si nous essayons de leur faire résoudre d'autres tests, une différence importante peut apparaître entre eux. A l'aide de questions posées, d'exemples, etc., l'un pourra résoudre facilement des tests adaptés aux sujets de deux ans plus âgés ; l'autre par contre, résoudra seulement le test qui dépasse de six mois cet âge. Nous rencontrons ici des faits permettant de définir le concept de zone proximale de développement. Il s'agit d'un concept lié à son tour à une réévaluation du problème de l'imitation dans la psychologie contemporaine. Le point de vue communément accepté est de considérer l'activité autonome de l'enfant et non pas l'imitation comme seule indication possible du degré de développement mental. Cette opinion est à la base de tous les systèmes modernes de mesure psychologique. Pour évaluer le développement mental, on ne tient compte que des tests que l'enfant résout seul, sans l'aide des autres et sans être aidé par des questions appropriées. De nombreuses recherches démontrent qu'il s'agit là d'un critère sans fondements. Des études faites sur des animaux ont montré en effet que les actions que l'animal est en mesure d'imiter entrent pratiquement dans son répertoire potentiel. Cela signifie donc que l'animal peut seulement imiter les actions qui lui sont déjà accessibles ; cela veut dire, comme l'ont mis en évidence les expériences de Köhler, que les possibilités d'imitation des animaux ne dépassent pas

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DOCUMENT N° 16 : VygotskyEnseignement, apprentissage et développement mental

La question que nous devons nous poserprésente ainsi une double difficulté et sedédouble en deux questions. Nous devonsen premier lieu comprendre quel est lerapport qui existe en général entredéveloppement et apprentissage et puisessayer de saisir les caractéristiquesspéci-fiques de ce rapport à l'âgescolaire. Nous préférons commencer parla deuxième question car elle permettra declarifier ensuite la première. Pour yrépondre, il nous paraît nécessaire d'exposerles résultats de quelques recherches qui, ànotre avis, ont une significationfondamentale pour résoudre notre problèmeet qui ont le mérite d'introduire un conceptscientifique tout à fait nouveau. Nousparlons de ce qui est appelé "zoneproximale de développement".

C'est une constatation empirique,souvent vérifiée et indiscutable, quel'apprentissage est en relation avec leniveau de développement de l'enfant. Iln'est pas du tout nécessaire de fournir unepreuve pour démontrer qu'on ne peutcommencer à enseigner la lecture etl'écriture qu'à un âge déterminé, que l'enfantn'est en mesure d'apprendre l'algèbre qu'àun certain âge aussi. Nous pouvons donctranquillement prendre comme point dedépart le fait fondamental et incontestablequ'il existe une relation entre un niveaudonné de développement et la capacitépotentielle d'apprentissage.

On a récemment centré l'attention sur le faitque, pour définir le rapport effectif entredéveloppement et apprentissage, il n'est passuffisant de définir seulement le degré dedéveloppement. Il est nécessaire dedéterminer au moins deux niveaux dedéveloppement, sinon on ne réussite pas àtrouver la relation entre développement etpossibilité d'apprentissage. Nous appelonsle premier de ces niveaux développementactuel de l'enfant. Il correspond au degré dedéveloppement atteint par les fonctionspsychiques de l'enfant.

Lorsqu'on définit l'âge mental d'un enfant àl'aide de tests, on parle justement de cedéveloppement actuel. Mais comme ledémontre l'expérience, ce niveau dedéveloppement actuel de l'enfant ne permetpas de définir complètement l'état dedéveloppement d'un enfant à un momentdonné. Imaginons que nous avons soumisdeux enfants à un examen et que nousavons fixé leur âge mental à sept ans. Celasignifie que les deux enfants sont en mesurede résoudre des tâches accessibles à desenfants de cet âge. Mais si nous essayonsde leur faire résoudre d'autres tests, unedifférence importante peut apparaître entreeux. A l'aide de questions posées,d'exemples, etc., l'un pourra résoudrefacilement des tests adaptés aux sujets dedeux ans plus âgés ; l'autre par contre,résoudra seulement le test qui dépasse desix mois cet âge. Nous rencontrons ici desfaits permettant de définir le concept dezone proximale de développement. Il s'agitd'un concept lié à son tour à uneréévaluation du problème de l'imitation dansla psychologie contemporaine.

