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Le journal de l'IRD Éditorial n° 61 - septembre-octobre 2011 bimestriel L e paludisme recule. Les progrès en 10 ans sont spectaculaires : le rapport annuel du partenariat Roll Back Malaria 1 « Faire reculer le palu- disme », dévoilé le 12 septembre dernier, révèle que la mortalité a baissé de près de 40 % à travers le monde. En Afrique, où surviennent la grande majorité des cas, « au moins onze pays ont enregistré une réduction de plus de moitié du nombre de malades et de décès associés », pré- cise cette étude. Un véritable succès dû, selon le rapport, au renforcement depuis 2001 de l’action mondiale en termes de prévention et de soins. Cinq milliards de dollars ont été mobilisés au cours de la dernière décennie, notamment pour la distribution massive de moustiquaires imprégnées d’insecticides 2 et la mise en place de nouveaux traitements très effi- caces reposant sur des combinaisons à base d’artémisinine 3 . Jean-François Trape, directeur de recherche à l’IRD, confirme : « À Dielmo par exemple – vil- lage du Sénégal que nous suivons depuis les années 90 –, le nombre de cas chez les enfants de moins de cinq ans a été divisé par quatre grâce au changement de médicaments en 2006. » Si les scientifiques sont unanimes sur les résultats records obtenus depuis dix ans, plusieurs questions demeurent en sus- pens. Première interrogation : « la part à attribuer aux mesures de prévention demeure incertaine », affirme Philippe Deloron, directeur de « l’unité mère et enfant face aux infections tropicales ». De fait, certaines zones, où aucune mesure de contrôle vectoriel n’est mise en place, voient tout de même leur nombre de patients chuter. C’est le cas notamment en Tanzanie où, comme le P hénomène mondial mais particulièrement aigu en Afrique, la désertification gagne du terrain partout dans le monde, 40 % des superficies émergées sont concernées et près de 2 milliards de personnes sont touchées par la dégradation des terres. Les causes en sont multiples : changements climatiques, pression démographique, déforestation et agriculture non durable, élevage extensif, mauvaise gestion des ressources naturelles dont l’eau et les sols, etc. Face à l’importance de ce problème pour les pays du Sud et en particulier pour l’Afrique subsaharienne, une importante conférence tripartite, Afrique / Brésil / France, vient de se tenir à Niamey, rassemblant des responsables politiques, des chercheurs et les institutions de recherche. Des recommandations pressantes contenues dans une « déclaration de Niamey » ont été adressées aux décideurs politiques en vue de les inscrire à l’agenda du Sommet de RIO +20 qui se tiendra en juin 2012 au Brésil. Elles portent sur le développement durable des zones arides incluant la disponibilité en eau et la conservation des sols, les énergies renouvelables, une meilleure gouvernance, une coordination accrue des différents acteurs et le renforcement des transferts technologiques vers les décideurs et la société. LIRD, co-organisateur de cette conférence avec le Centre d'Études Stratégiques brésilien et l'Agence Panafricaine Grande Muraille Verte, apportera toute son énergie pour que la lutte contre la désertification devienne une priorité de la communauté internationale. Mettre la lutte contre la désertification à l’agenda de RIO + 20 Par Michel Laurent Président de l’IRD 28 villages béninois – pose de mousti- quaires imprégnées à la deltaméthrine et pulvérisations intra-domiciliaire d’un autre insecticide –, les moustiques, habi- tués à sévir dans les maisons, piquent davantage à l’extérieur des habitations. « En deux ans d’étude, affirme Vincent Corbel, entomologiste à l’IRD qui a coor- donné ces travaux, la proportion de ces moustiques dits ‘’exophages’’ est passée de 40 à 60 %. » Pour ce faire, Anopheles a dû modifier ses habitudes alimentaires. « Au lieu de piquer en pleine nuit, les moustiques attendent désormais le petit matin, entre 5 h et 7 h, moment où les habitants partent travailler », explique Frédéric Simard, de la même équipe. Les mesures de prévention mises en place ont fait leurs preuves jusque-là. Mais ces récentes études actionnent la son- nette d’alarme. Changement climatique, émergence de résistances, adaptation du comportement d’Anopheles… les hommes se heurtent à la plasticité du vecteur. Mieux connaître sa physiologie devient nécessaire pour développer des outils de deuxième génération. Mousti- © E. Franceschi 2050, connaît la croissance la plus rapide. Aujourd’hui 20 % de la popula- tion est mal nourrie ou sous-alimentée dans cette région du monde. C’est là un sérieux problème. Ce qui me semble crucial c’est que l’Afrique augmente sa production pour être en mesure de répondre à ses Recherches Lac Tchad : vulnérabilité d’une ressource partagée P. 7-10 Dans ce numéro montre une nouvelle étude publiée dans Malaria Journal , le nombre de mous- tiques vecteurs – du nom d’anophèles – a diminué de plus de 99 % entre 2003 et 2009. À côté des programmes d’inter- vention, le climat semble donc aussi avoir son rôle à jouer : « réduisant la densité de population de moustiques, les modifi- cations climatiques peuvent également entraîner une régression de la transmis- sion », explique l’immunologiste. Aujour- d’hui, les conditions climatiques semblent favorables à un recul de la maladie. Dans le contexte actuel de changement global, rien n’indique que la tendance ne va pas s’inverser. D’autres travaux récents pointent du doigt la principale inconnue pour espérer venir un jour à bout du paludisme : la grande capacité d’adaptation du vecteur. Celui-ci n’a de cesse de déjouer les efforts des populations. « À Dielmo, témoigne Jean-François Trape, suite à une étude parue récemment dans The Lancet Infectious Diseases, deux ans après l’in- troduction des moustiquaires impré- gnées à la deltaméthrine 4 , près de 40 % des anophèles sont devenus résistants à cet insecticide. » Plusieurs études en Afrique signalent ce même phénomène d’expansion rapide des résistances aux insecticides chez les principaux vecteurs du paludisme après la mise en place d’opérations de lutte antivectorielle 5 . Conjuguée à une baisse de la prémuni- tion de la population 6 du village, rançon des francs succès du début, cette résis- tance peut entraîner une recrudescence des cas. Face aux mesures de lutte adoptées, le moustique modifie également son com- portement. Suite à un essai mené dans Paludisme Irréductible moustique Le recul de la maladie en dix ans est exceptionnel. Mais demeure un paludisme résiduel, dont il sera très difficile de se débarrasser. © Biosphoto / David Scharf / Science Photo Library Intensifier et diversifier la production agricole en Afrique En marge du G20 sur la recherche agricole pour le développement à Montpellier, Monty Jones, président du Forum mondial de la recherche agricole (GFAR), directeur exécutif du Forum pour la recherche agricole en Afrique (FARA) et lauréat du World Food Prize 2004, a livré à son analyse de la situation dans la Corne de l’Afrique et plus globalement évoqué les questions de sécurité alimentaire sur ce continent. suite en page 5 © Agropolis International plan en matière d’agriculture ayant accru à la fois production, productivité et bien-être des populations. Nous Interview de Monty Jones Président du Forum mondial de la recherche agricole besoins. Il faut changer les stratégies agricoles à l’instar des pays émergents. Il faut intensifier et diversifier la produc- tion. L’Afrique doit aller de l’avant et adopter des stratégies plurielles. Nous devons déterminer les bonnes poli- tiques. Les chercheurs doivent fournir les informations nécessaires aux gouver- nants pour adopter ces dernières. Nous devons par ailleurs développer les infra- structures nécessaires pour assurer cette croissance de la production. Enfin, nous avons besoin de construire un marché domestique, petit et fragmenté jus- qu’ici, en le régionalisant et le connec- tant mieux au marché international. Regardez le Rwanda, sorti de la guerre, les bonnes options y ont été initiées et il est aujourd’hui l’un des pays de premier Moustique anophèle. quaires dites « en mosaïque », combi- nant plusieurs types d’insecticides, pièges à odeurs, à l’état de prototypes à ce jour, ou encore techniques de confusion hor- monale sont des pistes prometteuses envisagées par les chercheurs. 1. Partenariat entre l’OMS, le Pnud, l’Unicef et la Banque mondiale. 2. Mises au point par des chercheurs de l’IRD et du Centre Muraz au Burkina Faso. 3. Molécule extraite d’une plante chinoise. 4. Un des principaux insecticides utilisés en Afrique et recommandé par l’OMS dans la lutte contre le paludisme. 5. Trends in Parasitology, 2011. 6. En prévenant les piqûres, les moustiquaires freinent l’acquisition de défenses immunitaires chez les jeunes enfants, entraînant quelques années plus tard une résurgence de l’infection. Contacts [email protected] UMR Urmite (IRD / CNRS / Inserm / Univer- sité Aix-Marseille 2) [email protected] UMR Mivegec (IRD / CNRS / Université Montpellier 1 et 2) Sciences au Sud : À l’horizon 2050, il y aura 9 milliards d’habitants sur la planète dont une grande part en Afrique. Comment les nourrir ? Monty Jones : Je crois que le monde a assez de ressources pour subvenir à ses besoins. Cependant, l’Afrique, qui atteindra 2 milliards d’habitants en

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Le journal de l'IRD

É d i t o r i a l

n° 61 - septembre-octobre 2011bimestriel

L e paludisme recule. Les progrèsen 10 ans sont spectaculaires : lerapport annuel du partenariat

Roll Back Malaria1 « Faire reculer le palu-disme », dévoilé le 12 septembre dernier,révèle que la mortalité a baissé de près de40 % à travers le monde. En Afrique, oùsurviennent la grande majorité des cas,« au moins onze pays ont enregistré uneréduction de plus de moitié du nombrede malades et de décès associés », pré-cise cette étude. Un véritable succès dû,selon le rapport, au renforcement depuis2001 de l’action mondiale en termes deprévention et de soins. Cinq milliards dedollars ont été mobilisés au cours de ladernière décennie, notamment pour ladistribution massive de moustiquairesimprégnées d’insecticides2 et la mise enplace de nouveaux traitements très effi-caces reposant sur des combinaisons à base d’artémisinine3. Jean-FrançoisTrape, directeur de recherche à l’IRD,confirme : « À Dielmo par exemple – vil-lage du Sénégal que nous suivons depuisles années 90 –, le nombre de cas chezles enfants de moins de cinq ans a étédivisé par quatre grâce au changementde médicaments en 2006. » Si les scientifiques sont unanimes sur lesrésultats records obtenus depuis dix ans,plusieurs questions demeurent en sus-pens. Première interrogation : « la part àattribuer aux mesures de préventiondemeure incertaine », affirme PhilippeDeloron, directeur de « l’unité mère etenfant face aux infections tropicales ».De fait, certaines zones, où aucunemesure de contrôle vectoriel n’est miseen place, voient tout de même leurnombre de patients chuter. C’est le casnotamment en Tanzanie où, comme le

P hénomène mondial maisparticulièrement aigu en

Afrique, la désertification gagne duterrain partout dans le monde, 40 %des superficies émergées sontconcernées et près de 2 milliards depersonnes sont touchées par ladégradation des terres.

Les causes en sont multiples :changements climatiques, pressiondémographique, déforestation etagriculture non durable, élevageextensif, mauvaise gestion desressources naturelles dont l’eau et les sols, etc.

Face à l’importance de ce problèmepour les pays du Sud et en particulierpour l’Afrique subsaharienne, uneimportante conférence tripartite,Afrique / Brésil / France, vient de setenir à Niamey, rassemblant desresponsables politiques, deschercheurs et les institutions derecherche.

Des recommandations pressantescontenues dans une « déclaration de Niamey » ont été adressées auxdécideurs politiques en vue de lesinscrire à l’agenda du Sommet de RIO +20 qui se tiendra en juin 2012au Brésil. Elles portent sur ledéveloppement durable des zonesarides incluant la disponibilité en eauet la conservation des sols, lesénergies renouvelables, une meilleuregouvernance, une coordination accruedes différents acteurs et lerenforcement des transfertstechnologiques vers les décideurs etla société.

L’IRD, co-organisateur de cetteconférence avec le Centre d'ÉtudesStratégiques brésilien et l'AgencePanafricaine Grande Muraille Verte,apportera toute son énergie pour quela lutte contre la désertificationdevienne une priorité de lacommunauté internationale. ●

Mettre la luttecontre ladésertification à l’agenda de RIO + 20

Par Michel Laurent Président

de l’IRD

28 villages béninois – pose de mousti-quaires imprégnées à la deltaméthrine etpulvérisations intra-domiciliaire d’unautre insecticide –, les moustiques, habi-tués à sévir dans les maisons, piquentdavantage à l’extérieur des habitations. « En deux ans d’étude, affirme VincentCorbel, entomologiste à l’IRD qui a coor-donné ces travaux, la proportion de cesmoustiques dits ‘’exophages’’ est passéede 40 à 60 %. » Pour ce faire, Anophelesa dû modifier ses habitudes alimentaires.« Au lieu de piquer en pleine nuit, lesmoustiques attendent désormais le petitmatin, entre 5 h et 7 h, moment où leshabitants partent travailler », expliqueFrédéric Simard, de la même équipe.Les mesures de prévention mises en placeont fait leurs preuves jusque-là. Mais ces récentes études actionnent la son-nette d’alarme. Changement climatique, émergence de résistances, adaptationdu comportement d’Anopheles… leshommes se heurtent à la plasticité duvecteur. Mieux connaître sa physiologiedevient nécessaire pour développer desoutils de deuxième génération. Mousti-

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2050, connaît la croissance la plusrapide. Aujourd’hui 20 % de la popula-tion est mal nourrie ou sous-alimentéedans cette région du monde. C’est là unsérieux problème. Ce qui me semble crucial c’est quel’Afrique augmente sa production pourêtre en mesure de répondre à ses

RecherchesLac Tchad : vulnérabilité d’uneressource partagée P. 7-10

Dans ce numéro

montre une nouvelle étude publiée dansMalaria Journal, le nombre de mous-tiques vecteurs – du nom d’anophèles –a diminué de plus de 99 % entre 2003 et2009. À côté des programmes d’inter-vention, le climat semble donc aussi avoirson rôle à jouer : « réduisant la densitéde population de moustiques, les modifi-cations climatiques peuvent égalemententraîner une régression de la transmis-sion », explique l’immunologiste. Aujour-d’hui, les conditions climatiques semblentfavorables à un recul de la maladie. Dansle contexte actuel de changement global,rien n’indique que la tendance ne va pass’inverser.D’autres travaux récents pointent dudoigt la principale inconnue pour espérervenir un jour à bout du paludisme : lagrande capacité d’adaptation du vecteur.Celui-ci n’a de cesse de déjouer lesefforts des populations. « À Dielmo,témoigne Jean-François Trape, suite à uneétude parue récemment dans The LancetInfectious Diseases, deux ans après l’in-troduction des moustiquaires impré-gnées à la deltaméthrine4, près de 40 %des anophèles sont devenus résistants à cet insecticide. » Plusieurs études enAfrique signalent ce même phénomèned’expansion rapide des résistances auxinsecticides chez les principaux vecteursdu paludisme après la mise en placed’opérations de lutte antivectorielle5.Conjuguée à une baisse de la prémuni-tion de la population6 du village, rançondes francs succès du début, cette résis-tance peut entraîner une recrudescencedes cas.Face aux mesures de lutte adoptées, lemoustique modifie également son com-portement. Suite à un essai mené dans

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Intensifier et diversifier la production agricole en Afrique

En marge du G20 sur la recherche agricole pour ledéveloppement à Montpellier, Monty Jones, présidentdu Forum mondial de la recherche agricole (GFAR),directeur exécutif du Forum pour la recherche agricoleen Afrique (FARA) et lauréat du World Food Prize 2004, a livré à son analyse de la situation dansla Corne de l’Afrique et plus globalement évoqué lesquestions de sécurité alimentaire sur ce continent.

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besoins. Il faut changer les stratégiesagricoles à l’instar des pays émergents. Ilfaut intensifier et diversifier la produc-tion. L’Afrique doit aller de l’avant etadopter des stratégies plurielles. Nousdevons déterminer les bonnes poli-tiques. Les chercheurs doivent fournirles informations nécessaires aux gouver-nants pour adopter ces dernières. Nousdevons par ailleurs développer les infra-structures nécessaires pour assurer cettecroissance de la production. Enfin, nousavons besoin de construire un marchédomestique, petit et fragmenté jus-qu’ici, en le régionalisant et le connec-tant mieux au marché international.Regardez le Rwanda, sorti de la guerre,les bonnes options y ont été initiées et ilest aujourd’hui l’un des pays de premier

Moustique anophèle.

quaires dites « en mosaïque », combi-nant plusieurs types d’insecticides, piègesà odeurs, à l’état de prototypes à ce jour,ou encore techniques de confusion hor-monale sont des pistes prometteusesenvisagées par les chercheurs. ●

1. Partenariat entre l’OMS, le Pnud, l’Unicef etla Banque mondiale.2. Mises au point par des chercheurs de l’IRDet du Centre Muraz au Burkina Faso.3. Molécule extraite d’une plante chinoise.4. Un des principaux insecticides utilisés enAfrique et recommandé par l’OMS dans lalutte contre le paludisme.5. Trends in Parasitology, 2011.6. En prévenant les piqûres, les moustiquairesfreinent l’acquisition de défenses immunitaireschez les jeunes enfants, entraînant quelquesannées plus tard une résurgence de l’infection.

[email protected] Urmite (IRD / CNRS / Inserm / Univer-sité Aix-Marseille 2)[email protected] Mivegec (IRD / CNRS / UniversitéMontpellier 1 et 2)

Sciences au Sud : À l’horizon 2050, ily aura 9 milliards d’habitants sur laplanète dont une grande part enAfrique. Comment les nourrir ? Monty Jones : Je crois que le monde a assez de ressources pour subvenir àses besoins. Cependant, l’Afrique, quiatteindra 2 milliards d’habitants en

Sciences au Sud - Le journal de l’IRD - n° 61 - septembre/octobre 2011

I nstruments incontournables de lapanoplie des développeurs depuisplusieurs décennies, les petits bar-

rages sub-sahariens tiennent-ils leurspromesses ? La réponse que suggèrel’hydrobiologiste Philippe Cecchi, dansune récente publication consacrée ausujet, est toute en contrastes. Ces dispo-sitifs ne rempliraient pas tous les objec-tifs qui leur ont été assignés à laconstruction mais ils ont acquis un rôleirremplaçable dans le quotidien dessociétés rurales africaines, en raisonnotamment de la multiplicité des usagesauxquels ils se prêtent. Le phénomène, ilest vrai, a pris une grande ampleur. Ainsi,avec le foisonnement de ces retenuesd’eau, le Burkina Faso dispose aujour-d’hui d’au moins 4 000 kilomètres deberges artificielles, bien davantage queles littoraux des pays côtiers de larégion… « Les barrages sont devenusl’objet d’une demande permanente despopulations, qui s’impliquent mêmedans leur financement. Ils bénéficient àla fois du soutien des décideurs locaux etnationaux et de l’appui des bailleurs defonds », raconte le chercheur pour expli-quer la formidable multiplication desouvrages qui se comptent désormais par

milliers dans la région ouest-africaine.Pourtant, les analyses réalisées sur l’ex-ploitation de ces aménagements plu-sieurs années après leur mise en eausont mitigées : ils ne satisfont pas tou-jours aux attentes de leurs promoteurs,en tout cas pas dans les proportionsescomptées. Ainsi, les petits barragesdestinés à soutenir l’élevage n’ont paspermis de développer le secteur autantque prévu, et ceux conçus pour la petiteirrigation n’ont pas entraîné les gains deproductivité agricole attendus. Les freinsidentifiés relèvent plus de questions degouvernance locale que de blocagestechniques.Malgré ces résultats en demi-teinte, lespetits barrages continuent d’avoir levent en poupe. Il s’en est ainsi construitplusieurs dizaines dans les dix dernièresannées au Burkina Faso, et la BanqueAfricaine de Développement prévoitd’en réhabiliter une cinquantaine dansle nord du Ghana d’ici la fin de la décen-nie. Pour Philippe Cecchi, cet engoue-ment persistant tient aux autres apportsde ces aménagements, des « bénéficescollatéraux » qui n’avaient pas été envi-sagés par les technocrates et qui ne sontpas explicitement évalués dans leurs

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Dans la chaleur poussiéreuse du cœur de la saison sèche, les petits barrages constituent une ressource précieuse ; ici àKagamzensé, à une trentaine de kilomètres au sud deOuagadougou.

Coraux Balanophyllia europaea : l’un vivant après 3 mois dans une eau de mer àpH 7,3 (a), l’autre est un échantillon dépourvu de tissu pour mesurer la dissolutiondu squelette (c). Agrandissement au microscope électronique à balayage dusquelette de ces coraux, révélant les structures squelettiques intactes quand lesquelette est protégé par une couche de tissu (b) et endommagées quand le tissuest absent (d).

