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1 Mémoire d'initiation à la recherche - Essai théorique sur un modèle d'évolution pour la ville complexe Quels paramètres architecturaux et environnementaux pour une meilleure simulation du développement des formes urbaines ? Etienne Gilly - Responsable du mémoire : Hervé Lequay

Essai théorique sur la ville complexe

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Comment saisir la ville complexe ? Comment intégrer les variables liées à la complexité dans un processus d'aides à la conception ? Et quelles sont ces variables ? Ce sont les questions que se posent ce mémoire et auxquels il tente de donner des éléments de réponses. Cependant, la notion de complexité elle-même indique que nous ne trouverons pas une solution globale à ces questions. C'est là le challenge majeur que les architectes devront relever dans le futur : Comment simplifier l'équation de la complexité dans un objet et faire de celui-ci une partie autant qu'un acteur de la ville. What is the complex city? How should we integrate its components into a process of conception? What are those components? These are the questions asked in this mémoire. And we also tried to give parts of the solution. Nevertheless, the concept of complexity itself means that we won't find an exact answer to these questions. Here is the challenge that architects will face in the future: how to simplify th

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Mémoire d'initiation à la recherche -

Essai théorique sur un modèle d'évolution pour la ville complexe

Quels paramètres architecturaux et environnementaux pour une meilleure simulation du développement des formes urbaines ?

Etienne Gilly -

Responsable du mémoire : Hervé Lequay

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"La ville est une réalité sociale et

économique. Elle est aussi une forme complexe. Les paysages urbains, les formes urbaines, les rues, les places, l'architecture sont bien autres choses que de simples traductions matérielles de processus socio-économique ou politiques. L'étude morphologique est la clef de compréhension du paysage urbaine, désormais enjeu central dans les préoccupations des aménageurs et législateurs. Préalable indispensable à tout acte d'aménagement, de l'écriture du PLU à l'opération d'urbanisme, elle est d'autant plus importante que le temps est au renouvellement de la ville sur elle-même (issu du postulat de la ville comme entité complexe, intelligente, vivante), donc à l'intervention sur le tissu existants. La prise en compte du contexte urbanistique prend alors une place croissante. Réalité complexe, analysable à différents niveaux d'échelles, la morphogenèse urbaine traverse les cloisonnements disciplinaires"

Patrick Berger

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Ouverture « Il n’est pas aisé de construire des territoires harmonieux. Chacun en conviendra, quelle que soit sa position et ce à toutes les échelles. Les insatisfactions qui en découlent ne relèvent pourtant pas d’une quelconque fatalité imputable à « l’Homme » : en effet, il semble que nombre d’entre elles procèdent davantage de notre difficulté à penser la diversité. » (Penser et modéliser la complexité urbaine, D. Badariotti, M. Roux, Laboratoire Société, Environnement, Territoire, UMR 5603 du CNRS et Université de Pau, 2007.) 2007 a marqué un tournant dans l’histoire de l’humanité : après n’avoir été que 3% des habitants de la planète en 1800, les citadins dépassaient la barre des 50%. Ils sont déjà 79% dans un pays qui se croit encore agricole comme la France, et atteindront 70% au niveau global dès 2050, faisant entrer définitivement notre civilisation dans l’ère de l’homo-urbanus.

D’un point de vue économique, social et culturel, l'exode de la population mondiale vers les villes à contribuer à une amélioration globale des conditions de vie , puisque comme l’affirme le rapport de l’ONU de mars 2010 « État des villes dans le monde 2010-2011 : réduire la fracture urbaine » : « le niveau d’urbanisation est associé en certains endroits à de nombreux résultats positifs, comme l’innovation technologique, diverses formes de créativité, le progrès économique, des niveaux de vie plus élevés, un renforcement de la responsabilisation démocratique et l’autonomisation des femmes. »

Pourtant, à l’échelle de notre biosphère, le développement de notre civilisation urbaine est loin d’être harmonieux, remettant même potentiellement en jeu sa propre existence.

En effet, notre modèle d’urbanisation, qui est le reflet de notre société industrielle de consommation, exploite 75% des ressources naturelles de notre planète et est à l’origine de 75% des émissions de gaz à effets de serre. La seule consommation de matières premières par nos villes est telle, que les réserves s’épuisent, que ce soit le pétrole (45 ans), les métaux ou encore les forêts.

Les bâtiments des villes consomment à eux seuls 40% de l’énergie globale (dont l’énergie grise des matériaux), 12% de l’eau potable pour leur fonctionnement, et 19% de la production d’électricité pour leur éclairage. Ils sont également responsable d'environ 40% des émissions de gaz à effet de serre.

Les surfaces des villes augmentent deux fois plus vite que leur population, entraînant un recul des terres agricoles et des forêts au détriment de la biodiversité, et une augmentation des transports et de la pollution, en particulier l’émission de gaz carbonique. Si l’on ne s’en tient qu’à la France, l’équivalent de 164 terrains de football sont artificialisés chaque jour, principalement aux alentours des grandes villes, le long des infrastructures de transport et près du littoral. Cette artificialisation globale de la planète entraîne une imperméabilisation des sols et un dérèglement du cycle de l’eau, une diminution des capacités d’absorption du CO2, une augmentation des tâches de chaleur et un dérèglement du climat urbain, et une fragmentation des habitats naturels, première cause de l’atteinte à la biodiversité devant la pollution.

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Même pour ses propres habitants, et malgré un tel coût global pour la planète, la ville ne semble pas apporter que des bienfaits : saturation des transports, en raison d’une dépendance quasi-totale à l’automobile et d’un mode de vie périurbain qui se généralise, pollution de l’air, entraînant des maladies respiratoires, pollution sonore, dépassant le seuil critique pour la santé de 70dB, pollution visuelle, avec le développement anarchique des entrées de ville et leurs zones commerciales, affichages publicitaires, zones pavillonnaires ou cités standardisées, réseaux routiers tentaculaires, lignes à haute tension...Un environnement agressif qui serait même néfaste pour notre santé mentale et physique : perte des facultés de concentration et d’apprentissage, augmentation du niveau d’agressivité - jusqu’à modifier la façon même dont nous pensons, la ville subvertissant notre capacité à résister à la tentation consumériste, d’après certains spécialistes.

Mais l’impact le plus préoccupant est certainement le réchauffement climatique, considéré maintenant comme inéluctable à commencer par le secrétaire général des Nations unies lui-même, et entraînant d’ici 2080, selon les experts du GIEC, l’exposition de centaines de millions de personnes à un stress hydrique accru, l’extinction majeure de 70% des espèces, des millions de personnes victimes d’inondations côtières, de vagues de chaleur et la migration de vecteurs pathogènes, jusqu’à envisager que « si l’évolution du climat se poursuivait sans intervention, la capacité d’adaptation des systèmes naturels, aménagés et humains, serait dépassée à longue échéance » – en d’autres termes, la fin de l’espèce humaine.

Pourquoi dès lors les villes continuent-elles de croître et de s’étaler inéluctablement, à un rythme de plus en plus soutenu ? Pourquoi est-ce que les gouvernements, les maires et les urbanistes s’avèrent-ils si impuissants face à leur extension et leur impact? Pourquoi est-ce que les initiatives d’éco-construction, éco-quartiers, éco-cités ne se développent-elles que si marginalement par rapport à l’extension supersonique des banlieues occidentales et villes industrielles chinoises ?

Y a-t-il des règles qui régissent la vie des villes – ou leur

mort – ou bien sont-elles un phénomène purement anarchique, un chaos inextricable qui nous mènerait au chaos nous-mêmes ?

“Nous ne pourrons pas faire que nos villes fonctionnent mieux si nous ne savons pas comment elles fonctionnent”. L’affirmation de Geoffrey West, ex-Président du Santa Fe Institute, centre de réputation mondiale pour l’étude des systèmes complexes, est une évidence, mais sa résolution semble être hors de portée de notre entendement.

Pourtant, des progrès scientifiques majeurs au XXe siècle dans, justement, le domaine des systèmes complexes apportent aujourd’hui des premières pistes de réponses. Issue de travaux fondateurs dans les années 50 du biologiste austro-américain Ludwig von Bertalanffy, qui fonda la théorie générale des systèmes, ainsi que du mathématicien américain Norbert Wiener, fondateur lui de la cybernétique, la théorie des systèmes complexes tente de comprendre le comportement apparemment imprévisible de phénomènes que l’approche réductionniste et mécaniste cartésienne ne parvient pas à élucider, tels que la fluctuation des cotations à la bourse, le comportement d’essaims d’abeilles ou de colonies de fourmis, le fonctionnement d’un écosystème écologique...ou d’une organisation humaine.

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La théorie des systèmes complexes est fondamentalement transdisciplinaire, puisant ses sources et s’appliquant dans des domaines aussi variés que la physique, la chimie, la biologie, les mathématiques, l’informatique, la sociologie, la géographie, la politique, la psychothérapie, l’économie, la philosophie, ou encore plus récemment, l’urbanisme.

Notre propos ici est de montrer comment, selon une approche pluridisciplinaire et transversale de la ville, le postulat de la complexité nous permet d'écrire et de penser un nouveau modèle de ville.

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Sommaire Ouverture

4 Introduction

8 Modéliser, simuler : quel avenir pour la ville ?

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Simuler ? 12 La modélisation : une approche par simplification 14 Modélisation multi-agent 15 - La ville complexe : description du modèle

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Modèles des interactions au sein du système ville 19 La forme urbaine ? 22 Espace temporel 23 Complexité urbaine, logique multi-scalaire 24 Générer l'espace, une logique euclidienne ? 25 Espace bioclimatique 26 Espace géographique 31 Espace décisionnel : quelle échelle de gouvernance ? 32 Espace social 34 Les agents 35 - Conclusion

39 Bibliographie

41 Annexes

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Introduction Ce mémoire se place dans la continuité de l'étude entreprise l'année précédente qui visait pour moi à comprendre le postulat de la ville complexe et ses conséquences sur notre manière de penser l'urbain et l'architecture. Cette ville complexe souvent modéliser à travers l'utilisation de systèmes multi-agent est en fait, comme nous l'indiquions en ouverture, un regard différent porté sur la ville. Qui devient dès lors un objet systémique transversal. Actuellement, les villes sont représentées sous la forme d'images. Des cartes satellitaires donnent une vision très précise d'une agglomération, mais ne rendent pas compte des évolutions extrêmement rapides qui se produisent au niveau de l'organisation des activités humaines et des affectations des bâtiments. A l'heure actuelle, les urbanistes planifient un développement urbain sur une trentaine d'années en se basant sur un plan figé mais, en même temps, l'agglomération se développe d'elle-même, dès les premières constructions achevées. Le résultat ne correspond jamais au projet initial. Il est donc évident qu'on ne peut appliquer à la ville, et à la manière dont on la construit, les principes de stabilité et de déterministe, dont se sert principalement la physique du XXème siècle. Les villes ne peuvent être un lieu d'application de théories du "tout". Il faut voir dans sa construction une part de tâtonnement, d'évènements volontaires non maîtrisés, voir même pourquoi pas une part d'erreur. A la question de pourquoi, il est aujourd’hui nécessaire de considérer les villes comme des entités complexes et quelle en est dès lors la définition, la réponse est que les observations de nombreux scientifiques, architectes, urbanistes nous ont conduit depuis quelques années déjà à regarder et comprendre la ville comme une entité qu’on ne peut entièrement saisir et donc régir. De ce constat simple découle l’idée de la ville comme objet complexe. En fait il n'est pas "nécessaire" de la considérer comme complexe puisque ce mot indiquerait en un sens que ce que nous avons pensé de la ville était faux. La ville telle qu'elle a été construite depuis des siècles se basait sur une vision du programme architectural et urbanistique "cartésien" (Haussmann; Paris) /"Euclidien" (Cerda; Barcelone). La considérer comme une entité complexe interroge sur une autre manière de concevoir cette même ville. C'est un postulat. Il est le point de départ des nombreuses recherches que j'ai pu lire pendant la rédaction de ce mémoire ainsi qu'un autre angle d'observation et d'appréhension de la ville, qui n'élimine pas pour autant les recherches et théories émises jusqu'alors. Le deuxième point qui guide l'ensemble des écrits de ce mémoire et que la ville complexe nous pose un autre problème qui remet cette fois-ci en cause non plus la manière de représenter la ville mais la manière de la construire. En effet, en prenant en compte qu'elle est un système autopoiétique, nous comprenons que nous avons à faire à un système "vivant". Et comme tous systèmes il se développe selon une logique multi-scalaire. Ce postulat qui voit donc la ville comme un système non-gérable dans sa totalité est certe hyper-simplifié mais l’ensemble des travaux émis par les chercheurs dans ce domaine (CASA, Patrick Berger, Victor Silva, MTG, …) commence ainsi par nous faire comprendre que la

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nature même d’une ville (réside dans son caractère autonome et autopoiétique. "Le milieu [urbain] comme bien des organismes vivants, s’auto transforme. L’analyse et l’opérativité de ces états et leurs enchaînements nécessitent de considérer l’environnement naturel et construit comme une forme globale à programmer et projeter. ... L’échec de l’urbanisme entérine l’idée qu’il n’y a pas, pour l’heure, les outils théoriques adéquats pour penser la ville dans son ensemble et agir en conséquence." Analyse de l’évolution urbaine par automate cellulaire. Le modèle SpaCelle, Laboratoire MTG, Rouen, 2003-2004) L’autre hypothèse fondamentale qui a conduit ce mémoire et les recherches auxquelles il fait référence est donc que la ville peut être vue comme un système auto-organisé régi par un ensemble de règles de morphogenèse qui peuvent, par exemple, déterminer la localisation de nouveaux programmes architecturaux et influencer l’organisation de la ville, de l’échelle locale à l’échelle globale. (Exploring cities using agent-based models and gis, CASA (Centre for Advanced Spatial Analysis), UCL, 2006. ) > "Tandis que nous apprenons et réfléchissons de plus en plus sur le monde qui nous entoure et son sens, un immense sentiment d'impuissance quant à notre capacité à le comprendre s'est développée. De ce fait, dans de nombreuses disciplines, l'idée de "complexité" est née et s'est imposée; dans une perspective d'organisation cohérente et globale de nos connaissances. Ces "sciences de la complexité" sont d'abord issues de l’idée de systèmes dynamiques associés aux théories du chaos, de la non-linéarité, des technologies de rupture, de l'émergence et de la surprise. Plus récemment elles se développent dans des domaines aussi divers que le postmodernisme ou la gestion. L'étude des villes et de leurs planifications n’a pas échappé à ce concept, et, à certains égards, elle est même à la pointe de ces développements" En tant qu’habitants et « utilisateurs » de la ville, nous nous rendons évidemment compte que celle-ci est en perpétuelle construction. Les multiples travaux, aménagements, déménagements qui s’opèrent dans chaque rue en seulement une année sont à chaque fois des petites « pièces » qui se renouvellent et changent de place au sein de l’immense échiquier qu’est la ville. Versteegh1 décrit la ville comme un "processus de type biologique, fondé sur une autogenèse d’ordre réticulaire, fait de structures émergeantes, de singularités et de verrouillages". Si on pousse un peu plus loin cette réflexion de la vile complexe on s'aperçoit que nous observons chaque jour les exemples de ce postulat, notamment en tant qu'architecte (ou plutôt que futur architecte). Nous concevons des bâtiments et les imaginons nécessairement dans un rapport plus ou moins mesuré avec leur environnement. Quand l'exercice de la Part-Dieu (projet de semestre 3, en L2) nous demandait la relecture de site de la part-dieu à travers la conception d'un bâtiment et de sa relation à l'existant (le site (gare de la Part-Dieu, centre commercial, bureaux, commerces) et la barre