Le point de vue communément accepté estde considérer l'activité autonome de l'enfantet non pas l'imitation comme seuleindication possible du degré dedéveloppement mental. Cette opinion est à labase de tous les systèmes modernes demesure psychologique. Pour évaluer ledéveloppement mental, on ne tient compteque des tests que l'enfant résout seul, sansl'aide des autres et sans être aidé par desquestions appropriées.

De nombreuses recherches démontrent qu'ils'agit là d'un critère sans fondements. Desétudes faites sur des animaux ont montré eneffet que les actions que l'animal est enmesure d'imiter entrent pratiquement dansson répertoire potentiel. Cela signifie doncque l'animal peut seulement imiter lesactions qui lui sont déjà accessibles ; celaveut dire, comme l'ont mis en évidence lesexpériences de Köhler, que les possibilitésd'imitation des animaux ne dépassent pas

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2les limites de leur capacité potentielled'action. Si un animal est capable d'imiterune action intellectuelle, cela signifie qu'ilest capable, sous certaines conditions, deréaliser une action analogue dans sonactivité indépendante. L'imitation est doncliée à la capacité de compréhension et n'estpossible que dans la sphère des actionsaccessibles à la compréhension de l'animal.

La différence fondamentale par rapportà l'enfant tient à ce que celui-ci peutimiter de nombreuses actions quidépassent de loin les limites de sescapacités. Grâce à l'imitation, dans uneactivité collective, sous la direction d'adultes,l'enfant est en mesure de réaliser beaucoupplus que ce qu'il réussite à faire de façonautonome. La différence entre le niveaude résolution de problèmes sous ladirection et avec l'aide d'adultes et celuiatteint seul définit la zone proximaledu développement.

Souvenons-nous de l'exemple que nousvenons de donner : deux enfants ont lemême âge mental de sept ans ; cependantl'un des deux résout avec un minimumd'aide des tâches pour des enfants de neufans, alors que l'autre ne réussit que destâches adaptées à des enfants de sept ans etdemi. Le développement mental de ces deuxenfants est-il le même ? Du point de vue deleur activité autonome, oui ; mais du pointde vue de leur capacité" potentielle dedéveloppement ils sont très différents. Ceque l'enfant est capable de réaliser avecl'aide de l'adulte délimite sa zone proximalede développement. Avec cette méthode nouspouvons tenir compte non seulement duprocessus de développement déjà réalisé etdes processus de maturation qui ont déjà eulieu, mais aussi de ceux qui sont en devenir,qui sont en train de se développer et demûrir.

Ce que l'enfant est en mesure de faireaujourd'hui à l'aide des adultes, ilpourra l'accomplir seul demain. Lazone proximale de développement nousaide ainsi à connaître les pas futurs del'enfant et la dynamique de son déve-loppement en prenant en considérationnon seulement les résultats déjàobtenus, mais aussi ceux en voied'acquisition. L'état de développementmental de l'enfant peut ainsi êtredéterminé sur la base d'au moins deux

facteurs : celui du développement actuelet celui de la zone proximale dedéveloppement.

En elle-même, cette question peut paraîtrepeu significative. En réalité, elle est d'uneimportance fondamentale et provoque unchangement décisif dans toutes les théoriesqui traitent du rapport entre développementet apprentissage à l'âge scolaire. Elle metnotamment en question la manièretraditionnelle de poser le problème desmesures pédagogiques à prendre sur la basede diagnostics du développement..- Auparavant la question se présentaitcomme suit : une fois défini à l'aide de tests,le niveau de développement mental del'enfant était considéré comme limite quecelui-ci ne pouvait pas dépasser. Cette façonde présenter le problème implique quel'enseignement doit s'orienter sur la base dudéveloppement qui a déjà eu lieu, du stadedéjà dépassé.

