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Gastroentérologie Clinique et Biologique (2009) 33, 77—79 LETTRE À LA RÉDACTION Gastrite lymphocytaire et maladie de Méné- trier : une ou deux maladies ? Lymphocytic gastritis and Menetrier’s disease: One or two diseases? La maladie de Ménétrier, d’étiologie inconnue, est une gas- tropathie hypertrophique rare dont la présentation clinique et endoscopique peut être proche de celle de certaines gastrites lymphocytaires. Bien que ces deux gastropathies soient définies histopathologiquement de manière diffé- rente et spécifique, Haot a attiré très tôt l’attention sur leur possible parenté [1]. Puis, Wolfsen, revoyant 23 cas de maladie de Ménétrier, a distingué, rétrospectivement, 12 malades avec une gastrite lymphocytaire hypertrophique et 11 avec une hypertrophie muqueuse sans inflammation [2] ; il a alors suggéré de réserver la dénomination de « maladie de Ménétrier » à ce dernier groupe de malades dont l’épaississement de la muqueuse gastrique est souvent plus important [3]. Mais cette distinction n’est pas toujours facile à établir, suggérant un lien plus étroit. Nous rappor- tons ici les observations de deux malades avec une gastrite lymphocytaire qui ont bénéficié d’une gastrectomie totale dont l’examen de la pièce opératoire a révélé l’association d’aspects histopathologiques caractéristiques de maladie de Ménétrier. M. DEL..., 48 ans, souffrait depuis deux ans d’épigastralgies intenses amenant au diagnostic endosco- pique et échœndoscopique de gastropathie hypertrophique de Ménétrier, puis à celui de gastrite lymphocytaire sur la base d’une « lymphocytose intra épithéliale intense qui dépassait largement 30 lymphocytes pour 100 cellules épithéliales » à l’examen histopathologique de macrobiop- sies. La recrudescence des douleurs qui retentissaient sur l’état général (amaigrissement de 12 kgs) malgré un trai- tement systématique d’éradication d’Helicobacter pylori (absence d’HP sur les biopsies), associé à un traitement par inhibiteurs de la pompe à protons à double dose et même une corticothérapie, nous conduisait à réaliser une gastrectomie totale dont l’étude histopathologique de la pièce révélait une maladie de Ménétrier avec des aspects caractéristiques de kystisation et de métaplasie mucipare colonisant la partie superficielle de la sous-muqueuse, sans aspect carcinomateux, associée à la persistance d’une infiltration lymphocytaire intraépithéliale significative. M. LER..., 55 ans, bénéficiait en 2007 du contrôle endoscopique de principe d’une gastrite varioliforme et lymphocytaire, pauci symptomatique, diagnostiquée dix ans plus tôt, de manière confirmée par une relecture « experte », à cette époque, des lames (Fig. 1). Celui- ci retrouvait une gastropathie fundique hypertrophique avec plus de 25 % de lymphocytes intraépithéliaux aux biopsies ; surtout, il révélait un adénocarcinome invasif indifférencié de la grande courbure. Le scanner témoignait d’une hyper- trophie diffuse de la paroi gastrique. Une gastrectomie avec curage D2 était réalisée : pT2bN0 (Fig. 2). L’analyse de la muqueuse gastrique à distance révélait des foyers d’hyperplasie fovéolaire avec un épithélium mucisécrétant et un étirement des cryptes jusqu’à la base de la muqueuse où elles apparaissaient kystiques (Fig. 3 et 4). La gastrite lymphocytaire constitue l’expression histolo- gique habituelle de la gastrite varioliforme. Son diagnostic repose sur la mise en évidence, par un anatomopathologiste « averti », d’une infiltration lymphocytaire T de l’épithélium gastrique, supérieure à 25 lymphocytes/100 cellules épithé- liales, alors que l’infiltration de l’épithélium gastrique par des lymphocytes ne dépasse pas 8 % dans les autres types de gastrite chronique et dans la muqueuse normale. Avant de retenir le diagnostic de gastrite lymphocytaire idiopathique, des biopsies duodénales systématiques doivent éliminer une maladie coeliaque qui peut entrainer, au-delà de l’intestin grêle, une infiltration lymphocytaire de l’estomac. Elle est facilement distinguée, éventuellement par un immunomar- quage par l’anticorps anti-CD3 (marqueur des lymphocytes T), du lymphome gastrique de type MALT, prolifération monoclonale de type B. Ses symptômes sont une dyspepsie, parfois une anorexie et un amaigrissement dont le reten- tissement peut dérouter le diagnostic vers une néoplasie gastrique. Ce fut le cas de notre premier malade. Elle évo- lue volontiers de manière capricieuse, par poussées, vers la guérison au moins clinique dans 50 % des cas à deux ans. Cependant, les lésions histologiques peuvent persister beau- coup plus longtemps. En l’absence d’essai contrôlé, il est impossible d’affirmer la validité des évolutions favorables obtenues après éradication systématique d’H. pylori (le plus 0399-8320/$ – see front matter © 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.gcb.2008.05.018