                                                                                                               1  Pieter  Versteegh  est  un  architecte  suisse.  Professeur  à  l'EPFL,  à  l'Université  d'Amsterdam  ou  encore  aux  USA  (kentucky),  il  est  le  fondateur  de  l'insitut  PIA  (Productions  Investigations  Architectures)  à  Genève,  qui,  comme  son  livre  "Méandres"  traite  de  la    

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Desaix), nous partions pour la quasi-totalité d'un site d'abord déconstruit, nu, pour y placer un bâtiment (fort) dont l'influence majeure serait une réorganisation des flux (la lecture de Charles Delfante, "La Part Dieu, les raisons d'un échec", n'y est sans doute pas pour rien) et un respect d'une densité très forte. Aussi importants qu'ils puissent être les édifices que nous avions créés ne changeaient pas le visage d'un quartier à l'entité peut être trop forte. Pas plus que ne le faisait le projet de L'AUC de François de Coster. Mais ce rapport à l'environnement ne nous fait qu'implanter un nouveau bâtiment dans un contexte préexistant : Par les règles que nous nous fixons nous respectons (naturellement) l'idée qu'aucune architecture ne changera le visage d'une ville, la structure de cette dernière est bien trop puissante et intelligente à coté d'une simple tour aussi grande soit-elle. Alors ne faudrait-il pas au lieu de chercher désespérément à changer ce visage, à simplement comprendre sa structure, ses traits, ses "règles", ses comportements pour qu'un bâtiment et son programme n'en soient qu'une amélioration optimale ? L'architecture et l'urbanisme ne sont bien sur pas seulement question de programme, ils se doivent aussi d'être l'expression d'un esthétique et d'une pensée rationnelle et fonctionnelle de l'espace (c'est à dire l'expression de fonctions et d'usages). Mais encore une fois, quel qu’en soit l'échelle (petits commerces ou centre commerciaux / bibliothèque ou logements sociaux) et aussi rapidement puissent-ils évoluer, ces fonctions et ces usages ne modifieront pas la structure globale de la ville. Pas plus que ne le feront les extensions et déviations des lignes de bus et de métros d'ailleurs. Le système est très important et de fait son homogénéité globale l'est aussi, inchangeable par quoi que ce soit; à moins d'être entièrement rasé. On peut observer la modification de cette structure urbaine pour la ville de Berlin dans les années 1950 à 1980. Détruite à près de 50 % à la fin de la Seconde Guerre Mondiale, Berlin qui comptait 4,33 millions d’habitants en 1935, n’en accueille plus que 2 millions en 1945. Cette situation de "table rase", de remise à zéro intégrale, entraine alors d’audacieux projets d’aménagement de la ville (qui ne purent être concrétisés pour des raisons de droit de propriété des sols), mais n’en influencèrent pas moins les projets futurs pour la ville. Le projet le plus célèbre, celui du "plan collectif" établi en 1946 sous la direction de Hans Scharoun2, prévoyait alors un paysage urbain aéré, verdoyant et suivant le cours de la Spree sous la forme d’un bandeau vert avec un réseau de voies expresses sans intersections. (Scharoun est d'ailleurs une référence importante pour Rem Koolhaas lorsqu'il écrit, de 1995 à 2001, sa "trilogie" sur l'espace urbain, Bigness, The Generic City et Junkspace). Les projets de reconstruction de Berlin, financés par le plan Marshall, changent radicalement le visage de Berlin, jusqu'à la manière même de reconstruire (ne pas reconstruire) et d'habiter (Kreuzberg). Ainsi la Tabula rasa de Berlin nous montre l'exemple que la ville naît d'abord du fait de l'homme et de l'architecte, ce sont eux qui "fabriquent" pour la première fois son sens. Mais dès lors qu'elle

                                                                                                               2  Hans   Scharoun   (1893-­‐1972)   fut   un   architecte   allemand,   représentant   célèbre   de  l’architecture  moderne   allemande   et   plus   particulièrement   du   courant   «  organique  ».   Il   a  beaucoup  exercé  à  Berlin  où  sa  plus  célèbre  réalisation  reste   le  philarmonique  de  Berlin.  Co-­‐fondateur  avec  notamment  Walter  Gropius  du  Conseil  Professionnel  des  Arts  (1919),  il  aborde   beaucoup   dans   son   architecture,   philanthropique   et   résolument   moderne,   les  thématiques  de  l’habitat  et  d’un  urbanisme  dense  et  aéré.    

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se met a fonctionnée d'elle même, qu'elle est habitée, qu'elle devient un lieu d’échanges, de déplacements et de réseaux, elle "devient" complexe. La complexité ne naît donc pas de la forme mais bien des fonctions et des usages qui l'habite (la forme). Comme dans la nature, la complexité de naît pas de l'arbre ou du sol mais bien de leurs compositions, des mécanismes qui les font vivre et évoluer et des échanges qui se créent entre eux. La morphogénèse est donc une conséquence des "agents" qui composent la ville. La première partie de ce rapport va s'attacher à comprendre pourquoi simuler cette morphogenèse et écrire des modèles en vue d'une simulation est un exercice pertinent pour comprendre la ville. Simuler, c'est quoi ? et comment ? Toujours en tant qu'architecte, cette simulation se doit d'être une aide à conception mais aussi, et il me semble que c'est un point intéressant, une aide à la compréhension des phénomènes urbains, un calcul des infinités d'expériences urbaines. La deuxième partie de ce rapport, rédiger comme un essai, s'attache elle à décrire notre modèle de la ville complexe. Il est évidemment non exhaustif mais nous avons souhaité, sans donner de hiérarchie, découper le modèle en différentes questions et différentes parties. Nous verrons que de la forme à l'espace, nous avons réduit la ville complexe à un certains nombres de points de vue qui se révèleront être autant de points de départ à l'écriture d'un futur modèle scientifique. Chaque partie se veut être un point d'entrée différent pour considérer, sous un angle à chaque fois différent, la ville. Chaque point fini par se raccrocher aux autres et tisser un ensemble qui se voudrait être la ville.

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Modéliser et simuler, quel avenir pour la ville ? -

Le travail que nous allons entreprendre souhaite mettre en place un modèle, écrit à partir d'hypothèses sur la ville contemporaine, qui doit permettre de simuler l'emplacement et le gabarit d'une nouvelle "structure" au sein du tissu urbain. Pour ce faire la deuxième partie de ce mémoire va décrire quels sont les critères à prendre en compte lorsque nous parlons de la ville complexe. Ces critères seront autant d'éléments à expliciter au sein d'un modèle d'aide la conception. Le temps nécessaire à l'écriture informatique d’un modèle est trop important dans le temps imparti pour écrire ce mémoire. Comme nous l'écrivions en introduction, la deuxième partie ne donnera pour l'instant que certaines clefs, certains points de départ en vue de l'écriture complète d'un modèle informatique. Cependant, il est certain que le fil d’Ariane de ce mémoire était justement d'expliciter au maximum la ville complexe dans le but final d'en simuler l'évolution. Nous avons donc souhaité poser la question de l'intérêt de la simulation pour comprendre la ville. Et en premier lieu, la question était de savoir ce qu'était la simulation. Simuler ? Par simulation, nous entendons ici la simulation informatique. Depuis les années 1970, se sont développées, dans différents domaines scientifiques, des pratiques de modélisation et de simulation qui possèdent en commun le fait de représenter de façon explicite des entités et leurs comportements sous une forme informatique et d'étudier, grâce à la puissance qu'offrent les ordinateur actuels, les structures émergentes qui niassent, in silico, de leurs interactions virtuelles. Ces pratiques sont issues de champs très divers : intelligence artificielle, physique statique, micro-simulation, automates cellulaires. Elles s'écrivent en C++, Java, SmallTalk, Mathematica, Basic,... Les deux facteurs qui ont contribués à l'émergence et au large développement des pratiques de modélisation sont : - la montée en puissance et la disponibilité croissante des ordinateurs personnels qui ont permis à des chercheurs de toutes disciplines de disposer de ressources de calcul qui étaient jusque là réserver aux calculateurs. - L'émergence progressive de "l'approche par systèmes complexes" dans les sciences de l'homme, de la matière et de la nature. Dans cette optique, il ne s'agit plus seulement de caractériser les propriétés globales d'un système à travers un petit nombre de variables macroscopiques, mais aussi de comprendre comment elles émergent du jeu des interactions entre ses composants. C'est cette

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approche interactive qui fait l'intérêt de la simulation pour la ville complexe : en considérant les interactions, nous introduisons un concept essentiel propre au postulat de la complexité, celui du temps. Comme l'explique Alexis Drogoul (Alexis Drogoul, 2002), la ville complexe, en simulation, peut se définir comme : un regroupement durable mais dynamique de populations humaines dans un espace construit restreint. Nous allons considérer la simulation comme la décrit Shannon en 1998. "The process of designing a model of a real system and conducting experiments with this model for the purpose of understanding the behavior of the system and/or evaluating various strategies for the operation of the system". (SHANNON R.E., Introduction to the art and science of simulation, Introduction, 1998, pp. 7) Il considère que la simulation est à un modèle dynamique ce que l'expérimentation est à système réel. Dans cette perspective où le modèle représente une certaine forme de compréhension d'un système de référence, la simulation est un ensemble de tests grâce auxquels il est possible pour uns scientifique de raffiner cette compréhension et d'en tirer des connaissances nouvelles. Dans ce cadre, une simulation consiste à pratiquer des tests sur un substitut de la situation réelle, elle permet alors des expérimentations dans un cadre virtuel, dès lors que tous les éléments jugés pertinents à la compréhension du système peuvent être modifiés. Concevoir un outil de simulation consiste à reproduire la situation réelle dans un cadre logiciel, c’est-à-dire à construire un "laboratoire artificiel". Un laboratoire artificiel, comme tout laboratoire, permet de réaliser des expériences, mais, de par son côté "artificiel" offre un champ d’investigations énorme. Il devient alors un outil indispensable à la recherche scientifique. En proposant un environnement artificiel, un laboratoire artificiel offre à toutes les sciences qui en étaient privées cette démarche expérimentale, mais élargit aussi le champ des sciences expérimentales, tout phénomène n’étant pas provoquable dans le monde réel. Nous sommes donc bien encore une fois dans la continuité d'un système pluridisciplinaire convoquant de multiples cadres de connaissances et recherches. En effet, le monde réel a des limites que ne connaît pas un laboratoire artificiel. Le fait que les entités manipulées sont virtuelles étend les possibilités de façon considérable. Tous les paramètres sont alors accessibles, résolvant ainsi les questions matérielles, éthiques ou d’échelles. De plus, les simulations peuvent être répétées, avec autant d’entité que nécessaire, ce qui représente des économies, de moyens mais aussi de temps. Tous les paramètres et entités voire les comportements spécifiques ou des phénomènes émergents peuvent être mémorisés, observés (y compris à différentes échelles), voire mis en avant (par des artefacts, des couleurs, etc.), analysés, de façon directe ou a posteriori. Un laboratoire artificiel permet aux chercheurs du domaine d’avoir une démarche exploratoire où ils peuvent tester tout, leurs hypothèses, des scénarios mais aussi des situations dites "extrêmes". De plus, les travaux dans ce domaine ont montré que ces laboratoires artificiels pouvaient même suggérer des hypothèses aux chercheurs du domaine [DRO 93]. Mais il est important de rappeler qu’un laboratoire artificiel n’est qu’un outil pour les chercheurs qui complète

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la panoplie d’outils dont ils disposaient déjà; il permet d’évaluer les expérimentations réelles possibles, de tester certaines hypothèses, voire de se poser de nouvelles questions. En effet, ce qui est intéressant dans une simulation, ce n’est pas forcément les résultats de la simulation, mais bien souvent les processus parfois complexes par lesquels ces résultats ont été obtenus. Comme les tests sur les rats de laboratoire ne sont qu’une étape dans la recherche médicale, l’exploration de scénarios dans un laboratoire artificiel n’est qu’une étape dans la démarche globale de recherche. Le fait de construire un laboratoire urbain issu d'un certain nombres d'idées objectives et subjectives permet de mieux prendre position sur l'objet ville et donc d'affiner notre compréhension de sa complexité. La ville est le sujet d'un grand nombre d'expertise (sociologique, agronomique, alimentaire, économique, urbanistique, architecturale, géographique, historique, politique, de sante, de droit, anthropologique,...). Un laboratoire premet de les rassembler et de les faire se confronter, ce qui n'est pas le cas lorsqu'elles sont réalisées les unes à la suite des autres. Le laboratoire permet une lecture horizontale de la ville, plus proche de ce qu'elle est réellement, plutôt qu'une lecture pluri-axial. On peut associer à chaque expertise un processus d'expérimentation cognitif différent et la simulation nous permet de les faire fonctionner virtuellement en même temps. L'enjeu se trouve alors dans la simplification et la réduction des ces processus à des procédés de calculs pertinent. C'est le rôle du modèle La modélisation : une approche par simplification La modélisation est l'activité qui consiste à construire des modèles. Avec l'expérimentation, c'est une des deux principales composantes de la démarche scientifique. Dans notre cas, nous cherchons à définir un modèle "abstrait" et non "physique", comme pourrait l'être une maquette, un modèle réduit ou un bien un modèle animal; qui sont des dispositifs du monde réel conçus pour être soumis à l'expérimentation in situ. Nous allons traiter d'un modèle "abstrait", conçus pour être simulé sur ordinateur. On peut donc définir un modèle de la manière suivante : "C'est une construction abstraite qui permet de comprendre le fonctionnement d'un système de référence en répondant à une question qui le concerne. Représentation simplifiée de ce système, un modèle s'appuie sur une théorie générale et il est exprimé dans un langage spécifique appelé langage de modélisation". (TREUIL J.P., DROGOUL A. et ZUCKER J.D., Modélisation et simulation à base d'agent, IRD, Collection DUNOD, 2008, pp.1) Il nous faudra donc "remplir" un "tableau" de cinq "critères" pour approcher un modèle qui puisse faire l'objet d'une simulation. Système de référence Question Représentation simplifiée Théorie générale Langage de modélisation

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Le Système de référence représente une partie de la réalité. Cette partie de la réalité est connue via des mécanismes de mesure, d'observation ou d'expérimentations qui produisent des données. Ces données peuvent quantitatives ou qualitatives et provenir de différents niveaux d'organisation du système. C'est la nécessité de donner un sens à ces données, en fonction d'un ou plusieurs objectifs précis, qui va donner naissance à la question de modélisation. Quel sens donner à ces données ? Comment expliquer leurs relations ? Comment prévoir leur évolution ? Représentation simplifiée ? Un modèle n'est pas le système qu'il décrit mais une simplification orientée de celui-ci, plus aisé à manipuler. Cette simplification doit être fondée sur des hypothèses qui ressortent soit du domaine scientifique concerné, soit d'un choix délibéré de limiter le niveau de complexité à prendre en compte. Cette simplification est exprimée dans un Langage de modélisation dont le choix dépend des considérations sur les propriétés souhaitées pour le modèle. Un langage de modélisation n'est donc pas spécifique à un modèle de référence. Un même modèle peut être traduit par plusieurs langages différents. Enfin un langage de modélisation n'est pas obligatoirement formel. Sa sémantique et sa syntaxe s'appuient sur des abstractions et des relations entre ces abstractions. On peut donc aussi parler de concepts de modélisation pour expliciter le modèle. Nous allons étudier un modèle dynamique c'est à dire qu'il inclut dans sa représentation des hypothèses ou des règles concernant l'évolution dans le temps du systèmes de référence. Ce mémoire n'a pas pour but premier de soumettre le modèle que nous allons mettre en place à une simulation. En effet le passage de l'un à l'autre signifie sa traduction dans un langage programmatique que je ne maitrise pas. Cependant, il est quand même important de s'intéresser à la simulation car l'écriture de notre modèle va également dépendre de la manière dont nous souhaiterions le simuler. Modélisation à base d'agents Nous nous plaçons dans ce mémoire dans le cadre d'une simulation dynamique à base d'agents. Cette dernière semblant être une bonne perspective en vue d'une simulation d'un système complexe tel que la ville et de l'interaction des entités qui la composent. En effet la simulation multi-agent permet de construire des modèles horizontaux car elle relève d'une approche micronanalytique mais aussi car on possède aujourd'hui une forte expertise sur l'utilisation de tels modèles pour la simulation de système urbains. L’approche microanalytique consiste à appréhender les entités élémentaires d’un certain niveau d’organisation, pour en décrire les interactions et recomposer à partir d’elles les dynamiques de niveaux d’organisation supérieurs. Cette méthode porte le nom d’approches particulaires dans les sciences des milieux physiques, de modélisations individu-centrées en écologie, d’individualisme méthodologique en sociologie, de micro-économie en sciences économiques. L’approche microanalytique semble évidente puisqu’elle prend appui sur une représentation de la réalité sous forme d’entités dont le comportement est connu, comme une population constituée

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d’individus (mais elle peut aussi permettre d’aborder sous un angle moins "évident" un phénomène donné comme le ruissellement vu comme une dynamique de boules d’eau). De plus, si nous considérons ici que la simulation consiste à faire évoluer une abstraction d’un système au cours du temps, elle permet de répondre à la question "comment tel phénomène évolue-t-il", mais seule une simulation basée sur un modèle microanalytique, à fort pouvoir explicatif, pourra répondre à la question "pourquoi tel phénomène se produit-il". En effet, en faisant coagir plusieurs composants, les interactions ne sont plus des variables exogènes à estimer ou à calibrer pour chaque composant mais bien des éléments endogènes à la simulation. Cela met en va- leur le fait que chaque composant n’évolue pas seul, mais coévolue dans le système avec les autres.