- L'inexactitude de ces conclusions a étémise en évidence dans la pratique bien avantd'apparaître au niveau théorique. Lameilleure démonstration peut en être faitedans le cas de l'enseignement des enfantshandicapés mentaux. Comme le montrent demultiples expériences, l'enfant handicapé estpeu enclin à la pensée abstraite. On en adéduit que l'activité didactique des écolesspéciales devait se fonder sur l'utilisation dematériel visuel. De longues expériencesallant dans ce sens se sont avéréesinsatisfaisantes. Il a été prouvé qu'unsystème d'enseignement basé exclusivementsur des moyens visuels excluant tout ce quiconcerne la pensée abstraite non seulementn'aide pas l'enfant à dépasser son incapaciténaturelle, mais la consolide de fait. Eninsistant sur la pensée visuelle, on étouffeles embryons de pensée abstraite chez cesenfants. Laissé seul, l'enfant handicapé nepeut atteindre aucune forme évoluée depensée abstraite. Il est du devoir de l'écolede permettre à l'enfant handicapé de fairedes pas dans cette direction et de développerchez lui cet aspect qui se révèle insuffisant.Actuellement on constate un changement debon augure dans les méthodes del'enseignement spécialisé qui attribuent unejuste place à l'utilisation des moyens visuels,sur lesquels les méthodes anciennes sebasaient exclusivement ; les moyens visuelssont nécessaires et indispensables pour

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3l'évolution de la pensée abstraite, commemoyens et non pas comme fin en soi.

On peut observer un phénomène similairedans le développement de l'enfant normal.Un enseignement orienté vers un stadedéjà acquis est inefficace. Il n'est pas enmesure de diriger le processusdéveloppemental mais est entraîné par celui-ci. La théorie de la zone proximale dedéveloppement se traduit par une formulequi est exactement contraire à l'orientationtraditionnelle : le seul enseignement estcelui qui précède le développement.

Par manque de place, nous nouspermettrons de mentionner sans les résumerde nombreuses recherches qui nousapprennent que le développement desfonctions psychiques spécifiquementhumaines de l'enfant, formées au cours dudéveloppement de l'humanité, est unprocessus tout à fait particulier. Nous avonsformulé ailleurs la loi fondamentale dudéveloppement de ces fonctions :

Chaque fonction psychique supérieureapparaît deux fois au cours dudéveloppement de l'enfant: d'abordcomme activité collective, sociale etdonc comme fonction inter psychique,puis la deuxième fois comme activitéindividuelle , comme propriétéintérieure de la pensée de l'enfant,comme fonction intra-psychique.

Le développement du langage sert deparadigme pour ce type de problème. Lelangage apparaît tout d'abord comme moyende communication de l'enfant avec ceux quil'entourent. C'est seulement dans undeuxième temps, en se transformant enlangage intérieur qu'il devient un mode depensée fondamental de l'enfant lui-même,une de ses fonctions psychiques. Les étudesmenées par Baldwin, Rignano et Piaget ontdémontré que la nécessité de mettre enoeuvre sa pensée apparaît pour la premièrefois quant il y a une discussion entreenfants et que ce n'est qu'ensuite que lapensée se présente comme activité intérieure(l'enfant raisonne et vérifie les fondementsde sa propre pensée). "En ce qui nousconcerne, nous sommes volontiers enclins ànous croire nous-mêmes sur parole, ditPiaget, et ce n'est que lors du processus decommunication avec les autres qu'apparaît

en nous la nécessité de prouver et dedémontrer notre pensée".

Tout comme elle donne naissance à laréflexion et au langage intérieur, lacommunication entre l'enfant et lespersonnes qui l'entourent est aussi àl'origine du développement de la volontéchez l'enfant. Dans un de ses récentstravaux, Piaget a démontré que c'est lacoopération qui est à la base dudéveloppement du jugement moral chezl'enfant. D'autres études précédentes ont àleur tour mis en évidence que l'enfantapprend d'abord à conformer soncomportement à un ensemble de règlesexternes, au cours du jeu collectif, et que cen'est qu'ensuite, dans un deuxième temps,qu'apparaît l'autorégulation volontaire ducomportement comme fonction intérieure del'enfant lui-même.

