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20 « Quand on est arrivés devant les bâtiments gouvernementaux, les islamistes nous ont attaqués avec des gaz lacrymogènes. Pen- dant plusieurs minutes, on ne voyait plus rien, ça faisait vraiment mal mais on ne s’est pas dispersés. Un étudiant a particulièrement souffert des gaz, mais il n’a pas bougé. On a continué de crier : « A bas l’islam politi- que ! » www.solidariteirak.org [email protected] | 06 82 18 08 55 Brochure n° 7 Solidarité Irak Luttes étudiantes en Irak Olivier Théo Shehab Ahmed Thikra Faisal

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« Quand on est arrivés devant les bâtiments gouvernementaux, les islamistes nous ont attaqués avec des gaz lacrymogènes. Pen-dant plusieurs minutes, on ne voyait plus rien, ça faisait vraiment mal mais on ne s’est pas dispersés. Un étudiant a particulièrement souffert des gaz, mais il n’a pas bougé. On a continué de crier : « A bas l’islam politi-que ! »

www.solidariteirak.org

[email protected] | 06 82 18 08 55

Brochure n° 7 Solidarité Irak

Luttes étudiantes en Irak

Olivier Théo Shehab Ahmed

Thikra Faisal

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L’article d’Olivier Théo a été publié dans L’Emancipation syndicale et pé-dagogique de juin 2005

D’autres brochures de Solidarité Irak 1. Pour une loi consacrant l’égalité des genres, par

l’Organisation pour la liberté des femmes en Irak.

2. Proposition de législation générale du travail, par la fédération des conseils ouvriers et syndicats en Irak.

3. Les caractéristiques fondamentales du Parti communiste des travailleurs, par Mansoor Hekmat.

4. Qui était Mansoor Hekmat ? par Hamid Taqvee.

5. Démystifier le nationalisme de gauche, par Mahmood Ketbachi.

6. Quelle lutte armée en Irak ? Par Khasro Saya.

7. Luttes étudiantes en Irak, par Olivier Théo, Shehab Ahmed et Thikra Faisal

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voir sur place, tu comprendrais mieux !

ND : Lors de la clôture de la conférence, tu as évoqué ton ma-riage tout proche...

TF : Oui ! Je me marie dans quelques semaines. Mon boy-friend est un militant du parti communiste-ouvrier depuis 1995. Il a passé sept ans en prison, à Abu Ghraïb, à cause de ça. Il avait été condamné à mort, mais sa famille a payé pour que sa peine soit commuée en prison à vie. Heu-reusement, comme tous les prisonniers, il a été relâché peu avant la guerre, lorsque Saddam Hussein a décidé de vider les prisons. C’est l’au-tre raison pour laquelle je voudrais aller à Bagdad, bien sûr...

ND : A Bagdad, tu n’as pas trop peur des bombes ?

TF : Quelles bombes ? La bombe, c’est moi !

Interview réalisée par Nicolas Dessaux, 2 août 2005 (Yokohama, Japon)

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Le système éducatif irakien est toujours guidé par les mêmes règles que celles qui étaient en vigueur sous le régime de Saddam Hussein. Quand on demande à Dashty Jamal, représentant de l’Union des Chômeurs en Irak, de passage en France, ce qui a changé dans le système scolaire irakien depuis la chute du régime Baas, il nous répond, cynique, "rien si ce n’est, que l’islamisation s’est développée". Cela résume en effet l’essen-tiel.

A la fin de la Première guerre mondiale, les écoles irakiennes se comp-taient sur les doigts de la main. Durant l’entre-deux-guerres, environ 40 % des jeunes Irakiens et Irakiennes accèdent à l’enseignement primaire, mais l’enseignement secondaire demeure limité et aucune université n’existe encore.

C’est à partir de 1958 que l’éducation devient une priorité proclamée par le régime de Saddam Hussein. Et c’est vrai que des efforts sont faits : la scolarité des enfants de 6 à 12 ans est rendue obligatoire en septem-bre 1978, tandis qu’est lancée une vaste campagne d’alphabétisation de tous les illettrés jusqu’à 45 ans.

