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IN MEMORIAM

JEAN DENOËL

Secret, mystérieux, énigmatique et silencieux comme unchat, qui était -il cet être au doux et pénétrant regard, à la voixsourde et persuasive, aux gestes délicats, subtil, attentif, tendreet amical qui a tenu une si grande place pendant plus d'undemi-siècle dans la vie littéraire et artistique française dont onpeut dire qu'il en a été l'éminence grise?

Jean Denoël a ainsi vécu dans l'ombre effacé et efficace,vigilant et perspicace, guide, conseiller recherché et écouté,prodiguant son temps, sa culture, son influence, son amourpassionné des arts et des artistes. Il s'était mis tout entier auservice de la vie et de la survie des œuvres des plus grandset des plus notoires écrivains de notre temps dont il était l'ami etle confident cependant qu'il aidait les jeunes poètes, les jeunesromanciers, les vocations esquissées, les carrières ébauchées en

leur ouvrant les portes de l'édition et de la renommée.Il est venu mourir sur la terre bretonne qui l'avait vu naître,

au terme d'une longue maladie qui, si elle avait atteint soncorps, n'avait ni affaibli ni diminué la garde fervente qu'ilassurait pour la défense de ceux qui l'avaient désigné pourveiller sur leur œuvre. Son dévouement était sans limite, comme

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Cahiers Jean Cocteau

sa discrétion, comme son amitié rayonnante et bienfaisante.Il fut le plus fidèle, le plus vigilant, le plus actif des Amis de

Jean Cocteau, comme il fut aussi celui de Max Jacob dont ilprépara, jusqu'à son dernier jour, minutieusement, la commé-moration du centenaire de la naissance.

Dans le chagrin et le désarroi de l'avoir perdu, chacund'entre nous s'interroge qui, désormais, saura tenir un telemploi? qui saura avec une telle ferveur désintéressée et géné-reuse entretenir la flamme du souvenir, affirmer, protéger, épa-nouir le destin des œuvres de ces grands disparus auxquels ilavait voué sa propre existence et désigner aussi ceux qui sontdestinés à continuer la marche ascendante de l'art dans le plusprochain avenir?

Libre, détaché de tous biens personnels, Jean Denoël estretourné dans le grand silence, silencieux et solitaire, emportantavec lui la pudeur secrète d'une vie offerte à ses contemporains

pour servir leurs œuvres et leur gloire.

Henri Sauguet.

Octobre 1976.

Quand et où ai-je rencontré Jean Denoël pour la premièrefois? Je m'interroge aujourd'hui sans pouvoir me répondre.Très vite, pour moi comme pour tant de ses amis, il était toutnaturellement devenu un familier et c'est pourquoi, avec eux,j'ai le douloureux devoir, au lendemain de sa brutale, de sacruelle disparition, de saluer ici l'homme exquis, le précieux,l'irremplaçable compagnon qu'aura été notre cher Jean Denoël.

Georges Auric.

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La poésie

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La poésie selon Cocteau

« Art de faire des vers [.]Chaque genre poétique [.]Pièce de vers, poème de peu d'étendue [.]Caractère dece qui touche, élève, charme [.]»Telles sont les défini-tions que donne du mot poésie le Nouveau petit Larousse.Correspondent-elles bien à ce qu'entendaitjean Cocteaupar ce terme? La notion de poésie, reflétée par ce dic-tionnaire, est en général trop précise (( art de faire desvers ») ou trop vague (( caractère de ce qui touche, élève,charme ») pour convenir à notre poète, qui répliqueraitque Boileau fait des vers sans pour autant faire de lapoésie, que Lautréamont fait de la poésie sans pourautant faire des vers, et qu'une histoire touchante, édi-fiante, charmante, ne constitue pas nécessairement de lapoésie. En quoi consiste alors, selon Cocteau, la poésie?