Ces quelques exemples permettentd'illustrer toute la ligne générale dudéveloppement des fonctions psychiquessupérieures durant la période infantile.Nous appliquons aussi cette règle auprocessus d'apprentissage e t nousn'hésitons pas à affirmer que le traitfondamental de l'apprentissage consisteen la formation d'une zone proximalede développement.

L'apprentissage donne donc naissance,réveille et anime chez l'enfant toute unesérie de processus de développementinternes qui, à un moment donné, ne luisont accessibles que dans le cadre de lacommunication avec l'adulte et de lacollaboration avec les camarades, maisqui, une fois intériorisés, deviendrontune conquête propre de l'enfant.

Considéré de ce point de vue,l'apprentissage ne coïncide pas avec ledéveloppement, mais a c t i v e ledéveloppement mental de l'enfant, enréveillant les processus évolutifs qui nepourraient être actualisés sans lui. Il devientainsi un moment constitutif essentiel dudéveloppement des caractéristiqueshumaines, non naturelles, acquises au coursdu développement historique. Pour la mêmeraison qu'un enfant de parents sourds-muets, privé d'input langagier, reste sourdtout en possédant tous les prérequis naturelspour le développement du langage, et parconséquent ne développe pas en lui toutes

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4les fonctions psychiques supérieures liéesau langage, toute activité d'ensei-gnement constitue une source pour ledéveloppement des processus qui nepourraient en aucune cas avoir lieu endehors de lui.

L'importance de l'enseignement en tant quefacteur essentiel pour déterminer la zoneproximale du développement peut être plusclairement mise en évidence en confrontantl'apprentissage de l'adulte avec celui del'enfant. Ce n'est que récemment qu'on acommencé à prêter attention à la différencefondamentale qui existe entre ces deuxtypes d'apprentissage. Comme on le sait, lesadultes ont aussi à leur disposition degrandes capacités d'apprentissage. L'idée deJames selon laquelle après 25 ans il estimpossible d'assimiler de nouvelles idées, aété complètement contredite pas lesrecherches expérimentales modernes.Pourtant, aujourd'hui encore, on a passuffisamment mis en évidence ce quidistingue l'apprentissage des adultes decelui des enfants.

En effet, si l'on considère, comme leproposent les théories de Thorndike et deJames que nous avons citées, le processusd'apprentissage comme équivalent à celui dela simple formation d'habitudes, il ne peut yavoir de différence fondamentale entreapprentissage de l'enfant et apprentissage del'adulte, puisque, dans les deux cas, ce sontles mêmes mécanismes qui sont à la base dela formation des habitudes. La différence seréduit à la facilité et à la rapidité plus oumoins grande du processus d'acquisition.

Les choses se présentent très différemmentquand on cherche à déterminer, par exemple,la différence entre d'une part apprendre àtaper à la machine, à aller en bicyclette, àjouer au tennis pour l'adulte et apprendre lalangue écrite, l'arithmétique ou les sciencesnaturelles durant l'âge scolaire. Pour nous,la différence réside dans le rapport différentaux processus de développement.

Apprendre à taper à la machine impliqueeffectivement l'assimilation de certaineshabitudes qui en tant que telles neproduisent aucun changement dans laconfiguration mentale humaine, étant donnéqu'elles se servent de cycles dedéveloppement déjà accomplis et achevés. Etc'est précisément pour cette raison qu'un tel

apprentissage n'a qu'une importanceinsignifiante pour le développement général.

Mais pour ce qui concerne l'apprentissagede l'écriture, nous devons tenir un discoursdifférent. Des recherches menées à cepropos et dont nous parlerons ailleurs ontdémontré que ce processus ouvre une sériede nouveaux cycles de développement d'unegrande complexité, qu'il apporte desmodifications tellement fondamentales dansle cadre du développement mental généralde l'enfant qu'on peut le comparer avecl'effet de l'apprentissage du langage lors dupassage de la prime enfance à l'enfance.