Un système au service du Baas ou Kafka à Bagdad

Pour autant, cette modernisation sociale indéniable qui repose sur le boom de la manne pétrolière, cache mal le processus d’embrigadement de la société. Les programmes scolaires sont tout entier à la gloire du pré-sident et du parti Baas dont les élèves scandent les grandes dates en cours. Poèmes à la gloire du Raïs s’y mêlent aux chants et slogans natio-nalistes. Dashty Jamal indique que durant la guerre Iran/Irak, les étu-diants étaient enrôlés de force dans l’armée, les récalcitrants renvoyés, voire pendus sous les applaudissements contraints de leurs petits camara-des. A ce stade, une carrière universitaire ne s’ouvrait qu’aux fidèles indé-fectibles du Baas ou aux bons payeurs. Dissertant sur l’élimination de la société civile et le régime totalitaire baasiste, Sami Zubaida (1) précise que toutes ses composantes "ont été enrégimentées dans le rang du parti et des fidèles à la clique au pouvoir", ajoutant que ceux qui sont restés en place (artistes, écrivains, professeurs) ne sont plus que les voix des diri-

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geants et que les plus réfractaires "sont souvent persécutés et humiliés par les brutes du parti et de la sécurité placées à la tête des universités et des organisations culturelles".

Dans l’ouvrage d’Inaam Kachachi (2), on quitte les brutes pour vivre avec leurs victimes, au plus profond du sentiment humain. Hayat Sharara y dé-crit, avant de se suicider, un épisode de la vie sous Saddam et sous l’em-bargo. Un fait réel, un cauchemar. Un prof d’université raconte le pesage collectif qui lui est imposé : deux fois par an, tous les fonctionnaires de-vaient y passer et ceux qui prenaient du poids voyaient leur salaire dimi-nuer. Le prof ne pense plus à ses cours, ses élèves, il stresse... Kafka à Bagdad.

L’embargo et l’islamisation de l’enseignement

A partir de l’accession de Saddam Hussein à la présidence en 1979, les guerres incessantes ont limité les ressources disponibles pour l’éducation. En effet, alors que le niveau de scolarisation des jeunes Irakiens s’était fortement accru dans l’Irak des années 70-80, les guerres à répétition et l’embargo voté le 6 août 1990 par les Nations Unies ont profondément détérioré le système éducatif, si bien que le niveau d’analphabétisme a explosé ces dernières années. Papiers, crayons et stylos ont commencé à faire défaut.

Face à la pénurie, les parents ont du envoyer leurs enfants travailler plutôt que d’aller à l’école, faute de pouvoir payer pour une éducation en dés-hérence, abandonnée par un Etat surendetté ne pouvant plus répondre financièrement à ses besoins. "J’ai même vu des écoliers voler les portes et les serrures de l’école pour les revendre", raconte un instituteur de Sad-dam City, le quartier le plus pauvre de Bagdad. De nombreux professeurs ont également préféré démissionner ou pour les plus courageux, trouver un second boulot, faute d’être décemment rémunérés.

A cela, s’est ajoutée une islamisation croissante du système éducatif à la fin du règne de Saddam Hussein. La Sharia est souvent devenue une des bases de l’enseignement. A l’école, la mixité a été bannie par une déci-sion du gouvernement en septembre 2001. Des murs séparant filles et garçons ont été construits, et quand ce n’était pas possible il a été décrété une ségrégation sexuelle temporelle : les filles allant à l’école le matin et les garçons l’après-midi ou l’inverse. Les cours de religion avec récitation du Coran sont devenus prépondérants et le port du voile pour les jeunes filles, une obligation.

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ont souvent plus de trente ans. Ils forment une organisation armée, détes-tée des étudiants. Ils portent des vêtements sales, parce qu’ils considèrent que l’Islam enseigne qu’il est inutile d’avoir une belle apparence. Les plus dangereux viennent d’Iran, ou ont formé là-bas, et la propagande qu’ils vendent y est imprimée. Ils sont shiites.

Il faut dire qu’a Bassorah, les sunnites sont plus pacifiques. Quelques groupes sunnites nous soutiennent, et certains de leurs membres les ont même quittés pour nous rejoindre.

ND : Et toi, es-tu shiite ou sunnite ?

TF : Ma famille est supposée être shiite. Mais avant tout, nous sommes communistes. Ma grand-mère distribuait des tracts communistes. Mon on-cle était un poète communiste. Mon père servait de passeur pour emme-ner clandestinement des militants communistes de Bassorah à Sulaymania, dans le nord. Moi aussi, j’ai commencé par être militante du Parti commu-niste d’Irak.

Mais, quand on vu que ce parti commençait a soutenir les islamistes, on a été stupéfaits. Le Parti communiste-ouvrier est venu voir mon père, qui était un militant connu, et lui ont proposé de les rejoindre. C‘est ce que j’ai fait aussi, comme beaucoup d’autres. Il faut dire qu’à Bassorah, l’un des deux locaux du Parti communiste d’Irak a changé son nom pour s’appeler Parti communiste islamique ! Il ne leur reste plus qu’à repeindre la devanture en vert...