Lui-même a traité inlassablement de ce qu'il entendaitpar ce vocable, comme s'il ne parvenait pas à en expri-mer le sens une bonne fois, une fois pour toutes, oucomme s'il désespérait de le faire comprendre (il en vade même des mystiques, lesquels tâchent désespérément,répétitivement d'exprimer l'Inexprimable, de nommer

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l'Innommable). Quant aux commentateurs de l'œuvrede Jean Cocteau, bien rares sont ceux qui ont osé affron-ter d'un regard personnel cette conception très parti-culière qu'avait de la poésie le poète qui nous occupe.Or, ladite conception mérite au premier chef un examensérieux car elle constitue la clé de voûte de l'oeuvre

entier de notre poète faut-il une fois de plus rappelerqu'il subdivisait cet œuvre en « poésie, poésie de roman,poésie critique, poésie de théâtre », etc. ? Oui, Cocteauavait de la poésie une vision fort peu courante dumoins en Occident et qui vaut que l'on s'y arrête,bien qu'il s'agisse d'une étude malaisée, subtile,complexe (raison du peu d'empressement des critiques àl'entreprendre). A défaut d'autre mérite, j'aurai la témé-rité de me jeter à l'eau, et de tenter l'esquisse.

D'abord, il convient d'étudier comment se développa

chez Jean Cocteau sa notion singulière de la poésie. Ici,nous tombons sur la coupure mystérieuse, « capitalis-sime », aurait dit Proust, dans la vie et l'oeuvre du

poète, que fut Le Potomak. En effet, il y a deux JeanCocteau l'un d'avant, l'autre d'après Le Potomak. L'au-teur d'Opéra écrira du reste « J'ai volé ses papiers àun certain J. C. né à M. L. le. mort à 18ans [en réalité24] après une brillante carrière poétique. » Contraire-ment à l'opinion du profane il ne suffit pas d'écrire despoésies pour être poète, et, jusqu'au Potomak, le premier« J. C. » en écrivit beaucoup sans être pour autant poète;alors, il était de ceux dont il dira dans Le Secret profes-

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sionnel, où il compare le poème à une lampe électrique« La plupart des gens se pavanent dans les ténèbres encroyant leur maison richement illuminée. » Ce n'est qu'àl'occasion du Potomak que Jean Cocteau découvrira lemode d'emploi de cette électricité que représente à sesyeux la poésie, et qu'il en allumera son verbe pour tou-jours. Comment un événement aussi important s'est-ilproduit?

Donc, malgré les multiples recueils de vers, publiésou non avant Le Potomak, et du reste reniés par leurauteur, ce fut à l'occasion de la rédaction du Potomak,

ouvrage en prose mêlée de dessins et de quelques versseulement, que notre poète eut la révélation de ce quipour lui allait devenir la poésie. Le mot « révélation »,qu'il utilisera lui-même à ce propos, en le soulignant,beaucoup plus tard dans son Discours sur la poésie pro-noncé lors de l'Exposition de Bruxelles, convient car ils'agit d'une expérience qui touche au sacré, d'une véri-table initiation ésotérique; il s'agit bien de lare-naissance, de la seconde naissance, du nouvel

homme dont parlent si fréquemment les mystiques, etl'on comprend que Jean ait eu la tentation de considérercomme un autre le « J. C. » mort après une brillante,mais dérisoire carrière poétique sans poésie; il s'agitaussi de la première et principale expérience « phénixo-logique » de notre auteur.

Que savons-nous de cette expérience véritablementoriginelle? Là-dessus, les biographies nous renseignentmal, et c'est la lecture du Potomak lui-même qui nousdonnera les meilleurs indices, en particulier le chapitreintitulé Comment ils vinrent. « Ils », ce sont les Eugènes,

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personnages graphiques de l'Album des Eugènes, lequelfigure ensuite dans le volume. L'apparition du premier« Eugène » est malgré son aspect fantaisiste l'instantcapital dans l'oeuvre de Cocteau, qu'elle détermine enmajeure partie; voilà bien l'instant précis de l'initiation(du latin initium, début), le moment où notre Orphéeavant la lettre franchit pour la première fois le seuil dumiroir de la plongée profonde en soi-même. Cet événe-ment, banal et farfelu en apparence, fut pour Jean larencontre de saint Paul sur le chemin de Damas, les

« pleurs de joie » de la nuit pascalienne, l'illuminationde Claudel au pilier de Notre-Dame, et mérite à ce titreque l'on s'y arrête avec détail. En voici la trace, dansLe Potomak

« Fatigue.