Il est temps maintenant de faire le point surce que nous avons dit et de préciser lanature du rapport que nous concevons entreprocessus d'enseignement et cycles dedéveloppement. En anticipant quelquesconclusions, nous pouvons affirmer quetoutes les recherches expérimentales sur lanature des processus d'apprentissage del'arithmétique, de l'écriture, des sciencesnaturelles et des autres matières à l'écoleélémentaire montrent que ces processusgravitent autour des nouvelles acquisitionsde l'âge scolaire et donc autour des pointscruciaux du développement de l'enfant decet âge. L'enseignement scolaire lui-mêmeréveille des processus internes déterminésde développement. La première tâche del'analyse du processus pédagogiquedoit donc être de suivre attentivement lanaissance et l'orientation de ces lignesdu développement intérieur qui appa-raissent exactement au début del'apprentissage scolaire.

En ce qui concerne notre hypothèse, lepoint essentiel consiste en l'affirmationque les processus du développement necoïncident pas avec ceux del'apprentissage mais suivent cesderniers en donnant naissance à ce quenous avons défini comme zoneproximale de développement.

Notre point de vue conduit à unetransformation de l'opinion traditionnelle enmatière de relation entre enseignement etdéveloppement. Du point de vuetraditionnel, au moment où l'enfant a apprisla signification d'un mot (par exemple, lemot "révolution") ou quand il s'estapproprié quelques opérations (par exemplel'opération d'addition ou le langage écrit), les

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5processus de son développement sont, ensubstance, considérés comme achevés. Denotre point de vue, ils commencentseulement.

Montrer comment l'acquisition des quatreopérations arithmétiques produit toute unesérie de processus internes très complexesdans le développement de la pensée del'enfant constitue la tâche essentielle de lapédologie pour l'analyse du processuspédagogique. Notre hypothèse supposel'unité, mais non l'identité des processusd'enseignement et des processus internes dedéveloppement. Elle présuppose le passagedes uns aux autres. Le véritable objet del'analyse pédologique consiste à montrercomment la signification externe et l'habiletéde l'enfant deviennent internes.

L'analyse pédologique n'est pas lapsychotechnique de l'école. Le travailscolaire de l'enfant n'est pas un métier. Iln'est pas analogue à l'activité professionnelledes adultes. Découvrir réellement lesprocessus qui s'accomplissent chez l'enfantau cours de l'enseignement, signifie doncouvrir les portes à l'analyse pédologiquescientifique du processus pédagogique.

Toute recherche aborde un domainedéterminé de la réalité. On se demanderaquel est le type de réalité qui s'exprime dansl'analyse pédologique. Cette réalité se trouvedans les liens internes réels des processusde développement qui apparaissent dans lavie de l'enseignement scolaire. En ce sens,l'analyse pédologique se tournera toujoursvers l'intérieur et ressemblera auxrecherches avec les rayons Roentgen. Elledoit permettre à l'enseignant decomprendre comment les processus, misen lumière au cours de l'enseignementscolaire, se déroulent dans la tête dechaque enfant particulier. La tâche im-médiate de l'analyse pédologiqueconsiste à découvrir ce réseau interne,souterrain, génétique, des sujetsscolaires.

La deuxième affirmation fondamentaleissue de notre hypothèse est que bienque l'enseignement soit étroitement liéau développement de l'enfant, les deuxprocessus ne sont pas exactementparallèles. Le développement de l'enfant nesuit pas comme une ombre l'activitédidactique développée à l'école. C'est pour

cela que les tests sur les résultats obtenus àl'école par l'enfant ne reflètent jamais lecours effectif de son développement. Def a i t , d e s rappor ts dynamiquesd'interdépendance s'instaurent entredéveloppement et apprentissage, rapportsqu'on ne peut exprimer en une formulethéorique artificielle, aprioriste, donnée unefois pour toute.

Toute discipline a un rapport particulier etconcret avec le cours due développement del'enfant. Ce rapport change lorsque l'enfantréalise un passage d'une étape dedéveloppement à une autre. Ces conclusionsnous amènent à une révision du problèmede la discipline formelle et donc del'importance et de la signification de chaquematière particulière d'enseignement pour ledéveloppement intellectuel de l'enfant. Nousnous trouvons donc face à un problème quiest loin d'être résolu par une formule simple,unique, mais qui constitue le point de départpour des recherches nombreuses concrèteset variées.