Parmi les communistes que je connaissais, certains sont effectivement de-venus des islamistes. Un ancien camarade m’a demandé pourquoi je ne portais pas le hijab... Le Parti communiste-ouvrier, c’est exactement ce que j’avais toujours voulu, la liberté, un style de vie moderne, alors que le Parti communiste est tellement traditionnel... De toute façon, il ne représente plus grand-chose, si ce n’est qu’il est soutenu par les islamistes.

ND : Que représente le Parti communiste-ouvrier à Basso-rah ?

TF : Il est très soutenu par les ouvriers. Il y avait beaucoup de gens pour la manifestation du 1er mai, des ouvriers, des jeunes, des étudiants, des femmes, et plein de sans-toits, qui squattent les bâtiments de l’ancien gou-vernement. Abdelkarim, un camarade, organise avec eux des manifesta-tions régulières pour obtenir de véritables logements. Il est très actif. Ce jour là, j’ai été interviewée par la télévision kurde. Mais tu devrais venir

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ND : Et à Bagdad, justement, existe-t-il un comité du même genre ?

TF : Oui, mais il est moins important qu’à Bassorah. C’est pour ça qu’on préparer une conférence des étudiants progressistes, pour créer des comi-tés d’organisation étudiants partout en Irak. Il en existe déjà à Sulaymania et à Kirkuk.

ND : Quels sont les besoins principaux du Comité d’organisa-tion étudiant ?

TF : L’argent, tout simplement, pour l’impression de matériel et pour l’orga-nisation de cette conférence. La vie est très chère pour les étudiants. La plupart des étudiants habitent chez leurs parents, et n’ont aucune res-source, même pas d’argent de poche. Pour ceux qui viennent de loin, il n’y a pas ni résidences, ni chambres, ni transports. Donc, impossible de vivre seul, encore plus quand on est une fille. Même mariés, les étudiants restent généralement dans leur famille.

L’un des problèmes qu’on a rencontré, c’est pour imprimer nos tracts. Cha-que fois qu’on allait voir un imprimeur, il nous disait qu’il n’avait plus d’en-cre, ou qu’il était fermé. Finalement, un jeune imprimeur nous a fait rentrer discrètement et il a fermé le volet dernière nous. Il nous a expliqué que sa femme était étudiante, qu’elle aussi avec subi les islamistes et qu’il était prêt à nous aider, à condition qu’on ne dise pas qui il était. C’est lui qui nous a révélé que les islamistes étaient passés pour les menacer d’incen-dier leur atelier s’ils imprimaient quoi que ce soit pour nous. Il nous a tout imprimé à moitié prix ! Quand on est revenu avec des tracts imprimés, tout le monde a été très surpris.

ND : Est-ce que vous avez bénéficié de la solidarité interna-tionale ?

TF : Non. On a reçu pas mal de messages de soutien, mais pas d’argent. Tout ce qu’on a fait, c’est avec le peu qu’on a. Mais pour organiser cette conférence nationale, il faudrait environ 50 000 dollars, parce qu’on est obligé d’assurer les voyages, les logements, la nourriture et surtout la sé-curité, c’est-à-dire les gardes du corps. C’est pour ça qu’on a besoin du soutien des étudiants du monde entier, pour défendre nos libertés.

ND : Qui sont exactement les islamistes ?

TF : Pour la plupart, ce sont d’anciens étudiants, plus âgés que nous, ils

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Profit et corruption prolifèrent sur le chaos d’une terre coloni-sée

Le chaos qui règne en Irak depuis l’invasion des troupes armées menées par les USA et les britanniques n’a fait qu’accroître cette situation de crise. Alors que de nombreuses écoles ont été dévastées durant le conflit, les grandes promesses de reconstruction se sont effondrées dans la re-cherche effrénée du profit et la corruption. Poursuivant le désengagement de l’Etat, le système scolaire est en pleine privatisation. Il est significatif de noter que l’enseignement par le secteur privé est une des priorités des Etats-Unis dans les négociations AGCS.

L’éducation des enfants irakiens a ainsi été confiée à une société de consulting, la Créative Associates International Inc., basée à Washington, qui a obtenu un contrat de 157,1 millions de dollars pour fonder des éco-les "modèles" et former les enseignant-e-s. Cette petite entreprise privée travaillera en collaboration avec le nouveau gouvernement irakien pour mettre au point un nouveau programme et imprimer des manuels scolaires appropriés. On croit rêver quand l’on apprend que cette même société s’occupe également d’externaliser les tâches militaires concernant l’inter-rogation de détenus. Cette société basée en Virginie cherche sur son site Internet à recruter des personnes qui "assistent le chef du programme d’in-terrogation militaire US pour obtenir de manière plus efficace des informa-tions des détenus, personnes importantes et prisonniers de guerre". Grâce au conflit, les profits de Caci International Inc. ont augmenté de 40 % en 2003 pour atteindre 45 millions de dollars.