[email protected] Sextant – 44, bd de Dunkerque

CS 90009 – 13572 Marseille cedex 02Tél. : 33 (0)4 91 99 94 89Fax : 33 (0)4 91 99 92 28

Directeur de la publicationMichel LaurentDirectrice de la rédactionMarie-Noëlle FavierRédacteur en chefManuel Carrard ([email protected])Comité éditorial : Robert Arfi, Michel Bouvet, Thomas Changeux, Bernard Dreyfus, Yves Duval, Jean-Marc Hougard, Jean-Baptiste Meyer,Stéphane Raud, Pierre Soler, Hervé Tissot Dupont, Laurent VidalRédacteursFabienne Beurel-Doumenge ([email protected])Olivier Blot ([email protected])Ont participé à ce numéroGaëlle Courcoux, Fanny Delachaux,Nabil El Kente, René Lechon,François RebufatCorrespondantsMina Vilayleck (Nouméa)Photos IRD – Indigo BaseDaina Rechner, Christelle MaryPhotogravure, ImpressionIME, certifié ISO 14001, 25112 Baume-les-DamesISSN : 1297-2258Commission paritaire : 0909B05335Dépôt légal : octobre 2011Journal réalisé sur papier recyclé.Tirage : 15 000 exemplairesAbonnement annuel / 5 numéros : 20 €

Le journal de l'IRD

La fée électricité auservice des devoirs

La fée électricité auservice des devoirs

Lycéens révisant sous l’éclairage public ouélèves travaillant à la lueur vacillante d’unelampe à huile, les scènes de la vie quoti diennedans les pays pauvres illustrent combienl’électricité dans les foyers semble utile à unescolarité harmonieuse. Des chercheurs de l’IRD

ont entrepris de vérifier scientifiquement s’il yavait un rapport entre l’électrification desdomiciles et la scolarisation des enfants àMadagascar. « Dans la Grande île, peu dedistricts ruraux sont électrifiés, expliquel’économiste Jérôme Ballet, à l’origine de cetravail. Il paraît donc utile de connaîtrel’impact de l’accès à la lumière électrique – par essence confortable pour les tâches delecture et d’écriture – sur le travail desécoliers. » Pour cela, les scientifiques ontmené une enquête dans la petite ville mi-rurale mi-urbaine d’Antsohihy, dans le nord-ouest du pays, où se côtoient des enfantsdont le domicile dispose de la lumièreélectrique et d’autres qui n’en bénéficientpas. Concrètement, l’électrification desménages permet-elle aux enfants de faireleurs devoirs le soir et facilite-t-elle leurscolarisation ? Quel est l’impact de ce progrèstechnique auprès des jeunes filles issues deménages monoparentaux dirigés par desfemmes, qui doivent consacrer du temps autravail domes tique pour aider leur mère ?Les observations confortent l’importance del’éclairage électrique. Ainsi, les enfants desménages sans électricité consacrent le moinsde temps à leurs devoirs et à l’accomplis -sement de travaux ménagers. Ceux quivivent dans des ménages électrifiés passent,par contre, plus longtemps devant leurscahiers et contribuent moins aux travauxdomestiques.« Sans écarter d’autres explications – desvariables comme les revenus ou l’éducationdes parents ont été contrôlées –, nos résultatssemblent indiquer que le peu de temps passéaux devoirs, comme aux tâches domestiques,est lié au manque d’électricité, estime lespécialiste. En effet, les devoirs se fontgénéralement le soir. » Au total, ce sont les enfants des foyersmonoparentaux dirigés par des femmes etdisposant de l’électricité qui consacrent le plusde leur temps à la fois aux devoirs et auxtâches ménagères, et particulièrement lesjeunes filles. Cette situation est renduepossible par l’électricité et grâce à la lumièrequi prolonge au-delà du crépuscule lapossibilité de travailler. « L’accès à l’électricitébénéficie à la scolarité des enfants, et plusparticulièrement à celle des jeunes filles quiont la charge la plus lourde, compte tenu de lasituation familiale », conclut l’économiste. ●

[email protected] Résiliences (IRD, Université deCocody-Abidjan)

Mauvaise équation pour les coraux Confrontée à uneaugmentation detempérature, la résistancenaturelle des coraux contrel’acidité de l’eau de mercède le pas.

L es résultats publiés en ce débutd’automne par une équipeinternationale1 dans la revue

Nature Climate Change2 inquiètent lesspécialistes du monde marin. Lorsquedeux paramètres bien précis de l’eaude mer – la température et l’acidité –augmentent simultanément, les partiescalcaires de certains organismes marinssont irrémédiablement détruites.Pourtant, certaines des conclusionsavancées sont porteuses d’espoir.« Nous montrons que les deux espècesde coraux étudiées, mais aussi desmoules et des patelles, sont capablesde construire leur squelette malgrél’acidification de l’eau de mer », com-mente Fanny Houlbrèque, biologistemarin à l’IRD. Ceci va à l’encontre de lamajeure partie des études réaliséesdans ce domaine et qui démontrentqu’en eau acide, la plupart des orga-nismes calcificateurs voient leur capa-cité à édifier leur squelette ou leurcoquille calcaire diminuer. Les corauxBalanophyllia europaea et Cladocoracaespitosa se serviraient du bicarbo-

nate plus abondant que le carbonatequand le pH3 diminue. À cette pre-mière parade s’en ajoute une autre : lestissus organiques qui recouvrent leursquelette calcaire minorent le risque dedissolution de ce dernier. Ce rôle pro-tecteur a été démontré in situ dans legolfe de Naples. Découvert par unautre biologiste, Riccardo Rodolfo-Metalpa (Université de Plymouth), celaboratoire naturel doit sa concentra-tion en gaz carbonique (CO2) et doncson degré d’acidité à son origine volca-nique. Mais la double résistance des coraux etdes coquillages soumis à ces conditionsest battue en brèche lorsque le facteurtempérature entre en jeu. « À la fin del’été 2009, particulièrement chaud,nous avons observé que de nombreuxcoraux mouraient. Ce phénomène estde plus en plus fréquent », ajoute lechercheur. Les scientifiques remarquentalors que la conjonction d’une tempé-rature et d’une acidité élevées expliquecette surmortalité. Cette étude alerte la communautéscientifique et le grand public sur lesrisques de mortalité accrus chez les ani-maux marins à coquille ou squelettecalcaire engendrés par l’augmentationattendue de ces deux paramètres enMéditerranée d’ici la fin de ce siècle. ●

1. CNRS / IRD / Université de Plymouth (GB).2. Dans le cadre d’un projet co-fondé par la

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bilans. « Véritables objets d’aménage-ment du territoire, ces infrastructuresont bouleversé positivement la vie dansles campagnes, raconte-t-il. Elles procu-rent à la fois des ressources continuesen eau, du poisson grâce à la pêchedans des régions où il y en avait peu etdes opportunités bien réelles pour les

cultures, même si elles n’atteignent pasles volumes attendus par les concep-teurs des projets. » Et au-delà mêmedes performances quantifiables, il existeune valeur immatérielle incontestable.Les petits barrages contribuent parexemple efficacement à lutter contrel’exode des paysans vers les villes, enredynamisant l’économie rurale. « Ilssont devenus un enjeu politique certain,tant au plan local, dans un mouvementde réappropriation de l’espace rural parses populations, qu’à celui plus vastedes politiques agricoles nationales »,affirme-t-il. Se pose aussi la question dela préservation des ressources et des ser-vices écosystémiques associés, et en pre-mier lieu celle de la dégradation del’état de santé de ces écosystèmes (com-blement, pollutions…). Pour mesurerces diverses dimensions, l’hydrobiolo-giste propose une grille d’analyse del’impact réel des ouvrages à l’échelle desbassins versants. ●

[email protected] IRD, UMR G-eau (IRD, AgroParisTech,Cemagref, Cirad Montpellier, IAMM,SupAgro Montpellier)

Prouesses et faiblesses des petits barragesProuesses et faiblesses des petits barrages

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Fondation Prince Albert II, l’Agence Interna-tionale à l’Energie Atomique, les projets euro-péens MedSea et Epoca, l’Université dePlymouth (GB).3. Le pH mesure l’acidité d’une solution. Plusil est bas, plus l’acidité est élevée. Le pH nor-mal de la mer Méditerranée est de 8,1, doncbasique.

[email protected] UR Biocomplexité des écosystèmescoralliens de l’Indo-Pacifique,Riccardo [email protected]é de Plymouth

Sans atteindre les performances escomptées par leurs promoteurs, les petits barrages sub-sahariens jouent un rôle irremplaçable pour les sociétés rurales ouest-africaines, grâce à la multiplicité de leurs usages.

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Sciences au Sud - Le journal de l’IRD - n° 61 - septembre/octobre 2011

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chez le chimpanzé, les recherches se sontintensifiées chez les primates non-humains pour connaître la filiation de P. falciparum. Récemment une étude asuggéré son ascendance chez le gorille3

mais cette hypothèse est maintenant dis-cutée suite à la découverte de cetteespèce chez un primate non hominidé4,le cercopithèque « hocheur à nez blanc »(Cercopithecus nictitans). Ce qui porte à7 le nombre d’espèces plasmodiales présentes dans la lignée Laverania et à 3 variants de P. falciparum [voir figure ci-contre].« La présence de ce dernier chez un singeéloigné d’Homo sapiens prouve qu’il est un parasite opportuniste et que sagamme d’hôtes potentiels a pendantlongtemps été largement sous-estimée,explique Franck Prugnolle, biologiste dela même équipe. N’apparaissant doncplus comme spécifique aux grands pri-mates, ce parasite peut très bien infecter d’autres espèces que ce cercopi-

L orsqu’il vous parle d’arbre,Patrick Durand, chercheur auCNRS1, ne fait pas allusion à ceux

dans lesquels évoluent les singes étudiéspour la récente publication dans les Proceedings of the national academy of sciences (USA). Il évoque l’arborescencede la lignée Laverania. Celle-ci rassembleles différentes souches du Plasmodiumfalciparum – ennemi numéro 1 des spé-cialistes du paludisme – et de ses cousins.Dans ce domaine qui a déjà connu pasmal d’effervescence ces deux dernièresannées, l’annonce de la découverte chezun petit singe d’un de ces parasites appa-rentés à celui qui cause, chez l’Homme,un million de morts par an, fait figure decoup de théâtre. Et pour cause, les pre-mières études moléculaires attribuaientl’origine du parasite humain et de son« cousin » infestant les chimpanzés2 auxlignées des Plasmodium d’oiseaux et dereptiles, voire à celle des rongeurs. Depuisla découverte, en 2009, de P. gaboni

Les forêts tropicaleshumides viennent du Nord

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Arbre phylogénétique de la lignée Laverania basé sur l’analyse deséquences d’ADN mitochondrial de 7 espèces plasmodiales. Dans la loupe,les variants de l’espèce Plasmodium falciparum, la seule à être présentechez des primates humains et non-humains.

L es forêts tropicales humidesabritent plus de la moitié desespèces végétales et animales

de la planète. Pour autant, les origines dece trésor de biodiversité restent malconnues. « Où et quand cet écosystèmeest-il apparu ? », se sont interrogés Tho-mas Couvreur et ses partenaires anglais1.Bousculant les idées établies, les cher-cheurs viennent de montrer que lesforêts humides n’ont pas toujours pousséen dessous de l’équateur : « elles se sontprobablement formées dans l’hémi-sphère Nord, en Laurasie, l’ancien super-continent qui réunissait l’Amérique duNord, l’Europe et l’Asie actuelles »,déclare le biologiste. Comme le révèle lanouvelle étude, ces forêts sont nées voilà

plus de 100 millions d’an-nées, soit au milieu duCrétacé – la période géo-logique qui s’est achevéeavec la disparition desdinosaures –, et non il y a

seulement entre 55 et 65 millions d’an-nées selon l’hypothèse prédominantejusque-là. « Or à cette époque plus recu-lée, le climat était trop chaud et trop secpour elles sous les tropiques », expliquele spécialiste. Elles ne migreront vers lesud que quelques millions d’années plustard, au gré des changements paléocli-matiques influencés entre autres par ladérive des continents.Pour remonter dans l’espace et dans letemps et combler les zones d’ombres,l’équipe de recherche s’est penchée sur lecas du palmier, symbole des écosystèmestropicaux. « Contrairement à une majo-rité d’espèces tropicales2, les palmiers ontlaissé des enregistrements fossiles assezimportants grâce à leur morphologie

très reconnaissable, indique ThomasCouvreur. Pour la première fois, nousavons reconstitué l’histoire évolutivecomplète de la famille. » Pour ce faire,tout d’abord, les scientifiques ont extraitdes fragments d’ADN de chaque genreconnu. Puis, grâce à une méthode dedatation moléculaire, c’est-à-dire baséesur l’évolution des séquences d’ADN cali-brées à l’aide des fossiles, ils ont datél’apparition des grandes lignées de cettefamille. « Les palmiers ont commencé àse diversifier il y a environ 100 millionsd’années, affirme le chercheur. Parcequ’ils sont quintessentiels aux forêts tropicales humides, on peut en déduirequ’elles étaient déjà en place à cetteépoque », conclut-il. Depuis, à l’inverse des forêts tempérées,elles n’ont jamais complètement dis-paru, se repliant par exemple dans deszones refuges lors des dernières glacia-tions il y a environ vingt mille ans. Unsanctuaire pour mille et une ressources

Le berceau des forêts tropicales humides est aujourd’hui remis en question.Des chercheurs viennent de montrer que les palmiers, caractéristiques de ces écosystèmes, ont commencé à se diversifier il y a environ 100 millionsd’années dans l’hémisphère Nord.

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vivantes accumulées au cours des millé-naires, qui font vivre aujourd’hui plus de300 millions de personnes en Afrique,en Amérique latine, en Asie et en Océa-nie. Mais en raison même des richessesqu’elles procurent, ces forêts sontaujourd’hui menacées par l’exploitationhumaine. ●

1. Ces travaux ont été réalisés en partenariatavec le New York Botanical Garden aux États-Unis et le Royal Botanic Garden au Royaume-Uni.2. Les lacunes dans les enregistrements fossilesdans les tropiques sont dues à la chaleur et àl’humidité qui décomposent très rapidement lamatière organique et sont défavorables à la fos-silisation.

[email protected] UMR Diversité, Adaptation, Développement des plantes(IRD / Université Montpellier 2)

déterminer ce qui fait la spécificité dePlasmodium falciparum, en particulier savirulence chez l’Homme. Ces nouvellesconnaissances seront un apport nonnégligeable dans la lutte contre le palu-disme. ●

1. UMR Mivegec.2. Plasmodium reichenowi.3. Sciences au Sud n° 544. Les hominidés rassemblent l’Homme, le chim-panzé commun, le chimpanzé nain (bonobo), legorille et l’orang-outang. 5. P. falciparum et P. reichenowi.

[email protected] [email protected] Mivegec (CNRS-IRD-Université de Montpellier I), équipe Génétique et Adaptation des Pathogènes

Et de 7 ! C’est désormais le nombre d’espèces de l’agent principal du paludisme infectant les hominidés.Jusqu’à ce que les chercheurs en débusquent d’autres…

Actu

alités

La parentèle de l’agentdu paludisme s’agrandit

thèque. » Cette étude, réalisée avec leCentre international de recherchesmédicales de Franceville (Gabon), portait sur 338 singes gabonais de 10 espèces différentes. L’élargissementde l’échantillon réserve peut-être d’autressurprises…Si la phylogénie des espèces plasmodialeschez les primates s’affine, des hypo-thèses concernant la transmission entresinges et hommes – et inversement – res-tent à explorer. Quels sont les vecteursimpliqués ? L’équipe s’attelle à cettequestion, entre autres. Pour aller plus loindans la compréhension de l’adaptationdu parasite à ses différents hôtes et vec-teurs, les chercheurs doivent séquencerl’ensemble des génomes des espèces dela lignée Laverania. Leur comparaisonavec ceux déjà publiés5 permettra de

P a l u d i s m e

À la recherchedes plantesoubliées« L’industrie pharmaceutique est denouveau en panne », s’inquiète leparasitologue Eric Deharo face àl’émergence de nouvelles résistancesaux traitements du paludisme. Jusque-là le phénomène avait épar-gné les dérivés à base d’artémisi-nine1, les traitements les plusefficaces et les plus répandus aujour-d’hui. Mais Plasmodium falciparum,le parasite responsable, a su une nou-velle fois déjouer les médicaments dedernière génération, notamment enGuyane et en Asie où des formesrésistantes ont récemment été identi-fiées. Devant cette fatalité – et en l’absencede vaccin –, le chercheur et ses col-lègues2, dans une étude publiée dansMalaria Journal3, encouragent à revi-siter les pharmacopées tradition-nelles. « Nous devons aller chercherle produit ’’à côté’’ du produit, c’est-à-dire les molécules qui amplifientl’activité des substances antiparasi-taires présentes dans la plante »,explique Eric Deharo. De fait, il existe dans les extraits végé-taux bruts des composés sans effetantiparasitaire par eux-mêmes maisqui potentialisent les principes actifsde la plante. L’utilisation d’extraitsbruts, administrés sous forme deboisson ou encore de cataplasme,peut ainsi s’avérer plus efficace queles composés les plus actifs formulésen médicaments. Par exemple, le thé chinois préparétraditionnellement avec Artemisiaannua4 pour traiter les accèspalustres contient un total de94,5 mg/l d’artémisinine. Soit seule-ment 20 % de la dose journalièreprescrite au cours des thérapies médicamenteuses recommandées.« Par conséquent, il faudrait boire 8 litres de tisane quotidiennementpour absorber autant d’artémisininequ’avec un traitement classique…,illustre Eric Deharo. Autrement dit, il est clair que des composés dans le remède naturel jouent un rôlesynergique fondamental pour sonefficacité. » « Ce sont ces éléments a priori ’’inactifs’’ qui, ajoutés aux composésantiparasitaires, font la force des traitements dits traditionnels, pour-suit Geneviève Bourdy, égalementchercheure à l’IRD et co-auteure deces travaux. La recherche de cessynergies ouvre des pistes thérapeu-tiques inédites », conclut-elle. Lebesoin de nouvelles molécules activescontre P. falciparum est constant. « Pour cela, les plantes et les mé -decines ancestrales recèlent unpotentiel énorme », rappellent lesscienti fiques dans la présente étude.90 % de la flore mondiale restentméconnus. Un véritable vivier théra-peutique qui demeure largementinexploité. ●

1. Molécule active contre le parasite dupaludisme extraite d’une plante chinoise,Artemisia annua. 2. Cette étude a été co-éditée avec desscientifiques de l’Africa Network for Drugs& Diagnostics Innovation, de l’Universitéd’Oxford, de la fondation Medicines forMalaria Venture et de l’Université de CapeTown en Afrique du Sud. 3. Malaria Journal, 2011. 4. La plante chinoise dont est issue l’arté-misinine.

[email protected]@ird.fr UMR Pharmadev (IRD / UniversitéPaul Sabatier, Toulouse 3)

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Sciences au Sud - Le journal de l’IRD - n° 61 - septembre/octobre 2011

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Alimentation et santéen méditerranée Uniformisation des modesde vie, montée de l’obésité,politiques de santé, paysdu Sud… Entre idéesreçues et réalités deterrain, deux études encontexte méditerranéenapportent des réponsesnuancées.

D ’après l’Organisation mon-diale de la santé (OMS), àl’échelle du globe, le nombre

de cas d’obésité a doublé depuis 1980.Les pays émergents ne sont pas épar-gnés : en 2010, respectivement 51 %et 62 % des adultes marocains et tuni-siens de plus de 30 ans étaient en sur-poids. Pourtant, ces deux pays n’ontaucun plan national de lutte contre cefléau. Pour autant, cette maladie dusiècle n’est pas une fatalité. De 2007 à2011, le projet OBE-Maghreb1 s’est atta-qué à la question. Pour enrayer cetteépidémie aux multiples causes, diffé-rentes actions sont envisageables. Afinde définir l’éventail des stratégies opti-males pour prévenir l’obésité dans lesdeux pays méditerranéens, les parte-naires2 du projet se sont appuyés surune méthode dite « multi-criteria map-ping3 ». Développé à l’université duSussex, cet outil innovant est utilisépour la première fois dans le contextede la nutrition au Sud. Elle donne laliberté aux participants d’inclure autantde critères de choix qu’ils le souhaitent,de leur attribuer une importance puisd’évaluer la performance des optionsproposées en donnant des notes selonles différents critères. « L’interviewé estassis sur le siège du conducteur »,résume d’une manière imagée FrancisDelpeuch, nutritionniste à l’IRD. Ce projet tripartite a mobilisé plus de80 interlocuteurs de tous les secteursde la société : services de l’État, ensei -gnes médicales, agro-industrie, éduca-tion, médias, planification urbaine,organisations non gouvernementales.Parmi la trentaine de mesures propo-sées par l’OMS, douze options de poli-tique publique ont été présélectionnées

par les équipes de recherche nationalespuis présentées aux différents groupesd’intérêt. Certaines d’entre elles relè-vent du niveau collectif : « Renforcer etréviser les thèmes de l’alimentation etde la nutrition dans le cursus scolaire. »D’autres sont individuelles : « Promou-voir l’activité physique par des change-ments dans les politiques d’aména gementet de transport. » Au terme de l’enquête et de son ana-lyse, les premiers résultats se dévoilent4.« Un consensus se dégage autour des stratégies en aval telles que l’éduca-tion à la santé plutôt que celles enamont qui viseraient à agir sur lesenviron ne ments dits obésogènes (menusscolaires, contrôle des publici tés, encou -ra gement à l’activité physique) », livreMichelle Holdsworth, nutritionniste àl’IRD. Avec toutefois des nuances reflé-tant les contextes socio-économique,politique et culturel différents. En Tunisie, les interlocuteurs savent quela mise en place de mesures en amontest inévitable. « Les participants maro-cains ont mis l’accent sur le fait que laprise de conscience dela popu lation et des pro-fessionnels du domaineest cruciale pour obtenirle soutien politiquenécessaire pour agir »,souligne Abdellatif Bour,chercheur marocain etcoordinateur Sud duprojet. Un constat par-tagé par Jalila El Ati,chercheuse tunisienne,pour laquelle « Convain -cre les autorités encharge de ces politi - ques de santé d’établir

A m é r i q u e l a t i n e

Les stigmates de l’esclavage

D ans les pays du Sud, la façon de se nourrir subit la mondialisation, commed’autres composantes culturelles. Il est fréquent d’entendre que l’alimen-tation « moderne » serait moins bonne pour la santé que son pendant

traditionnel idéalisé… Une récente étude menée par l’IRD et trois institutions tuni-siennes1 auprès d’adolescents pondère cette vision. « Bien que certains change-ments de mode de vie et de régime alimentaire soient souvent associés à desrisques plus élevés de maladies chroniques2, la modernisation de l’alimentation n’apeut-être pas que des effets négatifs », soulignent Pierre Traissac, biostatisticien àl’IRD, et les co-auteurs de l’étude3.Les résultats de l’enquête de consommation alimentaire4 montrent effectivementque ce nouveau régime peut apporter certains bénéfices. De fait, l’évolution del’alimentation est associée à des caractéristiques nutritionnelles contrastées. Lesunes sont plutôt favorables : diminution des lipides totaux, augmentation du calcium et de la variété des aliments. Les autres augmentent le risque de maladieschroniques : accroissement de l’énergie totale, des sucres simples, de la proportiond’acides gras saturés et diminution des fibres, de la vitamine C.Certes près d’un adolescent sur cinq est en surpoids. En effet, les calories absor-bées par les deux sexes excèdent largement leurs besoins. Et à peine plus d’un tiersdes sujets a une alimentation considérée comme de « bonne qualité5 ». Pour aller plus loin que ces tendances partagées par l’ensemble de la populationenquêtée, l’analyse des profils alimentaires par différentes méthodes statistiquesfait apparaître un gradient de « modernité ». À l’un des extrêmes se situe unrégime plutôt traditionnel riche en légumes, graines légumineuses et huile tandisqu’à l’autre se trouve un régime modernisé plus riche en pain blanc, produitssucrés (sodas), fruits et produits laitiers. Ceci signifie que coexistent au sein de lapopulation une variété de régimes et que les nouveaux « modes » alimentaires nesont pas partagés par tous. De fait, le régime alimentaire est d’autant plus moder-nisé en milieux urbains ou plus favorisés. Autre fait marquant, les individus de sexeféminin et masculin ne sont pas égaux face à ces différences. Plus leur alimenta-tion est de type « moderne », plus les garçons sont corpulents, ce qui n’est pas lecas des filles. Pour celles-ci, au contraire, cela semble diminuer les risques d’hyper-tension artérielle.« Reste que ces futurs adultes risquent, davantage que la génération précédente,de développer ces maladies dites de civilisation », indique Pierre Traissac. Comment dans ce cas contrecarrer les effets néfastes de ces changements ali -mentaires ? Une piste à creuser pour les chercheurs et les acteurs en santépublique. ●

1. Institut national de santé publique (INSP, Tunis) ; Institut national de nutrition et de technologie ali-mentaire (INNTA, Tunis) ; ministère de la Santé publique (Tunisie).2. Obésité, hypertension, diabète, pathologies cardiovasculaires, cancers.3. Hajer Aounallah-Skhiri (INSP) et Jalila El Ati (INNTA). 4. Auprès d’un échantillon de plus de 1 000 adolescents tunisiens de 15 à 19 ans.5. Cet indice international descriptif est basé sur quatre composantes (variété des sources de pro-téines, adéquation des apports en fibres et certains nutriments, modération de la consommation enlipides saturés et en sucres, équilibre des acides gras). Le DQI va de 0 à 100. Une alimentation consi-dérée comme de bonne qualité obtient un score supérieur à 60.