Gastrite lymphocytaire et maladie de Ménétrier : une ou deux maladies ?

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Gastroentérologie Clinique et Biologique (2009) 33, 77—79

LETTRE À LA RÉDACTION

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Gastrite lymphocytaire et maladie de Méné-trier : une ou deux maladies ?

Lymphocytic gastritis and Menetrier’s disease:One or two diseases?

La maladie de Ménétrier, d’étiologie inconnue, est une gas-tropathie hypertrophique rare dont la présentation cliniqueet endoscopique peut être proche de celle de certainesgastrites lymphocytaires. Bien que ces deux gastropathiessoient définies histopathologiquement de manière diffé-rente et spécifique, Haot a attiré très tôt l’attention surleur possible parenté [1]. Puis, Wolfsen, revoyant 23 casde maladie de Ménétrier, a distingué, rétrospectivement,12 malades avec une gastrite lymphocytaire hypertrophiqueet 11 avec une hypertrophie muqueuse sans inflammation[2] ; il a alors suggéré de réserver la dénomination de« maladie de Ménétrier » à ce dernier groupe de maladesdont l’épaississement de la muqueuse gastrique est souventplus important [3]. Mais cette distinction n’est pas toujoursfacile à établir, suggérant un lien plus étroit. Nous rappor-tons ici les observations de deux malades avec une gastritelymphocytaire qui ont bénéficié d’une gastrectomie totaledont l’examen de la pièce opératoire a révélé l’associationd’aspects histopathologiques caractéristiques de maladie deMénétrier.

M. DEL. . ., 48 ans, souffrait depuis deux ansd’épigastralgies intenses amenant au diagnostic endosco-pique et échœndoscopique de gastropathie hypertrophiquede Ménétrier, puis à celui de gastrite lymphocytaire surla base d’une « lymphocytose intra épithéliale intensequi dépassait largement 30 lymphocytes pour 100 cellulesépithéliales » à l’examen histopathologique de macrobiop-sies. La recrudescence des douleurs qui retentissaient surl’état général (amaigrissement de 12 kgs) malgré un trai-tement systématique d’éradication d’Helicobacter pylori(absence d’HP sur les biopsies), associé à un traitement

par inhibiteurs de la pompe à protons à double dose etmême une corticothérapie, nous conduisait à réaliser unegastrectomie totale dont l’étude histopathologique de lapièce révélait une maladie de Ménétrier avec des aspectscaractéristiques de kystisation et de métaplasie mucipare

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0399-8320/$ – see front matter © 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits rdoi:10.1016/j.gcb.2008.05.018

olonisant la partie superficielle de la sous-muqueuse, sansspect carcinomateux, associée à la persistance d’unenfiltration lymphocytaire intraépithéliale significative.