L’entreprise Bechtel, a, quant à elle, remporté le contrat global d’infras-tructure, et s’occupe de la construction des écoles. L’entreprise doit fournir du mobilier, des fournitures scolaires, et former des enseignants. Bechtel a démontré une corruption morale éhontée en contribuant d’abord au déve-loppement d’armes irakiennes et à la promotion de la guerre contre l’Irak, et en profitant de la tragédie et de la destruction entraînées par la guerre, a affirmé Andrea Buffa, coordonnatrice de la campagne pour la paix de Global Exchange.

L’hégémonie des transnationales n’est pas une alternative à la dictature du style de celle de Saddam. Elle ne fait que remplacer une dictature par une autre : celle des Grandes Compagnies qui ont kidnappé la puissance publique et utilisent la puissance militaire pour s’emparer de marchés. Des fonds énormes sont détournés à partir des budgets scolaires.

Trois bâtiments ont été construits pour l’université de Bagdad. Un est oc-

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cupé par les américains, un autre par la police nationale et le dernier par les étudiants qui servent juste de bouclier contre les attaques des groupes armés. Les promoteurs du bâtiment ont volé le pétrole qui servait à alimen-ter en électricité, du coup, il n’y a plus d’électricité. Quand les étudiants sont allés réclamer le pétrole, ils se sont faits tabasser par les gardes de l’université. Les étudiants ont alors squatté un bâtiment abandonné du campus universitaire, notamment pour les étudiants habitant hors de Bag-dad. Les forces de sécurité sont venues les déloger violemment et l’immeu-ble accueille maintenant des activités commerciales au bénéfice des ca-dres administratifs de la fac.

Islamisation et terreur pour les femmes

Avec l’occupation impérialiste et destructrice, l’islamisation de l’Irak est sans doute son principal ennemi. Elle touche en priorité les jeunes femmes et n’a pas laissé indemne le système scolaire irakien. De nombreuses étu-diantes ont été brutalement tabassées parce qu’elles étaient en jeans, ou parce qu’elles ne portaient pas le hidjab. Beaucoup n’osent plus retourner à l’Université et des milliers d’étudiantes ont arrêté leurs études pour se protéger des terroristes islamistes. A l’université de Mossoul, plus de 1500 étudiantes ont décidé d’arrêter les cours. D’autres empruntent les bus sco-laires avec la crainte constante d’être victimes d’une attaque à la bombe, comme cela s’est déjà produit. Les islamistes arrêtent les voitures devant les universités, les femmes non voilées sont injuriées et comparées à des prostituées. Parfois, les choses vont plus loin. Les enlèvements de Dounia Ismaïl et Nadia Othmane par 4 hommes armés devant le portail de leur école à Kirkouk, le meurtre de Layla Abdulla al-Hadj Said, professeur de droit, doyenne de la faculté de Droit de l’université de Mossoul, tuée par balle, puis décapitée, afin de terroriser la population du quartier, ou en-core celui de Iman Adbul Monem Younis, maître de conférence à la fa-culté des langues et directrice du département de traduction de l’universi-té de Mossoul ne sont que quelques exemples récents qui, parmi tant d’autres, témoignent de la barbarie exercée contre ceux qui veulent par-tager ou avoir accès aux connaissances de base indispensables à la re-construction d’un Irak moderne.

Avant qu’il n’y ait le transfert de l’autorité provisoire en juin 2004, le mi-nistre de l’éducation était un islamiste. Il a avantagé la réimplantation des syndicats islamistes et restreint les libertés étudiantes. Il a été remplacé par un ex-baasiste quand Alaoui était au pouvoir, et c’est à nouveau un isla-miste qui tient ce poste. L’Union Nationale des Etudiants Irakiens (UNEI), liée au parti Baas, est encore bien vivante et elle a participé aux élections

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ment. On était plus que deux, moi et une fille musulmane, à manifester avec les garçons, à chanter des slogans pour la liberté et contre l’Islam à l’université.

Quand on est arrivés devant les bâtiments gouvernementaux, les islamis-tes nous ont attaqués avec des gaz lacrymogènes. Pendant plusieurs mi-nutes, on ne voyait plus rien, ça faisait vraiment mal mais on ne s’est pas dispersés. Un étudiant a particulièrement souffert des gaz, mais il n’a pas bougé. On a continué de crier : « A bas l’islam politique ! » et on a com-mencé à rédiger nos revendications : la punition des criminels et l’expul-sion des islamistes de l’université. Comment est-ce qu’on peut étudier quand on est sans cesse entouré de gens armés ?