[email protected] UMR Nutripass

été dominés par les problèmes concer-nant les populations indiennes. Encontraste, les Afrodescendants n’avaientpas de réelle visibilité il y a encorequelques années », affirme ElisabethCunin, coordinatrice du programmeAfrodesc1 qui se clôture fin 2011. Lesactivités de ce projet international,porté par l’ANR et l’AIRD, sont menéesdepuis 2008 en étroite collaborationavec le programme européen Eurescl2,coordonné pour l’IRD par Odile Hoff-mann. Il regroupe plusieurs universitéset organismes engagés dans larecherche sur l’esclavage et ses consé-quences sur les sociétés contempo-raines. Dans ce cadre, Elisabeth Cuninétudie avec ses partenaires mexicains,colombiens et français3 la constructionhistorique et identitaire des populationsnoires, issues de vagues migratoiressuccessives. Dès le XVIe siècle, les navires négrierssillonnent l’océan Atlantique afin d’as-surer le sinistre commerce triangulaireentre l’Europe, l’Afrique et les Amé-riques. Des siècles de traite déportentdes millions d’Africains outre-Atlan-tique, essentiellement aux États-Unis,en Amérique du Sud et dans la Caraïbe.« Après les abolitions, si les descen-

dants d’esclaves sont désormais libres,la terre, l’emploi, l’éducation et autresressources leur demeurent inacces-sibles », explique la sociologue. Uneseconde vague de migration se produiten Amérique centrale. « De la fin duXIXe à la moitié du XXe siècle, de nom-breux Afrodescendants vont migrerdepuis les Antilles mais aussi du conti-nent – Belize et Honduras – vers lesgrands pôles d’emplois sur le pourtourde la mer Caraïbe : bananeraies, Canalde Panama, exploitation forestière,construction ferroviaire, etc. », racontela chercheure.La « deuxième diaspora » qui en naîtramet en lumière de nouveaux processusd’inclusion et d’exclusion, d’interactionentre différentes générations de popu-lations noires, etc. L’histoire complexede ces communautés dans cette région – « qui la distingue du reste ducontinent latino-américain », affirme laspécialiste – révèle que pour cette der-nière diaspora des Afro-antillais, « l’es-clavage devient une référence parmid’autres ». Si le racisme et la discrimination persis-tent, héritage de l’époque esclavagiste,ils n’interdisent pas l’apparition deformes inédites d’identification et d’ap-

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partenance. Au-delà de la victimisation,les travaux d’Afrodesc et Eurescl ontainsi contribué à faire émerger cesquestions sur la scène publique. ●

1. Afrodescendants et esclavages : domina-tion, identification et héritages dans lesAmériques (XVe-XXIe siècles).2. « Slave Trade, Slavery, Abolitions and theirLegacies in European Histories and Identi-ties » (7e programme-cadre de recherche etde développement – PCRD).3. Centre d’Études Mexicaines et Centramé-ricaines (CEMCA), Instituto Nacional deAntropología e Historia (INAH), Centro deInvestigación sobre América Latina y elCaribe (CIALC) de la Universidad NacionalAutónoma de México (UNAM), Centro deInvestigaciones y Estudios Superiores enAntropología Social (CIESAS) au Mexique,l’Universidad de Cartagena en Colombie, leCNRS, l’Université de Nice, l’Université Paris Diderot et le Centre International deRecherche sur l’Esclavage (CIRESC) enFrance.

[email protected]@ird.frUMR Urmis (IRD / Université ParisDiderot - Paris 7 / Université de NiceSophia Antipolis)

les Afrodescendants font aujourd'hui partie des plus pauvres de la sociétéen Amérique du Sud.

Stratégies contre l’obésité

Les ados du Sud face auxchangements alimentaires

L ’« Atlantique noire », commeon appelle la diaspora née de latraite des esclaves d’Afrique

vers le Nouveau Monde, est au cœurdes débats au Mexique et en Amériquecentrale : problèmes d’insertion socialeet de citoyenneté, enjeux de la défi -

nition d’identités nationales métisses… « Contrairement au Brésil et à laColombie, emblèmes du multicultura-lisme, la ‘’question noire’’ dans les paysde l’isthme centraméricain et auMexique a peu mobilisé jusque-là lespolitiques. Les débats y ont longtemps

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Snack en Tunisie.

Une collaboration franco-mexicano-colombienne contribue à mettre la « question noire » sur le devant de la scène enAmérique centrale et au Mexique.

des priorités d’actions sera une étapeclé. » ●

1. « Comprendre la transition nutritionnelle auMaghreb pour contribuer à la prévention del’obésité et des maladies non transmissiblesassociées », programme Corus « Coopérationpour la recherche universitaire et scientifique »du ministère français des Affaires étrangères eteuropéennes.2. Université Ibn Tofaïl de Kénitra (Maroc), Insti-tut national de nutrition et de technologie alimentaire (Tunisie), université de Nottingham(Angleterre), IRD.3. Méthode multicritères qui permet de comparerdes options de stratégies comme réponses poten-tielles à des problèmes complexes et controver-sés. Les résultats sont présentés sous forme degraphique qui offre une image synthétique despréférences et priorités des acteurs clés.4. Ateliers de délibération et de restitution :Tunisie (juillet 2010), Maroc (novembre 2011).

[email protected] [email protected] Nutripass « Prévention des malnutritions et des pathologies asso-ciées » (IRD / Université Montpellier 2 /Université Montpellier 1)

savons aujourd’hui que notre révolutionverte ne pourra pas être la même quecelle d’Asie. Il n’y a pas en Afrique unesolution unique comme avec le riz, carles produits de consommation de basey sont différents et les technologiesdevront en conséquence être adaptées.Une autre question essentielle se poseautour du financement du secteur agri-cole. Quand nos gouvernements n’aug-mentent pas les fonds dévolus àl’agriculture cela implique que le soutienvient de bailleurs de fonds extérieurs. Orces derniers, souvent, ne peuvent soute-nir leur effort plus de 3 à 4 ans. Et laréduction de leur aide implique unediminution significative de la productionagricole. Cela a été le cas du Malawi oudu Niger. Et cela explique en partie cequi se passe aujourd’hui dans la Cornede l’Afrique. Si nous sommes capablesde nous remonter les manches, de nouscoordonner et de mettre en place lesmesures nécessaires, nous relèverons lesdéfis de demain. N’oublions pas quel’Afrique dispose de terres cultivables.Qui plus est, elle détient dans ses solsdes minéraux majeurs (charbon, dia-mant, etc.) dont le fruit de la ventepourrait partiellement contribuer àinvestir dans la sécurité alimentaire.SAS : Plus globalement, quelle ana-lyse faites-vous des causes de cettefamine dans la Corne de l’Afrique ?M. J. : La situation dans la Corne del’Afrique était en gestation depuis long-temps. Elle illustre un état d’esprit que jecritique depuis maintenant assez long-temps. Il consiste à attendre qu’unecrise éclate avant d’intervenir pour yremédier. Cette région du monde aconnu la pire sécheresse en 60 anscaractérisée par deux années consécu-tives de précipitations très faibles et irré-gulières. Cette situation, en partie liéeau changement climatique, est arrivée

M ontpellier s’affirme un peuplus aujourd’hui qu’hiercomme l’une des capitales

de la recherche agricole pour le dévelop-pement. Elle vient en ce sens d’accueillirla première conférence en la matièredans le cadre du G20. En marge de cetteréunion un accord vient d’être signé ins-tituant le Consortium du CGIAR1, dont lesiège est dans la ville héraultaise, enOrganisation internationale. Le CGIAR ainsiréformé prendra toute sa mesure pourassurer un rôle déterminant dans la mise en place et l’exécution de pro-grammes mondiaux de recherche desti-nés à répondre aux principaux défis enmatière de sécurité alimentaire, de luttecontre la pauvreté rurale ou encore degestion durable des ressources naturelles. Plusieurs avancées significatives ont mar-

� Suite de l’interview de Monty Jones

La recherche agricole pour le développement à l’honneur au G20

qué cette manifestation. Le G20 s’en-gage dans la dynamique de concertationmise en œuvre dans le cadre de laConférence mondiale sur la rechercheagricole pour le développement (CGIARD)organisée par le GFAR2 et le CGIAR tous lesdeux ans. La dimension partenariale étaitégalement au cœur des ambitions decette conférence. De fait, il s’avèrenécessaire de développer des partena-riats innovants, comme les coopérationstriangulaires et les partenariats publicsprivés, sur la base de l’engagementvolontaire des pays du G20. Construireet se doter d’outils de prospective repré-sente un autre des enjeux de ces jour-nées. La proposition de mise en placed’une plate-forme sur l’agriculture tropi-cale, dévolue au renforcement des capa-cités des acteurs du Sud et au service de

formation à distance et de partage d’in-formation, a ainsi été adoptée. Quant àla proposition de mise en place d’uneplate-forme neutre visant à échanger surles exercices de prospective mondiale,sous la responsabilité, elle a trouvé unlarge soutien. À l’heure où la Corne de l’Afrique vit une grave crise de famine, la sécurité alimentaire pourrait constituer l’une despriorités du sommet du G20 à Cannesen novembre prochain. Les messagesenvoyés depuis Montpellier devraient ytrouver un écho positif. ●

1. Consortium du Groupe consultatif de larecherche agricole internationale.2. Forum mondial de la recherche agricole.

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sieurs volets, l'un consacré à la recherchesur l’environnement et les traditionslocales, l’autre à des actions d’aménage-ment et le dernier à la diffusion desconnaissances et à la formation des col-lectivités locales. « Ce géant africain, comme de nom-breux autres cours d’eau dans le monde,va connaître de profonds changementsdans les prochaines décennies, notam-ment en raison de l’anthropisation desbassins versants et la construction degrands aménagements hydrauliques »,explique Emmanuelle Robert, la coor-donnatrice du projet à l’Unesco. Les partenaires impliqués s’emploient à anti-ciper ces bouleversements prévisibles oupour le moins à déterminer leur impactsur le milieu naturel et leurs consé-quences sur la vie des riverains. Les trans-formations à venir pourraient égalementcompromettre le riche héritage culturelde la région et le projet s’emploie à lepréserver. Le Niger est le creuset desgrandes civilisations d’Afrique de l’Ouestet le lieu d’émergence de valeurs socialeset de formes culturelles exceptionnelles,

Un partenariat originalassocie les collectivitéslocales du Niger et de laLoire pour préserver le patrimoine du grandfleuve africain.

D éfiant la géographie, deuxgrands fleuves coulant sur descontinents distincts peuvent

finir par se rencontrer ! Il en va ainsi duNiger et de la Loire, dont les collectivitéslocales respectives se sont rapprochéeset collaborent depuis plusieurs années,sous l’égide de l’Unesco, avec le soutiende l’Union européenne et l’appui scienti-fique de l’IRD. Ce partenariat inédit vise à préserver le patrimoine du troisièmefleuve africain, mis à l’épreuve par lapression anthropique et les aménage-ments, et à conserver les pratiques cultu-relles qui lui sont associées. Le projet,logiquement baptisé « Niger-Loire : gou-vernance et culture », comporte plu-

De la Loire au Niger

qu’il faut protéger et valoriser. L’expé-rience acquise en la matière par la régionde la Loire, partenaire du projet, pourraitservir l’éventuelle inscription d’une partiedu fleuve Niger sur la liste du patrimoinemondial, une démarche de conservationsérieusement envisagée par les autoritésmaliennes. Les résultats des recherches, impliquantdes organismes nationaux et des univer-sités des deux continents1, bousculentquelques idées reçues. « Le creusementdu fleuve mis en évidence sur près de150 km autour de Bamako va à l’en-contre de son ensablement généralisépourtant perçu comme une évidence »,rapporte-t-elle. Ils révèlent aussi que les petits aménagements hydrauliques villageois, l’irrigation individuelle, la miseen culture de nouveaux versants, ledéveloppement du réseau routier et demanière générale l’anthropisation desbassins versants auront probablementautant d’impact que les grands barragessur les écoulements. Enfin, ils laissentsupposer que la modification desrégimes hydrologiques d’origine anthro-pique pourrait à terme être plus impor-tante dans la région que les éventuelseffets du changement climatique global.L’objectif central du projet « Niger-Loire » étant d’améliorer la gouvernancelocale du fleuve, les résultats des travauxscientifiques ont été largement diffusésauprès des décideurs et des communau-tés concernées. Des actions de forma-tion et de transferts de compétence, desopérations pratiques, comme l’aména-gement de sites riverains, sont venuescompléter les réalisations de ce partena-riat décentralisé original. ●

1. Directions de l’hydraulique du Mali et deGuinée, universités de Bamako, de Lyon, deNanterre et de Tours.

ContactsEmmanuelle [email protected], Centre du Patrimoine Mondial [email protected] G-eau (IRD, AgroParisTech, Cemagref, Cirad Montpellier, IAMM, SupAgro Montpellier)

On code bien les poissons…Une initiative franco-indonésienne vise à constituer une librairie de référence adn des poissons d’eau doucede l’archipel.

I dentifier grâce à leur code génétique l’en-semble des espèces vivantes, de la bactérieà la baleine en passant par les algues et les

baobabs, c’est le projet audacieux lancé depuis2003 par des chercheurs de l’université deGuelph au Canada1. Constatant que les taxono-mistes mettent plus de temps à décrire lesespèces que celles-ci à disparaître, cette équipepropose une nouvelle méthode d’identificationet de caractérisation de la biodiversité. Baptisée barcoding en anglais, elle repose sur lareconnaissance chez les animaux d’une séquence ADN2 assimilée à un code-barres. Cetteséquence, généralement différente d’une espèce à l’autre, permet d’identifier celles-cidans près de 90 % des cas. « Ce traceur d’espèces est un fragment du génome mito-chondrial, plus accessible et évoluant plus vite que l’ADN contenu dans le noyau des cellules », précise Nicolas Hubert, généticien à l’IRD. Avec ses collègues indonésiens de l’Institut des Sciences, ce jeune chercheur participe à l’effort international au traversde la constitution d’une librairie de référence de séquence d’ADN pour l’ensemble des espèces de poissons d’eau douce de l’archipel indonésien. Cette initiative devraitcouvrir l’ensemble des 1 200 espèces d’eau douce du pays à l’horizon 2016-2018. L’objectif est ici de développer de nouveaux outils d’identification pour la gestion des res-sources piscicoles. « En effet, chez les poissons, la complexité des changements morpho-logiques au cours du cycle de vie rend l’identification morphologique jusqu’au niveau del’espèce impossible dans de nombreux cas », explique Nicolas Hubert. Ce projet permet-tra également de constituer un Conservatoire des ressources génétiques pour l’ensemblede ces espèces dont certaines sont actuellement fortement menacées par la déforesta-tion et la surexploitation. Le Research Center for Biology abritera cette collection de tis-sus qui aura pour vocation de stocker durablement l’ADN de ces poissons afin de préserverleur diversité génétique avant sa disparition. « Les poissons d’eau douce de l’archipelindonésien hébergent de nombreuses espèces endémiques vulnérables ainsi que desespèces d’importance économique de premier plan pour la consommation, tels que lespoissons chat du genre Pangasius, ainsi que les poissons inféodés aux rivières de forêt,très prisés des aquariophiles. Au regard de la biodiversité marine de l’archipel, il est envisagé d’étendre cette approche aux poissons marins d’intérêt commercial », conclutle chercheur. ●

1. 27 nations participent au projet « International Barcode of Life » (iBOL), http://ibol.org/2. 650 paires de bases.

[email protected] UMR ISE-M (IRD / Université Montpellier 2 / CNRS)

Rives du fleuveNiger au Mali.

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Pays membres duG20, organisations internationales et organismes de recherche français dont l’IRD

étaient réunis débutseptembre pour la Conférence sur la rechercheagricole pour ledéveloppement duG20 à Montpellier.

dans une sous-région où la résiliencedes populations à ce type de chocs a étécontinuellement érodée en particulieren Somalie, pays sans gouvernementfonctionnel depuis des décennies. Dansce dernier l’insécurité y a d’ailleurs exa-cerbé la situation. Reste que les effets du changement cli-matique ne sont pas la cause principale.De mon point de vue, la situation estplutôt liée à la négligence persistante dusecteur agricole par les gouvernements.Les statistiques du développement agri-cole et de l'investissement y sont parmiles pires en Afrique avec par exempleseulement 1 % des terres cultivées irri-guées, contre 7 % sur le continent.Il y a de très bons systèmes d’alerte danscette région. Toutefois leur existence etleur utilisation n’ont pas empêché lacrise. Il en ressort que la précocité d’unealerte n’est d’aucune utilité si elle n’im-plique pas une action rapide.SAS : Assiste-t-on à un réengage-ment fort au plan internationalpour l’agriculture des pays en voiede développement ?M. J. : Absolument ! La communautéinternationale a manifesté son engage-ment en faveur de l’agriculture dans lespays en voie de développement, suite àla crise de 2007-2008 qui a contribué à recentrer l’attention sur ce secteur.Cet engagement accru s’incarne dansla déclaration de l’Aquila par le G8 en2008 et d‘autres en 2009. Nous nousfélicitons de l’augmentation du soutienet de l’engagement qui a été pris parles partenaires du développement àprotéger les budgets en particulier ceuxalloués à l’agriculture. J’invite les paysbailleurs de fonds et les fondations àconsolider leur engagement en faveurde ce domaine dans les pays en déve-loppement et à fournir un soutien surle long terme. ●

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Géo-référencement des obser-vations de terrain, imagerieaérienne ou satellite, base de

connaissances spatialisées, les pro-grammes de recherche intègrent tou-jours plus d’outils géographiquessophistiqués. Ce saut technologique,déjà effectué par les équipes derecherche du Nord où l’on dispose dematériel et de compétences partagées,reste à accomplir dans certains pays duSud et particulièrement en Afrique sub-saharienne. Afin de former ses parte-naires scientifiques à ces nouvellestechniques et aux logiques de travailqui les accompagne, l’IRD organisedepuis plusieurs années des formationsspécifiques. « Il s’agit d’accompagnerun bouleversement dans la place de lagéographie, explique Marcia Regina DeAndrade Mathieu, la responsable duservice cartographique de l’institut etinitiatrice de ce projet. Avant, les scien-tifiques venaient nous voir pour établirdes cartes ou des atlas à la fin de leurs

recherches, maintenant ils doiventapprendre à intégrer la dimension géo-graphique dès la conception de leurprogramme. » L’objectif de cette initia-tive, qui vise explicitement au renforce-ment des capacités scientifiques, est de familiariser les chercheurs du sud àl’approche géomatique et à ses outils.« Nous comptons beaucoup sur la dif-fusion des connaissances au sein desprogrammes de recherche, pour décu-pler la portée de nos enseignements etcombler le fossé technologique quisubsiste surtout en Afrique », précise-t-elle. Le cursus est organisé conjointementavec l’École nationale des sciences géo-graphiques, la grande école de l’IGN1. Ilest formaté autour d’un module dequarante heures pour être validabledans le cadre de la formation universi-taire. Il comporte un contenu théo-rique, délivré par les enseignants del’École, une partie pratique et une par-tie terrain, toutes deux assurées par

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De la théorie à la pratiqueL’objectif final de cette formation estsimple : apprendre à utiliser un sys-tème d’information géographique(SIG), du terrain à la restitution sur undocument cartographique… « Il s’agitd’acquérir toutes les connaissancesnécessaires à la maîtrise de la chaînede traitement des données géogra-phiques », précise Rainer Zaiss, le formateur de l’IRD en charge desenseignements pratiques. Et celacommence avant tout par un rappelthéorique des notions élémentairesde géodésie : comment localise-t-onune information sur la surface ter-restre, que sont les coordonnées géographiques de référence, les coor-données cartésiennes, etc. Ensuite,vient un volet plus pratique, dans

lequel les participants apprennent à collecter des données géographiques sur le terrain et à géo-localiser des informationsscientifiques. « On explique, appareil en main, l’usage d’un GPS, raconte-t-il. Comment enregistrer les coordonnées géo-graphiques correspondant aux observations in situ, et réaliser les manipulations pour les intégrer ensuite sur la base de données du SIG. » Pour s’entraîner, les étudiants relèvent la topographie du campus de IRD France-Nord-Bondy et en dressent une carte précise. Enfin, la formation s’attache aux aspects généraux et aux modèles conceptuels des SIG, pourfamiliariser les jeunes chercheurs à l’intégration et au traitement d’informations des sources multiples, comme les donnéesgéo-référencées, la télédétection et les documents cartographiques numériques. « Nous leur apportons à la fois la maîtrisedes outils et la méthodologie pour entrer dans l’ère des SIG qui règne maintenant sur tous les programmes de recherche centrés sur l’homme et son environnement », conclut-il. ●