Les méta-modèles que partagent les approches de simulation à base d'agents proviennent du domaine de l'intelligence artificielle. Et en particulier de celui des systèmes multi-agents. "Un méta-modèle est un modèle du langage de modélisation dans lequel sont exprimés les modèles dynamiques qu'un simulateur est censé pouvoir interpréter. Le méta-modèle définit des concepts de modélisation, leurs propriétés et les relations existant entre ces concepts indépendamment des techniques d'implémentation informatique utilisées par le simulateur." (TREUIL J.P., DROGOUL A. et ZUCKER J.D., Modélisation et simulation à base d'agent, IRD, Collection DUNOD, 2008, pp.10) Un modèle à base d'agents se défini de la façon suivante : "Tout modèle à base d'agent est un système composé d'entités multiples ou agents qui évoluent dans un environnement, conçu comme une entité particulière, dans lequel ils sont localisés. Ces agents sont dotés d'attributs, de comportements, et de capacités de perception et de communication. L'ensemble des valeurs des attributs d'une entité à un instant donné constitue l'état de cette entité, et la réunion de l'ensemble des états des entités forme l'état microscopique ou - dit plus simplement- l'état du système. Les capacités de perception des entités leur permettent de consulter un sous-ensemble de cet état microscopique, habituellement de façon localisée dans l'environnement. Les comportements sont des règles contrôlant à chaque instant l'évolution de cet état, en intervenant sur les états des entités qui les portent ou sur leur existence même (création et destruction) ainsi que sur les états et existences des autres entités intervenants dans les éventuelles actions, communications ou interactions décrites dans les comportements." (TREUIL J.P., DROGOUL A. et ZUCKER J.D., Modélisation et simulation à base d'agent, IRD, Collection DUNOD, 2008, pp.14-15). La simulation multi-agent permet donc une compréhension extrêmement performante et pertinente de systèmes relationnels basés sur la communication entre des agents ou des groupes d'agents. C'est par essence une méthodologie scientifique qui sert à "comprendre". Elle est beaucoup utilisée dans le cadre des recherches en sociologie, en éthologie animal (comportement des colonies de fourmis), en anthropologie, en économie. L'autre grand intérêt des simulations multi-agent est qu'elle permet de prendre en compte réellement l'espace et l'environnement. C'est notamment ce point qui en fait un choix de mode de simulation particulièrement intéressant pour comprendre les milieux urbains. On

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utilise généralement deux approches distinctes dans la simulation multi-agents des systèmes urbains : - l'approche acteur : dans ce type d'approche les acteurs sont au centre du modèle, représentés par des agents ou des groupes d'agents et on leur propres perceptions de celui-ci. On utilise cette approche dans les microsimulations dans lesquelles un individu est identifié à un instant t en fonction de la valeur de ces attributs eux-mêmes définis selon une ou des lois et en fonction des autres individus. On parle de l'évolution de l'état d'un individu via une succession d'évènement. C'est en partie le cas par exemple du calcul du degré de satisfaction défini par Victor Silva. Généralement ce genre d'approche ne s'intéresse à proprement parler à la dimension spatiale de l'environnement. Il se situe donc dans une logique multi-scalaire dans laquelle on peut distinguer l'échelle de l'individu (généralement appelée échelle micro), l'échelle de l'ensemble (échelle macro) mais aussi une échelle intermédiaire (échelle méso). Dans notre cas par exemple, si on considère que les individus sont des bâtiments, des voitures, des humains, des commerces,... et que l'échelle macro est la ville, on peut identifier le quartier ou un ensemble de rues comme étant l'échelle méso. Cette échelle intermédiaire "mésogéographique" permet aussi l'introduction de contraintes non applicables à petites échelles. Par exemple on peut définir un maximum de densité pour un quartier et définir à partir de cela un facteur de diffusion pour les banlieues. Une partie du modèle de Victor Silva construit selon une approche acteur est explicitée en annexe 4. - une approche spatiale : dans cette approche ce sont les entités spatiales qui sont actives. C'est l'exemple type de l'automate cellulaire : les états des individus sont définis par rapport à leurs positions géographique. Une cellule vie ou meurt en fonction de la position de ces congénères. Ici, ce serait plutôt l'état d'une cellule qui serait défini par des attributs tels que la densité, la population,... Cette approche reste dans la plupart des cas une approche global qui échoue à rendre compte réellement des flux migratoire de population par exemple. Le modèle SpaCelle du laboratoire MTG basé sur une approche spatiale des dynamiques urbaines est développé en annexe 5 Les simulations à base d'agents sont donc pour nous les plus pertinente en vue d'une représentation des dynamiques liées à la complexité des systèmes urbains. Notre modèle, si il se veut complet devra intégrer les deux approches pour répondre plus justement possible à notre problématique.

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Off-cuts, Blaise Chatelain,

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La ville complexe : description du modèle -

Modèle des interactions au sein du système-ville (notre modèle) Ackoff introduit la notion de modèle idéal en parlant de “ représentation idéalisée de la réalité afin de faire apparaître certaines de ses propriétés ”. La fonction primaire d’un modèle est de permettre d’anticiper les conséquences d’un choix... Nous utilisons de cette façon notre modèle interne pour expérimenter virtuellement certains choix et anticiper les conséquences.

Nous cherchons donc ici à mettre en place à la fois un modèle scientifique mais aussi un modèle "urbain", un modèle idéalisé de la ville. En effet, quand on parle d’un modèle de ville, nous nous rappelons facilement des images telles que la Garden city de Howard ou la Cité radieuse de Corbusier, qui dérive de la démarche utopique. Nous avons aussi beaucoup entendu parler de modèles décrits comme “radio- concentrique, fuseaux, cité linéaire, archipel, itinéraires, arlequin”, qui permettent d’éclairer autrement et de comprendre la morphologie et la structure du grand territoire et de la ville.

Quelles ont les nouvelles morphologies basées sur phénomènes urbains et les nouvelles représentations de la métropole ? Comment peut-on comprendre sous l'angle des mathématiques le phénomène de métropolisation et son impact dans les périphéries directes des milieux urbains denses, comme par exemple la ville de Lyon et sa périphérie villeurbannaise. Pour ce faire il nous faut comprendre quels sont les éléments structurants de l'évolution des villes. Les formes de la ville s'inscrivent selon des règles, des croyances, des techniques, des pratiques sociales qui présentent une complexité dont nous commençons juste à entrevoir les termes. Nous avons tendance à oublier que ces formes sont à la fois les traces de la volonté d'ouvrage qui les a ordonnées et celles d'un milieu physique qui, par états successifs, s'est modifié sans que l'homme intervienne. Ainsi sans que l'homme intervienne, on peut aujourd’hui constaté, avec un recul suffisant, que les périphéries des grands centres urbains se sont auto-construit selon une même "logique", comme une cellule basique qui quelques soit sa position géographique a une construction similaire. Un même ADN qui sous-tend l'évolution des périphéries. Guidé par exemple par les phénomènes d'industrialisation décentralisée, par des politiques d'autonomisation des communes mais aussi de "collectivisation" économique au sein de plus grande entité urbaine. Comme le "Grand Lyon". Les formes de la ville s’inscrivent selon les propres lois sur le phénomène construit. Ces formes ne sont pas simplement les traces volontaires de l’homme, mais aussi des résultats des états successifs autonomes de la ville. L’état naturel et l’état construit sont l’objet d’une commune

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morphogenèse. Leurs entrelacements physiques définissent chaque milieu qui produit des formes qui l’identifient. Ces formes spécifient la morphologie des villes comme milieu naturel.

Ces formes construites peuvent êtres concrétisées par la géométrisation comme modèle mathématique qui est un nouvel outil de la représentation de la ville. La modélisation abstraite du réel explique et visualise la transformation urbaine de la cause à l’effet. À ce point-la, la géométrie sera une solution effective pour maîtriser la ville hypercomplexe d’aujourd’hui. Enfin, la forme est une raison d’être.

Dans ces recherches, on constate que la question de savoir “ Comment on peut penser et représenter la ville contemporaine? ” est centrale pour comprendre, expliquer et aussi pour maîtriser la ville d’aujourd’hui.

Nous introduisons un modèle d'évolution de la ville basé sur une moyenne typo-morphologique des formes qui la composent. L'évolution de notre modèle reprend de manière assez trivial le comportement des éléments dans un milieu naturel tel que le décrit Darwin et par la suite de nombreux autres biologistes (que reprends d'ailleurs D'Arcy Thompson dans son ouvrage). Le modèle pourrait donc se rapprocher de l'évolution des végétaux dans un milieu hétéroclite et densément végétalisé, comme une forêt. Certes le rapprochement de la ville à la forêt n'est pas nouveau mais les lois de comportements morphologique dans un système complexe tel que la nature reste des lois pertinentes et en tirer des règles comportementales pour les formes urbaines me semblait être intéressant. Ainsi par exemple, dans une forêt, si un arbre ne reçoit pas suffisamment de lumière puisqu'il est plus petit que ses congénères, il va mourir puisque son bon "fonctionnement" et son évolution dépendent "trop" de la lumière reçue. A l'inverse, les plus grands d'entre-eux, qui peuvent construire un chemin pour accéder à la lumière grandissent, évoluent et vivent mieux et plus longtemps. Dans le même temps, d'autres espèces de végétaux, aux fonctions différentes viennent s'implanter à l'endroit où d'autres n'auraient pas eu la possibilité de se développer car ils ont peut être moins ou pas besoin de lumière,... Nous considérons donc ici que ce sont les propriétés d'un végétal qui définissent sa capacité à s'adapter à un environnement ainsi que ses possibilités de communication et d'interaction avec son environnement proche. Si nous basculons sur notre modèle urbain, nous pouvons définir que c'est le programme qui définira les propriétés intrinsèques d'un bâtiment qui par la suite devient opératoire pour la morphologie des bâtiments ainsi que pour la forme urbaine. Ainsi la ville que nous étudions s'auto-organise autour du programme architectural qui par la suite définira aussi la forme de cette même ville. Si nous posons la question de l'auto-organisation de la ville, nous posons la question sous-jacente de son cycle de vie. La ville a une histoire que nous ne pouvons pas ignorer si nous voulons avancer vers une compréhension plus juste de celle-ci. Aujourd'hui, nous

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entendons majoritairement parlé du passé de la ville à travers les discours et les écrits de ceux qui l'ont vécu. C'est une histoire de souvenirs parfois bons, parfois plus douloureux, racontée par ceux qui ont vécu la ville. Mais pas par la ville elle-même. Il y a une différence floue entre ces deux "histoires", mais comprendre cette différence permet de nous orienter vers le nouveau postulat de la complexité. Elle nous permet aussi d'introduire la notion de site. Pour la ville, on ne parlera pas d'"histoires" mais d'"empreintes"". Empreintes marquant les sites et la géographies. Le site désigne la géographie sur laquelle se construit et se développe une ville. "Il y a des caractéristiques physiques qui conditionnent l'implantation humaine et en retour les particularités de cette implantation conditionnent les développements ultérieurs" (BERGER Patrick et NOUHAUD Jean-Pierre, Formes cachées, la ville. pp.150). Le modèle que nous allons essayer de mettre en place prend position au sein du système de référence qu'est la ville. Il cherche à atteindre deux objectifs :

- le premier est d'observer comment se mettent en place un gabarit et un programme au sein d'un tissu urbain existant. - comprendre l'influence d'un nouveau projet sur son environnement en faisant évoluer le modèle dans le temps. On a donc un modèle qui se développe en deux temps : - dans un premier temps le modèle reste statique : on cherche à modéliser la "structure" du système de référence à un instant particulier sans qu'il ait une influence du temps. - dans un second, on s'intéresse à l'impact d'un nouvel agent dans son environnement et donc non pas à instant particulier mais au selon une temporalité plus longue. Ici nous aurions deux choix d'études pour notre modèle : - soit nous décidons de créer un modèle menant à une simulation "libre" étudiant un comportement d'un ensemble d'agents dans un environnement non-contraint. Ce type de simulation aurait pour conséquence de pouvoir étudier (ou non) une logique de comportement des agents au bout d'un certains nombres d'itérations. Ce modèle demande cependant de mettre en place un modèle plus complexe, puisque entièrement "libre". - le deuxième choix que nous avons est d'étudier le comportement d'un unique agent au sein d'un environnement statique mais non acteur. Ce type de modélisation est moins pertinente vis à vis de l'utilisation d'un modèle multi-agent. Cependant elle fait intervenir plusieurs objets dont les propriétés sont différentes au sein d'un même environnement et qui interagisse entre-elle. C'est vers ce choix que nous allons nous orienter car il est aussi plus simple a mettre en place. Le recours à la modélisation à base d'agents est ici pertinent par rapport au postulat que nous avançons concernant la ville complexe. La ville est ici vu comme un ensemble auto-organisé d'entités autonomes localisées, pourvues de fonctions individuelles particulières et capable d'interagir par l'intermédiaire du tissu que