M. LER. . ., 55 ans, bénéficiait en 2007 du contrôlendoscopique de principe d’une gastrite varioliforme etymphocytaire, pauci symptomatique, diagnostiquée dixns plus tôt, de manière confirmée par une relectureexperte », à cette époque, des lames (Fig. 1). Celui- cietrouvait une gastropathie fundique hypertrophique aveclus de 25 % de lymphocytes intraépithéliaux aux biopsies ;urtout, il révélait un adénocarcinome invasif indifférenciée la grande courbure. Le scanner témoignait d’une hyper-rophie diffuse de la paroi gastrique. Une gastrectomievec curage D2 était réalisée : pT2bN0 (Fig. 2). L’analysee la muqueuse gastrique à distance révélait des foyers’hyperplasie fovéolaire avec un épithélium mucisécrétantt un étirement des cryptes jusqu’à la base de la muqueuseù elles apparaissaient kystiques (Fig. 3 et 4).

La gastrite lymphocytaire constitue l’expression histolo-ique habituelle de la gastrite varioliforme. Son diagnosticepose sur la mise en évidence, par un anatomopathologisteaverti », d’une infiltration lymphocytaire T de l’épithéliumastrique, supérieure à 25 lymphocytes/100 cellules épithé-iales, alors que l’infiltration de l’épithélium gastrique pares lymphocytes ne dépasse pas 8 % dans les autres types deastrite chronique et dans la muqueuse normale. Avant deetenir le diagnostic de gastrite lymphocytaire idiopathique,es biopsies duodénales systématiques doivent éliminer unealadie coeliaque qui peut entrainer, au-delà de l’intestin

rêle, une infiltration lymphocytaire de l’estomac. Elle estacilement distinguée, éventuellement par un immunomar-uage par l’anticorps anti-CD3 (marqueur des lymphocytes), du lymphome gastrique de type MALT, proliférationonoclonale de type B. Ses symptômes sont une dyspepsie,arfois une anorexie et un amaigrissement dont le reten-issement peut dérouter le diagnostic vers une néoplasieastrique. Ce fut le cas de notre premier malade. Elle évo-ue volontiers de manière capricieuse, par poussées, vers

a guérison au moins clinique dans 50 % des cas à deux ans.ependant, les lésions histologiques peuvent persister beau-oup plus longtemps. En l’absence d’essai contrôlé, il estmpossible d’affirmer la validité des évolutions favorablesbtenues après éradication systématique d’H. pylori (le plus

éservés.

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78 Lettre à la rédaction

Figure 1 (patient 2) : partie superficielle de la muqueusegastrique avec infiltrat inflammatoire interstitiel abondant(Em

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Figure 3 (patient 2) : association de lésions de gastrite lym-phocytaire (à la partie superficielle de la muqueuse) et delésions de type Ménétrier (à la partie profonde de la muqueuse).Grossissement × 2,5.Lymphocytic gastritis (upper part of the mucosa) associatedwn

lcgpptddprospectif et longitudinal d’autres gastrites lymphocytaires

grossissement × 10).xtensive inflammatory infiltration of superficial gastricucosa (magnification × 10).

ouvent absent des biopsies) ou sous inhibiteurs de la pompeprotons. Ce relativement bon pronostic n’a jamais été, à

otre connaissance, invalidé, à la différence de la maladiee Ménétrier, par une dégénérescence, sauf dans les deuxbservations rapportées par Mosnier puis Vandenborre quissociaient les traits histopathologiques des deux gastropa-hies à distance des foyers cancéreux [4,5].