Le stylographe, en marge et sur le buvard, commenceà vivre.

A mon oreille. ce sifflet d'ange, si, lentement, tupromènes ton doigt mouillé au fil d'un bol de verre.

Tout à coup L'EUGÈNE. »

La fatigue de Jean relâche la censure entre l'incons-cient et le conscient, entre le Ça et le Moi, comme lesommeil le fait dans les rêves, permettant à certainséléments de l'inconscient de passer dans le conscient;sur le seuil, la garde refoulante est assoupie ainsi qu'ellele sera dans la tapisserie où Judith assassine Holo-pherne. Ce n'est plus le conscient mais l'inconscientqui va diriger le stylographe. Quant au « sifflet d'ange »,nous en reparlerons. La psychanalyse dirait que grâce

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à la fatigue, qui détend le contrôle du Moi, une imageprovenant du Ça fait irruption dans la conscience, etque cette image, c'est l'« Eugène ». Il s'agit d'un phéno-mène de dessin automatique, bien avant que les surréa-listes, qui sont loin d'exister encore en tant que tels

(nous sommes en 1913), ne s'arrogent l'invention del'écriture automatique. (Au passage, notons cette preuveéclatante que Jean Cocteau était bien un précurseurauthentique, contrairement à l'injuste légende, répan-due par ses ennemis, d'après quoi il n'aurait été qu'unsuiveur adroit de l'avant-garde; cela revenait à mettreavant les bœufs la charrue, à accuser autrui de son propreméfait; hélas! l'histoire littéraire a donné dans le pan-neau, et je crains qu'il ne soit bien malaisé d'obtenird'elle une équitable révision du procès.) L' « Eugène »est donc un produit de l'inconscient passé dans leconscient à la faveur d'un songe éveillé, d'un fantasme dûà la fatigue. Venue de l'au-delà du conscient, de la zonesur-naturelle, sur-réelle de l'inconscient, l'apparition del' « Eugène » constitue la première Annonciation d'unpremier ange assez diabolique.

Or, qu'est-ce que l' « Eugène »? Un petit bonhommevieillissant, pot à tabac, au sommet du crâne chauvele bourgeois français d'avant 1914. Mais, sur la nuque,ses cheveux sont assez longs et roulés à l'artiste, ce quiavait été le cas chez le père de Jean, peintre amateur(quant au grand-père maternel de Jean, qui lui tint lieude père après que son père se fut suicidé, il était violo-niste amateur). En outre, l' « Eugène » a le nez busqué,caractéristique aussi bien de Georges Cocteau que dugrand-père Lecomte, et que Jean lui-même héritera.

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L' « Eugène est donc né. « Je ne le baptisai pas »,écrira son créateur. « Tiens, dis-je, un Eugène! » [.]

« Les Eugènes me transmirent leur nom comme ilsm'avaient envoyé le schéma d'une silhouette équiva-lente à leur masse informe. »

Le nom même de l' « Eugène » jaillit donc aussi del'inconscient, du Ça. Il est un pur exemple, cette fois,d'écriture automatique avant la lettre, et prouve irréfu-tablement l'antériorité de Cocteau par rapport auxsurréalistes à cet égard.