[email protected]

Du quotidienau destinLa maîtrise des SIG est un véritableatout scientifique selon les cher-cheurs qui ont pris part à la forma-tion organisée par l’IRD et l’ENSG.Ainsi, l’économiste de la santéGeorges Koné, interrogé en Haïti oùil mène des recherches pour Méde-cins du Monde, en est convaincu. « Je faisais partie de la premièrepromotion, explique-t-il, et lesconnaissances acquises m’ont servipour mes recherches dans le cadrede ma thèse et me sont toujoursprécieuses au quotidien pour mestravaux d’expertise. » Le jeune cher-cheur ivoirien a notamment contri-bué à établir, dans le cadre d’unprogramme sur le paludisme dansles quartiers populaires de Dakar, unatlas des risques en rapport avec lapauvreté et les facteurs environne-mentaux. Pour Daouda Kassié, qui a égale-ment participé à la première ses-sion, c’est presque une question dedestin scientifique. « Je sortais d’unmaster 2 de géographie de la santéà l’Université Paris X lorsque j’aisuivi la formation aux SIG. Elle m’adonné la vocation et les bases pourpoursuivre dans ce domaine. » Titu-laire depuis d’un troisième cycle engéomatique de l’Université Paris IPanthéon-Sorbonne, il a intégréune équipe de recherche du centred’épidémiologie sur les causes dedécès de l’Inserm. ●

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Volet pratique de la formation, les jeunes chercheurs apprennent à collecter des informations géo-localisées avec un GPS.

des formateurs de l’IRD. « Il ne s’agitpas de faire des spécialistes de la géo-matique, estime Marcia Mathieu, maisd’autonomiser les scientifiques dansleur démarche avec le numérique et la géographie. » Les enseignementssont sanctionnés par un diplôme, signé par l’École de l’IGN et par l’IRD, solen -nellement remis aux étudiants en présence des responsables des deuxinstitutions. Près d’une soixantaine dechercheurs, de doctorants et de post-doctorants ont d’ores et déjà pris partà l’une des quatre promotions de cetteformation créée en 2008 et sans équi-valent dans le monde de la recherchefrancophone.Concrètement, il faut savoir que lescandidatures sont nombreuses – il y enavait 140 pour la dernière promotion –et qu’il n’y a qu’une douzaine de placespar session. Les participants sont donctriés sur le volet. La sélection s’opèresur dossier. Le programme scientifiquequi les envoie doit assurer leurs frais

Sciences au Sud : Quelles sontaujourd’hui les attentes de l’Afriqueen termes de renforcement des capacités scientifiques ? Mahouton Norbert Hounkonnou : Prioritairement il s’agit de définir le sys-tème éducatif capable de répondre auxbesoins des pays et de leurs populations.En même temps, il faut aussi garantir auxchercheurs la possibilité de contribuer à lacréation et au développement du patri-moine scientifique universel. Ensuite, il est nécessaire de déterminer les profils les mieux adaptés aux réalités socio-économiques de chaque pays et les sec-teurs où les capacités doivent être renfor-cées. Une telle vision nécessite l’existenced’une ferme volonté politique nationaleet l’implication des États pour apporter lesressources requises. Aucun développe-ment réel et durable ne peut se construireuniquement sur la base d’apports étran-gers sans une contribution substantielledes pays eux-mêmes. Contrairement auxidées répandues, je suis convaincu quenos pays peuvent trouver les moyens definancer l’éducation et la recherche scien-tifique, et donc leur développement, s’ilsle désirent et en font une priorité. Cesmoyens existent, c’est le problème de leurjuste utilisation qui se pose.

SAS : Cela soulève la question desmoyens humains : on assiste pourcertains pays du Sud à un retour des cerveaux. Que pensez-vous de ce phénomène ? M. N. H. : Le retour de la diaspora ne seraréellement effectif que lorsqu’un minimumaura été fait dans la résolution de nos pro-blèmes socio-économiques et politiques.Certains de nos compatriotes ont acquisdes diplômes et des compétences de hautniveau et n’ont pas de position profession-nelle stable. Une telle situation est peuvalorisante, voire humiliante pour eux. Jecrois qu’il y a réellement quelque chose àfaire avec eux : nos pays ont besoin deleurs compétences alors qu’ils sont sous-employés ailleurs. On pourrait imaginerleur retour uniquement à condition de leuroffrir des situations au moins égales àcelles qu’ils sont contraints de vivre ailleurs.

SAS : Comment alors encourager cesscientifiques à revenir et s’engagerpour le Sud et comment inciter les jeunes du pays à s’investir localement ? M. N. H. : Garantir de bonnes conditionshumaines et matérielles est primordial. Lesétudiants du Master MROPA nous confientd’ailleurs souvent qu’ils ont l’impression dene plus être en Afrique car cette formationdéfie ces difficultés. Ils n’avaient jamaisvécu cela auparavant et ils disent retrouverla passion et le goût du travail.Sur un autre plan, on se doit de maintenirles chercheurs dans un réseau dynamique.Rencontrer d’autres scientifiques du Nordet du Sud leur permet de partager desrésultats récents, de s’aguerrir et d’existerau niveau international. D’où l’importancede maintenir la tradition de l’organisationdes Conférences Internationales sur lesProblèmes Contemporains en PhysiqueMathématique (COPROMAPH) qu’on organisetous les deux ans depuis 1999. ●

[email protected]

Pour en savoir plushttp://www.cipma.netet http://www.uac.bj/cipma

3 questions à… Norbert Hounkonnou

Après unparcoursuniversitaire qui l’a mené en ex-URSS, en France puisen Belgique,Mahouton

Norbert Hounkonnou, chercheurbéninois, a choisi d’exercer dansson pays. Soutenu de 2008 à 2010dans le cadre d’un projet Peerspour l’aide à la mise en place du Master Régional d’Océano -graphie Physique et Applicationsen Afrique de l’Ouest, il estaujourd’hui président titulaire dela Chaire Internationale Unescoen Physique Mathématique etApplications. Il livre ici ses impres -sions notamment sur le renforce -ment des capacités en Afrique.

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Désormais, les donnéesscientifiques sur l’Homme,ses activités et sonenvironnement sontsystématiquement géo-référencées, comme ici dans le Haut-Atlas marocain. Les chercheurs doivent se former aux techniquespointues que cela suppose.

De la cartographie à la géomatique

Une formation, dispenséepar l’IRD et l’École nationaledes sciences géographiques,familiarise les chercheursdu Sud aux techniquesmodernes de géomatique.Unique dans le mondefrancophone, ce cursus leur apprend à manier GPS,SIG et données numériques de terrain.

de transport, et tout le reste – héberge-ment, restauration, enseignements etvalise pédagogique – est pris en chargepar l’IRD. Durant la formation, quis’étend sur une semaine, les étudiantssont accueillis et logés sur le campusIRD France-Nord. Ils peuvent ainsi sesoutenir mutuellement si nécessaire, etdévelopper leur réseau de sociabilitéscientifique. ●

1. Institut Géographique National.

[email protected]

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1973, transformant une grande partiede sa surface en marécage saison-nier. Pour combler ce déficit deconnaissances et évaluer les déclara-tions alarmistes sur sa disparitionprochaine, des hydrologues de l’IRD

ont développé un modèle mathéma-tique du lac. « Notre premier objectif,explique Jacques Lemoalle, a été dereconstruire l’évolution des surfaceset des niveaux du lac pour la période1957-2008 afin de bien définir sonétat actuel. Puis nous voulions éva-

ituation politique, crisehumanitaire ou troublesmilitaires, il n’a pas tou-jours été facile d’aller

observer le lac Tchad sur le terraindurant les dernières décennies. Parmalchance, c’est au moment où il évoluait de façon particulièrementimportante avec la sécheresse desannées 70 que les données sur sonniveau et sa surface font le plus défaut.Véritable mer intérieure, il a en effetconnu une transition spectaculaire en

luer l’impact d’événements clima-tiques et anthropiques sur son deve-nir. » Les scientifiques entendentanalyser les effets que pourraientavoir des modifications des apportsen eau, du fait d’un changement de lapluviométrie sur son bassin, de prélè-vements pour l’irrigation ou d’apportssupplémentaires fournis par untransfert entre bassins. Des projetsen ce sens, visant à irriguer de vastessurfaces agricoles ou à détourner unepartie des eaux du bassin du fleuveCongo via le Chari pour recharger lelac, sont actuellement envisagés parles autorités. « Basé sur un état initial défini grâceà des observations de terrain et desdonnées satellitaires, le modèle repré-sente l’évolution du lac jour aprèsjour, dans chacun de ses trois bas-sins », précise l’hydrologue Jean-Claude Bader. Le lac Tchad estalimenté à 90 % par les apports desrivières principalement par le Charipour 85 %, et pour seulement 10 %par la pluie à la surface du lac, 95 %des eaux se perdant en évaporation.Actuellement le lac est composé detrois bassins distincts – la cuvettenord, la cuvette sud et l’archipel –pouvant former un unique plan d’eauen période humide. Les deux premierssont alimentés par des cours d’eau,respectivement le Komadougou Yobé

Un modèle pour comprendre et prédire

Lac Tchad : vulnérabilitéd’une ressource partagée Lac Tchad : vulnérabilitéd’une ressource partagée

Observé du sol ou depuis l’espace, le lac Tchad apparaît comme un objet hydrologique étonnamment fluctuant,mosaïque de terres fertiles et d’eaux douces peu profondes aux usages multiples : pêche, élevage et agriculture

s’y imbriquent pour constituer un des milieux naturels parmi les plus productifs de l’Afrique sahélienne. C’est aussi un lac aux ressources en eau vulnérables, à la fois aux aléas climatiques mais aussi aux pratiques

agricoles intensives qui se développent sur son bassin versant.

Comprendre l’impact de ces usages sur les flux sédimentaires, mieux simuler la réponse du lac au climat,quantifier les ressources des aquifères sont parmi les prérequis scientifiques indispensables pour estimer

finement les conséquences de grands projets internationaux destinés à sécuriser le développement des régionsriveraines du lac. Ce dossier présente quelques-unes des recherches menées par l’IRD et ses partenaires

autour d’un lac devenu emblématique des changements environnementaux rapides en Afrique subsaharienne.

Guillaume Favreau, Jacques Lemoalle, Florence Sylvestre.

et le Chari. « Le modèle intègre lesdébits infiltrés et évaporés, les éven-tuels débordements et bien sûr lesapports en eau », détaille-t-il.Résultat, le modèle révèle les détailsdu fonctionnement du système etprouve que le lac, s’il connaît d’in-tenses fluctuations au fil du temps, nedisparaît pas. Les apports des coursd’eau varient beaucoup, avec unemoyenne annuelle de 28 km3 sur l’en-semble de la période. Mais un quart dutemps ils ont été inférieurs à 19 km3,ce qui correspond à un assèchementdu bassin nord. Le modèle montreégalement que la surface de marnagemaximale pour les cultures de décrue– 5 000 km2 – est obtenue lorsque les apports annuels sont d’environ 19 à 22 km3. Enfin, concernant les projets d’aménagement du bassin, lemodèle établit qu’un transfert de 5 km3 par an depuis le bassin duCongo réduirait significativement lerisque de sécheresse dans le bassinnord, même si la pression de prélè -vements pour l’irrigation devaitatteindre 2,5 km3. ●

[email protected]@ird.frUMR G-Eau (IRD, AgroParisTech,Cemagref, Cirad, IAMM, MontpellierSupAgro)

Pêche amère au Niger

ude époque pour lespêcheurs de la rive nigé-rienne du lac Tchad.Cette vaste zone de

310 000 ha environ, qui était la pluspoissonneuse de toute la région, subitde plein fouet les effets des variationsdu niveau des eaux. « Située sur lacuvette nord, elle connaît despériodes d’assèchement partiel outotal depuis les années 70 », expliquele géographe de l’aménagement Ama-dou Boureima, de l’Université AbdouMoumouni de Niamey. La variabilitéclimatique et l’irrégularité des préci-pitations sur le bassin du Logone-Chari, qui fournit 90 % des apportshydrologiques, ont séparé le grand lacen deux plants d’eau plus modestes etcontribué à transformer la rive nigé-rienne en zone marécageuse. « Lenouvel état du lac a engendré degrands changements dans le mode devie et le système de production despopulations riveraines », précise-t-il.L’activité de pêche, leur principaleressource économique, est particuliè-rement affectée. Les modifications environnementales,notamment l’augmentation des sur-faces palustres et la disparition decertaines espèces de poisson, affec-tent les captures de manière signifi-cative. La pêche est beaucoup moinsabondante, tant sur la taille des prisesque sur la diversité des espèces prélevées. « La diminution de l’ich-tyofaune est considérable, raconte-t-il, puisque ne subsistent aujourd’hui que 3 des 33 espèces communémentpêchées dans les années 60. » Pours’adapter, les pêcheurs ont dû recou-rir à de nouvelles techniques, utiliserdes matériels non réglementaires,comme les barrages de nasses ou lesfilets à mailles serrées. De plus, laprolifération de buissons de Prosopisjuliflora au fond du lac, en raison dufréquent retrait des eaux, compliqueleur tâche et les oblige à renouvelersouvent leurs outils prématurémentendommagés. Malgré ces contraintes et après desannées difficiles de basses eaux, larive nigérienne du lac reste poisson-neuse et fournit, quand les conditionssont réunies, une production assezabondante. Pour faire face à l’irrégu-larité des inondations et aux aléas de capture qu’elle entraîne, lespêcheurs, qui viennent de tous lespays de la région, se sont adaptés. « Ils ont opéré une diversification,ajoutant à la pêche et à l’élevage tra-ditionnels des activités d’agriculturede décrue et de petit commerce »,explique le chercheur nigérien. En outre, ils ont appris à migrer enfonction du retrait du lac, en se dépla-çant d’une zone à une autre sur larive nigérienne, reconstituant deproche en proche des nouveaux villages, et en gagnant les rives tcha-diennes, camerounaises, nigérianeset même plus loin encore les bergesde la Bénoué (voir ➀ carte p. 9). ●

[email protected]é Abdou Moumouni de Niamey

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’il n’est pas rare qu’unerivière serve de frontièreentre deux pays, que sepasse-t-il lorsque son

tracé fluctue au cours du temps ? Lecas de la rivière Komadougou, quidélimite la frontière entre le Niger etle Nigeria sur plus d’une centaine dekilomètres, illustre cette situation.Une étude dirigée par Yahaya Nazou-mou, responsable du département degéologie de l’Université Abdou Mou-mouni de Niamey, montre qu’au coursdu siècle dernier son lit a subi d’im-portantes fluctuations. Dans le cadrede son Master, Jenny Martinsson, àl’origine de ce travail, relève desdéplacements portant sur plusieurscentaines de mètres, la disparition deméandres ou l’érosion de portionsentières de berges. « Des altérationsimpliquant localement des superficiespouvant atteindre jusqu’à une ving-taine d’hectares », précise GuillaumeFavreau, hydrogéologue à l’IRD.Pour arriver à ce résultat, Jenny Mar-tinsson a superposé photographiesaériennes, cartes topographiques etimages satellites en s’aidant d’un sys-tème d’information géographique pouranalyser ses sources. Elle constateque les fluctuations du lit de la rivièresont favorisées par la pente relative-ment faible du bassin versant et cor-rélées aux variations de débits. Nonseulement les précipitations varientd’une année sur l’autre, avec desannées que les chercheurs qualifient « d’humides », mais les altérations ducouvert végétal entraînent aussi d’im-portants changements dans l’écoule-ment des eaux. Le défrichement desterres intensifie le ruissellement etfragilise les berges, accroissant ledébit de la rivière et sa charge sédi-mentaire. En enquêtant sur le terrain, les cher-cheurs ont constaté que si ces fluc -tuations avaient parfois entraînél’aban don de villages ou le détourne-ment des eaux par les villageois, lesconflits fonciers sont restés globale-ment rares. « Les habitants nigérienset nigérians des deux rives entretien-nent de bonnes relations de voisinage,nouées par des liens familiaux ances-traux », explique Yahaya Nazoumou.Quant aux autorités des deux pays,elles ont mis en place une commissionmixte nigéro-nigériane pour s’accor-der sur cette question. En premierlieu, il s’est révélé indispensable depositionner la frontière grâce à desrepères fixes, indépendants du coursde la rivière Komadougou. S’il est difficile de prévoir son évolu-tion future, l’effet des variations climatiques étant incertain, les cher -cheurs signalent néanmoins que ledéboisement des rives entraînera uneérosion accrue, menaçant à termel’emplacement de certains villagesdes deux côtés du cours d’eau. L’aug-mentation de l’utilisation de l’eau pourl’irrigation agricole constitue aussi unenjeu important, la rivière devenantune ressource convoitée par les agriculteurs des deux rives. Des casde détournements ont déjà été arbi-trés par la commission mixte nigéro-nigériane, soulignant l’importance degérer cette ressource pour les rive-rains du bassin du lac Tchad (voir ➃carte p. ci-contre). ●

ContactsYahaya [email protected]@ird.fr

Quand lafrontière varie au fil de l’eau

Erosion élevée dans

Dans le Yaéré descheneaux creuséspour la pêche ontprofondémentmodifié ladynamique deremplissage desmares et de la plaine.

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ussi vaste que deux outrois départements fran-çais, la plaine d’inonda-tion du Yaéré joue un

rôle déterminant dans l’hydrologiedu lac Tchad et dans l’économie desa région. Située au sud du lac et aunord du Cameroun, cette étenduereçoit deux crues annuelles – l’unepluviale et l’autre par débordementdu Logone et de ses affluents – quicontribuent à en faire à la fois unespace verdoyant propice aux activi-tés humaines et un tributaire poten-tiel des apports en eau du lac. « Cependant l’évaporation est trèsforte dans ce contexte topographiqueet climatique, précise l’hydrologueFrançois Delclaux, et il faut que lesvolumes d’eau en transit soient suffi-samment importants pour atteindrele lac qui se trouve au-delà de sonextrémité nord. » De fait, le Yaéréest responsable de 44 % du volumetotal évaporé sur le bassin du lacTchad, avec un recyclage atmosphé-rique de 12 km3 par an. Pour le géo-graphe Christian Seignobos, cetterégion est bien plus qu’une simplezone évaporatoire agissant au détri-ment des bilans hydriques du lac. « L’alternance d’inondations et deretraits des eaux crée un milieuparmi les plus riches du monde enterme de production biologique,

affirme-t-il. Le Yaéré constitue tour àtour une nurserie d’alevins, qui abon-dent l’ichtyofaune du Logone, duChari et du lac, un marais fertile,puis une mer d’herbes nourricières. »Cette prodigalité naturelle engendreune succession d’activités aussivariées que la riziculture, l’élevageet la pêche, accompagnées des inévi-tables antagonismes entre acteursexploitant un même lieu. « Le riz afait son apparition récemment,imposé par l’administration dans lesannées 70, rapporte le géographe. Ilest peu à peu entré dans les habi-tudes alimentaires locales et s’estpérennisé à travers la riziculturefamiliale. » Depuis peu, l’emploi devariétés anciennes permet d’adapterla production à des inondations nonmaîtrisées. Bien sûr, les riziculteurs

Le rôle clef du Yaérédéplorent l’arrivée prématurée, dèsla décrue, des éleveurs et de leursbêtes. Car en se retirant les eauxlaissent place à une immense éten-due d’herbes, suscitant de vastestranshumances. Les grands mouve-ments viennent du sud, avec les éle-veurs peuls et mbororo, et du nordavec les arabes showa. L’entrée desanimaux sur la plaine s’effectue defaçon ordonnée, après concentrationdans des lieux de rassemblement,afin de contrer la vulnérabilité destroupeaux isolés aux fauves et auxvoleurs de bétail. « L’enjeu majeur,ce sont les bourgoutières, explique lechercheur. Ces graminées, qui pous-sent à fleur d’eau, ont une hautevaleur nutritive pour le cheptel. »Après l’épuisement de cette res-source, la mise à feu du Yaéré per-

ans les zones tempérées,on a coutume de considé-rer que les racines d’unarbre haut de 10 m plon-

gent jusqu’à une profondeur équiva-lente. Mais pour certaines espèces dela zone sahélienne, il n’en est rien. AuNiger, dans la nappe phréatique del’aquifère du lac Tchad, sur trois sitesde la région de Diffa, des hydrogéo-logues de l’IRD ont observé et échan-tillonné des racines de plantesligneuses à des profondeurs peu communes : entre 21 et 23 m à Ali-koukouri, entre 28 et 33 m à Likitiréet entre 39 et 41 m à Kousséri. « Le développement de racines pro-fondes, ou racines pivot, est une stratégie adaptative récurrente desespèces ligneuses (arbres ouarbustes) à la sécheresse pério-dique », observe Josiane Seghieri,écologue à l’IRD. En zone sahélienne,la pluie (300 à 700 mm/an) tombeessentiellement entre juillet et sep-tembre. S’en suit une période sèchede neuf mois environ. Dans ces condi-tions, pour trouver l’eau et les nutri-ments dont ils ont besoin, les arbress’adaptent. « Certains ligneux peu-vent développer des racines jusqu’à60 m de profondeur alors que leurcime atteint moins de dix mètres »,note la chercheure. Mais rares sont

les observations documentées deracines à plus de 20 m de profondeur.Cette découverte pourrait donc s’avé-rer importante pour le projet deGrande muraille verte qui passeraprès du lac Tchad.Quelles sont les espèces ligneusesaptes à plonger jusqu’à la nappe ?Concernant les sites nigériens, leschercheurs ont misé sur troisapproches : la génétique, l’anatomieet la chimie. Les généticiens se sontconcentrés sur les fragments deracines pivot et sur les feuilles préle-vées en surface. « En comparant lesséquences de certains gènes connusde l’ADN chloroplastique1 des racineset des feuilles, nous estimons à quelleespèce ligneuse la racine a le plus dechance d’appartenir », explique YvesVigouroux, généticien à l’IRD. Enparallèle, au laboratoire de biologiede l’université Abdou Moumouni deNiamey, les écologues comparent lastructure anatomique des racinestrouvées au niveau de la nappe aveccelle de racines superficielles dontl’espèce propriétaire est connue. Siles deux catégories de racines pré-sentent des structures similaires, laprobabilité est forte qu’elles appar-tiennent à la même espèce. Quant autroisième angle d’étude, le traçagechimique, il n’a pas encore été mis en

Des racines à 40 mètres sous la surfaceœuvre sur le terrain. Le principe ?Introduire un composé chimique, icidu chlorure de lithium, dans la nappephréatique. « Absorbé par les racines,ce composé devrait remonter ensuitejusque dans les feuilles », expliqueJosiane Seghieri. La recherche dechlorure de lithium dans les feuillespermettra d’identifier les arbres quiont développé des racines jusqu’à lanappe. À ce stade de l’étude, les investigationsgénétiques et anatomiques ont été réa-lisées sur un seul site. « Les deuxapproches conduisent à soupçonner la même espèce », rapporte YvesVigouroux, mais ce résultat prélimi-naire encourageant reste à confirmer.(voir ➂ carte page ci-contre). ●

1. Molécule d’ADN présent dans le chloro-plaste. Cet ADN code pour des protéinesdont certaines jouent un rôle majeur dansla photosynthèse.