Le gouvernement, qui nous avait ignoré au départ, a envoyé des forces de sécurité pour nous protéger. Mais parmi eux, il y avait aussi des isla-mistes ! Ce sont eux qui nous ont attaqués avec des pistolets. Un étudiant a eu le nez cassé. Cette fois, on a été obligés de s’enfuir, mais on est reve-nus pas très longtemps après. Finalement, on a pu entrer pour présenter nos revendications, et la manifestation s’est terminée là.

Après ça, les islamistes ont disparu de l’université et la sécurité a été réta-blie.

ND : Et quelles conséquences ça a eu pour toi ?

TF : J’ai été menacée tout le temps. Ils savaient que j’étais communiste et ne pouvaient l’accepter. L’un d’entre eux m’a forcée à venir dans leur local, et ils m’ont menacée, moi et ma famille. Quelques jours après les manifestations, ils s’en sont pris à mon père. Ils l’ont emmené dans leur prison, et ils l’ont menacé pour qu’il m’interdise d’aller à l’université, avant de le laisser ressortir. Une autre fois, j’ai du rentrer chez moi plutôt que d’aller à la fac, car j’étais suivie par plusieurs personnes.

J’étais très triste, car je ne pouvais pas aller en cours comme je voulais. Certains profs sont aussi des partisans de l’Islam politique et ils m’ont em-pêché de passer dans l’année supérieure, de même que les autres cama-rades connus du Comité. C’est l’une des raisons qui me pousse à aller à Bagdad l’an prochain, pour étudier les sciences politiques. Ca dépend aussi de la situation du Comité, car si le Comité a besoin de moi, je ne pourrais pas partir.

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on était et nous faisaient confiance. On a commencé à 8, et nous sommes maintenant 180, répartis entre les deux sites de l’université, dont l’un est situé au centre de la ville et l’autre à l’écart, et dans toutes les facultés. Le nombre continue d’augmenter régulièrement.

Personnellement, au sein de la direction du Comité, je m’occupe particu-lièrement des problèmes des étudiantes. Je suis la seule fille à en faire partie, et il n’y en a que 20 dans le comité. C’est faible, mais c’est à peu près la proportion de filles à l’université.

ND : Comment a commencé le mouvement étudiant ?

TF : Les étudiants irakiens adorent les pique-niques, mais avec la guerre, ça avait disparu. Alors, les étudiants de technologie ont décidé d’en orga-niser un, parce qu’ils en avait marre de la tristesse et de la peur. Malgré les risques d’attaque, ils ont été dans un petit parc, dans le centre de Bas-sorah. Les garçons écoutaient de la musique avec un téléphone portable et dansaient, tandis que les filles étaient simplement assises.

Mais un étudiant, qui était proche du groupe de Moqtada al-Sadr’, a pré-venu les islamistes, qui sont arrivés avec un groupe armé. Comme ils dé-testent les étudiants, ils ont confisqué les appareils photos, les portables, et ils ont embarqué des étudiants dans leur local, jusqu’à ce que leur famille vienne les rechercher. Puis ils ont battu une fille chrétienne, qui est tombée dans le coma pendant deux mois, et tué un autre étudiant.

Au Comité, dès qu’on a appris ça, on a décidé de faire face. Ils étaient allés trop loin. On a rédigé des tracts et organisé deux jours de manifesta-tions. J’étais responsable de l’organisation pour le site universitaire du centre ville, et notre camarade Faris se chargeait de l’autre. On a organi-sé des meetings dans les halls d’université. La plupart des étudiants étaient avec nous, parce qu’ils en avaient marre des islamistes dans les facs. Il faut dire qu’ils étaient tout le temps là, même au restaurant universitaire où ils empêchent les filles et les garçons de manger ensemble. Alors cette fois, les étudiants ont décidé de réagir.