Pourquoi ce prénom d'Eugène entre tous les autresprénoms et noms possibles? A quoi pouvait-il biens'associer dans l'esprit de Jean?A cette question j'aidéjà répondu ailleurs (Le Mythe orphique dans l'œuvrede Cocteau, premier Cahier Cocteau, Revue des lettresmodernes, 1972) Eugène était le prénom usuel dugrand-père maternel de Jean, ce qui vient confirmer lerapprochement que nous avait déjà fait avancer lasilhouette de l' « Eugène ». Eugène Lecomte était lepatriarche de la tribu Lecomte-Cocteau la famille

Cocteau demeurait chez lui tant à Paris qu'à Maisons-Laffitte. Étant donné le caractère falot du père de Jeanpuis sa disparition prématurée, Eugène Lecomte, oul' « Eugène », représente une image paternelle de choixpour Jean.

Sous les espèces de l'apparition du premierEugène »,Jean avait mis le doigt dans l'engrenage de l'inconscient,il avait saisi l'extrémité du fil rouge; le processus du« retour du refoulé » était déclenché; le reste allait

suivre. Après l' « Eugène » apparut la « femme Eugène »,en des conditions semblables « Comment les femmes

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Eugènes apparurent? Un soir, et d'elles-mêmes, sur unepage où vagabondait ma main morte.

« Vous devez connaître, Persicaire, la petite aube,les charrettes de légumes place de la Concorde. Onrentre chez soi. L'effort de se déshabiller et de se mettre

au lit, on le retarde. Il est au-dessus des forces. A vrai

dire, je ne vis la chose que le lendemain, parmi desgriffonnages. Molle et grave, une des femmes se trouvaitconfondue avec un Eugène. Le départ du trait de plumedont elle était faite lui sortait des côtes. »

Même fatigue favorable au relâchement de la cen-sure de l'inconscient que pour l'apparition du premier« Eugène »; même processus de dessin automatique.

Qui était la « femme Eugène »? Elle est caractériséepar une chevelure moutonnante, à rapprocher de lacoiffure de Mme Cocteau vers la même époque. Au reste,fille d'Eugène Lecomte, Mme Cocteau avait reçu le pré-nom usuel, féminisé, de son père Eugénie, femmeEugène. La femme Eugène est née de la côte de l'Eugèneainsi qu'Ève de la côte d'Adam, ce qui vient confirmerleur état de couple originel aux yeux de Jean. D'autrepart, il est facile d'interpréter psychanalytiquement cettecôte de l'Eugène-Adam fichée au flanc de la femmeEugène-Ève comme un symbole phallique, ce qui fait dupremier couple Eugène une représentation du coïtparental, de ce que la psychanalyse nomme « la scèneprimitive », étreinte dont naîtra Jean, parmi les prénomssecondaires duquel figure aussi le prénom d'Eugène.Dès lors, nous avons pour la première fois le triangleoedipien du père, de la mère et de leur fils.

« Je dessinai le couple.

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« Puis une troupe.« []

« Ils [les Eugènes] continuaient de s'imposer parescouades [.]Bientôt il y eut partout des Eugènes etaucun d'eux n'étant jamais identique, je les supposai unet innombrables [.]»»

Le premier Eugène, fécond, se démultiplie j'ai déjàsignalé que l'Eugène pouvait renvoyer, en plus dugrand-père Eugène Lecomte, le patriarche de la tribu,à Georges Cocteau et à Jean lui-même; à ces mâles dela tribu Lecomte-Cocteau l'on peut ajouter les onclesde Jean Maurice, Raymond et André Lecomte, sonfrère aîné Paul Cocteau, son cousin germain PierreLecomte, etc., et, à la limite, tous les mâles rivaux. D'où

les « escouades » d'Eugènes qui succèdent au premiersous la plume de Jean. Ils sont « un » comme l'arché-type, l'image paternelle; « innombrables » comme lesincarnations ultérieures de cet archétype, de cette image.

De même que l'Eugène et pour les mêmes raisons,la femme Eugène va subir une démultiplication paral-lèle Mme Cocteau devient toutes les autres femmes qui

la représentent, au nombre desquelles on peut rangerd'abord Marthe Cocteau, la sœur aînée de Jean, sagouvernante allemande, Frâulein Joséphine Ebel, lesautres femmes de sa famille et de son entourage, puis,à la limite, toutes les autres femmes.