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représente la ville. Ces entités sont connectées entres-elles par la nature elle même de l'environnement dans lequel elles se trouvent. La présence continuelle de changements et d'innovations au sein du système ville permet de le créer, de le structurer et de le maintenir. La forme urbaine ? Nous allons partir d'une définition donnée par Albert Lévy dans Formes urbaines et significations : Revisiter la morphologie urbaine. Dans ce texte il considère la forme urbaine comme une entité aux différents visages : la forme urbaine comme paysage, comme forme sociale, comme forme bioclimatique et comme forme du tissu urbain. La description qu'il donne à chacun de ces visages peut être traduit de la façon suivante : - la forme urbaine comme forme paysage désigne l'enveloppe matérielle, physique du bâtiment. Il utilise le mot paysage car comme un arbre dans un tableau, le bâtiment a une qualité physique particulière au sein d'une ville. - la forme urbaine comme forme sociale peut être traduite par l'aspect programmatique d'un ou de plusieurs bâtiment et le rapport entre ces programmes. - la forme urbaine comme forme bioclimatique désigne les interactions physiques, énergétiques entre une forme et son environnement. On peut voir ce visage comme un parallèle aux propos de Ken Yeang et son discours sur les interactions entre l'environnement et un bâtiment. Dans Theory of ecological design, il décrit de manière précise les interactions qui régissent un bâtiment et son environnement. Ces interactions sont des données calculables, mesurables et peuvent donc être connues et éventuellement maitrisées sur un site connu. Il y décrit quatre types d'interactions, qui donnent à voir la forme bâtie comme un organisme vivant qui agit et échange avec son environnement. - la forme urbaine comme forme du tissu urbain peut être considéré comme le rapport entre une forme et une autre. Cela se rapproche des thèses écrites par Victor Silva et J.J.Park sous la direction de Patrick Berger dans lesquels il émettent un algorithme qui permet de placer un bâtiment au sein d'un tissu urbain existant en fonction d'un degré de satisfaction qui prend en compte les interactions entre un bâtiment et ceux qui l'entoure. Dans le modèle qu'ils développent, chaque agent défini (bâtiment) possède un ensemble de connaissances sur son environnement et réagit à celui-ci. Et de ce fait, chaque agent a des objectifs à accomplir pour sa propre satisfaction (qui correspond en réalité à la satisfaction des gens qui y vivent, la satisfaction des gens étant alors associée à celle du lieu dans lequel ils vivent). Ces quatre points forment donc un premier ensemble de critères qui permettent une définition de la forme urbaine. Ces critères sont de natures différentes :

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- la forme paysage est une donnée sensible et qualitative - la forme sociale est une donnée qualitative - la forme bioclimatique est une donnée quantitative et mesurable - la forme "tissu" est une donnée qualitative et quantitative Nous allons nous attacher, dans la suite de ce mémoire à comprendre plus précisément ce que sont et ce que représente ces différentes formes vues sous l'angle de la complexité. Pour ce faire nous avons choisi de parler non-plus de forme mais d'espace. Ce choix d'un lexique plus lié à la spatialité s'explique premièrement par le fait que la "forme" se rapproche trop d'une pensée physique en architecture. Or, comme nous allons le voir, la ville complexe est aussi une question de vide. Deuxièmement, comme l'entend l'introduction de ce mémoire, que nous pensons la ville en tant qu'acteur de celle-ci et que nous la considérons comme un système complexe du fait de notre expérience de celle-ci. Le mot "expérience" est très important car il renvoie à la question de l'observateur. Comme le dit le philosophe John Dewey à propos de la nature et de l'homme : "l'expérience est tout autant une expérience de la nature que dans la nature". Ainsi, la ville est vécue comme une expérience, qui renvoi majoritairement à la question du mouvement et donc de l'espace. "Si vous pensez à la ville, vous pensez à un royaume d'espace, parce qu'en fait on doit penser la ville comme un "trésor" d'espaces". Louis Kahn, Silence et lumière. Espace temporel "Après l'intérêt centré presque exclusivement sur des questions sociales pour l'organisation du milieu physique, on doit s'interroger sur une vision durable de celui-ci. On ne peut limiter l'organisation du cadre de vie, des sites sur lesquels la vile naît et grandit, à l'illustration des volontés individuelles et des demandes sociales du moment. (...) Une vision durable, à d'autres échelles de temps, doit être pensée et mis en place." (BERGER Patrick et NOUHAUD Jean-Pierre, Formes cachées, la ville. pp.27) Les villes ne peuvent désormais plus justifié d'une simple évolution guidé par les demandes et besoins d'une population à un temps t. Comme le décrit Berger un peu plus tôt dans son livre, la ville doit cesser d'être pensé avec des petites échelles. Qu’elles soient temporelles, géographiques, économiques ces échelles doivent grandir en même temps que la ville qu'elles illustrent. Ceci passe évidement par un changement total de notre manière de légiférer et de politiser l'espace urbain : les termes de péri-urbanité, de zones,... sont antinomiques de la ville complexe. Ces appellations politiques démontrent notre incapacité à saisir la ville complexe. Incapacité due au fait que nous avons du mal à nous défaire des politiques urbaines existantes (depuis des siècles). L'espace temporel dans lequel se situe l'environnement est donc celui de plusieurs décennies. En effet une partie de notre modèle, comme écrit plus haut, s'attache à décrire l'évolution du tissu urbain une fois celui-ci perturbé. Il semblait que l'espace de plusieurs années semblait être le plus approprié pour traiter de l'évolution d'une ville afin d'en percevoir les premières modifications significatives. Nous allons voir

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ci-après que cette temporalité s'applique aux agents puisque ceux-ci ont une "vie" et que leur âge va être une des composantes pour le calcul du modèle. Complexité urbaine = logique multi-scalaire Cet essai part du principe qu'il est aisé de comprendre et d'interpréter la ou les qualités intrinsèques d'un bâtiment, d'un objet architecturé. Mais il est beaucoup plus complexe de le faire en considérant le même bâtiment au sein de la ville. De la cellule de base au tissu. La complexité née dès lors que nous nous éloignons et que nous considérons d'une part le tout et de l'autre une partie de celui-ci. La multi-échelle est difficilement compréhensible car les règles changent avec l'espace. Plus celui-ci est important et plus elles sont complexes. Ce constat est un constat récent qui a fait naître l'idée suivante : en construisant les villes contemporaines l'homme a dépassé un état "critique" au-delà duquel ses connaissances ne vont plus. Si par exemple nous faisons l'analogie avec la nature : nous avons dépassé le stade d'une logique simplement guidé par des règles / lois de survies comme c'est le cas pour la faune et flore. Un certains nombres de facteurs récents nous ont amener à transgressé largement les règles qui avaient jusqu'alors régit le développement des villes (la topographie / le climat, le centre-ville / les remparts / les boulevards). Si on pense par exemple à une ville comme Las Vegas aux Etats-Unis, son implantation au milieu du désert peu paraitre comme un non-sens aux regards des éléments naturels qui ont toujours poussés l'homme à s'installer dans tel ou tel endroit. Certes Las Vegas est situé au-dessus d'un petit gisement d'eau sous-terrain, mais l'eau apparente ne représente aujourd’hui plus que 0,04% de la surface totale de ville et n'est en aucun cas une des raisons de son développement. (Contrairement par exemple à une ville comme Lyon, où la géographie et la topographie on était une influence direct sur le développement de la ville dans l'histoire et y contribue encore largement aujourd’hui). Si on veut chercher les raisons du développement de la ville de Las Vegas, il faut se pencher sur les lois fiscales de l'état Nevada, particulièrement en matière de jeux d'argent. C'est donc une raison fiscale, puis économique qui a engendré un essor démographique et surtout touristique. Las Vegas est pour cette raison la première ville hôtelière du monde alors qu'elle est loin d'être la plus grande (moins de 600 000 habitants). Les règles contemporaines qui régissent nos sociétés se sont ouvertes à l'espace-monde et avec elles, les villes changent d'échelles. Et les règles qui les gouvernaient aussi. Nous devons donc considérer la ville comme un objet multi scalaire. De l'échelle micro, celle du bâti, à l'échelle macro, celle du territoire. Et au milieu les formes urbaines comme une extension spatiale de l'une vers l'autre. Une forme urbaine n'a pas d'échelles. Ou plutôt elle en a plusieurs. La forme urbaine est l'élément clef de compréhension de la ville puisqu'elle se place en intermédiaire dans une logique de bottom-up / top-down : l'aller-retour permanent entre la petite et la grande échelle. On peut aller encore plus loin en remarquant aujourd'hui qu'il existe un décalage entre l'architecture et la forme d'ensemble de ville. L'architecture ne semble plus répondre (et en réalité elle ne peut

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presque plus) à l'ensemble de problématiques que pose la ville complexe. Ce décalage provient en parti du fait que nous continuons à considérer politiquement la ville à une petite échelle. Générer l'espace : une logique euclidienne ? Le modèle que nous souhaitons mettre en place passe par une mathématisation de l'espace de la ville. Nous utilisons fréquemment la géométrie pour décrire une ville, à travers sa topographie par exemple ou bien les tracés des occupations humaines. Elle l'est beaucoup moins pour essayer de comprendre l'agencement géographique des habitats ou groupes d'habitats à travers l'histoire. En d'autres termes, la mathématisation de l'histoire de l'évolution / du temps des villes a peu été pensée. Patrick Berger et les recherches qu'il a menées ouvrent pourtant une voie dans ce sens. Selon lui, notre inconscient (celui de l'architecte, comme celui du commanditaire), guidé, à travers l'histoire, par une éducation euclidienne serait à l'origine d'une certaine anthropologie de l'espace basée sur quelques figures de bases : la ligne, le triangle, le carré et le cercle Ces quatre figures permettent à Berger et les chercheurs qui l'accompagnent de retracer à travers ses figures en deux dimensions la ou les logiques de développement de petites villes périphériques de la ceinture lausannoise. En analysant comment ont évoluer ces villes et la logique de cette évolution (plutôt linéaire, selon des groupes d'habitats distincts,...), ils émettent des hypothèses quand à l'évolution future des ces zones urbanisées. Cette représentation mathématisée bidimensionnelle de l'espace nous apprend que la ville complexe, comme toute forme de vie est guidée par des règles. Ce constat nous montre bien que les formes urbaines, ici les groupes d'habitats, se répartissent selon une logique. Ici, cette logique a été introduite, et pensée par des chercheurs, mais elle se réfère à des formes très basiques, et standard, que nous retrouvons dans d'autres formes d'évolution, les végétaux par exemple. Leur postulat est aussi le résultat de l'analyse du tissu urbain de villes existantes dans lesquelles ces formes basiques peuvent être repérées. La question que pose cet essai est alors le suivant : Cette géométrisation de la ville, qui tend à travers le calcul des barycentres entre les bâtiments pour créer des orientation de développement, peut-elle gagner une dimension et étudier, de manière similaire, l'évolution des formes urbaines au cours du temps en prenant en compte le gabarit (donc la dimension z=hauteur) des bâtiments ? On s'écarte alors de la dimension 2D. De nouveau, la simple carte IGN ne suffit plus à décrire la ville dans sa morphologie générale. Empreinte du passé, morphologie du présent et évolution dans le futur son liées. Elles sont liées par une règle qui tend à uniformiser l'évolution formelle 3D des bâtiments au sein de la ville en fonction des principales contraintes qui la guident. Ceci veut dire que nous considérons l'évolution des formes comme un processus maitrisé, dans le temps et dans l'espace. Pourquoi parle t-on d'une logique euclidienne ? La géométrie euclidienne est un essai de

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réduction des connaissances spatiales à des notions vectorielles (points, droites / plans, longueurs / aires) qui vise à traduire, à l'aide d'outils mathématiques classiques les dimensions et l'espace. Le produit scalaire nous permet de représenter un espace en 2, 3 (ou plus) dimensions et d'en écrire mathématiquement les règles de fonctionnement. Cette mathématisation de l'espace permet à Berger de définir les règles d'évolution de la ville. Gagner une dimension ? Notre essai souhaitant réfléchir à un modèle de développement des formes urbaines en trois dimensions, il nous faut définir de quelles figures notre modèle sera fait. La ligne, le triangle, le carré et le cercle. Doivent-ils devenir le rectangle, la pyramide, le parallélépipède et la sphère ? L'ajout d'une dimension n'a en réalité pas de sens si nous la considérons uniquement en tant que telle. Ajouter une troisième composante spatiale aux figures que nous considérons ne fait que compliquer l'équation de départ mais elle change finalement assez peu l'enjeu initial. En réalité, l'ajout d'une dimension doit nous obliger à repenser certaines caractéristiques du modèle. L'ajout d'une dimension confronte les figures de bases au vide qui les sépare (ou les relie). Ce vide, qui existe déjà dans le modèle "2D" (une rue), n'a pas de sens particulier dans celui-ci puisqu'il est relativement informel au regard des quatre figures de base. Mais en trois dimensions ce vide gagne un sens que nous ne pouvons pas ignorer. Pourquoi ? Premièrement parce qu'en réalité, l'interprétation spatiale des quatre figures de bases du modèle de Berger peut donner lieu à bien plus de forme que les quatre données en exemples ci-avant. Un cercle peut devenir une sphère, mais aussi un cône, un cylindre, un cône retourné,... Ainsi l'interprétation des formes du vide devient plus évidente. Le vide prend donc un sens qui est d'abord un sens spatiale / formel. Ce sens spatiale qu’a fait naitre la nouvelle dimension ouvre le modèle a des nouvelles questions qui concernent les autres interprétations que l'on peut faire de l'espace "qui n'est pas construit". Et c'est en premier lieu ce qui va intéresser la forme bioclimatique comme forme urbaine.

_Modèle : L'utilisation de système d'information géographique doit nous permettre de connaître les gabarits des bâtiments dans les milieux urbains à étudier. La ville doit dès lors pouvoir être décrite pas le modèle comme un volume global (ville) ou particulier (groupe d'habitats) lissé. C'est à dire que la ville est un volume cohérent. On ne peut percer l'enveloppe urbaine ponctuellement. Par exemple une tour n'est une réponse appropriée qu'en certain endroit de la ville. La présence d'une tour modifie la forme paysage de la ville de façon conséquente. Il faut donc que son implantation soit justifiée par des critères fort de développement et de densification. Je pense qu'une des réponses architecturales nouvelles qu'engendre le postulat de la ville complexe est celle des macrostructures. Sans pour autant signifier une architecture colossale comme on l'entend traditionnellement des macrostructures, cela signifie de penser l'architecture à travers les échelles et donc à travers la ville.