[email protected] HSM (CNRS, IRD, UniversitéMontpellier 1 et 2)[email protected] DIADE(IRD, Université Montpellier 2)

La géologie et la morpho-logie du bassin versantdu Mayo Tsanaga, aunord du Cameroun, nous

laissaient imaginer que le taux d’éro-sion y serait relativement faible »,observe David Sebag, sédimentologuerattaché à l’IRD. Pourtant ce bassinprésente l’un des taux d’érosion lesplus élevés des bassins versantscamerounais. Pour l’année 20091, le flux sédimen-taire, soit la quantité de sédimentsdéposés dans le bassin, a été estimé à 319 103 t/an et le taux d’érosionassocié à 300 t/an/km2. Une si forteérosion est susceptible de comblerprématurément le lac Maga, une rete-nue d’eau située en aval du bassinversant et essentiellement utiliséepour le développement de l’agricul-ture et de la pêche. « Son comblementaurait donc de lourdes conséquencessur ces activités, ainsi que sur lasécurité alimentaire et la lutte contrela pauvreté en zone rurale eturbaine », alerte Benjamin NgounouNgatcha, hydrogéologue à l’Universitéde Ngaoundéré. Mieux comprendreles raisons d’une telle érosion per-

Lac Td’une Lac Td’une met la repousse d’autres espècesfourragères. En fin de cycle, lestroupeaux quittent la zone et gagnentles chaumes du Diamaré, plus ausud. « Pour accroître la zone inondéeet augmenter la surface de pâturage,les éleveurs ont obtenu des autoritésla construction d’une digue, à Zilim.L’ouvrage, qui permet d’inonder descentaines de kilomètres carréscompte tenu de l’extrême platitudede la plaine, est présenté comme uncas d’école de règlement des conflitset de partage de la ressource », pré-cise Christian Seignobos. Pourtantles éleveurs protestent encorecontre le fractionnement des pâtu-rages engendré par la multiplicationdes canaux de pêche.Pratiquée toute l’année et mobilisantles habitants du Yaéré, la pêchedemeure la vocation dominante deslieux. Au cours de l’ennoyage, lespêcheurs Kotoko et Mousgoumemploient des enceintes de captureet des filets dormants disséminésdans les herbiers. Le retrait des

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le bassin versant du Mayo Tsanaga

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auchad : vulnérabilitéressource partagéechad : vulnérabilitéressource partagée

eaux occasionne les plus bellesprises, grâce à des barrages denasse et aux canaux de concentra-tion du poisson. Ces cheneaux, creu-sés pour la pêche, se sont multipliésdepuis la fin des années 90. On endécompte plus de 4 000 aujourd’hui,de profondeur, de largeur et de lon-gueur variables. « En accélérant leremplissage et la vidange de laplaine, ils perturbent fortement lesystème hydrologique et constituentune hypothèque sérieuse sur l’équi-libre environnemental du Yaéré »,prévient François Delclaux (Voir ➁carte ci-dessous). ●

Note : Avec la collaboration de GastonLienou, hydrologue, Université Yaoundé.

[email protected] UMR HSM (IRD, Université Montpellier 1 et 2, CNRS) [email protected] Gred (IRD, Université Montpellier 3)

Mieux connaître l’aquifère pour mieux le gérer

ondages électromagné-tiques, résonance magné -tique des protons,gravimétrie de précision,

les techniques géophysiques les plussophistiquées sont mobilisées auNiger, autour d’un des principauxaffluents du lac Tchad1. « Notre but estd’évaluer la quantité d’eau souter-raine stockée dans les cent premiersmètres sous la surface de la vallée oùcoule la rivière Komadougou Yobé etd’estimer la pérennité de cette res-source », explique le géophysicienMarc Descloitres. Cet aquifère, par-tagé par le Niger et le Nigeria au sud,revêt une importance toute particu-lière. En effet, le futur développementagricole de la région nécessitera d’im-portantes quantités d’eau, que lespluies et la rivière elle-même ne pour-ront pas fournir compte tenu de la faiblesse des précipitations. Pour leschercheurs, il est également impor-tant de savoir si cette eau sera facileà pomper ou non, et si l’aquifère seremplira de nouveau, de manière àpréserver le renouvellement de la pré-cieuse ressource. Car cette nappe estconstituée pour partie d’eau « fossile »,réserve qui pourrait ne pas se recons-tituer à l’échelle de plusieurs généra-tions. L’autre partie des stocks estrenouvelée par des recharges sous lecours d’eau lors des saisons despluies. « L’étude géophysique permetde connaître la hauteur, la géométrieet la porosité de la nappe, et de déter-miner ainsi la quantité d’eau qu’ellecontient », précise le spécialiste.Grâce à des méthodes récentes, misesen œuvre pour la première fois dans larégion, les scientifiques ont pu dresserune coupe de l’aquifère et contribuer àcomprendre sa dynamique régionale.« Il existe une sorte de ’’plancher’’imperméable des nappes, constitué

mettrait d’anticiper cette situation.Plusieurs facteurs naturels peuventinfluer sur le fonctionnement hydro-sédimentaire du bassin du Mayo Tsa-naga2, c’est-à-dire sur l’érosion dessols, les transferts de matières et, infine, le comblement du lac. Situé enzone sahélo-soudanienne, ce bassinversant couvre 1 535 km2. Son reliefest contrasté3 avec, en amont, unezone de moyenne montagne associéeà une zone de piémont et, en aval, laplaine alluviale du fleuve Logone. Larégion est soumise à un climat tropi-cal semi-aride, caractérisé par unesaison humide (4-5 mois) et une sai-son sèche, et par un faible couvertvégétal qui protège peu de l’érosion.Mais les chercheurs des projetsRipiecsa et Mordred soupçonnent lesactivités humaines, notamment l’agri-culture en pleine expansion, d’être unaccélérateur de l’érosion. « Notrehypothèse est que la pression démo-graphique et l’agriculture favorisentle ruissellement et l’érosion descouches superficielles du sol en sai-son des pluies », propose DavidSebag. Comment tester cette hypo-thèse ?

La zone amont du bassin est peuinfluencée par l’activité agraire, alorsque la zone aval est soumise à cettepression anthropique. Associée à desétudes géomorphologiques, à l’étudede la variabilité climatique et à lacaractérisation de l’occupation dessols, la comparaison des flux superfi-ciels des zones amont et aval devraitpermettre de préciser l’impact desactivités humaines sur le fonctionne-ment de ce bassin. Ainsi, les cher-cheurs pourront établir un modèlepermettant, à terme, de mieux pré-voir les variations des flux sédimen-taires. L’objectif final des projetsétant de pérenniser le Mayo Tsanagacomme site d’étude pilote dans le bassin du lac Tchad (voir ➅ carte ci-dessous). ●

d’argile, à 80 m de profondeur », rap-porte le chercheur. Et les terrainssitués au-dessus sont essentiellementsableux, ce qui est une bonne nouvellecar les sables contiennent en généralbeaucoup d’eau. En l’occurrence ici,chaque mètre cube de terrain recèle12 à 22 % d’eau douce, soit 120 à 220litres. Dans la zone s’étendant à 5 kmde part et d’autre de la ville nigériennede Diffa, plus de 600 millions demètres cubes d’eau seraient ainsi dis-ponibles. « Les mesures gravimé-triques devraient permettre d’estimerla quantité d’eau qui se stocke dans lessols lors de la saison des pluies, noteJacques Hinderer du programme Ghy-raf2. Elles seront également pré-cieuses pour calibrer les donnéesfournies par le satellite Grace, qui éva-lue les stocks d’eau souterraine depuisl’espace, à des échelles beaucoup plusvastes. » Enfin, selon les chercheurs,l’aquifère est particulièrement vulné-rable aux pollutions de surface, car iln’est protégé par aucun écran superfi-ciel d’argile. En le pompant pour déve-lopper l’agriculture locale, il faudradonc veiller à ne pas le contamineravec des engrais et des pesticides (voir➄ carte ci-dessous). ●

1. Dans le cadre du programme IRD PsP « Lac Tchad », avec l’Université AbdouMoumouni et la Direction de l’Hydrauliquede Niamey.2. Programme ANR « Ghyraf » (Gravity andHydrology in Africa).

[email protected] UMR LTHE (IRD, UJF-Grenoble 1,CNRS, groupe Grenoble INP)Jacques Hinderer [email protected] UMR IPGS (Université de Strasbourg, CNRS)

1. Étude réalisée dans le cadre du projet

FSP-RIPIECSA par Elisabeth Fita Dassou,

Université de Ngaoundéré.

2. Programme Mordred (Morphodyna-

mique des bassins versants et flux hydro-

sédimentaires associés) du projet Chaire

Croisée.

3. Entre 1 436 et 300 m d’altitude.

[email protected]

UMR M2C (CNRS, Université

de Rouen), en accueil

à l'UMR [email protected]

Université de Ngaoundéré,

Cameroun

ans la zone subsaha-rienne, les cultivateursutilisent des pesticidespour combattre les inva-

sions de criquets pèlerins ou de puce-rons. Ainsi, au Niger, le paraquat estutilisé depuis au moins 2007 dans laculture irriguée du poivron. « De parses caractéristiques chimiques, ce pes-ticide est l’un des plus persistants dansle sol », souligne Yoann Copard, spécia-liste de la matière organique à l’Univer-sité de Rouen. Aussi, la présence debidons de ce produit abandonnés àproxi mité des cultures a alerté lescher cheurs. Leur crainte ? Que leparaquat migre dans le sol, contamineles ressources en eau et affecte, in fine,tout l’écosystème. Pour en avoir lecœur net, Yoann Copard1 s’est inté-ressé aux sédiments d’une vallée dubassin du lac Tchad, la KomadougouYobé. Les observations géologiques(porosité, granulométrie, minéralogie)et les analyses molé culaires ont révéléla présence de paraquat entre 0,8 et1,75 m de profondeur, à des concentra-tions de quelques microgrammes/kg.Disséminé dans des sables assez fins etadsorbé2 des matériaux argileuxcomme la smectite, il est stocké au-dessus d’une barrière imperméableriche en argile. « Cependant, le para-quat a un tel pouvoir d’adsorption quesa concentration devra être réévaluéeà l’aide d’analyses chimiques pluspoussées », précise Yoann Copard. Etdéjà, les chercheurs se demandent sice pesticide peut être entraîné vers leseaux souterraines ou la KomadogouYobé. Le sol n’est pas le seul comparti-ment de l’écosystème à enregistrerdes variations de pollution. Ainsi,Alexandre Ciliberti, en dernière annéede thèse à VetAgro Sup, propose d’éva-luer la contamination environnemen-tale associée à un site à l’aide d’ungros lézard, le varan du Nil, qui accu-mule des pesticides et des métauxdans son organisme. Attaché à un ter-ritoire bien circonscrit, il vit dans leszones humides subsahariennes. On letrouve notamment autour du lac Tchadoù il est activement chassé. Prédateursitué au sommet des chaînes alimen-taires, ce carnivore au régime variéest un bon candidat pour une espècetémoin des contaminations3. Le jeunechercheur a testé cette hypothèse sur71 spécimens, fruits de deux missionsréalisées au Mali et au Niger avec lesmoyens logistiques et techniques del’IRD. L’analyse des tissus a montré laprésence de plomb, de cadmium et detrois composés d’origine phytosani-taire (DDD, DDE et malathion). Et, atoutpour une espèce témoin, « les concen-trations révèlent des différences decontamination entre les différentssites. » Le varan du Nil pourrait-il êtreutilisé par Yoann Copard ? « Pour desraisons logistiques, je n’ai pas recher-ché le paraquat dans mon étude, pré-cise Alexandre Ciliberti. Mais il n’estpas impossible que les tissus devarans puissent en contenir. » (voir ➈carte p. 9). ●

1. Avec des chercheurs de l’UMR HMS etdu département de géologie de l’universitéAbdou Moumouni de Niamey. 2. Fixé sur des corps solides.3. À paraître dans Science of the totalenvironment, 2011.

[email protected] Morphodynamique continentale(CNRS, Université de Rouen)Alexandre Ciliberti [email protected]

dance de l’agriculture aux eaux desurface dont la durée d’écoulementest très variable d’une année àl’autre. « Irriguer à partir des eauxsalées de la nappe phréatique pré-sente sous le lac semble risqué,estime Guillaume Favreau. Mais l’exploitation à cet usage de foragesous le lit des rivières du bassin estpossible. » De telles initiativesdevront être encadrées pour ne pascontribuer à saliniser les précieuseszones douces de la nappe (voir ➇carte p. 9). ●

[email protected];[email protected] Hydrosciences Montpellier (IRD, Université Montpellier 1 et 2,CNRS)

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Des pesticidessur les rives

omme la Mer Morte, leGrand lac Salé de l’Utahou le lac Eyre en Austra-lie, le lac Tchad devrait

être salé. Ces systèmes hydrologiquesendoréiques reçoivent en effet leseaux de rivières tributaires sansaboutir nulle part eux-mêmes, et dela sorte ils concentrent la chargeminérale drainée par leurs affluents.Pourtant, les eaux du lac Tchad sontdouces, et les poissons les mêmesque dans les rivières environnantes.Dans ce milieu très évaporant desplaines sahéliennes, c’est assez para-doxal. « Il faut bien que les élémentsdissous finissent quelque part,explique le géochimiste Jean-Luc Sei-del. Et s’ils ne sont pas dans les eauxde surface, c’est qu’ils gagnent pourpartie la nappe phréatique. » Lesscientifiques s’emploient donc à

connaître les caractéristiques decette nappe et les mécanismes detransfert qui l’abondent. De fait, levaste aquifère qui s’étend sous le bas-sin du lac, et jusqu’à plusieursdizaines de kilomètres de distance surle territoire des quatre pays rive-rains, est plutôt salé, de quelquesgrammes par litre. L’eau captée parles forages et les puits sur les îles estmême saturée vis-à-vis de certainsminéraux évaporitiques, bien au-delàdes critères de potabilité établis parl’OMS. En soi, cette salinité n’est passurprenante car la plupart desnappes phréatiques en milieu semi-aride sont chargées en sel, en raisond’une évaporation de surface supé-rieure à la pluviométrie. Mais l’aqui-fère du lac Tchad connaît des teneursextrêmement variables selon leslieux. « La salinité est très élevée

sous le lit même du lac, alors quel’eau est douce et potable à l’aplombdes rivières », note-t-il. Le phéno-mène s’explique aisément : les infil-trations sous les cours d’eau sontfaiblement chargées et lessivent lessols, tandis que sous le lac ellesentraînent vers la nappe les élémentschimiques concentrés et recyclésdans les sols et les eaux de surface.En analysant les éléments chimiquescontenus dans les eaux souterraines,les scientifiques parviennent ainsi àreconstituer et à comprendre la dyna-mique des flux et l’« âge » des eaux,qui peut atteindre plusieurs milliersd’années. L’enjeu de ces recherches est d’ac-compagner le développement prévi-sible de l’irrigation à partir del’aquifère. Car c’est une alternativeséduisante pour réduire la dépen-

es sédiments du lacTchad sont de précieusesarchives des variationsclimatiques et environne-

mentales passées du sous-continent.« Situé au cœur de l’Afrique subsaha-rienne, le lac est un marqueur trèssensible des changements climatiqueset en particulier du régime de mous-son, enregistrés par ces fluctuationshydrologiques, explique la paléoclima-tologue Florence Sylvestre. Il reçoit eneffet 90 % de ses apports en eau desrivières Chari et Logone qui drainentla zone soudanienne arrosée par cesprécipitations saisonnières. » Pourévaluer la validité des données sédi-mentaires, son équipe vient de menerpour la première fois une campagnede carottages dans la cuvette sud dulac. La mousson ouest-africaineapporte la majeure partie des pluiessur la zone sahélo-soudanienne, unelarge bande qui s’étend au sud duSahara. Ce phénomène saisonnierdépend en premier lieu du cycle sai-sonnier de l’insolation1. Il est égale-ment contrôlé par la dynamique

interne de l’atmosphère et par lesconditions de surface océanique etcontinentale aux échelles locale,régionale et globale. Les donnéesmétéorologiques relevées au cours dudernier siècle ont ainsi démontré un

Les sédiments se dévoilent lien étroit entre les anomalies chaudesde l’Atlantique nord et l’augmentationdes précipitations dans la zone sahé-lienne. La variabilité décennale destempératures de surface de l’océanAtlantique serait donc en partie res-ponsable de l’alternance des décen-nies excédentaires en précipitationdes années 50 et 60, puis déficitaires àpartir de 1970 au Sahel. D’autres évé-nements plus anciens résultent de lacombinaison de paramètres externes –liés à l’orbite de la Terre et à la varia-tion de l’énergie radiative reçue duSoleil – et de paramètres internes ausystème climatique.Le maximum d’insolation expliqueraitainsi la phase humide observée aucours de l’Holocène – il y a environ 6 000 ans – sur la zone inter-tropicale nord, qui vit verdoyer leSahara. « Les connaissances actuellesreposent essentiellement sur desobservations, certes de qualité, maisencore très parcellaires sur le conti-nent, note la chercheure. Il apparaîtdonc crucial d’obtenir des enregistre-ments de l’histoire climatique du lac

Lac Tchad : vulnérabilité d’une ressource partagéeLac Tchad : vulnérabilité d’une ressource partagée

Eaux douces et nappe salée

Tchad, avec une bonne résolution tem-porelle, afin de reconstituer la varia-bilité de la mousson ouest-africaine. »Les résultats des premiers sondagessont prometteurs. Les sédiments dulac Tchad conservent bien l’empreintedes apports en eau liés à la mousson.Leur datation, leur analyse et l’obser-vation des divers éléments qu’ilscontiennent permettent de reconsti-tuer l’histoire hydrologique du bassinsur les derniers 8 000 ans et deretracer l’origine des apports en pro-venance de la zone soudanienne. «Cette nouvelle perspective temporelleapportée par la connaissance de lavariabilité paléohydrologique du lacTchad devrait profiter à l’élaborationde modèles hydrologiques prédictifsutiles à la gestion de la ressource eneau dans la région », estime la spécia-liste (voir ➆ carte p. 9). ●

1. Lié à la position de la Terre sur sonorbite et par rapport au Soleil, il évolue endizaines et centaines de milliers d’années.

[email protected] [email protected] CEREGE (IRD, Université Paul Cézanne - Aix-Marseille 3,CNRS, Collège de France, Université de Provence - Aix-Marseille 1) [email protected], Faculté des Sciences Exactes et Appliquées, Université de N’Djaména (Tchad)

Sciences au Sud - Le journal de l’IRD - n° 61 - septembre/octobre 2011

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Saurin Hem… Il commence par étudierl’état des stocks de sardinelle entre leseaux territoriales de la Côte-d’Ivoire et le Ghana. Poursuivant sa carrière enaquaculture, il participe au développe-ment de l’élevage de poisson-chat enlagune de Côte-d’Ivoire dans une sociétéprivée.En 1979, l’IRD le rappelle pour animer larecherche aquacole. Dès lors, il va sepencher sur le cycle d’élevage duMâchoiron et sur « l’Acadja », uneforme d’aquaculture extensive sansapport de granulés. « On parle aujour-d’hui d’’’intensification écologique’’,reprend Marc Legendre. Saurin Hem l’apratiquée, lui, bien avant l’apparition duterme lui-même. »

PragmatismeMais c’est avec la bioconversion2 quel’œuvre du chercheur atteint en quelquesorte son apogée. Ce système, il l’a testéavec succès et en grandeur nature dansle village de Singkut (île de Sumatra) en

Indonésie, relançant au passage l’acti-vité de pisciculture. Pari réussi pour cecercle vertueux. Avec le projet pilote « Maggot »3 se développe tout un cir-cuit de production basé sur le cycle devie d’une mouche, l’Hermetia illucens.Découverte en 2001, lors d’une missionen Guinée pour l’Union européenne,appliquée depuis 2006 puis testée àl’échelle préindustrielle en 2009, cettetechnologie tire parti de la capacité deslarves de ces insectes à dégrader desrésidus végétaux et à les transformer ensubstrat nutritif : « J’ai travaillé à partirdu tourteau de palmiste mis au rebut,explique le chercheur, et pour la fermen-tation, j’ai eu recours à la chimie de lapanse des vaches, véritable usine à fer-mentation. » Voilà sa marque defabrique : un pragmatisme que ses col-lègues lui envient. Et ce petit coup depouce du hasard lui a permis de décou-vrir la multiplication « géométrique »d’une biomasse d’insectes encore peuinvestigués. C’est une certitude, voireune obsession chez lui : on peut redon-ner à tout déchet une valeur, commeaux déchets d’abattoir, par exemple.Comme, un jour peut-être, aux alguesprovenant du lisier des cochons et quipolluent les plages bretonnes. Il a vrai-ment envie d’aller voir et de tester saméthode…

MéthodePour ce citoyen du monde, né au Cam-bodge en 1948, les conséquences immé -diates de ses découvertes servent aubénéfice des humains dans une pers-pective de développement. Ainsi, dansle village indonésien déjà mentionné, ladémonstration des avantages de latechnique de bioconversion a mobilisétoute la population. Les larves, grâce autourteau palmiste, vont multiplier leur

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P o r t r a i t d e S a u r i n H e m

La ténacité d’un chercheur

tion des jeunes tilapias, l’entrepreneur aencore fait preuve d’originalité en tirantparti, entre autres, de la farine issue defeuilles de Moringa oleifera, arbre cou-rant au Sénégal, et des larves demouches produites par son « éclose-rie ». « Des géniteurs bien nourris sontplus gros et produisent plus d’œufs »,explique-t-il.Sa ferme aquacole emploie 6 personnesdont 4 qui se relaient 24h/24 pour nour-rir les poissons 6 fois par jour dans lesenclos amarrées dans les eaux de la baie.À terme, la production devrait atteindre200 tonnes par an. Guy Gohier assure

G uy Gohier est confiant, leComptoir de recherche aqua-cole et myticole du Sénégal

qu’il a créé en 2010 répond déjà à sesattentes. « 25 tonnes de poissons enjanvier 2011, c’est satisfaisant pour unepremière production » se réjouit l’entre-preneur. Celui-ci a mis toutes leschances de son côté. « Pour implantermes installations j’ai choisi un endroit dela baie de Mbodiène où il y a peu defond, pas de rochers donc pas devagues violentes et surtout l’eau y est de4 à 6 °C plus chaude qu’ailleurs grâce àun affluent du Gulf Stream qui arrivejusqu’à la plage. Ces conditions sontidéales pour le grossissement des pois-sons » ajoute-t-il. À cette situation privi-légiée s’ajoute une espèce de poissontilapia particulière et une technologieadaptée, toutes deux issues desrecherches menées à l’IRD.Guy Gohier et des chercheurs de l’IRD

ont œuvré de concert à l’adaptationprogressive d’une variété de tilapia.