Le premier jour, nous sommes restés dans l’université. Les islamistes ont essayé de nous en empêcher, mais ils n’y ont pas réussi. Alors, le deuxième jour, on a décide de sortir, parce qu’on était beaucoup plus nombreux, et d’aller manifester devant les buildings du gouvernement. Les filles avaient peur, à cause des menaces des islamistes, qui avaient effecti-vement capturé plusieurs d’entre elles. Elles ont préféré rester dans l’uni-versité, sauf un petit groupe qui a suivi de loin la manifestation, discrète-

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du 30 janvier dernier. Ce syndicat était connu pour pratiquer couramment des actes de torture. Jean-Pierre Perrin (3) relate : "Ahmed Taleb, profes-seur d’anglais et syndicaliste, estime, lui, que la situation est redevenue dans l’enseignement « comme sous Saddam Hussein ». Un religieux, Cheikh Ahmed al-Maleki, proche de l’Assemblée suprême de la révolu-tion islamique en Irak et des brigades al-Badr, s’est emparé de l’Education nationale. « l y a installé ses milices, ses 51 gardes du corps, et ses pro-ches ont pris tous les postes importants ». « Le 30 mai, les 32000 ensei-gnants que compte l’académie avaient élu démocratiquement la direction d’un nouveau syndicat, indépendant à la fois des partis politiques et des religieux. Cinq mois plus tard, le cheikh l’a dissous au prétexte que nous n’étions pas une organisation islamiste et que nous professions le poly-théisme. Maintenant, il oblige les professeurs à signer un texte stipulant que leur propre syndicat est illégal. Une enseignante a même été licen-ciée parce qu’elle était sabéenne » ajoute-t-il, assez désespéré".

Le 15 mars 2005, un nouveau pallier a été franchi dans la violence. Des étudiants de l’université de Bassora, accompagnés de leurs professeurs, ont été sauvagement attaqués par des milices islamistes, notamment liées à celle d’Al-Sadr, l’armée du Madhi. Un étudiant a été tué d’une balle dans la tête, alors qu’il tentait de défendre Zahra Ashour, une jeune étu-diante sur qui les islamistes s’acharnaient à coup de bâtons. Une ving-taine d’étudiants ont également été kidnappés et d’autres grièvement bles-sés. Leur tort ? S’être amusé entre garçons et filles en écoutant de la musi-que autour d’un pique-nique, avoir mis de côté la violence ambiante, pour s’octroyer un moment de détente au-delà des différences religieuses, ethni-ques ou nationales.

La résistance s’organise sur place...

Il semble cependant qu’une grande partie de la jeunesse irakienne n’ac-cepte pas aussi facilement qu’une nouvelle dictature s’installe en Irak. La résistance s’organise. En marge de ces syndicats officiels, des comités étudiants ont émergé. Ils ne défendent pas un programme politique mais cherchent à protéger les étudiants et à rendre leurs conditions de vies meilleures.

A Bassora, des milliers de personnes ont investi les rues pour soutenir les étudiants contre l’islam politique. Il semble même que la colère populaire ait convaincu les islamistes radicaux de se tenir à carreau, au moins pour un temps. Sur les autres facs, la solidarité s’organise aussi. Les étudiants de Bagdad, d’Erbil ont apporté leur soutien à ceux de Bassora. A Su-leymaania, les étudiants se sont également mobilisés. Durant 35 jours,

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avec les professeurs ils se sont mis en grève pour lutter contre l’ouverture d’une université privée, réclamer la séparation du religieux de l’Etat et de l’éducation. De manière générale, c’est pour lutter contre la perpétuation des pratiques baasistes, soutenus par les nationalistes locaux, que ces universitaires s’élèvent.

Des étudiants d’Erbil sont venus à pied pour soutenir les grévistes. Les poli-ciers locaux se sont interposés pour stopper leur marche. Rebwar Arif, secrétaire général de la Fédération des réfugiés irakiens, a été arrêté par la police locale aux mains de l’UPK, simplement parce qu’il avait pris la parole lors d’une manifestation des étudiant-es de Sulaymania face au conseil des ministres, contre la corruption du gouvernement et pour la réforme des études. Les messages de réprobation, notamment ceux en-voyés par Amnesty International semblent avoir joué et Rebwar a été libé-ré quelques jours plus tard.

... mais elle a besoin de notre soutien !

Cela témoigne que la solidarité internationale n’est pas vaine. C’est éga-lement le sens des réseaux de solidarité qui se sont constitués notamment au Royaume-Uni et au Japon pour soutenir les étudiants et étudiantes ira-kiennes dans leur lutte. En France, la Fédération Syndicale Etudiante s’est également engagée dans ce soutien comme les autres signataires de l’ap-pel en faveur des étudiants de Bassora. Cette mobilisation, qui doit égale-ment se manifester par un soutien matériel pour prendre tout son sens, dessine les prémisses d’une solidarité mondiale de classe, seule à même de proposer une alternative au capital unifié, et de permettre concrète-ment aux progressistes irakiens de se développer en Irak.