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Espace bioclimatique L'espace bioclimatique est l'espace qui n'est pas construit, qui n'est pas formel. Il correspond, à l'inverse de la forme paysage à l'architecture de ce qui est vide et qui doit répondre à la double problématique du mieux vivre et à celle du développement durable. J'ai souhaité ici opposer l'espace plein et l'espace vide car ils doivent répondre selon moi à des enjeux différents au sein de la ville complexe, même si évidemment, en tant qu'architecte, on doit penser l'un et l'autre. Ces deux données s'influencent l'une et l'autre dans un aller-retour qui contribue à "faire la forme". Qu'est ce que l'espace bioclimatique ? Au sein de la ville nous avons pris l'habitude d'exprimer le vide comme espace de circulation et le plein comme espace "habité". Nous avons de ce fait considérer la ville quasi-uniquement sous un rapport de proportionnalité entre l'habité et le circulé. Pourtant, le vide de la ville est un espace bien plus complexe à caractériser et son rapport au construit multiple. L'espace bioclimatique que nous décrivons désigne la forme de ce qui est vide : le climat, la température, l'hygrométrie, les vents, l'ensoleillement, l'éclairage, l'odeur de ce qui est entre. Caractériser, analyser et comprendre l'entre dans la ville est un des enjeux majeurs de la ville contemporaine. Et aussi une composante trop longtemps ignorée par les architectes et urbanistes. En effet, le climat et la météorologie sont entrés récemment dans le champ de l'architecture, avant tout comme soucis. Appartenant à la catégorie délaissée du vide, celle de l'immatériel, de l'invisible, de l'impalpable. Le vide est pourtant le sujet de l'architecture. "Plus que l'agencement du plein, sa mission est de définir ce creux qu'est l'espace, de qualifier un vide qui contient une quantité d'air à laquelle on soustrait certaines propriétés dont nous voulons nous protéger comme la pluie, le froid, le vent". (RAHM Philippe, Architecture météorologique, Collection Crossborders, Archibooks, 2009.) Il l'est autant pour la ville. L'espace extérieur ne peut en réalité plus être caractérisé comme tel. Nos modes de production, de consommation, de déplacements et d'habitat contribuent chaque jour à rejeter dans l'air une grande quantité de particules, dont certaines polluantes, ont un lien direct avec la qualité de l'air dans la ville et le réchauffement climatique de la planète. En introduisant artificiellement du dioxyde de carbone (CO2) et des chlorofluorocarbones (CFC) dans l'air, les activités humaines contribuent de manière trop importante au phénomène d'effet de serre. Pendant longtemps un équilibre écologique a existé entre le dégagement de CO2 dans l'air produit par la respiration, le feu et la décomposition chimique des corps vivants et l'absorption de ce CO2 par les plantes lors de la photosynthèse et de leur transformation sous forme végétale. En commençant à brûler les formes fossiles du carbone c'est à dire les énergies fossiles (charbon, pétrole, gaz naturel souterrain) alors en "repos" dans la croûte terrestre, les hommes ont introduits un surplus de carbone sous forme gazeuse dans l'atmosphère que la biomasse terrestre n'est plus en mesure de

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recycler. Il en résulter un déséquilibre écologique qui se traduit par une accumulation de ces gaz dans l'atmosphère qui forme une couche chimique en altitude. Cette couche empêche une partie des rayonnements infrarouges émis par la terre de se dissiper dans l'univers, et enferme ces rayons entre la couche atmosphérique et la terre réchauffant ainsi cet espace comme à l'intérieur d'une serre. Ce phénomène qui tend à s'accentuer depuis les années 1950 a été clairement analysé par les modèles numériques du climat comme responsable du réchauffement climatique. Mais ces modèles n'ont pas vocation a être utiliser sur études du climat à court ou moyen terme et à l'échelle de la ville. Seul les modèles urbains d'échelles de temps de l'ordre de la dizaine d'année peuvent contribuer à comprendre et résoudre les enjeux liés au réchauffement du climat. L'explosion démographique de la population ainsi que la forte augmentation de la population urbaine partout dans le monde fait de la ville une entité cruciale, un espace privilégié pour la réflexion sur la question du climat et de l'air. Ainsi l'espace extérieur n'est plus. En ville, il est une extension aérienne de l'espace intérieur : nous éclairons les trottoirs tout au long de la nuit, chauffons nos espaces tout en les ouvrants. La concentration de bâtiment engendre la création d'îlots de chaleurs. Nous ventilons et rejetons l'air intérieur vicié directement dans l'air. Comme un espace artificiel, contrôlable, le vide dans la ville n'est plus une inconnue. Nous le maitrisons, l'influençons. “Aujourd’hui, notre rapport à la technologie est si intime qu’il est devenu intrinsèque à notre condition naturelle”. (Iris Van Herpen) Nous comprenons que le rapport du plein au vide dans la ville complexe est un rapport d'échange permanent. Ces échanges sont une conséquence de la ville vue sous l'angle dynamique. La lecture de Ken Yeang nous permet d'entrevoir une piste quant aux calculs et l'analyse de ces échanges / interactions entre le plein et le vide mais aussi au sein même du vide. Le rapport du vide au plein (forme bioclimatique / forme paysage) : Il peut être décrit via d'une matrice à quatre entrées qui prend en compte les quatre formes d'interactions entre un bâtiment et son environnement : - bâtiment > environnement - environnement > bâtiment - bâtiment <> bâtiment - environnement <> environnement Ces interactions sont à prendre en compte durant toute la durée de vie d'un bâtiment. (1): les interactions entre le bâtiment et son environnement désigne dans un premier temps l'ensemble des déchets (solides ou aériens) que celui-ci rejette. On pense ici aux déchets de productions (papiers, alimentaires,...), à l'air vicié rejeté par le bâtiment, à la chaleur qu'il émet contribuant à un réchauffement de l'air extérieur. D'autres composantes sont à prendre en compte comme par exemple la pollution lumineuse, la réflexion de la lumière du soleil sur les façades...

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On peut aussi prendre en compte les facteurs de courtoisie solaire, soit l'ombre d'un bâtiment sur un autre, l'empêchant ainsi de recevoir la lumière naturelle. Enfin on doit aussi prendre en compte dans ces interactions les effets directs de la construction du bâtiment (fondations dans la terre,...) (2): les interactions entre l'environnement et le bâtiment désigne pour partie les apports environnementaux aux bâti : ensoleillement. Cela désigne aussi les phénomènes naturels censés altérés celui-ci : pluie, orage, vents,... Il désigne aussi les quantités d’énergies nécessaires au bon fonctionnement du building. De l'énergie fossile extraite à l'ampoule que l'on éclaire. Ces interactions peuvent paraitre complexe à calculer mais elles sont le résultat d'une considération globale de l'architecture de la matérialité au territoire. L'architecture est un fait planétaire que nous devons être capable de considérer dans son intégralité. Mais, même si le calcul de ces interactions intéresse la ville complexe, notre modèle se doit aussi de définir certains des changements de considérations qu'apporte justement la complexité et la nouvelle prise en compte de l'espace vide. Nous ne pouvons plus penser le développement durable dans la ville complexe comme cela est le cas aujourd'hui. Le développement durable contribue en effet à une uniformisation thermique des espaces qui est pour moi un paradoxe au sein de la ville complexe. Dans cette ville dynamique où intérieur et extérieur s'interpénètre par leurs fonctions, leurs qualités, leurs formes, vouloir cloisonner, épaissir les parois et les vitres, standardiser les températures à 21° est un non-sens. En souhaitant contribuer à une baisse des consommations d'énergies tout en améliorant le bien-être des humains, les normes comme la RT ont échoués à intégrer les enjeux de la ville complexe. Les enjeux du développement durable ne doivent plus être une contrainte mais un moyen. Il ne suffit pas par exemple d'installer des éoliennes au point le plus haut des buildings mais le vent doit faire forme, il doit faire matière, sens et programme. (3): Les interactions bâtiment <> bâtiment désigne en réalité son propre système de fonctionnement. Cela désigne par exemple la somme des activités à l'intérieur du bâtiment. Il désigne aussi le métabolisme structurel du bâtiment, soit le cycle de vie interne de celui-ci. Cycle de vie qui aura des conséquences sur l'environnement direct du bâtiment. (4): Les échanges environnement <> environnement désigne l'ensemble du processus écologique ou urbain extérieur au bâtiment. Le bâtiment se situe dans un écosystème particulier qui interagit à plus grande échelle avec d'autres écosystèmes aux propriétés différentes. Au sein de la ville complexe le terme d'écosystème doit être vu sous deux angles différents : - de manière classique sous la forme de l'écosystème terrestre comme nous avons l'habitude de le définir. Le fonctionnement et la construction du bâtiment modifient l'écosystème (1) qui est donc transformé par l'architecture et la ville et qu'on doit chercher à protéger ou à reconstruire. L'espace construit n'a d'ailleurs pas

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nécessairement une influence négative sur l'écosystème avec lequel il interagit. Il me semble que dans cette considération, il nous faut considérer la nature comme vide. - on doit aussi parler de l'écosystème urbain en lui-même. Bâtis, transport, hommes doivent être en équilibre au sein de la ville. La ville s'auto-génère en fonction de besoins. Comme la biosphère, elle est donc dans un équilibre global dans lequel chaque chose contribue à l'équilibre du tout.

_Modèle : Notre modèle doit être capable de prendre en compte des données météorologiques. On estime dans un premier temps que 4 d'entres-elles sont importantes : - la température - la durée du jour et la position du soleil - l'orientation et la puissance des vents - la composition chimique de l'air extérieur Les trois premières données nous permettent de rendre compte du phénomène d'îlots de chaleur urbain. La qualité de la composition de l'air extérieur étant une donnée importante, il me semble nécessaire de la retenir comme donnée majeure pour rendre compte de l'espace bioclimatique. On ne parle alors plus simplement d'îlot de chaleur mais d'îlot aérothermique. On peut le définir de la manière suivante : Les îlots aérothermiques urbains (IAU) désignent un milieu aérien urbain caractérisé par des élévations localisées des températures, particulièrement des températures maximales diurnes et nocturnes, enregistrées en milieu urbain par rapport aux zones rurales ou forestières voisines ou par rapport aux températures moyennes régionales, ainsi qu'une forte concentration en particules fines et métaux lourds. Au sein d'une même ville, des différences importantes de température peuvent être relevées selon la nature de l'occupation du sol (forêt, étendues d'eau, banlieue, ville dense...), l'albédo, le relief et l'exposition (versant sud ou nord), et bien entendu selon la saison et le type de temps. Les îlots aérothermiques sont des microclimats artificiels. Ils sont aussi des poches d'air particulières dans lesquelles sont produits et rejetés une grande quantité de polluants et d'air viciés. L'agence européenne pour l'environnement fournit depuis 1994, données et cartes (et aujourd'hui cartes interactives) relatives à la composition de l'air et aux températures dans les villes européennes, permettant ainsi de comprendre où, quand et comment se forment les îlots de chaleur et quelle est la composition de l'air en ville. Ces données sont consultables librement sous le lien suivant : http://www.eea.europa.eu/data-and-maps - tab-alldataproducts De plus, en utilisant la modélisation en 3 dimensions de la ville fournit par les SIG, on peut simuler l'incidence de l'ombre des bâtiments les uns par rapport aux autres. Tout ceci en gardant en tête que la ville reste une entité globale que l'on doit considérer en tant que telle : il ne s'agit pas simplement de réduire ces îlots aérothermique ou bien de faire en sorte qu'aucun bâtiment ne masque le soleil à un autre. Il s'agit de faire en sorte que

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ce système, comme la biosphère, soit en équilibre. Par exemple, il n'est pas nécessaire de tout mettre en oeuvre pour voir disparaitre ces îlots aérothermiques : ils sont une composante parmi d'autre de l'espace "vide" urbain. Mais en comprenant pourquoi et comment ils apparaissent ou s'aggravent nous pouvons dès lors concevoir des formes, matérialité qui joue avec ces facteurs pour en diminuer la conséquence ou s'en servir comme d'une éventuelle énergie,... A ce sujet il me semblait intéressant de décrire plus en détail un projet proposé par l'architecte Philippe Rahm qui se place dans un système de pensée similaire : VEGA 3. Ce projet prévoit la réhabilitation d'une ancienne halle industrielle traversée par deux gaines aux dimensions variables mises en places par l'architecte. L'une, au Nord, accentue physiquement la froideur de son climat intérieur, par l'emploi précis d'un matériau minéral de forte inertie. Espace géographique L'échelle spatiale : comme indiquée dans le cadre de départ pour la création du modèle et comme nous nous intéressons ici à des entités de l'ordre d'échelle d'un bâtiment, la déclinaison du modèle implique un espace géographique de plusieurs centaines de mètres et il se base sur une représentation réaliste de l'espace géographique (notamment en terme de bâtis existants, de voies de communications,...). Cela se fera via l'utilisation de systèmes d'informations géographiques (SIG). "Système d'information géographique : Système informatique permettant, à partir de diverses sources, de rassembler et d'organiser, de gérer, d'analyser et de combiner, d'élaborer et de présenter des informations localisées géographiquement, contribuant notamment à la gestion de l'espace." (Société française de photogrammétrie et télédétection, 1989) Un système d'information géographique (SIG) permet de créer, d'organiser et de présenter des données numériques spatialement référencées ainsi que de produire des plans et des cartes. Ses usages couvrent les activités géomatiques de traitement, de partage et de diffusion de l'information géographique. La représentation est généralement en deux dimensions, mais un rendu 3D ou une animation présentant des variations temporelles sur un territoire sont possibles. Beaucoup de personnes assimilent (à tort) un SIG à un logiciel alors que ce n'est que l'une des composantes d'un ensemble incluant le matériel, l’immatériel, les acteurs, les objets et l’environnement, l’espace et la spatialité. Le logiciel offre les fonctions utiles à l'exploitation d'un SIG. L'usage courant du système d'information géographique est la représentation plus ou moins réaliste de l'environnement spatial en se basant sur des primitives géométriques : points, des vecteurs (arcs), des polygones ou des maillages (raster). À ces primitives sont associées des informations attributaires telles que la nature (routes, voies, forets,...) ou toute autre information contextuelle (nombre d'habitants, type ou superficie d'une commune par ex.). Le domaine d'appartenance de ce type de systèmes d'information est celui des sciences de l'information géographique.

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L'information géographique peut être définie comme l'ensemble de la description d'un objet et de sa position géographique à la surface de la Terre. L'espace géographique du modèle est une donnée importante car cet espace est l'entrée principale du modèle pour approche spatiale. Il n'est plus a démontrer aujourd'hui que la géographie à influencé l'urbanisation. Il est donc important que le modèle soit basé sur un environnement précis. L'espace géographique est aussi l'espace qui comprend l'ensemble des échelles du système urbain: échelle micro, échelle méso et échelle macro.

_Modèle : La construction de notre modèle doit donc être basé sur un environnement ville particulier dont les paramètres liés aux SIG devront être intégré à la modélisation. L'ensemble du système urbain existant sur lequel s'applique la simulation doit être connu. Espace décisionnel. Quelle échelle de gouvernance ? Devenues "aires métropolitaines", les grandes agglomérations contemporaines tissent des relations avec d'autres territoires au sein de leur région, et souvent au-delà. Celles qui sont de dimensions métropolitaines ont en permanence des relations économiques, sociales et culturelles à l'échelle de l'Europe et du monde, avec des lieux qui peuvent être spatialement éloignés mais fonctionnellement et culturellement proches. Dans leur espace de proximité, elles forment des "grands territoires" qui se distinguent des espaces banaux (mobilités quotidiennes, aires de chalandise, services divers, etc.) d'une ville par leurs dimensions politique et projective. Ces territoires rassemblent ainsi, à une échelle inédite, des espaces aux vocations différentes mais dont la gestion doit être globale : villes et banlieues, zones industrielles et commerciales, grands équipements culturels et sportifs, infrastructures de transport et d'approvisionnement structurantes, bourgs et villages, forêts et terres agricoles, zones "naturelles" et patrimoniales protégées ou à protéger, pôles de compétitivité, etc. Ces grands territoires peuvent regrouper des entités distinctes : communautés urbaines, SCOT et inter-SCOT, réseaux de villes, etc... Ce qui pose des questions d'identité. Si l'image d'un grand territoire métropolitain est souvent liée à celle de la ville éponyme qui lui a donné naissance, comment associer au projet commun ses autres composantes ? L'identité d'un tel territoire est également fondée sur des intérêts communs, des valeurs partagées et un projet collectif. Comment, à une échelle élargie, construire des projets, des solidarités et des représentations fédératrices ? Et comment faire adhérer au projet commun les acteurs économiques et culturels mondialisés qui y créent richesse et notoriété ? La nécessaire planification d'un grand territoire métropolitain requiert de nouveaux outils et de nouvelles pratiques. Entre les Schémas de cohérence territoriale (SCOT) élaborés par des syndicats intercommunaux, les inter-SCOT à l'initiative des collectivités (non