Ainsi, le « marquis argenté du Sénégal »tolère le taux de salinisation de l’eau demer tout en gardant une chair de qua-lité gustative appréciée des consomma-teurs. Quant au dispositif technique, ils’appuie sur le Système aquacole à recy-clage intégral des éléments organiqueset minéraux (Sari). Pour résumer, cetteinvention, développée par l’hydrobiolo-giste Sylvain Gilles, et brevetée dès 2007par l’IRD, consiste en un écosystème encircuit fermé où les déchets des poissonssont consommés par du phytoplancton.Celui-ci est à son tour ingéré par duzooplancton qui sert lui-même de nourriture pour les alevins et juvéniles,des espèces en élevage. Prévu pourfonctionner avec de l’eau douce ousaumâtre, Sari a été adapté avec ingé-niosité par Guy Gohier qui souhaitaitutiliser l’eau de mer. Pour la partie pro-duction d’alevins installée sur terre, ilpuise donc une eau salée filtrée naturel-lement par le sol. 5 000 bébés parsemaine naissent ainsi. Pour l’alimenta-

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« Pour sa contribution au déve-loppement d’une aquaculturetropicale durable », l’Académie

d’Agriculture lui a décerné la Médaillede Vermeil le 5 octobre dernier, à Paris.Saurin Hem, ingénieur agronome, titu-laire d’un DEA en océanographie, cher-cheur au sein de l’UMR ISE-M, a débutéson parcours à l’IRD il y a 35 ans. Trente-cinq années qui ont contribué à lui don-ner une place originale et riche dansl’institut… « C’est l’initiateur de larecherche en aquaculture à l’IRD, dès lesannées 78-79, rappelle d’emblée MarcLegendre qui dirige l’équipe1 à laquelleappartient Saurin Hem. Ce qui le dis-tingue, poursuit-il, c’est une vision innéedu développement durable, qui lui vautsa récompense. Saurin est toujours à larecherche d’une solution originale aveccette préoccupation. Il a ainsi développétoute une ingéniosité pour l’aquaculturetropicale dans l’adaptation d’un certainnombre de techniques. » Et d’évoquerle parcours jonché de réussites de

poids initial par 2 500 en l’espace dequatre semaines. Cette biomasse (200 à 250 kg produits par semaine et parfamille) est ensuite transformée en gra-nulés pour poissons, livrés aux piscicul-teurs qui assurent l’élevage jusqu’à lataille marchande. La boucle est bouclée.D’une pierre on a fait deux coups : letraitement d’un déchet agro-industrielet le développement d’une populationqui retrouve travail et nourriture protéi-née. « On me dit atypique, en fait, jepratique un empirisme méthodique,explique, modestement, Saurin Hem. Ilest basé sur l’observation, la prise denombreuses notes... Et, tout à coup,l’évidence s’impose, comme à la find’une enquête policière… » Mais lesdécouvertes qui en découlent peuventavoir des conséquences au niveau d’unpays, voire d’un continent. Il en va ainsipour l’Indonésie qui importe chaqueannée 200 millions de dollars de farinesde poisson et qui risque d’entrer dansune dépendance encore plus grande. Etcomme, parallèlement, elle produitchaque année deux millions de tonnesde tourteau, le procédé de bioconver-sion tombe à pic…

Entêtement« Saurin montre une très forte implica-tion pour la valorisation de ses travauxet spécialement sous l’angle socio-économique, il faut le noter, insiste Stéphane Raud, directeur de la Valorisa-tion à l’IRD. Il a toujours été très produc-tif dans ce domaine. Dans quelquetemps, il va nous quitter avec de grosdossiers en cours. Il faudra transmettretoute une technologie dans le mondedes grandes entreprises avec desemplois à la clé ! De gros enjeux donc et il sera vraisemblablement sollicitéensuite comme consultant. J’ajoute que

Des tilapias bichonnés en pleine mer Comment produire des poissons de qualité en tirant parti des ressources locales ? Un entrepreneur sénégalais se réapproprie un savoir-faire développé à l’IRD et relève le défi.

ces excellentes idées s’accompagnenttoujours de beaucoup d’humanité. »L’histoire de l’homme apporte peut-êtreune explication : « À l’âge de sept ans,au Cambodge, nous avons dans mafamille connu la pauvreté, voire lamisère, par moments, je n’oublie pas. Etquand je me rends chez des partenairesdu Sud, j’y pense toujours. Du coup, jeme place spontanément au niveau demes interlocuteurs. Me reviennent enmémoire ces réflexions d’enfants gui-néens, qui, en voyant sur les images deTV5 des producteurs occidentaux déver-sant du lait dans les rues, m’ont inter-pelé : eux qui ne buvaient pas une seulegoutte de lait étaient révoltés… » Cesqualités humaines, ses collègues lesapprécient : « Il n’hésite jamais à allervoir les autres disciplines, il a l’esprit trèsouvert, le meilleur chemin de la créati-vité », remarque Stéphane Raud. Maisce qui saute aux yeux de ses proches etMarc Legendre en fait partie, c’est « saténacité, voire parfois son entêtement,ça doit l’aider à garder le cap. » Lui nevoudrait surtout pas oublier « ceux quim’ont toujours accompagné, mes col-lègues d’aujourd’hui comme JacquesSlembrouck, sans oublier ceux d’hiercomme l’ancien représentant de l’IRD enIndonésie, Michel Larue ». ●

1. Équipe « Diversité ichtyologique et aqua-culture ».2. Transformation d’une substance orga-nique en une autre.3. Financé par le ministère indonésien desPêches et des Affaires maritimes et le minis-tère français des Affaires étrangères.

[email protected] ISE-M (CNRS,IRD, UniversitéMontpellier 2)

qu’au Sénégal, la demande est biensupérieure à l’offre en poisson de qualitéet que ses tilapias, vendus tout frais,n’ont pas de concurrence !Le contrat de licence signé entre l’entre-preneur et l’IRD1 renforce la visibilité duprojet. Cet accord organise les modali-tés de l’intéressement financier de l’IRD

lorsque la société engrangera des béné-fices à moyen terme. « L’expertise aulong court procurée par l’IRD est sécuri-sante », avoue l’aquaculteur qui vientde répondre au premier appel à projetsde l’incubateur national sénégalais Innodev. ●

1. Le 6 septembre 2011 à Mbodiène, en pré-sence de Michel Laurent, Président de l’IRD,de Monsieur Diagne, représentant du minis-tère sénégalais des Ecovillages, des Bassinsde rétention et des Lacs artificiels, et deGeorges de Noni, représentant de l’IRD auSénégal.

ContactsGuy Gohier [email protected] de recherche aquacole et myticole du Sénégal [email protected] représentation IRD Sénégal

Sciences au Sud - Le journal de l’IRD - n° 61 - septembre/octobre 2011

C omment valoriser un îlot volca-nique ? La Guinée équatorialea trouvé une solution originale.

Horacio, petite terre de 5 hectares à200 mètres de la côte, abrite désormaisun sentier « nature-culture »1 inaugurécet été en présence des principaux

partenaires2. Le projet repose sur leplan de travail élaboré par une missiond’expertise de l’IRD3 qui est maîtred’œuvre. Le promeneur chemine entreterre et mer sur un sentier alternantpierres basaltiques et passerelles enbois et jalonné de sculptures réaliséespar un artiste local. Huit stations met-tent en relief les métiers de la région, laculture, la végétation ainsi que lafaune. Le site a vocation à devenir un lieu depromotion de la biodiversité et de larichesse culturelle équato-guinéennesen direction des publics scolaire et universitaire, des chercheurs nationauxmais aussi des touristes. Cet objectif se double d’un volet scientifique.D’ailleurs des missions dans lesdomaines des maladies infectieuses àvecteurs, de l’archéologie et de l’ento-mologie ont été déjà menées. Ce sen-tier est complémentaire du projet sur labiodiversité de la Guinée équatoriale(Bioge) réalisé dans le cadre d’uneconvention spécifique avec l’universiténationale de Guinée équatoriale. ●

1. Conçu à la demande de l’Ambassade deFrance et sur la base du Rapport 2010 de KateAbernethy (zoo-botaniste, Université de Stir-ling, GB) et Richard Oslisly (archéologue, IRD).2. État de Guinée équatoriale, Coopérationfrançaise, IRD, Office National des Forêts Inter-national, Institut Culturel d’Expression Fran -çaise de Malabo, Fondation Total, Bouygues,Somagec.3. Conduite par Xavier Garde, représentantde l’IRD au Cameroun et en Afrique centrale.

[email protected]ésentant de l’IRD au Cameroun

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G u i n é e é q u a t o r i a l e

Un sentier « nature-culture »

Des bassins en observation

Une plateforme innovante en Languedoc-Roussillon Le ministre chargé de la Coopérationest venu inaugurer Capmeditrop à l’IRD à Montpellier.

MichelLaurent,

président de l’IRD, Amadou

Tidiane Bâ,ministre

sénégalaisde l’Ensei -

gnementsupérieur.

Ressources génétiques et société Comment la mobilisation des ressources génétiques (agriculture,pêche, élevage, organismes du sol, forêt…) peut-elle aider àrépondre aux nouveaux enjeux environnementaux, économiqueset sociétaux ? Pour tenter de relever ce défi, 170 chercheurs fran-çais et étrangers se sont réunis en septembre dernier à Montpel-lier1. Développement d’une agriculture durable, réponse auchangement climatique, etc. étaient au cœur de près de 50 pro-

jets scientifiques soutenus par le Bureau des ressources génétiques et la Fonda-tion pour la Recherche sur la Biodiversité (FRB) depuis 2007. Chercheurs etgestionnaires de ressources génétiques animales, végétales et microbiennes ontpartagé leurs résultats, sources de réponses plurielles aux besoins et attentes dessociétés. « Les débats ont mis en évidence la nécessité de croiser les regards etles approches : entre biodiversité domestique et sauvage, entre sciences biotech-niques et sociales et entre porteurs d’enjeux (organisations paysannes, cher-cheurs, politiques) », souligne Jean-Louis Pham, chercheur à l’IRD et directeur duprogramme Arcad2, partenaire du colloque. « Les ressources génétiques ne sontpas seulement des objets biologiques mais aussi des constructions sociales quiévoluent dans le temps et dans l’espace ; favoriser les recherches sur la façon donts’élaborent ces constructions est indispensable pour répondre, par exemple, auxenjeux de l’agriculture », renchérit Isabelle Bonnin, responsable du pôle « Acteurset interface science-société » de la FRB. Et Jean-Louis Pham de conclure : « Pourles conserver, gérer, manipuler, utiliser, il faut capter tout l’environnement qui vaavec. Une donnée, une ressource ne sont utiles que si elles sont accompagnéesde métadonnées sur les conditions de leur obtention. » ●

1. Colloque « Les Ressources Génétiques face aux nouveaux enjeux environnementaux, écono-miques et sociétaux » organisé par la Fondation pour la Recherche sur la Biodiversité (Montpel-lier, 20-22 septembre 2011).2. Agropolis Resource Center for Crop Conservation, Adaptation and Diversity.

[email protected] – Arcad / [email protected]

« C’est l’une des grandesréunions1 des spécialistes del’hydrologie du sous-continent

sud-américain », assure Jean-MichelMartinez, hydrologue télédétecteur àl’IRD. Organisée par l’Observatoire deRecherche en Environnement (Hybam),cette rencontre a bénéficié de la partici-pation des universités et services encharge des ressources en eau sud-américains2, en particulier ceux du bassinamazonien. Dépassant le cercle de l’hydrologie et de la géodynamique, lesdonnées collectées par l’Observatoire ali-mentent un large éventail de disciplinesdepuis la géophysique, la géochimieenvironnementale, la climatologie jus-qu’à l’écologie et l’étude des processuscôtiers. Cette approche globale estnécessaire pour comprendre les phéno-mènes à l’échelle d’un bassin entier.Parmi les nombreuses avancées présen-tées : l’hydrologie spatiale qui proposed’utiliser les satellites pour suivre certainsparamètres. Cette technologie3 estdésormais opérationnelle. « Notre parte-naire, l’Agence de l’eau du Brésil, adaptece système pour le bassin de l’Amazoneet pour ceux du Nordeste afin de suivrela qualité des eaux », indique le cher-cheur. Pour sa part, Jhan Carlo Espinoza,jeune chercheur à l’Institut géophysiquedu Pérou et ancien doctorant de l’IRD,

C e mardi 13 septembre 2011,sous un soleil quasiment tropi-cal de bon augure, monsieur

Henri de Raincourt, ministre chargé dela Coopération, dévoile la plaque inau-gurale d’un nouvel outil dédié auxplantes tropicales et méditerranéennesainsi qu’à la santé. Capmeditrop,construit sur le site montpelliérain del’IRD, accueille 150 agents scientifiques1

et chercheurs venus de trois conti-nents. Cette ouverture vers nos parte-naires du Sud, en accord avec lesmissions de l’Institut, a été largementsoulignée tant par le ministre que parmadame Anne-Yvonne Le Dain, vice-Présidente du Conseil Régional de Languedoc-Roussillon, partenaire finan -cier de l’IRD2. Dans une ambiance cha-leureuse, le ministre a visité leslaboratoires et rencontré des étudiantsd’origines variées (Égypte, Madagascar,Pérou, Vietnam) accueillis en forma-tion. Insérée dans le dispositif derecherche agronomique, tournée vers

les suds, cette plateforme abrite deséquipes s’attaquant à la biologie dudéveloppement des plantes et à lavalorisation de la diversité génétiqued’espèces d’intérêt agronomique ouécologique (caféiers, filaos, ignames,maïs, palmiers, mils). Michel Laurent,Président de l’IRD, a tenu à citer l’unedes avancées réalisées par ces cher-cheurs : l’identification d’un gène derésistance à un virus majeur du riz. Cesconnaissances ont permis de transférercette résistance à des variétés de rizdéveloppées puis testées en pleinchamp en Afrique de l’Ouest. Capmedi-trop est bien armé pour répondre auxenjeux du développement. ●

1. Enseignants chercheurs de l’IRD, de l’Uni-versité Montpellier II, du Cirad, du CNRS ;Unités mixtes de recherche « Diversité Adap-tation et Développement des plantes » et « Relations Plantes Bio-agresseurs ».2. Dans le cadre du Contrat Plan État-Région2000-2006.

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met en évidence des événementsextrêmes (fortes crues, sécheressesintenses…) de plus en plus fréquents surles dernières décennies en Amazonie. « Ceux-ci sont sous l’influence de varia-tions climatiques régionales dans lesocéans Pacifique et Atlantique, parexemple les épisodes El Niño », rap-porte-t-il. D’autres travaux concernent lamesure des émissions de gaz à effet deserre des barrages tropicaux ou encorel’étude des migrations et lieux de repro-duction des poissons d’eau douce à par-tir de l’analyse géochimique de leursécailles. ●

1. Réunion « Hydrologie et Géodynamiqueactuelle des bassins sud-américains », 6 au 9 septembre 2011, Lima (Pérou).2. Plus de 150 chercheurs, étudiants et ges-tionnaires de 45 institutions différentes,venant de 10 pays (dont Brésil, Bolivie, Pérou,Équateur, Colombie, Venezuela, Guyane fran-çaise et Chili).3. Développée avec l’aide de l’Ore Hybam.

[email protected] UMR GET (IRD / Université Paul Sabatier - Toulouse 3 / CNRS),Jean Loup Guyot, directeur scientifique de l’ORE HYBAMwww.ore-hybam.org

Plan

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IRD

S é n é g a l

AIMS ouvre ses portes

L ’Institut africain des sciences mathé -matiques (AIMS-Sénégal) accueille

cette année sa première promotion. LePrésident de l’IRD, Michel Laurent, par-ticipait à la cérémonie d’ouverture le 6 septembre dernier. AIMS-Sénégal estle deuxième centre d’enseignementsupérieur et de recherche en sciencesmathématiques du continent aprèscelui de Cape Town, en Afrique duSud. Il s’inscrit dans le cadre de l’initia-tive Next Einstein et met en œuvre, enAfrique de l’Ouest, un modèle uniquequi consiste à identifier et former lesélites scientifiques africaines dans ledomaine des mathématiques. Cecentre de formation est hébergé sur lesite de l’IRD au sein du Centre interna-tional de recherche et d’enseignementde Mbour (Cirem).Trente-six candidats – dont un tiers defemmes – seront accueillis pour suivreun cursus de master intensif d’uneannée à dominante mathématique. Unpool d’enseignants exceptionnels pro-venant à la fois d’Afrique et du reste dumonde dispensera des cours dans cecentre qui intègre les dernières techno-logies, réalisant ainsi un véritable carre-four de l’excellence. Les professeursSouleymane MBoup, co-découvreur du Virus HIV-2 (Sénégal), Klaus vonKlitzing, Prix Nobel de Physique, NeilTurok, Directeur du Perimeter Institute(Canada) et d’autres figures de renomsont les parrains de l’institut AIMS-Sénégal. Maxime Kontsevich, CédricVillani et Jean-Christophe Yoccoz, lau-réats de la Médaille Fields, dispense-ront des cours pour l’année acadé mique2011-2012. ●

Contacthttp://www.aims-senegal.sn/

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ContactYves Duval, représentant de l’IRD pour le sud de la France [email protected]

Henri de Raincourt, ministre chargéde la Coopération, Anne-Yvonne

Le Dain, vice-Présidente du ConseilRégional de Languedoc-Roussillon

et Michel Laurent, président de l’IRD.

Vue satelliteen faussescouleurs du fleuveMadeira enAmazoniebrésilienne(capteursMODIS). La couleurbrillante dufleuve dénotela présence de matérielsédimentairetransportédepuis laCordillère desAndes jusqu’àl’océanAtlantique.

Sciences au Sud - Le journal de l’IRD - n° 61 - septembre/octobre 2011

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nouvelles découvertes intéressantes ycompris sur des sites déjà explorés parles botanistes par le passé (Roches de la Wayen, La Guen), y compris desplantes jamais récoltées auparavant.Les résultats des prospections sont encours de finalisation, cependant ceuxobtenus pour un groupe embléma-tique (les orchidées) illustrent larichesse des sites prospectés : au moins

L ’aire protégée du mont Panié,en Nouvelle-Calédonie, assure-t-elle son rôle de sanctuaire

de la biodiversité ? Pour répondre àcette interrogation, la Province Nord,Conservation Internationale NC et l’asso ciation Dayu Biik ont diligenté unrapid assesment program sur les pentesdu point culminant du territoire, clas-sées réserve naturelle depuis 1950. Cetype d’étude scientifique ponctuelle estdestiné à fournir, en peu de temps, unétat des lieux de la faune et de la flore.Parallèlement, le mont Panié faisant par-tie d’un projet d’éco-tourisme, l’objectifétait d’assurer une formation naturalisteet scientifique des guides locaux. L’opé-ration, menée en novem bre 2010, visaità compléter l’inventaire taxonomique, àproposer un état de référence et à iden-tifier des aires prioritaires en termes deconservation. Elle a porté sur quatresites représentatifs, Les Roches de laWayem, Wewec, Dawenia, La Guen.« On observe une hétérogénéité bota-nique importante entre les sites, cha-cun apporte sa propre contribution à la biodiversité du massif », estimeJérôme Munzinger qui coordonnel’équipe de botanistes de l’IRD engagéedans l’expédition. Les sites d’ancienneoccupation humaine sont actuellementrecouverts de forêt, indiquant que larecolonisation par la forêt a eu lieu enl’absence de feux. L’équipe a fait de

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Mont Panié, 1 628 m.

Insectes collectés et préparés sur le terrain en vue de leur mise en collection ultérieure.

L’équipe des botanistes lors de l’inventaire du mont Panié.