Elle peut s’exprimer de façon effective dans le soutien des nombreux co-mités étudiants qui se sont mis en place depuis des mois en Irak, travail-lant dans des conditions extrêmement dangereuses pour organiser les étudiants et créer une organisation progressiste afin de défendre les droits et libertés de la jeunesse d’Irak. Les récentes violences leur ont fait claire-ment ressentir le besoin d’une organisation nationale étudiante.

Ces mouvements ont décidé de tenir à Bagdad le 15 juin 2005 le pre-mier congrès étudiant depuis l’invasion de l’Irak. Des étudiants de Bagh-dad, Kirkouk, Bassora, Sulaymania, Mossoul et Erbil sont entre autre at-tendus pour la tenue de ce congrès. Il sera consacré au rôle que les étu-diants peuvent prendre dans l’actuelle crise politique en Irak, le respect des droits humains, l’éducation et la lutte contre la privatisation des univer-sités. A cette occasion, seront également exposés des photographies et

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Interview : Thikra Faisal (Comité d’organisation étudiant de Bassorah)

Thikra Faisal, 24 ans, est étudiante en administration bancaire à l’universi-té de Bassorah. Elle est l’une des fondatrices du Comité d’organisation étudiant (Student Working Comitee), et depuis peu membre du bureau politique du Parti communiste-ouvrier d’Irak.

Je l’ai interviewée à Yokohama, où nous avions été invités pour la Confé-rence nationale pour la paix et la démocratie (Zenko), à l’initiative du Comité japonais de soutien à la résistance civile en Irak.

ND : La guerre et l’occupation ont-elles beaucoup affecté la vie des étudiants ?

TF : Bien sûr, on en a tous souffert. Plus rien dans les magasins, plus d’é-lectricité, plus de boulot, plus de liberté. A Bassorah, je vois les forces d’occupation tous les jours dans la rue. Quand elles sont arrivées, elles avaient vraiment peur de la population, surtout les américains. Ici, ce sont les troupes anglaises, dont le comportement est différent. Elles essaient de vivre au contact des gens, d’aider les enfants, de distribuer de l’eau, parce qu’elles ne veulent pas être victimes d’attentats.

Cela fait une grande différence avec les troupes américaines, qui ne res-pectent pas les femmes, ni les personnes âgées, et qui nous détestent. Plein de gens ont été tués simplement parce qu’ils marchaient près des américains ou de leurs véhicules.

ND : Comment a été créé le Comité d’organisation étudiant (SWC) ?

TF : Avec la guerre, la plupart des bâtiments de l’université ont été abîmés par les bombes, et les islamistes armés se sont imposés à l’université.

La plupart des fondateurs, on avait déjà été confrontés à ces islamistes. Alors, comme on avait besoin d’une organisation pour faire face à la si-tuation et combattre pour notre liberté, on a appelé à un meeting et discu-té de la façon de s’organiser.

Avec le groupe des fondateurs, on se connaissait déjà tous plus ou moins, et d’autres personnes nous ont rejoint peu après, parce qu’ils savaient qui

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pation, d’autres pas du tout. Mais en général, l’Occupation essaie de garder une situation calme que ce soit bien ou non, ainsi les troupes bri-tanniques ignorent parfois ce que font ces partis, comme ça s’est produit lors des évènements de mars dernier.

ND : Quels sont les besoins matériels pour un syndicat étu-diant en Irak ?

SA : D’abord, un syndicat étudiant a besoin d’un lieu pouvant être un centre pour ses activités et d’un équipement de base : 2 ordinateurs, des imprimantes, une vidéo et un appareil photo numériques, une photoco-pieuse. Le syndicat étudiant doit pouvoir publier un journal ou tout autre publication.

Notre Comité travaille pour que les étudiants prennent conscience de sa situation et nous voulons publier, organiser des colloques pour informer les étudiants de ce qui se passe sur le campus et sur la vie politique.

Interview par email, réalisée par Nicolas Dessaux, juillet 2005.

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des documents sur le soulèvement de Bassora. Au terme de ce congrès, les résolutions d’orientation du mouvement seront votées et des représen-tants nationaux élus. Pour organiser le congrès dans les meilleurs condi-tions, les formations irakiennes qui en sont à l’initiative indiquent qu’elles auraient besoin d’un soutien financier de 18 000 euros, notamment pour payer le logement, la nourriture, le transport des étudiants jusqu’à Bag-dad, imprimer des documents de presse, et évidemment assurer la sécuri-té.

Olivier Théo

(1) Samia Zubaida, "Grandeur et décadence de la société irakienne", in La société ira-kienne : communautés, pouvoirs et violences dirigé par Hosham Dawod et Hamit Borza-slan, coll. Terres et gens d’islam, Ed Karthala, 2003.