La gastrite lymphocytaire est une gastrite chronique nontrophiante dont l’étiopathogénie est inconnue bien que’infiltration lymphocytaire T qui la caractérise, de phé-otype prédominant cytotoxique/suppresseur CD8, suggèren mécanisme immunologique. Mosnier a montré que ces

aractéristiques immunologiques restaient les mêmes danses formes comportant des traits histopathologiques carac-éristiques d’une maladie de Ménétrier [4]. Pour notre part,ous avons précédemment relevé des arguments expérimen-aux qui plaident pour la possibilité d’une stimulation de

igure 2 (patient 2) : muqueuse gastrique (à droite) et adé-ocarcinome (à gauche).astric mucosa (right) and adenocarcinoma (left).

p

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ith lesions type Ménétrier (deeper part of the mucosa) (mag-ification × 2.5).

a prolifération épithéliale par une production anormale deytokines [6]. L’observation rétrospective par Griffiths d’uneastrite lymphocytaire sur 10 % des pièces de gastrectomieour cancer va aussi indirectement dans le sens d’un possibleassage de la gastrite lymphocytaire à la maladie de Méné-rier et au cancer gastrique [7]. Manque à la démonstratione cette filiation, sans doute inconstante, mais dont notreeuxième observation est peut-être un exemple, le suivi

our mieux en connaître l’histoire naturelle.

igure 4 (patient 2) : lésions de type Ménétrier (grossis-ement × 10) : remplacement des glandes gastriques par unpithélium mucosecrétant, associé à une transformation micro-ystique.esions type Ménétrier (magnification × 10): microcystic dilata-ion and metaplasic epithelium take the place of gastric glands.

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Lettre à la rédaction

Remerciements

Nous remercions les Professeurs J.-F. Fléjou (Paris) et K.Geboes (Louvain) pour avoir relu les lames du premierpatient et pour leurs conseils.

Références

[1] Haot J, Bogomoletz WV, Jouret A, Mainguet P. Menetrier’sdisease with lymphocytic gastritis: an unusual association withpossible pathogenic implications. Hum Pathol 1991;22:379—86.

[2] Wolfsen HC, Carpenter HA, Talley NJ. Menetrier’s disease: aform of hypertrophic gastropathy or gastritis ? Gastroenterology1993;104:1310—9.

[3] Maunoury V, Klein O, Lecomte-Houcke M, Colombel JF.Endoscopic ultrasonography in the diagnosis of hypertrophic gas-tropathy. Gastroenterology 1994;106.

[4] Mosnier JF, Flejou JF, Amouyal G, Gayet B, Molas G, HeninD, et al. Hypertrophic gastropathy with gastric adenocar-cinoma: Menetrier’s disease and lymphocytic gastritis ? Gut1991;32:1565—7.

[5] Vandenborre KM, Ghillebert GL, Rutgeerts LJ, Geboes KR,Rutgeerts PJ, Verbanck JJ, et al. Hypertrophic lymphocytic gas-tritis with a gastric carcinoma. Eur J Gastroenterol Hepatol1998;10:797—801.

[6] Maunoury V, Wacrenier A, Malamut G, Desreumaux P. Résultatsd’un traitement d’épreuve par un inhibiteur de COX-2 puis par

la lanréotide d’une gastropathie hypertrophique de Ménétrier.Gastroenterol Clin Biol 2004;28:407—8.

[7] Griffiths AP, Wyatt J, Jack AS, Dixon MF. Lymphocytic gastritis,gastric adenocarcinoma and primary gastric lymphoma. J ClinPathol 1994;47:1123—4.

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V. Maunoury ∗

Service des maladies de l’appareil digestif et de lanutrition, CHRU Lille,

59037 Lille, France

D. BuobA. Wacrenier

Service d’anatomie et cytologie pathologiques,CHRU Lille, Lille, France

F. GuillemotS. Hafraoui

Service des maladies de l’appareil digestif et de lanutrition, CHRU Lille,

59037 Lille, France

E. LeteurtreService d’anatomie et cytologie pathologiques,

CHRU Lille, Lille, France

C. MarietteService de chirurgie digestive et générale,

CHRU Lille, Lille, France

J.-F. ColombelService des maladies de l’appareil digestif et de la

nutrition, CHRU Lille,59037 Lille, France

∗ Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected]

(V. Maunoury).Disponible sur Internet le 13 aout 2008