84 espèces ont été observées parmi les228 connues pour le territoire. Pour lesautres groupes, l’accent a été mis surdes espèces mal connues ou inconnuespour la science (nouveaux taxons dansles genres Meryta, Pandanus, Plancho-nella, Cryptocarya, Elaphoglossum,Dendrobium, Goniothalamus, Bala-nops…) ou bien des espèces rares…Avec une contribution à la biodiversitéestimée à plus de 80 %, les insectessont le cœur de la diversité animale.Neuf groupes représentatifs ont fait l’objet d’un échantillonnage systéma-tique : les fourmis, les phasmes, leschrysomèles, les ténébrionides, les lon-gicornes, les charançons et tous lesorthoptères (grillons, sauterelles, cri-quets), les blattes et les termites. « Plus de 450 espèces d’insectes sontconnues de ce massif », indique HervéJourdan, coordonnateur des travauxentomologiques. La mission a permisd’illustrer une hétérogénéité faunis-tique entre les différents sites. Peud’espèces nouvelles ont été décou-vertes, en dépit de contrastes d’habi-tats forts liés au gradient depluviométrie entre l’est et l’ouest. Cer-taines espèces ont été redécouvertes et

Les botanistes restent prudents : « Lematériel collecté n’a pas encore étécomplètement étudié et les fleurs ou lesfruits, éléments essentiels pour le dia-gnostic botanique, ont – comme tou-jours – été rares. »Parmi plus de 1 000 arbres inventoriésde 334 espèces figurent trois espècesremarquables, aux caractéristiques éco-logiques marquées. « Daphnopsis etZinowiewia sont des plantes sub-montagnardes. Ruptiliocarpon est liéeaux eaux stagnantes des replats1 au-dessus de 500 m. Les conditions plusfraîches du relief lui ont-elles permisd’échapper au réchauffement de la findu quaternaire ? », s’interrogent lesspécialistes de la flore amazonienne. Daphnopsis est le seul arbre de la familledes Thymelaeaceae répertorié enGuyane. Il semble très proche d’espècesconnues du piémont andin d’Amazoniepéruvienne. Jusqu’ici uniquement réper-torié sur les reliefs du Vénézuela, Zino-wiewia aymardii (Celastraceae), arbreémergent de 50 m, appartient à ungenre typique des forêts à nuages.Quant à Ruptiliocarpon, c’est la pre-mière fois qu’un représentant de safamille, les Lepidobotryaceae, est collectéen Guyane. Ce genre était connu par

« La mission Itoupé semble parti-culièrement porteuse de nou-veautés. La diversité végétale est

relativement élevée aux abords du som-met », se réjouissent Daniel Sabatier etJean-François Molino, botanistes à l’IRD.Même si, de leur propre aveu, l’inven-taire du mont Itoupé en Guyane ne sau-rait être considéré comme complet, lesquatre semaines d’exploration réaliséesdans le cadre d’une collaboration avec leParc Amazonien de Guyane ont été fruc-tueuses. Par rapport à la dernière collecteréalisée en 1980, la liste des espècesarborescentes a été multipliée par 10.« Les relevés botaniques et écologiquesont permis de découvrir plusieursespèces de grands arbres forestiers dontla présence, jusqu’ici insoupçonnée,révèle des affinités entre la flore de cepetit relief et celle des piémonts dereliefs plus imposants : les Tepuys, entreVénézuela, Guyana et Brésil, et lesAndes de l’Équateur et du Pérou », pré-cisent les chercheurs. Culminant à 800 m, le mont Itoupé fait partie d’unîlot de 15 km sur 4 km de large érigédans la forêt amazonienne. Sur la vingtaine d’arbres nouveaux pourla Guyane, certains ne sont déterminésqu’au niveau du genre ou de la famille.

G u y a n e

Belle moisson au mont Itoupé

l’aire de répartition de nombreusesautres a été étendue au massif duPanié. Ainsi, plus d’une soixantaine defourmis, plus d’une quinzaine dephasmes, au moins 25 espèces de chry-somèles et autant de longicornes ontété recensées. Le mont Panié abriteune faune originale et endémique maiscette biodiversité est menacée par laprogression d’espèces animales enva-hissantes, comme la fourmi électrique.La réserve joue donc encore son rôle desanctuaire de biodiversité terrestre maisla vigilance s’impose pour préservercette zone. ●

[email protected] AMAP (IRD, Cirad, CNRS, Université Montpellier 2)[email protected] CBGP (IRD, Cirad, Montpellier SupAgro)

Vue aérienne du sommet du montItoupé (Guyane) : les canopées des

Ruptiliocarpon arborent unecouleur plus claire que celles des

autres espèces.

Fruit de Ruptiliocarpon.

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une seule espèce décrite au XXe siècled’Amérique centrale et Colombie, dontles individus du mont Itoupé se différen-cient notamment par leur écologie :inféodés aux eaux dormantes, ils arbo-rent des racines formant des arceauxaériens de couleur rouge vif. « Cetteespèce pourrait être un témoin des ripi-sylves2 amazoniennes des forêts plusfraîches et plus sèches de l’époque gla-ciaire pléistocène3, avancent les bota-nistes. Toutes ces espèces, n’existantque sur de minuscules territoires, sontdonc vulnérables face aux changementsclimatiques annoncés. »Les chercheurs n’ont pas fini d’analysertoutes leurs trouvailles – les échantillonsramenés permettront également d’étu-dier la structure génomique de cesespèces – qu’ils pensent déjà à leur pro-

chaine mission sur le terrain. « Il existecertainement d’autres espèces à décou-vrir sur ce site et sur les rares massifsmontagneux de Guyane qui pourraientéclairer l’histoire des forêts amazo-nienne », présument-ils. ●

1. Partie en terrasse d’une pente.2. Forêt présente sur les rives de cours d’eau.3. Première époque géologique du quater-naire, de 2 millions à 10 000 ans avant leprésent.

[email protected]@ird.frUMR Amap (IRD / Cirad / CNRS / Uni-versité Montpellier 2)

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Les chercheurs viennent de remettre leur rapport au Parc Amazonien de Guyane. Sa flore est encore si mal connue que la mission botanique rapporte aumoins une vingtaine d’espèces de grands arbresinconnues ou nouvelles pour la région.

N o u v e l l e - C a l é d o n i e

Le mont Panié,enclave préservéede biodiversité 60 ans après sa création, entomologistes et botanistesfont le point sur la biodiversité dans la réserve du mont Panié.

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Naissance d’un herbier Vientiane dispose depuis cetété d’un Herbier national, fruit d'un partenariat franco-laotien.La biodiversité végétale du Laos est parti-culièrement riche mais encore largementméconnue. Seule la moitié des 8 000 à11 000 espèces de plantes que compte leterritoire ont été décrites. Inauguré cetété à Vientiane, l’Herbier national vachanger la donne. « L’Herbier national duLaos viendra en appui à la politique deconservation du tout récent ministère del’Environnement », se félicite JérômeMillet, spécialiste des forêts tropicales.Cette réalisation a vu le jour grâce à l’ini-tiative Sud Expert Plantes1 dont l’éco-logue est coordinateur régional pour larégion Asie du Sud-Est. Le nouvel outilpermettra de réaliser le bilan du nombred’espèces, de leur distribution ainsi quede leur statut de protection. L’herbiercompte à l’heure actuelle 5 700 spéci-mens de plantes et s’enrichira progressi-vement. Il a déjà bénéficié de dons deduplicatas de la part d’institutions natio-nales telles que l’Université Nationale duLaos, le Centre de recherche en méde-cine traditionnelle, la Faculté de Pharmacieainsi que de la contribution impor tante(1 800 spécimens) de l’Herbier de Paris.Interlocuteur privilégié en matière detaxonomie et de biodiversité, il s’inscritdans une démarche internationale encollaborant aux grands projets que sontl’Initiative Taxonomique Mondiale et leSystème mondial d’information sur labiodiversité (GBIF). La subvention accordéeau Conseil national des Sciences a permisd’équiper le local accueillant l’Herbier, denumériser les spécimens et de monter lesplanches d’herbier, de former le person-nel à la gestion de la collection. Celle-ciest d’ores et déjà inscrite à l’Index Herba-riorum du New York Botanical Garden etla liste des spécimens est consultable surle site web2, ce qui donne à l’Herbier uneréelle visibilité et une reconnaissanceinternationale. ●

1. Soutenue depuis 2007 par le ministèrefrançais des Affaires étrangères et euro-péennes et mis en œuvre par l’IRD, SudExpert Plantes s’attache à renforcer les com-pétences scientifiques des institutions de 22 pays du Sud dans l’ensemble des disci-plines relatives à la biodiversité végétale.2. www.floraindochina.org, développé dansle cadre de l’initiative Sud Expert Plantes.

[email protected] régional Cambodge-Laos-Vietnam pour l’initiative SudExpert Plantes

Sciences au Sud - Le journal de l’IRD - n° 61 - septembre/octobre 2011

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Des forêts et des hommes Suds en ligne http://www.mpl.ird.fr/suds-en-ligne/foret/index.html

Qu’est-ce qu’une forêt ? Écosystèmedominé par des arbres pour les uns,patrimoine des rapports sociétés/natu-re pour les autres, réserve de bois,support des modes de vie des popula-tions locales ou puits de carbone pouratténuer les effets du réchauffementclimatique… Il n’y a pas de réponse simple à cettequestion mais une multiplicité depoints de vue. Réalisé dans le cadre del’Année internationale des Forêts, ledossier thématique Suds en ligne« Des forêts et des hommes » a mobi-lisé 25 chercheurs de 4 UMR*. Il brosse un état des lieux des forêtstropicales sur 500 pages web illustréespar 500 images.

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Poissons d’Afrique et peuples de l’eauC. Lévêque, D. Paugy et I. MouasÉditions IRD – 48 €

De l’origine des espèces et des premiers inventaires naturalistes aux pratiques de pêche traditionnelles et actuelles, en passant par la systématique et l’écologiedes principales familles, ce livre dresse un panoramacomplet et richement illustré des poissons d’eaux doucesafricains. Les représentations symboliques et artistiquesancestrales, ainsi que de nombreux témoignages actuels,invitent le lecteur à découvrir comment la pêche et les poissons continuent d’imprégner profondément les sociétés africaines. La domestication des espèces,

à travers la pisciculture et l’aquariophilie, est également abordée.

Trois questions à… Didier Paugy, hydrobiologiste, co-auteur de l’ouvrage.Sciences au Sud: Pourquoi réunir poissons et peuples de l’eau dans un même ouvrage ?Didier Paugy : Au-delà de la taxinomie et de l’écologie des poissons d’eau douce d’Afrique,dont nous sommes spécialistes et que nous décrivons en détail, s’impose leur dimension res-source halieutique. Car ces poissons représentent une très importante source de protéinepour les habitants des pays de l’intérieur du continent. Évoquant la pêche, il est égalementnécessaire de décrire les techniques traditionnelles, spécifiques aux lieux, aux espèces ciblées,et toutes les coutumes qui accompagnent sa pratique, usages, gouvernance, croyances…Ces aspects ont été traités par nos collègues des sciences humaines, qui ont une connaissan-ce approfondie des traditions en la matière.SAS : Y a-t-il un paradoxe entre l’accumulation des connaissances sur les poissonset la perte des savoirs traditionnels autour de la pêche ?D.P. : L’époque voit en effet deux temporalités se croiser. D’un côté se développent lesconnaissances scientifiques, avec la découverte régulière de nouvelles espèces, des travauxtoujours plus poussés sur l’écologie ou la génétique des poissons. Et de l’autre se produit undéclin très perceptible, correspondant à une raréfaction de la ressource – les poissons sontbeaucoup moins nombreux dans les eaux continentales – et à une disparition des traditions.Outre les contraintes liées au changement climatique, des engins de pêche modernes sup-plantent les techniques ancestrales et cette évolution s’accompagne souvent par une indivi-dualisation des pratiques, préjudiciable aux pêcheries traditionnelles. Des savoir-faire, des or-ganisations sociales et des légendes anciennes sont certainement en train de s’éteindre àtout jamais.SAS: À qui s’adresse cet ouvrage ?D.P. : Nous avons voulu le destiner au grand public et répondre à l’intérêt très vif suscité parle catalogue d’une exposition sur ce même thème, organisée par nos soins en 2006-2007 àl’aquarium de la Porte Dorée à Paris. L’idée est de donner un état des lieux très accessible,avec le témoignage de chercheurs, de pêcheurs et un contenu basé pour moitié sur le texteet pour moitié sur l’iconographie. Les thèmes de l’élevage aquacole et de l’aquariophilie, quifont désormais partie de l’histoire de cette faune, sont également évoqués.

Écologie de la santé et biodiversité Sous la direction de Michel Gauthier Clerc et Frédéric ThomasDe Boeck – 55 €

Le monde fait face à une perte de biodiversité et à l’émer-gence de maladies infectieuses, dont la majorité est issuedes animaux, en particulier sauvages. Ces deux crises, de labiodiversité et sanitaire, sont liées par leur origine, en par-tie commune : l’augmentation des perturbations environ-nementales dues aux activités humaines. Face à ces défisémergents, des ponts étroits entre l’écologie et la santé,jusqu’alors éloignées par la grande spécialisation de lascience ou par l’absence d’intérêts réciproques, sont désor-mais incontournables. Cet ouvrage collectif est un supportpour l’enseignement et fait le point sur les recherches

actuelles à l’interface entre la biodiversité et les enjeux de santé publique et vétéri naire,en réunissant des chercheurs aux compétences et origines très variées : écologie, bio-logie de la conservation, épidémiologie, écotoxicologie, sociologie, économie, sciencespolitiques, et des professionnels de la santé, vétérinaire et humaine.

Insularité et développement durableSous la direction de François TaglioniÉditions IRD – 42 €

À l’heure où le développement durable est désormais ancré dansde multiples sphères scientifiques, économiques et politiques,cet ouvrage interroge les spécificités avérées ou supposées de ceconcept dans les petits espaces insulaires (PEI). Suite aux objec-tifs fixés lors du Sommet de la Terre de Rio (1992) renouveléslors de la Conférence de Maurice (2005), les thèmes du tou -risme durable, des ressources côtières et marines, de la biodi-versité, de l’énergie et des changements climatiques en milieuinsulaire s’inscrivent en effet parmi les préoccupations perma-nentes des gouvernements concernés et des organisations

internationales. Loin de présenter un modèle générique ou une solution unique, cet ou-vrage collectif analyse les possibilités de préserver ces espaces fragiles en fonction de leurs spécificités physiques, géographiques, politiques, socio-économiques, cultu-relles… Les entrées de l’ouvrage sont multiples, consacrées à des terrains et des problé-matiques variés et complémentaires. Des Açores à la Réunion, des Antilles aux Baléares,qu’elles soient riches ou pauvres, situées au sud ou au nord, indépendantes ou reliéesà une lointaine métropole, les îles sont ici décrites dans toute leur variété, apportant deséléments concrets de réflexion sur les perspectives de mise en œuvre du développementdurable dans les PEI.

Poissons de mer de l’Ouest africain tropicalAuteur : B. Seret ; illustrations : P. OpicÉditions IRD – 22 €

Présenté comme un catalogue, cet ou-vrage s’adresse au naturaliste amateur,au pêcheur, au plongeur mais aussi autouriste curieux de découvrir les poissonsde mer de l’Ouest africain. Le pêcheurprofessionnel et l’agent des pêches mari-times y trouveront les noms scientifiqueset vernaculaires nécessaires a leur acti -vité, en ouoloff, leboui, soussou, serere,mandingue et vili. Les espèces les pluscommunes ont été sélectionnées etquelques autres retenues pour leur origi-nalité morphologique ou biologique. Laqualité de l’illustration permet d’identifierle poisson sans clés de détermination.Pour chaque espèce, une courte descrip-tion, insistant sur les caractères distinctifset la coloration, complète le dessin. Desdonnées sur la répartition géographique,l’habitat, la biologie sont également pré-sentées. Un glossaire facilite la lecturepour le non-spécialiste.

Biodiversité : paroles d’acteurs

Rencontres avec le conseil d’orientationstratégique de la Fondation pour la re-cherche sur la biodiversité.

Vulnérabilité, insécurité alimentaire et environnement à MadagascarSous la direction de Jérôme Ballet et Mahefasoa RandrianalijaonaÉditions L’Harmattan – 22,50 €

Les pays en développement sont de plus en plus affectés parles changements climatiques. Madagascar est particulièrement touché par la sécheresse ausud et les cyclones à l’est. Cet ouvrage souligne, à partir d’analyses empiriques, les relations entre la vulnérabilité del’environnement et la vulnérabilité économique et sociale despopulations.

Madagascar dans la tourmente Nicole Andriananarina, Jérôme Ballet, Nirina Rabevohitra, Patrick RasolofoÉditions L’Harmattan – 13,50 €

Début 2009, Madagascar est entré dans une crise politique pro-fonde. Les effets de cette crise sur les populations et les filières deproduction sont très peu documentés. Cet ouvrage présente lesanalyses et résultats d’une des rares études à avoir évalué ces effets dans les zones rurales du pays. Les filières du riz, du lait, de la vanille ont été particulièrement

affectées par les décisions politiques durant cette période.

Comment préserver les ressources naturelles ?Jérôme Ballet, J.-M. Kouamékan Koffi, Kouadio B. Koména, T. Mahefasoa RandrianalijaonaRue d’Ulm – 7 €

La gestion participative des ressources naturelles a été imposée auxpays en développement par les bailleurs de fonds internationauxdans les années 90. Cette nouvelle modalité de gestion des res-sources se construit en théorie avec l’appui des populations localespour leur propre bénéfice.

Dans la réalité, elle tend plutôt à s’imposer à elles. Elle les détourne de l’accès à des ressources sanctuarisées. Elle favorise globalement la captation de rente par l’État etcertaines ONG de conservation. Les projets de gestion participative se révèlent alorssouvent inadaptés pour les populations. Ils renforcent les inégalités sociales au niveaulocal et ne parviennent pas à réduire de manière substantielle la dégradation des ressources naturelles. Un tel constat plaide donc pour une reconfiguration de cette gestion sur la base d’une véritable démocratie participative et pour le développementde processus longs permettant un véritable apprentissage collectif.

Transitions décrétées, transitions vécues : du global aulocal, approches méthodologiques, transversales etcritiques AFD, EFEO et Tri Thuc (Connaissances)École française d’Extrême-Orient

Journées de Tam Dao 2010L’Académie des Sciences Sociales du Viêtnam (ASSV), l’AgenceFrançaise de Développement, l’Institut de Recherche pour le Déve-loppement, l’université de Nantes, l’École française d’Extrême-Orient et l’Agence universitaire de la Francophonie ont décidé de

soutenir l’université d’été en sciences sociales intitulée « Les Journées de Tam Dao »dans le cadre d’un accord de partenariat 2010-2013.Cet ouvrage présente un verba-tim des interventions présentées et des débats tenus lors des séances plénières et desateliers qui se sont déroulés du 16 au 24 juillet 2010 à Hà Nôi et à la station d’altitu-de de Tam Dao sur la problématique de la transition. Le concept, et la variabilité dessituations qu’il recouvre, ont été abordés selon quatre principaux axes d’étude : latransition agraire, la transition économique par le prisme de l’analyse quantitative etqualitative, les méthodes d’enquêtes de terrain en socio-anthropologie du développe-ment, la transition démographique et les transformations familiales.

Protected areas, sustainable land ? Sous la direction de Catherine Aubertin et Estienne RodaryIRD Éditions, Ashgate – 56 €

Les aires protégées – réserves naturelles, parcs nationaux ouzones marines préservées – constituent le principal outil despolitiques de conservation de la nature. À ce titre, elles sedéveloppent partout dans le monde.Modalité essentielle de la planification environnementale,elles voient leurs moyens augmenter régulièrement. Dans lemême temps, leurs objectifs se diversifient au gré de la multiplication du nombre des acteurs impliqués et de lacomplexification du cadre institutionnel. Faisant le point sur l’extension et la diversification des

formes d’aires protégées, cet ouvrage évalue si ces processus correspondent à unerupture dans les politiques de conservation. Économistes, écologues, juristes, géo-graphes et anthropologues y analysent les différentes tendances qui sous-tendentl’avenir de ces zones. Ils brossent un tableau contrasté, révélant un contexte conflic-tuel dans lequel le récit autour de la coopération et de l’intégration cache uneconcurrence féroce entre les différents intérêts. Ce livre montre ainsi comment les aires protégées, s’éloignant des buts de dévelop-pement durable, deviennent des lieux d’expérimentations plutôt que des formesdurables de la gestion environnementale intégrée.

Inégalités scolaires au SudAutrepart n° 59 IRD-SciencesPo Presses – 25 €

La question des inégalités éducatives estau cœur d’enjeux socio-économiquesmajeurs pour les pays du Sud car l’acqui-sition et la maîtrise des savoirs sont la cléde la participation à la vie économique,sociale et politique. Cependant, alorsque partout ou presque la scolarisationprogresse rapidement, l’inégale réparti-tion de l’offre scolaire tant en quantitéqu’en qualité demeure l’un des princi-paux obstacles à la généralisation del’enseignement primaire et à l’ouvertureplus démocratique du secondaire et dusupérieur. Ce numéro propose d’analy-

ser les inégalités à la fois du point de vue des politiques éduca-tives, de celui des stratégies familiales ou des groupes sociaux.Selon les pays ou les régions du Sud, il montre leur persistanceà tous les niveaux d’enseignement sous des formes qui varient,se transforment et parfois s’intensifient par l’effet conjugué despolitiques publiques de décentralisation, de diversification et deprivatisation de l’éducation.

La famille transnationale dans tous ses états Autrepart n° 57-58IRD-SciencesPo Presses – 32 €

À partir de terrains d’une diversité rare,ce numéro explore la notion de « fa-mille transnationale » et le quotidiende ceux qui vivent séparés. Les mondes sociaux traversés – élites, classesmoyennes, paysans, commerçants oudéplacés de guerre – illustrent la mon-

dialisation migratoire. Des acteurs moins étudiés (enfants,personnes âgées, mères à distance…) sont au cœur des enjeux de la dispersion et du lien (travail, éducation, soin…),envisagés à l’aune des progrès des (télé)communicationsmais aussi du durcissement des politiques migratoires. Au-delà de ses bénéfices en termes de ressources écono-miques et symboliques, la transnationalisation des familles aaussi des conséquences sociales et affectives parfois drama-tiques. Ce numéro a pour objectif d’offrir une vision nuancéed’un phénomène qui ne suscite pas toute l’attention politiqueet scientifique qu’il mérite, au Nord comme au Sud.

Entomologie, Darwin et darwinismeYves Carton Hermann – 23 €

Charles Darwin (1809-1882) est peu reconnu pour son activité scientifique d’entomologiste. Or, l’entomologie atenu un rôle essentiel dans l’élaboration de sa théorie.C’est cet aspect du travail de Darwin qu’Yves Carton nousdévoile ici. Ponctuée d’observations originales, sur les abeilles et lesbourdons par exemple, la première partie de ce livre retra-ce l’attrait de Charles Darwin pour l’entomologie durantson cursus universitaire, les cinq années de son périple autour du monde sur le Beagle et, à partir de 1842, danssa propriété de Down. Dans la deuxième partie, l’auteurévoque la place de l’entomologie dans ses ouvrages. La publication de l’Origine des espèces en 1859 provoqua notamment un bouleversement radical dans ses relationsavec les entomologistes anglais. Il y a un avant Origine des espèces, très consensuel, etun après, très polémique. Mais certains d’entre eux, qui avaient compris le bien-fondéde sa théorie, contribuèrent fortement à sa diffusion. Enfin, dans une troisième partietotalement inédite, l’auteur décrit les relations des entomologistes français avec le darwinisme. Il y analyse l’accueil, le plus souvent négatif, des nouveaux concepts surl’évolution et l’influence du néolamarckisme sur leur compréhension. Aucun ouvrage,même en langue anglaise, n’avait auparavant traité de cette question.