(2) Inaam Kachachi est historienne, journaliste et écrivaine irakienne. Elle vient de publier Paroles d’Irakiennes. Le drame irakien écrit par des femmes, aux Éditions Le Serpent à plumes, 2003.

(3) Jean-Pierre Perrin, envoyé spécial à Bassora, Libération, le 8 janvier 2004.

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Interview : Shehab Ahmed (comité d’organisa-tion des étudiants à Bassora)

Suite aux événements du mois de mars à Bassora, Nicolas Dessaux a in-terviewé Shehab Ahmed, membre du comité d’organisation des étudiants à Bassora.

ND : Quelle est la situation à Bassora après le mouvement étudiant de mars dernier ? Est-ce que les islamistes politiques sont-ils toujours aussi violents ou bien ont-ils dû changer d’at-titude ? Qui soutient le mouvement étudiant ?

SA: : Nous ne pouvons pas négliger le rôle des mouvements étudiants de mars 2005, toutes les formations politiques ont dû constater que les étu-diants formaient une force avec laquelle il faudrait composer.

Cependant, l’Islam politique continue à essayer de contrecarrer tous les mouvements étudiants pour la liberté par de nombreux moyens, tels qu’i-dentifier les étudiants actifs en les espionnant, les menacer, les agresser physiquement voire parfois les assassiner. C’est ce qui s’est passé à Bag-dad après les incidents à la faculté de pharmacie.

Mais le changement le plus notable à Bassora est que le groupe d’Al Sad’r a fermé ses locaux officiels ne l’employant plus que pour les prières du vendredi. Cela ne signifie pas qu’ils n’ont plus aucune activité à l’heure actuelle.

La plupart des autres partis de l’Islam politique, notamment ceux qui ont gagné les élections à Bassora, ont commencé à déployer leur puissance et à influencer des changements administratifs dans tous les établissements gouvernementaux y compris l’université et, naturellement, tout ça aide les partis à imposer les polices islamiques.

De notre côté, nous n’avons pas assez de soutiens pour nous aider à avoir nos propres locaux et notre journal ou encore de développer des activités culturelles, sportives ou de détente. Cependant, nous obtenons un certain appui de la part du parti communiste-ouvrier d’Irak en nous aidant financièrement comme ils le peuvent et nous prêter des locaux pour nos réunions.

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ND: A part l’Islam politique, quels sont les principaux problè-mes pour étudier en Irak aujourd’hui ? Quelle est la situation matérielle des étudiants ?

SA : En fait, il y a pas mal de problèmes pour étudier dans une université en Irak. Ce n’est vraiment pas facile. Les cours sont toujours aussi sommai-res et pourraient être améliorés, les labos manquent d’équipements de base et tout ça se rajoute aux problèmes des coupures d’électricité, des transports pour aller à l’université, de la sécurité, etc.

La plupart des étudiants est issue de familles à revenu modeste et doivent faire face aux dépenses occasionnées par les transports, les manuels, les photocopies, la recherche sur Internet, etc.... Et la situation est encore plus difficile pour les étudiants résidant hors de la ville qui ne trouvent que des logements sans aucun équipement !!!

ND : Est-ce qu’il y a d’autres syndicats étudiants en Irak ? Si oui, quelles sont les différences avec vous ?

SA : Le gouvernement a publié une résolution établissant un syndicat étu-diant gouvernemental soutenu par els universités et qui se tient toujours du côté des universités. En outre, il y a d’autres mouvements étudiants, d’un côté celui des étudiants chiites, de l’autre, des étudiants sunnites.

Notre mouvement représente tous les étudiants progressistes et défend la liberté. C’est la différence principale entre eux et nous. Les autres syndi-cats étudiants connaissent d’appuis importants de différents partis et du gouvernement.

ND : Est-ce que les étudiants souffrent de l’Occupation et pourquoi ? Quelles sont les relations entretenues entre les troupes occupantes et l’islam politique ?

SA : Oui, les étudiants souffrent de l’Occupation, plusieurs fois des étu-diants se sont confrontés aux troupes d’occupation et plusieurs fois ces étudiants ont trouvé la mort en plusieurs occasions, et ce qui c’est passé à Bagdad, à Ramady, à Nassyria, à Tikrit et Najaf.

A Bassora, la situation est un peu différente, les troupes d’occupation ont éviter de côtoyer les civils notamment les étudiants. Mais nous ne pouvons pas nier que tous les problèmes résultent de l’Occupation.

Certains partis de l’Islam politique ont de très bons contacts avec l’Occu-