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prévus par la loi) et les Directives territoriales d'aménagement (DTA) décidées par l'État les outils de planification ne manquent pas. Mais, dans le contexte institutionnel français, sur quel socle asseoir le pilotage, la gouvernance de l'ensemble métropolitain aux périmètres par ailleurs mouvant ? Avec quelles légitimités et quels contrôles démocratiques ? Comment favoriser la collaboration davantage que la compétition ? Comment gérer les relations complexes – et parfois conflictuelles – entre le pôle urbain central, qui assume en général l'essentiel des charges, et les territoires périphériques qui veulent préserver leur cadre de vie et des marges d'autonomie ? Ces questions, ces défis, ne sont pas propres à l'espace lyonnais. Mais ce dernier en est une illustration pertinente et peut aider à la compréhension des enjeux et problématiques. Adossée aux coteaux de l'ouest lyonnais, l'agglomération lyonnaise s'est, depuis toujours, davantage étendue vers les plaines de l'est et du nord-est sur lesquelles pesaient moins de contraintes. Si le périmètre de la Communauté urbaine de Lyon reste toujours compris dans les limites département du Rhône, son aire d'attractivité s'étend et implique, en pratique, plusieurs communes limitrophes de l'Isère et de l'Ain. Aujourd'hui, l'agglomération lyonnaise est à la recherche d'une dimension et d'une organisation territoriales à la mesure des métropoles européennes avec lesquelles elle veut se comparer, coopérer, voire se confronter. L'intercommunalité fournit des outils indispensables au Grand Lyon. Mais communautés de communes et autres SCOT ne suffisent pas toujours lorsqu'il s'agit de concevoir le développement de la région métropolitaine lyonnaise en se projetant dans le temps et dans l'espace. Exemple de la ville de Lyon, quel espace métropolitain pour Lyon ? Les emboîtements d'échelle. En 1969, à sa création, la Communauté urbaine de Lyon était à la bonne échelle géographique et couvrait à peu près l'agglomération définie par l'Insee en 1968. Elle s'occupait uniquement de fonctions techniques (eau, assainissement, voirie, propreté). Quarante ans après, l'agglomération s'est dilatée et le Grand Lyon n'est plus à la bonne échelle alors que, au fil des lois de décentralisation et des lois sur l'urbanisme, il exerce des compétences beaucoup plus stratégiques qu'à l'origine : urbanisme et aménagement, développement économique, environnement, prospective, etc. Aujourd'hui, la Communauté urbaine du Grand Lyon souffre d'une échelle territoriale trop restreinte par rapport aux fonctionnalités urbaines et aux pratiques quotidiennes de ses habitants. Elle couvre 57 communes alors que l'aire urbaine prise en compte par les statisticiens de l'Insee en compte presque 300 ! Le postulat de la ville complexe engage donc qu'on repense la manière même de gouverner la ville. Si on peut supposer qu'elle ne nécessite justement aucune gouvernance, étant donné, comme nous l'avons vu précédemment que nous devons abandonner l'idée de la régir et de la comprendre entièrement; nous nous devons quand même de définir un mode de gouvernance différent de celui que nous connaissons pour les villes actuelles.

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Ce qu'il y a d'intéressant à soulever selon moi c'est justement que ce sont peut-être les politiciens et les organes gouvernementaux qui ont le mieux compris la ville complexe. Beaucoup de lois et décret récents concernant notamment les modes de gouvernances des régions, la disparition imminente des départements, la remise en question de l'identité locale au profit d'une ouverture totale sur le monde,... montrent qu'en réalité la ville est déjà perçue comme complexe, sans être assumée comme telle. Les SCOT en sont selon moi un bon exemple, qui consiste à élargir l'échelle de pensée et d'harmonisation d'un lieu à un autre, d'une ville à une autre, d'un territoire à un autre. Cela nous montre que l'espace économique et social (pour partie) est compris comme étant celui d'un espace multi-scalaire pour lequel une échelle de gouvernance réduite au quartier ou à la ville "statique" n'est plus pertinent.

_Modèle : "On ne peut plus rester dans une représentation polarisée par la figure de l’Etat. Penser au-delà, cela ne veut pas forcément dire se projeter dans un avenir, ou dans un dépassement, mais c’est au moins penser en recul par rapport à l’Etat. On ne peut pas rester prisonnier de cette figure de l’Etat, il faut la contourner et trouver des stratégies d’évitement." Marc Abelès pose la question d'une alternative aux stratégies de gouvernances actuelles. La ville doit s'émanciper et se dégager des modèles politiques qui la gouvernent. L'alternative se présente comme une autonomie laissée à la ville et aux "molécules" qui la composent de se développer dans un espace hors des lois. Sans apporter de réponses précises à une/des alternatives, le modèle de simulation du développement de la ville complexe doit passer par une approche assez libre des règles de gouvernances de la ville. Espace social L'espace social enfin est celui de l'homme dans le vide et dans le plein. Dans le bâti et ce qui ne l'est pas. Cette espace social, comme les autres spatialités que nous avons décrite précédemment est modifié au sein de la ville complexe. Comment ? L'espace social comme nous l'entendons ici désigne "ce qui rempli l'espace" ou, pour en donner une description plus architectural, c'est "la ou les fonctions des espaces urbains, le programme". On pourrait penser qu'à la ville autopoiétique nous pourrions associer une liberté total de programme. En réalité il n'en est rien parce que la fonction d'un lieu, où son programme est la toute première molécule de base de l'architecture et par extension de la ville. L'espace social - programme - est l'expression des besoins de l'homme qui habite la ville : loger, dormir, manger, travailler. Mais dans un système en équilibre comme celui de la ville complexe, il nous faut repenser à notre manière de qualifier, répartir et construire la forme sociale de la ville. Pour se faire, nous allons reprendre ici le modèle basé sur le degré de satisfaction développé par Plazanet (2006) et Victor Silva (2010).

_Modèle :

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Un bâtiment possédant une seule fonction (par exemple une école) est un agent. Si un bâtiment possède plusieurs fonctions il est considéré comme un programme et on compte un agent par fonction : par exemple un agent Boutique pourra se trouver dans un agent Centre Commercial qui est considéré comme un agent. Chaque agent de notre système urbain a un ensemble de connaissances sur son environnement et réagit à cet environnement. Il a également des objectifs à accomplir pour sa propre satisfaction (la satisfaction des agents représente en réalité la satisfaction des habitants vivant dans les bâtiments et dans la ville, on associe ainsi la satisfaction des personnes à la satisfaction des bâtiments) et un ensemble de règles comportementales (ou plans d’action) qui dictent son mode d’interaction avec les autres agents du système. Les agents (bâtiments et autres) de notre système ville ont pour objectif d’évoluer vers la meilleure satisfaction possible. Ils ont notamment pour objectif de se localiser de façon optimale de manière à maximaliser leur satisfaction. Par exemple, un agent "logement" trouvera un maximum de satisfaction là où l'augmentation démographique est la plus importante. Au niveau local (niveau micro) les agents (école, commerce, logement, etc.) choisissent de se créer en se localisant le plus près possible des services et le plus loin possible des nuisances. Une villa voudra avoir une vue dégagée et se trouver près d’une école et loin d’une usine. Dès qu’une usine se crée près d’une villa la satisfaction de cette dernière baisse et elle risque de disparaître. A un niveau directement supérieur (niveau méso), les quartiers souhaitent également être satisfaits, notamment la localisation de ses divers composants (bâtiments, etc.) doit se faire de manière optimale. L’objectif des quartiers est de maximaliser également leur satisfaction. En outre ces quartiers doivent présenter une homogénéité qui contribue à leur identité : certains bâtiments ne « correspondant » pas à leur environnement sont appelés à disparaître au profit d’autres. C’est une sorte de « sélection naturelle » où certains bâtiments mieux adaptés à leur environnement se multiplient aux dépens d’autres moins conformes. C'est ce que nous expliquions en introduction en faisant la parallèle entre la ville et la forêt. Les agents L'entité principale du modèle est le bâtiment. Ces agents bâtiments sont des supports localisés dans l'espace pour un ensemble de fonctions, des mécanismes de comportement et des attributs. Les attributs sont des données physiques différentes pour chaque bâtiment : - sa position dans l'espace plan (SIG) - son gabarit (x,y,z) - son orientation Un agent a donc un certain gabarit et est identifié par une identité particulière, qui correspond à un certain programme architectural. On considère que dans ce modèle, les agents-bâtiments se voient attribuer chacun une note qui va dépendre de son "bien-être" dans son environnement. Cette note ne peut être négative, son minimum est

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donc 0 mais on considère qu'elle n'a pas de maximum. Comme elle est l'indicateur de l'état d'un agent à un moment t, plus elle est élevée et mieux se porte l'agent. Un agent cherche donc en permanence à acquérir la meilleure note possible. Comme nous allons le voir cette note va dépendre d'un certains nombres de critères propres à chaque agents mais aussi des interactions de celui-ci avec les autres agents. Ces agents ont donc une durée de vie qu'il faut prendre en compte dans le modèle et dont la note générale de l'agent va dépendre. On peut émettre l'hypothèse que la durée de vie moyenne d'un agent est de 30 années, au delà desquels sa note tant à se dégrader. On pourra voir dans un second temps que la durée de vie moyenne pourrait varier selon l'identité de l'agent. Si il y a durée de vie, on doit pouvoir définir la naissance et la mort d'un agent : - un agent naît soit d'une perturbation du modèle par l'utilisateur, soit d'une nécessité "demandée" par le modèle lui-même. En effet, dans le premier cas, on peut décider à un moment t de la simulation de créer un certain bâtiment avec une certaine identité et demander au modèle d'implanter un nouvel agent au sein du tissu urbain. Mais on peut aussi supposer que le modèle est capable de lui-même faire naître un agent si il en ressent le besoin. Par exemple on peut imaginer que si une zone large se retrouve dans bâtiment commercial, la "note" de tous les agents va se dégrader et tendre vers un état de mort. Le modèle à alors la capacité de faire naître un nouvel agent dont le programme permettra d'améliorer la note des autres agents dans son environnement... - un agent meurt lorsque sa note est nulle. On considère que l'utilisateur ne peut pas intervenir sur la mort d'un agent. Seul son environnement peut être "responsable" de sa mort. Quand il est placé dans son environnement, à t=x, chaque agent est donc caractérisé de la façon suivante : - un gabarit - une identité - un âge - une position géographique Ces trois (+1) propriétés permettent de donner une note à chaque agent en fonction des autres agents présent dans l'environnement. Nous allons à présent définir comment va se définir la note de chaque agent, sorte de "barre de vie" propre à chacun d'entre eux. On considèrera qu'une parcelle ne peut être occupé que par un bâtiment. Dans la considération de la forme urbaine comme forme paysage comme décrit dans sa définition par A.Lévy, on peut émettre l'hypothèse d'un degré d'influence dépendant du gabarit d'un bâtiment et de son orientation. Par exemple si un agent de petit gabarit se retrouve face à un agent très haut, ou d'une dimension très supérieur à la sienne, la "note" de l'agent va se dégrader. On peut considérer dans le cas même où sa note deviendrai trop faible qu'il pourrait aller jusqu'à mourir pour laisser sa place à un nouvel agent.

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Chaque agent-bâtiment ne possède en revanche qu'une seule fonction possible : son programme. On considère, à ce stade d'écriture du modèle, que le bâtiment n'en possède qu'une seule tout au long de sa vie, même si on pourrait supposer qu'il puisse en acquérir une ou plusieurs nouvelles, voir en changer complétement. On peut considérer 6 types de programmes différents : - bâtiment d'habitation (logements, maisons, résidences étudiantes) - bâtiment d'éducation (écoles, lycées,...) - bâtiment d'activité (salle de sport, centre culturel, bibliothèques,...) - bâtiment religieux (églises,...) - bâtiment commercial - bâtiment industriel - pas de bâtiment (terrain nu) La fonction du bâtiment va influer sur les interactions qu'il entretien avec les autres agents présents dans son environnement proche. On est donc sur une influence de type "symbolique" qu'on pourra plutôt définir selon un degré positif ou négatif. Par exemple un bâtiment de logement placé à coté d'une école acquiert plutôt une note "positive", de même si il est placé a côté d'un bâtiment ayant une fonction de service (commercial, culturel,...) A l'inverse si il est placé à côté d’un bâtiment industriel sa note se dégradera. C'est le même principe que le degré de satisfaction décrit par Victor Silva dans sa thèse "Conception et évaluation d'un prototype de simulation de la morphogenèse urbaine par agents vecteurs multi-échelles". Le système de référence (ville) nous oblige à nous baser sur des agents "complexes". En effet, on a ici des agents qui entretiennent entre-eux un "réseau social", puisqu'on considère qu'ils maximisent entre-eux leurs chances d'avoir une meilleure note même si il faut prendre en compte que le bâti existant dont il faudra rentrer les propriétés dans le modèle n'a pas été bâti de cette façon là. Cela nous conduit donc à définir clairement les mécanismes de comportements des agents au sein du modèle. Pour commencer, il faut se rappeler que nous utilisons un modèle dynamique qui va donc évoluer au cours du temps. On va donc construire un modèle qui avancera dans le temps selon un pas que nous définirons comme étant 1 mois. Cela nous conduit à évoluer sur une échelle temporelle de plusieurs dizaines d'années pour voir le modèle évoluer. Pour orienter nos recherches il nous faut également comprendre le contexte urbanistique dans lequel la recherche que nous faisons va intervenir. Au delà de son fonctionnement en tant que modèle multi-agents, le modèle se place aussi au sein d'une dynamique qu'il nous faut connaitre. En effet, même si celui-ci est une simplification du système de référence, il doit dans notre cas s'approcher suffisamment près de la réalité pour devenir pertinent.

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Conclusion Ce mémoire souhaitait à son départ écrire les bases d'un modèle de ville, celui de la ville complexe, dans lequel nous donnerions certaines bases numérique et règles permettant à terme de simuler l'évolution d'un groupe d'agents. J'ai l'espoir qu'il le soit toujours, même si nous sommes encore loin des volontés initiales. Décrire la ville sous l'angle de la complexité, c'est se rendre compte qu'en la regardant à différentes échelles et selon une approche dynamique, nous devons regarder sous cet angle tout notre environnement. La ville complexe démultiplie les possibles du système ville tel que nous le connaissons aujourd'hui et tel qu'on nous l'a enseigné. Tout est ville. J'ai tenté de faire en sorte que cet essai ne ressemble pas à une simple énumération des composants de la ville complexe mais qu'il soit une réelle base de réflexion pour l'écriture de futurs algorithmes et formules mathématiques en vue de l'écriture d'un modèle informatique. Simuler n'est cependant pas une fin en soit. Ecrire ce mémoire s'est aussi révélé être un exercice excitant en tant que futur architecte car le postulat de la ville complexe bouleverse en de nombreux points des choses que l'architecture et l'urbanisme pensaient acquises depuis longtemps. Au début du mémoire, je me suis appuyé sur les travaux d'A. Lévy pour définir la ville selon une forme composée de quatre "sous-formes" : la forme paysage, la forme sociale, la forme bioclimatique et la forme tissu. Il était évident pour moi que la ville soit associée à une forme. Sinon comment en décrire la morphogénèse ? J'ai cherché à décrire ces quatre entités de la manière la plus précise possibles. A. Lévy en donnait certes une définition dans son article sur la morphologie urbaine, mais il laissait une marge de manœuvre importante qui m'a permis de les définir parfois plus précisément, parfois différemment. Et puis, au cours de la rédaction de ce mémoire sont apparues deux points importants qui sans s'éloigner des volontés initiales, ont pourtant fait naître de nouveaux enjeux et soulever des questions auxquelles je n'avais pas pensé devoir répondre. Premièrement, il s'est avéré que nous avons parlé d'"espace" plutôt que de "forme". Le mot s'est imposé tout seul lors de l'écriture. Ce passage à l'espace plutôt qu'à la forme va dans le sens de deux arguments majeurs du postulat que nous avons tenté d'expliciter : un espace, plus qu'une forme, est une "entité" qui n'a pas de limite et donc sans échelle. Ou plutôt avec plusieurs, ce qui n'est pas le cas d'une forme dans le sens ou on l'entend classiquement. Le mot forme ne correspond finalement pas aussi bien à la ville complexe que l'espace. Il nous faudrait dès lors parler de spatiogenèse si nous souhaitons qualifier mieux la ville. D'autant plus, et c'est le deuxième argument, que c'est justement la description de l'espace bioclimatique, celui qui parle de "vide" qui s'est révélé être le plus porteur de sens pour la ville complexe. Deuxièmement, il n'y a pas quatre mais au moins sept espaces qui font la ville. Ces sept espaces sont autant de grands pôles pour lesquels il faudra définir des calculs et des algorithmes. Sept espaces : - l'espace temporel - l'espace géographique - l'espace social - l'espace paysage

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-l'espace bioclimatique -l'espace de gouvernance -l'espace tissu (qui l'espace global, celui qui regroupe les autres) L'espace. La forme. La ville : nous sommes bien dans une question propre à l'architecture. En modifiant notre vision de la ville, le postulat de la complexité doit modifier de fait le rôle et le travail de celui qui la construit. Aidé par les outils informatiques de décision et d'expérimentation, l'architecte ne se doit plus être un simple dessinateur au sein de la ville complexe. Il doit être l'investigateur de logiques spatiales orientées. En comprenant mieux comment un nouveau bâtiment va perturber le milieu dans lequel on le place, l'architecte doit pouvoir questionner les logiques des sept espaces que nous avons décrits précédemment : Faut-il implanter le bâtiment à cet endroit ? le programme répond-il à une demande particulière au regard de la population, de sa densité, des dynamiques culturelles ? Y-a t'il création d'îlots de chaleur ? Aucune des réponses à ces questions ne sera juste ou fausse, l'architecte restant le décideur final et total du projet. Mais la recherche d'une logique passe par la nouvelle considération de l'espace-ville comme un équilibre. Il pourra librement choisir de le déséquilibrer mais nous pourrons dès lors savoir ce qu'entraine ce déséquilibre, quels en seraient les avantages et les inconvénients et les intégrer au système ville pour le futur.