Le désarroi camerounaisL’épreuve de l’économie-mondeSous la direction de Georges CouradeIRD – Éditions Ifrikiya – Nouvelle édition

Le désarroi camerounais est un ouvrage sur les effets de l’ajuste-ment structurel dans la société camerounaise sorti en 2000 etépuisé depuis plus de 5 ans. Réalisé par des chercheurs desciences sociales malmenés par la crise de la dette et le xxxxxxthérapeutiques mises en œuvre, il nous questionne à la fois surl‘actualité d’une relecture de ce passé encore présent et de cetarrêt sur image mais aussi sur la manière de s’organiser en situa-

tion postcoloniale pour répondre scientifiquement à un changement accéléré.

Sciences au Sud - Le journal de l’IRD - n° 61 - septembre/octobre 2011

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une récréation, un grand moment deplaisir partagé, même si le côté ‘’miseen scène’’ imposé par les contraintesde tournage freinait un peu la sponta-néité », livre Edmond Dounias, cher-cheur à l’IRD. Ethnobiologiste à l’écoutedes savoirs naturalistes en forêt tropi-cale humide, il a dialogué avec l’auteuret metteur en scène Gérard Watkins,par ailleurs acteur et compositeur inter-prète. Tous deux composaient l’un descinq « Binômes » concoctés par Uni-

B inôme d’Universcience, Sum-mer lab du Domaine d’O, Ren-contres-i du Théâtre Hexa gone

de Meylan, journées « Art et écologiehumaine » de la Société éponyme…Depuis quelques années, les expé-riences de métissage entre la Science etl’Art poussent comme des pâquerettesau printemps. L’engouement des initia-teurs de ces actions rejoint celui desartistes et des chercheurs qui s’y sontfrottés. « J’ai vécu l’exercice comme

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Gérard Watkins (dramaturge) et Edmond Dounias (ethnobiologiste) dansle cadre du projet Binôme.

Ouverture du séminaire par l’Ambassadeur de France au Mali, en présence de l’ambassadeur du Mali au Sénégal, du représentant de l’IRD au Mali, du directeur de cabinet du ministre malien de l’Enseignement supérieur, du recteur de l’Université de Bamako et de la coordonnatrice du FSP.

Les participants du Summer lab 2011 visitent le Domaine d’O sous la houlette de son directeur, Christopher Crimes.

verscience1 et la Compagnie de théâtre« Le sens des mots ». Les deux pre-mières phases du jeu de ping-pongétalé sur deux mois – rencontre initialepuis découverte par le chercheur dutexte écrit par l’auteur – sont filmées etintégrées, sous forme d’extraits, à lareprésentation de la pièce devant lepublic du Festival d’Avignon2. « C’est làl’intérêt et l’originalité du processus oùla rencontre entre l’artiste et le cher-cheur, regardée à la loupe, fait partieconstituante de l’œuvre définitive »,relève Marie-Lise Sabrié, responsabledu service Culture scientifique à l’IRD. La richesse des échanges était égale-ment au cœur d’une autre initiative, lelaboratoire d’été accueilli dans uncadre unique, le Domaine d’O3. Cejoyau montpelliérain doté d’un théâtredans un parc de 25 ha proposait uneimmersion dans la nature en réson-nance avec la vocation du partenaire,le réseau Imagine 2020. Ce projet del’Union européenne soutient les créa-tions artistiques prenant en compte lechangement climatique. Le face à faceorganisé sur le thème de la forêtconfrontait donc des chercheurs et des artistes européens – d’origine géo-graphique et de disciplines très variées.« J’ai choisi de déconstruire les a priorisur la forêt. Quelles que soient nos ori-gines culturelles, géographiques ousymboliques, nous avons tous cetterelation ambigüe à la forêt », constateBernard Moizo, spécialiste à l’IRD desrelations entre l’Homme et ce milieuriche en mythes. Les protagonistes ontimprovisé, de concert, des restitutionsutilisant la parole et la déambulation.En 4 jours, difficile de faire davantagemais pour ne pas rester sur leur faim,

quelques-uns ont noué des contacts àplus long terme et des artistes en résidence au Domaine d’O réaliserontdes installations nourries de ces ren-contres. Au final, un bilan positif partagé par l’ensemble des interve-nants. « Nous souhaitons continuer àsoutenir de telles initiatives, souligneMarie-Lise Sabrié. Portées par un espritde véritable réciprocité dans l’échange,elles mettent en lumière le travail deschercheurs dans un processus de co-création. » « Autrefois, les retoursd’explorations autour du Monden’étaient communicables au grandpublic que par les dessins. Réhabilitonsl’Art comme vecteur de la Science au lieu de cantonner l’un et l’autredans l’élitisme », conclut pour sa partBernard Moizo. ●

1. Né de la fusion de la Cité des sciences et duPalais de la découverte.2. 18 juillet 2011. Deux autres représentationspubliques sont prévues à Paris le 17 novembre à laCité des sciences et le 24 novembre au Palais de ladécouverte. 3. Première université d’été du réseau Imagine 2020« Arts and climate change », 24-27 août 2011,organisée avec le Cirad.

[email protected] UMR CEFE ( IRD / CNRS / UniversitésMontpellier I, 2 et 3 / SupAgro / Cirad / EPHE / Inra)[email protected] UMR Gred (IRD / Université Montpellier 3)[email protected] du service Culture scientifique

est affectée à l’alimentation, la santé etla scolarité, tandis qu’à Sikasso, régioncotonnière où elle ne représente que18 % des ressources, elle est utiliséepour soutenir l’effort productif. Ilsnotent aussi que les destinations desmigrants s’orientent désormais plusvers d’autres pays africains ou l’Es-pagne que vers la France ou la Côte-d’Ivoire comme par le passé.« Les crises militaires et politiquesaccentuent les mouvements migra-toires mais surtout en direction despays africains », révèle aussi Rabia Bek-kar, évoquant cette fois les recherchesd’une sociologue4 sur le conflit enRépublique démocratique du Congo.Pour celle-ci, les périodes d’instabilité

ont davantage d’impact sur la migra-tion des personnes les moins instruites.Les Africains issus de l’enseignementsupérieur ou disposant d’une solideinsertion dans les réseaux sociaux onten effet dix fois plus de probabilités demigrer, quelles que soient les circons-tances. Et c’est particulièrement vrais’agissant de la migration des femmesvers l’Europe. En revanche, les retoursvers le pays d’origine ne varient pas enfonction du niveau d’éducation. Quantaux transferts financiers provenant dela diaspora, ils atteignent égalementdans cette région des volumes impor-tants. Pour la seule ville de Kinshasa, ilss’élèvent ainsi à 140 millions de dollarsannuellement et représentent un leviersocial irremplaçable. « Une réductiondes flux migratoires s’accompagneraitd’une diminution de ces transferts économiques et serait très contre-productive en matière de développe-ment », souligne Rabia Bekkar.La trajectoire des migrants ouest-africains dans la capitale sénégalaise ne saurait, elle aussi, être considéréesans subtilité. « Des logiques diversesse côtoient à Dakar, explique-t-elle encitant les travaux d’un géographesénégalais5 sur la métropole de la pres-qu’île du Cap-Vert. Celles des natifs,candidats au départ vers l’Europe duSud ou l’Amérique du Nord, et cellesdes migrants internes, en transit vers

L a recherche bouscule parfois lesidées reçues. Des travaux sur lesmigrations internationales, pré-

sentés récemment à Bamako dans lecadre d’un séminaire1, démentent ainsiles a priori les plus ressassés sur le sujet.« La migration consolide le tissu socialdans les villages d’origine et nedétourne pas du travail productif »,affirme la sociologue Rabia Bekkar,rapportant les travaux menés par unsociodémographe2 et un anthropo-logue3 dans les régions maliennes deKayes et Sikasso. Selon ces chercheurs,les transferts monétaires des émigréscontribuent indiscutablement au déve-loppement local. À Kayes, cettemanne, qui atteint 58 % des revenus,

Bon vent Condo !« Bon vent », signait-il ; « on les aura »,s’exclamait-il au téléphone. Deux expres -sions pour rappeler une personnalité hors ducommun, celle de Georges Condominas,figure dominante de l’ethnologie française,né le 29 juin 1921 à Haïphong (Vietnam) etqui s’est éteint à Paris parmi ses proches le17 juillet 2011. « Condo » était un ethnologue entierreprésentant ce qu’il y a de plus noble dansnotre métier, l’alliance de la recherche et de l’homme. Mais Condo était aussi undessinateur, un acteur parfois, un collec tion -neur (expositions au musée du Quai Branlyet à Hanoi) et un écrivain qui considérait saparticipation à la réédition de Vie de Rancéde Chateaubriand comme un sommet de savie littéraire.Sur la « méthode », il n’y avait pas dediscussion : immersion, apprentissage de lalangue, lien affectif avec « son » peuple,sans lequel il n’est pas de science« humaine »1 ; méthode qui permettait dereconnaître les autres en se connaissant soi-même. Si Condo voulait être reconnucomme théoricien – et il n’avait rien àprouver2 – il était avant tout un hommedans son acceptation la plus généreuse, àl’écoute, curieux, infatigable lecteur et enquête perpétuelle de savoir, de compa -raisons et doté d’une mémoire fabuleuse. Faire de l’ethnologie avec Condominas dansles années 80, c’était être au cœur dessciences humaines et apprendre à défendresa position. « Si l’on vous demande à quoisert l’ethnologie »… commençait-il pour lesnouveaux venus, sous-entendant que lastupidité de la question ne pouvait queprovoquer un « à rien ». Rappelons aussi ledéstabilisant « non je ne vais pas bien »auquel le visiteur ne savait pas quoirépondre : trop d’humanité dans unéchange socialement codé qui lui permettaitde garder un œil goguenard sur les recrueset leurs réactions. Condo était devenumaître dans l’art de connaître l’autre.« Bon vent », à l’image de sa vie admi nis -trative tumultueuse : 13 années à l’Orstomqui lui offrirent la possibilité de découvrirMadagascar qu’il aima profondément,détaché à l’École française d'extrême-Orient(Efeo), participant au dévelop pement touten défendant le primat de la recherchefondamentale sur la recherche appliquée,devenu professeur à l’Ehess (1960),fondateur du CeDrasemi3 et de séminairequi s’est penché de nombreuses années surl’esclavage. Condo a dès lors ouvert lesportes à plusieurs générations de chercheurset contribué à donner ses lettres de noblesseà une aire culturelle jusqu’alors délaissée :l’Asie du Sud-Est.« On les aura », désignait l’intégrité del’ethnologue luttant pour exister sanscompromission, mais aussi tous ceux quel’auditeur voulait, enfin et d’une manièregénérale ceux qui ne pouvaient ou nevoulaient pas remettre en cause leurspréjugés, leurs positions sociales, mandarinsou bureaucrates coloniaux.Condo pensait toujours ne pas survivre auxcoups du sort, aux maladies, aux guerres, ilse voyait en survivant alors qu’il était unrésistant. Et c’est en résistant qu’il aura sunous insuffler la volonté de continuer. C’estune part de nous-mêmes qui nous a quittésmais c’est aussi une part de lui-même queCondo nous a laissée.

Jacques Ivanoff, ethnologue au CNRS

1. Nous avons mangé la forêt de la Pierre-Génie Gôo. Chronique de Sar Luk, villageMnong Gar (tribu proto-indochinoise deshauts-plateaux du Viêtnam central), Paris,Mercure de France, 1957.2. L'Espace social : à propos de l’Asie du Sud-Est, Paris, Flammarion, 1980.3. Centre de documentation et de recherchesur l'Asie du Sud-Est et le monde insulindien

[email protected]

Sciences et artsen partage

d’autres capitales du continent. » Et là,apparemment, les transferts financiers,majoritairement consacrés aux dépensesquotidiennes de bénéficiaires, ne béné-ficient pas aux transformations urbaines.Allant à l’encontre des lieux communssur le déracinement des migrants, ellementionne la notion de « villages multi-situés », issue des travaux d’un cher-cheur du projet Sénégal6. Pour cedernier, il existe un réel espace de circu-lation d’individus, d’idées, de pratiques,de paroles, de biens et d’argent liant levillage d’origine et les différents sites depassage ou de migrations de ses ressor-tissants de toutes générations. ●

1. Atelier de restitution du FSP « Migrations inter-nationales, recompositions territoriales etdéveloppement » (IRD/MAEE). 2. Pierre Cissé, université de Bamako.3. Christophe Daum, université de Rouen.4. Marie-Laurence Flahaux, université catholique deLouvain / INED, projet Congo/Sénégal.5. Papa Sakho, université de Dakar.6. Hamidou Dia, UMR LPED (IRD, université de Pro-vence).

[email protected] du FSP « Migrationsinternationales »UMR Sociétés et développement (IRD,Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne).

Cet été, l’IRD participait à des initiatives favorisant la rencontre entre deux mondes : l’Art et la Science.

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Une convergence de vues entre le généticien des populations Yves Vigouroux et l’écologistedes maladies infectieuses Jean-François Guégan conduit ces deux chercheurs de l’IRD

à une réflexion sur l’intérêt de mobiliser la biodiversité pour intensifier écologiquementl’agriculture et freiner la propagation des maladies.

multiplication du nombre des acci-dents. D’autres facteurs anthropiques,tels le nourrissage des requins, le rejetd’effluents organiques, la présence decages d’élevage, la pêche intensive quiréduit les proies au large ou l’aména-gement du littoral contribuent égale-ment au phénomène. Le réchauf fementclimatique est aussi invoqué mais lesdonnées scientifiques restent insuffi-santes pour déterminer son impact réelen la matière. Quant à la baisse du tauxde mortalité dans les accidents avecdes requins, elle est vraisemblablementdue à une meilleure prévention desrisques, par l’information et l’éducationdes populations qui fréquentent lesbords de mer en zones potentiellementdangereuses et par l’amélioration destraitements apportés aux victimes. Tou-jours est-il que la plupart des confron-tations entre hommes et requins setermine mal… pour les requins.L’homme est beaucoup plus dangereuxpour le requin que l’inverse ! De fait,les poissons cartilagineux (requins etraies) sont intensément pêchés. En2009, la production recensée par la FAO

atteignait 720 000 tonnes, en baissedepuis 2003 où elle s’établissait à 900 000 tonnes. Et à cela il faut ajou-ter les prises non déclarées et les rejets,estimés à environ 700 000 tonnes. Entout, les prélèvements pourraientatteindre 1,5 million de tonnes par an.

Sciences au Sud : De quels constatssont issues vos certitudes sur l’im-portance de la biodiversité ? Jean-François Guégan : Parmi lesdéterminants principaux des émer-gences de maladies infectieuses de ces35-40 dernières années, près de la moi-tié d’entre elles (comme la mycobactérieenvironnementale Mycobacterium ulce-rans, responsable de l’ulcère de Buruli,qui se développe dans les périmètres irri-gués en Afrique de l’Ouest) est associée

aux usages des sols et aux aménage-ments agricoles allant dans le sens de ladestruction des équilibres écosysté-miques.Yves Vigouroux : La biodiversité enmilieu agricole est souvent vue commeune assurance pour tamponner leseffets de la variation du climat et despathogènes. Peu d’exemples ont étédocumentés mais on peut citer l’utilisa-tion de variétés de riz différentes. Culti-vées ensemble sur de larges étenduesen Chine, elles minimisent les consé-quences de certains pathogènes sur lerendement.

SAS : Comment se traduit, dans vosdomaines respectifs, le rôle fonction-nel de la diversité biologique quevous souhaitez souligner ?J.-F. G. : Dans le cas des maladies d’ori-gine animale transmissibles à l’humain,des écosystèmes riches en espèces – oùse côtoient prédateurs, proies et compé-titeurs – peuvent constituer des bar-rières naturelles à la transmission d’unagent infectieux dans la mesure où cesécosystèmes abritent des espèces réser-voirs ou vectrices pas ou peu compé-tentes dans la transmission, freinant ouinterrompant celle-ci. Statistiquement,

Sciences au Sud - Le journal de l’IRD - n° 61 - septembre/octobre 2011

T r i b u n e

Requins : attention dangers !

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Conservation de la biodiversité et développement sont-ils incompatibles ou complémentaires ?

E n mer Rouge, aux Seychelles etplus récemment à la Réunion,une série spectaculaire d’at-

taques de requins, tuant ou blessantdes baigneurs et des surfeurs, a mar-qué l’actualité. Au total, 83 accidentsont été dénombrés dans le mondepour les seuls neufs premiers mois del’année 2011, dont 12 cas mortels… Y a-t-il recrudescence du phénomène ?La question est sur toutes les lèvres. Envaleur absolue c’est le cas, le fichiermondial des attaques de requinstémoigne d’une progression régulièrede leur nombre : il y en avait enmoyenne 50 par an dans la décenniedes années 90, puis 65 dans la décennie suivante… En revanche, lamortalité associée à ces événementsdramatiques diminue nettement, pas-sant, pour ces mêmes périodes, de 6 à 4,8 cas fatals par an. Faut-il y voir un changement du com-portement des requins ? Rien n’estmoins sûr, ce sont des prédateursadaptés depuis longtemps à leur fonc-tion et à leur environnement. L’hom me,en revanche, occupe de plus en plus lesespaces maritimes et fatalement la pro-babilité de funestes rencontres aug-mente. Le développement des activitésaquatiques – de loisir, comme la bai-gnade ou le surf, ou professionnelles,comme l’aquaculture – est plus oumoins directement responsable de la

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plus l’écosystème est riche, plus il y a dechances qu’il y ait des espèces « cul desac » du point de vue du pathogène. Lamaladie de Lyme ou celle du Nil occi-dental sont deux exemples pour lesquelsnous possédons de bonnes évidences.Y. V. : Nos études montrent que ladiversité génétique des espèces végé-tales cultivées peut être mobilisée pourfavoriser l’adaptation de l’agricultureaux variations du climat en quelquesdizaines d’années au Sahel. Parexemple en faisant coïncider cycle defloraison du mil et saison des pluies, cequi est crucial au Sahel où cette saisons’est largement réduite depuis lesannées 50.

SAS: Dans cette optique, quellessont les orientations souhaitablespour nos partenaires du Sud ? J.-F. G. et Y. V. : Face aux enjeux agro-nomiques et sanitaires accentués parles modifications environnementalesplanétaires ou régionales à venir, il esturgent de restaurer la diversité et lacomplexité des milieux anthropisés. Labiodiversité interviendra comme assu-rance face à ces nouveaux risques enprocurant les futures solutions d’adap-tation et de résilience des milieux.

Pour cela, les pratiques doivent s’inspi-rer de l’intensification écologique quiseule peut réconcilier les besoinscontradictoires de productivité, desécurité alimentaire et sanitaire et dedéveloppement durable. Un écosys-tème naturel remplit des fonctions depurification de l’air et de l’eau, deréservoir de biodiversité, de modéra-teur pour la transmission des maladies,de stockage de carbone, ce qui repré-sente autant de services mais enrevanche, ce milieu est très peu effi-cace en termes de production. À l’op-posé un système agricole intensif esttrès productif mais contribue très peupour tous les autres paramètres. Laréintroduction de biodiversité permet-trait de réaliser un compromis àl’échelle du paysage en jouant à la foissur le nombre de variétés et d’espècescultivées, la parcellisation, l’alternancede zones cultivées et non cultivéesainsi que sur la rotation des cultures.Pour répondre à ce défi et pallier lemanque actuel de savoir et de savoir-faire dans ce domaine, nous plaidonspour le développement d’observationset d’expérimentations sur le terrain. Parexemple, la mise en place de modèlespilotes intégrant ces différentes com -

posantes sans oublier le bien-être despopulations, notion elle-même multi-dimensionnelle et inséparable des autrespréoccupations, pourrait représenterune initiative transversale de recherchepour le développement à explorer. ●

Leurs propos retracent le contenu de leurs conférences sur la Biodiversité à l’Académie des Sciences. Comptes rendus de l’Académie des Sciences (2011) (Biologies). 334 (5-6).

[email protected] UMR Diade (IRD / Université Montpellier 2) [email protected] Mivegec (IRD / CNRS / Université Montpellier 1 et 2)

Ces données sont souvent transfor-mées en nombre de requins par lesassociations militantes, pour donnerune échelle de grandeur plus compré-hensible. Ainsi, le nombre de 100 mil-lions de requins tués chaque année estavancé. Il ne s’agit nullement d’unestatistique mais d’une estimation,obtenue en divisant la production glo-bale par le poids moyen d’un requin.Reste à s’accorder sur le poids moyend’un requin…Avec les nouvelles méthodes d’analyse,comme la génétique et la biologiemoléculaire, et les dernières technolo-gies de suivi acoustique et satellitaire,nos connaissances sur la biologie etl’écologie des requins ont nettementprogressé. Mais il reste encore beau-coup à faire en la matière, et l’IRD, avecsa spécificité tropicale, aura un rôleimportant à jouer dans ces recherches.

S’il existe une incertitude sur la quan-tité de requins pêchés, des étudesrécentes montrent clairement le déclinde plusieurs grandes espèces côtièresou pélagiques, dont les populationsont baissé de 60 à 90 % au cours des 15 à 30 dernières années. Cettehémorragie est essentiellement liée à lasurpêche car le requin représente unenjeu économique considérable. Lemarché de ses ailerons, par exemple,engrangerait annuellement 37 milliardsde dollars, selon des estimations de2003, autant que celui de la drogue !Le prix d’un kilogramme d’aileron séchédépasse ainsi 500 euros et celui d’unbol de soupe 100 euros…Mais un requin vivant pourrait rappor-ter 10 fois plus qu’un requin mort,selon certains travaux. Ainsi, la décou-verte des requins dans leur environne-ment naturel suscite un écotourisme

lucratif sur les littoraux tropicauxdepuis plusieurs années. Cuisant reversde la médaille, les récentes attaquesont entraîné une baisse substantielledes économies touristiques locales,pouvant atteindre 60 %. La peur et l’appât du gain ne détermi-nent pas partout les rapports entrehommes et requins. Dans les pays insu-laires du Pacifique, le requin conserveune valeur patrimoniale forte. Ainsi, iln’est pas craint par certains peuplesocéaniens pour qui il est un membre dela famille, issu d’une union entre undieu et un humain, ou l’héritier de l’es-prit d’un défunt. ●

ContactBernard [email protected] EME (IRD, Ifremer, UniversitéMontpellier 2)