« Je dessinai le couple.« Puis une troupe.« Puis l'album. »

Examinons cet Album des Eugènes. Il y intervient deuxnouveaux personnages M. et Mme Mortimer. « Mi-

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riant, mi-inquiet, j'inventai (je crus inventer) tous lesMortimer, et aussi leur nom qui ne cache rien, sinonque le mot mort s'y incruste », écrira Cocteau,lequel a raison de se reprendre en disant « je crusinventer », car les Mortimer méritent une exégèse aussi

poussée que les Eugènes. Leur nom d'abord. C'est celuid'une importante famille galloise, dont le principalmembre participa au meurtre du roi d'AngleterreÉdouard II. Un roi représentant pour l'inconscient unsymbole universel du père, ce régicide équivaut commetous les régicides au meurtre oedipien du père, et lesMortimer, ce sont les assassins du père. « Ne cherchepas de Mortimer sauf en toi-même », nous avertit Coc-teau. Dans le nom des Mortimer leur auteur distinguedonc avec juste raison le mot « mort », lequel en formela première syllabe. Mais la méthode des associationslibres de la psychanalyse nous permet d'aller plus avant.La seconde syllabe du nom Mortimer, ti, on peut l'in-terpréter comme une contraction du mot petit, et la troi-sième syllabe, mer, équivaut phonétiquement au vocablemère. Les trois syllabes du nom Mortimer désignentdonc les trois personnes de la trinité œdipienne lemort (Laïus, le père « assassiné »), le petit (Œdipe, lefils assassin du père et inceste) et la mère incestueuse(Jocaste); situé entre son père et sa mère, le petit lessépare.

Et maintenant, que se passe-t-il dans l'Album desEugènes? Le couple Mortimer « termine sur un lac deGenève son voyage de noces délicieux ». Que figurele couple Mortimer? Nous avons constaté qu'il étaitformé du fantôme du père « assassiné » (le futur fan-

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tôme du roi assassiné Laïus, au début de La Machine

infernale), du petit Jean et de sa mère. Le couple Morti-mer figure donc l'inceste Œdipe-Jocaste (« voyage denoces délicieux ») aux prises avec le spectre justicierdu père assassiné, trahi (l'Eugène). C'est la fin de l'in-cestueux et délicieux voyage de noces, en ceci que leschoses vont commencer à se gâter pour le couple cou-pable, par suite du « retour du refoulé », c'est-à-direle meurtre et la trahison du père, sous l'aspect del'Eugène. La Suisse de ce lac de Genève rappelle, dureste, celle des véritables voyages de jeunesse de Jeanavec sa mère, voyages qui impressionnèrent à plus d'untitre l'enfant puis l'adolescent (voir en particulier LeGrand Écart).

A bord d'un bateau de plaisance (dans la symboliqueuniverselle de l'inconscient le bateau figure les organesgénitaux féminins), sur le lac de Genève, cette petit mer,ou mère, « un Eugène remarque les Mortimer, pour lapremière fois », et donne un coup de « sifflet d'ange »afin d'appeler ses congénères. Une femme Eugèneapparaît. (Notons l'ambivalence, pour Jean, du person-nage de la mère, ambivalence exprimée ici par le dédou-blement de ce personnage en la brave Mme Mortimer

la bonne mère aimée du plan conscient et la terriblefemme Eugène la mauvaise mère de l'inconscient.La mère joue un double jeu en tant que Mme Mortimer,elle est alliée à Jean; en tant que femme Eugène, elle estalliée à l'Eugène, c'est-à-dire à l'image paternelle. Onaura plus tard un dédoublement du même ordre avecla reine et la fausse reine, dans Les Chevaliers de la Table

ronde, puis avec Yvonne et Léo, dans Les Parents terribles,

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