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Bibliographie BERGER Patrick et NOUHAUD Jean-Pierre, Formes cachées, la ville, Presses Polytechniques et Universitaires Romandes (PPUR), 219 pages, 4 mars 2004. COLOMBERT M., DIAB Y. et SLAGNAC J-L., Climat urbain : de l'évolution des villes au changement climatique, Actes du XIXe colloque international de climatologie, Epernay, 2006, pp. 172-177

DROGOUL A. et VANBERGUE D., Approche multi-agent pour la simulation urbaine, Actes des 6ème journées CASSINI, 2002, p.95-112 LÉVY A., Formes urbaines et significations : Revisiter la morphologie urbaine, Espaces et sociétés, n°122, 2005. pp. 25-48 PARK J-j., Morphogenèse de la ville contemporaine, essai sur la multi-échelle, Prof. Berger. Labo UTA-INTER-EPFL, 2010. RAHM Philippe, Architecture météorologique, Collection Crossborders, Archibooks, 2009. SCHEFFER O., Villes émergentes, villes mutantes. La théorie des systèmes complexes et de l'évolution appliquée à la modélisation urbaine, ENSCI, Paris, 2011. SILVA Victor, Conception et évaluation d'un prototype de simulation de la morphogenèse urbaine par agents vecteurs multi-échelles, Prof. Berger. Labo UTA-INTER-EPFL, 2010. TREUIL J.P., DROGOUL A. et ZUCKER J.D., Modélisation et simulation à base d'agent, IRD, Collection DUNOD, 2008. YOUNÈS C. et BONNAUD X., / Perception / Architecture / Urbain, Collection Archigraphy Poche, InFolio, 2014.

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Annexes (1): Analyse de l'article d'Albert Lévy, Formes urbaines et

significations : Revisiter la morphologie urbaine. (2): Retranscription de l'entretien entre Marc Abèlés et Jean-

Marie Durand (Les Inrockuptibles) au sujet du livre de Marc Abélès "Penser au delà de l'état"

(3): Etude de cas : Victor Silva. Conception et évaluation d'un

prototype de simulation de la morphogenèse urbaine par agents vecteurs multi-échelles.

(4): Etude de cas : Travaux de recherche de Edwige Dubos-

Paillard, Yves Guermond, et Patrice Langlois du Laboratoire MTG à Rouen. Analyse de l’évolution urbaine par automate cellulaire. Le modèle SpaCelle

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(1) : Lévy Albert, Formes urbaines et significations : Revisiter la morphologie urbaine, ERES / Espaces et sociétés, n°122, pp. 25-48. 2005 Article disponible en ligne à l'adresse : http://www.cairn.info/revue-espaces-et-societes-2005-4-page-25.htm L'article d'une vingtaine de pages est une synthèse de l'évolution de la définition de la forme urbaine. Une évolution liée étroitement à celle de la ville. L'auteur insiste rapidement sur ce point. Analyser, comprendre, appréhender la forme dans la ville nait d'une analyse préalable de la ville elle-même. C'est une relation scalaire qui existe de l'une à l'autre. A.Lévy cite d'ailleurs Darcy Thompson (1994) dont il dit qu'il a dégagé une relation entre les formes (organiques et vivantes) (D. Thompson est biologiste) et leur croissances : tout changement d'échelle entraine inéluctablement un changement de forme. La forme qui nait d'une ville complexe est à son tour un objet complexe : "C'est donc vers une autre définition de la forme urbaine qu'il faut s'orienter en partant de la reconnaissance de sa complexité" (p.30). C'est une entité non triviale et polysémique. On peut approcher cette forme urbaine de différentes manières. Dont toutes servent à la qualifier. On peut parler de l'approche de la forme comme d'un paysage urbain c'est à dire "l'espace urbain visuellement saisi dans sa tridimensionnalité". Cette approche comprend aussi une appréhension de la forme dans son aspect visuel et sa matérialité plastique (textures, couleurs, matériaux, styles, volume, gabarit). On peut aussi en parler comme d'une forme sociale, ce qui revient à comprendre l'espace urbain à travers son occupation par divers groupes sociaux-économiques, démographiques et éthiques. C'est une approche programmatique quand la première était plutôt physionomiste. L'auteur parle aussi d'une forme urbaine comme forme bioclimatique, soit l'espace urbain sous sa dimension environnementale. Extension d'un volonté éco-"logique" qui pourrait aujourd'hui se correspondre autant à l'espace invisible/chimique développé par Phillip Rahm (Espaces invisibles, Art Presses, Avril 2001, pp.39-50) que celui imaginé par Luc Schuiten dans sa cité-végétale. Enfin il finit par parler de la forme urbaine comme forme des tissus urbains. Cette approche, comme l'explique A. Lévy, est de comprendre et vérifier la relation dialectique entre typologies des édifices et leur formes. P.Weil explique ainsi que la forme urbaine est étroitement liés aux modes de déplacements des habitants dans la ville. On aperçoit ici un des fondements de la complexité : "la ville conditionne les formes de la mobilité comme les conditions de mobilités influent sur la forme de la ville". La ville vie, bouge et se reproduit elle-même selon les composants qui lui donnent sa forme globale. Et cette boucle, comme nous le disions au début de cette analyse est bien un aller-retour multi-scalaire. Il y a donc à travers cet article une notion importante : celle de commutation entre une forme et le sens qu'elle prend dans le tissu urbain. L'évolution des formes urbaines (paysage, sociale, bioclimatique, comme tissu) au cours des siècles et à travers les évolutions sociales, économiques, industrielle de la société le démontre explicitement. L'article marque une visite de l'analyse de la forme urbaine et de sa complexité "polysémique et polymorphique" mise au regard de l'évolution de la ville.

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Et montre encore une fois, au risque de me répéter, que ville et forme urbaine / architecturale sont très étroitement liés.

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(2) : Retranscription de l'entretien entre Marc Abèlés et Jean-Marie Durand (Les Inrockuptibles) au sujet du livre de Marc Abélès "Penser au delà de l'état" “Penser au-delà de l’Etat.” Faut-il comprendre le titre de votre essai comme un appel, un mot d’ordre, une méthode ? Comment définir ce projet ?

Marc Abélès – Penser au-delà de l’Etat, c’est pour moi un manifeste. On ne peut plus rester dans une représentation polarisée par la figure de l’Etat. Penser au-delà, cela ne veut pas forcément dire se projeter dans un avenir, ou dans un dépassement, mais c’est au moins penser en recul par rapport à l’Etat. On ne peut pas rester prisonnier de cette figure de l’Etat, il faut la contourner et trouver des stratégies d’évitement. Une réforme de l’entendement me paraît décisive.

Vous travaillez depuis des années sur les lieux du politique. En quoi, selon vous, le lieu du politique n’est pas réductible à l’Etat ?

D’un point de vue réaliste, il est établi que si l’Etat constitue un lieu du politique très consistant, il existe d’autres lieux où s’exercent les pouvoirs : des lieux super-étatiques et des lieux infra-étatiques. Une réflexion sur le pouvoir est amenée à interroger ces lieux, transnationaux, où des décisions s’opèrent, comme l’Union européenne, l’OMC, que j’ai étudiés. Ces lieux dépassent de part en part l’Etat.

Historiquement, l’Etat reste certes un lieu primordial, capital, mais c’est un espace politique limité en regard d’enjeux beaucoup plus englobant. Si on s’enferme dans cette représentation de l’Etat, comme le “ telos” de la politique, dans une vision hégélienne des choses, comme la fin du politique, on perd complètement de vue ce qui se passe aujourd’hui à travers la mondialisation et ce que cela implique en termes de pouvoir, de prise de décision, de démocratie.

La crise du politique reste liée à la crise de la représentation. Dans notre imaginaire, l’Etat reste très présent. Pourquoi ?

On reste attaché à l’idée de l’Etat-Nation ; il y a une représentation de l’Etat-Nation tellement forte qu’elle relève de l’inertie. Elle s’est en outre exacerbée avec la représentation adverse de la mondialisation, comme péril possible. Pour faire face à ce péril, on revient à cette idée d’une identité française. Mais cette configuration intellectuelle est pour moi la même. On arrive peu à peu à un enfermement tel, à un idéal protectionniste au sens fort du terme. Quoi qu’on en dise on assiste aujourd’hui moins à une crise de la représentation qu’à une crise de la souveraineté. Le problème, c’est que l’Etat est conçu selon une vision de la souveraineté comme concentrant tous les pouvoirs.

La centralité de la souveraineté est une idée très française. Elle est totalement déphasée dans un monde où priment les flux, les processus de circulation des biens, des personnes, des signes. Tout cela est décalé par rapport à ce que l’Etat peut assumer ; il peut assumer une intériorité ou des partages territoriaux. Mais il y a des processus qui subvertissent tout cela. Il y a donc deux solutions : soit on s’enferme de plus en plus, soit on prend à bras le corps l’opérationnalité de lieux politiques qui ne sont plus seulement l’Etat.

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Je ne suis pas dans une vision ontologique des choses. Mais je pense qu’il faut prendre en compte ce que j’appelle le “global-politique” ; ce ne sont pas seulement des organisations, mais aussi des idées, des dispositifs, un type de contagion de questions et de grilles conceptuelles qui peu à peu pénètrent profondément les pratiques sociales, les esprits.

Pourquoi tant de philosophes n’aiment pas l’Etat, comme vous le soulignez ? Qu’est-ce qui réunit les auteurs que vous évoquez, Clastres, Sartre, Foucault, Deleuze, Rancière… ?

Il y a une méfiance par rapport à une idée de l’Etat associée à une organisation de la société ; cette méfiance inaugurale se retrouve chez Pierre Clastres (ethnologue, auteur de La Société contre l’État – ndlr). A partir du moment où il y a Etat, il y a coercition, discipline. On retrouve cela chez Foucault, avec sa réflexion sur la gouvernementalité. Pour lui, le politique ne se réduit pas à la coercition, il ne saurait y avoir de pouvoir sans résistance. Il y a aussi l’idée que le pouvoir ne peut jamais se concentrer tout entier dans une organisation statique, se réduire au fonctionnement d’un appareil étatique ; on est obligé de se confronter à son dépassement. L’Etat est donc une forme historique limitée.

La proposition de Deleuze et Guattari sur l’opposition entre le molaire et le moléculaire est très intéressante à cet égard ; l’Etat, on peut envisager son appareil rigide, son aspect molaire ; et puis il y a dans l’Etat un aspect moléculaire, une dimension micropolitique, qui est aussi le quotidien des organisations. Il est de plus en plus nécessaire d’inventer des formes qui résistent à cette rigidification, dans un entrelacement. Deleuze et Guattati pensent non pas un effondrement de l’Etat mais une alternative.

Comment interprétez-vous un certain regain de l’idée anarchiste aujourd’hui ?

Il y a une prise de conscience assez forte des processus de mondialisation, de circulation et d’appropriation des idées ; cette conjoncture a remis en mouvement une demande d’alternative, alors qu’on restait jusque-là enfermé dans la problématique de l’État. On a aujourd’hui des outils permettant de s’émanciper des modèles traditionnels et de jouer sur des structures moléculaires et inventer des formes d’autonomie. On reparle beaucoup de l’autonomie de Castoriadis, c’est dans l’air du temps. Je ne pense pas du tout que cela soit simplement une mode. Autour de nous, ça bouge, ça cherche d’autres voies.

Bizarrement les plus résignés ces temps-ci sont les politiques professionnels. Nos dirigeants sont enfermés dans une pensée qui d’emblée récuse ces possibilités. Il y a une remarquable inattention face à ces initiatives.

Quelles sont ces formes d’invention nouvelles ?

Il y a des formes d’intervention, d’occupation des places publiques, des types de coopérations, d’échanges, de monnaies parallèles, des initiatives en réseaux ; des verrous ont sauté, on expérimente, il n’y a pas de totalisation. Cela touche beaucoup les jeunes générations qui

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comprennent qu’ils ne peuvent pas s’enfermer dans un système politique figé.

En quoi l’anthropologie permet-elle de repenser le politique ?

La pratique de l’anthropologie permet de déplacer des choses ; ne pas être totalement dedans, c’est essentiel. On est observateur mais aussi acteur ; on est pris dans un dispositif de pouvoir qui fait qu’on est positionné ; on intervient. Le philosophe, lui, est en surplomb. Observer de près les institutions, c’est essentiel. Il y a une intrusion, une présence bizarre, de notre part. Je m’intéresse à des détails étranges, comment dans une organisation comme l’OMC les gens doivent garder ouvertes les portes de leurs bureaux au nom de la transparence. Au fond, je cherche un autre biais pour comprendre le noyau des pratiques politiques.

N’y a t-il pas un risque de neutralité politique dans le regard de l’anthropologie ? Une distanciation ?

Je crois qu’on est au contraire toujours dans une perspective critique ; il n’y a pas besoin de se donner des ennemis. Une description minutieuse est importante, mais surtout il faut mettre en regard ce qui se passe dans ces lieux, ce qui se déplace dans les Etats. Ce qui me gêne dans beaucoup d’énoncés péremptoires, c’est qu’on vous somme de prendre position. C’est ce qui affaiblit la critique. Choisir son camp est insuffisant ; on se constitue des positions qui sont aussi des positions de pouvoir.

Quel pourraient être les lieux du politique à explorer dans les années à venir ?

Ces lieux transnationaux, comme le FMI, on n’en a pas fait le tour. Il y a des lieux, comme les ONG internationales, les organisations humanitaires, où du global se construit non seulement dans leur fonctionnement interne, mais dans les camps de réfugiés où elles interviennent. Les mouvements de jeunes de par le monde, aussi… La question des autochtones est importante. Et puis aussi, tout ce qui a trait à l’urbain, à des formes de résistance très locales.

Marc Abélès, Penser au-delà de l’Etat (Belin)

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(3) : Victor Silva. Conception et évaluation d'un prototype de simulation de la morphogenèse urbaine par agents vecteurs multi-échelles.

a. Approche

L’approche retenue par Victor Silva et le laboratoire de recherche de l’EPFL (Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne) (projet PLAZANET, 2008) pour simuler la genèse des formes urbaines est une approche par agents-vecteurs multi échelles. « On admet des processus d’interaction multi-échelle dans la ville. Cette interaction peut se dérouler à un même niveau entre des entités de même « catégorie » (par exemple des bâtiments) ou bien entre entités de niveaux hiérarchiques différents (entre la ville et un bâtiment par exemple). On dira que le premier type d’interaction concerne les processus auto-organisés tandis que le deuxième type concerne plutôt la planification, telle qu’on la trouve dans la programmation urbaine. ». L’équipe de recherche s’appuie sur une définition multi-niveaux de la ville : la ville est un système, composé de plusieurs sous systèmes, eux mêmes composés de systèmes. On est ici dans une appréhension de la ville en agglomérat « d’agents » que l’on peut diviser en sous parties et etc.… L’intérêt de la modélisation multi-échelles est que l’on peut modéliser les interactions entres les agents d’un même niveau mais aussi les interactions entre niveaux.

Les trois échelles définies sont donc les suivantes : -­‐ l’échelle MICRO : ce sont les éléments bâtis,

l’habitat (logements), les équipements ; les objets isolés pris individuellement. On y trouve aussi les réseaux de transport, de métro,…

-­‐ l’échelle MESO : ce sont les groupes d’objets MICRO, par exemple un quartier, un ensemble de logements,…

-­‐ l’échelle MACRO : elle désigne l’ensemble de la métropole, d’une commune. C’est la totalité de ce que représente les différents groupes d’objets.

b. Le processus calculatoire La calcul de Victor Silva pour sa modélisation de la morphogénèse des formes au sein d’un milieu urbain déjà connu, ou pourrait on plutôt dire identifié, se base sur le calcul d’un Degré de Satisfaction (DS) pour un agent quant à sa place dans son environnement direct. En effet chaque agent défini (bâtiment) possède un ensemble de connaissances sur son environnement et réagit à celui-ci. Et de ce fait, chaque agent a des objectifs à accomplir pour sa propre satisfaction (qui correspond en réalité à la satisfaction des gens qui y vivent, la satisfaction des gens étant alors associée à celle du lieu dans lequel ils vivent). « L’objectif » pour chaque agent d’évoluer vers un degré de satisfaction le plus élevé possible correspond à la volonté (notre volonté) d’accéder à une situation la meilleure possible. La satisfaction des agents dépend donc de l’influence des programmes architecturaux de son environnement proche (qui seront soit des services soit des nuisances) et la visibilité sur des objets symboliques (églises, centres culturels) ou naturels (vue sur un

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paysage). Le degré de satisfaction correspond donc au degré de contentement d’un bâtiment dans son contexte et particulièrement à l’influence positive ou négative de son voisinage. « En outre ces quartiers doivent présenter une homogénéité qui contribue à leur identité : certains bâtiments ne « correspondant » pas à leur environnement sont appelés à disparaître au profit d’autres. C’est une sorte de « sélection naturelle » où certains bâtiments mieux adaptés à leur environnement se multiplient aux dépens d’autres moins conformes. » (Conception et évaluation d'un prototype de simulation de la morphogenèse urbaine par agents vecteurs multi-échelles, Victor Silva, Thèse à l’EPFL, 2010) Ainsi le DS dépend « de manière générale des lois d’influence fonctionnelle » :

-­‐ Influence positive : services (par exemple une école aura une influence positive lorsqu’elle est placée à côté d’un habitat)

-­‐ Influence négative : nuisances (par exemple une usine aura une influence négative placée à côté d’un habitat)

-­‐ Influence des objets symboliques : une église ou la vue sur un beau paysage (montagne, lac) aura une forte influence positive sur un habitat car elle aura un réel impact symbolique pour les gens qui y habitent)

L’agent dans son environnement se modélise de la façon suivante :

« a » est l’agent dont on étudie le DS, les autres agents présents sont des « agents d’influence », ai. Les carrés rouges représentent les influences négatives, les carrés verts les influences positives et les bleus les agents de mêmes types que l’agent « a ». d(a,ai) est la distance entre « a » et les autres agents présents dans l’environnement. ∆(ai) représente, désigne le seuil de séparation minimum entre 2 agents, il dépend de la hauteur de l’agent.

A partir de ce processus de positionnement d’un agent par rapport à son environnement, mais aussi de la prise en compte du degré de visibilité et de celui d’ensoleillement, Victor Silva met en place une méthode de calcul aboutissant à une formule finale faisant prendre en compte toutes ces données. Cette formule permet de mettre en relation les données d’entrée, comme par exemple (fonction d’un bâtiment, situation géographique dans la zone visée) et celle de sortie (emplacement optimal du nouveau bâtiment, morphogénèse des groupes d’habitats…).

Ainsi, Victor Silva, par ce processus de simulation peut calculer la meilleure implantation d’un agent (dont la « fonction » est préalablement définie, par exemple une école ou un bâtiment de logements) dans un tissu urbain existant dont on connaît déjà la géographie et les typologies. Le contexte géographique et architectural est détecté selon un certain nombre de critères (dénivelé, hauteurs des bâtiments, inclinaison des toitures, complexités des volumes, orientation, parcellaire…) et permet une contextualisation de la simulation assez précise.

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Les tests à l’échelle réelle sur un village existant suisse (près de Lausanne) permettent de réellement montrer le fonctionnement de cette simulation. Par exemple, l’implantation d’un groupe scolaire (échelle MICRO) au sein de la commune à la suite de la future construction de plusieurs groupes d’habitat (échelle MESO).

La première simulation qui ne prend en compte que le DS à l’échelle MICRO montre que selon les critères de la formule de Victor Silva, la position optimale de l’école se place à 800 mètres de l’endroit où l’école est actuellement construite.

Une deuxième simulation, qui prend en compte cette fois les interactions entre plusieurs échelles montre que l’école (toujours selon le principe du degré de satisfaction) se placerait plus proche de l’école existante mais pas sur le même parcellaire.

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(4) : (Travaux de recherche de Edwige Dubos-Paillard, Yves Guermond, et Patrice Langlois du Laboratoire MTG à Rouen). Analyse de l’évolution urbaine par automate cellulaire. Le modèle SpaCelle

a. Approche Les travaux de l'équipe de recherche MTG Rouen (Laboratoire de Modélisation, Traitements graphiques en Géographie) se basent sur une approche "sensible" (pour l'opposer à l'approche plus mathématique de Victor Silva) de la modélisation de l'évolution des villes. En effet selon eux, la croissance urbaine, mais aussi de nombreux autres processus géographiques, peuvent s’expliquer par des règles spatiales simples, formulées à partir de connaissances empiriques (donc basées sur des observations subjectives) mais néanmoins explicatives de la dynamique spatiale si elles résultent de la pratique sociale. Pratique sociale ? Le modèle mis en place s'intéresse particulièrement aux interactions entre les groupes cellulaires et leur environnement, groupes dont le comportement spatial simple s'inspire du comportement (connu/observé) des groupes sociaux dans la ville. "Classiquement" disent-ils, les processus spatiaux et leurs fonctionnements, se traduisent par des équations mathématiques, qui, informatiquement, s'expriment à travers un algorithme (c'est le cas de Victor Silva, qui traite son sujet en traduisant la mise en place du Degré de satisfaction par une équation mathématique qui devient un algorithme dans son modèle. voir I. Modélisation multi-agents du système urbain par Victor Silva) - b. Processus). Méthode qui nécessite de «bonnes» propriétés quantitatives, de continuité, de mesurabilité, de stabilité... autant dire, qui nécessite une simplification à l'extrême de la complexité des systèmes considérés. Ce dernier point comme l'explique aussi Victor Silva dans sa conclusion est presque le "principe" d'un modèle et plus largement de la résolution des systèmes complexes : comme on ne peut pas les régir ni les appréhender globalement, on simplifie le fonctionnement de ces systèmes pour pouvoir les comprendre. Les recherches dans ce domaine passent donc nécessairement par une caricature d'un système, mais ce que semble vouloir montrer l'approche du MTG est qu'il est peut être plus pertinent d'étudier ces systèmes selon un angle qualitatif qui exprime un fonctionnement plus "naturel" de ces modèles à travers justement des connaissances empiriques de celui-ci. Si on prend un exemple, la compréhension des flux de transport dans les villes s'est faite en observant et en analysant l'écoulement de fluides dans un milieu comparable aux routes. Ces analyses servent aujourd’hui à la régulation des feux de trafics pour un fonctionnement optimal des flux de transport. Ce modèle qualitatif nait d'une observation empirique et a ensuite était traduit mathématiquement et informatiquement. Ainsi le modèle empirique mis en place fait appel à une sorte de conscience collective de l'approche du système. "Il peut donc être corrigé et critiqué facilement, car plus explicite qu’un modèle quantitatif calibré avec de nombreux paramètres qui n’ont pas de signification directe et qui sont de plus difficilement accessibles concrètement par quelqu’un d’autre que le modélisateur." (Analyse de l’évolution urbaine par automate cellulaire. Le modèle SpaCelle, Laboratoire MTG, Rouen, 2003-2004)

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b. Le processus calculatoire Avant la traduction informatique des hypothèses de fonctionnement, la mise en place du modèle nécessite que les connaissances empiriques utilisées, expriment le moins possible de contradictions, et que les éléments de "vécu collectif" soient le plus cohérents possible. L'objectif de MTG est donc de construire un logiciel "SpaCelle" (utilisant la technologie des automates cellulaires) traduisant une méthode "à priori non mathématiquement formalisés.", ainsi que de faire fonctionner ce logiciel dans un contexte géographique réel et précis. On est dans un processus d'expérimentation en analyse spatiale qui se base sur des connaissances de concurrences spatiales. Le modèle mis en place n'est donc pas la finalité de leur étude, le réel intérêt étant de comparé des savoirs à des données réelles à travers l'utilisation du modèle. Le modèle mis en place est donc presque un modèle "géographique" qui traite d'une problématique territoriale, de la ville certes, mais surtout de l'impact qu'elle a sur le territoire dans lequel elle est implantée. Les échelles sont donc multiples : traiter d'un système à grande échelle en utilisant des acquis d'une échelle plus située. Encore une fois, le jeu des échelles mis en place par l'équipe de recherche est important. En géographie, l'étude d'un système via un automate cellulaire se penche plutôt vers une organisation spatiale bidimensionnelle des cellules à travers un maillage topologique (régulier ou non) qui constitue une partition du domaine d’étude (la "carte" est découpée en "cases" dans lesquelles vont évoluer les cellules). L’organisation des cellules est alors définie par les liens de voisinage entre mailles, appelée aussi topologie. Ces liens peuvent être formalisés par une matrice de voisinage, ou un graphe de voisinage, mais ils peuvent aussi être définis par une équation permettant de déterminer les voisins, par exemple selon un seuil de la distance. On est donc dans le cas d'un modèle bidimensionnel (contrairement au modèle de Victor Silva qui, en un sens, se développait en trois dimensions puisque suite à l'analyse de l'emplacement d'un bâtiment dans un tissu urbain l'algorithme calcule le volume optimal du bâtiment programmé) découpés en cellules "L" carrées ou rectangulaires qui forment donc la topologie du système étudié. Les états "S" de cellules sont des valeurs descriptives de l'espace représenté par la cellule par exemple le type d'occupation du sol (bâti, en construction, culture, route, espace vert, espace public,...). Lors d'une itération les cellules de même état sont regroupées en "Classes". Les cellules et les classes, comme dans le Life Game (dont SpaCelle est d'ailleurs directement inspiré), ont une durée de vie et un état qui évolue au cours du temps, elles ont même un âge. Ainsi pour chaque cellule, un peu comme pour le degré de satisfaction des agents de Victor Silva (voir I. Modélisation multi-agents du système urbain par Victor Silva) - b. Processus). Sont donc définis un état de mort, un état de vie et une force vitale pour chacune des cellules. Lorsqu'elle naît la cellule est définie par son état et sa localisation dans le domaine qu'elle gardera toute sa vie. Sa force vitale dépend

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directement de son âge. En fonction de son état sa durée de vie peut être plus ou moins grande. Par exemple, une cellule "fleuve" aura une durée de vie infinie et ainsi il n'y aura pas d’âge maximum pour ce type de cellule. Ce qui ne serait pas le cas pour une cellule "bâtiment" qui aura une durée de vie allant de 50 à 150 ans et donc l’âge maximum défini par le modélisateur ne pourra excéder une certaine quantité d'années. Sachant qu'à sa naissance, la cellule "bâtiment", son âge maximum sera "tiré" aléatoirement selon la loi de Laplace-Gauss3. Si il meurt son état deviendra par exemple l'état "friche". Si on est en milieu urbain dense on pourra aussi considérer que le bâtiment sera rénover, reconstruit et que donc son état de vie sera prolongé infiniment (même si formellement le bâtiment change et que sa fonction évolue). Enfin par exemple une cellule "culture agricole blé" n'aura une durée de vie que d'un an maximum et pourra être remplacée l'année suivante par "culture agricole maïs" et ainsi de suite. L'état de la cellule évoluera, mais pas (ou peu) son impact sur son environnement. Ces règles sur la durée de vie et l'âge maximum des cellules selon leurs états font partie des connaissances empiriques avec lesquelles le laboratoire met en place son modèle. Suite à cela l'équipe de recherche MTG défini le principe de concurrence qui régit les règles de relation entre les cellules au sein de la topologie. "C'est un principe déterministe: c’est la transition dont la force est maximale qui l’emporte toujours.". Si la règle de conservation est la plus forte, la cellule conserve son état. Sinon elle va transiter dans l’état correspondant à la règle dont la force est maximale. Si toutes les forces sont nulles (ou négatives), y compris la force de vie, c’est la mort naturelle de l’individu, il transite alors dans son état de mort.

Par exemple lorsqu'une cellule "pavillons" entre en contact avec une cellule "industrie", la cellule "pavillons" va transiter vers l'état "friche" puisqu'on la considère non-viable à proximité d'une zone industrielle. A l'inverse si elle entre en contact avec la zone de centre ville historique alors sa durée de vie sera rallongée.

Les analyses faites par le laboratoire MTG s'effectuent sur l'agglomération de Rouen pour laquelle on compare les SIG réelles entre 1950 et 1994 (cartographie précise du développement de l'agglomération rouennais) aux résultats obtenus par le modèle SpaCelle qui avait pour base de départ les SIG de 1950.

Les résultats de la simulation du laboratoire MTG se trouvent être très proche de la réalité observée objectivement par les cartes de l'évolution de la ville de Rouen. D'abord en 1966 puis en 1994 (Figure 9 et 10) ils révèlent une grande similarité entre la manière dont a évolué réellement la ville et la manière dont l'automate cellulaire s'est développé à partir des données géographiques de 1950. Les savoirs empiriques utilisés ainsi que le principe de concurrence sont mis en place par l'équipe de recherche. Sur une totalité de 15 400 cellules, on

                                                                                                               3  La  loi  de  Laplace-­‐Gauss  ou  loi  Normale  de  probabilité  est  une  loi  statistique  souvent  utilisée  pour  la  modélisation  de  phénomènes  naturels.  Elle  est  en  lien  avec  d'autres  lois  mathématiques  (bruit  blanc  gaussien,...)  en  rapport  avec  les  probabilités.  

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observe seulement 7% de variation avec la situation réelle, au bout de 44 ans. Ces variations se retrouvent surtout sur 2 points : l'urbanisation plus importante que prévue dans les pentes et le développement de l'habitat pavillonnaire (peu dense) sur les zones occupées par la forêt.